II. LIEUX D'EXERCICE D'UNE CITOYENNETÉ

La France métropolitaine compte plus de 36 000 communes, 95 départements et 22 régions ; le développement de l'intercommunalité a transféré des responsabilités communales à des structures de coopération au nombre de huit, avec des règles propres de création et des modalités de fonctionnement spécifiques : SIVU, SIVOM, districts, communautés urbaines, syndicats d'agglomérations nouvelles, communautés de communes, communautés de villes et syndicats mixtes.

En 1995, on recense 318 districts, 10 communautés urbaines, 9 syndicats d'agglomérations nouvelles, 894 communautés de communes et quatre communautés de villes, 1 235 groupements à fiscalité propre regroupant 13 539 communes, soit près de 40 % du total des communes.

Les membres des conseils des communes, des départements et des régions sont élus au suffrage universel direct, les membres des autres structures politiques de gestion sont désignés par les conseils municipaux concernés. À noter que les élus qui siègent aux conseils de région sont désignés sur des listes départementales.

Si tout citoyen peut connaître les conseillers élus directement, s'il peut retenir les prérogatives pour lesquelles il les a désignés, il est très rare qu'il connaisse les membres désignés pour siéger dans les structures intercommunales et encore moins leurs prérogatives.

Un choix communal peut facilement devenir inacceptable pour la réussite de projets intercommunaux sans que le citoyen électeur en soit informé.

À cet ensemble infra-national s'ajoute la participation électorale pour désigner des députés au suffrage universel direct et des sénateurs au suffrage universel indirect ainsi que des membres à l'Assemblée européenne sur des listes nationales.

Pêle-mêle, imbroglio de structures et d'élus aux fonctions différentes, à l'origine possible de choix de réalisations ou de simples gestions contradictoires ! Comment un honnête citoyen peut-il donner une cohérence politique à ses votes successifs ? " Quelles sont les limites de son ou de ses jardins civiques ", formule évocatrice de Jean GLAVANY. Pour l'instant il s'ensuit une réaction d'irritation et d'incompréhension lors de la réception de sa feuille d'impôt : ne sachant à qui en imputer l'augmentation, il choisit le maire comme responsable !

Plus important est de chercher à dégager les incidences, positives ou non, de la percée fulgurante des Nouvelles Techniques d'Information et de Communication, de cette intrusion du numérique, des réseaux et plus particulièrement du réseau mondial Internet dans les comportements civiques de chaque jour. " Toute la vie politique, économique et sociale est en train de se réorganiser autour de la logique des réseaux et de la production immatérielle, qui est aux antipodes de la logique des territoires et de la production matérielle qui guidait l'humanité depuis son apparition " 116 .

Comment, dès lors, lutter contre la désaffectation à l'égard du système représentatif dans un pays comme le nôtre, face à une situation qui se complique de plus en plus, politiquement comme administrativement ?

On a souvent présenté l'insuffisante décentralisation du pouvoir comme une des causes de la faible participation effective des citoyens. Sans doute vraie dans le passé, cette analyse a vieilli depuis quinze ans, au fur et à mesure de l'affirmation des pouvoirs locaux. Désormais, c'est la multiplicité des niveaux de décision d'une part, l'abondance des structures de regroupement d'autre part, qui frappent.

Les préoccupations de presque tous les gouvernements depuis plusieurs décennies se sont limitées à des tentatives pour améliorer les relations entre les usagers et les services publics. La SNCF l'a fait par l'idée originale d'effacer la personnalité des agents chargés d'informer le public en les contraignant à se faire identifier par un numéro matricule ! Depuis 1984, tous les gouvernements, à l'exception de celui par M. Édouard BALLADUR ont comporté un ministre chargé de la réforme administrative.

•  Gouvernement de Laurent FABIUS (1er juillet 1984 - 20 mars 1986) : Secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la Fonction publique et des simplifications administratives ;

•  Gouvernement de Jacques CHIRAC (20 mars 1986 - 10 mai 1988) : Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de la Réforme administrative ;

•  Gouvernement de Michel ROCARD (10 mai 1988 - 15 mai 1991) : Ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives ;

•  Gouvernement d'Édith CRESSON (15 mars 1991 - 2 avril 1992) : Ministre de la Fonction publique et de la Modernisation de l'Administration ;

•  Gouvernement d'Alain JUPPÉ (17 mai - 7 novembre 1995) : Ministre de la Réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Citoyenneté ;

•  Gouvernement d'Alain JUPPÉ (7 novembre 1995 - 2 juin 1997) : Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation ;

•  Gouvernement de Lionel JOSPIN (4 juin 1997) : Ministre de la Fonction publique, de la Réforme de l'État et de la Décentralisation.

Dès 1981, la notion de " nouvelle citoyenneté " a fait partie du langage politique gouvernemental : Pierre MAUROY, Premier ministre, lors de sa déclaration de politique générale devant le Parlement a annoncé l'avènement d'une " France responsable " et ses effets : " rendre l'État aux citoyens serait bâti sur cette nouvelle citoyenneté ".

Il entendait établir, au sein du Parlement, de nouveaux rapports entre majorité et opposition, entreprendre la réforme de la justice, conférer un nouveau rôle à la police, garantir aux citoyens, le droit à une information complète et pluraliste par des réformes de l'audiovisuel. Pour rendre l'État aux citoyens, il engagerait " une décentralisation de l'État offrant à la démocratie quotidienne, partout où ce sera possible, de nouveaux espaces de liberté et de responsabilité ".

Le mouvement associatif serait le support privilégié de la nouvelle citoyenneté, en particulier pour la mise en valeur du temps libre.

Beaucoup de ces réformes de structures -la décentralisation, la transformation de la justice, la modernisation du statut de l'audiovisuel... - sont réalisées : les rapports entre les citoyens et la " chose publique " ne sont pas changés et restent conflictuels ou inexistants !

Dans un premier rapport du Commissariat à la réforme de l'État créé par décret du 13 septembre 1995, le constat est peu optimiste : " la décentralisation a été très fortement modifiée, " l'Administration de la République déplaçant le " curseur de la décision publique " au profit des collectivités territoriales " l'État, en définitive, et de façon surprenante, n'a été que peu touché par cette importante réforme. De même, l'État national ne s'est guère transformé du fait de la construction européenne " . La Commission souligne " un allongement néfaste des procédures, un alourdissement des coûts brouillant la compréhension qu'ont nos concitoyens des responsabilités respectives des différents acteurs publics, ce qui n'est pas sain pour le bon fonctionnement de la démocratie " .

Ce débat sur la citoyenneté, nouvelle ou non, reste au centre des préoccupations politiques. La récente campagne pour les élections législatives l'a confirmé. Les candidats, la presse ont souhaité une " campagne électorale citoyenne plus proche des préoccupations des électeurs ". Au cours de son intervention télévisée et radiodiffusée du 27 Mai, le Président de la République a affirmé la nécessité " d'inventer une nouvelle méthode de gouvernement proche des Français, à l'écoute de leurs attentes et de leurs difficultés, une méthode qui passe par davantage de dialogue, qui exige une démocratie modernisée ".

La veille, M. Lionel JOSPIN, en réunion publique, à Villeurbanne plaide pour " une autre conception de l'État, qui n'est pas une propriété " , pour une autre conception de la citoyenneté.

Pour M. J.-M. THENARD, dans Libération , l'heure serait venue d'un Premier ministre " citoyen " d'un gouvernement qui en serait le prolongement dans sa forme et sur le fond ; " le gouverner citoyen n'est pas qu'une question de sexe. C'est d'abord une question de style et de méthode [...] une gauche qui n'inventerait pas une nouvelle méthode de gouvernement décevrait rapidement ".

Guy HERMET pousse plus loin l'analyse : " Partout dans les sociétés industrielles où les politiciens feignent de s'interroger sans trêve sur les besoins, les sentiments et les émotions des populations qu'ils gouvernent, le martèlement quotidien des sondages a remplacé les acclamations ou la sanction des élections partielles. En bref, l'époque des discours fastidieux dans les préaux d'écoles est dépassée. Il faut maintenant montrer que la politique est un délassement, prouver que le sévère débat démocratique s'est transformé en loterie à domicile ; à la limite, anticiper sur l'avènement d'une télédémocratie branchée sur Internet, où chacun opinera sur les affaires en cours sans avoir à se déplacer vers un bureau de vote. Cette proximité apparente aurait du bon si elle relançait la participation démocratique. Il n'en est rien malheureusement " 117 .

Internet ou pas, la " libre communication de la pensée et des opinions " érigée en principe des Droits de l'Homme, nargue les frontières comme DIDEROT qui, dans sa lettre sur le commerce de la librairie, rédigée vers 1763, prévoyait la perméabilité des frontières les mieux gardées devant la diffusion des idées nouvelles.

Armand MATTELART [118] rappelle les prophétiques spéculations des possibles usages civils du télégraphe-optique inventé par les frères CHAPPE. Des révolutionnaires précurseurs suggéraient de multiplier les lignes, de libérer leur langage codé et permettre à tous les citoyens de France de se " communiquer leurs informations et leurs volontés ". C'était Internet avant l'heure ou l'Agora grecque retrouvée à l'échelle nationale! L'objection de J.-J. ROUSSEAU contre la possibilité des " grandes républiques démocratiques " aurait volé en éclats ! Très tôt, les esprits inventifs et prophétiques ont pressenti que la technique de communication à longue distance pouvait avoir un rôle de garant d'une démocratie rénovée, propriété du peuple citoyen, à moins qu'elle n'en soit facteur de dérives. Une quinzaine d'années plus tard, l'usage du télégraphe électrique (1837) est autorisé au public.

" Partout dans les pays riches, la quête de l'épanouissement personnel a cessé de trouver son exutoire dans les idéologies [...] partout cette quête s'est tournée vers les " espaces de liberté " offerts par les mouvements de protection de l'environnement, les cercles féministes ou de défense des minorités sexuelles, culturelles et ethniques, les organisations humanitaires ou de lutte pour les droits de l'homme, les associations locales ou de quartier, mais surtout pas dans celles qui affichent leur vocation partisane. [...] Le nouveau civisme traduit une recherche de valeurs authentiques [...] et se veut apolitique, comme s'il risquait de se dévoyer autrement, en oubliant bien sûr que la démocratie aussi bien que la citoyenneté dont il se réclame ne peuvent qu'être avant tout politiques " 119.

Face à cette réalité, la responsabilité des parlementaires, des gouvernements n'est-elle pas de créer les conditions d'un recours aux NTIC pour qu'elles contribuent à un renforcement de la citoyenneté ?

Peuvent-elles aider à dépasser une situation caractérisée par les difficultés, les impossibilités même, de dialogue constant entre électeurs et élus hors des campagnes électorales ? Entre citoyens et gouvernants ?

Sans être une solution miracle, ni même parfaite, les NTIC ne pourraient-elle participer à l'avènement d'une société lieu d'échanges et de paroles entre tous ?

Ne seraient-elles qu'outils aggravant cette malédiction de fractures culturelles, sociales, économiques et politiques ?

" Il ne faut pas avoir peur des mots : les télécoms, à travers Internet et les réseaux sont en train de nous faire entrer dans une nouvelle civilisation. Se profile à l'horizon du XXIe siècle, une révolution de nos pratiques politiques, sociales, techniques, marchandes, de loisirs, administratives, intellectuelles et culturelles : tout ce qui fait une civilisation.

C'est l'ensemble de la condition humaine qui va se trouver modifier par les réseaux, l'ensemble de la société qui va devoir se réorganiser. On ne peut plus aujourd'hui penser ni l'action publique, ni l'égalité des chances, ni le travail, ni l'éducation, ni le commerce, ni la protection sanitaire, ni le gouvernement des hommes comme on le pensait avant l'invention d'Internet ". [120]

Des exemples récents d'utilisations des nouvelles technologies en direction des citoyens se multiplient : un inventaire permettra d'avoir un premier regard sur leur intérêt, leur rayon d'action comme leur valeur exemplaire.

1. Les collectivités locales sur le Web

A l'initiative de la Commission européenne, un rapport sur l'accessibilité et l'utilisation des systèmes d'information et de communication [121] , signale un retard, en France, du nombre d'autorités locales présentes sur Internet : 1 887 pour 2 924 en Allemagne mais 885 au Royaume-Uni ; 137 collectivités locales françaises disposent d'un site Web pour respectivement 355 en Allemagne et 110 au Royaume-Uni.

D'après ce rapport " les autorités locales européennes utilisent ces systèmes pour fournir des services locaux à peu de frais et pour attirer davantage de touristes. Nombre d'entre elles cherchent également à étendre et à consolider leurs activités économiques en entrant en contact avec leurs homologues européennes. Plus de 600 autorités locales disposent déjà d'un site sur le " World Wide Web " pour fournir aux citoyens des informations en temps réel sur les services locaux, les infrastructures et les manifestations et actualités locales, renseignements sur le club de football local, offres spéciales dans les commerces, compte rendu des débats du jour du conseil municipal concernant la nouvelle réglementation du stationnement, annonce d'une exposition à la maison communale, etc. "

Les informations sur les associations, sportives, de parents d'élèves ou autres servent leur développement ; celles sur les décisions du conseil municipal éclairent les citoyens ; les unes et les autres stimulent la démocratie locale. D'autres, publicitaires et économiques, sont utiles aux commerçants, aux hôtels etc.

Ce n'est que le début " d'une prise de conscience " estime la Commission.

Peu de collectivités ont des sites créateurs d'espaces de démocratie locale ou stimulant les débats. La mise à disposition de débats lors des séances de conseil municipal comme des décisions délibérées reste une exception. L'adresse électronique des autorités locales n'est pas un signe de démocratie dynamique suffisant. Inviter à découvrir la ville de Lyon : " en famille, épicurien, amoureux ou businessman ", non plus. Informations sur la vie quotidienne, sportive, culturelle, commerciale et surtout touristique témoignent seulement d'une connaissance de ce réseau et de sa possible efficacité.

Avant Internet, Montigny-le-Bretonneux, s'était dotée d'un service Minitel (3615 VILUTIL). Elle a, aujourd'hui, ouvert un serveur Web performant, diffusant, à destination des habitants, de nombreuses informations relatives à la ville (www.mairie-montigny.78.fr).

Athis-Mons propose l'exercice de la " citoyenneté athégienne " [122] nouvelle manière, en offrant sur son site sur Internet (www.mairie-athis-mons.fr) un support aux multiples aspects de cette citoyenneté : vie associative, conseil municipal d'enfants, jeunesse, solidarité entre les générations, réunions de quartier, université du temps libre et du citoyen, jumelages. Il informe des liens entre des forums thématiques, ouverts à tous et les préoccupations des habitants. " Les sujets proposés seront en rapport avec vos préoccupations quotidiennes, la vie de nos cités et banlieues, les grandes questions de notre temps. Ils doivent être l'occasion d'échanger des points de vue, de dialoguer, de débattre où de nous enrichir chacun de l'opinion d'autrui " . Le premier thème de l'année 1997 portait sur la question suivante : " Internet peut-il contribuer au progrès social dans une planète ouverte aux échanges ? "

Pour J.-P. BRARD, maire de Montreuil-sous-bois, Internet permet effectivement de faciliter les échanges d'information avec les administrés et d'améliorer les services rendus, " pour mieux impliquer les gens dans la vie collective, accroître les solidarités ".

Outil de communication locale, Internet l'est certes, mais seuls " quelques élus pionniers ont déjà compris tout son intérêt " Annie KAHN [123] .

Quelques collectivités locales, Saint-Agrève en Ardèche, Marly-le-Roi, dans les Yvelines, transmettent par courrier électronique leurs documents administratifs aux administrations concernées : gain de temps, économie de frais postaux, réduction des dépenses de déplacement en découlent.

Trop rares sont les collectivités locales où Internet permet un véritable accroissement de la communication accompagné d'un renforcement de la citoyenneté et de la démocratie. Le projet Iperbole à Bologne (Italie), l'expérience de Parthenay sont assez exemplaires pour en justifier une présentation développée, être sujet de réflexion et de débat.