M. Éric DOLIGÉ

II. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. UN DÉFICIT D'ÉVALUATION DES AIDES À L'INDUSTRIE

1. Les opportunités offertes par la LOLF

La mise en oeuvre de la LOLF peut contribuer de deux façons à une amélioration de l'évaluation de l'efficacité des aides publiques à l'industrie :

- par la réalisation d'enquêtes de la Cour des comptes sur ce sujet, à la demande des commissions des finances des deux assemblées (la communication de la Cour des comptes de mai 2003 11 ( * ) sur les actions de restructuration et de reconversion du secrétariat d'Etat à l'industrie a constitué, à cet égard, une première digne d'intérêt) ;

- par l'élaboration, à laquelle le Parlement est appelé à s'associer, d'objectifs et d'indicateurs de performances pertinents sur ce point.

A en juger par les réponses aux questions posées à ce sujet par votre rapporteur, ce travail n'est pas actuellement très avancé .

S'agissant, par exemple, des aides aux investissements des PMI, les futurs indicateurs devraient permettre de mesurer l'efficacité des différentes formes de soutien (subventions, avances remboursables, aides en fonds propres, allégements d'impôts et de charges sociales...) en terme de nombre et de coût des emplois créés ou maintenus, de durée de vie ou de développement des entreprises, d'effet de levier des dépenses publiques engagées, etc...

2. L'insuffisance des possibilités actuelles d'appréciation

La Cour des comptes, dans sa communication précitée de mai 2003, à votre commission des finances, a montré que la complexité des systèmes d'aide pouvait constituer un obstacle important à leur efficacité.

Son enquête portait sur les restructurations et les reconversions.

Les évaluations semblent déficientes à d'autres égards.

S'agissant, par exemple, de la procédure ATOUT de diffusion des nouvelles technologies, les études, dont les résultats sont mentionnés en réponse aux questions de votre rapporteur spécial sur les résultats des aides correspondantes, datent de 1995-1996 !

Il est reconnu, par ailleurs, que « le ministère ne dispose pas d'études récentes portant sur l'impact de ses procédures d'aide à l'innovation et à la recherche industrielle » ! (en dehors de celles effectuées par le secrétariat d'Eurêka).

Du point de vue de l'évolution des emplois dans l'industrie, il semble à la fois, par rapport à d'autres pays, que nous en ayons perdu davantage dans des secteurs traditionnels (textile, construction navale...) et créé moins dans des activités nouvelles (biotechnologies). Il serait intéressant de pouvoir approfondir l'étude de ce phénomène et l'étude de ses causes, pour ne pas renouveler - si possible - les mêmes erreurs.

3. Les réactions possibles

- Votre rapporteur spécial souhaite que votre commission puisse demander à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur d'autres types d'aides du ministère de l'industrie (par exemple sur celles de l'ANVAR), sur le fondement de l'article 58-2° précité de la LOLF.

- Ce thème des aides à l'industrie justifierait, par son intérêt, une étude transversale de la part de votre rapporteur spécial en liaison avec ceux de ses collègues concernés, (dans la mesure où d'autres budgets sont impliqués: les comptes spéciaux du Trésor, l'aménagement du territoire...).

Mais la complexité du sujet est redoutable du fait, notamment, de la multiplicité des intervenants (Europe, Etat, régions, organismes...) et de la bonne connaissance des règles communautaires que son traitement requiert.

B. L'ÉBAUCHE D'UNE NOUVELLE POLITIQUE INDUSTRIELLE

1. De vastes réformes amorcées

a) Une rationalisation des structures

De vastes réformes ont été achevées ou sont en cours, en ce qui concerne les services du ministère de l'industrie, ses partenaires, acteurs de la politique industrielle, ou la structure des dépenses avec principalement :

- la mise en place, en 2001, de la DSP (Délégation de service public), nouveau dispositif de conversion industrielle comprenant le recours à des prestataires extérieurs à l'administration et à des garanties d'emprunt exceptionnelles ;

- la création, en 2002, de la DGSNR (Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection) ;

- le regroupement, en 2003, sous la responsabilité de l'ANVAR, de l'ensemble des moyens consacrés au soutien à l'innovation (y compris ce qui concerne la procédure ATOUT et les recherches sur les technologies pétrolières et gazières ) ;

- le rapprochement, qui vient d'être décidé, de cette agence avec la banque de développement des PME, dont la mise en oeuvre devra être suivie avec attention ;

- la fusion prochaine de la DGTIP et de la DARPMI au sein d'une nouvelle Direction générale des entreprises ;

- les modifications des tâches des DRIRE (extension au contrôle de la radioprotection, externalisation du contrôle des véhicules...) ;

- l'annonce, par Mme Nicole Fontaine alors ministre déléguée à l'industrie - où en est-on ? - du transfert aux régions, en 2004, de l'attribution de l'ensemble des aides individuelles directes aux entreprises ;

- concernant Charbonnages de France, la fusion des trois EPIC du groupe en un seul, et la création d'une Association nationale de gestion des retraités 12 ( * ) à laquelle sera directement affectée la subvention figurant auparavant à l'article 10 du chapitre 45-10 ;

- enfin, tous les changements de nomenclature budgétaire et d'imputation de dépenses découlant de cet ensemble de mesures.

b) De nouveaux concepts

- Depuis longtemps, les aides aux entreprises industrielles ont été diversifiées. Aux subventions, attribuées selon une logique de projet et non plus de guichet, se sont ajoutées d'autres formes de soutien : aides au conseil, au recrutement, à l'investissement immatériel, à la recherche de partenaires, avances remboursables, prêts participatifs, garanties d'emprunt, aides en fonds propres, montages financiers, allègements d'impôts et de charges sociales, etc...

- Le dispositif d'encouragement à la création de JEI ( jeunes entreprises innovantes ), mis en place par la loi de finances pour 2004, semble avoir rencontré un franc succès. Les 25 millions d'euros prévus, pour l'allégement de leurs charges sociales, devraient être intégralement consommés et l'objectif des 500 entreprises bénéficiaires atteint, voire dépassé.

- Les soutiens apportés à l'innovation et à la recherche industrielle, en 2005, privilégieront les pôles de compétitivité , instrument essentiel d'une nouvelle politique industrielle faisant appel à une coopération étroite entre activités de production, de recherche et de formation dans un domaine et une zone géographique bien définis.

Ces pôles, dont Crolles dans l'agglomération grenobloise représente un modèle de réussite, seront labellisés dans le cadre d'un appel à projet national lancé avant la fin de 2004.

25 à 30 % des fonds d'intervention des ministères concernés devront être consacrés à leur émergence et à leur développement.

A l'aide de l'Etat se joindra celle des collectivités territoriales concernées.

- Enfin, une mission d'experts dirigée par le président de Saint-Gobain, M. Jean-Louis Beffa, a été chargée, par le Président de la République, d'étudier les conditions d'une relance de l'industrie à haut contenu technologique.

M. Jean-Louis Beffa milite pour un retour des grands programmes technologiques des années soixante qui ont connu d'éclatants succès, dans les domaines du nucléaire, de l'aéronautique et de l'espace, mais aussi des échecs retentissants (plan Calcul).

Il s'agit de politiques de l'offre ; la demande doit être au rendez-vous ; parfois c'est elle qui commande les évolutions de l'industrie, que l'on pense à l'électronique grand public ou à la micro-informatique.

Le volontarisme a ses limites.

2. La recherche de nouveaux débouchés

Il est indispensable de disposer d'une stratégie industrielle prospective permettant tout d'abord d'identifier les activités et les produits d'avenir.

- La recherche industrielle française (et souvent aussi européenne) accuse des retards préoccupants concernant des technologies génériques (bio et nanotechnologies, logiciels) ou des produits (véhicules hybrides) de première importance pour notre avenir industriel. Au moins, le mal est-il correctement diagnostiqué.

- Mais il semble que l'avenir de notre industrie, en tant qu' acteur d'un développement durable , n'ait pas été suffisamment pensé.

Les biocarburants par exemple, ou l'agrochimie, ne figurent pas parmi les technologies clés recensées pour 2005 par le MINEFI, alors qu'il s'agit de produits ou d'activités qui présentent un intérêt particulier :

• dans un contexte de pétrole cher,

• pour valoriser les atouts de notre agriculture et assurer son avenir par un partenariat avec l'industrie, créateur de valeur ajoutée et d'emplois, écologiquement vertueux et bénéfique pour notre commerce extérieur.

La liquéfaction du charbon, source fossile d'énergie dont les réserves, dans le monde, sont les plus importantes, mériterait aussi une attention soutenue.

Les contraintes environnementales doivent être vécues par notre industrie comme une opportunité de nouveaux débouchés et non comme une contrainte 13 ( * ) .

C. LA DETTE DE CHARBONNAGES DE FRANCE

1. Une question récurrente

En 2004, Charbonnages de France a reçu, au total, 1,862 milliard d'euros de subventions dont une dotation en capital de 1,408 milliard d'euros, versée à partir d'un compte d'affectation spéciale, pour assurer ses missions résiduelles et 453,7 millions d'euros de subventions du ministère de l'industrie, comprenant 32 millions d'euros destinés au paiement d'intérêts d'emprunts et des crédits consacrés au règlement des prestations (chauffage et logement) dues aux anciens mineurs.

Bien qu'en diminution, l'endettement de l'établissement demeure important.

Il atteint encore 3,657 milliards d'euros (sans compter les dettes financières de la SNET 14 ( * ) ).

2. Une dette désormais publique

Comme le craignait la Cour des comptes, dans un rapport public particulier de décembre 2000 sur la fin des activités minières, la dette des houillères a fini par être considérée comme une dette publique au sens strict.

En effet, la Cour des comptes vient d'indiquer à notre commission, dans une réponse à une question sur le règlement définitif du budget de 2003, que, lors de la notification à Bruxelles du déficit et de la dette des administrations publiques en 2002, qui a eu lieu en mars 2003, « l'INSEE a constaté que la société holding des Charbonnages de France et les Houillères de bassin ne pouvaient plus appartenir au secteur marchand et devaient être reclassées en ODAC 15 ( * ) de manière rétroactive à compter de 2001, car le produit des ventes du groupe représentait désormais moins de 50 % de ses coûts de production. La dette publique s'est trouvée ainsi accrue de 5,3 millions d'euros en 2001 et de 5 millions d'euros en 2002, et le déficit des administrations publiques a été aggravé de 700 millions d'euros en 2001 et de 300 millions d'euros en 2002. En 2003, les deux dotations en capital versées par l'Etat ont aggravé le déficit des administrations publiques de 1.408 millions d'euros, tandis que la dette de charbonnages de France était portée de 5 millions d'euros à 5,8 millions d'euros » .

C'est en prévision de cette évolution que la Cour des comptes s'interrogeait, dès l'an 2000, sur l'opportunité de laisser les Charbonnages de France gérer l'endettement des houillères.

Le transfert à l'Etat de cette dette aurait, en effet, permis, grâce à des conditions d'emprunt plus avantageuses, des économies de l'ordre de 105 millions de francs (13 millions d'euros) par an, mais il devait intervenir avant la cessation définitive de l'extraction charbonnière en France. Or, cette dernière, initialement prévue pour 2005, a eu lieu par anticipation le 23 avril 2004.

Notre président, Jean Arthuis, avait interrogé en 2002 à ce sujet, en séance publique, Mme Nicole Fontaine, alors ministre déléguée à l'industrie, lors de l'examen de son budget par le Sénat .

Des mesures ont-elles été prises ?

La question pourrait être posée à nouveau au gouvernement, à l'occasion de la discussion, soit du budget de l'industrie, soit de celui des comptes spéciaux du Trésor, les dotations en capital de charbonnages de France figurant dans le compte d'affectation spéciale 902-24, dont l'évolution est surveillée de très près par la Commission européenne.

* 11 Cette communication a donné lieu à la publication d'un rapport d'information n° 322 (2002-2003) de la commission des finances.

* 12 EPA (établissement public administratif) créé par la loi n° 2004-105 du 3 février 2004.

* 13 Ce qui n'a pas été le cas dans le passé lorsque nos constructeurs automobiles, par exemple, ont mené des combats d'arrière garde contre le pot catalytique.

* 14 Société nationale d'électricité et de thermique, filiale du groupe qui vient d'être vendu à l'énergéticien espagnol ENDESA.

* 15 ODAC : organisme divers d'administration centrale.