M. Henri TORRE

TROISIÈME PARTIE :

LES DOSSIERS À SUIVRE EN 2005

Les deux dernières années ont été marquées par des évolutions sensibles du cadre législatif relatif à l'outre-mer. Ces évolutions ont concerné aussi bien le domaine économique , avec la loi de programme pour l'outre-mer du 21 juillet 2003 3 ( * ) , que les compétences et les ressources des collectivités locales , avec la loi sur l'octroi de mer du 2 juillet 2004 4 ( * ) , ou bien l'architecture institutionnelle , avec la loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française du 27 février 2004 5 ( * ) .

Votre rapporteur spécial est particulièrement sensible à la qualité des textes proposés, et à l'intérêt qu'ils montrent pour les collectivités d'outre-mer. Il est cependant nécessaire, au moment du vote de la loi de finances, d'évoquer les grands dossiers de l'outre-mer, et de s'interroger sur l'adéquation du cadre proposé avec les besoins de l'outre-mer .

I. LA CONTINUITÉ TERRITORIALE

L'arrêt des vols d'Aérolyon, puis ceux d'Air Lib en février 2003, ont entraîné une diminution du nombre de transporteurs exploitant les liaisons entre la métropole et les collectivités d'outre-mer, en particulier les Antilles et la Réunion. Par ailleurs, la compagnie Air France assure la desserte la liaison Paris - Cayenne sans concurrence depuis le retrait de la compagnie AOM en septembre 2001.

Estimant que la situation des liaisons entre les collectivités d'outre-mer et la métropole n'était pas satisfaisante, en particulier pour les résidents de ces collectivités, le gouvernement a pris des dispositions permettant de mieux garantir cette desserte dans la durée et de façon stable.

A. LES MESURES EN FAVEUR DES TRANSPORTEURS AÉRIENS

1. Les aides fiscales

Le régime d'aides fiscales en faveur des investissements productifs réalisés outre-mer, issu de la loi de finances rectificatives du 11 juillet 1986, dite « loi Pons », prévoit un dispositif de réductions d'impôt, dont bénéficie le transport aérien.

Dans ce cadre, le code général des impôts prévoit, au bénéfice des particuliers, une réduction d'impôt égale à la moitié du montant de leurs investissements productifs . Cette réduction s'applique aussi aux souscriptions de capital de sociétés, notamment les compagnies aériennes . Les entreprises, soumises à l'impôt sur les sociétés, peuvent déduire de leurs résultats imposables une partie du montant de leurs investissements productifs, selon le type d'investissements, réalisés dans les DOM.

Trois dossiers de demande de défiscalisation ont été déposés par les compagnies aériennes basées outre-mer en 2003 et neuf pendant les huit premiers mois de 2004 . L'ensemble des agréments fiscaux demandés en 2003 ont été accordés. Une demande déposée en 2004 a également fait l'objet d'un accord et les huit autres sont en cours d'instruction par les services fiscaux.

2. Les mesures de la loi de programme pour l'outre-mer

L'Etat encourage l'installation et le développement de nouvelles compagnies. La loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer (LOPOM), dont l'amélioration de la desserte de l'outre-mer est une des composantes principales, prévoit des exonérations de charges patronales de sécurité sociale pour les salariés des entreprises de transport aérien concourant à la desserte de l'outre-mer.

De nouveaux services ont été ouverts par Air Austral et Air Bourbon en juin 2003 entre la Réunion et la métropole ; de même, Air Caraïbes a débuté en décembre 2003 l'exploitation de liaisons entre les Antilles et Paris. Ces nouveaux opérateurs ont permis de rétablir à un niveau satisfaisant le volume de l'offre qui avait fortement diminué avec la cessation d'activité d'Air Lib au premier trimestre 2003 .

B. LES MESURES EN FAVEUR DES PASSAGERS

1. Le passeport mobilité

Une première mesure, le passeport mobilité, a été mise en oeuvre le premier septembre 2002. Elle concerne la prise en charge des frais induits par les déplacements entre les collectivités d'outre-mer et la métropole pour les étudiants, ainsi que les jeunes en mobilité professionnelle ou à la recherche d'un premier emploi.

2. La révision des obligations de service public

Depuis 1997, des obligations de service public sont imposées sur les liaisons entre la métropole d'une part, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion d'autre part . Les principales exigences concernent l'exploitation des services tout au long de l'année, avec au moins une fréquence hebdomadaire, l'existence d'un tarif enfant réduit de 33 %, l'acceptation des évacuations sanitaires sur le premier vol en partance, un nombre d'annulations de vol ne dépassant pas 10 % du programme déposé et le respect d'un préavis de six mois avant l'interruption des services. Ces obligations ont été révisées en mars 2003, et fixent, en sus des conditions décrites ci-dessus, le nombre de sièges minimum devant être offerts sur chaque liaison annuellement.

En outre, dans le but d'assurer la pérennité des liaisons aériennes avec les DOM, il a été procédé à la réservation de créneaux horaires sur l'aéroport de Paris (Orly) pour la desserte de ces départements.

Une révision des obligations de service public imposées sur les liaisons entre la métropole et les DOM est en cours. Toutefois, le maintien du cadre concurrentiel entre plusieurs transporteurs conditionne la qualité de la desserte des DOM. Ces obligations de service public ne devront pas devenir trop contraignantes, de sorte à ne pas décourager les exploitations spontanées possibles. Les conseils régionaux concernés seront consultés avant la finalisation du projet de révision des obligations de service public.

Il est prévu d'imposer sur les liaisons avec les DOM une réduction tarifaire supplémentaire pour les jeunes de douze à dix-huit ans, en complément de celles existant déjà pour les jeunes de moins de douze ans.

3. L'information des passagers

Un observatoire de la desserte des DOM sera prochainement mis en place, afin de suivre l'évolution en termes de trafic et de tarifs et d'apporter aux passagers davantage d'informations sur la réalité de ces liaisons.

4. Le principe de la continuité territoriale

La loi de programme pour l'outre-mer prévoit la participation de l'Etat au financement d'un dispositif destiné à faciliter la mobilité des résidents des collectivités d'outre-mer, qui leur permettra de bénéficier d'une réduction du prix du billet pour leurs déplacements entre leur collectivité et la métropole. Le décret du 30 janvier 2004 a fixé les modalités de la répartition de la dotation de continuité territoriale, d'un montant de 30 millions d'euros pour 2004 , entre les collectivités concernées, dont la plupart ont à ce jour défini les modalités d'attribution de ces aides.

La dotation de continuité territoriale est répartie entre les collectivités concernées ainsi qu'il suit pour l'année 2004.

Répartition entre collectivités de la dotation de continuité territoriale

(en euros)

Collectivité

dotation en 2004

Guadeloupe *

6.105.810

Martinique

4.913.035

Guyane

1.915.812

La Réunion

8.111.021

Mayotte

1.535.084

Saint-Pierre-et-Miquelon

111.397

Nouvelle-Calédonie

3.066.629

Polynésie française

3.967.864

Wallis-et-Futuna

273.348

Total

30.000.000

* Le conseil régional de la Guadeloupe a décidé d'abonder sa dotation de 150 000 euros supplémentaires sur son propre budget

Source : direction générale de l'aviation civile

Compte tenu des délibérations tardives et parfois incomplètes des exécutifs régionaux et des délais requis par la Commission européenne, dont l'approbation est nécessaire avant l'entrée en vigueur des régimes d'aides des départements d'outre-mer, il est probable que peu de ces dispositifs seront mis en oeuvre avant la fin de l'année 2004. Le conseil régional de la Guyane n'a pas souhaité définir son dispositif d'aides sociales, considérant insuffisant le montant de sa dotation de continuité territoriale. Le conseil général de Saint-Pierre-et-Miquelon n'a pas encore élaboré de projet de régime d'aides.

Votre rapporteur spécial note que, dans le cadre de la mise en oeuvre de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances, les crédits de la continuité territoriale, les crédits de la dotation de continuité territoriale ont été transférés au budget du ministère de l'outre-mer. Il faut en effet rappeler que cette dotation avait été à l'origine financée par le compte d'affectation spéciale « FIATA », par l'intermédiaire d'une hausse de la taxe d'aviation civile, et d'une hausse des redevances pour service rendus en outre-mer 6 ( * ) . Il en résultait que l'outre-mer finançait une fraction de sa dotation de continuité territoriale, ce qui avait été vivement critiqué par notre collègue Yvon Collin, rapporteur spécial des crédits de l'aviation civile, aussi bien que par notre collègue Roland du Luart, rapporteur spécial des crédits de l'outre-mer en 2004, critiques relayées en séance publique par M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances.

Le financement de la continuité territoriale en débat

M. Alain Lambert, ministre délégué. « Je prie la Haute Assemblée d'être bienveillante : il m'est impossible d'être bref. La matière n'est pas complexe, mais je dois présenter un argumentaire complet.

« L'amendement que vous présente le Gouvernement tend à apporter une légère rectification à l'article 27 du projet de loi de finances, qui a pour objet d'augmenter les tarifs de la taxe d'aviation civile afin de financer des mesures nouvelles prioritaires.

« Il s'agit d'abord du versement par l'Etat aux collectivités locales d'outre-mer d'une dotation de continuité territoriale destinée à faciliter la mobilité des résidents de ces collectivités vers la métropole et dont le montant est fixé à 30 millions d'euros en 2004.

« Il s'agit ensuite de financer les subventions attribuées aux entreprises de transport aérien en vue d'assurer l'équilibre des dessertes réalisées dans l'intérêt de l'aménagement du territoire, qui bénéficient d'une mesure nouvelle de 12 millions d'euros.

« Il s'agit enfin de financer des dépenses de sûreté, de sécurité sur les aérodromes : un relèvement de 5 millions d'euros des crédits de sûreté est nécessaire, sauf à accroître d'autant la dette des aéroports de province.

« Les mesures nouvelles indispensables s'élèvent donc à plus de 48 millions d'euros là où le relèvement de la taxe d'aviation civile n'est que de 33 millions d'euros. L'écart provient du fait que le relèvement de la taxe d'aviation civile ne finance que pour moitié, c'est-à-dire pour 15 millions d'euros, la subvention de continuité territoriale. En effet, le Gouvernement a également prévu de majorer de 15 millions d'euros la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne outre-mer.

« Il apparaît que ces deux curseurs - 33 millions d'euros de taxe d'aviation civile et 15 millions d'euros de redevance pour les vols à destination de l'outre-mer - pourraient être légèrement modifiés. C'est l'objet de cet amendement, qui se traduit par une augmentation de 36 millions d'euros de la taxe d'aviation civile, permettant de limiter à 12 millions d'euros la contribution de la redevance.

« Nous avons pensé que la solidarité nationale pouvait s'exercer à concurrence de 60 % du coût de la dotation de continuité territoriale, les vols outre-mer en supportant 40 %.

« Il convient d'avoir à l'esprit que, dans le domaine de la sécurité et de la sûreté du transport aérien, c'est la fonction de contrôle de la circulation aérienne en route qui représente l'essentiel des charges pesant sur le prix des billets, les redevances représentant plus de 900 millions en 2003, contre moins de 300 millions pour la taxe d'aviation civile.

« Or, en ce domaine, les prix français sont nettement inférieurs à ceux de nos principaux concurrents européens. Ils sont inférieurs de 33 % par rapport à l'Allemagne et de 26 % par rapport au Royaume-Uni. Il s'agit des chiffres de 2003.

« Le Gouvernement pense donc que, pour 2004, l'ensemble du dispositif de financement du budget annexe de l'aviation civile et du FIATA, le fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, tel qu'il résulte de cet amendement, est équilibré et économiquement adapté à la reprise de l'activité prévue pour le secteur du transport aérien » .

M. le président. « Quel est avis de la commission ?

M. Philippe Marini, rapporteur général. « Ce sujet quelque peu technique a fait l'objet de commentaires dans le rapport écrit de la commission des finances.

« Je m'étais en particulier interrogé sur la question de la continuité territoriale avec l'outre-mer. J'avais remarqué que, si une enveloppe de 30 millions d'euros avait bien été allouée à ce titre, le doublement de la redevance pour services terminaux en outre-mer transférait 15 millions d'euros de charges sur les compagnies aériennes desservant ces collectivités. Cela ne m'empêchait pas de préconiser l'adoption de l'article, monsieur le ministre, mais j'avais cru bon de faire cette remarque.

« L'amendement qui nous est présenté tient compte de la remarque que je viens de formuler et il en atténue beaucoup la portée. Je voulais le dire en commençant ce commentaire.

« Nos collègues, les rapporteurs spéciaux compétents, MM. Yvon Collin et Roland du Luart, avaient formulé les mêmes observations.

« Mes chers collègues, nous avons donc plutôt des raisons de nous réjouir de l'amendement par lequel le Gouvernement modifie son propre dispositif, même s'il est vrai que c'est au prix d'une hausse de tarif, d'une taxe, qui est certainement un pis-aller.

« Monsieur le ministre, nous connaissons tous les contraintes qui existent dans le secteur de la navigation aérienne, en particulier sur les petites et moyennes compagnies, je parle de celles qui existent encore et dont le sort est souvent problématique voire tragique. Il serait souhaitable que vous puissiez, si c'est possible, nous indiquer quelles sont les perspectives.

« Nous avons vu, dans le projet de loi de finances rectificative de 2003, qu'il était question de créer une nouvelle taxe sur les nuisances aéroportuaires. Les contributeurs vont être les mêmes. Nous vous demandons donc de nous apporter quelques éclaircissements.

« Cela dit, la commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur l'amendement n° I-275 » .

En 2005, et avec le clôture du compte d'affectation spéciale par les articles 38 et 39 du projet de loi de finances pour 2005, un nouveau chapitre est ajouté au titre IV du budget du ministère de l'outre-mer, pour un montant de 30,98 millions d'euros, et qui reprend les attributions du FIATA.

Cependant, la construction budgétaire reste complexe. Ainsi, on observe aucune baisse de la taxe d'aviation civile, désormais en partie affectée au budget général, ce qui laisse supposer que, malgré le principe d'unité budgétaire, elle continue à financer en partie la continuité territoriale. De même, la hausse des redevances pour services terminaux outre-mer ne progresse « que » de 25 % en 2004 et en 2005, au lieu de 75 % prévu en 2004 : il y a un « étalement » de la prise en charge de la continuité territoriale par l'outre-mer, mais le principe lui-même n'est pas remis en cause.

A ce propos, le rapporteur spécial des crédits de l'aviation civile note dans son rapport spécial les éléments suivants :

« [...] on observe une forte baisse de la redevance en outre-mer, de - 11,4 %. On rappelle que, dans le cadre de la préparation du budget pour 2004, une hausse de 75 % de cette redevance avait été décidée. Les raisons de cette hausse avaient été explicitées par votre rapporteur spécial en 2004, et sont liées au financement de la politique de continuité territoriale en outre-mer.

« [...] Ainsi, on voit que la construction retenue [par le projet de budget pour 2004] revenait à faire financer en partie par l'outre-mer une dotation au bénéfice de l'outre-mer, ce qui était contestable, et ce même si, contrairement à ce qu'implique sa nature juridique, la redevance pour service terminaux outre-mer ne couvre en fait qu'une faible fraction des coûts réellement supportés (il y a donc déjà une subvention « implicite » au transport aérien).

« Le gouvernement a donc choisi, en cours d'année 2004, d'étaler la hausse de cette redevance sur 3 ans, de 25 % chaque année.

« Ainsi, la baisse de 11,2 % s'explique par une « illusion d'optique » : la recette attendue en 2004, et qui sert de base de comparaison, était réalisée en prenant une hypothèse de 75 % de hausse. En réalité, cette hausse n'a été « que » de 25 % en 2004, et elle sera de 25 % en 2005 ».

Votre rapporteur spécial approuve tout à fait ces remarques. Il ne peut que constater que si l'affectation au profit du budget du ministère de l'outre-mer de la dotation de continuité territoriale est incontestablement une avancée positive, de nombreuses interrogations subsistent quant à son financement. Dans son commentaire de l'article 38 du présent projet de loi de finances, Philippe Marini, rapporteur général, relève que :

« La règle de non affectation interdit d'établir, au sein du budget général, un lien entre les recettes et les dépenses. En conséquence, on ne peut pas dire que les missions assurées par le FIATA resteront financées par la taxe de l'aviation civile. Ainsi, l'article 39 du présent projet de loi de finances prévoit que la taxe d'aviation civile est désormais répartie entre le budget annexe de l'aviation civile et le budget général, et l'article 40 établit de nouvelles quotités.

« Or une comparaison des montants permet d'affiner l'analyse :

« - avec une quotité de répartition pour le budget général égale à 34,42 %, le budget général devrait recevoir un surcroît de recettes de 113,79 millions d'euros ;

« - ce montant correspond exactement aux missions du chapitre 59-04 (83,78 millions d'euros), si on y ajoute les 30 millions d'euros de la continuité territoriale outre-mer , soit 113,78 millions d'euros en crédits de paiement.

« Ainsi, on peut penser que, pour 2005 en tout cas, la taxe d'aviation civile continue de financer, via le budget général, les actions actuellement effectuées par le FIATA ».

* 3 Loi n° 2003-660.

* 4 Loi n° 2004-639.

* 5 Loi n° 2004-193.

* 6 Ces redevances sont acquittées par les aéronefs qui atterrissent en outre-mer.