N° 51

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 25 octobre 2000

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée du 12 au 17 septembre 2000 en Syrie ,

Par MM. Serge VINÇON, André DULAIT et André ROUVIÈRE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait,
Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Proche-Orient.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La disparition, le 10 juin dernier, d'Hafez al-Assad, qui présidait depuis 1970 aux destinées de la Syrie, ouvre-t-elle une nouvelle page de l'histoire du pays ? Cet événement s'inscrit dans un contexte régional marqué par la relève de la génération politique au pouvoir depuis plusieurs décennies, par des dirigeants plus jeunes, comme en Jordanie ou au Maroc. Ainsi, l'arrivée à la tête de l'Etat du fils d'Hafez al-Assad, Bachar, âgé de 34 ans, constitue un signe de renouveau.

Il ne faut pas négliger, cependant, les facteur d'immobilisme, dans un pays marqué par trente années d'un pouvoir sans partage.

Compte tenu du poids de la Syrie au Proche-Orient et de l'influence qu'elle peut exercer sur l'évolution du processus de paix -aujourd'hui menacé par l'aggravation récente de la tension dans la région- il apparaît essentiel de mieux discerner les orientations du nouveau pouvoir et les éventuels changements dont elles pourraient porter témoignage.

C'est pourquoi, une délégation de votre commission, composée de MM. Serge Vinçon, André Dulait et André Rouvière, s'est rendue en Syrie du 12 au 17 septembre 2000.

Elle a été reçue par M. Mustapha Miro, premier ministre, en présence de M. Mohamed Imadi, ministre de l'économie. Elle a pu aborder plus particulièrement les questions du processus de paix et de la présence syrienne au Liban avec le vice premier ministre et ministre de la défense, le général Mustapha Tlass, le vice ministre des affaires étrangères, Mlle Siba Nasser et le ministre de l'information, ancien vice ministre des affaires étrangères, M. Adnan Omran. En outre, elle s'est rendue sur le Golan afin de comprendre les enjeux stratégiques de cette région.

Par ailleurs, la délégation s'est informée sur les priorités de la politique intérieure, lors de ses entretiens avec le président du Conseil du Peuple (parlement), M. Qaddoura, le vice président, M. Abdallah Mousali, une délégation du groupe d'amitié France-Syrie conduite par son président, M. Basile Dahdouh, ainsi qu'avec le ministre de l'enseignement supérieur, M. Hassan Riche.

Les sénateurs se sont également entretenus avec M. Issam Zaïm, ministre du plan, et avec des acteurs de la vie économique, en particulier, M. Rateb Challah, président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie de Syrie. L'accueil chaleureux réservé à cette mission par les autorités syriennes a été à la mesure de l'excellence, depuis plusieurs années déjà, des relations franco-syriennes.

Enfin, votre délégation a rencontré des représentants de la communauté française et a pu prendre la mesure de l'importance du dispositif français dévolu à la coopération culturelle.

Notre ambassadeur, M. Charles de Bancalis de Maurel d'Aragon et ses principaux collaborateurs ont apporté un soutien constant à l'organisation de cette mission. Qu'ils en soient ici vivement remerciés.

Le présent rapport, à la lumière des informations recueillies au cours de ces différents entretiens, présentera les éléments d'appréciation sur les perspectives d'évolution que pourrait connaître la Syrie dans les domaines de la politique, de l'économie et de la diplomatie.

I. LE CHOIX DE LA CONTINUITÉ, GARANT DE LA PÉRENNITÉ DU POUVOIR ?

Au cours des trente années de la présidence d'Hafez al-Assad, la Syrie a bénéficié d'une indéniable stabilité dont a encore témoigné le déroulement maîtrisé du processus de transition. Cette situation a cependant été obtenue au prix d'un contrôle étroit de la vie politique et des libertés publiques. Le nouveau chef d'Etat parviendra-t-il à préserver les aspects bénéfiques de l'héritage paternel tout en favorisant une ouverture du pouvoir ? Telle est sans doute l'une des principales gageures auxquelles Bachar al-Assad se trouve confronté.

A. LA STABILITÉ ET L'UNITÉ : PRINCIPAUX ACQUIS DE L'HÉRITAGE POLITIQUE DE HAFEZ AL-ASSAD

1. Le poids de l'histoire

La stabilité et l'unité de la Syrie constituent sans doute la meilleure part de l'héritage politique du Président Assad. L'une et l'autre n'étaient nullement acquises dans un pays qui a connu un passé mouvementé et compte des minorités nombreuses et influentes.

a) Jusqu'en 1970, une succession de coups de force.

L'arrivée au pouvoir du Président Assad a brisé le cycle répété des crises dans lequel la Syrie se trouvait enfermée depuis son indépendance (1946)

Le pays connaît trois coups d'Etat en 1949. Le colonel Chichakli, bénéficiaire du dernier de ces coups de force, parvient à se maintenir au pouvoir jusqu'en 1954. Cette année-là, la montée des oppositions et la défection d'une partie de l'armée, le contraignent de remettre le pouvoir aux civils. Cependant, la nouvelle assemblée élue ne permet de dégager aucune majorité ; dès lors, les gouvernements de coalition éphémères se succèdent jusqu'à la proclamation, le 1 er février 1958, de l'Union de l'Egypte et de la Syrie. Le mécontentement suscité par la prééminence de l'Egypte au sein de la nouvelle République arabe unie (RAU) conduit un groupe d'officiers syriens à prendre le pouvoir à Damas le 28 septembre 1961 et à décider la sécession de leur pays. L'élection d'une assemblée constituante ouvre une ère de grande instabilité que conclut provisoirement l'accession du parti Baas au pouvoir à la suite d'un nouveau coup d'Etat militaire le 8 mars 1963. Les divisions qui minent ce parti constituent cependant un ferment de crises : la frange la plus radicale, tenant d'un dirigisme économique rigoureux, au pouvoir à la suite d'un coup de force en février 1966, suscite l'hostilité de la population. Soucieux de conjurer ces divisions, à l'heure où l'unité nationale est indispensable pour faire face à la menace extérieure, le général Hafez al-Assad, assuré du soutien de l'armée, prend le pouvoir le 13 novembre 1970.

La stabilité ne constitue pas seulement un acquis indéniable du Président Hafez al-Assad au regard d'une histoire politique passablement agitée, elle manifeste aussi la capacité du pouvoir à maintenir l'unité d'un pays marqué par une grande diversité de populations et de confessions.

b) Une population caractérisée par sa diversité

La population syrienne présente une grande diversité, même si sa composante arabe apparaît largement majoritaire. L'arabisation -entreprise après la victoire des Arabes sur les Byzantins le 20 août 636 sous les dynasties des Omeyyades puis des Abbassides- a touché la plus grande part de la population d'origine principalement araméenne. Les Kurdes (dont l'installation en Syrie remonte au XIème siècle) constituent la minorité la plus importante. Très bien intégrés à la vie du pays -beaucoup d'entre eux sont fonctionnaires- ils n'expriment pas de revendications particulières. La Syrie compte également une importante communauté arménienne dont l'influence économique est surtout sensible à Alep. Assyriens et Tcherkess occupent une place plus marginale : les premiers, d'origine araméenne, ont fuit la Turquie et l'Iran pour s'installer d'abord en Irak puis, plus récemment, en Syrie, dans la province de la Djezireh ; les seconds ont quitté le Caucase à la fin du XIXè siècle pour s'installer dans le Djolan, non loin de Damas. Enfin, il importe de signaler la présence d'une petite communauté juive (quelque centaines de personnes) dont le représentant a d'ailleurs été récemment reçu par le Président Bachar al-Assad.

La pluralité des confessions redouble en quelque sorte la diversité humaine. L'Islam, certes, domine largement, mais il apparaît divisé entre la majorité sunnite (82 %), les Alaouites (13 %) et, de manière plus marginale, les Chiites, les Druzes et les Ismaéliens. Par ailleurs, les chrétiens (9 % de la population) constituent une communauté très attachée à son identité, même si elle se partage entre une multiplicité d'obédiences.

Les communautés chrétiennes de Syrie 1 ( * )

Orthodoxes

Eglise orthodoxe d'Antioche et de tout l'Orient (Grecs orthodoxes)

700 000

Eglise syrienne orthodoxe (Jacobites)

60 000

Eglise arménienne orthodoxe

50 000

Eglise assyrienne (nestoriens)

30 000

Catholiques

Eglise catholique melkite

170 000

Eglise maronite

33 000

Eglise syrienne catholique

28 000

Eglise arménienne catholique

25 000

Eglise laline

12 000

Eglise chaldéenne

8 000

Protestants

5 000

La stabilité dont a bénéficié la Syrie résulte non seulement de la mise en oeuvre d'un pouvoir fort mais aussi d'une politique habile sachant ménager les équilibres de la société syrienne.

* 1 Source : P. Rondot, la Syrie, Presses Universitaires de France, 1998.

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