M. Bertrand AUBAN

PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Sa combativité permet à la direction des Monnaies et médailles de n'être subventionnée qu'à la marge en 2005

En 2003, alors que son activité régalienne atteignait un niveau plancher, la direction des Monnaies et médailles s'est efforcée de rationaliser son organisation, tout en menant une politique commerciale dynamique et efficace, surtout dans le secteur des monnaies de collection. Ce double effort lui a permis de diminuer ses dépenses et d'augmenter ses recettes, et de ne recourir que partiellement à la subvention accordée : 18 millions d'euros au lieu de 26,5 millions d'euros prévus.

Pour 2004, le budget annexe a été présenté en équilibre sans subvention du budget général. Mais les recettes commerciales ne sont pas au rendez-vous, en raison de l'éclatement de la « bulle » spéculative sur les monnaies de collection. C'est donc au prix d'une vigilance redoublée sur les dépenses et d'un prélèvement sur son fonds de roulement, pour financer un probable déficit d'exploitation, que la direction des Monnaies et médailles devrait parvenir à se passer, comme prévu, de toute aide de l'Etat.

Enfin pour 2005, le budget annexe est subventionné, certes, mais à hauteur de 2,7 millions d'euros seulement. Cette bonne tenue résulte d'une forte augmentation des recettes de monnaies courantes, françaises et étrangères et de la poursuite d'un effort de polyvalence - que votre rapporteur spécial tient à saluer - qui permet de contenir efficacement les dépenses.

2. L'activité régalienne de frappe de monnaie courante est désormais appréhendée au « juste prix »

Après avoir facturé au Trésor sa cession de pièces de monnaie française à des prix sous-évalués, la direction des Monnaies et médailles avait déjà, l'an dernier, corrigé ses prix à la hausse, son outil de comptabilité analytique lui permettant d'avoir une meilleure connaissance de ses coûts.

Cependant, elle s'est dotée depuis d'un véritable outil d'aide à la décision qui lui permet d'intégrer l'ensemble des coûts entrant dans chacune de ses activités et de procéder à des simulations.

Pour 2005, elle facture donc des coûts complets à la direction du Trésor. Cette nouvelle pratique explique une évolution surprenante et a priori paradoxale : entre 2004 et 2005, le montant de la cession augmente de 32 % alors que les quantités cédées diminuent de près de 26 %.

Votre rapporteur spécial, qui sait que la direction des Monnaies et médailles mène depuis plusieurs années une politique efficace de réduction des dépenses, prend acte de cette évolution vers la vérité des prix et davantage de transparence.

3. Le chapitre « Investissements » demeure encombré de reports de crédits récurrents

La lisibilité du chapitre « Investissements » ne s'est pas améliorée. Les reports récurrents de crédits de paiement sont de l'ordre de 5 millions d'euros. Fin 2003, sur un reliquat de 6,7 millions d'euros, 1 million d'euros seulement a été reversé au Trésor.

Certes, la consommation de ces crédits peut varier d'une année à l'autre, en raison notamment de décalages dans le temps des diverses opérations envisagées. Par ailleurs, même si l'établissement monétaire de Pessac a été doté d'installations modernes depuis la frappe de l'euro, la direction des Monnaies et médailles se doit de maintenir ses investissements à un niveau correct, afin de demeurer efficiente et réactive.

Mais votre rapporteur spécial, qui l'an dernier avait insisté sur la nécessité d'assainir la situation, souhaite vivement que ce chapitre soit apuré, autant que faire se peut, par des annulations de crédit.

4. Le besoin de monnaie métallique varie selon les pays et les coupures

Ce besoin résulte de divers phénomènes.

Tout d'abord, chacun sait que plusieurs pays, notamment la France et l'Allemagne, ont produit plus de pièces que nécessaire et que d'importants stocks de pièces « dorment » et ne seront pas résorbés avant plusieurs années.

Ensuite, l'appétence pour la monnaie métallique varie selon les pays 1 ( * ) et les coupures. Par exemple, les pièces de 1 et 2 centimes suscitent des réactions variées (cf. observation suivante) ; la pièce de 5 euros serait réclamée par l'industrie de la distribution automatique ; inversement, la pièce de 1 euro pourrait être menacée par le billet de banque de même valeur, souhaité notamment par l'Italie et la Grèce.

Par ailleurs, la mise en circulation des différentes coupures dépend de leur usure, même si à ce sujet, aucun problème particulier n'est encore signalé, hormis l'oxydation rapide des plus petites coupures, phénomène prévisible avec les précédents du pfennig allemand, du penny anglais, du cent américain.

En outre, le porte-monnaie électronique connaît un succès plus ou moins grand. Ainsi, la Belgique utilise beaucoup Proton , mais le Danemark, précurseur en Europe, vient d'abandonner son système. En France, le système Monéo , jugé pour l'instant trop coûteux, ne devrait pas, selon la direction des Monnaies et médailles, concurrencer la monnaie métallique dans les années à venir. Votre rapporteur spécial s'interroge néanmoins sur l'évolution possible de ce moyen de paiement à plus long terme.

Enfin, en ce qui concerne la migration, entre les divers pays, des pièces selon les faces nationales, il a été constaté que les mélanges proviennent principalement du commerce frontalier, le tourisme n'ayant qu'une influence très secondaire. Quoi qu'il en soit, le brassage des pièces d'euro au sein de la zone euro entraîne des besoins de renouvellement moindres que ceux observés avec le franc.

5. Les pièces de 1 et 2 centimes d'euro font l'objet de controverses

Les pièces de 1 et 2 centimes ont leurs défenseurs et leurs détracteurs.

Les premiers estiment que leur maintien est indispensable pour contenir l'inflation. Les associations de consommateurs, notamment, craignent les effets inflationnistes, inévitables selon elles, des arrondis de prix. La Banque de France, par la voix de son gouverneur, et le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie se sont prononcés dans le même sens.

Les seconds font valoir plusieurs arguments.

Tout d'abord, ces piécettes coûtent cher à l'Etat. Certes, sur l'ensemble de la frappe des pièces d'euro, l'Etat retire un bénéfice 2 ( * ) de son droit de battre monnaie (ou « droit de seigneuriage »), notamment sur les plus grosses coupures d'euro qui présentent une valeur faciale nettement supérieure à leur coût de production. Mais les pièces de 1 et 2 centimes coûtent beaucoup plus cher à produire qu'elles ne valent et génèrent donc un seigneuriage négatif particulièrement élevé.

Par ailleurs, une majorité de Français (59 % selon certains sondages) souhaiteraient la suppression de ces pièces qu'ils jugent inutiles, à la fois trop petites et encombrantes, dont ils déplorent l'oxydation, et qu'ils oublient ou perdent facilement. Ces pièces coûteraient donc d'autant plus cher à l'Etat qu'il faudrait sans cesse en produire puisque, négligées, elles ont tendance à disparaître.

Enfin, l'argument inflationniste est jugé peu recevable par ceux qui militent pour des prix demeurant précis au centime près, l'arrondi - au cinq centimes le plus proche - ne se faisant qu'à la caisse, au moment du règlement de l'ensemble des achats.

Il importe de préciser que la Finlande n'a jamais mis en circulation les pièces de 1 et 2 centimes, la Belgique a annoncé en septembre dernier qu'elle en arrêtera la production en 2005 et que les Pays Bas gardent des prix au centime près mais pratiquent des essais d'arrondis de caisse.

Votre rapporteur spécial estime que cette question, dont la réponse conditionne l'avenir à court terme de l'établissement monétaire de Pessac, mérite une réflexion approfondie et objective.

6. Dans un contexte plus que morose, une bonne nouvelle : la Monnaie de Paris fabrique les nouvelles pièces de monnaie afghane

Un contrat a été signé en mai 2004, avec la République afghane, qui porte sur la fabrication de 600 millions de pièces de monnaie courante, dénommée « afghani », en trois coupures. Après la phase actuelle de production d'échantillons, la Monnaie de Paris honorera la commande courant 2005.

Cette commande qui porte sur des quantités « record » fait que, pour la première fois depuis 864 3 ( * ) , la France produira en 2005 plus de pièces étrangères que nationales.

Votre rapporteur spécial se félicite de la signature de ce contrat qui, même s'il n'offre qu'une très faible marge bénéficiaire, représente une véritable aubaine - certains ont parlé de « ballon d'oxygène » - pour l'établissement monétaire de Pessac, en forte sur-capacité de production chronique depuis la fin de la frappe de l'euro. Cet établissement va ainsi retrouver un niveau normal d'activité : environ 1,2 milliard de pièces au total.

7. Du reste, le secteur des monnaies courantes étrangères offrirait de belles perspectives

La Monnaie de Paris entend gagner des parts de marché dans le secteur des monnaies courantes étrangères, afin de compenser le « vide de l'après-euro ». Elle se porte fréquemment candidate et remporte régulièrement des appels d'offre internationaux passés par les banque centrales.

Votre rapporteur spécial note le niveau sans précédent du chiffre d'affaires attendu dans ce secteur (20,6 millions d'euros), construit sur des hypothèses qualifiées de « réalistes » par la direction des Monnaies et médailles, qui sait pouvoir compter sur les missions économiques, à l'étranger, et sur son établissement monétaire certifié ISO 9001, à Pessac.

Il estime judicieuse la stratégie de la Monnaie de Paris qui cherche à se diversifier dans son métier de base de frappe de monnaie courante, sait cibler les pays les plus susceptibles de passer des commandes et n'hésite pas à se tourner vers l'Asie où les besoins de monnaie métallique portent sur des volumes souvent importants. Encore faudra-t-il que l'optimisme des prévisions soit suivi de résultats...

8. Le transfert de nombreuses activités de Paris à Pessac permet de mieux rentabiliser l'établissement girondin...

L'établissement monétaire fabrique désormais tous les produits monétaires et monétiformes : monnaies courantes françaises et étrangères qui représentent son activité propre, frappe et conditionnement des monnaies de collection et de divers jetons monétiformes (jetons de casino et jetons touristiques). Ces transferts optimisent les coûts de fabrication puisqu'ils offrent le double avantage d'apporter de l'activité à Pessac qui en manque et de supprimer de la sous-traitance à Paris. En outre, cet établissement participe à la fabrication des flans 4 ( * ) , à partir de bobines d'acier. Il se charge aussi de la destruction des pièces bicolores en francs.

Par ailleurs, le site pessacais assure de nouvelles fonctions administratives, logistiques, créatives et commerciales : gestion de la paye, des achats, antenne du service de la gravure et des expéditions.

C'est au prix d'actions de formation ciblées, de transferts complexes de matériels lourds et d'une réelle capacité à bousculer les habitudes que la direction des Monnaies et médailles, aidée par le personnel des deux sites, parvient à s'adapter à un contexte nouveau en se réorganisant efficacement.

9. ... sans que la question du regroupement sur un seul site ne soit à l'ordre du jour

Votre rapporteur spécial rappelle que dans le cadre d'un contrôle sur la période 1991-2001, avec des prolongements sur 2002 et 2003, la Cour des comptes avait conclu à la nécessité d'une réorganisation profonde de la Monnaie de Paris, et préconisé un regroupement sur un seul site, Pessac en l'occurrence.

Incontestablement, ce regroupement permettrait d'optimiser la production dans le domaine des frappes monétaires, en assurant une gestion plus efficace des ressources humaines et des stocks. En revanche, selon la direction des Monnaies et médailles, les avantages d'un regroupement sur un seul site seraient moins évidents pour ce qui concerne les productions de type artisanal, « qui font appel à des métiers totalement différents et ne pourront jamais conduire à des économies d'échelle importantes ».

Quoi qu'il en soit, d'autres arguments, plus qualitatifs devront être pris en compte : l'Hôtel de la Monnaie constitue une référence importante en termes de patrimoine historique et sa marque « Monnaie de Paris » représente un des principaux atouts de la direction des Monnaies et médailles.

10. L'administration des Monnaies et médailles se coule difficilement dans le moule de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF)

L'article 18 de la LOLF, qui modifie et restreint le contenu des budgets annexes, dispose que des budgets annexes peuvent retracer les seules opérations de services de l'Etat non dotés de la personnalité morale résultant de leur activité de production de biens ou de prestations de service donnant lieu au paiement de redevances, lorsqu'elles sont effectuées à titre principal.

L'activité de frappe des euros courants, pour le compte de l'Etat, fait l'objet du paiement, par la direction du Trésor, d'un prix de cession - et non de redevances - fixé annuellement pour chaque coupure, au moyen du compte spécial des monnaies métalliques.

Par ailleurs, son activité industrielle et commerciale exercée pour des tiers - collectivités territoriales, entreprises, Etats étrangers, clientèle privée - qui est désormais majoritaire, ne donne évidemment pas lieu au paiement de redevances.

Dans le cadre de la nouvelle architecture du budget de l'Etat, présentée le 21 janvier 2004 et confirmée le 16 juillet 2004, le budget annexe des Monnaies et Médailles constitue, hors budget général de l'Etat, une mission « Monnaies et médailles », composée de deux programmes : « Activités régaliennes » et « Activités commerciales » 5 ( * ) .

Votre rapporteur spécial constate que cette solution n'est probablement que transitoire, puisqu'elle est liée au statut de la Monnaie de Paris, lequel est susceptible d'évoluer (cf. observation suivante).

Il note cependant avec que la direction des Monnaies et médailles, dotée de son nouvel outil de comptabilité analytique, véritable outil d'aide à la décision, suit désormais l'ensemble de ses coûts par activités, connaît ses seuils de rentabilité en procédant à des simulations et pourra facilement alimenter des indicateurs de performance voulus pertinents et déclinables dans les deux programmes.

11. La lancinante question d'un changement de statut ne peut plus, dès lors, être évacuée

L'administration des Monnaies et médailles se sait concernée par le grand chantier de la réforme de l'Etat, qui d'ailleurs ne manque pas de susciter les inquiétudes compréhensibles de son personnel.

En tant que direction d'administration centrale, elle se trouve dans une situation relativement inconfortable : elle est un service de l'Etat qui exerce une activité industrielle, tout en ne disposant pas de la personnalité morale, et auquel on demande d'être compétitif et souple sur des marchés soumis à une concurrence féroce.

L'application de la LOLF à une entité dont les deux tiers des recettes proviennent du secteur concurrentiel et sont principalement réalisés à l'export, oblige à se poser certaines questions relatives à un éventuel changement juridique du budget annexe et de ses règles comptables.

Du reste, et indépendamment de la LOLF, la Monnaie de Paris est consciente de la nécessité de s'adapter à un contexte nouveau, notamment dans le cadre d'une future organisation de la frappe de monnaie à l'échelle européenne. Même si elle s'est déjà beaucoup modernisée et rationalisée, elle n'ignore pas qu'elle soit poursuivre ses efforts sur la voie de la compétitivité et de la rentabilité structurelle.

Votre rapporteur spécial rappelle que la Cour des comptes a estimé « inéluctable » le changement de statut de la direction des Monnaies et médailles, en se prononçant en faveur d'une transformation en établissement public industriel et commercial ou en société anonyme.

Tout en réaffirmant le caractère parfaitement régalien de la frappe de monnaie, il tient à souligner qu'une évolution de son statut permettrait à la Monnaie de Paris de sortir de son carcan de direction d'administration centrale, d'élargir ses activités et d'optimiser ses relations tant avec la Banque de France qu'avec la direction du Trésor. Il insiste sur la possibilité, à plus ou moins long terme, de donner un équilibre financier pérenne à cette institution, déjà bien engagée dans un processus de « mise en mouvement ».

L'article 49 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) fixe comme date butoir, pour le retour des réponses aux questionnaires budgétaires, au plus tard huit jours francs à compter de la date de dépôt du projet de loi de finances.

A cette date, 80 % des réponses étaient parvenues à votre rapporteur spécial.

* 1 Au sein de la zone euro, la France a le plus faible taux de pièces par habitant.

* 2 Ce bénéfice est égal à la différence entre la valeur nominale et la valeur intrinsèque de la monnaie.

* 3 Afin de centraliser l'émission de monnaie, Charles le Chauve, par l'édit de 864 « fait défense de fabriquer des monnaies en nul lieu si ce n'est au Palais ».

* 4 Rondelles de métal que la frappe transforme en pièces.

* 5 Ces deux programmes ont été déterminés sur proposition conjointe de l'Assemblée nationale et du Sénat.