M. Roland du LUART

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

- La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2008, de 6,519 milliards d'euros de crédits de paiement , soit une progression de 4,5 % .

- Dans un contexte budgétaire globalement tendu, cette progression des crédits de la mission marque l'importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens.

- L'année 2008 doit permettre de poursuivre au sein de la mission l'acclimatation à la culture de performance induite par la LOLF et de pérenniser les bonnes habitudes prises par les gestionnaires .

- Au regard des objectifs fixés par la LOPJ sur la période 2003-2007, on constate un déficit en termes de créations d'emploi avec un taux de réalisation de 76 % pour les magistrats et de seulement 32,6 % pour les fonctionnaires.

- Le ratio actuel de 2,57 fonctionnaires de greffe par magistrat traduit une réelle faiblesse du soutien logistique susceptible d'être apporté aux magistrats, tant pour le rendu des décisions de justice que pour la gestion des juridictions. Si les efforts afin d'accroître les effectifs de magistrats, en conformité avec la LOPJ, méritent d'être salués, ils n'ont de sens que s'ils s'accompagnent d'un effort encore plus important en faveur des greffiers. Le recours accru aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, en 2008, devrait néanmoins améliorer sensiblement les conditions de travail des greffiers.

- En 2008, une dotation de 405 millions d'euros est prévue pour couvrir les frais de justice , soit une hausse de seulement 1,7 % par rapport à 2007.

- Votre rapporteur spécial tient à saluer les efforts produits par les magistrats ainsi que la politique de maîtrise des frais de justice engagée par la chancellerie.

- Concernant la révision de la carte judiciaire , votre rapporteur spécial rappelle qu'aucune réforme de structure de fond de l'institution judiciaire n'a été entreprise depuis 1958 et adhère pleinement à la volonté de rationaliser les moyens de la justice sur l'ensemble du territoire.

- Votre rapporteur spécial estime toutefois que cette réforme de la carte judiciaire ne peut être envisagée à moyens constants. Si on peut en espérer des sources d'économies à terme, comme pour toute réforme de structures, elle nécessitera d'abord une importante « mise de fonds » initiale.

- En particulier, les regroupements envisagés auront assurément un coût immobilier. Lors de son audition par votre commission, le 14 novembre 2007, Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a évoqué un programme immobilier (hors Paris) portant sur un montant total de 800 millions d'euros sur six ans .

- Les conditions de détention sont, en France, inacceptables en raison de la vétusté de la plupart des prisons et d' un taux de surpopulation carcérale qui atteignait 121 % au 1 er août 2007.

- Dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, v otre rapporteur spécial se félicite de la nette amélioration de la situation du financement des prises en charge du secteur associatif (SAH) . L'apurement du passif des charges de financement du SAH permet ainsi de mettre fin à une situation particulièrement anormale qui caractérisait pourtant ce champ d'action depuis plusieurs années : la charge de la trésorerie de l'Etat ne pèse plus sur le SAH.

- Prolongeant les conclusions de son récent rapport d'information « L'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle », votre rapporteur spécial estime que l'année 2008 doit être celle de la réforme de l'aide juridictionnelle .

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE LA MISSION

A. UNE MISSION SANS LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Votre rapporteur spécial estime nécessaire de rappeler, en préambule à son rapport, que les juridictions administratives ne relèvent pas de la mission « Justice » et que cette question avait, d'ailleurs, été largement débattue lors de la définition du périmètre de cette même mission.

La « sortie » des juridictions administratives de la mission « Justice »

Les deux avant-projets de nomenclature budgétaire , présentés au Parlement pour concertation en 2004, faisaient figurer les juridictions administratives, comme les juridictions judiciaires, au sein de la mission « Justice », ce que votre commission des finances avait approuvé.

Cependant, le gouvernement a créé, en loi de finances pour 2006, une mission « Conseil et contrôle de l'Etat » comprenant trois programmes :

- « Conseil d'Etat et autres juridictions administratives » ;

- « Conseil économique et social » ;

- « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

La première conséquence de cette décision, la sortie de la Cour des comptes (et des autres juridictions financières qui lui sont associées en gestion) du « giron de Bercy » correspondait à une demande explicite de votre commission 1 ( * ) , fondée sur la charge de certification des comptes de l'Etat, confiée à la Cour des comptes par le 5° de l'article 58 de la loi organique n° 2001-692 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) 2 ( * ) . Votre commission avait considéré que les moyens de certification ne doivent pas dépendre du certifié.

La deuxième conséquence, à savoir le renoncement à une mission mono programme pour le Conseil économique et social, n'avait soulevé aucune critique particulière, d'autant qu'elle apparaissait conforme à la lettre de l'article 7 de la LOLF.

En revanche, la troisième conséquence de cette décision, la « sortie » non concertée avec le Parlement des juridictions administratives de la mission « Justice » , était plus surprenante.

En effet, selon l'article 7 de la LOLF, « une mission comprend un ensemble de programmes concourant à une politique publique définie ». Or, la justice - tant administrative que judiciaire - constitue bien une politique au sens de la LOLF.

A l'initiative de votre rapporteur spécial, votre commission des finances a « condamné le fait que les juridictions administratives aient été « sorties » de la mission budgétaire « Justice », dans le but le but affiché de préserver leurs spécificités, alors même que l'indépendance de l'autorité judiciaire est garantie par la Constitution, qui lui confère aussi la mission de gardienne de la liberté individuelle. Elle a préconisé le regroupement dans une seule mission des juridictions judiciaires et administratives , qui n'empêchera pas, bien au contraire, la nécessaire adaptation de certaines règles budgétaires à leurs spécificités » 3 ( * ) .

Au demeurant, l'engagement a été pris par le gouvernement d'étendre aux juridictions judiciaires les mesures budgétaires dérogatoires en matière de gel de crédits. Plus précisément, la Cour de cassation est, désormais, exonérée de « gels budgétaires », tandis que, pour les autres juridictions judiciaires, ceux-ci sont soumis à l'accord du ministre de la justice.

Si le bon fonctionnement de la mission « Justice » n'est, certes, pas entravé par la « sortie » des juridictions administratives de cette mission, la question reste néanmoins posée de la cohérence d'ensemble du traitement « budgétaire » des juridictions .

B. LES FORCES ET FAIBLESSES DU BUDGET DE LA MISSION « JUSTICE »

La mission « Justice », composée de cinq programmes 4 ( * ) , est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2008, de 6,519 milliards d'euros de crédits de paiement , soit une progression de + 4,5 % .

Le tableau ci-après ventile les crédits, ainsi que les plafonds d'emploi en équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Dans un contexte budgétaire globalement tendu, la progression de 4,5 % des crédits de la mission marque l'importance attachée à la justice et la priorité accordée à ses moyens.

Toutefois, votre rapporteur spécial rappelle que la progression des crédits ne saurait seule suffire à porter un jugement positif sur le projet de budget de cette mission . La logique de la loi organique n° 2001-649 du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) renvoie en effet à un impératif de performance. Aussi, l'augmentation des moyens budgétaires renforce d'autant l'obligation de résultat incombant aux acteurs de la justice.

De ce point de vue, votre rapporteur spécial souligne, pour s'en réjouir, certains éléments de progrès au sein de la mission :

- la maîtrise des frais de justice , amorcée en 2006 et poursuivie en 2007, devrait se confirmer en 2008. Après avoir connu une progression exponentielle analysée par votre rapporteur spécial dans ses rapports d'information sur « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion » 5 ( * ) et consécutif à l'enquête demandée à la Cour des comptes en application de l'article 58-2° de la LOLF 6 ( * ) , ces frais ont été contenus sous le double effet bénéfique de mesures volontaristes décidées par la chancellerie et d'une prise de conscience salutaire de la part des magistrats prescripteurs. Cette maîtrise a été obtenue sans remise en cause de la liberté de prescription du magistrat ;

- le développement d'une culture de gestion dans l'esprit de la LOLF , comme a pu le souligner votre rapporteur spécial dans son rapport d'information sur la formation des magistrats et des greffiers en chef à la gestion 7 ( * ) ;

- la poursuite de la mise en oeuvre de la LOPJ 8 ( * ) pour la rénovation et la construction d'établissements pénitentiaires .

Pour autant, la mission « Justice » se caractérise également par un certain nombre d'interrogations persistantes :

- le système de l'aide juridictionnelle est à bout de souffle , ainsi que l'a montré le récent rapport d'information de votre rapporteur spécial 9 ( * ) . Face à un accroissement considérable du nombre des bénéficiaires de cette aide depuis 1991, le dispositif court un risque d'asphyxie budgétaire appelant une remise à plat de ce mécanisme. Seule une réforme en profondeur pourra permettre de préserver l'esprit même de ce « filet de sécurité » pour les justiciables les plus démunis ;

- alors qu'aucune réforme de structure n'a été engagée depuis 1958, une rationalisation des moyens de l'institution judiciaire sur le territoire s'impose. La réforme engagée de la carte judiciaire répond donc à une exigence d'efficacité, mais elle doit se concilier avec le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable ;

- le rythme de sortie et le volume des promotions de l'école nationale des greffes (ENG) ne permet pas de compenser le déficit actuel de greffiers au regard du nombre de magistrats en juridiction . L'allongement de la durée de scolarité à l'ENG (passée de 12 à 18 mois en 2003) ainsi que la pyramide des âges des greffiers (nombreux départs à la retraite dans les années à venir) constituent autant de circonstances aggravantes au regard de ce déséquilibre des effectifs ;

- la vétusté de certains établissements pénitentiaires ainsi que la surpopulation carcérale renvoient à des dizaines d'années d'insuffisance. Elles se conjuguent pour créer une situation tout à la fois attentatoire à la dignité humaine et source de promiscuité , c'est-à-dire facteur de « contagion » de la délinquance , contraire à l'objectif premier de la peine, à savoir l'amendement du condamné.

* 1 Les crédits des juridictions financières figuraient traditionnellement parmi ceux du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

* 2 Rapport d'information n° 292 (2003-2004), pages 40 et 41.

* 3 Rapport d'information n° 478 (2004-2005) : « La LOLF dans la justice : indépendance de l'autorité judiciaire et culture de gestion », page 5.

* 4 « Justice judiciaire », « Administration pénitentiaire », « Protection judiciaire de la jeunesse », « Accès au droit et à la justice » et « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés ».

* 5 Sénat, rapport d'information n° 478 (2004-2005).

* 6 Sénat, rapport d'information n° 216 (2005-2006) « Frais de justice : l'impératif d'une meilleure maîtrise ».

* 7 Sénat, rapport d'information n° 4 (2006-2007) : « La justice, de la gestion au management ? Former les magistrats et les greffiers en chef à la gestion ».

* 8 Loi d'orientation et de programmation pour la justice n° 2002-1138 du 29 septembre 2002, concernant les moyens pour les années 2003 à 2007.

* 9 Sénat, rapport d'information n° 23 (2007-2008) : « L'aide juridictionnelle : réformer un système à bout de souffle ».