ANNEXE 17 - COLLOQUE L'HOMME DANS L'ESPACE

MERCREDI 28 JUIN 2000

OFFICE PARLEMENTAIRE D'EVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

La séance est ouverte à 14 h 10 sous la présidence de Monsieur le Sénateur Henri REVOL .

M. LE PRESIDENT - Monsieur le Ministre, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

A la suite d'une saisine du Sénat, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques m'a chargé d'un rapport sur le bilan et les perspectives de la politique spatiale française.

J'avais organisé l'année dernière, au mois de Mars, un colloque sur le thème « L'espace aujourd'hui et demain » , ici au Sénat, qui m'avait permis de démarrer les travaux qui m'étaient confiés, d'avoir de grandes orientations, d'examiner aussi les aspects industriels et donc donner de précieux éléments d'information permettant de construire petit à petit ce rapport dont on m'a chargé.

Ce rapport - je le signale, mais vous toutes et vous tous qui vous intéressez au monde spatial le savez - va faire suite à un rapport de 1990 du Sénateur LORIDANT que je remercie d'être présent aujourd'hui et donc, en cette fin de siècle, du moins je l'espère, faire le point de la politique spatiale française et européenne et, si possible, comporter un certain nombre de recommandations.

Il y a quelques mois, j'ai souhaité que le Parlement offre une tribune à tous ceux qui s'intéressent à la problématique de « L'homme dans l'espace » et je suis très honoré d'accueillir aujourd'hui les nombreuses personnalités qui ont accepté de venir donner leur opinion et faire part de leur expérience.

Parmi les députés, je salue particulièrement le Député DUCOUT, Président du Groupe parlementaire de l'espace qui réunit des députés et des sénateurs français, et des députés européens qui s'intéressent à l'espace et qui s'attache à donner une bonne information à tous les parlementaires.

Parmi les intervenants que je remercie beaucoup d'avoir accepté de participer à ces tables rondes - il y en aura deux dans l'après-midi - je suis particulièrement heureux puisque l'occasion m'en est donnée, de féliciter Monsieur ZAPPOLI du CNES et Monsieur BEYSENS du CEA qui se sont vu décerner, il y a quelques jours, un Grand prix de l'Académie des Sciences.

Je vous demande de bien vouloir excuser Monsieur Paul QUILES, ancien ministre, président de la Commission de la Défense à l'Assemblée Nationale, qui a dû se rendre inopinément dans sa circonscription et qui devait participer à nos travaux.

Je remercie tout particulièrement les astronautes qui, de divers horizons, sont venus participer à notre réflexion ainsi que les représentants des Agences spatiales américaines et Canadiennes et de la Société russe ENERGIA.

Je salue également la présence de ceux qui ont bien voulu représenter l'industrie spatiale française et la communauté des chercheurs.

Je remercie enfin profondément Monsieur Roger-Gérard SCHWARTZENBERG, ministre de la Recherche, qui a accepté de bien vouloir venir ouvrir nos travaux. Je lui donne immédiatement la parole afin qu'il nous donne son point de vue et nous éclaire sur sa conception de la politique spatiale de notre pays.

Monsieur le Ministre, je vous donne la parole.

* ALLOCUTION DE MONSIEUR LE MINISTRE DE LA RECHERCHE

M. Roger-Gérard SCWARTZENBERG - Merci, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux de pouvoir répondre à la très aimable invitation du Président REVOL et d'ouvrir aujourd'hui avec vous, ce colloque sur « L'homme dans l'espace » , organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Ayant été moi-même parlementaire au cours des quatorze dernières années - de 1986 au 27 mars 2000, ce qui est tout de même encore très récent - j'accorde bien sûr la plus grande importance à ce qu'expriment les parlementaires qui sont les porte-parole les plus naturels, et les seuls légitimes d'ailleurs, de leurs concitoyens et qui, par conséquent, ont beaucoup à nous apporter par leurs réflexions et leurs prises de position.

Je suis toujours très frappé par la grande qualité des rapports faits par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

En ce qui concerne ce sujet, « L'homme dans l'espace » , chacun se souvient encore, je crois, de cette soirée de juillet 1969 - en tout cas soirée pour les Français par rapport à l'heure qu'il faisait et sans doute aussi pour d'autres - où le premier astronaute, Neil ARMSTRONG, a été le premier à poser le pied sur la Lune, chacun s'en souvient : « un petit pas pour l'homme, un grand pas pour l'humanité ».

Nous savons que la conquête de l'espace est une très grande aventure humaine qui mobilise beaucoup l'imagination, l'opinion publique et nos concitoyens. Et nous savons aussi qu'elle est à l'origine de très grandes informations ou découvertes scientifiques.

La France a progressivement acquis une compétence tout à fait incontestable et incontestée en matière de vols habités. C'est en 1982 que, pour la première fois, un Français, Jean-Loup CHRETIEN, était envoyé dans l'espace à bord de la station Saliout 7, dans le cadre d'une coopération avec la Russie.

Depuis, douze autres missions ont été réalisées :

- six avec les Russes à bord de la station Mir,

- six autres à bord des navettes spatiales américaines.

L'année 1999 a été particulièrement riche à cet égard puisqu'elle a donné lieu à deux vols dont un de très longue durée pour Jean-Pierre HAIGNERE qui est le recordman de la durée, excepté l'astronaute russe qui est resté encore un peu plus longtemps. Il est en tout cas médaille d'argent incontestée pour les vols de longue durée, je tiens particulièrement à le saluer.

Les astronautes français ont pu ainsi acquérir des compétences reconnues par tous :

- Jean-Pierre HAIGNERE est le directeur du Centre des astronautes de l'ESA, situé à Cologne en Allemagne,

- Claudie ANDRE-DESHAYS, qui est de surcroît, comme vous le savez, médecin, est désormais qualifiée pour être commandant de bord de Soyouz pendant la phase de retour sur terre.

Peu de temps après ma prise de fonction au ministère, le 29 avril dernier, j'ai souhaité pouvoir rencontrer Jean-Pierre HAIGNERE et Claudie ANDRE-DESHAYS pour saluer le courage et la compétence de nos astronautes.

J'ai eu le plaisir de rencontrer Jean-François CLERVOY à l'Assemblée Nationale la semaine dernière, à l'occasion d'une manifestation organisée par le groupe parlementaire sur l'espace, présidé par notre ami Pierre DUCOUT, présent dans cette salle.

Comme vous le savez, c'est un grand spécialiste des manipulations robotiques spatiales qui seront tout à fait primordiales dans le processus d'assemblage de la station spatiale internationale. Il les a illustrées récemment et remarquablement dans la délicate mission de réparation du télescope Hubble.

Je voudrais également saluer Monsieur FAVIER.

Il ne m'est pas possible, bien sûr, de citer ici les qualités de chacun des astronautes français qui, à l'exception de Philippe PERRIN, sont désormais intégrés au corps européen des astronautes de l'ESA, mais je tiens ici à leur rendre hommage.

Ces missions ont également permis aux équipes du CNES de se spécialiser dans tous les domaines de la préparation puis de la réalisation d'un vol spatial habité de courte ou longue durée :

- conception et qualification des équipements des expérimentations,

- rédaction des procédures de vol,

- validation des protocoles opérationnels,

- suivi des opérations,

- suivi médical des astronautes.

Ces expérimentations ont également permis la création d'une communauté scientifique dans le domaine de la microgravité et de la médecine spatiale. Il me paraît tout à fait nécessaire de maintenir ces compétences et de les développer dans l'attente du début de l'exploitation de la Station spatiale internationale à l'horizon 2005.

Comme vous le savez, nous sommes engagés dans cette opération de la station spatiale internationale, par des accords signés notamment en 1995, en souhaitant bien sûr que nous restions dans le coût de l'enveloppe tel que fixée à Toulouse en 1995.

Puisqu'il y a cette station spatiale internationale qui correspond à un grand projet, je pense qu'il est tout à fait souhaitable qu'entre maintenant, l'année 2000, et l'année 2005 qui sera l'année de la mise en service, nos astronautes puissent continuer à maintenir et à renforcer encore leurs qualifications et que, par conséquent, des opportunités de vol puissent leur être offertes.

C'est ce dont je me suis entretenu, il y a déjà plusieurs semaines avec les responsables du CNES, Monsieur BENSOUSSAN et Monsieur BRACHET et avec les responsables de l'ESA.

Il faut se garder cependant d'ouvrir une controverse théologique entre vols habités et vols automatiques car les uns et les autres ont leur utilité.

Les vols habités permettent non seulement de réaliser des expériences en microgravité, ce que les vols automatiques peuvent également obtenir, mais aussi de fournir des informations précieuses sur le système cardio-vasculaire et sur les physiologies neuro-sensorielle, osseuse et musculaire.

Les astronautes disent souvent - en tout cas ils me l'ont dit - que, de surcroît, la présence d'hommes ou de femmes dans ces vols oblige les techniciens et les agences à faire des efforts renforcés de sécurité. La présence humaine est donc un facteur qui, par-là même, peut apporter encore des enseignements ou des actions accrues en matière de renforcement de la sécurité et de la précision.

Par ailleurs je souhaite promouvoir le développement des applications de l'espace au service de la société et de l'avancement des connaissances. Je pense naturellement ici au programme Galileo et au développement des télécommunications spatiales qui contribuent à faire entrer encore davantage l'Europe dans la société de l'information et qui représentent des enjeux stratégiques et économiques majeurs.

Les moyens spatiaux peuvent également apporter une contribution essentielle à la surveillance et donc à la meilleure protection de l'environnement ainsi qu'à une meilleure information sur les ressources durables comme l'eau, donc à une meilleure gestion de celle-ci.

C'est pourquoi, à mon sens, l'Europe doit réfléchir activement au projet GMES (Global monitoring for environnement et security).

Enfin les systèmes spatiaux contribuent à apporter des réponses aux questions fondamentales que sont l'origine de l'univers et son évolution. Et ces systèmes ont révolutionné bien des disciplines scientifiques.

Comme vous le savez, la France souhaite participer à l'exploration martienne et au programme Mars Sample Return, programme de retour d'échantillons de Mars, qui fait intervenir bien sûr la NASA en priorité avec la puissance qui est la sienne, mais aussi la France.

Ce programme est essentiel pour la recherche, Mars est en effet la seule planète qui, avec la Terre, a pu réunir, à un moment de son histoire, les conditions nécessaires à l'émergence d'éventuelles formes de vie. La confirmation récente de la présence d'eau sur Mars est un signe qui va sans doute encore conforter ceux qui souhaitent que l'exploration martienne aille de l'avant.

La question de l'exploration martienne me conduit à revenir vers les vols habités.

Comme vous le savez les Etats-Unis envisagent de plus en plus d'envoyer l'homme sur Mars, à long terme bien sûr. Il est prématuré de fixer la date d'une telle aventure, mais Mars constituera vraisemblablement la nouvelle frontière de l'humanité au XXIe siècle.

De telles expéditions - c'est en effet bien le terme qui convient - ont naturellement une forte capacité de mobilisation du public. C'est une caractéristique plus générale des vols habités que je voudrais souligner pour terminer.

Ceux-ci constituent un formidable outil pédagogique pour l'éveil de la jeunesse aux sciences et pour la culture scientifique et technique du plus grand nombre. Dans ce domaine, les astronautes français, leurs collègues européens, américains, russes ainsi que d'autres nationalités encore, le CNES et l'Agence spatiale européenne ont su faire partager leur enthousiasme à nos concitoyens.

Votre colloque, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, est donc particulièrement intéressant pour débattre de ce thème dont je sais qu'il a suscité, dans un passé assez récent, des appréciations qui n'étaient pas toutes superposables les unes aux autres, s'agissant des vols habités.

La réflexion que vous allez engager sera donc vraiment très utile pour contribuer à fixer notre propre détermination et notre propre position, même si chacun, au-delà même seulement du raisonnement scientifique ou technologique, a peut-être une prédisposition ou une sensibilité particulière à porter une appréciation positive ou moins positive sur les vols habités.

Ceci, sachant ce qu'ils représentent, en tout cas pour les premiers, de capacité à poursuivre l'aventure humaine qui a marqué plusieurs étapes en ce qui concerne les pôles, les océans, l'Everest, la Lune et avec l'ambition de ne pas s'arrêter là pensant que l'espace est infini, que la connaissance l'est aussi et qu'il serait dommage de décider de marquer le pas.

En tout cas votre colloque - je ne pourrai malheureusement pas y assister car je dois me rendre à l'Assemblée Nationale pour les questions d'actualité - contribue à rapprocher, si vous me permettez l'expression, le ciel et la terre, tous les acteurs du spatial et nos concitoyens.

Il n'y a finalement pas de tâche plus importante en démocratie que de débattre avec nos concitoyens et avec ceux qui les représentent, les parlementaires, des grands enjeux du futur.

L'espace, je le pense fondamentalement, doit être l'affaire de tous, car, en démocratie, les grands choix doivent être l'affaire de tous !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur le Ministre, nous savions que vous seriez obligé de nous quitter.

Je vous remercie beaucoup d'avoir accepté d'ouvrir nos travaux qui sont des travaux parlementaires ; or, je suis chargé d'un rapport parlementaire. Je sais cependant à n'en pas douter que même si l'Office parlementaire émet des rapports à la disposition de ses collègues parlementaires, si le Gouvernement le veut bien, il est aussi l'inspirateur de différentes politiques.

En particulier, je pense et j'espère qu'il apportera un éclairage sur les voies à suivre pour la politique spatiale française.

Je vais maintenant donner la parole à Monsieur Bruno ROUGIER, journaliste, qui va assurer le rôle de meneur de jeu et qui va prendre la direction des opérations.

M. ROUGIER - Merci beaucoup Monsieur le Sénateur.

Je vais rapidement vous indiquer le déroulement de cette journée.

Nous avons deux débats consacrés :

- pour le premier, à l'utilité de l'homme dans l'espace,

- pour le second, à l'espace extraterrestre et au destin de l'humanité.

Les deux débats seront organisés de la même manière ; pendant environ 1 h 30, nous allons débattre entre nous autour de cette table. A la fin de chacun de ces débats, un rapporteur fera le bilan de cette table ronde. Pour la première table ronde, ce sera Jean-Jacques FAVIER.

Ensuite je me tournerai vers la salle, pour une séance de questions d'une vingtaine de minutes environ.

PREMIERE TABLE RONDE : QUELLE EST L'UTILITE DE L'HOMME DANS L'ESPACE ?

M. ROUGIER - Je ne vous ferai pas l'injure, car beaucoup d'entre vous sont des spécialistes du spatial, de vous rappeler que la grande aventure spatiale a commencé en avril 1961 avec Youri GAGARINE.

Je suis persuadé qu'au moment où Youri GAGARINE s'est envolé pour l'espace à bord de son vaisseau, il savait qu'il ouvrait la voie à une grande aventure. A part quelques visionnaires, je suis persuadé que personne n'imaginait ce que serait le monde spatial.

Les stations spatiales sont arrivées assez vite, dès 1871 nous avons vu la première. Et il est vrai qu'aujourd'hui nous pourrions considérer que l'espace est quelque chose d'habituel ; personne ne s'étonne, ni ne s'émeut de voir partir des navettes ou des fusées avec, à leur bord, des hommes, et pourtant c'est encore une aventure !

Certains diront que le rôle de l'homme dans l'espace est indispensable, d'autres non, il peut être remplacé : ce sera l'objet du débat de cette première table ronde.

Il est vrai que si nous avons admiré les images de la réparation de Hubble - et mon voisin y est pour beaucoup avec toute l'équipe qui a travaillé dessus -, il est vrai aussi que des hommes ont travaillé des centaines d'heures dans des laboratoires de recherche, j'aurais presque tendance à dire, un peu dans l'anonymat.

Quel bilan peut-on faire des vols habités ?

La microgravité est-elle un état qui peut véritablement faire avancer la recherche ?

Ce sera le thème de cette première table ronde et nous pourrons nous demander aussi pourquoi on construit encore aujourd'hui une station spatiale internationale, cette station dont les deux premiers éléments ont été assemblés -un troisième arrivera au cours de l'été- et l'équipage, lui, arrivera à la fin de l'année.

Une chose est sûre : aujourd'hui, aucun des grands pays qui se sont lancés dans la conquête spatiale n'a abandonné.

Si nous regardons par exemple les Russes, nous pouvons dire qu'à l'heure actuelle ils ont deux fers au feu puisque s'ils sont encore sur la station spatiale internationale, et également sur Mir.

Les Américains n'ont jamais remis en cause leur participation à des programmes spatiaux.

Nous pouvons même dire que d'autres se lancent, tels le Japon, le Canada.

Avec la station spatiale internationale, l'Europe se lance encore davantage dans le vol habité.

Et la Chine apparaît.

Globalement, lorsque nous regardons le paysage, nous voyons que personne, aujourd'hui, parmi les grandes puissances, n'a décidé de se retirer.

Ce sera certainement une question que nous allons aborder, mais avant de lancer vraiment le débat, je voudrais me tourner vers Paul LORIDANT.

Monsieur le Sénateur, il y a dix ans, vous avez fait un rapport. Dix ans après, quel regard avez-vous sur ce rapport : des choses vous ont-elles étonné dans les dix ans qui se sont écoulés ?

Auriez-vous envie aujourd'hui de retirer ou d'ajouter certaines choses à votre rapport ?

M. LORIDANT - Lorsque j'étais tout jeune sénateur, élu depuis à peine deux ans, et que je me suis lancé dans le rapport de l'Office parlementaire sur la politique spatiale, j'explorais un terrain tout neuf pour moi puisque je venais de la Banque de France et ne savais que compter les billets. J'ai donc découvert un milieu intéressant.

Le monde de l'espace en France est un petit milieu avec 20 ou 30 000 personnes, où tout le monde se connaît et sur lequel j'avais un regard neuf.

Je dois dire, pour vous mettre tout de suite dans l'ambiance, qu'un des premiers débats qui est très vite apparu, était qu'il y avait un conflit de « doctrines » entre les uns qui étaient pour accélérer les vols habités et les autres qui étaient des farouches opposants aux vols habités.

Je ne sais pas si le débat a beaucoup progressé aujourd'hui car il me semble qu'il perdure toujours, excepté qu'au bout de dix ans, je constate qu'on a poursuivi les vols habités.

Tous les centres que j'ai pu visiter, que ce soit à Baikonour ou aux Etats-Unis ont continué les vols habités et d'autres puissances, qui avaient des velléités de devenir des puissances spatiales, le sont réellement devenues.

J'ai donc le sentiment, pour situer le contexte, que pour être une grande puissance au XXIe siècle, il faut avoir une dimension spatiale.

Je vois qu'en dépit de ses difficultés, la Chine a accéléré son programme, que le Japon continue, que l'Europe fait des efforts méritoires pour mieux se coordonner. Si une chose me paraissait évidente dans les années 1990, 1991, c'était que l'Europe jouait en ordre dispersé, j'ai le sentiment qu'elle a progressé vers davantage de cohérence mais qu'il y a encore des progrès à faire.

Je constate que l'Union soviétique, puis la Russie aujourd'hui, perdurent dans les programmes spatiaux en dépit de leurs difficultés.

L'enjeu spatial demeure donc !

Qu'est-ce qui a fondamentalement changé ?

Des choses se sont passés que peut-être vous, professionnels, ne voyez pas.

Lorsqu'on posait la question, il y a un peu plus de dix ans, des chapelets de satellites tournant autour du globe, cela paraissait une hypothèse qui n'était pas très sûre, qui était contestée. On ne pensait pas que ces microsatellites en orbite basse auraient du succès. Or je constate que cela a été beaucoup plus vite qu'on ne le pensait. Il y a eu ces chapelets de satellites en orbite basse et les télécommunications en matière spatiale sont devenues un élément central -c'était pointé et prévisible- et il y a eu cette velléité de microsatellites.

Pour le reste, je considère que le débat sur « Faut-il que l'homme aille dans l'espace ou non ? » demeure d'actualité.

J'avais beaucoup de mal car, parmi les experts qui m'accompagnaient pour faire ce rapport -il y en avait une petite dizaine-, certains étaient de farouches partisans des vols habités, d'autres de farouches opposants. Comme parlementaire, j'étais au noeud des contradictions. Des journalistes spécialistes me demandaient comment j'allais pencher, je ne savais pas trop.

Je constate simplement que le débat demeure aujourd'hui, il y a eu des vols habités, mais, par ailleurs - et c'est plutôt une réflexion philosophique que scientifique - plus on interdit à l'homme d'aller quelque part, plus il a envie d'y aller.

L'idée que l'homme n'irait pas dans l'espace ou que ce n'était pas une priorité était un faux problème puisque, de toute façon, c'est comme la découverte des océans. C'était dangereux de traverser l'océan et de découvrir l'Amérique. C'est sans doute dangereux d'aller dans l'espace puisque ce n'est pas un milieu naturel pour l'homme, puisqu'on ne peut y vivre comme sur terre.

Je constate cependant qu'on y va et qu'on ira encore parce que c'est un défi permanent à l'homme - et c'est encore une réflexion philosophique -, on veut aller où c'est interdit et découvrir de nouveaux espaces pour faire avancer la recherche.

A mon avis, les vols habités interviendront, il y en aura de plus en plus en dépit des difficultés. La seule question qui peut se poser est la suivante : à l'instant T faut-il donner davantage la priorité aux vols automatiques ou aux vols habités ?

Cette question peut se poser, mais sur le long terme je vois mal comment on interdira à l'homme ou à la femme d'aller dans l'espace car c'est la destinée de l'homme de découvrir ce qu'il ne connaît pas.

M. ROUGIER - Merci beaucoup !

Je vous présente rapidement l'ensemble des intervenants de cette première table ronde et j'ai choisi l'ordre alphabétique pour le faire :

- Claudie ANDRE-DESHAYS, astronaute à l'ESA,

- le Professeur Alain BERTHOZ, directeur du laboratoire de physiologie de la perception et de l'action au Collège de France,

- Daniel BEYSENS, directeur de laboratoire à la Direction des Sciences de la matière au CEA,

- Jean-François CLERVOY, astronaute à l'ESA,

- Jean-Jacques FAVIER, astronaute, directeur adjoint des techniques spatiales au CNES,

- Jörg FEUSTEL-BÜECHL, directeur des vols habités et de la microgravité à l'ESA,

- le Professeur Claude GHARIB, professeur des universités, laboratoire de physiologie de l'environnement à l'université Claude Bernard Lyon 1,

- Antonio GÜELL, responsable des programmes Sciences de la Vie au CNES,

- le Sénateur Paul LORIDANT,

- Vincent MIKOL D'AVENTIS PHARMA,

- Alexandre POLECHTCHOUK, pilote-cosmonaute russe qui représente RSC ENERGIA,

- Lionel SUCHET, responsable du département exploitation des stations spatiales au CNES à Toulouse,

- Michel VACHON, directeur général du Bureau des astronautes canadiens, AGENCE SPATIALE CANADIENNE,

- Bernard ZAPPOLI, responsable du programme de sciences physiques en micro-pesanteur au CNES.

Madame et Messieurs, je vous demanderai simplement de donner les réponses les plus brèves possible et si vous souhaitez intervenir au cours du débat, faites-moi signe de manière que je puisse vous donner la parole aussi régulièrement que possible.

Je rappelle qu'aux environs de 16 h 00, Jean-Jacques FAVIER fera la synthèse de cette table ronde puis vous, qui êtes dans la salle, pourrez poser toutes les questions que vous souhaitez.

Nous allons peut-être commencer par vous, Claudie ANDRE-DESHAYS, avec une question à la fois simple et centrale : pourquoi aujourd'hui l'homme va-t-il dans l'espace ? Et nous pouvons dire est-il , car depuis pratiquement trente ans, il n'a pas cessé d'y aller.

Mme ANDRE-DESHAYS - Vous me demandez de répondre brièvement à une question difficile.

Depuis près de quarante ans maintenant, l'homme va dans l'espace. Il y est d'une façon quasi permanente, comme nous l'avons évoqué, les grandes puissances n'ont pas renoncé à leurs programmes spatiaux habités et même de nouvelles puissances émergent et s'y intéressent.

En fait, j'ai simplement envie de retourner la question. En prenant conscience que l'homme est dans l'espace, qu'il y sera, qu'il y a un devenir, si l'Europe n'y participe pas ou n'y est pas présente d'une façon suffisamment visible et identifiable, il faut se demander de quoi elle se prive.

Je crois que nous pouvons peut-être lancer le débat de cette façon, en faisant le point de ce qui a été acquis et de ce qui reste à acquérir, qui montre l'utilité de l'homme dans l'espace en se plaçant dans la perspective d'une participation moindre ou importante ou soutenue.

M. ROUGIER - Je disais au début de ce débat que tous les pays qui se sont engagés dans l'espace, dans les vols habités, y sont aujourd'hui, aucun ne s'est retiré, aucun n'a dit que ce n'était plus la peine d'y aller. C'est peut-être, dès le départ, quelque chose qu'il faut bien rappeler.

Mme ANDRE-DESHAYS - Il est vrai que l'acuité de la question est essentiellement là, en Europe, actuellement. C'est ce qui nous réunit aujourd'hui pour ce débat et je crois qu'il faut effectivement envisager l'ensemble des enjeux, qu'ils soient politiques, stratégiques, techniques et scientifiques pour trouver sa place dans ce débat.

M. ROUGIER - Justement, Monsieur FEUSTEL-BÜECHL, à l'heure actuelle, l'Europe est tout à fait présente sur la station spatiale internationale. Nous pouvons justement poser la question, rebondir sur ce que vient de dire Claudie ANDRE-DESHAYS : pourquoi aujourd'hui l'Europe est-elle présente dans cette station ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - L'Europe a pris la décision de participer à la station en 1995 à Toulouse. A notre avis, quatre motivations étaient derrière cette décision :

1. Une motivation politique

La station spatiale internationale est de loin le plus grand programme spatial jamais entrepris sur la base d'une coopération internationale. Presque toutes les grandes puissances spatiales concentrent leurs efforts sur ce programme. Il est peu probable qu'une autre station soit réalisée dans un avenir à court terme.

Cette coopération entre les Etats-Unis, les Russes, les Japonais, les Canadiens et les Européens a une fonction de phare et de bâtisseur de chemin en abattant les obstacles politiques et culturels, et en créant un climat de confiance mutuelle qui posera les fondations pour d'autres projets de coopération dans d'autres domaines que le spatial.

C'est une des premières motivations.

2. Une motivation technologique, souvent oubliée

Le développement d'une nouvelle technologie, la réalisation de la station spatiale, offre aux industriels européens des possibilités intéressantes dans le domaine :

- de l'informatique,

- des systèmes de pilotage,

- de la robotique ; ceci sans être contradictoire avec l'homme dans l'espace,

- du système de contrôle de vie des étages supérieurs des lanceurs,

- et du système de rentrée.

Dans la gestion de grands programmes, je pense que la station est vraiment importante.

3. Une motivation concernant l'opération et l'utilisation

La station sera disponible sans interruption. Un équipage l'habitera en permanence, on pourra y accéder fréquemment, de manière régulière.

Ses ressources en termes de capacité de laboratoire, des installations extérieures, d'énergie électrique, du traitement des données et des télécommunications contribueront à en faire une plate-forme performante qui fera progresser la science et accélérera les innovations technologiques.

Etre absent d'un tel programme n'était vraiment pas acceptable.

4. La station est un passage obligé pour le futur, pour les programmes mentionnés par M. Roger-Gérard SCHWARTZENBERG.

Il y a la mission sur Mars, ainsi que d'autres stations, des missions sur la Lune. Et la station peut vraiment avoir un rôle significatif pour préparer ces missions.

Je pense que ce sont les quatre motivations principales de la participation à cette entreprise globale.

M. ROUGIER - Nous n'allons pas nous attarder sur l'état d'avancement, simplement pour dire que cette station est tout à fait réelle puisque deux modules ont déjà été installés, le troisième partira cet été et les premiers équipages sont attendus pour la fin de l'année. Nous sommes donc là vraiment dans le présent.

M. FEUSTEL-BÜECHL - Vous avez raison, Monsieur ROUGIER, les premiers éléments en orbite ont été lancés avec les modules russes Sarya le 20 novembre 1998 et américains Unity le 4 décembre 1998.

Le prochain élément très attendu sera lancé de Baïkonour, c'est le service module appelé aussi Svesta. Le lancement est prévu pour le 12 juillet. Nos collègues russes peuvent peut-être en dire davantage à ce sujet.

Les premiers astronautes qui habiteront la station en permanence devraient partir de Baïkonour avec une fusée russe Soyouz le 30 octobre cette année.

Le lancement du laboratoire américain qui marquera le début de l'utilisation scientifique de la station, est prévu pour le début de l'année prochaine.

M. ROUGIER - Nous avons un peu compris les motivations, mais dans cette station spatiale internationale, quel sera le rôle de l'Europe ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - Ce rôle est multiple, je vais juste mentionner les éléments les plus importants, qui sont :

- La contribution du laboratoire spatial Colombus et du secteur sol correspondant, c'est un développement bien avancé ;

- La participation de la flotte mixte des véhicules de ravitaillement et de la station avec Ariane 5, c'est un véhicule logistique appelé ATV, véhicule de transfert automatique. L'industrie française joue un rôle leader dans ce programme ;

- Un programme de préparation de l'utilisation qui porte sur des activités destinées :

à familiariser les utilisateurs scientifiques européens avec le potentiel d'utilisation de la station,

à développer les installations, les expériences pour l'équipement industriel du laboratoire Columbus,

à préparer les opérations en orbite.

Les programmes comportent également plusieurs contributions de technologie clef comme :

- le système d'ordinateur pour les modules du service russe Vesta,

- le bras robotique Era (European robotic arm) pour les segments russes de la station,

- les véhicules de rentrée CRV (Crew rescue vehicle) qui seront développés en collaboration bilatérale avec la NASA.

Ce sont les principales participations.

M. ROUGIER - Je voudrais me tourner maintenant vers Michel VACHON.

Michel VACHON, vous participez en tant que Canadien à cette station spatiale internationale. Vos motivations, les raisons pour lesquelles vous avez voulu participer à cette station ressemblent-elles à ce que l'on vient d'entendre de la voix de l'Europe ?

M. VACHON - Les motivations canadiennes sont tout à fait en ligne avec ce qui vient d'être exprimé.

La saveur plus canadienne que nous y ajoutons est que nous nous sommes donné comme ardeur d'assurer l'émergence d'une infrastructure industrielle spatiale canadienne dans le cadre de la nouvelle économie basée sur les connaissances.

Nous mettons un grand effort sur le volet technologique, sur le fait de développer des industries de pointe. Pour cette raison, nous avons décidé de participer en fournissant un nouveau bras canadien, d'un coût de 2,5 milliards de dollars.

C'est un petit jouet qui sera assez onéreux pour nous, mais qui vaut la peine, qui est essentiel à la construction de la station spatiale et, par la suite, à son entretien.

M. ROUGIER - Par rapport au fait que plusieurs nations sont appelées à travailler ensemble, c'est donc aussi une approche de la coopération internationale. Qu'en pensez-vous ? Est-ce une façon d'apprendre à travailler ensemble ?

M. VACHON - Ce sont définitivement les mêmes motivations exprimées au préalable.

Nous avons ici un projet qui est le plus grand projet d'ingénierie au monde, qui nous permet de travailler avec des partenaires avec lesquels nous avons eu parfois l'occasion de travailler quoique d'une façon bilatérale.

C'est la première fois que tous ces pays se rencontrent pour mettre au point des systèmes et, par la suite - et c'est la partie la plus importante - en faire la gestion et l'opération.

M. ROUGIER - Alexandre POLECHTCHOUK, j'ai deux questions :

- La première : d'après les informations que vous avez, confirmez-vous le troisième module comme étant partant pour le mois de juillet ?

- La deuxième : par rapport à cette coopération internationale, comment voyez-vous le rôle des Russes dans cette station spatiale internationale ?

M. POLECHTCHOUK - Grâce à cet équipage, deux semaines après le lancement, on pourra effectuer l'amarrage.

Le 30 octobre, effectivement, c'est le lancement du premier équipage international avec deux Russes et un Américain.

Le fait que, dans ce premier équipage, il y ait deux russes et un américain n'est pas par hasard car sur les trois modules, deux sont russes. L'expérience de réalisation de stations modulaires existe chez les Russes et nous la partageons maintenant avec d'autres participants de ce projet international.

Il me semble que, lors de tels débats, il est intéressant de souligner qu'il existe le problème de vieillissement d'un projet au fur et à mesure qu'il se réalise.

Je veux dire que la station Mir, qui est déjà dans sa quinzième année d'existence, a été conçue dix ans auparavant et que les études faites ont encore mis dix ans de plus. Cela veut dire qu'entre la naissance de l'idée et sa réalisation, il s'est passé vingt à trente ans.

C'est une période très longue, il faut donc savoir faire des prévisions, prévoir le progrès scientifique et technique, rester souple pour pouvoir influencer et régler les problèmes au fur et à mesure.

Je pense que la Russie, avec les autres, en faisant partager son expérience, pourra justement adopter cette nouvelle conception.

M. ROUGIER - Je voudrais que nous abordions maintenant le travail de l'homme lui-même dans l'espace avec peut-être des précisions avec vous, Lionel SUCHET.

Quelles sont exactement les caractéristiques spécifiques à l'espace faisant que l'espace présente un intérêt ?

M. SUCHET - Je ne pense pas que les stations et les objets spatiaux habités conçus et lancés aujourd'hui l'aient été pour des raisons scientifiques, cela a d'ailleurs été dit.

Les premières raisons ne sont pas celles-là et pourtant ce sont des laboratoires scientifiques tout à fait exceptionnels permettant de réaliser un très grand nombre d'activités dans de nombreux domaines scientifiques pour plusieurs raisons.

Je vais essayer de vous les expliquer simplement en prenant l'exemple de la dernière mission Perseus dont j'étais le chef de projet, c'était le vol de Jean-Pierre HAIGNERE qui a eu lieu l'année dernière à bord de Mir.

Vous avez tout d'abord l'environnement de la microgravité. Il faut commencer par dire que, lié à un état de chute permanent, c'est possible au sol, sur des périodes cependant très courtes, de l'ordre de quelques dizaines de secondes au maximum. Les stations sont donc le seul endroit où les scientifiques peuvent travailler dans cet environnement de microgravité pendant de longues périodes.

Cet environnement de microgravité permet deux choses : d'observer et de comprendre.

Il permet d'observer tout d'abord des phénomènes qui, au sol, sont masqués par la gravité. Ce sont tous les domaines de la physique, de la solidification des fluides ou de la physique des fluides critiques. En fait, au sol, comme on a des forces de convection liées à la gravité, les phénomènes physiques que l'on veut observer ne sont pas observables, on ne peut pas les voir, ils sont masqués par d'autres phénomènes physiques liés à la gravité.

La seule façon d'observer et d'étudier ces phénomènes physiques est de se placer en microgravité. Cet état de microgravité permet de voir des phénomènes physiques qu'on ne peut pas voir au sol.

Cela permet aussi de comprendre d'une façon originale des phénomènes complexes dans lesquels on sait que la gravité joue un rôle.

Le Professeur BERTHOZ parlera sans doute des neurosciences, on pourrait parler de la biologie du développement.

Un grand nombre de phénomènes très complexes étudiés par les scientifiques sont encore peu ou pas suffisamment connus, mais les scientifiques ont pourtant déjà la certitude que la gravité joue un rôle qui est à observer dans ces phénomènes.

Une attitude scientifique classique consiste à enlever un des paramètres, c'est-à-dire la gravité, et à étudier ce phénomène complexe qu'on ne comprend pas bien dans un environnement de microgravité pour voir comment il s'adapte et essayer de mieux comprendre le phénomène en lui-même. C'est l'outil microgravité utilisé par les scientifiques dans les stations.

Un autre élément important des stations est qu'elles sont dans l'environnement spatial. Un certain nombre d'expériences réalisées sur Perseus utilisait le fait que la station volait dans cet environnement spatial ; je donnerai trois exemples :

L'exobiologie

On se demande aujourd'hui beaucoup si la vie a pu arriver sur terre, si elle peut provenir d'une origine extraterrestre. Si elle est arrivée ainsi, il a fallu qu'elle soit véhiculée par un objet, un astéroïde, un météorite qui a volé sur une très longue période dans cet environnement spatial.

L'idée des scientifiques est de voir si des briques élémentaires de la vie exposées à l'environnement spatial subsistent, se conservent et comment ces briques élémentaires de la vie évoluent en environnement spatial. On a réalisé cette expérience sur la station Mir.

Technologie spatiale : les composants électroniques

Les composants électroniques, qui sont de plus en plus en plus petits, sont aussi de plus en plus sensibles - du moins le pense-t-on - aux ions lourds et au rayonnement cosmique. Comment ces composants sont-ils sensibles ?

On a des modèles mathématiques au sol permettant de le prévoir et donc de dimensionner tous les satellites d'application. Ces modèles mathématiques doivent cependant être recalés et la meilleure façon de les recaler est d'exposer des composants en ambiance spatiale, de les ramener ensuite pour les étudier et voir comment ils se sont comportés.

Sciences de l'univers

Les scientifiques sont très intéressés pour récupérer des micrométéorites ou des poussières cométaires.

Il est bien évident qu'au sol, on en retrouve en petites quantités car la majorité brûle dans les couches denses de l'atmosphère. Dans l'espace on en récupère beaucoup plus. Une de nos expériences qui s'appelait Comète a consisté à récupérer ces poussières cométaires et à les analyser au sol.

Voilà deux outils importants pour la science dans les stations :

- l'outil microgravité,

- l'environnement spatial.

Qu'apporte l'homme dans ce type d'activité de recherche en tant qu'opérateur humain ?

Il apporte bien évidemment ses capacités, son habileté, tout d'abord physique ainsi que manuelle et intellectuelle, d'analyse et d'adaptation.

Cela nous permet de réaliser des expériences qu'on ne pourrait pas faire en automatique. J'ai parlé de biologie du développement, on a réalisé sur Mir une expérience qui s'appelle Genesis consistant à étudier le développement d'oeufs depuis leur fécondation jusqu'à leur état larvaire.

Il fallait un grand nombre d'activités de cosmonautes pour réaliser cette expérience. Il fallait récupérer les oeufs, les analyser alors qu'ils étaient pondus ou venaient juste de l'être, les trier, les sélectionner, remplir différentes boîtes, créer des lots, etc. Tout ceci est impossible à réaliser automatiquement.

Cette expérience de biologie du développement n'aurait tout simplement pas pu être réalisée en automatique.

On aurait pu la réaliser de façon plus simple et on a une expérience équivalente un peu plus simple en biologie aussi. Elle s'appelle Ibis et elle est faite pour être utilisée sur un satellite automatique. Sa mise au point est cependant beaucoup plus complexe, beaucoup plus délicate.

L'homme permet de réaliser de façon relativement simple des tâches d'une grande complexité.

On avait également une expérience de mécanique, Treillis, sorte de mécano permettant de tester le comportement de structures dans l'espace et la manière de les amortir, ceci dans un souci de dimensionnement de satellites d'observation.

Ce mécano a été testé dans diverses configurations, Jean-Pierre HAIGNERE a monté le mécano, Claudie ANDRE-DESHAYS a également fait cette expérience dans la station. Elle montait le Treillis dans une configuration, faisait une expérience, envoyait au sol les résultats qui étaient analysés. Et en fonction de ces résultats, on demandait de modifier la configuration, on changeait un élément, on en remplaçait un autre.

Tout ce travail interactif, qui est un travail de recherche de laboratoire, était possible grâce à la présence d'hommes à bord et n'aurait pas été possible en mode automatique.

M. ROUGIER - Je propose de faire un tour rapide des recherches menées au niveau par exemple des sciences de la vie, de faire un tour avec les scientifiques autour de cette table.

Antonio GÜELL, on ne va pas faire une liste exhaustive, mais peut-être pouvez-vous donner deux ou trois gros plans sur des recherches menées en matière de sciences de la vie ?

M. GÜELL - Il faut rappeler que ces vingt dernières années, tout au-moins en microgravité, les sciences de la vie ont connu trois étapes tout à fait complémentaires :

- Une première étape correspond aux années 1980, où les scientifiques ont eu une approche dite descriptive.

- Une seconde étape est celle des années 1990, c'est une étape mécanistique. Là, un certain nombre de laboratoires ont pu mettre en évidence qu'il existait des phénomènes que l'on a pu expliquer au sol grâce à l'existence d'expériences réalisées en apesanteur aussi bien sur l'homme en tant qu'objet d'expérience que sur l'animal, l'homme étant là opérateur.

L'exemple typique est celui publié il y a une dizaine de jours dans une revue internationale, Lancet , qui concerne le mécanisme de l'ostéoporose, c'est-à-dire de la perte de densité osseuse chez la femme après la ménopause à partir d'expériences uniquement réalisées d'une part sur les cosmonautes et d'autre part sur des animaux envoyés en apesanteur.

- Pour l'avenir, je dirai que l'approche pour le futur - et je pense qu'Alain BERTHOZ et Claude GHARIB l'argumenteront bien mieux que moi - dans un but d'utilisation de la station spatiale internationale, sera une approche en matière biomoléculaire, génique et bien entendu une approche normale.

M. BERTHOZ - Je suis très heureux de pouvoir résumer un peu les enjeux en ce qui concerne les sciences de la vie et plus particulièrement les neurosciences. En effet, depuis quelques années, il y a une certaine ambiguïté qui n'a pas été levée, comme l'a très bien dit Monsieur LORIDANT, en ce qui concerne le contenu de ces recherches sur l'homme dans l'espace.

Je crois qu'il faut clarifier la chose en disant qu'il y a trois aspects.

Un enjeu scientifique fondamental

Il s'agit de savoir quel est le rôle de la gravité sur le développement, l'évolution et le fonctionnement du système, c'est une grande question fondamentale non résolue.

Un enjeu opérationnel

Cet enjeu consiste à savoir si l'homme peut aider dans l'espace à faire fonctionner des machines, des expériences, etc.

Un enjeu médical

L'homme peut-il s'adapter ? C'est un domaine qui relève plus particulièrement de la médecine spatiale.

Je crois qu'il faut bien clarifier ces trois choses.

Dans le premier domaine, qui est le seul sur lequel je dirai quelques mots, l'enjeu scientifique, il est absolument clair que nous ne comprenons pas encore quels sont les mécanismes qui ont permis et qui permettent encore maintenant à la gravité de jouer un rôle aussi important dans toutes les fonctions du système nerveux.

Par exemple, pour le développemen,t nous avons des capteurs spécialisés qui mesurent la gravité chez toutes les espèces animales et chez l'homme.

Deuxièmement, la gravité est prise en compte dans le système nerveux pour le mouvement, les réflexes. Cela a constitué des chapitres importants des expériences faites dans les dix premières années.

Troisièmement, la gravité est aussi complètement intégrée dans les fonctions cognitives supérieures du cerveau humain. Essayez d'identifier l'image d'une photo de quelqu'un que vous connaissez à l'envers, vous ne le pourrez pas. Le problème de l'orientation par rapport à la gravité est un problème très important.

Il y a là un champ scientifique, qui est le champ qui a été étudié par les équipes qui ont pu bénéficier des vols spatiaux. En effet, il est extrêmement difficile de faire ces expériences au sol.

Au sol il y a des outils pour mesurer et étudier ces processus chez l'homme ou l'animal. Ce sont les vols paraboliques, les centrifugeuses, un certain nombre de stimulateurs permettant de manipuler la gravité. Il est cependant extrêmement difficile de la manipuler ou de la supprimer, notamment pendant de longues durées.

La disposition d'un laboratoire spatial est donc actuellement le seul moyen que nous avons pour réellement supprimer l'existence de la gravité et regarder chez l'embryon, l'animal, l'homme, quels sont ces mécanismes.

Cela a été fait depuis une dizaine d'années grâce aux technologies développées notamment par le CNES, mais aussi par les coopérations européennes mentionnées.

Plusieurs choses sont importantes :

1. La longue durée

Celle-ci permet vraiment de faire une expérience et de suivre les processus de modification. On dit beaucoup de choses sur ces processus, mais nous savons que, comme lorsqu'on récupère d'une maladie, il y a des transformations qui se font en quelques secondes, d'autres en quelques minutes, d'autres en quelques semaines et d'autres encore en quelques années.

Par conséquent l'étude constante du temps des modifications adaptatives est un domaine qui exige la longue durée. Et le vol de Jean-Pierre HAIGNERE l'année dernière a été, après plus de dix vols de nos cosmonautes, le seul vol de très longue durée pendant lequel on a pu commencer à travailler sur ces phénomènes.

2. La réversibilité

L'espace est un modèle absolument unique dans lequel on peut tout d'un coup, après quelques millions d'années pendant lesquelles les organismes vivants humains et animaux ont été soumis à la gravité en permanence, supprimer la gravité, faire des expériences avant le vol pour regarder le fonctionnement normal, regarder l'adaptation à l'espace et surtout aussi regarder après la récupération.

La réversibilité est très importante car, au sol, dans les coopérations avec les neurologues, avec les cliniciens, grâce aux maladies, aux lésions chez l'homme, nous avons la possibilité de regarder les effets de ces fonctions, mais malheureusement les lésions ne sont pas réversibles.

3. Etude du comportement et examen du cerveau

Dans l'espace, grâce aux technologies développées, nous pouvons étudier non seulement le comportement avec sa perception, etc., mais - et le Docteur GÜELL vient de le dire - nous pouvons maintenant envisager, après dix ans d'études de variables comportementales, d'aller regarder dans le cerveau.

Il y a en effet une explosion des technologies d'exploration de l'activité cérébrale par électroencéphalographie par exemple, qui nous font penser que, dans les dix ans qui viennent, et en tout cas dans les prochains programmes, nous pourrons regarder aussi ce qui se passe dans le cerveau en même temps que l'homme s'adapte dans l'espace.

Je voudrais dire un tout petit mot sur les enjeux au sol.

Depuis dix ans que la France mène ces programmes, je crois que les équipes françaises qui y ont participé dans le domaine des neurosciences ont sans doute réalisé un nombre d'expériences qui est au premier rang mondial dans ce domaine. Les expériences ont toujours été faites en parallèle avec des études en pathologie.

Pratiquement toutes les équipes qui travaillent dans ce domaine, travaillent avec des neurologues, des oto-rhino-laryngologistes, des ophtalmologistes.

Et les instruments développés pour mesurer les mouvements des yeux, les mouvements du corps, la force, toute une série de fonctions sensorimotrices, tous ces instruments ont été en même temps développés, exploités au plan industriel et sont actuellement utilisés dans les hôpitaux pour faire de l'exploration fonctionnelle.

Ce n'est pas toujours là où on l'aurait souhaité, mais ils sont utilisés au moins par d'autres pays ou par la France pour une part.

Je voudrais terminer en disant qu'à mon avis, au cours de ces douze ans, la France a acquis dans ce domaine une place absolument privilégiée au plan mondial dans notre petit domaine, qui est celui des études des neurosciences et des fonctions sensorimotrices, en grande partie grâce au savoir-faire absolument remarquable - et permettez-moi de rendre cet hommage au CNES aujourd'hui - à la technologie.

Je voudrais mentionner le fait que, sur dix ans, sur les dix vols de cosmonautes français et sur des ensembles expérimentaux assez compliqués, il n'y a eu pratiquement aucune panne, ce qui n'est peut-être pas le cas de toutes les autres communautés qui volent dans l'espace.

Ceci a été du à une coopération, à mon avis exemplaire et très importante, entre trois partenaires :

- le CNES dans ses services,

- les industriels,

- les laboratoires.

Je crois qu'il est aussi très important de le mentionner car souvent on ne l'a pas dit. Il y a eu là une synergie entre l'université, la recherche, l'industrie et un grand organisme avec ses ingénieurs et ses services.

M. ROUGIER - Professeur GHARIB, je voudrais que l'on revienne maintenant sur les sciences de la vie ; vous travaillez surtout dans le domaine cardio-vasculaire.

Très concrètement, qu'est-ce que le fait d'envoyer des hommes dans l'espace a pu vous apprendre, à vous scientifique, par rapport à toutes les pathologies cardio-vasculaires ?

M. GHARIB - Un des premiers signes, celui qui a été le plus évident au retour des premiers vols spatiaux, était l'intolérance orthostatique. Le sujet présentait une hypotension qui pouvait aller jusqu'à la syncope. C'est à partir de là qu'on a essayé de comprendre les mécanismes.

Ces mécanismes sont extrêmement complexes et on peut penser que la vie a été organisée autour de la pesanteur, pour lutter contre la pesanteur.

Lorsqu'on regarde un peu les différents systèmes dans un organisme vivant, il y a des capteurs comme le signalait Alain BERTHOZ, et il n'y a qu'à regarder la structure d'un os pour se rendre compte que tout est fait pour lutter contre la pesanteur. Et il y a un certain nombre d'autres systèmes au niveau du système cardio-vasculaire.

C'est si vrai pour le système cardio-vasculaire que même le fait de simplement changer l'application de la gravité sur le corps humain, par exemple lorsqu'on va se coucher ou qu'on se lève, entraîne un certain nombre de modifications.

Tout est véritablement centré sur la gravité.

Actuellement, deux points sont importants :

- le génome, dont on parle suffisamment,

- l'espace, qui nous a modulés.

L'hypotension orthostatique vient d'un défaut des systèmes de protection, de régulation de la pression artérielle. C'est quelque chose que l'on rencontre de façon courante puisqu'on admet statistiquement qu'une personne sur six a présenté ou présentera une symptomatologie se rapprochant beaucoup de ce que l'astronaute peut présenter lorsqu'il n'y a pas de contre-mesure.

C'est donc quelque chose d'extrêmement courant. Le fait qu'on ait pu avoir recours à des études sans pesanteur, permet de comprendre les mécanismes qui se déroulent au sol.

Il y a d'autres systèmes qui peuvent nous orienter. En particulier tous les troubles de la tension observés chez les diabétiques - et on sait que c'est extrêmement répandu - peuvent avoir une explication dans la compréhension de cette régulation qui est centrée sur la pesanteur.

Un point extrêmement important - Alain BERTHOZ insistait sur ce point tout à l'heure - est qu'avec l'astronaute on aura quelque chose de réversible, relativement rapidement, si bien qu'on peut mieux comprendre ce qui se passe dans des systèmes où, par exemple, chez le diabétique ce sera très difficilement réversible, ou dans des maladies du système nerveux autonome où il n'y a pratiquement plus de régulation.

C'est quelque chose d'absolument fondamental d'avoir recours à l'espace pour pouvoir comprendre comment s'est constitué le vivant.

Lionel SUCHET rappelait très justement - et c'est tout à fait une démarche de Claude BERNARD - que pour connaître l'influence d'un système, il faut pouvoir l'enlever. Or la seule façon de pouvoir l'enlever, le soustraire, c'est justement l'espace.

Je pense qu'on n'a pas assez insisté sur le fait que « l'homme dans l'espace, c'est la fascination par l'ailleurs » comme disait Michel BUTOR.

C'est cependant absolument nécessaire pour comprendre beaucoup mieux notre organisation, pour éventuellement avoir des systèmes de contre-mesures thérapeutiques dans les cas de troubles de la tension.

Lorsque l'on pense que ces systèmes s'installent par exemple dans l'oeuf de poussin au bout de quelques jours, on se demande ce que cela pourrait donner si de telles expériences étaient réalisées au cours de vols spatiaux.

Ce n'est donc pas simplement un jouet que l'on donne aux scientifiques, mais une nécessité absolue.

M. ROUGIER - Nous avons vu la grande utilité au niveau du cerveau et du coeur. Vincent MIKOL, au départ des vols habités, on a imaginé que l'espace serait un terrain tout à fait propice pour, par exemple, fabriquer de nouvelles molécules, notamment pharmaceutiques. Aujourd'hui, « on en est revenu » ne serait-ce que pour des questions économiques.

Du point de vue de la thérapie et de la fabrication de médicaments, quelle est aujourd'hui l'image, la pensée que vous avez par rapport aux recherches qui peuvent être menées dans l'espace ?

M. MIKOL - Je crois qu'un certain nombre d'espoirs ont existé effectivement au milieu des années 1980.

L'idée était d'essayer de cristalliser les protéines qui sont des acteurs importants de la vie cellulaire. En ayant la structure de ces protéines, on pouvait imaginer de concevoir des molécules actives et en faire des médicaments.

Il faut savoir que cette approche fonctionne très bien puisqu'elle a permis de mettre au point les inhibiteurs de protéase du virus du sida, qui sont aujourd'hui sur le marché et sauvent des vies humaines.

On pensait qu'une des étapes qui allait limiter cette approche était la formation de cristaux. Une des raisons de la mauvaise qualité des cristaux pouvait être le phénomène de convexion, de sédimentation que l'on observait sur terre et on avait l'espoir qu'en microgravité on pourrait résoudre ce problème. Il faut dire qu'après quinze ans d'expériences, globalement l'impact de la microgravité a été vraiment très limité.

Un des avantages que l'on imaginait de l'espace, était effectivement de pouvoir faire des cristaux de plus grosse qualité. Il s'avère aujourd'hui qu'on a développé des outils sur terre permettant d'analyser des cristaux de bien plus petite qualité, les synchrotrons, qui ont une utilité extrêmement importante.

Après quinze années d'expériences, on peut dire que, d'un point de vue global, l'apport de la microgravité pour la biologie structurelle et l'industrie pharmaceutique est extrêmement réduit.

M. ROUGIER - Je voudrais que l'on revienne aux sciences de la vie avec vous, Claudie ANDRE-DESHAYS.

On peut dire qu'il y a une recherche transversale concernant le vieillissement. Un certain nombre d'études menées dans l'espace permettent de mieux comprendre les phénomènes mis en place lorsque l'on vieillit.

Mme ANDRE-DESHAYS - On a parlé tout à l'heure des enjeux cliniques et scientifiques qui étaient les préoccupations des cliniciens, des chercheurs au sol de même que celles des équipes travaillant en utilisant la microgravité.

Il est vrai qu'il y a un thème intéressant, assez abordé ces derniers temps, on peut dire, peut-être même avec une pointe d'humour comme on a parlé de réversibilité des phénomènes, qu'il serait intéressant de trouver la solution de la réversibilité au temps qui passe.

En tout cas, c'est vrai que, de nombreux phénomènes physiologiques apparaissant rapidement ou plus tard dans le vol, on a parlé d'hypotension orthostatique, de perturbations neurosensorielles, de troubles de coordination, de pertes de références et on parle d'atrophie musculaire, de fragilisation osseuse ; tous ces phénomènes sont des éléments classiques de ce que l'on rencontre dans le vieillissement. D'où l'idée qui a germé que, sur un individu sain envoyé dans l'espace, on pouvait avoir un modèle privilégié d'étude d'un vieillissement accéléré. Faut-il encore en comprendre les raisons. Cela peut être une hypodynamie, une hypokinésie, on bouge moins, on a moins de contraintes mécaniques qui s'exercent sur son squelette, c'est le cas également chez la personne âgée et vieillissante.

Il y a toute une sphère d'intérêt important sur le plan de la santé publique qui s'associe aussi à des développements biomédicaux dans l'instrumentation qui sont intéressants à prendre en compte.

On met en place pour l'homme exploré en tant que sujet d'expérience à bord, une instrumentation miniaturisée, fiable, très sensible, reproductive, permettant d'analyser la cinétique des phénomènes apparaissant en vol.

C'est aussi une piste intéressante à utiliser le mieux possible.

M. ROUGIER - Avant d'aborder à nouveau la question de l'utilité de la présence de l'homme dans l'espace, peut-être un point sur les sciences physiques.

Daniel BEYSENS, vous êtes au Commissariat à l'Energie atomique, quels sont les types de recherche réalisés dans l'espace que vous jugez totalement utiles en matière physique ?

M. BEYSENS - Vous me demandez là un jugement !

M. ROUGIER - Non, je veux simplement des résultats.

M. BEYSENS - En ce qui concerne les résultats, je crois que deux grands domaines ont bénéficié de la microgravité. Ce sont d'une part les recherches effectuées par mes collègues et néanmoins amis sur la solidification, notamment par Jean-Jacques FAVIER ici présent, et d'autre part quelque chose qui m'est un peu plus proche, les recherches sur les fluides.

C'est bien évident, prenez un fluide sur terre, vous le faites couler, c'est la gravité qui fait l'écoulement. En l'absence de pesanteur, son comportement est complètement différent et parfois complètement imprévisible.

Ce sont les deux grands domaines dans lesquels je pense que nous avons eu des résultats marquants au niveau des connaissances, c'est de l'investissement à moyen et long terme. Et ces connaissances ont déjà servi à obtenir des retombées technologiques, je vais en citer deux :

- Vous avez les solidifications sans creuset.

- Et nous avons aussi découvert grâce à la microgravité, un nouveau mécanisme de transport de la chaleur dans les fluides très compressibles. Cela a été appliqué notamment par Air Liquide pour la pressurisation des réservoirs d'Ariane 5.

Il y a des connaissances, mais aussi un souci d'aller vers des choses appliquées ou applicables.

M. ROUGIER - Bernard ZAPPOLI, même question !

M. ZAPPOLI - Je dois dire que durant les dix dernières années, la communauté scientifique a appris à utiliser cet environnement de micropesanteur en analysant simplement le rôle de la gravité, les systèmes physiques consistant essentiellement à avoir un rôle sur les surfaces fluides et donc plus généralement sur tous les systèmes qui en comportent une.

La prise en compte de ces éléments très simples a permis d'éviter que ne soient sélectionnées, comme cela a pu être le cas dans le passé, des expériences qui soient de portée limitée, parfois pas très utiles ou peu imaginatives et même, comme cela a été le cas également, porteuses d'espoirs inconsidérés.

Je crois que maintenant la communauté scientifique a bâti une méthode d'analyse et conduit des recherches qui ont donné des résultats de premier plan, publiés dans les plus grandes revues internationales et qui placent la communauté nationale en très bonne position quand ce n'est pas la première position.

M. ROUGIER - Cela veut-il dire que l'espace a permis de comprendre véritablement comment fonctionne la physique ? A-t-il permis de montrer des phénomènes que l'on a pu étudier sur terre, de les comprendre ?

M. ZAPPOLI - Je reprendrai l'exemple dont parlait Daniel BEYSENS à l'instant.

En ce qui concerne ce nouveau phénomène de transfert de chaleur dont il parlait, on peut dire que la micropesanteur a contribué à faire jeter le masque à un phénomène qui se déguisait au sol en convexion.

Les scientifiques pensaient qu'il s'agissait de convexion et on s'est rendu compte que cela n'en était pas et qu'il y avait derrière un quatrième phénomène dont on ne pouvait cependant pas supposer l'existence. Et comme le disait Lionel SUCHET, en supprimant la gravité, ce phénomène est devenu visible.

M. ROUGIER - Nous avons vu les recherches au niveau des sciences de la vie, au niveau physique. Jean-François CLERVOY, y a-t-il très concrètement des projets, des produits dérivés de la recherche spatiale ou même de mise en service des engins spatiaux ?

M. CLERVOY - Il n'y a pas eu une découverte fondamentale qui, d'un seul coup, du jour au lendemain, a révolutionné la vie sur terre, mais il y a une centaine de retombées à caractère technique, l'essaimage, c'est-à-dire les retombées au sol de tous les développements effectués pour développer les véhicules spatiaux, surtout ceux qui sont habités.

La NASA publie d'ailleurs chaque année un livre d'une certaine de pages avec toutes ces retombées qui sont ponctuelles, mais qui ont des applications industrielles bien identifiées, bien ciblées, parfois sur de larges échelles, pour lesquelles plusieurs industriels acquièrent des distances afin d'utiliser le résultat du développement.

Il y a bien sûr la miniaturisation. Le vol spatial requiert le confinement, la miniaturisation, l'autonomie maximum. C'est ce qui a conduit au microprocesseur, à la micro-informatique.

L'économie de la micro-informatique aurait pu exister telle qu'elle est aujourd'hui, mais seulement dans dix ou vingt ans si on n'avait pas eu le programme Apollo.

Dans le domaine des logiciels aussi, la NASA développe des des logiciels très pointus pour la planification des vols de la navette, pour le vol lui-même. Ces logiciels sont parfois rachetés par des industriels pour des applications vraiment terrestres.

Je vais citer quelques exemples que j'ai repérés dans cette liste des retombées :

- Vous avez par exemple des nourritures à base d'algues qui ont été développées par la NASA en préparation de vols de longue durée et qui sont maintenant utilisées largement dans des nourritures pour bébés. On reconnaît dans les algues certaines propriétés nutritives qui sont intéressantes.

- Le système de purification d'eau développé pour la navette spatiale a donné lieu à des licences qui ont été rachetées par une compagnie qui va l'utiliser pour un développement à très large échelle dans les pays en voie de développement pour assainir l'eau.

- Des microsphères fabriquées par des astronautes au cours de plusieurs vols de navettes sont vendues régulièrement pour diverses applications industrielles, notamment de calibration d'instruments.

- Dans le domaine médical, bien sûr tous les équipements mis au point pour faciliter le vol de l'homme dans l'espace, ont des applications directes dans les hôpitaux. Vous avez les analyseurs d'urine, de gaz utilisés à une très large échelle pour les opérations chirurgicales.

- Il y a des détecteurs de foudre, par exemple, le détecteur de foudre mis au point pour la navette spatiale a induit le développement d'un appareil de petite dimension à coût faible qui est vendu pour les individus qui campent ou qui vivent isolés à la campagne. Cet appareil leur apporte des détections avancées de risque de foudre.

- Le canot de sauvetage développé pour les missions Apollo, l'a été sur des spécifications beaucoup plus rigoureuses que pour la navigation maritime régulière, résistant par exemple à de très fortes tempêtes. Il a été commercialisé pour le grand public et ce type de canot a déjà sauvé plus de cinq cents vies au cours des dix dernières années.

On pourrait en citer ainsi beaucoup d'autres, surtout en ce qui concerne les applications industrielles. Les développements pour les véhicules spatiaux donnent concrètement des produits à application industrielle directe immédiate alors que la recherche scientifique répond d'abord à la question : « comment cela marche ? » et augmente surtout le champ des connaissances. Les expériences scientifiques sont davantage à moyen terme qu'à court terme.

M. ROUGIER - Nous avons vu les expériences menées dans le domaine des sciences de la vie, de la physique.

Jean-Jacques FAVIER, pour revenir à la question du départ, c'est-à-dire l'utilité de l'homme dans l'espace, avez-vous des exemples concrets - et je pourrais poser cette question à Claudie ANDRE-DESHAYS ou à mon voisin Jean-François CLERVOY, c'est-à-dire des personnes parties dans l'espace, d'expériences qui auraient échoué si l'homme n'avait pas été là ?

M. FAVIER - Des exemples bien sûr, j'en ai quelques-uns et j'en ai vécu plusieurs.

Pour revenir à ce débat de ce que l'environnement spatial et l'environnement spatial habité a pu apporter à l'homme du point de vue de la recherche et de ses applications, nous avons entendu un certain nombre d'arguments tout à fait convaincants en ce qui concerne les sciences de la vie, la physiologie etc., moins convaincants, semble-t-il, concernant la croissance des protéines. Et en science des fluides et des matériaux, il y a de bons exemples.

Je crois qu'il faut avoir présent à l'esprit le fait que lorsque la ou les communauté(s) scientifique(s) ont eu l'occasion de faire des expériences en microgravité dans des conditions tout à fait originales, on a vu se précipiter un grand nombre de propositions qui n'étaient pas forcément toutes aussi pertinentes les unes que les autres.

Ceci peut expliquer que, d'un point de vue global, il y a eu une première phase qui se soit traduite par des échecs.

On est maintenant dans une phase où la recherche d'accompagnement au sol a permis de cibler très proprement les sujets les plus pertinents, que ce soit en sciences de la vie ou en sciences physiques. De ce fait, le retour scientifique est de bien meilleure qualité.

Il est encore de bien meilleure qualité si, comme pour toute opération de recherche, il y a un accompagnement scientifique de chercheur tout près de l'expérience. C'est là que je vois le rôle des astronautes.

Comme dans toute opération de recherche, tout n'est pas prévu à 100 % sinon ce ne serait plus de la recherche, mais des applications et de la production. Et l'interactivité entre l'homme dans l'espace, la machine ou l'instrument et l'équipe de scientifiques au sol est, à mon avis, fondamentale pour aller vers une amélioration du retour scientifique.

Vous me demandiez de vous donner des exemples.

Lors de ma mission, un instrument de mécanique des fluides n'a pas fonctionné correctement parce qu'il y avait un dérèglement d'optique.

Pour d'autres expériences, il a fallu faire un diagnostic à caractère scientifique qui n'était pas prévu dans les procédures, de façon à sélectionner tel échantillon plutôt que tel autre. Cela a été rendu possible dans la mesure où, sur place, il y avait des personnes capables d'ausculter sous tous les angles, et pas uniquement ceux prévus à l'avance par des procédures qui auraient pu éventuellement être faite par des robots. L'homme était là et a pris les bonnes décisions.

M. ROUGIER - Monsieur FEUSTEL-BÜECHL, sur cette même question ?

M. FEUSTEL-BÜECHL - Je vais vous donner quelques exemples de la technologie dérivée de la microgravité.

Après vingt ans de recherche de microgravité, non seulement des résultats directs, mais aussi des produits dérivés commencent à donner des résultats tout à fait remarquables. Ils amènent actuellement à une vaste enquête avec des chercheurs et des industriels afin d'évaluer les retombées de la recherche en microgravité.

Il ressort des exemples que nous avons étudiés que tout d'abord les PME diversifient la recherche en microgravité, que le chiffre d'affaires industriel total atteindra cette année environ 200 MF. On attend une forte augmentation de presque 1 MdF en 2002.

Je vais vous donner deux exemples.

- Le premier est un appareil qui s'appelle Aukuton, c'est un tonomètre individuel automatique pour les patients atteints de glaucome. Le Professeur DREGER en Allemagne a mesuré, pendant la mission D1 Spacelab, la conséquence du déplacement du fluide corporel sur la pression intra-oculaire et sa variabilité en fonction du temps.

En coopération avec la Compagnie EPSA, petite entreprise à Iéna, le professeur DREGER a développé un tonomètre manuel, retombée directe de la recherche spatiale pour les patients atteints d'un glaucome. EPSA a investi presque 5 MF pour la production et la commercialisation de cet appareil. L'Association des Pharmaciens a accepté de former les patients à l'utilisation de l'Aukuton et les assurances ont pris en charge la majeure partie du coût de ce tonomètre. Le marché pour cet appareil est estimé à deux millions d'appareils.

Un autre exemple, certainement plus important pour la France, est un appareil qui s'appelle l'Ostéopas, c'est un appareil pour diagnostiquer l'ostéoporose. Lors de vols spatiaux de longue durée, les astronautes subissent une perte osseuse ou déminéralisation considérable. Au cours de la mission Euro Mir 1995, des expérimentations ont permis d'étudier la perte osseuse au cours du temps, l'action de la prise de médicaments, de la nutrition et des exercices physiques sur le phénomène de la densité osseuse.

Matra et la Compagnie Ship Ultrasons ont demandé de développer un densitomètre osseux basé sur les ultrasons limitant ainsi l'utilisation des rayons X et mesurant la vitesse de propagation et de l'atténuation des ultrasons dans l'os. La production de cet appareil a commencé l'année dernière avec 100 unités à un prix de 140 000 €. La production planifiée pour 2001 est de 150 unités correspondant à une valeur de 2,7 M€. Le marché européen représente pour tout ceci une valeur considérable de 2 500 unités en 1999 et l'estimation pour cette année est de 5 000 appareils. Le marché mondial pour cette application est énorme, il représente 600 M€ par an et la part d'Ostéopas ne fait qu'augmenter.

Je pense que ces deux exemples montrent bien qu'il y a des produits directs dérivés de la recherche en microgravité aussi en Europe.

M.GÜELL - Je voudrais ajouter quatre très courts exemples, en matière de retombées technologiques en termes de santé publique, des différents types d'appareils développés : un exemple américain et trois français.

- Un exemple américain : le système Holter, permettant d'enregistrer l'électrocardiogramme sur trois dérivations pendant 24 heures pour les troubles du rythme qui, jusqu'à il y a une dizaine d'années, constituaient 25 à 30 % des morts subites chez le nourrisson. Aujourd'hui la société qui commercialise l'Holter fait un chiffre de 1,5 Md$ par an, ce qui n'est pas mal.

Du côté français, on peut faire cocorico grâce aux programmes soutenus par le CNES.

Il y a eu une très forte impulsion dans les années 1980 en matière d'ultrasons.

Je rappelle que les premières sociétés françaises qui, aujourd'hui, sont encore au nombre de trois, fabriquaient et mettaient sur le marché des appareils que l'on utilise toujours, les Dopplers. Aujourd'hui, qui dans la salle n'a pas eu un Doppler soit artériel, soit carotidien, soit veineux ?

Ces trois sociétés, dans la plupart des cas, ont été financées dès le départ par le Centre national d'études spatiales pour des programmes de coopération franco-russes ou dans le cadre de l'ESA et, ont eu des boursiers CNES dont certains scientifiques sont dans la salle aujourd'hui.

Là, Doppler a suscité le programme en France d'ultrasons favorisé par la recherche spatiale.

- Un avant-dernier exemple : tout ce qui équipe aujourd'hui les longs courriers d'Air France, c'est-à-dire les A340 et les 747 pour tous les vols de plus de six heures non stop en termes de radiation. Les nouvelles lois européennes imposent à tout gros porteur d'avoir un système de monitoring en continu de l'activité radiative qui est reçu par le personnel naviguant, et tout cet appareillage est exactement le même que celui qui a été développé dans le cadre du programme Mars 1996. Pour ceux qui ont connu ce programme qui a été un échec puisque la fusée a explosé quelques minutes après le tir, il y avait un système de mesure en continu de l'activité radiative.

Le dernier exemple est un dernier système mis au point dans le laboratoire d'Alain BERTHOZ.

Ce système consiste à mesurer vraiment d'une manière extrêmement précise l'orientation de l'oeil à l'intérieur du globe oculaire de façon à bien étudier tous les phénomènes de paralysie des muscles. C'est également commercialisé, hélas non par une société française, mais par une société européenne.

M. ROUGIER - Claudie ANDRE-DESHAYS, pour revenir sur la question de l'homme et de son utilité dans l'espace, pour faire très simple : qu'est-ce que l'homme sait faire dans l'espace qu'un robot ne saurait pas faire ?

Mme ANDRE-DESHAYS - Je ne suis jamais tout à fait d'accord avec la formulation de vos questions ! On ne va pas entrer dans le débat de l'opposition de l'homme au robot, mais plutôt le considérer dans sa complémentarité et son interaction. Il est bien évident que dans une structure comme la station spatiale internationale, il y aura des robots, des automatismes et des hommes travaillant dans une structure en orbite énorme.

On a aussi soulevé le problème de l'homme perturbant le milieu de microgravité. On a dit que cette microgravité était l'élément important de l'expérimentation de la recherche qui pouvait être menée.

Justement, la station spatiale internationale nous permet d'accéder à une infrastructure qui va donner de nouvelles possibilités de travail avec une distribution des zones de travail.

Il y aura :

- des zones requérant une microgravité de bon niveau et même éventuellement des plates-formes détachées de la station spatiale internationale qui seront desservies par l'homme ou le robot selon la meilleure utilisation possible ;

- et des zones où la présence de l'homme et les expérimentations physiologiques auront sans doute effectivement un niveau de microgravité moins bon dans certains domaines, par ailleurs compensé par des systèmes techniques que l'on sait bien utiliser actuellement pour les amortissements des microperturbations à bord.

La station spatiale internationale va également nous apporter la longue durée du séjour qui nous permettra d'aborder de nouvelles questions fondamentales au niveau de l'utilisation :

- de l'homme si on le considère comme sujet d'expériences, comme opérateur humain de systèmes complexes,

- et de robots en interaction là aussi avec l'automatisme.

Il va apporter toute cette flexibilité, cette modularité importante sur un système qui a une quinzaine d'années de vie devant lui. Cela n'a plus rien à voir avec ce que l'on avait pu connaître avant, il faudra intervenir, interagir sur les aspects de maintenance, de maintenabilité de tous ces systèmes en orbite.

Cela va donner aussi la possibilité, grâce au robot et à l'homme qui sera amené à bord par une desserte de la station régulière, de maintenir un niveau de haute technologie et de haute performance des laboratoires scientifiques et techniques qui seront à bord. Pour moi, tout ceci c'est l'interaction de l'homme et du robot.

Je voulais aussi ajouter quelque chose que l'homme fera et que le robot ne sait pas faire. Le robot sait voir, mais l'homme perçoit, ressent, il va transmettre aussi après avoir vécu cette expérience de l'aventure humaine à bord, ce qu'il a ressenti. Il peut transmettre un message palpable et être un élément vecteur d'une identification du citoyen à cette aventure dans laquelle on lui promet un devenir et un avenir. Je crois qu'il est important de reconnaître aussi cette utilité de l'astronaute.

C'est l'utilité non seulement du sujet d'expérience, de l'opérateur, mais de l'être humain à bord de la mission de la station, préparant l'avenir ayant un impact sur les générations qui prendront les décisions pour l'avenir.

Je crois qu'on a montré de très belles images, mais l'impact qu'on peut avoir dans des conférences auprès des jeunes nous montre qu'on aura aussi un rôle important à jouer pour l'éducation des générations futures pour les entraîner avec nous dans la poursuite de cet attrait de la science et du futur.

M. ROUGIER - Justement Alain BERTHOZ, je crois que c'était le second point de votre intervention. Vous disiez que ce que l'homme avait d'extraordinaire, était sa capacité à s'adapter, à raisonner et à faire que lorsqu'un imprévu se présente, il peut réagir.

M. BERTHOZ - Je voudrais revenir sur la question que vous avez posée à Jean-Luc FAVIER et à Claudie ANDRE-DESHAYS sur l'utilité de l'astronaute et apporter le témoignage des scientifiques.

L'astronaute ou le cosmonaute, suivant la manière dont on veut l'appeler, est un découvreur. C'est un collaborateur scientifique - cela a été dit, mais il faut le rappeler -, c'est quelqu'un qui fait partie de l'équipe scientifique, en particulier pour les expériences concernant la physiologie. Il joue ce rôle du scientifique qui, non seulement peut voir ou résoudre des problèmes non prévus dans l'expérimentation, mais surtout faire des observations nouvelles.

Je crois que nous pouvons dire que c'est une expérience de la communauté scientifique internationale, en tout cas dans notre domaine, que nous devons aux cosmonautes ou astronautes français, américains, russes et autres d'avoir fait des observations originales pendant les vols et des expériences qui n'étaient pas prévues.

Après tout, faire de la science, c'est découvrir des choses auxquelles on n'a pas pensé !

Et ces observations cliniques -ce sont finalement les cliniciens du XIXe siècle pour l'espace-, ont conduit à des expériences ultérieures.

Notre pratique scientifique depuis dix ans est que dans presque tous les vols -on l'a encore vu avec les vols de Jean-Pierre HAIGNERE et de Claudie ANDRE-DESHAYS récemment, mais aussi des autres-, des observations originales ont été faites à propos de nos expériences, qui nous ont induits à en concevoir de nouvelles.

M. ROUGIER - Si je comprends bien, l'homme est un enrichissement ?

M. BERTHOZ - Il est un observateur.

Dans notre domaine -je ne sais pas pour les autres- le cosmonaute joue ce rôle de créer, de nous rapporter des phénomènes auxquels nous n'avons pas pensé et pas seulement des illusions.

La deuxième chose est qu'on ne peut pas compter les expériences non planifiées qui ont été faites. L'espace demande qu'on fasse des expériences planifiées dix ou cinq ans à l'avance, or nous savons tous que les agences maintenant en ont pris l'habitude.

Je crois que la première expérience non planifiée a eu lieu lors du premier vol en 1983 dans Spacelab, tout le monde en a été horrifié. Sur D1 également une ou deux expériences nouvelles ont été inventées par les cosmonautes, en quelque sorte sur place. Tout le monde a pris l'habitude maintenant du fait qu'avec les dispositifs mis en place les astronautes ont une certaine capacité de mesurer des choses qui n'ont pas été prévues et donc d'initier en quelque sorte ce qui, ensuite, peut donner lieu à des expériences. On n'est pas tout à fait prêts à faire des robots qui vont remplacer les hommes !

Par ailleurs, en ce qui concerne la coopération robotique en neuroscience, je crois qu'il est très important de voir que s'il peut y avoir des oppositions sur des problèmes très généraux, une coopération fondamentale s'établit entre roboticiens et spécialistes des neurosciences en tout cas, au point que nous sommes en train d'étudier la possibilité de créer des communautés dans le domaine de la neurorobotique.

La plupart des pays dans le monde ont des instituts dans lesquels des neuroscientifiques et des roboticiens travaillent ensemble. Dans la mesure où, comme l'a dit Claudie ANDRE-DESHAYS, les robots seront souvent télémanipulés, ils sont dans des relations opératoires avec des opérateurs humains. Cette coopération hommes- robots, fait partie maintenant de nos domaines de travail avec des problèmes scientifiques anciens et d'autres totalement nouveaux.

Le problème des délais a donné lieu, dans les années 1950, à des études majeures en psychophysique humaine. Il y a même eu un prix Nobel. Il y a eu très peu d'études et il y a un renouveau de cette problématique scientifique des délais. Ce problème intéresse les roboticiens, mais également les personnes que préoccupe le cerveau.

M. ROUGIER - Je voudrais savoir, Alexandre POLECHTCHOUK, quelle est votre réflexion au niveau des Russes par rapport à cette problématique dont nous venons de parler ?

M. POLECHTCHOUK - Tout le monde est habitué, je crois, à voir à la télévision l'image de la station internationale. Je dois dire qu'on ne pouvait créer cette station qu'en utilisant des processus automatiques, des processus d'arrimage automatique ainsi que le travail de l'homme dans l'espace en EVA.

Bien sûr, c'est une symbiose comme a dit Claudie ANDRE-DESHAYS, je suis tout à fait d'accord avec elle, il n'y a absolument pas de concurrence, on peut tout à fait travailler ensemble.

En ce qui concerne l'utilité de l'homme dans l'espace, au départ, la station Mir était prévue pour cinq ans. Grâce au travail des cosmonautes, elle existe toujours, c'est sa quinzième année d'existence.

Un autre exemple concret est que tous les robots ne savent pas distinguer, comprendre ce qu'ils voient. Lorsque le cosmonaute voit par exemple par le hublot la nébulosité, il peut très bien dire qu'il est inutile de prendre des photos et choisir un meilleur moment lorsqu'il y aura une meilleure transparence.

Pendant notre vol, nous avons inventé, avec mon accord, une méthode pour compléter les réservoirs de fluide. Ceci nous a permis d'économiser environ 20 kg, soit un tiers de million de dollars.

Je pense qu'il est judicieux pour cette discussion de demander non pas en quoi le cosmonaute est utile, mais en quoi l'espace est utile à l'homme.

Peut-être que pour les médecins, il serait intéressant de voir pour un type de maladies, la situation en apesanteur et, après le retour sur terre, de réveiller certains systèmes immunitaires et de restaurer certains systèmes.

Une approche moins traditionnelle est l'utilisation de l'espace. Beaucoup de personnes aimeraient utiliser l'espace, surtout les jeunes. Si nous pouvions avoir un tourisme de masse, nous pourrions obtenir également des financements supplémentaires pour ces programmes. Actuellement bien sûr, on ne peut pas faire du tourisme tout simple, mais peut-être construire certains scénarios avec une certaine commercialisation pour trouver de nouveaux modes de financement.

M. ROUGIER - Vous nous avez offert des pistes que nous allons étudier pendant la deuxième table ronde.

Un Intervenant - Je voudrais juste faire une petite remarque sur une voie qu'on n'a pas abordée et qui est intermédiaire entre le robot et l'opérateur humain : la télécommande. Pour l'avoir souvent utilisée dans les navettes spatiales, je peux dire que c'est une voie très intéressante puisqu'il y a l'opérateur humain qu'est l'astronaute et le scientifique dans son laboratoire qui peut lui-même opérer sur son appareil et faire son expérience à distance.

M. ROUGIER - Je pense que ce type d'expérience sera tout à fait utile en vue de ce dont on parlera dans la deuxième table ronde, en l'occurrence les vols.

M. ROUGIER - Lionel SUCHET, je vais vous interroger à ce sujet car, parfois, on met en avant des questions de coût.

Entre l'opérateur humain et une expérience faite d'une manière automatique, dans la mesure où il faut beaucoup fiabiliser les installations lorsque l'homme y est, peut-on considérer qu'une expérience faite par l'homme coûte toujours plus cher qu'une expérience faite d'une manière automatique ou est-ce le contraire ?

M. SUCHET - Les enjeux financiers sont un terrain un peu glissant. Il serait évidemment stupide de dire qu'on va construire des stations spatiales pour faire de la science moins cher parce que ce n'est pas le cas ! En revanche, une fois que ces stations sont à notre disposition, il est vrai que ce dont on vient de parler, c'est-à-dire les capacités de réaction et d'adaptation de l'homme et ses capacités pour réparer des équipements permettent de concevoir ces équipements différemment.

Les concevoir différemment veut dire prendre en compte les capacités qu'a l'homme et qu'aura le cosmonaute à bord de maintenir ces équipements. On peut utiliser des composants de dernière génération qui ne sont pas tout à fait qualifiés pour le spatial. Dans les vols habités, on peut prendre davantage de risques pour ces expériences scientifiques car on sait qu'on a de la maintenance à bord.

En ce qui concerne la mécanique, la tenue des équipements au lancement est quelque chose qui dimensionne fortement les équipements spatiaux. On a la possibilité de faire partir des équipements démontés, emballés dans des caisses et de concevoir des expériences plus rapidement et de façon plus souple. Il est vrai que ces expériences sont souvent moins coûteuses que des expériences automatiques. Je parlais d'expériences de biologie tout à l'heure, d'expériences sur la station en vol habité nécessitant de nombreuses opérations. Dès qu'on veut les automatiser, elles coûtent tout de suite très cher. Pour les réaliser, il faut en effet des automatismes de grande fiabilité qui coûtent très cher alors qu'une expérience équivalente faite par l'homme en utilisant ses capacités sera moins coûteuse.

En ce qui concerne les réparations, je suis content que le Professeur BERTHOZ ait félicité les équipes techniques pour l'absence de panne sur ces équipements.

Cependant, le dernier laboratoire Cogna était tombé en panne à bord de la station et c'est justement grâce à une réaction rapide du cosmonaute à bord qui a pu diagnostiquer la panne et la réparer avec l'aide du sol, qu'il n'y a pas eu de « panne scientifique » et que le programme a pu être déroulé.

M. ROUGIER - Puisque l'on parle de panne, il y avait quand même une grosse panne dans l'espace : Hubble. Là-dessus, Jean-François CLERVOY, on a clairement vu comment un équipement scientifique coûteux et attendu par la communauté scientifique, a pu être sauvé par du dépannage dans l'espace.

M. CLERVOY - Il est certain que les retombées scientifiques du télescope spatial ne sont plus mises en doute. Par ailleurs, Hubble est un bon exemple de complémentarité entre l'homme et le robot, puisque ce télescope spatial est avant tout un robot. C'est un automate qui observe le ciel pour le compte d'une communauté scientifique d'astronomes, d'astrophysiciens au sol, qui le télécommandent depuis le sol. Il a été conçu intelligemment pour que l'homme puisse venir le visiter une fois tous les trois ans en moyenne pour en faire la maintenance, comme on amène sa voiture au garage régulièrement en prévention, mais aussi pour profiter des progrès de la technologie, y mettre de nouveaux instruments toujours plus performants.

La durée de vie du télescope est d'une vingtaine d'années puisqu'on pense l'utiliser jusqu'en 2010 et qu'il a été lancé en 1990. Dans la décennie qui vient, on pourra y mettre des instruments beaucoup plus performants qui permettront de voir dix fois plus loin que les instruments installés au départ.

Il s'est avéré que notre mission de maintenance de décembre dernier était plus qu'une mission de maintenance, c'était une mission de réparation puisque le télescope avait perdu quatre gyroscopes sur les six qu'il possédait à bord pour effectuer le pointage astronomique. Nous sommes arrivés, le télescope était bien conçu pour la maintenance par les astronautes en scaphandre, donc les interfaces sont conçues exprès pour le scaphandre, les outils sont également bien conçus et les astronautes bien entraînés. Nous avons réalisé une mission qui a réussi à 100 % et qui a redonné naissance au télescope avec des performances accrues.

On a en effet profité de cette mission pour améliorer l'ordinateur de bord, les mémoires de masse, le rechargement des batteries, la protection thermique, c'est donc vraiment un bon exemple. C'est avant tout un robot, mais de temps en temps il est maintenu par l'homme pour le rendre plus performant et pour lui permettre de vivre plus longtemps.

M. MIKOL - Je suis un peu un extraterrestre ici, n'étant pas vraiment impliqué dans les programmes spatiaux, mais je voudrais faire quelques remarques dont une intéressera peut-être l'Office parlementaire.

Mme Claudie ANDRE-DESHAYS a fait une remarque très intéressante en demandant de quoi on se privait si on n'allait pas dans l'espace. Aujourd'hui, à budget constant pratiquement du PIB, il faut savoir que si on va dans l'espace, il y a d'autres choses que l'on ne fait pas et la question est de savoir ce qui est prioritaire.

Je crois que cette remarque nous intéresse particulièrement nous, pharmaciens, car il y a un certain nombre de programmes, notamment aux Etats-Unis, dans le domaine de la biologie, qui concernent tous les aspects reliés au génome humain, pour lesquels les budgets américains sont multipliés par deux alors qu'on ne peut pas dire que le budget spatial soit doublé.

Les Américains nous invitent à participer aux programmes spatiaux, mais ne nous invitent pas à participer aux projets biologiques de génomique qui ont des retombées sociales, économiques et médicales sûrement ou vraisemblablement plus importantes.

Je crois qu'il faut avoir cette réflexion sur l'importance des choix que le pays et l'Europe font au niveau spatial par rapport à d'autres technologies compte tenu du fait qu'aujourd'hui, cela représente 2,1 % du PIB.

M. ROUGIER - Peut-être une question sur les choix spatiaux avant que Jean-Jacques FAVIER ne nous résume ce qui s'est dit.

Claudie ANDRE-DESHAYS, très clairement, si demain, enfin pas demain puisque nous sommes sur la station spatiale internationale, mais après-demain, l'Europe décidait, en suivant un peu ce que vient de dire Monsieur MIKOL, de ne plus participer à l'aventure spatiale, ne risque-t-elle pas quelque part de se priver de tout ce qui pourrait être découvert par la suite puisqu'elle ne sera plus partenaire ? N'y a-t-il pas là un risque ?

Mme ANDRE-DESHAYS - Oui bien sûr, il y a un risque. Si celui qui n'est pas partie prenante de l'aventure de ce XXIe siècle n'en partage pas les difficultés, les lenteurs, les inquiétudes, il n'en partagera pas non plus les bénéfices, les retours. Tout le monde comprend bien sûr les priorités, les répartitions.

Pour aller dans le prolongement de votre question, je ne suis pas sûre que ce qui ne sera pas proposé à une participation française ou européenne à un programme spatial sera, par ailleurs, reversé à la contribution française ou européenne dans le domaine de la génomique ou autre. Je ne suis pas sûre que les questions se posent en ces termes, c'est cependant une réflexion intéressante à avoir.

Mais si nous ne sommes pas dans l'aventure spatiale dans les dix, quinze années à venir, pour l'exploration, la conquête, la quête de l'homme, nous n'aurons pas vraiment un droit de regard, en tout cas de représentation de l'être humain européen à cette aventure.

Lorsque j'ai parlé tout à l'heure de ce que l'homme peut apporter par rapport au robot dans sa composante d'être humain, de perception et de transmission de ce qu'il vit, c'est aussi en partie en fonction de ces enjeux européens. L'astronaute européen, dans un vol européen, ce sera aussi un peu l'Europe présente, une identification, une âme de l'Europe pour les projets futurs.

M. LORIDANT - Je crois que la question posée par Monsieur MIKOL et la réponse de Claudie ANDRE-DESHAYS situent le problème à un niveau politique.

En ce qui concerne la problématique que vous soulevez, lorsque j'ai rédigé ce rapport dans les années 1990 - c'était la première fois qu'un parlementaire faisait un rapport sur l'espace -, il y avait déjà cette objection. On disait que si on ne faisait pas de vols habités, il y aurait davantage de crédits pour tel et tel ensemble. Et je répondais, en politique, qu'on n'avait absolument pas l'assurance que les crédits qui ne seraient pas mis à cet endroit, iraient là où on le voulait. Forcément le choix, l'orientation étaient une décision qui était le fruit d'un débat entre un pouvoir exécutif, ses conseillers, le vote du Parlement et les orientations finales qui seraient choisies.

Dans ce domaine comme dans d'autres, vous les scientifiques, devez intégrer une donnée qui est un terme de volonté de puissance sans que ce ne soit péjoratif.

J'ai tendance à considérer - et je vous ai donné une clef à l'entrée de ce débat - que si nous voulons que la France et maintenant l'Europe aient un pouvoir réel au XXIe siècle, il faut nous demander quelles seront les attributions qui en feront une grande puissance.

Il y a vraisemblablement :

- la recherche sur le génome,

- une dimension spatiale,

- une dimension de télécommunications,

- une dimension qu'on ne mesure plus très bien qui est une dimension militaire dont on ne voit cependant plus très bien les contours aujourd'hui.

C'est ce cocktail qui fera que la recherche dans l'espace et la présence d'hommes dans l'espace sera ou non un élément de choix.

Encore une fois, je raisonne en politique. Votre travail est de chercher, d'avoir les retombées. Mais, à un moment, vous avez aussi à éclairer les politiques. Vos députés et sénateurs sont tous très intelligents, mais si vous ne les nourrissez pas, ils seront moins intelligents.

M. ROUGIER - Nous allons passer à la synthèse des débats.

M. FAVIER - Je vais essayer de résumer rapidement nos propos. Ce n'est pas un exercice très simple, aussi si je ne suis pas complet ou, si j'ai mal interprété certains de vos propos, je vous prie de bien vouloir m'en excuser à l'avance et éventuellement de me corriger.

On est parti d'un constat, d'une idée que le Sénateur LORIDANT vient de reprendre : pour être grand, il faut être dans le spatial. Les vols habités font partie du spatial et, à ce titre, les grands veulent poursuivre leurs efforts dans ce type de vols. On a fait remarquer que d'autres puissances émergentes voulaient faire partie du club et faisaient tous leurs efforts - on a cité la Chine - même si ce n'était pas forcément une priorité.

Toujours est-il que le contexte est celui-ci. A partir de là, on a essayé de voir :

- dans un premier temps au niveau européen et français comment on se situait dans ce contexte ;

- dans un deuxième temps, à travers l'expérience acquise et éventuellement de nouvelles perspectives, comment utiliser au mieux tout ce contexte.

Monsieur FEUSTEL-BÜECHL nous a dit que l'Europe devait y être et y était, peut-être trop modestement au goût de certains, peut-être trop pour d'autres. Mais on était présent et il y avait un certain nombre de motivations en faveur de la présence de l'Europe.

Parmi les quatre motivations citées, j'en ai retenu une qui me semblait importante parce qu'elle a également été reprise par Monsieur VACHON, c'est la notion du travail technologique commun aux nations développées possédant ces technologies. Au Canada, semble-t-il, c'est même la mise en place d'infrastructures technologiques et industrielles à caractère spatial qui est visée à travers cet exercice.

Dans une deuxième partie de la discussion, on a évoqué plus concrètement les développements et les utilisations de ce contexte et on s'est beaucoup concentré sur l'acquis en termes de recherche scientifique liée essentiellement aux conditions de microgravité particulières qu'on ne peut pas reproduire pour des périodes suffisamment longues ailleurs qu'en orbite.

Monsieur SUCHET a dit que les deux caractéristiques, les deux portes qu'ouvrait le contexte, étaient l'observation des phénomènes masqués et la compréhension des phénomènes complexes qui, en fait, sont deux choses complémentaires.

On nous a donné un grand nombre d'exemples aussi bien en sciences de la vie qu'en neurosciences.

Monsieur BERTHOZ nous en a donné des exemples, dans le domaine des sciences de la vie d'une manière générale, sur ce qu'on avait été amené à découvrir en ayant placé l'homme dans ce contexte à travers sa présence dans les programmes au départ à caractère politique.

L'homme étant là, on l'a étudié pour savoir s'il pourrait poursuivre le programme et il a été une mine de ressources pour des études scientifiques tout à fait structurées qui ont permis des avancées significatives - je ne les reprendrai pas toutes - qui viennent compléter ou parfois anticiper un certain nombre de recherches qui se font en parallèle au sol. Ces recherches en sciences de la vie s'accompagnent souvent aussi de développements techniques, d'appareillages utilisés de façon très systématique maintenant dans les hôpitaux et les grands instituts.

Monsieur MIKOL a parlé de la cristallisation des protéines qui n'avait peut-être pas tenu toutes ses promesses, c'est exact. L'industriel cherchant un résultat, une solution sur le court terme à certains de ses problèmes, se désintéresse momentanément de cette possibilité.

Il faut cependant savoir que, globalement, le nombre de tests qui ont pu être réalisés dans l'espace, à bord des stations et des navettes, n'a rien à voir avec le nombre d'expériences, d'heures et d'hommes qui, au sol, en parallèle ou auparavant, ont dû faire des recherches, des mises au point. Il est donc un peu normal que, compte tenu de ce déséquilibre, on ne puisse pas comparer dans tous les domaines le retour scientifique et donc une mise au point d'expérience.

Pour cette raison, la station spatiale internationale qui devrait ouvrir en continu pendant des mois, des années, avec des expériences qui tournent, sera le bon test pour savoir si toutes les espérances qui ont pu être imaginées sont fondées ou non et si, réellement, elles conduisent à des retours au niveau des applications à caractère commercial.

On est revenu sur la question de départ, c'est-à-dire celle de l'utilité de l'homme dans l'espace. On a beaucoup parlé du contexte et du potentiel. La question de l'utilité a été abordée traditionnellement par l'opposition ou la mise en exergue du robot et de l'homme.

Ceux qui ont vécu l'expérience des vols habités - soit en tant qu'astronautes, soit en tant que scientifiques associés directement à des expériences ou ingénieurs présents autour de cette table - sont à peu près unanimes pour dire que les astronautes ont un rôle très spécifique à remplir dans les missions spatiales. La robotique est déjà très présente dans les stations et les navettes ; il n'y a pas opposition, mais complémentarité entre le rôle du robot et celui de l'homme.

Monsieur BEYSENS a cité le concept de téléscience qui permet de laisser une plus grande flexibilité aux scientifiques sur ces expériences. Mais la présence proche de l'instrumentation en vol d'un homme exercé et d'un oeil averti, a permis, permet et permettra d'améliorer le retour scientifique sans contestation possible.

On a évoqué deux autres points un peu plus éloignés de la science sur lesquels je terminerai. C'est le rôle de l'homme en tant que réparateur de gros systèmes spatiaux. On a cité la mission de Jean-François CLERVOY sur Hubble, il y a là un rôle incontestable de l'homme dans la boucle. Il a souligné aussi le concept-même du télescope Hubble qui est en fait un gros instrument scientifique, un gros laboratoire très automatisé, mais conçu dès le départ pour une certaine interactivité avec le scientifique au sol, mais aussi l'homme et l'astronaute comme interface.

L'amélioration est fondamentale car, en fonction du retour scientifique et des résultats qui tombent en cours d'utilisation, on peut prévoir d'autres expériences et l'astronaute est le seul à pouvoir les mettre à bord. Les scientifiques gagnent là énormément.

Je dirai entre parenthèses que l'autre grand satellite d'observation, Kopton, qui, lui, n'avait pas la possibilité d'être accessible aux astronautes, a été perdu corps et biens alors qu'il était plus récent que Hubble.

On a évoqué aussi ce qu'on appelle les retombées technologiques du spatial. Comme dans tout le contexte spatial, c'est quelque chose de non négligeable.

Les vols habités ont nécessité le développement de technologies très spécifiques qui, elles, se revendent ou s'exploitent au sol dans certaines niches, il faut le souligner.

On a également évoqué l'astronaute ou l'homme à bord dans l'espace au titre de l'éducation, de l'image, de l'exemple pour les jeunes, donc l'aspect attractif, l'image attractive. Ceux qui, comme moi, ont donné de nombreuses conférences devant des jeunes, ont ressenti, Claudie ANDRE-DESHAYS nous le rappelait, cet intérêt de la jeunesse pour l'espace, pour ce qu'il représente pour eux-mêmes. Même s'ils ne seront pas cosmonautes ou astronautes après, il est sûr que c'est un pôle d'attraction.

Enfin, Monsieur LORIDANT est revenu sur l'aspect politique des choses.

Il est clair que tout ce qu'on vient d'évoquer, c'est tout le potentiel que peuvent réserver les vols habités aussi bien au titre de la science, de la technologie, que des retombées commerciales, des applications au sol.

Mais comme notre point de départ nous l'indiquait, il s'agit en fait d'une question d'ordre politique, de choix politique. Il faut permettre aux politiques d'avoir une vision suffisamment globale et lointaine pour qu'ils puissent s'engager dans cette direction.

Il est clair qu'en France et en Europe, il y a une compétence incontestable dans ce domaine. Le politique doit donc prendre également en considération le fait que la nation et l'Europe sont particulièrement bien placées pour poursuivre. C'est sur ces bases et avec les arguments techniques et scientifiques qu'il est peut-être mieux armé pour prendre une telle décision.

M. ROUGIER - Merci beaucoup de cette synthèse pas facile à faire ainsi « à chaud ». Dans quelques instants, nous allons passer aux questions dans la salle.

Auparavant, Pierre DUCOUT, en tant que Président du groupe parlementaire sur l'espace, vous deviez participer à la deuxième table ronde, mais vous ne pourrez malheureusement pas. Pouvez-vous nous dire quelques mots maintenant.

Je ne sais pas si vous vous en souvenez, Pierre DUCOUT, mais nos chemins se sont croisés il y a une vingtaine d'année en Floride avec le Conseil général de la Gironde : un voyage avait été organisé avec des jeunes sur la base de Floride. Ceci montre que votre intérêt pour l'espace ne date pas d'aujourd'hui mais d'il y a très longtemps.

M. DUCOUT - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

De fait nous étions autour de Patrick BAUDRY, un Girondin avec des jeunes girondins, il y a maintenant quinze ans. Je me retrouvais sur un sujet vu récemment par le Sénat qui est évidemment davantage terre à terre, mais qui est aussi à l'origine de l'homme qui était d'abord un chasseur-cueilleur, étant entendu que l'espace peut être considéré comme son avenir.

Après l'enjeu scientifique de l'homme dans l'espace et des vols habités qui a été, je crois, fort bien développé par cette première table ronde, même si on n'a pas forcément entendu d'intervenants contre, comme l'on dit en technique parlementaire, bien que cela ne veuille pas dire contre à 100 %, je voudrais simplement dire deux mots sur les enjeux politiques et philosophiques qui ont d'ailleurs été abordés par notre collègue Paul LORIDANT.

La seconde table ronde développera ce point, mais « dans la capacité d'envoyer l'homme dans l'espace et de le ramener vivant » - c'est une expression du Président KENNEDY -, il y a incontestablement une dimension stratégique par la démonstration d'une maîtrise parfaite d'un système complexe et de très haute technologie.

Vous le savez, stratégie et psychologie ne sont pas très éloignées.

Il y avait dans le projet Hermès, que Patrick BAUDRY avait porté, un autre rendez-vous que celui de la maîtrise technique : l'occasion d'entrer dans le petit club des vraies puissances spatiales, celles qui ont fait chavirer l'humanité du rêve à la réalité.

On peut rappeler que l'Europe met six fois moins d'argent public que les Etats-Unis dans l'espace.

Jean-François CLERVOY, que nous avons eu le plaisir de recevoir à l'Assemblée Nationale il y a quelques jours, racontait au Président FORNI, de l'Assemblée, que John GLENN, qui était devenu un symbole pour les Etats-Unis, mais aussi pour l'Occident, avait été privé de missions pour préserver sa pérennité et le mythe qu'il représentait.

Hermès abandonné, la France est un peu restée à la porte de ce royaume. La donne internationale est restée ce que vous savez. Vous serez surpris d'un propos très national autour d'Hermès, mais à l'époque, la France spatiale a eu rendez-vous avec elle-même. Peut-être avons-nous eu un peu peur !

Si l'Europe aujourd'hui - c'est ce que l'on peut dire - veut tenir son rang, elle doit savoir tirer les leçons de l'histoire, surmonter les inhibitions, galvaniser les énergies et placer peut-être des hommes et des femmes en haut d'Ariane 5. C'est peut-être à cette condition que l'Europe pourra quelque part exister dans le concert international.

Dans les vols habités, il y a, pour moi, également un autre danger. Derrière la question d'investissements dont on a parlé, c'est la pertinence de la science qui est mise en cause.

La recherche peut apparaître pour certains davantage comme un luxe que comme la condition fondamentale de notre progrès commun. Il y a aujourd'hui, avec certains, des discussions à ce sujet et la présence de l'homme dans l'espace peut apparaître, pour ceux-là, comme le symbole idéal à combattre.

Voilà pourquoi défendre les vols habités, c'est aussi défendre la science, l'action de recherche, même si la science ne passe pas seulement par la présence de l'homme dans l'espace.

Et puis, il y a la part de rêve... Tous ceux qui étaient en âge de le faire ont veillé le 20 juillet 1969, cela a été dit par notre ministre. En un petit pas, l'homme est passé de l'obscurité à la lumière et, par un grand pas, l'humanité s'est éveillée à sa propre conscience.

En ce qui concerne la question scientifique, il y a également un danger qui menace l'espace. Si on le considère comme le domaine du rêve, on en conclut trop vite que l'adhésion y est spontanée. Il faut rappeler l'effort constant de la NASA en matière de communication ; ce rêve doit être entretenu, John GLENN en sait quelque chose.

Je voulais dire que notre groupe parlementaire de l'espace qui, évidemment, essaye de peser aujourd'hui sur les financements d'Ariane, de Galileo ou de GMES, tisse des liens forts avec ses partenaires européens. Notre groupe parlementaire s'est toujours montré attentif à cette question.

Je veux rendre ici hommage à l'exigence et à la simplicité de nos spationautes. Ils sont toutes et tous de formidables relais vers l'opinion publique, bien qu'à notre avis trop peu sollicités peut-être en France.

Dès l'origine, notre groupe, parfois contre vents et marées, a établi un lien privilégié avec ces hommes et ces femmes qui font de l'espace une réalité. C'est ainsi qu'en 1997 nous avons reçu à l'Assemblée Nationale :

- Jean-Loup CHRETIEN et l'équipage de la septième mission Atlantis,

- l'équipage de la mission STS-95 en janvier 1999,

- Jean-Pierre HAIGNERE avec l'équipage de la mission Perseus à l'occasion de la dernière cérémonie des voeux de notre groupe parlementaire ici, au Sénat.

Il y a donc, enfin, un enjeu philosophique au débat qui nous occupe. Pour le coup, le politique s'efface pour laisser place aux convictions de l'homme.

J'ai la conviction que l'humanité s'étendra et vivra au-delà de la surface terrestre. Cette réalité n'est ni pour tout de suite ni pour demain, mais c'est une perspective qui appelle une préparation. Cela mérite une vision et une cohérence d'action.

Depuis le 11 décembre 1972 la Lune n'a plus vu d'humains, mais je pense que Mars en recevra dans vingt, trente ou peut-être plus d'années.

Au-delà de la découverte scientifique qu'elle peut représenter, la conquête spatiale répond à la nécessité pour l'homme de dépasser ses limites. L'abandon de la terre-patrie marque les prémices d'une liberté affirmée, d'une victoire sur une existence insatisfaisante puisque limitée dans le temps et l'espace.

En conclusion, plus fondamentalement pour moi, la conquête de l'espace est un moyen de répondre à une certaine angoisse. L'être humain a conscience de sa finitude, a une soif de continuité. La destinée humaine répond à une finitude. A l'élément fini, aux limites cernées de la terre, l'espace dans son infinité en expansion, donne un nouvel espoir de continuité, une raison de poursuivre une mission apparemment vouée à l'échec.

Avec la conquête de l'espace, l'homme répond à une angoisse par une inquiétude rationnelle. La vie de l'homme dans l'espace ne le rendra pas pour autant immortel. Claudie ANDRE-DESHAYS a parlé de la réversibilité du temps qui passe. Si cette aventure ne peut pas calmer son angoisse, elle lui offrira néanmoins une occasion unique de réfléchir sur sa dimension spirituelle. Pour moi, si l'homme quitte la terre, emporte-t-il Dieu avec lui ?

Merci de rester sur cette interrogation.

Je vous souhaite une bonne continuation de vos travaux.

M. ROUGIER - Merci Pierre DUCOUT.

Nous allons prendre maintenant quelques minutes pour poser quelques questions aux intervenants de cette première table ronde.

M. HOFFMAN - On a beaucoup parlé de l'utilisation de la station spatiale pour la recherche scientifique, mais à mon avis, il faut absolument ne pas ignorer une autre utilisation, celle d'un banc d'essai pour les nouvelles technologies spatiales.

Je pense que, pour cette utilisation, la présence des astronautes sera vraiment très utile pour pouvoir changer des mécanismes et faire des expériences en coopération avec les techniciens au sol.

Je ne sais pas s'il faut faire un commentaire à ce sujet, mais je ne voulais pas qu'on ignore cet autre aspect de l'utilisation de cette station.

M. ROUGIER - Nous aborderons ce point dans la seconde table ronde, quelqu'un souhaite-t-il apporter quelque chose sur ce sujet ?

M. ZAPPOLI - Je crois que la question du lien entre la recherche en micropesanteur et les techniques spatiales est très importante.

Il s'agit, je crois, de l'application la plus immédiate - cela a été un peu abordé par Jean-François CLERVOY - de l'utilisation de l'ambiance de micropesanteur pour étudier et parfaire la question de la gestion des fluides en orbite dont on sait qu'elle est la clef de la durée de vie des satellites de communication.

Elle est aussi la clef des nouvelles technologies de moteurs allumables en orbite, c'est-à-dire comprendre la combustion de brouillard en suspension. C'est un point que l'on maîtrise mal.

Au-delà de l'utilisation de la micropesanteur pour répondre à des questions pouvant améliorer l'amélioration des procédés industriels au sol, à plus long terme, il y a l'utilisation directe pour les technologies spatiales.

M. FEUSTEL-BÜECHL - On n'a peut-être pas eu le temps d'aborder ces questions, mais excepté les recherches en microgravité, la station spatiale peut également servir comme centre de ces technologies comme indiqué par Monsieur HOFFMAN. C'est un aspect assez intéressant parce que la station est disponible tout le temps, l'accès est permanent. On peut bien utiliser cet outil pour faire des essais technologiques pour préparer des missions, des technologies pour les satellites ou pour autre chose.

En plus, on est aussi en train d'examiner de plus en plus l'utilisation commerciale. Par exemple, à l'ESA, on a un programme qui s'appelle MAP (Microgravity applications programm). On essaye d'unir les chercheurs et l'industrie pour développer des projets communs avec le but de transférer la technologie et la connaissance des expériences aux produits terrestres pour intéresser davantage les industries conventionnelles. Avec la recherche, cela représente une partie importante de l'utilisation de la station spatiale.

M. ESTERLE - J'ai travaillé pendant un certain nombre d'années au CNES sur les programmes de microgravité ainsi que sur un certain nombre de missions habitées.

Je n'ai pas vraiment une question, mais plutôt un commentaire ou une interrogation concernant la méthode employée. Réunir autour d'une table des personnes qui consacrent leur vie professionnelle, voire leur vie tout court, à l'homme dans l'espace, c'est garantir qu'on aura un discours sur l'homme dans l'espace. Cela a d'ailleurs été remarqué par le Député DUCOUT.

Il y a évidemment une exception, une des personnes est venue faire le contradicteur. Je ne veux pas du tout remettre en cause tout ce qui a été dit, c'est parfaitement juste, c'est parfaitement vécu, c'est tout à fait sensible, mais il y aurait peut-être d'autres méthodes pour éviter cette sorte d'écueil consistant à purement et simplement renvoyer le miroir d'un phénomène.

Par exemple, tout ce qui concerne la science ou les applications, les utilisations technologiques de ce qui a pu être découvert dans l'espace, peut se mesurer comme n'importe quelle politique scientifique ou n'importe quelle politique technologique. Il y a des méthodes, des organismes qui le font très bien. Et on pourrait leur demander d'analyser le bilan - à travers les publications, les brevets et leur utilisation - de tout ce qu'a été une politique spatiale, appuyée, portée par l'homme dans l'espace, car maintenant cela fait quand même un certain nombre d'années. Pour la France et l'Europe, cela fait environ vingt ans, avec une intensité variable, qui s'est accrue depuis une dizaine d'années.

Une forme de bilan pourrait compléter ce qui a pu être dit autour de cette table par ces procédures qui sont tout à fait courantes dans d'autres domaines de la science et de la technologie. Je pense que la même chose pourrait être faite sur ce qui a été évoqué, c'est-à-dire la réponse sociale en quelque sorte à l'homme dans l'espace. Ce sont des méthodes tout à fait simples.

Avant de venir ici, pour me faire une idée, j'ai regardé sur Internet. La NSF fait chaque année des études sur l'impact, la réponse sociale de politiques publiques, en particulier la politique scientifique. Elle isole, met en évidence la réponse ou l'intérêt, le niveau de connaissances personnelles que les personnes peuvent avoir dans un certain nombre de domaines de politique générale par rapport à la politique scientifique.

Elle compare la politique internationale, la politique de défense et la politique scientifique. Et, dans la politique scientifique, il y a un certain nombre de thèmes dont l'espace et les affaires spatiales. Si l'espace n'est pas mal placé, il n'est pas très en avant non plus, d'autres thèmes semblent répondre mieux aux aspirations du public de nos jours, et en particulier tout ce qui concerne les recherches de pointe - pour cette raison je rebondis sur ce qu'a dit Monsieur MIKOL - en médecine avec toutes les promesses portées par exemple par le génome. Je voulais simplement faire cette remarque. L'Office pourrait utiliser d'autres méthodes pour analyser ce domaine et peut-être pour enrichir sa réflexion sur ce sujet.

Je terminerai en disant que, dans le sens de ce bilan, j'aurais une petite remarque à faire sur le tour de table. En écoutant tout ce qui se disait, il m'est venu l'idée que si la même démarche avait été menée, il y a une dizaine d'années - je ne me souviens pas si elle l'a été par le Sénateur LORIDANT - on aurait trouvé à peu près les mêmes personnes au tour de cette table, je crois. Et je me disais qu'il manquait peut-être de renouvellement dans ce domaine. Je le regrette et je trouve que ce n'est pas un signe de très grand dynamisme.

Ceci dit, individuellement les choses ont changé, ne serait-ce que parce que les astronautes ont volé et je suis sûr que cela change beaucoup la vie.

M. LE PRESIDENT - En ce qui concerne la méthode, je remercie comme je l'ai fait au début - et je le ferai à la fin - toutes les personnes qui ont bien voulu assister aujourd'hui, intervenants, public et journalistes, à ce colloque.

Ce colloque n'est, dans la quête d'informations que je suis chargé de faire au niveau de l'Office parlementaire, qu'un élément. J'ai commencé à travailler il y a bientôt un an, je vais poursuivre encore mon travail pendant six mois. J'ai fait appel à des experts qui m'aident dans ce travail et que je remercie aujourd'hui d'avoir bien voulu y participer, mais ce n'est qu'un élément de l'évaluation que je suis chargé de faire.

Vous avez parlé, Monsieur, de la quête du public, de ce que demandent nos concitoyens. C'est un grand, un vaste sujet.

Notre participation à la station spatiale internationale représente à peu près 10 % de la dotation du CNES qui s'élève à peine à 9 MdF.. Vous allez me dire que je n'ai pas à faire une comparaison, qu'elle ne vaut rien, mais le chiffre d'affaires de la Française des Jeux est d'environ 33 MdF, le PMU environ la même chose. Ce soir une demi-finale réunit devant les écrans des millions de Français avec des joueurs qui se vendent, comme au marché d'esclaves, des milliards bientôt.

Les Français ont donc des choix à faire, c'est vrai, mais je pense que c'est à ceux qui les représentent de les faire et ces choix sont difficiles car, dans un budget constant, un ministre ne peut d'un coup passer d'une dotation de 9 MdF à une dotation de 25 MdF.

Un président de Conseil général consacre aux routes de son département un certain nombre de millions et même si on lui réclame de boucher beaucoup plus de trous et d'ouvrir de nouvelles routes, il ne peut pas brusquement passer à des centaines de millions.

Des choix sont réalisés, c'est vrai, entre différents types de recherche. Je crois qu'au Parlement, nous essayons de nous informer au maximum et ensuite de faire des choix et d'essayer d'éclairer aussi les choix du gouvernement.

C'est le but que nous nous proposons de poursuivre à l'Office parlementaire. Je n'ai cependant pas choisi cette méthode aujourd'hui pour dire que je commence mon rapport ce matin et qu'il sera fini ce soir.

M. ZAPPOLI - Pour ce qui est de l'examen des résultats, il y a des offices d'évaluation de la recherche. L'Académie des Sciences s'est plongée dans les résultats de la micropesanteur en des termes qui ne sont pas particulièrement en sa défaveur. La micropesanteur a été examinée par le Comité des très grands instruments.

Au niveau européen, l'Agence spatiale européenne a réuni un grand jury, dont le prix Nobel PRIGOGINE était le président. Elle a examiné de manière tout à fait positive la démarche, l'évolution des recherches et leurs résultats.

M.GÜELL - En ce qui concerne le domaine des sciences de la vie, je voudrais vous rappeler que la procédure d'évaluation à laquelle vous faites référence est en cours.

Ce travail est fait en commun avec les équipes de l'Agence spatiale européenne et mon homologue Didier SCHMITT. Il est en cours depuis neuf mois maintenant.

M. LORIDANT - Votre question sur la méthodologie est très intéressante.

Il faut vous rappeler d'abord que vous êtes ici dans une assemblée parlementaire. Lorsqu'en 1990, pour la première fois, un parlementaire a fait un rapport sur la politique spatiale, c'était une démarche d'information du Parlement en direction des parlementaires et éventuellement un regard différent du pouvoir législatif par rapport au pouvoir exécutif.

Dix ans après, l'Office parlementaire perdure et le travail réalisé, excusez-moi, n'est pas fait pour vous a priori, mais pour éclairer le Parlement. Nous sommes en effet appelés à prendre des décisions budgétaires, des décisions d'orientation porteuses de décisions en termes d'affectation de crédits et de choix fiscaux. Vous payez des impôts et on fonctionne dans un régime de démocratie parlementaire.

Je prends plutôt votre remarque comme un éloge de la méthode puisque le Parlement mandate dix ans après un autre parlementaire - et c'est bien que ce soit un autre - pour jeter un regard sur l'évolution qui a eu lieu et le fait publiquement.

Or on ne peut pas avoir un débat dans le pays aujourd'hui sur les politiques. Ils s'occupent de leurs problèmes, ils sont dans leurs affaires, ils font leurs petits intérêts personnels. Et lorsque vous avez une démarche d'un Parlement, d'un Office parlementaire qui débat publiquement de cette évaluation, qui invite le public et les professionnels, vous dites que nous exagérons sur la méthode ou que nous nous trompons de méthode.

Dans mon rapport, j'avais abordé :

- la microgravité,

- l'accès à l'espace,

- les sciences de l'univers,

- l'observation de la terre,

- les télécommunications,

- l'espace militaire.

Il n'a pas fini son travail, le pauvre Sénateur REVOL, je lui souhaite bien courage !

Mais l'important n'est pas là, à mes yeux il s'agit d'une importance éminemment politique ! On doit, puisqu'on est dans une démocratie représentative, vous assurer qu'on fait bien notre travail dans l'affectation des crédits, qu'on ne se trompe pas ou que si le pouvoir exécutif prend de mauvaises orientations, on est à même de le critiquer et on vous doit la transparence. Pour le coup, vous l'avez la transparence ! Le Sénateur REVOL y travaille, il prend ses experts, il fait venir un vieux monsieur qui a fait le rapport il y a dix ans et on débat devant vous ! Question de méthode !

M. BERTHOZ - Je suis très heureux que vous ayez soulevé publiquement la question importante, sur laquelle je n'ai pas voulu intervenir tout à l'heure, de l'évaluation scientifique.

On a assisté depuis quelques années dans ce pays, dans ce domaine, à certaines campagnes qui ont parfois été des campagnes de calomnie et je pense qu'il est très important que nous soyons très au clair sur l'évaluation scientifique.

Pour la Commission parlementaire, je voudrais, en deux mots, dire quels dispositifs actuellement sont mis en oeuvre par les différentes instances qui jugent, au moins dans le domaine qui nous concerne, celui des sciences de la vie et des neurosciences, les projets, la réalisation et les sorties scientifiques.

Premièrement, le CNES - ce n'est pas à moi de le dire, mais c'est un fait - est soumis à un comité ad hoc qui choisit les projets et qui est entièrement composé de personnes qui n'ont pas du tout d'implications dans le domaine spatial. C'est déjà très important pour s'assurer que le choix des projets est jugé par des personnalités scientifiques indépendantes.

Deuxièmement, il faut savoir que la plupart des chercheurs impliqués en France - c'est vrai pour l'Europe, mais en particulier pour la France - dans les recherches, sont des chercheurs du CNRS et de l'INSERM. Les dossiers sont évalués individuellement par les instances scientifiques de la recherche spatiale du CNRS et de l'INSERM qui sont complètement indépendantes.

Et les nominations au grade de directeur de recherche, de chargé de recherche, les recrutements, les évaluations données, sont un critère absolument indépendant et je crois qu'on pourrait très facilement faire un bilan très favorable sur les carrières de ces chercheurs tels qu'évalués par le Comité national de la recherche scientifique ou de l'INSERM.

Troisièmement, l'Agence européenne spatiale a fait faire, justement il y a quelques années, au moment où il y a eu les vols Euro-Mir etc., une évaluation très approfondie notamment des secteurs des sciences de la vie par des comités indépendants qui ont fait une sorte de bilan sur ce qui s'était passé avant, au cours des années précédentes. Et je crois qu'une partie des projets acceptés dans Euro-Mir et autres, ont été le résultat de cette évaluation scientifique indépendante.

Quatrièmement, il faut savoir que depuis quelques années - c'est très important à savoir pour la station spatiale - le mécanisme mis en place pour évaluer les projets de cette station est un mécanisme à deux coups, ce qui est très important pour nous aussi. On est effectivement partie prenante, on est juge et partie, c'est l'inquiétude que vous avez manifestée.

Une première sélection est faite par des experts scientifiques nommés par NSF, NAH avec des représentants du CNRS, des organismes européens, etc. Cette évaluation porte uniquement sur la valeur scientifique, en général avec des experts qui n'ont rien à voir avec le spatial.

Cette sélection scientifique est unique au monde car excepté les programmes Human frontiers dans notre domaine, qui sont des programmes internationaux, il y a assez peu de systèmes d'évaluation mondiale en quelque sorte de la science. Les seuls que je connaisse sont les grands programmes Frontières humaines.

Ces comités internationaux formés de scientifiques font une première évaluation, puis une deuxième évaluation a lieu sur la faisabilité.

Le fait qu'un certain nombre de programmes, de projets dont nous avons parlé tout à l'heure ou qui vont voler bientôt et avoir des classements comme par exemple être premier sur 490 projets, n'est pas forcément un signe de difficultés, je crois, ce qui était le cas pour certains projets français. Et le bilan des projets français dans ce filtrage a été plutôt positif.

Mais c'est très important et je crois qu'on a tous souhaité qu'il y ait effectivement, dans le programme de la station, cette double évaluation :

- l'évaluation par la communauté scientifique au même niveau que celui auquel on a l'habitude d'être jugé,

- plus l'évaluation d'une autre communauté.

Enfin, il y a toute une série de mécanismes mis en place et très intéressants comme celui auquel participait la France il n'y a pas longtemps. Ce sont des workshops organisés par la communauté et la station. Un workshop de neuroscience a été organisé par le CNES avec les laboratoires en France ; les actes en ont été publiés dans la revue Brain Research. Et on a mis un point d'honneur avec Antonio GÜELL, qui dirige ce secteur au CNES, à ce que tous les articles de ce bilan - soit une trentaine ou une quarantaine d'articles internationaux - soient eux-mêmes évalués par des experts internationaux avec une liste.

C'est un problème fondamental.

Je crois cependant que la communauté y est très sensibilisée. Et si les personnes que vous avez peut-être vues depuis quelques années sont autour de cette table, c'est qu'elles ont réussi, par un miracle que je vous laisse le soin d'expliquer, à passer à travers ces filtres.

M. BLAMONT - Je suis conseiller du directeur général du CNES et membre de l'Académie des Sciences. Monsieur le Président, je répondrai au Sénateur LORIDANT que je suis un grand admirateur du fait que le Parlement se pose le genre de questions qui sont posées aujourd'hui.

Je vis en partie aux Etats-Unis et je constate avec admiration le processus de contrôle démocratique des grandes options du pays et en particulier de l'espace. Il est à souhaiter qu'un processus d'une aussi grande rigueur soit introduit en France, j'espère qu'il l'est.

Maintenant, je voudrais m'associer à ce qui a été dit par Monsieur le Député DUCOUT et par Alain ESTERLE.

Vous voulez vous renseigner et renseigner les parlementaires, donc vous posez des questions. A mon sens cependant, c'est peut-être un peu dangereux de réunir autour de vous un lobby où l'ensemble de cette table ronde, sauf une personne, est du même avis, surtout sur une affaire aussi controversée. Il me semble qu'il a manqué véritablement un regard critique sur ce qui a été dit. Un certain nombre de choses ont été dites d'ailleurs qui, à mon avis, sont inexactes. Je n'ai pas du tout l'intention d'entrer là-dedans, mais c'est un fait que s'il y avait eu parmi vous des contradicteurs, la situation aurait été assez différente.

Vous avez posé une question scientifique : à quoi sert l'homme dans l'espace ? Si j'ai bien compris, il n'y avait pas de connotation autre qu'essentiellement scientifique, on viendra peut-être aux autres connotations. Or la discussion scientifique entre scientifiques se fait d'une façon contradictoire ! Chacun doit avoir la parole. En particulier, je me permets de vous rappeler que cette discussion a déjà eu lieu, il y a dix ans, à l'Académie des Sciences. L'Académie des Sciences a organisé une discussion contradictoire qui a duré des mois sur le problème de l'homme dans l'espace. Elle a abouti à la publication d'un rapport écrit par notre éminent collègue feu Raymond CASTAING qui n'avait été discuté par personne. C'était un grand physicien qui n'était pas un spécialiste de l'espace, bien qu'ayant dirigé l'ONERA.

Nous estimons en général, dans la communauté scientifique, que ce genre de travail doit être fait de façon approfondie et contradictoire même s'il y a des connotations qui ne sont pas exactement scientifiques, c'est-à-dire industrielles, technologiques, politiques, etc.

Malgré tout l'affaire de l'homme dans l'espace est une affaire que vous avez bien voulu placer en grande partie sur le plan scientifique. Et, dans ces conditions, je regrette que la discussion ait été biaisée.

M. ROUGIER - Je rappelle simplement qu'il y aura un deuxième débat auquel vous participerez, Monsieur BLAMONT ainsi que Monsieur ESTERLE.

M. SIFFRE - Je suis directeur du Musée de l'Air et de l'Espace. Je voudrais poser une question à Monsieur REVOL.

Les chercheurs peuvent venir chercher au Musée de l'Air et de l'Espace les motivations politiques, stratégiques, qui ont conduit Louis XVI à autoriser le premier vol humain.

Dans votre rapport, avez-vous réservé un chapitre sur la conservation de la mémoire, des réflexions qui ont accompagné l'homme dans l'espace ? Allez-vous recommander que des archives soient déposées au Musée d'Etat, le Musée de l'Air et de l'Espace ?

M. REVOL - Merci Monsieur de votre question. Je précise - et ma réponse vaudra aussi pour Monsieur le Professeur BLAMONT - que, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, notre rencontre d'aujourd'hui n'est qu'un élément dans l'information pour la recherche que je fais actuellement. Un an et demi de travail, avec de très nombreuses auditions qui sont en cours et que je continuerai, des visites et je n'irai pas voir que les personnes du lobby favorable à l'espace, j'irai également voir et j'entendrai des contradicteurs, soyez en certains. D'ailleurs aujourd'hui, le micro est ouvert et chacun peut s'exprimer.

Pour le Musée de l'Air, ce sera une réflexion et je vous remercie de m'engager sur cette piste. Nous en parlerons ensemble, si vous le voulez bien, avant la fin de mon rapport. En ferai-je un chapitre ? Je ne le sais pas aujourd'hui, mais en tout état de cause, je le prendrai en considération et vous rencontrerai bien volontiers pour avoir votre opinion.

M. PLATARD - Je suis au CNES, où je dirige les relations internationales.

Ce n'est pas une question, mais un commentaire qui va peut-être illustrer un propos indiqué par Monsieur MIKOL, relatif au fait que lorsqu'on a des choix à faire, l'argent qui ne serait, par exemple, pas affecté à des vols habités ou plus généralement à l'espace, pourrait l'être à d'autres sujets particulièrement pointus dont - et c'est ce que vous évoquiez - la recherche sur le génome. Je voudrais simplement donner quelques chiffres pris aux Etats-Unis !

M. PLATARD - Aux Etats-Unis, le budget total est d'environ, en arrondissant, 1 800 Md$ et le PIB est de 8 000 Md$. Là-dessus, le montant de l'argent public destiné à l'espace est de 26 Md$ dont 6 Md$ sont dévolus aux vols habités au sens large, y compris la station et la navette, c'est-à-dire un pour mille.

Lorsque vous prenez maintenant ce qui est dévolu à la recherche médicale, le budget de la NIH est d'environ 18 Md$ et si vous ajoutez un budget qui n'est pas directement pour la médecine humaine, mais qui comporte beaucoup de physiologie, celui de la NSF, on doit friser les 20 Md$.

C'est de l'argent public qui est voté chaque année.

Cela veut dire que ce que les Etats-Unis consacrent à la recherche médicale, environ 140 MdF par an c'est-à-dire au moins trois fois plus que ce qui est consacré aux vols habités.

C'est un choix politique, c'est ce que vous évoquiez, Monsieur le Sénateur. Ce pays a choisi de pouvoir mener les deux voies, de consacrer un minimum minimum important pour les vols habités tout en continuant à accroître ses budgets pour la recherche médicale.

C'est tout ce que je voulais dire, je vous remercie.

M. LORIDANT - Il y a une autre réflexion, vous me demandiez en entrée ce qui avait changé, je ne sais pas répondre.

J'ai cependant pointé que si, globalement, les pays d'Europe mettaient beaucoup moins d'argent en volume qu'aux Etats-Unis, l'efficacité était peut-être plus douteuse. S'il y avait donc un effort à faire que j'ai pointé, c'était d'avoir une meilleure coordination des pays de l'Europe.

J'ai visité des salles d'intégration de satellites, je ne veux vexer personne, mais à Ludwigshafen chez Dornier, la salle était vide. J'ai visité cinq ou six salles d'intégration de satellites en Europe, dont la moitié ou le tiers était sous-utilisé.

Lorsque j'ai visité les salles d'intégration des satellites chez Hughes, elles étaient pleines. Et je n'ai pas vu aux Etats-Unis - en tout cas on ne m'en a pas montré - de salles d'intégration de satellites vides. On ne me les a peut-être pas montrées, mais je peux vous dire que j'en ai effectivement vu en Europe.

Il y aurait, à budget constant, matière à faire un certain nombre de choses !

(La séance, suspendue à 16 h 50, est reprise à 17 h 15)

M. LE PRESIDENT - Monsieur le Président du Sénat, merci de nous avoir rejoint.

Nous sommes très honorés que, malgré un emploi du temps de fin de session particulièrement chargé pour vous, vous ayez tenu à venir à ce colloque que j'ai organisé au titre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dans le cadre du rapport que cet organisme m'a confié sur la politique française de l'espace.

Aujourd'hui, nous avons consacré les travaux de ce colloque à évoquer les problèmes posés par la présence de l'homme dans l'espace sous ses divers aspects. Une première table ronde nous a permis d'évoquer en particulier l'utilité de l'homme dans l'espace. Et la deuxième table ronde, dont votre intervention, Monsieur le Président, sera le signal de départ, est consacrée à une interrogation : L'homme est-il destiné à occuper l'espace extra-terrestre ? A l'occasion de nos précédents travaux, un certain nombre d'interrogations ont été posées. Et je pense qu'elles le seront encore davantage au cours du sujet que nous allons évoquer maintenant.

Monsieur le Président, en vous remerciant encore, je vous passe la parole.

M. Christian PONCELET, Président du Sénat - Je crois que le Ministre, Monsieur Roger-Gérard SCHWARTZENBERG a ouvert votre colloque ; notre Ministre de la Recherche étant un homme de qualité, je crois qu'il a donné à celui-ci une tonalité dont nous pouvons apprécier, les uns et les autres, l'importance.

Monsieur le Président, cher Henri REVOL, Mesdames, Messieurs, Je voudrais saluer les élus dans la salle, j'ai vu quelques sénateurs, députés, un ancien sénateur, un Lyonnais que j'aperçois, qui a été l'auteur de propositions de lois concernant la bioéthique, qui a également apporté une contribution lorsqu'il était en exercice, à la législation française, une contribution positive en tant que sénateur.

A mi-parcours de votre colloque consacré à « L'homme dans l'espace » , organisé par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et n'ayant hélas pu assister à sa première table ronde, consacrée - on vient de le rappeler il y a un instant - au sujet suivant « Quelle est l'utilité de l'homme dans l'espace ? », je ne suis pas directement en mesure d'en tirer tous les enseignements. Le contraire serait prétentieux.

Je souhaite cependant, avant que vous n'entriez dans les débats de la deuxième table ronde, consacrée à « L'homme est-il destiné à occuper l'espace extra-terrestre ? » , vous faire part de quelques observations.

Est-il destiné, ne serait-ce que par curiosité ? Si je pose la question à l'assistance en demandant : souhaitez-vous aller dans l'espace, il y a un véhicule qui part demain, quels sont ceux qui veulent y aller ? Tout le monde lève la main. Donc un phénomène de curiosité conduirait déjà à aller dans l'espace. Fantasme ou perspective réaliste à terme, l'idée de voir l'homme vivre ailleurs que sur la terre, a très largement hanté toute une littérature, toute une production cinématographique qui tantôt nous fait rêver, tantôt nous inquiète. Cette projection dans l'espace nous renvoie, en effet, simultanément aux origines de notre univers et à l'avenir de notre humanité.

En tout état de cause, je me félicite de voir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques poursuivre sa véritable investigation sur la situation et les perspectives de la politique spatiale française.

J'en profite pour vous dire qu'aujourd'hui au Sénat, se tiennent plusieurs colloques, le vôtre, dans la salle voisine un colloque sur les institutions européennes, dans une autre salle un colloque sur la bioéthique, qui démontrent, pour ceux qui pourraient en douter, qu'au sein de l'institution sénatoriale, on réfléchit. Et par conséquent, on prépare les éléments nécessaires pour enrichir la connaissance des sénateurs, d'autres aussi, afin de former une législation de qualité.

Comme le disait Jules Ferry : « Le Sénat est là, entre autres, pour vérifier que la loi sera bien faite » , Jules Ferry étant mon illustre prédécesseur. Si d'aventure on vous demande à quoi sert le Sénat, voilà au moins une réponse que vous pourrez donner à votre interlocuteur, à l'avance je vous en remercie.

Ainsi que je l'avais indiqué, lors des remarquables auditions publiques auxquelles avait procédé l'Office en Mars 1999, ce travail est d'autant plus opportun que la réflexion politique, cette fois au sens noble du terme, dans le domaine spatial, semble être quelque peu tombée en déshérence. Or, une impulsion politique fondamentale est aujourd'hui plus que jamais nécessaire face à l'univers mouvant et redoutablement concurrentiel qu'est devenu l'espace. J'ai tenu à m'exprimer devant vous, car je suis convaincu de la nécessité de maintenir la dimension humaine au coeur de cette aventure spatiale.

A cet égard, je me félicite de voir que Monsieur Roger-Gérard SCHARTZENBERG, Ministre de la Recherche, a admis ce matin devant vous, que « les expérimentations humaines dans l'espace doivent avoir une certaine place dans toute politique spatiale » , c'est sa propre expression que j'ai notée et que je reproduis. J'aurais préféré, pourquoi ne pas le dire, le voir utiliser les termes non pas certaine place , mais place certaine , car je crois à la nécessité de maintenir un lien fort entre la technologie spatiale et la présence de l'homme dans l'espace.

La problématique du vol spatial habité, auquel l'Europe a en partie renoncé avec l'abandon du projet de navette Hermès, constitue un élément essentiel de l'adhésion populaire à l'adhésion spatiale. Dans ce domaine, l'Europe doit donc veiller à garder son rang et à ne pas laisser à la puissance américaine un monopole.

A l'évidence, la découverte récente de traces d'eau sur Mars - j'en parlais avec certains d'entre vous il y a un instant - et partant, la très probable existence d'une forme de vie organique sur cette planète, légitiment la volonté des Etats-Unis d'aboutir à un vol habité permettant à l'homme de marcher sur Mars. Il serait souhaitable que l'Europe ne soit pas absente d'une telle opération !

Si, dans cet exemple, la réalité semble en passe de rattraper la fiction, force est de constater qu'il existe une multitude d'applications où la présence de l'homme dans l'espace peut se justifier. Je pense, en particulier au programme de station spatiale internationale dans lequel la France se trouve partie prenante et dont, je l'espère, les astronautes français compteront parmi ses futurs habitants.

Je salue bien sûr les astronautes qui sont parmi nous pour ce colloque et je leur exprime ma très cordiale sympathie.

Par ailleurs, il est évident que la présence matérielle croissante des activités humaines dans l'espace, rendra nécessaire l'élaboration d'un code de bonne conduite mondiale afin que ces activités ne s'exercent pas de façon anarchique.

Au total, et à ce stade du débat prospectif qu'est le vôtre, je tiens à me féliciter à nouveau des investigations engagées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques dont les non initiés pourraient considérer qu'il tente d'inventer le réel. Au contraire, je considère que cette tâche indispensable pour que les décideurs français et européens ne soient pas tentés - autorisez-moi l'expression - de s'endormir sur leurs lauriers. Les succès répétés d'Ariane dont nous devons, à juste tire, être fiers, ne sauraient en effet tenir lieu de politique spatiale globale. J'estime que, dans ce domaine, suivant en cela le chemin tracé par le Général de GAULLE, la France doit rester l'aiguillon d'une politique ambitieuse de conquête spatiale.

Voilà ce que je souhaitais vous dire en ouverture de cette deuxième table ronde dans le cadre de votre colloque, en vous remerciant très sincèrement de votre aimable attention et en formulant mes meilleurs voeux de succès à vos travaux. Merci !

(Applaudissements)

M. LE PRESIDENT - Je vous remercie, Monsieur le Président.

Je passe maintenant la parole à Bruno ROUGIER, journaliste qui anime les tables rondes de ce colloque et lui laisse le soin de présenter cette deuxième table ronde et les intervenants qui y participeront.

M. ROUGIER - Merci beaucoup !

Je dirai simplement deux mots pour introduire cette table ronde, je ne vais pas raconter l'histoire de l'espace, les personnes dans cette salle la connaissent par coeur. Pendant des années, cela a été une course de prestige, un besoin de domination entre deux grandes puissances : les Américains d'un côté et l'URSS puis la Russie de l'autre. Il est vrai qu'aujourd'hui la situation a changé et tous les pays, soit poussés par une réalisme économique, soit parce que l'histoire est ainsi écrite, travaillent main dans la main. Un des exemples dont on a parlé lors de la première table ronde, est bien sûr cette station spatiale internationale.

Depuis quarante ans, c'est vrai, l'homme a appris à aller dans l'espace. Même si aujourd'hui ce n'est pas aussi simple que de prendre un avion, dans l'esprit du grand public, il y a moins de choses extraordinaires à voir partir une fusée aujourd'hui qu'à l'époque de Youri GAGARINE, il y a quarante ans.

Aujourd'hui on peut se demander ce que l'homme fera, demain, de ce nouveau territoire de l'espace. Va-t-il avoir de nouvelles idées de conquêtes ? Où voudra-t-il aller ? Va-t-il se contenter de tourner autour de la terre ou va-t-il partir à la découverte de nouveaux mondes ? C'est vrai qu'il y a presque un désir latent dans l'homme de découvrir de nouveaux mondes et on ne voit pas pourquoi ce qui s'est passé sur terre ne se passerait pas dans l'espace.

Les enjeux sont de divers ordres, c'est ce que l'on va aborder pendant cette table ronde, ce sont des enjeux éthiques, humains, politiques, technologiques.

Je vous propose de présenter rapidement les divers intervenants de cette table ronde avec la même méthodologie que pour la première, c'est-à-dire l'ordre alphabétique :

- Arlène AMMAR-ISRAËL, déléguée adjointe à l'étude et à l'exploration de l'univers au CNES,

- Jacques ARNOULD, docteur en théologie et en histoire des sciences,

- Jacques BLAMONT, conseiller du directeur général du CNES,

- Philippe COUILLARD, PDG d'Aérospatiale-Matra Lanceurs,

- Jean-François CLERVOY, astronaute,

- Alain ESTERLE, directeur adjoint à la direction centrale de la sécurité des systèmes d'information SGDN,

- Geneviève GARGIR, chef de la division utilisation des stations spatiales au CNES,

- Jean-Pierre HAIGNERE, chef de la division des astronautes européens à l'ESA,

- Jeffrey HOFFMAN, astronaute et représentant de la NASA pour l'Europe,

- Franco MALERBA, astronaute italien et consultant Alenia Spatiaux,

- Jean-Jacques SALOMON, professeur honoraire au CNAM, Chaire technologie et société, qui sera le rapporteur de cette table ronde.

Je le disais tout à l'heure, il y a divers enjeux. Pendant des années, la conquête spatiale s'est nourrie d'une compétition entre Américains et Russes. Aujourd'hui, peut-on encore parler d'enjeux politiques ?

Je vais me tourner vers Franco MALERBA qui, dans sa carrière, vous a eu aussi un destin politique.

M. MALERBA - Révélons ce passé politique : j'ai été député européen dans la législature passée, au cours de laquelle, nous avons bien travaillé.

Peut-on encore aujourd'hui parler d'enjeux politiques pour le vol habité ? Je pense que le vol habité a une envergure politique et je soulignerai surtout le fait que c'est un enjeu culturel.

Je discutais avec un ami qui vient d'écrire un livre en italien « Sortir du berceau » . L'homme - c'est le paradigme de Turkovski - a vécu jusqu'à présent dans son berceau, mais il est prêt à prendre son envol pour commencer à écrire une nouvelle page de son histoire. C'est peut-être de la poésie, mais dans l'histoire, on sait que lorsque la Chine - c'est environ à l'époque des grandes découvertes géographiques - a renoncé à son avancée technologique dans le domaine de la navigation, elle a perdu le leadership du monde.

Je crois que l'histoire nous apprend des leçons politiques qui mettent l'esprit de découverte au centre du rôle, de la gouvernance politique. Pour cette raison, je pense qu'il est bien que ce débat se tienne dans un contexte politique car la justification plus forte du vol habité, de l'exploration, - aujourd'hui on parle de la vie peut-être dans l'univers, d'autres formes de vie dans l'univers, peut-être d'un autre langage de la vie dans l'univers à apprendre - cette décision concerne tous les citoyens et ce n'est pas uniquement une question d'une petite progression dans la compétence technique.

On pourrait appliquer - et on en parle tout le temps en Europe - la subsidiarité. Il y a une subsidiarité aussi dans cette décision. Il y a la subsidiarité dont, parfois dans le domaine spatial, on dit que c'est du domaine commercial pour dire qu'il appartient à des initiatives industrielles privées de le développer.

Là, je crois que nous sommes au niveau plus élevé de la subsidiarité, il appartient à l'humanité, donc à la politique, de définir la stratégie pour le vol habité et de le faire bien sûr au niveau planétaire donc ni au niveau local, ni au niveau national, ni au niveau européen.

M. ROUGIER - Pendant longtemps l'espace a eu un enjeu stratégique, militaire et je me tourne vers vous, Alain ESTERLE.

Aujourd'hui, selon vous, l'espace peut-il encore être regardé comme étant un enjeu militaire et un enjeu hautement stratégique ?

M. ESTERLE - Lorsqu'on parle de stratégie, d'enjeux stratégiques, on fait implicitement référence au domaine militaire parce que la méthode stratégique a d'abord été construite par les militaires. Les applications tirées par ailleurs, que ce soit dans les grandes entreprises ou par les Etats, se sont inspirées directement des concepts, des méthodes, des moyens et des procédures mises au point par les militaires.

Le problème est que lorsqu'on parle de l'espace et des vols habités, le constat est tout à fait clair, il n'y a plus d'enjeux militaires. Cela faisait partie des premières démarches, dans les années 1960, c'était aussi une interrogation au niveau de la France, à celui de la Chine. Je me souviens qu'à l'époque, lorsqu'il a été créé, le centre de médecine spatiale était un centre militaire. Progressivement cette idée s'est estompée et je crois que le corps des cosmonautes militaires américains a été dissous il y a une bonne dizaine d'années et, du côté français, la DGA s'est complètement retirée de toute interrogation, même sur l'intérêt que les vols habités pourraient avoir pour la défense.

Exit donc la composante militaire, mais reste une composante stratégique donc non militaire. Là bien sûr, on retrouve dans l'histoire des vols habités le poids du choix politique dans toutes les démarches de vols habités qui a correspondu, à un moment, à un besoin d'un pays de s'affirmer. C'était la confrontation Est-Ouest au moment de la guerre froide.

Dans les années 1990, la démarche qui a été choisie d'une certaine manière et qui a sauvé la station spatiale, a épousé la chute de l'empire soviétique ; elle correspondrait au besoin d'avoir une approche globale au niveau mondial, une entreprise commune de l'ensemble des pays. Et l'espace était vraiment tout trouvé pour offrir cette capacité à construire quelque chose en commun.

Là aussi il y a eu une réponse. Le problème est que lorsqu'on s'engage dans des projets de vols habités de très grande ampleur, il faut y trouver un fondement qui, malheureusement, a été contingent à une situation géopolitique telle qu'elle s'est trouvée à ce moment-là.

Ce qui gêne, c'est l'enchaînement logique entre ces différentes étapes ; je m'explique : Lorsqu'on analyse les concepts de vols habités, on voit au-moins deux voies possibles que l'on peut rapporter à deux grandes figures de l'histoire de l'espace, von BRAUN et TSIOLKOVSKY.

Dès 1952, von BRAUN avait rédigé un document remarquable « Das Mars Projekt » et qui montrait une vision de l'homme explorateur. Cela correspondait très bien à la démarche américaine et cela a toujours correspondu, de plus ou moins près, à la démarche de la NASA : c'est le pionnier qui s'avance seul et qui découvre un nouveau monde.

La démarche de TSIOLKOVSKY est un peu l'inverse. C'est beaucoup plus l'humanité qui, dans toutes ses fonctions - culturelles, administratives, économiques - s'étend progressivement au-delà de la terre et tend à occuper l'espace ; c'est la colonisation.

Ces deux voies permettent de décrire assez bien les différentes étapes que nous avons connues jusqu'à présent. Ce qui manque, c'est le lien entre toutes ces étapes et l'objectif que l'on doit se donner. Or la stratégie est bien cela, c'est se donner des objectifs et se définir des étapes pour les atteindre. Or actuellement, on ne voit pas très bien l'enchaînement logique qu'il y a entre les différents grands programmes habités jusqu'à présent ni l'enchaînement qu'il y a entre la station spatiale et ce que la NASA affiche comme étant son nouvel objectif, c'est-à-dire la conquête martienne.

Là il y a un biais dans la démarche stratégique en général qui est un peu gênant. Et si la logique des vols habités doit vivre et se renforcer, il faudra que ce biais soit éliminé.

M. ROUGIER - Pourrait-on aborder avec vous, Philippe COUILLARD, le problème de l'enjeu économique ?

Il y a en effet une chose sur laquelle tout le monde est à peu près d'accord aujourd'hui, c'est que, derrière la conquête spatiale, il y a un enjeu économique.

M. COUILLARD - L'enjeu économique est bien difficile à délimiter, ce n'est d'ailleurs pas du tout ce que je vous avais proposé. On ne peut pas dire que l'homme dans l'espace est un enjeu économique. Je voulais me limiter dans ma réflexion à répondre à votre deuxième question, à savoir les enjeux et les limites de cette conquête.

M. ROUGIER - On va y venir.

M. COUILLARD - En ce qui concerne les enjeux économiques, il ne faut pas rêver. La seule application réellement économique de l'espace aujourd'hui, ce sont les télécommunications, il n'y en a pas d'autre. Même l'observation de la terre est extrêmement difficile...

Dans la salle - Et la navigation par satellite ?

M. COUILLARD - Ce sera sûrement un enjeu stratégique fort car, aujourd'hui, ce sont les militaires américains qui le donnent gratuitement. Derrière on peut montrer qu'on est des fabricants de puces, mais ce que j'entends par enjeu économique, c'est une application dans le monde industriel et commercial.

Les satellites de télécommunications oui, mais limités aux télécommunications avec leur partie satellitaire car il y a bien d'autres choses dans les télécommunications, c'est un enjeu économique très fort.

La navigation est, pour moi, un enjeu de souveraineté. La navigation est un service qui sera irremplaçable bientôt, c'est certain et il y en aura partout. On en a déjà dans les voitures, mais il y en aura pour de nombreuses applications. Est-il économique, je n'en sais rien, car il nécessite un investissement préalable très important et je pense que c'est aux Etats de l'amorcer.

L'observation, la reconnaissance sont quand même essentiellement militaires et ce ne sont pas des applications que j'appelle économiques. Aujourd'hui le système spot n'arrive pas à repayer les lancements qui lui sont nécessaires. L'espace est donc encore un domaine largement aidé.

Quant à l'homme dans l'espace et ce qu'on a dit tout à l'heure à la première table ronde, c'est essentiellement de la recherche, de l'étude et le désir d'aller voir, du rêve mais ce n'est pas de l'économie !

M. HAIGNERE - Je voudrais réagir sur les deux interventions de mes collègues de droite et de gauche ainsi que sur les enjeux stratégiques militaires de l'espace.

Je crois qu'il n'y a effectivement plus d'activités militaires significatives de l'espace, mais dire aujourd'hui qu'il n'y en a pas du tout, je crois que c'est inexact, car dans le véhicule spatial où j'étais, j'ai assisté à des observations de nature militaire. Je n'ai pas identifié de quoi il s'agissait, mais je pense que c'est lié aux vagues de surface d'un certain nombre d'engins qui ne peuvent pas être observées par des satellites automatiques. Et on sait très récemment que la mission STRM, qui a fait une base de données numériques de la surface de la terre, a des applications militaires tout à fait directes.

Il est vrai que les applications militaires de l'homme dans l'espace sont très limitées, elles existent cependant toujours et, en ce qui concerne leur nature aujourd'hui, elles sont difficilement remplaçables par d'autres moyens, autrement on le ferait certainement de manière plus discrète.

Concernant les enjeux économiques également. Je suis d'accord avec Philippe COUILLARD, on ne peut pas dire que l'homme dans l'espace est un système qui rapportera de l'argent en termes visibles, c'est évident.

Mais dire que cela n'a aucun impact économique, c'est également, à mon avis, inexact. Par exemple dans le programme européen de vols habités, l'utilisation du lanceur Ariane 5 pour ce programme habité est une injection d'argent public dans l'industrie européenne qui est loin d'être négligeable et qui vient en support direct de ce programme européen extrêmement important.

Je voudrais donc tempérer ces deux affirmations.

M. ROUGIER - Je voudrais qu'on aborde la question d'une manière un peu philosophique et éthique avec vous, Jacques ARNOULD. L'espèce humaine est-elle destinée à rester à jamais sur ou autour de la terre ou au contraire à se répandre dans l'espace ?

M. ARNOULD - Je pense que l'homme n'est pas destiné à occuper l'espace extraterrestre, ce n'est pas une question de destin, c'est écrit nulle part, en tout cas jusqu'à preuve du contraire, pas plus qu'il n'a un destin inscrit ailleurs.

La question est que pour cette entreprise comme pour toutes les autres qui marquent son histoire très courte, ne serait-ce que l'histoire de la terre, c'est une question de choix. Il ne faut pas voir ce choix comme un choix parmi des centaines de milliards possibles ou des infinités de possibles, c'est un choix qui va opérer dans un espace de possibles, si je puis utiliser ce terme ; François JACOB parlait de jeux de possibles.

L'homme a un choix à opérer, qu'il fasse ce choix dans un sens ou un autre, il le fait dans un espace de possibles.

Aujourd'hui c'est vrai -on l'a entendu tout à l'heure et tout le monde le sait- l'espace extra-terrestre, de manière encore modeste mais, probablement demain et cela dépendra justement de ces choix, fait partie justement de cet espace de possibles. Je dirai que l'homme n'est pas destiné, mais qu'il a aujourd'hui à opérer un choix dans un espace de possibles que certains d'entre vous maîtrisent très bien, d'autres beaucoup moins et un public peu informé quasiment pas. Ensuite à lui de se donner les moyens de faire ce choix.

Le seul élément sur lequel j'ai à dire quelque chose est qu'il doit maintenant se donner les moyens de ce choix, c'est-à-dire de voir en quoi cet espace de possibles est constitué. Il y a des limites physiques, des limites techniques, peut-être aussi, des limites psychologiques.

Lorsqu'on met dans un volume relativement réduit, des personnes de culture différente - je ne parle pas de langues car on va trouver un espéranto spatial ou je ne sais quoi -, ne serait-ce que pour les soigner, quelles vont être les possibilités, cet espace de possibles ? Et dans ce choix, quelles seront les motivations ? On parle volontiers de conquête de l'espace et on fait éventuellement appel à de la mythologie. J'ai relu récemment chez Ovide, le mythe d'Icare et j'ai beaucoup aimé - je n'avais en effet pas du tout perçu cela - le récit qu'en donne Ovide. Il y a les propos de Dédale qui dit à son fils qui, apparemment, était moins athlétique que la représentation qu'on en a aujourd'hui :

« Surtout fais attention ! Ne va pas trop près des vagues car tu risques de te faire emporter par le souffle des vagues et ne va pas trop près du soleil sinon tu vas te brûler les ailes ! »

On connaît la suite ! Dans ce mythe, c'est un peu la conquête de l'air, mais Icare c'est aussi la fuite !

Il faut déjà choisir pour quelle raison on va dans l'espace. Est-ce pour conquérir ou, comme certains le pensent, pour fuir une planète qu'on aura trop polluée, sur laquelle il y a trop de monde ? Seule une petite élite partira.

Dernier aspect, parmi ces possibles, il y a une question : quel est l'homme qui peut aller demain dans l'espace ? J'essaye là de rassembler un peu tout ce que l'on peut entendre, ne serait-ce que dans le monde spatial que je découvre petit à petit.

Lorsqu'on entend parler de conquérants, qu'il s'agisse de Christophe Colomb ou des dernières conquêtes terrestres des pôles, c'est le même homme finalement. Mais aujourd'hui, l'homme n'est-il pas lui-même en train de changer, ne serait-ce qu'à travers les techniques spatiales ? On a parlé tout à l'heure de télécommunications et on a aussi parlé de télésciences dans la première table ronde.

Il est clair, et Claudie ANDRE-DESHAYS l'a rappelé tout à l'heure, une chose est de voir se balader un petit robot qui donne des images de Mars, une autre est de voir le premier homme ou la première femme fouler le sol de Mars dans quelques décennies. Entre les deux on doit découvrir ce que signifie aujourd'hui téléprésence, virtualité, réalité, d'où ma question : quels sont certains de ces hommes qui rêvent demain d'aller sur Mars ?

M. PONCELET - Je voudrais faire observer que bien souvent ce sont des recherches militaires, pour des motivations sur lesquelles je m'arrêterai pas, qui ont précédé l'utilisation pacifique. Le nucléaire pacifique vient de l'utilisation militaire.

Par ailleurs, n'y a-t-il pas tout simplement une volonté de curiosité chez l'homme ? On va dans l'espace, mais on va aussi au fond des mers. On cherche à connaître l'inconnu, c'est un besoin intime.

On se donnera peut-être les moyens, on aura peut-être la volonté, on dit que s'il y a une volonté, on trouve toujours le chemin, mais il y a cette volonté de connaître. On était dans la Lune, on a été déçu parce qu'on a rien trouvé pour l'instant...

Un Intervenant - On a trouvé des cailloux très intéressants.

M. PONCELET - Si c'est utile, c'est très bien, on y retournera. Mais on parle de Mars. Sur Mars on a découvert de l'eau, s'il y a de l'eau, il y a de la vie, par conséquent, j'ai ce besoin personnel de curiosité de savoir quelle vie il y a là-bas ! Je crois que ce besoin de curiosité est très fort chez l'individu et le pousse à connaître l'inconnu, que ce soit le fond des mers ou l'espace.

M. ARNOULD - Certes il y a la curiosité, nous sommes tous des êtres curieux sinon nous ne serions pas ici, je pense. Ceci dit, est-ce pour autant marqué par le mot de destinée ? C'est à ce sujet que je souhaitais répondre. Il y a parfois des excès de langage... La curiosité certes, l'homme est un animal néothomique, vous pouvez employer autant de grands mots intellectuels que vous voulez, il n'empêche que se pose la question de la destinée - ce mot figure dans le titre - et à ceci je réponds qu'il y a une question de choix, nous sommes des êtres de choix, on l'a dit bien avant moi.

Je tiens à ceci car c'est là seulement que l'on peut introduire, enraciner ce qui a été évoqué tout à l'heure qui est simplement une question d'éthique.

M. ROUGIER - Jacques BLAMONT, à quoi l'homme est-il destiné dans les prochaines années ? Est-il destiné à tourner autour de la terre ? A aller plus loin ? A revenir sur terre ?

M. BLAMONT - Je vais essayer de vous répondre d'une façon un peu circulaire ou détournée.

Pour comprendre les enjeux de l'espace, il faut d'abord le définir tel qu'il est aujourd'hui. Je le définis de la manière suivante : l'espace est le moyen global le plus puissant pour recueillir, transmettre et disséminer de l'information.

Pour moi l'espace n'est pas une aventure aujourd'hui, il ne coïncide pas du tout avec l'homme dans l'espace. J'ai même été un peu choqué en entendant Monsieur ROUGIER dire tout à l'heure que l'aventure spatiale avait commencé avec GAGARINE, elle a commencé avec Spoutnik, ce qui n'est pas du tout la même chose.

L'information est devenue le lieu du pouvoir aussi bien local que mondial. Et l'espace se trouve donc au centre des conflits de puissance. Là est sa dimension éthique aujourd'hui, au centre des conflits de puissance.

Je crois qu'on peut classer les activités spatiales en trois catégories : militaires, civiles et vols habités.

En ce qui concerne le militaire, je citerai très brièvement Genes Defence Weekly de juin 1997 :

« Dominer le spectre de l'information est aujourd'hui aussi critique pour la conduite d'un conflit que jadis l'occupation du terrain ou le contrôle de l'espace aérien. »

Cela veut dire qu'on ne peut plus faire la guerre sans l'espace.

Je voudrais simplement copier cette définition pour donner l'équivalent pour l'espace civil : dominer le spectre de l'information est aujourd'hui aussi critique pour l'économie et la culture que naguère la puissance politique .

Il me semble que sur le plan essentiellement des faits, l'espace est aujourd'hui devenu un élément de puissance essentiel pour les grandes puissances, et ceci est parfaitement compris aux Etats-Unis. Je vous rappelle que la moitié du budget spatial américain va à la défense et l'autre au civil.

Comment se place-t-on par rapport à ces deux grandes catégories qui constituent au fond l'essentiel des applications spatiales ? Que dire des vols habités ?

Je crois qu'il faut comparer la situation à l'évolution de la puissance des ordinateurs qui atteindra celle du cerveau humain vers 2020 à 2030. C'est dire que comme nous savons déjà facilement fabriquer des yeux, c'est-à-dire des caméras, ou des mains mécaniques, le cerveau humain pourra être remplacé puisque nous avons une croissance exponentielle des composants, de leurs performances alors que le nombre des neurones humains est fixe.

Je pense profondément que le rôle de l'homme dans l'espace, au strict point de vue de ses justifications, telles que nous les avons entendues tout à l'heure, va disparaître vers 2020, 2030.

Va-t-on le garder ? La réponse est oui. Pourquoi va-t-on garder l'homme dans l'espace ? Pourquoi les Etats-Unis gardent l'homme dans l'espace ? C'est une question d'image, de mythologie, les Etats-Unis considèrent qu'ils ont inventé les avions avec les Frères Wright, qu'ils ont joué un rôle majeur dans l'espace en allant sur la Lune et donc que l'espace leur appartient. Le problème est essentiel pour les Etats-Unis d'avoir une présence permanente dans l'espace.

Pour la Russie par exemple, la motivation est très voisine puisqu'ils ont été les premiers à lancer Spoutnik et GAGARINE. Eux aussi c'est leur passé national qui est en jeu.

Pour les autres pays, on a dit tout à l'heure qu'ils s'y mettaient. La Chine ou le Japon veulent avoir l'air de grandes puissances, ils essayent donc de faire la même chose.

C'est donc au niveau de l'image que se pose la justification profonde. Cette image est à la base du pouvoir dominant, la télévision, cela veut dire que ce n'est pas du tout négligeable.

Une action de l'homme dans l'espace se marie très bien avec le monde virtuel qui devient celui de l'immense majorité des citoyens des pays développés. D'ailleurs, la religion n'est-elle pas entièrement virtuelle ? Or, elle a une grande importance.

Il est bien clair qu'il s'agit là d'un facteur majeur que nous ne pouvons pas abandonner. Le public aime ça ! Cela subsistera pour des raisons purement virtuelles. Cela m'est assez désagréable lorsqu'on essaye de donner d'autres justifications car on peut véritablement démontrer que toutes les justifications sont fallacieuses.

Concernant cet avenir de l'homme dans l'espace autour de la terre, il n'en a pas. Pourtant je pense qu'il y aura une expédition humaine sur Mars. Vous me direz que c'est peut-être une contradiction, mais la raison profonde pour laquelle il y aura une expédition de l'homme sur Mars est institutionnelle. La NASA, qui est tout de même le leader mondial de l'espace, n'aura plus rien à faire à partir de 2005 lorsque la station spatiale sera montée. Il lui faudra se trouver une justification. Et ce raisonnement est déjà présent à la NASA.

On a déjà parlé de la suite du programme autour d'échantillons qui seraient des outpost, c'est-à-dire un mélange de robotique et de préparation du vol humain. Et je pense que ces justifications ne sont pas absurdes, elles sont intéressantes.

Personnellement je crois que le voyage virtuel sur Mars sera la grande affaire. Des millions de gens, depuis leur lit, iront sur Mars. Mais il faudra avoir un support qui sera un ou une expédition qui fera un peu comme Apollo : elle ira, puis on l'oubliera.

Le principal problème qui se pose à vous, Messieurs les politiques, est un problème de choix - on l'a dit - à l'intérieur d'un budget restreint. Et c'est également un problème éthique. Je vous donne un exemple qui est angoissant. La doctrine militaire des Etats-Unis montre, comme je l'ai dit tout à l'heure, qu'on ne peut plus faire la guerre sans l'espace. Les Etats-Unis ont l'intention d'asseoir leur domination politique et économique sur la « Space Dominance », qui est aussi bien militaire que civile.

Si on considère le budget spatial français au total, militaire inclus, c'est de l'ordre de 11 milliards, dont 1 milliard est consacré à l'homme dans l'espace.

Je souhaite que lorsqu'on parle d'homme dans l'espace, ce qu'on n'a pas du tout fait tout à l'heure, on parle d'argent. Car c'est toujours la dimension oubliée. C'est bien joli de dire qu'en faisant une petite manipulation, on montre que le cerveau fonctionne de telle manière. Mais cette petite manipulation peut avoir coûté des sommes très importantes par rapport au budget de recherche médicale habituel.

Il faut donc considérer le budget. Monsieur le Président, vous avez parlé d'Hermès tout à l'heure. Savez-vous qu'Hermès aurait coûté 100 milliards ?

Des personnes comme vous ont toujours affiché, comme NASA, des budgets ridicules. Mais en fait les calculs montrent que cela aurait été vraiment très cher. Et pourquoi ? Simplement pour de l'image !

Il me semble qu'aujourd'hui, il faut comparer le milliard dont nous avons parlé tout à l'heure avec légèreté, avec le budget spatial militaire français. J'ai dit tout à l'heure plusieurs fois qu'on ne pourrait plus faire la guerre sans espace. Vous savez que le budget militaire français qui était d'environ 3 milliards il y a deux ans, est descendu à 2 milliards. Donc on peut considérer que le milliard consacré à l'homme dans l'espace manque au programme spatial militaire. C'est un choix.

Toutes ces raisons me font penser que ces choix doivent être pesés en fonction de la réalité budgétaire et non pas en fonction du rêve.

A l'heure actuelle, nous faisons cocorico avec le succès d'Ariane, mais le programme français européen est très malade. Savez-vous que l'année dernière nous avons tiré dix Ariane ce qui nous a rapporté 1 Md$ et que sur ces dix tirs, huit satellites étaient américains ? Si les Américains décidaient de l'interdire, ce qu'ils peuvent faire d'un instant à l'autre, il n'y aurait plus de programme spatial européen.

Dans ces conditions - et je crois que, là, Monsieur COUILLARD, vous serez d'accord avec moi - le problème est clairement posé : où mettons-nous nos sous ?

M. PONCELET - Ce choix est l'expression, je pense, du peuple souverain auquel nous appartenons.

Moi qui ai un peu d'expérience, j'ai vu ce peuple souverain souhaiter que l'on ne modernise pas l'armée française, c'était en 1938-39, on préférait réquisitionner les chevaux et faire des bandes molletières, on connaît la suite ! Le peuple ne voulait ni avions ni chars. Il ne voulait pas investir puisque le slogan de 1938-39 était : Pas un sou pour la guerre !

Que fait le politique ? Il écoute le peuple souverain, il est démocrate !

M. ROUGIER - Je n'avais pas rebondi sur le choix politique, Monsieur PONCELET, car Monsieur LORIDANT l'avait longuement fait lors de la table précédente disant que les budgets...

M. PONCELET - On dit toujours les politiques, mais les politiques... on écoute nous aussi !

M. ROUGIER - Il disait que les budgets n'allaient pas obligatoirement là où les personnes le voulaient et que c'était bien les politiques qui décidaient où ils les mettaient. Pour cette raison je n'ai pas rebondi.

M. PONCELET - Oui, mais on écoute aussi !

M. ROUGIER - Avant de donner la parole à Jean-Jacques SALOMON, je voulais donner un tout petit passage à Jean-Pierre HAIGNERE.

Jacques BLAMONT disait qu'avec la technologie, dans trente ans on pourrait reproduire avec des puces le cerveau humain. Il y a cependant cette dimension que donnait Claudie ANDRE-DESHAYS dans la première table ronde, de la transmission que peut avoir l'homme, le cerveau humain par rapport à ce qu'il vit. Je ne suis pas persuadé qu'un cerveau électronique sera aussi doué pour faire ce genre de transmission, je voudrais que vous réagissiez sur ce point.

M. HAIGNERE - On est au-moins d'accord sur un fait avec Jacques BLAMONT, la présence de l'homme dans l'espace est quelque chose d'intangible et même s'il le regrette, je m'en réjouis.

M. BLAMONT - Je vous rappelle que c'est moi qui ai proposé et convaincu le CNES d'avoir un programme d'astronautes dans les années 1970-80 !

M. HAIGNERE - C'est déjà un fait très important.

Dans la problématique qu'on se pose, il y a deux étapes : l'homme sera-t-il dans l'espace ? Dans l'affirmative, doit-on participer à cette aventure ? Si oui, comment ?

Votre question concernait le choix entre l'homme et le robot : faut-il envoyer un robot sur Mars ? Je crois que Monsieur BLAMONT n'a pas proposé d'envoyer un robot sur Mars.

Il est évident que concernant le retour social dont parlait tout à l'heure mon ami Alain ESTERLE, je ne crois pas que celui-ci serait important avec un robot allant sur Mars même avec des milliards de neurones équivalents à ceux d'un homme, pas plus, je crois, que le public ne serait intéressé par le fait d'avoir des robots à l'Académie Française. Je crois que le problème n'est pas très différent au sol et dans l'espace. De mon point de vue, la problématique est tout à fait différente.

Comme l'a souligné le Sénateur REVOL, parmi le public, nous avons davantage de personnes qui viennent en quête d'un message parce que justement nous ne représentons pas la virtualité dans cette aventure, mais la réalité dans ce monde où tout est factice, où on fabrique tout, des images, de l'événement, de la politique.

Je suis très sensible au fait de qui maîtrise l'information, maîtrise le monde, mais l'information n'est pas seulement le moyen de transmission, c'est aussi le contenu. Encore faut-il que l'homme joue son rôle dans cette information ; or, il est le contenu de l'information.

L'homme sur Mars est le contenu de notre aventure humaine. Il y en a d'autres. Je ne néglige pas, pour l'aventure du scientifique dans son laboratoire qui découvre le monde, la vérité, j'ai beaucoup de respect pour elle.

Mais l'histoire de l'humanité n'est pas faite que de quête du savoir et dans notre démocratie, en France, il n'y a pas que des intellectuels qui s'intéressent à la science, malheureusement pourrait-on peut-être dire. Encore qu'à ce moment-là on manquerait peut-être de pattes musclées et on en a besoin aussi. Le monde est fait d'équilibre.

Donc au moins pour sa composante de retour social, l'aventure de l'homme dans l'espace donne la satisfaction de mettre pour une fois, dans une société moderne, l'homme à une place privilégiée où il est le héros. Je le dis modestement, je ne le dis pas pour moi, mais pour le symbole qu'il représente et qui est une compensation à un certain nombre de frustrations générées justement par la virtualité de notre monde.

M. SALOMON - Je n'interviens pas en tant que rapporteur, mais en prenant mes propres responsabilités et je promets d'être un peu plus neutre en tant que rapporteur que je ne vais l'être maintenant.

Tout ce débat montre ce que je crois depuis très longtemps et que je ne suis pas seul à penser. Un de mes bons maîtres, Raymond ARON, l'a souligné il y a très longtemps : le domaine de l'espace est celui du mariage du rationnel et de l'irrationnel - il faut quand même le rappeler - c'est-à-dire de fantasmes, de sciences et de technologies.

Je parle de Raymond ARON car je me souviens d'un séminaire à Londres en 1965 où on s'interrogeait sur le programme Apollo. ARON disait :

« Si vous me dites que c'est pour des raisons économiques, je vous répondrai, oui, c'est rationnel !

Si vous me dites que c'est pour des raisons militaires, je vous dirai, c'est totalement rationnel.

Mais si vous me dites que c'est pour précéder les Soviétiques, je vous dirai que Monsieur KENNEDY got a point, il a un argument ! »

Tout ce qu'on entend ici montre que chacun des spécialistes du lobby de l'espace a son argument, tantôt pour le vol spatial au nom des vertus de l'humanité, tantôt contre.

Je dois dire qu'ARON rappelait quand même une chose. Dans les relations entre les Etats, il y a trois éléments fondamentaux qui peuvent être mariés ou indépendants :

- la puissance et le pouvoir,

- l'argent et la fortune,

- le prestige et la gloire.

Dans le domaine de l'espace, on joue des trois.

Si aujourd'hui l'Europe a des hommes dans l'espace c'est au nom des trois éléments : l'idée, la fantaisie ou la nostalgie de la puissance, certainement le prestige et la gloire d'une manière ou d'une autre.

Pour répondre quand même à la question posée de l'homme destiné à occuper l'espace extraterrestre. Je suis moins croyant que ne l'est notre ami ARNOULD et je dirai que, je ne sais pas à quoi l'homme, la femme, l'humanité sont destinés, même, avec l'attrait de la curiosité. Je ne sais pas si c'est le destin de l'homme d'aller dans l'espace, mais il y est. Et il ne reviendra pas !

Mais occuper l'espace extraterrestre, non, ce n'est pas sérieux trois secondes. Pardonnez-moi. Nous n'allons pas occuper l'espace extraterrestre. La comparaison avec Colomb ou Cortes va jusqu'à un certain point, à ceci près que Cortes, comme tous ceux qui ont suivi, se trouvaient dans des éléments qui étaient tout de même très naturels. Mais envoyer un cosmonaute suppose beaucoup de conditions remplies que nous ne pourrons pas généraliser. Et ne rêvons pas de le faire ! Le tourisme de l'espace est aussi inconcevable que l'ethnologie de l'espace, à moins qu'outre les cailloux de Mars, nous ne trouvions enfin quelques Martiens en face de nous. On en reparlera !

Je voudrais simplement remettre les choses en perspective.

On a raison de souligner combien tout ceci est politique d'abord, et pas du tout scientifique et pas seulement technologique. Il s'agit de savoir si on veut en être pour de bonnes ou de mauvaises raisons.

Mais immédiatement, il faut quand même remettre les choses en perspective et se dire que cela ne va peut-être pas durer. L'aventure de l'espace a été exaltante dans le contexte de la compétition entre les Américains et les Soviétiques, entre le communisme et le capitalisme. Depuis la fin du communisme, l'aventure est moins exaltante et pas seulement parce que nous nous y habituons, mais simplement parce que le stimulant n'est plus là. Alors je dirai aux spécialistes : Attention, faute de ce stimulant - et j'espère qu'on ne va pas le réinventer - il est très possible qu'en 2020, 2030, on passe à d'autres priorités que l'espace.

Je voudrais simplement dire, en particulier aux représentants du lobby nucléaire en France, que jamais, il y a quinze ans, on aurait imaginé que le destin du nucléaire fût ce qu'il va être : c'est-à-dire réduit à néant en Allemagne d'ici 2005, 2015 ou 2020, mais en France également. L'espace peut aussi passer. La terre peut avoir d'autres priorités et d'autres urgences.

C'est une très belle aventure, qu'il y ait des hommes, c'est très bien, que nous allions sur Mars, mais je voudrais simplement rappeler que l'eau sur Mars n'est pas encore assurée. C'est une deuxième intervention de la NASA qui a besoin de légitimité et de prestige pour trouver de l'argent.

Elle nous a fait le coup une fois, cela n'a pas marché, la deuxième fois peut-être, la troisième on verra ! Nous sommes ici entre la rationalité scientifique et la totale irrationalité, il faut vivre avec.

M. PONCELET - Raymond ARON disait aussi, s'adressant aux politiques, c'était un peu en écho, en réponse à l'article du Monde , à l'époque :

« Il faut savoir faire rêver un peuple ! »

Est-ce bien ? Est-ce mal ? Mais il faut le faire rêver. Et, dans le même temps, Le Monde titrait « La France s'ennuie » et pourtant la France avait tous les éléments pour vivre heureuse, pas de chômage, une croissance très forte, pas d'inflation, un excédent budgétaire, mais la France s'ennuyait. Lorsque j'ai vu ce peuple se soulever et applaudir lorsque GAGARINE a fait le tour de la terre, même nous, nous avons applaudi. Donc dans la curiosité, il y a aussi une part de rêve. Il faut savoir aussi mobiliser un peuple.

Il n'y aura peut-être plus le nucléaire, mais le jour où vous n'aurez plus de courant électrique, vous verrez votre réaction ! Le problème est là !

M. ROUGIER - Jeffrey HOFFMAN, je voudrais rebondir sur ce que vient de dire Monsieur SALOMON. L'homme n'est-il pas constitué ainsi qu'il voudra toujours aller plus loin, explorer plus loin ?

Même si l'exploration terrestre est quasiment terminée maintenant, il voudra peut-être aller plus loin et toujours plus loin, ce qui expliquerait que, contrairement à ce que disait Monsieur SALOMON, l'exploration spatiale ne s'arrêtera peut-être pas.

M. PONCELET - L'exploration terrestre n'est pas terminée ! Le fond des mers n'est pas connu !

M. LE PRESIDENT - J'aimerais que Monsieur HOFFMAN nous parle aussi un peu de la NASA. On a évoqué la NASA à plusieurs reprises et ses programmes, si je puis dire, relativement artificiels à partir de 2005, uniquement pour survivre. J'aimerais avoir son sentiment.

M. ROUGIER - On va commencer par cette question : est-ce que véritablement aujourd'hui - cela a été dit autour de cette table - la NASA fait des annonces spectaculaires pour obtenir des budgets et survivre ?

M. HOFFMAN - Je suis très triste et à vrai dire un peu gêné d'écouter ce que vous dites, Monsieur SALOMON. Pour moi, la recherche de la vie dans l'univers est une des expériences les plus importantes pour la science, pour la sagesse humaine. Que suggérez-vous à la NASA de faire ? Doit-elle supprimer cette évidence, la cacher ?

M. SALOMON - Ce n'est pas le sens de ce que j'ai dit.

M. HOFFMAN - De toute façon, je dirai que lorsqu'on a des évidences scientifiques, des données, on doit les partager avec tous les scientifiques du monde pour que les autres puissent juger par eux-mêmes. A mon avis, c'est ce que la NASA a fait.

M. ROUGIER - Vous vous inscrivez donc en faux lorsqu'on dit que la NASA fait des annonces spectaculaires pour justifier ses dépenses, voire pour inciter les politiques américains à continuer à donner des budgets à la NASA ?

M. HOFFMAN - J'espère que si on fait des découvertes intéressantes dans l'exploration de Mars, cela incitera les politiques à continuer le soutien de l'exploration, bien sûr. Mais suggérer que les annonces ne sont faites que pour légitimer les dépenses, à mon avis, ce n'est pas vrai.

Je voudrai répondre à votre première question.

M. BLAMONT - Je dois avouer que j'ai vu les images de Michael MALIN qui sont à la base des annonces de la NASA récemment, elles sont très intéressantes. Ces images posent un certain nombre de problèmes sérieux. Je ne pense pas du tout qu'il y ait, de la part de la NASA, le désir de faire de la publicité avec quelque chose de faux. Ce sont de vrais résultats scientifiques importants. C'était même vrai au moment de l'annonce, il y a maintenant trois ans, par Dave McKAY, de l'analyse d'une météorite qui était aussi très troublante. La discussion scientifique a été très sérieuse.

Je pense que ce sont les média qui, à partir des déclarations de la NASA, qui sont justifiées au point de vue scientifique, en font toute une histoire.

M. ROUGIER - Sur l'autre question : l'homme est-il ainsi fait qu'il voudra toujours aller plus loin et découvrir de nouveaux mondes ?

M. HOFFMAN - Qu'est-ce que l'exploration ? C'est l'élargissement de l'esprit humain.

Si l'homme est destiné à occuper l'espace, comme Monsieur ARNOULD l'a demandé, je ne vais pas répondre, mais je pense qu'il est génétiquement programmé pour explorer. La curiosité est très profonde dans l'esprit humain. A mon avis, la réponse la plus importante à la question de la première table ronde sur l'utilité de l'homme dans l'espace est que l'utilité la plus importante est d'amener l'esprit humain dans l'espace.

Lorsque je dis à des personnes que je suis un astronaute, la première question qu'on me pose est de savoir comment est l'espace. Une sonde robotique peut mesurer mieux que moi les données physiques, la température, la pression, mais ce n'est pas ce que les personnes veulent savoir car connaître un endroit veut dire beaucoup plus que prendre uniquement des mesures scientifiques.

Comment est l'espace ?

C'est plus une question humaine que technique. A mon avis les réponses ne peuvent pas venir uniquement des hommes dans l'espace ou peut-être de l'esprit humain dans l'espace.

Comment amène-t-on l'esprit humain dans l'espace ?

De diverses manières. On peut l'amener avec un télescope qui va dans les coins les plus lointains de l'univers. C'est une manière passive car on ne peut que regarder. Avec les engins mécaniques, on va un peu plus loin. Quant aux robots, je suis d'accord avec le fait qu'ils deviendront plus intelligents mais qu'ils j'ai un doute sur le fait que les robots apporteront vraiment de l'esprit humain. C'est pourquoi, on doit penser à la raison pour laquelle l'homme doit aller dans l'espace.

A la fin, l'humanité ira dans l'espace parce que cela fera plaisir et peut-être me laisserez-vous partager un rêve, une vision à long terme qui va illustrer cette idée. Lorsque je regarde autour de moi, je vois beaucoup de personnes physiquement désavantagées, surtout des personnes âgées. Elles sont saines d'esprit mais faibles de corps. Des personnes ne peuvent pas marcher, elles sont clouées sur une chaise roulante ou enfermées dans leur chambre. Je me dis : « quelle libération de perdre le poids du corps dans l'apesanteur de l'espace, de pouvoir bouger sans effort ». Il ne faut peut-être pas perdre tout le poids, mais 80 %, sur la surface de la Lune. On gagnerait vraiment une nouvelle vitalité, une nouvelle vie ou une nouvelle jeunesse. Bien sûr, il faut avoir un moyen de transport beaucoup moins coûteux, moins dangereux, moins violent, mais je suis sûr que cela arrivera.

M. ROUGIER - On va rester sur terre et je vais me tourner vers Philippe COUILLARD pour lui demander quelles sont les limites. Et on va se situer dans des délais que vous fixerez vous-même au point de vue des dates.

Quelles sont les limites techniques ? Jusqu'où peut-on aller ? Que se fixe-t-on ? Vingt, trente ans ? Dans les trente années à venir, jusqu'où pourra-t-on aller ? Même dans les dix ans. Si vous le voulez, on va donner quelques échéances.

M. COUILLARD - J'ai cherché à vous rassembler ici, en fonction des limites que l'on peut se donner, de l'endroit où l'homme veut aller dans l'espace, les enjeux qui sont derrière.

On a d'abord l'espace proche, celui de la station spatiale internationale qui va exister : quels sont les enjeux d'aller dans cette station ? Je parle pour un ingénieur, un industriel.

Ensuite quels sont les endroits fréquentables du système solaire ? Il n'y en a pas tellement : la Lune, Mars, peut-être des astéroïdes si on veut jouer au Petit Prince , mais pas plus. Pourra-t-on un jour sortir du système solaire ? Il est intéressant de voir ce que cela veut dire.

M. ROUGIER - D'un point de vue technique, estimez-vous qu'on peut se projeter raisonnablement et à quelle échéance ?

M. COUILLARD - L'échéance d'aujourd'hui est la station spatiale internationale. La construction a commencé, elle va exister, l'Europe y participe.

Elle existe, oui, on va l'occuper bientôt. Je vous rappelle que l'Europe a 8,3 % de parts de ce grand ensemble immobilier, cela veut dire que la France est copropriétaire à 2,2 % de la station spatiale internationale. L'enjeu de cet investissement assez important est d'abord d'utiliser ce laboratoire orbital. Je crois qu'il sera très vaste, bien équipé, que nos scientifiques doivent occuper cet outil qui sera splendide et ne pas laisser aux autres collègues, américains, allemands ou italiens, toute la place. Cela me concerne peu, cela concerne les scientifiques.

Ensuite, en participant à l'exploitation de cette station, le mieux est de ne pas payer en dollars les frais de copropriété, mais de les payer en nature. Pour cela, nous avons déjà commencé. Nous développons ce qu'on appelle un véhicule de desserte automatique qui sera lancé par Ariane 5 et qui ira à la station. Il s'agit de l'ATV (Automatic Transfer Vehicle) qui a quelques beaux enjeux techniques, comme le rendez-vous automatique en orbite avec une station très souple, ce qui pose des problèmes de pilotage et de rendez-vous ainsi que des problèmes de sûreté de fonctionnement puisqu'on touche au vol habité à partir du moment où même avec un engin automatique vous arrivez près d'un système habité. L'ATV est un prototype d'étage intelligent de transport de demain et je crois que c'est un enjeu très intéressant.

Mais la station spatiale internationale est aussi la participation de l'Europe à d'autres véhicules - Monsieur FEUSTEL en a parlé - que sont le véhicule de secours, c'est-à-dire le canot de sauvetage de la station auquel nous pourrions participer et même le véhicule de transport d'équipage. Il faut bien voir que la station vivra au-delà de la vie du shuttle. Il faudra le renouveler et, comme cela se passe dans un cadre international, à mon avis l'Europe pourra y jouer un rôle.

Ce n'est plus comme du temps d'Hermès où on faisait quelque chose d'autonome, on sera forcément dans la grande coopération internationale maintenant, en revanche on doit jouer notre rôle. Et les enjeux pour ces véhicules de rentrée sont ceux qui étaient ceux d'Hermès, c'est-à-dire :

- l'aérothermodynamique de rentrée ;

- les recherches sur les équations de Navier Stokes qui font avancer les simulations numériques et les essais en soufflerie ; je vous rappelle qu'on avait construit des souffleries F4 à côté de Toulouse et Sirocco en Italie ;

- le développement de matériaux chauds, leurs technologies d'assemblage ;

- les lois de guidage de pilotage à la rentrée ;

- la maîtrise de l'atterrissage ;

- le contrôle de l'environnement et le support vie qui serviront à l'aéronautique le jour où les fuselages des avions seront étanches, cela veut dire qu'on fera des soudures au lieu de rivetage ; cela va arriver puisqu'on commence déjà avec l'A3XX.

Ce sont les enjeux industriels pour aujourd'hui.

Ensuite il y a l'enjeu de la Lune, de Mars, des astéroïdes, mettons Mars qui est peut-être le plus fréquentable parce qu'il a une atmosphère.

Ce seront sûrement des expéditions internationales dans lesquelles l'Europe aura son rôle à jouer.

Je voudrais d'abord signaler que si on va visiter les planètes aujourd'hui on ne passera vraisemblablement pas par un arrêt à la station internationale. Cette station a en effet été choisie à 51° d'inclinaison pour faire de la coopération avec la Russie, ce qui est loin du plan de l'écliptique, donc du plan des planètes. On ne s'y arrêtera donc pas. Il faudra donc trouver un moyen de lancement suffisamment puissant et fiable pour faire peut-être de l'assemblage avant de partir et sur des orbites assez énergétiques.

A mon avis le meilleur lanceur pour cela est Ariane 5. Ariane 5 est très puissant, il fera 10 tonnes vers Mars en 2006 et il est le seul lanceur à disposer de chaînes redondées aujourd'hui.

M. ROUGIER - Si je vous comprends bien, cela veut dire qu'aujourd'hui, avec Ariane 5, on peut imaginer la conquête martienne à portée de main.

M. COUILLARD - Absolument, c'est un véhicule qui le permet. Après c'est aux politiques de décider, mais ce véhicule le permet ou s'en approche suffisamment pour que ce soit tout à fait envisageable.

Après il y a des enjeux différents, par rapport à la station les durées de mission peuvent aller jusqu'à deux ou trois ans ce qui pose d'autres problèmes.

Vous avez les domaines :

- de logistique : pour contrôler l'environnement et le support vie des équipages, faut-il des ravitaillements intermédiaires, les avoir envoyés avant ? Il y a tout un ensemble.

- de sécurité des équipages, aller les rechercher n'est pas très commode.

- de l'énergie de bord, en général on s'éloigne du soleil, on a de moins en moins d'énergie, cela pose aussi des problèmes.

- du médical et du psychologique en raison de très longues périodes en apesanteur et dans un environnement confiné, etc.

Il y a ensuite :

- les problèmes d'arrivée sur la planète Mars. Vous savez que les procédures, qui seront sans doute de l'aérocapture dans l'atmosphère, ne sont pas si simples. On a commencé, mais ce n'est pas toujours facile, il y a la descente, le freinage.

- les problèmes de vie sur la planète, de sorties extravéhiculaires.

- les problèmes de retour avec le décollage de la planète et la rentrée à grande vitesse dans l'atmosphère terrestre.

M. ROUGIER - On va revenir à Mars, mais je voudrais vous interrompre une seconde pour me tourner vers Jean-Pierre HAIGNERE et la station spatiale internationale, avec la mission martienne, on s'en est un peu éloigné. Demain, à quoi peut servir cette station spatiale internationale ? Imaginez-vous des utilisations autres que de la recherche ?

M. HAIGNERE - Lorsqu'on dit recherche, c'est un peu ambigu car on pense immédiatement à recherche scientifique. Ce matin, je ne sais plus qui a mentionné la recherche technologique. Mon passé de pilote d'essai m'amène à penser que quelle que soit la puissance des moyens de simulation et de calcul, à partir du moment où on a des équipages en permanence dans l'espace, dans une station qui est accessible, c'est un banc d'essai extraordinaire pour les technologies du futur, pour développer des antennes conformes, essayer les moteurs.

Pour tout ce qui est essais et développements, ce sera un moyen extraordinaire.

M. ROUGIER - Donc banc d'essai en vue d'une mission martienne.

M. HAIGNERE - Non, d'une manière générale ! Ce sera un banc d'essai pour faire de la technologie d'une manière générale même pour des applications industrielles.

Le tout après dépendra de la manière dont on le facturera. Il est évident que si on facture les essais et développements au prorata du coût de développement de la station, on n'aura pas de clients. Mais si on fait comme pour tous les autres programmes, les programmes de lanceurs, de satellites, si on vend les services indépendamment des frais de développement, on peut atteindre, à mon avis des coûts intéressants.

Ensuite, il est évident que toute la logique d'Ariane 5, le développement des satellites est basé sur la croissance permanente de dimensions des engins que l'on met dans l'espace et de leur coût.

On peut donc imaginer à terme et il est évident que, comme l'a fait remarquer Philippe COUILLARD, la station spatiale internationale n'est pas une très bonne orbite pour préparer des gros satellites de télécommunications. On peut cependant imaginer de développer des moyens d'observation de la terre, des grosses structures, voire des moyens à destination scientifique dans l'espace en partant de cet atelier que l'on aura en orbite.

Tout à l'heure il y avait une remarque pertinente à laquelle j'aimerais répondre, il s'agit de la logique de cet effort spatial. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué tout à l'heure, mais tout le monde a discuté sur ce que faisait l'homme dans l'espace, la raison pour laquelle on l'envoyait, mais une chose sur laquelle on était d'accord, c'est qu'il y serait. Finalement on ferait mieux de se demander ce qu'il va y faire d'intelligent si on admet tous qu'il va y être.

Le programme de la station est tout à fait en symbiose avec la navette. Je pense d'ailleurs que lorsque les Américains ont développé la navette, ils l'ont développée avec l'idée derrière de servir une station internationale. Cette station internationale peut préparer les programmes futurs au moins dans deux directions.

La première direction est la recherche amont. Cela fait trente ans que l'on fait du vol habité dans l'espace, mais cela ne fait pas trente ans que l'on est dans les stations dans des conditions de développement d'un laboratoire moderne occidental avec des systèmes de transmission de données performants, des systèmes informatiques performants, des personnes qui passeront moins de temps dans la maintenance de la station et davantage dans le développement des expériences scientifiques avec davantage d'énergie, comme dit Philippe COUILLARD.

Les conditions expérimentales sont tout à fait différentes et on peut imaginer que ce laboratoire aura peut-être, sûrement j'espère - c'est d'ailleurs le pari - des activités commerciales à terme, pourquoi pas. En tout cas, cela permettra de développer un certain nombre de technologies nécessaires à ce grand défi que sera Mars.

Philippe COUILLARD a parlé des problèmes de véhicules, de propulsion, mais il y a également tous les autres aspects, les radiations, le support vie qui reste complètement à développer aujourd'hui. Cela peut être une plate-forme de départ. Ce n'est pas très énergétique dit Philippe COUILLARD, mais cela peut quand même être peu ou prou une étape intermédiaire.

M. BLAMONT - Je voudrais remettre en perspective le calendrier pour l'exploration martienne.

Von BRAUN a écrit que cela se ferait dans cent ans en 1952 soit 2052, ce qui ne me paraît pas absurde. Aujourd'hui il est bien clair qu'il y a un certain nombre de problèmes à résoudre avant d'envoyer un homme pour deux ans dans une mission qui doit être essentiellement d'assurer son retour.

Premièrement il faut connaître la planète, or nous ne la connaissons pas du tout. Actuellement seul un pour mille de la surface de Mars est connu avec une résolution de l'ordre de 2 m, donc le choix du site non seulement pour des raisons de mission, mais aussi pour des raisons de sécurité sera très difficile. Et nous serons absolument incapables de le faire avant un grand nombre de missions d'exploration qui nous permettront de connaître cette planète, non seulement sa topographie, mais aussi l'ensemble de ses conditions climatologiques. Ceci, n'importe comment, représente des dizaines d'années.

Deuxièmement, il y a les problèmes techniques. La NASA vient de décider de repousser certainement de plusieurs années la mission de retour d'échantillons où on rapporte non pas un homme, mais 300 g sur terre. Je travaille dans cette mission depuis le début et je peux vous dire qu'au laboratoire qui le fait, à GPL, le retour d'échantillons est considéré comme une mission aussi difficile qu'Apollo. Donc, la difficulté de ramener un homme est une autre paire de manches que de rapporter 300 g. Il est donc bien difficile de penser que cela ne prendra pas vingt ans.

Il me semble que l'échéance d'un vol éventuel humain sur Mars, ce qui ne signifie pas qu'on ne dépense pas d'argent pour le préparer avant, me paraît plutôt aux alentours de 2030 que de 2020.

A ce moment-là tout le problème de savoir si on utilise ou non la station, si on utilise Ariane, fait rire car on n'en sait rien du tout, on ne sait pas quels seront les systèmes spatiaux qui existeront à ce moment-là. Je parle non seulement des systèmes mais en plus des méthodes d'emploi. Que fera-t-on comme rendez-vous ? Fera-t-on de l'aérocapture ? Une quantité de questions techniques sont posées, pour lesquelles nous n'avons pas la moindre idée des solutions.

M. ROUGIER - On va regarder avec Arlène AMMAR-ISRAËL les questions techniques que pose un débarquement vers Mars. Où en est-on ? Quelles grandes questions se pose-t-on ?

Mme AMMAR-ISRAËL - On a un peu parlé de cette mission martienne, mais on n'en a pas donné les raisons. Je crois qu'il faut la replacer dans le cadre de l'exploration du système solaire qui est une des grandes conquêtes de la recherche spatiale.

Je crois que Monsieur BLAMONT sera tout à fait d'accord avec moi pour dire que c'est vraiment une question incontestée, c'est une des plus belles recherches du spatial d'avoir complètement révolutionné toutes les connaissances que l'on avait du système solaire.

On a une façon très systématique de faire cette approche. On commence par envoyer une sonde qui survole la planète. Ensuite on envoie un satellite en orbite pour bien repérer sa cartographie et déterminer le site d'atterrissage. Puis on envoie des véhicules à la surface. Enfin on organise une mission de retour d'échantillons et on termine en y envoyant un homme et éventuellement une base d'habitation.

Toutes ces étapes, à l'exception de la base d'habitation, ont été réalisées pour la Lune. Et aujourd'hui le problème se pose pour Mars. Pourquoi Mars ? Elle est parmi les planètes pas trop lointaines, la vie n'y serait pas trop impossible à cause des conditions de température, de rayonnement, de pression qui sont à la surface. Il serait possible d'aller vers Mars, mais cela prendrait quand même beaucoup de temps.

Différents scénarios ont été étudiés, mais on ne peut pas mettre moins de cinq cents jours aller et retour en restant un peu sur la planète ou mille jours si on prend un certain temps. C'est surtout un problème de conjonction des différentes planètes.

C'est donc une mission longue, entre cinq cents et mille jours, une mission risquée. Comme Monsieur BLAMONT l'a dit tout à l'heure, les problèmes de rendez-vous sont extrêmement difficiles.

En ce qui concerne Mars, il y a vraiment des objectifs scientifiques de tout premier plan. La recherche de la vie, l'étude d'une planète assez proche de la terre, donc la connaissance du climat, de l'atmosphère, de la géologie, de la géographie, permettront également d'avoir des points de repère pour mieux comparer cette histoire avec celle de la terre. C'est un enjeu scientifique de premier plan faisant qu'aujourd'hui les grandes agences spatiales étudient la possibilité de faire une mission vers Mars. Il est clair qu'une mission de cette ampleur ne pourra pas être réalisée par un seul pays. Elle devra l'être par plusieurs comme pour la station spatiale internationale. C'est probablement un enjeu du même ordre au point de vue financier, voire supérieur.

Il faut dire aussi que sur Mars, cela ne pourra pas être fait en une fois, il faudra préparer l'envoi de l'homme par des missions préparatoires, déposer le véhicule de retour à la surface. C'est donc une affaire de longue haleine. Non seulement elle ne pourra avoir lieu qu'en 2020 ou 2030, mais il faudra probablement une dizaine d'années pour réaliser l'ensemble de cette mission puisqu'on n'a un créneau de lancement vers Mars que tous les vingt-six mois.

M. ROUGIER - Geneviève GARGIR, sur le contenu de cette mission martienne, on peut même dire qu'aujourd'hui on se pose de grandes questions, ne serait-ce que la manière dont on organisera un équipage.

Lorsque l'homme verra disparaître de sa vision la terre- et on peut aussi poser la question à Monsieur ARNOULD -, cela n'aura-t-il pas des répercussions psychologiques ?

Mme GARGIR - Aujourd'hui, on peut essayer d'imaginer ce que seront les limites de la conquête de l'homme dans l'espace extra-terrestre.

Je n'aime pas beaucoup ce terme de limites car l'histoire et les progrès de la science et de la technologie nous ont montré que, finalement, l'homme a su dépasser ce qui à un moment était une limite. Je n'aurai pas la prétention de parler de limites, mais plutôt de difficultés.

Il y a un certain nombre de difficultés effectivement tout à fait concrètes et tout à fait identifiées aujourd'hui pour de telles missions comme la mission martienne, la mission d'un vol habité sur Mars. La liste que je vais vous donner n'est pas du tout exhaustive, mais on peut déjà mettre en avant certains problèmes.

Il y a des problèmes humains qui sont physiologiques, psychologiques, mais aussi des problèmes plus techniques liés aux radiations et donc à tous les aspects techniques que représentent les missions comme les systèmes de support vie par exemple.

En ce qui concerne les problèmes de physiologie, on connaît déjà beaucoup de choses sur l'adaptation à l'apesanteur, au 0 G. Par les missions Mir et Shuttle, on a beaucoup appris sur les problèmes d'adaptation au 0 G. On connaît moins aujourd'hui le cycle, c'est-à-dire le passage de 1 G à 0 G et puis à 1/3 G, à 0,38 G exactement qui est la pesanteur sur Mars, puis de 0 G à 1 G. Donc pour tout ce cycle, on ne connaît pas bien les problèmes d'adaptation sachant qu'en plus, lorsque l'homme arrivera sur Mars, il aura beaucoup de travail à faire dans des conditions difficiles puisqu'il devra travailler en scaphandre.

On peut aussi se poser le problème de la déminéralisation osseuse pour l'équipage qui restera autour de Mars. Une partie de l'équipage restera en effet à 0 G autour de Mars et, suivant le scénario de l'expédition, il restera cinq cents ou mille jours. Il y aura effectivement des problèmes de déminéralisation osseuse qui sont un peu différents de ce qu'on a pu voir aujourd'hui.

Tous ces problèmes nécessiteront de nouvelles méthodes de prophylaxie ou de contre-mesures, des méthodes à définir aujourd'hui et à développer avec du matériel probablement nouveau. Des centrifugeuses seront peut-être nécessaires.

Il faut imaginer aussi tout ce qu'il faudra pour le contrôle médical in situ, c'est-à-dire sur Mars et dans le véhicule de transfert. Ce contrôle médical demandera des possibilités d'analyses chimiques ou cliniques, des possibilités de moyens de chirurgie, de réanimation, de traitement thérapeutique. Ce sont toutes des choses entièrement nouvelles.

Au sujet de l'aspect psychologique, les problèmes que l'on rencontrera sur Mars seront fondamentalement différents de ceux que l'on connaît actuellement sur les missions habitées de par les conditions extrêmement spécifiques des missions martiennes : la durée et l'éloignement.

Les problèmes de confinement, d'isolement et d'éloignement seront fondamentaux. On peut imaginer que l'équipage aura quand même une sorte de sentiment d'impuissance ou de non contrôle dans des conditions aussi éloignées de la terre. Il ne faut pas oublier que lorsqu'il y a un problème sur Mir, on sait ramener l'équipage en moins de 48 heures. Là l'équipage se dira que s'il y a un problème il rentrera dans six ou huit mois. C'est vraiment un problème tout à fait différent.

Une question qu'il faut se poser et que l'on se pose sur l'aspect psychologique est le nombre optimal d'astronautes qui seront nécessaires. On a parlé de six (de nombreuses études sont faites autour de ce chiffre). Il y a la répartition entre les différents sexes de ces astronautes, l'aspect multiculturel puisqu'on a vu que tous ces programmes ne pourront se réaliser que dans un contexte international, cela paraît évident maintenant. On sait que maintenir un équipage dans des conditions de stress difficiles, avec tous les aspects différents de culture qu'ils auront, est un enjeu difficile.

Il y a tous les problèmes d'organisation de la vie à bord, des voyages. Faut-il emmener l'équipage dans un ou plusieurs vaisseaux ? Il y a les problèmes de règles hiérarchiques à bord, de liaisons bord-sol. Il ne faut pas oublier que la liaison dure vingt minutes. Si par exemple il y a le feu à bord, il faut attendre quarante minutes pour avoir la réponse du sol à la question posée. Tous ces problèmes posent effectivement un problème psychologique assez important.

Je dirai maintenant deux mots sur les radiations.

M. ROUGIER - Nous n'allons pas passer en revue tous les problèmes. Nous avons bien compris que c'était très complexe, que l'on se posait de très nombreuses questions auxquelles on ne peut pas répondre à l'heure actuelle. Une mission martienne est déjà un énorme défi.

Mme GARGIR - C'est un défi car il y a beaucoup de problèmes à résoudre.

M. ROUGIER - On comprend que, partant loin, il y aura des risques d'irradiation et que de nouveaux problèmes se posent qui ne se posent ni près de la terre, ni au niveau lunaire.

Mme GARGIR - En ce qui concerne les radiations, aujourd'hui les études faites sur la mission martienne montrent que le problème des radiations n'est pas aussi important vis-à-vis de l'équipage que ce qui pouvait être imaginé il y a quelques années, surtout si on a les moyens de mettre l'équipage à l'abri dans des zones de sécurité avec un blindage de l'ordre de 24 g/cm².

Je voulais juste poser un dernier aspect sur ces problèmes de vols habités qui sont tous les problèmes de support vie. On n'en a pas beaucoup parlé ici, or ce sont des questions tout à fait importantes. Le système support vie, c'est la production de l'eau, de l'oxygène, de la nourriture, des déchets. Je vais vous donner quelques chiffres que j'ai recueillis dans des études réalisées aujourd'hui qui sont assez étonnantes. On sait que pour faire vivre un équipage dans la station, il a besoin par homme et par jour de :

- 0,96 kg d'oxygène,

- 2,5 kg d'eau potable,...

M. ROUGIER - On ne va pas tout détailler car l'heure tourne et je voudrais qu'on aille un peu plus loin.

Mme GARGIR - Ce bilan veut dire que, pour un équipage de six personnes en mission de cinq cents jours, on aurait besoin de 30 tonnes d'eau, de nourriture et d'oxygène et qu'on aurait 17 tonnes de déchets. On voit bien qu'on ne peut pas imaginer de faire comme on fait actuellement sur Mir où on apporte tout de la terre. Il faut donc trouver des moyens pour produire à bord ce qui est nécessaire à l'homme, d'où la notion de système écologique clos et tous les problèmes de production de ce qui est nécessaire, de recyclage, de production alimentaire. Tous ces problèmes sont des problèmes absolument nouveaux qui n'ont jamais été abordés.

M. MALERBA - Au sujet de la mission martienne, je voulais apporter la suggestion et même la provocation du prix Nobel, Monsieur Karl ROUBIA, dont certains intervenants ont entendu parler.

Le problème central semble être la durée de cette mission. Sa proposition révolutionnaire est d'utiliser un autre propulseur, de changer totalement la stratégie d'approche sur Mars avec un propulseur en impulsion cent fois plus grande que celle permise aujourd'hui par la combustion chimique. Cette mission serait accélérée tout le temps, pendant la première moitié vers Mars et dans la deuxième moitié pour ralentir en vue de l'approche sur Mars, il n'y aurait donc plus le problème d'aerobreaking, etc.

Ce n'est pas pour dire que c'est la solution que nous allons entreprendre, mais qu'il y a peut-être d'autres chemins, d'autres technologies à développer. Après tout, nous sommes en train d'ouvrir une nouvelle mer. Il ne serait donc pas étonnant que les moyens de transport dans l'espace soient un peu différents par rapport à ceux qui nous amènent de la terre à l'espace. Et la station spatiale serait le lieu où pourraient être étudiées ces nouvelles technologies.

Notre ami Franklin CHANDIRS a d'ailleurs également proposé un moteur à plasma, je crois qu'il faut donc aussi penser qu'il y aura d'autres moyens de propulsion dans l'espace.

M. ROUGIER - Et qui pourraient être étudiés au sein de la station spatiale internationale entre autres.

M. MALERBA - Surtout pour leur mise au point.

M. SALOMON - Pour qu'il n'y ait pas de malentendu sur ce que je vais dire, permettez-moi d'insister sur un point. Envoyer une sonde capable de rapporter des cailloux de Mars me paraîtrait superbe, je dis me paraîtrait superbe. Envoyer à plus forte raison un équipage sur Mars et lui permettre de revenir, me paraîtrait exaltant. Qu'il n'y ait donc pas de malentendu ! La curiosité, le désir d'aller loin est effectivement une bonne définition de l'homme.

Je voudrais quand même revenir - je suis en effet un peu historien et politologue - sur les processus de décision. Monsieur KENNEDY a décidé d'envoyer un homme sur la Lune contre l'avis de son conseiller scientifique Monsieur WITHNER, autant que je sache ! D'autre part, lorsqu'on fait la station, permettez-moi de vous rappeler quand même que la NASA, téléguidée par le Président des Etats-Unis, s'intéresse essentiellement à trouver un moyen d'occuper les Soviétiques puis les Russes avant que les Européens ne soient appelés à y participer. Donc ne rêvons pas non plus !

Et lorsqu'on parle d'Hermès, j'ai eu des étudiants du CNES qui ont travaillé sur le projet Hermès et, venant du CNES, ils étaient convaincus que cela se ferait. Au bout d'un an et demi, progressivement, ils ont découvert que le processus de décision, pour des raisons qui n'avaient plus rien à voir avec la science et la technologie, ont été telles que l'affaire a été classée.

Je voudrais simplement faire deux remarques, pour revenir à ce qu'a dit Jacques ARNOULD, qui me paraît très important.

Dans les cinquante ans qui viennent et que je ne verrai pas et d'autres ici, c'est vrai qu'on peut se demander si, alors qu'on croit que l'on va vers Mars, les technologies spatiales et à plus forte raison les biotechnologies ne sont pas en train de changer la nature de l'homme. Il faut y réfléchir.

D'autre part, puisqu'on parle de la solution Rubia comme moyen de transport pour aller sur Mars, je dois dire que je trouverais très intéressant que l'on s'attaque un peu plus sérieusement à des fusées capables de revenir.

Je m'arrête là.

M. ROUGIER - Jean-François CLERVOY, on ne vous a pas encore entendu depuis le début de cette deuxième table ronde, je voudrais savoir quelle est la vision que vous avez de ces missions.

C'est vrai que lorsqu'on écoute Geneviève GARGIR, c'est un peu effrayant. On se dit que l'homme verra disparaître la terre de son horizon, il sera à 40 mn aller-retour en phonique de la terre et il sera quelque part finalement tout seul pour prendre une décision avec son équipage.

M. CLERVOY - Il y a de nouveaux problèmes auxquels il faut réfléchir.

Pour en revenir au destin, j'aime bien l'idée de programmation de Jeff HOFFMAN ou, comme disait le Président PONCELET, le rêve : l'homme ira sur Mars, c'est sûr. Je le prévoyais pour les années 2020, mais je pense qu'on est tous d'accord en gros sur le temps, c'est-à-dire 2020, 2030.

Si d'un seul coup on arrête l'homme dans l'espace, comme c'est son destin, de toute façon il y retournera.

J'aime bien prendre l'image non pas du berceau, mais du bébé qui est hors de son berceau et qui commence déjà à marcher à quatre pattes. Vous mettez dans le coin d'une pièce un enfant capable de se déplacer même à quatre pattes, il n'y restera jamais. Et si vous vous demandez pourquoi il se déplace systématiquement pour passer la porte et disparaître très rapidement, on vous dira que c'est programmé, il a envie d'explorer. Et pourquoi a-t-il envie d'explorer ? Pour augmenter son champ de connaissances.

La meilleure connaissance que vous avez de votre environnement maximise les chances de survie de l'espace, c'est l'instinct de conservation. Mais il faut aller chercher au fond de soi-même, faire de l'introspection personnelle pour le trouver. Mais c'est lui qui nous pousse à cette curiosité qui est innée en nous.

Chaque fois qu'on donne des conférences et qu'on demande aux personnes de la salle combien aimeraient aller dans l'espace, beaucoup lèvent la main. Et si vous leur demandez pourquoi elles le veulent, elles répondent toutes par curiosité. Comme disait Jeff HOFFMAN, elles ont envie de le vivre elles-mêmes, de savoir, de connaître, de sentir.

Ce n'est pas tellement le fait que l'homme veut conquérir et être le maître de l'univers, mais qu'il veut en savoir davantage sur son environnement. Tant que, dans son histoire, l'homme sera capable d'aller plus loin, plus vite, il le fera. Il ira vers Mars et peut-être dans cent, cinq cents ou mille ans seulement, il ira en-dehors du système solaire.

On aura inventé des systèmes de propulsion exotiques qui permettront d'atteindre des vitesses nettement plus élevées, d'autres moyens de transports.

Pour revenir à l'idée de la curiosité, je ne crois pas que l'homme est « condamné » à rester sur la planète terre. L'homme ira, explorera de plus en plus loin, de plus en plus vite.

L'histoire de l'homme est que, dès qu'il a pu se mettre debout, il a été plus loin qu'à quatre pattes, que les primates. Lorsqu'il a inventé le vélo, il a été à plusieurs centaines de kilomètres. Lorsqu'il a inventé l'avion, au début les premiers qui ont volé en avion ont été pris pour des fous et tout monde leur demandait pourquoi ils inventaient ces machines. Ils disaient qu'on pourrait transporter des passagers et, au début, jamais on ne les a crus. Et aujourd'hui un avion décolle à chaque seconde dans le monde.

M. ROUGIER - Vous avez parlé d'instinct de conservation. Cela veut-il dire que l'homme peut aussi rechercher dans l'espace des solutions aux problèmes terrestres ? Je vais être beaucoup plus précis, peut-il rechercher dans l'espace des solutions aux problèmes de pollution, de richesses terrestres qui s'épuisent ? Je ne fais pas de science-fiction, je pose une question, Monsieur BLAMONT !

M. CLERVOY - Clairement l'homme ne va pas dans l'espace pour fuir des problèmes.

L'instinct de conservation est quelque chose d'inconscient. Il faut en discuter, arriver à le sortir de soi-même en faisant de l'introspection personnelle, en se faisant analyser.

A très long terme, il est sûr qu'on ne peut pas continuer à croître sur le plan démographique sur terre à l'infini sans jamais aller ailleurs, ce n'est pas possible. ou alors il faut imaginer des épidémies monstrueuses, des guerres affreuses. A long terme, c'est-à-dire dans cinq cents ou mille ans, c'est peut-être difficile à voir. On n'est pas là pour décider des programmes à mille ans, mais c'est le sort de l'homme d'aller toujours plus loin.

M. ROUGIER - Une réponse avec Jacques ARNOULD, puis Alain ESTERLE et Jeffrey HOFFMAN.

M. ARNOULD - Je connais bien l'image du berceau auquel par mode d'opposition. Je ne voudrais cependant pas aller plus loin dans le débat, mais je sais que les mêmes personnes, en tout cas le même milieu qui utilise cette image, utilise aussi l'image du vaisseau de la terre vaisseau spatial. Alors entre le berceau et le vaisseau, il faut un peu choisir !

Vraiment, je m'oppose à l'idée d'une sorte de destin inscrit dans les gènes, et c'est ma culture biologique qui va dans ce sens. Ce qui est inscrit dans nos gènes, je ne crois pas que ce soit la curiosité.

Pour moi l'homme est capable de s'opposer à cette curiosité au nom d'autre chose qui, elle, est peut-être inscrite dans les gênes : la question de l'autre. Si quelque chose nous pousse, c'est la question de l'autre.

En écoutant ce qu'on disait tout à l'heure sur Mars, la possibilité de vie ou de traces de vie, sur l'éloignement de la terre où brutalement on est seul, c'est-à-dire où il n'y a plus d'autre, ou même en évoquant ce que certains font, c'est-à-dire écouter des messages ou des signaux venus d'autres terrestres, je crois qu'en revanche ceci est inscrit dans nos gènes, car cela relève de notre nature biologique.

Nous sommes constamment en train de savoir où s'arrête notre moi, où commence l'autre. Ceci peut effectivement susciter constamment une curiosité qui ensuite doit être régulée.

Ecoutez-vous parler de Mars, une autre terre ou une terre qui nous ressemble. On va essayer de mieux comprendre ce qu'on est en allant voir ce qu'est l'autre. J'aime parfois dire que la question de l'autre nous suit comme une ombre. Là je suis d'accord.

Cela devient non pas une justification, mais trouver à cet endroit, dans la question de l'autre, d'autrui, un des ressorts peut-être les plus profonds du fait que l'enfant sort de son berceau, j'ai envie d'aller voir ce qu'il y a de l'autre côté de la rue. Je crois que c'est inscrit, c'est plus compliqué que la curiosité car dès que je parle de l'autre, j'introduis la question de l'autre et donc une capacité à réfléchir sur ce que je fais, la manière et le statut que je donne à l'autre.

M. ESTERLE - Je voudrais revenir un peu sur ce qui a été évoqué par Jean-François CLERVOY et sur les problèmes liés à la volonté d'aller sur Mars par exemple. Puisqu'on a parlé de Mars, il y a des problèmes techniques qui sont difficiles, compliqués, mais on imagine bien que tôt ou tard, dans un délai de dix, vingt, trente ans, avec ou sans Ariane, on trouvera une solution. Le problème est qu'il faut quand même trouver une raison de le faire, une décision, un mécanisme de décision comme dit le Professeur SALOMON.

Je suis quand même frappé par le point suivant. Cela n'a aucune valeur scientifique, j'exprime mes souvenirs.

Dans les années 1960, au temps de la conquête de la Lune, dans les premiers temps de l'homme dans l'espace, on ressentait la terre comme effrayante, terrifiante. On était condamné à exploser dans un conflit nucléaire, on ne voyait pas comment on pourrait se sortir de cette escalade invraisemblable des arsenaux nucléaires.

Il y avait un deuxième motif, l'explosion démographique. A l'époque, tous les modèles démographiques étaient terrifiants. Personne n'imaginait que la transition démographique que l'on connaissait à peu près dans les pays occidentaux serait une valeur générale.

Or maintenant que s'est-il passé ? Bien sûr les arsenaux nucléaires ne sont pas complètement réduits, mais on n'a plus cette terreur nucléaire, on imagine très bien qu'on est dans un processus de contrôle progressif de cette menace. Et concernant les modèles démographiques, il faut quand même être réaliste, ils tendent tous à une convergence, au plus tard dans les années 2040, 2050. On a passé le point d'inflexion de la croissance démographique depuis vingt ans déjà, on n'est plus du tout dans cette explosion. Et la transition démographique s'est manifestée dans tous les pays, toutes les cultures, contre toute attente.

On n'est donc plus sur une terre terrifiante, on n'a plus cette frayeur fondamentale et cette envie de s'échapper et de trouver un moyen d'évasion. Ce n'est pas par hasard si, dans les années 60, il y a eu l'idée des grandes colonies spatiales où des populations très importantes pourraient partir un jour et recréer une vie ailleurs. On n'en est pas du tout à cette idée aujourd'hui.

On est beaucoup plus dans quelque chose qui a émergé à l'époque, un peu après, c'est-à-dire les problèmes d'environnement et on est davantage dans un processus de contrôle de l'environnement de la terre, apprendre à vivre ensemble sur la terre, ce sont les thèmes de la globalisation. Mais on n'est plus du tout dans cette démarche de fuite.

M. CLERVOY - Je ne parlais pas d'instinct de conservation dans le sens de fuir des problèmes sur la terre. De toute façon, à très long terme, dans mille ans, on explorera le système solaire et même au-delà.

Je parlais davantage de la programmation, de la curiosité, du désir d'explorer ou la connaissance de l'autre. Y a-t-il d'autres êtres vivants comme disait Jeff HOFFMANN ? C'est vrai que des pulsions nous poussent à en savoir plus et à aller plus loin, ce n'est cependant pas pour fuir les problèmes sur terre.

M. HOFFMAN - De nombreux problèmes, le destin même de l'homme dans l'espace, sont liés à des limitations de transport spatial.

Qui aurait cru il y a un siècle qu'on aurait une base scientifique permanente au pôle sud en effectuant le transport à ski et avec des chiens ? C'était tout à fait impossible. Et c'est la même chose maintenant. Les moyens d'arriver en orbite sont trop dangereux, trop chers.

Une fois développé un moyen sûr et à bon prix pour emmener les hommes dans l'espace, cela amènera un grand essor économique. C'est presque inimaginable ce qui va se passer. Si j'avais une recommandation pour les politiciens, elle serait d'investir davantage dans les moyens de transport spatial car c'est ce qui nous limite. L'Etat, la nation, la société qui réussira à développer le moyen de faciliter les transports à bon prix, aura une position très favorable dans le monde économique.

M. ROUGIER - C'est peut-être un peu tard pour aborder la question, mais comme nous n'en avons pas du tout parlé, nous allons en dire un mot. Que mettez-vous derrière cette possibilité d'accéder à l'espace à bas prix ? Voulez-vous dire que derrière on pourrait mettre du tourisme spatial ?

M. HOFFMAN - Combien d'énergie faut-il pour emmener un homme dans l'espace, je veux dire l'énergie potentielle et kinésique ? Il n'en faut pas beaucoup, cela représente à peu près l'énergie d'un baril de pétrole.

M. ROUGIER - Voulez-vous dire que si on avait accès à l'espace à bas prix, cela permettrait à beaucoup de monde d'aller dans l'espace ? Imaginez-vous un futur où on ferait du tourisme spatial ?

M. HOFFMAN - Je le pense, oui. Si on a l'occasion d'y aller, lorsque les premiers touristes reviendront avec leurs histoires de voyage, vous ne pourrez pas empêcher les autres de suivre car l'espace va donner beaucoup de plaisir. C'est difficile à imaginer, je partage cette expérience avec mes collègues, les autres astronautes. Vraiment l'expérience de flotter, d'avoir cette liberté de corps... On payera beaucoup pour partager cette expérience, cela sera un grand essor.

En ce qui concerne le coût de la construction d'hôtels touristiques en orbite, à mon avis, si vous imaginez combien de centaines de milliards de dollars on a dépensé pour construire Las Vegas, une cité dans le désert, on trouvera l'argent si on a les moyens de transport.

M. ROUGIER - Dans quelques instants, je vais demander à Jean-Jacques SALOMON de faire une synthèse de cette table ronde puis nous prendrons des questions dans la salle.

Je voudrais simplement terminer cette seconde partie de débat avec vous, Jacques ARNOULD, pour vous poser une question simple, mais c'est au théologien que je la pose : selon vous, cette quête d'un espace lointain peut-elle rendre l'humanité plus heureuse ?

M. ARNOULD - Je vais faire comme Claudie ANDRE-DESHAYS, je ne comprends pas trop bien votre question, en tout cas pourquoi vous me la posez à moi plutôt qu'à n'importe qui ici ! Non, je crois que j'avais un peu la question du bonheur de l'homme en arrière-plan en introduisant la question de l'autre.

Si nous nous interrogeons depuis le début de l'après-midi, nous parlons à partir d'expériences personnelles plus ou moins impliquées, parfois très impliquées, si bien que lorsqu'on parle de l'homme dans l'espace, certains d'entre nous sont concernés directement, d'autres le sont pour des questions politiques, d'autres encore scientifiques.

J'introduisais la question de l'autre ne serait-ce que pour s'interroger sur moi, mais aussi sur les autres cultures, les milliards d'hommes et de femmes aujourd'hui. On a évoqué ces questions de répartition.

Au fond parce que la question ultime ne se pose guère, j'aime parfois demander à mes frères en religion : es-tu heureux ? C'est une question que l'on ne pourrait peut-être pas introduire dans un cénacle aussi intellectuel, mais un peu comme Jeffrey HOFFMAN vient de dire, il voudrait partager ce qu'il a vécu en flottant. Je l'ai vécu quelques secondes dans un avion, il est vrai que j'ai aussi envie de le faire partager, mais je sais que cela coûte très cher et qu'arrivent d'autres questions.

Mais la question : es-tu heureux ? Au fond que faisons-nous chacun à notre place pour le bonheur de l'humanité, c'est-à-dire cette capacité à vivre ensemble en tant qu'alter ego ?

Je n'ai pas envie d'aller plus loin que cela !

M. SALOMON - Je ne vais pas faire une synthèse, mais essayer de donner l'esprit de cette réunion.

Le Président du Sénat l'a introduite en rappelant que l'espace « tantôt nous fait rêver, tantôt nous fait frémir », et je suis frappé par le fait que la fin de cette discussion débouche sur la question du bonheur.

Liées à l'espace, il y a eu il y a à peine trois semaines, à Chamonix, des réunions de trois jours sur la question : « la science fait-elle le bonheur » ? Chamonix n'est pas indépendant de l'espace, c'est quand même le Mont-Blanc. On peut donc toujours rêver à partir de la montagne et du ciel.

En gros, non pas l'espace, parce qu'on ne sait pas très bien ce que c'est, mais la recherche spatiale, scientifique, technique, les activités et les applications spatiales sont le lieu, de toute évidence, de questions diverses absolument indissociables - il ne faut quand même pas l'oublier - qui vont jusqu'à poser effectivement la question métaphysique du statut de l'homme.

Il y a des enjeux politiques - il ne faut quand même pas les ignorer - dès le départ. On a rappelé qu'il y a des enjeux stratégiques dont la dimension militaire ne peut pas être supprimée. Il y a des enjeux économiques, c'est évident.

Et puis il y a des enjeux éthiques et philosophiques, à savoir pourquoi y aller ? Faut-il y aller ? Si on y va que se passe-t-il ?

C'est vrai que si les questions que l'on peut se poser avaient toutes une dimension de temps concevable pour nous autres, elles apporteraient en quelque sorte des éléments de réponse au statut de l'homme sur terre.

Il se trouve que, malgré la distance et les difficultés dont vous avez parlé, Madame, (et non pas des limites - et je trouve très révélateur que vous ayez parlé de difficultés plutôt que de limites parce que le postulat est que tout est possible -), l'espace est le lieu de l'ensemble des possibilités réalisables : puisque cela existe, on le fera. C'est tout à fait concevable, c'est vrai.

Il y a l'ensemble des difficultés qui renvoient peut-être à la nature de l'homme qui est définie, disait Aristote, comme le désir de savoir, la curiosité, je veux bien. Mais il y a toutes les réserves que l'on peut se faire dès que l'on sort de ce qu'est le contexte strictement scientifique et technique de l'univers de l'espace.

Lors d'une réunion à laquelle j'ai participé avec Jacques ARNOULD il n'y a pas longtemps, j'avais été très frappé de voir que les spécialistes se définissaient comme faisant partie d'un monastère, c'est-à-dire d'une tribu très précise faisant partie d'un ensemble de convictions et de foi, il n'y a pas de doute, qui se défendent. Il ne faut pas contester car elles renvoient à l'aventure humaine.

Je conclurai cependant sur toutes ces dimensions par une petite remarque, lorsqu'on veut comparer la découverte du Nouveau Monde avec l'exploration spatiale, en rappelant que Colomb et Cortes sont partis pour deux raisons : trouver de l'or et convertir les indigènes qu'ils trouveraient dans les Indes. Il se trouve qu'ils n'ont pas atterri en Inde...

Alors l'espace n'a pas beaucoup d'or pour l'instant et on attend les Martiens pour les convertir !

Je vous remercie.

M. BOSTE - J'ai été en expédition dans l'Antarctique puis responsable des sciences de la vie au CNES.

J'ai l'impression que l'on sait - les débats l'ont montré - qu'il est possible d'aller sur Mars avec beaucoup de difficultés. Mais à terme ces difficultés pourront être vraisemblablement résolues.

Ce qui semble manquer le plus - et Monsieur SALOMON l'a bien noté - c'est une motivation profonde ; il y avait la compétition entre l'Est et l'Ouest ; nous n'avons plus de motivations de ce type. Et cependant, on pourra en déterminer une.

Nos collègues astronomes nous montrent qu'une collision entre un corps planétaire, cométaire ou une météorite géante, peut anéantir l'humanité, l'espèce. Nous avons surtout raisonné en tant qu'individus, mais je pense qu'il faut dépasser l'individu. Nous appartenons à une espèce qui est l'espèce humaine. Cette espèce est menacée, pas dans la vie d'un homme - la probabilité est que l'on vit soixante ans, ce qui n'est vraiment rien - mais à l'échelle des temps d'une espèce. Il est vrai que les dinosaures ont peut-être été détruits par une météorite, on n'en est pas très sûr, mais il y a de nombreuses hypothèses dans ce sens.

Alors installer une colonisation sur Mars comme la NASA l'a déjà envisagé plusieurs fois ? Certains films de la NASA montrent une colonisation un peu futuriste - je ne sais pas si elle est possible, en tout cas elle ne le sera pas avant peut-être trois ou quatre cents ans -, mais le jour où on aura déterminé qu'une orbite quelconque percutera la terre, il sera peut-être trop tard pour s'en occuper. Je pense qu'aller sur Mars dans le but d'une colonisation, de façon à partager les risques en deux, est une motivation qui peur paraître un peu naïve, mais qui rejoint le souci de l'autre comme l'on disait tout à l'heure.

M. ROUGIER - Quelqu'un souhaite-t-il réagir ou apporter une réflexion par rapport à ce qui vient d'être dit ?

M. CLERVOY - J'aimerais juste insister à nouveau sur ce que disait Jeff HOFFMAN : la prochaine grande étape de l'exploration spatiale dépend très clairement de la mise au point de nouveaux systèmes de transports moins risqués, moins coûteux, permettant d'atteindre des vitesses plus élevées. C'est vraiment un point sur lequel nos laboratoires doivent faire porter leurs efforts. On est limité par la propulsion chimique. En mettant le paquet avec la technologie que l'on possède aujourd'hui, on peut aller sur Mars.

Maintenant si on n'y va pas dans quinze, vingt ans et qu'on attend de maîtriser des propulsions exotiques qui sont déjà à l'étude, on peut imaginer toutes sortes d'autres transports dans l'espace. Le tourisme spatial dépendra de cela. Le tourisme spatial dépend de la diminution des risques que l'on prend lorsqu'on accède à l'espace et aussi du coût. C'est vraiment une marche qu'il faut dépasser et en ce moment on est vraiment au stade préliminaire de recherche pour la passer.

M. ROUGIER - Peut-on fixer aujourd'hui des dates ? Je me tourne vers l'industriel.

Dans l'absolu, a-t-on déjà une idée permettant de dire qu'à telle date on peut considérer que la propulsion telle qu'on la conçoit aujourd'hui sera dépassée, que l'on devra passer à un autre niveau ? Est-ce impossible ? Est-ce vraiment lire dans le marc de café ?

M. COUILLARD - Ce n'est pas tellement cela, d'abord il y a différents types de propulsion. Des progrès sont faits actuellement sur la propulsion des satellites, c'est-à-dire à très faible niveau de poussée. Il y a de nouvelles propulsions avec des performances bien meilleures, les propulsions ioniques ou plasmiques ; cela existe.

Là, il s'agit de faire la navette entre la terre et l'orbite proche, et pour faire la navette il faut partir avec de la poussée. Il y a donc une énergie à développer, une puissance qui doit être donnée.

Aujourd'hui, ce qui se fait de mieux, c'est la propulsion chimique hydrogène-oxygène. Ce qui pourrait la remplacer, mais à quel terme, je n'en sais rien et je ne pense pas qu'on y touche avant longtemps, c'est de faire de la propulsion nucléaire.

Mais je ne pense pas que beaucoup de personnes veuillent toucher à la propulsion nucléaire avec une forte poussée, c'est-à-dire mettre un réacteur au bout d'un réservoir d'hydrogène et éjecter de l'hydrogène à très grande vitesse. En effet, pour avoir de la performance il faut éjecter le plus vite possible, et vous avez intérêt à éjecter des gaz légers plutôt que des gaz lourds puisque c'est la vitesse qui compte.

M. ROUGIER - On parle du postulat d'un départ de la terre, ne peut-on imaginer un départ d'ailleurs ?

M. COUILLARD - Je répondais à la question consistant à faire la navette entre la terre et l'orbite proche.

M. HOFFMAN - C'est important d'avoir la navette entre la terre et l'espace basse orbite.

M. ROUGIER - Et dans un avenir plus lointain.

M. COUILLARD - Aujourd'hui, exceptée la propulsion chimique, je ne connais rien d'autre de raisonnable à une échéance donnée. Cela changera peut-être un jour, mais je pense qu'on est encore contraints pendant longtemps. Cela ne nous empêche cependant pas d'aller sur Mars en mettant un peu de temps, la propulsion n'est pas un frein, il y a d'autres problèmes comme on l'a montré. Après on verra ce que les physiciens trouveront.

Il est sûr que, concernant les problèmes de sécurité, il faut bien se rendre compte que la puissance nécessaire pour décoller est considérable. Je ne sais pas si j'ai des comparaisons, mais une turbopompe du moteur Vulcain représente deux rames de TGV. Or une turbopompe ne représente que 1 ou 2 % de l'énergie.

Lorsque vous avez un booster qui décolle avec 700 tonnes de poussée et qui éjecte les gaz à 3 000 m/s, vous voyez la puissance donnée, c'est considérable, ce sont des gigawatts environ.

Un Intervenant - Vulcain en fonctionnement, c'est une centrale nucléaire, ce sont 200 000 chaudières à gaz dans un volume de 50 l.

M. COUILLARD - C'est Vulcain, mais à côté cela ne suffit pas car Vulcain ne fait pas décoller la fusée.

On met deux boosters de part et d'autres qui poussent six fois ce que pousse un Vulcain chacun, et ceci pendant deux minutes.

M. COUILLARD - Vous voyez, ce sont les ordres de grandeur et vous ne changerez pas ceci. Pour aller en orbite il faut ça. Il faudra trouver d'autres moyens certes, mais il faut les trouver et maintenir ceci avec la sécurité, augmenter la sécurité, l'enjeu est celui-là. S'il y a des idées... Je crois que ce serait un thème de recherche, à savoir faire avancer la physique pour trouver d'autres moyens de propulsion, mais très loin.

M. ROUGIER - Pour reprendre ce que disait Jean-François CLERVOY tout à l'heure, pensez-vous que dans cinq cents, dans mille ans, on aura des solutions techniques qui nous permettront d'aller...?

M. COUILLARD - Je ne pense pas dans cinq cents ans !

M. BERTHOZ - Je voudrais simplement faire un commentaire sur ce qu'a dit Monsieur BLAMONT tout à l'heure, qui est très important sur le problèmes des relations entre intelligence artificielle et intelligence naturelle.

Il faut se garder d'affirmations peut-être trop péremptoires sur l'évolution des ordinateurs par rapport au cerveau. Le problème est que nous ne savons pas aujourd'hui comment fonctionne le cerveau. Nous savons qu'un seul neurone est peut-être à lui seul aussi puissant que ne le seront les ordinateurs plus tard. Les découvertes concernant la rapidité et la complexité des mécanismes moléculaires sont extraordinaires. Et on peut aussi concevoir qu'après tout, les systèmes artificiels sont des prothèses du cerveau.

Pour le moment, il est vrai qu'il faut reconnaître, et vous avez raison de mener cette campagne, qu'il y aura une explosion extraordinaire des puissances de calcul, des puissances des robots. En même temps, il se trouve que nous ne sommes qu'au début de l'ère de la découverte de ce qu'est le cerveau - et le cerveau humain en particulier - et que là aussi on va peut-être découvrir que c'est une machine plus puissante qu'on ne le croit qui va utiliser justement cette prothèse.

Je crois que le débat reste ouvert et qu'il faut se garder aujourd'hui de le verrouiller ; nous n'en sommes qu'au tout début.

M. BLAMONT - Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que nous sommes au début. Il y aura des progrès sur le fonctionnement du cerveau et il y en aura aussi sur la façon d'utiliser des composants électroniques. Je vais vous donner un exemple.

Un de mes amis soviétiques m'a dit, il y a dix ans, que jamais une machine ne battrait un champion d'échec, jamais ! C'est arrivé. Et je souhaite faire remarquer que la machine ne fonctionne pas comme un cerveau, elle utilise simplement sa puissance pour faire, très rapidement, un très grand nombre d'opérations logiques.

On peut donc parfaitement imaginer que lorsqu'on pense au pilotage ou à un homme dans l'espace, aux fonctions que remplit un astronaute, ces fonctions peuvent être classées. On peut très bien se rendre compte qu'il n'y en a pas tellement et qu'on peut remplir ces fonctions par des méthodes, des logiciels qui n'ont rien à voir avec le cerveau humain.

C'est simplement ce que j'ai voulu dire tout à l'heure. La puissance de calcul augmente d'une façon très importante et nous ouvre la possibilité de nouvelles méthodes pour remplir des fonctions.

M. MALERBA - Je voudrais faire un petit commentaire sur une question posée plusieurs fois à laquelle on a essayé d'apporter une réponse : quand ira-t-on vers Mars ?

Je pense que l'évolution n'est pas toujours linéaire, qu'elle se fait plutôt par des événements qui attirent l'attention et qui, justement, stimulent la curiosité, qu'il y a des accélérations ou des décélérations. C'est la motivation qui entraîne des décisions courageuses.

Par exemple, la découverte de l'eau - tout le monde y croit maintenant - sur Mars est quelque chose qui va probablement accélérer le processus. Il ne faut donc pas exclure que dans un futur prochain, il y ait des événements qui accélèrent les choses par le mécanisme de la motivation et de la curiosité et non pas uniquement parce que la technologie mûrit lentement et progressivement.

M. ROUGIER - Monsieur le Sénateur, je vous rends définitivement le micro.

M. LE PRESIDENT - Merci !

Je voudrais, au terme d'une journée qui a été longue, vous remercier toutes et tous très sincèrement en mon nom, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mais aussi - et c'est peut-être un peu ambitieux de ma part - au nom de tout le Parlement, d'avoir bien voulu vous prêter à cet exercice.

Nous avons essayé de l'organiser sans doute avec des imperfections, mais en faisant des invitations de la manière la plus large possible. En tout état de cause, la connaissance de ce colloque était publique, nous l'avons annoncé sur le site Internet du Sénat, et dans le Bulletin Officiel du Parlement depuis déjà longtemps. Toutes celles et tous ceux qui s'intéressent à ces sujets et qui ont eu connaissance de l'organisation de ce colloque pouvaient être présents aujourd'hui.

Je remercie en tout cas particulièrement tous les intervenants, les rapporteurs Monsieur FAVIER et Monsieur SALOMON, qui ont eu la tâche difficile d'essayer de faire des synthèses de ces tables rondes fructueuses concernant les informations que, personnellement, j'ai pu recueillir.

Je ne dis pas que nous avons répondu aux questions que nous nous posions à l'entrée de ces deux tables rondes qui étaient :

- pour la première : quelle est l'utilité de l'homme dans l'espace ?

- pour la seconde : l'homme est-il destiné à occuper l'espace extraterrestre ?

Il reste beaucoup de questions à résoudre, mais beaucoup ont été ouvertes aujourd'hui. A mon sens, c'était un des buts de cette journée et je vous en remercie.

Je continuerai bien entendu ma quête d'informations.

Je dois vous informer que seront joints à mon rapport, lorsque je le publierai, les actes de ce colloque d'aujourd'hui. Vous en aurez d'ailleurs largement connaissance le moment venu.

Je voudrais remercier aussi les journalistes présents et celui qui a été chargé d'animer nos débats, Monsieur Bruno ROUGIER, que je félicite.

Nous avons souhaité que ce colloque se passe de manière vivante et que ce ne soit pas simplement une succession d'interventions.

On a demandé à chacun et chacune d'entre vous de nous préparer un petit résumé, mais on souhaitait surtout que le débat soit vivant. Nous avons, je crois, - Monsieur ROUGIER partage-t-il mon sentiment ? - atteint cet objectif.

En tout cas, je tiens à vous remercier toutes et tous, toutes les personnes qui sont dans la salle et qui ont participé à ce colloque pour la richesse de nos débats et toutes les interrogations avec lesquelles nous sortirons de cette salle, des plus pratiques aux plus philosophiques.

La séance est levée à 19 h 30.

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