QUATRIEME PARTIE :

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

I. UNE REPRISE QUI SE FAIT ATTENDRE

A. LES PREMIERS RÉSULTATS POUR 2004 TÉMOIGNENT D'UNE REPRISE FRAGILE DU TRANSPORT AÉRIEN

L'année 2002 avait marqué une reprise sensible de la croissance du trafic mondial, qui était cependant fragile, et ne permettait pas au trafic mondial de retrouver son niveau d'antan.

L'année 2003 constitue ainsi une année de consolidation, sans que l'on puisse réellement parler de reprise . En effet, des évènements comme la guerre en Irak ou la survenue du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) sont venus perturber l'activité aérienne.

Mesurer la productivité des compagnies aériennes.

Il est difficile d'évaluer avec précision des données comme le nombre de voyageur et le poids du fret en raison de problèmes méthodologiques et du manque d'harmonisation entre les différentes zones. L'indicateur le plus souvent retenu est le TKT , ou « Tonne par kilomètre transporté », et le PKT , ou « Passager par kilomètre transporté ». Ces indices permettent de concilier le nombre de voyageurs avec les distances parcourus en moyenne.

Au sein du TKT , on compte à la fois le fret et les passagers, ces derniers étant estimés en prenant comme base « moyenne » 0,09 tonne, ce qui permet d'homogénéiser les calculs. L'indice est obtenu en multipliant le total de tonnes transportées par le nombre de kilomètres parcourus.

Ainsi, l'Organisation de l'Aviation Civile Internationale (OACI) chiffre le nombre de passages en 2003 à 1,6 milliard, et 34 millions de tonnes de fret transportés, ce qui représente une hausse de 2 % du trafic régulier par rapport à 2002 exprimé en tonnes kilomètres transportés totales (TKT, voir lexique en supra ).

Le trafic total de passagers et de fret, exprimé en PKT (passager par kilomètre transporté, voir lexique en infra ) et TKT, a enregistré respectivement une hausse de 1 % et de 5 %. On doit cependant relever que l'activité internationale est moins favorable, le trafic international étant resté stationnaire. Le trafic passager reste inférieur de 1,5 % au niveau atteint en 2000.

Votre rapporteur spécial notait, en 2002, dans son rapport spécial consacré aux crédits de l'aviation civile, que « les attentats du 11 septembre 2001 ont fortement accentué la diminution du trafic aérien enregistrée au cours du premier semestre de l'année, compte tenu de la dégradation de la situation économique. Cette diminution du trafic a fortement pesé sur les recettes des compagnies aériennes, qui se sont vues par ailleurs confrontées à une croissance de la fiscalité destinée à financer les mesures de sûreté, ainsi qu'à une hausse des tarifs des redevances, directement liée à la diminution du trafic. Les compagnies les plus fragiles financièrement n'ont pas résisté à cette situation ».

Ces remarques ont conservé toute leur actualité.

Les premiers chiffres connus pour 2004 témoignent cependant d'une reprise, qui reste fragile, de l'activité aérienne, plus particulièrement vers les destinations les plus touchées par les événements récents, à savoir l'Asie et le Moyen Orient. On relève sur ces aires géographiques une hausse de 20,4 % du trafic passager au premier semestre. Il est toutefois difficile d'ignorer que le premier semestre 2003 avait été particulièrement sombre pour ces deux destinations, et il est délicat d'en tirer d'autres conclusions qu'une relative normalisation.

Au premier semestre, les compagnies membres de l'AEA (Association des transporteurs européens) enregistrent ainsi, pour l'ensemble de leurs vols réguliers, une hausse de 11,7 % du trafic des passagers exprimé en PKT 4 ( * ) au premier semestre 2004, et une hausse de 10,2 % pour le trafic du fret exprimé en TKT 5 ( * ) . Le coefficient de remplissage s'établit à 73,4 %, en hausse de 2,5 points par rapport à la même période de l'année précédente.

Les compagnies américaines membres de l'ATA (Air Transport Association) enregistrent pour leur part sur les six premiers mois de l'année  2004 une hausse du trafic des passagers de l'ordre de 11,7 %, avec un coefficient de remplissage en hausse de 2,8 points, atteignant 75,4 %.

Il convient donc, pour le transport aérien, de distinguer des perspectives de court terme relativement défavorables, avec selon l'OACI une croissance nulle en 2003 pour les passagers, et des perspectives de moyen et long terme favorables . En effet, les fondamentaux du secteur, à savoir la croissance économique, le développement des échanges, les besoins de déplacement, ne sont nullement remis en cause par la situation actuelle.

En moyenne, sur la période 2000-2020, l'OACI retient une prévision de croissance du PKT de 4,3 % par an, dont 4,9 % pour l'international, et 3,5 % pour le trafic intérieur, ce qui conduirait le trafic mondial des passagers à plus que doubler, passant de 4,8 milliards de passagers en 2000 à 11,6 milliards de passagers en 2020.

B. LE REDRESSEMENT EN 2004 DES RÉSULTATS DES PRINCIPALES COMPAGNIES AÉRIENNES MONDIALES.

Parmi les vingt premières compagnies aériennes mondiales en 2004 figurent 7 compagnies nord-américaines, cinq européennes et sept de la région Asie Pacifique. On remarquera que 8 des résultats d'exploitation sont négatifs, dont six des huit compagnies nord-américaines, à l'exception de la compagnie low-cost Southwest ou de Continental Airlines, qui renoue cette année avec les bénéfices. De plus, quatre des compagnies majeures américaines (American Airlines, United Airlines, Delta Airlines et US Airways) ont enregistré pour 2003 les déficits d'exploitation les plus importants, entre  - 1,5 et  0,4 milliard de dollars. Ces résultats sont cependant moins mauvais qu'en 2002.

A l'inverse, neuf des vingt premières compagnies aériennes mondiales, et notamment le groupe Air France, enregistrent des résultats d'exploitation positifs, entre 216 et 484 millions de dollars.

En ce qui concerne les comparaisons de productivité, les services de la direction générale de l'aviation civile interrogés par votre rapporteur spécial ont indiqué que « Pour ce qui concerne la productivité des entreprises de transport aérien, les comparaisons restent difficiles à établir sachant que l'indice retenu, la quantité de TKT (passagers et fret) évaluée par employé 6 ( * ) , peut recouvrir des modes de production différents. Ainsi, certaines compagnies ont plus ou moins recours à l'externalisation de leurs activités au sol (les transporteurs y ayant le plus recours se trouvent en mesure d'afficher une meilleure productivité pour une quantité donnée de TKT). De la même manière, la structure du réseau n'est pas sans influence sur cet indice de productivité ; pour une quantité donnée de TKT, le transporteur disposant d'un réseau, dans lequel les liaisons long-courrier dominent, peut dégager une meilleure productivité que celle d'un concurrent disposant d'un réseau majoritairement moyen-courrier » .

Résultats des principales compagnies mondiales en 2002

C. LES ÉVOLUTIONS DE TRAFICS EN FRANCE

En France, le nombre de passagers transportés, hors outre-mer, a atteint 95,6 millions de passagers en 2003 dont 8,3 % assurés par les compagnies « low cost ». Les prévisions établies par la DGAC donnent les indicateurs suivants :

Prévisions de trafics

(en millions de passagers)

Flux

Trafic 2003

Part des compagnies à bas coûts en 2003

Trafic 2008

Part des compagnies à bas coûts en 2008

(estimation)

Trafic intérieur

23

5 %

24,2

5,9 %

Trafic intra-communautaire hors France

41,5

16 %

49,3

27 %

Trafic européen hors Union européenne à 15

2,6

0 %

3

0 %

Trafic international et outre-mer hors Europe

28,5

0%

35,5

0 %

Total

95,6

8,3 %

112

13,0 %

Source : DGAC

D. LA SÉCURITÉ DANS LE TRANSPORT AÉRIEN

Votre rapporteur spécial estime que la sûreté du transport aérien doit être assurée, et ce, en dépit de son coût et des doutes légitime portant sur son efficacité. Cependant, votre rapporteur spécial considère qu'il est indispensable d'examiner avec attention l'organisation de ces mesures de sûreté. Au cours d'une visite sur l'aéroport de Roissy en 2002, il a pu constater les conditions dans lesquelles était effectué le contrôle des bagages de soute. Il s'inquiète du statut et de la qualité des contrôles effectués sur les personnels employés par des entreprises de sous-traitance 7 ( * ) , et rappelle que les Etats-Unis ont privilégié le recours à des agents fédéraux pour assurer la sûreté dans leurs aéroports. Au contraire, en France, la loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, en modifiant l'article L. 282-8 du code de l'aviation civile, a donné aux agents de sûreté, dans des conditions d'encadrement très strictes, la possibilité de procéder à des palpations de sécurité sur les personnes et à des fouilles manuelles de bagages à main, alors que cette compétence relevait jusqu'alors de la seule compétence des agents publics.

Les conséquences des dépenses supplémentaires en matière de sûreté aéroportuaire sur la situation financière des compagnies aériennes et les gestionnaires d'aérodromes doivent être particulièrement surveillées. Il n'apparaît pas à ce jour que la situation de la France soit atypique par rapport aux autres pays de Union européenne en matière de coût. Par ailleurs, la qualité du service et des infrastructures joue un rôle particulièrement déterminant. Ce point devra cependant faire l'objet d'une surveillance attentive dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux aéroports, et notamment à Aéroport de Paris.

E. LA CONSTITUTION DU GROUPE AIR FRANCE-KLM : LA NAISSANCE D'UN LEADER AU NIVEAU MONDIAL

1. La recherche d'un partenariat industriel

La loi n° 2004-734 du 26 juillet 2004 a permis de donner naissance à un nouveau groupe, en préparant la fusion entre Air Franc et le groupe néerlandais KLM. Votre rapporteur spécial, rapporteur pour avis au nom de la commission des finances 8 ( * ) pour ce projet de loi, estime utile d'en rappeler ici les principaux éléments.

La loi n° 2003-322 du 9 avril 2003 met en place un mécanisme permettant à une société cotée de transport aérien de préserver sa nationalité. Il devenait en effet impératif d'envisager à plus ou moins long terme un désengagement au moins partiel de l'Etat, afin de permettre à la compagnie de nouer des alliances capitalistiques et de bénéficier ainsi de la consolidation annoncée du secteur aérien.

Air France était depuis plusieurs années à la recherche d'un partenaire européen majeur. Un accord était difficile tant que la société demeurait propriété de l'Etat. La loi du 9 avril 2003 précitée a permis à la compagnie de lancer des négociations.

De son côté, KLM, quatrième compagnie européenne, ne dispose pas de marché intérieur propre, ce qui l'a conduit à développer un important réseau international, notamment en direction des anciennes possessions hollandaises. KLM bénéficie des avantages de l'aéroport de Amsterdam-Schiphol, quatrième plateforme européenne, avec des possibilités de développement importantes. La compagnie néerlandaise avait noué des accords avec Alitalia, mais le rapprochement avait été rompu en 2000.

Le 30 septembre 2003, la lettre d'intention entre le président d'Air France et celui de KLM était signée. Elle ouvre la voie à la naissance du premier transporteur aérien mondial en termes de chiffre d'affaires (19,2 milliards d'euros), et le quatrième en nombre de passagers transportés.

2. Une véritable logique industrielle

Les synergies entre les deux groupes montrent clairement la logique industrielle qui a présidé à l'adoption par le Parlement de la loi du 26 juillet 2004 : elles sont évaluées par la direction d'Air France selon les données suivantes : 60 % proviendraient d'économies, et 40 % de revenus supplémentaires.

Résultats envisagés des synergies

(en millions d'euros)

Exercice

Gains à attendre (fourchettes)

2004-2005

65-75

2005-2006

110-135

2006-2007

220-260

2007-2008

295-370

2008-2009

385-495

Long terme

> 600

Source : Air France

Deux points doivent être évoqués :

- la complémentarité du réseau, en Europe et dans le monde, qui devrait permettre au nouveau groupe de desservir un plus grand nombre de lignes ;

- la complémentarité des « hubs » de Air France (Roissy Charles-de-Gaulle) et de KLM (Amsterdam-Schiphol). La combinaison de ces deux plateformes aéroportuaires devrait donner la possibilité au nouveau groupe, et, plus largement, à l'alliance Skyteam, de multiplier les correspondances et d'offrir des possibilités importantes pour les passagers.

3. Les modalités du rapprochement

Signé le 16 octobre 2003, l'accord entre Air France et KLM a reçu, le 11 février 2004, l'accord des autorités de la concurrence américaine (department of justice) et européenne (Commission).

La commission des participations et des transferts a rendu, le 2 mars 2004, un avis favorable sur ce projet qui impliquait la privatisation de la compagnie aérienne.

Le décret du 3 octobre 2003 a autorisé le transfert au secteur privé de la participation majoritaire détenue par l'Etat dans Air France, en application de la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation. Enfin, l'arrêté du 19 mars 2004, fixant les modalités du transfert du secteur public au secteur privé de la majorité du capital de la société Air France, a achevé d'établir les bases juridiques de l'opération de rapprochement entre Air France et KLM.

En conséquence, Air France a ouvert, le 5 avril 2004, une offre publique d'échange selon les modalités suivantes : 11 actions Air France et 10 bons d'acquisition et/ou de souscription d'actions (BASA) contre 10 actions ordinaires KLM, soit une prime d'environ 40 % par rapport à la valeur du titre KLM à la veille de l'annonce de l'opération. Au terme de la première période de l'offre (le 3 mai 2004), Air France détenait 89,22 % des actions de KLM, ce qui correspondait à un succès puisque l'objectif était fixé à 70 %. La part de l'Etat était réduite, par un effet de dilution automatique, de 54 % à 44,7 %. La part des salariés représentait 10,5 % du capital et le flottant 44,8 % des titres, dont 17,3 % pour les anciens actionnaires de KLM.

La compagnie aérienne a ouvert une période complémentaire à son offre, close le 21 mai 2004. A l'issue de cette période complémentaire, Air France détenait 96,33 % du capital de KLM. La part de l'Etat était ramenée à 44,07 %, celle des salariés à 10,42 % et le flottant à 45,51 % dont 18,4 % pour les anciens actionnaires de KLM.

4. La nouvelle structure de la société

S'inspirant d'un schéma qui a fait la réussite du rapprochement Renault-Nissan, le nouveau groupe Air France devrait, à terme (dans un délai estimé à trois ans), adopter la structure suivante, qui correspond à la volonté de conserver l'identité des deux marques.

Structure de la future société Air France-KLM

Source : Air France

En attendant cette échéance, une structure transitoire a été créée à compter de septembre 2004.

* 4 PKT : Passager par kilomètre transporté.

* 5 TKT : Tonne par kilomètre transporté.

* 6 A noter que la productivité peut également s'évaluer en considérant les sièges kilomètres ou tonnes kilomètres « offerts » (SKO et TKO) au lieu de « transportés» (PKT et TKT).

* 7 Il convient cependant de noter, sur ce point, que sur tous les aéroports, le contrôle des accès s'accompagne désormais d'un système de badges, qui sont délivrés après une enquête réalisée par la police nationale ou la gendarmerie et sont gérés par une base de données centrale et des serveurs locaux. Un renforcement de la réglementation relative à la délivrance des badges est intervenu avec le décret n° 2002-24 du 3 janvier 2002, qui prévoit une habilitation de police préalable pour être autorisé à pénétrer en zone réservée d'un aérodrome. Cette habilitation est délivrée par le préfet après une enquête. En outre, le gouvernement a lancé une opération de revalidation des quelques 100.000 badges qui avaient été distribués sur les aéroports de Roissy et d'Orly.

* 8 Rapport pour avis n° 408 (2003-2004).