EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 15 novembre 2000, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a entendu une communication de M. Michel Charasse, rapporteur spécial des crédits d'aide publique au développement, sur sa mission de contrôle budgétaire, du 18 au 27 juillet 2000, sur les crédits d'aide publique au développement affectés aux trois pays du Maghreb.

En préambule, M. Michel Charasse a rappelé que cette mission s'inscrivait dans le cadre de la décision prise, le 22 juin 2000, par le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), d'examiner la " rénovation de nos relations de coopération avec les pays du Maghreb ".

Il a considéré que, malgré la brièveté de cette mission, les conclusions des travaux illustraient amplement, et au-delà, la nécessité de reconsidérer un dispositif d'aide qui représente à lui seul près de 7 % du total de l'aide publique française, et 16 % du total de la seule aide publique bilatérale.

Il lui a d'abord paru souhaitable de relativiser au préalable la notion de " Grand Maghreb " souvent évoquée dans diverses enceintes, et, partant, le bien-fondé d'une politique globale à l'égard de ces trois pays, tant ils apparaissaient, du moins en l'état actuel, divergents sur tous les plans.

Ainsi, la Tunisie, avec un territoire restreint (163.000 km²) et moins de 10 millions d'habitants, se détache clairement par son rythme de croissance et de développement économique et social, même si celui-ci se fait encore au prix d'une certaine rigidité sur le plan de la démocratie. De fait, M. Michel Charasse a estimé que, des trois pays, la Tunisie était le seul à relever clairement de la catégorie des PRI (pays à revenu intermédiaire), avec des besoins prioritaires dans deux secteurs différents : la " mise à niveau " du secteur productif et le renforcement de l'Etat de droit.

Par comparaison, le Maroc, avec 450.000 km² et 30 millions d'habitants, est plus proche d'un PMA (pays les moins avancés) d'Afrique subsaharienne, et sa population rurale figure parmi les plus pauvres du monde. Le nouveau royaume de Mohammed VI est aujourd'hui confronté à un double défi démocratique et social, et les besoins sont, à ce titre, considérables, alors que la dépense publique marocaine y est, pour l'instant, peu encline.

L'Algérie constitue un cas particulier, qui ne peut, en l'état actuel, être ni assimilé ni même associé aux deux autres pays : pays considérable, cinq fois étendu comme le Maroc (2.380.000 km²), pour le même nombre d'habitants, qui fonde l'essentiel de ses revenus sur la seule ressource pétrolière, et au sein duquel la persistance d'une forte insécurité handicape considérablement tout projet de développement.

Dans ce cadre, M. Michel Charasse a souligné l'ampleur de l'aide accordée par la France à ces trois pays en moins de dix ans : 5 milliards de francs pour les crédits mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères depuis 1995, plus d'une dizaine de milliards de francs pour l'enveloppe gérée par l'Agence française de développement depuis 1992, près d'une quinzaine pour l'enveloppe des protocoles financiers. Si l'enveloppe affaires étrangères a été progressivement réduite depuis 1997, l'enveloppe économique et financière continue sur sa lancée, avec une multiplication de procédures nouvelles complétées par un important dispositif de reconversion de dettes pour le Maroc et pour l'Algérie et des lignes céréalières pour le Maroc et la Tunisie.

M. Michel Charasse a estimé que le bilan de ces moyens considérables, tel qu'il a pu être établi au terme d'une mission très brève, ne pouvait être considéré comme complètement positif.

Relevant qu'un long usage avait ancré dans ces trois pays des habitudes confortables de relations traditionnelles, et d'autant plus bienveillantes et policées qu'elles se fondaient parfois, côté français, sur un sentiment de culpabilité mal résolu, il a souligné qu'aucun de ces trois Etats ne paraissait prêt à modifier ses habitudes, et que tous se montraient à la fois peu enclins à mettre en oeuvre un véritable " partenariat ", à objectifs et contraintes partagés, et évidemment assez réticents à l'encontre des notions d' " Etat de droit " et d' " aide aux exclus ", qui fondent en principe l'aide française.

M. Michel Charasse a toutefois considéré que ceci ne permettait pas d'infirmer les principales observations qui le conduisaient à souligner l'efficacité parfois limitée des résultats obtenus par l'aide française accordée à ces trois pays au regard de l'ampleur tout à fait exceptionnelle des moyens financiers et humains lui étant alloués. Il a précisé que le cas de l'Algérie relevait d'une analyse particulière, dans la mesure où l'importance de l'enveloppe semble actuellement difficilement compatible avec le très faible effectif des équipes chargées de la mettre en oeuvre sur place.

D'une manière générale, l'analyse des moyens mis en oeuvre par le ministère des affaires étrangères fait apparaître que la " culture DG " (ex. Direction générale de la coopération culturelle scientifique et technique) reste prééminente, et que le greffon " Coop " n'a pas encore véritablement pris. Prédominent de fait les actions de coopération culturelle, éducative et linguistique, de préférence en direction des élites, par le biais d'une politique de " guichets ", reconduite sans évaluation suffisante, et privilégiant nettement les relations bilatérales, au détriment des nécessités de cohérence et de coordination. Le recours aux subventions et aux achats à opérateurs prévaut nettement sur toute logique de projets, quasiment absente. La dispersion de nos actions conduit à une dissémination qui finit par les rendre assez illisibles. Aucune " stratégie-pays " n'est, à aucun moment, sensible, ni même simplement évoquée.

M. Michel Charasse a tenu toutefois à préciser que les équipes en place étaient handicapées par la conjonction simultanée, sur le terrain, de la mise en oeuvre de la réforme comptable du ministère des affaires étrangères, du maintien d'un système d'établissements à autonomie financière incompatible avec ladite réforme, de la poursuite de la déconcentration, et enfin de la mise en place difficile de la nouvelle Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID). Il a estimé que ceci pouvait expliquer partiellement, sinon justifier, l'insuffisance fréquente du taux de consommation des enveloppes programmées, qui se traduit souvent par une absence de lien entre la programmation et les réalisations.

S'agissant des actions mises en oeuvre par l'Agence française de développement, M. Michel Charasse a estimé que le travail accompli apparaissait de bonne qualité, le plus conforme à la notion d'aide au développement et surtout le plus économe en moyens. Il a toutefois indiqué que le rythme de décaissement des projets paraissait là aussi insuffisant, et amenait à s'interroger de manière générale sur la nécessité de mieux évaluer les projets avant de les proposer à l'approbation du conseil de surveillance de l'AFD.

En revanche, M. Michel Charasse s'est déclaré clairement dubitatif à l'égard de l'action menée par les différents services (Trésor, DREE) qui composent les missions économiques et financières. Richement dotés en hommes et en matériel, travaillant manifestement de façon autonome, se référant directement aux bureaux parisiens plutôt qu'à l'ambassadeur pourtant seul chargé de coordonner l'action de la France auprès des pays partenaires, ces services mettent en oeuvre des enveloppes importantes, qui font apparaître des reliquats considérables, notamment sur les protocoles d'aide projet, et des dispositifs toujours nouveaux qui ne semblent pas parfaitement maîtrisés, notamment pour ce qui concerne les procédures du fonds d'aide au secteur privé (FASEP).

M. Michel Charasse a enfin exprimé l'indignation la plus vive sur l'incapacité communautaire à mettre en oeuvre les crédits européens, en particulier ceux afférents au programme Meda I en principe clos en 1999. Il a indiqué à cet effet que sur une enveloppe globale de 1.242 millions d'euros, soit plus de 8 milliards de francs, un quart seulement avait en définitive été décaissé.

En conclusion, il a estimé nécessaire qu'il soit procédé à une révision approfondie de notre dispositif, y compris de notre contribution européenne, compte tenu de son absence de lisibilité, et de l'insuffisance des résultats obtenus, notamment au Maroc et en Tunisie, au regard de l'ampleur considérable, voire excessive, des moyens financiers et humains qui lui sont consacrés.

M. Michel Charasse a ensuite procédé à la présentation rapide de quelques dossiers, concernant des méthodes de fonctionnement ou des projets mis en oeuvre, qui avaient plus particulièrement retenu son attention et suscité ses réserves.

M. Alain Lambert, président, a proposé au rapporteur spécial de procéder à la publication de son rapport, étant entendu que seraient expurgés les éléments confidentiels relatifs à la diplomatie de la France et les imputations personnelles, et publiées en revanche les réponses éventuelles des administrations concernées.

La commission a alors donné acte à M. Michel Charasse de sa communication, et a décidé d'en publier les conclusions sous forme d'un rapport d'information.

Le rapporteur spécial tient à rappeler que les contrôles sur pièce et sur place ont pour objet de vérifier, dans le cadre de la mission permanente de contrôle conférée aux commissions des Finances du Parlement, " l'emploi des crédits " inscrits par les assemblées dans les lois de finances.

Dans le cadre fixé par l'article 164 de l'ordonnance du 30 décembre 1958, les rapporteurs des commissions des Finances n'ont pas pour mission de porter un jugement sur la politique menée par le gouvernement et financée sur les crédits budgétaires mis à sa disposition : cette appréciation relève des seules Assemblées dans le cadre des procédures constitutionnelles prévues à cet effet.

Il s'agit seulement de vérifier si les dotations budgétaires demandées par le gouvernement sont effectivement mises en oeuvre, dans quelles conditions et selon quelles modalités, et si les dépenses sont régulières au regard des exigences des lois de finances, des règles de la comptabilité publique et, plus généralement, des obligations législatives et réglementaires qui s'imposent au pouvoir exécutif (code des marchés par exemple). Les rapporteurs spéciaux peuvent également porter un jugement sur le coût des actions menées et apprécier leur efficacité au regard de leur poids pour les finances publiques ou des objectifs poursuivis par l'Etat et qui ont été avancés devant le Parlement pour justifier la demande de crédits.

Les observations formulées à propos des actions menées par le gouvernement grâce aux crédits budgétaires dont il dispose ne sauraient donc préjuger des appréciations que seul peut porter le Parlement sur le bien-fondé de cette politique.

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