M. Denis Badré

II. LA SIMPLIFICATION DU FINANCEMENT DES POLITIQUES COMMUNAUTAIRES, UN CHANTIER EN SUSPENS

A. LA SIMPLIFICATION DES RECETTES

Votre rapporteur spécial estime que le mythe originel d'un budget européen autonome et indépendant des Etats membres a pris fin avec la renationalisation progressive des ressources , devenues des contributions nationales « déguisées » en ressources propres, et la prépondérance de la ressource issue du RNB des Etats membres. Ce constat plaide en faveur d'une révision du système de financement de l'Union , qui demeure globalement inchangé depuis l'introduction du « rabais » britannique en 1984. Le Parlement européen a pris la mesure de l'importance de ce sujet, en prévision du débat interinstitutionnel et des décisions qui devraient être prises en 2008, en application de la « clause de révision » de l'accord interinstitutionnel du 17 mai 2006.

L'issue des négociations sur les nouvelles perspectives financières, qui contribuent à plafonner la diminution progressive du « chèque » britannique sans le remettre en cause, et les aménagements proposés par la Commission sur le taux d'appel de la TVA (gel à 0,30 %) comme sur l'uniformisation du taux d'appel de la ressource RNB, témoignent encore de la prééminence de la logique pernicieuse du « retour net » . Les mesures de simplification proposées ont en effet pour contrepartie, au profit des Etats les plus contributeurs nets, la mise en place de taux d'appel réduits de la TVA 1 ( * ) et de réductions forfaitaires au titre de la ressource RNB 2 ( * ) .

Les aménagements récents relèvent donc plutôt des « rustines », et le mode de financement actuel de l'Union demeure clairement illisible pour le citoyen et participe d'une certaine défiance. Toutefois, il ne faut sans doute pas attendre du futur cadre financier un bouleversement se traduisant par une nouvelle consécration des ressources propres traditionnelles et le remplacement de la « cotisation » assise sur le RNB. Il importe donc, dans un premier temps, que les Etats membres s'entendent sur les principes de la réforme. Votre rapporteur spécial estime que ces lignes directrices pour les ressources de l'Union, à l'image de celles susceptibles d'inspirer la fiscalité nationale, pourraient être la lisibilité, l'absence de volatilité, l'efficacité économique, une pression fiscale inchangée et la corrélation avec l'évolution de la richesse nationale.

Votre rapporteur spécial considère également que l'établissement d'un impôt européen est une perspective à étudier. Il constituerait un facteur de relégitimation et de renforcement de la démocratie budgétaire et atténuerait la perception du budget européen en tant que vaste instrument de redistribution. Il n'est toutefois concevable que pour autant que des principes de substitution et de spécialité soient respectés, d'autant que l'unanimité des Etats membres sera requise . Il ne serait ainsi viable et acceptable qu'en étant affecté au financement d'une compétence spécifique de l'Union, que les Etats membres auraient préalablement transférée à celle-ci, de façon à ce qu'un éventuel impôt européen ne vienne pas in fine alourdir les prélèvements obligatoires.

B. LES ENJEUX DE LA RÉFORME DE LA PAC

Dans son rapport budgétaire relatif au projet de loi de finances pour 2006, votre rapporteur spécial considérait que la PAC tendait à s'éloigner de sa vocation, mais qu'il importait de tempérer les critiques parfois fortes dont elle faisait l'objet et qui ravivaient une logique de prévalence des intérêts nationaux. Il en est ainsi des propositions reposant sur un cofinancement ou d'une renationalisation de la PAC, qui contribuent à démanteler le caractère communautaire de cette politique.

La PAC demeure une des rares vraies politiques communautaires, bien qu'elle ait été dénaturée par la réforme de 1992, et doit être considérée comme un succès. Avec la mise en place progressive du découplage partiel ou total selon les productions agricoles, de la modulation et de la conditionnalité des aides 3 ( * ) , la PAC n'en est pas moins à un tournant et doit désormais enrayer la tendance (parfois médiatisée) à la concentration des aides sur une minorité d'exploitants. Elle doit également mieux respecter de nouvelles priorités, telles que la sécurité sanitaire, la variété et la traçabilité des produits alimentaires, la protection de l'environnement et les biocarburants, la labellisation, la lutte contre la désertification rurale et la compétitivité de l'industrie agro-alimentaire. Votre rapporteur spécial estime également nécessaire de rétablir un système de préférence communautaire.

En adoptant une position défensive, la France est parvenue à garantir la stabilité du financement de la PAC jusqu'en 2013, bien que l'accord de Bruxelles d'octobre 2002 ait été contesté dans son principe - et même dans son effectivité - durant les négociations sur les perspectives 2007-2013, en particulier par le Royaume-Uni qui a émis de fortes critiques sur le coût de la PAC, son efficacité économique et environnementale et sa légitimité au regard des négociations commerciales multilatérales en cours.

Le vent des critiques s'est apaisé mais ne manquera pas de souffler de nouveau, lorsque débutera la réflexion sur le futur cadre financier et conceptuel de la PAC, postérieur à 2013 et susceptible d'être fixé jusqu'en 2020. Le bilan et la négociation devraient vraisemblablement débuter en 2008 pour être finalisés en 2010 : la France doit donc profiter de la présidence de l'Union, qu'elle exercera au second semestre de 2008, pour formuler des propositions novatrices et claires , et ainsi « reprendre la main » sur un domaine important pour notre économie et nos territoires.

La simplification et la pérennité constituent des enjeux majeurs de la future réforme de la PAC, compte tenu de la complexité du système actuel d'octroi et de contrôle des financements, et de la répétition à un rythme rapproché des réformes structurelles. Votre rapporteur spécial considère que l'audit de modernisation tendant à la généralisation des téléprocédures pour les demandes d'aides 4 ( * ) , initié début 2006, s'inscrit bien dans cette démarche de simplification. Il est ainsi prévu de rendre plus attractive l'utilisation de cette procédure, de simplifier les démarches administratives connexes et d'impliquer davantage les intervenants administratifs et professionnels, pour une diminution escomptée de 35 % du coût unitaire de traitement.

A l'occasion d'une conférence sur la PAC à Bruxelles, le 3 octobre 2006, Mme Mariann Fischer Boel, commissaire européen à l'agriculture, s'est voulue rassurante et a indiqué que « la simplification ne vise ni à démanteler la PAC, ni à affaiblir les contrôles sur la façon dont est dépensé l'argent des contribuables ». Des axes innovants, à court et à long terme, tendent néanmoins à se dessiner :

- une proposition d'organisation commune de marché unique , que la Commission devrait présenter en décembre prochain et qui remplacerait les 21 organisations actuelles ;

- un plan d'action comportant 20 propositions de modifications techniques de la réglementation ;

- la poursuite des réformes sectorielles : après le sucre, les secteurs du vin, de la banane et des fruits et légumes devraient être concernés ;

- les possibles amplification et harmonisation du découplage de l'aide par rapport à la production, tendance initiée par la réforme de 2003 et que promeut activement la Commission. Celle-ci souhaite la mise en place d'un seul type de droit à prime, qui pourrait conduire à la fin du gel des terres ;

- l'extension à tous les Etats membres du régime de paiement unique à la surface , qui est actuellement en vigueur dans huit des dix pays adhérents de 2004.

- enfin l'abolition des quotas de production.

* 1 0,10 % pour les Pays-Bas et la Suède, 0,15 % pour l'Allemagne et 0,225 % pour l'Autriche.

* 2 Au profit des Pays-Bas et de la Suède.

* 3 Le premier paiement des aides directes, ou « droits à paiement uniques », doit intervenir en décembre 2006.

* 4 Les aides agricoles ont bénéficié en 2004 à 430.000 agriculteurs, pour un montant de 5,18 milliards d'euros. Le service de télédéclaration mis en place par le ministère de l'agriculture n'a cependant été utilisé que par 1,8 % des bénéficiaires en 2005.