M. Denis Badré

PRINCIPALES OBSERVATIONS DE
VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

Premier budget communautaire des perspectives financières 2007-2013, le projet de budget pour 2007 ne marque pas de réelle rupture, avec une hausse de 3,7 % des crédits d'engagement (selon le projet du Conseil) par rapport au budget de 2006. Il intègre en outre une nouvelle étape de l'élargissement de l'Union, avec l'adhésion programmée de la Bulgarie et de la Roumanie début 2007.

Pour la France, ce budget se traduit par un prélèvement évalué à 18,7 milliards d'euros, soit 6,9 % des recettes fiscales nettes , ce qui représente un enjeu financier lourd dont nos concitoyens n'ont pas véritablement conscience, d'autant que la procédure du prélèvement sur recettes le rend « indolore ».

Malgré la fin des négociations sur les perspectives financières, les défis à venir ne manquent pas et concernent, par exemple, la réforme du système de ressources propres de l'Union, le fonctionnement de la PAC au-delà de 2013, ou l'atteinte des objectifs de la nouvelle stratégie de Lisbonne. En dépit de leur complexité, ces questions ne peuvent être déconnectées de la crise institutionnelle et politique que l'Union a traversée en 2005, et le budget de l'Union peut contribuer à restaurer la confiance dans le projet européen.

Dans son rapport budgétaire afférent au projet de loi de finances pour 2006, votre rapporteur spécial considérait que « le budget européen n'assure pas réellement les trois fonctions budgétaires traditionnellement attribuées à la puissance publique », que sont la stabilisation, l'affectation et la redistribution . Il considérait également que « tant que l'Europe ne disposera pas d'axes structurants proches des préoccupations des citoyens et susceptibles de renouveler les politiques mises en oeuvre depuis près de cinquante ans, le débat budgétaire continuera d'être « pollué » par la prévalence des intérêts nationaux et des schémas de financement complexes et incompréhensibles pour le citoyen ». Ces critiques demeurent toujours valables. Le budget européen pour 2007, comme les années précédentes, n'est pas un vrai budget et ne traduit pas réellement un intérêt commun.

La France, qui est plutôt apparue en position défensive au cours des deux dernières années, doit donc retrouver un rôle moteur dans la modernisation du budget communautaire, et préparer activement la présidence qu'elle exercera dans deux ans , au moment même où des décisions stratégiques pour l'avenir du financement de l'Union pourraient être prises.

I. LES NOUVELLES PERSPECTIVES FINANCIÈRES : ÉPILOGUE ET CONTINUITÉ

Les négociations sur les perspectives financières furent âpres et ont ravivé la tentation du « passager clandestin », la plupart des Etats membres étant enclins à faire prévaloir leurs intérêts nationaux au détriment d'une vision structurante de l'Europe. Dans un contexte de tensions budgétaires pour la plupart des Etats membres et de remise en cause de certains objectifs des politiques communautaires, les aspirations à un renouveau quantitatif et qualitatif du budget communautaire ont été quelque peu déçues.

La relative rigueur des nouvelles perspectives financières , inférieures de près de 160 milliards d'euros (en crédits d'engagement) à la proposition initiale de la Commission, relève cependant d'un arbitrage rationnel , dans la mesure où toute éventuelle augmentation importante du budget communautaire doit être nécessairement précédée de l'aboutissement d'une réflexion sur la nature même et les modalités des politiques communautaires, réflexion qui n'a pas véritablement eu lieu.

A. LA FRANCE A TIRÉ PARTI DE LA NÉGOCIATION

Notre pays apparaît au final relativement favorisé par le nouveau cadre pluriannuel si l'on considère les éléments suivants :

- les crédits de paiement annuels s'élèvent en moyenne à 1 % du RNB communautaire sur la période, et les crédits d'engagement à 1,04 %, ce qui laisse une marge substantielle sous le plafond des ressources propres (1,24 %) et se révèle conforme aux revendications exprimées fin 2003 par les six principaux contributeurs nets, dont la France ;

- le « rabais » britannique a subi une première encoche avec la mise en place de sa diminution progressive, même si elle est plafonnée à 10,5 milliards d'euros ;

- l'accord de Bruxelles d'octobre 2002 sur le cadre financier de la PAC a été globalement respecté, en dépit du débat ouvert par le Royaume-Uni et de l'inclusion sous les plafonds des dépenses de marché versées à la Bulgarie et à la Roumanie ;

- la part de la France dans le financement du X e Fonds européen de développement passe de 24,3 % à 19,55 %. Cette diminution représente une « économie » de plus d'un milliard d'euros par rapport au statu quo . La France demeure le principal pays contributeur avec l'Allemagne, ce que l'on peut considérer comme cohérent avec sa politique d'augmentation progressive de l'aide publique au développement ;

- la France bénéficiera, en prix constants de 2004, d'une enveloppe de 12,7 milliards d'euros au titre des fonds structurels , dont 2,8 milliards d'euros pour les quatre départements d'outre-mer, et sera le premier bénéficiaire de l'objectif 2 « Compétitivité régionale et emploi » avec 9,1 milliards d'euros (soit 18,5 % du total de l'Union, et 23,5 % hors « phasing in »), compte tenu de son déficit de compétitivité au regard des critères retenus. Avec la disparition du « zonage », l'ensemble du territoire est potentiellement éligible. La Commission a en outre décidé que les trois quarts des fonds de cet objectif seraient destinés aux priorités de la stratégie de Lisbonne ;

- enfin le coût budgétaire moyen annuel sur 2007-2013, évalué à 19,36 milliards d'euros (soit une hausse de 8,1 % par rapport à la prévision d'exécution pour 2006), peut être jugé raisonnable, et la contribution nette s'élève à 109 euros par habitant.

B. LA CONTINUITÉ DAVANTAGE QUE L'INNOVATION

Les perspectives financières 2007-2013 traduisent les préoccupations budgétaires des Etats membres et des compromis dans lesquels l'affirmation de certaines priorités, en particulier celles de la stratégie de Lisbonne, s'est trouvée « diluée » . La nouvelle présentation en cinq rubriques thématiques et la réorganisation du cadre stratégique et des objectifs de la politique de cohésion contribuent à améliorer la lisibilité du budget et à atténuer l'impression de « fourrre-tout », bien que la rubrique 3 « Liberté, sécurité, justice et citoyenneté » semble artificielle, compte tenu notamment de la faiblesse des montants en cause (1,5 milliard d'euros de crédits de paiement en 2007).

Les principaux impératifs de la construction communautaire ont été préservés : la PAC est pérennisée bien que les dépenses de développement rural aient constitué une variable d'ajustement lors des négociations, et les nouveaux Etats membres devraient bénéficier de 158 milliards d'euros sur sept ans au titre des fonds structurels, soit plus de 3 % de leur PIB.

Un effort non négligeable a été consenti en faveur de l'amélioration de la compétitivité et du renforcement de la recherche européenne (dont le budget en 2013 devrait être supérieur de 75 % à celui de 2006), dans le cadre du nouveau partenariat pour Lisbonne. Les instruments de structuration et de mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne ont été modernisés, notamment afin de mieux impliquer les Etats membres, qui doivent désormais définir des programmes nationaux de réforme.

Il reste que la sous-rubrique 1A « Compétitivité pour la croissance et l'emploi » a subi d'importantes coupes dans l'accord final (pour près de 60 milliards d'euros) par rapport au projet initial de la Commission, et que l'objectif défini en mars 2000, consistant à faire d'ici 2010 de l'Union européenne « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » est à ranger au rang des illusions.

Certains mécanismes financiers innovants ont été introduits . On peut ainsi relever en particulier la « facilité financière de partage du risque » dans le domaine de la recherche, la réforme des mandats extérieurs de la Banque européenne d'investissement (BEI) au titre de sa contribution à la politique européenne de soutien au développement, et le Fonds d'ajustement à la mondialisation. Reposant sur un système de garantie (cofinancé par la BEI et le budget communautaire) et un double effet de levier lié à l'emprunt et au recours aux marchés financiers, la facilité de financement pour la recherche permet ainsi, potentiellement, d'accroître de 30 milliards d'euros les financements au profit de la recherche-développement.

La France a pris une part non négligeable dans la création du Fonds d'ajustement à la mondialisation , doté au plus de 500 millions d'euros annuels et destiné à fournir un soutien complémentaire aux salariés affectés par les mutations du commerce mondial, sans se substituer à la protection sociale « passive » qui reste du ressort des Etats membres. Cet instrument visible peut contribuer à améliorer la perception de l'Europe et à atténuer les conséquences locales de licenciements massifs.

Il pose néanmoins des difficultés de définition de son périmètre et de ses critères d'intervention , d'où l'alternative suivante : soit des critères larges - que promeut le Parlement européen - et un impact marginal, soit un seuil relativement élevé de salariés (la Commission a retenu le licenciement d'au moins 1.000 salariés) et le risque d'éluder des restructurations de moindre ampleur mais ayant des conséquences importantes sur l'économie d'un territoire. Votre rapporteur spécial estime donc que ce Fonds est sans doute utile, mais que son impact ne devra pas être surestimé. En matière de compétitivité, de fiscalité comme de promotion de l'emploi, le dilemme subsiste entre la vocation de l'Union européenne et les compétences des Etats membres.