B. Les conséquences culturelles

D'un point de vue culturel, les nouvelles techniques d'information et de communication :

•  offrent de nouveaux moyens d'expression et de diffusion ;

•  permettent d'élargir l'accès à la création et aux contenus ;

•  définissent ainsi de nouvelles relations entre les auteurs, les techniciens et le public ;

•  enfin, constituent un enjeu crucial à la fois pour le rayonnement de notre culture et pour la francophonie.

1. De nouveaux moyens d'expression et de diffusion

a) Les nouveaux outils

•  La possibilité de maîtriser des outils de création nouveaux, permettant l'élaboration de sons ou, dans un univers à 3 dimensions, d'images entièrement synthétiques permet aux auteurs de laisser totalement libre cours à leur imagination créatrice, de façon plus complète qu'autrefois.

•  L'informatique permet aussi de s'inspirer d'éléments préexistants (images, photos, musiques) pour les transformer en œuvres nouvelles : fictions à base de reconstitution en 3 dimensions d'animaux préhistoriques (film Jurassic Park ), d'animation de jouets ( Toy Story ) ou de personnages célèbres (d'anciens présidents des États-Unis, par exemple, dans le film Forrest Gump ). On se souvient de la Neuvième Symphonie de Beethoven reprise au synthétiseur dans Orange mécanique .

On peut désormais mêler fiction et réalité à l'écran de toutes sortes de façon : on peut reconstituer fidèlement des voix, animer et faire parler des statues, faire coexister des personnages dessinés et réels... et même cloner des acteurs !

Bien entendu, ceci interpelle la protection de la vie privée, le droit moral, le droit à l'image, les droits d'auteur. Il faut savoir que ceci existe et que des forces économiques, notamment les publicitaires ont pris des initiatives.

b) Le multimédia interactif

Les techniques numériques permettent :

•  de traiter informatiquement le multimédia (la production et la diffusion des médias) de façon à combiner beaucoup plus aisément le son, les images et le texte ;

•  d'accéder de façon interactive, c'est-à-dire en choisissant non seulement un programme ou un contenu, mais aussi la manière d'en prendre connaissance selon ses centres d'intérêt (angles de vue variés, détails supplémentaires à la demande en "cliquant" sur une souris d'ordinateur...) ;

•  un nouveau support est né, accessible en réseau ou hors ligne, le CD-ROM (disque compact optique dont la mémoire à semi-conducteur ne peut pour le moment qu'être lue ( read only memory ). Mais le temps où ceci peut devenir plus interactif n'est pas loin.

•  Les nouvelles techniques permettent aussi de rêver à la mise au point de "studios partagés" permettant au réalisateur, au producteur et à toute l'équipe de tournage d'intervenir à distance au même moment sur un film en cours de conception ou de réalisation.

2. Un accès élargi à la création et aux œuvres

a) L'accès aux moyens de créer

Les ordinateurs personnels augmentent leurs capacités de traitement de données ; il devient possible de s'en servir pour créer des œuvres multimédia.

Après avoir facilité le cinéma et la vidéo-amateur, le progrès technique démocratise ainsi la vidéo-informatique multimédia (prise de vue, montage, sonorisation, titrage, ajout de textes...).

En ce qui concerne cependant les applications "3 D" (en trois dimensions), c'est la visualisation qui gagnera d'abord le grand public. La création continuera vraisemblablement à nécessiter, pendant un certain nombre d'années, de puissantes stations de travail et de coûteux logiciels (voir plus loin). Leur prix toutefois baisse rapidement. Et la sensibilisation et la formation des publics concernés est une nécessité impérieuse.

D'ores et déjà, le grand public dispose déjà d'appareils de photographie numérique dont les images peuvent être tirées, manipulées, retouchées et stockées informatiquement.

Toutes ces applications peuvent faire l'objet d'échanges à travers les réseaux entre particuliers et/ou professionnels.

b) L'accès aux œuvres

Le développement de réseaux multimédia interactifs offre, à l'évidence, une opportunité d'élargissement de la diffusion de la culture en permettant à tous ceux qui le souhaitent, où qu'ils se trouvent, d'accéder économiquement à des musées virtuels, CD-ROM éducatifs ou autres ouvrages culturels...

3. Les relations entre les auteurs, les techniciens et le public

L'émergence de nouveaux moyens d'expression et de diffusion et la démocratisation de l'accès à la création et à la connaissance d'œuvres culturelles suppose l'établissement de nouvelles relations entre les techniciens, les auteurs et le public.

Les "techno-créateurs" jouent un rôle qui peut devenir de plus en plus important. L'interactivité met les œuvres davantage à la portée du public. Ce dernier voit s'enrichir ses moyens d'expression et de communication. Le créateur doit s'approprier les nouvelles techniques sans leur être asservi. S'il peut se faire aider de techniciens, il lui incombe de rester maître d'œuvre. D'où l'importance, dans ce domaine, des actions de sensibilisation et de formation.

Mieux éduqué, le public mesurera, pour sa part, la distance qui sépare sa propre expression de celle d'artistes véritables. L'interactivité ne doit pas, en effet, faire illusion, elle ne supprime pas la distance entre l'artiste et le public. Même si elle permet l'établissement d'une certaine connivence, elle est aussi une forme nouvelle de manipulation du spectateur par l'auteur.

4. Des enjeux cruciaux pour notre rayonnement culturel et pour la francophonie

a) Le rayonnement culturel de la France

Pour un pays comme la France, les nouveaux réseaux d'information et de communication représentent un moyen incomparable de valoriser son patrimoine (dont la richesse permet d'alimenter une production multimédia importante) et de faire rayonner sa culture à l'extérieur.

Il s'agit, d'autre part, d'un enjeu capital pour la communauté des pays francophones.

b) La francophonie

Le développement des autoroutes de l'information est parfois considéré comme un danger pour la langue française.

Près de 80 % des serveurs d'Internet sont localisés dans des pays de langue anglaise (64 % aux États-Unis et 13 % dans d'autres pays anglophones y compris en Europe).

En outre, la plupart des logiciels disponibles pour explorer le réseau des réseaux sont en anglais et méconnaissent les spécificités idiomatiques et graphiques de notre langue (notamment l'accentuation). La version française de Nestcape a ainsi, paraît-il, bien du mal à être opérationnelle.

Tout aussi préoccupant est le fait que l'usage des nouvelles techniques porte atteinte à la pureté même du français. Le langage utilisé par les informaticiens, par exemple, est fortement émaillé de termes anglais.

Un glossaire des termes recommandés de l'informatique vient d'être publié par la Commission ministérielle de terminologie compétente en la matière. Il est hélas incomplet et en retard sur l'évolution très rapide du jargon utilisé dans la pratique. Il n'empêche pas la presse (pas seulement spécialisée) de s'obstiner par exemple à préférer user de l'anglicisme groupware plutôt que du néologisme "collecticiel" pourtant très adéquat et explicite.

Ceci n'est évidemment que la traduction d'une suprématie technique américaine incontestable.

La contagion gagne, dans d'autres domaines, la langue de l'ingénieur (pourquoi utiliser "implémenter" plutôt que "développer" ou "mettre en œuvre" ?), puis le français courant ("supporter" au lieu de "soutenir", "vétéran" au lieu d'"ancien combattant", "conventionnel" au lieu de "traditionnel", etc...).

A mon avis, le développement des "inforoutes" devrait être considéré comme une chance plutôt que comme une menace pour la francophonie :

•  moyen de resserrer les liens entre pays francophones,

•  opportunité de créer un marché pour les contenus et les services francophones qui dépasse les frontières nationales,

•  instrument d'échange Nord-Sud et d'aide au développement,

•  contribution au maintien du français dans le pourtour du bassin méditerranéen, en Amérique du Nord...

Il est nécessaire de considérer la promotion du français sur les autoroutes de l'information comme un élément d'une défense plus large du multilinguisme, notamment européen. Il n'est pas interdit cependant de faire preuve d'une plus grande ambition en revendiquant pour notre langue un statut qui lui a été reconnu dans nombre d'instances internationales.

Les promoteurs d'Internet ont compris que l'extension, et plus tard la profitabilité des services en réseau, passaient par leur accessibilité en toutes les langues (cf. Business Week , du 1er avril 1996).

Il aurait pu être redouté que les contenus véhiculés par les réseaux subissent une uniformisation, mais ces derniers permettent de s'adresser, non seulement au plus grand nombre, mais aussi à des individus isolés, aux membres dispersés de diverses diaspora. Il peut donc en résulter autant une diversification qu'une standardisation des données transmises.

Ainsi, les enjeux des nouvelles techniques d'information sont considérables :

•  pour le rayonnement extérieur de notre culture (qui passe par la numérisation de notre patrimoine et la traduction de nos œuvres littéraires) ;

•  pour la survie, à l'intérieur de la francophonie, l'attrait, en dehors, et le maintien de l'intégrité de la langue française.

•  face à la tendance à la facilité, le glissement vers un basic american english généralisé, la France doit prendre la tête d'une croisade visant à développer, face à cette tendance, le recours à des langues riches, nuancées, enracinées dans leur culture autonome (y compris l'anglais de Shakespeare). La localisation, c'est-à-dire la transposition dans une langue et dans une culture locale d'un service ou d'un produit, devient une absolue nécessité pour la survie de la biodiversité culturelle. La France doit aider les sociétés de localisation. Or, l'une des plus importantes sociétés françaises de ce domaine vient d'être rachetée par une société américaine.

Les conséquences du développement des réseaux d'info-communication sont importantes, non seulement d'un point de vue économique et culturel, mais aussi au niveau social.