M. Michel CHARASSE

IV. LA FRANCE AU CoeUR DES GRANDS DÉBATS SUR LE DÉVELOPPEMENT ET LE FINANCEMENT DES ODM

La France, notamment par la voix du Président de la République, s'est largement investie en 2003 et 2004 dans les débats sur le développement et a promu un certain nombre d'initiatives participant de la réduction de la pauvreté. Compte tenu du volume actuel global d'APD, l'atteinte des objectifs du millénaire (ODM) en 2015 apparaît hautement improbable , ce qui implique d'imaginer de nouveaux instruments de financement dédiés à des besoins spécifiques, ou plus généralistes et reposant sur une assiette large, propres à créer au moins un doublement du niveau actuel de l'APD.

A. LA GESTION DE L'EAU

Le forum de Kyoto de mars 2003 fut marqué par la présentation du rapport du panel mondial sur le financement des infrastructures de l'eau , présidé par M. Michel Camdessus. Ce rapport présentait près de 90 propositions, pour certaines très concrètes, couvrant toute l'étendue des questions relatives au financement de l'eau : cadre réglementaire, instruments financiers, bonne gouvernance, décentralisation, APD, participation du secteur privé, implication de la société civile.

Préconisations du rapport Camdessus

1- Gouvernance du secteur de l'eau : le rapport souligne que l'amélioration de la gouvernance du secteur de l'eau est indispensable tant au niveau national que local, afin d'obtenir de réels progrès vers les objectifs du millénaire. L'assistance technique financée par l'APD pourrait, d'une part, aider les administrations centrales des pays en voie de développement à mettre en oeuvre une véritable politique de l'eau , déclinée notamment dans les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté, et, d'autre part, assister les collectivités locales dans l'amélioration de la gestion financière et technique des ressources en eau. A cet égard, le panel met l'accent sur la nécessité d'une tarification des services de l'eau qui permette de couvrir les coûts des investissements et de l'exploitation .

2- Participation du secteur privé : le rapport souligne l'importance du partenariat public/privé , afin d'atteindre les objectifs du millénaire. L'association plus étroite du secteur privé suppose néanmoins de définir un cadre réglementaire favorable, garantissant notamment la lutte contre la corruption. Elle suppose également le développement d'instruments financiers réduisant l'exposition aux risques, notamment de change, des opérateurs. Le panel préconise la création d'un fonds renouvelable pour compenser les effets d'une dévaluation.

3- Aide publique au développement : elle devrait avoir un effet catalytique. Doublée en volume, l'APD dédiée à l'eau devrait privilégier les dons aux prêts et les conversions de créances . Par ailleurs, afin de favoriser le développement des garanties, il est proposé que le CAD de l'OCDE revoie le statut des garanties dans les statistiques de l'APD.

4- Institutions financières internationales : le rapport souligne leur rôle central, tout en relevant la nécessité de revoir les statuts de certaines institutions, afin de permettre les prêts aux entités sous -souveraines et les financements en monnaie locale .

Source : ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

La France entend veiller à la mise en oeuvre de ces préconisations et le plan d'action sur l'eau, adopté au sommet du G8 d'Evian de juin 2003, prend ainsi appui sur le rapport Camdessus, pour demander aux organisations internationales de renforcer leur engagement dans le domaine de l'assainissement et de l'approvisionnement en eau. La Banque mondiale a notamment mis à jour son plan d'action en matière d'infrastructures, qui prévoit six volets (création du Municipal fund , publication d'un guide des meilleures pratiques, en matière de prêts aux entités sous-souveraines, développement d'instruments financiers de couverture des risques, etc.) inspirés des recommandations du panel mondial . La Banque africaine de développement, avec l'aide de la France, a lancé une initiative pour l'approvisionnement en eau et l'assainissement en milieu rural, dont l'un des piliers est la nouvelle facilité africaine pour l'eau. La France a également été le principal soutien de l'initiative lancée par la Commission européenne de création d'une facilité UE-ACP pour l'eau . En l'état, celle-ci sera doté d'au moins 500 millions d'euros, prélevés sur la tranche conditionnelle du FED.

B. LE PROJET DE TAXATION INTERNATIONALE

L'idée d'une taxation internationale est ancienne et a été initiée dans les années 70 par James Tobin, qui s'en est ensuite détourné. Perçue d'abord comme un outil de raréfaction de la spéculation sur les abondantes transactions quotidiennes de change, sa conception a ensuite davantage évolué vers un apport financier potentiel pour combler l'écart préoccupant entre les objectifs de développement du millénaire et les ressources mobilisées pour les atteindre . L'idée de créer une taxe internationale participe de la mondialisation des enjeux (débats sur les biens publics mondiaux, les risques environnementaux...) comme de l'aspiration à une taxe idéale, reposant sur un taux faible et une assiette très large, susceptible de contribuer par l'impôt à une sorte de nouvelle conscience planétaire.

Le débat a été renouvelé par la création le 7 novembre 2003 d'un groupe de travail sur les nouvelles contributions financières internationales, présidé par M. Jean-Pierre Landau et destiné à étudier, sans se focaliser sur les seuls marchés financiers, la faisabilité technique d'une telle taxe. Remis en septembre 2004, le rapport souligne que le dispositif d'aide au développement manque actuellement d'une ressource stable de long terme , qui serait nécessaire notamment pour les dépenses récurrentes liées aux services sociaux (santé, éducation, etc.). Le rapport étudie un certain nombre de taxes possibles ( taxes sur les transactions financières, sur les ventes d'armes, sur le transport aérien ou maritime , etc .) du point de vue de leur pertinence technique, de leurs avantages et inconvénients. La question de l'universalité de l'adoption d'une taxe de ce type est également abordée, en lien avec les risques de distorsions de concurrence.

Ce sujet a été débattu lors du sommet des chefs d'Etat organisé à l'initiative du Président Lula, à New York le 20 septembre 2004, puis lors des réunions du Comité monétaire et financier international et du Comité du développement à Washington le 2 octobre. Faute d'un soutien explicite de la communauté internationale et en particulier des Etats-Unis , dont l'accueil à une telle taxe oscille entre indifférence polie et hostilité, il est cependant à craindre que le rapport de ce groupe de travail, en dépit de son approche volontairement technique, ne constitue autre chose qu'une référence de qualité et n'aboutisse pas à des propositions concrètes 24 ( * ) .

C. L'INITIATIVE FRANCO-BRITANNIQUE SUR LA FACILITÉ DE FINANCEMENT INTERNATIONALE

Né d'une initiative britannique appuyée par la France, le projet d'une facilité de financement internationale ( International financing facility - IFF) constitue un mécanisme innovant et pragmatique, inspiré des plus récents modes alternatifs de financement des entreprises et destiné à traduire les promesses politiques du sommet de Monterrey de mars 2002 en ressources financières immédiatement disponibles pour les pays en développement, par le recours au mécanisme de la titrisation sur les marchés financiers. L'IFF émet des emprunts obligataires dont le remboursement est garanti par ces engagements d'augmenter l'APD au-delà des niveaux actuels. Les ressources collectées sont versées aux pays en développement, les remboursements sont assurés par les pays riches.

Au sein de l'OCDE, seules la Grande-Bretagne et la France soutiennent l'IFF . Les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon jugent l'instrument disproportionné au regard de la capacité d'absorption des pays pauvres et évoquent des difficultés juridiques ou constitutionnelles leur interdisant d'y souscrire. Les pays nordiques et les Pays-Bas considèrent que l'IFF n'est qu'une solution de court terme. Seule une augmentation durable de l'aide publique au développement leur semble crédible. En revanche, certains pays en développement tels que le Nigeria, le Sénégal, le Congo Brazzaville, le Botswana, le Gabon, le Maroc, la Chine, le Brésil ou le Venezuela se sont déclarés intéressés.

Face à ces réticences, un projet pilote , destiné à prouver la faisabilité du mécanisme pour emporter la conviction d'autres donateurs, est en cours de conception. Elaboré par le Vaccine Fund , l'OMS et l'UNICEF, ce prototype doit être consacré à une campagne de vaccination contre les pays pauvres.

D. LES BIENS PUBLICS MONDIAUX

La France et la Suède ont pris conjointement l'initiative de créer un groupe de travail international sur les biens publics mondiaux (BPM), consacrée par la signature d'un Accord intergouvernemental signé le 9 avril 2003 et entré en vigueur depuis le 3 juillet 2003. Le groupe de travail, constitué de 17 personnalités indépendantes (et co-présidé par M. Ernesto Zedillo, ancien président du Mexique, et M. Tidjane Thiam, ancien ministre du plan de Côte d'Ivoire), a pour mission d'animer la réflexion sur les biens publics mondiaux et de faire des recommandations concrètes pour en améliorer la production, le financement et la gestion. Son mandat prendra fin le 31 décembre 2005, et le groupe devrait publier son rapport en juin 2005 .

La France considère que ce concept rencontre plusieurs de ses préoccupations fondamentales : la nécessité d'apporter des réponses globales à des questions globales, le besoin de mieux maîtriser et d'humaniser la mondialisation, donner une dynamique supplémentaire à l'aide publique au développement, ouvrir des pistes nouvelles en matière de gouvernance mondiale, et rechercher des voies nouvelles en matière de financement des biens publics internationaux.

La France contribue au financement du groupe de travail sous trois formes : une subvention de fonctionnement versée en 2003 a permis le démarrage des travaux du secrétariat ; deux économistes ayant statut d'assistants techniques ont été mis à disposition du secrétariat depuis juillet 2003, pour deux ans et demi ; un projet sur le Fonds de solidarité prioritaire (FSP) a été élaboré avec le secrétariat du groupe de travail international et permettra, en particulier, d'assurer la participation effective des pays du Sud, notamment ceux appartenant à la ZSP. La participation suédoise est d'un montant équivalent. D'autres parties tierces (Allemagne, Royaume-Uni, Autriche, Pays-Bas) réunies dans le « groupe des amis » contribuent également aux travaux du groupe de travail par le financement d'études et des contributions financières.

Les réunions du groupe des amis et du groupe de travail international ont permis de dégager trois principes de détermination des BPM essentiels : le principe de subsidiarité, l'incapacité des pays à traiter seuls ces questions, la nécessité d'une action collective et multilatérale, conduite ensemble par les pays développés et les pays en voie de développement. Six domaines prioritaires ont été retenus : paix et sécurité, commerce international, stabilité financière internationale, gestion durable des ressources naturelles, prévention et contrôle des maladies transmissibles, connaissance et recherche. Trois questions transversales font l'objet d'études : les succès et échecs dans l'offre de BPM, l'éventail des options de financement, le cadre institutionnel international pour la gestion des BPM.

* 24 Votre rapporteur spécial relève toutefois que la législation fiscale française, sur ce sujet, a fait preuve d'une faculté d'anticipation peu commune puisqu'elle a déjà prévu l'insertion d'un dispositif de taxation internationale des transactions en devises ! L'article 88 de la loi de finances pour 2002, codifié sous l'article 235 ter ZD du code général des impôts, a néanmoins prévu que ce dispositif n'entre en vigueur que lorsque l'ensemble des Etats membres de l'Union européenne aura adopté une taxe similaire. L'application d'un tel mécanisme de régulation sur le seul territoire national aboutirait en effet à pénaliser l'activité financière du pays et serait finalement dépourvue de tout effet véritable, compte tenu du caractère volatil des activités concernées.