2. Réflexions pédagogiques

Ces quelques expérimentations très diverses (consultables sur Internet [64] ), mettent en évidence des préoccupations pédagogiques communes ; elles n'appellent pas, pour autant, des réponses identiques de tous les acteurs de ces projets.

• Une pédagogie de projet : c'est par la finalité d'un projet - avec l'ordinateur au centre - que l'apprentissage aux NTIC paraît le plus pertinent. Il ne faut donc pas partir de l'apprentissage technique mais de l'usage que les élèves peuvent en faire dans le cadre d'une finalité. C'est toute la différence entre un cours " informatique " et un enseignement recourant au multimédia. L'ordinateur est un outil pour acquérir des connaissances, il n'est pas un objet de connaissances.

Certains pédagogues réservent l'usage de l'ordinateur à des activités pour lesquelles il est strictement nécessaire : " A titre métaphorique, il ne viendrait à l'idée de personne de prendre l'avion pour traverser une ville. Chaque transport a son utilité spécifique que l'homme gère plus ou moins bien. Il doit en être de même pour les TIC. C'est peut-être la recherche d'une finalité qui doit contribuer à définir cette " niche écologique " dans laquelle les TIC se superposent aux autres formes d'apprentissages et de savoir. " [65]

Des remarques relatives à l'acte d'apprendre confirment ce jugement lié à l'organisation logique de l'enseignement des connaissances : l'outil multimédia permet d'offrir des cheminements multiples pour accéder à des connaissances. " La condition d'un bon apprentissage consiste donc à prendre en compte le but poursuivi par celui qui utilise l'outil multimédia. " 66

La fonction communicante est privilégiée : qu'il s'agisse de la réalisation de courrier électronique, de recherche documentaire sur les réseaux, ou d'édition de pages Web sur des sites Internet, ces trois fonctions sont au centre des pratiques pédagogiques actuellement relevées.

Cette finalité " communicante " amène les élèves à une utilisation plus complète de l'ordinateur et de l'utilisation du clavier pour un apprentissage incontournable de certains logiciels, notamment ceux de traitement de texte.

- La question du clavier : la première formation pratique envisageable est celle du clavier. Elle est de plus en plus recommandée par de nombreux acteurs du monde de l'éducation même si certains en craignent les contre effets. Certains pédagogues considèrent cette formation indispensable pour permettre aux élèves de " taper aussi vite qu'ils pensent " [67] . Il faut une vingtaine de séances d'une vingtaine de minutes pour acquérir une vélocité suffisante, surtout si les élèves ont ensuite un usage fréquent du clavier. Ce temps de formation n'est aujourd'hui pas intégré dans les programmes scolaires.

- Cette pédagogie de projet ne retient pas l'utilisation de l'ordinateur pour des exercices fondamentaux tels la dictée, les exercices de mathématiques, etc.

• Le métier d'enseignant : Le recours aux NTIC entraîne des modifications dans cette profession. Au lieu de délivrer un savoir devant des élèves, ceux-ci sont aidés pour apprendre à accéder, eux-mêmes, à des informations, qu'ils transformeront en connaissances, conseillés par l'enseignant. Cette évolution pédagogique crée une distinction importante : " L'Éducation nationale n'a jusqu'à ce jour fait que de l'enseignement. La question posée par les technologies consiste à mettre en oeuvre un système d'apprentissage, c'est à dire qu'il faut prendre le problème exactement à l'inverse : non plus seulement apprendre, mais apprendre à apprendre. Il faut développer les capacités d'adaptation, de recherche, d'analyse et de synthèse. " 68

L'outil informatique permet une individualisation de la pédagogie ; les logiciels mis en place favorisent le respect du rythme de travail des élèves ; le professeur peut mieux repérer les carences de certains. Pour les responsables du projet " Rescol " [69] , " l'enseignant (par l'utilisation des NTIC) s'occupe davantage des élèves qui ont besoin d'aide, soit ordinairement les plus faibles, alors que, dans la classe traditionnelle, il a tendance à s'adresser en priorité aux plus forts. "

Ces techniques utilisées dans le cadre scolaire n'entraînent pas la disparition du professeur même si, outre-Atlantique, cette hypothèse extrême prend appui sur l'enseignement à distance et l'usage personnel à domicile des cédéroms éducatifs. Le rôle de l'enseignant peut se transformer en une fonction plus intéressante : aucune machine ne pourra spontanément " s'adapter au sujet apprenant ". [70]

Toutes les méthodes actuelles ne vont pas disparaître. Les pédagogues sont unanimes : on apprendra toujours à écrire avec un stylo, à faire des dictées ou du calcul mental. L'informatique devient seulement un outil complémentaire permettant d'organiser la classe (école) ou les cours (collèges et lycées) de façon différente, en laissant des temps d'autoapprentissage et de recherches documentaires aux élèves.

• L'organisation de la classe : le concept de " salle " de classe devient inadapté à l'utilisation des moyens multimédia :

- il est pratiquement impossible aujourd'hui de disposer d'un ordinateur par élève ;

- le travail d'équipe est à valoriser ;

- des expériences d'élèves connectés en réseaux démontrent la pertinence d'une approche pluridisciplinaire.

Des élèves dialoguant avec d'autres élèves situés à l'étranger sur un thème choisi en commun, la comparaison des climats, les amène à travailler des questions de géographie, de sciences naturelles, de langues... Cette pluridisciplinarité de plus en plus nécessaire remet en cause le découpage par " horaire " et par " matière " dans les collèges et lycées. Ces deux aspects constituent un changement dans des classicismes quasi irréductibles : ce sont des sources de résistances dans un système éducatif organisé de façon pyramidale.

• À cet aspect pédagogique, s'ajoutent des réflexions ergonomiques :

- Dans quel lieu les élèves accéderont-ils à l'ordinateur ?

- Y en aura-t-il dans toutes les classes, au fond de la salle ?

- Quel est le nombre optimal à envisager ?

- Quelle contribution des centres de documentation et d'information (CDI) ou des bibliothèques-centres de documentation (BCD) pour favoriser l'accès aux ordinateurs, notamment dans le cadre de recherches documentaires ?

Sur ces questions, essentielles à une bonne intégration des moyens de communication, les propositions sont parfois contradictoires.

Faut-il privilégier l'ordinateur dans la classe : un seul ordinateur ? Plusieurs ? Au moins quatre, avec certains multimédias ?

Une salle multimédia équipée de 10 à 20 ordinateurs est-elle préférable, offrant ainsi la possibilité à tous les élèves d'une classe de travailler simultanément en étant deux par machine ?

La salle multimédia présenterait-elle le danger d'encourager à une formation " informatique " trop éloignée des usages ?

Aurait-elle pour inconvénient de réduire le recours à une activité trop exceptionnelle ?

Une salle de 15 ordinateurs pour une école (huit dix classes) pour l'apprentissage par deux élèves par ordinateur ? 2 ou 3 ordinateurs et un communiquant en fond de classe pour usage. 2 ou 3... en attendant l'ordinateur personnel sur son pupitre .

Les propositions de réponse semblent dictées par une conscience avouée de la pénurie budgétaire plus que par des raisons pédagogiques (cf. infra 4.).

• Les conséquences induites pour les élèves : c'est l'un des enjeux les plus déterminants pour l'élaboration d'une pédagogie pertinente, adaptée à l'outil multimédia.

Les capacités de répétition de la machine, d'auto-correction entraînent une modification dans la correction d'erreurs ; les vertus pédagogiques de cette innovation technique ne seraient plus à démontrer. Jusqu'alors, la relation avec le professeur s'inscrit dans des comportements découlant du rapport adulte / enfant : " L'enfant cherche souvent à savoir ce que l'adulte attend de lui, ce qui constitue très souvent un élément d'inhibition . " [71] L'atténuation du sentiment de culpabilité devant les fautes grâce à l'ordinateur semble devenir une constante : " Dans la pédagogie traditionnelle, l'erreur est sanctionnée par l'adulte et il se crée un climat d'anxiété chez l'élève. Or, dans cette situation nouvelle , l'erreur devient source de recherche personnelle : l'élève est mis dans la situation de pouvoir se corriger lui-même... " [72] . Tous les observateurs mentionnent, avec insistance, l'intérêt de la réactivation de la pédagogie par l'erreur grâce aux logiciels d'autocorrection.

Pour la plupart des observateurs, l'utilisation de l'ordinateur valoriserait l'enfant, la machine développant son autonomie. " L'utilisation régulière de l'ordinateur n'a pas seulement donné aux élèves (...) une compétence technologique ; elle les a habilités aussi à devenir des producteurs de connaissances. " [73] L'ordinateur utilisé en groupe (deux ou quatre élèves, selon les expériences) développerait les capacités d'attention des enfants, de tolérance, de respect mutuel et de communication entre eux. La réalité d'un " plaisir " dû à la machine n'est pas un élément négligeable en faveur de la présence de l'ordinateur à l'école : si l'enfant trouve satisfaction à son usage, il a toutes les chances d'accéder à des données dont il tirera profit pour l'acquisition des savoirs de base d'abord, puis d'élargissements de leurs contenus comme de leurs diversités.

Les relations entre enseignants. L'enjeu de la pluridisciplinarité influe sur les contenus pédagogiques et sur la qualité des relations des enseignants entre eux. Les informations sur ces sujets sont encore rares comme le sont d'ailleurs les enseignants sur le réseau ; ils ne sont pas toujours incités à s'y inscrire, certaines sources documentaires (CNDP, INRP) ne leur étant pas toujours accessibles. [74]

L'absence, volontaire ou justifiée, d'intérêt pour les initiatives pédagogiques innovantes, une capacité d'inertie de l'encadrement professionnel de l'Éducation nationale, ne doivent pas être négligées, même si elles ne sont pas généralisées. L'organisation des enseignements par discipline est contrebattue par la facilité de pratiques pluridisciplinaires : cette mise en question d'habitudes ancestrales n'aurait pas l'aval des inspecteurs généraux et académiques. La pluridisciplinarité n'est pas encore validée, trop peu d'inspecteurs, garants des programmes, favorisant les pratiques innovantes. Les programmes sont particulièrement pauvres en contenu à cet égard. [75]

- Des spécificités selon les matières enseignées. Les moyens multimédia sont aujourd'hui réellement développés dans les enseignements techniques et professionnels (secrétariat, ingénierie...). Ils le sont davantage encore dans la fonction informatique pure (ordinateur) et non pas dans la fonction communicante (réseau interne ou externe) ou multimédia (cédérom). Du fait de logiciels particulièrement bien adaptés le recours au multimédia est plus fréquent pour l'enseignement des langues étrangères, l'âge pertinent pour leurs apprentissages en est mis au coeur d'un débat. Les matières scientifiques peuvent également avoir recours à l'ordinateur comme un moyen de démonstration visuelle (sciences de la vie, de la nature physique, chimie) ; cette approche particulière est suggérée par les enseignants de ces matières en pratique ; on enseigne aux jeunes les prémisses des méthodes expérimentales [76] .

• Le rapport à l'information. Cet enjeu majeur ne relève pas d'une formation technique. L'ordinateur communicant a, essentiellement, pour but de favoriser l'accès à des documents multiples. Comment analyser la nature de l'information ainsi disponible, comment juger de sa pertinence ? Monsieur THÉRY, Président de la Cité des Sciences et de l'Industrie, revendique une rigueur nécessaire à cet égard ; les responsables du CLEMI essaient de former élèves et enseignants à l'analyse du contenu en travaillant sur le message plus que sur le support [77] . La nature du message est à l'origine de problèmes entre scripteurs et lecteurs. " Pour le texte, il n'y a pas beaucoup de problème ; le code est reconnu, c'est l'écriture. Pour les images, c'est déjà plus complexe. On ne peut jamais être sûr que ce que l'on voit est vu à l'identique par les autres. C'est encore plus vrai des sons... En réunissant des compétences multiples, on a beaucoup plus de chance de faire émerger un sens critique. " [78] Une pédagogie adaptée à l'image et au son est encore à inventer ; Mme LE COZ l'appelait une grammaire de l'image, Edgard PISANI une imago-pédagogie [79] .

Dans ce contexte de résultats déjà connus, les acteurs du système éducatif engagés dans ces innovations pédagogiques insistent sur la nécessité de mesures plus globales ; sans incitation, voire obligation [80] , les pesanteurs risquent de freiner encore longtemps l'introduction d'outils dont la pertinence semble démontrée, en France et, plus encore, dans de nombreux autres pays.

Relevé des principales observations contenues

sur le serveur pédagogique Rescol

- Le potentiel des nouvelles technologies est immense, mais de multiples conditions sont requises pour que ce potentiel devienne réalité dans les classes et les écoles.

- L'apprentissage des élèves dépend de la connaissance que les personnes qui utilisent une nouvelle technologie ont de cette technologie et de leur habileté à en tirer profit. Constat s'appliquant essentiellement aux enseignants : cet accent mis sur un corpus de connaissances requis au préalable par l'enseignant tranche avec les approches antérieures.

- Les technologies nouvelles ont le pouvoir de stimuler le développement des habiletés intellectuelles telles que la capacité de raisonner, de résoudre des problèmes, d'apprendre à apprendre, à créer.

- Non seulement les technologies permettent aux élèves d'avoir accès à une gamme plus étendue de ressources didactiques, mais elles leur offrent en outre l'occasion d'apprendre à utiliser des outils électroniques pour obtenir de l'information et développer des habiletés de recherche à partir des technologies mêmes qu'ils auront à employer dans le futur.

- Les progrès constatés en composition chez des élèves ayant recouru aux NTIC sont conservés s'ils retournent aux outils classiques ; ils ont notamment pris l'habitude de la correction et peuvent se concentrer de ce fait davantage sur leur travail, fut-il strictement manuscrit.

- La plupart des élèves manifestent un intérêt spontané plus grand pour une activité d'apprentissage qui fait appel à une technologie nouvelle qu'aux approches coutumières en classe ; les élèves ont toujours hâte qu'arrive leur tour d'utiliser un ordinateur.

- Les élèves aiment être en compétition avec eux-mêmes. Ils sont heureux d'aborder de nouveaux sujets dans un environnement qui ne les menace pas et ne les juge pas.

- L'utilisation régulière de l'ordinateur n'a pas seulement donné aux élèves du projet une compétence technologique ; elle les a aussi habilités à devenir des producteurs de connaissances.

- L'utilisation de nouvelles technologies favorise la collaboration entre élèves d'une même classe ou classes d'écoles différentes, proches ou lointaines, à des fins de sensibilisation à d'autres réalités, d'accès à des connaissances pertinentes non strictement définies à l'avance et de réalisation de projets ayant une portée réelle pour les élèves eux-mêmes et, éventuellement, d'autres personnes.

- L'utilisation que l'on a faite de la technologie n'a pas isolé les élèves les uns des autres mais a, au contraire, multiplié les relations entre eux. (apprentissage de l'interaction sociale !).

- Les liaisons non linéaires entre éléments d'information rendent possible l'examen d'une question selon de multiples perspectives, ce qui permet aux élèves d'organiser leur savoir d'une manière qui en facilite la rétention et le transfert.

- Dans une étude, Riel montre que le fait d'écrire une histoire pour un public bien réel dans le cadre d'un système de communication informatique, plutôt que pour les fins de réussite scolaire seulement, améliore la qualité du texte produit.

- Lorsque l'enseignant utilise l'ordinateur pour son enseignement, il est amené à travailler avec des petits groupes d'élèves ou chaque élève individuellement plutôt qu'avec toute la classe en même temps. Il en arrive ainsi à se faire une idée beaucoup plus précise et réaliste de ce que les élèves comprennent et ne comprennent pas.

- L'enseignant s'occupe davantage des élèves qui ont besoin d'aide, soit ordinairement les plus faibles, alors que, dans la classe traditionnelle, il a tendance à s'adresser en priorité aux plus forts.

- Dans un contexte où les technologies nouvelles jouent un rôle important, (les) enseignants (...) envisagent de moins en moins le savoir comme un ensemble de connaissances à transmettre et de plus en plus comme un processus et une recherche continus dont ils partagent avec les élèves les difficultés et les résultats.

- L'apprentissage devient de " haut niveau " , en ce sens que les élèves utilisent leur savoir pour analyser, comprendre, et résoudre des problèmes plutôt que pour se rappeler simplement les faits.

- Alors que, maintenant, en principe au moins, les élèves apprennent tous la même chose de la même manière en même temps, les nouvelles technologies rendent possibles et naturels des apprentissages différents selon les élèves.

- En permettant de retracer rapidement les divers cheminements d'apprentissage empruntés par un élève, les nouvelles technologies facilitent la détection par l'enseignant ou l'enseignante des points forts de cet élève, de même que des difficultés qu'il rencontre ou de ses apprentissages préalables erronés ou mal assimilés.

•  Quelle est l'approche du ministère de l'Éducation nationale face à ces réflexions ?

Le rapport d'étape du nouveau contrat pour l'école fait une mention brève de l'utilisation des nouvelles technologies. D'une part, la production de logiciels selon la procédure de licence mixte est encouragée. 100 000 logiciels font ainsi l'objet d'un achat par les établissements scolaires chaque année. D'autre part, un système d'aide à la production de programmes éducatifs audiovisuels visant à faciliter l'utilisation par les établissements de produits libres de droits a été développé. 22 projets ont été retenus représentant 112 heures de diffusion.

Un chapitre de ce rapport d'étape est intitulé " apprendre à apprendre ", aucune mention n'est faite de l'ordinateur pour ce mode nouveau d'apprentissage.

Certes, des documents internes sont accessibles sur le serveur Internet du ministère de l'Éducation nationale ; ils émanent de la direction des technologies nouvelles et présentent des objectifs plus concrets et une volonté plus clairement affirmée en faveur des NTIC :

" A travers le présent projet, le ministère vise à mettre à la disposition de tous les élèves et les enseignants les nouveaux outils et services liés aux autoroutes de l'information. Il s'agit en particulier :

- de faciliter l'accès des enseignants aux ressources multimédia extérieures à l'établissement, réparties sur les grands réseaux de communication nationaux et internationaux ;

- de favoriser la communication entre les classes et la prise en compte, à travers des échanges linguistiques et culturels, de la dimension européenne dans l'enseignement ;

- de favoriser le développement de nouvelles méthodes de travail s'appuyant sur le travail coopératif et la mise en commun de ressources et de compétences entre les établissements ;

- de favoriser le développement de téléservices : téléassistance technique et pédagogique, téléenseignement, téléformation... ;

- de faciliter la diffusion des pratiques pédagogiques s'appuyant sur les technologies nouvelles et des productions pédagogiques locales, académiques et nationales. " [...]

" Les perspectives de généralisation. L'utilisation des nouvelles technologies de la communication dans l'enseignement impose une modification des méthodes de travail des enseignants et plus globalement, une modification du mode de fonctionnement des établissements scolaires et du système éducatif. C'est un travail à long terme qui est engagé à travers ce projet. Des résultats encourageants sont perceptibles : ils ne doivent cependant pas laisser penser que les mutations pourront s'effectuer sans effort, à tous les niveaux du système. Des mesures d'accompagnement sont nécessaires ; elles concernent à la fois l'équipement des établissements qui reste insuffisant, la formation initiale et continue des enseignants, les dispositifs de communication dont les coûts restent encore trop importants pour beaucoup d'établissements. "

Analyse pertinente, exacte... suivie d'aucune réelle initiative pratique. Le Ministre a cependant fait part d'une orientation clairement précisée devant l'Office :

" Les bilans des grands plans d'équipement (plan informatique pour tous de 1985 ou plan " vidéo collège ") ont mis en évidence des faiblesses. [...] S'appuyant sur ces résultats, le ministère privilégie désormais la généralisation des usages par une triple action :

" 1. développement des réseaux numériques et des usages pédagogiques qui s'appuient sur ces réseaux ;

" 2. effort important sur l'information et la formation des personnels (cadres du système, personnels enseignant et administratif ), les chefs d'établissement et les jeunes enseignants constituant des cibles privilégiées ;

" 3. soutien de la production et de la diffusion de ressources pédagogiques de qualité.

" Il n'est donc pas dans l'intention du ministère de proposer un projet de loi spécifique sur les nouvelles technologies d'information et de communication puisque l'objectif est de mettre ces technologies au service des missions du système éducatif et donc d'en banaliser leur utilisation.

" S'il revient au niveau national de fixer les grandes orientations et leurs conditions d'évaluation, de prévoir le cadrage des négociations avec les grands opérateurs, et d'assurer la cohérence des actions des secteurs préélémentaire, élémentaire, secondaire et supérieur, c'est le niveau académique qui est pertinent pour mettre en oeuvre le développement de ces technologies. " 81

Ces engagements rappelés, les objectifs pédagogiques entrant dans les programmes scolaires ne sont pas pris en compte : toute évolution significative dépend pourtant d'une affirmation forte concrétisée par des programmes.

Une certaine contradiction existe entre un discours officiel la parole du ministre, et les textes publiés au B.O. et la volonté de mise en application affichée par une direction importante du ministère de l'Éducation nationale d'une part, et les acteurs de terrain impliqués dans des projets pédagogiques d'autre part. Quelles incidences sur le rôle et l'organisation interne de l'Éducation nationale ?

L'émergence d'initiatives venant d'écoles, de collèges et de lycées dispersés sur le territoire national et, face à cela, l'apparente indifférence des responsables nationaux du système éducatif, pose la question d'un changement fort, si ce n'est radical, dans l'organisation interne et centralisée de l'Éducation nationale. L'anecdote prétendant que Ferdinand BUISSON tirant sa montre de son gousset aurait dit : " Il est huit heures, tous les enfants de France sortent leur cahier et l'ouvrent à la page de l'instruction civique " , semble bien datée d'une époque révolue.

Ce mode d'organisation pyramidale -certes caricaturé par ce propos néanmoins historique- était exemplaire d'une conception colbertiste toujours bien vivante : tous les conseils, tous les ordres, toutes les directives venaient d'en haut pour s'appliquer uniformément à tous, imposant les horaires comme les contenus pédagogiques. En langage moderne et technique, donc en anglais, on baptise ce mode organisationnel de " technology-pull ".

Maintenant, à partir des initiatives multiples et pertinentes qui sont apparues à l'échelon local, ne peut-on favoriser un courant conceptuel inverse venant de réalisations localisées pour émerger de façon nationale, dans le souci toujours essentiel de garantir l'égalité des chances entre tous les élèves ? Une telle approche saura-t-elle émerger effectivement en évitant les contraintes trop uniformisantes ? En langage encore technique, on dénomme une telle approche comme étant de type " bottom up " ou " demande pull " ?

Peut-on espérer une convergence syncrétique entre ces deux approches conceptuelles radicalement différentes ? Il serait opportun d'inviter l'ensemble des partenaires du système éducatif à y songer, à rechercher les modalités d'une conception française modernisée de l'organisation administrative de la pédagogie. Une telle démarche permettrait probablement de favoriser l'émergence d'objectifs pédagogiques similaires sans pour autant contraindre les enseignants à des méthodes strictement identiques [82]