M. Denis Badré

III. 2008, POINT DE DÉPART DE LA RÉFORME BUDGÉTAIRE EUROPÉENNE ?

A. UN « RÉEXAMEN COMPLET ET GLOBAL » BIENVENU

1. Une clause associée à l'accord sur les perspectives financières

a) La négociation du cadre financier 2007-2013 témoigne de l'essoufflement du cadre budgétaire communautaire

Les négociations sur les nouvelles perspectives financières ont apporté plusieurs amendements au cadre budgétaire communautaire, en plafonnant progressivement le rabais britannique, en gelant le taux d'appel de la TVA à 0,30 % et en uniformisant le taux d'appel de la ressource RNB.

Ces derniers aménagements se sont toutefois accompagnés de la mise en place de taux d'appel réduits de la TVA 16 ( * ) et de réductions forfaitaires au titre de la ressource RNB 17 ( * ) au profit des Etats fortement contributeurs nets.

Selon votre rapporteur spécial, ces « replâtrages », outre qu'ils trahissent la prééminence tenace des intérêts nationaux et de la logique de « taux de retour », traduisent l'essoufflement du cadre budgétaire européen , par ailleurs devenu illisible pour les citoyens.

b) La décision des chefs d'Etat et de gouvernement du 16 décembre 2005 et la déclaration annexée à l'accord interinstitutionnel du 17 mai 2006

Dans ces conditions, l'annonce d'une réforme d'ensemble du système budgétaire communautaire a en partie conditionné le succès des âpres négociations ayant abouti à l'adoption des perspectives financières 2007-2013.

Dans une déclaration solennelle, les chefs d'Etat et de gouvernement réunis lors du Conseil européen du 16 décembre 2005 ont considéré que « l'Union européenne devrait réévaluer l'ensemble du cadre financier, pour ce qui concerne tant les recettes que les dépenses, afin de poursuivre et de renforcer la modernisation de manière continue » .

Ils ont par conséquent invité la Commission « à entreprendre un réexamen complet et global, couvrant tous les aspects des dépenses de l'UE, y compris la PAC, ainsi que des ressources, y compris la compensation en faveur du Royaume Uni , et à faire rapport en 2008-2009 ». Il était enfin stipulé que ce réexamen serait pris en considération dans le cadre des travaux préparatoires sur les prochaines perspectives financières.

La déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement a été reprise en annexe à l'accord interinstitutionnel du 17 mai 2006, qui précisait par ailleurs que le Parlement européen serait associé à tous les stades de la procédure, et prenait acte de l'intention de ce dernier de convoquer une conférence pour dresser le bilan du système des ressources propres, à laquelle participeraient tous les Parlements nationaux.

2. Les initiatives du Parlement européen et de la Commission

a) La mobilisation du Parlement européen

Le Parlement européen s'est saisi dès 2005 de la question du réexamen et à focalisé son attention sur le volet recettes . De nombreux échanges avec les Parlements nationaux ont abouti à la formulation de plusieurs questions censées servir de point de départ aux négociations, et concernant notamment :

- la possibilité d'établir un système de recettes totalement nouveau, la suppression du rabais britannique, ou encore l'affectation d'impôts nationaux au budget européen ou la création d'impôts européens ;

- le souci de réformer à charge fiscale constante et d'améliorer la lisibilité du budget européen pour les citoyens de l'Union ;

- l'opportunité de modifier le poids budgétaire des différentes politiques et d'augmenter le volume global du budget ;

- les modalités de mise en oeuvre et le calendrier de la réforme.

Dans sa résolution du 29 mars 2007 , le Parlement européen suggère enfin une réforme en deux temps :

1) la simplification du calcul des contributions nationales, fondées sur le seul RNB, et la suppression des mécanismes dérogatoires ;

2) à compter de 2014, le remplacement des contributions nationales par des nouvelles ressources propres . Ont été jusqu'ici évoquées une ressource TVA, une taxe sur le gasoil pour le transport routier, des taxes sur le tabac et l'alcool ou une taxe sur les bénéfices des entreprises.

b) La consultation publique amorcée par la Commission

Le 12 septembre 2007, la Commission a, pour sa part, rendu publique une communication intitulée « Réformer le budget, changer l'Europe » et ayant pour but « d'engager une vaste consultation des parties intéressées au niveau local, régional ou national, ainsi qu'au niveau européen, afin de susciter un débat ouvert sur les finances européennes » .

Votre rapporteur spécial observe que cette consultation se fonde à son tour sur 12 questions (cf. encadré), dont le degré de généralité garantit l'oecuménisme, et qui devraient permettre la remise d'un rapport à la fin de l'année 2008 ou au début de l'année 2009.

Les 12 questions formulées par la Commission

1) Le budget européen répond-il suffisamment à l'évolution des besoins ?

2) Comment trouver le meilleur équilibre entre le besoin de stabilité et le besoin de flexibilité à l'intérieur des cadres financiers pluriannuels ?

3) Les nouveaux défis politiques (exposés dans le document de consultation) résument-ils effectivement les questions cruciales auxquelles l'Europe sera confrontée dans les prochaines décennies ?

4) Quels critères faut-il appliquer pour assurer que le principe de la valeur ajoutée européenne est effectivement respecté ?

5) Comment les priorités en matière de dépense devraient-elles correctement refléter les objectifs politiques ? Quels sont les changements nécessaires ?

6) Sur quelle durée les réorientations doivent-elles s'étaler ?

7) Comment rendre l'exécution du budget plus efficace et plus efficiente ?

8) Est-il possible d'améliorer encore la transparence et la responsabilisation en matière budgétaire ?

9) L'amélioration de la flexibilité pourrait-elle contribuer à maximiser les retombées des dépenses communautaires et la capacité de réaction politique du budget de l'UE ?

10) Sur quels principes le volet recette du budget devrait-il reposer et comment ceux-ci peuvent-ils se traduire dans le système des ressources propres ?

11) Est-il justifié de maintenir la correction ou les mécanismes compensatoires ?

12) Quelle devrait être la relation entre les citoyens européens, les priorités politiques et le financement du budget communautaire ?

Source : Commission européenne

B. UN CHANTIER ESSENTIEL AUQUEL LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DOIT PRENDRE TOUTE SA PART

1. Quels principes doivent présider à la réforme ?

Deux observations principales conduisent à penser que le budget européen n'a de « budget » que le nom. Sa structure, reposant sur une part toujours plus importante des contributions nationales au détriment des ressources propres, rend illusoire toute idée de budget autonome et indépendant des Etats membres.

En second lieu, les trois fonctions traditionnellement assignées au budget que sont la stabilisation conjoncturelle, l' affectation de ressources et la redistribution , sont inexistantes s'agissant du budget européen. La fonction de stabilisation est en effet davantage assurée par le pacte de stabilité et de croissance que par des mécanismes budgétaires, la fonction d'affectation demeure tributaire d'avancées sur la Politique européenne de sécurité et de défense, et celle de redistribution est essentiellement tournée vers le secteur agricole.

Partant, votre rapporteur spécial considère que le réexamen global doit prendre en compte les principes contenus dans les développements qui suivent.

a) La démocratie budgétaire doit être réaffirmée

Un budget dont les recettes et les dépenses sont déterminées par des autorités différentes n'est pas démocratique . Ce partage des rôles entre les Etats membres et le Parlement européen cumule en effet les inconvénients :

1) d'être incompréhensible pour les citoyens, à tous le moins quand ceux-ci ont connaissance de son existence, que le caractère « indolore » du prélèvement sur recettes tend à faire passer inaperçue ;

2) d'accréditer selon laquelle les Communautés européennes, dont la légitimité démocratique est déjà largement contestée dans l'opinion, bénéficieraient d'un « droit de tirage » sur la richesse nationale ;

3) d'entretenir la prédominance des intérêts nationaux sur la solidarité communautaire et les raisonnements en termes de « taux de retour ».

Par ailleurs, un budget sous plafond est pour votre rapporteur spécial un non-sens économique et politique, dans la mesure où ce ne sont pas les politiques publiques qui doivent être calibrées sur les moyens, mais les moyens qui doivent accompagner des politiques préalablement définies et acceptées.

b) Pour un impôt européen

Votre rapporteur spécial considère également que l'établissement d'un impôt européen est une perspective à étudier. Il constituerait un facteur de relégitimation de la démocratie budgétaire et atténuerait la perception du budget européen en tant que vaste instrument de redistribution.

Un tel impôt ne serait toutefois accepté qu'en étant affecté au financement d'une compétence spécifique de l'Union, que les Etats membres auraient préalablement transférée à celle-ci, de façon à ce qu'un éventuel impôt européen ne vienne pas in fine alourdir les prélèvements obligatoires et constitue un dispositif lisible pour les citoyens de l'Union.

L'impôt européen constituerait également une ressource :

1) plus incitative pour les agents économiques : une fiscalité écologique européenne (taxe kérosène), une ressource fondée sur les bénéfices ou des droits d'accise sur le tabac et l'alcool auraient respectivement pour avantage d'internaliser les coûts socio-économiques générés par la pollution, de supprimer les conséquences dommageables de la concurrence fiscale et d'affecter une ressource aux politiques de protection des consommateurs et de santé publique ;

2) plus autonome à l'égard des Etats membres, mettant fin aux raisonnements fondés sur le « taux de retour » et créant un lien plus direct entre les citoyens et les politiques de l'Union.

c) Pour un contrôle efficace de la dépense

Votre rapporteur spécial estime enfin qu'une saine démocratie budgétaire repose sur un contrôle efficace de la dépense , contrôle rendu difficile par la dispersion des crédits communautaires et la diversité des structures impliquées dans leur gestion, et que la modernisation des politiques communautaires et l'atténuation de la logique de guichet sont à ce prix.

La mise en place d'un « cadre de contrôle interne intégré » par la Commission européenne constitue à cet égard un indéniable progrès. Un rapport du 7 mars 2007 dresse en bilan favorable du plan d'action mis en oeuvre par la Commission le 17 janvier 2006 et relève en particulier :

1) une simplification des modalités de paiement et de déclaration des coûts ;

2) une amélioration de l'information sur les systèmes des contrôles et les résultats obtenus par les Etats membres, qui doivent produire un récapitulatif des contrôles des comptes et des déclarations disponibles, ainsi qu'une harmonisation de certaines procédures, notamment dans le cadre du 7 ème PCRD ;

3) la création de systèmes de partage d'information au sein de la Commission et la mise en oeuvre d'une évaluation du ratio coût/avantages des contrôles existants ;

4) la réduction des différentiels de niveau de contrôle entre secteurs, notamment grâce au renforcement des contrôles dans le domaine de la recherche.

Ces améliorations ne doivent toutefois pas dissimuler que deux conceptions du partage des responsabilités persistent , opposant les tenants 18 ( * ) d'une coresponsabilité entre la Commission et les Etats membres aux partisans d'une responsabilité exclusive de la Commission dans l'exécution du budget, assortie d'une coopération avec les Etats membres en matière de contrôle.

A cet égard, le mécanisme de déclaration annuelle d'assurance des Etats, défendu par la Commission et le Parlement européen 19 ( * ) , est contesté par la plupart des Etats membres au motif qu'il conduirait, en contradiction avec la lettre de l'article 274 du Traité CE 20 ( * ) , à un transfert de responsabilité de la gestion du budget communautaire de la Commission vers les ministres des finances des Etats membres. Votre rapporteur spécial considère pour sa part qu'en tant que gardienne de l'application des traités , la Commission ne saurait transférer l'intégralité de la responsabilité de la certification aux Etats membres.

Le renforcement de l'efficacité des contrôles impliquera enfin de trancher le débat sur le taux d'erreur acceptable dans l'utilisation des fonds et sur le bon rapport entre coûts et bénéfices de ces contrôles. Il est souhaitable que le débat interinstitutionnel annoncé par la Commission sur ce thème soit organisé sans tarder.

2. La France, qui présidera l'Union en 2008, doit prendre l'initiative

Votre rapporteur spécial observe que la position adoptée jusqu'à maintenant par la France à l'égard de ce réexamen global manifeste un certain retrait , notamment incarné par la crainte qu'il fasse voler en éclats des perspectives 2007-2013 considérées comme « sanctuarisées ».

A ce titre, il regrette de ce que les priorités de la présidence française annoncées par le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, le 28 août 2007 devant la 15 ème conférence des ambassadeurs, ne mentionnent pas explicitement la révision du cadre financier de l'Union.

Le « flou » volontairement entretenu par la décision des chefs d'Etat et de gouvernement en 2005, qui mentionne « 2008-2009 » comme horizon temporel au début de la réforme, ne doit pas servir de prétexte à des atermoiements qui pourraient conduire la France à subir plutôt qu'à orienter les débats.

* 16 0,10 % pour les Pays-Bas et la Suède, 0,15 % pour l'Allemagne et 0,225 % pour l'Autriche.

* 17 Au profit des Pays-Bas et de la Suède.

* 18 Royaume Uni, Pays-Bas, Danemark, Autriche et Suède.

* 19 Dans une résolution du 24 avril 2007, le Parlement européen a réaffirmé qu'il était « urgent d'introduire une déclaration nationale au niveau politique approprié couvrant l'ensemble des fonds communautaires en gestion partagée » , et incité les Parlements nationaux à se saisir de la question.

* 20 Qui dispose que « la Commission exécute le budget (...) sous sa propre responsabilité et dans la limite des crédits alloués, conformément au principe de la bonne gestion financière ».