N° 300

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 mai 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne (1) sur la politique commune des transports,

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : M. Hubert Haenel, président ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. James Bordas, Claude Estier, Pierre Fauchon, Lucien Lanier, Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; Nicolas About, Hubert Durand-Chastel, Emmanuel Hamel, secrétaires ; Bernard Angels, Robert Badinter, Denis Badré, José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Jean Bizet, Maurice Blin, Xavier Darcos, Robert Del Picchia, Marcel Deneux, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jean-Paul Emin, André Ferrand, Jean-Pierre Fourcade, Philippe François, Yann Gaillard, Daniel Hoeffel, Serge Lagauche, Louis Le Pensec, Paul Masson, Jacques Oudin, Mme Danièle Pourtaud, MM. Simon Sutour, Xavier de Villepin, Serge Vinçon, Henri Weber.

Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

Bien que constituant l'une des plus anciennes politiques prévues par les textes communautaires initiaux, la politique commune des transports n'a pris place que tardivement dans la construction européenne. Il a fallu que la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) constate en 1985 la carence des Etats membres dans ce domaine pour que ceux-ci se décident à agir.

Le premier Livre blanc de la Commission « sur le développement futur de la politique commune des transports » a été publié au mois de décembre 1992. Son introduction mesurait alors l'ampleur de la tâche à accomplir :

« La mise en oeuvre du traité sur l'Union européenne adopté à Maastricht redonnera une nouvelle impulsion à la politique commune des transports. L'amélioration de la sécurité des transports est pour la première fois explicitement rangée au nombre des objectifs à atteindre. Les dispositions relatives aux réseaux transeuropéens ainsi qu'à la cohésion économique et sociale procurent à la Communauté une base nouvelle sur laquelle s'appuyer pour contribuer à l'établissement et au développement des infrastructures de transport. Le nouveau titre consacré à l'industrie souligne l'importance capitale des conditions qui assureront la compétitivité des entreprises de la Communauté.

« Dans le même temps, le traité sur l'Union dispose expressément que conformément au principe de subsidiarité, la politique commune des transports doit consister en actions qui ne peuvent pas être réalisées de manière satisfaisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison de leur dimension ou effet, être mieux réalisées au niveau communautaire .

« L'année 1992 marque donc un véritable tournant dans l'évolution de la politique commune des transports qui, de politique axée essentiellement sur l'achèvement du marché intérieur par élimination des obstacles réglementaires artificiels à la libre prestation des services, s'est muée en une politique plus globale destinée à assurer, dans un marché intérieur réellement unique, le bon fonctionnement des systèmes de transport de la Communauté et à répondre aux défis que la politique des transports devra sans doute relever après 1992. »

Près de dix années plus tard, alors que la Commission s'apprête à publier un nouveau Livre blanc sur la politique commune des transports, la situation n'apparaît guère satisfaisante.

Les résultats de la politique communautaire de sécurité restent pour le moins en deçà des attentes, tant en matière routière que maritime. Les harmonisations fiscale et sociale piétinent. Le souci sans cesse affirmé de rééquilibrage entre les modes de transport reste un voeu pieux, face aux difficultés persistantes du chemin de fer et à la lenteur des progrès de l'intermodalité, tandis que le transport routier poursuit son irrésistible développement.

En ce qui concerne les infrastructures, l'espace européen des transports apparaît à la fois fragmenté et saturé. Les réseaux transeuropéens de transport, qui devaient remédier à cette situation, ne sont qu'une simple juxtaposition de schémas nationaux et peinent à trouver les financements nécessaires. Les propositions de tarification rationalisée et harmonisée des infrastructures restent au stade des études théoriques.

Certes, tout n'est pas négatif dans la politique commune des transports. Il est néanmoins évident qu'elle ne progresse pas au rythme des besoins de mobilité dans un espace européen en voie d'intégration économique. Les atermoiements des Etats membres, enfermés dans leur vision nationale des choses, sont de moins en moins soutenables et l'heure semble aujourd'hui venue d'une réelle prise de conscience de l'importance de la politique des transports pour l'Union européenne.

I. UNE POLITIQUE EN RETARD PAR RAPPORT AUX BESOINS

A. LA CROISSANCE DE LA DEMANDE DE TRANSPORT EN EUROPE

1. Des insuffisances statistiques révélatrices

Pour les transports, les sources d'information de la Commission sont principalement Eurostat et la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT). Des données sont également fournies par les Nations Unies, l'OCDE et certaines associations internationales.

Une des tâches principales d'Eurostat est d'obtenir des Etats membres des données harmonisées, afin de pouvoir procéder à leur agrégation et à des comparaisons.

Le livret de référence publié par la Direction Générale (DG) Transport et Energie, intitulé « Le transport dans l'Union européenne en chiffres », contient notamment les séries suivantes : les tonnes/km et les passagers/km par mode de transport, par pays et par année ; les activités des ports maritimes et des aéroports ; les infrastructures ; le nombre de véhicules, par mode de transport et par type de véhicules, l'emploi.

De l'aveu même des services de la Direction Générale Transport et Energie, certaines données sont manquantes, comme celles sur les véhicules routiers de marchandises par catégorie (nombre et tonne/km, matrice d'origine-destination par zone), sur le partage du transport aérien entre lignes régulières et charters, ou sur la ventilation régionale de toutes les données.

Pour sa part, votre rapporteur estime regrettable le recours trop systématique à la notion de tonnes/km, qui ne lui paraît pas une unité toujours très pertinente. En effet, il s'agit d'une unité physique, alors que les raisonnements en matière de politique des transports devraient s'appuyer d'abord sur des unités économiques et financières. Les deux tableaux ci-après illustrent les biais qui peuvent être introduits par le choix de telle unité de préférence à telle autre.

Le premier tableau est exprimé en tonnes. Il fait apparaître une prédominance du trafic extracommunautaire, 1713 tonnes, sur le trafic intracommunautaire, 1006 tonnes, et, au sein du premier, une domination du transport maritime, qui en assure 70,8 %. Pour le trafic intracommunautaire, c'est la route qui est dominante, avec une part de 40,9 %, contre 30,7 % à la mer.

Le second tableau, exprimé en valeur, fait apparaître des résultats sensiblement différents. Le trafic intracommunautaire, 1.181 milliards d'euros, surclasse le trafic extracommunautaire, 1.443 milliards d'euros. Et, au sein de ce dernier, la domination du transport maritime est moins flagrante, puisqu'il ne représente plus que 41,4 % du total, 22,6 % étant assuré par la route et 24,1 % par l'air. En revanche, la domination du transport routier dans le trafic intracommunautaire se trouve accentuée, puisque sa part atteint 57,8 % du total.

2. L'importance économique du secteur des transports

Les dépenses annuelles en transport des ménages, du commerce et des administrations publiques s'élèvent à 1.000 milliards d'euros, soit 15 % du PIB (le total est inférieur à la somme des trois composantes, car les catégories se chevauchent : les ménages, par exemple, dépensent plus de 100 milliards d'euros en taxes sur les carburants chaque année, qui constituent une part importante du budget public des transports). Il faut y ajouter des coûts externes, estimés à 2 % du PIB, ou 4 % en incluant les coûts induits par les embouteillages.

Le chiffre d'affaires générés par les prestations de transport dépasse les 500 milliards d'euros (8% du PIB), dont la moitié en valeur ajoutée.

D'après les résultats des enquêtes sur la consommation des ménages, 12,5 % environ des revenus des particuliers (soit 520 milliards d'euros) sont dépensés en transport dans l'Union européenne. Ce chiffre passe à 14 % (soit 600 milliards d'euros) en y ajoutant les locations de voiture, les frais de transport des voyages au forfait, les taxes sur les véhicules et les péages. Ces dépenses se répartissent entre 90 % de transports privés (voiture dans plus de 95 % des cas) et 10 % de prestations commerciales.

Avec un montant de l'ordre de 600 milliards d'euros, les dépenses de transport représentent 14 % des dépenses des ménages en 1996, alors qu'elles n'en représentaient que 10 % dans les années 1960. Quand leurs revenus augmentent, les particuliers ont tendance à dépenser plus en transport, notamment en achetant une voiture ou des voyages à destination lointaine. Ceci explique pourquoi le transport représente moins de 10 % des dépenses des ménages en Grèce, mais plus de 15 % au Danemark et au Luxembourg.

L'interaction entre le coût du transport, la mobilité des personnes et l'aménagement du territoire induit qu'une baisse des coûts dans le transport génère, à long terme, plus de mobilité que d'épargne. Elle se traduit également par un phénomène de « motorisation » croissante des sociétés européennes.

Entre 1970 et 1998, le nombre d'automobiles pour 1000 habitants dans l'Union européenne est passé de 184 à 451. Cette dernière année, ce taux variait de 254 en Grèce, à 572 au Luxembourg.

Le secteur du transport dans l'Union européenne regroupe au total près de 760.000 entreprises, essentiellement dans le transport routier de marchandises (439.000 entreprises) et de passagers (185.000).

Le secteur des transports dans l'Union européenne emploie au total 5,733 millions de personnes. Les trois modes principalement employeurs sont le transport routier de marchandises (1,7 million d'emplois), le rail (1 million d'emplois) et le transport routier de passagers (940.000 emplois).

3. Un dynamisme de la demande différencié selon les modes

Le transport est une demande dérivée, en tant que moyen pour exercer d'autres activités. A ce titre, il est entraîné par des forces externes au secteur des transports lui-même.

Globalement, le principal moteur de son évolution est la progression du PIB. Au cours de la période 1970-1995, le PIB de l'Union européenne a progressé en moyenne de 2,5 % par an à prix constants. Au cours de la même période, les passagers/km ont augmenté de 2,9 % par an et les tonnes/km de marchandises ont augmenté en moyenne de 2,7 % par an.

Ceci signifie que les besoins de transport de l'économie ont augmenté : l'élasticité de la demande de transport par rapport au PIB a été supérieure à 1 au cours des dernières décennies.

Pour autant, le dynamisme de la demande de transport est différencié selon les modes, qui ne progressent pas tous au même rythme, comme le montre le tableau ci-après pour le transport de marchandises.

Les deux modes de transport les plus dynamiques sont la route, qui progresse de 35 % sur la période 1990-1998, et la mer, qui progresse de 27 % sur la même période. De son côté, le rail enregistre une diminution de son trafic de marchandises, de 6 % sur la période.

Ce dynamisme variable des différents modes de transport se retrouve dans le tableau ci-dessous, qui retrace leurs taux de croissance annuels pour chacune des trois dernières décennies.

Le même phénomène de croissance des différents modes à des rythmes variables se retrouve pour le transport de passagers.

Les deux modes de transport les plus dynamiques sont l'avion, qui progresse de 53 % sur la période 1990-1998, et l'automobile, qui progresse de 17 % sur la même période. Toutefois, en masse, l'automobile apparaît très dominante puisqu'en 1998 elle a transporté 3,776 milliards de passagers/km, tandis que l'avion n'a transporté que 241 millions de passagers/km.

A la différence du transport de marchandises, le rail gagne du trafic en ce qui concerne le transport de passagers, mais au rythme assez modeste de 6 % sur la période 1990-1998.

Le tableau ci-dessous retrace, pour le transport de passagers, les taux de croissance annuels des différents modes de transport au cours des trois dernières décennies.

4. Une modification de la répartition entre modes de transport

Le dynamisme variable de la croissance des différents modes se traduit par une évolution de la répartition modale. Ceci est particulièrement net pour le transport de marchandises, comme le montre le tableau ci-dessous.

Alors que la route et la mer représentaient, respectivement, 31 % et 35,2 % du total en 1970, elles en représentent, en 1998, 43,7 % et 40,7 %. Dans le même temps, la part du rail diminuait de 21,1 % à 8,4 %.

Le graphique ci-après permet de mieux visualiser la domination de la route et du rail dans le transport de marchandises, en 1998.

La répartition modale n'est pas identique dans tous les Etats membres de l'Union européenne. Le tableau ci-dessous retrace, par pays, la répartition du transport de marchandises entre les différents modes de transport terrestre.

On constate des différences notables. Alors que la moyenne communautaire est de 14,1 % pour le rail, certains Etats membres y recourent dans une proportion bien plus importante, comme la Suède (36,9 %), l'Autriche (36,9 %) ou la Finlande (26,9 %). De même, alors que la moyenne communautaire est de 7,1 % pour le fluvial, les Pays-Bas y recourent dans une proportion de 42 %, l'Allemagne de 15,7 % et la Belgique de 15,1 %.

La répartition modale évolue également sensiblement pour le transport de passagers, comme le montre le tableau ci-dessous.

L'automobile accroît sa prédominance, en passant de 73,6 % en 1970 à 79,1 % en 1998. Tout en restant à un niveau bien plus modeste, le transport aérien fait plus que doubler sa part sur la même période, en passant de 1,5 % en 1970 à 3,8 % en 1998, tandis que le rail diminue de 10 % à 6,1 %.

5. Une croissance persistante à moyen terme

L'un des facteurs principaux de la croissance du transport de passagers est la motorisation des sociétés européennes . Le parc automobile de la Communauté est passé de 62,5 millions de voitures en 1970 à 169 millions en 1998, soit environ une multiplication par trois en trente ans. Il continue d'augmenter de plus de 3 millions de voitures chaque année. Dans ce contexte, la mobilité des personnes est passée de 17 km/jour en 1970 à près de 35 km/jour en 1998.

L'augmentation du parc automobile et la croissance de la mobilité routière qui en résulte ont été facilitées par le développement considérable du réseau autoroutier au cours de la même période, alors que l'on assistait parallèlement à une contraction du réseau ferré. Cependant, à partir du milieu des années 1980, on assiste au développement du réseau ferré à grande vitesse en Europe. En 2000, ce sont plus de 2.700 km de lignes qui ont été ouvertes, et d'ici 2006, ce sont près de 4.400 km de lignes nouvelles ou aménagées pour la grande vitesse qui seront mis en service.

Parallèlement à la domination de la route et à la montée en puissance du rail à grande vitesse, les vingt dernières années ont été caractérisées par le développement spectaculaire du transport aérien, qui rejoint désormais le rail en passagers/km, mais qui doit faire face à des problèmes de congestion des couloirs aériens et des aéroports.

La croissance du transport de marchandises est liée aux mutations de l'économie et du système de production dans l'Union européenne au cours des vingt dernières années. L'Europe est passée d'une « économie de stock » à une « économie de flux », qui a permis une baisse radicale des coûts de stockage, et partant des coûts de production, par le biais d'un transfert physique des marchandises vers les moyens de transport. C'est le concept de « stock roulant ».

Parallèlement, on a assisté à un processus de délocalisation de l'industrie et au déclin de l'industrie lourde intégrée, grosse consommatrice de transport de pondéreux pour lequel le rail et les voies navigables sont parfaitement adaptées, au profit d'une industrie légère plus dispersée sur le territoire et basée sur la sous-traitance et le « juste à temps ». Cette nouvelle structure de production est plus favorable au système de transport réputé le plus flexible et dont le rayon d'action couvre l'ensemble du territoire, la route.

Dans ses projections, la Communauté s'est fixé comme objectif un taux de croissance économique d'au moins 3 % par an pour la décennie 2000-2010. Sur cette base, le consensus majoritaire entre les différentes études dont dispose la DG Transport et Energie arrive à la conclusion qu'au cours des dix prochaines années, le trafic devrait augmenter de 38 % pour le transport de marchandises et de 19 % pour celui de voyageurs, par rapport à la situation actuelle. Dans cette perspective, l'évolution du trafic de marchandises par route devrait s'établir à près de 50 %, alors que le trafic automobile augmenterait de 16 %.

La stagnation et le vieillissement de la population de l'Union européenne, la saturation automobile dans les pays les plus riches ainsi que celle des infrastructures urbaines, feront que la croissance de la demande de transport de passagers restera aux alentours de 1,5 % par an.

Pour les marchandises, le passage à une économie de services dématérialisée devrait assouplir le lien avec la croissance du PIB à l'avenir. Il est néanmoins probable qu'au cours des dix prochaines années la croissance économique et l'intégration croissante des économies européennes exigeront un volume toujours croissant d'activités de transport. Par conséquent, il est prévisible qu'une croissance économique de 3 % par an augmentera la demande de transport de marchandises d'un taux comparable, de 2,7 % par an.

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