L'utilisation des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation

LE DRÉAUT (Jean-Yves), Député, Président de l'Office ; REVOL (Henri), Vice-Président

RAPPORT 545 (97-98), Tome 2, Partie 1 - OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

Table des matières




N° 1054

N° 545

ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE

SÉNAT PREMIÈRE SESSION EXTRAORDINAIRE DE 1997-1998

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 juillet 1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 8 juillet 1998.

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES


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RAPPORT

sur

DE LA CONNAISSANCE DES GÈNES A LEUR UTILISATION

Première partie :

L'utilisation des organismes génétiquement modifiés

dans l'agriculture et dans l'alimentation


PAR

M. JEAN-YVES LE DÉAUT,

Député

Tome I : Conclusions du rapporteur


Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Jean-Yves LE DÉAUT, Président de l'Office

Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Henri REVOL, Vice-Président de l'Office.

Agro-alimentaire.

AUDITIONS PUBLIQUES DU MERCREDI 27 MAI 1998
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut.

M. Le Président - Je souhaite vous rappeler brièvement le contexte de ces auditions publiques ouvertes à la presse et la façon dont elles s'insèrent dans une étude générale sur les organismes génétiquement modifiés, menée par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Dans l'ancienne législature, en 1997, l'Office avait été saisi d'une étude sur "De la connaissance des gènes à leur utilisation". Il y a eu ensuite la dissolution. Cette saisine a de nouveau été examinée par le Bureau de l'Assemblée nationale. Nous avons débuté cette étude vers le mois de novembre dernier, en nous spécialisant sur les aliments issus des plantes transgéniques dans l'agriculture et l'alimentation.

Cette étude est venue au moment où plusieurs décisions ont été prises par le gouvernement français :

- En février 1997, le gouvernement français autorise l'importation de maïs et de soja issus de plantes transgéniques ;

- Au même moment, alors qu'il y avait une demande, on n'autorise pas la culture du maïs d'été ;

- Le 27 novembre 1997, le gouvernement autorise la culture de ce maïs d'été, avec des conditions ; le Ministre de l'agriculture étant présent ce soir, il pourra répondre aux questions à ce sujet.

Pendant cette période, nous avons donc commencé l'étude, en nous disant qu'elle pouvait être au niveau du Parlement, concomitante avec des décisions gouvernementales.

Ce sujet est complexe. Avant l'intervention de Madame Lebranchu, j'aurai l'occasion de lire un petit courrier que j'ai eu sur le forum sur Internet, qui résume à mon avis très bien la situation du citoyen. On lui demande, en effet, de répondre de façon simple à des questions qui sont scientifiquement et technologiquement complexes, et qui résument assez bien la situation actuelle.

Pendant cette période, nous avons donc eu une étude qui m'a conduit à auditionner pratiquement tous les acteurs de cette filière. En même temps, dès novembre 1997, nous avons souhaité organiser une Conférence de Citoyens -ce sera une première en France- pour leur demander leur avis, à côté de l'avis des experts entendus en auditions privées et publiques.

Ces citoyens ne connaissent pas forcément les techniques  de génie génétique, puisqu'une enquête récemment publiée dans " Les  Echos " indique que seuls 54 % des Français ont entendu parler des plantes transgéniques actuellement. En même temps, nous aurons donc l'avis d'un panel de citoyens.

Certains ont dit que ce n'était pas représentatif de la population française. C'est évident, puisque cela ne concerne que quatorze personnes. Mais c'est néanmoins l'avis d'un groupe qui a été formé par différents intervenants, dont les noms ont été publiés. C'est l'avis d'un groupe qui a finalement pris connaissance d'un sujet et dont les membres ont discuté ensemble, de manière dynamique.

Ce groupe a choisi d'auditionner plusieurs personnes, les 20 et 21 juin, pendant un week-end, de manière publique.

C'était difficile ; c'était une première, mais je pense qu'elle a le mérite d'exister.

Pendant cette étude, je me suis entouré d'un comité de pilotage pour l'étude sur les plantes transgéniques de quatre personnes, et, pour la conférence de citoyens, s'y sont ajoutées trois autres personnes venant d'horizons différents.

Le comité de pilotage est composé de Mme Francine Casse, qui est à l'INRA en biologie moléculaire végétale, et M. Antoine Messean, qui est à l'INRA et au CETIOM.

Il y a également Mme Marie-Angèle Hermitte, professeur de droit à PARIS I, et M. Gérard Pascal, spécialiste de sécurité alimentaire.

Pour la conférence de citoyens, les trois personnes supplémentaires sont M. Philippe Roqueplo, sociologue, présent dans cette salle, ainsi que M. Daniel Boy de Paris I et Mme Dominique Donet-Kamel de l'INSERM, qui avaient déjà commencé à travailler sur le processus de conférence de citoyens pour l'ancien Secrétaire d'état aux universités, M. François d'Aubert.

Ces trois sociologues, ce juriste et ces trois scientifiques ont donc formé le Comité de pilotage et ont pris collectivement certaines décisions concernant la Conférence de citoyens.

L'intérêt de tout ce processus, est de débattre, au travers des auditions publiques d'aujourd'hui, ouvertes à la presse, avec des experts qui n'ont pas le même avis sur ce sujet, sur six thèmes :

1. Les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

2. Les enjeux pour la recherche

3. Les enjeux réglementaires, comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la décision publique

4. L'information du consommateur, problème d'actualité, y compris cette semaine, avec les problèmes de l'étiquetage, de la traçabilité et de la sécurité alimentaire

5. Les avantages et les risques des organismes génétiquement modifiés en matière d'environnement

6. Les avantages et les risques en termes de santé.

Au travers de ces tables rondes et de la Conférence des citoyens, rassemblant d'un côté des experts, de l'autre des profanes, il est intéressant de confronter des avis, même si ceux-ci ne représentent qu'une partie  de la population, mais également de lancer un débat.

Ce débat n'a pas eu lieu alors que certaines décisions ont déjà été prises. Cela a été reproché. Lorsqu'une moitié des Français ne sait pas ce qu'est une plante transformée par ingéniérie génétique, cela montre bien le décalage qui existe entre la réalité vécue par le consommateur et le progrès des sciences et des technologies.

Un travail a été mené par le Sénateur Bizet, plus spécialement sur la  partie économique, c'est-à-dire les enjeux économiques pour l'agriculture des plantes transgéniques.

Au travers de tout cela, le Parlement a souhaité que l'on puisse lancer le débat, que des avis puissent être confrontés, que des agriculteurs, des industriels, des chercheurs, des consommateurs, des associations de protection de l'environnement puissent donner leurs avis et les confronter.

Ce n'est pas un débat à la Guillaume Durand. Cela ne doit pas donner lieu à des empoignades mais, au contraire, cela doit être pour nous-mêmes, pour la presse et pour ceux qui relayeront le débat, l'occasion de réfléchir à des solutions éventuelles à apporter à des questions éminemment complexes.

Pour terminer cette présentation, on peut dire que nous avons eu de manière classique des auditions privées, cadre classique du travail parlementaire, des auditions publiques aujourd'hui, c'est-à-dire des expertises collectives et contradictoires, une conférence de citoyens, c'est-à-dire les avis du citoyen ou d'un panel de citoyens sur un sujet complexe. De plus, nous avons lancé un forum sur Internet, qui sera interactif.

Nous étions dans une situation relativement compliquée au niveau de l'Assemblée nationale, avec un traitement qui était relativement lent, et une apparition assez lente du forum sur le site Assemblée nationale. Je donne l'adresse du site : http://www.assemblee-nat.fr

Un débat sera interactif à partir du 1er juin, et il appellera des réponses. Il est déjà ouvert, mais il sera réellement interactif le 1er juin, avec des moteurs de recherche plus performants qui permettront d'arriver assez rapidement sur ce forum.

J'ai donné l'adresse du site pour la presse, parce que plus on relayera ce site, plus il y aura d'avis. Ce seront d'autres types d'avis, qui viendront à côté de ceux des associations et des experts, et de ceux d'un panel de citoyens. Les internautes nous donneront également leur avis sur ce sujet, et je pense que c'est opportun.

Nous allons maintenant aborder la Table ronde I.

Table ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentationTable ronde I - Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

M. le Président - Pour cette première table ronde, j'ai à mes côtés :

- Monsieur Emmanuel Jolivet, économiste à l'INRA

- Monsieur Jean-Marie Pelt, botaniste bien connu, qui est à l'université de Metz

- Monsieur  Pierre Pagesse, Président de Limagrain

- Antoine Messean et Francine Casse, que j'ai déjà présentés

- Monsieur Marcel Cazalé, Président de l'Association générale des planteurs de maïs

- Monsieur René Riesel, Secrétaire national de la Confédération paysanne, chargé des OGM.

Dans les auditions privées, nous avons bien sûr vu pratiquement toutes les associations, sociétés ou entreprises qui sont à cette table.

De cette première table ronde "Enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation", je dirai, à titre de brève présentation, qu'avec les organismes génétiquement modifiés, on assiste à l'entrée en force des sciences de la vie dans l'agriculture et dans l'alimentation.

Bien entendu, cette technique n'était pas absente de ces domaines avec le développement plurimillénaire des techniques de fermentation en alimentation et les méthodes de sélection et de croisement des plantes.

Mais les techniques de transgénèse apparaissent réellement comme devant révolutionner ces deux secteurs, notamment à cause de leur très grande efficacité, et à cause de leur rapidité à obtenir les résultats recherchés.

Les enjeux sont considérables, car celui qui détiendra le pouvoir de produire des aliments aura un pouvoir politique considérable. Cette situation doit s'apprécier compte tenu des projections démographiques, qui font entrevoir une forte croissance de la population mondiale au cours des vingt prochaines années, et aussi des problèmes d'environnement entraînés par l'intensification de l'agriculture.

Les rivalités entre les producteurs de matières premières alimentaires existent déjà, mais elles vont sans doute s'aviver dans le futur. Ma récente mission aux Etats-Unis me l'a confirmé, des contentieux existent déjà sur le point de savoir si l'Europe autorisera ou non la culture d'un certain nombre de plantes transgéniques.

Il est bien entendu que cette question se pose dans le cadre des règles de l'Organisation mondiale du commerce. Le problème sera donc de savoir notamment si l'Europe peut se désintéresser de ces techniques et laisser la part du lion du marché agroalimentaire mondial aux Etats-Unis. Nous en parlerons tout à l'heure avec des chiffres.

Nous avons donc un certain nombre d'enjeux en termes d'environnement, des enjeux en termes économiques, et je pense qu'autour de cette première table ronde, nous devons essayer de les cerner.

Je donne le chiffre que j'ai vu cette année et qui m'a impressionné : 16 millions d'hectares cultivés en plantes transgéniques en 1998 aux Etats-Unis ; 26 millions dans le monde. Ces 16 millions d'hectares sont à comparer aux 13 millions d'hectares de grandes cultures françaises. Ce sont 16 millions d'hectares en soja, en maïs, en coton, puis en tabac et une dizaine d'autres plantes, avec des superficies beaucoup plus faibles.

La règle du jeu est simple : vous commencez par une présentation de cinq minutes, qui sera suivie d'un débat. Ensuite, des questions seront posées par la salle. Si certains ont le temps, on peut les poser. Mais s'il y a beaucoup de questions, ce que je pense, transmettez-les et nous les poserons à nos intervenants. Des feuilles circuleront pour que vous puissiez le faire.

M. Cazalé - Monsieur le Président, vous avez débuté par une présentation des éléments extérieurs, qui font aussi partie des contraintes. Effectivement, il n'est pas inutile de savoir que largement plus que la sole des terres cultivables en France est cultivée aux seuls Etats-Unis en plantes transgéniques.

Mais cela se double d'une autre affaire : le taux de croissance a été très rapide. Cela implique une question : pourquoi y a-t-il un tel engouement dans ce pays ? Il faut bien que les acteurs économiques y trouvent leur compte. Sinon, il y aurait eu une évolution peut-être négative, en tout cas un retour en arrière, et non pas une croissance d'une telle rapidité.

Lorsque l'on se rend aux Etats-Unis, il nous est dit que, pour des questions incidentes, sanitaires en générales, on remarque, outre les défenses prévues dans les caractéristiques de la plante, une croissance des rendements telle que l'intérêt économique existe pour justifier les achats par les agriculteurs, puisque personne ne les obligera à le faire, de semences plus coûteuses que les semences non-OGM.

Cela concerne principalement deux cultures : le maïs et le soja, et nous, Européens, sommes concernés par les deux produits au titre de la consommation.

Pour le maïs, des conventions signées au moment de  l'adhésion de l'Espagne et du Portugal font l'obligation à la Communauté d'importer environ 2,5 millions de tonnes de maïs venant presque exclusivement des Etats-Unis. Après le retard pris par la Communauté, qui ne s'est pas pressée de remplir ses obligations, nous aurons l'obligation de le faire, avec des maïs importés qui contiendront une fraction d'OGM plus importante que l'année dernière.

Pour le soja, nous nous approvisionnons presque exclusivement aux Etats-Unis en tourteaux pour l'alimentation animale. Dès maintenant, dans l'aliment du bétail, des tourteaux de soja ayant pour origine des plantes transgéniques figurent dans des proportions assez conséquentes.

Nous n'avons pas rencontré de genre de problème en Europe, d'abord parce que l'origine de la technique est aux Etats-Unis, et que les firmes américaines ont engagé des sommes considérables et continuent à le faire de manière fabuleuse. C'est à couper le souffle de voir les engagements économiques qui sont pris par des personnes qui doivent tout de même avoir un peu de jugement...

En France, nous avons du retard parce qu'ils n'ont pas été autorisés, mais aussi parce que l'intérêt immédiat n'a pas paru évident chez les producteurs. Cela s'explique par le fait que les premières variétés qui ont fait l'objet de transgénèse sont un peu anciennes, s'appliquent à quelques zones et que, par ailleurs, les espaces cultivés qui sont victimes de l'agression des insectes comme la pyrale ne sont pas très larges dans notre pays. Les surfaces cultivées sont donc très petites.

Dans l'évolution du progrès, il faut constater que, dans les propositions qui nous étaient faites l'année dernière, certaines variétés, soit étaient résistantes aux insectes, soit supportaient des traitements insecticides nouveaux.

En l'espace d'un an, nous avons des variétés qui supportent à la fois les insecticides et les désherbants. Une telle réalisation montre l'évolution très rapide de la technologie et donne quelques indications sur ce à quoi nous pouvons nous attendre pour les années qui viennent.

Pour situer les OGM, je considère qu'il est un peu limitatif de parler d'OGM, parce qu'il ne s'agit finalement que d'une application d'une science nouvelle, et pas seulement d'une technique nouvelle, la transgénèse. Ses capacités sont très élevées, et, comme beaucoup de sciences et comme la langue d'Esope, peut être la meilleure et la pire des choses.

Nous n'avons jamais dit qu'il ne fallait pas en surveiller les applications, mais il faut faire un tri entre les bonnes et les mauvaises applications.

Je pense donc qu'il est évident que nous nous trouvons là avec une perspective d'applications multiples et actuellement insoupçonnées d'une science nouvelle qui est la transgénèse.

Il faudra bien sûr, notamment sur un secteur dans lequel nous n'avons pas de compétence, celui de la qualité des produits élaborés, faire appel à des instances scientifiques. Celles-ci détermineront le caractère acceptable de ces plantes nouvelles en vérifiant qu'elles ne présentent pas de difficultés particulières par rapport aux plantes non transgéniques.

Je voudrais maintenant terminer par quelques mots sur les caractéristiques de la plante maïs, au regard des problèmes soulevés par l'admission, et en particulier par la diffusion.

Il se trouve que nous ne connaissons pas de plante sauvage fécondable par le maïs, ce qui n'est pas le cas de toutes les plantes. Si elle devait exister, elle serait en Amérique centrale. C'est donc une garantie qui n'est pas commune.

En second lieu, on pourrait dire que, depuis cinq cents ans que le maïs est cultivé en Europe, il a pu se fabriquer des plantes sauvages. Or, le maïs ne peut pas se multiplier sans l'intervention humaine. Si un épi tombe au sol, il pousse une touffe de plantes incapables de produire un grain. La main de l'homme doit donc arracher les grains de la rafle et les disperser pour que les plantes puissent être assez isolées pour produire elles-mêmes un épi.

Une autre caractéristique est de création relativement récente : les surfaces plantées le sont avec du maïs hybride. Cela présente la caractéristique d'exiger l'achat des semences chaque année. Cela signifie que si l'on éprouvait par hasard le besoin de faire marche arrière, on pourrait revenir en très peu de temps sur des autorisations que l'on aurait données.

Tels sont les propos que je pouvais tenir en guise d'introduction.

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Président.

M. Riesel - Comment s'empêcher de penser que cinq minutes est tellement court pour exposer des positions et, pour ce qui me concerne, des objections de la Confédération paysanne à la commercialisation et à la mise en culture d'organismes génétiquement modifiés, que l'on a peut-être escompté que personne ne gâcherait de précieuses secondes à le souligner.

Je le ferai pourtant d'emblée car, pour la Confédération paysanne, c'est notamment la démocratie, ses formes admises, ou les progrès qu'apporteraient ces formes génétiquement modifiées du type conférences de consensus, que pose et auxquels renvoit la façon dont on entend traiter la question des OGM en agriculture.

La Confédération paysanne s'élève donc contre un débat à grande vitesse, où l'innovation technologique souligne les contours d'une organisation sociale où le talk-show médiatique, le radio-crochet prétendent se substituer, une fois les décisions prises, au débat préalable.

C'est pour cette raison que la Confédération paysanne a choisi, en janvier de cette année, de refuser cette règle du jeu détestable en dénaturant un stock de semences de maïs transgénique Bt de Novartis dans le Lot-et-Garonne, afin d'imposer ainsi un procès et un véritable débat public sur les plantes transgéniques.

Nos objections sont globales ; elles portent sur les risques pour la santé publique, les risques pour l'environnement et la biodiversité, les risques économiques et sociaux et les risques pour la démocratie.

Je laisserai aux plus compétents que moi, parmi ceux qui ont consenti à participer à cette audition, le soin d'exposer les risques pour la santé humaine et animale, et singulièrement pour ce qui concerne la résistance à l'ampicilline du maïs Novartis déjà autorisé et les risques pour l'environnement et la biodiversité, que ce soit par transmission sexuelle ou par passage aux bactéries du sol.

Concernant les pollutions induites, j'insisterai seulement sur le fait que l'imposture joue à guichet ouvert lorsque les "obtenteurs" prétendent actuellement produire plus propre grâce aux OGM.

Si l'ensemble des grandes cultures devait être un jour OGM, c'est tout au plus une économie de 15 % des produits phytosanitaires actuellement utilisés qu'apporterait cette prétendue révolution technologique, en accroissant les risques de surdosage accidentel routinier, s'agissant de plantes résistantes.

Mais d'autres risques nous paraissent majeurs, au premier rang desquels l'aggravation de la dépendance des paysans par rapport aux firmes pharmaco-chimiques, leur intégration définitive dans un complexe agro-industriel déresponsabilisant pour eux.

Une telle perspective n'est pas seulement préjudiciable pour les paysans des pays développés. Elle concourrait à continuer à détruire les outils d'autosuffisance des agricultures vivrières des pays en voie de développement, dont nous avons la faiblesse de penser qu'ils peuvent avoir d'autres ambitions géopolitiques que d'être nourris par les "farmer's druck on belt" ou les chefs d'entreprises agricoles performants sur fonds publics des bassins céréaliers européens.

La Confédération paysanne dénonce, dans l'introduction précipitée des organismes génétiquement modifiés en agriculture, l'organisation délibérée d'une prise de risques de type industriel, au profit exclusif de l'agro-industrie et de l'agro-fourniture, qui ont seuls intérêt à la propagation de techniques dont ni les paysans ni les consommateurs ni la société n'ont besoin.

Prétendre de façon irresponsable que refuser ce risque, c'est courir celui de voir d'autres pays ou groupes de pays accroître leur compétitivité par rapport à notre agriculture, c'est raisonner à courte vue ; c'est admettre que l'on est prêt à tous les risques pour conforter une agriculture productiviste, dont l'ensemble de la société ne veut plus et dont nous avions cru comprendre qu'elle était remise en cause dans la loi d'orientation agricole dont ce pays devrait se doter prochainement.

Voilà, très rapidement exposée, une toute petite partie des raisons pour lesquelles la Confédération paysanne continuera à se battre pour obtenir un moratoire sur la commercialisation et la mise en culture, ainsi que l'élevage d'organismes génétiquement modifiés.

Je vous remercie.

M. Le Président - Merci, Monsieur Riesel. C'est effectivement  court, mais vous aurez l'occasion de reparler pendant la table ronde. C'était un exposé introductif.

Peut-être vais-je vous demander, Monsieur Pagesse de répondre, parce que vous êtes aussi agriculteur. Monsieur Riesel vient de dire que c'est l'aggravation de la dépendance des paysans ; vous êtes paysan et vous êtes dans une coopérative qui s'est lancée dans les plantes transgéniques. Qu'en pensez-vous ?

M. Pagesse - Merci, Monsieur le Député, bonjour à tous.

Je souhaite tout d'abord dire que, depuis que l'humanité est passée de l'économie de cueillette pour se nourrir à l'agriculture, nous avons fait de l'amélioration des plantes, et nous avons fait de la transgénèse, à partir bien sûr des lois de l'hérédité et souvent des lois du hasard.

Mais, bien entendu, nous sommes devant de nouvelles applications du génie génétique, qui sont au coeur d'une mutation sans précédent pour l'agriculture et probablement pour la société tout entière.

A mon avis, l'Europe et, dans l'Europe, la France, doivent participer activement à cette mutation, sous peine de laisser les Etats-Unis développer une hégémonie technologique et commerciale qui risque d'être pour nous complètement irréversible.

Je donne tout d'abord quelques constats -cela a déjà été dit- : aux Etats-Unis, les plantes génétiquement modifiées sont en pleine expansion. On peut dire qu'actuellement, dans le monde, il y a autant de surfaces de plantes génétiquement modifiées que de SAU (surfaces agricoles utiles) en Europe, si l'on ajoute la Chine et le Canada.

On peut donc considérer qu'à l'horizon 2005, plus des deux tiers des grandes cultures américaines seront améliorés par le génie génétique. Cette amélioration portera bien entendu sur des applications agronomiques, avec un certain nombre de résistances (aux insectes, aux virus, aux champignons, aux différents stress hydriques ou de salinité), mais surtout sur des applications qualitatives, dans le domaine de l'alimentation, de l'industrie, et aussi dans celui de la santé.

Des plantes plus résistantes, mieux adaptées aux contraintes climatiques et aux exigences de la protection de l'environnement, répondant à toute la diversité des nouveaux besoins industriels, relégueront les cultures actuelles au rang des produits dépassés ou au rang de simples matières premières, au prix des matières premières.

Le dire n'est pas céder au "tout OGM" ; ce n'est pas militer pour une technologie qui ferait figure de panacée ; c'est simplement reconnaître qu'avec précaution et responsabilité, principes intangibles que les industriels s'appliquent quotidiennement à eux-mêmes, les biotechnologies, et en particulier le génie génétique, apportent des progrès agronomiques et qualitatifs indéniables.

Ces progrès ouvriront des marché à plus forte valeur ajoutée, tant pour l'agriculture que pour l'ensemble des filières agroalimentaires.

Il est impensable que l'Europe tourne le dos à ces perspectives d'avenir, à ces perspectives de compétitivité et de progrès pour tous.

Dans cette mutation sans précédent, les semences occupent bien entendu une position-clé. Elles sont le vecteur indispensable de ces nouvelles technologies. C'est en effet à ce stade que les meilleures combinaisons de gènes particuliers et d'une variété élite se feront ou ne se feront pas, et les grands agrochimistes mondiaux comme Monsanto ou Du Pont l'ont bien compris. Ils rivalisent pour acheter à prix d'or les sociétés semencières et les meilleurs laboratoires de biotechnologie.

Il n'y a pas une semaine sans que l'on entende l'annonce d'une nouvelle acquisition. Le résultat, c'est la formation d'immenses conglomérats, qui se comptent dorénavant sur les doigts d'une seule main, et qui profitent essentiellement, bien entendu, à l'économie américaine.

Pour nous, semenciers européens indépendants, qui nous accrochons à cette indépendance malgré des offres répétées, ces mouvements de concentration et d'intégration verticale sont de réels sujets d'inquiétude.

Pour les agriculteurs, la perspective d'un avantage compétitif accru de l'agriculture américaine par rapport à l'agriculture européenne est également un vrai sujet de préoccupation, d'autant plus qu'avec l'Organisation mondiale du commerce, nous entrons dans une mondialisation des échanges, où seule l'innovation permettra de faire la différence et d'affronter les nouvelles perspectives du marché.

Avec les accords de l'OMC, que la France a signés, il n'est plus possible de se retrancher derrière je ne sais quelle barrière ou exception européenne. Avec ces accords de l'OMC, la profitabilité du vivant a été officiellement reconnue.

Cette nouvelle donne fait de la prise de brevets une arme stratégique pour tous les compétiteurs. Le brevet, c'est avoir le droit d'exploiter, mais aussi celui d'interdire ; c'est avoir le champ libre pour gagner de nouveaux marchés.

C'est le coeur de cette nouvelle économie de la connaissance qui s'impose au plan international. Longtemps, l'agriculture, et particulièrement l'agriculture française, a construit son progrès sur une culture de partage et d'échanges. Elle bascule aujourd'hui dans cette économie internationale, où la valeur ajoutée n'appartiendra qu'à ceux qui auront su créer, consolider, protéger et valoriser des innovations majeures.

Mais mesurer ces enjeux, c'est mesurer aussi le poids réel de l'agriculture française et de ses débouchés. Nous sommes encore le deuxième exportateur mondial de céréales,  mais pas seulement. L'agriculture et ses filières représentent, comme aux Etats-Unis, environ 15 % du produit intérieur brut, soit plus de 750 milliards de francs.

Si nous voulons maintenir ce rang, nous devons impérativement investir dans ces nouvelles sciences de la vie. Notre niveau de vie, et pas seulement celui des agriculteurs, en dépend. Faisons donc jouer tous nos atouts, et vite, car il y a des retards qui ne se rattrapent pas, des atouts, car nous en avons, et en particulier en matière de recherche.

Vous savez qu'un grand projet national de génomique végétale est en cours d'élaboration. Il réunit les principaux semenciers français, avec Rhône-Poulenc et l'INRA. C'est un projet lourd, qui nécessite un soutien important des pouvoirs publics.

C'est avec de tels types de programmes fédérateurs que nous pourrons espérer rivaliser avec nos amis américains et participer pleinement à la course à l'innovation. Nous sommes bien à l'heure des choix, des choix de modernité, de progrès et d'indépendance. Et lorsque je parle d'indépendance, je ne pense pas seulement à celle des agriculteurs, mais à celle des filières et, finalement, à celle du consommateur.

Car c'est sa liberté de choix qui est en cause : pouvoir choisir et non pas subir l'hégémonie programmée des produits américains.

M. Le Président - Merci pour cette introduction. Je demande maintenant à Jean-Marie Pelt, botaniste, Président d'honneur d'ECOROPA, association qui est partie prenante d'"Agir pour l'environnement" et qui s'oppose aux plantes transgéniques, de donner son avis.

M. Pelt - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, j'ai été frappé par les orientations nouvelles qui se dessinent en matière de politique agricole pour notre pays, lorsqu'il y a peu de temps, et encore maintenant, Bruxelles prétendait faire entrer notre agriculture de plain pied dans la mondialisation, en insistant beaucoup sur notre capacité à produire beaucoup, à être "productivistes", comme on le dit.

On a vu les paysans français réagir dans tous leurs syndicats, dans toutes leurs formations professionnelles, tout comme le Ministre de l'Agriculture, en faveur d'une agriculture peut-être moins productiviste mais plus orientée vers la qualité, vers l'autosuffisance de nos marchés et des marchés européens, avec l'idée que si l'on produit de la bonne qualité, on s'ouvrira également sur les marchés internationaux.

Il y a donc en quelque sorte une tendance quantitative d'un côté, et plus qualitative de l'autre.

Comment promouvoir une agriculture de qualité ? C'est en fait la question qui se pose à nous aujourd'hui. On sait que l'on ne peut pas aller plus loin dans le domaine de la chimie ; c'est la raison pour laquelle on voit tous les grands organismes agroalimentaires refluer vers les biotechnologies et les sciences de la vie.

La chimie implique davantage de pesticides, avec les problèmes de santé que cela pose. Faut-il alors aller dans la direction du "tout transgénique" ? C'est au fond la question posée dans le débat de ce matin.

En quelques minutes, je voudrais reprendre le dossier du maïs, que j'estime tout à fait symbolique. Nous l'avons autorisé en culture en France, avec un argument qui vient d'être rappelé : le maïs n'a pas de plante sauvage proche qu'il pourrait contaminer par ses gènes.

Oui mais, proche du maïs transgénique, il y a le maïs conventionnel, qui sera évidemment atteint par les gènes venant du maïs transgénique, ce qui -cela n'a jamais été dit- rendra rapidement impossible d'avoir sur les marchés de la consommation des maïs que l'on pourra qualifier de non-transgéniques, car il y aura des transgènes un peu partout.

Dans la nature, le pollen se diffuse très rapidement pour le maïs, en peu de temps (environ une heure et demie), et lorsqu'il y aura beaucoup de maïs transgénique, le maïs non-transgénique sera lui aussi devenu un maïs transgénique. L'étiquetage sera donc impossible.

Si l'on piétine, comme on le fait depuis deux ans à Bruxelles, au Parlement européen et dans tous les Etats membres de la Communauté européenne, sur l'étiquetage, c'est parce que l'on n'arrivera pas à étiqueter. En effet, dans la nature tout se communique ; on n'est pas dans un laboratoire, et les problèmes dans la nature sont tout à fait différents des problèmes techniques rencontrés dans un laboratoire.

C'est la raison pour laquelle la dissémination des plantes transgéniques pose en soi un problème différent du travail en strict laboratoire.

Ce maïs contient un gène de résistance à l'ampicilline, qui est un antibiotique. Ce gène de résistance, par une seule mutation qui ne manquera pas de se produire dans très peu de temps, deviendra alors un gène de résistance à toutes les céphalosporines, antibiotiques les plus utilisés actuellement pour des maladies graves.

On risque donc de voir ce gène passer dans l'intestin des animaux ou des hommes qui le consomment ou dans le sol, par les racines, sur des bactéries qui deviendraient ainsi résistantes aux antibiotiques. Or, créer des bactéries résistantes aux antibiotiques, c'est à la fois une erreur et une faute, et je dirais même une faute grave, car l'un des grands problèmes de santé que l'on rencontre actuellement, est celui de la résistance aux antibiotiques.

Dans les hôpitaux, il y a dix mille morts par an parce que la résistance aux antibiotiques augmente très rapidement et que nous n'avons plus les antibiotiques suffisants pour faire face à ces résistances en progrès.

Il fallait donc évidemment ne pas mettre un gène de résistance aux antibiotiques dans le maïs. Lorsque l'on sait qu'aujourd'hui il serait possible de ne pas l'y mettre, il faut alors regretter que ce maïs ait été autorisé et que l'on n'ait pas demandé aux producteurs de ne plus mettre ce gène, qui, je crois, ne se mettra d'ailleurs plus dans les années qui viennent.

Ensuite, il y a un aspect écologique tout à fait curieux, que l'on ne verra qu'avec un certain temps, car tous ces problèmes ne viendront qu'avec le temps : le maïs Bt résiste à la pyrale, qui meurt lorsqu'elle le mange, et à la noctuelle, qui ne meurt pas lorsqu'elle le mange.

Un troisième insecte mange les noctuelles, donc protège le maïs. Or, lorsque ce troisième insecte mange les noctuelles qui ont mangé du maïs BT, il meurt. L'insecte protecteur disparaîtra donc petit à petit, et il y aura de la part de la noctuelle une "bonne affaire", car elle deviendra le compétiteur tranquille du maïs dans quelques années, et on ne l'aura pas éliminée.

Je parle de quelques années, parce que la pyrale deviendra également résistante. On a fait des travaux très fins  sur le sujet, et l'on pense que, dans quelques années, la pyrale sera devenue résistante au maïs BT, qui n'aura plus d'intérêt, pas plus que le Bt lui-même. On aura fait  ce que l'on fait pour les antibiotiques : on aura créé de nouvelles résistances dont on ne saura pas se dépêtrer.

Car c'est dans cette direction que l'on s'engage : des résistances en série que la biologie connaît bien, qui font partie des lois de la vie, que peut-être les chimistes qui se reconvertissent aux biotechnologies ne connaissent pas encore mais qu'ils ont peu de temps pour connaître.

Pour terminer, il y a la question fondamentale : c'est sur le maïs que l'on a découvert les gènes sauteurs, c'est-à-dire que les gènes peuvent passer d'un endroit à un autre du génome, et d'un génome à un autre génome. C'est ce que l'on appelle les transferts horizontaux.

C'est un domaine immense, dont personne ne connaît rien. C'est la boîte de Pandore du génie génétique. On ne sait pas ce que peuvent donner ces gènes lorsqu'ils deviennent sauteurs ou lorsque le génome est perturbé, comme il l'est par transgénèse. L'on peut imaginer que de nouvelles recombinaisons se font -je prends exprès le mot scientifique-, et aboutissent à de nouveaux agents pathogènes peut-être, qui seraient des bactéries ou des virus.

L'hypothèse de voir naître de nouvelles maladies dans quelques années est redoutable ; on ne peut pas l'exclure.

Ce dossier du maïs, que l'on croyait la plante la plus simple à rendre transgénique, est au départ terriblement " plombé ", et tout ce que j'évoque ne peut apparaître que dans quelques années. On va beaucoup trop vite, et cette précipitation, qui a été soulignée, de passer brusquement au transgénique pour des avantages immédiats, me paraît tout à fait redoutable.

C'est la raison pour laquelle nous proposons le fameux principe de précaution : dans le doute, on s'abstient. Il faudrait travailler davantage le génie génétique, qui n'est pas une base assez solide actuellement pour voir se construire sur elle l'immense cathédrale des plantes transgéniques. Nous n'avons pas les bases scientifiques suffisantes ; le génie génétique est trop récent pour que l'on parte à cette vitesse dans la direction du transgénique.

En conclusion, n'ayons pas trop de complexes à l'égard des Etats-Unis. Jusqu'à présent, en matière d'alimentation, ils n'ont pas montré ce qu'ils savent faire. L'obésité répandue partout, le diabète très fréquent, la mauvaise alimentation, celle que nous déplorons dans nos restaurants rapides, ne donnent pas l'impression qu'il faut suivre à tout prix les Etats-Unis en matière alimentaire.

Nous proposons une agriculture qui serait durable, raisonnée, biologique, etc. Il n'y a pas ici d'intégrisme en faveur d'une agriculture particulière, mais en tout cas une faveur pour une agriculture plus prudente, qui conserve de nombreux agriculteurs à la terre. C'est d'ailleurs sur ce thème que nous allons réunir au sein d'ECOROPA, demain, un panel pour évoquer ces points, et très prochainement à Metz, dans mon institut, "quelle agriculture voulons-nous vraiment pour demain ?".

On n'exclut pas forcément à perpétuité le transgénisme, mais nous disons que, maintenant, il n'est pas l'heure d'aller dans cette direction.

M. Le Président - Vous avez posé beaucoup de questions. Je souhaiterais que l'on se limite au débat aujourd'hui, car nous verrons demain dans le débat sur la santé le problème des marqueurs aux antibiotiques, dans le débat sur l'environnement le problème des résistances d'insectes, et tout à l'heure dans la table ronde concernant la recherche le problème des gènes sauteurs.

Néanmoins, dans un exposé liminaire, on peut poser la totalité de la problématique.

Monsieur Jolivet, vous qui suivez le problème d'un point de vue économique et qui suivez à l'INRA les personnes qui traitent de ces questions d'économie, quel est votre avis, à la question : y a-t-il un enjeu ?

Certains, comme Monsieur Pelt, disent que l'on va trop vite ; d'autres, comme Monsieur Pagesse, disent que l'on va trop lentement et que les Américains ne nous attendent pas, que ce sont des " rouleaux compresseurs " et que la compétitivité de notre économie, de notre agriculture et de notre agroalimentaire est mise en jeu. Où est la vérité du côté des économistes ?

Cela a-t-il modifié l'agriculture ? Finalement, y aura-t-il une plus grande dépendance de nos agriculteurs dans ce nouveau modèle économique qui chamboule un peu tout ?

M. Jolivet - Merci, Monsieur le Député. Je vais partir de quelques indications. En 1996, on a cultivé aux Etats-Unis 750.000 hectares de coton Bt. Cette culture a dégagé une variation de surplus d'environ 127 millions de dollars, soit environ 1000 francs français par hectare.

La répartition de ces 1000 francs entre les différents acteurs économiques est estimée de la façon suivante :

- 490 francs aux agriculteurs (près de la moitié)

- 400 francs à la firme Monsanto, producteur du gène

- 100 francs à la firme Delta & Pineland, qui fournit la semence, rachetée depuis par Monsanto

- 10 francs au consommateur.

C'est l'une des rares études économiques existant actuellement sur l'introduction des plantes transgéniques aux Etats-Unis. Ce résultat doit donc être pris avec un certain nombre de précautions, mais il a tout de même l'avantage de mettre en scène les différents acteurs de la chaîne économique.

Ce qui m'intéresse dans ces données, c'est le 1 % sous forme de baisse de prix, qui profite aux consommateurs. Je pense que, dans cette affaire, on l'oublie un peu trop. Il a été peu question de lui dans les précédents exposés, et c'est à se demander si les producteurs et les firmes ne négligent pas trop le pouvoir régulateur des consommateurs sur les marchés.

La question ne se pose pas exactement de la même façon aux Etats-Unis et en Europe. Aux Etats-Unis, les consommateurs semblent assez indifférents ; il y a peu de mouvements. En Europe, ils sont assez opposés ; c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles nous sommes là aujourd'hui.

On peut dire que c'est lié à toutes les aventures que nous avons connues récemment (vache folle, amiante, etc.), mais certains sociologues, et non pas des économistes, pensent qu'il y a là un mouvement beaucoup plus profond, et que, dans le domaine des choix technologiques, les citoyens et les consommateurs qui sont des citoyens veulent être beaucoup plus largement associés, surtout lorsque ces choix technologiques concernent directement leur santé, leur cadre de vie et leur alimentation.

Certains sociologues voient dans ce mouvement une restructuration en profondeur de la société. De façon beaucoup plus concrète, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à des critères qualitatifs multiples (la santé, l'impact environnemental, les conditions de production des produits), et à des notions éthiques.

Ils exigent et ils exigeront de plus en plus que ces attributs soient clairement énoncés. Ils exigeront de plus en plus d'être utilement informés, et c'est une question que les différents acteurs économiques autres qu'eux doivent prendre en compte.

Sur l'agriculture et les agriculteurs, qui sont aussi des acteurs importants, très peu d'études nous permettent pour l'instant de dire ce que gagneront les agriculteurs. On observe tout de même des augmentations de rendement, des diminutions de traitement, puisque pour le moment, les seuls éléments sont des plantes dont les capacités de résistances sont intégrées dans leur génome.

Il ne faut tout de même pas négliger le fait qu'il y a un gain. La diminution du travail et des traitements compense plus ou moins largement le surcoût des semences et les taxes technologiques que perçoivent les firmes pour permettre aux agriculteurs d'utiliser leurs semences et leurs technologies.

Cela étant, si, sous la pression des consommateurs, dont il était question tout à l'heure, on envisage qu'il y ait une ségrégation entre les OGM et les cultures non-génétiquement modifiées, il y aura nécessairement des changements de systèmes de production induits. Ces changements seront liés, par exemple pour contrecarrer l'évolution génétique et l'apparition de résistances, à l'entretien des chemins et des bordures, à la maîtrise des repousses et à des pratiques de cultures-refuge, qui permettront de contrôler ces dangers potentiels.

Il n'y a actuellement aucune idée sur les coûts de ces affaires.

D'autre part, je souhaite aborder, toujours pour les agriculteurs et plus spécifiquement pour les agriculteurs européens, la question des dangers qu'il pourrait y avoir à ne pas prendre en charge et produire des plantes transgéniques.

On a déjà évoqué deux notions :

- on peut se faire battre sur le marché mondial, pour les produits de masse, et de toute façon, le maïs et le soja sont les produits d'attaque des Etats-Unis ;

- on peut aussi perdre en interne le marché de l'alimentation animale.

L'Europe peut être soumise à une attaque au sein de l'Organisation mondiale du commerce, qui considérerait que les procédures d'homologation plus longues et plus compliquées des organismes génétiquement modifiés mis en place sont des barrières non-tarifaires.

Cela étant dit, certains économistes s'occupant justement de ces problèmes de barrières non-tarifaires à l'OMC, pensent que, dans un tel combat, l'Union européenne pourrait gagner en se fondant sur le refus ou sur la résistance des consommateurs à l'introduction des OGM.

Un autre problème a déjà été un peu évoqué : celui du progrès technique, de la capacité des agriculteurs à s'en emparer, et du fossé qui pourrait se creuser entre les agriculteurs d'outre-Atlantique et les agriculteurs européens.

Là aussi, les économistes ont un avis. Ils pensent que ce n'est pas tellement sur les cultures de masse que se fera la différence, mais sur celles des productions différenciées, c'est-à-dire celles sur lesquelles on travaille plus sur les avantages qualitatifs en termes de transformation ou de qualité organoleptique, etc., que sur les produits de masse comme le maïs.

Effectivement, on peut imaginer que, si les agriculteurs européens prennent beaucoup de retard, il y a de nombreux phénomènes d'apprentissages (techniques, organisationnels ou de commercialisation) qu'ils feront beaucoup plus tard que leurs compétiteurs d'outre-Atlantique. C'est aussi un danger pour eux.

M. Le Président - Merci beaucoup. Vous avez parlé du problème des consommateurs ; là aussi, nous aurons une table ronde consacrée uniquement à cela, mais c'est le lot d'une table ronde qui démarre : on pose des problèmes qui seront traités sur deux jours.

Je souhaite donc maintenant que nous nous limitions au thème de cette table ronde, sachant que les autres thèmes seront abordés durant ces deux journées.

Plusieurs questions ont été posés par les uns ou les autres, sur lesquelles il y a eu des déclarations liminaires  mais pas de réponses. Je vais essayer d'en poser quelques-unes et évoquer quelques-unes qui n'ont pas été posées.

Tout d'abord, y a-t-il un avantage économique à l'utilisation de plantes génétiquement transformées, ou y a-t-il une nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agrochimiques ? Cela a été posé de manière très claire, et je souhaiterais que l'on réponde à cette question.

La deuxième question que vous avez abordée sans y répondre est la suivante : la surface en terre arable par habitant est en train de diminuer. C'est un argument donné très largement par ceux qui sont pour. Elle était de 0,5 hectare par habitant en 1950 sur notre planète, elle est actuellement de 0,3 hectare par habitant, et l'on pense qu'elle va diminuer.

Dès l'instant où l'on veut traiter cette question, cela implique un développement de ces technologies dans les pays en voie de développement ; est-ce la priorité actuelle des grands groupes industriels ? Est-ce vers les pays en voie de développement qu'ils ont centré leurs efforts ? On peut en douter, mais je souhaiterais une réponse à cette question.

Devait-on commencer par ce qui est le plus rentable, des gènes de résistance à des herbicides, ce qui a été fait, ou plutôt agir sur les qualités nutritionnelles, le goût ou d'autres critères que l'on aurait pu privilégier ?

Les pertes pour cultures, notamment au niveau économique, sont très fortes dans le riz, malgré les traitements, et sont encore plus fortes en absence de traitements sanitaires. Pour le riz, en absence de traitement il y a 82 % de perte au niveau mondial, mais pour le blé aussi et pour le maïs, il y a plus de 35 % de perte malgré les traitements, et 60 % sans traitements.

Finalement, cette technique permettra-t-elle d'augmenter la productivité ? Si oui, à quoi cela servira-t-il, puisque l'on a des problèmes de stocks, de quotas, de gel de terres, des problèmes économiques à régler ?

Vous n'avez pas parlé d'une question qui me paraît très importante : faut-il séparer les filières ? Dès l'instant où l'on réclame le moratoire -j'ai bien entendu, Monsieur Riesel, que vous le demandiez-, et où certains demandent en tout cas des séparations de filières et de l'étiquetage au niveau du consommateur final, faut-il séparer les filières ?

A-t-on le moyen de le faire actuellement dans l'agriculture s'il n'y a pas valeur ajoutée nouvelle ? Si oui, qui paiera le coût de la séparation de ces filières ?

Enfin, vous avez parlé du moratoire ; l'Europe peut-elle refuser les plantes transgéniques ? Comme Monsieur Jolivet vient d'en parler, peut-elle les refuser dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce ? Cela a été abordé par Monsieur Jolivet mais pas par les agriculteurs qui sont autour de cette table.

Voici les premières questions ; si vous voulez en poser d'autres, des feuilles circulent pour vous permettre de le faire, et nous les soumettrons à nos interlocuteurs.

Qui veut réagir sur ces questions ? Monsieur Cazalé et Monsieur Riesel, vous aurez la parole l'un après l'autre.

M. Cazalé - Je vais d'abord essayer de ne pas réagir uniquement en producteur mais comme quelqu'un qui considère les choses de l'extérieur, et de poser une question en guise de réponse.

Dans l'histoire des hommes, une découverte sur des capacités nouvelles du même ordre que la transgénèse a-t-elle été inutilisée, même lorsqu'elle comportait des risques ? Cela ouvre des perspectives ; cela signifie qu'il faut aménager le déroulement des choses, mais on n'a pas d'exemple, y compris lorsque les savants qui les ont découvertes ont eu peur, où elles n'aient pas été mises en oeuvre.

En second lieu, je voudrais réagir comme producteur à l'analyse de Monsieur Jolivet, que je reconnais exacte mais qui doit se situer dans le contexte.

Le prix du maïs pour l'utilisateur a baissé en valeur constante de plus de quatre fois en l'espace de quarante ans.

Mais si on considère la tendance, il est clair que les progrès ont profité au consommateur et, heureusement, en ces matières, l'offre est supérieure à la demande et l'on voit bien comment les pressions s'exercent.

Ensuite, il y a le fait important qu'il faut des produits de haute valeur ajoutée. Il faut trouver des acheteurs et, quand il y en a, c'est très bien, mais que signifie un produit à haute valeur ajoutée en dehors des vins et des alcools, qui représentent tout de même 42,6 milliards de francs sur 53 milliards de francs de produits transformés ?

Généralement, ce sont des appellations où l'on remonte pour la qualité au producteur et non pas au transformateur. Cela veut dire un peu le contenu des produits transformés.

Il est clair que, selon une carte, publiée par une firme il n'y a pas très longtemps, des terres favorables à la culture sous des climats favorables, on voit la place que prennent l'Amérique du Nord et l'Europe, y compris dans sa pénétration en Asie, sur l'ensemble de la planète.

On peut alors très bien imaginer sur quels équilibres se feront les marchés dans l'avenir, si c'est sur les produits de base, qui sont l'expression la moins coûteuse du sol et du climat, car la valeur ajoutée pourra se faire dans les pays qui ont une nombreuse main d'oeuvre inemployée, la plupart du temps.

Par exemple, pour le bassin méditerranéen, avec sa population, sa croissance de population, dites-moi où sont les terres favorables sous un climat favorable qui existent pour nourrir cette population, qui est aux portes de l'Europe.

Le problème qui se pose est un problème de peur, et je pense que l'on a raison. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il faut redoubler de précautions, mais ce n'est pas une raison pour refuser d'agir.

Les peurs engendrent un certain nombre de choses, par exemple les séparations entre les bons et les méchants, ceux qui font du quantitatif et ceux qui font du qualitatif. Je rappelle que la part du revenu des ménages consacrée à l'alimentation était, au sortir du dernier conflit mondial, de 50 % et qu'elle est maintenant de 16 %.

Même parmi les peureux, qui se déclare prêt à revenir à l'affectation de 50 % de ses revenus à l'alimentation animale au nom de la recréation d'une agriculture paysanne que j'assimile assez facilement à la restauration historique du siècle dernier ?

Dans cette affaire, on a besoin de certaines choses ; pas d'exemples de démocratie que mon voisin de droite nous a donnés, parce que, pour présenter l'action menée contre Novartis comme un exemple de démocratie, il faut tout de même avoir une certaine élasticité...

Pour résoudre les problèmes, on a davantage besoin d'hommes savants que d'hommes inspirés. En effet, si nous ne devions agir qu'avec des hommes inspirés, les hommes ne quitteraient un obscurantisme que pour en rencontrer un autre.

Je vous remercie.

M. Riesel - C'est donc un peureux, et quelqu'un qui est allé chez Novartis et qui a été condamné pour cela, qui va répondre.

Quelque chose d'intéressant se passe ici ; j'en prends acte : les positions évoluent un peu. D'ordinaire, on assiste à un dialogue de sourds. Avant d'aller chez Novartis, nous avions nous-mêmes invité M. Philippe Gay, qui est un chantre-maison du transgénique, à venir débattre avec nous et, pendant une journée, des opinions s'étaient croisées sans jamais se rencontrer.

Néanmoins, il faut tout de même essayer de mettre un peu les points sur certains "i". On a dit tout à l'heure que celui qui a le pouvoir alimentaire a le pouvoir tout court. C'est donc bien de cela qu'il s'agit, et derrière toutes les belles déclarations que nous entendons ici, il n'y a pas de débat entre intégristes de la non-productivité façon XIXème siècle et progressistes purs et durs, chevaliers blancs du progrès.

Lorsque l'on parle de compétitivité de l'agriculture française, il serait intéressant de voir ce que serait cette compétitivité, notamment en grande culture, si l'agriculture n'était pas soutenue comme elle l'est.

Si ce type d'agriculture n'était pas soutenu comme il l'est, ce que la prochaine réforme de la Politique agricole commune entend de toutes les manières continuer, il faudrait aussi parvenir à établir un solde positif véritable de la balance commerciale agricole, et voir ce qui resterait de positif lorsque l'on aurait retiré les importations de carburants, de produits phytosanitaires, de pesticides, de matériels agricoles. J'imagine que l'on se trouverait fort loin derrière le tourisme, du côté des articles de Paris.

On a souligné qu'il n'y avait pas de risque de transmission des caractéristiques du maïs transgénique, et Jean-Marie Pelt a dit qu'il y avait néanmoins un risque pour le maïs conventionnel ; c'est tout de même raisonner avec une certaine légèreté, puisque ce risque de transmission à une autre plante n'existe pas en Europe, mais qu'en est-il aux Etats-Unis ? Considère-t-on que la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique est étanche ?

On dira que ce n'est pas notre affaire mais, si la transgénèse devait pénétrer dans le bassin d'origine du maïs, comme elle le fera inévitablement, cela signifierait que les seules ressources semencières de la planète en matière de maïs se retrouveraient dans les coffres  des multinationales semencières. Elles y sont déjà.

C'est évidemment à rattacher à l'ambition explicite et en voie de réalisation, y compris au niveau européen, sur la brevetabilité du vivant, sachant que d'autres ambitions sont à l'oeuvre actuellement, notamment aux Etats-Unis dans la recherche, où le nec plus ultra des recherches en génie génétique est d'obtenir des graines qui soient stériles à la seconde génération. Ce n'est pas comme un maïs hybride, qui perd simplement ses qualités mais qui est reproductible.

Il s'agit donc bien d'une ambition universelle de main-mise sur les ressources alimentaires et la possibilité d'y avoir accès pour les paysanneries, et par voie de conséquence pour les consommateurs.

M. Jolivet - Je souhaite d'abord indiquer que, si j'ai mis en scène le consommateur tout à l'heure, c'était parce que je suis convaincu que c'est une force économique de premier plan. J'ai bien noté qu'une autre table ronde était consacrée à cet aspect, mais j'insiste néanmoins sur ce point.

Je souhaite donner quelques indications concernant l'une des questions posées : la nouvelle dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes. On a parlé du mouvement de concentration de l'agro-fourniture : il se met très nettement en place une situation oligopolistique qui aura un très fort pouvoir de marché.

Cette configuration oligopolistique est potentiellement un frein à la concurrence ; il ne faut pas se le cacher. Elle représente donc malgré tout un danger pour un partage équitable de la rente.

Un article du Courrier International était intitulé "Monsanto, le Microsoft de l'alimentaire" ; il ne faut pas être naïf ; il y a un réel danger vis-à-vis de cela, même si nous n'avons pas de données actuellement et si les chiffres que je vous ai cités au début montrent que, sur le partage de la rente, les agriculteurs ont récupéré la moitié de la mise sur le coton Bt aux Etats-Unis en 1996.

Mais que se passera-t-il dans le futur ? Ce n'est pas clair.

De plus, ces firmes (Monsanto, Du Pont, etc.) sont en position de déterminer très largement l'évolution du changement technique dans l'agriculture. C'est tout à fait clair. En 1996 et 1997, Monsanto et Du Pont ont dépensé pour l'acquisition d'entreprises semencières autant d'argent que l'ensemble du budget de la recherche agronomique publique aux Etats-Unis en 1996. Cela vous donne des ordres de grandeur des efforts consentis.

Je pense qu'il faut être vigilant sur une question importante : veiller à ce que la question de l'innovation en agriculture ne soit pas confinée au domaine des biotechnologies.

A mon sens, il y a des connaissances tout aussi considérables à produire sur les systèmes sociaux et techniques de production, sur l'organisation du travail, par exemple. Ce sont des domaines tout à fait importants, et je pense que le fait de prendre ces deux aspects en compte  est en particulier du rôle de la recherche publique.

C'est à la fois monter en France avec des partenaires privés un fort pôle de génie génétique végétal, mais c'est aussi consentir beaucoup d'efforts dans ces domaines des systèmes de production et des systèmes sociaux.

M. Pagesse - Je souhaite essayer de répondre à quelques-unes des grandes questions que vous avez posées. Je ne sais pas trop dans quel ordre les prendre.

Je suis de ceux qui considèrent que la qualité sera bien, demain, vis-à-vis de la segmentation du marché, obtenue à partir de sélections qui feront entrer les technologies des sciences de la vie.

Si l'on veut construire un acide gras pour faire de la matière plastique à partir d'un oléagineux, ou si l'on veut faire de l'oléique pour faire les frites ou faire du Diester, nous ne ferons pas appel à la même combinaison. Il faut donc être vigilant, parce que les qualités qui correspondent à la segmentation des marchés, qui seront une débanalisation de nos productions, seront produites à partir des technologies des sciences du vivant.

Dans le cas contraire, nous serons relégués comme producteurs de matières premières, alors que tout le discours actuel, y compris politique, est d'essayer de dire aux agriculteurs et aux transformateurs qu'ils doivent essayer de déterminer la façon dont ils peuvent apporter une valeur ajoutée supplémentaire.

C'est donc la démarche, y compris à partir de ces technologies, qui nous permettra d'essayer d'apporter cette valeur ajoutée, au bénéfice de tous bien entendu, puisque, comme le rappelait le Président Cazalé tout à l'heure, la moitié du budget était consacré à l'alimentation en 1950, et cette part n'est plus que de 16 %. Je pense donc que la démonstration est faite que notre productivité, souvent décriée, a tout de même bien bénéficié à tout le monde.

Sur le sujet de l'inquiétude et de la sécurité, je suis de ceux qui pensent que l'homme a probablement besoin d'autant de sécurité que de nourriture, et que le meilleur moyen de lui apporter la sécurité, c'est de lui permettre de participer lui-même aux changements qui nous entourent.

Si chacun des citoyens devient un véritable acteur du changement, parce que le monde autour de nous change, je pense que chacun se sentira rassuré. Si, dans monde qui change, on reste au bord de la route, cela impressionne beaucoup.

Quant à la question de l'indépendance, j'ai dit dans mon propos liminaire qu'elle était très importante. Il y a la dépendance des agriculteurs, de ceux qui sont dans les filières, des transformateurs, et j'ai même dit du consommateur. En effet, si le consommateur n'a que des produits américains, son choix sera restreint.

Mais à mon avis, le meilleur moyen de garder cette indépendance, c'est de construire nous-mêmes notre propre force, notre propre propriété intellectuelle, puisque le GATT, en 1992, a lui-même consolidé cette propriété intellectuelle dans les accords internationaux ratifiés par 125 pays, et qu'aujourd'hui, je n'ai pas encore vu la méthode pour pouvoir en sortir.

Je pense donc que notre véritable position pour construire une offre alternative est de rassembler les moyens des uns et des autres qui veulent rester indépendants, y compris ceux des agriculteurs. Nous construirons ainsi cette indépendance ensemble, et c'est à ce prix que demain nous garderons encore une marge de liberté.

Vous avez aussi posé une question à propos des pays en voie de développement. Je pense qu'actuellement, le progrès des technologies, y compris les vaccinations, a bénéficié à l'ensemble de la planète, mais il y a toujours un décalage.

Ces technologies coûtent très cher et, lorsque vous dépensez beaucoup d'argent, ce n'est pas le vôtre ; on vous l'a prêté. A un certain moment, vous avez donc un souci de rentabilité, de retour sur investissement, y compris pour payer vos banquiers ou simplement ceux qui, d'une manière ou d'une autre, par le biais de la bourse ou des actions, vous ont avancé l'argent.

Il est donc normal que l'on puisse aller chercher les premières rentabilités sur les marchés de proximité, mais il est bien évident qu'à terme, les technologies bénéficient à tout le monde. Je pense que le génie génétique et les sciences de la vie, sont davantage un élément de création de biodiversité.

Je pense donc que nous ne devons pas nous tromper de combat. Nous sommes dans une véritable compétition, et il faut avoir le courage de la soutenir.

Contrairement à tout ce qui est expliqué, y compris sur la compétitivité de l'agriculture européenne - je suis de ceux qui ont participé à une étude de prix de revient du blé en Europe et aux Etats-Unis-  si l'on fait abstraction de toutes les aides et si l'on prend la parité des coûts de production Cette étude n'a été faite ni par Pagesse ni par Unigrains, puisque j'ai participé à une mission d'Unigrains, mais elle a été calculée par Yves Michaux, Président de l'Aérospatiale, parce que, pour exporter son Airbus, il n'a pas pris les mêmes problèmes que nous pour exporter notre blé, le prix de revient du blé européen est tout à fait équivalent à celui du blé américain.

Ce n'est pas tout à fait le cas pour le maïs. Il ne faut donc pas croire que, parce que certains éléments faussent la compétitivité, nous sommes si maladroits que cela. Je pense que nous avons là un atout, et que nous devons avoir la capacité de le jouer.

Bien entendu, nous sommes malheureusement dans un système qui est ce qu'il est. C'est un choix politique qui nous y a mis, et nous devons l'assumer. Je ne veux pas revenir sur tout le système de nos compensations, qui ne sont en fait qu'une compensation supplémentaire pour le consommateur. Nous sommes une boîte de transferts, rien de plus.

M. Le Président - Merci, Pierre Pagesse. Je vais poser à Jean-Marie Pelt la question de la limitation des surfaces en terres arables de la planète, puisqu'il s'intéresse beaucoup aux problèmes des forêts.

Tout à l'heure, je parlais de la baisse de la surface en terre arable par habitant. C'est l'un des gros arguments produits par ceux qui sont favorables aux plantes transgéniques. Est-ce un moyen ?

J'ai vu aux Etats-Unis, le vice-Président de la banque mondiale, avec qui j'ai parlé de ces problèmes. Il m'a dit que, dans un certain nombre de cas, les Américains étaient pour le développement de ces techniques dans les pays en voie de développement, parce que cela pouvait permettre  de résoudre le problème de la faim dans le monde, à condition que des transferts de technologies se fassent.

Malheureusement, m'a-t-il dit, ces transferts de technologies, y compris pour les semences fabriquées et disponibles actuellement, se font très peu.

Est-ce une vraie question ? Nous sommes 5 à 6 milliards d'humains actuellement, et il y aura une augmentation d'au moins 3 milliards dans les prochaines décennies. Si l'on ne traite pas le problème de l'augmentation de la productivité, est-on capable de traiter le problème de la nourriture de ces personnes sans accroître les surfaces cultivées ?

Je souhaiterais avoir votre avis à ce sujet.

M. Pelt - Il est tout à fait exact que la surface de terre arable par habitant de la planète a tendance à se réduire, d'une part parce que le nombre d'habitants augmente, et d'autre part parce que l'on jardine très mal la terre.

L'un des grands problèmes de l'écologie est le mauvais entretien de la terre sur l'ensemble de la planète. Nous avons ici parfois des débats sur la manière dont l'agriculture devrait aussi entretenir l'environnement -c'est l'un de ses objectifs- ; c'est mille fois plus vrai dans les pays en voie de développement, où les terres ont été massivement abandonnées pour les favelas des grandes mégalopoles, et où l'entretien de la terre et de la nature ne se fait plus.

Dans le bassin méditerranéen, dont on parlait tout à l'heure, on a également perdu des terres de manière tout à fait significative. La première urgence est donc de reconquérir des terres. Bien avant d'imaginer comment on pourra cultiver ce qu'il reste, il faut arriver à reconquérir des sols.

A propos des plantes transgéniques dans les pays en voie de développement, je pense que cet argument est peu recevable pour la simple raison qu'avec le transgénisme, on n'augmente pas de manière significative la productivité biologique globale. Pour augmenter par exemple les rythmes de croissance, la taille des végétaux, la biomasse, il faudrait y introduire un nombre de gènes importants. On a dit vingt gènes ; je ne sais pas si c'est vingt ou plus, mais c'est le chiffre que j'ai rencontré plusieurs fois, et on n'est pas encore capable de le faire. Cet aspect ne peut donc pas se poser.

L'aspect qui pourrait être envisagé est de rendre des plantes plus tolérantes au sel, par exemple -problème se posant dans de nombreux pays en voie de développement-, ou plus tolérantes à la sécheresse. Cela supposerait qu'il y ait une véritable priorité de la part des producteurs de ces plantes transgéniques en faveur du Tiers-Monde.

Cet intérêt pour le Tiers-Monde, je le vois dans les débats, dans les déclarations de bonnes intentions. Dans la réalité, c'est une autre affaire, parce que le Tiers-Monde n'est pas solvable. Et l'on est devant un problème très particulier : faut-il engager des recherches coûteuses et considérables pour d'éventuels acheteurs qui ne seront peut-être pas au rendez-vous des marchés ?

C'est exactement ce qu'il se passe pour les médicaments. On en fait pour les bien-portants, c'est-à-dire pour ceux qui vieillissent dans les pays riches, et on n'en fait pratiquement pas pour le Tiers-Monde, qui en aurait pourtant le plus grand besoin.

Mais c'est l'une des critiques que l'on peut adresser au néolibéralisme lorsqu'il va à la limite de ses potentialités et crée alors des déséquilibres comme ceux que je viens d'évoquer.

M. Le Président - Cela signifie que, si l'on développait -j'ai également utilisé le conditionnel dans mon exposé- par ces techniques des plantes résistantes au sel ou à la sécheresse, vous y seriez favorable ?

M. Pelt - Oui. En tout cas, j'aurais sûrement examiné le problème avec un éclairage différent. Je pense que c'était peut-être par ce bout qu'il aurait fallu commencer.

M. Le Président - Monsieur Cazalé, j'ai posé la question de la séparation des filières, qui est très importante. En effet, elle se posera dans les rapports entre les Etats-Unis et l'Europe. Elle se pose d'ailleurs aujourd'hui ;  vous l'avez dit tous les deux tout à l'heure.

Actuellement, un maïs et un soja sont autorisés à l'importation en France. Plusieurs ont été acceptés au niveau de Bruxelles mais la décision n'a pas été prise dans les pays où les dossiers ont été présentés. C'est le cas de plusieurs maïs et d'un colza.

En revanche, aux Etats-Unis, en Argentine, en Chine (mais en Chine, il y a peu d'arrivées pour l'instant ; c'est une consommation locale) et au Canada, certaines plantes dont on n'a pas demandé la labellisation ou l'accréditation au niveau de l'Europe sont cultivées. Or, les Américains mélangent leurs différentes provenances de maïs et de soja.

Cela signifie donc que, pour le maïs et le soja, il y a actuellement des mélanges d'espèces autorisées en importation et d'espèces non-autorisées. Les Américains disent qu'ils ne peuvent pas séparer les filières, et qu'ils sont contre l'étiquetage. Lors de mon voyage aux Etats-Unis, ils l'ont dit de manière très claire.

Monsieur Cazalé, est-il possible de séparer les filières, c'est-à-dire est-il possible d'arriver à trois filières, ce qui pose le problème de l'agriculture biologique : une filière agriculture classique sans OGM, une filière avec OGM et une filière agriculture biologique ?

En second lieu, il y a une autorisation, depuis le 27 novembre, sous condition de biovigilance, de planter du maïs dont la surface potentielle était de 20.000 hectares, et j'ai entendu dire que seuls 1000 hectares ont été plantés. A quoi est-ce dû, Monsieur le Président de l'Association des producteurs de maïs ?

M. Cazalé - Il y a eu peu de semences, et je pense que tout a été fait pour qu'il en soit ainsi. Il ne faut donc pas s'en étonner aujourd'hui puisque, jusqu'au dernier moment, on n'a pas su si l'on pouvait en disposer. Et dans la mesure où les consommateurs étaient très réticents, les propres vendeurs parfois des mêmes firmes ont dit : "lorsque nous serons nombreux, nous ferons ; pour l'instant, si, au niveau de l'opinion qu'ont les consommateurs de notre produit, nous devons être sanctionnés trop fort, nous ne faisons pas."

Telle est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans cette situation aujourd'hui. Je pense que l'on n'a su que l'on pouvait disposer de ces produits qu'au dernier moment.

En second lieu, je tiens depuis hier une information que j'ai lue dans la presse : la recherche publique ou la recherche universitaire aux Etats-Unis aurait trouvé le moyen d'introduire les mutations non plus dans le noyau du gène mais dans une autre partie, et que cela aurait pour effet que seule la partie femelle de la plante  porterait la mutation génétique et non pas la partie mâle, c'est-à-dire le pollen. Cela faciliterait beaucoup la séparation, qui est actuellement assez difficile.

Mais je voudrais dire qu'ayant un peu vécu, une partie des peurs est arrivée de la même façon au moment où sont arrivés les hybrides. Cela représentait, à l'époque, un changement au moins aussi important que celui des plantes transgéniques, et cela se doublait d'une modification des apparences, dans la mesure où le maïs denté venait remplacer le maïs corné.

J'ai entendu, à cette époque, notamment dans ma région des choses sur la qualité du foie gras, qui pourraient très bien être transposées aujourd'hui , mais avec une ampleur différente, dans la mesure où les organisations de consommateurs et les médias s'en occupent.

Comme je préside l'AGPM et que nous sommes organisés en filières, il y a une vingtaine d'années il existait treize firmes qui vendaient des semences hybrides (marché captif, comme ce sera le cas pour le reste), et nous spéculions en disant que, sept ou huit ans plus tard, il devrait y en avoir cinq. Or, les firmes qui proposent des semences sont maintenant au nombre de trente-trois.

Il faut considérer le phénomène fabuleux actuel des concentrations de capitaux, comme un phénomène nécessaire lorsqu'il y a une mutation technologique. La mutation technologique exige de tels moyens que l'on a des concentrations qui n'ont jamais été connues, et dont les caractéristiques, qui sont très particulières, ne doivent pas être complètement le fruit du hasard.

De  ce fait, devant la baisse généralisée des prix agricoles, je pense que ceux qui investissent actuellement doivent savoir que ce n'est pas en repoussant une partie significative des coûts vers le producteur agricole qu'ils se payeront. Ils se payeront par les modifications qu'ils engendreront dans leurs produits élaborés. Et j'imagine même que ce n'est plus à l'agriculteur qu'ils vendront les semences, mais à celui qui commandera le produit fini.

Cela étant, il y a des opinions, et en démocratie, on ne peut pas agir sans opinions. Le seul problème, c'est que la démocratie suppose aussi qu'on la rationalise un peu, que l'on soit tolérant sinon aucune société ne peut vivre, et qu'on n'avance pas des chiffres à la légère.

Par exemple, j'ai vu un sondeur présenter le chiffre que tout le monde connaît ici, parce qu'il a été largement publié, de 70 % des consommateurs qui sont anti-OGM. Je lui ai dit que, comme technicien, il pourrait peut-être me dire combien de personnes sauraient expliquer ce qu'est l'OGM, si nous posions une question ouverte. Il m'a répondu qu'il n'y en avait pas 5 %.

Mais, aujourd'hui, nous venons d'avoir un chiffre : 50 % des personnes n'ont pas entendu parler de plantes transgéniques, mais 70 % sont contre les OGM. Je pense qu'entre ce qu'est l'opinion, ce qu'en est la traduction qui en est donnée par les uns et les autres, il faudra revenir à une certaine rationalité pour traiter les problèmes objectivement, sans passion des uns et des autres.

Je me répète : autant, sur la diffusion, on a quelques données vécues, autant sur la qualité des produits que l'on va mettre sur le marché, nous faisons appel aux savants qui sont dans des institutions, parce qu'on leur demandera des comptes sur l'avis qu'ils auront formulé.

En effet, plusieurs savants s'expriment au nom de savants. On se demande d'ailleurs souvent de quelle discipline ils sont, et ils sont parfois de disciplines qui n'ont aucun rapport avec le sujet. Lorsque quelques savants ont des disciplines en rapport avec le sujet, je pourrais faire état ici de commentaires sur l'économie de main-d'oeuvre des épandages d'insecticides qui n'existeront plus, ou sur les palombes qui n'hiberneront plus dans le sud-ouest parce qu'il n'y aura plus de perte de grains.

Demandons l'avis à des personnes, qui ont des responsabilités, et ne prenons pas les avis de personnes qui se déclarent scientifiques, et dont la renommée n'aura d'ailleurs pas à subir de grand tort si leur avis ne se révélait pas exact.

M. Le Président - Il nous reste peu de temps, mais nous n'avons pas assez abordé le problème de la séparation de ces filières et du lien entre l'agriculture biologique et l'agriculture traditionnelle.

J'ai en tête l'affaire de Kochko dans le Tarn-et-Garonne. Je la résume brièvement car nous l'avons reçu dans nos auditions. Il s'agit d'un agriculteur biologique du Tarn-et-Garonne qui fait du soja biologique, avec un cahier des charges. Il vendait son soja à un exportateur de Poitiers, qui l'a vendu en Allemagne.

Lors d'un contrôle en Allemagne par les techniques PCR, dont nous parlerons dans l'autre table ronde, avec une très grande sensibilité puisque l'on amplifie les promoteurs de gènes, on a découvert que le tofu fabriqué à partir de son soja avait une "contamination"  non-prévue d'un soja génétiquement modifié.

On remonte la filière et on arrive chez l'agriculteur. Le problème de la responsabilité se pose. Lorsqu'il s'adresse au semencier, celui-ci dit que c'est exempt d'OGM. On a fabriqué ces semences aux Etats-Unis. Lors de la fabrication des semences, certains pollens sont vraisemblablement venus de champs de sojas génétiquement modifiés. La contamination était sans doute faible, mais nous allons arriver à la même chose au niveau de notre pays, et cela posera le problème de l'étiquetage et de la traçabilité.

Dès l'instant où l'on a des organismes génétiquement modifiés, peut-on s'organiser en plusieurs filières, une filière agriculture sans OGM, une filière biologique, qui sera sans doute dans le cahier des charges sans OGM (je ne sais pas s'il y aura une biologique avec OGM ; pour l'instant, elle est sans OGM) et une filière classique ? Si oui, qui payera ? Que pensez-vous de ces questions à la Confédération paysanne ?

Je demanderai également à Monsieur Pagesse de parler aussi des filières.

M. Riesel - Je serais tenté de répondre que l'agriculture " bio " devra accepter le risque d'être OGM. Elle ne pourra pas y échapper. Du fait de la dissémination, il sera impossible de garantir le contraire. De toute façon, la bio garantit la  mise en oeuvre de moyens dans l'état actuel des choses ; elle ne garantit pas les résultats et, en ce qui concerne les OGM, il est évident que, du fait de la dissémination, elle ne pourra pas garantir des produits sans OGM.

Dans le même ordre d'idée, je voudrais revenir sur les avantages économiques, donc la traçabilité. Cette traçabilité aura un coût ; qui l'assumera ? Par exemple, dans le Comité de biovigilance provisoire concernant le maïs Novartis, sur la question de responsabilité par exemple, si un paysan cultive un maïs conventionnel à côté d'un maïs transgénique, c'est à lui qu'incomberait le coût d'éliminer les rangs qui lui permettraient de se prémunir contre la transgénèse accidentelle.

Le coût de la biovigilance devrait logiquement être assumé par ceux qui attendent un profit de la dissémination du transgénique, donc les firmes ; les industriels semenciers s'y refusent totalement. On peut imaginer que les surcoûts liés à la traçabilité se marchanderont de la même manière, et il nous semblerait totalement scandaleux que ce soit à des filières non-OGM d'avoir à assumer le coût de la traçabilité.

Par ailleurs, pour revenir sur les avantages économiques stricts, le fait que peu d'hectares de maïs Novartis aient  été semés cette année induit sans doute qu'il restera -nous l'espérons, nous le souhaitons et nous oeuvrerons pour cela- une considérable méfiance des consommateurs par rapport à ces produits, donc une moins-value.

Donc, si traçabilité il y a, qui la paiera, si toutefois elle est possible ?

M. Pagesse - Sur la filière bio, je pense qu'à terme, le véritable bio sera OGM ou n'existera pas. Je vais peut-être vous choquer mais, actuellement, le bio est une obligation de parcours, de moyens, mais pas du tout une obligation de résultats. Or, lorsque l'on fera les tests de salubrité sur les micotoxines, etc., qui existent et qui sont des facteurs anti-croissance et anti-nutritionnels, on reparlera de la question.

Sur les filières, je voudrais dire :

- que toutes les filières sont concernées

- et qu'actuellement, on n'a pas de tels investissements aux Etats-Unis qui seront concentrés uniquement sur la valeur semencière, mais sur la valeur agricole et probablement la valeur agroalimentaire totale, et c'est alors le facteur 100 qui sera concerné.

Pour le coût, ma vision est qu'à terme, il y aura une filière garantie non-OGM, qui s'apparentera à quelques pour cent de la consommation, pour ceux qui, par idéologie, ne voudront pas consommer des produits transformés, et le reste, où il sera inscrit "contient des OGM". Je pense que, lorsque le consommateur aura compris qu'il y a un gain en termes de prix et d'efficacité dans les différentes qualité que pourra lui offrir la technologie, les choses rentreront dans l'ordre.

En attendant, on a une phase transitoire à gérer ;  voyons de quelle manière on peut la gérer au mieux.

M. le Président - Si plus personne ne veut s'exprimer, nous pouvons clôturer cette table ronde, dont je vous remercie.

Je ne sais pas si les points de vue se sont rapprochés, puisque certains souhaitent un moratoire et d'autres souhaitent toujours aller plus vite... Néanmoins, sur la totalité des arguments, nous avons cinq autres tables rondes et cinq Ministres à auditionner pour essayer de faire progresser cette question.

Table ronde  II - Enjeux pour la recherche Génomique, relations public/privé, poids de la protection intellectuelle, collaboration avec les pays en voie de développement

M. le Président - L'ordre des tables rondes peut apparaître chaotique, mais il a été prévu en fonction de la disponibilité  d'un certain nombre de nos interlocuteurs, en  tout cas des premiers qui ont indiqué leurs préférences.

Ces enjeux pour la recherche sont très importants, et nous avons abordé la question tout à l'heure. Ils sont considérables dans la mesure où une compétition intense est d'ores et déjà engagée entre tous les grands pays scientifiques pour le décryptage des génomes de plusieurs organismes d'intérêt.

Il y a les génomes de plantes, les génomes animaux et le génome humain. Pour les plantes, dans ce qui nous intéresse aujourd'hui, on peut citer l'effort entrepris pour l'étude du génome d'arabidopsis thalliana , une plante à génome relativement court, plus facile à décrypter. Ce travail a été engagé depuis quelques années.

On  peut dire que les Etats-Unis sont déjà en tête dans ce secteur. Comme cela a été indiqué tout à l'heure, ils prévoient d'investir des millions de dollars dans ces recherches. Celles-ci ont des conséquences bien précises, car les découvertes sont systématiquement protégées par un système de brevets qui verrouille ensuite des secteurs de plus en plus grands de la recherche. Les redevances sont ensuite perçues, y compris sur les procédés.

Dans la course à la découverte des logiciels de la vie, la France ne semble pas avoir pris dans l'ensemble un excellent départ. Nous avons un certain nombre de chercheurs français, que je présenterai ici. Peut-être pourrez-vous nous rassurer au cours de ces débats, et nous indiquer quelles initiatives sont prises, quelles réalisation sont en voie d'accomplissement, quelles suggestions vous semble devoir être faites afin de participer à cette compétition qui, sans aucun doute, marquera la fin de ce siècle.

Le système des brevets en vigueur en France ne semble pas donner satisfaction compte tenu de l'existence du mécanisme américain. Vos débats pourraient permettre de faire des suggestions de réforme de ce secteur compte tenu du caractère structurant de ces technologies.

J'ai inclus dans cette table ronde les problèmes des pays en voie de développement, car ceux-ci, à l'exception d'un certain nombre, restent absolument à l'écart de ce grand mouvement de recherche, alors qu'ils pourraient en être les premiers bénéficiaires -cela été dit tout à l'heure, y compris par Jean-Marie Pelt- compte tenu des immenses difficultés que rencontrent leurs agricultures.

Pour débattre de ces questions, sont présents :

- Daniel Cohen, Directeur général de Genset, que je remercie de sa présence,

- Antoine Danchin, chef du département de biochimie et de génétique moléculaire à l'institut Pasteur, dont vous avez lu un grand nombre d'articles dans  "La Recherche ",

- Claude Fauquet, qui travaille sur les pays du sud, puisqu'il est directeur de recherche à l'ORSTOM, et co-Directeur de l'ILTAB en Californie. Il expliquera ce qu'est l'ILTAB et sur quel sujet il travaille ;

- Guy Paillotin, Président de l'INRA

- Georges Santini, Directeur "éthique, environnement, communication" de Rhône-Poulenc Agro monde.

Messieurs, je vous demande d'être brefs dans votre exposé liminaire, pour qu'un débat puisse s'instaurer et pour que des questions puissent être posées.

N'ayant  pas de questions écrites, nous répondrons aux questions de la salle lorsque l'on aura répondu à des questions que je pourrais poser en tant que rapporteur.

M. Paillotin - On parle beaucoup des organismes génétiquement modifiés, mais le génie génétique n'a pas été inventé et n'est pas utilisé exclusivement pour cela. Il est encore actuellement, et pour une longue période, un outil irremplaçable en recherche fondamentale.

Or, en recherche fondamentale, le génie génétique intervenant nécessairement en première ligne dans cette discipline, la génétique est une voie bien souvent incontournable pour comprendre les lois du vivant, comme vous l'avez rappelé.

Je sais que, dans un débat public certains, qui ne sont pas chercheurs, peuvent se dire que l'on va trouver beaucoup de choses, mais se vont se demander à quoi cela sert.

Les lois du vivant auxquelles nous nous intéressons dans la recherche agronomique visent un certain nombre de fonctions assez utiles comme :

- la fixation de l'azote, pour déterminer si l'on en consomme plus ou moins,

- la résistance naturelle à telle ou telle maladie ou tel ou tel ravageur,

- la qualité des aliments (fruits assez sucrés ou pas...),

- la réponse à des signaux ; les plantes vivent dans l'environnement ; elles ne sont pas aussi autonomes qu'un animal ; il y a donc des signaux qui jouent sur la régularité des rendements, ce que l'agriculteur demande le plus actuellement. Il y a aussi des signaux qui permettent la mise en batterie des réactions de défense des plantes, etc.

Or, la façon de bien comprendre la façon de fonctionner de tout cela, qui est souvent un fait d'évidence pour l'agriculteur, mais pas pour la biologie, c'est de déterminer les gènes qui gouvernent ces fonctions, qu'il y en ait un ou plusieurs. C'est la méthode la plus directe ; on a accès au logiciel et on peut alors comprendre la façon dont les choses se déroulent.

Pour avoir accès à ce logiciel, on utilise constamment le génie génétique, par exemple pour faire des mutants. Il s'agit de modifier un gène, de façon éventuellement aléatoire, et de voir si la plante a toujours ou n'a plus la fonction que l'on examine. Dès l'instant où l'on a fait cette mutation, notamment par génie génétique, on peut marquer, reconnaître le gène changé, le repérer dans le magma de gènes, l'isoler, le cloner.

Avec la détermination des génomes complets de plantes modèles, on accélérera ce processus de décodage de quantités de gènes d'utilité.

Ensuite, on utilisera encore le génie génétique, parce qu'il faudra déterminer précisément si le gène que l'on a observé régule bien la fonction que l'on veut connaître. Pour cela, on réintroduira ce gène dans une plante déficiente pour voir si l'on restaurera la propriété.

Lorsque l'on aura fait tout cela, on se trouvera face au problème du brevet, parce que l'on brevettera un gène dont on connaîtra les fonctions. C'est tout le problème de la génomique.

J'insiste sur le fait que, dans ce cas, on utilise le génie génétique comme un outil de détermination de fonctions, mais que le résultat et la connaissance de ce qui gouverne les fonctions ne sont pas nécessairement l'utilisation de cette connaissance pour faire des OGM.

Ce peut être l'utilisation de ces connaissances pour savoir comment déclencher des signaux de réponse par d'autres méthodes, par exemple dans de la chimie fine ou autres, et ce sera surtout pour savoir comment améliorer la sélection de plantes qui répondent à nos demandes. Dans la mesure où, par exemple, une fonction serait gouvernée par une dizaine de gènes, on ne s'amusera pas dans l'immédiat à le faire par génie génétique, à mettre ces dizaines de gènes dans une plante.

On a donc un champ de connaissances énorme, qui pose des problèmes d'appropriation des connaissances par la brevetabilité.

Je souhaite donner un exemple pour être bien clair sur l'utilisation. Il s'agit du porc corse, qui est excellent. Les généticiens de l'INRA, qui sont très sensibles au discours que je fais sur sa qualité, m'ont dit qu'ils allaient faire de la génétique classique sur la qualité du jambon corse. Je leur ai dit qu'il ne fallait surtout pas le faire, parce que cette partie était liée au goût ou à la culture, etc., et qu'ils devaient faire des recherches sur la rusticité du porc corse.

En effet, l'agriculteur a besoin que son porc se porte assez bien dans la nature et, si l'on peut simplifier cela, c'est bien, mais le goût et la qualité ne sont pas déterminés que par des gènes, mais également par l'idée que l'on s'en fait.

La connaissance des gènes doit donc être assez large, et supposera ensuite une utilisation pertinente.

M. Danchin - Je parlerai d'abord de l'histoire, puisque vous avez un peu fait allusion à l'histoire et à la position de la France.

Il a été très difficile de mettre en place des programmes " génomes " en France.Cela a commencé au milieu des années 80 et c'est d'ailleurs à cette époque que j'ai rencontré Daniel Cohen. Il a fallu des combats très longs et difficiles pour persuader les pouvoirs publics, les différentes institutions de recherche, que la génomique était le futur de la génétique.

Je vais vous dire brièvement pourquoi c'est le futur de la génétique et ce qu'il y a dedans, en vous parlant plutôt par allégorie qu'en citant des gènes spécifiques, pour essayer d'illustrer la façon dont les choses se passent à mon avis.

Tout d'abord, il faudrait que vous essayiez d'oublier l'image mécaniste du monde. Nous avons toujours une image horlogère, dans laquelle on pense que les choses sont des rouages qui peuvent être associés les uns aux autres, et qu'avec ces rouages, on peut prédire ce qu'il se passera dans l'avenir.

La propriété tout à fait remarquable de ce que l'on découvre dans les génomes est que l'on peut avoir un système entièrement déterministe, mais entièrement imprévisible. La particularité originale des organismes vivants, ce qui fait qu'ils ont envahi la terre comme systèmes matériels, c'est qu'ils sont capables, face à un avenir imprévisible, de produire de l'imprévu.

C'est un point essentiel, qui devrait toujours être présent, quels que soient les débats que l'on ait à propos de la génétique. C'est effectivement ce que l'on découvre dès que l'on commence à étudier les génomes. Lorsque l'on commence à se rendre compte de ce qu'est un génome et de ce que sont les gènes qu'il contient, on s'aperçoit que c'est bien autre chose qu'une collection de gènes.

Tel qu'on l'entend d'habitude, par exemple breveter des gènes, d'une certaine manière cela me fait rire. Dans certaines cas, il est tout à fait imaginable de le faire ; je vois d'ailleurs plutôt une protection de type " copyrights ". En revanche, il est en général impossible de prédire la fonction d'un gène : je vous en donnerai quelques exemples.

Je pense d'ailleurs qu'il y aurait une activité inventive réelle qui devrait faire tomber les brevets de séquence pour quelqu'un qui découvrirait l'activité réelle d'un gène.

Le premier exemple est une image très ancienne : l'une des questions de l'oracle de Delphes. Il posait des questions aux passants, dont celle-ci : "j'ai une barque faite de planches, et ces planches s'usent une à une. Après un certain temps, elles sont toutes changées ; est-ce la même barque ?"

Le propriétaire répond oui et il a raison.

La biologie est une science des relations entre objets beaucoup plus qu'une science des objets. Bien entendu, pour comprendre les relations entre objets, il faut connaître les objets, mais il est essentiel de comprendre cela. C'est ce qui rend la biologie très abstraite, très difficile à comprendre.

D'autre part, la biologie dérive d'une science très différente qui, pendant longtemps, était une science des objets, la chimie. Elle est d'ailleurs en train de changer. Elle a été dominée par la biochimie ; on a purifié les objets ; on a fait ces collections d'objets, et l'on a fait comme si l'on comprenait la vie.

Or, les génomes sont en train de nous montrer que c'est tout à fait autre chose, quelque chose de beaucoup plus riche, qui compose la vie. C'est justement de comprendre les relations entre les différents objets, qui font qu'une cellule est une cellule.

Telle est la découverte de la fonction. Il est très difficile de découvrir la fonction. Il ne suffit pas d'avoir les gènes. D'une certaine manière, au cours de l'évolution de la vie, les choses se passent de la façon suivante : le triplet qui permet à la matière de produire la vie est : variation, sélection, amplification.

Dès qu'un système matériel a ces trois propriétés, il commence à évoluer. Il évolue tout seul et, en évoluant, il produit des fonctions ; ces fonctions capturent des structures pour être effectuées, et elles capturent ce qu'elles ont à leur portée.

Je vous donne un exemple simple : c'est l'été, je suis à mon bureau, il y a des papiers partout, la fenêtre est ouverte dans mon dos. Je lis un livre ; le vent se lève ; immédiatement, je pose le livre sur les papiers pour qu'ils ne soient pas dispersés. Le livre vient d'acquérir une fonction qui n'a rien de commun avec ce que j'étais en train d'en faire ; c'est un parallélépipède lourd, donc un presse-papier.

La biologie, les organismes vivants fonctionnent ainsi. Ils capturent des structures pour en faire des fonctions au fur et à mesure des contraintes apportées par l'environnement.

Un exemple est simple : on prend le cristallin de l'oeil, on isole les protéines qui s'appellent les cristallines, on cherche le gène. On sait que ce sont des cristallines, donc on connaît leurs fonctions et, surprise, on découvre que ce gène est celui d'une enzyme.

Si l'on avait uniquement le génome, on aurait dit que c'était une lactate déshydrogénase qui, en présence de lactate, donne du pyrumate dans telles circonstances. Vous auriez absolument tort ; cette protéine a pour fonction d'être transparente lorsqu'elle est concentrée.

Le fait de breveter des séquences me paraît donc tout à fait discutable, et je pense que, lié au génome, il est essentiel d'être capable d'annoter du génome, c'est-à-dire de mettre des fonctions en face des séquences. Et cela ne peut pas se faire par la simple analyse par prédiction de structure. La structure ne dit pas la fonction. La plupart du temps, c'est la fonction qui capture une structure.

Il me semble qu'à ce propos, on devrait réfléchir, en termes juridiques, à ce que signifierait la propriété intellectuelle dans le cas de la découverte de fonctions de gènes.

M. Cohen - On peut discuter très longtemps du problème de la brevetabilité du génome et des gènes.

La génomique française, n'a pas mal commencé, au contraire. Elle a très bien commencé, en 1982. Bien qu'il fut difficile de convaincre, comme toujours, les autorités scientifiques de l'importance de ces projets, ils ont pu néanmoins être faits, et en avance sur les Américains, parce que nous avons été financés par des fonds privés. On n'a pas demandé la permission aux institutions de l'époque de créer la génomique.

Il s'est agi de legs, ou du Téléthon, qui a joué un rôle extraordinaire dans la position française sur le génome. Depuis que les fonds privés se sont taris, pour de multiples raisons, la génomique publique française va moins bien. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes un pays de 60 millions de personnes et que, si nous nous comparons aux 300 millions d'Américains, on fera toujours moins en quantité que ce qu'ils peuvent faire, puisqu'ils peuvent affecter beaucoup plus d'argent au secteur public.

Mais ce n'est pas grave. Ce qui est plus grave, c'est que, quelles qu'en soient les définitions, la génomique est passée dans le secteur privé depuis quatre ou cinq ans ; elle n'est plus tellement dans le secteur public. Les masses d'argent et les différences de culture sont telles entre les Etats-Unis et l'Europe, que l'on peut vraiment commencer à s'inquiéter.

Je pense que le potentiel humain européen n'a rien à envier à ce qui existe aux Etats-Unis. J'ai toujours été impressionné par le niveau intellectuel de nos collègues scientifiques américains, qui sont exactement comme nous. Notre système d'éducation étant très élitiste en France, on a parfois des génies, mais qui sont devenus des mendiants pour capter des capitaux ou des fonds pour travailler.

Ce qui manque pour franchir le pas, c'est un changement culturel drastique pour que nos chercheurs n'aient plus ce rapport à l'argent très français, très européen, où l'argent est sale. Lorsque j'étais étudiant en recherche, et même après, on m'a appris qu'il ne fallait pas travailler avec l'industrie, que l'on s'alliait alors avec le méchant capital.

Cette notion existe encore actuellement. J'ai franchi le pas il y a deux ans dans le privé ; " le Canard enchaîné ", " le Monde ", " Libération ", " Minute " ont stigmatisé cette opération. Il faut voir les choses telles qu'elles sont.

Il faut être imperméable à cela. Je le suis heureusement, mais je ne suis pas sûr que tout le monde le soit.  Certains grands chercheurs risquent de ne pas vouloir franchir le pas à cause des critiques potentielles de  leurs collègues ou des médias sur ce genre d'opération. Je pense donc qu'il faut un changement de culture.

En second lieu, ce qui manque terriblement, ce sont non pas des scientifiques, mais des managers, des personnes capables de diriger des entreprises, qui ne soient pas scientifiques, qui soient capables de gérer des opérations de passages en bourse, etc. C'est très difficile ; on n'a pas ou très peu en France de filières de création de managers en biotechnologie.

Hormis cela, je pense que tout existe pour que l'on puisse créer en Europe des structures très compétitives avec celles des Américains. Rien n'est perdu, parce que le combat ne se joue pas maintenant mais sur les cinquante ou cent ans qui viennent. Tout est encore à faire.

Quant aux brevets, je pense qu'Antoine Danchin a bien résumé le sujet. On ne peut breveter que des inventions, et pas seulement des gènes. Si je découvre un gène dont je démontre qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, je ne peux breveter que cette application, si j'ai démontré qu'il est impliqué dans le cancer de la prostate, pas seulement au vu de la séquence.

Si quelqu'un d'autre trouve que le même gène a une application dans la schizophrénie ou dans la dépression, le premier brevet sur le cancer de la prostate ne protège pas pour ces maladies.

C'est vraiment la découverte de l'application qui conditionne le brevet, et tout le monde est d'accord sur ce point.

Il faut un peu moins d'émotion vis-à-vis du brevetage. En effet, breveter des gènes est devenu mal vu ; on le voit dans les journaux ; dès que l'on parle de brevets de gènes, une sorte d'hystérie se manifeste.

Rappelez-vous que l'on ne peut breveter que ce que l'on invente, et non pas ce que l'on lit dans la nature, et qu'en second lieu, les brevets ne durent que vingt ans. Que sont vingt ans dans l'histoire de l'humanité ? Rien. Que des investisseurs veuillent protéger leurs investissements pendant une petite période temps ne me semble pas réellement répréhensible.

Il s'agit donc beaucoup de problèmes culturels plus que des problèmes pratiques.

Enfin, notre administration est-elle prête à favoriser ces transferts du privé vers le public et du public vers le privé ? Je ne le crois pas. Tous les ministres que j'ai connus ont voulu le faire et cela a toujours été bloqué par les administrations qu'ils dirigeaient, notamment par les énarques, pour de multiples raisons dont je pourrais vous parler longuement.

Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à nous battre contre cette couche pour essayer de faire en sorte que les passerelles se fassent réellement, pour des raisons dont nous pouvons débattre un peu plus tard.

M. Fauquet - Je suis français et, depuis une dizaine d'années, je travaille aux Etats-Unis, non pas pour une firme américaine ou un institut américain, mais pour un institut public de recherche français, l'ORSTOM.

Nous avons monté un laboratoire franco-américain aux Etats-Unis, pour la simple raison qu'en 1988, lorsque j'ai eu cette idée d'utiliser le génie génétique pour le Tiers-Monde, je n'ai pas trouvé en France un environnement me permettant de le faire. Nous l'avons donc fait aux Etats-Unis.

En second lieu, pour ceux qui ne le connaissent pas, l'ORSTOM est un institut de recherche public français qui a pour objet de travailler dans le Tiers-Monde et d'aider, en faisant de la coopération, plusieurs pays du Tiers-Monde. Nous avons environ 2300 chercheurs et techniciens, qui travaillent actuellement dans plus de cinquante pays dans le monde.

C'est notre profession que d'aider au transfert de technologies ou d'améliorer les connaissances pour ces pays, pour qu'ils aient une chance de mieux s'en sortir.

Tout à l'heure, Monsieur Jean-Marie Pelt dit qu'il n'y avait pas de possibilité d'augmenter la croissance de la production dans le Tiers-Monde. A mon sens, cette façon de voir les choses n'est pas très juste. En effet, à l'heure actuelle, les plantes tropicales dans le Tiers-Monde ne produisent guère plus qu'une dizaine de pour cent de leur potentiel.

On pourrait donc multiplier par cinq, six ou dix la production de pratiquement toutes les plantes du Tiers-Monde. En effet, toutes ces plantes sont soumises à des problèmes de maladies, d'insectes, de ravageurs qui limitent cette production, parce que l'on n'a pas les connaissances nécessaires pour pouvoir exprimer le potentiel de ces plantes.

Enfin, on a mentionné tout à l'heure les problèmes de salinité de sols, de sécheresse, de limitation en eau, etc. On pourrait donc multiplier de façon extraordinaire la production des plantes dans le Tiers-Monde.

En fait, je pense que c'est véritablement dans ce domaine que se trouvera le "boum" du prochain millénaire. On aura au même endroit des plantes qui n'auront pas exprimé leur potentiel et une main-d'oeuvre pléthorique, avec un taux très bas.

Cela m'amène à parler de la relation public/privé. Depuis vingt-sept ans que je travaille dans ce secteur, nous avons toujours été les parents pauvres ; nous n'avons jamais d'argent, jamais de moyens. Très peu de personnes sont concernées, dans les pays avancés, pour faire le transfert de technologies vers le Tiers-Monde, parce  qu'il n'y a pas de marchés industriels, pas d'argent.

Cela n'intéresse personne en dehors de la philanthropie d'un certain nombre de nations comme la France, qui consacrent une partie conséquente de leur budget à cette aide, peut-être dans certains cas liée à des occasions de développement industriel, mais avec une optique a priori philanthropique.

Je pense que cette situation est en train de changer. Depuis deux ou trois ans, je suis personnellement très surpris de constater que beaucoup de compagnies, essentiellement mais pas uniquement américaines, également européennes, qui n'étaient pas du tout intéressées par le Tiers-Monde, le deviennent de plus en plus.

La raison en est le génie génétique, l'outil génétique et la biodiversité. Toutes les plantes que l'on cultive dans les pays avancés viennent en très grande majorité des pays en voie de développement. Maintenant, avec le génie génétique, on a la capacité technique d'aller chercher un gène dans un autre organisme et de le mettre dans la plante que l'on cultive.

Pour donner un ordre de grandeur, il y a des centaines de milliers d'espèces de plantes et on en cultive en gros cent cinquante. Il n'est pas question que l'on revienne en arrière, que l'on remette en cause des centaines, voire des milliers d'années d'amélioration du maïs, par exemple.

On va donc continuer à améliorer le maïs, mais on a besoin de nouveaux gènes, qui sont dans les pays du Tiers-Monde, dans les plantes sauvages, qui n'ont pas été exploitées de façon conventionnelle par la sélection, tout simplement du fait de barrières de croisements qui empêchent de le faire.

Le génie génétique va maintenant nous permettre de le faire, d'aller chercher des gènes de résistance à des maladies, à des viroses, des bactérioses, etc. qui se trouvent dans des plantes sauvages, et de les mettre dans des plantes cultivées.

Je reviens donc sur l'intérêt grandissant des compagnies privées américaines et européennes, qui se disent maintenant qu'elles auront besoin de plus en plus de gènes, que la richesse sera de pouvoir disposer des gènes, les manipuler, les intégrer où l'on peut en faire quelque chose.

Pour le riz, par exemple, il y a une douzaine d'années la fondation Rockefeller a monté un programme de biotechnologie du riz, tout simplement parce qu'en quantité, c'est la première céréale produite dans le monde. On a pensé que, si l'on travaillait sur cette plante, on avait des chances d'avoir un impact sur un très grand nombre de personnes, donc d'avoir davantage d'impact sur votre investissement.

Il y a une douzaine d'années, 84 millions de dollars ont été dépensés sur ce programme et le riz, qui était une plante très peu connue et peu étudiée, est maintenant devenue une plante-modèle très étudiée, qui a de nombreuses possibilités en matière de recherche.

De ce fait, cette plante-modèle va devenir la deuxième après Arabidopsis , que l'on vous a mentionnée tout à l'heure. Maintenant, on parle du riz ; il y a un programme international pour séquencer le riz et, en 2003, on aura probablement complété la séquence du riz.

Toutes les compagnies privées que je mentionnais tout à l'heure ont donc soudain vu l'intérêt de cette plante-modèle, mais également la possibilité de l'utiliser comme l'un des marchés les plus importants dans le monde dans le prochain millénaire.

Je voulais simplement vous resituer le contexte. On parle toujours du Tiers-Monde comme le parent pauvre, en invoquant la philanthropie, l'aide gratuite pour justifier un certain nombre d'actions, etc... Mais je pense que ce ne sera plus vrai très prochainement, et que la France, qui a investi pendant des décades, la plupart du temps de façon philanthropique, devrait continuer à jouer cette carte.

Il faut absolument que le secteur public, français entre autres, et européen, ait son mot à dire, que l'on ne laisse pas toutes les multinationales prendre trop d'avance, encore que l'on aura besoin d'elles parce que, comme on l'a mentionné tout à l'heure, il est impossible de travailler sans le privé.

Mais si l'on peut jouer à partenaires égaux, si l'on peut apporter quelque chose, on doit absolument le faire. Je serai prêt à répondre à des questions éventuelles plus tard.

M. Le Président - Je vais maintenant donner la parole à Monsieur Santini, qui a eu plusieurs postes de responsabilité chez Rhône-Poulenc.

Monsieur Cohen disait que, pour 60 millions d'habitants, la recherche publique et privée fonctionnait plutôt bien dans ces domaines. Nous reviendrons sur certains points que vous avez indiqués.

Daniel Chevallier est dans la salle et a fait le premier rapport sur les biotechnologies à l'Assemblée nationale en 1991, à l'époque où cela n'intéressait pas grand monde. Aujourd'hui, on réclame le débat, mais il existait déjà pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Vu de l'extérieur, j'ai tout de même eu l'impression qu'à l'époque, vous étiez en pointe, et que vous vous êtes arrêtés un certain nombre d'années, qu'il n'y a peut-être pas eu la même pression au niveau des recherches chez Rhône-Poulenc. Pourquoi ? Si oui, est-il très important de redémarrer maintenant ?

M. Santini - Pour compléter la présentation de Monsieur Le Déaut, je souhaite dire qu'étant moi-même fils d'un agriculteur corse de montagne qui a fait du porc pendant plusieurs générations en ignorant tout de la génomique, je comprends largement les bénéfices de cette technologie. Je voudrais essayer de la partager avec vous avant de répondre à la question précise de Monsieur Le Déaut.

Pour replacer cela dans un contexte un peu plus général et partant simplement de besoins fondamentaux de nos générations et des générations passées, qui ont des besoins de se nourrir et de se soigner, les hommes ont progressivement inventé et découvert la chimie et la biologie. La génomique s'inscrit dans une démarche de compréhension où l'on essaie de mettre au point des modèles pour arriver à mieux satisfaire les besoins fondamentaux que sont ceux de se soigner et de se nourrir.

En se cantonnant simplement à la nourriture et à tout ce qui a trait à l'agriculture, les gènes sont très importants à connaître et à étudier, qu'il s'agisse d'organismes publics ou d'industries privées, qui ont des finalités différentes. Les enjeux pour nos sociétés sont considérables, comme les enjeux de la maîtrise et de la connaissance des sciences chimiques et physiques.

Ces progrès ont été accomplis et ont permis d'améliorer considérablement notre niveau et notre espérance de vie au plan planétaire. Il est donc important de travailler les gènes et de les connaître.

En effet, cela permet de mieux connaître des modèles. Comme en chimie et en biologie, on a mis au point des modèles, qui ne sont qu'une faible représentation de la réalité.

Tout à l'heure, on mettait l'accent sur la différence entre l'aspect purement mécanistique et la compréhension des fonctions, qui sont la traduction de l'extrême complexité du milieu dans lequel nous vivons. Je pense qu'il est absolument important de connaître ces gènes pour mieux construire petit à petit la compréhension avancée de la prévision -nous sommes dans le domaine de l'agriculture-, pour pouvoir mieux produire, mieux prédire, donc amener ces progrès attendus.

Sans entrer dans les détails techniques de ce que va nous amener la connaissance des gènes -Monsieur Paillotin les a donnés-, je voudrais simplement insister sur l'importance de cette démarche. Je mettrai l'accent sur l'importance de la connaissance, de l'investissement dans le domaine de la recherche, qui va nous amener à pouvoir mettre au point des cultures qui répondront mieux à nos besoins et amener ces progrès attendus.

C'est un plaidoyer pour la recherche, et notamment celle des gènes, comme on a investi et avancé dans le domaine de la connaissance de la matière au plan chimique et physique.

Mon deuxième commentaire concerne les investissements en recherche, et je me rapproche de la question de Monsieur Le Déaut sur l'industrie privée, sur la façon dont l'industrie privée a parcouru les temps et la façon dont elle voit la coopération avec les instituts de recherche publics.

Je pense que, là encore, il est important de bien voir les enjeux majeurs. Ils sont d'abord économiques, mais ils sont aussi scientifiques. L'importance de cette description nous amène à admettre et à reconnaître les bénéfices liés à une coopération entre les recherches, qu'elles soient fondamentales ou appliquées.

En disant cela, j'exprime le fait que la compréhension des enjeux majeurs, qu'ils concernent l'alimentation ou la santé, amène les scientifiques devant la problématique suivante, soumise par la politique et la société : quels sont les verrous technologiques qui se posent pour pouvoir satisfaire ces enjeux ?

Je donne un exemple qu'il n'y a pas dans le domaine de la culture, mais que l'on comprend facilement : actuellement, on perd près de 40 % de l'électricité dans son transport. Il y a donc un enjeu économique associé à un enjeu scientifique, mais qui a une problématique scientifique claire : trouver un matériau supra-conducteur.

Dans le domaine des gènes, c'est pareil. Il existe des enjeux qui se traduisent par des verrous technologiques que le scientifique est capable d'exprimer avec son langage, derrière lequel des équipes se mobiliseront pour les résoudre.

C'est toute l'explication et toute la logique qu'il y a derrière l'importance de la coopération entre les chercheurs dans le domaine public, qui feront avancer la science et la connaissance, et les chercheurs dans le domaine de l'industrie ou des organismes plus appliqués, qui traduiront cette connaissance fondamentale en termes appliqués et lui donneront une notion et une valeur de progrès pour les communautés.

Depuis quinze ans, Rhône-Poulenc est dans le domaine des biotechnologies. Il a investi et continue à investir des sommes importantes dans le domaine de la recherche dans les technologies nouvelles, et nous voyons les biotechnologies comme une technologie nouvelle qui a ses potentialités, qui soulève ses questions.

Nous avons maintenu ces investissements à un niveau constant. Simplement, dans le cadre des progrès réalisés dans ce domaine, le chercheur ne programme pas ses découvertes dans le temps : on cherche mais on trouve également, et chaque journée apporte ses résultats. Le chercheur a pu produire ses résultats, mais à un certain moment, les marchés sont prêts pour les accepter et les développer.

Toute découverte a un avantage si elle arrive à un moment où elle est acceptée et où les progrès sont clairement perçus et reçus. Cette mise en phase doit donc s'opérer, et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles la perception exprimée par Monsieur Le Déaut existe.

Quant aux brevets, je voudrais au préalable rappeler leur finalité. Dans l'histoire, les brevets ont été  créés pour inciter les organismes à publier le résultat de leurs recherche, en échange de quoi on leur garantissait un droit privilégié vis-à-vis de l'exploitation. C'est donc une finalité de publication et de partage des résultats qui, à l'origine, justifie leur existence.

Telle est donc la mécanique, mais il ne faut pas oublier que les brevets sont des résultats acquis après des investissements en recherche lourds, et que le retour sur investissement qu'accorde le brevet permet de réinvestir en recherche.

Il faut donc considérer le brevet comme étant un élément du moteur global, l'essence de l'ensemble, qui permet d'alimenter ce moteur de l'innovation qui fait progresser nos sociétés et qui protège les résultats d'une société ou d'un organisme public (les brevets ne sont pas réservés aux sociétés privées mais également aux organismes publics) en échange de la protection de l'exploitation de la découverte.

Enfin, la découverte n'est brevetable que si elle apporte quelque chose de nouveau et si elle apporte un progrès. Et je peux vous garantir que les organismes officiels de tous les pays qui protègent les déposants au titre des brevets demandent que ces critères soient parfaitement respectés.

Si l'on n'apporte pas quelque chose de nouveau et un progrès, la protection n'est pas assurée, et c'est en cela que l'on retrouve le moteur de l'innovation et de l'économie, qui justifie que ces sciences soient développées.

M. Le Président - Après tout ce qui s'est dit, je souhaite poser une question à Monsieur Paillotin.

On vient de dire que, finalement, la recherche est d'un bon niveau, et que les crédits se sont taris dans le privé.  Dans le public, les crédits sont-ils suffisants ?

A l'INRA, vous êtes en pointe dans ces domaines. Notamment dans de nouveaux développements comme les puces à ADN, y a-t-il des développements à l'INRA ou dans d'autres organismes de recherche français ?

Avez-vous des crédits suffisants en génomique végétale ? Quels sont les rapports entre le public et le privé dans ce domaine ?

M. Paillotin - Je pense que les crédits de la recherche publique sont bons en France. Le problème, c'est de pouvoir donner un coup d'accélérateur dans certains cas, ce qui n'est pas simple dans des budgets un peu reproductibles.

C'est donc le point que l'on rencontre actuellement, mais de façon favorable -Monsieur le Député, vous aurez à le voir en fin d'année- au niveau de la génomique, parce que nous avons de bons moyens de développer de la génomique végétale et animale (je ne parle pas de la santé).

Mais il faut donner un coup d'accélérateur et j'ai bon espoir que les pouvoirs publics aideront la recherche publique et la recherche privée à donner ce "coup de collier" dans les mois qui viennent.

Je rejoins ce qui a été dit par d'autres : il ne faut faire de la paranoïa ni sur la génomique ni sur les brevets. L'INRA doit juger de ses investissements par rapport à l'ensemble de la filière agro-alimentaire. On parle beaucoup des OGM et des biotechnologies ; c'est important et cela peut l'être sur un plan stratégique mais, au départ, sur un plan économique, ce n'est pas aussi évident.

Je rappelle souvent que les dépenses en produits phytosanitaires en France sont de 15 milliards de francs et que le chiffre d'affaires de l'industrie agro-alimentaire est de 750 milliards de francs. Il faut donc cibler ces recherches.

L'industrie agro-alimentaire, qui n'est pas aussi présente que cela dans ces débats, dira que ce qui compte pour elle, c'est le génie agro-industriel. Sur le plan économique global, il faut donc faire attention. Il faut veiller à l'aspect stratégique que pourrait avoir la génomique. C'est plus délicat. Le fait de prendre des gènes à tort et à travers dans tous les sens n'aurait aucun intérêt.

L'idée est qu'il peut y avoir dans cette connaissance de base des points de passage un peu obligés qu'il faut pouvoir maîtriser, ou au moins échanger avec des partenaires. C'est là que l'on est amené, en agro-alimentaire, à s'associer nécessairement avec l'industrie.

Un organisme comme l'INRA n'a pas pour mission première de faire de la génomique un trou noir qui pénaliserait le reste des activités agro-alimentaires. En second lieu, il n'a pas la capacité à lui seul d'avoir une stratégie de prise de brevets qui soit cohérente.

Enfin, l'INRA n'a pas la capacité de faire seul les attaques contre les breves indus car beaucoup de brevets ne tiendront pas. On le sait bien.

Il est vrai qu'il doit y avoir invention et pas simplement découverte. D'ores et déjà, beaucoup de brevets sont un peu plus loin que cela. Ce sont des batailles juridiques, mais l'INRA n'a pas les reins assez solides pour faire ces batailles juridiques.

Ensuite, dans l'association avec l'industrie, il nous fallait faire deux choses : maintenir les avantages existants (je parle cette fois-ci de la génétique française) et protéger l'avenir sur le plan stratégique.

Les avantages de la génétique française sont connus. Elle est efficace. Elle est faite majoritairement par des PME innovantes, qui ont la capacité et la maîtrise des méthodes classiques de la génétique, et une maîtrise de quantités de gènes qui nous sont enviés.

L'INRA ne peut pas abandonner cette maîtrise. On ne  peut pas dire que nous oublions cet avantage et que nous allons passer à un avantage qui favorisera au contraire a priori des grandes firmes, voire des multinationales. Il y a donc un vrai problème de stratégie d'équilibre des forces.

L'INRA a un département d'amélioration des plantes qui comporte mille personnes, ce qui n'est pas négligeable. Il y a une collaboration totale avec les semenciers français qui sont dans une problématique PME.

Il fallait que nous nous alliions avec ces firmes pour leur faire comprendre leur intérêt dans l'avenir. Il fallait que nous ayons le support d'un industriel, qui est Rhône-Poulenc. Pour pouvoir aborder tous des problèmes de valorisation et de suivi des brevets, il fallait aussi que nous nous associions avec les organisations professionnelles d'agriculteurs, qui sont souvent, par le biais de coopératives, celles qui vont distribuer ou faire utiliser ce progrès par les agriculteurs.

Ce travail de gestion, qui n'est pas de la science pure, est donc tout à fait déterminant. Avant de lancer ce projet de génomique végétale et animale, qui va démarrer quoi qu'il advienne, nous avons également été amenés à discuter assez précisément -ce n'est pas terminé- de la façon dont nous allions gérer la propriété industrielle, de manière à ce qu'il y ait un avantage pour tout le monde.

Si nous gérons la propriété industrielle en donnant par exemple à une firme très importante une main-mise sur des semences classiques que l'on a développées avec des PME, nous ne sommes pas dans notre rôle. Il a donc fallu arriver à un consensus où chacun puisse profiter du système.

J'insiste beaucoup sur ce point, parce que l'on présente souvent les choses comme étant scientifiques ou pas, mais elles sont aussi humaines, sociales, etc., et elles sont l'affaire d'un équilibre.

Je ne sais pas si j'ai répondu à l'ensemble de votre question, mais un projet de génomique en France démarre dans de bonnes conditions. J'ai bon espoir que le financement public sera suffisant, et nous ferons l'effort nécessaire, sans pénaliser les industriels de l'agro-alimentaire dont j'ai rappelé l'importance tout à l'heure.

M. Le Président - Nous reviendrons sur un certain nombre de questions.

Je voudrais maintenant poser une question à Monsieur Danchin, qui a dit une phrase qui me paraît très importante : les organismes vivants sont capables de produire de l'imprévu. Finalement, dans ce domaine, qui est à la fois économique et psychologique -on l'a vu avec les réactions des consommateurs-, et qui a des dimensions dans tous les domaines de l'influence du développement des sciences et des techniques, des conséquences économiques et sociales du progrès scientifique et technique, l'imprévu ou le prévu arrivent-ils où on les attend ?

Finalement, dans ce débat sur les OGM, où nous avons des tableaux fortement contrastés selon les personnes qui parlent, le politique est là même s'il a quelques capacités de compréhension. C'est le cas d'un certain nombre de politiques mais, pour d'autres, ce n'est pas leur formation. Ils entendent des experts ayant des avis totalement opposés, et l'on est souvent confronté au paradoxe suivant : prendre des décisions politiques dures sur des certitudes scientifiques molles.

L'imprévu arrive-t-il où on l'attend ? Vous qui suivez depuis très longtemps ces questions du développement de la biologie, pouvez-vous nous dire si, finalement, toutes les peurs indiquées sont les vraies peur ou s'il y en a d'autres ?

M. Danchin - Vous changez fortement le thème de cette table ronde, mais je peux néanmoins essayer de répondre.

L'une des particularités de la recherche en biologie, qu'expérimentent tous les jours les chercheurs, et qui trouble beaucoup les jeunes chercheurs, c'est qu'en général, nous fonctionnons de manière hypothético-déductive, c'est-à-dire que nous faisons des hypothèses, nous prévoyons les réponses, essentiellement par oui ou par non.

Nous construisons donc des organismes vivants ayant des propriétés particulières, dont nous prédisons les réponses, et la plupart du temps, au lieu de répondre oui ou non, l'organisme vivant répond autre chose, qui n'a rien de commun avec ce que l'on avait imaginé. C'est très éprouvant mais en même temps tout à fait fascinant.

Il s'agit d'essayer de comprendre quelle est l'intégration des fonctions qui produit cette innovation systématique. Evidemment, lorsque l'on parle de cas extraordinairement ponctuels, par exemple la couleur d'une cellule, ou ce qui va tout à fait à la fin d'un chemin métabolique, en général mais pas toujours, on peut prédire ce qui va arriver.

On peut à peu près prédire que, si l'on a touché telle activité enzymatique à tel endroit parce que l'on connaît les réactions chimiques, on changera la couleur de telle ou telle manière. Mais, très souvent, dès que l'on remonte un peu, on ne peut plus le dire. C'est ce que je vous ai dit à propos du cristallin de l'oeil tout à l'heure.

C'est un point important, mais il y a un débat derrière : celui de la certitude scientifique. Autant je pense qu'il ne faut pas être relativiste, c'est-à-dire qu'il y a progression systématique en science, qui est fondée sur le passé, la création du savoir passé, autant je pense que nous dérivons de deux traditions tout à fait opposées selon lesquelles les scientifiques jouent souvent un rôle qui n'est pas le leur.

Je m'explique. Georges Dumézil, qui s'était beaucoup intéressé aux mythes et épopées depuis l'Inde jusqu'aux pays scandinaves et à l'Irlande, a remarqué que, dans tous les mythes et épopées, y compris ceux qui sont à la base de nos civilisations, on trouve trois fonctions principales : le prêtre, le laboureur et le soldat. Ces trois fonctions sont liées à une perception de l'environnement très particulière.

Il y a des personnes (les prêtres) qui entendent une vérité et qui peuvent la donner ; ceux qui appliquent cette vérité, les laboureurs, sont là pour cela, avec tout le succès que cela a dans la culture ; si certaines personnes ne veulent pas comprendre, les soldats sont là pour le leur faire comprendre.

Il y a longtemps, j'ai vu sur le fronton des églises en Algérie "Deo ense et aratro" ("Par Dieu, par l'épée et par la charrue"). Cela dit explicitement une partie de notre culture, qui est typiquement celle que l'on trouvait dans l'empire romain et que l'on trouve beaucoup aux Etats-Unis actuellement, mais ce n'est pas la culture de la science.

Clairement, Dumézil, d'ailleurs avec un peu d'amertume, remarquait que les mythes grecs, pour la plupart, n'entraient pas dans les trois fonctions. Le personnage central chez les Grecs, c'est le philosophe, qui serait le savant actuellement.

Le philosophe, c'est celui qui sait qu'il y a une différence entre la réalité du monde et les modèles du monde qu'il fait, et que, même s'il tombait sur la vérité -c'est ce que disait Xenophane de Colophon il y a 2600 ans-, il ne pourrait pas le savoir.

C'est un dialogue constant entre modèle et réalité qui fait la science, et aucun savant ne peut donc vous dire autre chose que ce qui correspond à un modèle de la réalité et non à la réalité. Dès qu'il se pose autrement, il se pose en prêtre, et nous sommes dans une logique de pouvoir très différente, celle du prêtre, du laboureur et du soldat.

Dans le débat des OGM, je me suis préoccupé de cela depuis l'origine, en fait depuis d'Asilomar, et j'ai été explicitement contre le moratoire Asilomar, précisément parce que je pensais que l'on se trompait gravement de cible.

Pour des raisons qui seraient intéressantes à explorer (peut-être parce que c'est une technologie nouvelle, peut-être parce que c'était biaisé pour des raisons de pouvoir économique de certains acteurs, etc.), il me semblait et il me semble toujours que, dans un grand nombre de cas, les manipulations génétiques qui se font in vivo , dans la nature, spontanément (notamment dès que l'on utilise un engrais ou un insecticide, ce que l'on fait chaque jour, ou, plus grave, lorsque l'on utilise des antibiotiques en médecine vétérinaire, pour faire grossir des animaux), sont des manipulations génétiques en vraie grandeur qui, à mon avis, sont bien plus dangereuses que la plupart de celles dont nous discutons, notamment à propos des végétaux.

Cela étant, cela ne signifie pas du tout qu'il n'y a pas de problèmes. Il faut se poser le problème de façon explicite, mais ce qui me paraît le plus curieux et le plus grave, c'est que les manipulations génétiques sont envisagées dans deux domaines : un domaine médical et un domaine agronomique.

Dans le domaine médical, il n'y a curieusement pas de crainte et, dans le domaine agronomique, il y a de grandes craintes. Or, je pense que l'on devrait avoir des sentiments contraires.

Il y a un point que je considère comme très grave, également lié à nos sociétés : nous craignons systématiquement ce qui est différent et non ce qui est proche de nous. L'histoire du sang contaminé est typique de cela : personne ne craignait le sang et on ne craint toujours pas, curieusement, alors que plus les organismes vivants sont proches de nous, plus ils sont dangereux, parce qu'ils sont pré-adaptés.

Le peu de changement qu'il faut faire pour produire quelque chose qui conduirait à une éventuelle catastrophe est presque fait.

Dans ce débat -c'est la raison pour laquelle je n'ai jamais voulu y participer-, il me semble que, pour des raisons que je ne comprends pas vraiment, les dés sont pipés, c'est-à-dire que tout est entièrement lié à des sentiments, alors que personne ne regarde les choses en face.

D'abord, à chaque fois que l'on utilise une technique, c'est-à-dire que l'on met un engrais ou un insecticide, on fait des manipulations génétiques. De toute façon, l'amélioration génétique est à la base de l'agriculture et il est clair qu'elle a altéré le paysage. Les champs de Beauce sont presque des champs minéraux. On n'y voit plus un insecte voler, et c'est terrifiant.

Je comprends l'attitude du public face à cette sorte de glissement progressif vers un monde vivant mais presque minéralisé, dû à une nécessité tout à fait réelle d'augmentation de la population. J'ai une grand mère qui a plus de cent ans, et elle a vu la population de la Terre plus que tripler depuis sa naissance. Il s'agit d'une révolution extraordinaire, qui a pour conséquence une altération générale de l'environnement, sans compter l'urbanisation, et je comprends qu'il y ait de nombreuses réactions liées à tout cela.

Mais je pense que ce qu'il se passe à propos des OGM est dangereux, parce que, alors que je pense qu'il y a de réels problèmes (par exemple le SIDA, où l'on a été capable d'arrêter quelque chose de très dangereux, un projet lié à la vaccination), lorsque l'on voit un objectif admis comme particulièrement valable éthiquement, on ne se préoccupe plus des risques.

Le vrai problème est donc un problème risques-bénéfices, dont il faudrait vraiment discuter calmement, sans avoir besoin de "vedettes" qui parlent en public. C'est aussi la raison pour laquelle, en général, je ne parle pas en public.

M. Le Président - Merci. C'est très lié à la recherche et, comme vous me l'aviez dit en privé, je souhaitais que vous donniez votre avis publiquement et que nous en discutions éventuellement.

On revient à certains points abordés tout à l'heure, notamment par Daniel Cohen, sur les relations public/privé, sur la relativisation ou la paranoïa sur les brevets. Néanmoins, vous n'avez pas répondu à ma question : y a-t-il des différences techniques entre les systèmes de brevetabilité de l'Europe et des Etats-Unis, qui sont à l'origine de handicaps pour nous ? Cela intéresse les parlementaires.

En second lieu, vous avez été assez dur, notamment sur la techno-structure, en disant qu'elle freinait finalement un certain nombre de choses. Les possibilités actuellement discutées pour des chercheurs de travailler  en partie dans le privé, ou de traitement fiscal et social des fonds investis dans des sociétés émergentes sont-elles suffisantes ou pas ? Faut-il les développer ? Si oui, quelles idées avez-vous pour faire en sorte de les développer ?

Nous sommes au Parlement, et j'en profite pour dire que, sur cette étude, on a l'unanimité totale de tous les groupes et de l'Office parlementaire, Députés et Sénateurs, pour la conduire et pour essayer de faire des propositions, et c'est important.

L'Office parlementaire est le seul endroit au Parlement où il y a des Députés et des Sénateurs, et de tous les groupes politiques. C'est donc l'un des endroits où l'on peut pousser un certain nombre de choses qui ont des chances ensuite, dans nos assemblées respectives, de passer les rampes législatives, ce qui est toujours très compliqué.

En effet, il y a quelquefois des fonds de commerce qui ne sont pas les mêmes dans nos différentes assemblées. Nous travaillons en amont de la législation, et c'est un peu nouveau.

Vous dites que nous sommes bons ; je dis oui ; pour vous, c'est certain. Pour le développement d'Evry, c'est certain ; pour des collaborations en végétal avec Evry, c'est certain. Y a-t-il un maillage ?

Je reviens d'universités américaines ; j'en ai vu plusieurs dans le Middle-West américain. J'ai vu des développements dans beaucoup d'autres universités. A-t-on le même type de développements en dehors de Paris ?

Ces questions ne sont pas les seules que nous ayons à résoudre au niveau de l'agriculture, comme le disait Guy Paillotin tout à l'heure, mais elles sont importantes.

C'est d'autant plus important -et je le dis à ceux qui n'ont pas la même perception- que la difficulté pour  le Parlementaire actuellement est de traiter à la fois  du problème du débat public qui n'a pas eu lieu et des enjeux au niveau de la recherche et au niveau économique.

Nous sommes sur deux débats différents ; lorsque l'on traite des enjeux ou de la recherche, on pense que l'on est en avance, que l'on a déjà choisi, mais, en même temps, on a ces deux notions à traiter de manière parallèle, et c'est difficile.

Monsieur Cohen, quelles sont vos positions sur toutes ces questions ? Quelles suggestions feriez-vous ? Demain, nous auditionnerons le Ministre de la recherche sur ces questions.

M. Cohen - Je n'ai pas dit que nous étions bons. J'ai dit que nous avions pu être bons à un certain moment. Nous avons été efficaces en génomique à un certain moment et, les fonds privés s'étant taris, l'activité s'est un peu essoufflée.

Lorsque l'on considère les publications sortant de France depuis trois ou quatre ans, on constate que ce n'est plus du tout compétitif par rapport à ce qu'il se passe ailleurs.

Je disais en revanche que le potentiel de formation en France était extraordinaire. Le niveau des chercheurs est excellent.

Ce sont essentiellement les financements qui se sont taris, quoi que l'on en dise.

Le deuxième point consiste à savoir s'il y a des différences qui confèrent des avantages aux Etats-Unis en matière  de brevets, simplement par leur système de brevets.

Avant de parler de la qualité des brevets, déjà dans les systèmes de brevetage américain, le secteur public brevète-t-il ?

Les chercheurs académiques des universités américaines ont été les premiers à breveter, depuis très longtemps, parce qu'il s'agissait d'universités privées, qui recevaient très peu de fonds publics, et que cela a été le moyen, dans les universités comme Stanford, de continuer à vivre. Les revenus de Stanford viennent pour la plupart des licences sur les brevets. Du fait qu'ils en ont fait moins, cela commence à aller mal financièrement.

De ce fait, les organismes vraiment publics comme le NIH ont commencé à breveter, mais il y a très peu de temps (une dizaine d'années), et pour avoir vécu cela, une chose est extraordinaire : il y a vis-à-vis des brevets déposés par les organismes publics américains, une préférence nationale très forte. Lorsqu'une société français essaie d'avoir une licence d'un brevet du NIH, on lui dit toujours que, si un Américain veut ce brevet, il est prioritaire.

Je ne suis pas sûr que ce soit une stratégie adoptée en France, d'abord parce que peu de brevets sont déposés, donc le problème ne se pose pas tellement. Mais, s'il se posait, il n'y a pas dans les textes de mention de préférence nationale. Je ne sais pas si elle est bonne ou mauvaise, mais c'est assez difficile à gérer parce qu'en réalité, les sociétés françaises comme Rhône-Poulenc ou même ma compagnie sont toutes multinationales et ont des intérêts aux Etats-Unis.

Il y a une réflexion à avoir sur la façon dont les organismes publics français attribueront les droit d'exploitation lorsqu'ils brevètent. C'est une vraie question.

Existe-t-il des différences entre les natures des brevets existant aux Etats-Unis et en Europe ? Il y en a encore quelques-unes. Certaines choses, comme certains organismes transgéniques, sont brevetables aux Etats-Unis et ne le sont pas en Europe. Il y a certainement une égalisation à faire. Je ne veux pas entrer dans le détail de tout ce qui est différent, mais ils ont en général des admissions de brevets qui ne se feraient pas en Europe, que ce soit justifié ou pas.

En second lieu, il y a une différence dans les publications. Lorsque l'on brevète, on peut publier. Le brevetage est une source de mise dans le public de l'information. En revanche aux Etats-Unis, on peut dans certaines  circonstances retarder la publication des données pendant pratiquement cinq ans après le moment du dépôt. Est-ce valable ou pas ? C'est également un grand débat.

Dans le domaine concurrentiel dans lequel nous vivons, la publication d'un brevet peut être à notre désavantage, parce que le concurrent peut toujours avoir une idée qui, bien qu'utilisant l'idée du brevet, la contourne. Ce n'est donc pas toujours très bon, à certains points que l'on évite souvent de breveter. On préfère garder l'information technologique plutôt que la breveter, pour garder la priorité pendant plus longtemps.

Quant à la troisième question, le développement potentiel dans le secteur public en France est possible. Le problème, c'est qu'en créant le Centre national de séquençage ou le Centre de génotypage à Evry, on a créé un seul centre qui diminuera les chances de la province de se développer. Je l'ai toujours dit. Il valait mieux créer deux ou trois grands centres qu'un seul centre énorme, mais cela a été fait ainsi.

M. Le Président - J'en ai parlé avec Monsieur Tambourin du Génoscope. L'idée de faire quelques centres satellites en se basant sur la formation des personnes ne serait-elle pas la solution ?

M. Cohen - Oui, sur la formation et même sur la production des résultats, tout simplement parce qu'il est dangereux de confier un développement aussi important à un seul endroit, parce qu'il peut y avoir des dérives dans un mauvais sens. Les idées peuvent manquer à un certain moment ; n'importe quoi peut arriver.

En laissant à trois ou quatre centres en France l'occasion, même d'entrer en compétition les uns avec autres, c'est beaucoup plus stimulant et beaucoup plus sûr à long terme.

M. Le Président - Merci. Je vous donne quelques chiffres que j'ai extraits d'un document du CNRS, sur les brevets publiés par zone géographique dans le domaine des plantes transgéniques :

- Etats-Unis : 49 %

- Europe : 31 %

- Japon : 14 %

- Reste du monde : 6 %

Nous avons l'évolution des brevets, et c'est de loin dans le domaine des plantes transgéniques que l'évolution des brevets est la plus importante dans le monde entier, avec une courbe énorme par rapport aux brevets toutes disciplines confondues, et même aux brevets dans les biotechnologies.

Un point est tout de même inquiétant -on le connaît et on le redit dans chaque colloque ou congrès- : lorsque l'on compare les documents publiés et les brevets publiés, on arrive aux chiffres suivants :

- Etats-Unis : 40 % et 40,8 %

- Europe : 40,4 % et 31,1 %

- En Europe, c'est la France qui présente les plus mauvais chiffres : 7,8 % de documents publiés, toutes sciences confondues, et 2,9 % de brevets publiés.

Cela progresse peu d'année en année. Nous le redisons à chaque fois, nous le martelons, mais il y a tout de même, ainsi que je disais au début, une sorte de mal français.

Même si ce n'est pas la même problématique, nous l'avons liée tout à l'heure ; on a peu parlé des pays du sud. Monsieur Fauquet peut le développer, et je demanderai ensuite à Monsieur Santini de répondre à toutes les questions abordées dans la discussion, puis il y aura des questions dans la salle.

M. Fauquet - Avant de parler des pays du sud, je voudrais simplement revenir sur le public/privé. Il faut se rendre compte du fait que le privé a la puissance, l'argent. Monsanto peut acheter 2,5 milliards de dollars de compagnies en un an, mais ce que le privé n'a pas, c'est la créativité ; c'est un pool de scientifiques où il se passera des choses.

Cela provient du fait que la créativité ne peut pas se prédire, se prévoir, se planifier. Or, toutes les compagnies privées planifient leurs résultats, leurs investissements, etc.

Cela m'amène à la comparaison France-Etats-Unis. Il est vraiment flagrant qu'aux Etats-Unis, il y a une énorme quantité d'investissements du secteur privé dans les universités pour cette simple raison. A l'heure actuelle, on assiste même à des situation extraordinaires. Dans l'institut où je travaille, des compagnies viennent proposer d'investir pendant cinq ans 1 million de dollars par an sur ce que l'on veut, parce que l'on ne peut pas prédire quels seront les nouveaux développements, les nouvelles découvertes, etc.

En revanche, on peut prédire la technologie qu'il y a dans un endroit donné, les compétences, les cerveaux, etc. Il y a donc un investissement constant du privé dans le public pour alimenter cette créativité, que l'on traduira ensuite avec des brevets.

Cela m'amène à la discussion que nous avons eue tout à l'heure : dans le secteur public américain, il y a beaucoup de dépôts de brevets que l'on offre ensuite au secteur privé, c'est-à-dire que les universités américaines brevettent mais ne paient pas les brevets. Dès qu'elles ont déposé un brevet, elles vont l'offrir au secteur privé, en partant du principe que, si c'est intéressant, il investira et payera pour les brevets.

Mais l'université restera propriétaire ; elle aura des royalties et un certain nombre de revenus, comme Stanford. Si l'on examine le nombre de nouvelles petites compagnies privées ou d'investissements de grosses compagnies autour des universités, on constate que c'est concentrique. C'est extraordinaire ; on peut dessiner des centres autour des universités.

Nous n'avons absolument pas ce mécanisme en France, et il faut absolument le développer si l'on croit à l'interface privé/public. Je suis un très fort partisan de cela, parce que je pense que l'on peut associer la créativité, qui n'est pas poussée vers des objectifs bien précis, et l'investissement et le pouvoir financier, etc.

Je voulais faire honneur à mon voisin pour tous les concepts philosophiques et théoriques qu'il nous apporte, auxquels je concours, mais je pense qu'en plus du laboureur, du guerrier et du prêtre, nous devons maintenant associer l'avocat.

Qu'on le veuille ou non, étant public, avec ma formation française bien publique, etc., je suis confronté depuis dix ans à ce monde privé, même dans une université publique où l'avocat est très important. Je me suis rendu compte que, par exemple, la valeur d'une découverte que  nous avons faite en laboratoire peut aller de zéro à un chiffre extraordinaire selon que l'on trouvera les clients  qu'il faut et un partenaire qui défendra le brevet.

Cela fait la pluie et le beau temps. De ce fait, une découverte sera exploitée ou pas, et c'est très important, dans ce monde d'affaires, d'argent, de développement, etc.

C'est également la raison pour laquelle il doit y avoir une interface entre le public et le privé. Une université publique, même américaine, n'a pas les moyens de se payer vingt cinq avocats pour défendre ses brevets, de dépenser 30.000 à 50.000 dollars par brevet pour le maintenir pendant trois à quatre ans.

Or, c'est ce qu'il faut. C'est une règle du jeu nationale et maintenant internationale qui a été mise en place, et qu'on le veuille ou non, c'est ainsi. On doit donc absolument développer ces différentes interfaces pour l'ensemble des raisons que j'ai mentionnées.

Nous pouvons maintenant revenir au débat non plus public/privé, mais pays avancés et pays en voie de développement. Comme je l'ai dit tout à l'heure, on a toujours considéré qu'il y avait d'un côté le sentiment que le Tiers-Monde demandait l'aumône et de l'autre les pays riches qui donnaient gratuitement les trois quarts du temps.

Je pense que l'on doit changer cette mentalité, parce que, dans la réalité, la population ne se trouve pas dans les pays avancés. La plus grande partie de la population se trouve dans des pays en voie de développement et, en 2030, 90 % de la population s'y trouveront. On ne peut pas ignorer cette situation, parce qu'il y a un aspect masse énorme auquel nous devrons répondre.

Nous devrons aider ces pays à s'en sortir si nous ne voulons pas nous-mêmes en souffrir. Nous devrons aider ces pays à arrêter de couper leurs forêts si l'on veut garder la biodiversité à notre avantage. Il faudra aussi que le secteur privé, qui commence à investir dans le Tiers-Monde, investisse davantage. Il faudra donc changer un certain nombre de mentalités.

On ne fera plus l'aumône aux pays en voie de développement. Nous devons les considérer comme des sources de ressources biologiques indispensables pour notre développement, et au travers de cela, nous devons les aider eux-mêmes à s'en sortir et à se développer.

Dans le secteur privé, plusieurs compagnies multinationales se sont rendu compte de cet état de choses. Elles se sont rendu compte qu'avec un milliard de Chinois, si chaque Chinois achète une graine de riz, cela représente beaucoup de dollars. L'Europe doit absolument avoir la même évolution. Nous devons récupérer une partie de l'investissement que les pays européens, et en particulier la France, ont fait.

Depuis des décades, on a investi sans le vouloir dans plusieurs pays du Tiers-Monde. On les a aidés. Nous devons continuer à le faire. Nous devons inciter nos industriels français et européens à s'associer à cela et à investir dans ces pays, parce que c'est là qu'il y a la biodiversité, c'est là que l'on va trouver les milliers de gènes que l'on utilisera dans l'avenir.

Je termine par une remarque générale : je pensais que je venais à un débat où on allait parler des organismes génétiquement modifiés, les pour, les contre, les avantages et les inconvénients ; je m'aperçois que nous avons largement dépassé le débat, et je m'en félicite pour plusieurs raisons :

- Tout à l'heure, lorsque je me suis assis, à 9 heures 30, j'ai eu l'impression de revenir dix ans en arrière parce qu'il y a dix ans, j'ai participé à de tels débats aux Etats-Unis, où la question était de savoir si l'on était pour ou contre les OGM, etc.

Maintenant, ce n'est plus du tout la question. Il s'agit de déterminer la façon dont on peut utiliser un certain nombre de gènes à bon escient ou le mieux possible, en sachant qu'il y a des risques, que l'on va faire des erreurs, qu'il y aura peut-être des catastrophes. Mais c'est inéluctable ; c'est l'avancement de la science et l'on n'y peut rien.

Essayons de le faire le mieux possible, de développer des recherches nous permettant d'éviter les catastrophes et de se limiter simplement à quelques faux-pas.

Il faut tout de même replacer les choses dans un contexte général : dans une plante, il y a de 30.000 à 50.000 gènes ; jusqu'à présent, on a étudié les gènes un par un, avec toutes sortes de technologies, et cela peut demander trois, quatre, cinq, dix ans ou plus. Parfois, on n'arrive pas à comprendre exactement la façon dont cela fonctionne.

En ce moment, on passe la vitesse supérieure. On a des technologies qui permettent d'étudier non plus un gène mais des milliers de gènes en même temps. C'est ce que l'on appelle la "technologie des puces à A.D.N.", et il faut que les compagnies européennes, que le secteur public européen investisse dans ces nouvelles technologies. On ne doit pas rater le train de ces nouvelles technologies, parce que l'on pourra maintenant étudier des ensembles de gènes.

Les produits des gènes ne fonctionnent pas à l'unité. Ce ne sont pas comme des petits individus placés les uns à côté des autres ; il y a des interactions constantes dans les cellules, où des milliers de protéines interagissent les unes avec les autres, et c'est très compliqué.

C'est la raison pour laquelle la séquence elle-même ne nous donnera pas la solution, ne nous donnera peut-être pas un certain nombre de brevets, mais nous ne devons pas rater le train de la génomique.

Tel est le véritable débat d'aujourd'hui. C'est plus que le génie génétique ; c'est de déterminer la façon dont on va étudier tous ces gènes et l'investissement nécessaire  pour que l'on ne rate pas ce nouveau train de la science, de façon à pouvoir mieux comprendre la façon dont fonctionnent ces organismes et à mieux utiliser certains de ces gènes qui, dans leur très grande majorité, ne sont pas dans nos pays mais sont dans les pays du Tiers-Monde.

M. Le Président - Monsieur Santini, voulez-vous vous  exprimer ? Y a-t-il déjà des questions dans la salle ?

M. Bernard Convent (PGS) - Je voudrais demander à la table ronde, et plus particulièrement à Monsieur Paillotin, comment on envisage la collaboration en matière de recherche génomique végétale au niveau de l'Europe.

M. Paillotin - Au niveau de l'Europe, sur des parties amont de la génomique, il y a des collaborations entre laboratoires universitaires (j'entends recherche fondamentale) et l'INRA. Il n'y a donc aucun problème.

Pour simplifier, certaines cartes génétiques ne peuvent être obtenues que par la collaboration internationale. On citait tout à l'heure le programme riz ; ce programme est très en amont et est international.

Ensuite, c'est la partie où l'on commence à coupler une recherche. Il ne faut pas "tourner autour du pot" : dans l'intitulé de cette table ronde, on voit bien que c'est la partie qui reste recherche cognitive amont, mais très liée à une valorisation industrielle.

Il n'y a donc pas de raison de ne pas forger l'Europe mais, pour l'instant, on n'y est pas tout à fait, et c'est le moins que l'on puisse dire. En tant qu'INRA, nous restons donc pour l'instant assez nationaux ; pour être clair, nous restons auprès de firmes qui paient des impôts en France.

Il nous arrive donc de collaborer, même étroitement, avec des firmes "étrangères", mais ayant une filiale en France, parce que nous pensons que, pour l'instant, c'est malgré tout le contribuable français qui nous alimente, et c'est parfois le contribuable européen qui  en a les bénéfices sans trop alimenter. Nous essayerons de traiter ce problème dans les cinq ans à venir.

Au niveau du projet français, j'ai oublié de citer une grande firme semencière qui est associée, dont le Président est présent : Limagrain ; je vous prie de m'en excuser. Nous partons avec des partenaires qui sont mondiaux,  aussi bien Limagrain que Rhône-Poulenc, mais nous ne sommes pas encore partis dans une optique européenne.

Mais pourquoi pas ? Je sais que vous-mêmes, avez en Allemagne les mêmes types de dispositifs. Comme l'a dit Monsieur Cohen, nous sommes 60 millions d'habitants en France mais, en Europe, nous avons davantage d'habitants que les Etats-Unis. Dans les parties fortement concurrentielles au niveau mondial, nous aurons donc intérêt à nous fédérer un peu plus sur les parties cognitives qui sont très liées aux applications industrielles.

Je n'ai pas répondu à l'évocation des puces à A.D.N. ; nous n'avons pas maîtrisé cette technique ; elle est faite ailleurs et elle n'est effectivement pas aussi disponible que cela. C'est donc un cas typique où il peut y avoir un verrou technique qui vienne perturber notre "compétitivité intellectuelle", si vous me passez cette expression.

Mais la France a réagi. Certaines organismes s'en préoccupent, notamment le CEA et le CNRS, qui sont davantage dans leur métier pour rattraper ce retard. On me dit que tout n'est pas encore bloqué par les brevets, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. C'est tout de même un bon exemple de technique qui peut être bloquée et il y a une possibilité pour la France, et pourquoi pas l'Europe, de figurer dans la compétition.

M. Le Président - Sur le développement des puces à ADN, Monsieur Cohen veut peut-être dire un mot. Je rappelle en quelques mots que le développement industriel des puces repose sur plusieurs technologies : la combinaison de techniques de micro-électronique, de chimie, de biologie moléculaire, d'informatique.

C'est un point important, parce que cela permettra de faire des percées rapides dans le domaine du diagnostic et de la connaissance des gènes. Lorsque l'on visite des laboratoires américains dans plusieurs villes, on voit qu'il y a un développement de ces secteurs.

M. Cohen - Les puces à A.D.N. ont été inventées en Europe, et non pas aux Etats-Unis. Elles ont été inventées à Oxford par un collègue, Ed Savlern, qui a déposé un brevet qui fait toujours souffrir les industriels américains ayant commencé à développer.

Mais je pense qu'il faut être très à l'aise et tranquille pour ces problèmes de puces, parce que l'on en développe en France, en particulier au CEA, et en Europe. Je crois qu'il y a eu une publication la semaine dernière dans "Science", où un groupe allemand a créé de nouvelles puces encore plus performantes que celles que l'on voit aux Etats-Unis.

Mais en tout état de cause, ces technologies sont faites, non pas pour être gardées par les industriels, mais pour être vendues par eux. Autrement dit, tous les chercheurs, publics ou privés, auront accès à ces technologies parce qu'ils achèteront ces puces.

Il  ne faut donc pas trop s'inquiéter. La puce est un outil de recherche, et il est tellement universel qu'il ne pourra pas être monopolisé par un ou deux industriels. Ce n'est pas possible parce qu'il y a la concurrence.

Il existait une compagnie de puces à A.D.N. il y a quatre ou cinq ans ; il en existe maintenant une quinzaine. Ce qu'elles veulent faire, c'est tout simplement vendre de la puce.

M. Le Président - Je souhaite poser une question à tous ceux qui sont autour de cette table ronde : finalement, les Suisses organisent une "votation", c'est-à-dire un référendum, le 7 juin ; j'ai d'ailleurs eu un texte très clair de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine à ce sujet.

Ce référendum précise en modifiant la Constitution suisse :

" Sont interdits la production, l'acquisition et la remise d'animaux génétiquement modifiés, la dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, l'octroi de brevets pour des animaux et des plantes génétiquement modifiés ou des parties de ces organismes, pour les procédés utilisés à cet effet et pour les produits en résultant.

D'autre part, la législation établit des dispositions concernant la production, l'acquisition et la remise de plantes génétiquement modifiées, la production industrielle de substances résultant de l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés, et enfin la recherche utilisant des organismes génétiquement modifiés susceptibles de créer des risques pour la santé humaine ou pour l'environnement.
"

Tel est le texte de la "votation". J'étais en Suisse dans le cadre de mon étude. Je suis allé en Autriche, en Suisse, aux Etats-Unis, et je vais continuer dans le temps qu'il me reste. Que pensez-vous de cela en tant que chercheurs ?

M. Cohen - Ils ont parlé du droit de vote des femmes, qui était encore pratiquement interdit il y a quelques mois et qui vient d'être pratiquement rétabli.

C'est tout à fait exagéré. Je pense que la grande erreur d'avoir une attitude anti-science et anti-technologies, ce que l'on voit apparaître dans une couche d'intellectuels en Europe, en France et en Allemagne en particulier, c'est que sur le plan philosophique :

- quoi que l'on veuille, la terre disparaîtra dans quelques milliards d'années, donc que notre population disparaîtra ;

- quoi que l'on veuille, on ne sait pas quels risques nous guettent ; n'importe quelle maladie peut arriver à n'importe quel moment ; le SIDA en est un exemple. La grippe de HongKong a tué quatre personnes sur dix-neuf, soit 20 %. Si des personnes de HongKong n'avaient pas réagi de façon très rapide et très efficace pour tuer tous les poulets, l'épidémie se serait peut-être étendue, et 20 % de l'humanité aurait été en danger.

A de telles histoires, à des météorites qui tombent, ou à la disparition de la terre dans quelques milliards d'années, la seule réponse est "encore plus de connaissances et encore plus de technologies". Je ne vois pas d'autre façon de répondre, sauf si l'on admet que tout peut disparaître et que cela ne nous pose aucun problème.

Une attitude de ce type est donc irresponsable face à nos enfants.

M. Danchin - Autant je suis d'accord avec Daniel Cohen sur le fait que la "votation" suisse est fondée sur un certain nombre d'absurdités, autant je pense que l'on peut difficilement faire une réponse du genre de celle qu'il a faite.

Le fait de dire que les choses peuvent être catastrophiques, donc que l'on peut faire n'importe quoi, me paraît franchement discutable. Je pense que c'est l'une des raisons qui sont précisément à la base du texte suisse. Si les savants répondent ainsi, je comprends très bien le public, qui a l'impression que l'on se moque de lui, et qui a raison.

M. Cohen - Je n'ai pas dit qu'il fallait faire n'importe quoi. J'ai simplement dit qu'il ne fallait pas ne rien faire au nom de la peur de faire n'importe quoi. Or, c'est ce qu'il se passe très souvent maintenant. Au nom des idéologies politiques ou autres, on ne doit plus rien faire.

C'est l'excès inverse qui ne me paraît pas acceptable.

M. Joël Chenais (Responsable de la Commission environnement des Verts, généticien de formation) - Je pense que le débat d'aujourd'hui n'est effectivement pas simplement "pour ou contre les OGM" mais qu'il est "que fait-on des connaissances ?", dont le développement était bien évidemment une nécessité absolue. Si l'on prend conscience des problèmes d'effets de serre, c'est bien parce que certains travaillent sur le climat et sur d'autres problèmes.

La question est "Comment décide-t-on de l'usage de ces connaissances ? Quelle place au débat public ? Quelle place à la prise de décisions collectives ? Quelle place pour les hommes politiques dans ces processus de décision de développement des technologies ?"

Ne croyez-vous pas que le financement des chercheurs publics (mais aussi des recherches qui sont à la frontière recherche fondamentale recherche appliquée) par des intérêts privés, conduit justement à court-circuiter ces processus de décision collectifs, qui devraient avoir lieu dans le cadre de l'utilisation des connaissances ?

Je souhaite également poser une question directement à Monsieur Le Déaut : ne croyez-vous pas, d'une certaine façon, que la place des politiques est court-circuitée, lorsque justement des intérêts privés prennent des brevets et décident de développer des technologies à partir de connaissances qui doivent être développées ?

M. Paillotin - J'avais commencé ma première intervention en disant qu'il ne fallait pas "tourner autour du pot", que les individus se demandaient pourquoi on faisait tout cela et à quoi cela servirait. C'est l'une des questions très importantes.

Je suis d'accord avec les propos de l'intervenant, sauf sur un point. Il y a une notion importante : ne pas limiter la capacité d'acquisition de connaissances, à condition, en retour, d'expliquer ensuite ce que l'on peut en faire.

J'ai écrit quelque chose à ce sujet, en indiquant, au moins pour l'agroalimentaire -c'est moins évident pour la santé-, que l'on devait envisager une phase de co-responsabilité entre le citoyen et le chercheur, sur les applications de la biologie à l'agroalimentaire, parce que le consommateur a le droit de nous dire ce qu'il veut manger. Le citoyen a le droit de dire comment il veut voir l'environnement.

Ensuite, comment faire ? C'est une excellente question. Le point sur lequel je ne suis pas d'accord est le suivant : je ne pense pas que ce soit le problème du lien avec l'industrie qui pose cette question. Malheureusement, beaucoup de chercheurs, avec beaucoup de naïveté, pensent savoir à la place des individus. Ils pensent parfois même mieux savoir que les industriels qui, connaissant le marché en agroalimentaire, savent que certaines choses ne passeront pas. Il y a une sanction assez claire.

Il faut donc trouver des méthodes de discussion pour que les chercheurs s'ouvrent et parlent avec des panels, comme vous le faites maintenant.

A l'INRA, nous essayerons -c'est un peu laborieux- de créer de tels panels en interne. Je peux dire ici que je vais en créer un qui n'est pas si simple à monter, en tout cas sur les questions de vigilance par rapport à l'éthique en matière de biotechnologies ou de clonages.

En général, dès que l'on parle de cela au chercheur, il n'y a non seulement pas de résistance, mais il y a plutôt un intérêt. Cette situation contraire à la co-responsabilité, qui s'appelle l'abstention, est plutôt due à un manque d'éveil d'esprit sur les questions.

Je dissocierais cela complètement des contrats avec l'industrie, qui sont un autre problème. Il s'agit de savoir comment mettre un contrôle de qualité au sein d'un organisme, entre ceux qui travaillent avec des contrats industriels et ceux qui viennent en aide à la décision publique, par exemple sur la sécurité des organismes génétiquement modifiés dans l'environnement.

Il est très clair que, dans ce cas, il faut séparer par des contrôles de qualité ceux qui travaillent avec l'industriel pour faire éventuellement des organismes génétiquement modifiés et ceux qui vont modifier sur le terrain.

C'est faisable.

M. Le Président - Avant que je donne la parole à Philippe Roqueplo, écoutons la réponse de l'industriel qui est interpellé, et je terminerai en conclusion par la réponse du politique.

M. Santini - Vous posez les bonnes questions, mais je voudrais tout de même dire qu'il faut bien voir que l'industrie n'exploite pas ses découvertes et ses produits, et ne répond pas aux demandes des marchés de manière totalement libre.

Je souhaite simplement citer trois critères :

1° un critère stratégique où, compte tenu du niveau très important des sommes investies dans le développement des produits, on ne peut pas faire n'importe quoi, premièrement parce que l'on veut être là demain, et aujourd'hui il y a une nécessité de participer à la compétition dans les années futures.

Cela signifie qu'il faut faire les bons investissements et les choix. On ne fait donc pas n'importe quoi.

En second lieu, il y a nécessité d'avoir une vision globale -et par "globale", j'entends planétaire- sur les technologies qui sont développées et proposées sur les marchés, parce qu'actuellement, la compétition se déroule au plan international. Il faut donc également participer sur ce plan.

2° La réglementation. Sans entrer dans le détail technique des différentes réglementations en place, les industries qui ont investi dans le domaine des biotechnologies et du génie génétique sont pour une bonne partie  des industries issues de la protection des cultures.

Or, l'industrie de la protection des cultures est, avec le nucléaire, l'une des industries les plus réglementées. Ces réglementations sont mises en place par des experts indépendants, bien entendu assises par des décisions politiques, et alimentées, en matière de choix techniques et scientifiques, par tous les organismes de recherche publics qui apportent leurs connaissances dans ces domaines.

De nombreuses études sont donc demandées et faites  pour pouvoir répondre à ces questions. Je pense donc que le contexte réglementaire donne, non pas une garantie, mais une base sérieuse d'évaluation des risques et des bénéfices lorsqu'une nouvelle technologie est proposée.

3° Un critère que j'essaie de regrouper sur une considération éthique (même si c'est un peu prétentieux mais je pense que c'est pour faire comprendre), en disant que l'industrie a une responsabilité vis-à-vis de la société et de ses actionnaires (pour l'actionnaire, on y répond par le premier critère), mais aussi vis-à-vis des marchés, c'est-à-dire que les marchés ne vont pas accepter n'importe quoi. Je crois que le débat qui se déroule ici est une preuve de la réaction des marchés.

Il ne faut donc pas stigmatiser l'industrie comme voulant faire entrer de toute force des techniques dont on n'a pas évalué les risques ni les bénéfices, et qui pourraient être mal acceptées par les sociétés ou le public.

M. Philippe Roqueplo - Je souhaite ajouter un mot aux propos de Messieurs Cohen et Danchin, et attirer l'attention sur le fait que nous sommes précisément à un moment où la signification de la science dans la société est en train de changer profondément.

Jusqu'à présent, la science avait essentiellement partie liée avec l'innovation, avec le marché, c'est-à-dire avec ce qu'il allait se passer au début du produit qu'elle a lancé. Or, c'est de plus en plus la fin des produits qui a un poids dans la société, et nos oeuvres nous quittent, c'est-à-dire que, tant que nous les lançons, que nous les maintenons en main, elles sont comme des projectiles qui sortent du canon, mais lorsqu'elles sont sorties du canon, il y a des vents et autre chose.

Monsieur Danchin disait lui-même que la biologie réagit de façon imprévue à des situations imprévisibles. C'est ce qui fait le problème de la société. Comme pour les gaz à effet de serre, il y aura des situations imprévues, et nous n'avons aucune idée de la fin des produits et de leurs retombées sur la société.

Placer le débat au moment de l'innovation et du marché est évidemment quasi-scandaleux pour la société, parce que cela nous retombe sur la tête. Ce qu'elle demande aux scientifiques, c'est si, lorsque nos produits sont abandonnés, ont quitté nos mains et sont gérés par les lois de la nature, ils sont capables de nous dire quelle sera leur trajectoire.

Sur les organismes génétiquement modifiés, que cela augmente le rendement en ce moment et que, par conséquent, cela légitime les entreprises qui veulent conquérir les marchés, nous en sommes, hélas, bien trop d'accord.

Mais qu'en sera-t-il après les disséminations, dans cent ans ? Si, dans cent ans, cela pulvérise complètement le système agricole, la société dit que ce qui compte, ce n'est peut-être pas ce que l'on sait mais c'est ce que l'on ignore. Par conséquent, le politique est obligé de porter une jugement tenant compte de la marge d'ignorance et de ce que l'on appelle le principe de précaution.

Et l'on ne peut pas dire que le principe de précaution, dans ce domaine, est de la dogmatique, de la fumisterie ou de la mythologie.

Il est évident que les gens ont actuellement peur de la science, non pas par elle-même, mais parce qu'elle ne maîtrise les conséquences de ses actes que sur une durée très courte et dans un angle très étroit.

J'ai par exemple travaillé sur le problème des micro-ondes. Il est évident que les micro-ondes faites pour diriger les avions sont fatalement perturbées par les micro-ondes faites pour chauffer le plâtre. Si l'on ne fait pas attention à leurs interférences, les tours de contrôle font d'énormes erreurs, ce qui s'est produit.

On ne se rend pas bien compte de ce que peuvent donner les interférences de nos initiatives technologiques, la combinatoire de tout cela. Je pense que telle est la forme d'inquiétude ambiante dans la société.

M. Cohen - Je suis tout à fait d'accord avec vos propos. Je comprends tout à fait qu'il y ait une peur. Moi-même j'ai peur quelque part, mais je me pose une question : celui qui a découvert le fer, il y a très longtemps, devait-il avoir peur ou pas ?

Toute acquisition de connaissances nous expose à des risques depuis le début de l'humanité. Au moment de la découverte du fer, a-t-on pu mesurer réellement l'impact que cela aurait sur les milliers d'années ? C'est une question à laquelle on ne peut pas répondre.

Antoire Danchin a bien illustré que tout est tellement complexe qu'en réalité, rien n'est prévisible.

M. Le Président - J'interviens brièvement sur ce sujet, parce que l'on pose le problème de l'échelle des risques dans nos sociétés, et l'échelle des risques est liée aux débats, et aux débats publics.

Je pense que les politiques sont à un certain moment coupables de ne pas avoir organisé le débat, parce que la science savait, et qu'à partir de la science qui tenait la vérité, des développements s'imposaient.

Un sociologue américain, Monsieur Hoban, à la North Carolina State University, a posé plusieurs questions intéressantes. Je vous en indique une. Il a posé aux Etats-Unis, au Canada, dans tous les pays européens la question suivante : la tomate ordinaire ne contient pas de gènes alors que les tomates génétiquement modifiées en contiennent. C'est une question posée, sur laquelle les gens doivent se déterminer.

Les meilleurs sont les Canadiens, parce que 52 % ont dit que c'était faux (réponse correcte). Viennent ensuite les Pays-Bas et les Etats-Unis, et les Français sont en queue de peloton, à 32 %. Nous avons plus mauvais que nous (les Espagnols à 28 % et les Autrichiens à peu près comme nous).

Il y a de nombreuses autres questions de ce genre en sociologie et en échelle du risque, et l'on parlera de l'échelle du risque dans l'une des tables rondes. L'échelle du risque est une notion très importante, parce qu'il y a des risques que l'on accepte et des risques que l'on refuse.

Aujourd'hui, on a parlé à la fois de recherche, de relations public/privé et de la perception du développement des sciences et des techniques, et de telles questions vous montrent bien que la perception du risque est mal comprise.

Comment peut-on décider, lorsque, finalement, il y a dans nos sociétés des individus qui ne perçoivent pas les risques de la même manière ? Aux Etats-Unis, ce sont les contaminations alimentaires qui sont perçues comme le plus grand risque ; les biotechnologies ou le génie génétique arrivent très loin dans la perception du risque. En Autriche, c'est l'inverse.

Cela signifie donc à mon avis que le débat n'a pas été mené de la même manière. Si les politiques ne mènent pas le débat, il ne faut pas ensuite s'étonner que certaines décisions soient prises ou que des référendums soient faits comme en Suisse.

M. Paillotin - Je réagis aux propos de notre ami Daniel Cohen, peut-être parce que, dans sa discipline, les choses ne se présentent pas de la même façon, ce dont je suis convaincu.

Un débat n'est pas possible : laisser entendre -ce que n'a pas fait Philippe Roqueplo- que l'on ne sait pas aborder la précaution que l'on souhaite parce que personne ne sait l'aborder, ou dire à l'inverse qu'il n'y a pas  de précautions à prendre parce que l'on a peur de tout.

Ce n'est pas possible en agroalimentaire parce que, même au-delà du risque, il y a le plaisir, et le consommateur n'a pas envie de prendre le moindre risque pour ses aliments, ce qui peut se comprendre. Il peut avoir une idée très différente si c'est pour le guérir d'un cancer.

Pour ses aliment, il est libre. C'est le dernier élément de liberté dont nous disposons ; il faut le conserver, et le consommateur dit ce qu'il aime ou ce qu'il n'aime pas. Ensuite, les scientifiques doivent être capables -et nous sommes en partie capables-, et effectivement dans un débat avec les utilisateurs, de rendre rationnel le débat sur le risque.

Ce dont vous parlez sur la durée est une excellente question, que posent d'ailleurs les physiciens ou biologistes, qui ne vivent pas dans la durée. Lorsque l'on se pose la question des transferts de gènes, par exemple de résistance aux herbicides que l'on étudie à l'INRA, j'ai tout de suite posé la question, puisque l'on m'a dit ensuite que c'étaient des hybrides qui étaient un peu des avortons et qui disparaissaient : disparaissent-ils parce que ce sont des avortons qui meurent, ou disparaissent-ils par dilution avec d'autres plantes ?

Voilà des questions qu'il faut se poser, et auxquelles la biologie peut répondre dès l'instant où l'on y travaille. Je tiens à dire que, si le principe de précaution est bon, la précaution absolue n'est plus le principe de précaution, la précaution nulle n'est pas le principe de précaution, et qu'il est possible et nécessaire d'aborder scientifiquement ces questions et de faire des recherches scientifiques de haut niveau sur ces questions, ce que nous essayons de faire.

M. Cohen - Je suis tout à fait d'accord avec Monsieur Paillotin. Personnellement, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas prendre de précautions. Il faut prendre toutes les précautions possibles. La seule chose que je dis, c'est que l'évaluation du risque nul n'existe pas. Il n'y a pas de risque nul et, pour lutter contre le moindre risque inconnu, la meilleure réponse est la connaissance.

Ne bloquons pas la connaissance, parce que, justement, le risque nul n'existe pas.

M. Richard Lapujade (Association action santé et environnement) - Je pense que les plantes transgéniques sont essayées en champs, sous la supervision de la firme elle-même qui a mis ces plantes au point. Cela pose donc un problème, et je pense que c'est partout pareil au niveau de l'agroalimentaire, c'est-à-dire que les évaluations des risques de diffusion dans l'environnement et dans la santé sont toujours, avec peu de contrôles au niveau national étatique, le fait des industriels privés.

Je pense que cela pose un problème, et on le voit en particulier dans l'exemple cité par M. Jean-Marie Pelt ce matin, lorsque, sur la base d'évaluations de maïs Novartis qui avait été testé par un laboratoire dans lequel étaient inscrits, je crois, des chercheurs suisses et français, il s'est avéré que certains insectes étaient favorables au maïs, mais que le laboratoire Novartis s'était gardé la possibilité de contrôler la démarche de recherche, donc qu'il avait retiré ces plantes de leur évaluation lorsqu'il s'était avéré qu'elles pouvaient avoir des éléments contraires à ses intérêts.

Sur le problème des plantes transgéniques, personne au niveau des consommateurs n'a donc une attente quelconque par rapport à ces plantes. Elles sont mises sur le marché sur l'initiative d'industriels qui ont besoin d'un retour sur investissements. Il y a donc une sorte de pression énorme au niveau des instances politiques et des décideurs, pour que ces plantes soient mises sur le marché, en tout cas dans les pays européens. Dans les pays américains, il n'y a apparemment pas d'opposition particulière.

En Europe, toujours est-il que les consommateurs n'attendent absolument rien, n'ont aucune demande par rapport à ces plantes. Lorsque j'entends qu'il y aura des accidents, des problèmes, etc., mais que, finalement, dans toute technologie ou dans toute nouvelle découverte, il y a une potentialité de risques non-évaluée, surtout sur les plantes transgéniques.

Monsieur Santini a parlé d'organismes de tests particulièrement fiables pour vérifier cela ; il semblerait qu'actuellement, la commission de génie biomoléculaire soit sur le point d'être réformée parce qu'il y a des lacunes au niveau de ses évaluations.

Je pense donc que le problème n'est pas simplement de dire que, dans toute action humaine il y a un risque. Au niveau de la consommation, nous ne voulons absolument aucun risque sur ce que nous avons dans notre assiette, surtout si c'est pour l'intérêt des industriels des biotechnologies.

M. Cohen - Si vous ne voulez pas de risques, ne mangez rien du tout. Vous pouvez attraper une diarrhée n'importe comment et en mourir, sans organismes génétiquement modifiés. Dans la vie, le risque nul n'existe pas.

M. Le Président - Il va falloir conclure sur ce point, en disant que le consommateur a demandé les techniques de sélection, qu'il n'a pas demandé les hybrides. Il demande d'avoir une alimentation qui soit saine et d'avoir un gain au niveau de ce qui lui est proposé, soit de qualité, soit de prix. C'était la question dans l'autre table ronde.

Les questions ne sont donc pas aussi simples. En effet, dans un certain nombre de plantes transgéniques -ce qui n'a pas été fait pour l'instant mais ce qui est fait du domaine de la recherchede la part d'un certain nombre de firmes ou de laboratoires-, est-ce que des qualités nutritionnelles nouvelles seront données par certains types de plantes ?

Par exemple, est-ce que des acides gras poly-insaturés, que l'on trouve dans des huiles et qui sont mauvais au niveau de la santé, seront éliminés ? Dans ces cas, on peut dire qu'il peut y avoir un gain en matière de santé pour le consommateur.

En revanche, si un gène de marqueur de résistance à des antibiotiques est transféré, il y a un risque potentiel, et il ne faut pas forcément prendre ce risque. Nous en discuterons demain. Le consommateur demande d'avoir un aliment qui soit sain et qui soit le moins cher possible. Il  demande d'avoir un bénéfice avec une nouvelle technique.

Or, on ne lui a jamais demandé son avis dans le développement de l'agriculture. On ne lui a malheureusement jamais demandé son avis lorsque l'on mettait les pesticides. Il faut lui demander son avis.

Pour terminer, je voudrais dire que des propos très intéressants ont été tenus sur le fait que les organismes vivants sont capables de produire de l'imprévu, même si certains le savaient, que la meilleure réponse est la connaissance, et que, finalement, il faut développer les liens avec les pays du sud.

On a même dit qu'il fallait supprimer les énarques, mais je ne sais pas si c'est dans mon rapport que je pourrai résoudre cette difficile question, que Monsieur Cohen a abordée tout à l'heure !

En tout cas, je vous remercie tous d'avoir participé à cette table ronde intéressante. Ce n'est que le deuxième sujet de tous ceux que nous allons aborder, et cet après-midi, nous avons, en plus d'une nouvelle table ronde, l'audition de trois Ministres, Louis Le Pensec, M. Kouchner et Marylise Lebranchu.

Table ronde III - Enjeux réglementaires -

Comment organiser l'expertise, comment l'articuler avec la décision publique, quel contrôle ?

M. Le Président -
Je présenterai les différents participants.

Les experts sont, depuis quelques années, au centre d'un certain nombre de controverses en France ou en Europe.

Dans notre domaine, la Commission du génie biomoléculaire a été et est encore très critiquée -son ancien Président est ici présent- dans le domaine de l'action menée en matière d'autorisation d'essais de culture des plantes transgéniques.

Il convient donc d'étudier ce niveau préparatoire à la décision publique, qui se situe en amont de l'intervention proprement politique.

Il est cependant nécessaire de ne pas oublier que nombre d'expertises se situent désormais à un niveau supranational, dans l'enceinte des organisations internationales et notamment de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Il semble bien qu'à ce niveau, les pays européens et la France aient une politique de présence tout à fait insuffisante et, en tout cas, ne sont pas à même de faire contrepoids à certains pays comme les Etats-Unis, qui sont très bien représentés, ou à des pays qu'ils influencent très largement.

La composition même de ces Commissions d'expertise doit être discutée car ici se placent des questions importantes comme celles ayant trait à la présence en leur sein de consommateurs, de défenseurs de l'environnement, c'est-à-dire de représentants de ce que l'on appelle parfois la société civile. Ceux-ci ne sont pas en tout cas la plupart du temps des scientifiques.

On pourrait aussi songer à la présence de politiques dans cette sorte de commissions ; y ont-ils vraiment leur place, ou l'intervention de ces derniers ne doit-elle pas plutôt se faire en aval ? Voilà un certain nombre de questions qui sont posées, que l'on a discutées avec vous lors des auditions privées.

Autour de cette table, nous avons :

- Monsieur Guy Riba, directeur de recherche à l'INRA, Directeur des productions végétales,

- Monsieur João Magalhães, conseiller, secrétaire assistant de l'Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires de l'Organisation mondiale du commerce,

- Monsieur Axel Kahn, directeur de recherche à l'INSERM, ancien Président de la Commission du génie biomoléculaire,

- Madame Corinne Lepage, ancien ministre de l'environnement,

- Monsieur Dominique Dormont, médecin, chef du service de neuro-virologie du CEA, qui a beaucoup travaillé, qui a été auditionné par nous sur le problème de l'encéphalite bovine spongiforme,

- Monsieur Marc-William Millereau, administrateur de&nb sp;France Nature Environnement.

Après cette petite introduction, je vous donne la parole.

M. Magalhães - J'avais préparé une petite introduction de cinq minutes. J'essayerai d'en prendre quelques lignes générales,  mais vous avez dit en introduction quelque chose qui m'a fait penser que je devais déjà revoir ma copie.

Vous avez dit que des décisions se prenaient au niveau supranational, notamment à l'OMC. J'aimerais qu'il soit clair qu'à l'OMC, les décisions sont prises par consensus  par les pays membres et que l'OMC n'est certainement pas l'organisation internationale qui dicte ou qui établit des normes scientifiques ou techniques.

Je pense que tout le monde est probablement au courant qu'à ce niveau, les pays membres de l'OMC se sont mis d'accord lors des négociations de l'Uruguay, sur le fait qu'en matière de santé humaine, c'est le Codex à la FAO, qui doit établir les normes internationales.

Au niveau de la santé animale, c'est l'OIE, et je me trouve d'ailleurs actuellement à Paris parce que j'assiste à la session annuelle de la BSE de l'OIE, qui se tient en ce moment.

En matière de protection des végétaux, c'est le Secrétariat de la convention internationale de protection des végétaux.

Ce que fait l'OMC est donc effectivement, dans la mesure où les pays ont négocié dans le cadre de cette négociation de l'Uruguay, un accord sur l'utilisation des mesures sanitaires et phytosanitaires. L'OMC a effectivement un regard dans ces affaires ; elle établit des  règles internationales pour le commerce, mais je répète que les règles sont négociées entre tous les membres.

Monsieur le Président, vous avez indiqué que la France et l'Europe n'étaient pas assez présentes. Il y a eu sept ans de négociations et, étant déjà dans l'agriculture à l'époque, notamment dans les matières sanitaires et phytosanitaires, je peux vous dire que la France et l'Europe étaient très présentes.

A l'heure actuelle, cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires couvre un certain nombre de mesures prises pour protéger la santé des humains, des animaux, pour protéger les végétaux.

Dans le cadre de cette commission, on discute des organismes génétiquement modifiés, et c'était un peu sur ce point que j'avais préparé mon introduction. Je souhaiterais qu'il soit au moins clair à la fin de la présente réunion qu'il n'y a pas à ce stade de règles parfaitement claires à l'OMC pour prendre ces affaires en main.

Nous savons tous qu'au niveau des échanges internationaux, les échanges de produits génétiquement modifiés sont très importants. Nous savons aussi qu'il y a des menaces plus ou moins directes ou indirectes de certains pays membres de l'OMC, de présenter ces problèmes à l'OMC et à son organe de règlement des différends. Cela se dit mais, pour l'instant, le problème des organismes génétiquement modifiés n'a encore jamais été discuté à ce jour. Officiellement, dans les enceintes de l'OMC, il n'y a absolument aucune discussion.

Il faut tout de même dire qu'il y a deux approches, qui ne s'excluent d'ailleurs pas nécessairement :

- L'une selon laquelle les règles de l'OMC existent ; on a cet accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires ; ce sont des questions de santé, de vie. Les problèmes que nous avons sont très similaires à ceux, par exemple, de la BSE, que vous venez de mentionner.

En ce moment même, une commission à l'OIE planche sur ce sujet.

- En même temps, ces problèmes peuvent être semblables, mais ce sera à tous les pays membres de l'OMC de décider si l'on appliquera ces règles ou pas, si les règles qui sont sur la table sont suffisantes, si elles sont assez sûres, si elles garantissent les droits des pays, notamment si elles maintiennent la souveraineté des pays à prendre leurs décisions dans ce domaine.

Cela peut donc se faire uniquement de deux façons :

- La négociation ; il faut amener le sujet sur la table de négociations de l'OMC et le négocier entre les pays membres

- Une plainte qui pourrait venir d'un membre et qui, pour un cas spécifique, sera éventuellement résolue par ce que l'on appelle un groupe spécial ou un panel, qui devra donner son avis sur la question.

Un panel a récemment donné un avis sur la question de l'utilisation des hormones de croissance pour les animaux.

M. Riba - Pourquoi faut-il une réglementation ? Si l'on répond à cela, on dira que c'est parce qu'elle est attendue, exigée par la société, débattue, médiatisée, parce que les politiques en ont également besoin.

Si je pose maintenant la question : "une réglementation, pour quoi faire ?", la réponse est totalement différente. Elle comprend deux parties : d'une part pour défendre des intérêts, d'autre part pour définir des responsabilités.

1° Défendre des intérêts ; dans le premier cas, lorsque je demandais "pourquoi", c'étaient essentiellement des problèmes de consommateurs et d'environnement qui sortaient. Si je demande maintenant "pour quoi ?", il sort le problème du consommateur, celui de l'environnement, mais aussi celui de l'intérêt national de l'agriculture et de l'économie nationale, celui des agriculteurs, celui de la science et de la communauté scientifique.

C'est totalement différent. Ce que je veux simplement dire par cette première introduction, c'est qu'il faut sortir la réglementation d'une démarche réactive dans laquelle elle est actuellement, pour la positionner dans une démarche proactive, ce qui est à mon avis l'attitude de nos concurrents d'Outre-Atlantique.

2° Définir des responsabilités ; c'est parce qu'à l'heure  actuelle, on est dans un cercle un peu compliqué et vicieux de décisions ; on ne sait plus très bien qui pilote cette situation. Il est important d'éclaircir ce point.

En second lieu, il y a une crise forte de l'expertise et, en troisième lieu, il faut identifier éventuellement des coupables en cas de problème.

Je vais maintenant décliner cela rapidement : où sont les intérêts pour les consommateurs ? C'est ainsi que je pose la question, et je déclinerai en termes de réglementation.

Le consommateur veut voir respecter un peu son droit moral, qui est celui du droit de vote du porte-monnaie. Il veut savoir ce qu'il achète et il veut pouvoir choisir. Cela nous amène à l'étiquetage, mais poser la question de cette façon signifie qu'il n'y a plus qu'une seule réponse possible : il faut d'un côté ce qui est avec OGM et de l'autre, ce qui est sans OGM. Il n'y a pas d'autre alternative.

Cela a un coût, celui de la traçabilité, et cela a une contrainte technique, celle du seuil de détection.

Dans le contexte actuel, je pense qu'il faut distinguer deux grands groupes de production :

- les  filières spécifiques, fruits et légumes par exemple, qui sont déjà très segmentées, et pour lesquelles ce type d'étiquetage ne pose aucun problème particulier,

- toute l'alimentation de base, qui résulte notamment d'importations massives, où il y a un gros problème du fait qu'il y a déjà importation massive de denrées de base contenant des produits transgéniques pour partie.

Qui payera ? Quel est le seuil ? Quelle est la technique que l'on peut exiger derrière cela ? Ce sont des techniques d'ordre moléculaire, et l'on sait qu'à l'heure actuelle, le seuil sur lequel les experts s'entendent est de l'ordre d'une détection de 0,1 %. On peut donc garantir un produit sans OGM à 0,1 % près.

En second lieu, qui payera cela ? Cela aura probablement des incidences sur l'aval, sur le consommateur, et probablement dans ce cas sur les filières sans OGM.

Le deuxième point par rapport au consommateur, c'est de garantir très en amont l'innocuité, la toxicité, la non allergénicité, etc. Qui fait cela ? Je pense que la logique est de rester, au moment des demandes de dépôts de dossiers d'homologation.

Je pense qu'il doit y avoir des tutelles pour le moins françaises (CGB, Comité hygiène, etc.), où l'on peut s'interroger sur une harmonisation au niveau européen de ces approches.

A la charge de qui ces études sont-elles conduites ? A mon sens, c'est logiquement à la charge du pétitionnaire. Dans ce cas, on pourrait se mettre en parallèle avec ce qu'il se passe pour les phytosanitaires.

Posons maintenant la question : "où sont les intérêts pour les agriculteurs et l'agriculture ?"  On entre inexorablement dans un processus de "contractabilisation" ; vous savez d'autre part qu'il y a une concentration des fournisseurs agroalimentaires, que l'Europe est dépendante, par exemple, de 75 % de ces protéines végétales, et que le prix de revient du maïs américain est de 30 dollars de moins la tonne que celui du maïs européen.

Dans ce cas, je dis clairement qu'à mon avis, si l'on entre dans la logique proactive, la réglementation doit favoriser la distinction des produits européens par rapport aux produits outre-Atlantique. Elle doit nous aider.

Dans ce cas, cela signifie que l'on doit s'orienter vers une démarche de qualité, et la réglementation doit donc nous aider à mettre en exergue la qualité des productions françaises ou européennes par rapport à nos concurrents.

Dans le même temps, il faut :

- préserver la multiplicité des systèmes d'exploitation et des types d'agriculture (biologique, etc.) ;

- définir des créneaux, puisque l'on part sur la qualité et la segmentation ;

- favoriser la caractérisation objective des produits ;

- probablement privilégier la baisse des intrants, puisque c'est ce qui peut nous permettre de nous positionner le mieux.

L'exemple type est la vigne. Tout le monde dit que le vin français est le meilleur au monde, mais vous devez savoir que la vigne est la culture dans laquelle on met le plus d'intrants, et que l'Europe est l'endroit où l'on en met le plus, et de très loin. Les Américains, les Australiens, etc. en mettent très peu.

On peut donc se faire attaquer très fortement sur les intrants xénobiotiques phytosanitaires qui sont dans la vigne et le vin en Europe. Si l'on veut contrer cela, peut-être faudra-t-il développer de la transgénèse, mais vous voyez que la manière d'introduire la transgénèse est complètement différente. On fait de la transgénèse pour se positionner par rapport au reste.

Si je pose la question "Où sont les intérêts pour l'environnement ?", il s'agit de préserver les diversités biologiques. Je dis bien "les diversités biologiques" au sens structural et au sens fonctionnel.

Si  l'on pose la question ainsi, cela signifie que ce n'est plus la fréquence de l'événement qui compte, mais les conséquences sur l'environnement des événements que  l'on suppute. Et vous voyez que la manière de raisonner et de traiter le problème est complètement différente.

On se moque que les flux de gènes soient peu nombreux ; même s'ils ont lieu, ce qui compte c'est de savoir quelle est la conséquence de cela pour l'environnement, et c'est une autre manière de poser le problème.

Si on le pose ainsi, on se rend compte que, dans les commissions classiques du type CGB, certains types de questions peuvent être traités. Par exemple, pour le maïs Bt , l'entomofaune, les risques sur l'entomofaune, les flux de gènes dans le sang et dans le tube digestif. C'est du ressort de la CGB.

En revanche, les suivis du risque d'apparition de pyrale résistante, c'est vraiment un problème de biovigilance, car c'est directement lié à la mise sur la culture, à l'espace et au temps.

Où sont les intérêts pour la science ? La génomique est une occasion extraordinaire d'accès à la connaissance. En second lieu, c'est une possibilité incroyable et toute nouvelle d'exploitation et d'amélioration des ressources génétiques.

Dans ce cadre, la réglementation doit préserver cela. Il y a deux aspects :

- la réglementation doit essayer d'empêcher la captation des ressources génétiques par les grands groupes ;

- il faut de façon urgente changer le droit des brevets, notamment sur la protection du vivant et des séquences. Un exemple est très simple : à l'heure actuelle, lorsque les séquences des génomes sont lâchées dans les ordinateurs, lorsque des chercheurs français le font, c'est immédiatement du domaine public, et lorsque les chercheurs américains font la même chose, ils disposent d'un an pour protéger les séquences. Le contexte est complètement différent.

M. Le Président - Merci. Je demande maintenant à Monsieur Dormont, qui a eu l'expérience d'un autre problème, celui de la "vache folle", de nous indiquer la façon dont il a vécu cela.

En alertant les pouvoirs publics, avez-vous eu l'impression d'avoir été suivi à un certain moment ou pas suivi ? Qu'est-ce que le problème qui nous préoccupe aujourd'hui peut-il avoir de commun ? Dans l'esprit des individus, c'est dangereux parce qu'il y a le sang contaminé, la "vache folle", un certain nombre de catastrophes, et l'on prend actuellement des risques.

M. Dormont - Je pense tout d'abord qu'il y a en fait deux parties du domaine scientifique où l'expertise agit en synergie ou en association avec l'administration et le politique, que l'on peut schématiser en problèmes déjà posés par les scientifiques, reconnus par la communauté scientifique, et des problèmes non-posés par la communauté scientifique et qui n'ont pas été reconnus comme tels.

A cela il faut ajouter une deuxième dichotomie : la masse critique scientifique dont le pays dispose sur un sujet donné. En matière d'organismes génétiquement modifiés, la France est très riche en généticiens, en biologistes moléculaires. Il y a une densité d'expertises tout à fait importante, alors que, sur le point particulier de l'encéphalopathie bovine spongiforme, la masse scientifique était quasiment nulle.

Le nombre de laboratoires et même d'individus travaillant sur le sujet se comptait sur les doigts d'une main lorsque le problème a commencé.

Cela peut parfois poser problème au décideur, puisqu'il n'a pas le choix de ses experts ; il est obligé de prendre ce qu'il y a dans le deuxième cas.

L'autre  problème qui m'est apparu au cours de ces quelques mois de crise de la "vache folle", a été d'abord une nécessité très importante d'explication des doutes. C'est probablement le premier message qu'il est important de faire passer, que ce soit à la communauté scientifique  qui se trouve face à un problème nouveau, avec des concepts nouveaux microbiologiques, ou à ceux qui sont chargés de l'administration ou de la décision politique.

Il s'agit d'expliquer les limites précises de la connaissance actuelle, et d'introduire le doute en face de chaque nouvelle information, rumeur ou avancée scientifique, et de bien délimiter le terrain des connaissances de façon à ce que l'on n'extrapole pas, à partir de modèles non-pertinents, des décisions de santé publique.

L'autre point qui me paraît important est la collégialité de l'expertise. C'est une banalité mais je pense qu'il faut le redire : l'expertise doit être collégiale, et ceux qui sont chargés de la décision doivent admettre qu'un avis d'experts puisse ne pas être unanime.

La science a le droit de ne pas être unanime. Les concepts sont différents en fonction de la culture de chacun, selon qu'il est plus proche des disciplines de santé publique ou plus proche de la biologie fondamentale, par exemple.

Il faut donc admettre cette diversité des avis, tout en reconnaissant que, probablement, lorsque les avis sont unanimes, ils sont d'autant plus forts. Mais il faut admettre l'absence d'unanimité et la collégialité.

Surtout, pour la bonne gestion des rapports avec ceux qui sont chargés de la décision et de son application, il faut éviter la confusion des rôles. L'expert scientifique n'est pas un conseiller. Un conseiller, c'est quelqu'un qui est chargé de proposer à un ministre, à un directeur général d'administration, une solution globale à un problème posé.

Le conseiller scientifique apporte l'état actuel des connaissances sur un sujet précis. Il fait donc partie de l'un des facteurs qui amèneront à l'étude et à la décision. Il ne faut donc certainement pas mélanger les deux notions, et ce souci de ne pas les mélanger doit être accompagné d'une grande transparence, et surtout d'un autre souci qui est le mélange des communications.

Il ne faut pas que la communication du scientifique semble être un relais de la communication du politique, et inversement. En effet, il y a alors une certaine conscience de la population d'un parapluie qui s'ouvre sans autre démarche intellectuelle.

Enfin, je voudrais réagir aux propos du premier orateur sur la crise des experts. Vous avez eu raison, Monsieur, de souligner combien les commissions internationales manquaient souvent de Français. Cela peut s'expliquer par plusieurs faits.

En premier lieu, ces commissions sont très "chronophages". Elles prennent beaucoup de temps. Or, plus on passe de temps en commission, moins on en passe dans les laboratoires. Il y a donc un équilibre à trouver entre le maintien de l'expertise scientifique et l'exercice administratif de l'expertise.

En deuxième lieu, il n'existe pas en France de système d'aide aux experts. En d'autres termes, un beau matin, en reconnaissance de la valeur intrinsèque du groupe de recherche que vous animez, on vous envoie dans une commission qui va vous prendre beaucoup de temps et d'énergie, mais rien n'est fait en aval pour vous faciliter le travail dans votre laboratoire, pour vous aider, vous apporter un secours administratif, un simple secours de secrétariat.

Il n'y a donc pas cette politique qu'ont les anglo-saxons, de mettre les moyens logistiques lorsqu'ils désignent un expert à une commission donnée.

M. Millereau - I l ne paraît pas inutile de préciser la position de France Nature Environnement d'un point de vue plus général. Nous entrerons dans le vif du sujet sur les enjeux réglementaires, mais je voudrais rappeler d'une phrase la position associative à ce niveau.

Eu égard aux risques qui semblent déjà prévisibles, eu égard surtout aux insuffisances dans la connaissance, notamment par rapport aux flux de gènes, et aux incertitudes scientifiques qui demeurent et qui en sont la résultante, FNE, avec d'autres organisations groupées au sein d'une plate-forme associative, qui réunissait des agriculteurs, des consommateurs, des environnementalistes, s'est prononcée en faveur d'un moratoire général sur la dissémination des OGM, entendant par "dissémination" mise sur le marché et mise en culture.

Ce moratoire incluait le maïs transgénique et poussait au développement de la recherche, acceptant en cela  le principe de dissémination à titre d'exception à des seules fins expérimentales et de manière très contrôlée.

Telle est la position synthétique de FNE.

Sur les enjeux réglementaires, je réagis à la question posée par Monsieur Riba : pourquoi une réglementation ? Nos interprétations sont sensiblement différentes en termes de priorités.

A cette question, Monsieur Riba opposait deux conceptions qui étaient de se diriger vers une démarche proactive en opposition à ce qu'il jugeait être une démarche réactive. Nous pensons que l'indispensable est d'avoir une démarche préventive.

C'est en cela que le fait de définir des modalités d'expertise, d'évaluation qui soient satisfaisantes passe par la définition de la notion précise de risque biotechnologique, qui doit s'appuyer sur la stricte application d'un principe : le principe de précaution.

Le fait de démarrer d'une définition de la notion de risque biotechnologique signifie lui reconnaître sa spécificité et, pour nous, elle est issue d'une double nature, qui tient d'une part un caractère potentiellement irréversible, et qui a d'autre part cette difficulté d'évaluation.

Concernant le caractère potentiellement irréversible, de fait, une fois libéré, un transgène dans le milieu ouvert connaîtra un devenir difficile à cerner, qui dépendra des caprices de la sélection naturelle mais qui, en tout état de cause, ne sera pas maîtrisé.

S'il est sélectionné, le retour en arrière semble improbable.

Dans le cadre de la difficulté d'évaluation, le contexte est une controverse scientifique quant à l'évaluation précise des risques biotechnologiques. De ce fait, il y a une prise en considération au niveau international, une traduction juridique du risque biotechnologique. C'est inclus dans la convention de Lugano de juin 1993 sur la responsabilité civile due aux dommages de certaines activités considérées comme potentiellement dangereuses pour l'environnement.

La production, la libération, le stockage, toutes les opération mettant en oeuvre des OGM avaient été considérées comme constitutives d'un risque significatif pour l'homme, l'environnement et les biens. Tel est le contexte, la traduction juridique.

Pour revenir à l'évaluation, on peut déjà dire que l'on manque d'approche globale. C'est important parce que, si l'on veut obtenir une appréciation qui soit responsable par rapport à des applications biotechnologiques qui nous sont proposées, il faudrait pouvoir tenir compte de certains risques qui doivent être contenus dans la notion de risque biotechnologique, qui sont par exemple les risques socio-économiques aussi. Il y a un manque d'approche globale à ce niveau.

En second lieu, dans le rapport de l'approche de la nécessité ou de l'utilité d'un modèle biotechnologique proposé, on peut regretter bien souvent qu'on ne lui oppose pas des méthodes alternatives existantes. Par exemple pour la pyrale, on n'a pas assez entendu parler d'un mode alternatif qui était la voie biologique et l'utilisation du trichogramme, par exemple.

Les compare-t-on réellement au moment de l'appréciation ? Au moment de déduire une utilité ou une nécessité, peut-on se poser cette question ?

D'autre part, si l'on focalise vraiment sur les risques écologiques et sanitaires, il nous paraît indispensable d'obtenir une évaluation qui soit transdisciplinaire. Par ailleurs, il serait souhaitable que l'on se donne le temps d'observer, parce que les interactions entre des OGM libérés et le milieu ouvert ne sont pas de nature à nous apparaître immédiatement.

Si l'on se réfère à un domaine voisin -et il devrait y avoir une référence plus systématique- celui de l'introduction volontaire ou involontaire des espèces non-endémiques dans un milieu, on peut prendre l'exemple des crépidules introduites de manière fortuite lors du débarquement en juin 1944, qui étaient collées au fond des barges américaines et qui posent maintenant un problème pour la production d'huîtres.

Lorsque j'ai parlé de transdisciplinarité, cela appelle quelques propositions, peut-être au niveau de la CGB, qui est chargée de cette évaluation et de cette expertise. Il est urgent que l'on puisse avoir une approche collégiale, comme le disait mon voisin, et j'ajouterai transdisciplinaire.

C'est aux côtés des biochimistes et des biologistes moléculaires que nous devons avoir des écologues, des juristes de l'environnement, des malherbologues. L'approche doit être vraiment transdisciplinaire.

Au niveau de la méthode, elle doit effectivement être contradictoire. Mon voisin disait que la science avait le droit de ne pas être unanime. Dans le cadre d'une appréciation transdisciplinaire, avec des intérêts si divergents, on ne voit pas comment elle serait unanime dans la majorité des cas. Les avis doivent être motivés et les opinions divergentes doivent être mentionnées dans les motivations.

D'un  point de vue plus général, la réglementation doit aussi satisfaire à l'information et à la concertation avec la population. Or, dans la réglementation en vigueur jusqu'alors, ce n'est pas garanti de manière satisfaisante. La loi de 1992, qui intégrait les deux directives, présente des lacunes incroyables au niveau de l'information directe. L'information indirecte est à peu près satisfaite, mais l'information directe l'est beaucoup moins.

Le rapporteur Daniel Chevallier avait préconisé une enquête auprès du public. Au bout du compte, on a une méthode un peu anglo-saxonne de dépôt en mairie, qui n'est pas satisfaisante à cet égard. Il n'y a pas de communication de l'expertise ; même si les citoyens n'ont pas les compétences pour apprécier une expertise, ils pourraient au moins, sur cette base, commander une contre-expertise.

Cela appelle aussi à d'autres propositions, celle de l'utilité de la création d'un Comité permanent contradictoire de contre-expertise. La réflexion avait été entamée au niveau du CNPN ; nous nous y sommes attachés.

Au niveau de la biovigilance, il est important de définir des protocoles qui soient satisfaisants, et de s'interroger sur le fonctionnement du Comité de biovigilance. Selon certaines sources, le comité ne serait pas pour l'instant en mesure de fournir un inventaire des sites de dissémination en France, par exemple.

Il y a de nombreuses questions, et nous y reviendrons.

M. Le Président - Madame Lepage, vous qui avez été Ministre de l'environnement, qui avez pris des décisions concernant l'importation et la mise en culture des plantes transgéniques, qui avez vu le système fonctionner, que pensez-vous de l'organisation de l'expertise ?

Comment l'articuler avec la décision publique ? Quel contrôle ? Faut-il le changer ? Pensiez-vous le faire ?

Mme Lepage - Monsieur le Président, à l'écoute de tout ce qui vient d'être dit, j'ai deux observations préliminaires.

Tout d'abord, je vous remercie d'avoir organisé ces auditions publiques et cette Conférence de Citoyens, même si elle arrive un peu tard. Je pense que c'est un progrès considérable pour notre fonctionnement à tous, et je souhaitais le dire.

En second lieu et sur la même ligne, certains demandaient s'il fallait de la réglementation ; j'allais dire "peut-on encore en faire ?" Autrement dit, je me donne parfois l'impression que nous sommes des coureurs à pied derrière un TGV, que nous avons non pas une guerre mais dix guerres de retard, et que les choses sont déjà tellement avancées qu'en définitive, que pouvons-nous encore faire ?

Par exemple, on peut se réjouir de la décision qui a été prise au niveau de l'Union européenne sur les conditions d'étiquetage des OGM, mais cette décision aurait dû être prise bien avant que l'on accepte l'importation des OGM. En effet, en attendant, nous avons tous allègrement consommé depuis des mois des OGM sans le savoir et sans pouvoir décider de les consommer ou pas.

Tout cela arrive tard. Je pense que ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas agir, et le sujet de l'expertise m'apparaît central, tant au niveau de la prise de décision publique qu'au niveau de l'information complète du public.

Ce que vous disiez il y a un instant, Monsieur, sur l'impossibilité pour les citoyens de pouvoir disposer d'une expertise et d'une contre-expertise est très important. La question de l'information du public est tout de même très importante.

J'ai écouté Monsieur le représentant de l'OMC avec grand intérêt, mais je ne puis pas cacher ma très grande inquiétude lorsque j'apprends dans la presse qu'actuellement, des efforts considérables sont faits auprès du Codex Alimentarius , l'organisme chargé d'élaborer les règles en matière alimentaire, pour interdire l'étiquetage au niveau de l'OMC pour les OGM. C'est donc tout de même un problème très important.

Je m'inquiète en constatant que quatorze états américains ont voté une loi pour interdire la diffusion d'informations erronées ou préjudiciables en matière d'alimentation. Sachant que nous courons bien souvent derrière des réglementations qui ont été prises aux Etats-Unis, un certain nombre d'années avant d'intervenir nous-mêmes, je suis inquiète.

Je pense que le combat sur l'information du public est absolument central.

En second lieu, concernant la prise de décision publique, je partage tout à fait les propos du professeur Dormont. Je dois dire ici combien le travail qu'a fait sa commission nous a été d'une très grande utilité et d'un très grand secours dans la gestion a posteriori de la question de l'ESB, car ce qui est important en réalité, c'est d'intervenir en amont.

A la suite des propos de Monsieur Riba, je dirai qu'à l'extrême, si l'on a bien travaillé, on ne devrait pas se poser la question de la responsabilité. Le problème de la responsabilité ne se pose que parce que, depuis des années, nous avons eu une manière de faire telle que toute une série de questions ne s'est pas posée, que nous sommes arrivés à une succession de catastrophes et qu'ensuite la question des responsabilités s'est posée.

Maintenant, nous apprenons à nous poser la question de la responsabilité. Le problème, c'est de savoir comment faire en sorte que la procédure et l'expertise soient organisées de telle manière qu'en amont, les bonnes décisions puissent être prises.

La première condition, me semble-t-il, est incontestablement celle de l'expertise dont le professeur Dormont disait qu'elle devait être collégiale. En utilisant un terme à la mode, on pourrait dire qu'elle devrait être plurielle.

Je veux dire que le temps de l'expertise unique m'apparaît devoir être totalement révolu. L'expertise lénifiante, sur le thème "circulez, il n'y a rien à voir" m'apparaît nous avoir conduits à assez de catastrophes pour devoir désormais être complètement évitée.

Si l'on reprend les rapports qui ont pu être faits depuis un certain nombre d'années, que ce soit sur l'amiante, sur les dioxines (sujet actuellement sur la place publique) ou sur d'autres thèmes, on peut y lire que tout va très bien et qu'il n'y a rien à faire. Je peux vous sortir, Monsieur le Président, une série de rapports dont j'ai eu connaissance, dans lesquels on trouve ce genre de conclusion.

Je pense donc que ce qui est très important, c'est de mélanger des expériences diverses au sein de l'organisme expertal. Non seulement, comme vous le disiez tout à l'heure Monsieur le professeur Dormont, il faut admettre pour les décideurs qu'il ne peut pas y avoir d'avis  unique, mais l'avis unique est à mon sens dangereux.

En effet, si des experts venus d'horizons très différents disent tous exactement la même chose, je me pose des questions. Au contraire, je pense qu'il y a une légitimité aux débats et à des présentations diverses d'un sujet.

Précisément, le propre du décideur -et c'est la grande différence avec l'expert ou le conseiller-, c'est de devoir trancher entre des avis qui peuvent être différents. Là où la difficulté est très grande, c'est lorsque l'avis est unique et que la procédure est organisée de telle sorte que l'on n'a pas le choix de recourir à des avis différents.

D'où la nécessité d'une expertise multiple, de l'organisation de contre-expertises, sous une forme ou sous une autre, et de la légitimation des avis divergents. Comment ? Je crois tout simplement -peut-être est-ce une déformation professionnelle- au travers de ce que l'on appelle un débat contradictoire, c'est-à-dire que l'on considère comme tout à fait normal qu'il y ait des opinions divergentes et qu'elles puissent s'exprimer selon la règle du contradictoire.

Il en sort alors quelque chose avec des opinions minoritaires, qui doivent être prises en compte, et c'est ensuite au décideur de trancher, au regard de ces opinions minoritaires.

Donc collégialité, débats contradictoires dans l'organisation de l'expertise, et expression systématique de toutes les opinions divergentes et minoritaires de manière à ce que le décideur ne puisse pas dire qu'il ne savait pas. Il doit avoir eu toutes les cartes en main et, à partir de ces cartes, il doit avoir eu la responsabilité qui est la sienne. C'est justement la dignité du politique, la noblesse de la chose, de décider et de prendre la responsabilité de cette décision.

Cela nous conduit bien sûr aux conditions de la composition des commissions qui, à mon sens, devrait être revue, de manière à assurer la diversité de l'expression scientifique et, d'autre part, à assurer la diversité, non pas forcément des intérêts car je crois que là aussi il y aurait un débat à mener, mais des intérêts généraux qui sont à prendre en compte.

Pour conclure, je dirai que, dans la procédure, le moment du choix et celui du recours à l'expertise sont absolument essentiels.

Je terminerai par où j'ai commencé : plus toutes ces expertises peuvent se faire en amont, plus elles peuvent se faire par un procédé itératif permettant aux décideurs d'interroger l'expert sur des éléments dont il n'est pas sûr, quitte à ce que l'expert ou la commission d'expertise lui réponde (je ne sais pas parce que c'est aussi l'une des réponses possibles, et il faut l'admettre en tant que décideur), plus la gestion de l'incertitude peut être organisée au niveau de la décision publique et moins nous commettrons d'erreurs.

Cela est vrai, me semble-t-il au niveau national comme au niveau international.

M. Le Président - Je demande maintenant à Axel Kahn, qui a été président de la Commission de génie biomoléculaire, qui a donc étudié toutes les autorisations d'expérimentation, de nous rappeler comment cela fonctionne et de nous donner son avis.

M. Kahn - J'aborderai le problème général pour lequel vous m'avez demandé de venir ici, c'est-à-dire témoigner sur la place et la nature de l'expertise.

Mon travail a été simplifié par la présentation et les observations de Dominique Dormont, car je partage totalement ce qu'il a dit des conditions dans lesquelles travaillaient les experts, des insuffisances et des confusions qu'il fallait éviter.

Ma première observation est la suivante : dans le processus décisionnel qui va aboutir in fine, dans le domaine qui nous intéresse, à autoriser une consommation, une culture, une mise sur le marché d'un produit, d'un végétal par exemple, plusieurs éléments vont intervenir ; l'expertise scientifique n'est que l'un de ces éléments, et le politique a une responsabilité qui transcende la vie scientifique ; c'est évident. Pour autant, naturellement, il ne peut se passer de l'avis scientifique pour parvenir à sa décision.

Les exemples où les avis scientifiques sont soit très discutés, soit concluent plutôt à une absence de risques d'une procédure qui reste néanmoins interdite en domaine agroalimentaire, sont bien connus et j'en comprends tout à fait les raisons.

En Europe, par exemple, contrairement aux Etats-Unis, il y a le problème de l'utilisation des hormones de croissance, des hormones de lactation chez les animaux.  Il y a également l'utilisation, pour la confection des fromages, de la chymosine recombinante à la place...

Une intervenante - Elle est autorisée.

M. Kahn - En France, c'est sûrement depuis peu !

L'intervenante - Depuis une quinzaine de jours.

M. Kahn - Je vous remercie de l'information. Je ne le savais pas. Pendant très longtemps, la chymosine a été interdite pour des raisons qui étaient particulières, et voici des exemples d'une décision qui est plurielle et qui fera intervenir l'expertise scientifique comme l'un des éléments, et également le sentiment des citoyens, l'intérêt économique, la sensibilité par rapport à ce problème.

Revenons maintenant à l'expertise proprement-dite. Il ne faut pas se tromper sur ce qu'elle est. Je parle de l'expertise a priori et non pas de l'expertise a posteriori dont a très bien parlé Dominique Dormont.

L'expertise a priori n'est pas naturellement la prévoyance de l'avenir. Il faut demander cela à une voyante ; le scientifique ne prévoit pas l'avenir. Tout ce que peut faire le scientifique dans son travail d'expert, c'est comparer deux manières de faire, deux procédures, et dire si, en fonction des expériences qui peuvent être utilisées, des considérations théoriques, avec une approche plurielle, il y a autant de risques, moins de risques, plus de risques représentés par une procédure nouvelle par rapport à une procédure ancienne.

Ce que l'on appelle "risques" doit être rappelé également. Ce que fait l'expert, c'est tenter de parvenir à une notion qui est la combinaison de deux éléments : le niveau de danger d'un phénomène craint, et la fréquence supposée avec laquelle ce phénomène peut survenir.

L'expert va donc tout d'abord évaluer indépendamment ces deux éléments, puis il va donner un avis en disant qu'il lui semble que cette nouvelle procédure est plus risquée qu'une ancienne, plutôt moins risquée qu'une ancienne, ou qu'il ne voit pas de différences entre les deux procédures quant aux risques dont j'ai donné la définition.

Je donne maintenant quelques exemples quant au travail de la CGB, pour marquer ce qu'il en est.

A la Commission du génie biomoléculaire, on va parler de trois dossiers reconnus, qui permettent réellement de discuter.

Pour la résistance à la pyrale avec ce maïs transgénique, la Commission du génie biomoléculaire a considéré que, pour l'environnement et les consommateurs, cette variété ne comportait pas de risques qu'elle puisse déceler, et en tout cas certainement pas de risques a priori supérieurs à ceux des méthodes actuellement admises de lutte contre les parasites du maïs. Notre avis a donc été favorable.

Concernant l'utilisation de gènes de résistance dans une plante comme la betterave, nous avons dit depuis très longtemps qu'il était tout à fait évident qu'à terme, on retrouverait ce gène de résistance à un herbicide dans la betterave, dans toutes les espèces qui échangent librement des gènes avec cette betterave sucrière cultivée, et que l'on trouverait donc des betteraves mauvaises herbes ayant cette résistance à l'herbicide.

Il ne faut pas demander s'il y aura un flux de gènes.  Naturellement, il y en aura. Une plante transgénique est une plante aux cinquante mille gènes à laquelle on a ajouté un gène connu, qui se comportera dès lors exactement comme les cinquante mille autres gènes de la plante.

Dès l'instant où ces deux formes de betteraves échangent des gènes, elles échangeront aussi bien le transgène.

La question est donc de réunir les personnes concernées pour discuter des conséquences réelles de ce phénomène. Si l'on craint les conséquences, il ne faut pas aller de l'avant. Si l'on considère qu'elles sont bénignes et que l'avantage que l'on en attend leur est de loin supérieur, il faut aller de l'avant.

De la même manière, nous avons dit qu'en réalité, pour le problème du colza, tout dépendait probablement de la nature de la résistance à l'herbicide. Nous avons rappelé un phénomène évident : la dissémination d'un gène de résistance à l'herbicide est au départ un risque pour l'industriel qui commercialise l'herbicide, puisque cela pourrait engendrer le fait que cet herbicide ne soit plus utilisé.

Pour autant, si l'herbicide en question est un produit très intéressant pour la pratique agricole, pour les agriculteurs, il ne serait pas bon d'en perdre l'utilisation possible et, là encore, il faut faire discuter les personnes responsables pour décider de ce que l'on désire, dans le cadre d'une confrontation plurielle entre les agriculteurs, les sélectionneurs, etc.

La commission a donc proposé ses expertises, en fonction desquelles le pouvoir politique a à prendre les décisions.

Lorsque des incertitudes étaient relevées, nous avons proposé qu'il y ait deux possibilités -cela se fait actuellement au niveau européen et je m'en réjouis car c'est une proposition française de longue date- :

- décider de stopper un projet qui nous semblait trop incertain

- ou, parce que l'on considérait que le risque était faible en réalité et faible par rapport à l'avantage que l'on en attendait,

. aller de l'avant mais avec la possibilité de revenir sur cette décision,

. dans des conditions où les pétitionnaires précisaient très bien le contrôle qu'ils assuraient à leurs essais, se donner le moyen, par une commission de suivi, de relever des paramètres dont, en fonction des résultats, il pourrait être décidé ultérieurement de cesser cette autorisation, de revenir sur cette décision, ou de la proroger.

Voilà ce qui m'a semblé le travail nécessaire des experts. La Commission de génie biomoléculaire, dont la composition n'a naturellement pas du tout été décidée par ses membres ni par son Président, était et voulait être une commission qui, contrairement à la Commission du génie génétique, par exemple, permette aux représentants des différentes sensibilités de la société de se faire entendre. Peut-être faut-il que ces sensibilités se fassent entendre plus encore.

Par exemple, depuis très longtemps, notamment depuis la loi de 1992, quelqu'un était censé représenter les associations de défense de l'environnement -je crois que c'était un membre de France Nature Environnement- et il y avait un membre des associations de consommateurs. Je ne connais d'ailleurs pas les critères selon lesquels ils étaient choisis.

De la même manière, il y avait des représentants des syndicats de travailleurs, des syndicats patronaux, un représentant du monde politique, etc.

Le dernier point important -je réinsiste avec Dominique Dormont sur ce point- c'est qu'il est malsain et pervers de demander à l'expert d'être un conseiller politique. En fonction de sa conviction plurielle, d'une commission, l'expert dit ce qu'il croit devoir dire à la question qui lui est posée, ce qui peut certes être toujours perfectible. Il ne dit pas si le projet lui est sympathique. C'est un élément qui dépasse l'expertise.

La Commission du génie biomoléculaire n'avait pas à apprécier directement les risques "socio-économiques". Cela dit, contrairement aux autres commissions européennes, elle a toujours attiré l'attention des politiques sur l'éventuel risque "socio-économique", par exemple quant au problème pour l'agriculteur d'une perte d'un produit très important.

Mais il m'est arrivé plusieurs fois, par exemple pour la betterave et le colza, de me trouver dans une situation où, après un avis, le pouvoir politique renvoyait cette question à la Commission : "Votre discours est opaque ; faut-il accepter ? Faut-il refuser ?"  La réponse de la Commission du génie biomoléculaire était qu'elle ne pouvait pas répondre à cela, que c'était vraiment une décision politique dont les éléments décisionnels étaient de natures diverses, que c'était ce que l'on pouvait lui en dire en tant qu'expert.

Il y a parfois une certaine difficulté, me semble-t-il, à vraiment considérer que l'expertise scientifique est l'un des éléments dont on ne peut pas se passer, mais pas le seul élément d'une prise décisionnelle. En aucun cas l'expert scientifique ne peut voir son rôle mélangé avec celui d'un conseiller en matière de prise de décision.

M. Le Président - Merci beaucoup. Beaucoup de problèmes ont été évoqués, et je voudrais poser une première question : Vous avez parlé de l'expert conseiller par rapport aux politiques ; vous avez dit que l'expertise devait être contradictoire, collégiale, que les citoyens devaient être associés, peut-être pas sous la même forme.

On n'a pas parlé de la coordination entre l'expertise nationale et l'expertise européenne. C'est un point important.

C'est assez compliqué. Pour la dissémination volontaire à des fins expérimentales, il y a d'abord une saisine de la CGB, qui donne son avis, qui le transmet au Ministère de l'agriculture, qui informe la Commission européenne, qui informe les Etats-membres.

C'est pour la partie autorisation annuelle d'expérimentation, question que vous posiez tout à l'heure, Monsieur Millereau, en demandant la carte. On les a dans les rapports de la CGB, mais il faudrait effectivement que ce soit public. En tout cas, c'est l'une des propositions que je ferai.

Pour l'autorisation de la mise sur le marché, c'est beaucoup moins clair, parce que c'est encore plus compliqué. Certains ont dit ce matin dans la table ronde qu'il fallait un moratoire, ce que vous avez dit, du groupe "Agir pour l'environnement" ; d'autres ont dit qu'il fallait aller plus vite. Lorsque l'on est entre ces deux demandes, il faut trancher sur l'autorisation de mise sur le marché.

Sont saisis le Comité technique permanent de la sélection, le Comité supérieur de l'hygiène publique française, la saisine de la CGB, ainsi que la Commission des toxiques en cas de problèmes. Cela va au Ministère de l'agriculture, cela part à la Commission européenne s'il y a un avis favorable ; il y a une consultation des Etats-membres pour savoir s'il y a des objections ou pas et, selon la réponse, cela revient au Ministère de l'agriculture et il y a une inscription éventuelle au catalogue des semences.

C'est un labyrinthe ; c'est un système assez long. Certains disent que cela ne va pas assez vite et d'autres  que cela va trop vite. Ce système vous apparaît-il bon ? Je ne prends pas parti. Je pose les questions.

Aux Etats-Unis, on nous a dit que c'était beaucoup trop long dans nos pays, que l'on n'y comprenait rien,  que nous faisions des barrières non tarifaires et que nous nous arrangions bien entre pays européens pour faire traîner les choses parce que cela nous permet, pendant ce temps, de ne pas avoir de compétition internationale.

Cela fonctionne-t-il bien ? Cette coordination compliquée vous paraît-elle bonne ? Peut-on éventuellement la modifier ?

En second lieu, je voudrais m'adresser aux représentants ici présents de l'OMC. Vous avez dit que le problème n'avait jamais été discuté à l'OMC, et c'est bien ce que nous reprochons. On peut très bien être dans des procès internationaux qui viennent des appréciations différentes des gouvernements sur les organismes génétiquement modifiés, et on n'aura jamais discuté de cette question avant.

J'en ai parlé à la banque mondiale, j'en ai parlé avec Mickey Kantor, avec un certain nombre d'interlocuteurs américains ; il ne me paraît pas correct qu'un pays parte dans tous les sujets et qu'au bout du compte, on n'ait pas le système d'arbitrage. Si l'on veut un arbitrage de l'OMC, il faut que l'on en ait discuté avant.

Si des problèmes peuvent se poser et si on ne les aborde pas sous l'angle de la santé ni de l'environnement, on les aborde sous l'angle de problème économique de protection non tarifaire. A mon avis, nous devons donc avoir un lieu pour discuter de ces questions avant. Cette proposition me paraît devoir être faite ; sinon, nous irons immanquablement vers des conflits.

Enfin, lorsque vous dites que les Français sont présents dans les organisations internationales ; après avoir discuté de l'Agence de sécurité sanitaire dans un débat récent au Parlement, je dis que nous n'avons peut-être pas de dossiers assez préparés, comme les Américains.

Lorsqu'ils veulent relever le taux des aflatoxines sur un certain nombre de céréales, parce qu'ils ont un peu plus d'aflatoxines que nous et qu'ils disent qu'il n'y a pas de danger, qu'il faudra prouver le danger, s'ils veulent relever le taux et s'ils viennent avec des dossiers en béton, c'est bien parce qu'à un certain moment, cela servira l'économie.

Dans tous les pays, non seulement les Américains, les Canadiens, les Européens, chacun essaie de jouer avec un certain nombre de règles pour favoriser l'économie de son pays, et, à mon sens, l'OMC ne peut pas se contenter d'être le gendarme après coup, s'il n'a pas prévu les évolutions.

C'est l'un des points importants sur lesquels je souhaiterais que vous nous donniez votre avis. Je m'arrête là, puis je poserai d'autres questions par la suite, notamment à Madame Lepage et à Axel Kahn.

M. Magalhães - Deux ou trois notions me semblent un peu confuses. Tout à l'heure, Madame Lepage a parlé par exemple de règles d'étiquetage du odex qui ne seraient pas appliquées par l'OMC. Sauf si j'ai mal compris, j'avoue que je ne comprends pas ce que cela signifie.

Mme Lepage - Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que j'avais relevé dans la presse internationale (précisément dans un article du Gardian) que des démarches seraient actuellement faites auprès du Codex Alimentarius pour obtenir que soit interdit comme contraire à la liberté des échanges, dans le cadre des règles de l'OMC, l'étiquetage des produits génétiquement modifiés.

Si le Codex Alimentarius entérinait une règle de cette nature, nous nous trouverions en contradiction flagrante au niveau communautaire, avec une règle de cette nature sans l'avoir discutée. On en revient à la question posée par le Président Le Déaut.

M. Magalhães - Merci. Je voulais comprendre, parce qu'il y a plusieurs choses, et je suis assez affolé d'écouter la description du labyrinthe dont vous avez parlé, Monsieur le Président, qui me fait penser à autre chose : où est finalement la transparence ?

On parle beaucoup des intérêts des consommateurs ; on dit beaucoup que les choses devraient être connues, que les consommateurs doivent être informés. Il faut d'abord qu'ils comprennent. C'est l'un des problèmes que nous avons à l'OMC, et il faut que ce soit très clair. Lorsque l'on dit OMC, on dit que c'est un organisme entièrement commandé et piloté par les membres qui en font partie. Ce n'est pas une commission de Bruxelles. Nous n'avons aucun pouvoir de décision ni de proposition.

L'OMC a un secrétariat qui sert administrativement et techniquement les pays membres de l'OMC, donc qui fournit aussi une assistance, notamment en matière de conflits.

Je pense qu'il serait peut-être utile que j'explique brièvement comment on résout un conflit commercial  à l'OMC. Je vais vous parler des hormones, parce que c'est le seul cas concernant directement les problèmes éventuels de santé, qui a été jugé à ce jour par l'OMC.

Je peux vous dire comment nous avons procédé dans ce cas puisque j'étais secrétaire de ce panel et de ce groupe spécial.

Un groupe spécial de l'OMC est formé par trois juristes, qui sont choisis en totale consultation avec les parties au litige. Si l'on n'arrive pas à trouver ces trois juristes par consensus des parties, c'est le directeur général qui est mandaté par les membres de nommer des experts.

Ce n'était pas le cas pour le problème des hormones, où trois juristes ont été choisis par consensus des parties. Il y avait aussi un cas avec le Canada, qui a également déposé une plainte contre la Communauté en matière d'hormones. Cela a été le cas traditionnel du groupe spécial, qui analyse une question de commerce et non pas une question scientifique.

Du fait que, dans le cas des hormones, il y a un problème scientifique, il a été fait appel à des scientifiques. La procédure n'existant pas à l'OMC (vous avez tout à fait raison de souligner qu'il n'y a souvent pas de règle ; dans ce cas, ce n'était pas vraiment un règle, mais une procédure qui manquait), on va vers le consensus et on met les différentes parties au litige les unes devant les autres.

Le panel le fait et, avec l'aide du Codex Alimentarius (parce que c'est l'organisation reconnue par l'OMC, donc par les membres de l'OMC, comme l'organisation internationale de repère pour les questions d'innocuité des aliments), nous avons établi une liste qui dépassait les trente experts internationaux en matière de résidus d'hormones dans la viande.

Cette liste a été soumise aux parties. Elle a été discutée pendant presque trois mois et finalement, bien que le panel en voulait trois au départ, on a trouvé cinq experts de toutes les nationalités, y compris des nationalités des parties au litige. Il y avait des Français, des Allemands, des Américains et des Canadiens. Le seul qui n'était pas d'une nationalité des parties au litige, ce qui est une sorte de principe sacré en tout cas pour les aspects légaux de ce système, était un Australien.

A partir de l'avis de ces scientifiques, le panel, le groupe spécial s'est fait sa propre idée de l'endroit où étaient les problèmes, quelles étaient les implications et quels étaient les risques, et il a été appelé à prendre une décision.

Tout cela est parfaitement prévu dans les textes de l'OMC, et nous avons un système qui a été accepté et négocié  et qui, à la fin, doit être approuvé par consensus.

Par la suite, ce panel vient avec un rapport. Il émet son jugement et le jugement est soumis à tous les membres de l'OMC pour approbation, à moins qu'il y ait recours en appel. L'OMC permettant maintenant un tel recours, il y a un organe d'appel dont la composition est négociée et acquise par consensus des 132 pays actuellement membres de l'OMC.

Cet organe d'appel doit examiner la question d'un point de vue légal, comme c'est souvent le cas en instance d'appel, et l'on tombe dans une situation où, dans le cas des hormones, l'organe d'appel de l'OMC a confirmé certaines des décisions du panel et en a infirmé d'autres. Toujours est-il que la Communauté européenne doit procéder, selon son interprétation de ce qui a été dit par ses experts juridiques, à une analyse des risques en matière d'utilisation ou pas d'hormones dans les viandes.

Il y a d'ailleurs encore débat, puisqu'en ce moment même, on attend sous peu une décision d'un arbitre pour déterminer le temps que la Communauté doit avoir pour procéder à l'analyse des risques et, si nécessaire, pour ajuster ses réglementations par rapport au problème des hormones.

Telle est la façon dont cela se passe dans le cadre d'un problème de mesures sanitaires ou phytosanitaires, pour lequel il y a une règle claire, évidemment assujettie à l'interprétation, comme toutes les règles.

Lorsque l'on parle maintenant des OGM, on est effectivement devant une situation où l'on n'est pas sûr. Certains experts disent que l'accord sanitaire ou phytosanitaire de l'OMC couvre parfaitement ces problèmes, qui sont finalement très similaires ; d'autres disent que ce n'est pas évident.

Il y a aussi au sein de l'OMC -c'est aussi un labyrinthe- un accord sur les obstacles techniques au commerce, qui couvre éventuellement ces thèmes si, par hasard, il était estimé que la définition de l'OGM ne donne pas une définition assez précise de ce qu'est une mesure sanitaire ou phytosanitaire dans le cadre de l'accord sanitaire.

En revanche, lorsque l'on parle de cet accord sur les obstacles techniques au commerce, on a des problèmes et des paradoxes.

Tout d'abord -c'est une question pour les experts-, à la fin d'un processus de production ou de manipulation  génétique, parle-t-on toujours du même produit ou est-ce un produit différent ? Si l'on parle exactement du même produit, il n'y a pas de problème ; des règles pré-établies peuvent être utilisées pour juger une affaire.

Si l'on parle d'un produit différent -je vous donne une appréciation personnelle parce qu'aucun des membres de l'OMC ne m'a mandaté ici pour interpréter leurs droits et leurs obligations à l'abri des règles de l'OMC- on semble être dans un certain flou.

En troisième lieu, si l'on parle d'un produit similaire, c'est un long débat à l'OMC, déjà depuis le temps du GATT. Qu'est-ce qu'un produit similaire ? Quelles sont les règles qui le gouvernent ? Je pense que, là encore, il y a un certain vague, malgré une jurisprudence construite au fil des années dans le domaine de ce qu'est un produit similaire.

Pour terminer sur le point, par exemple, des aflatoxines, que vous avez mentionnées, que se passe-t-il quotidiennement à l'OMC ? Pour les problèmes sanitaires et phytosanitaires, nous avons un comité qui se réunit trois ou quatre fois par an (il se réunit dans dix jours à Genève), et qui discute des problèmes soulevés par les membres.

L'un des problèmes soulevés à la dernière réunion du mois de mars de ce Comité, est une décision prise par la Commission de Bruxelles pour doubler pratiquement le taux d'aflatoxines qu'elle jugeait acceptable dans les cacahuètes.

Cela a soulevé un tollé chez les membres de l'OMC, notamment un large nombre de pays en voie de développement, les Etats-Unis et d'autres pays. Il en est résulté que la Communauté a décidé d'ajourner cette décision. Le jour même où la Communauté discutait cette décision à Genève, un comité du Codex qui travaille depuis dix ans sur la question venait de prendre une décision (qui a été prise lors de cette réunion et qui est toujours en attente du feu vert de la Commission).

Comment peut-on pallier ces choses ? Tous les pays sont membres ; tous les pays peuvent apporter une question à l'OMC, et il faut le faire. Lorsque je rencontre des pays en voie de développement, vous imaginez le problème que j'ai à leur dire de venir à l'OMC soulever le problème... La France peut faire cela au travers, pour l'OMC, des représentants de la Commission.

M. Le Président - Je souhaiterais une rapide intervention de Madame Lepage et de Monsieur Axel Kahn sur la partie coordination Europe, en essayant d'être très synthétiques.

Mme Lepage - Je voudrais réagir sur cette affaire de la viande aux hormones, qui est absolument essentielle  pour la suite. C'est une question fondamentale, parce que la manière dont le panel d'appel terminera cette affaire nous engage très largement sur la manière dont, par la suite, lorsque nous aurons des règlementations sanitaires dans le cadre de l'Union européenne, y compris éventuellement sur les organismes génétiquement  modifiés, les règles de l'OMC auront à jouer.

Si nous avons complètement perdu, nous Européens, la première manche devant le premier panel, qui avait considéré comme incompatible avec les règles de l'OMC l'interdiction de la commercialisation de la viande aux hormones, qui existe pourtant depuis les années 80 en Europe, le panel d'appel a assoupli la position mais, pour ma part, je ne considère pas que ce soit satisfaisant.

En effet, il y a en réalité une inversion de la charge de la preuve, et c'est fondamental. Autrement dit, qui a à faire la preuve du danger ou de l'innocuité ? Et, dans la décision rendue par le panel d'appel, c'est à nous, Européens, de faire la preuve qu'il y a un danger à l'utilisation de l'hormone de croissance, alors que, logiquement, ce devrait être au demandeur de faire la preuve qu'il n'y a pas de danger.

Bien entendu, cette charge de la preuve est très difficile et, de plus -d'où l'importance de la décision attendue-, le délai donné à l'Europe pour faire cette preuve est notoirement insuffisant. Le temps qui nous a été imparti ne permet pas de faire les expertises nécessaires.

Cette question est donc tout à fait centrale, et elle préjuge très lourdement de l'avenir.

En second lieu, concernant la question de la coordination au niveau européen, je dirai, Monsieur le président, que compte tenu de l'expérience de deux ans que j'ai pu avoir, le système arrive encore moins au niveau de la décision politique qu'il n'arrive en France.

Autrement dit, les commissions d'experts bruxelloises rendent des avis qui vont au niveau de la Commission, mais cela s'arrête là. En tant que ministre de l'environnement, je n'ai jamais eu les avis des commissions bruxelloises.

J'ajoute enfin -c'est peut-être un élément important au niveau de la réglementation interne- que le système actuel, qui consiste à demander son avis au Ministère de l'environnement en lui donnant un délai de quatorze jours à compter de l'avis émis par la CGB, à l'issue duquel, s'il ne s'est pas exprimé, il a donné un avis favorable, n'est à mon sens pas valable.

En effet, lorsque l'on connaît un peu l'organisation interne de l'administration, on sait très bien qu'avec un délai de quatorze jours pour que cela arrive éventuellement jusqu'au Ministre et pour qu'il en soit saisi, il n'y a aucune chance que cela puisse fonctionner.

M. Le Président - Internet existe, Madame Lepage.

Mme Lepage - Oui, mais je ne suis pas sûre que, sur Internet, on trouve tous les éléments nécessaires à la prise de décision.

M. Kahn - A propos de la partie coordination Europe en matière de décision Europe-France, il y a trois aspects, que je voudrais commenter rapidement.

En premier lieu, pour revenir sur l'expertise et la différence entre les comportements et la préparation, l'aide au travail des experts dans les différents pays, au sein même de la Commission européenne, ce que l'on a dit de la "deshérence" de l'expertise française par rapport à celle des collègues est tout à fait vrai.

Dans les discussions européennes, on voit nos collègues, notamment anglais ou des Pays-Bas, arriver avec des dossiers très fouillés, pour la préparation desquels ils ont été puissamment aidés par la mise à disposition d'une importante documentation, qui représentent vraiment le point de vue du pays concerné lorsqu'il s'agit de cette représentation.

Or, autant que je le sache -peut-être les choses s'améliorent-elles à l'heure actuelle-, ce type d'effort de coordination est rarement fait au niveau français, ce qui ne donne pas à l'appréciation de notre pays le poids auquel elle pourrait probablement prétendre du fait de la qualité de sa réflexion.

En second lieu, la mécanique européenne de prise de décision est très compliquée ; vous l'avez dit. A l'extrême, elle pourrait fonctionner avec cet élément très caractéristique de la mécanique communautaire -Madame Lepage l'a rappelé- : la mécanique communautaire de la Commission européenne -j'imagine que des règles ont été prises dans ce sens- est tout à fait parallèle à l'expression démocratique des différents pays. En fait on s'est efforcé de faire en sorte qu'elle n'en soit pas dépendante.

La possibilité pour le Parlement européen et pour les représentants politiques des différents pays d'intervenir est à chaque moment limitée par des règles qui fondent réellement cette mécanique particulière. C'est un débat qui dépasse mon intervention.

Mais il y a une logique qui vaut ce qu'elle vaut ; il y a plusieurs systèmes ; c'est très compliqué, et cela pourrait fonctionner. En réalité, ce qui ne fonctionne pas dans les faits, c'est que les rouages mêmes de la Commission européenne ne sont très souvent pas utilisés. Il est très facile pour quiconque, pour un directeur ça et là, de bloquer le système.

Alors même que les décisions n'allaient pas dans ce sens, on a vu plusieurs fois, dans un sens ou dans l'autre, la totalité du système parfaitement bloquée parce qu'il y a plusieurs étapes. Plus il y a d'étapes, plus il est facile de bloquer le bon déroulement d'un processus à l'une de ces étapes.

Quelle que soit la décision que prend l'Europe, elle doit définir une règle du jeu, puis se mettre en état de la faire absolument appliquer. C'est tout à fait essentiel.

M. Magalhães - En jurisprudence, un seul cas ne fait pas jurisprudence. N'importe quel autre groupe spécial pourra donc renverser cette décision. Il est vrai que cela pose tout de même un jalon.

En second lieu, pour l'inversion de la charge de la preuve pour le cas des hormones, je voulais tout simplement souligner que l'accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires, prévoit que lorsqu'un pays applique une norme internationale et lorsque cette norme internationale existe, il est présumé être en accord avec toutes les disciplines de l'accord.

Or, dans le cas des hormones, il existe effectivement des normes internationales, qui ont été à l'époque négociées aussi par la Commission et par la Communauté européenne. La Communauté a donc des normes qui sont beaucoup plus exigeantes avec une interdiction de viande produite aux hormones. Elle a donc pour charge de prouver que, scientifiquement, ces hormones sont dangereuses, peuvent présenter des risques.

Pour cela, elle aurait dû faire une analyse de risques. Je n'ai pas à commenter les décisions du panel ou de l'organe d'appel, mais elle doit effectivement procéder à une analyse des risques, puis on verra la suite des choses.

M. Etienne Vernet - Je souhaite faire deux commentaires et poser une question.

Les fondements de la législation européenne en matière d'évaluations et de contrôles de l'OCDE, dans le livre bleu de 1986 et jusqu'en 1992, stipulaient clairement que les évaluations et les contrôles en matière d'OGM ne devaient pas mettre en place des règles trop contraignantes au commerce.

On oppose dès le départ la liberté de circulation des produits OGM à une sécurité alimentaire, et cela peut nous poser un problème par rapport à l'évaluation future de ces OGM. Cherchera-t-on vraiment à faire toutes les voies de recherche qui déboucheront effectivement sur des hypothèses de travail, qui devront à leur tour être étudiées par les scientifiques nationaux ? On peut se poser cette question dès le départ.

Je souhaite faire une deuxième remarque par rapport à cet étiquetage, et abonder dans le sens des différents orateurs sur cette question : en 1992, alors que ce n'est pas du tout son rôle, la CGB avait rendu un avis sur l'étiquetage des OGM, selon lequel cet étiquetage n'était pas souhaitable parce que les consommateurs pouvaient croire que ces aliments étaient plus dangereux que des aliments naturels.

Peut-on se positionner sur le conseiller scientifique ou l'expert scientifique ? Je laisse au Président de la CGB de juger de son avis. N'est-on pas un peu sorti du mandat de la CGB ?

Dernièrement, la réunion bilatérale entre l'Allemagne et la France demandait clairement la suppression de prescriptions bureaucratiques inutiles dans le domaine du génie génétique, qui avaient en définitive pour objectif de libérer certains organismes appartenant à des niveaux de sécurité, de toute évaluation et de contrôles.

N'est-on pas justement en train d'aller un peu trop vite encore une fois ? Au moment même où, en Europe, on discute sur l'innocuité ou non de ces organismes, tant dans les enceintes démocratiques que dans les enceintes scientifiques, des ministres de la recherche se réunissent et décident de travailler pour libérer des organismes qui devraient normalement être évalués et que l'on n'évalue plus. N'y a-t-il pas un danger ?

Ma question aux politiques est la suivante : n'y a-t-il pas un danger de voir cette évaluation scientifique, que tout le monde appelle de ses voeux, être un peu mise en deçà de la décision politique ?

Je m'adresse maintenant directement à Monsieur Axel Kahn : par rapport à la procédure nationale, dans le cas d'une fiche d'information, lorsqu'il y a un numéro d'enregistrement à la CGB, la date du numéro d'enregistrement fait-elle valeur de loi par rapport à la décision, par exemple, d'autoriser l'expérimentation d'une plante transgénique ?

M. Le Président - Merci Monsieur Vernet, mais c'est mon rôle de poser des questions, en tant que rapporteur. Je souhaite que l'expertise d'un rapporteur soit plus secrète et confidentielle et soit ouverte. J'ouvre donc les questions.

Cela étant dit, Axel Kahn a demandé la parole, et je voudrais ensuite poser une ou deux questions supplémentaires. On n'a pas parlé de biovigilance, et cela me paraît très important.

M. Kahn - A propos de l'étiquetage, la Commission du génie biomoléculaire, sur des sujets différents, a donné deux types d'avis.

Le premier avis a été le suivant : s'il s'agit d'évaluer un risque particulier, nous pensons que les plantes transgéniques par rapport aux autres variétés ne comportent pas en elles-mêmes un risque particulier, parce que l'on a utilisé cette méthode -c'est toujours ma conviction tout à fait intime-, et qu'il n'y a pas à faire cet étiquetage de risques.

Sinon, -et nous l'avons également souligné dans cette réponse-, il faut indiquer très largement pour des plantes, que l'on a utilisé lors de leur culture tels pesticides, tels engrais, avec telle fréquence, à telles doses,  que l'on a utilisé l'irradiation, l'ionisation, etc.

Le fait de sortir une méthode particulière par rapport à toutes ces pratiques agricoles n'a pas de justification s'il s'agit d'identifier un risque.

Quelques années après, nous avons dit sur un autre point que l'étiquetage ne concernait pas simplement le risque, qu'il concernait également la réponse positive à une demande démocratique. Lorsque, par exemple, on indique quelle est la provenance d'un kilo de cerises (Afrique du Sud, Chili ou Italie), on ne veut pas dire qu'elles sont dangereuses lorsqu'elles en viennent.

Et, dès l'instant où il y a une demande démocratique d'une information, parce que les citoyens considèrent qu'il leur importe de savoir si l'on a utilisé cette technique, qui correspond à une valeur symbolique particulière, il n'y a strictement aucune raison de ne pas donner cette information.

Voilà très exactement ce qu'a été notre attitude et, aujourd'hui, si l'on me demandait de répondre à cette question, je reprendrais tout à fait cette attitude ; j'en suis complètement solidaire.

Le travail des experts en matière d'OGM est toujours incertain, avec les éléments d'incertitude sur lesquels j'ai insisté tout à l'heure, qui débouchent sur la nécessité parfois d'accompagner une décision de mesure de suivi.

Mais le travail est facilité par la nature même de ce qui se fait, et par la disparité internationale. En d'autres termes, si l'on me demande actuellement de rajouter à la pomme de terre un gène de résistance à la teigne, ma difficulté pour prédire le comportement sera bien moindre que celle à laquelle j'aurais été confronté il y a quelques siècles, si l'on m'avait demandé, du temps de Monsieur Parmentier, quel était le danger écologique d'introduire la pomme de terre en Europe, alors que je ne savais absolument pas comment elle se comporterait dans ce nouvel écosystème.

J'aurais eu du mal à dire si l'on pouvait ou pas introduire cette variété exotique, comme cela a été fait sans aucun ménagement, avec beaucoup d'imprudence, pendant des siècles.

Après tout, peut-être est-il bon d'attendre. En second lieu, actuellement, plusieurs centaines de millions de  personnes dans le monde mangent quotidiennement des OGM. En 1998, aux Etats-Unis d'Amérique, les surfaces cultivées en OGM représentent 34 millions d'hectares, plus 2 millions d'hectares environ au Canada, un peu plus de 2 millions d'hectares en Australie. On doit donc se trouver dans le monde entier avec 40 à 45 millions d'hectares cultivés en OGM, donc des populations entières qui les consomment.

Cela permet d'avoir un élément d'expertise quant au comportement écologique et à la santé de ces populations, qui s'ajoutent à notre réflexion.

M. Joël Chenais (Responsable de la Commission environnement des Verts) - Concernant les problèmes d'expertise, quelqu'un a évoqué le manque de données, d'informations, le fait que les dossiers des experts français étaient souvent faibles.

Récemment, on a créé au Parlement deux agences de sécurité sanitaire ; la création d'une troisième agence de sécurité sanitaire portant sur les problèmes santé environnement ne serait-elle pas pertinente pour justement coordonner, développer tous les outils qui permettraient d'accumuler toutes les informations nécessaires pour permettre aux politiques d'avoir des jugements un peu plus étayés ?

D'autre part, concernant la CGB et la place des associations, actuellement il y a un représentant unique des organisations d'agriculteurs et un représentant unique des associations de consommateurs. Or, chacun sait que les associations de consommateurs ne sont pas forcément toutes exactement sur la même ligne, tout comme les organisations d'agriculteurs.

Ne serait-il pas utile d'élargir ? A quel niveau ? Est-ce au niveau de la CGB telle qu'elle existe, ou éventuellement au niveau d'un chapeau plus large qui couvrirait la CGB, la Commission des toxiques et éventuellement un autre comité, pour prendre en compte les problèmes qu'il peut y avoir entre différents groupes ?

M. Le Président - Vous posez une bonne question. Je demande à tous ceux qui ont une réponse à ce sujet de nous la faire parvenir, parce que je pense qu'au niveau du rapport, j'aurai à trancher sur cette question. C'est une vraie question de participation des citoyens dans la décision publique, et vous posez là un vrai problème : comment organiser le système ?

Je souhaite poser une question complémentaire à celle-là, la question de la biovigilance, et je demande à tous ceux qui ont des avis en la matière de nous les transmettre.

Il y a eu une autorisation de mise en culture le 27 novembre 1997, à un certain nombre de conditions qui étaient :

- l'évolution de l'efficacité des variétés considérées contre les populations-cible de ravageurs du maïs,

- l'apparition éventuelle de tout effet non-intentionnel sur les populations de ravageurs ou d'auxiliaires hébergés par le maïs -cela répond d'ailleurs à la question de Monsieur Pelt, ce matin-,

- les effets éventuels de l'entomofaune,

- les effets éventuels sur l'évolution des populations bactériennes du sol,

- les effets éventuels sur l'évolution des populations bactériennes de la flore digestive des animaux consommant du maïs.

L'harmonisation de cette Commission de biovigilance est-elle bonne avec la CGB ? Certains en font partie autour de cette table, et ils peuvent répondre.

Le système de décision que je vous ai décrit tout à l'heure (décisions au niveau de la France, décisions européennes) est-il bien harmonisé avec la Commission de biovigilance ? Les deux ne vont-ils pas se recouper ?

S'il y a déjà eu une autorisation de mise en culture expérimentale, puis une autorisation de mise sur le marché, la Commission de biovigilance doit-elle traiter des mêmes sujets ? Y a-t-il une bonne harmonisation à ce niveau ?

Enfin, je pose une question personnelle à Madame Lepage, parce qu'on me l'a posée très souvent, et les membres du Comité de pilotage l'ont entendue. Beaucoup de personnes nous ont dit qu'elles n'avaient pas compris la décision que vous aviez prise, et vous pouvez peut-être nous l'expliquer publiquement.

En février 1997, pourquoi autoriser finalement les importations de maïs et de soja, et pourquoi avoir refusé la mise en culture en février 1997 ? Cette question nous a été posée très souvent.

Mme Lepage - Je peux répondre sur ce point, en deux temps.

La question de l'importation du maïs a été réglée, comme le texte le prévoit, au niveau du Ministère de l'agriculture. Je ne peux pas dire qu'il y ait eu un vrai débat global gouvernemental sur la question de l'importation, d'autant plus que cette décision d'importation venait après celle qui avait été prise au niveau communautaire en décembre 1996, qui avait admis le principe de l'importation du maïs transgénique.

J'ajoute qu'il y avait une pression gigantesque puisque, lorsque le Conseil des Ministres de l'environnement a siégé, à Noël 1996, les ports européens étaient pleins de bateaux attendant pour décharger du maïs que, d'autre part, nous étions en pleine discussion de Singapour de l'OMC, sur le thème environnement/commerce, et que cette question a dû être réglée avec beaucoup d'autres à cette époque.

Cette décision s'inscrivait dans ce qui avait été décidé au niveau communautaire.

Cela étant, la question de la mise sur le marché et celle de la mise en culture ne m'apparaissent pas pouvoir être totalement assimilées. En effet, la question de la mise en culture soulève des problèmes de nature écologique, de nature environnementale, qui ne se pose pas au niveau français, au stade de l'importation de maïs produit ailleurs.

Nous n'avons pas, nous Français, la capacité de nous interroger sur les conditions dans lesquelles aux Etats-Unis, on surveille ou pas, et s'il y aura ou pas des conséquences suite à la mise en culture de maïs transgénique.

En revanche, cela nous intéresse directement sur le sol français et, par voie de conséquence, la question de la mise en culture posait des problèmes différents, notamment ceux des effets au niveau des transmissions bactériennes, qui commencent maintenant à être largement soulevés et discutés, des effets particuliers liés à ce maïs, qui utilisait, même de manière passive, un marqueur de résistance à l'ampicilline. Tout cela posait un problème.

De manière plus générale, la question me paraît différente pour la raison suivante : si, demain matin, l'Europe décide que l'on ne commercialise plus le maïs transgénique en Europe, que l'on arrête tout, ceux qui l'auront absorbé l'auront absorbé et nous verrons dans cinq, dix ou quinze ans si cela a eu des conséquences ou pas.

En effet, je pense qu'il faut tout de même être assez prudent en la matière. Lorsqu'actuellement, on voit des maladies ou des récurrences chez certains types de populations, je pense que le minimum est d'avoir une certaine modestie et une certaine prudence.

En revanche, si demain matin, on décide que l'on arrête la mise en culture du maïs transgénique, on l'arrêtera mais, si des mutations ont été induites, s'il y a eu des transferts bactériens, on ne les arrêtera pas, parce qu'ils sont déjà passés. Il y a donc une question d'irréversibilité qui se pose au niveau de la mise en culture, qui, à mon sens, ne se pose pas dans les mêmes termes au niveau de la commercialisation.

Je veux donc bien, Monsieur le Président, que l'on dise qu'il y a une contradiction entre les deux ; à l'extrême, je dirai de manière très ouverte que, si j'avais eu à prendre la décision des deux, je n'aurais pas autorisé la commercialisation mais, cela étant, les deux questions ne m'apparaissent pas strictement identiques.

M. Riba - Je fais partie du Comité de biovigilance ; je peux témoigner qu'il est très ouvert. Il comprend des représentants de différentes associations de producteurs, de sociétés d'environnement, etc. Il fonctionne bien ; le dialogue est bon ; les protocoles ont été validés et le financement a été acté. La réunion avait lieu ce matin.

En second lieu, concernant les liens par rapport à la CGB tel que cela a été posé, je dirai que nous prenons le train en marche. Il y a certainement des progrès à faire, notamment dans une distinction entre les évaluations de risques plus génériques qui, à mon avis, sont davantage du ressort de la CGB, et les évaluations des risques de la mise en culture et de suivi des événements, comme cela a été discuté, qui sont du ressort typique du Comité de biovigilance.

Quant au lien avec l'échelle européenne, je dirai personnellement que tout ce qui peut procéder à la simplification administrative est prioritaire. Il est inutile de créer davantage de comités si c'est pour se retrouver avec plus de paperasse et une estimation des risques pas forcément améliorée.

Par rapport à Bruxelles, je considère qu'il y a aussi du générique qui peut être fait à Bruxelles -Axel Kahn l'a mentionné et je partage cet avis-, à la condition que ce soit simplifié administrativement.

M. Kahn - Monsieur le Président, je réponds brièvement aux questions que vous avez posées concernant ce que je pense être souhaitable pour l'organisation des futures commissions.

Tout d'abord, fort de mon expérience d'un peu plus de dix ans à la Commission de génie biomoléculaire, je pense qu'il faudrait certainement augmenter la compétence scientifique en s'adjoignant des malherbologues, des spécialistes des flux de gènes, des écologistes scientifiques. C'est tout à fait important.

Il faudrait peut-être trouver un moyen de disjoindre deux niveaux d'évaluation, le niveau purement technico-scientifique et le niveau de réceptivité, de sensibilité, parce qu'en réalité, ce sont effectivement deux niveaux de l'appréciation.

Enfin, il est absolument impératif que la CGB et la Commission de biovigilance soient tout à fait séparées.

M. Le Président - Merci beaucoup, Madame la Ministre et Messieurs, d'avoir participé à cette table ronde.  Des propos intéressants ont été tenus, y compris sur notre future organisation du contrôle et de l'expertise.

Audition de M. Louis Le Pensec, Ministre de l'agriculture et de la pêche

M. Le Président
-
Je remercie Monsieur le Ministre de l'agriculture et de la pêche, Monsieur Louis Le Pensec, d'être présent pour ces auditions sur les utilisations des organismes génétiquement modifiés dans l'agriculture et dans l'alimentation.

Nous avons déjà eu trois tables rondes :

- une première sur les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

- une deuxième sur les enjeux pour la recherche

- une troisième sur les enjeux réglementaires - Comment organiser l'expertise ? Quel contrôle ?

Elles se sont bien passées, avec des propositions qui ont été à mon sens très constructives.

Monsieur le ministre, nous allons vous laisser faire une déclaration, et je vous poserai un certain nombre de questions. Nous n'avons qu'une heure et trois ministres doivent intervenir ; ceux qui souhaitent poser des questions sont priés de les inscrire sur les feuilles prévues à cet effet. Je les transmettrai, tout comme plusieurs questions posées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et le Comité de pilotage.

Auparavant, je voudrais vous lire une lettre. Ce matin, je disais que nous avions un forum interactif sur Internet, qui sera réellement interactif et qui commence à être plus rapide au niveau des moyens de recherche, sur le site : www.assemblee-nat.fr

Dans ce forum, une lettre récente indiquait :

" Réflexion naïve sur les OGM :

Comment de simples citoyens peuvent-ils avoir un avis sur cette question éminemment complexe qui, pourtant, les touche au premier chef ?

Entre d'une part les réactions épidermiques des uns à tout ce qui est nouveau et hautement suspect, et pourquoi pas l'oeuvre du diable, les Américains en l'occurrence, et de leur outil, l'argent, et les réactions économistes des autres -le train est en marche ; il ne faut pas le rater sous peine d'être déclassé-, qui ne se posent apparemment pas la question de savoir quelles sont les conséquences des OGM sur la santé et l'environnement, il est difficile de se faire une opinion.

Cependant, à mon avis, et bien que spontanément je ne sois pas très enthousiaste à l'idée de manger des OGM, il me paraît difficile de faire l'impasse sur des centaines de millions de personnes qui, par le monde, ont faim.

Les OGM peuvent-ils apporter une contribution significative à l'autonomie alimentaire des pays pauvres, ou bien resteront-ils l'apanage des pays riches, qui sont déjà largement excédentaires ?

Enfin, de toute façon, ce débat n'est-il pas stérile ? A-t-on déjà vu des percées scientifiques rester inutilisées ? L'homme n'a-t-il pas toujours manipulé son environnement ? Tout ce que l'on peut espérer, c'est d'y mettre des règles.

Pour en terminer de façon pratique, l'étiquetage des OGM me paraît indispensable, pour que les consommateurs aient le libre choix de leurs achats. Le contraire serait inacceptable.
"

C'est le dernier courrier sur notre site, que j'ai retiré et que je voulais vous lire en introduction.

Monsieur le Ministre, je vous laisse maintenant la parole.

M. Le Pensec - Mesdames et Messieurs,

Merci tout d'abord pour votre invitation. Cette participation, la première dans l'ordre, d'un membre du gouvernement, est un temps fort dans la réflexion, dans l'action.

Il est de fait que les possibilités ouvertes par les progrès du génie génétique posent à notre société des questions essentielles pour son avenir. Les scientifiques doivent naturellement prendre une part importante à ce débat, mais il ne leur revient pas de décider seuls des réponses qui doivent être apportées à des questions aussi fondamentales.

Il est donc normal que l'utilisation du génie génétique soit au coeur des réflexions du gouvernement, et que vous entendiez l'avis des membres du gouvernement principalement concernés, du fait de leur domaine de compétence, par les organismes génétiquement modifiés.

Comme le disait Monsieur Le Déaut, je suis Ministre de l'agriculture et de la pêche, responsable d'un secteur pour lequel les applications du génie génétique sont particulièrement importantes. Les principales applications dans ce domaine concernent les plantes et, dans une moindre mesure, les animaux. Mais les applications sont déjà sorties des laboratoires pour connaître d'importantes applications industrielles.

Le débat est complexe car le génie génétique est multiple.

Appliqué à la fabrication de médicaments ou même à des bactéries, il ne suscite pas de réticences de la part du grand public. Ainsi, les enzymes dans le domaine alimentaire ou des protéines comme la lysine sont fabriquées et utilisées depuis de nombreuses années sans craintes particulières.

Les réticences, parfois d'ordre éthique, apparaissent lorsque l'on touche aux êtres supérieurs comme les plantes et plus encore les animaux.

Le développement des OGM en agriculture est à la croisée des chemins, et c'est aujourd'hui que les décisions que l'on doit prendre peuvent changer la physionomie de l'agriculture de demain.

C'est pourquoi, avant de prendre des décisions qui engagent l'avenir, le gouvernement a souhaité qu'un large débat ait lieu. Il sera donc attentif au rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que prépare son Président, Monsieur Le Déaut, tout comme il sera attentif aux résultats de la Conférence citoyenne de consensus, qui aura lieu à la fin du mois de juin.

Je ferai un rapide état des lieux.

Actuellement, les dossiers examinés en France portent sur des demandes d'autorisation de dissémination à des fins de recherche et développement de plantes modifiées pour acquérir des résistances aux herbicides dans la plupart des cas. Ces plantes modifiées sont en majorité des plantes de grandes cultures comme le maïs, le colza, la betterave.

Douze plantes bénéficient d'autorisations de mise sur le marché au niveau communautaire. Six font l'objet d'une mise sur le marché effective : le maïs, le colza, le soja, la chicorée, le tabac et l'oeillet.

Seuls le maïs et le soja sont autorisés pour un usage alimentaire.

Les six autres plantes, avant d'être effectivement commercialisées, doivent faire l'objet de mesures de transposition dans chaque état membre. Il s'agit de lignées de maïs, de colza et de soja.

Les dossiers relatifs à ces six plantes comportent des usages alimentaires.

J'ai moi-même signé un arrêté d'autorisation de mise en culture d'une lignée de maïs génétiquement modifié mise au point par la firme Novartis. Je l'ai fait après que toutes les instances scientifiques associées aux procédures d'examen mais aussi de décision se soient prononcées en faveur d'une possible autorisation.

Le gouvernement a aussi voulu mettre fin à une situation qu'il jugeait incohérente, qui avait été créée par le gouvernement de Monsieur Juppé, au terme de laquelle était autorisée l'importation de ce type de maïs, donc sa consommation, mais pas sa mise en culture. Seul un risque pour l'environnement pouvait motiver une décision de cette nature. Or, l'examen du dossier n'en faisait apparaître aucun.

Neuf dossiers ont été transmis à la Commission européenne et sont en attente d'un avis des comités scientifiques communautaires. Il s'agit de lignées de maïs, de colza, de betterave, de coton, de chicorée, de pomme de terre et de tomate.

Pour la quasi-totalité de ces dossiers, la modification génétique a pour objectif d'introduire un gène d'intérêt agronomique, notamment de résistance à des insectes, à des virus ou à un herbicide. Seuls les dossiers d'oeillets (coloration florale modifiée), de tomate (maturation retardée) et de pomme de terre (amidon modifié) peuvent avoir un intérêt direct pour l'industrie de transformation ou pour le consommateur.

Je souligne qu'aucun dossier de dissémination dans l'environnement -c'est l'appellation consacrée- ne concerne des animaux transgéniques. En effet, les modifications effectuées sur des mammifères restent, en France, au niveau des laboratoires. Ces applications visent par exemple la production de protéines intéressantes en thérapeutique humaine, excrétées dans la plupart des cas dans le lait.

D'autres applications sont du domaine de la recherche fondamentale et ont pour objet de comprendre les mécanismes cellulaires, en particulier la différenciation des cellules. C'est ainsi par exemple que le veau Marguerite est né.

Les problèmes posés par les animaux transgéniques ont une dimension éthique spécifique, qu'il faut prendre en compte. Les projets de recherche qui ont été entrepris dans ce domaine devraient être rigoureusement encadrés, et leur objet précisément défini par des instances de contrôle spécifique au sein des organismes de recherche.

Si l'on peut comprendre leur intérêt pour la recherche médicale, appliquer les résultats de ce type de recherches à l'amélioration génétique des animaux ne me semble pas souhaitable. Je me suis exprimé en ce sens lors de la naissance que je viens d'évoquer. En effet, ce que l'on sait faire et ce que l'on peut faire sur un animal, un mammifère en particulier, est directement applicable à l'homme, avec toutes les dérives que l'on peut imaginer.

En tout état de cause, la dissémination des animaux transgéniques ne pourrait être opérée sans autorisation au cas par cas du gouvernement, qui conserve ainsi son pouvoir d'orientation et de contrôle.

Parlons des risques spécifiques liés au développement du génie génétique.

A l'heure de l'arrivée des premières plantes transgéniques sur le marché mondial, il m'apparaît important de rappeler que, même s'il représente une rupture qualitative importante, cet événement s'inscrit dans un long mouvement continu lié à l'essence même de l'agriculture, celui de la maîtrise du vivant et de l'amélioration des plantes cultivées.

Le principe de sélection des plantes cultivées est connu empiriquement depuis dix mille ans. Ce principe consiste à croiser des individus mâles et femelles d'une espèce donnée et à choisir parmi les descendants, les individus ayant bénéficié des caractères avantageux.

Le génie génétique permet d'identifier les gènes conférant le caractère recherché, et de les transférer à la plante qu'il s'agit d'améliorer.

La principale différence, à mon sens, entre la sélection classique et l'amélioration végétale par transgénèse est que cette dernière permet de transgresser les barrières d'espèces en permettant le choix d'un gène chez n'importe quel être vivant, qu'il s'agisse de végétaux, d'animaux ou de bactéries, pour l'introduire dans le génome d'une autre être vivant.

De ce point de vue, les dossiers actuellement soumis à examen, tant dans une perspective de recherche et développement qu'en vue de leur mise en marché, dont je viens très rapidement de faire le bilan, ne sont qu'un pâle reflet des potentialités qu'offre le génie génétique.

Il y a en effet dans l'application de cette technologie aux plantes un potentiel important d'amélioration en termes de qualité, tant sur le plan nutritionnel que technologique ou agronomique, notamment par la résistance aux insectes et aux maladies. Il y a aussi dans l'application de ces techniques un potentiel fort en termes de réduction de l'impact de l'agriculture sur l'environnement et de développement durable.

Toute nouvelle technologie, si elle présente des avantages, peut présenter aussi des risques. L'avancée des sciences mais aussi des techniques nous a montré que le risque zéro n'existait pas, et le génie génétique n'échappe pas à cette règle.

J'ai évoqué tout à l'heure les problèmes éthiques soulevés par les manipulations génétiques sur les animaux ; je n'y reviendrai pas, et je centrerai la suite de mon exposé sur les risques liés aux plantes génétiquement modifiées.

Ces risques sont, à mon avis, de trois ordres : alimentaire, environnemental et économique.

- Le risque alimentaire

L'évaluation de la salubrité, qui comporte à la fois les aspects nutritionnels mais aussi toxicologiques des aliments issus des plantes transgéniques, est fondée sur le concept "d'équivalence en substance". Il s'agit de comparer ces nouveaux aliments issus de manipulations génétiques à des aliments courants de référence, consommés traditionnellement sans effets indésirables.

La difficulté de l'exercice concerne surtout la prédiction du caractère allergène d'une protéine. Le seul moyen efficace de répondre à cette préoccupation réside dans une surveillance alimentaire renforcée, et je pense que, sur ce point, M. Kouchner, que vous auditionnerez, fera aussi allusion à cette question.

Si le caractère allergène d'une protéine introduite dans une plante est avéré, il me semble évident que l'aliment issu de cette plante ne doit pas être autorisé. A mon sens, il n'est pas acceptable que le génie génétique multiplie les sources d'allergènes potentiels.

- Le risque environnemental

La diffusion dans l'environnement de plantes transgéniques entraîne parallèlement celle des caractères transgéniques, parfois à d'autres variétés qu'aux variétés d'origine. Le croisement de différentes variétés et d'espèces sauvages apparentées peut faire apparaître des plantes se comportant comme des mauvaises herbes, qui peuvent par exemple résister à plusieurs herbicides.

La possibilité de transfert de gènes vers des bactéries est improbable mais elle est possible, et cette possibilité doit être précisément évaluée lorsque l'on considère par exemple des gènes de résistance aux antibiotiques.

De façon générale, ces gènes de résistance aux antibiotiques, qui étaient nécessaires comme gènes marqueurs lors des premières constructions génétiques, ne sont plus aujourd'hui utiles. C'est pourquoi je pense préférable que, pour la prochaine génération de plantes transgéniques, ces gènes ne figurent plus dans les constructions génétiques.

- Les risques économiques

Ils doivent être pris en considération, car il est évident que la mise en marché de plantes transgéniques va engendrer au niveau mondial des mutations profondes dans les relations entre les agriculteurs et les industries semencières.

En effet, si seules quelques plantes transgéniques sont autorisées en Europe, une soixantaine d'espèces différentes a fait l'objet de dissémination expérimentale dans le monde, et la mise en culture des plantes transgéniques, qui ne concerne en France pour 1998 que quelques milliers d'hectares, approche trente millions d'hectares dans le monde, dont les trois quarts aux Etats-Unis.

Par ailleurs, les règles actuelles de l'Organisation Mondiale du Commerce ne permettent vraisemblablement pas d'interdire les importations de plantes transgéniques reconnues sans danger pour l'homme et l'environnement. Les Européens seraient alors contraints soit à consommer des aliments issus de plantes transgéniques en provenance des Etats-Unis, soit à payer des pénalités très importantes et difficilement acceptables économiquement.

C'est l'un des enjeux des négociations à venir que de faire accepter que les règles du commerce mondial prennent aussi en compte les aspects environnementaux et sociaux dans les relations commerciales entre Etats. C'est ce que l'on baptise à Genève le "quatrième critère", déjà évoqué  sans succès lors du précédent cycle de négociations.

A titre indicatif, le gouvernement américain a d'ores et déjà fait savoir au gouvernement français qu'il estimait le préjudice actuel, dû au simple retard de décision sur le maïs, à environ 200 millions de dollars.

L'autre aspect du risque économique concerne les enjeux liés à la connaissance du génome des plantes. C'est la maîtrise du vivant au service de l'homme qui est recherchée, mais aussi, par le biais de la brevetabilité des gènes, son appropriation.

Le secteur semencier en France, avec un chiffre d'affaires de 10,5 milliards de francs, est actuellement le premier en Europe et le troisième au niveau mondial. Il faut éviter que ce secteur perde sa place de leader et se trouve à l'écart de l'innovation biotechnologique. Il faut également éviter de le placer en situation de dépendance face aux sociétés agrochimiques américaines, qui disposent d'ores et déjà de nombreux brevets sur des gènes d'intérêt agronomique majeur.

Comment, dès lors, maîtriser ces risques ?

- Par la recherche

Le risque le plus difficile à évaluer est, je pense, le risque économique. Mais, quelles que soient nos décisions à l'égard des OGM, il faut essayer de se prémunir et de ne pas se laisser déposséder de nos connaissances sur les variétés végétales. C'est pourquoi il me semble urgent de renforcer ces connaissances.

Le gouvernement a décidé d'accompagner le développement de la recherche dans ce domaine, dans le cadre de grands programmes de recherche et de coopération visant à explorer le génome végétal.

La recherche et le développement en matière de biotechnologie sont des secteurs prioritaires du gouvernement pour la mise en place de réseaux thématiques de recherche, et Monsieur Allègre, lors de son audition, vous développera, je n'en doute pas, ce point.

- Par des procédures adaptées

Concernant les risques alimentaires et environnementaux, des comités d'experts sont capables de les évaluer. En effet, une plante transgénique est le résultat d'une construction dont les éléments sont parfaitement caractérisés, et l'on dispose ainsi de bases rationnelles sur lesquelles on peut bâtir une évaluation scientifique.

Le risque alimentaire est actuellement évalué par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, sous la tutelle du Ministère de la santé. Il le sera dans l'avenir par l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, qui sera mise en place avant la fin de cette année. Cette agence fédérera et renforcera l'expertise existante en matière de sécurité alimentaire, et devra assurer que cette expertise est réalisée avec transparence.

L'évaluation du risque environnemental est assurée par la Commission du génie biomoléculaire sous la tutelle du Ministère de l'agriculture et de l'environnement. Cette commission, essentiellement composée de scientifiques, est ouverte à des représentants de la société civile, notamment d'associations de consommateurs et de protection de l'environnement.

Pour les dossiers de mise sur le marché, ces évaluations sont réalisées par l'ensemble des comités existants dans les différents Etats-membres, relayés en général par des comités scientifiques européens. Ces évaluations des comités scientifiques, qui fondent les décisions ministérielles, doivent être les plus transparentes possible, et je souhaite que leurs avis soient rendus systématiquement publics.

Les interrogations principales concernant l'utilisation des OGM concernent les effets à long terme susceptibles par exemple de menacer la biodiversité.

La réponse n'est pas simple, et ce qu'il faut absolument garantir, c'est la réversibilité d'éventuelles décisions,  par un suivi précis des autorisations accordées.

Les avis des comités scientifiques ne sont toutefois pas les seuls éléments à prendre en compte dans les décisions. Les attentes des consommateurs sont également à considérer.

Les études réalisées auprès d'échantillons de consommateurs montrent toutes une large méfiance à l'égard des organismes génétiquement modifiés. Plus des trois quarts y sont a priori défavorables.

Toute technologie nouvelle génère de l'angoisse, puisqu'elle explore un territoire inconnu du consommateur, et il n'est ni anormal ni étonnant que les consommateurs soient inquiets. Cette inquiétude est d'ailleurs renforcée par le manque de connaissance de la population à l'égard de la génétique.

Pour qu'un risque soit acceptable par le consommateur, il faut un certain nombre de conditions, qui ne sont pas réunies actuellement.

La première condition est que ce risque doit avoir pour contrepartie un bénéfice tangible. Or, aujourd'hui, il n'y a pas de bénéfice perçu par le consommateur, dans la mesure où les raisons de la modification sont ignorées. C'est pourquoi il me semble essentiel que les innovations issues des biotechnologies participent à l'amélioration des qualités nutritionnelles ou gustatives des produits, et pas uniquement à une augmentation de la productivité.

Une autre condition importante est la liberté de choisir. En effet, un risque imposé, même théorique, est inacceptable. En l'absence d'étiquetage, le consommateur a le sentiment qu'on lui impose un risque en modifiant son alimentation à son insu.

Le Conseil des Ministres de l'agriculture vient, hier, de clarifier la proposition de la Commission européenne sur le sujet et d'adopter des mesures relatives à l'étiquetage des aliments issus d'OGM.

Ces mesures prévoient un étiquetage large des aliments issus d'OGM sur la base de la présence de protéines nouvelles ou d'ADN issus de la modification génétique, mais aussi l'utilisation claire et non ambiguë du caractère génétiquement modifié d'un produit. Il est à souligner que la mention "peut contenir des OGM", réfutée à la fois par les associations de consommateurs et les opérateurs économiques, n'a pas été retenue.

En conclusion, Monsieur le Président, je pense qu'il faut réellement garantir le choix aux citoyens de ne pas utiliser ou de ne pas consommer des OGM.

La réponse aux demandes d'autorisation de dissémination de plantes transgéniques doit, me semble-t-il, être apportée dans le cadre d'un examen au cas par cas du bilan coûts/avantages présenté par la lignée impliquée. Lorsque, par exemple, le seul avantage que présenterait la mise en culture d'espèces végétales transgéniques est leur résistance aux herbicides, je ne trouve pas cela suffisant. Ni le consommateur, ni le citoyen préoccupé d'environnement n'y trouveraient d'avantage susceptible de compenser les inconvénients possibles.

Ensuite, c'est le respect du principe de précaution qui guidera les décisions du gouvernement.

Enfin, comme je l'ai déjà dit, le gouvernement tiendra également le plus grand compte de tous les avis qui lui seront exprimés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ainsi que par la Conférence des citoyens.

Tels sont les propos liminaires que je souhaitais tenir pour situer un peu l'approche du ministre de l'agriculture et, plus largement, celle du gouvernement.

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, d'abord de participer à ce débat, qui est un débat de rapporteurs, mais ouvert.

Je rappelais tout à l'heure le premier travail de l'Office parlementaire sur les biotechnologies dans l'agriculture et l'agroalimentaire était un rapport de Daniel Chevallier, Député des Hautes-Alpes, ici présent et qu'à l'époque, cela n'avait malheureusement pas suscité le débat qui est réclamé maintenant.

Le Parlement avait donc déjà travaillé sur ce sujet, mais un peu plaidé dans le désert.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans la même situation. D'abord, je vous remercie d'un certain nombre de précisions.

Vous venez de nous parler de la clarification des règles d'étiquetage, dont nous étions très demandeurs et à laquelle nous étions très attachés.

Vous nous avez également dit qu'après un renvoi la semaine dernière, puisque trois pays avaient voté contre (la Suède, le Danemark et l'Italie), le Conseil des Ministres de l'agriculture venait de prendre une décision, qui est pour nous importante, parce qu'elle permettra de clarifier la situation des consommateurs, ce que ces derniers demandaient.

Le fait d'abandonner l'idée "susceptible de contenir" est pour nous très important. Le fait d'étiqueter est majeur. J'ai eu plusieurs courriers dans ce sens. S'il n'y a pas d'étiquetage, il n'y a pas de transparence, et l'on est en ce sens en désaccord avec la position américaine, qui ne souhaite aucun étiquetage pour l'instant.

Nous parlions tout à l'heure, puisque Monsieur Magalhães, ici présent, est représentant de l'Organisation mondiale du commerce. Nous parlions du rôle de l'OMC qui, finalement, est important et majeur mais qui, paradoxalement, ne traite que des conflits et n'essaie pas de fixer les règles du jeu en amont des problèmes qui pourraient éventuellement se poser.

Nous avons abordé plusieurs problèmes tout à l'heure ; il faut que cela avance, et c'est une demande que je vous ferai et que l'Office fera dans le rapport que je présenterai. Il s'agit de demander à l'OMC qu'il y ait fixation des règles du jeu avant qu'il y ait résolution des litiges, même si les panels essaient de les résoudre au niveau de l'Organisation mondiale du commerce.

Ce point de l'étiquetage est majeur et fait se poser d'autres questions. On n'a pas tout traité lorsque l'on a traité le problème de la détection des protéines et de l'acide désoxyribonucléique (ADN), car se posera le problème des seuils.

Je pose une question importante : le rapport entre l'agriculture biologique et l'agriculture dite "traditionnelle". Il y a une affaire dans le Gers et dans le Tarn-et-Garonne. Je l'ai rappelée ce matin à ceux qui étaient présents. Je serai donc plus bref, mais nous pourrons en parler après les auditions.

Il s'agit de l'affaire de Kochko. Cet agriculteur biologique, qui fabrique du soja dans le sud de la France, a eu des semences provenant des Etats-Unis, bien sûr garanties sans OGM, puisqu'ils respectaient le cahier des charges de l'agriculture biologique.

Il a vendu son soja en Allemagne pour faire du tofu et, à la suite d'un contrôle par des techniques PCR, techniques très précises d'amplification de l'ADN qui permettent de détecter de faibles taux d'ADN, on a détecté des amorces de soja génétiquement modifié.

Qui devient le responsable dans ce cas ? Y a-t-il responsabilité si l'on n'a pas de méthodes quantitatives, ou seulement des méthodes expérimentales pour l'instant, pour savoir combien il y avait d'ADN dans son soja biologique ? Qui est responsable ?

Dans ces cas, cela tombera-t-il sous le coup de la législation européenne ? Quelles seront les règles du droit ? Si l'on met "contient" alors qu'il n'y en a pas, y aura-t-il  un problème ? Si l'on met "ne contient pas" alors  qu'il y en a un peu, y aura-t-il également problème ?

C'est une première question que je pose, non pas en demandant la résolution tout de suite, mais en insistant sur la nécessité de résoudre ces questions au niveau gouvernemental.

On a avancé dans le bon sens -en tout cas c'est ce que nous demandions et c'est ce que certains demandaient-, et l'on souhaite évoluer.

Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé de votre décision du 27 novembre. Elle venait après une décision du 2 février 1997 de Madame Lepage -qui s'est exprimée à ce sujet lorsque je lui ai posé la question-, qui autorisait l'importation de soja et de maïs sans autoriser la mise en culture.

Le 27 novembre, vous avez choisi d'autoriser également la mise en culture ; n'y a-t-il pas un paradoxe dans ces deux décisions gouvernementales, même si ce sont deux gouvernements différents ?

Il nous est fait un reproche. Même si nous auditionnons le gouvernement, le Parlement n'est pas l'organe exécutif ; ce n'est que l'organe législatif qui prépare des lois, et je remercie Monsieur le Ministre de dire qu'il tiendra compte de nos avis avec beaucoup d'attention.

Néanmoins, certain nous ont dit que nous faisions le débat après les prises de décisions.

Y a-t-il donc paradoxe quant à la prise de décision le 27 novembre 1997 qui venait après une décision contradictoire du 2 février ?

Ce débat qui vient après des décisions, est-ce la bonne méthode pour travailler ?

M. Le Pensec - Dans la mesure où j'ai été mêlé directement à ce point, je rappelle, pour l'avoir un peu évoqué tout à l'heure, que le maïs Novartis dont vous parlez avait fait l'objet -vous l'avez dit- d'une autorisation d'importation et de mise sur le marché du gouvernement précédent.

Nous nous trouvions donc dans une situation dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle était paradoxale. Les importateurs pouvaient faire entrer sur le marché du maïs Novartis ; les agriculteurs pouvaient l'utiliser pour nourrir leurs animaux mais il leur était interdit de le cultiver.

Pour justifier une telle position, il aurait fallu, comme je l'évoquais tout à l'heure, pouvoir mettre en avant un risque de dissémination des gènes de cette variété de maïs dans l'environnement, avec des conséquences dommageables qui auraient pu en découler.

La Commission du génie biomoléculaire avait clairement établi que ce risque n'existait pas, compte tenu de l'absence en Europe d'espèces susceptibles de croisements avec le maïs.

Il est évident que celui à qui revient, au sein du gouvernement, en première ligne, de prendre une telle décision se fait communiquer d'emblée cet avis de base. J'étais désireux de connaître cela.

Par ailleurs, il ne m'a pas échappé que toutes les commissions, tant nationales que communautaires, avaient eu à se prononcer sur ce dossier et avaient rendu un avis favorable.

Dans ces conditions, j'en ai fait part au Premier Ministre, qui a considéré qu'il y avait là matière à une décision du gouvernement. Le Premier Ministre a réuni les ministres concernés au premier chef par cette question et nous avons tenu une réunion de ministres sous la présidence du Premier Ministre, pour arrêter ce qui serait la décision du gouvernement.

Il était évident qu'il n'était pas possible de différer plus longtemps l'autorisation de mise en culture du maïs. Je note que cette autorisation, qui a été donnée, a été entourée de précautions à mes yeux suffisantes pour rassurer l'ensemble des citoyens, à savoir :

- autorisation de mise en culture pouvant être retirée -ce que j'appelais tout à l'heure la réversibilité- s'il apparaissait que des conséquences dommageables puissent survenir dans l'environnement ;

- mise en place d'un système de biovigilance pour contrôler l'impact de la mise en oeuvre de la culture du maïs Novartis sur l'environnement.

J'aurai peut-être l'occasion de revenir sur la mise en place du système de biovigilance, mais tout cela faisait partie intégrante de la décision du gouvernement, qui a été prise après mûre réflexion,

- après que je me sois fait communiquer toutes les données des dossiers qui avaient été produits par toutes les instances légitimement concernées et consultées par cette question,

- et après avoir eu de nombreux entretiens avec des experts dans tel ou tel domaine, non seulement spécialistes scientifiques mais aussi représentants des consommateurs et d'associations de l'environnement.

Tel est, Monsieur le Président, le contexte dans lequel a été prise cette décision dans ce cas particulier, alors qu'il nous apparaissait qu'il était possible de répondre positivement à toutes les interrogations que posait ce dossier.

Mais bien évidemment, il a été fait de cela un cas à part, et, la décision comportant aussi ce point, il a été décidé le même jour du lancement d'un grand débat public.  C'est ce qui nous vaut d'être présents aujourd'hui.

Je confirme que, pour l'avenir, il sera tenu grand compte de ce qui pourra être dit non seulement dans cette instance, mais aussi par la Conférence citoyenne.

M. Le Président - Je pose une autre question, puis nous traiterons du problème de l'étiquetage, sur lequel je suis intervenu parce que vous nous avez annoncé une décision récente.

Un complément de question est posé sur les additifs, en disant que l'on dosera l'ADN et les protéines, mais pas la totalité des additifs. C'est un complément à la question posée sur l'étiquetage, et l'on répondra peut-être de manière globale tout à l'heure, puisque c'est une question importante, qui va dans le bon sens puisqu'on le souhaitait et on le demandait.

M. Le Pensec - Sur la question du seuil de détection, dont vous disiez qu'elle n'est pas complètement résolue, il est de fait que les méthodes actuelles qui permettent la détection de l'ADN ne sont pas encore complètement harmonisées au niveau communautaire.

Actuellement, si l'on met en évidence de l'ADN génétiquement modifié, le produit sera reconnu comme génétiquement modifié, donc étiquetable indépendamment de tout seuil.

M. Le Président - Une question m'a été transmise : tous les comités scientifiques n'ont vu aucun problème à la mise en culture du maïs Novartis (cf. l'avis de septembre 1997 du Comité de la prévention et de la précaution).

J'ai auditionné son Président et je réponds tout de suite : dans le Comité de la prévention et de la précaution, il n'y a pas eu de travail de recherche, mais de la compilation de ce qui existait. Il y a eu une journée de travail, notamment avec une décision dans l'avis qui est conforme à ce qu'a dit Monsieur Le Pensec tout à l'heure : sur des montages qui utilisaient des gènes de résistance aux antibiotiques, il vaudrait mieux éviter d'autres types de montage dans l'avenir.

Ce sera dans le rapport ; nous avons étudié ce point. Je n'ai pas l'intention d'écarter cette question. Je la donne publiquement pour qu'elle soit actée. Nous la discuterons davantage avec le Ministre de l'environnement, parce que je voudrais poser d'autres questions concernant spécifiquement le Ministre de l'agriculture.

Une question nous a été posée dans les auditions, et elle est très importante. Les agriculteurs, y compris de mon département, me l'ont posée :

Comment la mise en culture de plantes transgéniques, qui favoriseront la productivité -il y a eu le débat ce matin de l'augmentation de la productivité dans les pays riches- s'articulera-t-elle avec vos récentes déclarations sur le fait que l'exportation n'est plus un impératif majeur de la politique agricole ?

Si, dans nos pays, qui sont des pays développés, dans lesquels la consommation risque de ne pas augmenter, en tout cas pas de manière exponentielle, on a une augmentation de la productivité, ne faudra-t-il pas se remettre dans le cercle de la vente et de la compétition sur le marché international, ce qui signifie des baisses de prix ?

Cette question importante nous a très souvent été posée par beaucoup d'agriculteurs, et je souhaite vous la poser parce qu'elle est totalement du ressort du Ministère de l'agriculture et de la pêche.

M. Le Pensec - Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, je suis convaincu que, si le seul avantage que les plantes transgéniques présentent est celui de permettre un accroissement de la productivité, nos concitoyens ne considéreront pas cela comme un avantage suffisant pour légitimer et justifier une autorisation de maïs transgénique.

Je considère que le gouvernement ne pourra donner son autorisation à une mise en culture de plantes transgéniques que si le bilan avantages/inconvénients lié à cette autorisation fait apparaître de façon évidente que les avantages l'emportent.

Les gains de productivité sont sans doute importants pour nos agriculteurs mais, s'ils ne s'accompagnent pas d'avantages équivalents pour les consommateurs et pour la protection de l'environnement, je pense qu'ils ne suffisent pas pour légitimer la diffusion de ces espèces végétales.

Ainsi que vous le savez, et comme j'aurai l'occasion de le redire bientôt devant le Parlement en présentant la loi d'orientation agricole, je considère que l'agriculture  doit remplir une triple mission : économique, environnementale et sociale, ou plutôt sociétale.

Il ne s'agit pas de récuser le recours au génie génétique en agriculture, mais les décisions publiques ne pourront pas être justifiées par le seul souci d'amélioration de la productivité de l'agriculture.

Je suis convaincu que la politique devra prendre en compte les autres préoccupations environnementales et territoriales. C'est une conviction que j'espère faire bientôt partager au Parlement.

S'agissant de l'exportation, c'est un autre débat d'actualité. Certains ont peut-être déformé mes propos ou ont voulu me faire dire plus que je n'avais dit, mais j'ai eu l'occasion de dire que j'étais convaincu que notre pays avait les capacités exportatrices, tout en tenant à préciser dans le cadre du débat de la Politique agricole commune, qu'il n'y avait pas à considérer que l'ensemble de l'agriculture européenne devait se donner comme objectif premier d'être présente à l'exportation sur les pays tiers, et que 80 % de son marché était l'Europe, c'est-à-dire un marché à haute valeur ajoutée.

Tel est le lien entre les deux questions.

M. Le Président - Plusieurs autres questions sur l'étiquetage sont arrivées, mais je voulais poser la question de la biovigilance. Madame Lebranchu vient, et nous pourrons également poser ces problèmes d'étiquetage tout à l'heure.

Sur la biovigilance, pouvez-vous nous indiquer comment cela se met en place ? Y a-t-il des problèmes ? Finalement, les différents articles de l'arrêté de février 1998 sont-ils faciles à mettre en place ? Qui sera chargé de la biovigilance ? Comment cela se déroulera-t-il ?

Les questions que j'ai eues pendant les auditions portaient sur cette partie pratique. Sur un décret, c'est bien, cela rassure effectivement, mais comment cela se mettra-t-il en place ?

M. Louis Le Pensec - Cela se met en place très concrètement, puisque ce matin se tenait encore une réunion du Comité de biovigilance et que certaines personnes ici présentes participaient à cette réunion.

Comme je le disais tout à l'heure, des possibilités d'apparition d'événements défavorables existent pour la culture de plantes génétiquement modifiées sur de grandes surfaces. Il nous est donc apparu d'emblée qu'il fallait se donner les moyens de suivre l'apparition possible de tels événements.

Le système de biovigilance a été créé pour les variétés de maïs OGM récemment autorisées, et il est piloté par un Comité de biovigilance, je serais tenté de dire "provisoire".

Ce comité a pour objectif d'assurer une traçabilité des semences de maïs OGM, mais aussi de suivre la possibilité d'événements défavorables sur l'environnement et, d'ores et déjà, des protocoles de suivi ont été mis en place.

Concernant le suivi du gène marqueur de résistance à l'antibiotique, une expérimentation sera mise en oeuvre pour suivre la transmission éventuelle de ce gène dans les bactéries  du sol. D'autres expérimentations sont envisagées. L'une d'entre elles concerne l'étude de la transmission de ce gène au niveau du tube digestif des animaux.

Un bilan de l'utilisation des variétés de maïs OGM et des résultats des protocoles expérimentaux sera présenté au Comité de biovigilance et rendu public. Si des effets jugés indésirables sont mis en évidence, ils seront communiqués pour proposition d'action aux ministres concernés.

L'institution fonctionne donc. Je ne dirai pas qu'elle est pleinement rôdée. Elle a été mise en place. Les dispositifs administratifs sont en place et, aux dires des participants, en tout cas de ceux qui y sont pour mon compte, je pense que de riches constats sont faits et qu'une ambiance de coopération légitime pleinement la mise en place de cette "institution".

M. Le Président - Nous arrivons malheureusement à l'issue de cette heure, mais je voudrais vous poser deux questions.

L'une est directement liée à ce que vous venez de nous indiquer. Dans la conclusion de votre texte, vous dites que si, finalement, une modification de la plante ne concerne qu'un unique gène de résistance à des herbicides, il n'est pas sûr que le gain pour le consommateur soit suffisant. Cela préjuge-t-il d'un certain nombre de décisions futures dans ce domaine ?

Une deuxième question nous a été posée sur l'attitude de Costimex et des sociétés qui regroupent le maïs et les semoules de maïs fabriqués par des agriculteurs ; des agriculteurs nous avaient saisis du fait que, cette année, ils avaient reçu des lettres de Costimex et d'autres, leur indiquant qu'ils ne voulaient pas de maïs génétiquement modifié, alors qu'il y avait une autorisation de mise en culture.

De ce fait, il y a eu beaucoup moins d'hectares mis en culture que de doses disponibles.

Ils nous ont dit que ce n'était pas de leur fait mais de celui des clients. C'est assez intéressant. J'ai ici une lettre de clients asiatiques, ce qui est intéressant pour l'OMC, parce que l'on a exactement dans l'autre sens ce que les Américains nous reprochent.

Ces clients asiatiques indiquent dans le contrat de livraison de semoule de maïs : "garantie libre de toute modification de gènes". Finalement, dans ce cadre, n'y a-t-il pas également barrière non tarifaire ? Ce que l'on ne peut pas retourner, cela existe et cela satisfait d'ailleurs un certain nombre de personnes qui ne souhaitent pas que cela soit mis en culture mais, d'un autre côté, au niveau commercial, c'est exactement ce qui nous est reproché de l'autre côté de l'Atlantique.

Que vous inspire ce type de pratique ?

M. Louis Le Pensec - Comme je le disais dans mon propos, il m'apparaît important que les personnes qui souhaitent ne pas utiliser d'organismes génétiquement modifiés puissent le faire. Nous allons créer les conditions pour que puisse se développer une filière de plantes non-transgéniques. Il faut pouvoir apporter une telle assurance.

C'est la raison pour laquelle, à mes yeux, le comportement des fabricants de semoule m'apparaît non seulement compréhensible, mais totalement acceptable.

Pour la première question, je pense que, sur une question dont j'ai souligné l'ampleur, la difficulté et la complexité, il ne faut pas traiter globalement d'une expérience ou d'une seul caractère. C'est donc à un bilan global coûts/avantages, et prenant en compte toutes les interrogations que j'évoquais tout à l'heure, que le gouvernement sera conduit.

Dans ce bilan, ne seront pas neutres la portée des recommandations, suggestions, avis, critiques de vos auditions, les conclusions que vous formulerez, le rapport d'étape que vous pourrez exprimer, tout comme ceux de la Conférence de Citoyens.

M. Le Président - Merci, Monsieur le Ministre. Au sujet de votre dernière remarque, je tiens à vous dire que :

- La Conférence de Citoyens aura lieu les 21 et 22 juin ; elle présentera son rapport le 22 juin.

- l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui vient de se réunir, dont je salue les membres qui viennent d'arriver, se réunira  le 30 juin. Je serai en mesure de rendre un rapport d'étape, s'il est accepté par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, le 30 juin, pour vous indiquer les premières conclusions de ce rapport, qui a débuté en novembre 1997.

Ce matin, j'ai entendu quelqu'un dire qu'il s'agissait d'études "TGV". Ceux qui ont dit cela n'ont pas l'habitude de travailler dans cette enceinte. Des rapports où l'on travaille huit mois au niveau du Parlement, où il y a beaucoup d'auditions, du débat public, du travail en amont, c'est peu courant.

Sur des grands textes qui ont été votés, des décisions ont été prises et, trois, quatre ou cinq mois plus tard, les textes sont au niveau de la discussion publique. Nous avons donc pris le temps de la réflexion.

Du fait que ce sera un rapport d'étape, nous profiterons d'abord de l'été pour essayer de faire le bilan de cette campagne, de voir le bilan de la biovigilance, parce que ce sera très intéressant pendant la campagne de culture, et peut-être de réfléchir ensemble -en tout cas, je verrai plusieurs personnes de votre administration- à des dispositions réglementaires et législatives dans ce domaine, qui ont été proposées par certains, notamment dans la table ronde précédente, tout à l'heure.

Tel est, M. le Ministre, le calendrier du Parlement.

Je vous remercie d'être venu, d'avoir répondu à certaines questions, d'avoir donné des précisions. Des décisions nouvelles sur l'étiquetage ont été prise en tout début de semaine à Bruxelles, et il faut sans doute continuer.

Des questions complémentaires ont été posées sur les additifs, sur les enzymes ; beaucoup de questions se posent alors. Je donnerai mon avis personnel sur ce sujet, mais je pense qu'en supprimant la notion "susceptible de contenir", on a fait un grand pas.

M.Le Pensec - Merci, Monsieur le Président, pour cette contribution novatrice que vous apportez au processus de prise de décision politique dans notre pays, telle que cette décision doit être prise dans une république moderne.

Audition de Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat

M. Le Président
-
J'ai le plaisir d'accueillir Mme Marylise Lebranchu, Secrétaire d'état aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat chargée de la consommation.

Merci beaucoup d'être venue. Notre journée nous a d'abord permis d'entendre trois tables rondes :

- une première sur les enjeux économiques et internationaux pour l'agriculture et l'alimentation

- une deuxième sur les enjeux pour la recherche

- une troisième, où il y a des problèmes qui nous préoccupent, et qui sont des problèmes communs, sur les enjeux réglementaires, sur l'organisation de l'autorisation et du contrôle de l'expertise sur les organismes génétiquement modifiés.

Nous venons d'entendre Louis Le Pensec sur les problèmes de l'agriculture et, dans le mesure où vous avez, Madame la Ministre, la tutelle de la consommation, nous souhaiterions que vous puissiez nous indiquer, sur ce dossier, quelles sont les parties qui traitent de la consommation.

Nous avons d'ailleurs vu des fonctionnaires de votre Ministère dans les auditions privées. Certains seront également dans la table ronde qui traitera demain de la consommation. Une autre table ronde traitera de la santé et une dernière de l'environnement.

Nous verrons également tout à l'heure M. Kouchner et, demain, Claude Allègre et Dominique Voynet. Nous aurons eu un tableau complet de la situation des OGM dans notre pays.

Certains regrettaient que le débat n'ait pas eu lieu assez tôt. Ce n'est d'ailleurs pas la faute du Parlement. A l'Office, nous avons déjà publié un rapport sur ce thème, mais dans une période où cela intéressait peu de monde.

Aujourd'hui, c'est d'ailleurs encore la même chose, puisqu'une enquête récente montre que 46 % des Français n'ont jamais entendu parler de plantes transgéniques.

Pour ceux qui n'ont pas entendu, je vous donnerai une question posée par un sociologue américain : une tomate normale ne contient pas de gènes et une tomate génétiquement modifiée en contient ; cette affirmation est-elle vraie ? Vous verrez les résultats. Des pays connaissent d'ailleurs mieux la tomate que d'autres.

Je ne vais pas répéter ce que je disais sur la dernière livraison que nous avons eue sur notre forum surInternet,  mais il est intéressant de voir que l'on traite de questions complexes avec des connaissances faibles des consommateurs et de la population, mais c'est à nous d'organiser le débat dans le pays pour que les individus puissent choisir. Je pense que c'est ce qui est important.

Madame la Ministre, je vous laisse la parole.

Mme Lebranchu - Merci, Monsieur le Président.

En tant que ministre chargée de la consommation, je pense qu'il est logique que nous suivions de très près l'évolution de ce dossier et, à ce titre, je dois veiller à la prise en compte des intérêts des consommateurs, qui ne sont d'ailleurs pas antinomiques de ceux des professionnels.

L'ensemble de mes fonctions ministérielles (production, distribution, consommation) me permet d'ailleurs de mieux conduire, je crois, une politique de consommation concertée entre tous les partenaires.

La démarche que l'on a longtemps appelée "de la fourche à la fourchette", de l'amont vers l'aval, a montré ses limites lorsqu'elle néglige les intérêts des consommateurs. La crise européenne de l'ESB l'illustre, et la commission en a tiré les leçons en confiant le pilotage de la politique de sécurité alimentaire aux responsables de la politique de la consommation (Emma Bonino, DG XXIV Direction générale de la politique des consommateurs et protection de leur santé).

Ma position sur les OGM s'est toujours inscrite dans les priorités de ma politique au sein du gouvernement, parce que :

- Une politique de la consommation qui crée ou restaure les conditions de la confiance peut avoir deux axes :

. la sécurité des consommateurs et des garanties sur cette sécurité avec la mise en oeuvre du principe de précaution,

. la transparence de l'information et son accessibilité. C'est la raison pour laquelle ce que vous venez de dire sur le degré d'information des uns et des autres est fondamental.

- Une politique de consommation dans un espace économique élargi (Europe - OMC) nous conduit à encore davantage de vigilance ;

- La politique de consommation se fait avec et pour le consommateur-citoyen.

Il faut donc d'abord asseoir la confiance et répondre à la crise de confiance des consommateurs, après les crises sanitaires ESB, hormones, sang contaminé et d'autres.

Les OGM s'inscrivent totalement dans le prolongement de ces inquiétudes, même si -il faut le souligner- tout le monde s'accorde à reconnaître la qualité de notre alimentation en général.

Ensuite, la maîtrise des risques sanitaires impose plusieurs points :

- une solide évaluation scientifique indépendante ; ce sera le rôle de l'agence de sécurité sanitaire des aliments, qui sera prochainement mise en place. Elle sera un lieu d'expertises scientifiques, avec des experts indépendants. Ses avis seront rendus publics, et nous devrions également avoir un rapport, d'ici à la fin de l'année, sur des propositions en matière d'environnement ; deux parlementaires ont été chargés d'y travailler.

Pour les OGM qui ont été autorisés au cas par cas, cette évaluation a été faite par la Commission du génie biomoléculaire (CGB), le Comité supérieur d'hygiène publique de France (CSHPF) et le Comité scientifique européen, mais sans doute y a-t-il un besoin de transparence.

- Une gestion des risques par les pouvoirs publics sur la base du principe de précaution ; il est difficile de gérer le réel, parce qu'il faut toujours choisir. Je pense comme beaucoup d'autres que, le risque zéro n'existant pas, et les certitudes scientifiques absolues n'ont plus, notre tâche n'est pas simple.

Le principe de précaution y répond. Mal compris, il peut conduire à stériliser toute innovation, à prendre des mesures démagogiques. Bien compris, à l'inverse, il peut engendrer pour nous tous une sécurité des choix. C'est l'intérêt d'un dispositif de suivi (par exemple le système de biovigilance mis en place pour les OGM).

C'est donc à partir du principe de précaution qu'il faut aujourd'hui travailler sur la responsabilité des pouvoirs publics.

- Cette responsabilité est partagée, et des responsabilités sont clairement définies, celles des pouvoirs publics mais aussi celles des professionnels tout au long de la chaîne.

Pour la plupart, les professionnels ont d'ailleurs totalement compris l'intérêt de bien maîtriser leur production et de répondre aux préoccupations des consommateurs. On en veut pour preuve l'attitude des producteurs et de la distribution sur l'étiquetage des OGM, qui a abouti aux recommandations de l'ANIA dès octobre 1997.

Ce sont les semenciers qui n'ont sans doute pas compris d'emblée l'intérêt, non pas de la sécurité mais de la transparence de l'information, qui est le deuxième volet de la confiance.

Nous pouvons donc maintenant parler ensemble de la transparence de l'information.

Il est essentiel d'informer plus et surtout mieux. Les consommateurs veulent savoir ; ils ont le droit de savoir. La question de l'étiquetage des OGM et des produits dérivés d'OGM a catalysé toute cette demande d'information qui va bien au-delà du contenu même de l'étiquette.

Il  faut bien être conscient du fait qu'au travers de cette exigence d'indication sur l'étiquette du produit, s'exprime le droit de refuser ces nouvelles technologies. C'est le débat sur l'autorisation qui se trouve ainsi reposé, et toutes les interrogations qu'elle suscite.

C'est pourquoi il faut des lieux et des outils susceptibles de permettre une information solide et accessible.

Le Conseil National de la Consommation (CNC), lieu de "confrontation" entre professionnels (producteurs-distributeurs) et consommateurs, peut constituer une enceinte pertinente.

Depuis un an on y débat d'ailleurs vivement des aspects scientifiques, économiques, techniques et réglementaires. Des réunions de travail avec la participation d'experts de tous milieux se sont tenues à plusieurs reprises sur les bases scientifiques et les méthodes du génie génétique, les risques sanitaires et environnementaux, les aspects juridiques, le contexte international, l'information des consommateurs, la traçabilité et l'étiquetage des produits.

A la demande de représentants des différents collèges du CNC, j'ai accepté tout récemment d'ailleurs d'instaurer en son sein un groupe permanent sur les OGM.

Il faut également des instruments pédagogiques d'interface entre le scientifique, le technique, le politique et le citoyen ; cela pourrait être l'une des ambition pour l'INC (Institut national de la consommation) et sa revue "60 Millions de consommateurs".

Pour ce qui concerne plus spécifiquement l'étiquetage, je souhaiterais souligner la position que j'ai défendue dans le cadre des négociations européennes et qui vient d'être adoptée, à une nuance près.

C'est le choix de l'obligation générale d'étiquetage qui a finalement été retenu, qu'il y ait présence  d'ADN ou de protéines résultant d'une modification génétique. Cet étiquetage sera clair puisque ce sera la mention positive "génétiquement modifié" qui sera apposée. Ce n'a pas été sans mal que nous avons obtenu ce résultat.

Enfin, des produits pourraient ne pas être étiquetés, mais cette liste de produits non-étiquetés est vide pour l'instant, parce que toute inscription sera négociée en tenant compte des avis scientifiques, et révisée en fonction de l'évolution technologique.

En tout état de cause, ces éventuelles exceptions au principe général d'étiquetage devront rester très limitées et seront clairement expliquées. La vigilance de mes services et la mienne s'attacheront particulièrement à l'élaboration de cette liste.

J'ai toujours plaidé pour un étiquetage le plus large possible, parce que je pense que l'acceptabilité des OGM par les consommateurs, et par suite, le développement des biotechnologies dans le domaine alimentaire, ne peuvent se faire que si nous sommes prêts à mener une politique de transparence et de clarté. C'est pour moi un préalable incontournable.

En tout état de cause, je rappelle le chemin parcouru dans la négociation européenne. Lorsque les négociations européennes ont commencé sur le règlement relatif aux nouveaux aliments (autour de 1995), ni la Commission, ni la majorité des Etats-membres (dont la France),  ne souhaitaient l'étiquetage des produits dérivés.

Un premier infléchissement est intervenu avec l'adoption de l'article 8 du règlement sur les nouveaux aliments. L'inscription de l'obligation d'étiquetage en cas de non-équivalence du produit était un premier pas.

Pour le texte qui vient d'être adopté, nous étions partis d'une proposition avec la mention "peut contenir".

L'adoption du "peut contenir" de la proposition de la Commission (en fait également très débattue dans le collège des Commissaires) aurait créé une situation irréversible au regard d'une information claire du consommateur, et hypothéqué à notre avis toute chance d'obtenir une bonne traçabilité des produits.

C'est la raison pour laquelle les débats ont été longs et difficiles. Mais ils ont eu le mérite d'être clairs, et il faut remercier en cela à la fois la présence française et nos fonctionnaires sur place, que l'on oublie un peu trop souvent, parce que cela n'a pas été simple tous les jours.

Nous avons aussi à prendre en compte, non seulement la dimension européenne mais la complète dimension internationale.

Les réponses sur le marché unique ne peuvent être hexagonales. Sur un marché ouvert, il faut des règles harmonisées sur la base d'un haut niveau de protection des consommateurs. C'est là, je crois, la limite du principe de subsidiarité, que j'avais soulignée lors de mon intervention sur la politique alimentaire devant le Parlement européen, en novembre dernier.

Cette internationalisation du marché implique aussi la nécessité de coopération des services de contrôle et de validation de méthodes communes de détection.

L'étiquetage n'a de valeur que s'il est vérifiable, sans contestation.

A cela s'ajoute le problème du "partage" des coûts du contrôle, puisqu'un seul matériel "Polymerase chain reaction" (PCR), par exemple, coûte actuellement 600.000 Francs. Le problème ne sera donc pas facile à régler.

De plus, l'Europe doit peser sur l'OMC.

La libre-circulation devrait pouvoir avoir pour contrepartie, dans un tel cas, le droit à l'information des consommateurs, appuyé sur des garanties en matière de traçabilité.

J'ai eu récemment une discussion sur ce sujet avec une délégation parlementaire des Etats-Unis, conduite par le Président de la commission agriculture. Je ne puis assurer que j'ai rencontré une totale adhésion, mais je n'ai pas non plus ressenti une position de fermeture totale à une telle approche. L'OMC sera le lieu de ce débat, et l'Europe devra s'y faire entendre.

Enfin, je souligne que la politique de la consommation se fait avec et pour le consommateur-citoyen.

Le consommateur-citoyen veut participer aux décisions qui le concernent. Jusqu'à aujourd'hui, c'est surtout par l'intermédiaire d'associations-relais. Les dix-neuf associations nationales de consommateurs du CNC font actuellement ce travail.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec cette "conférence-citoyens",  invente un nouveau mode démocratique plus directement participatif, certes utilisé ailleurs en Europe, mais dans des pays de plus petite dimension. C'est une gageure, mais je pense que vous réussirez.

Les deux sont sans aucun doute complémentaires. J'en vois un signe à travers vous et nos associations de consommateurs, en disant qu'un débat ne pourra qu'enrichir l'autre.

En tout état de cause, cette demande d'une plus grande participation traduit, je crois, le refus d'un pilotage des questions de l'amont vers l'aval.

Le citoyen-consommateur a le sentiment qu'on lui confisque ses intérêts. C'est ce qui explique par exemple, à mon sens, la réaction d'incompréhension et de protestation du CNC face à l'autorisation de mise en culture, en novembre dernier, avant la présentation de son avis.

Le consommateur-citoyen veut pouvoir se prononcer sur les thèmes qui l'intéressent. Les biotechnologies en sont un, avec les limites que vous avez soulignées tout à l'heure.

Le consommateur-citoyen est capable de comprendre que le risque zéro n'existe pas (même s'il ne l'accepte pas toujours), mais il ne comprend pas qu'on le lui cache. De plus, il croit qu'on lui cache quelque chose lorsque l'on n'est pas assez transparent à son égard. La phrase est "si vous ne voulez pas nous dire, c'est que vous avez quelque chose à cacher".

Il faut donc des modes de fonctionnement adaptés à cette demande.

Le débat des OGM a pris, à l'évidence, une dimension sociale et politique. Il suffit de lire la presse et de voir ce qu'il se passe en Suisse par exemple.

Il nous faut -Gouvernement et Parlement- répondre par une écoute attentive des questionnements, et surtout avoir toujours une explication claire de nos choix.

Plus qu'un pari, c'est aujourd'hui une certitude : sans explication claire de nos choix, nous n'aurons pas l'assentiment des consommateurs et, sans l'assentiment des consommateurs, il n'y aura pas de consommation. Je pense que les producteurs sont maintenant parfaitement convaincus de cette nécessité.

Je vous remercie.

M. Le Président - Merci beaucoup, Madame la ministre.

Il  y a plusieurs questions, et vous pouvez me les faire parvenir pour que j'essaie de les regrouper, parce que nous avons moins de temps que dans les tables rondes.

Comme je l'ai déjà indiqué ce matin, le fait d'avoir organisé des auditions de ministres et de responsables politiques, des discussions entre experts, de manière publique et contradictoire, et une Conférence de Citoyens avec un panel de citoyens, a pour objet, pour les responsables politiques et les parlementaires, de prendre des avis à tous les niveaux, celui de la décision et  celui de ceux qui subissent ces décisions, les citoyens.

Les experts n'ont pas le même avis ; le responsable politique a une difficulté : prendre des décisions politiques dures sur ces certitudes scientifiques molles. On le voit dans ce dossier.

Il faut donc confronter tous ces avis. Ensuite, le Parlement, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui regroupe à la fois le Sénat et l'Assemblée nationale, proposera et rendra un rapport, puis le gouvernement décidera. Je pense que c'est une bonne chose.

En second lieu, l'avantage d'organiser de manière concomitante ces différentes auditions d'experts, ces auditions de ministres et cette Conférence de Citoyens, c'est de lancer le débat au niveau du pays. Je pense que c'est très important.

La première question est la suivante : comment, selon vous, la réticence des consommateurs français concernant les aliments issus des plantes transgéniques s'explique-t-elle ? La jugez-vous fondée ou non, et pourquoi ?

Je donne tout de même une explication : j'ai parlé tout à l'heure d'une question amusante, mais j'ai ici une étude, toujours du même sociologue américain, qui a étudié les habitudes des consommateurs européens.

L'échelle des risques indiquée par les Européens est la suivante :

1° les contaminations bactériennes ; 85 % pensent que c'est dangereux

2° les résidus de pesticides (79 %)

3° les hormones et les antibiotiques (76 %)

4° les moisissures (76 %)

5° l'altération des produits (68 %)

6° l'irradiation de la nourriture (65 %)

7° les dates limites dépassées (58 %)

8° le génie génétique (44 %)

9° les colorants artificielles (39 %)

10° les nitrites (38 %)

11° le cholestérol (38 %)

12° le gras dans les aliments (37 %)

13° les additifs et les conservateurs (31 %)

14° le sel (14 %)

15° le sucre (12 %).

C'est assez intéressant. Dans l'échelle européenne, ceux qui pensent qu'il y a le plus de risques sont les Suédois, puis les Autrichiens, les Allemands et les Français. Ce sont les Italiens et les Grecs qui pensent qu'il y a le moins de danger. Pour les Etats-Unis, il y en a 14 % (deux fois moins que celui qui pense en Europe qu'il y a le moins de danger).

C'est intéressant pour commenter la question que je vous pose, que je lie à ce que vous indiquiez tout à l'heure, à savoir que vous voulez une amélioration de la transparence : finalement, n'est-ce pas un certain nombre de problèmes qui se posent en matière d'information du consommateur ? Que compte faire votre ministère à ce sujet ?

Mme Lebranchu - Comme je l'ai dit dans l'exposé -et je le confirme largement, en tout cas dans ce que l'on peut entendre rencontrer, y compris via les associations- le premier élément de crainte est lié aux crises récentes.

Dès l'instant où il y a eu des crises importantes dans un pays où les autorités scientifiques sont de haut niveau, le consommateur-citoyen devient forcément méfiant. Il a l'impression (par exemple pour la crise de la "vache folle") que l'on connaissait le risque et que l'on a tout de même distribué les produits.

La défiance fait partie du fait qu'actuellement, on a, à l'extrême, envie de refuser tout nouveau risque potentiel. Pourquoi y a-t-il un risque potentiel dans l'esprit de beaucoup de consommateurs ? Parce qu'il n'y a pas eu d'expression claire, transparente et très certaine des scientifiques, certains ayant dit qu'à long terme, on ne peut pas savoir.

Dans la mesure où quelqu'un a dit cela, où il y a eu un doute, le doute persiste. C'est la raison pour laquelle le principe de précaution doit toujours répondre au principe qui est en face de nous, celui du doute.

Je pense aussi que les consommateurs considèrent que nous ne sommes pas transparents (je parle de la distribution, collectivement, puisque nous-mêmes sommes toujours responsables) dans l'information qui est donnée aux consommateurs.

Nous ne sommes pas transparents sur l'origine des produits, sur la façon dont ils ont pu être traités, et nous sommes réticents face, par exemple, au fait que l'on n'a pas le droit, dans une publicité, de dire qu'il n'y a pas de nitrates dans un produit, parce que cela signifierait qu'il y en a dans d'autres. Cela nous a été cité hier, dans une autre réunion.

Cela rend le consommateur méfiant.

L'absence d'informations sur les produits, donc l'absence d'étiquetage, est sûrement la première barrière, actuellement, à l'acceptation potentielle des OGM, avec de plus la crainte que l'étiquetage existe sur les produits directement OGM et qu'il n'y en ait pas sur les dérivés.

On retrouve toutes ces raisons, la principale étant : "comme on ne m'a pas assez pris en compte dans un passé récent, peut-être ne me prend-on toujours pas en compte maintenant."

Voilà en tout cas ce que je crois.

M. Le Président - Vous abordez la deuxième question  importante, qui va compléter celles que nous avons posées à Louis Le Pensec tout à l'heure sur l'étiquetage.

La décision prise -et je crois que c'était la France qui se battait pour que l'on écrive de manière claire "contient" ou "ne contient pas"- va dans le bon sens. Nous avons eu une discussion sur ce sujet à l'Office, et il y a eu l'unanimité pour le demander.

Tous ceux qui ont travaillé sur ce sujet demandaient que ce soit clair, en tout cas en France, même si ce n'est pas la position d'un certain nombre de partenaires économiques. On voulait qu'il y ait étiquetage, dès l'instant où l'on considérait que le consommateur a le droit de choisir.

Néanmoins, Madame la Ministre, cette décision pose plus de nouvelles questions qu'elle n'en résout. Excusez-moi de vous dire cela mais, bien que n'ayant pas encore lu la totalité du texte que je vais étudier, je connais le contenu des principales dispositions.

Tout d'abord, aucun seuil n'est pour l'instant indiqué. Sans seuil, on ne traitera pas le problème dans les prochains temps, parce qu'il pourrait y avoir deux types de procès. S'il est inscrit "contient des OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il n'y en a pas, il pourra y avoir procès ; s'il est inscrit "ne contient pas d'OGM" et si l'on réussit à prouver qu'il y en a, il y aura également procès.

Or, avec l'amplification des amorces d'ADN par la technique PCR, les biochimistes et les techniciens savent que l'on peut détecter des concentrations très minimes d'ADN dans un aliment.

On a un bel exemple, que j'ai déjà cité deux fois : l'exemple de Kochko. Il est très intéressant, et je l'avais déjà indiqué à certains de mes interlocuteurs.

Cela signifie que dans "ne contient pas", si l'on ne met pas un seuil, on n'arrivera pas à traiter la question.

Je ne dévoile pas le résultat de mes travaux, mais presque tous ceux que j'ai consultés (y compris en Suisse, où la "votation" aura lieu le 7 juin, et y compris ceux qui sont pour l'interdiction de toute manipulation génétique et de toute recherche en Suisse, c'est-à-dire qui vont très loin, y compris les Verts suisses) sont pour un seuil qui n'est pas du tout le même que celui des industriels.

Il y a un écart de 1 à 50, mais tous sont pour un seuil, car sans seuil, on n'arrivera pas à traiter la question de "ne contient pas".

Il va donc falloir fixer la limite du seuil. Dans quel délai les Européens vont-ils se mettre d'accord sur cette fameuse limite car, tant qu'on n'aura pas fixé cette limite, on sera de nouveau paralysé. Un certain nombre de collecteurs de farine de maïs ou de distributeurs ne se lanceront  pas. Ils veulent tous partir, parce qu'il y a des intérêts économiques, mais ils font tous du sur-place parce qu'ils attendent de savoir lequel va démarrer le premier.

Quelle sera notre position ? C'est l'un des premiers points qu'il faudra résoudre. Je souhaiterais avoir ensuite des précisions sur deux ou trois points qui m'ont d'ailleurs été posés par d'autres dans la salle.

Mme Lebranchu - Au risque de surprendre, y compris certains de mes collègues, je suis contre les seuils depuis le départ. Je ne vois pas pourquoi "ne contient pas" signifierait "ne contient pas, sauf X %", même si c'est un Epsilon pour le consommateur.

Je ne trouve pas l'argument pour défendre le seuil. L'argument que l'on me renvoit, c'est que, dans un silo  à grains, on peut avoir entreposé des céréales non-OGM après des céréales OGM et que, s'il y a cinq grains OGM  par paquet, cela fera un seuil Epsilon. Si cela peut se passer ainsi, cela représentera zéro virgule quelque chose. C'est un seuil mais, a priori, je suis contre les seuils.

Le problème -je ne sais pas quelle sera la position de votre instance- est effectivement le procès qui serait fait à quelqu'un qui, de bonne foi, a utilisé un silo après un autre silo.

Je pense que, pour les autres mélanges ou pour les autres utilisations de produits, puisque l'on va en même temps parler de traçabilité -on doit en parler-, dès l'instant où il est possible d'avoir une traçabilité -on l'a obtenue pour certains produits, et pour beaucoup de produits alimentaires actuellement-, si l'on utilise dans un plat cuisiné des produits non-OGM et si l'on fait la sauce avec des produits issus d'OGM, je ne vois pas pourquoi on ne le dirait pas.

Si on ne le dit pas, c'est que l'on aurait quelque chose à cacher. Or, celui qui met des OGM sur le marché estime qu'il n'y a pas de danger pour la sécurité des consommateurs. S'il n'y en a pas, pourquoi demander ces seuils, dans la mesure où ils sont détectables ?

Telle est ma position aujourd'hui. Je suis prête à entendre des arguments d'impossibilité, mais est-ce que ce sera un, deux ou trois ? Mon souhait est que ce soit zéro.

M. Le Président - Je vous donne mon avis, mais je pense que c'est assez intéressant parce que cela montre, y compris dans le débat public, que l'on traite des questions. Mais cette question est nouvelle, puisque vous avez pris une décision.

Personnellement, je pense qu'il ne faut autoriser un aliment que s'il n'y a pas de danger en matière de sécurité alimentaire. C'est évident. S'il y a un danger, il ne faut pas de seuil ; il ne faut pas l'autoriser.

En second lieu, on a posé ce matin aux agriculteurs le problème de la séparation des filières, qui est très compliqué. Séparer des filières signifie le faire depuis le champ de l'agriculteur jusqu'à la dernière industrie de transformation, et il se passe des dizaines d'étapes dans la chaîne qui va de ce champ à cette dernière industrie.

Il est évident que, si l'on veut le zéro zéro zéro, s'il s'était agi de détection des protéines, il n'y avait pas de problème, sauf par des techniques de radio-immunologie, car, pour qu'il y ait une détection de protéines très sensible, on n'a pas les mêmes techniques de sensibilité qu'avec l'ADN.

Avec l'ADN, on aura des sensibilités très fortes, ce qui signifie qu'à mon sens -ce sera, je pense, l'avis de l'Office-, il faudra déterminer un seuil, qui peut être très bas. Parmi toutes les personnes que j'ai auditionnées, je n'ai pas encore entendu de tenants du seuil zéro. Je vois pourtant des personnes d'avis très différents qui opinent du chef, et je pense qu'il y aura consensus en la matière.

Il n'y aura sans doute pas consensus sur le pourcentage, mais il y en aura sur le niveau. S'il n'y a pas de seuil, c'est à mon avis intenable. Le pire d'un système, c'est qu'il ne soit plus gérable au niveau économique et qu'il génère beaucoup de procès.

Il s'agit là de ma position personnelle.

Mme Lebranchu - Il y a effectivement deux niveaux. Les seuils existent lorsqu'il y a une limite acceptable de quantités de produits dans un aliment pour qu'ils ne portent pas atteinte pas à la santé des individus (limite maximum de nitrates dans l'eau, de pesticides, etc., limites que l'on connaît actuellement, qui sont contestées par ailleurs).

Ces limites sont liées au fait qu'au-delà, on estime qu'il y a danger pour le consommateur.

Dans ce cas, ce n'est plus du tout le même problème. On est sur une question d'information du consommateur. Si l'on met des OGM sur le marché, on est persuadé au départ qu'ils ne sont pas dangereux. Je ne vois donc pas pourquoi on demande un seuil pour de l'information.

M. Le Président - Nous avons échangé des arguments ; nous aurons l'occasion d'en reparler. En tant que biochimiste (je retire ma casquette politique), je dirai que, s'il n'y a plus de seuils, tous les aliments seront OGM ; on mettra donc pour tous "contient des OGM", même pour le bio, ce qui signifie qu'il n'y aura plus d'information pour le consommateur.

Cela signifie que l'on aura tué l'information.

Mme Lebranchu - C'est à mon avis le seul argument qui soit recevable, à savoir que, pour se dégager du seuil ou de l'absence de seuil, tout le monde écrive "contient des OGM".

En revanche, lorsqu'il s'agit d'information, en particulier pour les plats cuisinés, discussion que nous avons eue très longuement avec certains, on doit connaître l'origine des produits parce que, si la traçabilité n'existe pas pour cela, pour quoi existe-t-elle ? Cela signifierait que les individus ont encore raison de craindre les infections par des viandes contaminées.

Ou bien on sait, ou bien on ne sait pas, mais je pense qu'il ne faut pas poser le terme, en tout cas par rapport à nos consommateurs, comme un seuil d'acceptabilité d'OGM dans un produit. Nous devons être vigilants.

M. Le Président - Je pense que nous sommes d'accord sur ce point. Je vous lis tout de même les réactions énormes qui sont arrivées. Je voulais d'ailleurs vous poser certaines questions qui me sont parvenues sur le problème des amorces. Seuil = amorce ; seuil = possibilité de détecter.

Monsieur Riesel, de la confédération paysanne, a évoqué cette question ce matin en disant que, s'il n'y avait pas de seuil, tout serait OGM.

Je lis les questions :

Pensez-vous que le concept d'équivalence en substances soit légitime ?

On sait que, sur les aliments de base, la traçabilité est impossible, alors l'étiquetage ne constitue-t-il pas une pseudo-réponse ?

Il est impossible de démontrer l'absence de la présence de quelque chose. On ne peut aller qu'aussi loin que les méthodes d'analyse le permettent. Comment étiqueter la récolte ou les produits d'un agriculteur sans OGM dont les premiers rangs sont contaminés par la production OGM du voisin ?


C'est le cas bio que j'ai indiqué tout à l'heure.

La transparence de l'information ; lorsque l'on se souvient que la présence des industriels dans le Comité amiante a conduit à bloquer toute diffusion de l'information, tout traitement sérieux de la question, croyez-vous  que l'on puisse avoir une information solide de la part du CNC lorsque lui aussi comprend des industriels ? Une information contradictoire sera-t-elle possible ?

Sur l'amiante, j'ai également fait un rapport pour l'Office. Je pourrai répondre à cette personne. Ce n'est pas aussi simple que ce qui est indiqué. Ce ne sont pas seulement les industriels qui ont bloqué. Tout le monde était au courant, mais à un certain moment, on est condamné à vivre dans des situations difficiles.

Il y a un bon rapport de l'Office sur l'amiante. Vous devriez vous le procurer.

La PCR nécessite la connaissance des séquences que l'on recherchera alors. Sera-t-il toujours aussi possible de connaître ces séquences ?

Cela montre bien qu'il y a des réactions.

Un point est important : les amorces. Pour détecter un soja ou un maïs génétiquement modifié, c'est technique, mais il faut connaître l'amorce qui a permis d'insérer un gène. Or, si des pays étrangers insèrent des gènes, par exemple les Chinois ou les Argentins, si l'on n'a pas les amorces lorsque l'on a une demande, on ne pourra pas le détecter.

Dans le dossier réglementaire, y aura-t-il la nécessité de connaissance d'importation des amorces ?

Mme Lebranchu - C'est ce que nous avons demandé. Il y a eu une longue discussion à ce sujet au niveau européen, et une discussion qui dépassera le niveau européen. Nous avons demandé que l'on aille jusqu'au bout, que ce soit clairement demandé et affiché, puis détecté.

Cela a été vraiment le consensus le plus large que l'on ait obtenu. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai vécu.

Concernant les équivalents, on n'est pas sur un débat consistant à savoir si c'est dangereux ou pas, du moins je l'espère. C'est OGM ou ce n'est pas OGM. Si l'on reste sur un débat "pourquoi pas les équivalents", cela signifie que l'on n'est pas sur l'information "OGM ou pas OGM", mais sur l'information "dangereux ou pas dangereux".

Les producteurs eux-mêmes se posent réellement la question, parce qu'à mon avis, s'ils la posent vraiment ainsi, on est parti quelque part en arrière, et déjà cela n'a pas été simple.

On est sur de l'information du consommateur, donc, équivalent ou pas, c'est "OGM ou pas OGM". Nous devons être le plus limpide possible, parce que, dans toutes les défiances de consommation, on a toujours eu d'excellentes raisons pour dire que tel ou tel type de viande, marié à tel ou tel type de bête dans tel ou tel type d'endroit, n'était vraisemblablement pas contaminé pour telle et telle raison, et les individus n'ont plus confiance.

On se trompe peut-être de débat lorsque l'on pose le problème de l'équivalence, en tout cas à mon avis.

M. Le Président - Cela montre bien que, finalement, cette décision pose de nouvelles questions qu'il faudra résoudre.

Mme Lebranchu - Pour la contamination des premiers rangs, le problème se pose sur les produits importés, puisqu'en France, selon les autorisations données, les plantes autorisées ne peuvent pas se marier aux plantes voisines. Sinon, l'information n'a pas été bonne au départ.

(Dans la salle : "transgénique vers non-transgénique").

Mme Lebranchu - Ce n'est pas possible.

M. Le Président - Si, c'est le problème des premiers rangs.

Mme Lebranchu - Il faudra faire un "no man's land" entre les deux champs.

M. Le Président - C'est un problème bien connu des semenciers, qui ont exactement le même problème. Je parle sous le contrôle du directeur de la production végétale de l'INRA car je ne suis pas semencier, mais je les ai tous auditionnés. Ils ont un cahier des charges avec des arrêtés préfectoraux, qui prévoient que, dans une distance de quatre cents mètres et sur un certain périmètre, il ne doit pas y avoir de plantes sauvages ni d'autres espèces.

Madame la Ministre, j'ai quelques autres questions. Il y en a eu beaucoup sur l'étiquetage. Tout à l'heure, dans la table ronde, on a beaucoup parlé de l'association des consommateurs au processus d'expertise, de contrôle. La CGB et la commission de biovigilance, comment voyez-vous l'association ?

Nous pensons que, plus les associations de consommateurs seront associées au processus de décision, mieux ce sera. Je ne parle pas forcément du processus de décision technique, car ce processus est très complexe, et finalement, on a l'impression que des gens ne suivent pas la partie technique.

Il faut peut-être que le citoyen et un certain nombre de représentants des organisations d'associations puissent avoir leur mot à dire, mais pas forcément en même temps que la Commission de génie biomoléculaire.

Quel est votre avis à ce sujet ?

Mme Lebranchu - Si je vous ai cité le cas du CNC, je réfute l'argument selon lequel il y a des professionnels, donc que ces avis ne sont pas bons. Je pense qu'il y a des endroits où l'on peut avoir des confrontations entre des professionnels, des consommateurs et des scientifiques.

Ce que demandent nos consommateurs, ce n'est pas de retourner totalement à l'école pour devenir spécialistes des OGM et pouvoir comprendre toute décision scientifique. Ils demandent qu'on les informe, qu'on leur dise, qu'on leur explique.

Les instances dans lesquelles on peut dire et expliquer existent. A partir des travaux faits et des décisions prises, on a les moyens de l'information. Si l'on veut informer nos consommateurs, on le peut. On a assez d'instances et assez de moyens pour le faire.

C'est ce qu'ils nous demandent. Cela signifie que l'information doit aller jusqu'au consommateur individuel, c'est-à-dire jusqu'à l'étiquetage. Elle est au moment de la décision via leurs organisations, et elle est ensuite au moment de la consommation via l'étiquetage.

M. Le Président - Je pense que nous avons eu un débat passionné et passionnant. Merci beaucoup, Madame la Ministre d'être venue ; merci pour vos éclaircissements. Je pense que la décision que vous avez prise va dans le bon sens ; il faut sans doute aller plus loin encore avec nos partenaires.

Audition de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé

M. Le Président
-
Monsieur le Ministre, merci beaucoup d'être venu pour ces auditions publiques ouvertes à la presse. Je vais essayer de résumer, parce que certains ont déjà entendu mes explications liminaires.

Au cours de ces deux journées, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a choisi d'auditionner à la fois les responsables politiques, ceux qui sont chargés de ce dossier sous tous ses aspects, aussi bien sous l'aspect agricole que sous l'aspect environnement, recherche, santé, consommation, donc les cinq ministres concernés.

Nous avons organisé cinq tables rondes publiques collectives contradictoires, avec ce que l'on peut appeler des experts. Cette démarche s'inscrit en parallèle avec une démarche d'organisation d'une Conférence de Citoyens qui aura lieu au mois de juin, où un panel de citoyens, qui ne sont donc pas des experts, a été formé, à suivi des conférence sur ce thème, avec un comité de pilotage qui a choisi les conférenciers.

Il a essayé de le faire par consensus, puisque c'est une conférence de consensus, puis le panel va choisir un certain nombre de personnes qu'il souhaitera auditionner les 20 et 21 juin.

On a donc à la fois des avis d'experts, des avis de citoyens, des avis de responsables politiques et, en fonction de cela, je serai amené à rendre un rapport au Parlement. Bien sûr, vous serez destinataires de ce rapport, comme tous les ministres concernés.

L'une des tables rondes aura lieu demain. Elle concerne les avantages et risques des OGM en matière de santé, avec tous les problèmes. Nous entendrons :

- Patrice Courvalin, de l'institut Pasteur

- Philippe Gay, directeur de biotechnologies à Novartis

- Anne Monneret-Vautrin, professeur à la faculté de médecine de Nancy.

- André Rico, Président de la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et substances assimilées

- Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l'université de Caen, et qui est dans l'association "Agir pour l'environnement".

Comme aujourd'hui, nous aurons des experts qui n'ont pas le même avis.

Sur ce sujet des organismes génétiquement modifiés, nous souhaitions avoir votre avis en termes de santé.

On parlait tout à l'heure des risques perçus par la population, et l'un des risques perçus, lorsque l'on discute avec les consommateurs, est l'éventualité de problèmes en matière de santé.

Des problèmes se sont posés depuis quelques années. On a connu le sang contaminé, l'encéphalite bovine spongiforme, et les gens se demandent si, finalement, le progrès des sciences et techniques dans le domaine des organismes génétiquement modifiés ne conduira pas à de nouvelles catastrophes, si, finalement, l'homme ne joue pas à l'apprenti-sorcier, et s'il est capable de mettre des garde-fous.

Cela s'inscrit dans une décision gouvernementale d'autorisation d'un type de maïs, donnée en novembre 1997, avec la mise en place d'un système de biovigilance. Nous souhaiterions donc connaître aujourd'hui, et le Parlement souhaiterait connaître l'avis du Ministre de la santé sur ces questions, qui sont importantes.

En effet, le citoyen demande que l'on puisse le rassurer et qu'il puisse être confiant dans les explications qui lui sont données, qu'il puisse être un acteur de la construction de notre système de vigilance, de contrôle et d'expertise.

M. Kouchner - Merci, Monsieur le Président.

Je voudrais d'abord vous féliciter de la méthode que vous avez décrite, puisque cette décision de novembre, à laquelle j'avais participé, proposait qu'une conférence de consensus se tienne. Ce que vous venez d'exposer me semble tout à fait conforme à ce que j'en pensais : contradictoire en permanence, écoutant les experts et ouvert le plus possible aux citoyens.

Je me livrerais bien volontiers à de longues digressions sur la peur en santé publique, je devrais dire "sur les risques et sur la peur en santé publique", de nos jours. Vous avez vous-même rappelé le problème gravissime du sang contaminé, de l'encéphalopathie bovine spongiforme, et il y en a bien d'autres.

Tous les jours nous sommes, dans cette manière de crise permanente, de doute permanent, face à ce que vous avez bien défini comme étant une demande des citoyens d'être mieux informés, et capable de connaître, dans les nouvelles disciplines ou dans les avancées scientifiques, les risques encourus.

Je vais vous parler de la position du Ministère de la santé face aux organismes génétiquement modifiés, mais nous aurons en permanence, tout au long de l'année, j'en suis sûr, et des années suivantes, à nous poser ces questions face à l'évaluation des risques et à l'information.

Je voudrais donc vous dire "d'abord la précaution". Le ministre de la santé ne peut pas faire autrement. Je commencerai par cela et je finirai par cela.

Mais rien qui ne soit autre chose que le doute scientifique concernant la science. J'ai été frappé comme vous, par cette page du " Monde ", hier, face au référendum qui va avoir lieu en Suisse.

C'est d'ailleurs assez beau que cela se passe ainsi et que le débat ait eu lieu et ait fait sortir un peu les scientifiques de chez eux.

Mais en même temps, je ne sais pas quelles sont les circonstances qui ont présidé à cet échange très politique, très humain en même temps, il est vrai que les peurs sont agitées et qu'il faut s'en garder.

D'abord la précaution, rien contre la science, rien de rétrograde, rien de cet esprit un peu moyenâgeux que l'on entend parfois, mais toujours la précaution.

Monsieur le Président, le Ministère chargé de la santé a une expérience ancienne des organismes génétiquement modifiés. En effet, l'ingénierie génétique est une technique qui a connu de nombreuses applications dans le domaine sanitaire.

Elle est devenue presque routinière par de nombreux  aspects, même si elle ne cesse d'évoluer. Et c'est cette évolution dont je parlais tout à l'heure. Nous avons presque chaque jour des interrogations qui nous viennent.

En outre, cette technique ne génère pas forcément des situations inédites ou dérangeantes aux plans de l'éthique et de l'émotion, pas plus que d'autres techniques médicales ; je parle de la greffe d'organes. Reportez-vous aux articles concernant les débuts des greffes d'organes ; de nombreuses interrogations aussi pesantes et aussi valables que celles qui se posent maintenant étaient publiées.

Je pense à la moëlle osseuse, aux techniques d'assistance médicale à la procréation avec création d'embryons "surnuméraires", etc. Le débat que j'ai mené dans cette enceinte en 1992-93, qui était un beau et très noble débat, ressemblait à ce qu'il se passe maintenant.

On dispose aujourd'hui de méthodes qui permettent, d'une part, une connaissance de plus en plus fine du génome, une cartographie, grâce en particulier à des chercheurs français, qu'il faut saluer, et, d'autre part, une dissection de plus en plus poussée du génome, laquelle permet à son tour, puisque le code génétique est universel, de faire exprimer un gène spécifique d'une espèce par des cellules d'autres espèces, ce qui, j'en conviens, ouvre des perspectives vertigineuses.

Le domaine des médicaments est sans conteste celui où l'ingénierie génétique est entrée dans les moeurs du fait d'une longue expérience industrielle. L'insuline humaine recombinante est maintenant sur le marché depuis largement plus de dix ans, et cela a été un progrès considérable.

Les médicaments ainsi produits sont des enzymes (facteurs de coagulation) et des vaccins (dont celui contre l'hépatite B, dont nous avons beaucoup parlé) ou des hormones, comme l'hormone de croissance, des facteurs recombinants, des facteurs de greffe, par exemple.

Lorsque l'hormone de croissance est arrivée recombinante, c'est-à-dire produit qui n'était pas extrait du corps humain, cela a rassuré terriblement les familles qui en avaient besoin. Nous avons donc cette expérience.

Je pense qu'il n'est pas nécessaire d'insister sur l'intérêt en termes de sécurité, car nous avons tous en mémoire, ce que je rappelais, les hormones d'origine extractive et la contamination, par exemple, des facteurs anti-hémophiliques.

Si le génie génétique n'a pas été, dans le domaine pharmaceutique, à l'origine de la révolution que certains avaient prédite au début des années 80 (dans la mesure où la chimie de synthèse et la recherche phytopharmacologique ont démontré depuis qu'elles n'avaient pas encore dit leur dernier mot), il est cependant certain, à mon avis, qu'il ne s'agit pas d'un effet de mode passager, et que les applications de cette technique se développeront encore dans l'avenir pour le bien de tous, même s'il faut se méfier, surveiller et évaluer en permanence, et ne jamais être sûr de soi.

Les procédés industriels en la matière ont fait l'objet d'un guide de bonne pratique, élaboré sous l'égide de l'OCDE et publié par l'AFNOR. Le principe de base est de n'utiliser que des micro-organismes non-pathogènes pour l'homme, pour les autres espèces animales et pour l'environnement, et qui ne soient pas susceptibles de le devenir après modification de leur patrimoine génétique.

Les techniques ainsi mises en oeuvre par l'industrie pharmaceutique démontrent la maîtrise de l'expression des gènes sur des supports variés, et de la qualité des procédés de purification.

Certes, même si la pureté du principe actif est contrôlée très minutieusement, il persiste encore au stade final quelques fractions de matériel génétique ou de protéines étrangères dont la réactivité avec l'organisme-hôte est inconnue (elle ne s'exprime pas en tout cas cliniquement, et n'est pas décelable biologiquement avec les moyens dont nous disposons actuellement) mais qui suscitent périodiquement des craintes ou des polémiques, bien que divers groupes d'experts aient estimé à plusieurs reprises que ces craintes ou ces hésitations n'étaient pas fondées.

Des seuils pour ces contaminants ont d'ailleurs été définis à cette occasion.

Si l'emploi d'organismes génétiquement modifiés et des médicaments qui en sont issus est devenu, comme je le disais, routinier, le domaine de la thérapie génique en est par contre à ses débuts et paraît encore plus prometteur dans la mesure où ce sera sans doute le seul moyen de traiter certaines pathologies fatales d'origine génétique, à condition qu'elles soient monogéniques.

Je pense à la mucoviscidose et à certaines maladies neuromusculaires, pour lesquelles on ne dispose actuellement, dans le meilleur des cas, que de traitements temporairement palliatifs.

Une fois définie la nature de l'intervention génique, la difficulté est de trouver le vecteur qui permet l'expression temporaire du gène dans les cellules de l'organisme-hôte. Des essais chez l'animal se sont révélés très encourageants, et certains projets sont en cours d'essai chez l'homme. C'est incontestablement une voie d'avenir majeure.

J'évoquerai à peine le domaine de la recherche, pour indiquer l'apport précieux que constituent les animaux transgéniques exprimant :

- soit une pathologie humaine ou son support biologique : il n'y a pratiquement aucun secteur de la recherche médicale qui, d'une manière ou d'une autre, n'utilise pas les souris transgéniques comme modèles d'affections humaines ;

- soit des molécules à usage thérapeutique, par exemple dans le lait ;

- voire des antigènes (ou l'absence d'antigènes) d'histocompatibilité, qui pourraient à terme servir pour des greffes d'organes. Nous y travaillons, en particulier en France.

Cette question de la recherche thérapeutique nous ramène vers les plantes génétiquement modifiées. En effet, il faut souligner l'intérêt que soulèvent les expériences de plantes transgéniques exprimant un produit thérapeutique. Chacun a entendu parler des espoirs suscités par la production d'hémoglobine à partir de plants de tabac génétiquement modifiés.

Je ne voudrais pas insister sur ce point, mais il est vrai qu'à la fois cela fait rêver et cela engendre cette méfiance naturelle, et la mise en oeuvre de cette précaution. Je ne répéterai pas assez ce mot.

Nous avons par rapport au problème du sang, des attitudes diverses en Europe et dans le monde, dans les pays pauvres et dans les pays riches, mais, même si la consommation de produits sanguins diminue pour des raisons thérapeutiques et de précaution, nous aurons besoin en permanence d'hémoglobine, et nous n'en avons pas assez. Maintenant, le manque se fait souvent sentir.

On ne peut donc pas négliger ce point. On peut au contraire considérer seulement comme un espoir, malgré la nécessité de se méfier, cette production hypothétique d'hémoglobine à partir du tabac génétiquement modifié.

Le sommet du progrès sera atteint lorsque l'on pourra joindre l'utile à l'agréable, lorsque l'aliment deviendra en lui-même une forme galénique raffinée de médicament. Tout cela entraîne également précaution et méfiance.

Cela n'est pas une fiction ; des essais de production de bananes exprimant un antigène vaccinal sont engagés, et vous avez pu voir récemment les résultats prometteurs chez l'homme, de l'immunisation contre les colibacilles entérotoxinogènes.

Il est vrai que la forme galénique n'était sans doute pas parfaitement au point, puisque les volontaires étaient obligés de manger la pomme de terre transgénique crue.

Cependant, il est clair que la "plante-aliment" en tant qu'organisme génétiquement modifié introduit une dimension émotionnelle, et même scientifique et environnementale, tout autre, en raison :

- de la diffusion considérable qu'elle peut connaître à un double point de vue : diffusion dans l'environnement sur de vastes étendues, et introduction dans l'alimentation de populations potentiellement très importantes ; on ne peut pas négliger que la famine demeure et que la production est insuffisante ;

- des perspectives et des enjeux dont elle est l'objet : économiques bien sûr, et à une échelle incomparablement plus importante que celle du médicament, mais aussi humanitaire, car on peut raisonnablement penser que l'amélioration de certaines variétés et leur adaptation à des conditions géographiques particulières améliorera l'état nutritionnel d'une partie de la population mondiale au cours du siècle au seuil duquel nous nous trouvons.

Je pense en particulier à ces plantes dont on nous promet qu'elles résisteront à la sécheresse.

J'en viens maintenant à la mise sur le marché des plantes génétiquement modifiées et à la sécurité alimentaire, mais j'ai voulu -pardon d'avoir été un peu long- vous signifier que, dans le domaine de la santé, nous sommes déjà depuis longtemps devant une expression presque familière et une utilisation de nouveaux médicaments qui proviennent de recombinants ou d'organismes potentiellement modifiés.

Au-delà des inquiétudes que suscitent les manipulations  génétiques, la mise sur le marché des plantes génétiquement modifiées pose le problème de leur sécurité d'emploi et de celle des aliments qui en sont issus.

L'évaluation de leur sécurité d'emploi préalablement à leur dissémination et à leur mise sur le marché est strictement encadrée par des procédures communautaires et nationales. Elles vous sont évidemment connues ; je ne vous les décris pas. La multiplicité des niveaux d'expertise des comités scientifiques européens, d'organismes nationaux d'évaluation concourent à garantir une qualité des évaluations réalisées.

Concernant les plantes, semences et animaux transgéniques, notre dispositif réglementaire ne prévoyait pas jusqu'à présent de consultation systématique du Ministère de la santé sur les autorisations délivrées, qu'il s'agisse d'autorisations de dissémination à des fins de recherche-développement ou de mise sur le marché.

Toutefois, l'avis du Conseil supérieur d'hygiène publique de France, instance d'expertise placée sous l'autorité du Ministère chargé de la santé, est recueilli si le CGB signale l'existence d'un risque éventuel pour la santé publique, lié à la consommation de ces produits. Cette consultation est maintenant systématique ; c'est très nouveau.

Je souhaite attirer votre attention sur le cas des aliments issus d'OGM mais n'en contenant pas eux-mêmes (huile de soja, amidon de maïs), et jugés substantiellement équivalents à des aliments traditionnels de référence dans l'Etat-membre où a été déposé le dossier de demande de mise sur le marché.

La commercialisation de cet aliment fait l'objet d'une simple notification aux autres Etats membres, sans consultation préalable. Cela signifie que, si un Etat membre estime que la mise sur le marché d'un aliment présente un risque pour la santé, il devra invoquer la clause de sauvegarde pour en interdire la commercialisation et apporter la preuve des risques encourus.

Cette procédure, qui aboutit à une mise sur le marché de certains aliments sans ouvrir la possibilité aux Etats-membres d'effectuer une expertise a priori, peut certes paraître contestable. Dans certains domaines, je la conteste. Elle pose par ailleurs au niveau nationale la question du positionnement du Conseil supérieur d'hygiène publique.

Faut-il solliciter son avis sur les notifications, considérant que les dossiers qui sont transmis ne contiennent pas l'ensemble des éléments nécessaires à la conduite d'une véritable contre-expertise ? Cette approche peut paraître souhaitable, et j'envisage de systématiser la consultation du Conseil sur ces notifications.

Avec la loi relative à la sécurité sanitaire, qui est presque votée, qui sera prochainement promulguée, l'expertise organisée par mes services en lien avec le Conseil supérieur d'hygiène publique de France sera transférée à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments.

Je pense que mon collègue Le Pensec vous en a parlé. Je tiens à dire à cette occasion que l'amélioration de la sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation ne résultera pas seulement d'un regroupement de capacités d'expertise actuellement dispersées, mais nécessite qu'on lui consacre plus de moyens qu'aujourd'hui, au moins de notre côté santé. C'est très clair dans mon esprit.

Les risques :

La mise sur le marché des plantes transgéniques et des aliments qui en sont issus a fait émerger de nombreuses interrogations et inquiétudes, qui portent à la fois sur les risques écologiques liés à la dissémination d'organismes génétiquement modifiés dans l'environnement, et sur les risques sanitaires liés à la consommation de ces produits alimentaires.

Je vous répète une fois de plus que le fait que ces interrogations ne m'irritent pas. Je les trouve naturelles et, si elles n'existaient pas, je les susciterais.

Concernant les risques écologiques liés à la culture à grande échelle, leur évaluation relève de la compétence de la Commission de génie biomoléculaire, et la gestion de ces risques des Ministères de l'agriculture et de l'environnement.

Le principal problème posé est d'éviter que le caractère de résistance introduit (résistance à un herbicide, etc.) ne s'étende en dehors de la variété transgénique et devienne un problème pour l'environnement. Nous sommes conscients de cela, donc suivi et évaluation en permanence : jamais d'arrêt à cette évaluation.

Les plantes résistantes aux herbicides ont acquis une place toute particulière en raison du grand nombre de variétés cultivées en jeu et des surfaces concernées (pas chez nous, mais ailleurs). Si le désherbage de certaines espèces ne trouve pas forcément une solution plus efficace par la voie de la transgenèse, la culture d'autres espèces transgéniques est susceptible de présenter un intérêt certain du fait d'une réduction du nombre de traitements nécessaires.

De la même manière, la mise sur le marché de maïs résistant à la pyrale a donné lieu à l'ouverture d'un débat sur les risques d'une résistance accrue des insectes à la toxine de Bacillus thuringiensis , bactérie employée à travers le monde pour lutter contre certains ravageurs de cultures, et utilisée en lutte antivectorielle.

Dans tous ces cas, quelle que soit la nature du gène introduit, nous mettons en place un dispositif de suivi, de biovigilance pour les variétés agréées, qui permettra d'assurer un suivi des risques éventuels d'apparition d'événements défavorables sur l'environnement, qui pourrait bien sûr conduire à des mesures de retrait aussi immédiates que possible si nécessaire.

Un autre problème évoqué, auquel je suis très sensible, porte sur les risques de la dissémination des gènes de résistance aux antibiotiques, notamment à l'ampicilline, introduits dans les constructions géniques.

L'incorporation de ces gènes de résistance dans le génome des plantes et les risques de transfert de ce gène, suscitent de nombreuses inquiétudes. Je n'ai pas attendu cela pour être sensible à la résistance aux antibiotiques ; peut-être savez-vous que nous en avons fait l'un de nos chevaux de bataille.

Pour que ces gènes puissent s'exprimer, il faudrait toutefois, d'une part que les protéines qui les constituent résistent aux processus de préparation des aliments et de la digestion et, d'autre part, qu'elles puissent se conjuguer à un vecteur susceptible de les introduire dans les bactéries présentes dans la lumière digestive, celles-ci n'étant pas capables de les incorporer naturellement.

Ce danger est considéré comme très improbable par la quasi-totalité des experts. Ce n'est pas une raison pour s'en contenter. En outre, s'agissant du gène de résistance à l'ampicilline, il est déjà répandu chez les espèces présentes dans le tube digestif de l'homme et des animaux et, si le phénomène de transfert se produisait, les experts de nombreux pays ont considéré qu'il n'aurait qu'une incidence négligeable sur l'état des résistances à cet antibiotique. Cela rassure d'une certaine manière.

Le  mésusage de certains antibiotiques en médecine me préoccupe aujourd'hui davantage, comme je viens de vous le dire. Il s'agit néanmoins d'un sujet sensible, d'autant qu'il n'existe pas de réelle justification à l'introduction de tels gènes dans les constructions géniques.

J'ai cherché dans ma tête et nous avons un peu parlé de cela, je ne vois pas l'intérêt. Il me paraît donc souhaitable à l'avenir d'abandonner l'utilisation de gènes de résistance aux antibiotiques. Cela me paraît hautement nécessaire.

L'expertise a également soulevé l'hypothèse de risques sanitaires pour l'homme.

Tout d'abord -il me paraît important de le rappeler-, la mise sur le marché de plantes transgéniques ou d'aliments qui en sont issus est décidée au cas par cas, après une évaluation scientifique basée sur le concept d'équivalence en substance.

Il s'agit d'un concept unanimement accepté à ce jour, qui consiste à comparer les plantes ou les aliments à des plantes et aliments traditionnels de référence. S'ils sont jugés "substantiellement" équivalents à ces références,  c'est-à-dire lorsque, sous l'angle nutritionnel et toxicologique, leur composition est estimée équivalente, aucune démonstration de leur "salubrité" ne s'impose.

Le cas le plus fréquent est celui où l'équivalence en substance est établie, à l'exception des produits des gènes d'intérêts introduits. Ces gènes sont généralement des protéines intervenant dans les mécanismes de tolérance à un pesticide, ou de résistance à l'agression par une organisme ravageur.

Les risques potentiels des produits de ces gènes sont alors spécifiquement évalués. Il s'agit essentiellement de risques toxiques et allergiques.

Concernant le risque toxique, un examen attentif se justifie, notamment pour les plantes où un gène de résistance à un pesticide a été introduit en raison de la formation de métabolites du pesticide à la suite de son inactivation ou lorsque les gènes transférés codent pour des enzymes qui catalysent des processus biochimiques.

L'évaluation du risque toxique ne bénéficie pas de modèle universel et fait généralement appel à une approche qui conjugue la réalisation de tests de toxicité sur animaux de laboratoire, d'études d'alimentation animale chez des espèces d'intérêt zootechnique qui consomment habituellement le produit, et la comparaison avec des protéines toxiques identifiées dont la séquence figure dans des banques de données.

Il ne s'agit pas d'une approche toxicologique classique. Elle nécessite certes encore le développement d'outils méthodologiques, et les experts français concourent, par leur travail, à ce développement. J'estime que des progrès doivent encore être faits dans cette voie.

Concernant le risque allergique, il est vrai que la prédiction du caractère allergénique reste un exercice délicat.  Il repose sur des méthodes d'évaluation indirecte, comme par exemple les tests de résistance des protéines à la chaleur et aux attaques des enzymes digestives, considérant que l'allergénicité est souvent le fait de protéines absorbées intactes par la muqueuse intestinale.

On fait également appel à la recherche d'homologie de séquences avec des protéines qui sont des allergènes connus et dont la structure est répertoriée dans les banques de données.

Cette dernière approche d'analyse comparative offre l'avantage d'éliminer rapidement des constructions à risques potentiels, mais l'absence d'homologie de séquences ne constitue pas une garantie formelle d'innocuité. Aucune observation ne permet toutefois, à notre connaissance, de considérer les produits issus du génie génétique comme plus ou moins allergéniques que les produits traditionnels de référence.

Il faut néanmoins rester attentif, comme toujours, compte tenu du potentiel allergisant des protéines, d'autant que la mise en évidence d'une allergie alimentaire est une question très complexe et que l'on découvre aujourd'hui encore le rôle de certains aliments pourtant très anciennement introduits dans notre alimentation habituelle.

Au total, il est certain que nous sommes en face d'une innovation devant laquelle les scientifiques ne peuvent nous fournir sur toute la ligne des certitudes absolues. Le débat que vous organisez montrera la perception que nos concitoyens ont de ces avancées combien prometteuses, et je vous en remercie.

La manière dont, Monsieur le Président, vous comptez vous y prendre, me satisfait.

J'aurais, pour ma part, tendance à me reporter quelques siècles en arrière, au temps où les peuples précolombiens avaient réussi le tour de force, à l'époque, de transformer en peu de temps l'épi de maïs sauvage, qui avait la taille de la dernière phalange de mon petit doigt, en un épi très proche de ceux que nous connaissons.

Cette intervention humaine n'était pas moins audacieuse à l'époque et, si certains l'estiment plus "naturelle" que celle devant laquelle nous nous trouvons, je rappellerai, tout près de nous, la création du colza. Il s'agit dans ces deux cas de création d'espèces nouvelles, dont on peut mesurer ce qu'elles nous ont apporté. Je pense qu'aujourd'hui, rester toujours sur ses gardes ne doit pas conduire pour autant à diaboliser systématiquement les espèces génétiquement modifiées par les techniques d'ingénierie modernes qui nous sont proposées.

Cela doit nous entraîner à plus de méfiance encore, mais pas à des certitudes d'avance.

Comment progresser aujourd'hui ? A mon avis :

- en renforçant les expertises scientifiques multiples et contradictoires, car c'est bien un débat et une analyse objective des données factuelles qu'il nous faut mener, plutôt que de se cantonner à un débat d'idées plus ou moins préconçues ;

- en renforçant nos pouvoirs d'investigation et de contrôle ;

- en mettant en place un dispositif de biovigilance agronomique et environnementale des variétés agréées (dispositif permanent) ;

- certains évoquent la nécessité de compléter ce dispositif par un système de vigilance portant sur le risque allergique pour l'homme. Je dis d'emblée que cette question reste ouverte, sans pour autant pouvoir proposer aujourd'hui ne serait-ce que le schéma d'un nouveau dispositif.

C'est une question très complexe ; l'alimentation est un geste très banal, souvent machinal ; elle est aujourd'hui (c'est un fait positif) très diversifiée ; les aliments de base sont très souvent transformés et ils contiennent de très nombreux ingrédients.

De ce fait, l'alimentation en général présente des risques, et le risque allergique, malgré des manifestations parfois spectaculaires, n'en constitue que l'un des aspects.

En outre, les symptômes d'une allergie sont parfois peu évocateurs en eux-mêmes. C'est la plupart du temps l'étude minutieuse de certains tableaux cliniques qui conduit les cliniciens à émettre l'hypothèse d'une manifestation allergique et d'en rechercher la cause, laquelle est très difficile à mettre en évidence en raison même de l'extrême banalité de l'acte alimentaire.

On est donc loin des systèmes de vigilance que nous avons mis en place dans le domaine des soins, où la prescription (ou l'utilisation) d'un produit concentre en quelque sorte l'attention sur ses conséquences pendant une période de temps précise et limitée. Les difficultés rencontrées dans la transposition de ce concept de vigilance à la toxicovigilance me conduisent à être circonspect en matière de vigilance alimentaire.

Progresser ensemble nous conduira à une plus grande transparence des procédures et des décisions d'autorisation. Le gouvernement s'y est d'ailleurs engagé. Transparence en permanence, information toujours.

La meilleur information des consommateurs est à mon avis le déterminant essentiel. Elle conditionne l'acceptabilité de ces nouveaux aliments par nos concitoyens. A cet égard, l'accord finalement trouvé au dernier Conseil des Ministres de l'agriculture sur la question de l'étiquetage, dont vous ont sans doute parlé Marylise Lebranchu et Louis Le Pensec, me paraît un élément de déblocage important.

Le débat que le Premier Ministre vous a demandé d'animer, Monsieur le Président, me paraît également tout à fait essentiel. Il est nécessaire que nos concitoyens puissent apprécier par eux-mêmes la façon dont les scientifiques peuvent répondre aux questions qui leur sont posées, ainsi que la manière dont les pouvoirs publics répondent à leur attente de qualité et de sécurité.

Loin d'esquiver le débat, ce qui aurait été une erreur, le gouvernement l'a provoqué, et vous avez voulu qu'il soit le plus contradictoire possible ; je vous en félicite.

Pour conclure, je voudrais resituer l'enjeu sécuritaire. La sécurité alimentaire doit s'appliquer à tous les aliments. C'est d'ailleurs le sens de la création prochaine de l'agence de sécurité des aliments : surveiller, évaluer, contrôler l'ensemble des aliments, qu'il  s'agisse des produits naturels comme des additifs. Et, sans être trop provocateur, les organismes génétiquement modifiés ne sont-ils pas des additifs particuliers ?

Notre démarche doit toujours être la même, centrée sur le principe de précaution. Je vous avais dit que je conclurai comme j'avais commencé, par ce principe de précaution, qui guide toute notre attitude de santé publique, et qui doit conduire :

- à interdire toute dissémination, toute mise sur le marché, si existent ne serait-ce que des indices de risques significatifs ;

- à surveiller en cas de risque potentiels.

Ma responsabilité première, comme secrétaire d'Etat à la santé, est de veiller à la prise en compte et à l'application de ce principe en ce qui concerne le domaine sanitaire.

Je vous remercie.

M. Le Président - Merci beaucoup, M. le Ministre, de cet exposé clair sur tous les problèmes qui concernent la santé.

Nous aurons demain l'occasion d'aborder un certain nombre de questions que vous avez posées, notamment sur le risque allergique, sur les gènes de résistance aux antibiotiques, sur l'insertion éventuelle de parties de virus ou de capsides virales, dont on n'a pas parlé aujourd'hui, sur les toxiques.

Je crois que vous avez abordé cela de manière très précise, en donnant la position du gouvernement : le principe de précaution, un système de biovigilance.

Quelques questions complémentaires : comment le système de vigilance sur les risques allergiques va-t-il s'articuler éventuellement ? Vous en avez parlé. Je pense, comme vous, qu'il faut surveiller les risques allergiques dans l'alimentation, parce qu'il y en a de plus en plus, mais que, du fait de l'importation d'aliments nouveaux de toutes les parties du monde, en consommant un kiwi ou un fruit que l'on n'a jamais consommé auparavant, on a beaucoup plus de protéines nouvelles en une seule fois que l'on en a avec une gène inséré au niveau du génome et qui produira une protéine.

Il n'empêche que celui qui est inséré peut être allergique. On a un exemple, dans une société américaine, d'un gène de noix de cajou du Brésil qui avait été inséré, et on avait dit qu'il y avait un problème. En réalité, c'était déjà allergique avant de l'insérer. Si l'on insère une protéine qui est allergique, elle sera donc toujours allergique dans le nouveau porteur de gènes.

Il faut aborder ces questions avec le principe de précaution, et vous l'avez bien indiqué.

Comment le principe de vigilance en matière de santé s'articulera-t-il avec l'institut de veille sanitaire ?  Dans l'institut de veille sanitaire, aurez-vous effectivement une surveillance en matière de biovigilance, notamment pour les bactéries intestinales dont vous avez parlé dans les gènes de résistance aux antibiotiques, avec une analyse proche de celle que nous pouvons avoir actuellement dans l'état de nos connaissances ?

M. Kouchner - Je vous rappelle d'abord que, même si elle était cliniquement connue, l'allergie alimentaire était un concept très discuté et pratiquement peu présent dans la clinique et dans l'enseignement. Il est assez récent que l'on s'y intéresse de plus près.

Je crois avoir répondu : l'attention doit être portée en permanence sur les allergies déclenchées. Cela étant, je n'imagine qu'assez mal un système de vigilance particulier en ce qui concerne l'allergie alimentaire.

Il n'empêche que nous avons maintenant ces dispositifs. C'est la deuxième partie de votre question.

Comment l'institut de veille sanitaire va-t-il s'articuler avec l'agence de sécurité alimentaire, par exemple ? Dans le dispositif prévu, qu'il faudra renforcer puisque nous discutons, puisqu'il y a une commission parlementaire qui est chargée de la prochaine agence environnement et santé qui se développera, avec tout ce qui nous arrive en permanence, l'articulation est très difficile entre le nombre formidable d'organismes qui existent déjà et la façon dont on essayera de les regrouper pour être plus actifs.

Ne parlons pas de cette nouvelle agence, d'abord parce que les parlementaires sont à peine au travail, et il faudra certainement de longs mois.

Ce qui existe maintenant, c'est l'institut de veille sanitaire, qui est pour le moment le Réseau national de santé publique. Ce Réseau national de santé publique est chargé de détecter tout ce qui concerne les atteintes ou les modifications ou les alarmes en matière de santé publique, mais cela en aval, loin, comme conséquence d'une pathologie que l'on n'aurait pas découverte.

Ce qui existe maintenant, sous la direction de Jacques Drucker, va se renforcer considérablement avec d'autres missions qui lui seront confiées et un budget relativement coquet pour le développer. Ce qui existe maintenant est donc d'essayer de juger des conséquences, et une alerte sur un point du territoire est mise en parallèle en réseau avec une alerte qui serait passée inaperçue sur un autre point, etc. (technique classiqu

Ce n'est pas suffisant ; nous voulons débusquer au plus près. Ce qui serait intéressant, c'est évidemment d'être en amont, peut-être au déclenchement.

Là, il y a deux agences, l'Agence de sécurité alimentaire  et l'Agence de sécurité sanitaire. L'Agence de sécurité sanitaire, qui sera le renforcement de l'Agence du médicament, est chargée très spécifiquement des produits de santé, des médicaments, des dispositifs, du matériel de la thérapie génique, etc. Il y a un nouveau dispositif.

Il sera évidemment de son ressort, s'il existait, de traiter des organismes génétiquement modifiés, notamment ceux qui concernent la résistance aux antibiotiques. Je ne le souhaite pas ; je l'ai dit très clairement, mais ce serait éventuellement sa mission.

Sinon, c'est l'Agence de sécurité alimentaire, et c'est donc la responsabilité première des services du Ministère de l'agriculture et de la DGCCRF, mais nous y sommes, et c'est une avancée considérable par rapport à la force que représentait ce ministère face à la santé, que nous y soyons complètement associés.

J'ajoute -c'est une avancée que l'on doit au Parlement- qu'il y aura un organisme plutôt scientifique, mais un organisme conjoint, qui mettra ensemble, systématiquement, sous la direction du Ministère de la santé -et je vous remercie- l'Agence des produits alimentaires et l'Agence de sécurité sanitaire.

En permanence, au sommet, experts et décideurs pourront donc relier des événements qui seraient peut-être passés inaperçus.

Tel est le dispositif mais, comme je ne l'ai pas expérimenté puisqu'il n'existe pas encore, je ne sais pas comment cela va se passer.

Il n'empêche à mon avis, pour répondre pleinement à votre question, Monsieur le Président, qu'une attention particulière et qu'une vigilance permanente devraient être portées sur les organismes génétiquement modifiés, malgré l'existence de ce système que je viens de décrire sommairement.

M. Le Président - Vous venez d'indiquer, dans l'exposé liminaire et dans la réponse que vous venez de donner, que notamment sur l'expertise à l'Agence de sécurité sanitaire des aliments, il y aura plus de moyens du côté de la santé.

En second lieu, y aura-t-il des moyens du côté de l'INSERM, pour que l'on développe des projets de recherche sur les thèmes que l'on vient d'aborder, c'est-à-dire les aliments et la santé ?

M. Kouchner - J'en ai parlé aujourd'hui avec Claude Allègre, qui vient demain. Vous savez que c'est une cotutelle entre le ministère de la recherche et le ministère de la santé.

Nous en sommes tous deux tout à fait partisans, mais nous sommes placés pour le moment dans une réforme de l'INSERM qui nous permettra sans doute de promouvoir un certain nombre de moyens mais aussi de projets de recherche, et qui place, avec ses départements horizontaux qui ont été un peu en question, l'organisme dans une meilleure situation pour absorber de genre de projet. C'est indispensable.

Si Claude Allègre et moi-même sommes en accord sur ce point, je pense que cela se fera. Il y a évidemment un problème d'experts et de financement. Je ne vous le cacherai pas plus, et je ne vous cacherai pas plus non plus qu'en ce qui concerne l'INSERM, c'est Claude Allègre qui a l'argent, pas moi. Je m'occupe un peu du personnel et je possède la cotutelle, mais la recherche est la recherche. Cela peut se discuter, mais c'est ainsi.

Dans de nombreux pays, la recherche sur la santé appartient au Ministère de la santé... J'arrive d'un voyage aux Etats-Unis, où notre dispositif fait lever les sourcils, mais cela fonctionne aussi ...

M. Le Président - Pas forcément très bien. C'était justement ma troisième question, sur les contaminations bactériennes aux Etats-Unis, où c'est de loin la peur la plus grande du consommateur, parce qu'il y a eu plusieurs milliers de morts par contamination alimentaire. On le disait dans le débat sur l'institut de sécurité alimentaire.

M. Kouchner - Il y a eu 12.000 morts, y compris avec les problèmes dans les hôpitaux.

M. Le Président - Il ne s'agit pas des contaminations alimentaires. Ils sont à 8000  et nous sommes à quelques dizaines au niveau de la France. Le problème se pose donc effectivement lorsqu'il y a des gènes de résistance à un antibiotique, et je pense qu'il y a une confusion. Quelqu'un me l'a dit tout à l'heure ; il y a beaucoup de spécialistes ici, y compris parmi les journalistes, et j'en profite pour le redire.

Il y a une certaine confusion entre OGM et ADN, y compris ADN avec des gènes de résistance à un antibiotique. Un organisme génétiquement modifié a un gène nouveau inséré par un vecteur, une amorce autorisant l'insertion et permettant de le retrouver. C'est un peu sa carte d'identité.

Ce gène de résistance à un antibiotique était utile ; c'étaient des constructions très anciennes. Nous avons maintenant d'autres moyens. Ce sont des constructions qui ont passé toutes les barrières des autorisations expérimentales des premières plantes transgéniques.

Lorsque ces gènes sont insérés et lorsqu'il y a consommation d'une cellule d'un aliment d'une plante transgénique, il y a des digestions de cette cellule. Et, dans la digestion, où il y a avant transformation du produit, on ne va prendre qu'une partie de l'aliment, et l'on va retrouver soit des traces d'ADN, soit une petite partie d'ADN qui ne sera pas totalement coupée au niveau de la digestion.

Vous venez très bien de dire que certaines protéines ne sont pas totalement digérées, qu'elles peuvent être des protéines allergisantes. De la même manière, certains morceaux d'ADN peuvent ne pas être totalement digérés, qu'ils soient dans le sol ou à d'autres niveaux d'une chaîne.

Et le risque qui est indiqué aujourd'hui, c'est que cela puisse effectivement passer dans des bactéries du sol,  avec un risque certes très faible. On l'a montré, cela peut exister. Tout imprévu est possible dans la nature, disait Antoine Danchin ce matin. La nature est faite d'imprévus, et tout est possible. C'est la fréquence qui  change. Ce risque est donc possible ; cela peut passer.

Lorsque c'est passé, c'est-à-dire lorsque c'est passé dans une bactérie du sol, cela peut passer dans une autre bactérie, dans une bactérie du tractus alimentaire. Il ne faut pas ajouter des risques dans de mauvaises constructions.

Il y a eu un séminaire à Talloires, qui était très intéressant sur le sujet, avec tous les experts dans ce domaine, et des choses ont été dites, qui ne sont pas exactes. Il faut donc mettre les points sur les " i ".

Ce qui est le plus probable, ce sont les conjugaisons entre bactéries. Ce sont des transferts de bactéries qui existent déjà, qui ont déjà des gènes de résistance  à des antibiotiques et qui, chaque jour, peuvent donner des gènes de résistance à des antibiotiques sur des bactéries qui sont pathogènes du tractus intestinal.

Et cela peut malheureusement exister. On voit effectivement un certain nombre de maladies qui se développent, et cela peut exister. La probabilité de l'aliment transgénique est donc beaucoup plus faible dans tous les cas que la probabilité que l'on a malheureusement parce que l'on a mal géré les antibiotiques.

Antoine Danchin a eu raison de le dire. Il a eu une phrase très forte ce matin : parce qu'on l'a mal gérée, elle est beaucoup plus faible, infiniment plus faible que ce que l'on a fait au niveau des antibiotiques et qui a été mal géré.

Je pense que demain, Patrice Courvalin et ceux qui seront présents reprendront cela dans cette enceinte et nous pourrons leur poser des questions.

Je pense que cela a été bien expliqué, et qu'il faut le dire, sinon on a une confusion. Je disais tout à l'heure que la moitié des Français n'avait jamais entendu parler de plantes transgéniques ; si, ensuite, on leur dit qu'il y a des gènes de résistance à des antibiotiques, il y a une confusion totale sur certains sujets.

Des vrais risques existent, et notre rôle est le principe de précaution. Le Parlement y est totalement attaché  et, personnellement, je suis très heureux, Monsieur le ministre, de votre position, parce qu'elle correspond globalement à celle que nous avons au niveau de l'Office.

M. Kouchner - C'est moi qui vous poserais volontiers la question. Je partage entièrement ce que vous venez de dire ; tout d'abord, j'ai fait un lapsus dans les chiffres, parce que j'ai pensé aux 12.000 morts d'infections nosocomiales. Or, on ne peut pas ne pas en parler lorsque l'on parle de résistance aux antibiotiques.

Je suis pour la précaution mille fois plutôt qu'une, mais agiter ce spectre alors que nous sommes devant une résistance majeure aux antibiotiques parce qu'il y a un mésusage des antibiotiques dans notre pays... 57 % des staphylocoques dorés pathogènes des hôpitaux français sont résistants, alors que ce chiffre est de 2 % au Danemark, et qu'il y a ces morts en permanence.

C'est la raison pour laquelle j'ai parlé de 12.000 morts ; vous me pardonnerez, Monsieur le Président, mais vous avez cité des chiffres, notamment à propos des infections alimentaires. Lorsque j'étais ministre de la santé en 1992-93, une seule épidémie de listériose a fait plus de cent morts en 1992.

Ce n'est pas autant qu'aux Etats-Unis, vous avez raison, mais c'est tout de même beaucoup. Mais j'attire votre attention, parce qu'il y a un mécanisme, que je connais mal honnêtement, qui est celui non pas de la résistance d'une bactérie, mais du plasmodium et à propos de la résistance au paludisme.

C'est à travers le monde un sujet majeur d'inquiétude. Il y a 2 millions de morts du paludisme dans le monde. N'agitons pas de faux problèmes. Agitons-les aussi, mais nous en avons devant nous massivement des vrais.

M. Le Président - Toutes les questions préparées comportaient déjà des réponses dans le texte. Je pose tout de même une dernière question : vous n'avez pas parlé des virus. Dans les auditions que nous avons menées, un certain nombre de personnes se sont exprimées, pas sur la totalité des virus, mais sur les rétrovirus, et sur un certain nombre d'insertions.

Certains disent qu'il faut effectivement trouver, notamment dans les pays en voie de développement, la possibilité de lutter contre des virus et, dans certains cas, des phénomènes de transcapsidation, des phénomènes d'insertion de virus pourraient être dangereux. Le principe de précaution doit bien sûr s'appliquer, mais que pensez-vous de cette question précise ?

M. Kouchner - Je pense qu'elle est tout à fait juste et pertinente, et que j'ai eu tort de ne pas en parler. Qu'aurais-je dit face aux virus ? Bien entendu, une attention très particulière y est portée dans notre pays et dans le monde entier. Je ne pense pas seulement à Ebola, hépatite C, hépatite B, etc.

De ce point de vue, je pense que l'effort doit être porté d'abord sur la recherche, et sur la recherche clinique. C'est ce que nous faisons absolument en permanence et, avec Claude Allègre, nous voudrions que soient développées non pas seulement vis-à-vis du VIH -cela a été fait de bonne façon dans notre pays- mais également vers l'hépatite C, des expérimentations cliniques.

Que dire d'autre que d'appliquer en permanence ce principe de précaution ? Il est évident que, dans le siècle qui vient, nous aurons affaire en permanence à de nouveaux virus. Nous sommes très inquiets.

Il y a une épidémie de fièvre jaune de-ci de-là, qui se déplace en Afrique. Il y a au Zaïre une épidémie de variole, qui est circonscrite dans un endroit très précis, que les épidémiologistes connaissent bien, mais souvenez-vous que le virus de la variole a théoriquement été éradiqué.

Vous avez vu ce qui s'est déplacé au Zaïre ces temps-ci. Dans cette salle, j'imagine que l'on en entend d'autres à ce propos, en d'autres séances. Si cette épidémie, par hasard, se déplaçait, il n'est pas du tout inenvisageable que nous ayons à refaire très vite de la vaccination antivariolique. Comment le ferions-nous ? Nous avons posé la question au ministre de la santé, à nos fabricants, etc.

J'ai peut-être eu tort de ne pas en parler, parce que c'était peut-être loin, mais l'introduction du virus lui-même dans cette préoccupation est absolument nécessaire. Et il y aura d'autres espèces que nous ne connaissons pas, les rétrovirus en particulier.

Nous avons également eu à nous féliciter des efforts de recherche et de la façon dont, très vite, des médicaments nouveaux sont trouvés. On ne va pas seulement accabler l'industrie pharmaceutique ; lorsque l'on n'en a pas, on est bien démuni. Il faut vraiment saluer la façon dont, en quinze ans, les antirétroviraux et les antiprotéases ont changé la face de la maladie SIDA et donné de l'espoir à beaucoup.

Je vous rappelle que, dans notre pays, cette année, il y a eu 57 % de mortalité en moins chez les malades du SIDA. Nous devons là aussi développer notre recherche.

Pardon d'être faussement lyrique, mais je pense que la meilleure façon de répondre aux craintes légitimes de nos concitoyens, c'est peut-être de les informer seulement, et de leur faire partager à la fois nos espoirs et un certain nombre de résultats des recherches internationales et des recherches françaises.

Il y a là une façon de considérer l'avenir avec autre chose que de la crainte.

J'ai inauguré au Ministère de la santé ce que l'on appelle les "mercredis de Ségur", et il n'y a eu pour l'instant que deux ou trois séances. Nous avons décidé, à partir de septembre -Monsieur le Président, vous serez d'ailleurs invité- de mettre en oeuvre toute une série sur la peur en santé publique et c'est le sujet ; on devrait peut-être dire "risque et peur", mais pour que chacun des phénomènes soit analysé de façon contradictoire.

Pour la dioxine, c'est arrivé à toute allure et, honnêtement, même si l'on dit qu'il faut prendre cela très au sérieux, l'administration n'a pas été rapide sur cette affaire ;  c'est le moins que l'on puisse dire. Heureusement que des associations privées ont éveillé notre attention.

Nous devons en permanence développer la précaution, mais la précaution n'est pas seulement de nous méfier de ce qui nous arrive. C'est d'être préventifs, et c'est peut-être l'intérêt de cette commission environnement et santé qui se met en place.

M. Le Président - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.




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