II. OBSERVATIONS SUR L'ALGÉRIE

A. APPRÉCIATION GLOBALE DE LA SITUATION DU PAYS

Près de dix-huit mois( à la date de la mission de contrôle) après l'élection du Président Bouteflika, le 15 avril 1999, la situation politique et économique semble encore incertaine, et le " partenaire " algérien d'approche malaisée.

Les entretiens avec des personnalités algériennes ont été limités -en particulier, le rapporteur spécial n'a rencontré aucun membre ni représentant politique de l'équipe gouvernementale- en raison certes du contexte sécuritaire et des difficultés de déplacement, mais peut-être aussi parce que ni l'habitude ni le " coeur " n'y portent naturellement. Toutefois, plusieurs contacts très intéressants ont été organisés avec des représentants du ministère des Affaires étrangères et des responsables du secteur économique et bancaire.

La notion de " partenariat ", principe de base de la politique française d'aide au développement, n'est pas encore un concept qui paraît naturel ou même seulement opérationnel à nos interlocuteurs. En particulier, les esprits algériens ne semblent ni prêts, ni encore préparés, à des projets de " transition vers la démocratie " 6 ( * ) .

Prédomine enfin un sentiment prégnant de méfiance et de raideur structurelles, ancrées dans une farouche volonté d'autonomie -Nord/Sud, mais aussi Est/Ouest.

Les différents éléments d'information recueillis, de manière nécessairement rapide, au cours de divers entretiens et à la lecture des documents remis et de la presse locale de quelques jours à peine, soulignent la persistance d'incertitudes importantes :

- maintien de la menace de l'islamisme radical 7 ( * ) ; présence toujours forte, semble-t-il, de la hiérarchie militaire sur l'action du chef de l'Etat, dont la marge de manoeuvre et la volonté politique réelles sont parfois difficiles à jauger ; ancrage profond, même chez les interlocuteurs apparemment les plus " éclairés ", de divisions et de conservatismes ainsi que de réflexes intellectuels hérités de l'ère du parti unique et de l'économie administrée ; absence de réel débat politique et absence manifeste d'ailleurs d'une véritable " classe politique " ; bureaucratie omniprésente et parfois corrompue 8 ( * ) .

Si nous ne sommes plus à l'époque des grands massacres comme en 1995-1997, la violence n'a pas disparu pour autant, y compris aux portes d'Alger -50 à 60 morts par semaine à l'été 2000, en liaison étroite -dit-on, et souligne la presse- avec chaque déplacement à l'étranger du président Bouteflika.

En réalité, quels que soient les efforts des autorités locales, l'amélioration réelle de la sécurité ne peut être considérée comme vraiment irréversible.

Parallèlement, la structure économique et sociale de l'Algérie reste porteuse de risques et de conflits potentiels. L'économie repose de façon quasi exclusive sur la " rente pétrolière " -en 1999, les recettes pétrolières ont représenté 97 % des exportations, 55 % des recettes budgétaires, 25 % du PIB-, tandis que les secteurs hors hydrocarbures stagnent et que le dinar se déprécie. Pour autant, l'amélioration du cours du baril ne s'est pas traduite par une amélioration notable de la situation économique et budgétaire, de nature notamment à débloquer les facilités d'ajustement structurel mises en place par les bailleurs multilatéraux (Fonds monétaire international et Union européenne).

La structure de l'économie se caractérise par la coexistence de trois secteurs : le secteur public, composé de six holdings nationaux et cinq holdings régionaux, qui représente environ 50 % du PIB ; un secteur privé formel, composé de petites et moyennes entreprises -728.000  selon une étude de la Banque mondiale-, dont la contribution au PIB se situe, selon les sources, entre 40 % et 45 % ; enfin un secteur informel, complémentaire du précédent, et particulièrement important puisqu'il procure un emploi ou des ressources complémentaires à une partie significative de la population (1,4 million de personnes, soit près du quart de la population active).

Avec une croissance démographique de 1,6 % par an, nettement plus rapide que la croissance économique, le PIB par habitant a été divisé par deux depuis 1990 (1.550 dollars en 1999 contre 3.524 dollars en 1990). Le taux de chômage est proche de 30 %. La crise du logement est particulièrement aiguë (douze personnes en moyenne par logement à Alger, hérissée de chantiers immobiliers en panne). La moitié de la population a moins de vingt ans. Résultat immédiat : beaucoup de jeunes inoccupés, qui s'attroupent rapidement, à toute heure du jour. Il est clair que si " chantiers " nouveaux de coopération il faut renforcer, ceux concernant l'éducation, la formation professionnelle, mais aussi les " loisirs " sportifs ou culturels ont une évidente utilité.

Réponse du ministère des Affaires étrangères

Parmi les nouveaux " chantiers " de la coopération, il faut citer :

- un projet Fonds de solidarité prioritaire " formation professionnelle " en cours d'élaboration ;

- un accord-cadre signé le 26 avril 2000 à l'occasion de la visite en Algérie de la ministre de la jeunesse et des sports, dont de nombreuses mesures sont en cours de réalisation ;

- un ensemble de mesures pour engager un dialogue stratégique sur le tourisme des Algériens en Algérie et le développement de centres de loisirs et de camps de vacances pour jeunes, suite à la visite de la secrétaire d'Etat au tourisme en janvier dernier.

La rénovation en cours de la coopération avec l'Algérie a fait l'objet d'un mémorandum signé en avril 2000, de la réunion du Comité des projets franco-algériens en octobre 2000 et de l'accord de rénovation du Programme des boursiers franco-algériens en janvier 2001.

Au total, si, comme cela ressort des différentes déclarations officielles qui ont clôturé la visite en France du président Bouteflika du 14 au 17 juin 2000, qualifiée d'" étape majeure de la relation franco-algérienne ", il est urgent de " marquer la volonté partagée par la France et l'Algérie de donner un nouveau cadre à la rénovation de la relation bilatérale et de définir les secteurs prioritaires de coopération ", la tâche confiée au nouvel ambassadeur apparaît assez redoutable, quelles que soient l'éminence de ses qualités personnelles et de ses compétences professionnelles, ceci expliquant sans doute cela.

La difficulté de l'exercice paraît toutefois accrue par le caractère encore trop " ramassé " de l'équipe dont il disposait à l'été 2000.

En tout état de cause, il apparaît pour le moins " cohérent " avec les déclarations politiques faites au plus haut niveau -et la décision largement annoncée dans le cadre du budget 2001 de rouvrir des consulats et des centres culturels en Algérie- de sérieusement modifier le dispositif sécuritaire toujours en vigueur : un escadron complet de gendarmerie affecté en permanence à Alger (pour un coût annuel de 50 millions de francs), et relevant directement du ministère de la défense -ce qui ne facilite pas nécessairement la tâche du chef de poste- ; un personnel vivant en camp retranché 9 ( * ) , sans contact quasiment, sinon " ancillaire ", avec la population locale -ce qui ne facilite pas l'établissement de réseaux de " partenariat "-, camp confortable et coquet certes, sinon luxueux, mais inévitablement source d'un sentiment d'enfermement et d'isolement, d'ennui ou de mauvais esprit, de lassitude ou d'énervement, assez clairement ressentis en peu de temps. Ainsi personne ne peut sortir du " camp ", sinon avec deux voitures blindées et quatre gendarmes, dûment prévenus 48 heures ou 72 heures à l'avance.

D'où une certaine stupéfaction de votre rapporteur spécial face à l'annonce sur place de l'arrivée imminente, courant juillet 2000, de 123 jeunes de Stains et Vaulx-en-Velin, "pour des vacances " -sans aucune mesure de sécurité particulière- dans deux camps de la campagne algérienne (Zeralda et Sidi Fredje), à la suite d'un accord bilatéral passé entre Mme Marie-Georges Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, et son homologue, M. Abdelmalek Sellal, dans le cadre d'un " programme de relance de la coopération dans les domaines de la jeunesse et des sports " 10 ( * ) .

Les échanges -limités- avec quelques représentants d'entreprises françaises laissent percevoir le maintien d'un certain attentisme. Certes, l'accord franco-algérien de protection des investissements ratifié en 1994 par l'Algérie l'a enfin été par la France le 20 janvier 2000. Toutefois, les incertitudes sécuritaires, la persistance de contentieux non réglés et le maintien du classement risque-pays en catégorie 6 continuent manifestement de peser sur les décisions des entrepreneurs français. Enfin et surtout, la mise en oeuvre concrète par les autorités politiques du processus de privatisation constitue, à l'évidence, une incontournable condition de déblocage 11 ( * ) . Or, en l'état actuel, le passage réel à l'économie de marché n'est pas affiché comme une urgente priorité.

Algérie
Principaux chiffres*

- Superficie : 2.381.740 km 2 , dont 85 % de désert

- Population : - 30 millions (+ 1,8 % par an)

- 50 % de la population a moins de 20 ans

- taux de chômage : 33 % (80 % des chômeurs ont moins de 30 ans)

- PIB : - 47,8 milliards de dollars

- + 0,5 % par an de 1990 à 1998 ; + 3,2 % en 1999

- 1.640 dollars/ha

- Déficit budgétaire : 1,9 % du PIB en 1999 (3,9 % en 1998)

- Dette extérieure : 60 % du PIB (25,5 milliards de dollars)

- Inflation : 2 % (30 % en 1995)

- Exportations françaises vers l'Algérie :

15,9 milliards de francs (premier fournisseur)

- Importations françaises en provenance d'Algérie : 9,7 milliards de francs

- Excédent commercial français : 6,1 milliards de francs (6,5 en 1998)

- Investissements français en Algérie : 340 millions de francs de 1990 à 1998

(hors hydrocarbures)

- Entreprises françaises présentes en Algérie :

Totalfina, Elf, Synthelabo, Rhône-Poulenc, Pierre Fabre, Castel (projet),
Danone (projet), RVI (projet).

- 9.200 Français immatriculés en Algérie.

- 800.000 Algériens en France, dont près de 300.000 double-nationaux.

* 1999, sauf spécifié autrement.

* 6 L'unique préoccupation, voire le seul intérêt, exprimés par les interlocuteurs du Ministère des Affaires étrangères a été celle de la réouverture de la ligne Air France.

* 7 La nomination de Abdelaziz Belkhadem, proche du FIS et d'états islamiques comme l'Iran, le Pakistan ou le Soudan, comme nouveau ministre des affaires étrangères, a suscité ainsi de nombreuses interrogations.

* 8 " marifa " et " chipa " -pots de vin et piston- sont, si l'on peut dire, " monnaie courante ".

* 9 En tout état de cause, le parc Pelzer paraît avoir atteint son taux d'occupation maximum. Le renforcement de personnels passe nécessairement par l'acquisition ou la viabilisation de logements supplémentaires, et un sérieux effort de rationalisation et de remise en état du parc immobilier extérieur, actuellement largement inoccupé.

* 10 Le déplacement sur le terrain de l'ambassadeur et l'étonnement manifesté par votre rapporteur spécial, qui s'en est vivement ému auprès du Quai d'Orsay, ont conduit à annuler cette opération.

* 11 A cet égard, le départ de l'ancien Premier Ministre Ahmed Benbitour, opposé au démantèlement des holdings d'Etat comme préalable à la privatisation peut constituer un signal positif.

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