Farines : l'alimentation animale au coeur de la sécurité sanitaire - Tome II : Auditions

BIZET (Jean) ; DÉRIOT (Gérard)

RAPPORT D'INFORMATION 321 - Tome II (2000-2001) - commission d'enquête

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Table des matières




N° 321

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Rapport remis à Monsieur le Président du Sénat le 10 mai 2001

Dépôt publié au Journal officiel du 11 mai 2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 15 mai 2001

RAPPORT

de la commission d'enquête (1) sur les conditions d' utilisation des farines animales dans l' alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs , créée en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 21 novembre 2000,

Tome II : Auditions

Président

M. Gérard DERIOT

Rapporteur

M. Jean BIZET

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Bernard, Jacques Bimbenet, Jean Bizet, Paul Blanc, Bernard Cazeau, Gérard César, Yvon Collin, Gérard Deriot, Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Bernard Fournier, Georges Gruillot, Jean-François Humbert, Gérard Le Cam, Serge Lepeltier, Roland du Luart, François Marc, Gérard Miquel, Philippe Nogrix, Jean-Marc Pastor, Michel Souplet.

Voir les numéros :

Sénat
: 73 , 88 , 81 et T.A. 27 (2000-2001).

Agroalimentaire.

Audition de M. Dominique DORMONT
Chef du service de neurovirologie du Commissariat à l'énergie atomique

(6 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, président - Nous allons commencer la première audition de l'après-midi. Je vous rappelle qu'il s'agit de M. Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie du Commissariat à l'énergie atomique, président du comité sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les prions.

M. Dormont, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Comme vous le savez, nous sommes en commission d'enquête parlementaire. Je me dois par conséquent de vous lire une formule officielle. Je vous demanderais ensuite de bien vouloir prêter serment.

« Je vous rappelle que le dernier paragraphe de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, modifié par la loi du 20 juillet 1991, dispose que les auditions auxquelles procèdent les commissions d'enquêtes sont publiques et que les commissions organisent cette publicité par les moyens de leur choix.

La commission d'enquête du Sénat sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs a ainsi organisé la publicité de ces auditions, sous réserve des demandes expresses de huit clos émanant des personnes auditionnées. Ces auditions sont donc ouvertes à la presse et font l'objet d'un enregistrement audiovisuel intégral assuré par la chaîne de télévision du Sénat et leur compte-rendu intégral sera en outre publié en annexe du rapport écrit, sauf opposition de la personne auditionnée.

Je vous rappelle également que l'ordonnance du 17 novembre 1958, précise que toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est entendue sous serment. En cas de faux témoignage, elle est passible des peines prévues par l'article 434-13 du code pénal. En conséquence, je vais vous demander de bien vouloir prêter serment, de dire toute la vérité et rien que la vérité, de lever la main droite et de dire : «je le jure». »

M. Dominique Dormont - Je le jure.

M. le Président - Je vous remercie. Puis-je connaître votre avis au sujet de la présence de la presse à cette audition.

M. Dominique Dormont - Je n'ai aucune objection concernant la présence de la presse. En revanche, je ne souhaite pas que cette audition donne lieu à la diffusion d'images, de quelques natures qu'elles soient.

M. le Président - Très bien. Cette audition sera donc enregistrée, mais cet enregistrement nous sera ensuite remis. Aucune image ne sera par conséquent diffusée.

M. Dormont, je vous remercie à nouveau d'avoir accepté de venir. Je vais commencer par vous passer la parole, afin que vous puissiez nous mettre au courant de l'état actuel de nos connaissances. Notre commission a en effet choisi de commencer par procéder à une mise au point des connaissances scientifiques actuelles concernant l'ESB en particulier et les prions en général.

M. Dominique Dormont - Comme vous le savez, les maladies à prions touchent aussi bien l'homme que l'animal. Quatre maladies sont aujourd'hui répertoriées chez l'homme. Il s'agit de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, du Kuru, du syndrome de Gerstmann-Sträusler-Scheinker et enfin l'insomnie fatale familiale. Ce sont des maladies extrêmement rares et qui, dans l'état actuel de nos connaissances, sont transmissibles mais pas contagieuses.

Cinq maladies du groupe des encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles ont été répertoriées dans le monde animal. Tout d'abord, la tremblante naturelle du mouton et de la chèvre qui a été décrite pour la première fois en 1732. Il s'agit donc d'une vieille maladie, présente partout dans le monde, sauf en Australie et en Nouvelle-Zélande, ces deux états ayant réussi à l'éradiquer. L'encéphalopathie spongiforme bovine est apparue au milieu des années 1980 au Royaume-Uni. L'encéphalopathie féline spongiforme est liée quant à elle à la contamination des chats britanniques par l'agent de la maladie de la vache folle. Cette dernière encéphalopathie a constitué le premier signe d'alerte pour les scientifiques, lorsqu'elle a été décrite en 1989-1990. En effet, l'apparition de cette maladie de façon quasiment exclusive sur le sol britannique a fait émettre l'hypothèse que l'agent de la maladie de la vache folle pouvait être transmissible à des carnivores, au travers de l'alimentation. Cette hypothèse a probablement pesé lourd dans la décision des autorités françaises de décréter un premier embargo à l'époque. L'encéphalopathie transmissible du vison touche quant à elle les visons d'élevage. Ces derniers sont nourris avec des carcasses de bovins et d'ovins récupérées dans les abattoirs. Il suffit par conséquent que l'une de ces carcasses provienne d'un animal infecté pour que le vison s'infecte à son tour. Il lui faudra ensuite 7 mois en moyenne pour qu'il meure d'une maladie du type maladie à prions. Il sera alors souvent mangé par les animaux enfermés dans la même cage, qui seront ainsi également contaminés. Enfin, la dernière maladie est très bizarre. Il s'agit de la maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages. Celle-ci touche le daim et le cerf, dans les forêts de deux états américains, le Wyoming et le Colorado. Celle maladie est le seul exemple d'une maladie à prions d'un animal sauvage. Cette spécificité nous pose d'ailleurs de gros problèmes en termes d'appréhension des mécanismes de transmission de cette maladie.

Les maladies à prions possèdent un certain nombre de caractéristiques communes. La première d'entre elles réside dans une période d'incubation extrêmement longue au regard de l'espérance de vie de l'individu considéré. Par exemple, cette période d'incubation peut dépasser 40 ans chez l'homme. Durant cette période, aucun symptôme clinique n'est visible. Par ailleurs, l'état actuel de la technologie ne nous permet pas de détecter la présence de l'agent infectieux. Lorsque les signes cliniques apparaissent, ils sont liés à l'atteinte exclusive et privilégiée du système nerveux central : les organes comme le coeur, le foie, les poumons ou les reins ne sont donc pas cliniquement atteints. Tous les signes objectivés sont liés à l'atteinte du système nerveux central. L'évolution se fait selon un mode subaigu : aucune rémission n'est par conséquent possible. L'état du patient s'aggrave très régulièrement au fur et mesure de l'évolution de la maladie. Ces maladies sont par ailleurs au-dessus de toute ressource thérapeutique. Elles sont mortelles dans 100 % des cas, autant chez l'homme que chez l'animal. L'une des caractéristiques primordiales de ces maladies est de ne pas induire de réponse du système immunitaire. Le système immunitaire ne répond pas en effet à la multiplication de l'agent infectieux, alors même que nous savons que ce dernier peut se trouver dans le système immunitaire. C'est donc un des paradoxes auquel la recherche actuelle est confrontée. Il n'existe donc pas de test de dépistage simple, comparable à ceux appliqués dans le cas du VIH ou de l'hépatite C.

Enfin, il faut savoir que personne n'a jamais vu l'agent infectieux, quelle que soit la puissance des microscopes qui ont été utilisés. Personne n'a jamais vu le prion, malgré l'importance du titre infectieux dans le système nerveux central (je rappelle que celui-ci comprend le cerveau, le cervelet, le tronc cérébral et la moelle épinière). Les titres infectieux sont pourtant faramineux : par exemple, si nous inoculons l'agent de la tremblante du mouton à un hamster, il est alors possible d'observer 10 10 à 10 11 unités infectieuses par gramme de tissu. Cela veut dire qu'avec un gramme de cerveau de hamster malade, il est possible de tuer 10 à 100 milliards de hamster sains. Malgré ces titres infectieux extrêmement importants, il n'est pas possible de voir l'agent infectieux au microscope.

Le seul élément que nous soyons capables de mettre en évidence dans ces maladies est la modification du métabolisme de certaines protéines du sujet infecté. Le sujet infecté se met en effet à accumuler quelques protéines. Parmi ces protéines, l'une d'entre elles est intéressante pour deux raisons. 1) Tout d'abord, elle s'accumule uniquement dans les maladies à prions. 2) De plus, elle s'accumule proportionnellement au titre infectieux. Ainsi, lorsque nous essayons de purifier l'agent infectieux, nous purifions cette protéine, appelée protéine PrP (Protéine du Prion). Si cette protéine du prion est enlevée des fractions infectieuses, l'infectiosité résiduelle est alors quasi nulle. L'hypothèse actuelle est par conséquent que la protéine est l'agent infectieux lui-même. Cette hypothèse constitue l'hypothèse du prion. Je répète néanmoins que nous sommes dans un état d'incertitude par rapport à la nature exacte de l'agent infectieux : le prion est l'hypothèse la plus probable, mais la réalité de cette hypothèse n'est pas démontrée.

L'autre caractéristique des maladies à prion réside dans l'extrême résistance de ces agents infectieux aux procédures d'inactivation. Cette caractéristique constitue l'essentiel du problème de santé publique auquel nous sommes confrontés. Par exemple, la chaleur sèche est très faiblement inactivante. En effet, le fait de soumettre les prions à une chaleur de 180° durant 24 heures ne permet pas d'inactiver les prions. De même, une chaleur de 320° durant une heure ne permet pas d'inactiver les prions, pas plus qu'une chaleur de 600° durant 15 minutes. Je précise qu'une très grande partie d'entre eux sera inactivée. Il restera cependant toujours une petite quantité qui demeurera infectieuse. Ce type de traitement permettra donc de diminuer le titre infectieux, mais pas de « tuer » totalement l'agent transmissible.

Trois procédures ont toutefois une certaine efficacité : la chaleur humide à 134 ou 136° pendant au moins 18 minutes, l'eau de Javel pure ou au demi durant une heure, ainsi que la soude normale, également durant une heure. Ces trois procédures ont une certaine efficacité dans l'inactivation des prions.

Je dois dire que les procédés physiques d'inactivation ont une efficacité qui varie d'une souche de prion à une autre souche de prion. Par exemple, certaines souches de tremblante du mouton sont inactivées tout à fait correctement par l'autoclavage à 136° durant 18 minutes. Le titre infectieux est en effet réduit d'un facteur 1 million. Ceci est parfaitement compatible avec par exemple, ce qu'on attend d'un processus de stérilisation appliqué dans les hôpitaux. L'agent de l'encéphalopathie bovine spongiforme est toutefois à peine inactivité d'un facteur 1000. Cela veut dire qu'il ne pas possible de considérer qu'un procédé d'autoclavage est suffisant pour assurer la sécurité d'un dérivé d'origine bovine suspect d'être fortement contaminé. Par conséquent, si vous souhaitez assurer la sécurisation des farines de viandes, vous devez non seulement appliquer le procédé dit « 133 degrés, trois bars, 20 minutes » proposées par l'Union Européenne, mais aussi trier les matières premières, de façon à ce que la charge infectieuse de départ soit la plus faible possible, afin de permettre à ce procédé d'être efficace.

Nous savons aujourd'hui que le cerveau d'une vache contaminée contient 10 millions d'unités infectieuses par gramme. Il est donc clair que si nous appliquons un procédé de réduction d'un simple facteur 1000, il restera donc 10 000 unités infectieuses par gramme de cerveau. En revanche, si nous enlevons le système nerveux central, nous enlevons environ 90 % de l'infectiosité, nous avons donc considérablement réduit notre charge infectieuse. Le procédé d'autoclavage aura donc des chances raisonnables d'être efficace. La sécurité d'un produit d'origine biologique, qu'il s'agisse d'un médicament ou des farines carnées, dépend donc essentiellement du tri contrôlé des matières premières, puis de l'application d'un procédé de stérilisation. Cette sécurité dépend enfin de l'application d'un test de dépistage de l'agent infectieux sur le produit fini. Nous ne disposons toutefois pas de ce test à l'heure actuelle. Le tri des matières premières est par conséquent fondamental.

Je suis à votre disposition.

M. Philippe Nogrix - Cette protéine se développe-t-elle uniquement sur le système nerveux ? Il est dit partout en effet que le muscle ne présente aucun risque. Cela est-il vrai ?

M. Dominique Dormont - Ce genre de questions et les réponses qui en découlent dépend de l'acquis de la pathologie expérimentale. La protéine du prion normale est nécessaire pour l'infection d'un prion anormal. Si vous n'êtes pas porteur de la protéine PrP normale à la surface de vos cellules, vous ne pourrez pas être infectés par les prions. Cela a été très bien montré par les chercheurs suisses, qui ont génétiquement modifié des souris, pour empêcher le gène de la protéine du prion de s'exprimer. Il est apparu que ces animaux sont résistants à l'infection du prion. Il est donc nécessaire d'exprimer la protéine PrP normale à la surface de ses cellules pour être infectable par l'agent infectieux.

Il est s'agit ensuite de localiser la protéine PrP, puisque c'est elle qui conditionne la susceptibilité à l'infection. Cette protéine est majoritairement présente dans le système nerveux central. Je précise qu'au sein même du système nerveux central, elle est environ cinquante fois plus présente dans les neurones que dans les autres cellules du système nerveux. En dehors du système nerveux central, cette protéine est présente un peu partout, mais essentiellement dans le système réticulo-endothélial, qui correspond approximativement au système immunitaire.

Lorsqu'une vache est infectée par voie orale, il faut savoir qu'une phase d'éclipse apparaît au cours des mois qui suivent l'infection et durant laquelle il n'est pas possible de repérer l'agent infectieux. A partir du cinquième ou du sixième mois, il est ensuite possible de trouver l'agent dans la fraction terminale de l'intestin grêle, appelée iléon distal. Cette infectiosité durera ensuite durant toute la période d'incubation, ainsi que durant toute la maladie clinique. Cette infection est faible, mais demeure détectable.

Ensuite, à partir des filets nerveux de nerfs qui innervent le tube digestif, l'agent infectieux rentrera dans les terminaisons nerveuses et utilisera les nerfs pour remonter vers la moelle épinière, où il arrivera entre le 32e et le 34e mois après l'exposition du bovin. L'agent infectieux sera ensuite détectable à partir du 36e mois dans l'ensemble du système nerveux central. L'animal mourra aux environs du quarantième mois.

Cette chronologie a deux significations. Tout d'abord, lorsqu'un animal ou un homme est exposé à un prion par voie périphérique et non pas par voie intracérébrale, le premier tissu infecté sera alors le système immunitaire. C'est le bovin, il s'agit de cette énorme formation associée à l'iléon distal. La présence de tissu nerveux dans cette zone permet de réaliser facilement des connexions, grâce auxquelles l'agent pourra infecter le système nerveux central. De plus, il faut se rappeler que durant la plus grande partie de la période d'incubation chez le bovin, l'agent n'est pas dans le système nerveux. Par conséquent, lorsqu'on applique un test de dépistage tel que nous savons le faire actuellement, nous recherchons la protéine anormale dans une zone du cerveau. Un test ne sera par conséquent positif que si l'animal a le temps d'acheminer son agent vers le cerveau et si les performances du test permettent d'obtenir des résultats satisfaisants. Un test positif a par conséquent une signification. Un test négatif n'en a aucune. Nous ne pouvons donc pas nous en servir pour certifier un animal. Ai-je suffisamment répondu à votre question ?

M. Jean Bizet, rapporteur - M. le Président, avez-vous une approche des caractéristiques de la protéine PrP ?

M. Dominique Dormont - La protéine PrP est une protéine dont nous ignorons le rôle chez l'individu non infecté. Cette protéine est située à la face externe de la cellule. Celle-ci l'exporte jusqu'à la membrane et s'accroche ensuite à la face externe de la membrane. Cette protéine peut donc interagir avec d'autres cellules ainsi qu'avec l'environnement cellulaire et servir de récepteur pour transmettre des signaux à la cellule.

Nos collègues de l'Institut Pasteur et de l'hôpital Lariboisière ont d'ailleurs publié récemment un excellent travail dans la revue Science . Ils ont en effet montré que la protéine PrP est capable de transmettre des signaux à la cellule normale. J'insiste sur le fait qu'il s'agit d'une protéine normale. Il faut donc à présent savoir comment est faite cette protéine normale. Sa structure dans l'espace peut être comparée à un yo-yo, constitué d'une partie globulaire très dense, difficilement modifiable dans sa structure tridimensionnelle, et d'une grande ficelle capable de prendre toutes les formes possibles dans l'espace. La protéine PrP ressemble à peu près à cette figure.

L'hypothèse du prion postule que cette protéine change de forme lorsqu'elle devient anormale. Ce changement de forme est lié à l'interaction directe, à l'accrochage direct de la protéine anormale à la protéine normale. Cet accrochage de la protéine normale à la protéine anormale fait que la protéine normale change de forme et adopte la forme de la protéine anormale à laquelle elle s'est fixée. C'est la théorie du prion. Je dois dire qu'un certain nombre de scientifiques, certes minoritaires, n'adhèrent pas à cette théorie. En particulier, le découvreur suisse de la structure tridimensionnelle de la protéine pense que la protéine ne se modifie pas dans sa forme. D'autres facteurs assurent la propagation de l'agent infectieux. Il ne s'agit toutefois que de querelles d'école. Il me paraît toutefois important de préciser que la situation n'est en aucun cas figée et que les connaissances n'ont pas encore abouti sur ce point. Nous ne connaissons pas en effet la structure tridimensionnelle de la protéine anormale. Nous ne pouvons donc pas affirmer que l'hypothèse du prion soit la bonne.

M. le Rapporteur - Existe-il toutefois des approches virales, conformément à ce qu'il avait été sous-entendu à une certaine époque ?

M. Dominique Dormont - Je ne pense pas qu'une approche virale, ressemblante par exemple à celle de la grippe, puisse être mise en application. Je ne connais en effet aucun virus capable de résister à 180 ° pendant 24 heures.

En revanche, vous ne pouvez empêcher que la protéine anormale interagisse avec les quelques centaines de virus endogènes dont nous sommes porteurs. Je rappelle que notre génome contient des séquences de virus dont nous avons hérité au cours de l'évolution et qui se sont stabilisés dans notre code génétique. Il arrive parfois que cette partie d'origine virale de notre propre génome se dérégule et se met à induire des maladies. Sous cet angle, il n'est donc pas possible d'éliminer formellement ce problème. Je répète que cette hypothèse n'est toutefois pas considérée actuellement comme la plus probable.

M. Paul Blanc - Avez-vous pris connaissance de l'article du Professeur Montagnier, paru dans le numéro de Paris Match de la semaine dernière ?

M. Dominique Dormont - Non, Monsieur.

M. Paul Blanc - Cet article semble aller tout à fait dans votre sens.

M. Dominique Dormont - Je regrette de ne pas l'avoir lu.

M. Gérard César - Je voudrais poser une question à M. Dormont concernant la décision qui a été prise hier au conseil des ministres de Bruxelles. J'aimerais que vous puissiez nous donnez votre avis sur le paragraphe suivant.

« (...) En second lieu, le comité scientifique et directeur se penchera sur les mesures nationales de retrait des matériels à risque spécifié et allant au-delà de la réglementation communautaire. Le retrait de la colonne vertébrale, du thymus, de la rate, de T-bone, des graisses issues des farines animales pratiqué par certain Etat membres tels l'Allemagne, la Grèce et la France. (...) ». L'avis du comité scientifique est attendu pour le 15 janvier 2001.

Qu'en pensez-vous. ?

M. Dominique Dormont - Il m'est difficile de vous répondre sur le fait. Ces problèmes sont en effet avant tout politiques et administratifs. Ils sortent donc du champ scientifique, seul domaine pour lequel je bénéficie d'une petite légitimité. Il m'est donc impossible de répondre à votre question autrement qu'à titre de citoyen. Je peux dire toutefois que le retrait des abats à risques spécifiés est une mesure recommandée par les scientifiques depuis des années. Nous avons donc été très soulagés lorsque nous avons su, le 1 er octobre 2000, que l'Europe acceptait enfin de mettre en place cette mesure. Il s'agit de la mesure la plus importante qu'il fallait mettre en place. En effet, c'est dans ces abats à risque spécifiés que peu se trouver potentiellement 99,9 % de l'infection.

M. Michel Souplet - Le muscle est-il sain dans tous les cas ? Cette précision serait importante pour nous permettre de rassurer le consommateur.

M. Dominique Dormont - Si vous le voulez bien, je répondrais à votre question en deux temps. L'une des caractéristiques des maladies à prion est que la distribution de l'agent infectieux en périphérie (je ne parle pas en effet du système nerveux) varie selon le type de prion et selon la génétique de l'hôte.

Par exemple, si nous inoculons le prion de l'agent bovin à une vache  lorsque la vache est malade, l'infection est uniquement détectée dans le système nerveux central, la rétine et dans de moindres proportions dans l'iléon terminal. Le même prion inoculé à un mouton induira une infectiosité dans l'ensemble des formations lymphoïdes de l'organisme. L'agent est pourtant le même. Il est par conséquent impossible d'extrapoler les résultats obtenus dans un modèle avec un même prion dans une autre espèce ou à un autre prion dans une même espèce. Cela est en effet relativement compliqué.

J'en arrive à présent à la question de savoir s'il y a de l'infection associée au muscle squelettique. Dans des circonstances de laboratoire, c'est-à-dire dans un endroit où l'on prend soin de disséquer correctement le muscle et si l'agent est inoculé par voie intracélébrale dans le muscle de plusieurs animaux appartenant à la même espèce, ce qui constitue le test le plus sensible à l'heure actuelle pour détecter l'infection, alors j'affirme que l'infection n'a pour le moment jamais été transmise, et ce dans toutes les espèces pour lequel ce test a été réalisé.

Cette expérience n'est toutefois pas encore terminée en ce qui concerne la maladie bovine. Il faut savoir par ailleurs que les Britanniques ont inoculé du muscle bovin à des souris de laboratoire. Là encore, aucune infection n'a été détectée. Il faut néanmoins savoir que lorsque l'on change d'espèces, il existe un phénomène de barrière d'espèce qui fait qu'il n'est pas possible de détecter l'agent en dessous d'une certaine quantité d'unités infectieuses. Par exemple, le fait de transmettre l'infection du bovin à la souris divise l'efficacité de transmission par un facteur 1000. Lorsque la souris n'est pas malade, il n'est donc pas possible d'affirmer qu'il n'y a pas d'infection. Il s'agit plus précisément de dire qu'il existe dans l'organisme de cette souris moins de 1 000 unités infectieuses.

Les expériences les plus efficaces consisteraient à inoculer des bovins avec du muscle de bovin. Ces expériences sont en cours, mais elles sont extrêmement longues à réaliser. Je rappelle en effet que la durée d'incubation moyenne du bovin est de cinq ans. Nous devons donc attendre plusieurs années avant de savoir si les résultats seront positifs ou négatifs. En effet, en ce qui concerne les maladies à prion, plus la quantité d'agent infectieux est faible, plus le temps d'incubation est long.

Je voulais donc vous faire connaître les limites de nos connaissances actuelles. Je pense que nous pouvons toutefois affirmer que le risque est actuellement minime. Il n'est toutefois pas possible de l'exclure totalement, puisque l'expérience n'est pas terminée. Dans toutes les autres maladies à prion, qu'elles soient humaines ou animales et dans lesquelles nous disposons d'un certain recul, l'infection n'a jamais été transmise à partir du muscle squelettique.

M. Michel Souplet - Le lait constitue-t-il un danger ?

M. Michel Dormont - La transmission ne semble pas plus s'effectuer par le lait que par le muscle. Je précise toutefois que le colostrum a parfois transmis l'infection.

M. Roland du Luart - Je voulais poser une question au sujet du délai d'expérimentation, mais le professeur y a en partie répondu. Dans l'état actuel de nos connaissances, vous nous dites par conséquent qu'il est nécessaire d'attendre cinq ans minimum pour avoir une certitude absolue sur la transmissibilité du muscle bovin.

M. Dominique Dormont - Je pense qu'un délai de 10 ans serait plus raisonnable. Il existe toutefois des modèles alternatifs expérimentaux qui sont en cours de mise au point. Ces modèles consistent à prendre le gène de la protéine du prion du bovin et à l'insérer dans le patrimoine génétique de la souris. Il est par conséquent possible de fabriquer des souris transgéniques exprimant la protéine PrP du bovin. La souris devient alors hautement sensibles à l'agent bovin. Elle se comporte comme une vache vis-à-vis du prion bovin.

Ces souris sont « construites » en Californie, en Allemagne et en France. Le modèle est en train d'être validé. Je pense que d'ici un an ou deux, nous disposerons d'outils plus rapides permettant de répondre à ce type de question.

M. Roland du Luart - Pouvons-nous créer une souris ayant les mêmes caractéristiques que l'homme dans ce domaine ?

M. Dominique Dormont - Absolument. Nous nous heurtons toutefois aux limites scientifiques actuelles dans ce domaine. Il demeure qu'une souris transgénique exprimant la protéine PrP humaine réagira comme un homme vis-à-vis des prions. Les auteurs américains et britanniques ont en effet montré que l'infection par l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob était parfaitement répliquée par ce type de souris. Seul le nouveau variant n'était pas détectable. En revanche, la souris exprimant la protéine PrP du bovin détecte dans 100 % des cas la nouvelle forme de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ce qui montre bien que cette maladie est d'origine bovine.

M. Gérard Le Cam - M. le Professeur, vous avez évoqué tout à l'heure la maladie du vison. Or nous savons le ragondin pullule actuellement dans nos cours d'eau. Des recherches ont-elles été effectuées dans ce sens ? Je pense également aux félins et je me demande si des liens ne doivent pas être établis. Je me demande enfin pourquoi il n'est pas possible de réaliser le test directement au niveau des nerfs. Enfin, pouvez-vous nous dire si la présence des nerfs dans le muscle peut-être porteuse de prions.

M. Dominique Dormont - Nous n'en avons pas trouvé pour le moment de maladie à prions chez les espèces sauvages, en dehors des cerfs, des élans et des daims que j'évoquais tout à l'heure. La recherche de la maladie chez les animaux sauvages est toutefois très difficile. Il faut vraiment que nous soyons confrontés à une mini-épidémie pour que nous commencions à diagnostiquer l'apparition d'une maladie. Je précise toutefois que dans le cadre de la surveillance de la rage dans notre pays, des prélèvements seront effectués sur le cerveau des animaux sauvages. Je dois dire cependant que les résultats dont nous disposons actuellement sont anecdotiques et ne permettent pas de répondre avec certitude à votre question.

J'en viens à présent au problème de la détection de l'infection dans l'iléon. Deux éléments doivent être retenus dans ce domaine. Tout d'abord, il faut savoir qu'en ce qui concerne la vache infectée expérimentalement avec de fortes doses, les Britanniques ont montré qu'il existait de l'infectiosité dans l'iléon. En revanche, il n'a pas encore été trouvé d'infectiosité dans l'iléon chez les vaches naturellement malades. Par ailleurs, la quasi-totalité des tests validés à l'heure actuelle pour la vache infectée expérimentalement ne sont pas en mesure de détecter la protéine pathologique dans l'iléon. Ceci à la fois pour des raisons de niveau de sensibilité, et en raison du fait que la texture du tissu n'a rien à voir avec le système nerveux central. De plus, la première phase qui est une phase d'extraction des protéines doit être revisitée et adaptée à l'iléon. Des recherches sont menées dans ce sens actuellement, mais n'ont pas encore abouti.

En ce qui concerne les nerfs dans les muscles, je vous invite à vous reporter à la classification des organes selon l'OMS afin de constater qu'en classe 3 B se trouve le nerf sciatique. Ce dernier représente un gros tronc nerveux. Effectivement, dans certains cas, il est arrivé qu'un peu d'infectiosité soit détectée, associée au gros tronc nerveux. Jusqu'à présent, le muscle squelettique inoculé aux animaux n'était pas dénervé. Seuls un peu de sang, de muscles et de nerfs ont en fin de compte étaient inoculés. Je pense par conséquent que si quelque chose doit être infectée, celle-ci se trouve en dessous de la dose infectieuse intra-spécifique. Elle est donc très en dessous de la dose infectieuse interspécifique.

Les Suisses ont néanmoins récemment montré qu'en manipulant génétiquement certaines souris, ils pouvaient faire augmenter considérablement au cours de l'embryogenèse la mise en place de l'innervation au niveau de la rate. Les nerfs de la rate peuvent en effet être multipliés de façon considérable. Lorsque ces souris sont infectées, le titre infectieux de la rate est multiplié par mille, du fait de la présence de cette forte innervation. Ce modèle est toutefois extrêmement artificiel. Je pense que nous devons considérer ce résultat comme scientifiquement intéressant, nous ne devons toutefois pas en tirer trop de conséquences de santé publique.

M. Paul Blanc - En 1996, vous présidiez un comité scientifique qui a préconisé, au nom du principe de précaution, l'interdiction de l'utilisation des cadavres à risque pour la fabrication des farines animales. Dans un texte publié au journal officiel le 28 novembre 1996, le gouvernement a certifié avoir pris dans mesures allant dans ce sens. Pensez-vous que ces mesures aient été effectivement et efficacement prises ?

M. Dominique Dormont - Nous sortons du domaine de la science. Cela fait toutefois parti de votre rôle. Il n'est toutefois pas possible de demander à un chercheur de se prononcer sur la pertinence de l'application des mesures administratives et du respect des lois. Ce n'est pas notre métier. En effet, lorsqu'un responsable opérationnel m'explique les raisons qui président à l'application d'un règlement, je lui accorde crédit naïvement, car je n'ai malheureusement pas les moyens d'avoir une approche critique de ce qui est présenté. Les scientifiques sont obligés de partir du postulat selon lequel les règlements sont appliqués. J'ajoute que l'ensemble des avis que nous avons rendus sont systématiquement prononcés sous réserve du contrôle de l'application des mesures. Nous ne sommes toutefois pas capables d'apprécier l'application des mesures sur le terrain. C'est en effet un autre métier que celui d'apprécier l'efficacité des contrôles. Il ne s'agit en aucun cas d'un métier de chercheur. Tant que les abats à risque ne sont pas retirés du marché, conformément à ce que prévoit la loi, alors qu'il est clair que les farines ne seront pas sûres. Au contraire, si la loi est appliquée, alors les farines sont sûres. Nous devrons néanmoins attendre 2002 pour savoir si ces mesures ont été appliquées. En effet, la maladie met cinq ans à incuber et le décret de 1996 n'a pas pu rentrer en application avant l'année 1997.

M. Paul Blanc - Ce décret date de mars 1996.

M. Dominique Dormont - L'élimination des cadavres demeure toutefois postérieure. Nous ne pourront donc pas avoir de conclusions avant 2002.

M. Paul Blanc - L'enquête le déterminera.

M. Dominique Dormont - L'enquête actuelle ne vous permettra que de détecter les cas qui sont nés il y a cinq ans en moyenne.

M. Paul Blanc - L'enquête nous permettra toutefois de savoir si toutes les précautions ont été prises.

M. Dominique Dormont - Je pense que nous touchons là un problème important. Je ne serais pas surpris que nous trouvions quelques animaux développant une ESB, tout en étant né après la mise en place effective des mesures sur les farines de viande. Cela est en effet inévitable. Le problème réside dans le nombre des animaux malades qui seront détectés. S'ils sont plusieurs dizaines, alors cela sera clairement inquiétant. Si au contraire, ils ne sont que deux ou trois, alors le problème restera anecdotique et correspondra à l'extinction d'un phénomène. Cette notion quantitative me paraît en effet importante.

Nous allons devoir regarder avec beaucoup d'attention les âges des bovins qui sont trouvés positifs. Si la majorité des bovins trouvés positifs était née après le 1 er janvier 1997, alors il y aurait de réelles raisons de s'inquiéter. Si en revanche, la majorité des bovins trouvés positifs était née après le 1 er janvier 1997, cela signifiera alors qu'il sera encore nécessaire d'attendre pour savoir si les mesures ont réellement été appliquées.

M. Jean Bernard - Je voudrais savoir comment les Australiens ont réussi à éradiquer la tremblante du mouton de leur territoire.

M. Dominique Dormont - Je pense que Madame Brugère-Picoux est plus qualifiée que moi pour vous le dire. Elle est vétérinaire alors que je ne suis médecin.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous expliquer l'éventualité de la fameuse troisième voie évoquée par M. Glavany voilà un an ? De même, je souhaiterais obtenir plus de détails sur le mode de transmission verticale mère-veau.

Je voudrais également que vous évoquiez la difficulté de mettre en place les tests, compte tenu de la non-réponse de l'organisme infecté et que vous compariez les trois tests actuellement sur le marché. Je voudrais enfin connaître votre analyse concernant le souhait du politique de généraliser les tests sur les animaux de plus de 3 mois, ceci vis-à-vis d'une médiatisation à l'adresse du consommateur.

M. Dominique Dormont - Je pense que nous devons replacer la situation dans son contexte. Il a été demandé aux scientifiques de déterminer les hypothèses pouvant expliquer l'apparition des cas d'ESB chez les animaux nés après l'interdiction des farines.

Les scientifiques ont répondu que ces cas seraient premièrement dus à une exposition illicite et frauduleuse. Ils pourraient ensuite être dû à des contaminations accidentelles. Ces hypothèses nous ont paru être les deux plus importantes, en particulier en ce qui concerne les contaminations croisées, que celles-ci est d'ailleurs lieu à l'usine d'aliment, durant les transports ou à la ferme.

Une analyse scientifique cohérente nécessite toutefois de faire des hypothèses. Ces deux premiers cas supposent par conséquent que des erreurs aient eu lieu dans la distribution des farines. Toutefois, si nous admettons qu'il n'y a pas eu d'erreur, alors nous sommes obligés de faire d'autres hypothèses, telles que celle de la transmission mère-veau. L'étude ayant mis en avant ce mode de transmission n'est toutefois pas très concluante. En d'autres termes, la transmission mère-veau est très faible, lorsque toutefois elle existe. De plus, elle n'intervient qu'au cours des six derniers mois de la période d'incubation de la mère. Nous n'en sommes toutefois pas certain, même si nous avons un doute.

Ces hypothèses ne sont toutefois pas suffisantes pour expliquer le nombre de 40 000 veaux contaminés apparus en Grande-Bretagne après que les farines aient été interdites.

Une autre hypothèse doit alors être élaborée. Il peut en effet exister une voie inconnue de contamination. Voilà ce que M. Glavany a appelé la troisième voie.

Certaines hypothèses sont hautement probables parce que l'action des vétérinaires, des gendarmes et des juges semble leur donner raison et montre que des circulations de farine de viande contaminés ont eu lieu au détriment du respect de la santé publique. La transmission mère-veau ne doit pas être laissé de côté pour autant.

Les autres hypothèses devront être prises en considération le jour où l'administration aura la certitude que ses réglementations sont appliquées, tout en constatant que les cas d'ESB continuent.

M. le Rapporteur - Peut-on imaginer que l'utilisation de la farine de viande dans l'assolement pourrait nous conduire à une maladie tellurique et par conséquent à un ensemencement des sols et des nappes phréatiques.

M. Dominique Dormont - Nous ne disposons pas des éléments scientifiques suffisants pour répondre à cette question. Nous savons toutefois que le prion est capable de survivre dans des conditions étonnantes.

L'exemple du chercheur américain qui a montré qu'il fallait plus de trois ans pour éliminer une souche de tremblante enterrer dans un pot de fleur est à ce sujet célèbre. Il ne s'agit toutefois que d'un fait expérimental encore relativement anecdotique.

Par ailleurs, il faut savoir que si l'environnement avait réellement été contaminé, nous n'assisterions pas alors à la décroissance des cas britanniques tels qu'elle existe actuellement. Néanmoins, l'effet des farines est si important qu'il peut parfois masquer des petites voies de contamination alternative qui nécessiteront peut-être 10 ou 15 ans de travaux avant de pouvoir les identifier. Nous ne disposons toutefois à l'heure actuelle d'aucun élément allant dans ce sens.

La durée d'incubation des ESB naturelle est d'environ quatre ans. Avec un peu de chance, il peut être possible de détecter la protéine 6 à 8 mois avant l'apparition des signes cliniques. Le fait de tester les bovins les plus âgés fait donc appel à un rationnel scientifique certain. En revanche, il n'y aurait aucune rationalité scientifique à aller tester les animaux de 6 mois, car les tests dont nous disposons aujourd'hui ne nous le permettent pas.

Quels sont les tests dont nous disposons aujourd'hui ? trois tests ont été validés par l'Union européenne : un test de la société irlandaise Enfer, un test mis au point par la société suisse Prionics, et un dernier test créé par le commissariat à l'énergie atomique et dont le développement industriel a été pris en charge par la société Sanofi. Je précise toutefois que pour des raisons de réorganisation de l'industrie pharmaceutique, cette partie de Sanofi est désormais contrôlée par l'américain Biorad. Le test est donc commercialisé par cette dernière société.

L'étude pilotée en aveugle par l'Union européenne a montré que les trois tests détectent 100 % des animaux malades. L'étude n'a en effet porté que sur les animaux malades. En prélevant le cerveau des animaux malades et en le diluant, il est possible d'avoir une idée de la quantité de protéine détectable. Le test Enfer est cinq à 6 fois, voire 10 fois plus sensible que le test Prionics. De son côté, le test Biorad est 30 fois plus sensible que le test Prionics. Aujourd'hui, dans l'état de la technologie des tests mis actuellement sur le marché et validé par l'Europe, le test Biorad est donc le plus sensible.

M. le Rapporteur - Sa mise en application n'est-elle pas plus difficile que le test Prionics ?

M. Dominique Dormont - Il est possible qu'un problème de faisabilité ait influé sur la décision de prendre un test qui n'était pas le plus sensible. Il est vrai que le test Prionics était utilisé sur le terrain en Suisse depuis plusieurs mois. Il avait donc démontré sa praticabilité sur le terrain. Les deux autres tests n'avaient en effet été utilisés qu'en laboratoire. Votre argument peut effectivement être pris en considération.

Je voudrais toutefois faire une réflexion allant au-delà du choix des tests. Il est vrai que les scientifiques apprécient d'utiliser les tests les plus sensibles. De même, l'administration aime bien utiliser des tests qui ont déjà eu l'occasion de faire leur preuve. Dans le cas qui nous intéresse, il faut savoir que nous disposions de deux test de qualité, l'un étant toutefois plus sensible que l'autre.

Le plus important a toutefois été de prendre la décision de procéder à cette campagne de test et de prendre à pleines mains ce problème de santé publique. C'est en effet parce que la France a pris la décision d'appliquer ces tests que l'Europe a été finalement contrainte de lancer sa première campagne de test, qui toutefois a été insuffisante. En effet, elle n'aurait probablement pas permis de détecter l'épidémie du Portugal. Un premier pas a toutefois pu être ainsi franchi et a permis à la commission de proposer une politique cohérente à tous les pays de l'Union. Il appartient toutefois aux ministres de prendre une décision. Je pense cependant que cette campagne de test a permis de faire évoluer les mentalités. Je pense qu'il est surtout important de retenir ce point de vue.

M. le Président - Les tests ne risquent-ils pas au contraire de renforcer le sentiment d'insécurité ?

M. Dominique Dormont - Il est vrai qu'il n'est pas suffisant que le résultat d'un test soit négatif pour que la sécurité alimentaire soit de fait assurée. Cette réalité est de plus valable pour les trois tests. L'un d'entre eux permet de détecter un plus grand nombre de cas, cela ne signifie pas pour autant que les bovins qui auront été déclarés négatifs ne seront pas en réalité infectés.

M. François Marc - Quel crédit peut-on accorder aux affirmations selon lesquelles certains cas humains recensés en Grande-Bretagne ainsi que l'un des trois cas constaté en France auraient été infectés via l'injection d'hormones de croissance et autres produits pharmaceutiques ?

M. Dominique Dormont - Je pense que vous faites allusion à l'hormone de croissance bovine et non pas à l'hormone de croissance humaine.

M. François Marc - Il semble toutefois que plusieurs vaccins pourraient poser problème.

M. Dominique Dormont - Il est vrai que certains vaccins peuvent contenir des constituants d'origine bovine. L'albumine bovine peut en effet servir à stabiliser les vaccins. Par ailleurs, les sérums de voeu peuvent servir à faire pousser les cellules permettant de fabriquer les virus atténués qui servent ensuite de vaccin. Il s'agit en effet d'une technique très classique dans le domaine des biotechnologies.

Toutefois, l'hormone de croissance et autres médicaments ne doivent pas être mis en cause, pas plus d'ailleurs que les vaccins. Je pense qu'il s'agit d'un des rares domaines dans lequel nous pouvons être presque affirmatif.

M. le Président - Voilà au moins une certitude.

M. Dominique Dormont - C'est en tout cas une quasi-certitude.

M. le Président - Les différents organismes qui se consacrent à la recherche sur les maladies à prion coordonnent-ils leurs travaux ?

M. Dominique Dormont - Le programme de recherche sur les prions a été dès sa création un programme inter-organismes. Les budgets étaient décidés par le comité interministériel sur les maladies à prions. La situation a toutefois changé à présent. Je ne sais toutefois pas précisément comment va évoluer la situation. Je ne peux donc vous parler que de la situation telle qu'elle était au 30 novembre.

Deux facteurs ont à mon avis été importants en ce qui concerne la recherche pour les maladies à prions. L'Europe a tout d'abord été un moteur considérable. En effet, cette dernière a débloqué des fonds importants. De plus, les projets européens ne sont recevables que s'ils ont pour cadre un réseau de laboratoires issus de plusieurs pays différents. Les différents laboratoires européens sont donc obligés de collaborer. L'appât du gain ainsi que la nécessité de coopérer ont donc considérablement renforcé la collaboration entre les laboratoires publics des états membres.

De plus, la nature du programme français était d'être inter-organismes. De nombreux projets ont donc été présentés en partenariat. Par ailleurs, les projets de recherche en réseau représentent une innovation très constructive du programme prion. Il s'agit toutefois de soumettre aux autorités une technologie plutôt qu'un projet de recherche. Les laboratoires sont ainsi invités à faire la démonstration de leur savoir faire. Après examen d'une commission scientifique, les différents laboratoires étaient regroupés au sein de projet de recherche en réseau. Cela a permis d'éviter les doublons dans la fabrication des animaux transgéniques et des anticorps. Cette organisation a également permis de développer le test. Une telle structuration de la recherche n'existait pas jusqu'à présent dans les autres programmes précédemment mis en place.

M. le Président - Cette organisation est donc globalement bien faite.

M. Dominique Dormont - De mon point de vue, oui.

Je crois néanmoins que la recherche en France souffre d'un problème structurel. Il est en effet impossible de faire appel aux compétences des chercheurs post-doctorants. La recherche n'est en effet pas initiée par les patrons, mais par les jeunes chercheurs. Les thésards et les post-doctorants ne peuvent toutefois pas être statutaires. La seule possibilité est de les faire bénéficier de bourse post-doctorante. Le droit du travail français est tel qu'il n'est pas possible d'employer ces jeunes chercheurs dans des organismes publics plus de 18 mois. Cette situation est absolument ingérable dans des thématiques comme celles du prion. Je précise toutefois que ce problème n'est pas particulier à la recherche sur les prions. Il s'agit d'un problème général de la recherche française. Il n'est en effet pas possible de signer des contrats de 3 à 5 ans avec des chercheurs et des techniciens supérieurs. Ces personnes ont donc tendance à émigrer en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis.

M. le Président - Nous ferons passer votre message. Quel est votre jugement sur l'action de l'AFSSA et quelles sont les relations que vous entretenez avec elles ?

M. Dominique Dormont - Nous entretenons avec l'AFSSA les mêmes relations qu'avec l'ensemble de nos tutelles. Le Directeur général de l'AFSSA pose en effet des questions au comité interministériel, lorsque le gouvernement le saisit d'un problème ayant trait aux maladies à prion. D'une certaine façon, nous sommes le bras de l'expertise scientifique de l'AFSSA. En ce qui concerne les autres domaines de son expertise, l'AFSSA dispose en interne de ses propres ressources. Par exemple, nous avions émis une expertise au sujet de l'intestin il y a quelques années. Le gouvernement a ensuite voulu bénéficier d'une actualisation de ces avis. Il a donc fait appel à l'AFSSA comme la loi l'y oblige. L'AFSSA s'est ensuite tournée vers le comité interministériel. Nous avons donc répondu au Directeur général de l'AFSSA.

M. Jacques Bimbenet - Vous avez dit tout à l'heure qu'il n'avait encore jamais été vu de prion. Comment est-il alors possible de diagnostiquer une maladie à prion ?

M. Dominique Dormont - C'est une bonne question. Il existe deux façon de détecter une maladie à prions. L'une est efficace à 100 %. Il suffit d'inoculer un animal de la même espèce et de montrer que ce dernier tombe malade. Il faut ensuite prélever le cerveau de l'animal malade, le broyer et l'inoculer directement dans le cerveau de l'animal receveur. Quelques mois ou quelques années plus tard, l'animal receveur développera une maladie comparable à celle d'origine. Le développement de la maladie sera la preuve de la transmissibilité.

Il existe également des méthodes biochimiques consistant à mettre en évidence la protéine sous sa forme anormale. Il se trouve que la protéine sous sa forme anormale résiste aux enzymes qui dégradent habituellement la protéine normale. Il faut prélever le cerveau d'un sujet malade, le broyer, le traiter avec les enzymes qui dégradent la protéine normale. S'il reste ensuite de la protéine, alors cela signifie que celle-ci est anormale. Je précise toutefois que si nous savons qu'il existe de l'infectiosité, nous ne connaissons toutefois pas le support biologique de l'infectiosité.

M. Michel Souplet - Mangez-vous de la viande de boeuf sans aucune appréhension ?

M. Dominique Dormont - On me pose souvent cette question. A chaque fois je réponds qu'il existe bien des cancérologues qui fument.

M. le Président - Je vous remercie infiniment. Nous avons apprécié l'ensemble des renseignements que vous nous avez apportés. Nous restons toutefois inquiets à cause du nombre d'incertitudes qui demeurent. Celles-ci sont d'ailleurs la preuve de la complexité du problème. Il semble par conséquent que vous avez encore beaucoup de travail devant vous.

Je vous demande de bien vouloir nous informer de l'évolution des connaissances au cours des six mois que durera notre commission d'enquête, afin que nous puissions les intégrer à notre réflexion.

M. Dominique Dormont - Je me tiens à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pourriez vous poser.

Audition de Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX,
Professeur de pathologie du bétail
à l'École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort

(6 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, président - Nous accueillons à présent Mme Jeanne Brugère-Picoux, professeur de pathologie du bétail à l'École nationale vétérinaire de Maisons-Alfort. Je vous remercie d'avoir accepté de venir. Je rappelle que vous avez également accepté que la presse et les caméras assistent à votre audition.

Nous avons décidé de commencer par auditionner les scientifiques, afin que chacun puisse faire le bilan de ses connaissances dans ce domaine.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Brugère-Picoux

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je vais brièvement vous rappeler mon expérience concernant l'ESB. J'ai travaillé sur la tremblante du mouton à l'époque où cette maladie intéressait peu de monde. La maladie de Creutzfeldt-Jakob intéressait seulement quelques personnes à l'hôpital Saint-Louis. J'avais accepté de collaborer à un travail sur la génétique de la tremblante du mouton. A l'époque, nous commencions tout juste à comprendre que ces maladies avaient un double déterminisme génétique et infectieux et à identifier les facteurs génétiques en cause. Jean-Louis Laplanche assurait cette étude génétique à la faculté de pharmacie de Paris chez l'homme et chez le mouton. De mon côté, j'enseigne depuis plus de 25 ans les aspects cliniques de la tremblante.

Lorsqu'en novembre 1987, la première publication sur l'ESB est parue, nous avons commencé par considérer cela comme une curiosité scientifique. Les cas se sont toutefois multipliés dès le début de 1998, pour finalement atteindre le chiffre de 455 cas au mois de mai 1988 pour 10 à 13 millions de bovins. Ces chiffres commençaient par conséquent à devenir inquiétants. Les Anglais ont d'ailleurs très vite découvert que les farines animales étaient à l'origine de ce problème. Ils les ont interdites dès le mois de juin 1988. La même décision n'a malheureusement pas été prise en France.

Je signale toutefois que dès le début de 1989, le rédacteur en chef du Bulletin des groupements techniques vétérinaires avait pris conscience de l'importance de l'ESB, et, souhaitant une publication plus rapide d'un texte qui nous lui avions confié, il l'avait proposé à la Dépêche vétérinaire . Le responsable de cette revue n'avait toutefois pas jugé pertinent d'accepter ce sujet qu'il estimait relever de la simple curiosité scientifique.

J'ai néanmoins écrit un article sur l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) afin que les vétérinaires puissent identifier la maladie au cas où celle-ci se développerait sur notre territoire. Cet article est paru en décembre 1989 dans le Bulletin de la Société vétérinaire pratique. Mes conclusions étaient très simples. Je préconisais simplement de ne rien importer d'Angleterre parce que cette maladie du cheptel britannique menaçait le cheptel français. Dès cette époque, nous mettions en avant le fait qu'il ne fallait pas exclure l'hypothèse d'une zoonose, c'est-à-dire d'une maladie transmissible de l'homme vers l'animal. Cette recommandation est toutefois restée au niveau du simple avis scientifique.

Le nombre de cas a malheureusement continué à augmenter. La première crise liée à l'ESB est survenue le 10 mai 1990. Les Anglais ne voulaient plus en effet que la viande de boeuf soit servie dans les cantines scolaires. Un avis de l'Académie vétérinaire de France a été rédigé à l'époque par mon époux, professeur de physiologie à l'École vétérinaire d'Alfort et académicien. Cet avis signalait qu'il existait un risque potentiel pour l'homme et recommandait la plus grande prudence quant aux importations de produits bovins destinés à l'alimentation humaine ou animale.

Les scientifiques peuvent parfois se tromper. En effet, en 1995, nous nous inquiétons du nombre de fermiers anglais atteints par la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Or, les quatre ou cinq fermiers anglais malades n'ont été atteints que par la forme classique de cette maladie (forme sporadique). Je me souviens avoir alors conseillé à mon époux, chargé de préparer l'après-midi « vétérinaire » des « Entretiens de Bichat » , de suggérer aux médecins de s'intéresser au problème des encéphalopathies, car on pouvait pressentir que la crise était proche du fait de l'annonce de deux cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez deux jeunes britanniques. Les médecins avaient alors refusé en considérant que c'était une histoire ancienne déjà traitée dans ce colloque. L'Académie nationale de médecine s'est néanmoins préoccupée de la situation en décembre 1995. J'ai d'ailleurs été auditionnée par une commission sur ce sujet. De leur côté, les Anglais, ayant découvert un risque lié aux tissus lymphoïdes chez les jeunes bovins, avaient interdit la vente et la consommation des intestins et des ris de veau des animaux âgés de moins de 6 mois à partir de septembre 1994.

En France, nous avons continué à introduire des veaux anglais et à appliquer des mesures différentes. Je dois dire que j'étais profondément choquée par la situation. Je savais en effet qu'il existait un risque infectieux important au Royaume-Uni et je m'inquiétais des conséquences que cela pouvait avoir sur l'homme. En février 1996, l'Académie nationale de médecine a émis un avis concernant les mesures à prendre à l'égard du veau anglais, en recommandant que les mesures de précaution appliquées au Royaume-Uni le soient aussi en France pour les veaux importés de ce pays

Tout le monde se rappelle évidemment la crise de mars 1996 avec l'annonce de 10 cas de la nouvelle forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pouvant être liés à l'agent bovin. Personne n'est cependant capable de connaître le nombre de cas susceptibles de se déclarer dans les années à venir. Nous en sommes aujourd'hui à 87 cas pour l'Angleterre, dont 5 sont toujours vivants. Trois autres cas ont officiellement été déclarés, deux en France et un en Irlande. Nous savons aussi qu'un troisième cas français est actuellement en phase terminale. Concernant le nombre de cas susceptibles de survenir dans l'avenir, il faut savoir que la plus grande imprécision règne en la matière, puisque les épidémiologistes nous présentent des nombres variant de 2 à 6 chiffres. Il est toutefois certain que nous serons confrontés à cette maladie pendant encore longtemps. En effet, le temps d'incubation du Kuru, encéphalopathie spongiforme humaine liée à un endocannibalisme rituel, dépasserait 45 ans et il s'agit d'une contamination homme-homme. Du fait de la « barrière d'espèce », nous savons que le temps d'incubation dans le cas d'une première transmission de l'agent d'une espèce donnée à une espèce différente sera toujours plus long que lors d'une transmission ultérieure de cet agent au sein de la même espèce. Si l'on est optimiste, il est possible de se dire que ce temps d'incubation peut dépasser notre espérance de vie.

Je suis cependant surprise du fait que nous ne parlions que des importations de farines anglaises, en oubliant que d'autres produits bovins ont été importés. En effet, à partir de 1988, les importations des abats britanniques ont été multipliées par 13 ou 15. Or, il pouvait s'agir d'une contamination directe pour l'homme. En effet, ces tonnes d'abats importés ont pu contenir des matières à risques spécifiés ayant un taux infectieux important, comme la cervelle et la moelle épinière.

A ce propos, je vous conseille d'interviewer M. Kerveillant, qui était vétérinaire à Rungis à cette époque et qui fut le premier à tirer la sonnette d'alarme sur les risques liés à de telles importations. Je rappelle que ces produits ont été considérés à risque et interdits à la vente en Angleterre à partir de novembre 1989. C'est à cette époque que Monsieur a constaté que l'importation de têtes de bovins britanniques ne s'était pas arrêtée immédiatement pour autant sur notre territoire.

M. le Rapporteur - Jusqu'à quelle date avons-nous importé ces abats ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - L'importation de ces abats a été interdite le 15 février 1990 en France, et en mars de la même année pour l'ensemble de l'Europe. Durant deux ans, un risque beaucoup plus important que celui lié aux importations de farines a donc existé. La situation est par ailleurs la même en ce qui concerne les importations à base de viande préparée avec des abats. De plus, la France était le plus gros importateur d'abats. Je dois dire que cette importation d'abats est beaucoup plus importante que l'importation des farines.

Les responsables de la commission des toxiques des supports de culture du Ministère de l'agriculture se sont toutefois inquiétés en 1991, lors de la publication de l'article de Paul Brown signalant qu'un agent restait infectant après trois ans d'enterrement (100 fois moins). C'est pourquoi ils ont demandé d'homologuer les engrais. J'ai fait partie des experts qui ont été consultés à cette occasion. A partir de 1992, les farines de viandes d'origine bovine auraient du être interdites pour la fabrication des engrais. Je regrette toutefois qu'aucune précaution n'est été prise à l'égard des abats de veau anglais âgés de moins de 6 mois à cette époque.

M. le Rapporteur - A quelle utilisation étaient destinés les abats à risque ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - J'ai beaucoup de mal à le savoir moi-même. Certains affirment qu'ils servaient à la fabrication des viandes hachées. Je n'en ai malheureusement aucune preuve. Cela pourrait toutefois expliquer pourquoi des jeunes gens ont été atteints. Cela m'inquiète énormément, car je suis moi-même mère de famille. Je pense que la production industrielle de viande hachée s'est peut-être effectuée dans des conditions risquées. Il faudrait que les industriels acceptent de dire s'ils utilisaient ou non de tels abats comme liants dans leurs préparations.

M. le Rapporteur - Le rôle de notre commission est précisément de faire la lumière sur ce point. Pouvons-nous connaître votre avis au sujet de la cosmétologie ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - L'industrie agroalimentaire a été la première à interdire l'utilisation de cervelles d'animaux. Les sociétés importantes étaient en effet très conscientes de la perte de confiance du consommateur que pouvait déclencher une campagne médiatique sur le problème de la vache folle. Il est donc très important de savoir que des précautions ont été prises en amont de toute décision officielle.

L'industrie cosmétique s'est également inquiétée très tôt. Les enjeux financiers dans ce secteur sont en effet énormes. Il ne faut pas oublier que la cosmétologie vend avant tout du rêve. Il était donc très important de ne pas briser ce rêve en évitant de fabriquer un produit de luxe avec des produits dangereux. Je suggère d'ailleurs que vous rencontriez quelques responsables de l'Oréal. La fabrication de leurs produits a en effet été profondément modifiée. Certains industriels de ce secteur ont même privilégié l'emploi du poisson. Une réelle prise de conscience du risque s'est donc opérée dans le secteur. J'ajoute que l'emploi d'un produit cosmétique sur une peau saine ne représente pas un danger, surtout si la matière première n'est pas un tissu à risque puisqu'il ne s'agit pas de protéines. De plus, pour que l'infection ait lieu au niveau de la peau, il faudrait que celle-ci s'opère sur une plaie cutanée profonde, saignante et à partir d'un agent infectieux très concentré.

M. le Rapporteur - Des études ont-elles été réalisées sur le problème de la transmission transcutanée ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Des expériences ont été réalisées chez la souris et ont démontré qu'il était plus facile de reproduire la maladie par une scarification des gencives lors d'une infection par la voie orale. Il me semble par ailleurs que des études ont été aussi réalisées à partir de peaux saines chez des souris, sans résultat. Celles-ci ont démontré que seul le dépôt de prions sur une peau ayant eu des scarifications permettait d'être contaminant. Je crois me souvenir que cette publication de Taylor date de trois ou quatre ans.

M. le Président - La concentration du prion était-elle élevée ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - La concentration du prion était en effet élevée, car il s'agissait de vérifier s'il existait un risque transcutané.

M. le Président - Messieurs, avez-vous des questions ?

M. Jean Bernard - Comment la tremblante a-t-elle été éliminée de Nouvelle-Zélande et d'Australie ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je pense que ces pays prétendent avoir éliminé la tremblante et qu'il est difficile de vérifier si il n'existe pas de cas encore sporadiques. L'élevage dans ces pays est en effet extensif. Je ne suis donc pas certaine que l'intérêt des néo-zélandais et des Australiens soit de vérifier systématiquement de quoi leurs animaux sont morts. J'ajoute que dans les années 50, les mêmes moutons britanniques avaient été envoyés en Amérique du Nord, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Seul le continent nord-américain admet ne pas avoir réussi à se débarrasser de la tremblante. Je me souviens que cette question avait déjà été posée en 1991 lors d'un congrès sur les maladies à prions à Londres, et je peux vous assurer que le scientifique britannique qui a répondu à cette même question (David Westaway, alors de l'équipe de Prusiner) doutait fortement du fait qu'il n'y ait plus de risque de tremblante en Australie et en Nouvelle-Zélande. Nous n'en avons cependant pas la preuve.

M. le Rapporteur - Quelle est votre approche concernant l'éventualité d'une troisième voie et la présence de farine dans les engrais, ainsi que la durée que pourrait durer une telle infection ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je pense que nous devrons certainement nous poser la question d'ici un an ou deux, si de nouveaux cas apparaissent chez des bovins nés après la mise en place des importantes mesures prises en 1996. Nous sommes actuellement à une période charnière. Nous devons cependant rester optimistes et espérer que ces mesures permettront à terme de diminuer le nombre de cas d'ESB. Car si tel n'était pas le cas, il faudra alors se poser des questions sur les éventuelles fraudes qui auront pu avoir lieu. N'oublions pas aussi que, si la France a pris des super-mesures, tous les autres pays européens ne l'ont pas fait. Les éleveurs eux-mêmes reconnaissent qu'il leur est arrivé de se voir proposer des aliments concentrés moins chers en provenance d'autres pays.

L'hypothèse de la transmission maternelle ne doit pas non plus être écartée. Cette question est toutefois difficile. Une étude américaine portant sur le mouton et une étude anglaise portant sur plus de 600 veaux ont permis d'estimer que le risque de transmission par cette voie pouvait atteindre 10 %. Cependant, l'exemple du Kuru chez l'homme n'a jamais pu permettre de démontrer la possibilité d'une telle voie de transmission. En ce qui concerne les ruminants, Pattison a démontré dès la fin des années 60 qu'il était possible qu'une contamination s'opère via le placenta. Ses travaux ont été publiés en 1972. Il a été ainsi pensé que la tremblante du mouton pouvait demeurer pérenne dans les troupeaux contaminés à cause d'une contamination de l'environnement par les placentas. Rien n'a toutefois pu être démontré en ce qui concerne les excréments et les farines de viande. Ces dernières sont en effet utilisées dans les engrais. Je pense néanmoins que le facteur de dilution est très important sur le sol. Il est également possible que l'origine de la maladie animale soit parfois génétique, avec des cas familiaux comme en médecine humaine.

Vous pouvez constater qu'il existe de nombreuses explications permettant d'illustrer l'hypothèse de la troisième voie. Il ne faut toutefois pas oublier que nous sommes face à une maladie rare, existant depuis longtemps. Dès 1883, la Revue de médecine vétérinaire de Toulouse a signalé un cas de tremblante chez un boeuf en Haute-Garonne. Les Américains eux-mêmes ne sont pas considérés comme exempts du risque « ESB ». Ils ont en effet contaminé un élevage de visons ayant eu pour aliment des carcasses de vaches éliminées du fait d'un syndrome de la vache couchée. Or, ce syndrome présente un risque minime (1%) d'être dû à une atteinte du système nerveux central. Le plus fréquemment, cette affection est la conséquence d'une maladie d'origine métabolique ou d'un accident survenu au moment du vêlage. Les Américains ont été ainsi les premiers a suspecter l'ESB après cet épisode dans un élevage de vison. C'est pourquoi ils ont reproduit expérimentalement cette maladie bovine à partir du cerveau des visons atteints avant 1985. Ceci démontre que la maladie bovine était une maladie rare dans de nombreux pays. J'espère qu'elle le redeviendra, du moins en Europe. Il faut toutefois accepter le fait que celle-ci ne disparaîtra pas. Nous allons donc devoir apprendre à vivre avec.

M. Georges Gruillot - Madame, vous venez de répondre partiellement à la question que je souhaitais vous poser. J'ai moi-même été vétérinaire praticien dans une région avec une clientèle bovine. Je peux vous assurer que j'ai vu tout au long de ma carrière des symptomatologies identiques à celles que nous avons tous pu voir à la télévision ces dernières années. Nous estimions alors que nous étions face à des cas d'encéphalite. Nous savions que cette maladie était totalement incurable. Nous envoyions par conséquent ces bêtes le plus vite possible à l'abattoir, afin de les livrer à la consommation. Nous ne nous posions pas plus de question.

Dans le même temps, des personnes présentaient les symptômes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et mourraient à l'hôpital. Je pense par conséquent que dans certain cas, nous étions déjà confrontés à des risques d'ESB. Il est vrai cependant que nos analyses n'étaient pas très poussées.

Je précise néanmoins qu'à partir de 1970-72, lorsque l'épidémie de rage a envahi la France, des prélèvements de cerveaux ont été effectués sur les animaux d'abattoirs, afin de réaliser des diagnostiques de rage. Le prion n'était en aucun cas recherché, d'autant plus que nous ne savions pas à l'époque que ce dernier pouvait exister. Je pense cependant que nous avons affaire à une maladie qui existe depuis toujours.

Il est vrai qu'il demeure possible qu'une éventuelle transmission ait eu lieu à l'époque par l'intermédiaire des farines animales. Je précise cependant que l'alimentation des animaux était rarement enrichie de farines animales. Des apports protéiques sous forme de tourteaux végétaux complétaient en effet la nourriture des bêtes. Je regrette que la presse alimente la psychose actuelle en sous-entendant que l'ESB est apparue récemment. Je crois qu'il serait bon que nous fassions savoir que cette maladie existe depuis toujours. Cela permettait à mon avis de réduire la panique de nos concitoyens.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - J'essaie moi-même de faire connaître cette réalité depuis longtemps. Il existe depuis toujours des cas sporadiques. De plus, l'exemple américain montre qu'aucun pays ne peut être à l'abri de la contamination. De nombreux vétérinaires reconnaissent avoir été confrontés à cette maladie bien avant la crise. Les cas repérés n'étaient toutefois considérés que comme des curiosités scientifiques. Il faut être franc sur le sujet. Par ailleurs, nous ne connaissions pas le risque pour l'homme. N'oublions pas que ce n'est qu'en 1959 qu'un vétérinaire américain a émis l'hypothèse que le Kuru pouvait être transmissible, en signalant à Gajdusek que les lésions constatées dans cette affection humaine ressemblaient à celles de la tremblante. C'est ainsi que nous savons seulement depuis les années 60 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob peut être transmissible.

M. Michel Souplet - Notre commission voudrait montrer au consommateur non pas que le risque est nul, mais qu'il est beaucoup trop grossi à l'heure actuel. Moi-même, en tant qu'éleveur de mouton et de vache, j'ai souvent eu à faire à des animaux atteints de tremblante. Lorsqu'un mouton était atteint par cette maladie, nous le tuions et nous le mangions. Nous étions donc les premiers à pouvoir être contaminés. Or, je suis toujours parmi vous.

Je me demande toutefois si nous sommes capables de redonner confiance aux consommateurs en prenant des mesures minimales. Je pense par exemple à la disparition des farines animales. Je crois que nous devons absolument les détruire et non plus se contenter de les remettre dans la terre. Je pense que les farines animales devraient totalement disparaître. Il faut également éviter de consommer les abats à risque.

Par ailleurs, tant que le prion n'aura pas été trouvé dans le muscle, il sera possible de redonner confiance aux consommateurs et de favoriser l'achat de viande rouge. Nous n'avons pas intérêt en effet à affoler inutilement les gens.

Il faudra enfin que le consommateur se rende compte que la consommation représente à peine 15 % du budget des ménages. Le coût de l'alimentation augmente toutefois de façon très sensible dès qu'il s'agit d'une consommation de qualité. L'agriculture est capable de produire une alimentation de très grande qualité. Il faut cependant admettre que le coût de celle-ci puisse augmenter, tout en rappelant que le risque zéro n'existe pas.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je suis moi-même née dans une ferme d'élevage, je suis donc totalement d'accord avec vous. De mon côté, j'essaie d'adopter une position analogue à la vôtre. Cela n'est toutefois pas facile, car peu de spécialistes accepte de répondre aux questions des journalistes dans le contexte actuel. En effet, toute prise de position filmée peut se retourner contre son auteur si par malheur il s'est trompé. Nous ne sommes donc pas nombreux à oser comme moi aller au feu.

M. Michel Souplet - J'ai été dix ans président du Salon de l'agriculture. Mon suppléant et ami est actuellement Président du Salon de l'agriculture et du cheval. Nous nous sommes vus cet après-midi afin de nous demander comment présenter au public une agriculture française saine.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Les risques en France demeurent sporadiques, à la différence de la situation britannique, qui présente des risques réels. Il ne faut pas oublier que l'Académie nationale de médecine a eu le courage de se prononcer contre la levée de l'embargo, huit mois avant que l'AFSSA ne le fasse à son tour.

M. Roland du Luart - Vous venez de confirmer l'une de nos inquiétudes. En effet, nous estimons que la communication sur cette affaire a été désastreuse. Nous regrettons notamment que la FNSEA ait demandé que tous les animaux de plus de trente mois soient abattus.

Je voudrais vous demander si vous estimez que les trois tests sont fiables et si l'un d'entre eux est meilleur que les deux autres. Quel mode de communication préconisez-vous en cas de généralisation de ces tests ? Le Professeur Dormont nous a en effet fait savoir que le fait qu'un test s'avère négatif ne signifie pas pour autant que l'animal n'est pas atteint. Nous n'avons toutefois pas le droit de tromper de consommateur. Or nous souhaitons tous pouvoir communiquer de façon positive afin de pouvoir inciter le consommateur à continuer à manger de la viande.

Je voudrais enfin savoir si vous-même vous continuez à manger de la viande.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Non seulement, je continue à manger de la viande, mais de plus, je regrette énormément l'interdiction des ris de veau. En effet, tant que je ne savais pas si le ris de veau que nous mangions était anglais ou français, je n'en mangeais plus. J'ai toutefois recommencé à manger à partir du moment où l'embargo a été décidé. Chacun est libre en effet du prendre des risques. J'estime que le risque est moins important en consommant des produits d'origine française que des produits d'origine britannique.

En ce que concerne votre question sur les tests, je précise qu'une évaluation a été effectuée par la Commission européenne. Trois tests ont été retenus. Le test français s'est montré le plus sensible des trois. Le test irlandais Enfer a obtenu un classement intermédiaire. Le test Prionics s'est révélé être le moins sensible des trois. De plus, ce dernier test présente l'inconvénient de nécessiter des immunoélectrophorèses et fait appel à une méthode d'application relativement compliquée. De leur côté, les tests irlandais et français font appel à la méthode Elisa. Cette méthode est utilisée pour établir des diagnostiques permettant de rechercher certains virus animaux. Cette méthode est très simple et présente l'avantage de pouvoir être automatisée. En tant que scientifique, je regrette par conséquent qu'un test permettant une telle automatisation n'ait pas été choisie.

Je pense néanmoins que les tests français et suisses doivent être comparés. Nous saurons ainsi si le test français est réellement plus sensible que le test suisse.

M. le Rapporteur - Savez-vous quand nous pourrons connaître les résultats de cette comparaison ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Cette comparaison n'a malheureusement pas encore commencé.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous que le test Biorad peut être beaucoup plus informatisé que le test Prionics ou que le test Enfer.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Le test Enfer présente un inconvénient par rapport au test Biorad, car il utilise des anticorps polyclonaux, alors que le test Biorad fait appel à deux anticorps monoclonaux. Il est cependant important de pouvoir comparer les tests sur le terrain. Plusieurs pays ont néanmoins choisi le test Biorad. Je crois par exemple que la Belgique a choisi ce test.

Nous ne pouvons toutefois pas garantir qu'il n'y ait pas de prion chez les animaux insensibles au test. Cela est en particulier valable pour le test Prionics. Nous savons en effet que les études menées sur les 25 cas détectés en Suisse en 1999 ont montré qu'un tiers de ces animaux étaient atteints d'une ESB classique, et qu'un autre tiers était malade d'une ESB un peu plus difficile à diagnostiquer, mais comportant des critères cliniques d'ESB. Le dernier tiers concernait encore des animaux malades, mais présentant des symptômes différents de ceux de l'ESB. L'intérêt des tests n'est pas seulement de contrôler une éventuelle fraude. Ils permettent également de confirmer qu'un animal fortement contaminé n'entre pas dans la chaîne alimentaire.

M. Roland du Luart - D'après votre logique, il est donc préférable de préconiser le test le plus sensible.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Le test Prionics détecte l'infection à partir des six derniers mois d'une incubation qui dure plus de cinq ans. Je voudrais connaître la capacité de détection du test Biorad en termes de délais d'incubation.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Il faudrait pour cela que vous interviewiez Jean-Philippe Deslys, qui est l'inventeur du test Biorad.

M. le Rapporteur - Nous avons effectivement prévu de le faire.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Il vous parlera plus facilement que moi. Certains éléments sont en effet confidentiels, je ne peux donc pas tout vous dire. Je pense que néanmoins nous avons intérêt à utiliser le test le plus sensible. Il faut en effet savoir que nous n'avons pas la preuve que le test Prionics est capable de détecter l'infection six mois avant l'apparition des premiers symptômes. Prionics avance cela comme simple argument commercial.

M. le Rapporteur - Cela est par conséquent éminemment dangereux dans le cadre d'une information à l'adresse du consommateur. Nous n'avons pas le droit en effet de nous tromper deux fois.

M. le Président - Il faut également se garder de se donner trop bonne conscience en décidant de procéder à des tests systématiques. En effet, comme vous l'avez dit, ce n'est pas parce qu'un test est négatif que nous pouvons être certain que l'animal en question n'a pas été contaminé.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Il est important de maintenir l'interdiction des abats à risque.

M. le Rapporteur - Je parle sous le contrôle de notre ami Gérard César. Je crois en effet que la décision du Conseil agricole de la nuit dernière préconisait la détection systématique de l'ESB sur les animaux de plus de30 mois à partir du 1er juillet 2001.

Pensez-vous que le comité européen d'évaluation ait le temps de valider la généralisation des tests à partir du test Biorad ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Il faut savoir que plusieurs laboratoires privés ont souhaité utiliser ces tests. Le 2 octobre dernier, une commission élevage s'est réunie à l'Académie vétérinaire de France. Il y a entre autres été question des problèmes d'abattage partiels ou d'abattage total. L'utilisation du test le plus sensible y a été préconisée. L'intérêt de faire un sondage à l'abattoir a également été mis en avant. Il est regrettable que nous ayons seulement effectué des tests sur des animaux trouvés morts ou abattus d'urgence et qu'au contraire des Suisses, nous n'ayons pas réalisé de sondages à l'abattoir, car cette pratique est fort dissuasive à l'égard des fraudes. Les Suisses ont trouvé trois cas en 1999. Ils n'en ont déploré aucun en 2000.

M. Michel Souplet - Nous avons demandé au ministre de faire servir de la côte de boeuf à tous les repas officiels, afin de redonner confiance au consommateur.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - La côte de boeuf ne présente aucun risque.

M. le Président - Vous avez expliqué devant la mission d'information de l'Assemblée Nationale, le 17 septembre 1996, que vous étiez membre officieux du comité interministériel de l'ESB. Êtes-vous devenue aujourd'hui membre officiel ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - La liste de membres n'a pas été renouvelée. J'ai cependant toujours fait partie des membres de ce comité. Il se trouve que mon nom a simplement été barré de la liste.

M. le Président - Il existe de nombreux organismes s'occupant de la recherche sur l'ESB. Pensez-vous que cela soit préjudiciable ou qu'au contraire, ces différents organismes ont réussi à mettre en place une collaboration fructueuse ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - J'ai toujours du mal à répondre à cette question. Je surnomme en effet l'INRA, l'INSERM ou encore le CNRS, les grands corps sans âme. En effet, ces structures ont accaparé la majorité des moyens de recherches, au détriment du travail réalisé de leur côté par les universitaires.

M. Bernard Dussaut - Cela signifie-t-il qu'aucune concertation n'a lieu à l'échelon national ou à l'échelon européen ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Il existe des échanges entre homologues européens. Je collabore moi-même à des projets européens. Il est néanmoins parfois plus facile de faire équipe avec des Européens plutôt qu'avec des Français.

Je signale à ce propos que j'étais à la tête d'un laboratoire INRA, créé en 1989 pour travailler sur les problèmes de tremblante. J'avais intitulé ce laboratoire « Pathologie et immunogénétique ». L'INRA a cependant décidé en 1990 de ne plus travailler sur la tremblante, car ce sujet n'était pas suffisamment important. Mon laboratoire a donc été totalement déménagé chez le directeur de l'école en 1992-93.

M. le Président - Nous avons malheureusement constaté que ce type d'affrontement entre les organismes universitaires et les autres structures de recherche était fréquent.

M. le Rapporteur - Existe-il une prédisposition de certaines races bovines par rapport à d'autres ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Nous n'en savons rien en ce qui concerne le bovin.

Au sujet du mouton, il a été démontré qu'il était possible de sélectionner génétiquement des animaux sensibles ou résistants à la tremblante. Cette résistance pourrait toutefois correspondre à la période d'incubation. Cela vient d'être démontré par une étude sur les souris.

M. le Rapporteur - Que pensez-vous de la modélisation des épidémiologistes, notamment anglo-saxons, concernant l'épidémie humaine ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - L'épidémiologie n'est pas une science exacte. Roy Anderson est toutefois l'un des meilleurs épidémiologistes dans le monde. Il ne s'agit néanmoins que de modélisations mathématiques. Il suffit par conséquent les critères changent pour les prévisions changent également.

M. le Rapporteur - Quelle est votre analyse au sujet de propos de Mme Gillot ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je ne pourrais avoir aucun avis avant de savoir si les études de Madame Alpérovitch ont tenu compte des importations d'abats pratiquées en France. Il faudrait en effet que nous puissions déterminer si ces abats importés jusqu'en février 1990 étaient réellement sains.

M. François Marc - L'hypothèse de la transmission par les insectes est-elle vraisemblable ?

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Les Islandais ont été les premiers à s'intéresser au rôle que pouvaient jouer les acariens du fourrage. Cette hypothèse demande toutefois a être confirmée. Peut-être s'agit-il d'une mutation spontanée ? Comment en effet expliquer les cas sporadiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ? S'agit-il d'une maladie familiale ? La transmission d'une maladie dont la durée d'incubation peut-elle être si longue que nous ne puissions pas en déterminer l'origine ?

M. le Président - Nous vous remercions infiniment de votre participation. N'hésitez pas à nous tenir au courant des évolutions qui interviendraient au cours des six prochains mois, afin que nous puissions, de notre côté, mettre à jour nos connaissances.

Mme Jeanne Brugère-Picoux - Je vous ferais parvenir les chiffres des douanes britanniques.

Audition de Mme Brigitte CHAMAK
Biologiste et historienne des sciences à l'INSERM

(6 décembre 2000)

M. le Président - Nous accueillons Mme Brigitte Chamak, biologiste et ingénieur de recherche à l'INSERM. Nous vous remercions de venir apporter votre témoignage à notre commission d'enquête.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Brigitte Chamak.

Mme Brigitte Chamak - Je précise que je suis ici en tant qu'historienne des sciences plutôt qu'en tant que biologiste. Je travaille sur l'histoire de la recherche sur les encéphalopathies.

Je vous propose de procéder à un petit historique des mesures prises en Angleterre et en France au sujet des farines animales.

Chacun sait que les premiers cas d'encéphalopathie spongiforme bovine ont été identifiés dans le Sud de l'Angleterre en 1985 et 1986. Il n'est toutefois pas impossible que des cas soient apparus plus tôt. Le rapport britannique publié en octobre 2000 signale une rétention d'information : les premiers articles parus sur l'ESB ne datent que de la deuxième moitié de l'année 1987.

En avril 1988, paraissent les résultats d'une enquête épidémiologique conduite par John Wilesmith. Ce dernier pensait que l'exposition pouvait dater des années 1981-1982 et que l'origine de cette épidémie était due à l'utilisation de farines animales. Il recommandait donc d'interdire provisoirement les farines animales dans l'alimentation du bétail.

Il avait constaté que dans les années 1980-1882, le nombre de moutons contaminés par la tremblante avait augmenté, que la température de traitement des farines animales avait diminué et que certains solvants utilisés auparavant dans leur fabrication avaient été abandonnés. Par la suite, certaines des hypothèses qu'il avait formulé ont été remises en question, notamment celle faisant reposer l'origine de la contamination sur la tremblante. Wilesmith pensait en effet que les carcasses de moutons atteints de la tremblante avaient contaminé les farines, et que, du fait des modifications intervenues dans la fabrication de ces dernières, la maladie était passée à la vache.

Les résultats actuels permettent de nous rendre compte que l'ESB et le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont dus à un agent d'une même souche, alors que les souches de la tremblante sont variées. Le typage biochimique de cette souche est particulier, puisque les groupements glycosylés sont différents des autres souches de prions, telles que celles qui contaminent par exemple le mouton ou celles qui sont responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique.

Ces résultats établissent qu'il existe une différence entre la tremblante et l'ESB. Il est probable que la contamination ait eu lieu par l'intermédiaire d'une nouvelle encéphalopathie, apparue peut-être à la suite d'une mutation chez la vache. Des bovins contaminés ont pu l'être au début des années 80, voire à la fin des années 70. La maladie n'a toutefois pas été observée tout de suite : les animaux ont pu être tués avant que les symptômes n'apparaissent, étant donné la longue durée du temps d'incubation. Les carcasses de ces animaux ont pu être utilisées pour produire des farines, lesquelles ne bénéficiaient pas de traitements suffisants pour tuer l'agent infectieux. La maladie a donc pu se propager de cette façon.

Permettez-moi de vous exposer les différents traitements utilisés dans la fabrication des farines. Le traitement le plus ancien est la fabrication en discontinu. Les matériaux d'équarrissage bruts sont d'abord broyés. La préparation est ensuite cuite à une température maximale variant de 120 à 135 degrés, durant trois heures et demie. Il existe une variante de cette cuisson, avec une pression de deux bars à 141 degrés pendant 35 minutes. Après ce traitement, un solvant peut être utilisé pour augmenter le rendement d'extraction des graisses. Ceci nécessite une étape supplémentaire de chauffage à 100 degrés. Le traitement est par conséquent relativement lourd.

Les traitements des farines ont été modifiés à partir du début des années 80, pour des raisons de coût et/ou de sécurité. La suppression du solvant permet, en effet, de faire des économies et d'éliminer les dangers liés à sa manipulation. Il est enfin possible de supprimer ces solvants, ainsi que de baisser la température de cuisson pour permettre aux farines de devenir plus nutritives, car les acides aminés seront mieux conservés.

De nouveaux traitements ont donc été mis en place. L'un d'entre eux s'appelle le Stord Duke System. Ce procédé est largement utilisé en France. Il consiste à cuire les déchets d'animaux, après leur broyage, dans un bain d'huile à une température variant de 135 à 145 degré, pendant au moins 30 minutes. Le matériau protéique obtenu est envoyé sous filtre-presse afin d'éliminer la phase huileuse, puis broyé pour obtenir de la farine.

Un autre traitement est le Stord Bartz System. Il consiste à chauffer le broyage à 125 degrés par de la vapeur. Ce traitement thermique dure en moyenne de 22 à 35 minutes.

Un autre système est le Anderson Carver-Greenfield System pour lequel la température est de 125 degrés. La cuisson s'effectue sous un vide partiel pendant 20 à 25 minutes.

Un dernier système est le Protec De-Watering System : le produit brut préalablement broyé est chauffé pendant trois à sept minutes à 95 degrés. Une déshydratation est ensuite effectuée par un chauffage à 120 ou 130 degrés.

Le premier traitement des farines était beaucoup plus drastique et permettait de détruire certains agents infectieux.

Je précise qu'en médecine, tous les instruments ayant servis aux soins des malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont décontaminés de façon drastique. Le traitement utilisé pour éliminer l'agent infectieux est un traitement par la soude, pendant plus d'une heure à 20 degrés, ou un traitement à l'eau de Javel, pendant une heure. Il faut également signaler la possibilité d'effectuer un passage à l'autoclave, à une température supérieur à 134 degrés, pendant au moins 30 minutes.

Vous avez sûrement entendu parler des normes émises pour traiter les farines. Ces normes sont actuellement de 133 degrés pendant 20 minutes. Je ne sais pas comment ces normes ont été établies mais elles ne correspondent pas à celles utilisées en médecine.

Permettez-moi à présent de reprendre l'historique de la crise. En avril 1988, John Whilesmith recommande l'interdiction provisoire des farines animales. Les farines ne sont toutefois pas interdites immédiatement. Un délai de grâce est laissé aux entreprises afin de leur permettre d'écouler leurs stocks.

Le 18 juillet 1988, les farines animales sont interdites pour l'alimentation des ruminants. Cette interdiction ne concerne toutefois pas l'alimentation des porcs ou des volailles. Il n'est pas non plus demandé aux entreprises qui ont fabriqué des farines de reprendre leurs anciens lots.

Le comité Southwood, qui s'est réuni le 20 juin 1988, constate avec étonnement qu'à cette date, les animaux atteints d'encéphalopathie ne sont pas encore éliminés. Ce comité recommande par conséquent de détruire les carcasses des animaux atteints. Cette interdiction intervient le 8 août 1988. Ce comité reprend les résultats de l'enquête épidémiologique et considère que ce sont effectivement les farines animales qui sont à l'origine de cette épidémie. Il reprend l'hypothèse de la contamination des bovins par l'intermédiaire des carcasses de mouton atteints de tremblante. Cette hypothèse a pour conséquence de minimiser le danger représenté par l'encéphalopathie bovine spongiforme. En effet, puisque les moutons atteints de tremblante n'ont jamais contaminé l'homme, le comité conclut qu'il est par conséquent peu probable que l'homme soit atteint à son tour. Cette hypothèse de départ a eu des conséquences importances.

De janvier à juillet 1989, la France importe plus de 16 000 tonnes de farine. Il faut savoir que si le Royaume-Uni avait interdit l'utilisation des farines animales sur son territoire, il n'a pas interdit leur exportation. Par ailleurs, il n'a pas réellement informé les pays de l'Union européenne sur les dangers liés à l'utilisation de ces farines. Le 13 août 89, la France restreint les importations de farines en provenance du Royaume Unis. Un premier avis aux importateurs des farines animales est donc publié dans le journal officiel. La possibilité d'importer ses farines pour l'alimentation des porcs et des volailles est néanmoins maintenue. Le 15 décembre 1989, un deuxième avis est publié au journal officiel. Cet avis étend l'interdiction à l'Irlande et limite les dérogations accordées par les services vétérinaires aux seules usines ne produisant pas d'aliments pour ruminants. La possibilité d'importer ces farines pour l'alimentation des porcs et des volailles est néanmoins maintenue.

Un coup de théâtre survient en 1990. Des chats sont en effet contaminés au Royaume-Uni. Cet incident amène certains élus britanniques à supprimer le boeuf dans les cantines scolaires. Informée de cette situation, la France interdit, le 30 mai 1990, l'importation de produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni. Le 24 juillet 1990, un arrêté interdit l'utilisation des farines dans la fabrication d'aliment pour bovin.

Le 22 mars 1991, il est constaté qu'un animal né après l'interdiction des farines au Royaume-Uni est atteint d'ESB. Il apparaît aujourd'hui que malgré l'interdiction de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins, les autorités britanniques n'ont pas réellement mis en place des moyens de contrôle suffisant pour que cette interdiction soit réellement appliquée. Ces farines seront en réalité utilisées jusqu'en 1996. Il faut en effet savoir que l'interdiction de ces farines ne s'est pas accompagnée d'une campagne de presse alarmiste. Les industriels ont par conséquent eu des difficultés à croire au danger que représentaient réellement ces farines. Ils ont pensé qu'il n'était pas urgent de prendre toutes les dispositions nécessaires pour respecter cette interdiction. Les éleveurs ont continué à utiliser leur stock. De plus, certains éleveurs ont jugé préférable de vendre leurs animaux dès l'apparition des premiers symptômes, plutôt que de risquer de voir leur prix de vente baisser de 50 %. La compensation financière en cas d'abattage préventif n'a en effet atteint 100 % qu'en février 1990.

En 1992, la France interdit les tissus à risque dans les aliments pour les jeunes enfants. Un nouvel avis aux importateurs paraît en 1993. Il autorise cette fois les importations de farine en provenance d'Irlande.

M. le Rapporteur - L'interdiction des tissus à risque n'intervient donc qu'en 1992.

Mme Brigitte Chamak - Tout à fait. Il faut savoir que les farines de viande et d'os issues des pays de la communauté européenne n'ont pas été interdites d'importation. Des farines britanniques ont donc pu être par exemple achetées par les Belges, qui les ont ensuite exportées en France.

En septembre 1994, la France prend une décision à l'égard des bovins de moins de 6 mois en provenance de Grande-Bretagne. En 1994, les Anglais se sont en effet aperçus qu'il suffisait d'un gramme de matériel infecté pour transmettre l'ESB. Un changement d'attitude intervient alors en Grande-Bretagne.

En novembre 1995, le ministère britannique se rend compte qu'il existe des contaminations croisées : des farines normalement destinées aux porcs ont pu être utilisées pour les bovins.

En mars 1996, le ministre anglais de la santé annonce que 10 personnes sont suspectées d'être atteintes d'une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et que se pose la question du passage de l'ESB à l'homme. Le 29 mars 1996, la Grande-Bretagne interdit d'utiliser les farines de viande pour nourrir l'ensemble des animaux d'élevage. En effet, il apparaît que de nombreux animaux nés après la première interdiction sont en réalité atteints de la maladie. A la fin du mois de juin 2000, plus de 40 000 animaux nés après l'interdiction des farines sont déclarés atteints d'ESB.

Plusieurs hypothèses ont été lancées concernant la transmission de la maladie au veau par la mère. Il n'a toutefois pas été tenu compte du fait que le respect de l'interdiction n'a pas été contrôlé et que les farines ont pu ainsi être utilisées. En 1996, un article de Lasmezas montre que des injections intra-célébrales de cerveau d'un animal atteint d'encéphalopathie spongiforme bovine à un macaque provoquent sur ce dernier des signes cliniques, neuropathologiques et des caractéristiques moléculaires similaires au nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il est donc possible de conclure qu'une même souche est responsable de ses pathologies et que l'origine de l'infection ne doit pas être cherchée auprès des moutons atteints de tremblante, mais bien directement auprès des bovins.

Des études en électrophorèse permettent également d'aboutir à la même conclusion. Ce type d'analyse permet en effet de visualiser trois bandes du prion résistant aux protéases que le groupe de Collinge appelle Type 4, lequel correspond à une protéine avec des groupements glycosylés particuliers.

Il existe donc différents types de prions. Certains contaminent uniquement les moutons, d'autres sont pathogènes pour les humains. Une souche est toutefois différente. Nous la retrouvons à la fois dans le cerveau des bovins atteints d'ESB et dans le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Deux particularités doivent par conséquent être relevées : l'une relève de l'histologie, spécifique du nouveau variant et appelée plaque floride, l'autre est d'ordre biochimique.

M. le Président - Il est important que nous disposions de toutes les dates que vous nous avez indiquées, afin que nous puissions connaître parfaitement la chronologie des différentes décisions.

Il est inquiétant de constater que l'utilisation des abats à risques dans les petits pots pour bébé n'a été interdite qu'en 1992.

Mme Brigitte Chamak - Je précise que j'ai trouvé ces informations à la fois dans le rapport anglais et dans le rapport Guilhem-Mattéi, ainsi que dans les diverses publications auxquelles chacun peut avoir accès.

M. Paul Blanc - Vous nous avez indiqué qu'une première interdiction a eu lieu en France, le 30 mai 1990, ainsi qu'Allemagne, en Italie et en Autriche, de tous les produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni. Cette interdiction a pourtant été levée le 6 juin 1990. Est-ce exact ? Je voudrais également connaître la raison de cette levée d'interdiction.

Mme Brigitte Chamak - Je n'ai pas ici d'information sur cette levée d'interdiction mais je vais me renseigner.

M. le Président - Nous ferons des recherches de notre côté.

Mme Brigitte Chamak - Je pense qu'il serait bon de se pencher sur les problèmes spécifiques à l'Union européenne. Le rapport Mattéi montre en effet qu'il existe d'importantes anomalies dans la gestion de cette crise au sein de l'Union européenne. Il faut se rappeler que cette affaire arrive au moment de la création du marché unique, période où il paraît de première importance de favoriser la liberté de circulation des produits. La prise en compte du contexte politique est essentielle pour comprendre cette histoire.

M. Paul Blanc - Cette décision politique est donc franco-française, puisque nous avons été les seuls à prendre la décision d'interdire l'importation des farines britanniques.

Mme Brigitte Chamak - Concernant le fonctionnement de la communauté européenne, je vous renvoie au rapport Guilhem-Mattéi, au chapitre détaillant les épisodes de cette crise, qui signale que les commissaires en charge de la santé sont beaucoup moins nombreux que ceux qui s'occupent de l'agriculture. La priorité a donc été accordée aux problèmes agricoles, plutôt qu'aux problèmes de santé.

M. le Rapporteur - `Cet aspect des choses est très important.

M. le Président - Avez-vous d'autres questions ?

M. Paul Blanc - A quelle date a été décidé l'embargo français ?

Mme Brigitte Chamak - Cet embargo a été appliqué en mars 1996.

M. Paul Blanc - Cela a donc été une décision communautaire.

M. le Rapporteur - Il est important que nous puissions nous assurez de la cohérence des dates.

M. le Président - Avez-vous remarquer certaines négligences au niveau des décisions prises par certains gouvernements ?

Mme Brigitte Chamak - A titre personnel, j'estime que le comportement du gouvernement britannique n'a pas été respectueux des principes d'éthique et de déontologie : à partir du moment où il suspectait les farines animales d'être à l'origine de l'épizootie sur son territoire et en interdisait l'utilisation pour les ruminants, il aurait dû interdire l'exportation de ses farines pour éviter l'expansion, en Europe de ce problème.

M. le Rapporteur - Je pense que vous faites référence aux 16 000 tonnes exportées entre janvier et juillet 1989.

M. Georges Gruillot - La dérive la plus grave concerne la vente d'abats.

M. le Rapporteur - Connaissez-vous les chiffres exacts de la vente de ces abats ?

Mme Brigitte Chamak - Les Anglais interdisent la vente des abats bovins le 13 novembre 1989.

M. le Rapporteur - Jusqu'à quelle date en exportent-ils ?

Mme Brigitte Chamak - Je n'ai malheureusement pas cette information.

M. le Rapporteur - Je crois que nous en avons acheté jusqu'en 1993 ou 1994.

Mme Brigitte Chamak - Je ne dispose malheureusement pas des chiffres.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous les communiquer le cas échéant ?

M. Paul Blanc - La première interdiction des produits d'origine bovine en provenance du Royaume-Uni date de 1990. Cet embargo est toutefois levé 6 jours après sa promulgation. Cela signifie donc que du 30 mai 1990 jusqu'en 1996, les Britanniques ont continué à exporter de la viande et des abats.

Mme Brigitte Chamak - Je dois vérifier ce point.

M. Paul Blanc - Le 21 septembre 1990, les Anglais ont interdit l'utilisation des abats de viande bovine sur leur propre territoire.

M. le Président - Nous allons vérifier toutes ses informations, afin que nous puissions être certains de disposer des bonnes dates et des bons chiffres. Il semble que des transactions douteuses ont été effectuées durant deux ans.

M. le Rapporteur - Je crois qu'il faudra que nous formalisions cela avec beaucoup de précisions, tant sur les quantités que sur les dates, ainsi qu'en ce qui concerne les trois catégories de produits que sont les farines, les carcasses et les abats.

Mme Brigitte Chamak - Je vous rappelle que le 13 juin 1996, Le Monde a publié un article expliquant que la Grande-Bretagne a massivement exporté des farines de viandes contaminées. La France en a été le principal acheteur. Cet article précisait que 153 900 tonnes de farine animales en provenance de Grande-Bretagne étaient arrivées en France. Ce chiffre correspond néanmoins au total des importations originaires de l'Union européenne. Il semble d'ailleurs qu'il s'agisse plutôt de 170 000 tonnes. Il est toutefois très difficile de disposer des chiffres exacts.

Vous pourrez par exemple constater que dans le rapport Mattéi, les chiffres diffèrent en fonction des interlocuteurs. D'après le contrôle des douanes, il semble toutefois que sur les 170 000 tonnes, seules 3 600 seraient d'origine britannique. De plus, seules 53 tonnes de ces 3 600 tonnes seraient illicites.

M. Paul Blanc - Que dire cependant des farines animales belges d'origine irlandaise ?

M. le Président - Nous touchons effectivement un point sensible. Nous allons donc vérifier toute cette chronologie, afin que nous puissions avoir des informations crédibles à l'esprit.

Mme Brigitte Chamak - Il me semble également important de tenir compte de la qualité des contrôles effectués. Ces contrôles sont effectués pas trois organismes: les services vétérinaires du ministère de l'agriculture, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, et la direction générale des douanes.

Les contrôles effectués par les services vétérinaires de l'agriculture n'ont toutefois donné lieu à aucune transmission de procès-verbaux. Je pense que ce fait mérite d'être relevé. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a effectué de son côté 10 500 contrôles, 61 procès-verbaux ont été rédigés, dont 7 concernant les viandes estampillées viande française et qui étaient en fait des viandes britanniques. Là encore, le rapport Mattéi vous permettra d'obtenir plus d'information.

M. le Président - Je vous remercie.

Audition de Monsieur Gérard PASCAL
Directeur du Centre national d'études et de recommandations
sur la nutrition et l'alimentation

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Pascal, nous sommes heureux de vous accueillir. Nous vous remercions d'ores et déjà d'avoir répondu à cette convocation. Vous êtes directeur du centre national d'études et de recommandations sur l'alimentation et la nutrition. C'est à ce titre que nous vous avons invité afin que vous puissiez nous dire quel est votre sentiment sur l'utilisation des farines animales. Nous souhaitons également que vous puissiez nous commenter l'action menée par votre organisation pour lutter contre le problème posé par les farines de viande. Après votre intervention, mes collègues vous poseront quelques questions.

Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat. Dans ce cadre, toutes les interventions se font sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Pascal.

M. le Président - Je vous remercie. Je vous laisse maintenant la parole.

M. Gérard Pascal - Je souhaiterais, tout d'abord, me présenter et préciser quels sont mes différents champs d'activité. J'espère que le changement du cadre de mes activités, depuis la période où je dirigeais le centre national d'études et de recommandations sur la nutrition et l'alimentation, rendra tout de même utile mon audition. Aujourd'hui, mes activités sont de diverses natures.

Je suis directeur scientifique chargé des problèmes de nutrition humaine et de sécurité alimentaire à l'Institut de la Recherche Agronomique. Toutefois, je ne pense pas que ce soit à ce titre que vous ayez souhaité m'entendre dans la mesure où nous ne développons pas de travaux en rapport direct avec les risques liés à l'utilisation de farines carnées en alimentation animale dans les départements dont j'ai la charge.

Je préside, par ailleurs, le conseil scientifique de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA). Cette fois encore, je ne pense pas que ce soit à ce titre que vous ayez souhaité m'auditionner dans la mesure où ce conseil scientifique n'a, en aucun cas, été impliqué dans les avis donnés par l'AFSSA sur les problèmes de «vaches folles». Ce conseil scientifique, totalement indépendant de la hiérarchie de l'AFSSA, a pour principal objectif de s'assurer de la qualité des travaux de recherche et de la cohérence des avis scientifiques. Du fait de la récente création de l'AFSSA, force est de reconnaître que cette mission du conseil scientifique n'a pas encore très largement été mise en oeuvre. Nous attendons qu'un nombre d'avis plus important émane de l'AFSSA pour porter un avis motivé sur la cohérence de ses différentes décisions.

Enfin, je préside, au niveau de l'Union européenne, le comité scientifique directeur. Ce comité a pour rôle de donner la totalité des avis à la Commission européenne concernant les problèmes d'encéphalite spongiforme transmissible. Il propose également des mesures à prendre pour protéger la santé des consommateurs et la santé animale. C'est en tant que président du comité scientifique directeur que je souhaite intervenir aujourd'hui.

Je commencerai par vous dire quelques mots de mes activités à Bruxelles. De 1992 à 1997, j'ai présidé le comité scientifique de l'alimentation humaine. Ce dernier n'a que peu parlé d'Encéphalite Spongiforme Bovine (ESB). En effet, ce comité scientifique était essentiellement chargé de donner des avis sur les produits ayant subi une transformation industrielle. Il ne lui incombait pas de donner des avis sur les matières premières produites par l'agriculture n'ayant subi aucune transformation. En 1995, nous avons été saisi de questions concernant l'ESB. ces questions portaient sur la présence d'abats particuliers dans les aliments pour bébés. A l'époque, ces abats n'étaient pas encore qualifiés de «matériaux à risque spécifié». En l'occurrence, c'est parce que les aliments pour bébé sont des aliments industriels que nous avons été consultés. C'est à cette période que j'ai pris connaissance des problèmes et des mécanismes biologiques aujourd'hui en cause.

Nous avons, de nouveau, été sollicités par la commission en 1996. Cette fois, il s'agissait de porter un avis sur la gélatine qui est un produit industriel fabriqué, en particulier, à partir de sous-produits bovins. C'est à cette période que le comité d'alimentation humaine s'est ému de la façon dont la Commission européenne semblait traiter ces problèmes d'ESB. Nous avons d'ailleurs émis un avis à ce sujet en 1996. Ces événements se sont produits quelques jours avant que la Grande-Bretagne n'annonce la possible transmission de l'agent de l'ESB à l'homme et la responsabilité de cette transmission dans l'apparition des nouvelles variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. La crise a alors éclaté très rapidement à Bruxelles sur la façon dont la Commission gérait les avis scientifiques.

Au mois de juillet 1996, j'ai été nommé dans un comité dont l'existence a été relativement éphémère. Il n'a siégé que jusqu'au mois d'octobre 1997. Il s'agissait d'un comité multidisciplinaire scientifique sur les problèmes d'ESB, directement placé auprès du Secrétariat général de la Commission. L'objectif était de placer ce comité en dehors des directions générales car celles-ci devaient, à la fois, donner des avis scientifiques en termes d'évaluation de risques et prendre des décisions en termes de réglementation dans le domaine de l'agriculture comme de l'industrie. Ce comité était composé de sept ou huit membres. Je vous avoue que je n'ai pas vérifié le nombre exact de ces membres. Toutefois, je peux vous dire que ce comité comptait deux candides : le président de la commission et moi-même. Étaient également membres de cette commission les meilleurs spécialistes des maladies à prions dont le Professeur Dormont pour la France. Nous avons travaillé pendant plus d'une année dans ce cadre. Pendant ce temps, la Commission a pu réorganiser ces comités scientifiques et mettre en place, fin 1997, un comité scientifique directeur plus spécifiquement chargé de suivre les problèmes d'ESB et les maladies à prions.

Ce comité scientifique directeur a mis en place immédiatement un groupe de travail, dit groupe ad hoc, constitué des meilleurs scientifiques européens spécialisés dans les maladies à prions. Ce comité est composé de scientifiques de bon niveau quoiqu'ils ne sont pas, pour la plupart, spécialistes des maladies à prions. C'est pour cette raison qu'il était nécessaire qu'ils s'appuient sur les conclusions d'un groupe de travail spécialisé pour émettre leurs avis. Ce comité directeur était néanmoins en mesure de prendre un certain recul par rapport à une connaissance scientifique extrêmement pointue afin d'essayer d'embrasser l'ensemble des facteurs qui sont à prendre en compte dans la protection de la santé publique et de la santé animale. J'ai eu l'honneur d'être élu à la présidence de ce comité au mois de novembre 1997. Ce comité vient d'être renouvelé et j'ai, de nouveau, eu l'honneur d'être élu à sa présidence la semaine dernière. Ce comité a commencé à travailler sur la base des éléments scientifiques analysés par le groupe de travail. Nous avons essayé de construire une méthodologie valable pour l'ensemble du phénomène de façon progressive et collective.

Comment pouvons-nous, à terme, protéger la santé de l'homme ? En premier lieu, c'est en essayant d'éradiquer la maladie animale. C'est dans ce sens que le comité a essayé de conseiller la Commission en lui indiquant des mesures à prendre pour protéger la santé animale sachant que ces mesures ne se traduiraient en termes de réduction de risques chez l'homme qu'à terme. En deuxième lieu, pour protéger la santé de l'homme, il convenait de mettre en place des procédures permettant de s'assurer qu'aucun animal malade n'entrait dans la chaîne alimentaire humaine. Dans la mesure où il n'était pas possible de garantir à 100 % que ces mesures seraient efficaces, il s'est avéré nécessaire également de garantir que les tissus et organes les plus susceptibles de renfermer des quantités importantes de prions dangereux soient éliminés de la consommation humaine. Nous avons donc adopté une approche de bon sens basée sur les connaissances scientifiques du moment.

Progressivement, le comité directeur a construit un système d'évaluation des risques. Le système que nous avons conçu a identifié les facteurs de risques vis-à-vis de la santé animale, à savoir l'importation de farines animales mais également d'animaux vivants en provenance de Grande-Bretagne. Pour d'autres pays, il pouvait s'agir de l'importation d'animaux ou de farines en provenance de pays dans lesquels cette maladie de «la vache folle» existait. Ces deux facteurs constituaient les deux voies d'introduction de la maladie dans un État. Ensuite, nous avons analysé le phénomène de reproduction extrêmement rapide de l'agent prion pathologique au sein de l'espèce bovine. Ainsi, nous avons identifié un certain nombre de facteurs qu'il était essentiel de contrôler si nous voulions réduire le risque de transmission de la maladie et avoir une chance de l'éradiquer.

Le premier de ces facteurs est la surveillance épidémiologique et la qualité de la surveillance. Ces mesures ont pour but d'identifier les animaux malades et soit d'abattre l'ensemble du troupeau auquel appartient cet animal, soit d'abattre de façon plus ciblée les populations d'animaux à risque. Nous nous sommes également engagés à éliminer les matériaux à risque spécifié de la fabrication de farines de viande et d'os. Il s'agit, en l'occurrence, des tissus et des organes les plus susceptibles de renfermer des quantités importantes de prions, à savoir le système nerveux central, le cerveau, la moelle épinière, les yeux, un certain nombre de ganglions et une partie de l'intestin. Le premier travail du comité directeur a été d'établir une liste de ces matériaux. Dès la fin 1997 nous avions évoqué la possibilité de moduler cette liste en fonction du niveau de risque encouru dans les différents États de l'Union européenne. Ensuite, nous avons élargi notre réflexion au monde entier.

Le deuxième facteur portait sur la structure de la population bovine puisque nous savions que les animaux les plus susceptibles de consommer des farines de viande et d'os étaient les vaches laitières. En effet, une production importante de lait nécessite d'apporter aux vaches des protéines supplémentaires en quantité suffisante. C'est pour cette raison que le risque est plus grand pour les vaches laitières que pour les animaux élevés pour la production de viande.

Le troisième facteur portait sur la méthode de préparation des farines de viande et d'os, c'est-à-dire sur leurs conditions de température, de pression et de durée de traitement. Il nous incombait également de contrôler l'interdiction de l'utilisation de farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins.

Je suis en mesure de vous laisser quelques documents à ce sujet. Je suis néanmoins au regret de vous dire que ces documents sont rédigés en anglais puisque les rapports du comité scientifique directeur sont tous rédigés dans cette langue. Ces documents sont publiés dès leur adoption et sont également disponibles sur Internet. Je suis le premier à regretter que ces documents ne soient pas traduits dans une autre langue que l'anglais.

Vous trouverez la méthodologie que nous avons utilisée dans le document que je vous remettrai. Ce dernier a été adopté pour établir une évaluation comparative du risque géographique dans les pays de l'Union européenne et dans un certain nombre de pays tiers qui avaient souhaité faire évaluer leur situation. Nous avons demandé à l'ensemble des États de remplir un dossier. Quatorze États de l'Union européenne se sont exécutés à l'exclusion de la Grèce qui n'a pas souhaité produire un dossier et nous fournir les renseignements nécessaires pour effectuer les évaluations. A l'issue de ces évaluations portant sur quatorze pays de l'Union européenne et douze pays tiers dont les Etats-Unis, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Argentine, nous avons publié nos rapports au cours du mois de juillet 2000. Ces analyses ont permis de démontrer qu'aucun pays de l'Union européenne ne pouvait prétendre être totalement exempt de la présence de l'agent de l'encéphalite spongiforme bovine. Nous avons, à cet égard, été des précurseurs puisque nos premiers projets de rapports ont été publiés au cours du printemps 2000. Nos remarques portant sur le Danemark se sont confirmées. En effet, quelques jours après l'envoi du rapport, le premier cas danois d'ESB a été signalé. Nous avions également anticipé le déclenchement de la crise en Espagne et en Allemagne. Aujourd'hui, nous serions extrêmement surpris que la maladie ne se déclare pas en Italie.

Nous avons établi un classement des différents États de l'Union européenne en termes de risques pour l'animal. Le Royaume-Uni et le Portugal figurent dans la catégorie de pays à risque le plus élevé. La deuxième catégorie comprend les pays dans lesquels nous ne pouvons croire que l'ESB n'existe pas que les animaux malades aient été identifiés ou non. Dans cette catégorie, nous retrouvons la France, le Bénélux, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne. Ce sont soit des pays qui comptaient des cas déclarés au mois de juillet dernier, soit des pays qui n'en comptaient pas à l'époque comme l'Espagne ou l'Allemagne. Force est de reconnaître que ce système a montré son efficacité en termes de prédiction. L'objectif de ce système n'était pas de montrer du doigt les pays dans lesquels il existait un risque important. Ce système avait plutôt pour objectif de prodiguer des recommandations visant à améliorer les filières bovines de manière à réduire le risque.

Aujourd'hui, les résultats qui viennent d'être publiés par l'AFSSA concernant la France ne nous surprennent absolument pas. Dans la conclusion de notre rapport, nous les avions prévus même si nous n'avions pas fourni de données chiffrées. Nous avions prévu que le nombre de cas en France devait continuer à augmenter mais que la situation était stabilisée. La tendance était même à la diminution du risque. Cette diminution claire du risque ne se manifestera, en termes d'incidence de la maladie, que dans un an, voire deux.

En conclusion, je souhaiterais souligner l'importance de bien prendre en considération le facteur temps dans la crise de l'encéphalite spongiforme bovine et de maladie de Creutzfeldt-Jakob. L'incidence actuelle de la maladie chez les bovins correspond à un risque auquel ont été exposés ces bovins, il y a cinq ans en moyenne, voire plus de dix ans pour certains animaux. Il ne faut pas s'appuyer uniquement sur l'incidence de la maladie pour évaluer le niveau de risque auquel sont exposées aujourd'hui les populations animales. Nous ne savons pas très bien quelle est la durée de la période d'incubation de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme. Nous pensons qu'elle est comprise entre dix et trente ans. Par conséquent, les cas observés aujourd'hui en Grande-Bretagne résultent d'une exposition à l'agent de l'ESB datant de dix, vingt, voire vingt-cinq ans en arrière. Le nombre de cas actuel n'offre pas une image exacte du risque que court la population britannique aujourd'hui en consommant de la viande bovine. Assimiler la situation épidémiologique humaine ou animale actuelle au niveau de risque serait nier toute efficacité des mesures qui ont été prises ces cinq dernières années chez l'animal et ces dix ou quinze dernières années chez l'homme. Il est essentiel de bien comprendre cette caractéristique de la maladie. Cette dernière est différente d'autres maladies qui peuvent toucher l'homme, en particulier le virus VIH. Si la contamination par le virus du sida se détecte extrêmement rapidement après la contamination, une contamination par l'agent de l'ESB ne va se traduire par des symptômes cliniques que dix, quinze ou vingt ans plus tard. Cette différence est fondamentale pour comprendre les niveaux de risque actuels et proposer des mesures efficaces de réduction des risques.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Vous avez précisé que vous aviez procédé à une consultation sur l'alimentation des bébés et des gélatines. Pouvez-vous nous parler plus précisément des résultats de ces consultations ?

M. Gérard Pascal - Ce n'était pas véritablement une consultation mais plutôt une évaluation du risque. Notre comité était relativement à l'aise pour fournir un avis à la Commission. A titre personnel, j'étais d'autant plus à l'aise que j'avais présidé la section alimentation du Conseil supérieur d'hygiène publique de France de 1988 à 1992. Au cours de cette période, le Conseil avait émis un avis qui a été suivi d'un arrêté d'interdiction d'utilisation d'un certain nombre d'abats dans les aliments pour enfant.

M. le Rapporteur - A quelle date exacte cet arrêté a-t-il été pris ?

M. Gérard Pascal - L'interdiction date de 1989. La date exacte reste à vérifier. A l'époque, les fabricants français avaient déjà pris la décision d'éliminer ce type de matières premières. Certes, la décision des fabricants était récente. Néanmoins, ils l'avaient d'ores et déjà prise. Même si nous n'étions pas des spécialistes de la maladie, nous savions que des concentrations importantes d'agents de l'ESB figuraient dans un certain nombre d'abats et en particulier dans le système nerveux central. Par conséquent, nous avions conseillé d'éliminer systématiquement les cervelles dans les aliments pour enfant. Notre attitude était déjà relativement prudente puisque notre décision portait sur les cervelles bovines. Nous ne pouvions nous empêcher de penser à la tremblante du mouton même si rien n'avait encore été signalé en termes de risque pour l'homme.

M. le Rapporteur - C'est essentiellement la cervelle qui était utilisée dans ce type d'aliments pour bébé.

M. Gérard Pascal - Les nutritionnistes ont toujours recommandé la cervelle aux enfants à cause de la présence importante d'un certain nombre d'acides gras poly-insaturés dans sa composition. Ces acides gras jouent un rôle essentiel dans le développement du système nerveux central. Nous pensions donc que la cervelle était recommandée sur le plan nutritionnel. Puis, nous nous sommes aperçus qu'il y avait des risques supérieurs aux avantages nutritionnels. Sur les pots pour bébé, notre action a été relativement facile.

Concernant la gélatine, nous avons essayé de nous livrer à une petite enquête. C'est à ce moment que nous avons mis en évidence les dysfonctionnements de la Commission. Pour mener notre enquête, nous nous étions adressés à une interprofession qui représentait l'ensemble des fabricants européens. Cependant, les modes de production de gélatine sont divers d'un pays à l'autre. Toutes les usines ne sont pas construites sur le même modèle. Elles n'utilisent pas exactement les mêmes technologies. Or un syndicat interprofessionnel s'exprime au titre de la profession dans son ensemble. Cette hétérogénéité rendait notre enquête d'autant plus complexe qu'il était déjà difficile d'obtenir des informations précises sur la variabilité des technologies utilisées.

A l'époque, la profession avait entrepris des tests sur l'efficacité des différentes étapes de préparation de la gélatine dans la destruction de l'agent de l'ESB. Une première série de résultats nous avait été fourni. Nous savions également que d'autres études étaient en cours puisque ces premiers résultats ne nous permettaient pas de conclure à l'efficacité du traitement de fabrication de gélatine. Or ces résultats n'arrivaient pas. Nous avons appris, quelque temps après, que ces résultats étaient bien arrivés à la Commission mais qu'ils n'avaient pas été transmis. Lorsque nous avons pris connaissance de ces résultats, nous nous sommes aperçus qu'ils auraient été de nature à moduler notre opinion.

En effet, loin de rassurer -même s'ils n'étaient pas non plus très inquiétants-, ces résultats démontraient que certaines étapes de fabrication de la gélatine n'entraînaient pas une destruction aussi importante que prévue de l'agent de la maladie. Depuis lors, dans le cadre du comité scientifique directeur, nous avons demandé que la profession poursuive les études. Nous avons demandé, en particulier, qu'elle fasse une étude sur l'ensemble de la chaîne de production de manière à ce que nous puissions voir quelle était l'efficacité de la totalité du traitement le plus souvent pratiqué pour la fabrication des gélatines. Ces études sont en cours. Aujourd'hui, nous ne disposons pas encore de leurs conclusions.

A cette époque, le Parlement européen avait menacé la Commission de prendre des mesures à son encontre. Ces événements ont conduit la Commission à réorganiser totalement ces comités scientifiques et à les soustraire des directions générales qui avaient comme double mission de juger de l'évaluation des risques et de juger de la réglementation dans les domaines concernés.

M. le Président - De quand date cette décision ?

M. Gérard Pascal - Cette décision a été prise en 1996. Elle a conduit à la mise en place, au mois de juillet 1996, d'un comité scientifique particulier rattaché directement au Secrétariat général de la Commission. Ce comité a travaillé jusqu'au mois d'octobre 1997, année de la mise en place de l'ensemble de la structure actuelle d'évaluation scientifique.

M. le Rapporteur - A partir de quelle date peut-on raisonnablement imaginer que le processus de fabrication de la gélatine a été correctement amélioré ?

M. Gérard Pascal - Je n'affirmerai pas que le procédé de fabrication de la gélatine a été amélioré. Je ne pense pas que le processus ait été modifié. En fait, sa production ne nous semblait pas présenter de risques majeurs sous certaines conditions. Nous voulions savoir quel était le niveau de destruction de l'agent prion par le processus. Sous quelles conditions estimions-nous qu'il n'y avait pas de risques ? Il est évident qu'une seule technologie n'est jamais suffisante pour réduire le risque aussi bas que nous le souhaitons. C'est donc un ensemble de mesures qu'il convenait de prendre. A l'instar des farines animales, nous avons pris la décision d'éliminer les matériaux à risque spécifié. A la fin de l'année 1996 et au début de l'année 1997, j'avais eu écho du fait que certaines usines européennes utilisaient des crânes pour fabriquer leur gélatine. De temps en temps, ces crânes n'étaient pas fendus et renfermaient donc la totalité du cerveau. Ce dernier point nous paraissait aussi dangereux qu'une technologie pas tout à fait au point.

Pour réduire le risque lié aux farines de viande et d'os, nous avons pris un ensemble de mesures. L'élimination des cadavres était l'une de ces mesures. J'entends sous le vocable de «cadavres» ce que les Anglais qualifient de «fallen stocks» c'est-à-dire non seulement les cadavres de bovins mais aussi les animaux de laboratoires, les chats et les chiens euthanasiés dans les cabinets des vétérinaires ou encore des animaux de zoos décédés. La première mesure a été d'éliminer des matériaux à risque spécifié de tous les animaux dont on ne savait rien en termes de santé. La deuxième mesure consistait à éliminer les matériaux à risque spécifié des autres animaux considérés aptes à la consommation humaine quel que soit le pays d'origine. Certes, notre analyse n'avait pas tout à fait abouti. Toutefois, elle nous conduisait à penser qu'il y avait un risque de présence de l'agent de l'ESB en Italie, en Espagne et en particulier en Allemagne. La troisième mesure consistait à mettre en oeuvre des conditions technologiques permettant d'éliminer au maximum l'agent de l'ESB. Ainsi, il est recommandé de chauffer les farines à 133 degrés, sous 3 bars et pendant 20 minutes. Cependant, nous savions dès 1997 que ce procédé n'était pas d'une efficacité totale. Ce procédé permettait, certes, de réduire d'un facteur au minimum de 1 000 la contamination sans toutefois annuler totalement le risque.

Les Allemands ont prétendu jusqu'à, il y a quelques semaines, que cette technique était totalement fiable et détruisait 100 % des agents. Une guerre économique et commerciale a été lancée par nos voisins allemands puisque ces derniers ont toujours soutenu que cette technique était infaillible. Ils ont même pesé d'un certain poids au niveau de Bruxelles pour faire adopter ces conditions harmonisées de traitement des farines à 133 degrés, 3 bars et 20 minutes. Il est évident que cette technique est la plus efficace que nous connaissions aujourd'hui. Néanmoins, elle n'est pas totalement efficace. Par conséquent, nous ne pouvons envisager cette seule technique. C'est un ensemble de facteurs qui, appliqués et contrôlés correctement, peuvent permettre de réduire le risque lié à la consommation de farines par d'autres espèces animales.

La Commission européenne a fait très rapidement une proposition de décision aux États membres pour harmoniser l'élimination des matériaux à risque spécifié. Beaucoup d'États membres ont résisté arguant du fait qu'ils n'avaient pas d'ESB sur leur territoire et que leur technique de traitement des farines était infaillible. A la fin du mois de juin, la Commission est parvenue à obtenir une majorité qualifiée pour faire passer son projet d'harmonisation de l'élimination des matériaux à risque spécifié. La décision relative à l'élimination des cadavres est, quant à elle, encore plus récente. Toutefois, force est de reconnaître que cette mesure était en vigueur en France depuis quelque temps déjà et que la Grande-Bretagne avait été le premier État à prendre cette mesure compte tenu de la gravité de sa situation nationale. Malheureusement, les autres États membres n'ont pas suivi. J'ai souvent entendu des critiques violentes formulées à l'encontre de la Commission européenne. Toutefois, je souhaite vous rappeler que ce n'est pas la Commission européenne qui a refusé d'harmoniser les mesures mais ce sont une majorité d'Etats membres.

M. le Rapporteur - Compte tenu du poids et de la présence du comité scientifique directeur, pensez-vous qu'il est désormais plus facile de parvenir à une cohérence en ce domaine ?

M. Gérard Pascal - Certes, notre approche a été énormément critiquée puisqu'elle a eu des conséquences économiques et commerciales évidentes dans certains pays de l'Union. Toutefois, cette méthodologie a démontré également qu'elle permettait de prévoir et d'anticiper les crises éventuelles. Par conséquent, nous pouvons affirmer qu'elle n'est pas complètement aberrante. Il est désormais possible de s'appuyer sur cette méthodologie non seulement pour juger de la situation des États de l'Union mais aussi pour juger de la situation de pays tiers. Ainsi, nous pouvons désormais affirmer qu'il n'y a pas qu'en Europe que cette maladie existe. En effet, la majorité des pays avec lesquels nous échangeons des matériaux d'origine bovine ne peuvent prétendre être totalement «propres».

Il y a un an, la crise entre la France et la Commission à l'occasion de la discussion sur la levée de l'embargo sur la viande en provenance du Royaume-Uni n'était pas, à mon sens, un désaccord profond. C'était plutôt un désaccord mineur entre scientifiques. Cependant, ce désaccord a été exacerbé par un certain nombre de facteurs, en particulier les médias et le monde politique. Cette crise a montré aux scientifiques qu'il était nécessaire d'avoir des échanges entre eux. Elle a démontré la nécessité de profiter de l'expérience et des compétences existant dans chacun des États. Il était nécessaire d'organiser un débat scientifique avant de prendre des décisions politiques. A l'avenir, un tel débat ne pourra que faciliter la cohérence et la concordance des avis scientifiques. Ceci ne veut pas dire que les décisions politiques seront forcément harmonisées. En effet, bien d'autres facteurs doivent être pris en compte. La seule évaluation du risque n'est pas suffisante. Néanmoins il me semble que nous avons tiré un certain nombre de leçons des difficultés rencontrées dans les dix-huit derniers mois.

M. Paul Blanc - Dans la mesure où le comité vétérinaire permanent dispose d'un nombre de voix en fonction des pays qui le représente, ne pensez-vous pas que le poids de certains pays comme l'Angleterre ou l'Allemagne peut considérablement influencer le comité scientifique ?

M. Gérard Pascal - J'ai omis de préciser que les comités scientifiques auxquels je me réfère, c'est-à-dire le comité scientifique directeur et le comité de l'alimentation humaine et de l'alimentation animale, ne sont pas des comités permanents. Par conséquent, les scientifiques, membres de ces comités, y siègent à titre strictement personnel. Ils ne représentent rien d'autre qu'eux-mêmes. Il n'y a ni pondération des voix ni vote. Ainsi, toutes les questions ont été débattues jusqu'à ce que tous les membres se rangent à un avis commun. Ceci étant, les hommes sont les hommes et personne n'oublie totalement sa nationalité. L'expérience m'a cependant montré qu'avec un collectif de seize membres dans lequel les hommes ont appris à s'apprécier, lorsque l'un d'entre nous défend, à l'évidence, des positions nationales, un autre membre lui rappelle systématiquement la dérive de son discours. Il serait malhonnête d'affirmer que les prises de position nationales n'existent pas, cependant le débat tend à réguler naturellement cette dérive.

L'an dernier, au moment de la crise entre la Commission et la France, la presse avait indiqué qu'il y avait davantage d'Anglais dans le comité scientifique directeur que de Français. Cette situation ne tient pas une représentation quelconque. En fait, huit des seize membres du comité sont nommés par la Commission sur appel à candidature après étude d'un dossier scientifique. Ceux-ci ne sont membres d'aucun autre comité. Ces huit autres membres sont les présidents des huit comités scientifiques dont le comité directeur coordonne les activités. Il se trouve que beaucoup d'anglo-saxons sont élus président de conseils scientifiques en raison de leurs qualités scientifiques et de leur expérience internationale.

M. Paul Blanc - Dans une interview publiée dans Le Monde du 16 janvier 2000, je crois avoir lu que les viandes de tous les pays de l'Union présentaient le même niveau de risque. Par ailleurs, je crois savoir que l'Allemagne ne retire pas les abats de la fabrication de ses saucisses. Est-ce exact ?

M. Gérard Pascal - C'est exact. Cependant, aujourd'hui, je ne dispose pas des résultats des inspections vétérinaires conduites récemment. Au deuxième trimestre 1999, nous avions émis un avis sur le risque d'exposition humaine. Nous avions alors trouvé des publications d'un laboratoire allemand qui lui-même avait mis en évidence, par des méthodes immunologiques, la présence de cerveau d'origine bovine dans des saucisses et dans des pâtés allemands. Je pense néanmoins que ces produits n'ont pas été exportés car ils étaient très spécifiques de certaines régions allemandes. Les risques encourus par la population allemande étaient probablement loin d'être négligeables, il y a quelques années. Prétextant l'absence de la maladie et l'efficacité totale de leurs technologies, aucune précaution n'avait été prise ni pour l'homme ni pour l'animal.

M. Paul Blanc - J'ai cru comprendre dans votre propos introductif que vous aviez en charge, aujourd'hui, des départements qui n'utilisent pas ou qui n'ont pas utilisé de farines animales. Si cette affirmation est exacte, quels sont ces départements ?

M. Gérard Pascal - Je me suis peut-être mal exprimé. En tant que responsable scientifique de la coordination et de l'animation des programmes scientifiques de l'INRA dans le domaine de la nutrition humaine et de la sécurité alimentaire, je n'ai pas en charge les problèmes d'alimentation animale. Je ne suis pas directement responsable de recherche menées dans le domaine de l'alimentation des animaux. Toutefois, l'INRA a mené, il y a quelque temps, un certain nombre de travaux portant sur la substitution de produits d'origine végétale aux produits d'origine animale et sur le soja américain. Nous avons donc déjà beaucoup travaillé sur la culture de protéo-oléagineux tels que le pois, la féverole et le tournesol. Ces travaux avaient eu des résultats positifs. Malheureusement, à l'époque, ils n'étaient pas économiquement exploitables par rapport aux farines animales. Nous avons également beaucoup travaillé sur la production de protéines par des organismes unicellulaires à partir de substrats divers dont les matières premières agricoles. Nous essayons, aujourd'hui, de ré-exploiter ce fonds scientifique le plus rapidement possible.

En revanche, nous n'avons pas développé de travaux portant sur la technologie de traitement des farines à l'INRA. Néanmoins, nous disposons de tous les éléments pour connaître les besoins des animaux selon la production attendue. S'il nous est demandé de produite 3 000 litres de lait par an, nous vous répondrons qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser des compléments protéiques. En revanche, pour produire 7 000 litres de lait par an, il sera nécessaire de trouver une solution adéquate.

M. Gérard Miquel - Je souhaiterais aborder à nouveau la question de la gélatine. Si mes informations sont exactes, la France est l'un des pays, sinon le pays, le plus gros consommateur de gélatine par tête d'habitant. A cet égard, les propos que vous avez tenus ne me semblent pas très rassurants. Les fabricants de gélatine sont dans l'obligation d'acheter des os dans d'autres pays puisque la France n'en dispose pas en quantités suffisantes. On m'a laissé entendre que certains fabricants allaient acheter des os en Inde ainsi que dans d'autres pays du monde. Est-ce exact ? Par ailleurs, sommes-nous aujourd'hui assurés que les techniques de fabrication de gélatine nous mettent à l'abri d'une contamination ?

M. Gérard Pascal - Pour être à l'abri de la contamination, il faudrait s'assurer qu'il n'entre pas d'agents de l'ESB dans les matières premières utilisées. Pour en être certain, il faut mettre en oeuvre plusieurs moyens. Dans toute filière, il y a des failles et il peut y avoir des fraudes. Il peut également se produire des erreurs humaines. Or l'erreur humaine est inévitable. Par conséquent, il faut s'accorder le maximum de moyens pour s'assurer que cet agent ne rentre pas dans les matières premières qui vont servir à fabriquer la gélatine.

Pour garantir une sécurité de la filière, il faut s'assurer de l'origine des animaux. En effet, les animaux destinés à la consommation humaine comportent un risque considérablement réduit par rapport aux animaux qui seraient éliminés de la consommation humaine. Il faut ensuite s'assurer de l'élimination sérieuse et contrôlée des matériaux à risque spécifié. Cependant, je n'ai aucune compétence pour vous donner des informations concernant le contrôle des animaux. Je ne suis pas inspecteur vétérinaire. Je ne suis pas la traçabilité des matières premières utilisées pour la fabrication de la gélatine.

Pour avoir suivi de près un rapport d'inspection vétérinaire réalisé par l'inspection de la Commission européenne en Angleterre, je sais que ce travail est extrêmement difficile. Ce rapport montrait qu'il était quasiment impossible de s'assurer de la traçabilité totale des matières premières utilisées. J'ai moi-même étudié le circuit des matériaux d'origine française utilisés dans les usines française. Les documents qui m'ont été fournis m'ont rassuré. Ces documents indiquaient une traçabilité et précisaient par quel camion les matériaux avaient été transportés.

En dehors du contrôle des animaux, il faut utiliser une technologie performante de fabrication et de traitement des farines. La technologie est d'autant plus importante que nous ne pouvons être sûrs qu'aucun agent porteurs de l'ESB ne va être utilisé. A cet égard, nous attendons les résultats d'une étude très importante mise en oeuvre par un laboratoire travaillant sous assurance-qualité dans lequel nous plaçons toute notre confiance. Nous ne disposons pas encore des résultats de cette importante expérimentation. Ce laboratoire contamine des matières premières et teste la gélatine obtenue grâce au modèle «souris» afin de voir s'il reste de l'infectivité dans cette gélatine.

Par conséquent, il est indispensable d'avoir une traçabilité totale des matières premières. Ensuite, il faut suivre le procédé de fabrication et le contrôler sérieusement. Il faut enfin avoir des installations en état pour s'assurer que des matériaux à risque spécifié ne puissent pas rentrer dans ce circuit. C'est sans doute au niveau de l'abattoir que les points critiques sont les plus nombreux. C'est donc à ce niveau qu'il est nécessaire de mener le plus de contrôles.

M. Georges Gruillot - Nos voisins européens, qui déclaraient n'avoir aucun cas d'ESB, commencent maintenant à déclarer des cas d'animaux malades. Vous dites que ces pays en avaient probablement depuis un certain nombre d'années. Je partage tout à fait votre analyse. Depuis quelques années, la France a, dans la majorité des cas, mieux respecté les réglementations et les recommandations européennes que les autres pays membres de l'Union européenne.

Il y a quelques années, le Sénat avait mis en place une commission portant sur l'application des règles en matière de quotas laitiers en Europe. J'avais eu l'honneur de présider cette commission. Nous avions effectué des visites dans divers pays européens. Nous avions été effaré de constater que les pays du sud de l'Europe respectaient la réglementation de manière extrêmement laxiste. Dans certains pays comme la Grèce, on ne savait même pas que la réglementation existait. De plus, en Allemagne, qui se targue d'être un donneur de leçons, nous avions constaté que les réglementations européennes étaient quasiment ignorées.

Aujourd'hui, en France, le marché de la viande bovine est complètement déstructuré. Je souhaiterais avoir l'opinion du chercheur de l'INRA sur cette question. L'opinion publique est bouleversée par les affirmations des médias d'autant plus que ces derniers ont, à mon sens, exagéré l'affaire. L'opinion publique semble accréditée une thèse qui me semble fausse. Beaucoup sont persuadés que si nous voulons la sécurité, il faut que la population se tourne de plus en plus vers les petits produits de terroir et vers des produits de type biologique. Or, dans nombre de régions françaises, l'avenir de l'agriculture passe par des produits spécifiques de qualité bénéficiant d'un AOC. Il ne faut pas commettre l'erreur de faire la promotion des filières du terroir et des produits biologiques sans être certains de leur sécurité alimentaire. Nombre de personnes croient que la sécurité alimentaire existe dans ce type de produits. Or, à mon sens, elle n'existe pas ou elle existe moins qu'ailleurs. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Comment devons-nous réagir dans la mesure où à terme cette croyance risque d'être nuisible à l'agriculture française ?

M. Gérard Pascal - La France, en tant que premier producteur agricole de l'Union européenne, ne peut se permettre de ne produire que des produits biologiques et des produits du terroir. L'économie française n'y résisterait effectivement pas. Notre agriculture, si elle doit devenir raisonnée, doit également rester compétitive. Il faut donc trouver un équilibre harmonieux entre des produits du terroir et d'autres méthodes de production agricole et une production agricole raisonnée mais économiquement compétitive.

L'INRA a engagé un programme d'expérimentation pour comparer les résultats entre ces deux modes d'agriculture. Ces travaux sont menés à la fois sur le terrain et sur des parcelles expérimentales. Il ne faut pas généraliser la portée des résultats d'analyse de terrain. En effet, cette année a été une très mauvaise année en termes de climat et de développement de mycotoxines, en particulier pour le déoxynivalénol. Des teneurs extrêmement fortes ont été trouvées dans tous les produits quel que soit le mode d'agriculture utilisé. Cependant, des concentrations, en moyenne, plus fortes ont été trouvées dans des produits d'agriculture biologique.

A l'inverse, les premiers résultats expérimentaux - qu'il est nécessaire également d'analyser avec prudence - montrent que les travaux de l'INRA sur une agriculture biologique sans nitrates ont conduit à des résultats contraires. Les produits de l'agriculture biologique comportaient des teneurs en mycotoxines inférieures aux produits d'une agriculture même raisonnée.

Ainsi, il semble que ce n'est pas un type d'agriculture qui va conduire à un type de résultats. C'est vraiment toute la conduite de la culture qui va conditionner le résultat. Nous pouvons obtenir des résultats excellents dans une agriculture raisonnée mais compétitive et des résultats excellents en agriculture biologique. Nous pouvons également obtenir des résultats extrêmement mauvais en termes de teneurs en nitrate dans l'agriculture biologique comme dans l'agriculture conventionnelle.

Nous essayons désormais de mieux comprendre quels sont les facteurs qui entrent en jeu. Nous cherchons comment nous pouvons apprendre à les maîtriser de manière à assurer le meilleur niveau de sécurité possible en termes de contaminants. Cette mission transversale de l'INRA commence à mobiliser un certain nombre de chercheurs. Aujourd'hui, il est extrêmement difficile de se prononcer sur cette question.

M. le Rapporteur - Quelle est votre analyse sur les derniers propos tenus par le commissaire européen à l'agriculture Franz Fischler ? Celui-ci dédouanait quelque peu les farines animales et laissait entendre qu'il existerait une autre approche de cette épidémie ESB au niveau mondial. Disposez-vous de quelques informations scientifiques sur ce point ? Son opinion a fait l'objet, il y a quelques jours, d'un article dans un grand quotidien national. Il considérait qu'il s'agissait davantage d'un problème de mutation génétique.

M. Gérard Pascal - Je répondrai à votre question par une boutade. Nous étions en réunion du comité scientifique directeur lorsque nous avons pris connaissance de cet encart. Nous avons alors dit : «Tiens ! Nous ignorions qu'il y avait un dix-septième membre au comité scientifique directeur !».

M. le Président - Nous vous remercions de votre intervention et des éclaircissements que nous vous avez apportés même si certains étaient un peu inquiétants puisque nous avons noté des décalages et des différences d'interprétation d'un pays à l'autre.

Audition de M. Pierre CHEVALIER, Président de la FNB et de l'OFIVAL,
et de M. Pierre FOUILLADE, Directeur de l'OFIVAL

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Pierre Chevalier, vous êtes président de la Fédération Nationale Bovine (FNB) et de l'Office National Interprofessionnel des Viandes, de l'Élevage et de l'Aviculture (OFIVAL). Monsieur Pierre Fouillade, vous êtes, quant à vous, directeur de l'OFIVAL. Vous êtes deux tous présents dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales. Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être obligé, pour l'un et pour l'autre, de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Chevalier et Fouillade.

M. le Président - Monsieur Chevalier, quel est votre sentiment sur le problème posé par les farines animales ? Au nom des organismes que vous représentez, quelle est votre opinion sur l'épidémie de l'ESB qui aujourd'hui s'est développée dans notre pays ainsi que dans toute l'Europe.

M. Pierre Chevalier - M. le Président, si vous le permettez nous allons nous répartir la mission entre Monsieur Fouillade, directeur de l'OFIVAL et moi-même, président du Conseil de direction de cet établissement public. J'interviendrai dans un premier temps en tant que président de la fédération nationale bovine, fédération qui est favorable à tous travaux et à toutes initiatives permettant d'approcher la vérité sur les conditions dans lesquelles le cheptel français a été pollué par ces farines animales contaminées.

C'est au mois d'avril 1989 que la FNB a été avertie de cette nouvelle maladie, apparue en Grande-Bretagne. Au mois de mai 1989, nous avons demandé, auprès de la direction générale de l'alimentation, l'interdiction d'introduire les farines anglaises. A cette époque, nous avons été déçus par la décision qui avait été prise. En effet, seul un avis aux exportateurs avait été pris.

L'image de l'agriculture a été gravement détériorée par l'encéphalite spongiforme bovine. Je regrette que l'opinion publique ait une représentation simplifiée de la filière. L'éleveur est considéré comme responsable, voire comme un empoisonneur. C'est malheureusement l'image qui est ressortie de cette crise. Pourtant, quels que soient les gouvernements, nous avons bénéficié de la meilleure réglementation au sein de l'Union européenne. Cependant, force est de reconnaître que nous ne bénéficions plus de notre capital de confiance.

Les éleveurs ont le sentiment d'être des victimes dans cette affaire. La dernière décision relative au retrait des bovins accidentés du circuit de l'abattage, décision prise lundi matin, renforce quelque peu cette situation. La déclaration très limpide faite par Monsieur Martin Hirsch, directeur de l'AFSSA, et Madame Catherine Geslain-Lanéelle, directrice de la DGAL, exprimés devant la presse de façon très transparente, a été reprise par la presse de façon erronée. Les médias ont, en effet, affirmé que 2 â de l'ensemble des 21 millions de bovins français étaient contaminés ! Si la commission d'enquête peut faire progresser la vérité sur ces aspects, alors elle aura vraiment atteint un objectif.

M. le Président - Pouvez-vous repréciser quel est le nombre exact d'animaux concernés ?

M. Pierre Chevalier - Le taux de 2 â ne concerne pas, bien entendu, l'ensemble des bovins mais 15 000 animaux testés. Il ne s'agit, en aucun cas, de 2 â bovins malades sur les 21millions de têtes de bétail que nous comptons en France.

Sur le plan réglementaire, c'est au mois d'août 1989 que la suspension de la dérogation générale d'introduction des farines anglaises a été décidée. L'introduction de farines en provenance du Royaume-Uni était désormais soumise à dérogation particulière. Les farines étaient acheminées dans des usines spécialisées pour l'alimentation des animaux monogastriques. La dernière dérogation délivrée par la France date du mois de février 1990. Au cours du mois de juillet 1990, l'interdiction des farines d'origine animale dans l'alimentation des bovins a été décidée en France. Au mois de juin 1996, la France a décidé d'exclure les matériaux à risque des cadavres et des saisies de l'alimentation des farines destinées aux volailles, aux porcs et poissons. Cependant, ce n'est que le 1er octobre 2000 que l'Allemagne a décidé d'interdire l'introduction des cadavres dans la composition des farines animales. Force est donc de reconnaître les différences qui existaient entre les différents États membres de l'Union européenne.

Au plan des démarches volontaires, en 1997, la FNB a obtenu l'obligation du référencement des fabricants dans le cadre des cahiers des charges des certifications produits. Les fabricants sont tenus de respecter un code de bonnes pratiques pour éviter les contaminations croisées. En 1998, l'obligation du référencement a été élargie dans le cadre de la charte des bonnes pratiques d'élevage. Il s'agit d'un cahier des charges que nous avons mis en place de façon volontaire dans nos élevages comportant une obligation de référencement des fabricants.

Sur le plan judiciaire, la fédération nationale bovine a déposé une plainte contre X et a constitué partie civile au mois de juillet 1996 auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris. La fédération se porte partie civile dans toutes les affaires transmises au parquet par la brigade nationale d'enquête vétérinaire ou par la répression des fraudes. La communication de l'avancement des enquêtes judiciaires a mis en évidence que beaucoup de travail restait à faire. Les moyens dont dispose le juge Boizette aujourd'hui sont-ils suffisamment importants eu égard à la complexité de l'affaire ? Madame le juge elle-même nous a fait part de ses préoccupations à ce sujet.

Voici Messieurs les quelques propos introductifs que je souhaitais formuler. Je reste, bien entendu, à votre entière disposition pour toute question complémentaire.

M. Pierre Fouillade - L'OFIVAL est un établissement public industriel et commercial. Il compte environ 300 personnes. Son budget est de l'ordre de 6 milliards de francs, dont 1 milliard provient du budget national et 5 milliards proviennent de fonds communautaires. Nous gérons pour le compte du FEOGA un certain nombre de procédures. Nous gérons principalement l'intervention publique comme les mesures de retrait et les aides à l'exportation. Nous gérons également pour le compte du FEOGA le versement aux éleveurs de certaines aides concernant les bovins et les ovins. Enfin, les crédits nationaux sont plutôt utilisés pour le renforcement de la compétitivité de la filière dans son ensemble, de l'élevage à la distribution. Cette somme s'élève à environ de 1 milliard de francs sachant que, sur cette somme, nos frais de fonctionnement sont de l'ordre de 150 millions de francs par an.

Notre préoccupation essentielle est au coeur de la gestion des marchés et de l'économie de la filière bovine en général. Notre préoccupation essentielle concerne les niveaux de prix, la compétitivité de la filière, les possibilités d'exportation et le positionnement de la filière française par rapport aux autres filières européennes et mondiales.

Le problème des farines animales nous concerne bien évidemment. Au-delà de l'aspect réglementaire rappelé par le Président Chevalier, nous sommes concernés par l'incidence économique des dispositions. L'actuelle suppression concerne 400 000 tonnes de farines animales destinées à l'alimentation du bétail. Cette mesure a une incidence certaine au niveau des abattoirs puisque les produits qui servaient à fabriquer les farines animales étaient pour certains valorisés et vendus aux fabricants de farines. Aujourd'hui, ils ne peuvent plus l'être. La perte économique au niveau de l'abattage est de l'ordre de 2 milliards de francs.

Le plus grand impact économique concerne la filière volailles. La France est le premier exportateur européen de volailles dans le monde. L'alimentation de ces animaux utilisait des farines. Nous allons être aujourd'hui dans l'obligation de les remplacer par des produits plus onéreux. Les abattoirs utilisaient également les plumes ainsi qu'un certain nombre d'autres coproduits pour fabriquer des farines. Cette transformation était source d'une recette. Aujourd'hui, les études réalisées montrent que cette disposition induira une augmentation du prix de revient du poulet de l'ordre de 0,45 francs par kilogramme, soit une augmentation de 8 % du prix. Sur la filière porcine qui consommait jusqu'ici des farines animales, même s'il s'agissait de quantités moindres comparée à la filière volailles, l'incidence sur le prix de revient est bien plus faible. Elle est de l'ordre de 1 %.

M. le Rapporteur - Quelle était votre approche en matière de sortie de crise ? Allez-vous inciter les membres de la filière à s'orienter davantage vers un mode d'élevage extensif ? Allez-vous, au contraire, continuer sur cette même lancée sachant qu'il existe une incompréhension entre le monde rural et le monde urbain ?

M. Pierre Chevalier - Depuis la seconde guerre mondiale, nous avons été contraint de nous diriger vers l'autosuffisance agricole. Nous étions dans une situation déficitaire. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes lancés dans une amélioration technologique des productions agricoles. Cette amélioration était souhaitable pour que la France parvienne à une indépendance alimentaire. Il me paraît néanmoins difficile d'établir un parallèle entre la crise de l'ESB, la contamination par des farines animales et l'intensification des cultures, même si elle fut certes parfois excessive.

A l'origine, pourquoi avons-nous eu des farines animales contaminées en provenance de Grande-Bretagne ? C'est parce que les entreprises anglaises n'ont pas respecté la technologie conseillée par les scientifiques, à savoir traiter les farines à 133 degrés pendant 20 minutes sous 3 bars. Pourquoi avons-nous continué d'importer des farines animales anglaises alors que la Grande-Bretagne avait arrêté l'incorporation des farines animales en 1988 ? Pourquoi avons-nous arrêté de les importer en 1990 ? Pourquoi avons-nous importé entre 1987 et 1990 des abats contaminés en provenance de Grande-Bretagne ? Les quantités de farines importées nous conduiront peut-être, demain, à recenser d'autres cas de maladies de Creutzfeldt-Jakob. Nous espérons néanmoins que cela ne se produira pas.

Les éleveurs se demandent également pourquoi des contaminations croisées se sont produites. Pourquoi 90 % de nos cas d'ESB se retrouvent chez des animaux nés entre 1993 et 1995 alors qu'ils n'ont pas consommé de farines animales puisque celles-ci étaient interdites depuis 1990 ? Les exploitants possédant une production porcine ont-ils donné de l'alimentation de porc à leurs bovins ? C'est possible, voire évident. Les citernes ayant livré de l'alimentation de poulets ont-elles contaminé des cuves d'aliments destinés aux bovins ? Comment est fait le liant des condiments minéraux donnés à nos bovins ? En effet, ce liant est fait à base de graisses animales. Comment est faite la matière grasse animale ? Elle est faite avec la colonne vertébrale fondue et transformée en matière grasse. A-t-il pu y avoir transmission à partir de la matière grasse animale avant 1996 ?

Lorsque j'avais eu une mise à bât difficile sur mon exploitation, j'étais dans l'obligation de donner du lait reconstitué à mon veau. La matière grasse animale contenue dans le lait reconstitué pouvait-elle être contaminée ? C'est possible. Sur ma ferme, j'ai pu donner un aliment complémentaire à mes broutards et à mes génisses. Ce complément pouvait-il contenir des farines animales contaminées ?

Sur ma propre ferme où je produis du Charolais, je ne donne que de l'herbe et de l'ensilage d'herbe. Je ne donne absolument pas de farines animales à proprement dit. Pourtant, j'ai pu donner, avant 1990, des farines animales à mes génisses. Par conséquent, si un cas se déclarait aujourd'hui dans mon exploitation, il n'y aurait rien de surprenant.

Les condiments minéraux que j'ai pu donner après 1990 pouvaient être contaminés. Le lait reconstitué que j'ai donné occasionnellement suite à une mise bât difficile a pu contaminer un de mes veaux sans que je ne le sache.

Par ailleurs, le comportement sociologique du consommateur dans notre société a considérablement changé. Je crois que nous avons pris un virage considérable depuis 1996. Depuis cette date, le consommateur veut savoir quelle est l'origine, la provenance et la façon dont a été produite la viande qu'il retrouve dans son assiette. En partant de ce constat, nous devons nous diriger non pas vers une agriculture biologique car ce n'est pas ainsi que nous solutionnerons les problèmes. L'agriculture biologique ne représente que 1 % de l'agriculture française. De plus, demain, nous risquons de rencontrer des problèmes en matière de sécurité alimentaire.

Aujourd'hui, nous devons aller vers une agriculture plus raisonnée qui tient compte des préoccupations de l'ensemble de la population en matière d'aménagement du territoire et d'entretien de l'espace. Il est nécessaire d'agir avec plus de transparence. L'intensification à outrance ne correspond plus à la demande de la société en France, en Europe et dans le monde.

L'agriculture raisonnée doit s'appliquer dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne. En effet, si la France applique seule une agriculture raisonnée, d'autres États membres s'empresseront de prendre nos parts de marché. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours dit, suite à la négociation de l'OMC, qu'il fallait associer les consommateurs à l'Organisation Mondiale du Commerce. La France n'a pas le droit de perdre des parts de marché vis-à-vis de ses voisins européens. L'Europe n'a pas le droit non plus de perdre des parts de marché vis-à-vis des pays tiers émergents.

M. Paul Blanc - La composition exacte des farines animales est-elle indiquée directement sur les sacs ?

M. Pierre Chevalier - Sur les sacs de farines animales, il est uniquement mentionné «protéines animales».

M. Paul Blanc - L'origine est-elle indiquée ?

M. Pierre Chevalier - Non.

M. Paul Blanc - Estimez-vous que l'étiquetage est suffisant ?

M. Pierre Chevalier - Après 1996, les éleveurs auraient souhaité que l'on impose une traçabilité des farines animales telle que nous l'avions fait pour la viande bovine. En effet, nous aurions souhaité retrouver les indications suivantes : où l'animal est-il né, où a-t-il été élevé, quel est son âge, quelle est sa race, son sexe et le nom de l'éleveur. Nous estimons que nous aurions dû exiger ces renseignements de la part des fabricants d'animaux pour bétail d'autant plus que la majorité des fabricants y sont aujourd'hui favorables.

M. Paul Blanc - Qui conseille l'éleveur en matière d'alimentation ? Est-ce le fabricant de produits ? Est-ce le vétérinaire ? Est-ce la coopérative ou encore le conseiller agricole ?

M. Pierre Chevalier - En France, le développement fait dans le cadre des chambres d'agriculture est un développement sans connotation sectorielle. Les SUAD (Services d'Utilité Agricole de Développement) peuvent fournir des conseils sur l'ensemble des productions qu'elles soient animales ou végétales. Ce conseiller n'a pas d'intérêt particulier si ce n'est le respect de l'équilibre économique de l'exploitation. Il peut apporter son conseil en matière d'alimentation, de progrès génétique et également sur des aspects sans grande connotation technique.

Les organisations économiques apportent également des conseils. C'est le cas notamment des groupements de producteurs. Il s'agit souvent d'un conseil technique objectif fourni par des techniciens et des ingénieurs. Ces conseils sont davantage spécialisés pour un secteur de production donné. Ils sont spécialisés soit sur la production bovine, soit sur la production ovine, soit sur la production porcine, soit sur la production avicole.

Des ingénieurs et techniciens appartenant à des firmes industrielles peuvent également apporter leurs conseils. Ici, le conseil a une connotation commerciale plus affirmée.

M. Paul Blanc - Tout le monde peut donc apporter son conseil.

M. Pierre Chevalier - Plusieurs acteurs peuvent intervenir. Néanmoins, leur conseil peut être différent. En France, le suivi vétérinaire des élevages est d'une grande rigueur. Le docteur vétérinaire praticien a un mandat libéral pour intervenir au niveau de l'élevage. Il a aussi un mandat sanitaire confié par l'Etat pour suivre les prophylaxies à caractère obligatoire. Dans ce cadre, il apporte un conseil sous contrôle du directeur des services vétérinaires.

M. Paul Blanc - Vous avez évoqué l'agriculture raisonnée. Jusqu'à présent, en particulier dans les zones de montagnes, il existait une prime « à la vache tondeuse » . Cette prime n'était-elle pas de nature à augmenter le nombre de têtes de bétail au détriment de la surface cultivée ? N'incitait-elle donc pas à utiliser des aliments de substitution ?

M. Pierre Chevalier - J'ai parcouru de nombreuses régions françaises y compris les zones que l'on qualifie d'intensive ou d'extensive. Je n'ai pas objectivement rencontré ce type de situations. Dans les productions bovine, ovine ou porcine, je ne suis pas persuadé que les résultats économiques d'une exploitation peuvent êtres basés sur de grandes surfaces même s'il peut exister quelques cas particuliers.

M. Paul Blanc - La situation s'est améliorée. Toutefois, je puis vous dire qu'avant 1992 il y avait des chasseurs de primes.

M. Pierre Chevalier - Je viens du Massif Central. Tous les résultats technico-économiques de nos exploitations de production de viande bovine ne présentent pas d'ambiguïté. Nos structures d'exploitation sont moyennes. Tous les éleveurs qui ont cherché à agrandir leurs troupeaux et leurs surfaces sans tenir compte des critères d'amélioration génétique et de conduite du troupeau avec rigueur obtiennent des résultats économiques catastrophiques.

M. Michel Souplet - Lorsque l'on écoute certains éleveurs ou certaines organisations de consommateurs, il est légitime d'être affolés. On doit même être affolé. Selon eux, on ne devrait plus rien manger du tout. Le danger découvert aujourd'hui existe peut-être depuis dix ou quinze ans, voire plus, puisque la tremblante du mouton existe depuis le 18ème siècle. J'estime qu'il faudrait relativiser ces problèmes. Ceci passe nécessairement par l'information. Actuellement, la désinformation tous azimuts règne. Il faudrait une information objective et réaliste qui redonne confiance aux consommateurs.

Aujourd'hui, nous risquons de voir nos marchés occupés par des viandes d'importation venant d'autres pays sans aucune traçabilité. Je ne suis pas persuadée que si nous effectuions des tests en Argentine, nous ne trouverions pas des microbes. Je me demande si nous ne pourrions pas envisager une campagne médiatique qui coûtera peut-être cher mais que les organisations professionnelles peuvent peut-être financer.

Certes, les chercheurs nous mettent en garde. Toutefois, lorsque nous leur demandons s'ils mangent de la viande de boeuf, ils nous répondent par l'affirmative. C'est uniquement sur les abats qu'ils ne peuvent apporter une réponse. Si nous pouvions redonner confiance sur le muscle alors la confiance reviendrait progressivement. Je crois que la France a apporté la preuve qu'elle était capable de garantir la sécurité alimentaire. Nous sommes aujourd'hui capables d'assurer par la traçabilité une qualité exceptionnelle des productions alimentaires. Toutefois, nous ne serons jamais capables de garantir le risque zéro puisqu'il n'existe pas.

Il faut également que le consommateur sache que ceci coûtera plus cher et qu'il peut toujours y avoir un risque, même infime. Cette affaire doit être relativisée. Cependant, je ne sais pas comment nous pourrions diffuser une information objective qui redonne confiance aux consommateurs. Par ailleurs, comment pouvons-nous insister sur l'impérieuse nécessité d'être aussi exigeant sur les produits importés que sur les produits internes à la communauté ?

M. Pierre Chevalier - Je crois qu'en plein coeur de la crise la vache folle il n'y avait rien à faire. Maintenant, nous allons peut-être pouvoir commencer à travailler. Au centre d'informations des viandes, nous menons une enquête SOFRES hebdomadaire sur la confiance des consommateurs. Je vous donne un exemple pour étayer mes propos. L'annonce du retrait des farines animales en France a fait chuté l'indicateur de perte de confiance des consommateurs de 70 % à 53 %. Pourtant, nos animaux ne mangent plus de farines animales depuis 1990. Ce résultat est donc incompréhensible. Je pense que la mise en place des tests systématiques produira le même effet même si au-delà de six mois les tests ne sont pas garantis.

Le ministère de l'Agriculture a entrepris une campagne de communication. Le directeur de l'OFIVAL peut vous parler de cette campagne de communication cofinancée par l'interprofession bovine française et les pouvoirs publics. Nous avons investi 15 millions de francs chacun dans cette campagne. Cette dernière sera menée auprès de nos consommateurs. Nous essayerons dans ce cadre d'expliquer des principes simples dans l'état actuel des connaissances scientifiques. Nous répéterons que le muscle n'est, en aucun cas, porteur du prion. Certes, l'information est essentielle. Toutefois, pendant la crise, une campagne de communication ne pouvait être réalisée.

M. Pierre Fouillade - Nous allons mener une campagne financée pour moitié par l'OFIVAL et le CIV. Cette campagne s'élève à 30 millions de francs. Vous avez peut-être déjà lu un certain nombre de pages dans le quotidien Le Monde expliquant des choses très simples dans le but de redonner confiance aux consommateurs.

M. Bernard Cazeau - En tant que président de la FNB et en tant qu'éleveur, que pensez-vous de la déclaration qui préconise la suppression des animaux de plus de 54 mois ?

M. Pierre Chevalier - Vous parlez sans doute de la préconisation faite par Monsieur Fischler et par Monsieur Byrne lors d'une conférence de presse à Bruxelles.

M. Bernard Cazeau - Non, je veux parler de la déclaration qui a été faite par Monsieur Luc Guyau, il y a quelques jours.

M. Pierre Chevalier - Je vous remercie de me poser cette question. Le lundi 6, 6 millions de téléspectateurs avaient regardé l'émission spéciale consacrée à la vache folle diffusée sur M6. La semaine précédente, une majorité de maires de France avait retiré la viande bovine des cantines. Dans mon propre canton où je suis Conseiller général, commune de 200 habitants uniquement rurale, les enfants ne mangeaient plus de viande bovine à la cantine. Pourtant, le maire est exploitant agricole et la responsable de l'association des parents d'élève est fille d'un éleveur de vaches limousines.

Le mardi 7, nous constations une chute de 54 % de l'activité des abattoirs. La consommation de boeuf en grande distribution chutait de 50 à 60 % . La consommation de viande bovine en restauration hors foyer, qui représente 30 % de la consommation en France, baissait de 50 %. La boucherie traditionnelle chutait également de 25 %.

La France consomme 1,5 million de tonnes de viande bovine. Nous enregistrions donc un excédent structurel de 750 000 tonnes de viande bovine ce jour-là. Après avoir consulté les scientifiques et les experts économistes, l'ensemble de la filière composée des éleveurs, des abattoirs, des industriels, des coopératives, des groupements de producteurs, des distributeurs (grandes surfaces, restauration hors foyer et boucherie traditionnelle) et des associations de consommateurs s'étaient regroupés.

La proposition formulée par Monsieur Guyau était l'émanation de l'ensemble de la filière. Toutefois, cette proposition a été annoncée de façon brutale. En effet, il n'a pas été précisé que nous envisagions de retirer les animaux les plus âgés en priorité. Il n'a pas été dit que ce plan se faisait sur dix ans ni que l'animal continuait de produire son veau ou son lait. Il n'a pas non plus été indiqué qu'en priorité nous allions faire consommer les animaux sous signe officiel de qualité. Nous proposions un véritable plan de retrait.

Quinze jours après cette déclaration, Messieurs Byrne et Fischler annoncent, non pas le retrait des animaux nés avant 1996, mais le retrait des animaux de plus de 30 mois ou des animaux testés. Le commentaire unanime de l'ensemble des médias à l'issue de cette déclaration a été : «Enfin, une bonne proposition de la commission».

Cette nuit, suite au conseil des ministres agricoles de la semaine passée, le comité de gestion en application de l'article 38 a décidé de retirer, à partir du 1er janvier 2001, tous les animaux de plus de 30 mois non testés. Êtes-vous prêts dans vos départements à tester tous vos animaux de plus de 30 mois, soit 3 millions de bovins, à partir du 1er janvier ? Aucun commentaire n'est fait aujourd'hui. Pourtant, la proposition de l'ensemble de la filière allait plus loin que cette mesure. En fait, il semblerait que nous ayons eu tort d'avoir eu raison trop tôt.

M. le Président - La décision est donc la même.

M. Pierre Chevalier - Notre proposition allait encore plus loin. L'Europe consomme 6 millions de tonnes de viande bovine. Nous enregistrons environ 50 % de baisse de la consommation dans tous les pays d'Europe. Si nous ne retirons pas de viande, nous risquons d'avoir 3 millions de tonnes dans les entrepôts frigorifiques de la Communauté européenne d'ici un an ou un an et demi.

En 1991, nous avions entreposé 1,3 million de tonnes stockées en Europe. Pourquoi notre situation était-elle équilibrée depuis 1997 et jusqu'en 1999 ? C'est parce que nous avions retrouvé l'équilibre d'autosuffisance de production de viande bovine en Europe. Aujourd'hui, notre objectif est de retrouver cet équilibre le plus vite possible. Si nous ne retrouvons pas cet équilibre, nous allons traîner les stocks pendant des années, stocks qu'on ne pourra jamais commercialiser.

Aujourd'hui, nous mettons en stockage privé des animaux que nous achetons à 11 francs le kilogramme. On les achète à 12 francs à l'éleveur comprenant les frais de mise en stockage. Au bout de deux ans, les frais de stockage s'élèvent à 5 francs par kilogramme. Ainsi, des animaux qui coûtent 12 francs et qui sont de basse catégorie devront être revendu à 17 francs dans deux ans si nous ne voulons pas perdre d'argent. Qui va acheter ce type de viande à ce prix ? Je crois que personne ne le fera.

M. Jean-Marc Pastor - Dans vos propos préliminaires, vous avez parlé de l'éleveur comme une victime. Je partage plutôt votre sentiment. La dernière déclaration du président de l'AFSSA a pu inquiéter le consommateur. Je souhaiterais connaître votre sentiment, en tant que FNB, par rapport à la position du gouvernement sur cette question de l'ESB.

Le gouvernement a semblé jouer le rôle de fer de lance par rapport aux autres pays européens. Le gouvernement a en effet osé parler de l'affaire et imposer un certain nombre de tests. Quel est votre sentiment par rapport à la position du gouvernement ? Quel est votre sentiment général par rapport à la déclaration du Président de la République qui a conduit un certain nombre de maires à prendre des arrêtés d'interdiction ?

M. Pierre Chevalier - Je ne souhaite pas revenir sur les raisons pour lesquelles nous avons continué d'importer entre 1987 et 1999. Il incombe à la justice de répondre à ces questions. Pourquoi n'avons-nous pas interdit l'importation des abats contaminés avant 1990 alors que l'interdiction existait en Grande-Bretagne ? La France n'est apparemment pas le seul pays en cause. Nous pouvons également nous demander pourquoi l'Allemagne a continué à importer. Pourquoi l'Allemagne a caché ses cas d'ESB ? Pourtant, le comité scientifique directeur a classé à taux à risque l'ensemble des pays de l'Union européenne. De plus, l'Allemagne est classée en taux de risque identique à la France, tout comme l'Italie, l'Espagne ou encore la Belgique ou la Hollande. Seuls le Portugal et la Grande-Bretagne présentent un taux de risque supérieur. Quant aux trois pays d'Europe du Nord, ils sont moins exposés au problème.

Dans la gestion de l'ESB depuis 1996 jusqu'à la crise actuelle, je crois que les trois précédents ministres de l'Agriculture, Messieurs Vasseur, Le Pensec et Glavany, ont fait un parcours sans faute. En 1996, la France a pris des décisions courageuses. Pourtant les critiques ont été nombreuses à l'encontre de l'embargo mis en place par Philippe Vasseur. La France s'est retrouvée complètement isolée. Ce n'est que par la suite que tous les autres pays nous ont suivi. La France a, par ailleurs, été le seul pays en Europe à mettre en place un système de traçabilité indiquant où a été élevé et abattu l'animal et indiquant toutes ces caractéristiques.

La Commission européenne propose aujourd'hui d'harmoniser les normes de traçabilité. Toutefois, les représentants des associations de consommateurs, en particulier Madame Nicoli, ne souhaitent pas accepter les propositions de la Commission portant sur l'étiquetage de la viande bovine en Europe. En effet, il est proposé d'appliquer des normes de traçabilité inférieures à celles qui existent actuellement en France. Les consommateurs veulent conserver l'étiquetage et la traçabilité dont nous bénéficions aujourd'hui.

Notre position a toujours été de dire que nous étions en faveur de la sécurité alimentaire. A cet égard, nous avons consenti des efforts considérables au niveau de l'ensemble de la filière. Ces efforts d'étiquetage ont coûté beaucoup d'argent même aux éleveurs. La seule erreur commise par la France est d'avoir démarré les tests sans qu'il n'y ait d'harmonisation communautaire. Aujourd'hui, tous les pays nous rejoignent. Ils avaient tous importé des farines contaminés et présentent aujourd'hui des cas d'ESB. Ces pays l'avaient jusqu'alors caché.

En France, la crise a démarré plus tôt. Maintenant elle se propage à l'ensemble de la Communauté européenne. Je regrette un peu le dysfonctionnement de l'Europe. Est-il normal de vouloir un élargissement et un renforcement de l'Europe alors que nous ne sommes pas capables d'assurer une sécurité alimentaire dans l'ensemble des États membres ? Ceci dénote d'un certain dysfonctionnement de l'Europe. Soit nous ne devions pas prendre des mesures de façon isolée, soit les autres États membres ont eu un comportement anormal par rapport à cette situation. Nous sommes véritablement des victimes. Les efforts consentis en France avaient permis d'augmenter de 1,6 % la consommation de viande bovine par habitant par rapport à la situation antérieure au 20 mars 1996. Nous étions parvenu à obtenir un résultat extraordinaire. Malheureusement, tout s'est effondré en l'espace de quelques heures suite à cette situation qui a créé des disparités intra-communautaires. Avant que la crise n'éclate en Allemagne, des GMS sur Toulouse distribuaient de la viande bovine allemande en certifiant qu'elle était sans ESB. Dans ma propre région, j'ai vu Leader Price faire de la publicité pour de la viande bovine d'origine espagnole.

M. Jean-Paul Emorine - Vous avez beaucoup parlé de communication. J'ai entendu dire que vous alliez investir lourdement en communication. Toutefois, il me semble nécessaire de communiquer sur des produits sérieux pour lesquels vous pourrez toujours apporter la preuve de la traçabilité. Par ailleurs, le terme «traçabilité» est aujourd'hui devenu à la mode. Les bovins bénéficient d'un document d'accompagnement. Cependant, pour ma part, je pense que c'est largement insuffisant pour les décennies à venir. La loi d'orientation agricole de 1999 a prévu de mettre en place l'indication géographique protégée. Il s'agit d'un engagement des éleveurs consigné dans un cahier des charges. Il s'agit également d'un engagement des fabricants d'aliments et des vétérinaires ou des groupements de défense sanitaire afin de qualifier un élevage dans son ensemble. Cette procédure recevra l'aval des NAO. Toutefois, il faudrait que cette procédure soit activée au niveau des organisations professionnelles. Je suis, pour ma part, assez sensible aux actions menées par les techniciens des chambres d'agriculture. Je souhaite qu'ils s'engagent rapidement vis-à-vis de ces indications géographiques protégées. Comment voyez-vous la mise en oeuvre de ces indications géographiques protégées ? Il me semble que ces indications présenteraient une traçabilité de fond afin qu'en cas de problème nous puissions retourner dans la chaîne. Par ailleurs, que pensez-vous de la maîtrise de la production entre le cheptel allaitant et le cheptel laitier ?

M. Pierre Chevalier - Au sein de la fédération nationale bovine, nous allons orienter nos éleveurs vers la qualification des élevages. Nous souhaitons véritablement les orienter dans cette direction même si ces contraintes sont fortes. Nous allons mettre en place une charte des bonnes pratiques d'élevage même si le cahier des charges de cette charte représente à peu près ce que doit faire l'éleveur quotidiennement dans son exploitation. Nous souhaitons mettre en place la qualification des élevages qui permettra d'avoir toute la transparence sur la conduite sanitaire de l'élevage. Le cahier des charges prendra en compte l'alimentation et obligera le fournisseur d'alimentation à apporter toute transparence. Le cahier des charges portera sur la conduite de l'élevage en général et sur les conditions ambiantes de l'élevage comme la ventilation. Nous souhaitons nous diriger dans cette direction afin également de répondre à la demande forte des consommateurs vers davantage de transparence. C'est en agissant de cette manière que nous allons renouer notre contrat de confiance avec le consommateur même si cela risque de prendre du temps. Force est de constater que nous avons de plus en plus d'élevages qualifiés.

Concernant la maîtrise de la production, notre situation est relativement équilibrée. Le cheptel laitier s'est stabilisé, voire diminué compte tenu des progrès génétiques réalisés dans ce secteur. La production laitière est de plus en plus maîtrisée compte tenu des quotas. Par conséquent, nous avons plutôt tendance à voir diminuer l'ensemble des animaux laitiers type reproducteurs. En Europe, nous assistons à une sensible augmentation du troupeau des races à viande. Nous comptons 11 millions d'animaux de races à viande en Europe dont 4,2 millions, soit 40 % en France. Si nous devons mener une politique de maîtrise de la production, doit-on éviter la production du jeune bovin type laitier pour lequel la consommation en France est seulement de 10 % ?

Nous proposons de remettre en place le retrait des veaux de 8 jours laitiers. Nous avons des quotas de vaches allaitantes qui permettent d'éviter des dépassements irrationnels de la production de viande bovine issue des races à viande. C'est une forme de maîtrise. Concernant la production de jeunes bovins, la France a une référence de 1,75 million de francs de primes au jeune bovin. Sur le plan économique, il est inconcevable de produire du jeune bovin laitier ou allaitant s'il n'y a pas la possibilité d'avoir une contribution financière et un soutien de la communauté européenne.

La production était maîtrisée avant la crise. Dans le cadre des négociations de l'OMC, l'Europe doit faire entendre sa voix par rapport aux Etats-Unis et aux autres pays producteurs, en particulier face au groupe de Cairns. L'Europe doit affirmer sa position économique sur les marchés des pays tiers ou sur les marchés des pays en voie de développement.

Roland du Luart - Je regrette que la confiance que les gouvernements successifs ainsi que la FNB avaient réussi à rétablir soit aujourd'hui remise en cause. Nous rencontrons un problème financier. Vous avez évoqué le retrait du veau de 8 jours. Je crois que c'est une bonne mesure. Cependant, elle a un coût. Nous évoquons également au niveau européen l'abattage des animaux de plus de 30 mois n'ayant pas subi de tests. Pourtant, nous savons que le test a, au maximum, une sécurité de 6 mois. Comment peut-on financer cet abattage systématique des animaux de plus de 30 mois ? Où va-t-on trouver l'argent nécessaire ? Je comprends la nécessité d'assainir le marché. Toutefois, a-t-on réellement les moyens de payer l'éleveur ? Je viens d'un département dans lequel la filière bovine est très importante. Le retrait de tous les quartiers de viande qui étaient valorisés représente un déficit de près de 2 milliards de francs non compensés. Quels sont les moyens financiers dont nous disposons pour sortir de la crise ? La mission essentielle de notre commission d'enquête est certes de rétablir la confiance. Toutefois, il faut également trouver les équilibres et éviter que l'ensemble des éleveurs soit ruinés et que les autres acteurs de la filière le soient également.

M. Pierre Fouillade - Concernant le rétablissement du marché, le chiffre de 3 millions de tonnes correspond à une année pleine. Peut-être péchons-nous par excès d'optimisme. Aujourd'hui, nous nous situons au creux de la vague. Nous voyons néanmoins refleurir un peu la consommation. En effet, les derniers résultats des panels Secodip montrent que la consommation est en train de repartir progressivement. Néanmoins, il est difficile de faire des prévisions. Nous n'allons pas rester avec une chute de la consommation de 50 %. Nous n'allons pas conserver 3 millions d'excédents.

Les décisions qui viennent d'être prises au comité de gestion de Bruxelles, le 12 décembre, en termes de volume de retrait du marché et de stockage public concernent 625 000 tonnes. Ce chiffre a été proposé dans le cadre budgétaire actuel. Certes, ce volume ne sera peut-être pas suffisant. Ceci dépendra de la vitesse à laquelle la consommation va reprendre. Nous pouvons espérer que dans les six prochains mois, la consommation remontera à 80 %. C'est, bien entendu, une hypothèse et non pas un calcul de probabilité. Nous savons néanmoins que ce chiffre ne remontera pas à 100 % immédiatement. De plus, certains consommateurs ont arrêté de manger de la viande bovine et ne souhaitent pas en reprendre. La baisse de la consommation est assez liée à la baisse du nombre de personnes qui consomment plus qu'à la diminution de la quantité consommée. Avec ces 625 000 tonnes, nous disposons des moyens d'agir. Nous disposons également de mesures de ponction immédiate, de mesures d'abattage et de mise en intervention des broutards pour rétablir l'équilibre.

Il est souvent dit que ce sont les entreprises disposant de vrais marchés et de vrais produits qui se défendent mieux. Cependant, force est de reconnaître que ce sont les entreprises qui ont les coûts fixes les plus élevés. Ce sont elles qui transforment le plus et qui apportent le plus de valeur ajoutée. Par conséquent, ces entreprises sont les premières à être mises en difficulté par la baisse de l'activité brutale de 50 %. La situation est assez différente pour les petites entreprises qui travaillent encore sur des filières de qualité ou qui ont des débouchés avec le commerce de détail plus qu'avec les grandes surfaces. Celles-ci sont peut-être un peu moins touchées par la crise. Les entreprises les plus affectés sont celles qui font beaucoup de transformation et notamment du steak haché. Pour ce produit, la baisse de la consommation peut atteindre 60 à 70 %.

Le problème est d'abord de retrouver de l'activité. Le gouvernement s'est donc attaché à effectuer de l'abattage. Tous ces animaux devraient aller à l'abattoir à un moment ou à un autre. Une circulaire devrait sortir prochainement portant sur des prêts bonifiés pour les entreprises. Ces prêts constitueront une aide immédiate. Ils devraient largement dépasser les 500 millions de francs qui avaient été évoqués lors des négociations.

Nous rencontrons également un problème plus structurel dans la mesure où le secteur de la viande bovine était déjà en très légère surcapacité avant que ne se déclare la crise actuelle. Nous sommes en train de rebâtir un programme de restructuration et de reconversion de certains outils dans le cadre d'une réorganisation d'ensemble de la filière. Nous souhaitons bâtir un dossier et le faire valider par la Communauté pour pouvoir aider les entreprises.

M. le Rapporteur - Je souhaiterais revenir sur les propos tenus par nos collègues, en particulier ceux tenus par Monsieur Emorine sur la traçabilité. Nous connaissons tous l'excellence de l'approche française. Néanmoins, auriez-vous des propos à formuler en ce qui concerne à la fois «le vif» et «le mort» ? Concernant «le vif», le document d'accompagnement bovin (DAB) date maintenant un peu. Je crois que nous pouvons imaginer quelques concepts nouveaux en ce domaine. J'aurais d'ailleurs pour ma part quelques suggestions à faire à la fin de cette commission d'enquête. Pour «le mort». Je pense en particulier au problème de la RHF (Restauration Hors foyer). La première phase initiée par Monsieur Vasseur avait été certes excellente. Je crois que nous avons des propositions supplémentaires à faire.

M. Pierre Chevalier - Il est peut-être envisageable de modifier ou d'adapter le document d'accompagnement des bovins que nous avons appelé depuis 1996 la carte d'identité ou le passeport afin que ce soit davantage compréhensible par les Français. Nous pouvons peut-être également envisager de modifier le livret de santé. A titre personnel, je n'y suis pas opposé. Sur le plan technique, des instituts ont travaillé sur la modernisation des boucles.

M. le Rapporteur - C'est juste une proposition que je souhaite faire au terme de cette commission d'enquête. Il me semble, en effet, qu'il pourrait exister une autre approche.

M. Pierre Chevalier - L'harmonisation communautaire nous a conduit à tendre vers la suppression du tatouage. Cette mesure rend plus difficile la tâche des abattoirs qui rencontrent des problèmes de lisibilité. Jusqu'à aujourd'hui, les boucles ont prévalu. Si nous pouvions installer une puce électronique sur chaque bovin, la lisibilité serait meilleure. Dans ce domaine, nous avons mené des recherches sur le cheval. Cependant, la recherche n'a pas encore donné satisfaction. Néanmoins, il est évident qu'une telle mesure pourrait amener davantage de transparence. Après la gestion de l'inventaire du cheptel, nous vivons une évolution même si celle-ci est relativement lente. Avec l'essor d'Internet dans les exploitations, dès qu'un animal naît, il est possible de l'enregistrer directement au fichier central départemental lui-même connecté au fichier national. Ainsi, il est possible d'avoir un inventaire de cheptel géré en temps réel. Certes, toutes les exploitations ne disposent pas de cette technologie et peut-être ne pouvons-nous pas le mettre rapidement en place dans les fermes. De toute façon, pour que le système soit plus transparent, nous sommes disposés à étudier toute proposition.

Concernant la traçabilité et l'étiquetage, il est nécessaire d'introduire la plus grande transparence possible dans la RHF. Il est certain que nous ne pourrons restaurer la confiance du consommateur tant que des mesures ne seront pas prises. Dans les cantines, comment restaure-t-on la confiance des parents d'élèves ? C'est en disant que l'on fera manger de la viande de la région. De plus, dans la RHF on ne trouve pas toujours les produits qui incitent à manger plus de viande. Nous pourrions hausser la qualité de la viande. J'espère que le retrait des animaux de plus de 30 mois se fera d'abord par ceux qui ont la moindre qualité gustative. Je souhaite que de cette crise nous puissions ressortir par le haut.

M. Paul Blanc - Que proposez-vous pour suivre la traçabilité des steaks hachés ?

M. Pierre Chevalier - Il faut procéder de la même façon en hissant la qualité vers le haut. Le sénateur du Luart devrait demander aux industriels de son département de rehausser la qualité des produits hachés qu'ils fabriquent.

M. le Président - Tout dépend de quels industriels vous voulez parler. Les industriels sont les mêmes dans l'Allier et dans la Sarthe. Certains de ces industriels ont travaillé correctement.

M. Pierre Chevalier - Lorsque les industriels importent de la viande bovine en provenance d'Espagne, lorsque la moelle épinière n'est pas retirée des carcasses, je pense que la viande ne devrait même pas franchir la frontière. Certes, ce n'est pas la faute de l'entreprise.

M. Pierre Fouillade - Je souhaitais ajouter un mot sur la traçabilité et sur l'harmonisation des DAB. Une étude est actuellement menée dans ce sens. C'est le projet IDEA. Je me tiens à l'entière disposition de la commission d'enquête pour vous fournir des informations à ce sujet.

M. le Président - Le fait que les éleveurs soient les victimes de cette crise m'inquiètent. Je crains que demain les éleveurs soient victimes d'un autre scandale et que vous vous retrouviez à nouveau impuissants face à la situation. Il est nécessaire de faire un travail en amont pour être certain de la sécurité de l'alimentation.

M. Pierre Chevalier - Aujourd'hui, je suis présent en tant que représentant de la FNB. Toutefois, on peut dire que l'ensemble de la filière est victime. Certaines entreprises qui emploient 300 salariés se retrouvent dans l'obligation de mettre 250 personnes au chômage technique. Pourtant, ce type d'entreprises contribuent grandement au fonctionnement de l'économie rurale. Aujourd'hui, toute l'économie rurale - artisans, commerçants, professions libérales - est affecté. Si des agriculteurs viennent à disparaître, nous ne pourrons plus mener la même politique d'aménagement du territoire dans nos communes rurales. Cette situation est d'autant plus dramatique que le secteur de l'élevage se situe essentiellement dans des zones de faible densité de population.

M. le Président - Je vous remercie de votre présence et de votre témoignage.

Audition de M. Laurent SPANGHERO
Président de la Confédération des entreprises bétail et viande (CEBV)

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Spanghero, vous êtes président de la Confédération des entreprises bétail et viande (CEBV). Vous êtes auditionné dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales. Cette audition se fait sous serment. C'est pourquoi je vais être obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Spanghero.

M. le Président - Je vais dans un premier temps vous demander de parler du problème tel que vous le vivez. Ensuite, nous passerons la parole aux sénateurs afin qu'ils puissent vous poser des questions.

M. Laurent Spanghero - J'ai eu l'honneur de rencontrer Monsieur le Premier ministre hier pour lui exposer les difficultés que rencontre la filière. Je peux laisser à votre disposition quelques documents que je lui ai remis.

Les transformateurs et les abatteurs se trouvent au milieu de la filière bovine. Nous vivons une période que nous avions jamais vécu jusqu'alors. Je travaille dans ce secteur depuis trente ans. J'emploie 600 personnes. Aujourd'hui, nous enregistrons des baisses d'activité qui vont jusqu'à 70 %. Il est presque difficile d'imaginer avoir des baisses aussi brutales. Je pense que la période du 4, 5 et 6 novembre 2000 a été fatale pour la filière avec plusieurs étapes. La première fut la décision des maires de retirer la viande bovine des cantines. Cet événement fut extrêmement important. La deuxième étape dut peut-être l'émission diffusée sur M6. Ce programme fut en effet catastrophique d'autant plus que cette émission contenait beaucoup de contrevérités. Une troisième phase serait peut-être encore quelques paroles malheureuses déclarées par Madame le ministre de la Santé qui a affirmé qu'il y aurait quelques dizaines de morts. Tous ces éléments se sont additionnés et ont renforcé le sentiment de méfiance des consommateurs.

Il faut reconnaître qu'aujourd'hui les consommateurs n'ont plus confiance dans la viande. Au moins une personne sur deux est aujourd'hui très préoccupée par la qualité de la viande. Nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas consommer de boeuf tant que la situation reste ce qu'elle est aujourd'hui. Je pense que nous aurons beaucoup de difficultés à retrouver les volumes que nous avons connus auparavant. Nous aurons des difficultés à revenir à 80 ou 85 % de ce que nous avons connu antérieurement. Aujourd'hui, nous ne trouvons pas dans une crise de surproduction. Nous sommes dans une crise de consommation. La perte de la consommation est au minimum de 20 % sur les huit derniers mois. Ces pertes sont, bien entendu, dramatiques pour la filière.

Je souhaite vous rappeler que la filière viande représente 100 milliards de francs de chiffre d'affaires. Elle emploie 65 000 personnes. Si nous perdons 20 % de chiffre d'affaires, nous risquons de nous séparer de 20 % de notre personnel. L'aménagement du territoire est également en cause. Les 350 ou 400 entreprises qui représentent ce secteur sont réparties sur l'ensemble du territoire. Il y a 350 abattoirs et 1 400 marchands de bestiaux sans compter les éleveurs. Aujourd'hui, les acteurs de la filière les plus touchés ne sont pas paradoxalement les éleveurs puisque tant que ces derniers n'ont pas vendu ils ne savent quelle est l'ampleur de leurs pertes. En ce qui nous concerne, depuis le début de la crise, nous savons ce que nous perdons. Un de mes collègues perd entre 8 et 9 millions de francs par semaine. En ce qui me concerne, je perds entre 500 000 et 600 000 francs par semaine. Cette crise dure depuis sept semaines. Nous ne pouvons pas continuer ainsi.

J'ai donc expliqué au Premier ministre ces propos. Ce dernier n'avait peut-être pas appréhendé aussi largement l'ampleur de cette crise. Aujourd'hui, cette crise n'est plus seulement française. La France, à cet égard, semble avoir joué le rôle d'un pyromane puisque aujourd'hui cette crise s'est étendue à l'ensemble de l'Europe. Les baisses de consommation enregistrées en Italie ou en Espagne sont encore plus importantes que ce qu'elles ne sont en France. Nous avons quasiment perdu définitivement le marché grec alors qu'il s'agit d'un important marché.

Nous sommes extrêmement pessimistes. Nous savons qu'il va y avoir des solutions de stockage public et de la destruction de viande. Hier, Bruxelles a décidé de l'élimination de 500 000 tonnes de viande de la communauté. C'est donc un énorme gâchis.

Par ailleurs, le principe de précaution mis en place a, à certains égards, été poussé trop loin, selon moi. La France est le seul pays en Europe à avoir supprimé les ris de veau. Il paraît anodin de se focaliser sur ce seul morceau. C'est un produit noble qui fait partie de notre gastronomie. En supprimant les ris de veau, nous avons dévalorisé tout ce qui touche à la viande de veau. Les pertes sont aujourd'hui de 300 à 400 francs par animal. Or nous avons 1,9 million de veau en France. Sur un seul lot d'élevage de cinq mois, il en coûte 250 millions à la filière. Qui va payer cette somme ? Personne ne peut me répondre. C'est un énorme gâchis pour la seule raison que l'AFSSA a décidé d'appliquer le principe de précaution sachant que nous n'avons jamais trouvé de prion dans le ris de veau.

J'essaie en tant que président de la Confédération de plaider la cause de notre profession auprès des autorités publiques. Le ris de veau est quelque chose qui me tient à coeur. Personnellement, je suis producteur de 20 000 veaux par an. Le retrait des ris va me coûter entre 5 et 6 millions de francs pour une année pleine. Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'une entreprise puisse supporter une telle perte ?

Nous savons, depuis 1988, qu'il y avait des problèmes avec les farines. Au mois de juillet 1989, le ministre de l'Agriculture, Henri Nallet, avait tenté une première fois d'interdire les farines animales en provenance d'Angleterre. Il n'y était pas parvenu mais il avait néanmoins réussi à obtenir des dérogations. Les faines animales qui provenaient d'Angleterre en 1989 étaient uniquement autorisées pour l'alimentation des volailles et des porcs. Néanmoins, nous ne sommes pas certains de ce qu'ont fait ensuite les fabricants de farines.

En 1990, est appliquée l'interdiction totale des farines animales pour l'alimentation des bovins. A la date du 1er janvier 1993, naît le marché unique, c'est-à-dire la liberté de circulation des biens et des personnes. Les farines animales sont donc rentrées en France par des voies détournées. La Belgique a joué, dans cette affaire, le rôle d'une plaque tournante. C'est par conséquent entre 1993 et 1995 que l'on retrouve les animaux les plus infectés dans nos élevages. Avec certains de mes collègues, nous pensions qu'il ne faudrait pas introduire les animaux nés entre 1993 et 1995 dans la chaîne alimentaire. Dès le 1er janvier 2001, les animaux seront testés.

Au mois de mars 1996, lors de la première crise de la vache folle et de l'embargo, la fédération a porté plainte contre les fabricants d'aliments. Nous avons été entendu le 7 décembre 2000, soit quatre ans et demi après ! On nous dit que, compte tenu du surcroît de travail, il n'était pas possible de traiter le dossier plus rapidement. Il est inconcevable que la procédure ait été aussi longue.

A l'époque, je reste persuadé que cette catastrophe aurait pu être évité avec un peu plus de précaution. Aujourd'hui, a contrario, nous sommes peut-être allés trop loin dans le principe de précaution. En 1992 sachant qu'ils avaient une épidémie, les Anglais ont décidé de ne plus mettre sur le marché des viandes avec os. Ils ont alors désossé la viande chez eux. Ainsi, les importateurs de viande anglaise, dont je faisais partie, étaient dans l'obligation à partir de 1992 de n'importer que des viandes désossées qui ne convenaient pas à notre activité. A partir de ce moment-là, nous avons décidé d'arrêter d'acheter de la viande anglaise. C'est ce qu'ont fait également les Allemands. Aucun embargo n'a été établi entre l'Allemagne et l'Angleterre. Il y a eu un arrêt d'achat de facto qui équivalait à un embargo mais qui n'était pas officiel.

Les étapes de la crise sont essentielles. La déclaration d'Henri Nallet date de 1989. En 1992, les Anglais interdisent d'acheter de la viande avec os. En 1993, est lancé le Marché Unique. Toutes ces dates et événements concordent avec ce qui se passe aujourd'hui. Les farines animales sont manifestement en cause. Des malfaçons ont été faites dans la filière de production de farines. Les éleveurs et les transformateurs sont victimes de cette affaire.

M. le Rapporteur - Au sein de votre entreprise, les dernières mesures sanitaires imposées par les pouvoirs publics vous ont-elles posé des problèmes techniques ? Par ailleurs, que pouvez-vous nous dire sur l'utilisation de graisse dans la fabrication de viande hachée ?

M. Laurent Spanghero - Le retrait des matériaux à risque a été fait de façon sérieuse. Certes, la situation est certainement beaucoup plus compliquée dans un petit abattoir que dans un abattoir moyen ou grand. Les très gros abattoirs en France traitent 50 à 60 000 tonnes. Les abattoirs moyens traitent des volumes de 10 à 15 000 tonnes. Moins de 200 abattoirs font mois de 5 000 tonnes. Les petits abattoirs peuvent parfois poser problème dans la mesure où les contrôles vétérinaires ne peuvent être faits de façon aussi assidue qu'ils ne le sont dans les abattoirs moyens. Dans certains abattoirs, les vétérinaires sont vacataires. Ceci pose également le problème des abattoirs dérogataires. C'est le cas de 30 ou 40 abattoirs en France. Ces derniers ne sont pas aux normes sanitaires mais bénéficient d'une dérogation avant de pouvoir se soumettre aux normes en vigueur. De façon générale, je pense que les matériaux à risque ont été bien appréhendés. En revanche, dans les autres pays européens, la situation est différente. Les matériaux à risque n'y sont interdits que depuis quelques semaines. En Espagne, les contrôles ne sont pas effectués de façon aussi rigoureuse qu'en France.

Le steak haché est aujourd'hui mis au pilori. M6 en a d'ailleurs fait son cheval de bataille. Il faut absolument faire la différence entre le steak haché et les préparations à base de viande hachée. Le steak haché pur boeuf est un produit fait à partir de muscles. La graisse qu'il contient est entièrement naturelle. Les mélanges, quant à eux, sont faits à partir de muscles plus ou moins gras ce qui permet d'obtenir des teneur en matières grasses différentes. En revanche, il n'y a aucun ajout de graisses autres dans les steaks hachés consommés frais.

Concernant les préparations à base de viande dans lesquelles nous pouvons incorporer des matières d'origine végétale, la législation n'était pas suffisamment rigoureuse. Je ne dis pas que les produits qui entraient dans la composition de ces préparations n'étaient pas propres à la consommation. En revanche, je souhaite que nous soyons davantage rigoureux de telle sorte que les produits soient bien mieux identifiés. Dans les préparations hachés à base de viande, nous devons savoir quels sont les ingrédients qui entrent dans la composition en dehors de la viande de boeuf.

M. le Rapporteur - Concernant la préparation de steak haché, nous avons entendu parler, à une certaine époque, de la fabrication par extraction mécanique. Quel était le pourcentage éventuel de steak hachés fabriqués suivant ce procédé ?

M. Laurent Spanghero - Il s'agit de viande séparé mécaniquement (VSM). Ce procédé était utilisé à l'époque beaucoup plus fréquemment pour la volaille que pour le bovin. A partir d'os et de carcasses obtenus après désossage, il s'agissait de mettre les carcasses dans un appareil qui extrayait les protéines de viande. Nous obtenions ainsi une viande très fine. Cette viande séparé mécaniquement était ensuite incorporée dans les steaks hachés surgelés. En effet, elle ne pouvait être introduite dans les produits frais. Il est possible que quelques fabricants aient émis 5 à 10 % de ces VSM dans les steaks hachés. Cette pratique est aujourd'hui interdite.

M. le Rapporteur - De quand date cette interdiction ?

M. Laurent Spanghero - Je pense que la décision a été prise dans les années 1990 ou 1992. Néanmoins, je ne peux vous affirmer la date exacte. Aujourd'hui, deux groupes de travail réfléchissent sur le steak haché. Nous souhaitons davantage de clarté dans la fabrication du steak haché puisque c'est un produit noble. En effet, c'est un produit valorisant pour l'ensemble de la carcasse dans la mesure où peu de personnes consomment de la viande à bouillir ou de la viande à braiser. Le steak haché valorise ainsi ce type de morceaux. Nous avons cassé l'image du steak haché. Il a été dit qu'on avait trouvé des esquilles d'os dans le steak hache alors que c'est totalement faux.

M. le Rapporteur - Quelle proposition feriez-vous en matière de traçabilité sur le steak haché ?

M. Laurent Spanghero - Selon moi, il faut tout d'abord identifier l'origine du produit et savoir de quel animal il provient. Je crois que le Premier ministre va encore préciser, ce soir, comment nous allons renforcer l'étiquetage. Il s'agit de préciser la catégorie, l'origine, peut-être même le type racial. Il faut surtout que le steak haché ne soit fait qu'à partir du muscle. Il n'est pas possible d'incorporer dans un produit frais autre chose que de la viande de boeuf. La seule autorisation est le droit d'y incorporer 1 % de sel. La plupart des fabricants ne se servent pas de cette autorisation. Dans tous les cas, nous devons respecter un cahier des charges très précis mais transparent afin que tout le monde sache ce que nous devons respecter.

Le steak haché a également été mal considéré car les Anglais ont des habitudes que les Français n'ont pas. Les Anglais incorporaient de la cervelle de boeuf dans le steak haché. Cette cervelle a été le vecteur de la maladie en Angleterre. Jamais nous n'avons fait de tels mélanges en France. En revanche il est autorisé de mettre certains abats notamment du coeur de boeuf qui est un muscle dans la composition du steak. Il nécessaire de le dire. Nous sommes en faveur d'une plus grande transparence et clarté dans la traçabilité du steak haché.

M. le Président - En France, nous n'avons jamais rajouté d'abats de type cervelle dans le steak haché. Le confirmez-vous ?

M. Laurent Spanghero - En France, cela ne s'est jamais fait. Cette méthode de préparation relève d'une tradition culinaire britannique.

M. le Président - Dans les hamburgers, aucun rajout n'est opéré non plus.

M. Laurent Spanghero - Non, M. le Président. Dans le hamburger, les fabricants sont uniquement autorisés à ajouter des protéines d'origine végétale et quelques abats comme le coeur de boeuf. Je crois néanmoins qu'il faut bannir ces pratiques aujourd'hui afin que notre système soit davantage transparent. Moins il entrera d'ingrédients dans la composition d'un produit, plus il sera facile d'établir sa traçabilité. Je demande donc à ce que seule la viande de boeuf pur muscle entre dans la composition du steak haché.

M. Gérard César - Quel est votre point de vue pour relancer la consommation ? Vous avez fait un état des lieux de la situation passée. Aujourd'hui, pour redonner confiance aux consommateurs, que faut-il faire ?

Par rapport aux contrôles qui deviendront obligatoires à partir du 1er janvier 2001, disposons-nous en France des moyens pour exécuter et suivre ces contrôles avec toute l'efficacité requise ?

En outre, comment envisagez-vous la modification des appels d'offre sachant que, pour les grandes collectivités, il est nécessaire de faire des appels d'offres européens qui n'apportent pas la garantie de la traçabilité des produits ?

M. Laurent Spanghero - J'estime que la consommation ne peut que remonter car nous aurions grand peine à descendre plus bas. Hier, le Premier ministre nous a demandé notre opinion sur les tests. J'ai répondu qu'il s'agissait du dernier joker dont nous disposions et qu'il fallait s'empresser de l'utiliser. Il peut être utilisé comme un élément servant à restaurer la confiance du consommateur. Je regrette que les médias aient mal traduit le commentaire formulé par l'AFSSA hier. Ces médias ont affirmé qu'une fois de plus nous avions eu des animaux malades dans la chaîne alimentaire alors que c'est faux. Or le professeur Brugère-Picoux ainsi que d'autres spécialistes ont affirmé que le muscle n'était pas atteint. Par ailleurs, les tests sont un élément supplémentaire. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les contrôles soient accélérés.

De plus, nous devons absolument lever la suspicion sur le steak haché. C'est un élément capital. Il faut donc fournir des efforts importants, établir un cahier des charges draconien et communiquer afin de réellement relancer la confiance. Le steak haché est consommé par les enfants, par les vieillards et par des malades.

La troisième chose est que nous devons améliorer la qualité de nos produits. Nous ne pouvons pas obtenir de la bonne viande avec de vieux animaux. La bonne viande ne provient pas nécessairement d'un animal très jeune. Une viande est meilleure lorsqu'elle vient d'un animal de quatre ou cinq ans bien maturé. Nous devons revenir aux règles de base et aux fondamentaux de notre métier. Nous devons proposer à nos consommateurs des viandes de qualité. Il faut que les consommateurs retrouvent le plaisir de manger de la viande de boeuf.

A partir de ces trois éléments, il me semble que nous pourrons regagner la confiance des consommateurs. La traçabilité n'est pas suffisante pour le consommateur. Ce dernier veut savoir un certain nombre de choses. Il ne cherche pas à savoir si l'animal a été élevé par Monsieur Dupont ou Monsieur Dubois. En revanche, il souhaite savoir ce qu'elle a consommé, connaître son origine ainsi que d'autres éléments clairs et pratiques que le consommateur puisse comprendre facilement. Il serait alors nécessaire de simplifier la carte de l'animal et de l'expurger de tous ces numéros de référence d'abattoirs qui ne servent à rien. Il faut uniquement que le consommateur puisse identifier le produit.

Concernant les appels d'offre des collectivités, je serai assez sévère. Les collectivités ont amené la filière à proposer des viandes qui sont indignes de notre pays. Tout ce qui était le moins bon dans la filière viande partait en direction des hôpitaux et des écoles. Cette situation n'est pas acceptable. Pourquoi sommes-nous arrivés à cette situation déplorable ? C'est parce qu'on nous demandait des viandes toujours moins chères. Je l'ai dit aux maires. Il est nécessaire d'être sérieux. Nous ne pouvons pas offrir une viande de qualité à un prix très bas. Il est préférable de donner moins de viande par semaine mais de donner de bons produits. Il faut reconnaître que c'était les animaux les moins bien engraissés qui étaient donnés aux vieillards, aux malades, aux enfants et aux militaires.

Par conséquent, nous devrions peut-être préciser dans le cahier des charges que les viandes doivent venir de la région. Elles doivent être de telle qualité.

Enfin, ,je souhaite rappeler que dans une viande de qualité, il y a trois critères fondamentaux : l'âge, l'état d'engraissement et la maturation. Un fruit ou un fromage par mûrs ne sont pas bons à manger. La viande respecte la même loi. Je rappelle que la maturation est en fait le délai qu'il convient de respecter entre le moment de l'abattage et la consommation. Ce délai doit normalement être compris entre 12 et 14 jours. Ce délai n'est plus respecté aujourd'hui. Les bouchers respectaient même ce délai au-delà puisqu'ils laissaient maturer la viande jusqu'à 21 jours. Aujourd'hui, même l'artisan boucher actuel ne respecte plus ce délai.

M. le Président - Je crois qu'il est nécessaire de préciser ce point. Dans l'esprit du grand public, la qualité d'une viande est liée à sa fraîcheur. C'est faux. Il faut donc bien préciser ce que vous entendez par maturité. A la différence du poisson, la viande est meilleure si nous respectons un délai raisonnable entre l'abattage et la consommation.

M. Laurent Spanghero - Nous avons mis beaucoup de temps à convaincre les pouvoirs publics qu'il fallait mener des tests systématiques. Depuis un mois et demi, nous avons répété constamment au ministère de l'Agriculture, à la DGL et à la DPEI qu'il fallait accélérer les tests. Les tests ont été déclenchés, il y a à peine dix jours. Maintenant, en vingt jours nous devons faire ce que nous aurions pu réaliser en trois mois. Une course de vitesse est lancée d'ici le 2 janvier 2001. Heureusement, nous avons treize laboratoires agréés et trois ou quatre laboratoires privés en construction ainsi qu'une vingtaine de laboratoires privés qui sont susceptibles d'être agréés en quelques jours. Nous disposons également d'une partie du personnel préalablement formés pour réaliser les tests. Je pense que nous pourrons démarrer au 2 janvier. Cependant, il faudra que les entreprises vétérinaires comme les entreprises se mettent à jour pour que les contrôles se fassent efficacement.

Par ailleurs, les tests ont également un coût non négligeable. Verser 500 francs par animal est dérisoire. Nous abattons deux millions d'animaux en France tous les ans, voire davantage. Qui va payer ces pertes ? L'Europe versera 100 francs par animal, soit 15 euros. Il en manquera encore. La filière ne dispose pas des moyens d'investir dans les tests. Au-delà des problèmes de fonctionnement, il existe également un problème lié au coût.

M. le Président - Vous avez réclamé à cors et à cris des tests. Connaissez vous cependant leur limite ? N'est-ce pas un moyen de vous donner bonne confiance sans mesurer l'ampleur des risques ?

M. Laurent Spanghero - Dans la mesure où la période d'incubation de ce prion est de quatre ou cinq ans, le test ne pourra pas déceler le prion au tout début de la maladie. Toutefois, les scientifiques s'accordent sur le fait que le test est valable pour les animaux jeunes de moins de trente mois ou moins de 24 mois. Il y a aujourd'hui 2 pour mille animaux testés malades ou morts de mort naturelle. Lorsque nous allons rentrer dans le schéma de tests systématiques, les résultats vont être infimes. Nous allons ainsi encore éliminer un certain nombre d'animaux qui seraient aujourd'hui dans la chaîne alimentaire.

Nous allons également éliminer toutes les farines animales. J'avoue, à titre personnel, que c'est une hérésie de supprimer toutes ces protéines. Aujourd'hui, nous retirons tous les matériaux dits à risque pour tous les bovins même pour les animaux de moins de 30 mois. Les cervelles, les rates, les moelles épinières et les intestins sont systématiquement retirés y compris pour le veau. Aujourd'hui, le test et le retrait des matériaux à risque font que nous bénéficions d'une sécurité optimale sur nos produits.

M. Paul Blanc - Nous pouvons être assuré de la traçabilité de l'éleveur jusqu'à l'abattoir. Peut-on assurer cette traçabilité de l'abattoir jusqu'à l'étal du boucher ? Cette question est d'autant plus importante du fait qu'un boucher ne consomme pas une bête entière mais que les morceaux de l'animal sont disséminés chez les uns et les autres. Dans la mesure où les morceaux d'un même animal sont disséminés, pouvez-vous assurer qu'une traçabilité existe de l'abattoir à l'étal du boucher ?

M. Laurent Spanghero - Aujourd'hui, notre système de traçabilité, mis en place depuis deux ans et demi voire trois ans dans les entreprises, va jusqu'au steak et non pas uniquement jusqu'à la cuisse de l'animal. Aujourd'hui, nous sommes capables, à partir d'un steak, de savoir d'où vient l'animal. Je n'affirme pas que ce système de traçabilité est fiable à 100 % dans tout le pays. Néanmoins, nous pouvons nous féliciter d'avancées très significatives dans la mesure où nous sommes le pays en Europe le plus avancé dans ce domaine. Lorsque l'animal part en morceaux, il comporte au minimum huit étiquettes. Nous sommes en mesure de découper l'animal en huit morceaux. Dès le moment où il est dépecé en steak ou en rôtis, nous garantissons une traçabilité par lot. Cette dernière est parfaite. Je pense que nous ne devons pas avoir de doute sur la traçabilité. Nous sommes en avance dans ce domaine.

M. Paul Blanc - Ce type de mesures me paraît être un élément fondamental permettant de rétablir la confiance.

M. Laurent Spanghero - Vous avez tout à fait raison. Paradoxalement, parmi les 17 ou 18 000 bouchers existant en France, à peine un tiers d'entre eux, voire un quart ont une traçabilité alors que les supermarchés et les hypermarchés sont beaucoup mieux tracés. Nous ne pouvons pas livrer un kilogramme de viande dans un hypermarché sans traçabilité. En effet, dans ce cas, la barquette de viande nous serait renvoyée. Le boucher, quant à lui, vend sa viande.

M. Paul Blanc - Il y a quand même un effort à faire au niveau des détaillants.

M. Laurent Spanghero - C'est la raison pour laquelle j'ai précisé que la situation n'était pas parfaite partout. Aujourd'hui, les détaillants représentent 15 à 18 % de la masse de viande vendue en France. Toutefois, c'est avec ces derniers que nous rencontrons le plus de difficultés dans la mesure où ils sont plus indépendants.

M. Paul Blanc - C'est la raison pour laquelle je vous ai demandé si la traçabilité était applicable jusqu'à l'étal du boucher.

M. Laurent Spanghero - La possibilité de tracer les viandes existe. Toutefois, ceci dépend aussi de l'artisan boucher qui doit ensuite faire son travail.

M. Bernard Cazeau - Je crois que la traçabilité est véritablement essentielle. Vous parliez du cas du veau, il y a un instant. Avec le ministre de l'Agriculture, j'ai eu l'occasion, il y a trois jours de faire le tour des éleveurs de mon département, la Dordogne, en particulier pour les veaux de lait élevés sous la mère pour lesquels il y a une traçabilité très élevé depuis de nombreuses années. Contrairement à ce que vous disiez précédemment, lorsque l'on sait que c'est la viande de Monsieur Dupont qui se retrouve dans la boucherie de Monsieur Durand, la traçabilité est meilleure.

Dans cette filière, il n'y a pratiquement pas, au moins dans mon département, de diminution de vente de la viande. Comment peut-on suivre la traçabilité du steak haché industriel ? Par ailleurs, comment peut-on faire penser aux consommateurs que cette traçabilité est véritablement sans faille ? C'est, en effet, la confiance qui relancera la consommation. Je ne veux pas vous inquiéter outre mesure. Néanmoins, je me demande si le steak haché industriel continuera d'être acheté. Peut-être qu'à l'avenir les consommateurs tendront à hacher le steak par eux-mêmes. Peut-être que le steak haché est condamné à moins de ne parvenir à rétablir cette confiance. Je pense qu'il faut aller plus loin dans la traçabilité. Il ne suffit plus de dire si la viande vient d'Auvergne ou de Dordogne ou des Pyrénées. Mais les consommateurs veulent savoir d'où vient la viande.

M. Laurent Spanghero - Je souhaite ajouter quelques chose que peu de gens savent. Les Néo-zélandais sont certainement les meilleures entreprises du monde dans le domaine du mouton. Les Danois et les Hollandais sont sans doute les meilleures entreprises dans le domaine du porc. Les Français sont les meilleures entreprises du monde dans le domaine du boeuf. Je peux vous inviter un jour à visiter les entreprises qui produisent du steak haché. Vous serez étonné par les lieux. Je pense que vous êtes moins exigeants à l'égard de l'hôpital où vous vous faites soigner qu'ils ne le sont dans leurs usines. Je connais deux entreprises où l'on fabrique du steak haché dans lesquels avant de rentrer dans la salle de production il est nécessaire de se doucher.

Aujourd'hui, on jette le discrédit sur l'industrie de la viande. Or la fabrication est réellement faite dans des conditions optimales. L'artisan boucher ne fait pas mieux. Je ne dis pas non plus qu'il fait moins bien. Le steak haché est certes un produit fragile du moment où on hache beaucoup la viande. Il faut par conséquent que la viande soit fraîche. Le boucher fait encore du steak haché avec de la viande qui date de quatre ou cinq jours. Pour le steak haché industriel, la viande n'est conservée que pendant 24 heures. La viande est hachée et vendue immédiatement et mise sous emballage contrôlé. Sur le plan de la microbiologie et de l'hygiène, il n'y a rien à dire. En revanche, les entreprises souffrent de la mauvaise image de marque de l'industrie.

M. Bernard Cazeau - Je ne doute pas des conditions d'hygiène de ces usines. J'ai pour ma part visité plusieurs entreprises de ce type. En revanche, la plupart des consommateurs n'ont pas visité ces usines. Les consommateurs veulent une traçabilité et souhaitent peut-être connaître la traçabilité de Monsieur Dupont à Monsieur Durand.

M. Laurent Spanghero - Dans des situations de psychose comme c'est le cas aujourd'hui, la traçabilité de Dupont à Durand fonctionne. C'est pour cette raison que certains bouchers n'enregistrent que 5 à 15 % de baisse d'activité par rapport à la chute des ventes de 30 à 40 % que l'on enregistre dans les grandes surfaces.

La graduation des pertes de chiffre d'affaires suivant les lieux de vente est la suivante. La restauration hors foyer enregistre une baisse de 60 %. En hypermarchés, ce chiffre est de 45 à 50 %. En supermarché, la baisse est de l'ordre de 40 %. Dans les supérettes, les pertes sont de 30 %. Quant aux artisans bouchers, leurs pertes sont de l'ordre de 10 à 15 %. Paradoxalement, la restauration commerciale n'a enregistré qu'une baisse de l'ordre de 15 à 20 %. Un restaurant spécialisé comme Hippopotamus n'a perdu que 20 % de son chiffre d'affaires. Pourtant il ne vend que de la viande. C'est parce que les consommateurs font confiance à ce restaurant et à son mode d'approvisionnement. Autrement dit, il s'agit uniquement d'un problème de confiance et de suspicion.

M. le Président - Je vous remercie. Certes, les chiffres que vous nous avez fournis nous affolent tous et nous comprenons à quel point la profession ainsi que toute la chaîne agroalimentaire est touchée. C'est le cas en particulier de la profession que vous représentez. Je vous remercie de nous avoir consacré une partie de votre temps. Sachez que nous ferons le maximum pour vous apporter, à notre niveau, le plus de possibilités possibles.

M. Laurent Spanghero - M. le Président, j'ajouterai que je souhaiterais que vous preniez en compte notre demande dans la mesure où nous nous trouvons réellement en difficulté. Je ne souhaite pas que l'on raye de la carte des pans entiers de notre économie qui sont également des éléments de l'aménagement du territoire.

M. le Président - Nous sommes tous des élus de terrain. Par conséquent, nous avons tous un exemple de ce type dans notre département.

Audition de M. François TOULIS,
Président de la Fédération nationale de Coopératives bétail et viande (FNCBV)

(13 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Toulis, je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes président de la fédération nationale des Coopératives bétail et viande (FNCBV). Vous êtes entendu dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat. Dans ces commissions, les auditions sont faites sous serment. C'est pourquoi je vais être obligé de vous lire le texte rituel. Puis, je vous demanderai de bien vouloir jurer que vous direz toute la vérité, rien que la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Toulis.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous laisser la parole. Vous nous parlerez des conséquences entraînés par la consommation des farines animales et de la propagation de cette épidémie chez les bovins. Dans un second temps, je passerai la parole à mes collègues qui souhaiteront vous poser des questions.

M. François Toulis - Merci Monsieur le Président. Je vais commencer par me présenter plus précisément. Je m'appelle François Toulis. Je suis agriculteur dans l'Ariège et éleveur de bovins. C'est à ce titre que je préside ma coopérative «Synergie Bétail et Viande» qui s'occupe de la mise en marché et du conseil aux éleveurs ainsi que du suivi des éleveurs au niveau de la production sur les départements du sud-ouest. En tant que président de cette coopérative, je suis également président de la FNCBV qui regroupe environ 300 groupements de producteurs bovin, ovin et porcin sur l'ensemble de la France et 27 entreprises d'abattage à statut coopératif. Notre mission au niveau national est la défense de l'intérêt de nos adhérents. Nous entretenons beaucoup de relations avec les autres acteurs de la filière ainsi qu'avec les pouvoirs publics.

Pour nous, 1996 a été le début de la catastrophe pour l'ensemble de notre filière. En 1996, la crise se limitait au territoire de la Grande-Bretagne. C'est la raison pour laquelle ce pays avait rapidement été isolé. La France s'est ainsi trouvée dans une situation un peu protégée par rapport au reste de l'Europe puisque notre fédération comme l'ensemble de l'interprofession nationale avait décidé de mettre en place la traçabilité sur les produits pour que les consommateurs puissent disposer de l'ensemble de l'information sur les viandes VBF (Viande Bovine Française).

Nous travaillions déjà depuis quelques temps au niveau de l'interprofession sur l'identification de la viande française, identification qui n'était pas toujours bien vue au niveau communautaire car elle était considérée comme une mesure protectionniste par rapport aux autres pays. Lorsque la crise a démarré, nous travaillions depuis quelques jours sur la recherche de logos. Lorsque la crise a démarré en 1996, devant l'urgence de la situation, nous nous sommes mis d'accord sur ces points de détail en dépit de nos quelques désaccords. Ces mesures nous ont ainsi permis d'isoler la France. Malheureusement, nous ne pouvions nous douter de ce qui allait se passer par la suite. En effet, les événements de l'année 2000 sont beaucoup plus dramatiques pour nous puisque cette fois ci la crise s'est étendue à l'hexagone et la consommation a dramatiquement chuté.

Au niveau professionnel, nous déplorons que les mesures communautaires n'aient pas été prises plus tôt. Il a fallu que nous soyons en pleine crise pour que soit décidé notamment l'étiquetage des viandes. J'avais été entendu par la commission d'enquête de l'Assemblée Nationale. La famille professionnelle s'était plaint du fait que Bruxelles repoussait les mesures portant sur l'étiquetage à l'année 2001. ce retard nous a énormément nui. Aujourd'hui, les viandes identifiées, à savoir les viandes sous label ou sous signe officiel de qualité, bénéficiant d'une certification d'un organisme tiers et d'un contrôle de l'Etat et de la DGCCRF, sont les seules viandes que nous sommes parvenu à vendre ces jours-ci sans une chute trop importante des cours. Ceci me semble être important car il faut aller plus loin, à mon sens, dans l'identification et la traçabilité des produits. Il faut aller dans ce sens afin de restaurer la confiance et d'assurer un suivi rigoureux.

Malheureusement, les événements récents ont été irrationnels. Dans un abattoir de notre groupe, la SOVIBA, un cas d'ESB a été décelé. Pourtant, cet établissement avait mis en place des mesures de traçabilité jusque dans le magasin au point d'installer une borne de contrôle où le consommateur pouvait retrouver l'origine de l'animal. Ce cas prouve que les organismes de contrôle ont correctement fonctionné. Malheureusement, cet événement s'est retourné contre nous puisque les conférences de presse qui ont suivi ont eu un effet désastreux.

M. le Président - Pouvez-vous nous rappeler l'événement que vous évoquez ?

M. François Toulis - Depuis que la crise a redémarré, nous faisons subir un contrôle des animaux avant l'abattage. Les vétérinaires contrôle les animaux en bouverie. Un animal a été incorporé dans une bouverie et a été détecté positif par le vétérinaire inspecteur. Cet animal présentait des signes particuliers de faiblesse. Il a isolé l'animal et l'a testé. Cet animal n'est pas rentré dans la chaîne alimentaire. Effectivement, il s'est avéré positif au contrôle du test. Nous testons, depuis le mois de juillet 2000, soit des animaux morts en exploitation, soit des animaux à risque détectés par des signes cliniques. Cet animal est ressorti positif et a été isolé. Néanmoins aux yeux de la presse et du grand public, il a été dit qu'un animal malade était entré dans la chaîne alimentaire. Quelques-uns de ses compagnons d'étable avaient été tués cinq ou six jours avant et étaient entrés dans le circuit après avoir passé le contrôle. Par mesure de précaution et après discussion avec les services vétérinaires et la DGAL, nous avons décidé de rechercher cette viande. Nous avons pu grâce au système de traçabilité rechercher cette viande jusque chez les distributeurs. Pourtant ces animaux n'étaient pas atteints. Dans l'état actuel des connaissances, le muscle n'est pas contaminant et les matériaux à risque sont enlevés. Néanmoins, c'est cet événement qui a déclenché la crise que nous vivons actuellement et la médiatisation qui a été faite autour. C'est cette médiatisation qui a contribué à l'écroulement de toute notre filière.

J'ai rencontré Laurent Spanghero. Je suppose que celui-ci a dû tenir le même discours que le mien. Nous enregistrons une baisse de 50 % de notre activité. Notre filière s'est écroulée au niveau économique. Nous ne savons pas non plus combien de temps sera nécessaire pour sortir de cette crise. Je crois que la France avait pris une bonne décision en prenant des mesures très sécuritaires en décidant de mener 40 000 tests. La France a mis en place cette mécanique rigoureuse. Aujourd'hui, nous en payons le tribut alors que nous recensons uniquement 200 cas de vaches malades. Rappelez-vous que l'Angleterre compte 180 000 cas. Elle en déclare 34 par semaine. En France, nous faisons des contrôles et nous testons notre bétail beaucoup plus que dans d'autres pays.

Même si nous ne connaissons pas tout. Nous savons que les farines animales ont été un élément propagateur de la maladie. Toutefois, la maladie ne vient pas des farines animales. Les farines animales ont certes permis la propagation de la maladie. Cependant, l'origine de la maladie ne vient pas des farines. De plus, nous ne connaissons pas aujourd'hui tous les modes de transmission de la maladie. Des cas nous posent question. Dans certaines régions ou dans certaines exploitations, nous n'arrivons pas à comprendre l'origine de la maladie si nous ne remettons pas en cause la bonne foi de l'exploitant.

Nous ne comprenons pas non plus les mesures d'abattage systématique de tout le troupeau. Par mesure de sécurité, nous pouvons décider de tuer tous les animaux. Toutefois, l'abattage systématique nous enlève le suivi des animaux et l'étude de la fratrie de l'animal malade. Peut-être que cette position sera revue par les pouvoirs publics français. Peut-être que lorsque nous mettrons en place le test systématique, nous ne courrons plus le risque de laisser passer un animal malade. Cette mesure nous permettra peut-être de laisser vivre les autres animaux du troupeau et nous permettra d'analyser d'où vient la maladie et comment elle peut être transmise.

Certes, des vaches laitières sont contrôlées positives. Ces animaux sont élevés de façon plus intensive. Nous avons également des cas sur des vaches allaitantes y compris dans ma région sur une vache limousine dans l'Aveyron. Des anciens exploitants affirment qu'autrefois ils voyaient également des vaches trembler. Toutefois, le suivi n'était pas le même. Il est évident que l'alimentation a été un vecteur de propagation de la maladie. Toutefois, nous ne connaissons pas l'origine exacte du mal. De plus, le risque zéro n'existe pas.

Je pense que très peu d'agriculteurs ne donnent aucun complémentaire. Dans la mesure où les farines de viande sont interdites depuis 1990, elles ne doivent plus être donnés. Mais il existe d'autres aliments complémentaires. En effet, très peu d'exploitants ne donnent que de l'herbe, de la luzerne et du foin à leur bétail. Nous réalisons 99 % de l'alimentation avec notre ensilage de maïs et de la paille. Toutefois, une alimentation complémentaire de tourteau et de minéraux est également donnée. Quand une ration complémentaire est construite, il y a toujours un peu d'aliments en plus utilisés pour faire le lien entre les tourteaux et les minéraux. Ces éléments supplémentaires sont issus des céréales. Nous avons la crainte, compte tenu des contaminations croisées, qu'usine d'aliment mélange les aliments bovin et avicole. Il était concevable qu'une telle contamination soit possible. Toutefois, nous ne savons pas si une telle contamination croisée était suffisante. Nous avons donc de nombreuses incertitudes.

D'autres éléments nous inquiètent également. Normalement, depuis 1996, les farines sont traitées correctement. Dans les faits, elles l'ont peut-être été qu'à partir de 1998. Même dans l'hypothèse d'une contamination croisée d'aliments, ce ne sont que des aliments sains qui auraient dû se croiser. Les matériaux à risque ont été retirés. Les nouvelles normes ont été respectées. Par conséquent, il n'aurait pas dû y avoir de problèmes. Je ne peux vous en dire plus. Tout comme vous, je me pose des questions. Je me demande si seules les farines de viande sont responsables de cette épidémie.

Aux yeux des scientifiques, il semble clair que les farines ont propagé le mal. En revanche, l'origine de la maladie n'est pas encore clairement définie.

Dans notre filière, notre travail est de commercialiser les animaux. Nous représentons le premier maillon de la chaîne puisque nous les collectons dans les fermes. Puis, nous les livrons soit à l'abattoir soit à l'élevage pour être vendu ou exporté. Nos coopératives abattent et transforment le produit. Notre fédération a été pionnière sur la traçabilité et sur la demande de l'étiquetage des viandes. Nous espérons désormais qu'un suivi se mettra en place au niveau de toute l'Europe.

Certaines choses nous restent en travers de la gorge. Il y a encore quelques semaines, nous interdisions l'ensemble des farines animales en France. Cependant, il n'était pas interdit d'acheter du porc hollandais qui avait consommé des farines animales. Il existe des incohérences qu'il est nécessaire de régler au niveau européen. Le déclenchement de la nouvelle crise aura au moins eu le bénéfice de faire avancer la réglementation communautaire puisque toute l'Europe applique désormais la même réglementation.

A mon sens, je ne suis pas sûr que l'interdiction des farines ait été une bonne chose pour tous les animaux. Dans un lycée agricole, le responsable de l'établissement faisait en sorte que tous les déchets de la cantine aillent nourrir une portée de cochons. Or on lui interdit désormais de le faire. Les morceaux de viande que les enfants laissent dans leurs assiettes ne peut être donné aux cochons ! J'ai l'impression que l'on marche sur la tête. Nous prenons parfois des mesures trop extrêmes. Certes, sous la pression de l'opinion publique, les responsables politiques sont dans l'obligation de prendre certaines mesures. Je regrette néanmoins que nous en arrivions à prendre des mesures extrêmes qui nous posent de sérieux problèmes à nous tous. En effet, il faut aussi traiter tous les sous-produits. Cette destruction induit un coût non négligeable. C'est aussi une perte pour notre filière puisque ces produits étaient auparavant recyclés. Nous ne pouvons même plus en donner aux chiens et aux chats. Or devant une telle crise, nous devrions plutôt garder la tête froide et ne pas en être réduit à prendre des mesures ridicules. Des tests ont été faits sur des volailles et sur des porcs pour leur faire ingurgiter de force de la viande contaminée. Or je crois que les scientifiques n'ont jamais réussi à le faire. Certes, ils ont réussi à contaminer le cochon en lui inoculant directement le prion au niveau cérébral. En revanche, ces tests n'ont jamais fonctionné sur la poule. C'est pourquoi, à mon sentiment ces mesures sont trop extrêmes.

M. le Rapporteur - Quelle est votre approche sur la généralisation des tests systématiques de dépistage ? Avez-vous reçu des assurances sur la prise en charge de ces tests ?

M. François Toulis - Notre approche est claire. Nous voulons les tests le plus rapidement possible. Nous souhaitons que vous nous aidiez à ce que ces tests soient opérationnels dès le 26 décembre. C'est possible et il faut le faire. A partir du 1er janvier 2001, comme l'a décidé la Commission européenne hier, les viandes de plus de 30 mois non testées seront interdites à la consommation. Par conséquent, tous les animaux que nous élevons risquent d'être perdu s'ils ne sont pas testés, que ces animaux bénéficient d'un label ou non. Le fleuron des vaches françaises sera perdu à partir du 1er janvier si les animaux ne sont pas testés. Nous ne pourrons consommer que des vaches de moins de 30 mois. Cette décision est irraisonnée. Les animaux élevés dans les meilleures conditions possibles bénéficiant de labels et respectant de stricts cahiers des charges seront perdus. J'ai expliqué encore aujourd'hui à Mme Geslain-Lanéelle, directrice de la DGAL qu'il fallait qu'elle mette tout en oeuvre pour que les tests commencent dès le 26 décembre au moins sur une partie du cheptel en particulier sur les animaux de qualité.

Si nous souhaitons que les viandes soient consommables dès janvier, il faut entreprendre les tests dès le 26 décembre. De surcroît, il y a déjà un moment que nous demandons les tests. Nous ne comprenions pas pourquoi les pouvoirs publics français n'avançaient pas plus vite. Nous comprenions leur sérieux et l'importance qu'ils accordaient au fait que tout soit bien en ordre. Néanmoins, nous avions pris conscience depuis déjà quelques mois de la nécessité d'avancer sur ces tests. Je pense que nous ne pourrons sécuriser le consommateur qu'en prenant de telles mesures.

Aujourd'hui, entre les entreprises privées qui sont équipées pour réaliser ces tests, plus les 13 laboratoires agréés par la DGAL au niveau national, en mettant les bouchées doubles, nous devons pouvoir tester en priorité les animaux sous signe officiel de qualité et les animaux de race à viande. Si nous devons perdre des animaux, il est préférable de perdre la viande de vieilles vaches laitières que de jeter une bonne bête à viande.

Par ailleurs, nous souhaiterions évidemment que le coût des tests soit pris en charge. Néanmoins, nous ne savons plus où nous en sommes. Nous enregistrons une baisse de notre activité de 50 %. Nos entreprises sont sens dessus dessous. Aucune des mesures gouvernementales ne est mise en oeuvre. Je ne dis pas qu'on ne travaille pas à leur mise en oeuvre. Nous vivons notre huitième semaine de crise. Malheureusement, aucune mesure n'est mise en oeuvre. Toutes les avances de trésorerie prévues par le gouvernement et toutes les aides au dégagement ne sont pas mises en oeuvre. En attendant que les pouvoirs publics honorent leurs engagements, ce sont nos entreprises qui prennent en charge ces frais. Je pense que cette crise n'est pas uniquement le fait de notre secteur. Cette crise est globale. Dans la mesure où elle menace la santé publique, il est normal que la collectivité nous aide à surmonter la crise. Il faut bien évidemment que les coûts des tests soient pris en charge. Il faudra également trouver une solution à l'évacuation et la destruction de tous les produits en cause. Des millions de francs sont ici en jeu. Avec quoi allons-nous payer ? La taxe sur l'équarrissage de 850 millions de francs n'est pas suffisante. Comme je le précisais précédemment, je pense que nous aurions pu consommer une partie de ces viandes condamnées.

M. Paul Blanc - Ne pensez-vous pas, ne serait-ce que sur un plan scientifique, qu'il serait intéressant de faire un test systématique sur l'ensemble du troupeau lorsqu'une bête malade a été décelée ?

M. François Toulis - Cette mesure a été entreprise une ou deux fois. Dans un cas, il y a eu une pression forte des organisations syndicales devant la destruction massive du troupeau de l'exploitant. Il a alors été décidé de tout tester. Ces tests n'ont rien donné de plus.

M. Paul Blanc - Je pense qu'une telle mesure pourrait être intéressant du point de vue scientifique.

M. le Président - L'animal testé est mort.

M. Paul Blanc - Je veux dire qu'avant d'abattre tout le troupeau il serait bon de pratiquer des tests afin de savoir si d'autres animaux sont malades. Pensez-vous que la pratique systématique de ces tests pourrait être intéressant ?

M. François Toulis - Oui. Aujourd'hui, avec la nouvelle procédure, je pense que nous serons dans l'obligation de tout tester. A ma connaissance, les tests ont une sensibilité qui permet de détecter les animaux en phase clinique, c'est-à-dire en phase terminale. Par conséquent, ces tests ne permettent pas de remonter suffisamment loin. Ainsi, les tests peuvent laisser passer des animaux porteurs sains.

M. le Rapporteur - A cet égard, allez-vous communiquer avec le consommateur ? La généralisation des tests a pour but de rassurer le consommateur. Mais il est nécessaire de leur dire toute la vérité. Par conséquent, il faudrait dire aux consommateurs que ces tests ne détectent la maladie que dans les six derniers mois.

M. François Toulis - Il faudrait aussi peut-être passer à un test dont on dit que la sensibilité est 30 fois supérieure à celle de Prionics. Il serait nécessaire de choisir le test le plus sensible. J'ai compris deux choses. Quand les animaux sont jeunes, le temps qu'ils aient une dose suffisante dans l'organisme, il s'écoule une certaine période de leur vie. Des discussions scientifiques divergent entre 24 et 30 mois. La période d'incubation ne semble pas encore complètement déterminée. Après l'abattage de l'animal, un test peut permettre de revenir plus ou moins proche de cette période. Les scientifiques qui ont mis au point Bio-Rad disent que la sensibilité du test arrive à la liaison. Si c'est vrai, alors il faut employer ce dernier test afin de pouvoir balayer les risques à 98 %.

Pour rassurer les consommateurs, le plus important est de rappeler deux choses : le muscle n'est pas contaminant et l'on enlève les matériaux à risque. Il faut donc finir de régler le problème de la souillure qu'on peut avoir du muscle par la fente de la colonne vertébrale. En effet, c'est dans le cerveau et dans la moelle épinière que se situe le danger. C'est la première protection. Le test constitue une couverture supplémentaire. Ainsi, nous serons certains de retirer tous les animaux en phase clinique qui sont à ce stade le plus infectant. On resserre ainsi l'étau. néanmoins, le risque zéro existe-t-il ? L'objectif est de rassurer les consommateurs. D'ailleurs, les gens meurent plus fréquemment de salmonelle et de listériose que de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. Georges Gruillot - Jusqu'à aujourd'hui, on admet dans la quasi totalité des cas que la contamination vient des farines animales. Or il n'est pas totalement exclu qu'il y ait également d'autres formes de transmission. J'ai été donc intéressé par votre exemple de la vache limousine de l'Aveyron. Quel âge avait cette bête ? Était-elle née sur cette exploitation ? A-t-on véritablement analysé son alimentation ? Avait-elle consommé des farines de viande ? Si la réponse est positive, quand en avait-elle consommé ?

M. François Toulis - Je ne peux pas vous répondre précisément sur ces points car je ne dispose pas de données précises sur cette bête et sur l'élevage. Je sais uniquement qu'il s'agissait d'une vache limousine d'un élevage sous label.

M. Georges Gruillot - Avait-elle consommé des farines ?

M. François Toulis - L'exploitant n'a pas donné de farines de viande. L'autre question est de savoir si la poudre de lait n'est pas en cause. Ce n'est pas le lait en lui-même qui serait en cause puisqu'il n'est pas contaminant. Les farines d'os et les suifs mis dans la composition de la poudre de lait peuvent aussi être un contaminant.

M. Georges Gruillot - En règle générale, les poudres de lait sont peu données au veau des vaches limousine.

M. François Toulis - En général ce n'est pas le cas. Il y a peut-être 9 chances sur 10 pour que ce ne soit pas le cas. Cependant, peut-être qu'il y a eu un cas particulier où l'exploitant a donné du lait reconstitué. Quel est l'élevage même allaitant qui ne dispose pas d'un sac de lait pour faire téter deux veaux que la vache ne peut pas nourrir. Quel est l'exploitant qui n'a jamais donné une poignée de complémentaire ? Je ne peux pas vous apporter une réponse précise sur cet animal en particulier. Je dis que, dans 98 % des exploitations, il y a pu y avoir un peu de complémentaire ou de poudre de lait.

M. Jean Bernard - Nous avons également entendu parler d'une contagion tellurique. En effet, les farines de viande existent depuis fort longtemps. Les anciens équarrissages traitaient les carcasses et les utilisaient comme engrais. Les scientifiques que nous avons auditionnés ont évoqué la possibilité de transmission par le sol. Le cas que vous évoquez soulève évidemment de nombreuses questions dans la mesure où cet animal ne semble pas avoir été en contact avec les farines.

M. François Toulis - Si l'hypothèse que vous évoquez était réellement possible, je pense que la maladie se serait propagée beaucoup plus rapidement. En effet, de l'engrais se trouve un peu partout. Certes, nous ne pouvons encore affirmer avec certitude que la transmission par les engrais est impossible. Cependant, si tel était le cas, je pense que nous recenserions beaucoup plus d'animaux malades. Cette hypothèse me semble peu probable.

M. le Président - Dans l'ensemble de vos coopératives, vous faites également de la transformation de viande. Par exemple, vous fabriquez également du steak haché. Pour vous, comment est fait le steak haché ? A partir de quels ingrédients ? Assurez-vous une certaine traçabilité dans vos steaks hachés ?

M. François Toulis - A partir du moment où le cahier des charges est respecté, le steak haché doit être fabriqué avec du muscle. De plus, le steak haché français est bon par rapport à ce qui peut se faire ailleurs. Cependant, vous ne pouvez pas empêcher que certaines personnes n'aient pas tout à fait tout le sérieux professionnel requis. A ma connaissance, nos entreprises respectent les règles établies dans ce domaine. Il est certain que dans ce produit il est plus facile de mélanger d'autres produits. Avant d'enlever tous les matériaux à risque spécifique, les précautions n'étaient pas les mêmes.

M. le Président - Aujourd'hui, quelles sont les origines de viande permettant de faire le steak haché ?

M. François Toulis - Le steak haché ne pose pas un problème au niveau de la dangerosité du produit. C'est au niveau de la traçabilité. Plus vous avez une unité industrielle importante, plus vous avez des mélanges. Si l'artisan boucher hache la viande devant vous, à condition que son hachoir respecte les conditions d'hygiène, vous savez quels morceaux de viande est à l'origine de ce steak. Dans les usines, les volumes sont différents. Les usines que nous trouvons aujourd'hui en France sont des usines laboratoires. Dans ces usines, des conditions strictes d'hygiène sont respectées. Pour avoir une traçabilité sur le steak hache, il va falloir surenchérir le coût. C'est un des produits que nous ne tracions pas dans la filière par rapport à l'origine de la bête car c'est très compliqué à réaliser. Il va falloir faire des petits lots de bêtes destinés à faire du steak haché puis arrêter et passer à un autre lot. Toutes ces mesures sont faisables. Nous continuerons d'avancer dans ce sens. Certes, c'est plus difficile à traiter que des céréales puisqu'il s'agit de morceaux de viande mélangée. Néanmoins cette traçabilité se fera. Je vous signale que, par rapport à l'abattage sous test qui va démarrer au mois de janvier, on va faire des séries d'abattage par lot de façon à ce que si un sujet réagit nous puissions éliminer tous les abats non identifiés du lot.

M. Paul Blanc - On entend beaucoup parler de traçabilité. Connaît-on la traçabilité des farines ? Savez-vous d'où elles viennent ?

M. François Toulis - Il ne faut pas me le demander. Je suis simple utilisateur. On me livre un sac de farines avec une formule. J'ai discuté ma formule quoiqu'il faut être exploitant d'une certaine taille et avoir un certain poids économique sur le fournisseur pour pouvoir obtenir du fabricant la formule. Nous sommes en GAEC et nous disposons d'un grand élevage. Par conséquent, s'ils souhaitent que nous restions leurs clients, ils ont tout intérêt à nous donner la formule. En revanche, ils me garantissent que j'ai des tourteaux et des minéraux et du maïs-grain. Toutefois, je ne connais pas le procédé de fabrication.

M. Paul Blanc - Par conséquent, vous ne disposez pas de la traçabilité des farines.

M. François Toulis - Sur de grosses exploitations, il est encore possible de refaire des analyses pour vérifier la composition. Nous n'effectuons pas ces tests pour vérifier l'alimentation mais pour vérifier le taux de matière azotée et les taux de tourteaux que nous commandons.

M. le Rapporteur - Avez-vous reçu des assurances de la part des pouvoirs publics concernant la prise en charge financière pour l'abattage des animaux de plus de 30 mois qui n'entreront pas dans la chaîne alimentaire ?

M. François Toulis - La Communauté européenne a pris un engagement hier.

M. le Rapporteur - A quelle hauteur se fera cet engagement ? Il y a quelques temps, la Communauté parlait de prendre en charge 70 ou 80 % des frais sans cependant préciser sur quelle assiette.

M. François Toulis - J'ai un document un anglais si vous souhaitez l'obtenir. Nous l'avons reçu ce matin. Deux décisions ont été prises par la Commission. Nous disposons du règlement de la Commission. Nous avons un autre document stipulant que l'on nous reprendrait le prix d'achat des animaux en tenant compte de la valeur par rapport à la qualification. Il nous faut savoir quelle valeur la Commission va accorder à ces animaux. Certes, nous ne nous faisons pas beaucoup d'illusion par rapport à ce qui s'est déjà passé en Grande-Bretagne. Une partie va être payée par la Commission. Une autre partie va être payé par l'Etat français. Apparemment, le partage sera de 70 % pour la Commission et 30 % pour la France. La destruction des animaux reste encore à la charge de l'Etat. Les chiffres qui sont donnés concernent l'achat des animaux par la Commission. Vous pouvez si vous le souhaitez faire une copie de ce document. Pour une vieille vache frisonne laitière qui arrive en fin de carrière, je suis certain qu'ils nous accorderont tout au plus 4 000 francs. Cette vache sera amortie. Par conséquent, ce n'est pas sur ce type de vache que ce sera difficile pour nous. En revanche, pour des vaches allaitantes ou pour des vaches sous label que nous vendions 10 000 francs, la perte risque s'être douloureuse.

M. le Rapporteur - Suite à la crise de l'ESB, allez-vous réfléchir à une nouvelle approche de votre mode de contractualisation avec la grande distribution.

M. François Toulis - Nous plaidons pour une révision de notre contractualisation. Nous demandons aux pouvoirs publics qu'ils utilisent l'enveloppe de flexibilité. Lors de la réforme de l'OCM (organisation commune des marchés) de viande bovine à Bruxelles, il existait des aides à la vache allaitante et des aides au bovin mâle. Une partie de cette enveloppe a été laissée à discrétion des États membres pour distribuer un complément de primes. Nous avons demandé au ministre, qui nous a d'ailleurs donné un accord sur le principe sans pour autant mettre ce principe en application, que nous aurions une aide pour les animaux sous signe officiel de qualité, c'est-à-dire pour les animaux sous cahier des charges. Concernant les vaches allaitantes, il existe de grosses différences entre des charolaises ou des limousines élevées naturellement. Lorsque vous les mettez sous signe officiel de qualité, en tant qu'exploitant, vous signez un cahier des charges alimentaire. Vous êtes sous contrôle d'un organisme certificateur. Vous êtes sous contrôle de la DGCCRF. Vous êtes donc obligés de suivre un protocole. Ces animaux sont ceux qui ont résisté le mieux à la crise.

M. le Rapporteur - Avez-vous une idée du montant de cette enveloppe de flexibilité pour la France ?

M. François Toulis - Je ne l'ai pas en mémoire.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous la faire parvenir rapidement ?

M. François Toulis - Oui. Cette enveloppe peut permettre d'accorder une surprime aux animaux sous signe officiel de qualité. Cette prime inciterait les producteurs à entrer dans ce schéma et d'accorder davantage d'attention à la qualité des produits. Par exemple, dans notre région Midi-Pyrénées, nous avons demandé que dans le cadre du contrat de plan nous ayons avec l'objectif 2 au niveau de Bruxelles des aides pour le reste de la filière c'est-à-dire aussi bien au niveau du boucher que du chevillard. Nous avons demandé ceci avant que ne survienne cette crise. Quand on dispose d'un circuit label, le boucher ne peut distribuer que de la viande label. Lorsqu'une grande surface installe un rayon label, il faut que nous suivions toute la chaîne et la grande surface ne peut distribuer d'autres produits que du label. Nous risquons donc de tourner en rond si nous ne disposons pas suffisamment de production label. Des crédits venant de ce contrat de plan ou de l'enveloppe de flexibilité peuvent aider la filière à aller dans ce sens. Nous avons également demandé que les CTE soient allégés ou simplifiés pour inciter les exploitants à se tourner vers les schémas qualité avec une ou deux mesures économiques liées à l'identification-qualité du produit ainsi qu'une ou deux mesures environnementales simples. Aujourd'hui, le système CTE est trop complexe. Le ministre pensait disposer de 50 000 CTE alors que nous ne disposons de rien. Nous souhaiterions plutôt avancer vers des schémas simples.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas évoqué la notion de propriété du cahier des charges. Je sais que c'est un sujet relativement conflictuel. Personnellement, je trouve assez éhonté que la grande distribution veule se l'approprier.

M. François Toulis - Il ne faut surtout pas laisser faire cela.

M. le Rapporteur - Je trouve que la profession ne s'est pas peut-être suffisamment battue dans ce sens. Je le dis clairement. Le jour où vous abandonnerez cette propriété du cahier des charges, vous aurez encore perdu une marge de valeur ajoutée.

M. François Toulis - Nous nous sommes quand même battu car la CNLC (Commission Nationale des Labels) a bloqué sur ce point. Heureusement, les pouvoirs publics nous ont suivi. Les labels sont propriétés de l'Etat. Ils n'appartiennent pas à un distributeur. Il faut garder la propriété des marques certifiées au niveau des groupements qualité et ne pas le laisser à une enseigne. Tout ce que vous pourrez faire dans ce sens sera le bienvenu. Les distributeurs ne cessent de se concentrer. Il ne reste plus que cinq grandes enseignes de distribution aujourd'hui. Ils risquent encore de continuer leur course à la grandeur au niveau européen. Nous n'en aurons alors plus que cinq au niveau européen. Le rapport de force devient complètement disproportionné par rapport à la production ou aux outils d'abattage. Ils affirment pressurer les prix pour le bien du consommateur. Cependant vue la part des dépenses alimentaires dans le budget familial, il serait préférable de privilégier la qualité. Nous demandons à élever des animaux plus naturellement et de façon moins intensive. Mais force est de constater que nous sommes pressurés. Ces excès doivent cesser. Les assises de l'alimentation que le Premier ministre a présidées et le colloque sur les régulations économiques peuvent nous aider à réguler sans pour autant tout régenter.

M. le Président - Je pense que nous avons fait le tour du problème en ce qui vous concerne. Je vous remercie des informations que vous nous avez apportées. Sachez de plus que vous pouvez aussi compter sur nous pour vous aider à faire avancer un certain nombre de sujets que vous nous avez signalés. Nous ferons le maximum. Je vous remercie.

Audition de M. Georges ROBIN, Président de la Fédération nationale
des Industries de Corps gras (FNCG)

(20 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur le Président, merci d'avoir répondu à notre invitation. A partir d'aujourd'hui, nos auditions -comme vous en avez été informé- seront retransmises en direct sur la chaîne du Sénat.

Vous êtes entendu dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales. Nous sommes avec mes collègues là pour vous écouter, mais nous vous remercions d'avoir répondu spontanément à notre invitation.

Vous êtes accompagné, comme vous l'avez signalé par écrit, par M. Barsac, Secrétaire général de la FNSG. Vous êtes vous-même le Président de la Fédération nationale des industries de corps gras.

Notre commission -comme toutes les commissions d'enquête parlementaires- se réunit sous serment. Je suis donc obligé de vous lire le texte prévu à cet effet.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Robin et Barsac.

M. le Président - Merci, Monsieur le Président. Si vous le voulez bien, je vais dans un premier temps vous passer la parole puis, mes collègues et moi-même, nous vous poserons les questions qui nous semblent utiles pour éclairer notre commission d'enquête.

M. Georges Robin - Je suis à votre disposition.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, comme vous l'avez constaté, je suis Président de la Fédération Nationale des Industries de Corps Gras depuis 1994 et j'ai fait toute ma carrière dans les corps gras.

La Fédération Nationale des Industries de Corps Gras regroupe différentes organisations professionnelles ou utilisatrices, parfois historiquement, des corps gras végétaux ou animaux :

Le Syndicat Général des Fabricants d'Huiles et de Tourteaux de France.

Il s'agit de l'industrie de transformation des graines oléagineuses, avec les activités de trituration (production d'huiles brutes et de tourteaux), de raffinage et de conditionnement, soit une transformation annuelle de près de 3 millions de tonnes de graines oléagineuses (colza, tournesol et soja), avec une production de tourteaux de 1,5 million de tonnes, d'huiles brutes de 1,1 tonne et d'huiles raffinées de 600 000 tonnes.

La Fédération de l'Industrie et du Commerce de l'Huile d'Olive, dont les adhérents commercialisent un volume d'huile d'olive de l'ordre de 50 000 tonnes.

Comme je vous l'ai indiqué dans mon CV, j'ai également assumé pendant quatre ans la présidence de la Fédération Européenne de l'Huile d'Olive.

La Chambre syndicale de la Margarinerie, qui regroupe les fabricants de margarine et de matières grasses composées, soit une production de 140 000 tonnes et une commercialisation de l'ordre de 200 000 tonnes, la différence étant constituée d'importations.

L'Association des Industries de Savons et Détergents (AISD), dont les adhérents commercialisent 1,5 millions de tonnes de détergents et 73 000 tonnes de savons.

Historiquement, dans le métier des corps gras (il y a cinquante ans ou au début du siècle), les savons étaient fabriqués à partir de corps gras animaux ou végétaux. C'est la raison historique pour laquelle ils sont toujours parmi nous.

Le Syndicat Général des Fabricants de Bougies et Cierges, qui produit 18 000 tonnes (pour l'emploi de l'acide stérique).

Le Syndicat des Industries Françaises de Coproduits animaux (SIFCO).

A ce sujet, vous recevrez à 17 heures M. Bruno Point, qui en est le Président et qui est certainement le plus compétent pour vous parler des questions relatives aux farines.

Le SIFCO est historiquement membre de la Fédération Nationale des Corps Gras pour l'activité fondoirs, c'est-à-dire la production de suif (128 000 tonnes), de saindoux (48 000 tonnes) et de graisse de volaille, essentiellement de poulet, de canard et d'oie (50 000 tonnes).

Chacune de ces organisations professionnelles gère directement et de façon autonome les dossiers spécifiques à l'industrie qu'elle représente tant sur le plan français qu'européen.

Les missions de la Fédération Nationale sont les suivantes :

Représenter ces industries auprès du MEDEF, de l'ANIA et de l'Union des Industries Chimiques.

Traiter les dossiers à caractère horizontal intéressant plusieurs secteurs d'activité : la fiscalité, le transport, le droit de la concurrence, le droit alimentaire, le Codex Alimentarius et le droit social.

Représenter l'ensemble de ces activités dans le cadre des négociations paritaires concernant l'évolution de la Convention Collective des Industries Chimiques, dont la Fédération Nationale des Corps Gras est cosignataire aux côtés de l'Union des Industries Chimiques.

Organiser des travaux de recherche collective avec le concours de l'Institut des Corps Gras, l'ITERG (Institut Technique d'Etude de Recherche sur les Corps Gras), centre technique professionnel des industries de corps gras.

S'agissant plus précisément du SIFCO, il convient de distinguer trois activités principales :

*L'équarrissage, qui depuis 1997 est réalisé dans le cadre du service public de l'équarrissage.

*La collecte et transformation des coproduits animaux valorisables en farines et graisses animales.

*La collecte et transformation des tissus adipeux en corps gras animaux (suif, saindoux et graisse de volaille).

L'ensemble des dossiers spécifiques à ces activités est directement géré par le SIFCO.

L'activité corps gras animaux bruts et raffinés figure quant à elle dans le champ d'application de la Convention Collective Nationale des Industries Chimiques.

Je suis prêt à répondre aux questions que vous voudrez bien me poser sur l'activité de la Fédération, puis j'essaierai d'aller plus loin dans d'autres domaines.

M. le Président - Je pense qu'il vaut mieux poursuivre immédiatement sur l'action proprement dite, car la Fédération est une organisation professionnelle. Or, il s'agit en l'occurrence d'un problème purement professionnel, ce qui nous intéresse étant surtout l'action que vous menez, à travers la fabrication et les différentes utilisations qui ont pu être faites des graisses et farines animales.

M. Georges Robin - Je tiens à préciser tout d'abord que dans aucun cas les farines ne sont du ressort du SIFCO.

Les produits que nous avons pris en charge dans la filière fonte sont le suif -ce qui s'inscrit dans le traitement des tissus adipeux du boeuf-, le saindoux, pour le porc, et la graisse de volaille.

Deux circuits peuvent être mis en évidence pour les matières grasses animales : le circuit fonte, qui provient du traitement des tissus adipeux des animaux dont je viens de parler, et les matières grasses de cuisson, que M. Point évoquera, ainsi que les farines. Les matières grasses produites après la fonte et le raffinage sont le suif, le saindoux et les graisses de volaille.

Qu'appelle-t-on le raffinage ? Il s'agit essentiellement de celui des huiles, qui est un métier très simple.

Le raffinage physique (démucilagination) consiste en un traitement à la vapeur, en une desacidification, en une décoloration et en une anti-oxydation. Quant au raffinage chimique, il s'agit de fabriquer des savons, comme pour les huiles, avec correction de l'acidité et neutralisation. La décoloration se fait à l'argile et la désodorisation sous vide, la matière première étant du même type que celle utilisée pour les huiles végétales raffinées.

M. Point vous précisera les quantités d'huile produites. Environ 125 000 tonnes de suif sont produites, à raison de 14 000 pour l'alimentation humaine, 53 000 tonnes pour l'alimentation animale et 58 000 pour les applications industrielles (lipochimie et savonnerie).

51 000 tonnes de graisse de volaille sont produites, à raison de 10 000 pour l'alimentation humaine et 41 000 pour l'alimentation animale.

Pour le saindoux (graisse de porc), 48 000 tonnes sont produites, à raison de 18 000 pour l'alimentation, 25 000 pour l'alimentation animale et 5 000 pour une utilisation industrielle.

Vous avez tous utilisé à un moment quelconque le saindoux ou la graisse d'oie, puisque l'on peut en acheter pour faire la cuisine, par exemple pour un confit de canard ou des pommes de terre sarladaises.

On trouve souvent les premiers jus sous l'appellation « blanc de boeuf » -ils servent à faire les frites-, car les corps gras animaux sont constitués d'acide gras saturés qui résistent bien à l'oxydation.

Ils sont utilisés pour leur stabilité thermique en friture et dans l'industrie céréalière pour leurs qualités de plasticité (rhéologiques), pour les biscottes, le pain de mie et les biscuits. Quant à leur caractère organoleptique (l'onctuosité), il sert pour les plats cuisinés (pour la charcuterie ou les sauces). Ce sont les principaux débouchés de ces graisses, qui ont toujours existé.

M. le Président - Je vais si vous le voulez bien commencer par vous poser quelques questions, ce que mes collègues pourront faire également, mais je vais d'abord vous demander, Monsieur le Directeur, de prêter serment et de dire la vérité rien que la vérité et toute la vérité, de lever la main droite et de dire je le jure. Je souhaite en effet que tout soit fait de façon réglementaire si nous avons à vous interroger.

M. Barsac - Je le jure.

M. le Président - Vous avez décrit les différentes graisses animales dont vous êtes fabricant et utilisateur, sachant que les farines interdites actuellement contiennent également des graisses, notamment sous forme de farines de viande. Quelles graisses sont-elles interdites parmi celles que vous utilisez ?

M. Barsac - Aucune des graisses qui viennent d'être décrites ne sont interdites puisque sont interdites les graisses animales issues de la fabrication de farines animales, une distinction étant opérée entre celles-ci et les corps gras animaux (suif, saindoux et graisse de volaille).

M. Georges Robin - Je ne vous cache pas, Monsieur le Président, que c'est une de mes préoccupations, car l'on tape à longueur de journée sur les graisses animales, alors que le suif, le saindoux et la graisse d'oie ne font pas partie des « métaux à risque » spécifiques. Cela n'a jamais été mis en évidence, alors qu'un amalgame est fait dans ce domaine. Des biscuits sont condamnés parce qu'ils contiennent des graisses animales, mais ils sont fabriqués avec des premiers jus.

M. le Président - Il était en effet nécessaire de le repréciser pour le grand public, car un amalgame est fait de par l'information donnée. Les graisses qui ont été interdites sont des graisses de cuisson issues des farines animales. En revanche, les graisses directement prélevées sur le tissu adipeux de l'animal ne sont pas interdites, et pour cause, car jusqu'à présent on n'y a jamais trouvé de prions.

M. Georges Robin - J'ai relu trois ans de travaux parlementaires avant de venir vous voir. Depuis M. Dormont, toutes les commissions d'enquête ou d'évaluation des risques n'ont jamais trouvé quoi que ce soit en cette matière.

M. le Président - En revanche, les graisses issues du tissu adipeux de l'animal sont-elles utilisées pour l'alimentation humaine et aussi dans d'autres domaines ?

M. Georges Robin - Les graisses issues des tissus adipeux sont utilisées pour l'industrie et essentiellement en lipochimie.

M. Barsac - La lipochimie est la chimie des corps gras et peut par exemple être utilisée pour les détergents. De même, les suifs et les corps gras végétaux (huile de palme) sont historiquement utilisés pour les savons, le suif se substituant parfois à la palme. C'est une question de cours des matières premières et de qualité des produits. La savonnerie et la lipochimie sont les principaux aspects industriels.

Ces graisses servent également à l'industrie alimentaire et sont par exemple utilisées pour la biscuiterie ou les plats cuisinés, comme les quenelles. Il s'agit là aussi d'une utilisation historique qui continue pour des raisons de prix et de caractéristiques techniques des produits qui justifient leur utilisation.

De plus, ces graisses peuvent être utilisées directement par les ménages, sous forme de saindoux ou de graisse de volaille.

Dans le cadre de l'utilisation en alimentation animale, il s'agit des suifs pour les veaux, qui sont également un débouché important pour toute l'industrie.

M. Georges Robin - Les suifs et le saindoux sont utilisés en savonnerie (pour les savons et détergents) et en lipochimie (pour les acides et alcools gras, agents de surface et tensio actifs).

La graisse d'os est utilisée pour la lipochimie. On en fait des acides et alcools gras, des agents de surface et des tensio actifs.

Elle est dans le laminage à froid employée pour les tôles de carrosserie et les emballages métalliques.

Les acides gras sont utilisés pour la savonnerie (savons et détergents) et en lipochimie pour la fabrication d'acides et d'alcools gras.

Les autres graisses animales sont employées pour la lipochimie (acides et alcools gras et agents de surface tensio actifs) et les cuirs bruts (tannerie, semelles, etc.).

Pour l'ensemble des corps gras animaux, la lipochimie et la savonnerie sont des emplois importants.

M. le Président - Il faut apporter des précisions, car j'ai eu l'impression que vous citiez deux sources de corps gras dont la même utilisation est faite.

M. Barsac - Les corps gras animaux sont utilisés pour l'industrie alimentaire, l'alimentation animale et par les ménages. En revanche, les graisses animales sont essentiellement utilisées dans l'alimentation animale et en lipochimie.

M. le Président - Cela signifie que ces deux sortes de graisses peuvent être utilisées en lipochimie.

M. Barsac - Oui, mais il apparaît au vu des chiffres que les graisses animales sont essentiellement utilisées pour l'alimentation animale.

Les graisses animales peuvent être valorisées pour l'énergie, des voies étant à rechercher dans ce domaine. De même, des utilisations peuvent être intéressantes en lipochimie, étant entendu qu'il appartient à la recherche d'aller plus loin dans ce cadre, bien entendu dans la mesure où cela ne présente aucun risque pour la santé humaine.

M. le Président - Le problème de l'interdiction des farines de viande telle qu'elle a été récemment décidée -donc des graisses qui en découlent- aura néanmoins un impact économique, mais dans quel domaine sera-t-il le plus important ?

M. Barsac - Le Conseil Européen a interdit en décembre les farines, mais non les graisses qui en découlent.

M. Michel Souplet - Nous nous faisons en quelque sorte l'avocat du diable, mais les farines animales sont interdites alors que les graisses qui en découlent ne sont pas citées.

J'ai participé vendredi dernier, dans le cadre de la Chambre d'agriculture de mon département, à une réunion d'information à laquelle assistaient les consommateurs, les organisations agricoles, la Chambre des métiers et la Chambre de commerce. Énormément de monde était présent, et les représentants des consommateurs ont été très catégoriques sur le fait que l'on pouvait consommer de la viande sans risque. Ils l'ont dit et redit.

En revanche, ils ont été très stricts sur l'utilisation des farines de viande et de leurs dérivés ainsi que sur les abats, sachant qu'il est souhaitable de limiter les risques partout où c'est possible.

Les corps gras issus des farines animales représentent-ils un volume important, auquel cas cela risque de poser problème, ou pourrions-nous quasiment nous en passer ?

M. Georges Robin - M. Point, qui est Président du SIFCO, vous répondra.

Je vais peut-être un peu sortir du débat, mais je souhaite répondre à votre question. Ce qui me préoccupe avant tout aujourd'hui et que l'on mélange tout et que l'on fait un amalgame, ce qui est grave, car vous mettez en cause les suifs alimentaires, le saindoux et les graisses de volaille.

Il ne faut pas dire au public qu'il ne doit pas manger de foie gras ou de graisse d'oie. Celle-ci provient du Sud-Ouest, elle est utilisée depuis toujours et il n'a été démontré à aucun moment que « l'oie folle » était à nos portes. Un problème de fond se pose.

Je dispose des textes parus depuis le 14 juillet 1990 : ce qui me navre est l'amalgame qui est fait, sachant que vous avez visité un certain nombre d'abattoirs, l'industrie faisant sérieusement son métier. Vous venez visiter nos usines quand vous le souhaitez, l'ANIA organisant chaque année des opérations portes ouvertes.

S'il faut éliminer les graisses de cuisson -comme M. Point vous l'expliquera-, nous le ferons, mais il faudra les remplacer par des suifs alimentaires, qui pourront notamment être importés des Etats-Unis.

J'ai passé dix ans en usine et j'ai voulu retrouver ce qui était notre standard de contrôle, les corps gras animaux étant contrôlés, notamment s'agissant de leur teneur en eau et matières volatiles -qui est définie par le Codex Alimentarius- et de leur teneur en impuretés insolubles à l'hexane.

Trois pages de contrôles sont effectués, sachant que les graisses animales destinées à l'alimentation humaine ne posent pas de problème, mais j'ignore ce que nous ferons si elles sont matraquées à longueur d'émissions télévisées.

M. le Président - Le problème réside dans le fait qu'un amalgame est fait. En effet, on n'a jamais trouvé de prions dans les graisses issues du tissu adipeux des animaux et l'on est à peu près persuadé qu'il n'existe aucun risque. En revanche, dans la mesure où des corps gras proviennent des graisses issues de la fabrication des farines de viande, le problème se pose davantage pour nous. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons si ces corps gras ont été interdits ou pas.

M. Georges Robin - Les graisses issues de la fabrication de farines animales sont interdites depuis le décret du 14 novembre 2000 en France et en Allemagne et autorisées dans les autres états membres, le Conseil ayant à travers sa décision du 15 décembre interdit les farines mais non les graisses.

Il s'agit en France d'un volume de l'ordre de 220 000 tonnes. La substitution se fera -c'est la raison pour laquelle la Fédération Nationale des Corps Gras est intéressée- par des graisses végétales, de même que l'interdiction des farines animales a une incidence évidente sur les protéines d'origine végétale.

M. Jean Bernard - Je voudrais vous poser une question technique. On nous indique que le prion est sensible à 140 degrés sous 3 bars, mais les traitements dont les produits d'origine animale font l'objet sont-ils susceptibles d'assurer une sécurité supplémentaire ?

M. Georges Robin - L'un des rares traitements mis en évidence est la soude, mais c'est à contrôler. En tout cas, les problèmes après raffinage ne sont pas plus nombreux aujourd'hui qu'avec une huile raffinée. C'est mon sentiment compte tenu des connaissances que nous avons à ce jour en la matière. Les acides gras et les impuretés sont éliminés et des contrôles effectués.

M. le Président - Les contrôles que vous effectuez ne comprennent pas la recherche de prions, et pour cause.

M. Georges Robin - Non, mais ils incluent la teneur en impuretés insolubles à l'hexane. Cela fait référence au Codex Alimentarius. Le raffinage est à ma connaissance certainement l'une des méthodes qui apporte le plus de sécurité.

M. le Président - Pouvez-vous rappeler grosso modo dans quelles conditions physiques, chimiques et techniques se fait le raffinage ?

M. Georges Robin - Le traitement est le même que pour la saponification, celui effectué à la soude étant classique pour les huiles. On désodorise en général à 180 degrés sous vide.

M. Barsac - On pense automatiquement aux bovins quand on parle du prion : un arrêté est sorti le 23 novembre qui précise que les tissus adipeux traités doivent être exempts d'os de ruminants. Cela signifie que le risque a été éliminé à la collecte pour les tissus adipeux valorisés sous forme de suif ou de saindoux.

De même, on élimine lors de l'opération de raffinage toute impureté et toute protéine. Il n'y a donc a priori pas de raison de trouver de prions dans ces graisses.

M. Paul Blanc - Regroupez-vous tous les industriels au sein de votre Fédération ou compte-t-elle également des indépendants au nom desquels vous ne pouvez pas parler ?

M. Georges Robin - Vous avez raison de poser la question, car une organisation professionnelle comme l'huilerie compte un syndicat indépendant.

M. Barsac - Seul un fondoir du nord de la France n'est pas membre du SIFCO. Nous devons en matière de production de farines et graisses animales en être à 95 % de couverture des opérateurs.

M. Paul Blanc - J'en conclus que vous ne pouvez pas vous porter garant de ce que vous venez d'indiquer pour les 10 ou 15 % de personnes qui ne font pas partie de votre confédération.

Vous avez par ailleurs évoqué l'utilisation des graisses dans l'alimentation animale, mais à quoi cela correspond-il ?

M. Georges Robin - Elles sont utilisées pour les lacto-remplaceurs.

M. Barsac - Il faut faire une distinction entre les corps gras animaux et les graisses animales, ces dernières étant interdites pour les ruminants et mammifères, étant entendu qu'elles n'étaient utilisées que pour les volailles et les porcs.

Restent les corps gras animaux dont les suifs sont utilisés dans les lacto-remplaceurs. Ils sont fabriqués dans les conditions prévues pour l'alimentation par l'arrêté du 23 novembre, à savoir des matières premières exemptes de tout os de ruminant.

M. Roland du Luart - Le problème des stocks produits avant la parution de l'arrêté reste posé. Vous avez indiqué que si c'est nécessaire vous pourriez en importer des Etats-Unis, sachant qu'ils ne sont pas soumis aux mêmes contrôles, ce qui pose un vrai problème par rapport à la sécurité des consommateurs.

M. Georges Robin - Il faudra également trouver des protéines végétales.

M. le Président - La question qui vous a été posée est très claire : comment appréhendez-vous le problème des graisses importées par rapport à la réglementation actuelle ?

M. Barsac - Il s'agit d'un problème essentiel, quand des mesures nationales sont prises, au regard de la santé, sachant que, si l'on estime que cela présente un risque, c'est valable tout autant pour les produits d'origine nationale que pour ceux qui sont importés. Il est donc indispensable que les mesures soient identiques de part et d'autre de la frontière.

Il faut aller jusqu'au bout du raisonnement. Quand on importe des produits transformés, par exemple pour les biscuits, il est essentiel qu'ils aient été produits avec des matières premières fabriquées dans des conditions comparables à celles que nous nous imposons chez nous.

Je mets l'aspect économique de côté, même s'il est très important, mais il faut avoir la logique, dans le cadre des mesures prises sur le plan de la santé, d'aller jusqu'au bout.

Le Gouvernement français a eu raison d'amener à Bruxelles les autres états membres à prendre des mesures en matière d'interdiction des farines, mais nous ignorons si les graisses animales présentent un risque ou non.

L'AFSSA va se prononcer, mais je ne vois pourquoi elles présenteraient un risque d'un côté de la frontière et pas de l'autre. C'est un problème majeur qui concerne non seulement nos produits mais aussi, de façon plus générale, tout le fonctionnement européen.

M. le Président - Vous avez également parlé de l'huile végétale et nous connaissons les risques qui peuvent exister, par exemple pour les huiles de palme importées de Malaisie ou d'ailleurs. A votre avis, que pourrait-il se passer ?

M. Georges Robin - L'industrie des huiles est confrontée à ce type de problème depuis toujours. Elle n'est jamais parvenue à avoir ce que l'on pourrait appeler des « tankers dédiés », qui par exemple ne transporteraient que de l'huile d'Indonésie en Europe, parce qu'ils repartiraient à vide.

La Fédération Européenne des Huiles a mis au point un système de contrôle et d'analyse et des problèmes se sont posés dans cette manière justement parce qu'un contrôle est exercé, d'ailleurs aussi bien à l'arrivée dans les ports que dans les usines.

Nous pouvons donc être raisonnablement rassurés, sachant que ce contrôle doit aussi s'exercer en France. Il faut notamment trouver des camions citernes à usage alimentaire pour le transport des huiles, etc.

M. le Président - Le contrôle exercé porte nécessairement uniquement sur les caractéristiques physiques ou chimiques des huiles.

M. Georges Robin - Non. Beaucoup de personnes disent que l'on trouve ce que l'on cherche, ce qui est vrai pour la vache folle. Nous recherchons pour notre part ce que nous estimons pouvoir constituer un risque, une huile pouvant être polluée par un benzène.

Nous demandons des certificats concernant le nombre de transports déjà effectués, mais nous effectuons également un véritable contrôle. Par exemple, nous avons dernièrement trouvé à Rotterdam un bateau qui venait d'Indonésie et transportait de l'huile de palme présentant des traces d'hydrocarbure.

M. le Président - Cela n'a rien à voir.

M. Barsac - C'est un exemple intéressant, car nous avons fonctionné de façon très transparente. Nous avons signalé que nous avions trouvé du benzène dans l'huile brute, la marchandise a été consignée et nous nous sommes assurés que le bateau repartait en Indonésie.

Notre système d'alerte a parfaitement fonctionné, entre les états membres et l'industrie, et nous avons fait en sorte que toutes les huiles livrées soient récupérées, en éliminant le circuit ce chargement de l'huile brute.

S'agissant du transport -c'est la réglementation européenne qui le prévoit, ainsi que le Codex Alimentarius-, nous avons l'obligation d'avoir connaissance des trois chargements précédents, qui ne doivent en aucun cas avoir été constitués de produits autres qu'alimentaires.

Le transport maritime fait l'objet d'un suivi très précis, le transport communautaire, intra-communautaire et national étant effectué dans des tanks ou citernes dédiés à celui des huiles.

Notre préoccupation pour les huiles est de rechercher des traces de contaminants, l'ITERG ayant réalisé des études pour que nous disposions de tous les outils nécessaires en matière de méthode d'analyse, pour détecter ces traces.

Les pesticides sont également l'une de nos préoccupations, notre but étant de veiller à ne pas en retrouver de traces dans les huiles brutes et a fortiori raffinées.

Sur le plan de la sécurité sanitaire, les contaminants et pesticides sont une préoccupation permanente de l'industrie de l'huilerie aujourd'hui, ce qui est vrai pour l'huile et les tourteaux, utilisés dans l'alimentation animale.

M. Jean-François Humbert - Si je vous ai bien écouté, vous n'avez rien à voir avec la farine animale, mais vous avez évoqué les lacto-remplaceurs. Dans la mesure où je ne suis pas un spécialiste, pouvez-vous nous dire en quelques mots de quoi il s'agit et de quelle façon vous conditionnez leur fabrication ? Posent-ils des problèmes de cuisson, comme cela a été évoqué à différentes reprises, et si oui à quel degré ?

M. Georges Robin - Il faut que ce soit clair : les lacto-remplaceurs sont fabriqués par les fabricants d'aliments pour le bétail.

La base des lacto-remplaceurs est de la poudre de lait écrémé à laquelle un corps gras d'origine animale ou végétale est ajouté. On enlève la crème du lait ou la matière grasse à laquelle un corps gras est ajoutée.

Je ne veux pas rentrer dans le détail, car j'avoue que je ne connais pas tous les règlements communautaires, mais il existait des stocks de poudre de lait écrémé, une des façons de l'utiliser étant d'y ajouter des corps gras végétaux ou animaux et d'en faire des lacto-remplaceurs. Cependant, mes amis en sauront un peu plus que moi si vous voulez connaître le détail de l'opération.

M. Jean-François Humbert - Vous dites vous même que l'on utilise dans ce cadre non seulement du lait, mais aussi des corps gras d'origine animale ou végétale : sont-ils fabriqués dans vos entreprises et si oui comment ?

M. Georges Robin - Il s'agit des premiers jus dont nous avons parlé. De la même façon qu'ils servent à l'alimentation humaine, ils peuvent servir à l'alimentation animale. Cela ne pose aucun problème de type particulier.

Je voudrais pour terminer vous indiquer que le travail que vous faites est passionnant, mais un certain nombre de points me soucient quand je lis tout ce qui s'écrit, ce dont je vais m'ouvrir à vous.

J'ai lu dernièrement qu'un groupement d'intérêt scientifique avait été créé dans le domaine de la recherche, mais j'ai été étonné de ne pas trouver qui en est le patron.

Or, dans l'industrie, quand un groupement d'études est créé, un Président est nommé et a six mois pour faire le travail, étant entendu qu'il est remplacé s'il n'y arrive pas. Je suis peut-être brutal, mais c'est la méthode que j'ai utilisée dans l'industrie .

M. le Président - Le temps de vie de notre commission est de six mois et un Président et un rapporteur ont été nommés.

M. Georges Robin - Nous devons essayer de bien mesurer les conséquences et la cohérence des mesures que nous pouvons être amenés à prendre.

J'ai appris récemment l'existence de la directive concernant l'élimination des animaux de plus de 30 mois mais, quand je fais le compte des tonnes, de la farine et de la matière grasse dans ce cadre, je me pose la question de savoir ce qui sera mis en oeuvre.

Je sais que les stocks de farine de 1996 ont à peu près tous été éliminés, mais qu'en ira-t-il des stocks actuels ? Il faut essayer de penser d'une façon ou d'une autre à la cohérence des mesures prises et à leur conséquence. Je voudrais que vous interrogiez M. Point -qui possède des usines- à ce sujet pour qu'il y réfléchisse. Je suis véritablement un peu désemparé.

M. le Président - Ne mélangeons pas les sujets. Nous enquêtons sur les origines d'une maladie transmise dans le cadre du circuit alimentaire, ce qui aura effectivement des conséquences économiques, ce dont tout le monde est parfaitement conscient. Le rapport que nous publierons en tiendra bien entendu compte et vous y trouverez sans doute les renseignements que vous attendez, tout au moins je l'espère.

M. Jean-François Humbert - Cette question rejoint celle que j'ai posée précédemment. Pardonnez-moi d'insister, mais j'ai le sentiment que vous n'y avez pas complètement répondu. Nous sommes d'accord sur le fait que les lacto-remplaceurs contiennent du lait écrémé, mais ils sont également constitués en partie de graisse d'origine animale ou végétale. Vous nous avez paré des premiers jus, mais comment cela se passe-t-il et à combien de degrés sont-ils chauffés ?

M. le Président - Il faut repréciser que vous parlez du tissu adipeux de l'animal et non du résidu des farines animales.

M. Jean-François Humbert - Le lait constitue l'essentiel du lacto-remplaceur, mais il contient également des suifs. Or, si je vous ai bien entendu, ce sont bien vos entreprises qui les fabriquent. Pourriez-vous s'il vous plaît nous donner quelques détails sur cette fabrication ? En effet, je ne suis pas un spécialiste et j'aimerais comprendre.

De plus, nous sommes issus de différentes régions françaises dans lesquelles nous avons essayé d'écouter les éleveurs de bovins. C'est la raison pour laquelle, quand vous parlez de lacto-remplaceurs, je me permets d'insister sur les graisses animales rentrant dans leur fabrication.

M. Georges Robin - Les tissus adipeux sont prélevés dans les abattoirs et les centres de collecte puis fondus dans des établissements agréés.

M. Barsac - Ces établissements sont spécifiques et tout à fait distincts de ceux qui créent des coproduits pour fabriquer des graisses animales. Ils ont un agrément pour fabriquer des suifs dits de premier jus qu'ils raffinent ensuite de façon physique ou chimique.

M. Jean-François Humbert - A quelle température les suifs sont-ils fondus ?

M. Barsac - A 80 degrés, le raffinage étant effectué à une température plus élevée.

Les suifs commercialisés auprès des entreprises d'alimentation animale pour des lacto-remplaceurs sont de même qualité que ceux à usage alimentaire.

M. Jean-François Humbert - Vous parlez de 80 degrés pour la fonte.

M. Barsac - Vous me demandez quelles sont les conditions de fabrication des suifs et je vous réponds dans quelles circonstances ils sont fabriqués, sachant qu'il s'agit de coproduits contrôlés par les services vétérinaires à l'abattoir et que depuis le 23 novembre ces matières premières sont exemptes de traces d'os de ruminant.

M. Jean-François Humbert - Quelles entreprises interviennent à côté des vôtres en la matière ?

M. Barsac - Je précise que notre industrie fabrique des produits et les met à disposition des utilisateurs éventuels, étant entendu qu'il appartient à chacun de faire le choix des matières premières qu'il utilise ou non.

Nous apportons la garantie de la qualité des produits que nous livrons, avec un cahier des charges bien précis que nous respectons. Le travail fait et les produits commercialisés pour l'alimentation animale répondent à un cahier des charges très précis, dans le cadre de relations commerciales tout à fait normales.

M. Jean-François Humbert - D'autres entreprises travaillent-elles avec vous en complément de ce que vous faites, sachant que vous fournissez la matière première ? Qui faudrait-il interroger pour connaître « la fin du film », si vous me permettez cette expression ?

M. Barsac - Il faut, si vous voulez une réponse précise à votre question, interroger les fabricants et utilisateurs de lacto-remplaceurs dans les élevages. L'industrie ne fait jamais que répondre à une demande. Il faut demander à l'utilisateur final pourquoi il utilise le produit.

M. Jean-François Humbert - C'est la raison pour laquelle je m'étais permis de vous poser une nouvelle question.

M. le Président - Je pense que nous avons à peu près fait le tour du problème en ce qui vous concerne, les uns et les autres ayant fait préciser quelle partie des graisses était utilisée et mise ensuite sur le marché pour d'autres utilisateurs.

M. Georges Robin - Pour des utilisations en direct.

M. le Président - Je vous remercie. Espérons que cela s'arrangera.

M. Georges Robin - J'attends votre rapport.

Audition de M. Yves MONTÉCOT,
Président du Syndicat national des Industriels de la Nutrition animale

(20 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Montécot, vous êtes Président du Syndicat National des Industriels de la Nutrition Animale (le SNIA).

Merci d'avoir répondu à notre invitation pour témoigner et répondre aux questions que nous vous poserons sur les problèmes traités par la commission d'enquête du Sénat sur les farines animales.

Vous savez que toutes les commissions d'enquête parlementaires se déroulent en prêtant serment. Je vais donc être obligé de vous lire le texte réglementaire et de vous demander de prêter serment. Par ailleurs, je voudrais que vous nous présentiez la personne qui vous accompagne pour que je puisse également lui faire prêter serment au cas où elle s'exprimerait.

M. Yves Montécot - La personne qui m'accompagne est M. Radet, cadre qui s'occupe des questions juridiques au SNIA.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Montécot et Radet.

M. le Président - Monsieur Montécot, si vous le voulez bien, je vais dans un premier temps vous demander de nous parler brièvement de votre organisation et de votre place dans la filière agroalimentaire ainsi que du problème posé par les farines animales.

L'important est que vous résumiez le plus possible, pour que l'ensemble de nos collègues puissent vous poser le maximum de questions.

M. Yves Montécot - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je suis Président du SNIA (Syndicat National des Industriels de Nutrition Animale), qui représente le secteur privé des fabricants d'aliments, celui des coopératives étant représenté par le SYNCOPAC, que je crois vous auditionnerez plus tard.

Je suis moi-même chef d'entreprise dans la Manche, où je possède une entreprise de nutrition animale. Je fabrique à 90 % des aliments bovins. Je suis Président du SNIA depuis 1996.

Notre profession représente globalement 23 millions de tonnes d'aliments par an, à raison de 60 % dans le Grand Ouest (Bretagne et Pays de Loire) et de 40 % répartis sur l'ensemble du territoire.

En effet, les produits que nous fabriquons, compte tenu de marges de 80 %, du prix de vente et de la matière première, voyagent peu et pas plus de 150 kilomètres.

Dans la mesure où l'élevage se développe un peu partout en France, les usines sont réparties sur tout le territoire, à raison d'environ 300 fabricants, de l'entreprise familiale ou petite entreprise à la multinationale, des Groupes comme Glon-Sanders ou Guyomarc'h fabriquant respectivement 2 et 3 millions de tonnes. Il s'agit donc d'une segmentation très élargie.

Nous sommes fabricants d'aliments pour les animaux et non de farines animales. Je le répète toujours car, en particulier dans les médias, nous constatons encore aujourd'hui une confusion totale.

C'est à ce titre que nous avons été amenés à utiliser des farines animales lorsqu'elles étaient autorisées. Elles représentent pour nous une matière première et une source de protéines. En effet, quand elles arrivent en tant que matière première chez nous, elles contiennent entre 50 et 60 % de protéines.

Un aliment doit être équilibré non seulement en fonction des espèces, mais aussi des âges dans une même espèce, les besoins n'étant pas les mêmes pour un jeune poussin que pour un poulet en finition, de même façon pour les vaches laitières. Pour ces dernières, qui nous préoccupent, nous fabriquons généralement un complément de la ration de base.

L'alimentation principale d'un bovin consiste en ressources qui se trouvent sur l'exploitation (fourrages, maïs, etc.) et l'aliment n'intervient que pour une faible partie. En considérant qu'une vache mange 50 kilos par jour, l'aliment peut représenter au maximum 5 à 6 kilos, ce qui n'est pas vrai pour les autres espèces, mais la digestion des bovins fait qu'un encombrement et une ration de base sont nécessaires.

Un aliment est équilibré quand il répond aux besoins en matière d'énergie, de protéines et de minéraux et nous y parvenons en fonction de ce qu'apporte chaque matière première. C'est la raison pour laquelle nous avons l'habitude de dire que cette nutrition est parfois plus pointue et plus équilibrée que celle de l'homme compte tenu des indications que je vous ai données.

Les principales matières premières sont les céréales, 70 % de nos compositions étant constituées de ces dernières. Nous sommes dans notre profession le premier consommateur de céréales, en France et en Europe, et nous en consommons plus que pour l'alimentation humaine. Elles sont notre principale matière première, sachant que nous en consommerons cette année en France plus de 10 millions de tonnes. C'est à comparer à 400 000 ou 500 000 tonnes de farines animales lorsqu'elles étaient utilisées.

Les céréales apportent l'énergie et l'amidon, tandis que les protéines sont apportées par des tourteaux de colza, de tournesol et de soja ainsi que par des pois et de la luzerne.

Qu'est-ce qu'un tourteau, qui représente la deuxième source de protéines ? On extrait d'une graine de colza, de tournesol ou de soja l'huile qui sert à l'alimentation humaine, ce qui reste constituant le tourteau, qui est riche en protéines.

Pour bien repréciser la place des farines animales, elles rentraient dans la composition des aliments, quand elles étaient utilisées -car, même quand elles étaient légalement autorisées, elles ne l'étaient pas forcément pour ceux-ci-, entre 3 et 6 %.

Elles sont de moins en moins utilisées pour une raison simple. Par exemple, toutes les productions labels qui ont été créées dans les années 1960 interdisaient les farines animales et, depuis la mise en place des signes de qualité en France (les labels ou la certification de conformité), de plus en plus de cahiers des charges volontaires les interdisent. Elles sont donc de moins en moins utilisées, nonobstant le problème de sécurité sanitaire qui se pose, s'il existe.

Pour en revenir aux farines animales par rapport à notre profession, nous n'avons pas attendu la crise de l'ESB -que nous pouvons situer dans les années 1990- pour nous intéresser à la qualité des farines animales, puisqu'elles sont un produit qui a fait l'objet d'accords interprofessionnels dans les années 1980 et même avant, un accord interprofessionnel résidant dans la rencontre entre des fournisseurs et des utilisateurs qui définissent un cahier des charges d'utilisation des matières premières.

Notre profession utilise un terme très ancien : « SLM ». Dès que nous concluons une affaire -qui est généralement confirmée par écrit-, cela correspond à la mention « SLM », depuis l'origine de la profession, ce qui signifie : « Sain, loyal et marchand ». C'est l'une de nos attentes.

Pour notre profession -et en particulier pour le SNIA-, la qualité des matières premières est très importante. A titre d'exemple, nous avons commencé dans la profession à nous intéresser en 1990 à la certification d'entreprises (ISO 9000), 60 % des industriels étant aujourd'hui certifiés ISO 9000.

De plus, en 1989, la profession, à travers un mot d'ordre professionnel, décidait un an avant la réglementation de ne plus utiliser de farines animales dans l'alimentation des bovins. Je tiens à la disposition des membres -je n'étais alors pas Président- le courrier de mon prédécesseur à ce sujet.

C'est la raison pour laquelle nous sommes un peu ulcérés -mais je pense que nous y reviendrons à travers vos questions- de constater certains excès médiatiques. Nous sommes accusés de n'avoir rien fait ou d'être des empoisonneurs, sachant que nous ne sommes pas du tout décidés à nous laisser faire et que nous avons déposé il y a quelques jours deux plaintes en diffamation.

M. Roland du Luart - Contre X ?

M. Yves Montécot - Non, contre M. José Bové et M. Jean-Claude Jaillette, un journaliste de « Marianne ».

Des mesures de précaution ont été prises très tôt en France, d'où le différentiel important qui existe entre notre pays et le Royaume-Uni. Environ 200 000 cas ont été répertoriés au Royaume-Uni contre un peu plus de 200 en France pour la même période, le cheptel français étant deux fois plus important.

Les mesures qui ont été prises, à la fois par les professionnels et les Pouvoirs publics qui se sont succédés, ont été efficaces du fait de ce différentiel très important.

M. le Président - Merci pour cette entrée en matière.

Savez-vous à peu près depuis quand les farines animales sont utilisées dans l'industrie ?

M. Yves Montécot - J'ai retrouvé une revue agricole de 1913 -que je pourrai vous fournir si cela vous intéresse- dans laquelle il était recommandé aux futurs agriculteurs de donner 30 ou 40 grammes de farine animale par jour à une truie. Nous pouvons donc dire que les farines animales ont été utilisées dès le début du siècle, sachant que l'espèce des bovins est certainement celle pour laquelle elles l'ont été le moins, mais beaucoup de fabricants traditionnels ou qui produisent des aliments bovins n'ont jamais utilisé de farines animales.

Les farines animales ont été utilisées pour les bovins dans les années 1970-1975 sur les conseils de l'INRA, leur caractéristique résidant dans le fait qu'elles sont riches en méthionine, acide aminé qui protège. Elles ont été utilisées un peu avant les tourteaux tannés -la digestion des bovins, qui ont plusieurs estomacs, générant une déperdition de la protéine-, notamment durant les pics de lactation, quand l'animal a le plus besoin d'acides aminés, de l'ordre de 2 à 3 %.

M. le Président - Pour des animaux producteurs de lait ou de viande ?

M. Yves Montécot - Plutôt producteurs de lait, car les besoins en termes de lactation concernent beaucoup plus les cheptels laitiers.

Cependant, la situation n'est pas la même au Royaume-Uni -la différence étant d'importance-, ce pays ayant très peu utilisé les tourteaux tannés, qui étaient une découverte de l'INRA en France et ont été très protégés pendant longtemps.

Dans la mesure où le Royaume-Uni n'avait pas accès aux tourteaux tannés, il était un plus gros consommateur de farines animales, sachant que les rations pouvaient aller de 10 à 11 %.

M. le Président - Cela a été vérifié. Cela signifie que, quand on utilisait en France de 2 à 3 % de farines animales, on en utilisait à peu près 10 % en Angleterre.

M. Yves Montécot - Cela provient du fait qu'au départ le tannage des protéines a fait l'objet d'un brevet de l'INRA qui a été protégé.

Le tannage des protéines consiste à utiliser un peu de formol à température pour protéger le tourteau et en particulier le soja. Cela empêche que la protéine soit détruite dans le premier estomac de la vache et permet de la protéger pour qu'elle soit totalement assimilée. C'est en quelque sorte un emballage qui retarde la digestion, qui n'est bien entendu utilisé que pour les bovins.

M. le Président - Quand les farines animales étaient autorisées, qu'indiquiez-vous sur l'étiquetage des sacs d'aliments ?

M. Yves Montécot - Nous indiquions jusqu'en 1992 « farine de viande » ou « de poisson », mais un texte européen est paru en 1992 qui demandait que les étiquettes soient uniformisées en Europe à travers la mention « farine d'animaux terrestres » ou « marins ». C'est la raison pour laquelle je bondis quand j'entends des éleveurs qui me disent parfois qu'ils ne savaient pas ce que contenaient les farines.

Je tiens à préciser à cet égard que les textes sur l'étiquetage des aliments du bétail en France, qui datent des années 1940, doivent être au nombre d'une quarantaine, la réglementation étant dans ce domaine beaucoup plus stricte que pour l'étiquetage relatif à l'alimentation humaine.

Pas un sac d'aliments ne part sans être étiqueté. Les étiquettes sont cousues sur celui-ci au moyen d'un système inviolable et chaque étiquette accompagne le bon de livraison quand il s'agit de vrac.

M. le Président - Les « animaux terrestres » sont nombreux ! Cela signifie qu'il peut part exemple s'agir de chien ou de chat.

M. Yves Montécot - Il faut préciser s'agissant de l'étiquetage que nous devions jusqu'en 1992 faire figurer la liste des ingrédients que nous utilisions en ordre décroissant pour terminer par les vitamines.

Cependant, l'harmonisation européenne nous a donné deux possibilités en 1992 : soit continuer à le faire, soit passer à des catégories définies et réglementaires, toujours par ordre décroissant. C'est la raison pour laquelle la catégorie « farines d'animaux terrestres » regroupe l'ensemble des farines de viande et de volaille- sachant que ces dernières n'étaient pas concernées jusqu'au 14 novembre-, les farines de plumes et les cretons, qui sont les farines d'animaux terrestres provenant d'autres espèces que des bovins ou des porcs.

M. le Président - Par qui les recommandations nutritionnelles appliquées par la filière en termes de quantité d'éléments protéiques et ensuite présents dans l'alimentation animale sont-ils déterminés ?

M. Yves Montécot - Vous faites référence à ce que l'on appelle les tables de l'INRA, qui consistent en un livre important qui détermine les valeurs nutritionnelles de chaque produit, mais il peut également être tenu compte d'équations personnelles, certaines firmes disposant de stations de recherche et pouvant mener leurs propres recherches. Cependant, les tables de l'INRA représentent la base de la formulation.

M. le Président - Des normes existent-elles en matière de quantité de produits ?

M. Yves Montécot - C'est ce que l'on appelle le système de formulation, sachant que les matières premières sont connues et définies : l'énergie, les protéines, les acides aminés et les minéraux.

Ensuite, en fonction des espèces et de l'âge, les besoins des animaux sont également définis dans ce que nous appelons des « matrices de formulation ». On estime par exemple qu'un jeune poussin a besoin de 3 200 calories, les protéines étant en général gérées dans des fourchettes.

Cependant, il existe également des interdits, des bornes étant fixées pour toutes les matières premières. Elles s'échelonnent de 0 à 100 quand cela ne présente aucune difficulté, mais des maximums sont aussi fixés.

Par exemple, en France, l'oeillette sert pour la pharmacie et le tourteau d'oeillette est un excellent produit en termes nutritionnels, mais les bovins ne l'aiment pas, raison pour laquelle il est interdit.

Le principe est que des matières premières sont proposées à l'intérieur de ces bornes, un calcul étant effectué pour obtenir un résultat qui soit le plus économique possible. Il nous est indiqué généralement que nous faisons en sorte d'opter pour le moins cher, mais c'est faux. L'essentiel est de satisfaire les besoins, étant entendu que nous reprenons évidemment dans les fourchettes de satisfaction ce qui est le moins cher. Nous définissons les besoins, le prix n'intervenant qu'en dernier lieu, alors que le reproche inverse nous est souvent fait.

Nous procédons informatiquement, mais il y a trente ans c'était fait à la main et il fallait presque deux ou trois heures pour équilibrer une formule. C'est un calcul très pointu ; nous tenons compte en général de 25 à 30 caractéristiques en termes de besoins.

M. le Président - Qui contrôle votre entreprise à part vous ? Etes-vous contrôlé par un organisme quelconque qui vérifie si vos formules et la réalisation sont bien conformes à ce que vous annoncez ?

M. Yves Montécot - L'une des caractéristiques de notre profession est que nous sommes contrôlés, par rapport aux services de l'Etat, par deux Directions totalement différentes : la DGCCRF (répression des fraudes) et les services vétérinaires (les DSV).

Je vous ai indiqué par ailleurs que les cahiers des charges privés, signe de qualité, étaient nombreux, les labels ou la certification de conformité étant contrôlés par des organismes certificateurs accrédités par le COFRAC (comité français d'accréditation).

Une entreprise de taille moyenne subit à peu près entre 20 et 30 contrôles par des organismes différents par an en dehors des contrôles officiels, car tous les fabricants ont des cahiers des charges labels et certifiés.

Nous organisons nos propres auto-contrôles en interne, 60 % de la profession étant sous certification, notamment à travers des manuels qualité.

Enfin, sur la base d'une directive européenne, tous les fabricants devront être agréés dans quelques mois, cette notion d'agrément européen étant en cours depuis plusieurs années.

Nous sommes vraisemblablement une des professions où la traçabilité est la plus grande. Par exemple, si vous me demandez quels aliments j'ai fabriqués le 23 décembre 1979 à 3 heures du matin, je serai capable de retrouver ceux que nous avons fabriqués à cette heure-là, les matières premières que nous avons utilisées et la traçabilité des formules.

Nous disposons généralement d'une traçabilité écrite, peu de secteurs pouvant remonter aussi loin, ce qui est suivi à travers des enregistrements de stocks permanents en matière d'utilisation, de fabrication et de mise à jour. En effet, soit manuellement, soit informatiquement, il est aujourd'hui nécessaire de suivre précisément les utilisations de matières premières et les stocks. Cela a eu beaucoup d'importance s'agissant des contrôles effectués par la DGCCRF dans les années 1993, 1994, 1995 et 1996, mais je pense que nous aurons l'occasion d'y revenir dans la mesure où tous ces éléments ont été repris.

M. Paul Blanc - J'ai une série de questions à vous poser. La première concerne votre accord interprofessionnel d'octobre 1989, dans le cadre duquel les professionnels se sont engagés à ne plus utiliser les farines animales pour les aliments pour ruminants. Pouvez-vous vous engager pour l'ensemble des professionnels de votre syndicat ?

M. Yves Montécot - C'est une réponse bien entendu difficile pour un Président, mais je vais spontanément vous dire oui, en ajoutant néanmoins -ce que j'ai toujours déclaré depuis que je suis Président- que s'il s'avérait qu'un de nos adhérents avait fauté ou fraudé, nous nous porterions partie civile.

Ce n'est d'ailleurs pas resté lettre morte, puisque depuis que je suis Président, en 1996, le SNIA s'est porté partie civile dans le cadre de 14 affaires. Il s'agissait non pas d'affaires de farines animales -sinon je ne pourrais pas vous répondre oui-, mais d'hormones, etc., dont certaines sont encore en cours. Je souhaite bien entendu que le chiffre que je vous ai indiqué reste confidentiel, sachant qu'il m'est arrivé de me porter partie civile par rapport à un adhérent que nous avons exclu.

M. Paul Blanc - Vous nous avez indiqué que vous aviez une parfaite traçabilité de vos produits : cela signifie donc que vous pouvez nous indiquer quelle était l'origine des farines animales que vous incorporiez aux éléments auparavant.

M. Yves Montécot - C'est un point important, mais j'ai toujours pour habitude de dire qu'il faut relativiser. Les farines animales valent au meilleur des cas 1,50 F le kilo. Elles sont importées par bateaux de 2 000 à 3000 tonnes ou arrivent par camions, mais de toute façon elles ne passent pas inaperçues.

Par ailleurs, l'ouverture du marché commun a un peu modifié la donne, mais ce n'était pas encore le cas dans les années qui nous intéressent, et des feuilles de route ainsi que des documents de douane accompagnaient les produits, chaque camion qui arrive faisant encore aujourd'hui l'objet d'un accompagnement, la provenance de la matière première étant indiquée, ainsi que sa dénomination et ses caractéristiques.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous nous indiquer quel pourcentage de farine provient d'Angleterre ?

M. Yves Montécot - Le Royaume-Uni exportait de l'ordre de 10 000 tonnes par an dans les années 1986, mais c'est ridicule en pourcentage. La France fabrique globalement un million de tonnes et en utilisait dans ces années-là 600 000, ce qui signifie que 2 % des farines provenaient d'Angleterre. Je fais référence aux documents des douanes repris par la mission parlementaire de l'Assemblée Nationale.

M. Paul Blanc - Avons-nous la garantie que les farines étaient saines avant le 14 novembre 2000 ?

M. Yves Montécot - La date la plus importante avant le 14 novembre 2000 est le 26 juin 1996, quand tous les matériaux à risque ont été supprimés, ce qui est une originalité française. Les abats à risque ont été supprimés et de plus chauffés à température.

M. Paul Blanc - Votre syndicat a-t-il agi dans ce cadre auprès du ministère pour éviter l'interdiction totale de ces farines animales ?

M. Yves Montécot - Ma position n'a pas changé depuis 1996, date à laquelle je suis devenu Président. Je vous laisserai si vous le souhaitez des articles de presse qui datent de juin 1996 : j'ai déclaré alors -comme je l'ai fait en novembre- que si les farines animales présentaient un risque il fallait les interdire.

M. Paul Blanc - Vous avez fait une déclaration, mais vous êtes-vous lancé dans une démarche ?

M. Yves Montécot - Oui, nous avons adressé des courriers. Notre position est qu'il faut interdire les farines animales si elles présentent un risque et que si ce n'est pas le cas il faut les tolérer.

Nous avons fait plusieurs démarches auprès des différents ministres dans le cadre de l'harmonisation européenne et nous leur avons écrit dès le départ, dès 1996. Je reprendrai les courriers avec les dates si vous souhaitez avoir des précisions.

M. le Président - Pourrez-vous nous laisser ces courriers ? Nous avons besoin de pièces.

M. Yves Montécot - Cela ne pose pas de problème, sachant qu'il s'agit dans certains cas de courriers communs avec le SYNCOPAC.

Nous avons écrit au Directeur général de la Consommation en avril 1998 pour lui réclamer l'harmonisation, mais nous sommes même allés plus loin. En effet, les farines étaient chauffées et séparées en France, mais celles de pays de la Communauté pouvaient entrer sur le territoire. Nous avons donc pris la décision professionnelle, à l'époque, de ne pas procéder à des échanges avec les pays de la Communauté si les produits n'étaient pas conformes aux spécifications françaises, en établissant un avenant aux accords interprofessionnels dans ce cadre.

Les différents courriers que nous avons pu rédiger portaient toujours sur l'harmonisation et nous demandions aux ministres concernés qu'ils nous assurent que les farines animales n'étaient pas dangereuses.

Enfin, nous sommes intervenus avant la crise sur la notion de traces et de tolérance analytique. En effet, nous savons au-dessous de 3 pour 1 000 que quelque chose se passe, mais nous ignorons s'il s'agit de farines animales et nous ne pouvons pas le quantifier. Nous avions demandé au ministre de l'Agriculture par un courrier précis de s'engager sur cette notion.

M. Paul Blanc - M. Robin nous a indiqué que les graisses animales avaient parfois été utilisées dans les aliments pour le bétail : le confirmez-vous ?

M. Yves Montécot - Notre métier inclut des métiers différents. Par exemple, les aliments d'allaitement n'en font pas partie.

M. Paul Blanc - M. Robin nous en a parlé.

M. Yves Montécot - Nous en commercialisons, mais ils ne font pas partie de notre activité. Nous commençons avec les aliments grossiers. Je confirme que des farines animales ont pu être utilisées dans certain cas, mais à de faibles pourcentages et beaucoup plus comme adjuvants de fabrication.

M. Paul Blanc - Selon vous, par quoi les contaminations croisées ont-elles été rendues possibles ?

M. Yves Montécot - Je préfère parler de « mélanges fortuits », les éviter étant l'une des caractéristiques de notre métier.

Je vais si vous le permettez, pour vous montrer l'importance que nous avons toujours accordée à cela dans notre profession, prendre un exemple. Nous utilisons pour certaines volailles des anti-parasitaires à raison de 10 ppm pour 100 kilos pour un aliment destiné à un poussin de 50 grammes. Or, si un bovin de 600 kilos avale la même dose, il ne résiste pas.

Notre profession est justement, par définition, de gérer ce type de situation par des interdits, des précautions, des ruptures de la chaîne de fabrication, etc. J'ai toujours considéré en tant que chef d'entreprise que les risques d'erreur ou de mauvaise manipulation étaient très graves, l'absence de mélanges fortuits étant un point important dans notre profession, ce qui se gère par des lots, des séparations ou des rinçages de circuits.

Cependant, des accidents peuvent se produire. Je vous ai cité l'exemple des anti-parasitaires chez les bovins pour l'avoir vérifié personnellement dans mon entreprise sur la base d'un accident, sachant que dans certains secteurs les accidents peuvent être liés à une absence de précautions dans la mesure où le risque n'est pas connu.

A ce sujet, nous avons élaboré en 1996 un guide professionnel de bonnes pratiques pour éviter les contaminations croisées. Il a été rapidement mis en place avec des professionnels et nous avons demandé aux deux administrations que j'ai citées de le valider, ce qui a été fait en 1997.

M. Paul Blanc - Vous n'avez pas à ma connaissance rappelé les sacs de farine, de viande et d'os pour les ruminants qui avaient été vendus avant juillet 1990, mais les éleveurs ont-ils été suffisamment informés ? En effet, le syndicat a décidé de ne plus les utiliser en octobre 1989, mais auparavant certaines farines avaient été confectionnées.

M. Yves Montécot - Je dois corriger votre propos : je n'ai pas à rappeler des sacs de farine et d'os car je n'en vends pas.

M. Paul Blanc - Avez-vous conseillé aux vendeurs de les rappeler ?

M. Yves Montécot - Nous n'avons pas rappelé les aliments pouvant contenir 1 ou 2 % de farines animales. J'ai le texte du 27 novembre 1989 sous les yeux. Il s'agissait d'une part d'écarter l'utilisation de toute farine de viande importée ou métropolitaine dans les formules destinées aux ruminants et d'éviter dans les usines polyvalentes la fabrication de formules destinées aux ruminants après des formules comportant des farines de viande.

M. Paul Blanc - J'entends bien qu'il n'existait pas d'interdit, mais vous aviez professionnellement, dès octobre 1989, décidé qu'il valait mieux ne pas adjoindre de farines animales à la fabrication, sachant que vous n'aviez si j'ai bien compris aucune raison d'être inquiet. Vous avez simplement pris une précaution.

M. Yves Montécot - C'était en effet un principe de précaution, étant entendu qu'en 1989 il n'était pas du tout question de contamination. C'était apparenté à la « tremblante du mouton », qui existait depuis longtemps.

M. Paul Blanc - Si je ne m'abuse, les importateurs ont été avisés le 17 juin 1993 que les importations de farines irlandaises étaient à nouveau autorisées. Votre syndicat avait-il été consulté ou avait-il émis un avis à ce sujet ?

M. Yves Montécot - Je n'étais pas Président à l'époque et je n'ai pas retrouvé de traces de cela, mais nous ne sommes en général pas concernés par ce type d'avis. Il faut préciser que l'embargo avait été mis en août 1989, en même temps qu'en Angleterre, et qu'ensuite il a été levé en 1993.

Il a été levé parce qu'à l'époque la situation en Irlande n'était pas du tout la même qu'en Angleterre, le process de fabrication de la République d'Irlande étant plus proche de celui de la France que de celui de l'Angleterre.

Il existe deux cas typiques. Je suis normand et fais du bateau dans les îles anglo-normandes : à Jersey, 680 cas de vache folle ont été répertoriés sur 5 000 vaches, soit trois fois plus qu'en France.

En Irlande, caillou de 5 kilomètres de long sur 3 kilomètres de large, plus de 200 cas de vache folle ont été répertoriés, car ce pays a toujours travaillé avec les Anglais, pour des raisons dont je ne débattrai pas ici, mais le processus de fabrication de farines animales irlandaises est presque le même qu'en France.

L'embargo a été levé car l'Irlande n'est pas considérée comme un pays à haut risque, comme l'Angleterre.

M. Paul Blanc - Il subsiste néanmoins des doutes sur le fait que des farines anglaises soient allées en Irlande et d'Irlande soient venues chez nous. Quel est votre avis sur la question ?

M. Yves Montécot - Cela a été vérifié et contrôlé par les services des douanes et nous-mêmes, sachant que nous surveillons les importations et les mouvements.

Dans les années 1993, 1995 et 1996, tous les mouvements ont été étudiés par les services de douanes et retrouvés, ce qui a permis fin 1996 et début 1997 au ministre de l'époque, M. Galland, de préciser après vérification qu'il n'y avait eu ni importations ni utilisations illicites.

Il est vrai que les volumes ont augmenté, mais c'est normal puisqu'une source s'est tarie, sachant que le marché anglais fournissait environ 10 000 tonnes par an. Le marché français utilisait des farines animales et s'est approvisionné à ce moment-là en Belgique et même dans certains cas au Danemark. Cela faisait partie des échanges commerciaux normaux.

M. Paul Blanc - Oui, mais nous n'avons pas de moyens de contrôle pour savoir si les échanges entre l'Angleterre et l'Irlande ne se sont pas accélérés. Je pense que vous avez prévu un voyage en Angleterre, Monsieur le Président, pour que nous en sachions plus à cet égard.

M. Yves Montécot - Il faut en effet poser la question à l'Irlande et aller voir ses services de contrôle. Il a été indiqué que les importations en provenance de Belgique avaient été multipliées par cinq, mais il faut savoir que nous importions 2 000 tonnes et que nous sommes passés à 10 000, à ramener à 600 000 tonnes.

Par ailleurs, des produits d'Angleterre qui valent 1,50 F passent par l'Irlande, la Belgique et même par le Danemark. Or, il faut qu'il y ait intérêt pour qu'il y ait fraude, l'accumulation des frais de transport enlevant tout intérêt aux produits.

Nous entendons souvent dire que dans les années 1989 nous avons en tant que professionnels acheté des farines animales anglaises parce qu'elles étaient bon marché. Cependant, j'ai fait établir sur une période longue -de 1985 à 1995- une courbe pour le prix du soja et une autre pour celui des farines animales et vous constaterez vous-mêmes qu'elles sont parallèles. C'est dû au fait que ce qui fait le prix des protéines dans le monde est le soja et le dollar. Quand le soja et le dollar augmentent, les autres protéines font de même, avec les conséquences que cela a eu le 14 novembre.

Dans la période incriminée, qui est la plus critique, en 1989, les cours du soja étaient au plus bas, ce qui explique qu'il en allait de même pour les farines animales, les courbes relatives aux farines de viande et de soja étant parallèles sur une période qui va de janvier 1986 à juillet 2000.

M. le Président - Le problème réside dans le fait que, si les farines de viande disparaissent, plus rien ne limitera ou encadrera le cours du soja, puisque c'était la compétition de ces deux produits qui faisait que les cours se maintenaient.

M. Yves Montécot - Tout à fait. Le soja avait d'ailleurs déjà augmenté, mais il a connu une nouvelle augmentation (située entre 15 et 20 %) le 14 novembre. Nous avons diffusé hier un communiqué à destination de la presse et de l'environnement indiquant que les aliments et le prix de revient des productions animales augmentaient de 20 %.

Le soja valait 1 F en juillet 1989 en port rendu contre 1,80 F en décembre 2000. Ce n'est pas uniquement dû à la décision du 14 novembre, car le marché était haussier, mais il s'agit aussi d'un marché d'offres et de demande, de telles décisions conduisant à une augmentation.

M. Jean-François Humbert - Par rapport à ce que vous nous avez indiqué il y a un instant concernant les statistiques douanières, à partir du moment où l'on est dans le cadre d'un marché unique européen, quelles sont les douanes qui fournissent les informations, les douanes françaises ou les douanes belges ?

En effet, la libre circulation des biens et des personnes fait que par exemple je ne suis pas certain qu'il existe des vérifications douanières entre la Belgique et la France.

M. Yves Montécot - Un suivi documentaire est effectué, mais les services des douanes peuvent aussi procéder à des vérifications dans les pays concernés sous forme de contrôles. En tout cas, notre traçabilité est documentaire, à travers des documents d'accompagnement systématiques.

M. Jean-François Humbert - Quelle est la force probante de ces documents ?

M. Radet - Les documents font l'objet d'un étiquetage particulier, notamment les déclarations d'échanges de biens quand ils changent de pays, comme pour tout document commercial.

Ils ont d'ailleurs fait l'objet de vérifications par le biais d'une réquisition, donc d'une procédure judiciaire. Dans le cadre des éléments de traçabilité évoqués par M. Montécot, les fabricants ont dû donner différents documents par rapport à leur comptabilité interne s'agissant de ce qui entrait et était utilisé dans l'entreprise, les déclarations d'échanges de biens indiquant l'origine des produits.

M. Yves Montécot - Cette réquisition du Juge Boizette a eu lieu en 1997. L'ensemble des fabricants français ont fourni des déclarations d'échanges camion par camion, toute transaction correspondant à un mouvement, nonobstant tous les contrôles aléatoires que peuvent effectuer les services.

Je dois compléter la réponse faite sur les utilisations en évoquant les contrôles effectués dans les entreprises par les services des fraudes, qui ont concerné presque tous les fabricants, étant entendu qu'il ne s'agissait pas de contrôles de routine. Ils ont duré presque un mois, avec 2 ou 3 fonctionnaires, toutes les entrées et sorties de l'entreprise ayant été reprises, avec vérification des documents correspondants.

M. Jean-François Humbert - Parmi vos 200 adhérents, combien ont une taille européenne, à savoir des établissements dans plusieurs états de l'Union Européenne, et quels sont-ils ?

M. Yves Montécot - Un certain nombre d'entre eux ont une taille européenne. Il s'agit dans l'ordre de Glon-Sanders, de Guyomarc'h, du Groupe Trouw Nutrition, de fabricants comme Verzel-Laga, qui sont implantés en France et dans d'autres pays, d'Agribands, adhérent américain, et de Central Soya, puis nous passons à de grandes entreprises de taille régionale, comme Univor et Huttepain, qui produisent 500 000 tonnes par an.

Suivent les petites entreprises, comme l'une des miennes, qui travaillent sur 4 ou 5 cantons.

Je tiens néanmoins à préciser que la sécurité et la fiabilité des entreprises n'a pas de lien avec la taille. C'est mon privilège à la fois de Président et de chef d'entreprise. Il n'existe pas de corrélation entre ces deux éléments.

M. Jean-François Humbert - Ma question n'avait pas pour but d'établir une corrélation. Je souhaitais simplement savoir s'il existait des possibilités de passage au sein d'un même groupe entre différents pays européens.

M. Yves Montécot - L'aliment ne voyage pas, contrairement aux matières premières, notamment le soja, qui est le plus cher.

M. François Marc - La question de l'importation des matières dangereuses est intéressante, mais je voudrais surtout évoquer l'application par les entreprises des dispositions interdisant les farines animales pour les bovins depuis déjà un certain nombre d'années. Malgré cette interdiction, il semble que de nombreux bovins aient consommé des aliments comportant des farines animales.

Les techniciens d'élevage des entreprises, qui passent chez les producteurs, leur donnent un certain nombre de conseils et leur vendent des produits, ont-ils été conduits au cours des dernières années à conseiller parfois aux agriculteurs de donner de l'aliment porc à des bovins parce que cela faisait mieux grandir les veaux ? C'est une question précise qui fait écho à un certain nombre de propos entendus par des agriculteurs.

Je sais que la prise de conscience n'était pas la même il y a dix ans, mais les conseils qui ont été donnés aux éleveurs n'ont-ils pas parfois été empreints d'un certain laxisme ?

M. Yves Montécot - Votre question est importante et je vais y répondre sur deux points. Des méthodes permettent depuis 1998 de savoir ce qui est mélangé ou pas, ce qui fait référence aux fameux « 3 pour 1000 ».

Les derniers chiffres de la DGCCRF, qui datent d'avant la crise et concernent la période du 1er janvier au 30 juin 2000, indiquent que, sur 280 contrôles effectués en entreprise, aucun n'était en dehors de la limite, alors qu'en 1999 une dizaine d'entreprises frôlaient celle-ci.

Quant au fait qu'un technicien préconise à un éleveur de donner à des bovins des aliments volaille, je n'y crois personnellement pas, car je suis un homme de terrain, sachant qu'ils sont généralement plus chers que les aliments bovin et porc. De plus, ils sont mauvais nutritionnellement. Cela a pu se passer à certaines périodes, quand les éleveurs n'étaient pas sensibilisés au problème, mais je ne pense pas que cela ait été fréquent.

J'ai beaucoup entendu dire qu'il peut arriver, quand un éleveur produit de la volaille à côté d'un cheptel de bovins, qu'en fin de bande, s'il reste une tonne, 500 ou 100 kilos dans le silo, des aliments volaille soient donnés, mais je n'y crois pas, car nutritionnellement les besoins ne sont pas du tout les mêmes. De plus, ce n'est pas économiquement judicieux.

M. François Marc - Pouvez-vous nous préciser si, dans un granulé pour bovin, il peut exister une dose suffisante pour le contaminer ? En effet, 1 cm3 de cervelle étant considéré comme contaminant, nous pouvons penser qu'un seul granulé contient une dose suffisamment forte.

M. Yves Montécot - J'avoue qu'il vaut mieux que vous posiez cette question aux scientifiques, mais il faut savoir que les farines françaises étaient sécurisées, les abats à risque ayant été supprimés.

Si un ou des granulés sont contaminants, à une dose que les scientifiques ne connaissent pas encore, cela signifie que les farines françaises sont très contaminées.

La méthode d'analyse est la suivante pour les fameux « 3 pour 1 000 » : quand on trouve 1 pour 1 000 d'os, on en déduit que la viande contient 3 pour 1 000 de farines animales. On recherche en fait les fragments d'os. Le niveau de la recherche et de l'analyse est donc bien 1 pour 1 000 et non 3 pour 1 000, mais la viande est considérée comme conforme jusqu'à 3 pour 1 000, car on ne peut pas quantifier.

M. Michel Souplet - 200 cas de vache folle ont été répertoriés en France jusqu'à présent : il serait intéressant de savoir pour ceux-ci chez qui les éleveurs de ces animaux se fournissaient en farines. En effet, logiquement, on n'aurait pas dû trouver de cas -à une bavure près- chez tous ceux qui se fournissent en farines chez les adhérents du SNIA, puisque depuis 1989 il ne se fabrique plus d'aliments pour bovins contenant des farines animales. Il serait intéressant de pouvoir se dire qu'après tout cela provient de l'étranger ou d'autres éleveurs qui étaient moins sérieux.

M. Yves Montécot - Je vais vous répondre, mais sans vous suivre forcément dans votre raisonnement, car je n'ai pas pour habitude de dire : « Ce n'est pas nous, ce sont les autres » ; je pense qu'il existe d'autres explications.

Premièrement, nous avons connaissance de tous les cas, mais nous ne savons pas forcément qui était le fournisseur, certains éleveurs en ayant très souvent plusieurs. Par ailleurs, certains éleveurs n'ont jamais utilisé de tels aliments.

Deuxièmement, la contamination par les farines animales n'est pour l'instant que l'hypothèse la plus probable.

J'ai alerté l'Administration au plus haut niveau, car j'ai toujours été surpris qu'il soit considéré qu'en Angleterre 12,5 des cas sont liés à la transmission parentale alors qu'en France celle-ci n'est pas reconnue, la reproduction des vaches en Angleterre et en France me paraissant assez semblable.

Enfin, il faut savoir que le premier cas de vache folle qui ait été diagnostiqué et retrouvé date de 1833, à Bordeaux ; c'est ce que nous appelons « les cas sporadiques ».

Cependant, je précise que la situation en France n'est pas la même qu'au Royaume-Uni. Nous savons ce qui s'est passé au Royaume-Uni : à partir d'un brevet américain, le produit a été chauffé à 80 degrés au lieu de 130, sachant que ce procédé n'a jamais été utilisé en France.

Je pense que vous avez remarqué que je ne fais pas de commentaires dans la presse depuis la décision du 14 novembre sur la suppression des farines animales, même si j'en fais sur les conséquences et les coûts que cela entraîne.

En revanche, j'interviens fortement -j'ai encore donné une interview à la télévision hier- quand on dit que les fabricants ont importé illégalement et que nous avons empoisonné.

En effet, nous savons comment se terminera cette affaire. Soit les personnes qui avancent cela ont des preuves, auquel cas il appartiendra à la justice d'agir, soit elles n'en ont pas et il ne faudra pas les laisser faire, car cela porte un discrédit sur l'ensemble de la profession.

3 cas concernent des animaux nés en 1996. Cependant, si des animaux nés après le 26 juin 1996 sont atteints, il faudra trouver d'autres explications que les farines animales.

M. le Président - Les conséquences sont financières pour vos entreprises, car le coût des matières premières est plus élevé, mais cela vous pose-t-il également des problèmes sur le plan technique ?

M. Yves Montécot - J'ai toujours déclaré que l'on pouvait agir rapidement, en quelques jours, voire en quelques heures, ce qui a été fait. Quand nous avons donné des explications, nous pensions beaucoup plus aux conséquences pour l'élevage en France (par rapport à la perte de valorisation des cinquièmes quartiers, etc.), aux problèmes d'environnement et au coût de la destruction qu'à notre profession.

Les conséquences pour nous résident dans le fait que la décision prise entraîne sur le marché mondial du soja un besoin supplémentaire de 3 millions de tonnes en Europe, qui en importe 30 millions.

Cela représente un très fort bénéfice pour les Etats-Unis et pour le Brésil, le prix des graines ayant remonté de la même façon, la France s'approvisionnant plutôt au Brésil qu'aux Etats-Unis, même si c'est plutôt l'inverse en Europe.

Les protéines françaises (soja, colza et tournesol) ont aussi beaucoup augmenté, la différence entre les protéines françaises ou européennes et américaines résidant dans le fait que nous n'avons pas de disponibilité en Europe.

Cela signifie que les 3 millions d'appels qui seront faits vont aller vers le soja, ce qui nécessite que des décisions soient prises pour que la culture des protéines puisse être développée et encouragée en Europe.

Les conséquences économiques sont donc très fortes, 80 % de notre prix de vente provenant des matières premières. Si celles-ci augmentent de 20 % alors que la marge de la moyenne de la profession est de l'ordre de 1 %, nous ne pourrons que répercuter et augmenter les prix, ce qui renchérira d'autant ceux des productions et des viandes qui se trouvent sur le marché .

M. le Président - Il nous reste à vous remercier infiniment.

Audition de M. Daniel RABILLER, Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Production et d'Alimentation Animale (SYNCOPAC)

(20 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, président - Nous allons maintenant pouvoir entendre M. Daniel Rabiller, Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Production et d'Alimentation Animale, et M. Merlot, Directeur de cet organisme.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Rabiller et Merlot.

M. Daniel Rabiller - Je suis Président du Syncopac en tant que représentant d'une coopérative française et agriculteur-éleveur en Vendée.

Mon propos est de bien spécifier l'avant 1996 par rapport à l'après 1996.

Avant 1996, la réglementation concernait l'alimentation animale, alors que depuis 1996 elle a davantage trait à l'aspect sanitaire pour l'homme. Il est clair qu'avant 1996 personne ne s'était soucié des retombées possibles sur la santé humaine, ce qui a valu en 1989, en Angleterre et en France, de réglementer les importations de farines anglaises, la France ayant pris en 1990 la décision d'interdire toute farine animale chez le ruminant.

En 1989, seules certaines entreprises avaient la possibilité d'importer des farines anglaises, à certaines conditions et sous le contrôle des services vétérinaires français, pour des utilisations bien précises.

Les fabricants d'aliments et toute la société française ont vécu jusqu'en 1996 avec la réglementation qui datait de 1990 et interdisait toutes les farines animales pour les ruminants, l'Europe n'ayant pris la décision que je viens d'évoquer qu'en 1994.

Des dispositions ont été prises entre 1989 et 1996 pour assurer la sécurité sanitaire des animaux, mais rien n'a été fait pour assurer celle des hommes. En effet, pendant toute la période durant laquelle toutes les importations de farines anglaises ont été interdites -ce qui était normal-, l'on n'a jamais interdit en France les importations de viande et d'abats anglais, qui ont été consommées de façon tout à fait normale par les Français, celles-ci (notamment s'agissant des abats) ayant fortement augmenté en 1993, 1994 et 1995.

On parle toujours des contaminations croisées qui ont pu se produire depuis 1996 mais, si un certain nombre de fraudes ont été commises avant 1996, nous souhaitons que la transparence soit faite le plus vite possible et que des sanctions soient prises, ce qui est le problème de la justice.

En 1996, avec la prise de position du ministre anglais, qui a considéré que la maladie de la vache folle pouvait être transmise à l'homme, un certain nombre de dispositions ont été prises en France. Elles sont toutes résumées dans le rapport Dormont et ont été appliquées à partir du 1er juillet 1996. Nous pouvons considérer qu'à partir de là les farines animales n'ont plus du tout été les mêmes.

Ce rapport comporte trois points importants :

L'élimination des cadavres et des saisies de farines animales. Nous nous apercevons aujourd'hui, après les tests qui ont été réalisés, que certains animaux étaient plus à risque que d'autres.

La mise aux normes des équarrisseurs, celle-ci n'ayant été malheureusement appliquée qu'en 1998, à la suite d'une position réitérée de la part de la part de la Communauté Européenne, à travers l'obligation faite à la France par l'Europe de se mettre aux normes.

La séparation, dans les fabrications d'aliments, entre les aliments pour ruminants et les autres sortes d'aliments pouvant contenir des farines animales, point qui nous concerne plus particulièrement en tant que fabricants d'aliments.

Nous aurions souhaité en 1996 qu'une réglementation beaucoup plus stricte aille jusqu'à indiquer qu'il fallait vraiment séparer les usines de fabrication et interdire quasiment la fabrication d'aliments aux ruminants dans une usine polyvalente car cela présentait un risque de mélange.

Nous avons à la demande de l'Administration -qui n'était pas favorable à cette prise de position- établi avec nos collègues du SNIA un guide de bonnes pratiques qui consiste à définir très précisément qu'elles doivent être les méthodes de fabrication dans nos usines d'aliments, pour répondre au rapport Dormont et afin d'éviter tout mélange possible entre les aliments pour ruminants et ceux pour volailles ou cochons.

Ce guide de bonnes pratiques évoque un certain nombre de points : le nettoyage des camions qui transportent les matières premières, celui des cuves après réception d'une farine animale et les moyens relatifs à la distribution, par exemple la vidange des camions qui ont livré un aliment pour volailles ou porcs avant d'en livrer un pour ruminants.

Il est évident que, dans une usine polyvalente, le risque de retrouver une trace est grand. En effet, vous avez beau prendre toutes les précautions possibles, étant donné les méthodes d'analyse et de recherche actuelles, on retrouvera toujours une trace, dans un camion qui n'aura pas été bien nettoyé, etc.

De 1996 à aujourd'hui, seule la France a pris des dispositions aussi rigoureuses. En effet, elle a pris en matière d'alimentation animale et de sécurité dans ce domaine des précautions très strictes qui je crois ont été appliquées par l'ensemble des fabricants d'aliments.

Ces précautions ont entraîné parallèlement nos adhérents à prendre un certain nombre de dispositions rigoureuses pour éviter le risque de mélange, sachant que certains d'entre eux, compte tenu du risque et de la pression des contrôles effectués dans nos usines d'aliments par la DGCCRF et les services vétérinaires, avaient déjà supprimé depuis trois ou quatre ans toutes les farines animales dans leurs usines pour opter pour le 100 % végétal. De même, certaines entreprises qui possédaient plusieurs usines les ont spécialisées, toujours dans la perspective d'éviter les mélanges.

Nous avons demandé le 11 juillet au ministère de l'Agriculture de nous préciser ce qu'il fallait retenir en termes de traces dans l'alimentation animale, en lui précisant que faute de quoi nous serions amenés à prendre des dispositions et à faire des recommandations à nos adhérents pour les inciter à ne plus utiliser les farines animales, mais nous n'avons jamais eu de réponse précise sur ces normes.

Nous avons d'ailleurs recommandé tout début octobre à nos adhérents et à toutes les usines polyvalentes, avant que la crise éclate -compte tenu de la pression forte qui était exercée sur nous-, de ne plus utiliser du tout de farines animales, sachant que début octobre, selon une enquête rapide que nous avons menée auprès de nos adhérents, nous avons constaté que 75 % d'entre eux ne le faisaient plus.

Nos adhérents ont également pris d'autres mesures, la plupart d'entre eux étant depuis 1996 certifiés ISO 9002 et utilisant les mêmes méthodes de suivi de fabrication que n'importe quelle usine agroalimentaire ou ayant une activité économique.

Nous avons toujours constaté par rapport aux risques pouvant exister une sorte d'absence de position bien définie de la part des Pouvoirs publics concernant l'ensemble de ces réglementations.

En effet, comme je vous l'ai indiqué, nous avons demandé le 11 juillet des précisions sur les problèmes de traces et nous n'avons pas eu de réponse. De même, nous avons fait depuis 1996 un certain nombre de demandes sans que les positions de l'Administration aient jamais été très bien établies et très claires en la matière, ce qui nous a amenés à aller un peu plus loin que la réglementation, jusqu'à supprimer les farines animales dans un certain nombre de cas.

Il est beaucoup question depuis 1996 des farines qui provenaient d'Angleterre et qui étaient paraît-il la cause d'une contamination croisée, mais a-t-on parlé des farines françaises et celles-ci étaient-elles véritablement saines ?

En effet, dans le début des années 1990, quand des viandes et abats anglais ont été importés massivement, je suppose que tous ces déchets sont rentrés dans les farines françaises.

Enfin, par rapport au cinquième point du rapport Dormont, qui évoquait la séparation stricte de la fabrication d'aliments pour ruminants de celle pour d'autres espèces, si des traces présentaient à l'époque un risque important, il fallait éliminer tout de suite les farines animales, car on ne peut pas jouer avec un problème de santé.

Notre profession a beaucoup servi de bouc émissaire depuis 1996, et nous avons été pendant très longtemps accusés d'être responsables de tout ce qui se passait. De plus, nous sommes mis avant s'agissant de contaminations croisées qui auraient pu avoir lieu depuis 1996, alors que le problème de fond se pose avant 1996 puisque toutes les vaches atteintes d'ESB sont nées en 1993, 1994 et 1995.

Cette époque correspond également au constat d'une faillite européenne. Jamais l'Europe, alors que nous sommes dans une communauté européenne pratiquant le libre échange, n'a pris de véritables mesures strictes et rigoureuses pour éviter tout risque de mélange à quelque niveau que ce soit, sans parler du problème anglais, ce qui s'est passé depuis 1986 étant relativement inquiétant.

Le consommateur réagit et fait payer de façon injuste toute la production bovine, ce qui est grave. Nous faisons de nombreux efforts, mais malgré tout il se sent trompé, ce qui est extrêmement inquiétant.

M. le Président - Quelle mention les sacs d'aliments que vous prépariez avant interdiction étaient-elles portées sur les étiquettes ?

M. Daniel Rabiller - Nous avons toujours affiché la réglementation française et européenne, qui a toujours été très stricte en matière d'étiquetage de l'alimentation animale, celui-ci étant très proche de celui relatif à l'alimentation humaine.

Cependant, l'harmonisation européenne nous a obligés à revenir en arrière à une certaine période, ce qui est regrettable, sachant que la France appliquait une réglementation par ingrédients en matière d'étiquetage.

Cependant, nous en revenons aux ingrédients. Nous avons d'ailleurs recommandé début octobre à tous nos adhérents, même si la réglementation ne les y oblige pas, à indiquer sur les étiquettes de sacs d'aliments pour animaux tous les ingrédients qui rentrent dans la composition de ceux-ci et non plus uniquement les catégories.

M. le Président - Qui élabore les recommandations nutritionnelles suivies par l'ensemble de la filière en termes de quantités et d'éléments protéiques mis dans les aliments pour animaux ?

M. Daniel Rabiller - La formulation des aliments est un domaine d'activité qui a été très étudié par l'INRA, toute la recherche relative à l'alimentation animale, à travers la connaissance de la vie de l'animal et l'analyse des matières premières, provenant toujours de celui-ci.

De même, nous comptons dans nos entreprises des services de recherche qui ont toujours travaillé en étroite collaboration avec l'INRA ainsi qu'avec d'autres chercheurs étrangers, notamment aux Etats-Unis et partout où il existe des données technologiques importantes quant à la connaissance des matières premières dans le domaine de la nutrition et de l'animal.

Nous nous intéressons systématiquement à tout ce qui se passe pour pouvoir adapter l'alimentation des animaux de façon à obtenir une meilleure croissance de chacun d'entre eux tout en préservant leur bien-être.

M. le Président - Qui contrôle la composition et la bonne réalisation des formules ?

M. Daniel Rabiller - Hormis les systèmes d'auto-contrôle que chaque usine possède, le secteur de l'alimentation animale est contrôlé par la Direction des services vétérinaires et la répression des fraudes, qui examine occasionnellement ce qui se passe dans n'importe quelle usine d'alimentation, sans oublier par ailleurs tous les cahiers des charges demandés à nos usines d'aliments par la grande distribution ou par des groupements d'éleveurs, qui sont définis par l'ensemble de la profession ainsi que par ceux qui nous les demandent et qui sont contrôlés par les organismes certificateurs. Les contrôles, qui sont effectués par un ensemble de personnes, sont réguliers et encore beaucoup plus importants depuis 1996.

M. Paul Blanc - Vous êtes vous-même éleveur. Estimez-vous en tant que Président du Syncopac que l'ensemble de la profession des éleveurs a été bien informée s'agissant de la composition des aliments et de la présence de farines animales ?

M. Daniel Rabiller - Je l'ignore. Il faut se replacer dans le contexte de la fin des années 1980 et du début des années 1990. Il ne s'agissait pas alors d'un problème d'ordre public.

M. Paul Blanc - Il a commencé à faire son apparition entre 1990 et 1996.

M. Daniel Rabiller - Seuls les professionnels étaient vraiment au courant, sachant qu'à l'époque je n'étais pas mêlé à l'alimentation animale comme je le suis depuis 1995, même si je suivais la question en tant que Président d'une coopérative qui fabriquait des aliments.

J'avais connaissance de tout ce qui se passait en Angleterre et je savais que la farine animale était interdite pour les ruminants, mais je ne suis pas certain que les éleveurs connaissaient pertinemment toutes les conséquences de cela.

M. Paul Blanc - Des formations n'ont pas été dispensées.

M. Daniel Rabiller - A ma connaissance, aucune formation ou information n'a été donnée et aucun débat public n'a jamais eu lieu sur ce problème. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté dès le départ sur l'avant et l'après 1996.

Un problème de santé animale se posait en Angleterre avant 1996, mais cela ne concernait pas la France pour l'éleveur que je suis ou mes collègues qui travaillaient dans leur exploitation.

En effet, nous savons parfaitement ce qui se passe chez nos voisins en France et nous savions qu'un problème de maladie se posait en Angleterre, mais cela ne nous concernait pas tant que c'était chez les autres, sachant qu'alors personne ne savait très bien comment la maladie pouvait se transmettre. Le souci n'était pas extrêmement profond.

M. Paul Blanc - Vous avez été très clair en indiquant que, d'une façon que vous avez explicitée, des contaminations accidentelles avaient pu se produire, mais pensez-vous également que les farines animales aient pu être utilisées de façon frauduleuse ?

M. Daniel Rabiller - Il ne m'appartient pas de dire si des farines animales ont été utilisées ou non de façon frauduleuse. C'est à la justice de démêler ce genre d'affaire si cela a été le cas, sachant que nous avons toujours indiqué très clairement que si fraudes il y a eu elles doivent être sanctionnées. Un représentant de notre profession ne peut pas supporter l'idée que l'un de nos adhérents ait incorporé dans un aliment quelconque -quel que soit le produit- une matière première qui était interdite.

M. Paul Blanc - Se pose également le problème des farines de viande et d'os utilisées pour les ruminants et vendues avant 1990. Je suppose que vous avez aussi signé l'accord interprofessionnel pour exclure toutes les farines animales en 1989, mais certaines d'entre elles ont été fabriquées et distribuées en 1989. Avez-vous mené une action pour alerter éventuellement vos adhérents ?

M. Daniel Rabiller - Je ne sais pas si un accord interprofessionnel a été signé en 1989, car mes prédécesseurs ne me l'ont pas précisé et parce que je n'en ai pas retrouvé de trace. En revanche, je sais qu'en 1990 il a été interdit d'utiliser toute farine animale pour les ruminants, ce qu'il faut retenir, les adhérents de nos entreprises en ayant bien entendu été largement informés. C'est à partir de là que la justice doit pouvoir faire son travail si fraudes il y a eu.

M. Paul Blanc - Au-delà, vous auriez pu éventuellement donner une information sur les farines fabriquées avant cette interdiction qui contenaient des farines animales et conseiller de ne plus les utiliser, de les détruire ou de les rapatrier.

M. Daniel Rabiller - Quand il a été interdit d'utiliser les farines animales le 14 novembre, les éleveurs ont été autorisés, selon des normes bien précises, à utiliser leurs stocks et les fabricants d'aliments à procéder à des fabrications avec leurs matières premières jusqu'au 30 novembre et parfois jusqu'au 15 décembre.

M. Paul Blanc - N'avez-vous pas eu connaissance de la même façon de procéder en 1990 ?

M. Daniel Rabiller - J'imagine que la même chose a dû se produire, sachant que cela ne représente pas forcément de grosses quantités. Le phénomène actuel de la vache folle concerne les bovins nés en 1993, 1994 et 1995, et il faudra s'interroger sur les cas humains dans la mesure où la durée d'incubation est de 12 ans.

M. Paul Blanc - L'avis du 17 juin 1993 a autorisé les importations de farines irlandaises. Avez-vous une explication à nous donner à ce sujet ?

M. Daniel Rabiller - Non, car nous ne sommes pas importateurs. Nous sommes des fabricants d'aliments et achetons des matières premières en France et à des importateurs. Ce problème concerne ces derniers et l'Etat.

M. Paul Blanc - Vous connaissez la provenance des farines.

M. Daniel Rabiller - Je ne suis pas certain qu'à l'époque les acheteurs de matières premières demandaient aux importateurs un cahier des charges précis.

M. Paul Blanc - Vous n'avez pas la possibilité de disposer d'une traçabilité s'agissant des importateurs.

M. Daniel Rabiller - A chacun son métier, sachant que depuis 1996 nous nous soucions fortement de la traçabilité des matières premières compte tenu de la pression de plus en plus forte exercée sur nous.

Pour des raisons de sécurité et pour rassurer le consommateur et nos éleveurs, nous recherchons par tous les moyens une traçabilité des matières premières. C'est l'un de nos soucis majeurs, comme vous pouvez le voir avec le soja. La question des farines animales ne se pose plus du tout aujourd'hui, mais que se passait-il à ce moment-là ?

M. le Président - Comme vous l'avez rappelé, un certain nombre d'entreprises ont obtenu des dérogations pour importer des farines britanniques après 1989. Cela a-t-il été le cas dans votre syndicat ?

M. Merlot - En principe non.

M. Daniel Rabiller - C'était destiné à des usines spécialisées pour des productions de volailles et de porcs.

Notre Fédération regroupe un peu plus de 50 % des fabricants d'aliments en France, mais le pourcentage était très inférieur à l'époque, les coopératives occupant une position très forte depuis le début des années 1990 en matière d'alimentation animale. Nous n'avons pas la liste des entreprises que vous évoquez, mais elle existe.

M. François Marc - Vous avez, Monsieur le Président, reconnu avec beaucoup d'honnêteté que les risques de mélanges fortuits ne pouvaient pas être complètement éliminés. Or, dans la mesure où nous savons que les farines ont été interdites depuis 1990, la bonne décision n'aurait-elle pas été de spécialiser chaque filière de fabrication d'aliments pour les activités porcs, bovins et volailles ? Cela aurait représenté une garantie satisfaisante.

M. Daniel Rabiller - Nous pourrions même aller jusqu'à envisager des éleveurs spécialisés qui ne produisent pas, car le risque existe parmi ceux-ci, notamment par rapport aux fonds de silos. Nous aurions souhaité en 1996 que la décision aille jusque là.

Cependant, un adhérent m'a indiqué qu'il avait appliqué ces dispositions en 1996 et la firme service dans laquelle je travaille avait fait de même en demandant à ses adhérents de prendre de multiples précautions, y compris pour les graines, sachant que nous avons eu à ce moment-là la garantie, de la part des Pouvoirs publics et du ministre de l'Agriculture, que nos farines françaises étaient saines.

Il faut se resituer dans le contexte de 1996, seule la France ayant pris des mesures draconiennes à travers l'élimination des cadavres, saisies et de tous les abats à risque, ce qui était une nouveauté. Nous avons éliminé 99 % du risque.

Il faut toujours se replacer dans l'époque où ces décisions ont été prises. Personne en France ne parlait alors du risque en matière de santé humaine ; cela concernait l'Angleterre.

Dans toutes les informations que nous avons pu avoir entre septembre et octobre, il n'était question que de traces de 0,1 à 0,3 %, ce qui est très minime. Cependant, même si ce sont des traces de farine animale qui ont été à l'origine de la maladie chez l'animal, il est extrêmement grave d'avoir laissé une matière première sur un marché, la question étant de savoir si cela ne provient pas d'une absence de position forte de la part d'un certain nombre de scientifiques ou d'administrations.

Je ne veux pas rejeter la pierre, mais nous sommes dans un pays où chacun a son travail à faire. Vous avez le nôtre et nous le nôtre, comme les administrations et les scientifiques.

Nous pouvons nous interroger sur la volonté de ne pas vouloir prendre de dispositions rigoureuses parce que cela allait entraîner des conséquences économiques. De plus, il n'existe pas en Europe de véritable harmonie sanitaire.

C'est un problème extrêmement grave car, si l'on veut parler de problèmes de santé animale et humaine, à plus forte raison dans une communauté de pays où le libre échange existe, il est urgent d'avoir une harmonie sanitaire.

M. François Marc - Ce que certains appellent la contamination croisée, que d'autres qualifient de « mélanges fortuits », est possible dans une usine et ensuite sur l'exploitation, quand différentes activités d'élevage sont rassemblées sur celle-ci.

Avez-vous des précisions à nous donner sur le comportement des entreprises depuis 1990, date d'interdiction des farines pour les bovins, quant aux conseils qui ont pu être donnés aux éleveurs ? Une campagne de sensibilisation et de formation des techniciens d'élevage dans le cadre de leur travail vis-à-vis des exploitants a-t-elle été organisée ?

Nous avons en effet eu des échos de conseils donnés à des éleveurs qui n'étaient pas toujours très rigoureux s'agissant du respect de l'interdiction totale de farines animales pour les ruminants.

M. Daniel Rabiller - Les conseils des techniciens sont professionnels, ceux donnés à un éleveur de bovins n'étant évidemment pas du tout les mêmes que ceux donnés à un éleveur de volailles ou de porcs.

Je pense que vous faites allusion à des propos consistant à dire que les techniciens auraient conseillé de donner des aliments bovins à des volailles, mais cela me paraît utopique, car il ne s'agit pas du tout du même animal. Les matières premières sont les mêmes à 95 %, mais des formulations changent dans la mesure où des matières premières ne sont pas recevables par telle ou telle espèce.

Je tiens à préciser que, durant tout le début des années 1990, personne ne s'est soucié vraiment de lancer une campagne d'information sur ces risques, ni vous ni nous. Même après 1996 -ce qui est sans doute plus grave-, parce que le problème a toujours été imputé aux fabricants d'aliments, étant entendu que nous avons servi de bouc émissaire, des précautions ont-elles été prises et des campagnes d'information ont-elles été lancées auprès des éleveurs polyvalents ?

Jusqu'en 1997-1998, des éleveurs de toute bonne foi qui avaient des élevages de volailles et de bovins pouvaient fort bien faire consommer des fonds de silos à ces derniers ; personne ne leur avait rien dit.

C'est à la marge, mais je tenais à insister sur l'absence de précautions prises, même si l'on a voulu que les fabricants d'aliments en prennent beaucoup, sachant que nous sommes allés jusqu'à spécialiser nos camions de livraison, ceux qui livrent des aliments pour les ruminants ne livrant plus d'aliments pour les volailles et les porcs. Nous ne nous soucions de façon forte de ce risque dans ce pays, et ce à tous les niveaux, que depuis un ou deux ans.

M. Gérard Le Cam - Nous allons visiter des établissements de fabrication d'aliments dans le cadre de notre enquête (coopératives ou entreprises privées) et j'aimerais avoir dans ce cadre accès aux documents commerciaux (bons de commande et de livraison et ceux qui établissent l'origine des produits) datant d'avant et de juste après l'interdiction. Pensez-vous que ce sera possible ? Les entreprises les ont-elles conservés ?

M. Daniel Rabiller - Absolument. Tous ces documents sont conservés et font régulièrement l'objet d'analyses de la part de la brigade d'enquête des services vétérinaires.

Non seulement pour le Juge Boizette, mais aussi à chaque fois qu'un cas de vache folle se présente dans une région donnée, l'usine est analysée d'un bout à l'autre, par rapport à tous ses documents comptables et non à sa conception matérielle, toute entreprise ayant l'obligation de les conserver.

Je puis vous assurer que toutes les usines ont préparé leurs dossiers il y a longtemps et qu'elles sont prêtes à les remettre aux services d'enquête, étant entendu que vous les aurez dans la mesure où vous faites partie d'une commission d'enquête. Le contraire serait anormal.

M. le Président - Nous vous remercions infiniment.

Audition de M. Bruno POINT,
Président du Syndicat des Industries Françaises de Coproduits Animaux (SIFCO)

(20 décembre 2000)

M. Gérard Dériot, président - Merci, Monsieur Point, d'avoir répondu à notre invitation.

Je rappelle que vous êtes Président du Syndicat des Industries Françaises de Coproduits Animaux le (SIFCO).

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Point.

M. le Président - Nous vous demandons au titre de votre fonction de nous rappeler comment vous fonctionnez, surtout par rapport au problème des farines animales puisque c'est le sujet de notre commission d'enquête.

M. Bruno Point - Je me permets de vous remettre un document comportant des chiffres.

Je représente le SIFCO (Syndicat des Industries Françaises de Traitement des Coproduits Animaux).

Ce syndicat regroupe 23 entreprises qui représentent grosso modo un chiffre d'affaires de 4 MDF. Sont adhérents 30 sites de production qui fabriquent des farines, des graisses et des suifs. Ces farines et ces graisses sont concernées par l'objet de votre enquête et étaient commercialisées, notamment auprès de fabricants d'aliments pour animaux.

Ces 30 sites de production sont répartis sur le territoire français, 10 sites de production travaillant en parallèle sur les produits concernés par le service public de l'équarrissage. Je vous ai remis à cet égard deux tableaux simples et synthétiques donnant un petit schéma des filières et rappelant les volumes concernés par l'une et l'autre de ces activités.

Le service public de l'équarrissage a été institué en 1996 suite aux arrêtés du 28 juin 1996 et a fait l'objet d'une loi en décembre 1996. Il concerne les cadavres d'animaux, les saisies d'abattoirs et les MRS, c'est-à-dire les matières ou matériels -selon la traduction de l'anglais- à risques spécifiés que sont les systèmes centraux nerveux des ruminants.

Je ne vais pas vous énoncer les quantités que vous avez sous les yeux, mais cela correspond très globalement à de 3 à 3,5 tonnes de coproduits valorisables jusqu'au 14 novembre 2000, après un départ à 600 000 tonnes, le service public de l'équarrissage ayant beaucoup évolué puisqu'il a fait l'objet d'arrêtés complémentaires sur de nouveaux produits, le dernier en date concernant les boyaux de bovins, qui portent ces volumes à 850  000 tonnes.

Pour mémoire, la production globale des farines et des graisses animales est en Europe de l'ordre de 3 millions de tonnes pour les farines et de 1,5 tonne pour les graisses, chiffre grossier mais qui situe le niveau de production.

Je vous ai fait une description très générale et synthétique des entreprises adhérant à notre syndicat, qui représente la quasi-totalité des producteurs.

Il s'agit d'entreprises spécifiques de production de farines et de graisses animales à partir des coproduits et d'ateliers intégrés au sein des abattoirs dont l'activité marginale est connexe. Il s'agit en général de grands groupes de viande qui se sont équipés eux-mêmes en annexe de leur production de viande et de leur travail sur les coproduits.

Notre profession a vu sa réglementation profondément évoluer depuis 1990. Je pense que vous avez analysé tous les textes, le texte principal étant celui de 1990, qui interdit l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation des bovins et qui a été repris en 1994 pour être élargi aux ruminants.

De même, la directive européenne 667 de 1990 est très importante, car elle définit l'encadrement général de notre profession. Elle a été reprise en France en 1991.

Nous appelons cela dans notre métier « l'arrêté de 1991 », qui définit les produits, donc les matières (c'est-à-dire les produits et sites à bas et haut risque) et détermine les procédures d'agrément pour tous ceux-ci. C'est un texte clé qui encadre toute la profession européenne et française.

En 1994, une directive européenne importante a défini les conditions exactes de traitement des coproduits animaux, en déterminant les paramètres de traitement, notamment en termes de temps, de température et de pression. Il a été complété en 1996 sur le plan européen et en 1998 sur le plan français, à travers la stérilisation sous pression à 133 degrés, 3 bars et 20 minutes.

J'ai déjà fait allusion au retrait, en 1996, des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et des systèmes centraux nerveux des ruminants, suivi le 30 décembre de la loi sur le service public de l'équarrissage.

En conclusion -j'ai avec moi une liste de textes, mais je suppose que vous en disposez-, il a été interdit le 14 novembre 2000 d'utiliser les farines de viande et les graisses animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et dans celle des animaux de compagnie, avec quelques exceptions pour ces derniers.

Plus récemment, l'interdiction européenne n'est applicable qu'aux farines, sachant que l'Allemagne a pris la décision d'interdire les graisses complémentaires, à l'image de la France.

Je vais maintenant vous dire quelques mots de l'encadrement de notre profession par rapport aux textes français. Jusqu'en 1996, avec la loi du 30 décembre, nous étions sous le régime de celle de 1975, dite d'équarrissage, qui définissait notre profession en mettant en place la nécessité pour chaque Préfet d'appliquer 3 arrêtés préfectoraux départementaux.

Le premier définissait une commission dite d'équarrissage présidée par le Préfet, dans laquelle siégeaient les administrations, notamment de l'agriculture et des fraudes, le Conseil Général et les professions, c'est-à-dire les éleveurs, les abattoirs et nous-mêmes.

Le second était un arrêté préfectoral dit de périmètre. Le Préfet devait faire en sorte que, dans tout son département, l'intégralité des cadavres et des déchets animaux issus des abattoirs soit collectée par un équarrisseur, sachant qu'en son temps l'application de cette loi nous a beaucoup été reprochée. On considérait qu'elle était à notre bénéfice, puisque chaque entreprise se voyait attribuer un périmètre dans le cadre de laquelle elle avait apparemment l'exclusivité en matière de collecte.

C'est un débat passé sur lequel nous ne reviendrons pas, mais cela cadrait le système. Il y avait là une volonté claire du législateur de s'assurer que tous les cadavres et coproduits animaux étaient bien récupérés et que les abattoirs disposaient d'un service obligatoire de collecte de ces derniers.

Enfin et très accessoirement, le Préfet devait appliquer un arrêté de tarification quand des problèmes d'indemnité se posaient.

Cependant, tous ces éléments ont été modifiés par la loi de 1996, qui a institué le service public de l'équarrissage, mais qui ne traite que des cadavres d'animaux, des saisies d'abattoirs et des matières à risque spécifié, dont l'objectif était la santé humaine, c'est-à-dire le retrait volontaire de la chaîne alimentaire d'abats et de coproduits susceptibles de véhiculer des prions.

Les autres coproduits sont à considérer sous l'angle d'un déchet qui n'a pas de définition légale précise si ce n'est d'être un déchet.

En conclusion, maintenant que ces produits sont interdits et après que nous ayons travaillé pendant dix ans -nous l'avions déjà fait auparavant- à sécuriser notre profession, à mettre en place des outils de traitement ainsi que les tris en abattoirs, à établir des guides de bonnes pratiques avec ces derniers et à répondre à toutes les sollicitations des administrations en matière d'informations techniques quant à la réalité et à la diversité de notre métier, nous avons aujourd'hui un autre objectif, qui consiste à gérer le maintien de la collecte des coproduits en abattoirs et en boucheries et leur destruction, sans parler de leur stockage intermédiaire pendant la période un peu trouble que nous allons traverser.

C'est probablement à ce prix, en étroite concertation avec les Pouvoirs publics et beaucoup d'élus locaux, que nous arriverons à gérer ce nouveau problème.

M. le Président - Nous constatons que cohabitent à l'intérieur des mêmes usines et des mêmes établissements deux activités différentes : d'une part le service public de l'équarrissage -comme vous l'avez rappelé- et, parallèlement, la fabrication de farines destinées à l'alimentation animale. Cela a-t-il pu favoriser des mélanges de farines saines et « contaminées » ? Pensez-vous que cette organisation à l'intérieur de chaque usine ait été mise en place suffisamment tôt ?

M. Bruno Point - Des collectes distinctes se sont très rapidement mises en place en 1996, effectuées dans des véhicules distincts, et les usines se les sont réparties, sachant qu'il n'existe plus aujourd'hui que deux usines mixtes, c'est-à-dire à l'intérieur desquelles s'exercent ces deux activités. Les 8 autres ne traitent que les coproduits afférents au service public de l'équarrissage.

Ceci s'est fait au fil des mois, mais la contrainte qui a été la nôtre depuis notamment deux ans a plutôt consisté à affecter de nouvelles usines au service public de l'équarrissage étant donné l'augmentation des volumes apportés du fait que, l'équarrissage au sens de la collecte des cadavres devenant un domaine public, nous avons vu leur nombre augmenter peu à peu, mais de façon très régulière et importante, l'Etat ayant été le premier surpris.

Nous avons vu dans les deux années qui ont suivi le nombre d'enlèvement de petits animaux augmenter de beaucoup, mais ce n'est pas du tout vrai pour les bovins, qui étaient parfaitement collectés.

La commercialisation des farines et des graisses animales est interdite, mais -c'est en tout cas le principe arrêté aujourd'hui et il semble que cela doive être maintenu- les cadavres, les saisies et les MRS (c'est-à-dire des produits potentiellement à risque) font toujours l'objet d'une loi et doivent être traités distinctement, sachant que cela devrait probablement durer.

Nous constatons en revanche une augmentation très importante des volumes, notamment s'agissant des boyaux de bovins, et il nous faut, au fil des mois ou des années, y affecter des usines, ce qui n'est pas simple.

Cela signifie qu'une usine qui traite des produits valorisables doit être débaptisée parce qu'elle traite des produits dits dangereux, tout au moins dans l'opinion des médias et de l'opinion publique, ce que nous concevons, cette opération ne se faisant pas sans douleur, de nombreux freins étant préoccupants pour nous.

Pour répondre à l'aspect premier de votre question, la collecte est tout à fait distincte, de même que les usines, à l'exception de deux d'entre elles, qui sont mixtes. Je n'en suis pas l'inspecteur, mais je crois pouvoir dire qu'elles sont parfaitement étanches. En tout cas, la réglementation est précise à ce sujet : il faut qu'une séparation existe à l'intérieur de ces usines.

M. le Président - Ce n'est pas fait actuellement.

M. Bruno Point - Il reste deux usines dites mixtes.

M. le Président - Qu'en était-il avant 1996 ?

M. Bruno Point - Toutes les usines étaient communes.

M. le Président - Pensez-vous que des contaminations aient pu se produire avant 1996 ?

M. Bruno Point - Avant 1996, tous les produits étaient traités et commercialisés au sein des mêmes usines. Par conséquent, si des matières à risque contenaient des prions et que toutes les interrogations des scientifiques sont fondées -étant entendu que je me garderai d'émettre la moindre opinion sur ces sujets-, il est clair que ces produits ont été travaillés et commercialisés jusqu'en 1996.

M. le Président - Il est vrai qu'il n'existait pas d'interdiction.

Vous nous avez rappelé qu'en France les types de traitement, en matière de chauffage, de temps et de pression, sont restés les mêmes.

M. Bruno Point - En effet. J'ai même l'intime conviction -mais cela n'engage que moi et c'est très subjectif- que la France -il apparaît au vu des chiffres qu'elle est un pays très important s'agissant du cheptel bovin- était un pays très important jusque dans les années 1994-1995 en termes d'utilisation de farines de viande. En effet, dans la mesure où elle avait un grand élevage, notamment de volailles, elle avait un besoin en protéines et utilisait donc les protéines animales de façon assez performante.

Les procédés de cuisson -que je connais au-delà de la réglementation de par ma profession- étaient à haute température. Il existait notamment à l'époque de façon assez large, en particulier dans les grandes régions de production, des outils de traitement dans un bain de graisse à 150 degrés.

Il ne s'agit pas sur le plan scientifique de 133 degrés, de 3 bars et de 20 minutes, et je me garderais de dire que cela inactive les produits, mais j'ai le souvenir d'avoir vu mes aînés être dans cette profession très attentifs à ce que l'on appelait les incuits. Ils prenaient garde à ce que le produit soit cuit ; cela faisait partie de la tradition française.

De même, nous avons toujours connu des contrôles en matière bactériologique, même s'ils ont évolué. Un contrôle était effectué tous les mois, il y a 25 ans, contre un par semaine il y a 20 ans et un tous les jours il y a 15 ans.

La situation a évolué, mais les Directeurs des services vétérinaires ont toujours suivi la bactériologie de nos produits. Je ne suis pas certain que ce soit le cas au Royaume-Uni, mais en tout cas j'ai toujours été surpris que cela n'ait pas été mis en avant.

Il a été mis en avant que le procédé à basse température, qui a fait l'objet d'un investissement massif au Royaume-Uni, était l'une des sources probables de la diffusion du prion, mais j'ai toujours été surpris que l'on ne s'interroge pas sur la destruction de la bactériologie simple, banale et courante, pour tout l'agroalimentaire au sens large, dans le cadre de ce procédé thermique, parce que les températures utilisées ne permettaient pas, par exemple, de détruire les clostridiums, ce qui n'aurait jamais pu arriver en France, car cela ne faisait pas partie de notre esprit et de notre culture et parce que des contrôles ont toujours été effectués, même s'ils étaient il y a vingt ans moins importants qu'aujourd'hui.

M. Paul Blanc - Vous avez à plusieurs reprises fait référence à la loi du 31 décembre 1996, sachant que les critiques sont nombreuses sur la concentration excessive des entreprises d'équarrissage dans votre secteur. Pensez-vous que cette loi a renforcé cette concentration et êtes-vous au courant de ces critiques ?

M. Bruno Point - Oui, nous les entendons régulièrement, davantage sous un angle économique.

M. Paul Blanc - Pensez-vous que la loi a pu renforcer ces concentrations ?

Par ailleurs, vous avez indiqué par rapport à cette loi, ce qui m'a fait sursauter, que l'élimination des carcasses et des abats (notamment de produits à risque) avait été en quelque sorte systématiquement ordonnée et coordonnée vis-à-vis du risque que présentent les prions. En était-il donc déjà question en 1996 ?

M. Bruno Point - On en parle depuis 1990, ou en tout cas de l'ESB. Peut-être n'ai-je pas employé le mot adéquat.

M. le Président - Vous ne l'auriez pas employé à l'époque.

M. Bruno Point - En effet, j'emploie le langage d'aujourd'hui et non celui de 1996. Vous faites bien de le souligner, car cela me permet d'être plus précis.

M. Paul Blanc - A ma connaissance, on ne parlait pas de prions en 1996 et par conséquent on ne pouvait pas parler d'élimination d'abats à risque, de contaminations dans le cadre de maladies humaines et de l'ESB. C'était le cas pour d'autres maladies à risque (la brucellose notamment), mais certainement pas pour l'ESB, car le prion n'était pas connu à ce moment-là.

Estimez-vous que le stockage des farines est aujourd'hui effectué de façon satisfaisante ? En effet, nous en avons vu et entendu beaucoup à ce sujet.

M. Bruno Point - Votre propos contient deux questions, la première ayant trait aux concentrations liées à la loi. Je pense que cette dernière a pu favoriser la poursuite de ces concentrations, mais j'estime que c'est l'évolution des normes qui les a générées au fil des années.

En effet, les normes devenant de plus en plus pointues, techniques et exigeantes, elles nécessitent des moyens humains, sachant que nous sommes passés en trente ans de l'artisanat à l'industrie et de l'industrie de production à l'industrie de sécurité et sanitaire. C'est le métier qui veut cela.

Je ne dis pas que la faute en revient aux normes, mais l'évolution générale de la société et des métiers nécessite des moyens humains, techniques et financiers.

Il est par ailleurs certain que la scission entre les produits à détruire et ceux qui restaient valorisables jusqu'à ce jour a aussi posé des problèmes. J'ai notamment parlé des usines mixtes : les opérateurs n'ont pas la vocation économique de les maintenir, mais il arrive qu'une région ne compte qu'une usine.

Il pourrait être envisagé de construire une deuxième usine, mais ce serait un parcours du combattant au regard des textes qu'il importe de respecter en matière de procédures d'établissements classés. De même, il faudrait trouver un site d'accueil, dire que c'est impossible étant une banalité. En tout cas, nous ne sommes pas invités, donc ce serait un combat.

M. Paul Blanc - Ma deuxième question portait sur le stockage.

M. Bruno Point - Nous avons des réunions régulières avec M. le Préfet Proust, qui mène une action tout à fait coordonnée et très volontaire. A ce jour, le stockage correspond à la production, mais il est certain que de toute façon l'équation que M. le Préfet Proust doit gérer consiste à mettre en place des débouchés d'incinération, au fil des mois qui viennent, pour stocker ce qu'il est nécessaire de stocker mais pas plus.

En effet, s'il ne se brûle pas un kilo de plus dans les mois qui viennent, nous devrons faire face à 700 000 ou un million de tonnes dans un an, le potentiel de stockage homologué faisant l'objet de procédures d'établissements classés et correspondant à un cahier des charges assez strict, dont la dernière copie nous a été remise ce matin. Cela fonctionne, mais il ne faudrait pas que cela dure six mois. Si un système d'incinération n'est pas mis en place d'ici là, cela n'ira pas.

M. Paul Blanc - Nous avons vu à la télévision des images de stockages assez agressives pour le public, avec des risques de ruissellement, etc.

M. Bruno Point - Il s'agissait de stockages anciens, les médias utilisant très souvent les mêmes sources. Nous voyons les mêmes images -qui sont les moins satisfaisantes- depuis trois ans, mais c'est un peu symbolique, le Gouvernement ayant nommé un Préfet pour ne pas renouveler les difficultés et les errements du passé.

Ceci dit, cela permet de passer le message qu'il est fondamental que, lorsque des mesures sont prises, elles le soient en coordination avec nos professions afin que nous puissions pour le moins -chacun faisant son travail- exposer ce que nous pensons devoir être les soucis qui se profilent à l'horizon.

Par exemple, l'abattage des bovins de plus de 30 mois est une mesure européenne -sur laquelle je n'entends absolument pas porter de jugement parce que ce n'est pas mon propos- reprise en France. Or, je n'ai pas lu à ce sujet un mot concernant les procédures d'élimination.

En revanche, les contraintes sont mentionnées, sachant qu'il faut veiller à ce que même le suif soit éliminé, étant entendu -nous avons assisté à une réunion à ce sujet ce matin- que nous ne pouvons pas en France gérer cette mesure immédiatement. Je ne dis surtout pas que la profession n'entend pas s'y associer, mais nous ne saurons pas le faire au 1er janvier.

M. Paul Blanc - Si je ne m'abuse, la décision communautaire de 1996 sur le traitement thermique des farines n'a été transposée en France qu'en février 1998. L'explication ne résiderait-elle pas dans ce que vous venez d'indiquer s'agissant de l'élimination des cadavres de bovins de plus de 30 mois, à savoir qu'en fait les industries françaises n'étaient pas prêtes à appliquer ces normes plus tôt ?

M. Bruno Point - Les industries françaises n'étaient en effet pas prêtes techniquement à assurer ce traitement thermique.

M. Paul Blanc - Comme elles ne sont pas prêtes aujourd'hui à assurer l'élimination des cadavres de bovins.

M. Bruno Point - J'ai également le souvenir d'avoir entendu des ministres et même des sommités scientifiques dire que la priorité en France était en fait une histoire de paquets et qu'il fallait investir dans ceux-ci, le paquet n°1 étant pour les autorités scientifiques le retrait des abats à risque, la France ayant mis l'accent sur cette mesure, qu'il fallait gérer, ce qui a eu un coût et a demandé une mise en place ainsi que des outils.

M. Paul Blanc - Vous indiquez que le traitement des matériaux à risque était la priorité, mais estimez-vous que la séparation entre celui-ci et la fabrication de farines animales pour porcs et volailles a été réalisée de façon satisfaisante ?

M. Bruno Point - Je pense que, très certainement, cela n'a pas pu être satisfaisant dans les premiers mois de la mesure. Il a fallu six mois pour que ce soit réellement opérant, ce genre de mesure ne fonctionnant que si l'on est efficace à tous les bouts de la chaîne. Si un maillon est défaillant, la mesure est imparfaite.

Cependant, cela s'est mis en place relativement rapidement et avec efficacité. J'en veux pour preuve les volumes, qui ne garantissent pas une étanchéité absolue, mais 600 000 tonnes ont été détruites qui auparavant étaient valorisées, ce qui est significatif.

M. Paul Blanc - Avez-vous exporté des farines animales après 1996 ?

M. Bruno Point - Je ne me suis pas préparé à répondre à cette question, mais nous avons toutes les statistiques. Nous avons après 1996, jusqu'au 14 novembre, connu des mouvements d'exportation extrêmement divers et nous avons rencontré durant certaines périodes de réelles difficultés en matière d'exportation, sachant qu'un certain nombre de pays (en général importants en termes d'importation de farines animales) prohibaient les produits alimentaires français (et non les farines de viande) et en particulier le bovin, donc par voie de conséquence les produits dérivés.

En revanche, nous avons connu à d'autres moments des exportations importantes parce que nous en avions besoin, la consommation en France n'ayant cessé de baisser depuis 1996, au fil des mois et des années, à chaque crise, chaque événement médiatique et chaque mesure de séparation parmi les fabricants d'aliments.

C'est ensuite un problème de prix, sachant que, si vous vous situez au-dessous du prix international, vous parvenez parfois à exporter plus facilement. Nous avons en tout cas exporté des quantités importantes.

M. Paul Blanc - Vous parlez de business.

M. Bruno Point - Je parle de la réalité du marché.

M. Paul Blanc - Je vais à ce titre vous poser des questions sur les relations entre les différents groupes. Votre société fait partie du Groupe Caillaud qui fait lui-même partie du groupe belge Tessenderlo Chemie. De plus, si je ne m'abuse, 40 % du capital de Tessenderlo est détenu par le groupe E.M.C. Or, la Société Glon-Sanders, spécialisée dans la nutrition animale, est également détenue à 23 % par cette dernière. Il existe donc de nombreuses interrelations. Quelles sont les relations exactes entre les producteurs de farines et les fabricants de farines pour animaux ?

M. Bruno Point - Je peux vous assurer que les relations entre le groupe détenteur du capital de la société dans laquelle je travaille et le Groupe Glon-Sanders, où nous retrouvons le même actionnaire, sont bonnes, mais que celles nées du capital sont nulles, ce qui signifie que le Groupe Glon-Sanders achète très concrètement de la farine au Groupe Caillaud ou à qui il veut, à ceux qui lui proposent le meilleur prix et lui assurent les conditions de livraison, la quantité et la qualité qui lui conviennent.

Cependant, il n'existe aucun lien -je pèse mes mots- qui favoriserait qui que ce soit, de la même façon que vous trouverez dans les autres filiales le Groupe TREDI, qui est une unité de destruction de DIS (déchets industriels spéciaux) qui traite les cas d'ESB en matière de farines animales.

Je vous prie de croire que nous payons strictement le même prix et que nous prenons rendez-vous comme tout le monde pour ce qui concerne les lots de farines. C'est vraiment complètement indépendant.

Quant aux relations générales entre notre profession et les fabricants d'aliments, il s'agit de relations de fournisseurs à clients, avec des cahiers des charges et des négociations de prix. Elles se sont beaucoup amplifiées au cours des dernières années du fait des syndicats et de l'application des normes dans le cadre de la défense des farines de viande.

Nous nous sommes beaucoup rapprochés du SNIA pour mettre en place en commun des argumentaires et des guides de bonnes pratiques afin de valider les farines de viande, mais les récents événements montrent que nous avons échoué.

M. le Président - Passons aux graisses : les valorisez-vous ou non aujourd'hui ?

M. Bruno Point - L'arrêté du 14 novembre proscrit l'utilisation des farines et des graisses dans l'alimentation animale ainsi que dans ce que l'on appelle le « pet food », à savoir les aliments pour animaux de compagnie, ce qui signifie qu'elle est proscrite pour l'alimentation, mais pas pour le reste, et que l'on pourrait imaginer un autre débouché.

Il est important de le souligner, sachant qu'en l'occurrence ce n'est pas le cas, les farines et les graisses étant à ce jour détruites, ces dernières faisant l'objet sur le plan européen et mondial d'un usage technique, c'est-à-dire qu'elles peuvent être utilisées après distillation, par exemple pour des lubrifiants.

Rien n'interdit sur le plan français et encore moins européen -les graisses n'étant pas interdites dans le cadre de l'alimentation animale- cette commercialisation, même si nous pouvons penser que cela évoluera dans les mois qui viennent et qu'une réflexion sera menée sur tous ces sujets.

En revanche, les graisses dites spécifiques -qui ont fait l'objet de l'audition de M. Robin- sont celles de boeuf, de porc ou de volaille, sachant que globalement dans notre activité, de façon historique, si l'on oublie tout l'aspect destruction et SPE, il existe deux types d'usines : celles qui reçoivent des produits du type os et boyaux avec lesquels l'on fabrique d'abord de la farine -c'est le composé le plus important- et celles qui produisent de la graisse. Quand on cuit des boyaux et des os, le rendement est par exemple de 30 % de farine et de 15 % de graisse.

Une autre activité, les fondoirs, appartient en termes d'agréments et d'établissements classés à la même famille. Cela revient au même sur le plan administratif, mais pas sur celui de la technicité, dans les abattoirs étant collectés de façon distincte les tissus adipeux des animaux, notamment ceux des bovins et des porcs et depuis quelques années ceux des volailles.

Quand un animal est abattu, il existe plusieurs parties de corps gras, comme le gras de rognon -qui entoure les rognons- ou l'émoussage (toute la partie située entre le cuir et la viande).

C'est un gras que l'on a toujours qualifié de noble qui, lorsque les circonstances industrielles le rendent possible, est véhiculé sur des sites particuliers qui s'appellent des fondoirs, certains d'entre eux faisant l'objet d'un agrément spécifique pour l'alimentation humaine.

L'activité des fondoirs consiste à fondre et à produire en majeure partie de la graisse à des taux beaucoup plus importants, de l'ordre de 50 à 60 %. De plus, accessoirement, les tissu nerveux attenants à la graisse produisent de la farine qui traditionnellement servait et sert encore -mais les normes sont loin d'être claires à ce jour dans ce domaine- à l'alimentation des chiens et des chats.

M. le Président - De toute façon, les Pouvoirs publics sont obligés de stocker les graisses en général, à part celles issues des tissus adipeux.

M. Bruno Point - Ils doivent stocker les graisses classiques, mais pas les suifs alimentaires. Elles sont stockées ou incinérées et l'on devrait trouver pour elles un débouché plus facilement que pour les farines. En effet, leur PCI est très important et quasiment équivalent à celui du fuel, sachant qu'il est presque aussi simple de brûler de la graisse que du fuel dans une chaudière, moyennant quelques aménagements.

M. le Président - Continuerez-vous à fabriquer des farines, certaines d'entre elles pouvant être bonnes, ou seront-elles brûlées systématiquement ?

M. Bruno Point - Notre profession a défendu la valorisation des farines. Il me semble que la messe est déjà un peu dite, mais nous verrons ce qui va se passer sur le plan européen.

J'ose espérer que, dans l'intérêt global des filières, à la fois sous l'angle sanitaire, sous celui de la santé et celui de la compétition économique et de la coordination entre les pays, il existera un dispositif européen unique, même si je ne suis pas certain qu'il se mettra en place aussi vite que nous l'espérons tous. En tout cas, je ne sais pas si les farines referont leur apparition dans l'alimentation animale, le lecteur de journaux que je suis n'y croyant pas trop. Les farines et les graisses sont interdites, ce qui permet de tourner une page, mais les coproduits animaux sont toujours là.

Ils serviront très probablement pour partie à l'alimentation humaine, sachant que nous collections par exemple des dizaines de milliers de tonnes de pieds de porc, car nos traditions culinaires font que nous en mangeons moins. Or, si des pieds de porc doivent être détruits, je suppose que l'on en congèlera et que l'on en vendra, ce qui signifie que cette source de coproduits trouvera probablement une autre voie, négative et coûteuse, ce qui resituera les marchés différemment.

En revanche, il en restera une masse importante et notre profession aura à mon avis toujours son utilité en tant que maillon d'une filière dans la mesure où il n'existe que trois solutions pour gérer les déchets animaux, la première consistant en les incinérer immédiatement, ce qui n'est pas simple et demande une grande souplesse. Or, je suis convaincu que nous ne parviendrons pas à la mettre en place.

Par ailleurs, soit on stocke, on congèle et on trouve des solutions, soit on déshydrate le produit rendu inerte, ce qui demande d'aménager des systèmes d'incinération, de faire évoluer la réglementation et d'intéresser des incinérateurs. Je pense que ce ne sera pas simple et que cela prendra des mois, voire des années, mais des actions sont menées dans ce sens.

M. le Président - Nous avons fait le tour de la question. Nous vous remercions infiniment d'avoir essayé de nous éclairer sur ce vaste problème.

Audition de M. Victor SCHERRER,
Président de l'Association nationale des industries agro-alimentaires (ANIA)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Scherrer, merci d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que vous êtes Président de l'Association Nationale des Industries Agro-alimentaires et M. Mangenot, ici présent, est votre Directeur général.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Scherrer et Mangenot.

M. le Président - Nous vous demanderons de nous parler, à votre niveau, en fonction de l'ensemble de vos connaissances, de ce problème des farines animales utilisées dans l'alimentation bovine et des conséquences qui peuvent être tirées par rapport à l'ESB qui s'est développée dans le cheptel de notre pays.

M. Victor Scherrer - Monsieur le Président et Messieurs les Sénateurs, je voudrais commencer par une mise en perspective qui me paraît extrêmement importante pour le sujet qui nous intéresse.

L'Association Nationale des Industries Alimentaires regroupe 31 professions, organisées sous forme de syndicats ou fédérations, directement impliquées dans l'alimentation humaine mais pas dans l'alimentation animale.

Nous sommes des acteurs majeurs dans une chaîne alimentaire, dont nous sommes un maillon extrêmement important situé en fin de chaîne. Derrière nous se trouvent les distributeurs et les consommateurs.

L'alimentation animale est regroupée dans différents syndicats qui ne font pas partie de l'ANIA.

Nous avons un petit syndicat, la Fédération des Aliments pour Chiens, Chats, Oiseaux et Animaux de compagnie, mais je ne pense pas que cela nous intéresse aujourd'hui.

Il est extrêmement important que vous sachiez qu'en notre qualité de producteurs d'aliments pour la consommation humaine, l'alimentation pour bétail constitue en quelque sorte les fournisseurs des fournisseurs de nos fournisseurs. Il existe souvent deux, trois ou quatre échelons de transformation dans ce domaine.

Je vous rappelle, et vous le savez, puisque nous avons eu l'occasion à plusieurs reprises de souligner l'importance du modèle alimentaire français et de l'industrie alimentaire française, nous sommes, de loin, la première industrie française. Je souligne également que nous sommes la première industrie alimentaire en Europe.

Par ailleurs, avec, actuellement, 10 % de parts du marché mondial des aliments transformés, nous sommes le numéro un devant les États-Unis. Notre modèle alimentaire n'est pas simplement quantitatif mais avant tout qualitatif.

Si, chaque jour, nous arrivons à exporter l'équivalent de « deux Airbus » et environ 172 GF par an, cela signifie qu'à l'instant présent, dans le monde entier, les consommateurs votent en faveur, et achètent, des produits alimentaires français, parce qu'ils sont bons mais aussi parce qu'ils sont sûrs.

En tant qu'industriel, et porte-parole des industriels, je précise que nous savons à quel point la sécurité sanitaire des aliments est au coeur même de notre préoccupation ; c'est notre fonds de commerce. Pour ceux qui produisent des marques, dans ce domaine, le moindre incident constitue une véritable perte de valeur pour la marque.

Nous avons eu l'occasion, quand nous avons été auditionnés par Messieurs les Sénateurs Huriet et Descours, en 1998, ensuite par M. Félix Leyzour, début 2000, d'indiquer à quel point cette préoccupation est capitale. J'allais presque dire, si ce n'est par vertu c'est certainement par pragmatisme, que la sécurité sanitaire des aliments est au premier rang de nos préoccupations.

Concernant cette question des farines animales, nous n'en sommes pas un acteur. Nous ne sommes pas impliqués mais, comme toujours, quand un problème arrive en amont, il se cristallise au niveau de celui qui appose sa marque, à savoir au niveau du transformateur final et parfois même du distributeur. C'est à notre égard que le consommateur fait porter son jugement, ou ses critiques, ou que les médias agissent. Vous savez alors à quel point les marques sont en première ligne.

S'agissant des mesures restrictives concernant les farines animales, l'industrie alimentaire a pris acte des mesures successives qui ont été éditées par les Pouvoirs publics, en particulier les deux ou trois fédérations de première transformation qui, elles-mêmes, sont le plus en contact avec les éleveurs.

Nous avons notamment comme adhérant le Syndicat National des Industriels de la Viande, c'est-à-dire la quinzaine de grands industriels qui, en quelque sorte, transforment la viande. Je crois d'ailleurs que vous avez eu l'occasion d'en visiter certains. Nous avons aussi, directement en contact avec l'élevage, la Fédération Nationale des Industries Laitières.

Ces deux fédérations et l'ensemble de l'industrie de transformation ont pu prendre acte des mesures prises qui ont abouti à l'interdiction des protéines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Dans ce contexte, nous avons constaté la complexité, le nombre d'intervenants dans le secteur de l'alimentation animale et parfois une certaine opacité, sans que ce terme soit négatif, ou une difficulté d'information. De ce fait, cela rejaillissait souvent sur nous, en termes de produits finis, tout au long de la chaîne.

Nous avons donc pensé que la meilleure façon de regagner la confiance des consommateurs n'était pas de considérer que nous n'étions pas acteurs, et pas impliqués, et qu'il était nécessaire de remonter vers l'amont.

Cette réflexion a été lancée assez tôt et a d'ailleurs abouti, fin juin 2000, à une prise de position très ferme de notre part. Voyant que, notamment avec le Syndicat National de l'Alimentation pour le Bétail, nous ne parvenions pas à établir une sorte de liste exhaustive et positive de tous les ingrédients permis dans l'alimentation pour le bétail, nous avons publié une véritable charte d'engagement de l'industrie alimentaire dans laquelle, parmi les 10 points rendus publics, le point n° 2 était d'obtenir du secteur de la nutrition animale un programme d'amélioration de la sécurité de l'alimentation du bétail. Notre ambition était d'obtenir cette liste exhaustive et positive de tous les ingrédients permis dans cette alimentation pour le bétail.

Notre deuxième engagement était, à la date du 28 juin 2000, d'exiger des Pouvoirs Publics qu'ils consacrent les moyens nécessaires à la mise au point de méthodes permettant un dépistage systématique et fiable de l'ESB pour tous les animaux entrant dans la chaîne alimentaire.

A l'époque, ces mesures étaient considérées comme irréalistes, trop coûteuses, etc. En fait, nous nous réjouissons de constater qu'actuellement, pour le point n° 2, les farines animales sont interdites et, pour le point n° 3, que le dépistage systématique est considéré actuellement comme un objectif qui doit être atteint le plus rapidement possible.

Concernant les farines animales et l'alimentation du bétail, nous avons décidé, malgré les difficultés rencontrées dans le dialogue avec l'amont, de travailler avec tous les acteurs de la chaîne de production d'aliments pour le bétail afin de pouvoir avancer dans trois domaines.

Le premier de ces domaines consiste à déterminer les modalités de choix et de contrôle de tous les ingrédients entrant dans la composition des aliments fabriqués et commercialisés par les fabricants d'aliments pour animaux d'élevage. D'autre part, il faut spécifier tous les moyens mis en oeuvre pour contrôler et éviter la présence de contaminants indésirables.

C'est le premier thème sur lequel nous travaillons actuellement et sur lequel nous voulons aboutir.

Le deuxième thème a l'ambition d'aller jusqu'à une liste positive et exhaustive de tous les ingrédients incorporables dans un aliment pour le bétail. Cela dit, bien que l'on nous fasse comprendre que ce souhait est trop ambitieux, il restera notre objectif. En revanche, nous commencerons par un examen de toutes les matières premières ou de tous les additifs qui peuvent, à l'analyse, être non souhaitables (même s'ils sont permis), soit parce qu'ils peuvent comporter certains risques, soit parce qu'ils peuvent être perçus, par le consommateur, comme tels.

Cette discussion, nous l'espérons, aboutira, avec les fabricants d'aliments pour le bétail, à un retrait volontaire, même s'il n'est pas obligatoire, de tous les ingrédients jugés indésirables.

Par ailleurs, j'ai parlé d'opacité et je maintiens ce terme. Nous croyons profondément qu'en bout de chaîne les industriels regagneront la confiance du consommateur par une transparence aussi grande que possible ; il ne s'agit pas d'une transparence angélique.

Vous savez que tous les 18 mois ou deux ans, cette opération portes ouvertes consiste à proposer aux consommateurs de venir constater, dans nos usines, la manière dont nous travaillons. Nous voudrions que cette transparence remonte en amont et que les fabricants d'aliments pour le bétail puissent travailler avec nous, et au sein de leurs installations, à un effort d'information beaucoup plus important et qu'il en soit de même au niveau de l'élevage.

Voilà où nous en sommes. Il existe une prise de conscience de notre amont et nous avançons vers ce travail qui nous permettrait d'atteindre ces trois objectifs.

M. le Président - Nous allons procéder à des questions qui seront posées par l'ensemble de nos collègues et auxquelles nous vous demanderons de répondre directement pour plus de clarté.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président Scherrer, permettez-moi de m'associer aux propos de bienvenue du Président Dériot.

J'ai noté avec intérêt votre position concernant le livre blanc présenté récemment par l'Union Européenne, notamment sur la liste positive. Tant au niveau de la Délégation du Sénat à l'Union Européenne que de la Commission des Affaires Economiques et du Plan, nous avons souscrit à cette notion de liste positive.

Si ma mémoire est bonne, je ne pense pas que ce soit spécialement le souhait de la Commission européenne qui trouve que cette position sur la liste positive est un peu trop coercitive.

Sous la haute autorité de mes confrères vétérinaires, je crois me souvenir qu'il y a une quinzaine d'années, s'agissant des anabolisants, une non-liste positive, avec les différentes hormones, et les béta-agonistes, nous mettait régulièrement en porte-à-faux.

Où en êtes-vous dans vos négociations sur les listes positives ? Je précise qu'au niveau de cette assemblée nous sommes terriblement pour car il n'existe pas d'autre solution.

De même, où en êtes-vous en matière de garantie sur la traçabilité de la viande et vous satisfait-elle ? Par ailleurs, ne pensez-vous pas à d'autres méthodes et ne faudrait-il pas aller plus loin ?

Nous avons noté, au travers de la presse, que vous étiez très en avance concernant la systématisation des tests de détection de l'ESB. C'est bien, mais cela ne garantit que des animaux en pré-phase clinique, soit environ 6 mois avant l'apparition de la maladie.

S'agissant du débat qui montera en puissance jusqu'au 31 janvier de cette année, avec les problèmes d'élections aux Chambres d'agriculture, quelle est votre position concernant l'abattage sélectif ou total ?

M. Victor Scherrer - Je serais obligé de vous répondre avec une grande humilité mais aussi une grande fermeté. Concernant l'abattage sélectif, nous sommes incompétents. M. Spanghero, Président du Syndicat National des Industries de la Viande, peut sans doute avoir un avis mais, personnellement, en tant que Président de l'ANIA, je me déclare incompétent en la matière. Je pourrais vous donner un avis personnel mais il n'aurait aucune valeur.

Nous sommes profondément et exclusivement des industriels ; je ne sais donc pas répondre à cette question en tant que professionnel.

En revanche, concernant les tests, ainsi que je vous l'ai dit, notre sentiment est assez fort. Depuis plus d'un an, nous nous rendons compte que le remède profond et réel pour regagner cette confiance du consommateur, la mesure la plus importante, consisterait, pour autant que la science nous permettre d'avancer, à un moment déterminé, de tester (en tant qu'industriels utilisant souvent une viande transformée, par exemple pour les plats cuisinés) tout animal entrant dans la chaîne alimentaire.

Tout animal doit être testé idéalement (nous nous projetons dans l'avenir mais les horizons stratégiques se rapprochent) quand il est vivant, avant qu'il entre dans la chaîne alimentaire, par exemple en prélevant une goutte de sang, et en parvenant, dans des délais relativement courts et compatibles avec le processus industriel, à obtenir un résultat. Les questions d'abattage sélectif ou non prendraient alors un relief différent.

Nous avons demandé que les Pouvoirs Publics, dont c'est la tâche, et les organismes de recherche se coordonnent afin que, le plus rapidement possible, nous puissions atteindre cet objectif. En attendons, démarrons avec ce qui existe.

Nous savions qu'il existait trois tests. Nous en avons d'ailleurs beaucoup parlé avec M. Glavany, très tôt, et avec les différentes interfaces au niveau des Pouvoirs Publics. Nous avons souhaité que ces tests soient mis en pratique le plus rapidement possible et de façon pragmatique.

Nous avons récemment rappelé au ministre de l'Agriculture à quel point nous le souhaitions mais nous sentons que la situation n'évolue pas aussi rapidement que nous pourrions le souhaiter.

Nous sommes en relation avec les laboratoires. A l'ANIA, nous avons réuni les différents laboratoires : nous avons vu l'état de la situation, la « puissance de frappe » des laboratoires, et nous avons demandé qu'il existe un bon maillage entre les laboratoires publics et privés afin que, le plus rapidement possible, avec des règles déontologiques extrêmement strictes, en préservant aux Pouvoirs Publics les règles de déontologie qui doivent être appliquées et les contrôles, il soit possible d'y parvenir. Nous nous réjouissons que l'on atteigne le plus rapidement possible les 20 000 tests et plus.

Étant moi-même administrateur de l'INRA, je souhaite également que les grands organismes de recherche, ceux qui disposent des matériaux, et notamment des matériaux contaminés nécessaires aux chercheurs, travaillent dans le même sens. Nous pensons qu'en mettant le maximum de puissance et de coordination nous devrions arriver, à un horizon qui ne serait pas trop éloigné, à disposer de ces tests. On parle beaucoup des Allemands qui pourraient en disposer.

Notre ambition reste la même et, tant qu'elle ne sera pas atteinte, il restera, tant pour la viande bovine que pour l'élevage et la filière, un doute de la part des consommateurs.

De la même manière, la liste positive est l'une de nos ambitions. Actuellement, nous avons pris un ancien de chez Sanders qui, bien que n'étant pas membre de l'ANIA, connaît bien le secteur et est devenu une sorte de chargé de mission en recueillant toutes les attentes et en faisant des enquêtes au niveau de l'ensemble de la filière. Cela permettra, dès le mois de février, lors d'une réunion au sein de l'ANIA, avec l'ensemble des industriels de l'alimentation pour le bétail, d'essayer d'avancer le plus rapidement possible vers des étapes mais aussi cette ambition qu'est pour nous la liste positive.

M. Georges Gruillot - Monsieur le Président, nous avons bien compris votre volonté légitime d'allier à la meilleure qualité gustative des produits alimentaires exportés par la France la meilleure sécurité alimentaire possible sur le plan sanitaire.

Il n'y a pas de contestation entre ce que vous venez d'expliquer et ce que nous pensions déjà. Nous travaillons dans le même sens et cela devrait apporter des résultats. D'ailleurs, ils existent déjà puisque si nous avons exporté 172 GF de produits alimentaires français à l'étranger, ce n'est pas uniquement pour leurs qualités gustatives.

Toutefois, en France, on se rend compte que vous êtes sans doute moins reconnus qu'à l'étranger. Je suis choqué, quand je vais dans certaines grandes surfaces, en constatant que les produits carnés d'origine française sont parfois dédaignés au bénéfice de produit carnés d'autres pays d'Europe ou d'Amérique du Sud.

Quand on connaît la mécanique des choses, on sait que la sécurité sanitaire de ces origines est parfois contestable. Or, elle ne semble pas être très contestée en France par le consommateur. N'y aurait-il pas là, pour vous, un danger au niveau concurrentiel tout en présentant un danger sanitaire réel pour la France et que pensez-vous faire pour tenter de modifier l'opinion publique en France sur ce thème ?

M. Victor Scherrer - Je partage votre sentiment puisque j'ai eu l'occasion de connaître certains grands pays producteurs de viande bovine d'Amérique Latine.

Quelle que soit la qualité intrinsèque de ces produits, il est dommage de voir certaines enseignes de la grande distribution, ou certaines chaînes de restaurants, pratiquer cette fuite en avant plutôt qu'attaquer le problème à la racine. Remplacer le boeuf français par du boeuf argentin constitue une sorte d'échappatoire. Quelle que soit, par ailleurs, ma sympathie à l'égard de ce pays, cela ne me paraît pas être la bonne manière de régler le problème.

Concernant certaines enseignes de la grande distribution, je n'ai pas autorité pour en parler. Ce sont nos clients et vous savez à quel point les clients sont les rois dans la relation entre distributeurs et fournisseurs.

En revanche, concernant la démarche prise au niveau de l'ensemble de l'industrie alimentaire, je précise, bien que je ne sois pas spécialiste de la seule viande bovine en tant que telle, qu'elle consiste à être profondément pédagogique en s'attaquant réellement à la confiance du consommateur, en montrant des faits et en ayant une démarche de transparence et d'information.

Actuellement, il existe une campagne importante sur les questions de listéria ; je cite cet exemple qui pourrait être adapté. On pourrait indiquer qu'il existe un vrai problème sur les fromages à croûte fleurie et le meilleur moyen serait d'étiqueter les camemberts avec la mention « Peut être dangereux pour la santé ». Ce type de démarche serait semblable à celles des anglo-saxons.

Or, nous avons décidé de lancer une campagne d'information, avec l'accord de nos industriels laitiers : les médecins spécialisés et les magazines grand public indiqueront aux femmes qu'il est préférable, pendant une période de grossesse, d'éviter, entre autres, certains fromages et certaines charcuteries. La campagne est partie.

De la même manière, nous faisons distribuer, à nouveau par le corps médical s'il le souhaite, des thermomètres permettant à certaines personnes, notamment les personnes âgées, de connaître très clairement la température de leur réfrigérateur.

Ce sont des mesures extrêmement pragmatiques mais nous prenons la situation à la base. Nous essayons d'expliquer, factuellement, le risque sur un certains fromages et de le reconnaître. Nous pouvons également dire au consommateur, parce qu'il le sait, qu'il a aussi un rôle à jouer dans la gestion de son réfrigérateur et que, par des mesures simples, il peut éviter certains risques qui sont inhérents au modèle alimentaire que nous avons voulu, à savoir où les aliments restent vivants. C'est ce que nous voulons préserver et c'est un enjeu.

Je l'ai récemment expliqué à plusieurs de nos ministres. Il ne faut pas s'y tromper. Vous avez raison de le souligner dans cet exemple de viande importée : ce qui est en jeu, au-delà d'intérêts économiques, c'est profondément un modèle alimentaire où nous lions certains produits avec des terroirs.

Je rappelle souvent que le mot terroir est intraduisible en anglais. Pour un Américain, le mot terroir n'a pas le sens que nous lui donnons. C'est donc ce qui est en jeu. Dans le phénomène de globalisation, il n'y aura plus, me semble-t-il, que deux modèles alimentaires : l'un anglo-saxon, avec cette pasteurisation radicale en fin de chaîne, afin que les aliments soient totalement stérilisés, et l'autre, un modèle alimentaire comme le nôtre, qui privilégie, et de loin, la variété, les produits vivants et évolutifs, et la liaison avec un terroir.

Cette question concernant l'importation est l'une des illustrations du rôle de pédagogie et du rôle factuel que nous devons avoir. Je pense, en effet, que le Syndicat National des Industriels de la Viande a pris, dans ce domaine, la tâche à bras-le-corps.

M. Paul Blanc - Aujourd'hui, avez-vous une connaissance précise de l'utilisation éventuelle, par les industriels de l'agro-alimentaire, d'abats ou de graisses d'origine animale qui auraient pu, ou pourraient encore, être utilisés dans les raviolis, les sauces ou d'autres produits ?

Vous avez fait un gros effort et il est interdit d'utiliser de tels produits. S'agissant des conserves, certaines peuvent avoir été fabriquées quelques années auparavant. Avez-vous une connaissance précise de ce qui aurait pu être utilisé dans ces conserves auparavant ?

La question sous-jacente, qui vient naturellement à l'esprit, est de savoir, en cas d'utilisation de tels produits, s'il faut éventuellement les « rappeler » comme cela se pratique pour les véhicules présentant un défaut ou pour certains lots de fromage présentant des cas de listériose ?

Je parle de conserves fabriquées avant l'interdiction : avez-vous une idée précise de leur quantité et envisageriez-vous, le cas éventuel, leur rappel ?

M. Victor Scherrer - N'étant pas directement industriel dans ce domaine, je dois questionner M. Mangenot.

Il existe sans doute dans le commerce, dans les stocks, puisque la durée de vie des conserves peut être de plus d'un an, des produits contenant des produits carnés incorporant des ingrédients actuellement interdits.

M. Paul Blanc - Avez-vous une estimation de leur quantité et vous paraîtrait-il opportun de les rappeler ? Vous pourriez indiquer que tout ce qui a été fabriqué avant une certaine date doit être repris.

M. Victor Scherrer - Nous n'avons pas d'estimation des quantités, mais nous pourrons l'avoir. Comme vous le savez, la complexité des rotations des produits et des stocks est considérable dans la grande distribution.

S'agissant des grands intervenants dans le domaine des plats cuisinés ou de la conserve, beaucoup de nos entreprises ont des procédures ISO 9002, HACCP, etc. Leur sensibilisation aux questions de traçabilité est telle, en dehors de cas éventuels de fraude (mais connaissant les intervenants et les marques, il est difficile de les imaginer prendre ce type de risques), s'il existait un risque réel, de type matériaux à risques incorporés, je pense qu'un industriel ferait lui-même volontairement le rappel.

Par ailleurs, avec la grande distribution nous avons, au mois de novembre, signé une véritable charte qui nous aide. Des réseaux de rappel existent mais l'un des problèmes est de parfois créer la panique. Il était, de loin, préférable de prendre des démarches volontaires et de coupler les systèmes d'alerte des fabricants et des grands distributeurs. Ceci permet de faire des rappels sélectifs sans entraîner des paniques disproportionnées comme pour le cas de la dioxine.

Dans le cadre de la procédure écrite, nous pourrions essayer de mesurer et vous donner des réponses précises. Actuellement, cela ne nous est pas possible. Comme nous l'avons indiqué à M. Glavany et à d'autres, nous ne pensons pas qu'il faille, dans ce domaine, créer actuellement un effet médiatique. En dehors des matériaux à risques, et en supposant que les procédures soient adaptées, je ne pense pas qu'il faille demander de retirer tous les stocks de produits carnés antérieurs à une certaine date.

M. Paul Blanc - Je parle uniquement des produits qui pourraient contenir des produits à risques.

Concernant la traçabilité, vous avez beaucoup insisté sur ce problème et sa nécessité. Concrètement, pensez-vous qu'elle doit aller jusque dans la composition d'une boite de raviolis et doit-elle se traduire par l'étiquetage : jusqu'où pensez-vous devoir aller dans le cadre de l'étiquetage de vos produits ?

M. Victor Scherrer - Le problème de l'étiquetage est un aspect fascinant : le consommateur et les médias ont toujours envie d'en savoir plus. Or, une étiquette a une certaine dimension : plus vous allez loin, plus le caractère devient petit et on vous reproche alors de présenter une étiquette illisible. J'entends couramment ce type de reproche.

Il faudra, avec le législateur, que nous parvenions à trouver un juste milieu. Nous avons décidé de manière volontaire, la loi ne nous l'imposant pas, d'étiqueter les allergènes. Même si seulement 1 % de la population est sensible à un type d'allergène, nous l'étiquetterons en le soulignant ou en le mettant en gras.

En matière de traçabilité, il ne faut pas oublier l'existence d'organismes, de labels, etc. Concernant un certain type de label, il contient déjà (en supposant que tous les opérateurs, certificateurs et contrôleurs, soient de bonne foi ; la DGCCRF a un nombre important de fonctionnaires, et plusieurs vétérinaires sont ici présents) des procédures de contrôle qui devraient être efficaces et adaptées. La traçabilité, en dehors de son aspect médiatique et à la mode, deviendra en soi une condition sine qua non de la confiance du consommateur.

Concernant l'exemple des allergènes, il faudra gagner de la place sur l'étiquette car cette inscription nous semble indispensable.

S'agissant de la traçabilité, il faut savoir où s'arrêter. Nous travaillons avec la DGCCRF et la Direction Générale de l'Alimentation, ce qui nous permettra d'arriver à un bon équilibre. Les distributeurs se posent également la question : pourquoi ne pas indiquer sur l'étiquette la durée de vie de ce produit après ouverture ?

Nous arrivons à un équilibre relativement bon sachant qu'il est de notre intérêt, en matière de traçabilité, d'en indiquer le plus possible. Il faut savoir où s'arrêter car, à la limite, nous pourrions remonter jusqu'à la composition des aliments du bétail constituant la partie carnée d'une boite de raviolis.

M. Jean Bernard - On lit, sur ces étiquettes, des mentions telles qu'adjuvants, antioxydants, etc. suivis de lettres et de chiffres. Peut-on se référer à une nomenclature de ces produits pour savoir ce que c'est ?

M. Victor Scherrer - Tout ceci nous est imposé par la réglementation. J'observe les industriels et je constate qu'ils se battent dans les « tranchées boueuses » de la micro-économie. Actuellement, nous avons intérêt, vis-à-vis du consommateur, à présenter des indications claires et lisibles.

Nous avons vu, à l'occasion de la bataille sur les organismes génétiquement modifiés, que la presque totalité des industriels a supprimé toute une série de produits pouvant contenir des OGM. Nous nous orientons plutôt vers un effort de clarté et de lisibilité ; toutefois, nous devons respecter la réglementation et le Législateur, en final, donne son avis sur la question d'étiquetage.

M. Gérard Miquel - Monsieur le Président, ma question concerne la traçabilité. Vos diverses unités industrielles utilisent des produits d'origine carnée en quantité très importante. Dans ces quantités, pourriez-vous nous dire quel est le pourcentage de produits importés ?

En effet, cette question me paraît importante pour ce qui concerne tous les produits d'origine carnée et leurs dérivés. La France est le premier consommateur, par personne, de gélatine. Or, il semblerait que nous n'ayons pas les quantités de matière première nécessaire pour fabriquer toute la gélatine que nous consommons. Si nous voulons donner les renseignements précis sur la traçabilité, nous devons être certains des produits que nous achetons dans les divers pays de l'Union Européenne ou à l'extérieur de celle-ci.

Je me pose un certain nombre de questions. Si la France a mis en place des mesures de prophylaxie, de suivi sanitaire des animaux, très sévères et très strictes, ce n'est pas le cas dans tous les pays de l'Union Européenne. Par ailleurs, que dire d'autres pays où ces mesures n'en sont qu'aux balbutiements ?

La traçabilité, oui, mais il faut remonter suffisamment en amont pour donner des assurances précises aux consommateurs. Je voudrais donc avoir quelques indications sur les pourcentages de produits importés et sur leurs origines.

M. Victor Scherrer - Votre question est statistiquement assez complexe.

Comme je l'ai dit la semaine dernière à M. Fabius, qui a paru en être surpris, dans notre secteur nous sommes les mal aimés de la statistique. Alors que nous sommes la première industrie française, nous reportons au ministère de l'Agriculture, de la Forêt et de la Pêche mais pas de l'Alimentation. Nous concernant, les statistiques les plus récentes de l'INSEE datent de décembre 1999. C'est un débat intéressant.

Nous nous sommes efforcés de bâtir un corps de statistiques internes. Nous essayerons de vous donner une réponse concernant le pourcentage mais, pour cela, nous devons questionner la Fédération des plats cuisinés, la Fédération de la viande, etc.

J'ai essayé de vous répondre, concernant les viandes importées, en indiquant que dans plusieurs secteurs nous nous apercevons que le fait de pouvoir faire référence, sans esprit protectionniste, à des matières premières d'origine française représente généralement un plus pour le consommateur. Dans ce domaine, je connais de nombreux secteurs où nous sommes assez fiers de pouvoir indiquer que 95 % des matières premières proviennent du territoire national ou de l'Union Européenne.

Au niveau de la plupart de nos entreprises, pour autant que je sache, concernant la chaîne alimentaire (mais c'est aussi valable dans d'autres secteurs comme l'automobile) il s'agit de chaînes de confiance formalisées par des procédures de type HACCP ou ISO 9002 qui sont contraignantes. Vous savez aussi qu'à nouveau, dans l'industrie alimentaire, nous avons intérêt à être relativement sûrs de nos fournisseurs.

Dans des secteurs de type plats cuisinés et autres, je pourrais vous indiquer le nombre exact d'établissements certifiés ISO 9002 ou disposant des procédures HACCP qui font de la traçabilité le socle même du processus. Nous vous fournirons ces deux données.

M. Roland du Luart - Je vous remercie, Président Scherrer, pour vos explications. Si je comprends bien, vous avez été un précurseur en ce sens que, dès juin 2000, vous avez demandé au ministère de l'Agriculture d'organiser le dépistage de la maladie de l'ESB de manière systématique. Par ailleurs, toujours en juin 2000, vous avez demandé au secteur de la nutrition animale de vous fournir la liste des ingrédients utilisés.

Pour quelles raisons, dès juin 2000, souhaitiez-vous avoir ces informations alors que le Gouvernement ne réagissait pas et que la crise n'avait pas éclaté ?

M. Victor Scherrer - Nous sommes, notamment depuis les deux dernières années, confrontés à une remise en question de la sécurité sanitaire des aliments en France. C'est peut-être un paradoxe car nous sommes l'un des pays où, dans l'ensemble, cela ne fonctionne pas trop mal. J'avais repris, ici même, les comparaisons des taux de mortalité alimentaire aux États-Unis et en France et nous avions constaté que nous nos résultats ne sont pas mauvais.

Cela dit, le consommateur nous remet en cause depuis deux ou trois ans. S'agissant du rôle de l'ANIA, nous nous sommes dit que devant cette remise en cause, et notamment devant une forte pression médiatique qui est légitime, nous n'avions plus que deux attitudes : nous pouvions gémir en disant que nous faisons des efforts, que les médias ne se comportent pas bien vis-à-vis de nous, etc. et l'attitude inverse consistait à montrer ce que nous faisons de bien ou ce que nous allions faire de mieux encore.

Cela a été notre démarche et toutes les fédérations et entreprises, depuis Danone jusqu'à la plus petite, ont estimé que c'était la bonne solution ; il faut également aller vers plus de transparence et admettre que tout n'est pas parfait. Des secteurs sont plus opaques que d'autres et certains, comme celui de la viande, sont plus sensibles et plus difficiles. Toutefois, partout nous avons constaté que nous pouvions faire des efforts, tant en termes de substances (traçabilité, etc.) que d'information.

Avec ce raisonnement, nous nous sommes aperçu que les secteurs les plus sensibles, après les crises de type listéria et dioxine, seraient concernés par l'ESB. Nous avons fait réaliser, en 2000, une grande enquête, très lourde, par BVA, consistant à mesurer les véritables appréhensions du consommateur à très court terme et à moyen terme. La réponse est claire : un consommateur sur deux considère qu'il est insuffisamment informé concernant son alimentation et que cette information doit être apportée par les Pouvoirs Publics mais aussi par les industriels.

La première crainte qui se détache pour les trois à quatre prochaines années est l'ESB. Nous ne pouvons pas dire « ce n'est pas nous ». S'agissant de son alimentation, la première crainte du consommateur concerne l'ESB et la seconde les OGM.

Nous n'avons pas le choix : que nous l'acceptions, ou non, le consommateur et les médias ne nous lâcheront plus sur ces sujets. Nous avons donc approfondi et, pour répondre à votre question, nous avons pensé qu'en matière d'ESB il fallait prendre en compte deux points : l'origine, l'alimentation animale et les farines, et, d'autre part, la conséquence, à savoir la nécessité pour tout animal entrant dans la chaîne alimentaire de subir un test systématique même si nous savions, au mois de juin, que ces tests n'étaient pas, en l'état, disponibles.

Des débats très animés ont eu lieu entre nous car nous estimions prendre un très grand risque. Quand cela a été rendu public, le 28 juin dernier, nous avons « mis les pieds dans le plat ». Ceci a été exacerbé à l'occasion du SIAL où la question nous a échappé et a pris des dimensions plus politiques sur lesquelles nous n'avons pas à nous prononcer.

Nous avons, dans ce domaine, un point qui restera un sujet de fierté : nous avons été les premiers à le demander et à avoir, dans ce domaine, un volontarisme dont certains aspects, sans se retourner contre nous, nous obligeront à rendre compte et à montrer les progrès accomplis.

C'est pourquoi ce printemps nous ouvrirons nos usines et, par rapport à ces 10 engagements remis aux autorités et au personnel politique, etc., nous demanderons à être jugés. Nous bâtirons une sorte de baromètre et nous referons, chaque année, une étude BVA comportant les mêmes questions afin de vérifier si nous avons progressé.

Voilà pourquoi nous pensions que si nous ne touchions pas les points sensibles de ce domaine, nous ne pourrions pas progresser.

M. Jean-François Humbert - Monsieur le Président, je m'associe aux félicitations que vous adressait notre collègue M. du Luart. Vous parlez de la période 1999/2000. Antérieurement à ces années, avez-vous eu l'occasion de prendre des précautions, des décisions ou de donner des recommandations à vos entreprises adhérentes, à vos 31 professions, toutes n'étant pas concernées de la même manière ?

Un deuxième élément vient compléter la question de notre collègue M. Miquel. Il souhaitait obtenir des statistiques sur les importations de matières premières en vue de fabriquer, en France, des produits finis livrés aux consommateurs. Pourrions-nous savoir, si possible, si des produits finis sont fabriqués à l'extérieur de nos frontières et distribués dans notre pays ?

Même si l'on importe moins de denrées alimentaires, pour fabriquer des produits finis, venant de pays particulièrement concernés par la maladie de la « vache folle », il faudrait savoir, dans le même temps, si des produits ne sont pas fabriqués à l'extérieur de nos frontières et dans quelles conditions.

M. Victor Scherrer - Concernant les produits finis, je vous propose de vous donner ultérieurement les statistiques qui seront demandées profession par profession.

Avons nous attendu ? Dans cette démarche datant de trois ou quatre ans, nous avons commencé à nous dire que ne pas prévoir consiste déjà à gémir. Il nous fallait donc commencer par un aspect volontaire et la réalisation de guides de bonnes pratiques.

Certaines professions, notamment celle de la charcuterie qui est une profession sensible, ont commencé à élaborer des guides de bonnes pratiques qui, sans avoir un aspect obligatoire, sont fortement recommandés par chaque profession à ses adhérents : 30 guides de bonnes pratiques ont permis de grands progrès.

Par ailleurs, nous avons fortement incité nos adhérents à lancer des procédures de certification de type ISO 9002. Il ne faut pas nous vanter de ce que nous avons fait, mais nous sommes, en Europe, actuellement les premiers au niveau du nombre de sites certifiés ISO 9002 ou dans lesquels des procédures de contrôle des risques ont été mises en oeuvre.

Nous avons un contact très régulier avec la DGCCRF et, actuellement, cet organisme considère que dans une entreprise qui a mis en oeuvre ces guides de bonnes pratiques, la procédure HACCP ou la norme ISO 9002, il peut arriver un accident ; toutefois, quand il survient, on suppose que l'entreprise est de bonne foi alors que la DGCCRF n'est généralement pas complaisante.

Nous avons commencé et enfin, il faut le dire, dans certains cas, nous avons des cahiers des charges qui, depuis plusieurs années, excluent totalement les farines animales de l'alimentation du bétail destiné à la production de viande entrant dans certains types de produits.

M. le Président - Merci de votre intervention et d'avoir répondu à l'ensemble des questions qui vous ont été adressées par nos collègues. Nous essayerons de faire le meilleur usage de toutes vos informations.

Audition de M. Xavier BEULIN, Président de la Fédération française
des producteurs d'oléagineux et de protéagineux (FOP)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, président - M. Beulin, vous êtes le président de la Fédération française des producteurs d'Oléagineux et de Protéagineux. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation pour témoigner devant notre commission d'enquête sénatoriale. Auparavant, Je dois vous lire une note et vous faire prêter serment. Je demanderai également à votre Directeur de prêter serment au cas où il devrait intervenir.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Beulin et Gasquet.

M. le Président - Dans un premier temps je vous demande de nous parler de votre organisme et des caractéristiques des oléagineux et protéagineux que vous représentez pour les producteurs.

M. Xavier Beulin - Merci. Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs et Mesdames, je suis agriculteur dans le département du Loiret et je suis exploitant, avec mon frère, dans une exploitation de grandes cultures, céréales et oléagineux, que l'on appelle SCOP, surfaces en céréales et oléoprotéagineux, dans le jargon communautaire, et également arboricole.

Je préside la Fédération des oléoprotéagineux ainsi qu'un certain nombre d'organismes de la filière car elle présente la particularité d'être très présente, notamment dans les débouchés de nos protéines et de nos huiles à travers les activités industrielles.

Je vous remercie de nous auditionner. A première vue, on pourrait penser que nous sommes hors sujet par rapport à vos propres travaux. Nous sommes sans doute ici pour vous présenter ce que pourrait être une alternative à la substitution de ces farines et faire en sorte que nous puissions vous indiquer quelles sont nos attentes et les potentiels qui pourraient être mieux exprimés, du moins de manière plus forte, qu'ils ne le sont aujourd'hui au sein de la France mais également de l'Union Européenne.

Nous avons toujours eu le souci, dans notre organisation, de ne pas « mettre d'huile sur le feu », autrement dit, par rapport à ce difficile problème de l'ESB, des farines animales, de ne pas profiter de l'occasion et de ne pas jouer les opportunistes pour enfoncer un coin et nous positionner en seul recours.

Dès 1998/1999, nous avons, à travers nos congrès nationaux, des communiqués et des rencontres, notamment avec les Pouvoirs Publics et le ministre lui même, fait un certain nombre de propositions visant, en réalité, à suggérer une programmation dans le temps. Il convenait de considérer, à une échéance de cinq ou dix ans, que les farines animales seraient complètement éliminées de toute forme d'alimentation animale et qu'il faudrait, parallèlement, développer un secteur de protéines végétales communautaires pour remplacer ces farines dans de bonnes conditions.

Je rappelle qu'à ce jour le déficit en protéines végétales d'origine communautaire, pour nos propres besoins, est d'environ 70 %. En y ajoutant l'interdiction de toute incorporation de farines animales, ce déficit est porté à hauteur de 75 %, voire plus si nous devions interdire les farines d'origine poisson. Nous sommes donc dans une situation de forte dépendance que nous avons payée « comptant » dans les années 1972/1973 à la suite d'un embargo des États-Unis sur le soja.

Dès 1998/1999 nous avons proposé une alternative par les protéines végétales visant à satisfaire trois objectifs.

Le premier était de substituer des matériaux à risques dans l'alimentation animale. Cela faisait clairement référence à ces problèmes de sécurité alimentaire.

Le second était d'offrir une alternative au tout soja importé. Je dois vous dire qu'en matière d'importation de soja, nos trois sources principales sont les États-Unis, le Brésil et l'Argentine. Quand le soja vient d'Argentine il est 100 % OGM, quand il vient des États-Unis il est à 50 % OGM et quand il vient du Brésil, soit un paquebot de soja est sans OGM soit il présente des traces d'OGM, voire plus. Cela situe la problématique dans laquelle nous sommes.

Le troisième objectif que nous poursuivions, qui est peut-être en dehors de vos préoccupations, consistait à répondre à cette notion de multifonctionnalité que nous souhaitons notamment bien valoriser à travers les négociations internationales à l'OMC. A nos yeux, cette multifonctionnalité passe par une diversité des cultures et notamment des assolements équilibrés. On n'imagine pas la France couverte par un grand champ de céréales et ayant perdu, pour des raisons économiques, la faculté de pouvoir produire des oléagineux, des protéagineux, du maïs ou d'autres cultures plus confidentielles qui participent à l'équilibre de ces productions végétales et, implicitement, à l'équilibre écologique, environnemental et paysager que nos concitoyens apprécient de manière certaine.

Nous pensions, peut-être naïvement, qu'à la suite des Accords de Berlin et d'Agenda 2000, il y avait peut-être là matière à rebondir sur ces accords. Chacun s'est accordé, en mai 1999, lors de la signature de ces accords, pour reconnaître que le secteur sacrifié de ces accords était celui des oléagineux et protéagineux communautaires. Nous pensions qu'il était important de réveiller les consciences en nous appuyant, je le reconnais sans difficulté, sur les problèmes d'ESB. Nous sentions déjà, à l'époque, qu'il existait, dans la réflexion collégiale, une véritable interrogation à partir de l'utilisation du reste de ces farines carnées.

Depuis 1998/1999, et notamment depuis le mois de mai 2000, notre organisation a réitéré, à travers le terme de son congrès annuel « Alternative protéines végétales », un certain nombre de propositions, tant auprès du ministre de l'Agriculture que de la commission.

Il nous semble, aujourd'hui, que la priorité devrait être portée sur le secteur des protéagineux que sont les pois protéagineux, lupins, féveroles et toutes ces plantes cultivées essentiellement pour leur teneur en protéines.

En effet, nous n'avons aucune contingence internationale par rapport à une revalorisation du soutien aux protéagineux communautaires. Aujourd'hui, quand un agriculteur cultive des céréales, des oléagineux et des protéagineux, son revenu à l'hectare n'est pas le même suivant ces différentes productions. Jusqu'aux Accords de Berlin, un différentiel, à travers les paiements à l'hectare issus de la Politique Agricole Commune, tenait compte de cette différence de compétitivité d'une culture à l'autre. Or, ceci est perdu, bien que pas totalement en protéagineux, à travers les Accords de Berlin.

Aujourd'hui, la tendance naturelle est une baisse des surfaces en oléagineux (colza, tournesol et soja) et en pois protéagineux et elle s'accroîtra dans les deux ou trois prochaines années. En effet, les accords de Berlin prévoient une dégressivité des aides, notamment en oléagineux, sur une période de trois ans. C'est le point majeur.

Nous avions réussi, à travers une politique de recherche active notamment en matière de semences (qualité sanitaire et rendement), par une meilleure adaptation de ces cultures à nos contraintes de producteurs, depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, à bien faire progresser ces cultures. Aujourd'hui, ces efforts sont fortement entamés par les Accords de Berlin.

Sur ce point, il faudra, à l'occasion d'une clause de rendez-vous prévue dans Agenda 2000, d'ici 2002 ou 2003, apporter quelques corrections à ces accords.

Pour résumer, il faut donner la priorité au secteur des protéagineux. Nous continuons à penser que compte tenu des effets climatiques de l'automne et de ce début d'hiver, particulièrement catastrophiques en France, voire même en Europe, il serait de bon augure que l'on donne un signe concret pour des semis qui pourraient intervenir dès février ou mars. En effet, à l'entrée du printemps, la sole non couverte par des cultures d'hiver sera plus importante, notamment en France, qu'elle ne l'est en période habituelle.

Cela passe par une revalorisation de cette aide pour les protéagineux et oléagineux au plan communautaire ; aujourd'hui, nous la situons à hauteur de 350/400 F par hectare par rapport à la situation actuelle. C'est un coût de 120 à 150 millions d'euros pour l'Union Européenne à 15, sachant que sur ce coût la moitié reviendrait à la partie française puisque la France représente environ 50 % de la production de protéagineux en Europe.

Deux autres décisions pourraient être prises. L'une concerne la promotion et l'augmentation des capacités en matière de transformation des graines de colza en biocarburant. A travers l'usage non alimentaire de l'huile, mais également la production de tourteaux riches en protéines, nous pourrions, par cette activité non alimentaire, consolider notre secteur de protéines végétales.

Une troisième réflexion que nous poussons consisterait à favoriser la rotation des cultures afin de retrouver cet équilibre dans les assolements entre céréales à paille et production oléoprotéagineuse. Il faudrait accompagner les producteurs dans une démarche plus incitative. Tout cela aurait pour effet de consolider les surfaces ou du moins de redresser la baisse actuelle.

Si nous devions substituer les 2,5 millions de tonnes de farines animales par leur équivalent en tourteaux de soja, il faudrait augmenter la surface actuelle d'oléagineux et protéagineux, dans l'Union Européenne, de 30 %, soit 2 millions d'hectares pour l'Union Européenne à 15.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président Beulin, vous avez parlé des Accords de Berlin, mais quelle est votre marge de manoeuvre en matière d'assolement ? Quand nous avons auditionné M. Moscovici, dans le cadre de la Délégation à l'Union Européenne, il nous a laissé entendre qu'il existait une marge de manoeuvre, sans aller plus loin dans l'explication.

Lors du projet de Loi de finances 2001, nous avons également interpellé Madame le ministre de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement concernant la TGAP sur les consommations intermédiaires, à savoir la luzerne déshydratée, qui entraîneraient un surcoût de production de 17 %, ce qui est phénoménal dans la conjoncture actuelle. Nous n'avons pas eu de réponse.

Au travers de vos négociations avec ce ministère, avez-vous quelques éléments de réponses ?

La culture de soja, qui est la plante idéale en matière de production de protéines, est plus problématique en France que dans certains pays, notamment d'Amérique latine. Nous poserons également cette question à l'INRA : avez-vous bon espoir d'avoir des variétés plus adaptées à la climatologie française et, si oui, existe-t-il des régions plus prédisposées que d'autres sur ce point ?

M. Xavier Beulin - Concernant Blair House, je ferai un rappel historique afin d'expliquer la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

Depuis 40 ans nous courons derrière les États-Unis en matière de protéines. Au début des années 1960, à travers le Dillon Round, qui était le premier round au cours duquel on a commencé à parler d'agriculture, l'Europe a accepté l'importation de soja à droit zéro dans l'Union Européenne.

Je passerai sur les circonstances de l'époque, mais la résultante est celle-là. Aujourd'hui, nous sommes soumis au cours mondial en matière de protéines puisque concernant le soja la référence de Chicago s'impose sur les marchés. Ces semaines dernières, quand le dollar était à plus de 7,20 F, même si ce n'était pas bon pour les éleveurs, c'était plutôt bon pour les producteurs d'oléoprotéagineux communautaires. Il faut ramener cela à une proportion mieux équilibrée et tirer des références à une parité euro/dollar, ce qui nous paraît, du moins dans le moyen terme, plus judicieux.

Nous avons ensuite subi l'embargo dont je parlais et, dans un premier réveil, l'Europe a songé qu'elle ne pouvait pas rester dans cette situation de dépendance à 90 % ou 95 %. A l'époque, nous tirions nos seules protéines végétales de plantes comme la luzerne car dans les années 1960 l'élevage européen comportait principalement des ruminants.

Les élevages de porc et de volailles se sont développés à partir des années 1960. C'est notamment sous la pression des pays du Nord, d'Unilever à l'époque, que, sans doute, ce mauvais accord a été accepté dans les années 1960.

Nous avons développé, à partir de 1973, notamment sous l'impulsion du Président Georges Pompidou (il faut le souligner car c'était une prise de conscience importante), ce secteur oléoprotéagineux en mettant en place un soutien aux productions d'oléagineux qui ne transitaient pas par le producteur mais par le premier transformateur, le triturateur ou l'huilier, auquel la communauté apportait un niveau d'aide qui était ensuite restitué sous forme de prix de graines au producteur.

A certaines époques, j'ai vendu du colza ou du tournesol à des prix supérieurs à 300 F le quintal alors qu'aujourd'hui, dans les meilleures situations, nous sommes à 110 F voire 120 F le quintal.

A la fin des années 1980, deux panels successifs, demandés par les États-Unis, ont été perdus pour nous ; en effet, les États-Unis estimaient que l'Europe ne pouvait pas apporter ce type d'aide à ses producteurs car c'était contraire aux accords de 1966 qui avaient été consolidés.

C'est ainsi que nous nous sommes acheminés vers les Accords de Blair House, en 1991. Ils précisent que l'Europe peut apporter des soutiens au secteur des oléagineux sous deux conditions : ce soutien doit être direct, sous forme de paiements compensatoires à l'hectare, payés au producteur, et que soit instauré un plafond de surfaces, tant pour les surfaces consacrées aux usages alimentaires des graines que pour celles consacrées au usages non alimentaires, puisqu'à l'époque on commençait à parler de biocarburant.

Rapproché du nombre d'hectares, cela accordait 5,5 millions d'hectares pour l'Union Européenne à 15, desquels il fallait déduire le taux de jachère en vigueur qui, en tout état de cause, devait être supérieur ou égal à 10 %.

C'est un paradoxe du secteur des oléagineux : un taux de jachère de 5 % en céréales et de 10 % en oléagineux.

Concernant la situation actuelle, Agenda 2000 prévoit de ramener en trois ans (2000, 2001 et 2002) le niveau des paiements compensatoires aux oléagineux sur le niveau des paiements compensatoires aux céréales et à la jachère. C'est une harmonisation du niveau de l'aide à l'ensemble des grandes cultures plus la jachère. Cela signifie que nous n'avons plus d'aide spécifique aux cultures d'oléagineux. Ce qui conditionnait ces Accords de Blair House était l'aide spécifique à une production donnée, en l'occurrence la production de colza, de tournesol et de soja.

L'interprétation qui est faite, et sur ce point nous ne sommes plus contestés, même à Genève puisqu'à Bruxelles la situation est actée, est qu'à partir de 2002, quand l'aide sera indifférenciée entre céréales, oléagineux et jachères, les Accords de Blair House perdureront mais seront vidés de leur substance.

Nous souhaiterions, à l'occasion de la réouverture des négociations à l'OMC, que M. Lamy mette tout en oeuvre pour supprimer ces accords qui, à notre sens, n'ont plus aucune légitimité ou justification dans les conditions actuelles de marché, de besoin et de demande.

Autrement dit, nous sommes pénalisés économiquement puisque nous n'avons plus ce paiement spécifique qui permettait d'améliorer la compétitivité du secteur oléagineux, mais nous perdons, ce qui est plutôt un atout pour l'Europe, cette fameuse contingence en termes de surfaces.

Dans les dossiers que nous avons préparés, nous avons présenté un certain nombre de courbes. La situation actuelle montre que, sans attendre 2002, nous serons bien au-dessous du fameux seuil de 5,5 millions d'hectares pour l'Union Européenne. Les conditions économiques actuelles font que la baisse des surfaces ne nous contraindra pas à justifier nos demandes par rapport à Blair House.

Toute forme de soutien complémentaire qui viendrait au secteur oléagineux ne pourra pas, ou ne devra pas, reprendre la forme antérieure afin d'éviter de retomber dans cette contingence sauf si, à l'occasion de la négociation, nous pouvions faire tomber définitivement cette contrainte ; or, nous ne sommes pas certains d'aboutir. Même si, aujourd'hui, nous avons de bons arguments, nos collègues producteurs américains réalisent 60 % de leurs recettes sur le soja à partir d'aides directes et 40 % par la vente de leurs produits.

C'est la réalité aux États-Unis. Quand on vient crier haro sur les aides en Europe, nous avons quelques bons arguments pour être plus offensifs que nous ne le sommes.

Sur l'aspect de la luzerne, il faut bien scinder les dossiers car elle ne substituera pas les farines animales. Par contre, pour les ruminants, il est évident que la luzerne présente beaucoup d'intérêt. J'ai cru lire que le Conseil constitutionnel avait renvoyé le Gouvernement à ses « chères études » concernant cette TGAP puisqu'il me semble qu'elle est désormais considérée comme anticonstitutionnelle, considérant qu'il existe une inégalité de traitement des différentes entreprises concernées par rapport à cette TGAP sur l'énergie.

Il nous semblait que nous étions près d'un accord qui aurait, sans doute, peut-être pas totalement mais du moins pour partie, exonéré les entreprises de déshydratation de luzerne qui ne pouvaient plus, économiquement, continuer à exercer leur activité dans les conditions de marché actuelles.

C'est pour nous la « ligne d'horizon » permanente : notre référence en Europe, sur le prix des protéines, c'est un exemple unique dans le secteur des grandes cultures, est celle du cours mondial. Nous n'avons aucun filet de sécurité sur les productions oléagineuses ou protéagineuses en Europe par rapport à une baisse des prix ou des cours mondiaux qui chuteraient. Aujourd'hui, nos marges de manoeuvre sont extrêmement réduite.

Quant au soja, nous formons un certain nombre d'espoirs qui sont de faire monter la zone traditionnellement liée à la culture du soja, à savoir majoritairement la zone du sud-ouest de la France, avec quelques bassins complémentaires tels que la région Rhône-Alpes, la Bourgogne et le Centre. Il est vrai que la culture du soja n'a jamais franchi la Loire.

Un important travail de recherche doit être fait. Nous sommes sur du fondamental et de la recherche variétale qui concerne principalement les entreprises semencières. Nous développons actuellement un premier programme, non pas sur le soja mais sur les protéagineux, dont les moyens seront multipliés par 4 ou 5, pour améliorer la productivité de ces plantes.

Nous sommes aussi en réflexion, en relation avec les semenciers, pour développer des qualités variétales adaptées à des zones plus septentrionales et progresser dans ce domaine.

Notre matériel génétique de base est, le plus souvent, un matériel importé de l'autre côté de l'Atlantique. Nous formons beaucoup d'espoirs dans la génomique, à savoir la carte génétique des plantes, qui nous permettra, non pas de faire de la transgenèse, car c'est un autre débat, mais d'aller beaucoup plus vite en matière de recherche variétale, en ciblant un certain nombre de gènes d'intérêt qui pourraient permettre d'implanter du soja dans d'autres régions que celles traditionnellement reconnues en France.

M. le Rapporteur - Vous vous approchez des OGM.

M. Xavier Beulin - Non, mais la transgenèse est une application possible à partir de la génomique.

Quand une variété était élaborée en 10 ans, elle le sera désormais en trois ou quatre ans grâce à la génomique.

M. Paul Blanc - Concernant la luzerne déshydratée, quels sont les avantages et inconvénients par rapport au soja ?

Dans les années 1985, dans la région Languedoc-Roussillon en particulier, à la suite d'arrachages massifs de vignobles, une programmation a été faite pour développer la culture du soja avec, en particulier, la création d'une usine de trituration à Sète. A ma connaissance, ce développement ne s'est pas fait. En connaissez-vous les raisons et pourrait-il être repris ?

M. Xavier Beulin - Concernant les avantages de la luzerne, il faut remettre chacune des plantes dans son contexte naturel, au sens des implantations géographiques, mais également par rapport à son utilisation et sa valorisation.

La luzerne est parfaitement adaptée aux caprins, ovins et ruminants allaitants puisqu'elle constitue un équilibre entre la matière protéique, purement contenue dans la luzerne, la cellulose, l'amidon, etc. et l'énergie. Pour d'autres espèces, notamment toutes les souches avicoles et les porcins, il faut des concentrations en protéines, dans l'aliment, beaucoup plus importantes et la luzerne ne répond à cet objectif.

A chaque espèce et chaque situation il existe aujourd'hui des réponses adaptées. Je n'affirme pas que nous substituerons demain 100 % de nos importations par des protéines d'origine communautaire car ce serait abusif. Notre objectif est de passer d'une situation de 25 % d'auto-approvisionnement à une situation où nous pourrions largement améliorer le score et atteindre 35 % ou 40 %. Cet objectif est extrêmement ambitieux même s'il apparaît raisonnable.

Il nous semble qu'en termes d'identité européenne, c'est un point majeur pour nous, la diversité faisant partie de cette identité. Cette diversité peut se retrouver dans la diversité des plantes et des graines disponibles, en fonction de leurs caractéristiques, mais aussi par rapport à ces notions d'assolement, d'agronomie, etc. C'est l'une des valeurs fortes que l'Europe doit défendre aujourd'hui. De ce point de vue, nous disposons de réponses diversifiées par rapport à ces échéances.

Par rapport à l'usine de Sète, nous pourrions vous renseigner précisément sur son activité. Elle travaille en partie avec des graines d'importation mais c'est le cas d'un certain nombre d'usines de trituration en France et en Europe. Sète travaille également du tournesol et du soja français.

Depuis deux ans, mais principalement depuis l'année dernière, se développe une filière « soja de qualité » avec une quinzaine de sous-filières dans cette démarche qualité. La principale étant celle « soja de pays », qui a initié notre propre organisation, et le soja issu de ces filières, qui représente environ 50 000 hectares aujourd'hui, est trituré en grande partie à Sète.

Nous avions voulu le triturer à Sète pour des raisons simples, à savoir de garantir à l'acheteur final une traçabilité maximum, depuis la semence jusqu'au produit final. Pour cela, nous devons nettoyer l'usine pour chaque lot qui y est transformé ; cette programmation est assez bien organisée. Je pense que Sète répond en partie à la préoccupation française. Toutefois, je serais tout à fait ravi de pouvoir vous apporter ultérieurement des éléments plus précis.

M. Georges Gruillot - Concernant la clause de rendez-vous prévue en 2002 ou 2003 pour savoir s'il faut modifier ou réformer les Accords de Berlin, le problème de l'ESB étant devenu européen, ne pourrait-on pas faire une pression politique (et vous avez peut-être besoin du pouvoir politique que nous représentons partiellement) pour que cette négociation ait lieu dès cette année ?

Vous nous avez expliqué que, pratiquement, vous producteurs français, étiez réduits à recevoir les prix mondiaux pour vos produits. Vous avez également indiqué que les Américains tiraient leurs revenus de 40 % de leurs produits et de 60 % de subventions. Pourriez-vous citer, pour les quelques grands produits, des chiffres en francs ou en dollars, afin de mieux fixer les esprits, plutôt que d'en rester à cette connaissance abstraite ?

Il m'a semblé, dans la fin de vos propos, que vous expliquiez qu'en étant très ambitieux nous pourrions espérer atteindre, en France, 35 % de production de nos besoins par rapport aux 25 % actuels. Il me semble que cela manque un peu d'ambition. Alors qu'il existe des kyrielles d'hectares en jachère en Europe, ne pourrait-on pas être plus ambitieux et aller plus rapidement plus loin que les 35 % ?

M. Xavier Beulin - Sur la troisième question, j'aimerais être ambitieux.

M. Georges Gruillot - C'est un vrai problème politique.

M. Xavier Beulin - Dans les années 1970, notre taux d'auto-approvisionnement était d'environ 10 %. Aujourd'hui, nous sommes à 25 % et cela nous semble être un progrès important.

Sur cette clause de rendez-vous et sur l'urgence des décisions à prendre, il en existe au moins deux sur lesquelles nous pensions que la Commission ferait des propositions ; nous avions d'ailleurs misé sur les deux derniers Conseils agricoles à Bruxelles pour que M. Glavany insiste dans ce sens.

Je n'ai pas à juger d'une pertinence ou d'une volonté, et je pense que le ministre a fait, pour partie, son travail, bien qu'il existe des blocages. Concernant le blocage budgétaire, je ne suis pas le mieux placé pour en parler mais je reprends ce que je lis. Le retrait des farines animales, leur stockage et leur traitement coûterait environ 20 GF par an pour l'Union Européenne à 15. C'est une somme considérable.

Dans le même temps, nous demandons 120 à 140 millions d'euros, pour l'Union Européenne à 15, pour soutenir un premier plan protéagineux. Si nous obtenions 350 à 400 F de revalorisation du paiement par hectare pour les producteurs, ce serait un signe extrêmement fort et nous aurions, dès le printemps, si cette décision était prise en début d'année, un effet extrêmement positif.

M. Georges Gruillot - Cela représente 1 GF.

M. Xavier Beulin - Cela a été calibré à 750 MF. C'est à comparer aux 40 milliards d'euros du budget consacré à l'agriculture par l'Union Européenne. Nous sommes sur « l'épaisseur du trait ».

Je me permets de vous indiquer un autre chiffre : l'excédent budgétaire, sur le dernier exercice de la Commission, pour le volet agricole, représente environ 1,2 milliard d'euros. Il semble possible de trouver quelques marges de manoeuvre.

Aujourd'hui, M. Fischler ne conteste pas cette décision mais il nous donne un certain nombre d'arguments contraires. Le premier est que le retrait des farines animales crée une sorte d'appel sur la protéine, impliquant une augmentation du marché augmentera et un encouragement suffisant pour les producteurs. Or, selon moi, en prenant une référence en décembre, avec un dollar à 7,20 F, il a probablement raison en partie. Si le dollar était à 6,50 F, à savoir une parité euro/dollar, le prix de la protéine dans l'Union Européenne ne serait pas attractif pour les producteurs.

Dans ce domaine, il est nécessaire de marquer les arguments et nous pensons qu'il ne faut pas attendre la clause de 2002 pour donner un signe fort et restaurer la confiance des consommateurs. Cela passe aussi par là et je pense qu'une mesure d'urgence doit être prise.

M. le Rapporteur - A quelle échéance attendriez-vous cette décision européenne ?

M. Xavier Beulin - Le plus tôt sera le mieux. Un pois protéagineux, une féverole ou un lupin se sèment depuis la fin février jusqu'au 15 mars ou la fin mars, cela dépend des régions. Si l'on veut impacter les semis de 2001, il faut prendre une décision maintenant.

M. le Président - Nous pourrions, comme le disait M. Gruillot, insister très fortement pour que les décisions soient prises dès maintenant et être efficaces.

M. Roland du Luart - D'autant qu'il existe un retard sur les emblavures traditionnelles car il n'a jamais été semé aussi peu de blé que cette année.

M. Xavier Beulin - Notre crainte est de nous retrouver au printemps avec une sole de céréales à paille, notamment d'orge de printemps, que l'on ne saura pas valoriser sur le marché. Ce qui fait l'intérêt de l'orge aujourd'hui est de rester sur un marché maîtrisé, positionné sur la brasserie de qualité, alors que nous risquons de rencontrer une « grande cavalerie » dont nous subirons collégialement les conséquences dans un délai d'un an.

Le deuxième point sur lequel nous insistons fortement est celui d'une amélioration du deuxième pilier de la Politique Agricole Commune, le développement rural. Je vous rappelle qu'en 2000 nous avions pu obtenir un complément d'aide de 500 F par hectare pour la culture du tournesol, moyennant l'engagement de l'agriculteur de remplir un cahier des charges dont il convient de dire qu'il doit être praticable pour le producteur.

Malheureusement, Bruxelles est passée sur la mesure et nous aurons, pour 2001, une série de nouvelles contraintes sur la culture du tournesol si nous voulons avoir accès à ces 500 F : binage mécanique, obligation de formation pour le producteur, etc. De ce fait, la mesure ne sera pas prise par les producteurs.

Nous souhaiterions pouvoir transformer l'aide « tournesol an 2000 » plutôt en une aide à l'incitation à la rotation des cultures dans l'assolement du producteur. Aujourd'hui, les conséquences d'Agenda 2000 sont d'emmener les producteurs de grandes cultures vers la monoculture de céréales à paille. C'est ce que nous vivons en direct ; c'est une tendance lourde.

Essayons de redresser la situation et, pour cela, faisons en sorte que l'on puisse encourager le producteur à diversifier son assolement. Cela pourrait être une mesure de type agri-environnemental puisque diversifier un assolement consiste à faire de l'agri-environnement. Par ailleurs, puisque cela ne serait pas pris sur les paiements compensatoires du volet FEOGA de la PAC mais sur le volet du développement rural, nous ne rentrerions pas dans cette contingence de Blair House dont je parlais.

M. Gasquet - Sur les prix, il est difficile de parler en général, puisque cela fluctue d'un jour à l'autre, et il faut particulièrement bien définir le stade auquel nous parlons. Je suppose que vous souhaitiez avoir des précisions sur le prix de l'huile, des graines, des tourteaux, etc.

M. Georges Gruillot - Nous souhaitons savoir à quel prix l'agriculteur français vend le soja, le tournesol et la luzerne et combien l'agriculteur américain touche de la vente de son produit.

M. Xavier Beulin - Le rapport est inversé : quand les États-Unis sont à 60 %/40 %, nous sommes plutôt à 40 %/60 % en France, voire un peu moins concernant les soutiens, notamment en s'approchant de l'échéance de 2002 où les aides baisseront encore.

En tant que producteur, aujourd'hui je vends le colza entre 110 F et 120 F le quintal, soit 1 100 F à 1 200 F la tonne. Je récolte près de 3,5 tonnes/hectare en colza, soit 3 500 F/hectare de recettes. J'avais, en 1999, 3 700 F de soutien direct, soit environ 50 % d'aides et 50 % de recettes.

Cette année, j'ai eu une baisse sur ces 3 700 F et je suis aujourd'hui à 3 200 F d'aides. J'aurai encore moins sur 2001 et le paiement compensatoire, en 2002, sera à 2 600 F par hectare. Il faut essayer de gagner sa vie avec cela.

Il faut raisonner en relatif et, pour nous, en France, la référence est celle de l'hectare de blé. Sur un hectare de blé, je suis mieux placé car, dans les mêmes conditions, je ferai 7,5 tonnes/hectare qui seront vendus 700 F la tonne : soit 5 000 F de recettes par la vente du blé et 2 600 F/hectare d'aides pour le blé. Il est évident que je serai mieux positionné.

Il existait une justification dans ce paiement spécifique aux oléagineux et aux protéagineux, jusqu'à ces Accords de Berlin, en raison d'un différentiel de compétitivité entre les deux cultures.

Par ailleurs, bien que nous n'en parlions pas en termes de propositions, car c'est plus compliqué, il existe, sur la céréale, un prix minimum garanti, l'intervention, qui n'existe pas en oléagineux ou en protéagineux. Ces deux dernières cultures constituent donc une prise de risques supplémentaires par rapport au marché.

Vous comprenez donc pourquoi on assiste à une baisse inéluctable des surfaces consacrées aux oléoprotéagineux et M. Fischler nous trompe quand il affirme que le marché redressera tout cela.

Nous intervenons également sur le volet de l'amélioration de la compétitivité de ces cultures. En céréales, nous disposons d'environ un siècle de recherche derrière nous alors qu'en oléoprotéagineux nous avons à peine 25 ans.

M. le Rapporteur - Nous pouvons retenir avec beaucoup d'intérêt votre proposition, que nous pourrions relayer, au niveau gouvernemental, en demandant que le Gouvernement se positionne sur la relance de la production d'oléoprotéagineux. Nous pourrions passer un communiqué au titre de la Commission d'enquête et nous pourrions le relayer au niveau de la délégation à l'Union Européenne. En effet, mars approche et je ne comprendrais pas que l'on interdise les farines animales sans favoriser la filière des oléoprotéagineux.

M. Roland du Luart - Il faudrait indiquer, dans ce communiqué, l'argument des emblavures céréalières qui n'ont pas pu avoir lieu.

M. Xavier Beulin - Je souhaite relater une « anecdote ». Je préside le groupe permanent oléoprotéagineux à Bruxelles. Tous les trois mois, nous tenons un comité consultatif où nous sommes face aux représentants de la commission.

Lors d'une discussion j'ai parlé de cette situation aux États-Unis, du rapport 40 %/60 %, puisque, parallèlement, nous instruisons un dossier de plainte à l'OMC concernant l'abus de ces soutiens appliqués au soja. Un Directeur général adjoint de la D.G. Agriculture m'a donné la réponse suivante : en se plaçant du point de vue des producteurs européens, il est raisonnable de vouloir déposer une plainte car il s'agit d'un préjudice et cela pose un problème. De plus, les Américains sont sortis de la clause de paix signée à Marrakech dans ce domaine précis du soutien au soja.

Toutefois, s'agissant du point de vue des intérêts de l'Union Européenne, il indiquait que nous avions tort et que tout serait mis en oeuvre pour nous empêcher de déposer cette plainte. En effet, puisque nous importons 70 % ou 75 % de nos besoins sous forme de soja, la facture pour l'Europe est moins importante et nous avons intérêt à laisser les États-Unis subventionner massivement les producteurs de soja.

Je l'ai pris ainsi, tout en lui faisant remarquer qu'il n'était que fonctionnaire, et non pas homme politique, et que je n'appréciais pas beaucoup la réponse.

M. le Président - L'essentiel est de le savoir et d'essayer d'apporter un soutien dans ce domaine crucial. En effet, nous nous demandons où nous pourrions trouver des protéines dans l'avenir.

Nous vous remercions d'avoir participé à cette commission d'enquête et de nous avoir apporté tous ces enseignements qui sont importants pour connaître la situation générale, particulièrement dans votre domaine qui devient crucial pour la fourniture de protéines.

M. Xavier Beulin - Merci Monsieur le Président et Messieurs les Sénateurs. Nous avons été ravis de pouvoir nous exprimer devant vous.

Audition de M. Jean-Jacques ROSAYE, Président de la Fédération nationale
des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - J'appelle maintenant M. Rosaye, Président de la Fédération Nationale des Groupements de Défense Sanitaire du Bétail, FNGDS, accompagné de M. Cassagne, Directeur de la FNGDS, et Mme Touratier, vétérinaire conseil de la FNGDS.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Rosaye, Cassagne et à Mme Touratier.

M. le Président - Dans un premier temps, je vous demanderais de nous présenter la position de votre organisme par rapport aux problèmes engendrés par l'utilisation des farines animales et des conséquences sur l'ESB.

M. Jean-Jacques Rosaye - Concernant la FNGDS, les groupements de défense sanitaire sont des organismes à vocation sanitaire tels qu'ils sont authentifiés par la loi du 4 janvier 2001. Cette loi fait suite aux différentes lois de 1953 et 1964.

Nous réunissons la quasi totalité des éleveurs de France puisqu'environ 96 % d'éleveurs sont volontairement adhérents aux groupements de défense sanitaire. C'est la seule structure française qui s'occupe du sanitaire dans les élevages et est représentative, en matière sanitaire, au niveau français.

Concernant l'ESB, nous intervenons en échanges avec l'Etat et notamment au niveau du soutien des éleveurs et du calcul des indemnisations dans les cas d'ESB constatés. C'est la raison pour laquelle nous intervenons plus particulièrement sur l'ESB, bien que cette prophylaxie soit gérée par l'Etat.

Par ailleurs, nous avons sensibilisé M. Henri Nallet, ministre, dès 1989 sur ce dossier. Une lettre a été remise par mon prédécesseur, M. Alain Blandin, au ministre de l'Agriculture en 1989, car lors d'une visite en Grande-Bretagne il avait remarqué un certain nombre de problèmes qui n'étaient pas très bien identifiés à l'époque et qui paraissaient alarmants.

Sur ce dossier, en préambule, dès l'origine la France a toujours pris plus de mesures que l'ensemble de ses partenaires européens. Nous avons, tant l'Etat que la profession, toujours joué la transparence sur ce dossier, même si nous nous apercevons que nous sommes, malheureusement, accusés. Je crois pourtant que nous avons été transparents et nous avons clairement expliqué la situation.

Les décisions qui ont été prises depuis 1996 à propos du retrait des matériaux à risques spécifiés, les MRS, a été, à notre avis, le point le plus important parmi les mesures de sécurité alimentaire qui étaient prises depuis 5 ans.

Il est vrai que cette maladie a un effet retard car l'incubation est d'un minimum de 5 ans sur les bovins et les effets de cette mesure ne se constatent qu'à partir de maintenant.

Par ailleurs, nous avons, depuis quelques mois, procédé à une analyse de l'évolution épidémiologique de l'ESB en France, par les données émanant du ministère ou autres. Elle est intéressante et je vous ferai part des conclusions.

Concernant l'analyse de l'ESB, elle fait apparaître deux vagues de contamination. S'agissant des différentes sorties d'animaux malades, il existe deux vagues en fonction de la date de naissance des animaux. Une première vague, concernant principalement la Bretagne, était probablement liée aux importations de farine de viande de 1987, 1988 et 1989 en provenance d'Angleterre car les animaux ont été malades en 1992, 1993 et 1994.

C'était l'expression des importations de farine de viande en provenance de Grande-Bretagne et qui, à l'époque, ont certainement augmenté. Il aurait sans doute été nécessaire de les limiter mais elles ne l'ont été qu'en 1989 et 1990.

La deuxième vague qui ressort actuellement, depuis 6 mois ou un an, concerne les animaux nés en 1994, 1995 et 1996. Il semblerait, d'après nos études, qu'il s'agirait d'animaux contaminés par des importations (de la Grande-Bretagne vers la Bretagne) qui auraient été réincorporées dans le circuit des farines françaises.

L'hypothèse la plus probable, puisque normalement il n'y avait plus de farine de viande dans l'alimentation des bovins, concerne des contaminations croisées entre l'alimentation des bovins, des porcs et des volailles.

C'est sans doute une source essentielle mais il en existe peut-être d'autres, à savoir les importations frauduleuses ; toutefois, il est plus difficile de les cerner et d'en apporter la preuve. On en entend beaucoup parler mais il est impossible d'affirmer que c'est l'une des sources les plus importantes.

Certains GDS dans les départements nous ont fait part de naturalisation de farine anglaise via les ports méditerranéens, la Belgique ou les Pays-Bas, qui importaient encore, et nous retransmettaient des farines de viande qui n'était plus britanniques lors de leur arrivée en France. Ce type de fraude est difficile à quantifier et à prouver car cela concerne les années 1993 à 1995. Selon des personnes qui ont eu quelques informations, elles n'étaient pas négligeables mais je ne sais pas à quel niveau.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Disposez-vous d'éléments susceptibles de nous éclairer davantage ?

M. Cassagne - C'est difficile car nous n'avons pas le pouvoir de la police. Des départements nous ont indiqué qu'il avait existé des farines naturalisées, sans qu'il soit possible de remonter à la source de cette information. A l'époque, on nous avait indiqué des lieux mais ces phénomènes datent de quelques années auparavant. Nous n'avons pas les moyens d'aller chercher des preuves en la matière. C'était plutôt une information a posteriori.

Nous avions, au niveau national, des échos, à des moments précis, mais ils sont arrivés tardivement. Ne disposant pas de moyens d'investigation, il ne nous était pas possible de les chercher.

En revanche, nous soutenons totalement Madame le juge Boizette qui souhaite pouvoir conduire une enquête. Cela nous semble nécessaire même si nous pensons qu'il sera difficile de trouver des preuves.

M. Jean-Jacques Rosaye - Hormis ce problème majeur de fraude, je reviendrai sur les contaminations croisées telles que nous pouvons les analyser.

La Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires a publié un rapport en 1999. On peut, à cet égard, regretter qu'elle ne publie pas de rapport chaque année ; d'autres rapport ont été réalisés avant 1999 mais ils n'ont jamais été rendus publics.

Concernant le rapport de 1999, il est indiqué : « L'état actuel des enquêtes alimentaires menées sur le cas déclaré en 1999 montre que, comme les années précédentes, à côté de possibles contaminations croisées d'élevage par des aliments destinés aux porcins ou aux volailles, ou des contaminations croisées de transport, il est mis en évidence de façon constante une possibilité de contamination croisée accidentelle d'usine par des produits susceptibles de provenir, en tout ou partie, de déchets à hauts risques de ruminants, d'au moins un aliment destiné aux bovins présents dans l'exploitation.

En effet, on peut considérer que presque toutes les usines ayant utilisé ces produits dans des aliments destinés aux volailles et aux porcs présentent, ou présentaient, à l'époque supposée de la contamination, un risque de contamination croisée si elles ont fabriqué des aliments destinés aux bovins dans la même entreprise ».

S'agissant des usines qui fournissent les aliments pour les bovins, beaucoup de celles-ci fabriquaient des aliments pour les porcins, les volailles et les bovins, sans avoir de chaîne distincte de production entre les trois espèces.

Quand la fabrication d'une catégorie d'aliments était terminée, on passait à la catégorie suivante. En raison du type de fonctionnement de ces usines, il est évident qu'il doit toujours rester un dépôt à un stade quelconque de la filière. Il peut s'agir de quelques dizaines de kilos qui peuvent repartir dans la fourniture suivante. Ce risque important existait avant 1996 puisqu'après 1996 les morceaux à risques étaient enlevés des farines de viande, quelle que soit leur destination. Avant 1996, si des farines de viande destinées aux porcs et aux volailles entraient dans l'alimentation bovine, des morceaux à risques pouvaient être incorporés.

Concernant les contaminations croisées des exploitations, il n'est pas possible de les nier car certaines élevaient des porcs et des bovins sur la même exploitation. Quand un lot d'aliments pour les porcs était terminé, il pouvait en rester au fond du silo.

L'AFSSA avait fait une étude à propos des premiers tests réalisés sur Prionics et parmi les 26 premiers cas d'ESB, 20 producteurs ne réalisaient qu'un seul type de production. Il n'est pas possible de généraliser.

S'agissant des transports, qui constituent un autre point important, on sait que pour transporter les aliments en vrac par camion les produits sont séparés par des cloisons. Il était donc possible qu'un même camion livre plusieurs productions, de l'aliment pour bovins et pour porcins. Mécaniquement, lors de la fin d'une livraison, 20 ou 30 kilos d'aliments pouvaient rester dans la vis sans fin et ils étaient refoulés avec la deuxième livraison. Je suis éleveur et quand un camion me livre des aliments je constate, même actuellement, que des granulés ne sont pas de la même couleur que ceux de ma commande d'aliments.

De plus en plus d'usines sont spécialisées et créent des chaînes spécialisées ou enlèvent les farines de viande de leur production. C'est donc un peu moins vrai. De plus, les farines de viande sont plus sécurisées qu'il y a 4 ou 5 ans.

Dans les usines on pouvait constater un autre phénomène, à savoir des possibilités de réincorporation de retour. Quand une exploitation n'utilisait pas tout un lot d'aliments pour des porcins ou des volailles, le fournisseur s'engageait à le reprendre. L'usine reprenait donc les aliments mais je ne sais pas s'ils repartaient dans une chaîne concernant la même catégorie d'animaux.

Il semble, à nos yeux, que cette contamination croisée constitue la majeure partie des risques rencontrés dans les années 1992 à 1996 alors que les farines n'étaient pas sécurisées. Les fabricants n'étaient sans doute pas aussi rigoureux qu'aujourd'hui sur les croisements d'aliments.

Comment expliquer cette situation ? Avant 1996, on ne parlait pas d'ESB comme on le fait depuis mars 1996 et depuis la déclaration du ministre anglais de la Santé.

Il existait des recommandations mais il n'est pas possible de savoir si les usines les appliquaient totalement. Je ne pense pas que ce soit le cas car la séparation des chaînes d'alimentation n'était pas effective et je ne pense pas que toutes les mesures aient été prises correctement entre 1990 et 1996.

Concernant l'application de la réglementation, le pourcentage de farine d'os devait être de moins de 0,1 % avec la possibilité d'incorporer 0,35 % de farine de viande. Ce n'est pas négligeable puisque cela constitue 3,5 kilos de farine de viande pour 1 000 kilos d'aliments. C'était réglementaire.

Selon les chiffres de la DGCCRF, le pourcentage d'échantillons analysés et situés au-delà de ce chiffre n'était pas négligeable : en 1997, 4,2 % étaient au-delà du 0,1 % réglementaire, en 1998, 1,2 % et en 1999, 1,64 %. Ce n'est pas beaucoup mais c'est plus que zéro.

Un autre point a participé à la moindre vigilance des différents intervenants. Au niveau des scientifiques, le principe admis au début, et la commission d'enquête britannique l'avait souligné, était que la dose contaminante pour le bovin était élevée. Or, après un certain nombre d'études, il s'est avéré qu'une dose de moins de 1 gramme pourrait contaminer un bovin. De ce fait, très peu de morceaux à risques étaient nécessaires pour contaminer un bovin. A l'époque, en estimant que la dose contaminante était élevée, on pensait avoir une marge de manoeuvre importante alors que ce n'était pas vrai.

On peut s'interroger sur l'absence de prise en compte de cette dose contaminante par les scientifiques ; cela aurait pu être un seuil d'alerte pour les usines.

Un autre point est, selon moi, important, à savoir le problème des contrôles : ont-ils été effectués correctement ou assez fortement ?

Ce n'est pas tout à fait sûr puisque l'office alimentaire et vétérinaire européen indiquait, en 1999, que certains problèmes existaient. Ses représentants avaient visité deux établissements de fabrication d'aliments : l'un était satisfaisant en fonction des législations européenne et française, mais l'autre n'avait pas fait la preuve de son efficacité sur la mise en place des ces mêmes législations.

Le nombre d'échantillons prélevés n'était pas suffisant par rapport au nombre d'usines ou aux productions d'aliments faites en France. La DGCCRF avait réalisé 307 prélèvements en 1997, 419 en 1998 et 380 en 1999. En rapport avec le nombre d'usines en France, c'est sans doute plus que cela. Je ne pense pas que toutes les usines aient été contrôlées au moins une fois chaque année. De plus, la répartition géographique n'a pas été effectuée correctement.

Ceci soulève deux questions de nature plus ou moins politique : pourquoi aucun protocole standardisé de contrôle sur la maîtrise des procédures de fabrication n'a-t-il été défini, en particulier par l'Etat, et pourquoi l'instance d'évaluation, l'Agence Française de Sécurité sanitaire des Aliments, n'en a-t-elle pas exprimé le besoin ?

L'AFSSA n'a jamais indiqué qu'il était nécessaire d'avoir un protocole standard de contrôle et n'a jamais insisté dans ce sens.

Par ailleurs, au niveau de l'estimation dans les exploitations ayant eu un cas d'ESB, une enquête a été réalisée sur le terrain par les vétérinaires. Dans les premières phases d'expérimentation du test Prionics, sur les 32 premières exploitations où un cas avait été détecté, seules pour 26 l'enquête est remontée à l'AFSSA. Cela nous interroge car 6 cas n'ont pas été analysés en détail : je ne sais pas si c'est normal.

Concernant les moyens, au niveau de la Direction Générale de l'Alimentation on constate une baisse constante des moyens mis en place, notamment en matière d'effectifs, pour faire les contrôles ainsi qu'assurer le suivi de l'ensemble de la traçabilité et le suivi sanitaire.

Tant au niveau de la centrale nationale que des services vétérinaires départementaux, le programme de création d'emplois sur deux ans, annoncé par le ministère de l'Agriculture, permet à peine de compenser les pertes de ces dernières années en effectifs alors que l'on met de plus en plus de missions, au niveau des services vétérinaires, de contrôle, d'inspection, de suivi en matière d'ESB, de maîtrise des abattages dans les élevages où le cheptel est positif, etc. Notamment dans les départements de l'Ouest, certains services vétérinaires sont dépassés parce qu'ils n'ont pas assez de moyens en termes d'effectifs.

En conclusion, pour résumer notre analyse, les cas nés après l'interdiction des farines depuis 1990 résultent essentiellement d'une contamination croisée des aliments (à l'usine, au transport ou dans l'exploitation), entre les années 1992 à 1996, ayant contaminé les bovins qui sont actuellement positifs. Les contrôles n'ont pas été suffisants et, de plus, leur nature et leur nombre n'ont pas pu permettre d'éviter ce risque.

Néanmoins nous sommes convaincus que des fraudes ont certainement été faites sans que nous puissions les quantifier, ni en apporter la preuve ; ce ne sont pas seulement des rumeurs. Il est difficile de savoir à quel niveau, par qui et comment elles ont eu lieu. Ce serait difficile à prouver et nous n'avons pas les moyens de le faire. Il est évident que ce point a pu être la source d'un risque.

Un point doit être soulevé en matière de santé publique. On entend beaucoup de choses et parfois n'importe quoi au niveau des médias. Il ne faut pas oublier l'effet d'optique dû aux durées d'incubation de la maladie à propos des bovins. Les effets concernant les mesures mises en place aujourd'hui ne seront visibles que dans 5 ans. Les mesures mises en place en 1994, 1995 et 1996 auront des effets à partir de 2001 et 2002.

Je ne sais pas si les mesures mises en place cette année étaient justifiées. Il aurait sans doute fallu attendre que les mesures mises en place dans les années 1996 aient un plein effet avant de procéder à la mise en place de nouvelles mesures qui s'ajoutent les unes aux autres et ne sont pas toujours bien contrôlées.

Je rappelle les propos de l'Union fédérale des consommateurs et une analyse très bien réalisée : « Les principaux risques à la consommation existaient dans les années 1988 et 1989 et sont beaucoup plus faibles aujourd'hui. Les mesures d'interdiction d'incorporation des farines de viande et d'os dans l'alimentation des bovins, en 1990, et surtout la décision de retrait et de destruction des matériaux à risques spécifiés de tout aliment pour toute espèce, en 1996, constituent les deux mesures essentielles pour la sécurité du consommateur ».

Au niveau de la FNGDS, nous partageons totalement cette analyse du risque. Depuis 1996, la France a pris un certain nombre de mesures qui sont de bons sens et porteront leurs fruits seulement maintenant.

S'il existait des contaminations entre 1990 et 1996, seraient-elles quantifiables ? Je ne le sais pas. C'est difficile à affirmer puisque les scientifiques britanniques avaient essayé de faire des simulations scientifiques sur l'évolution de la variante de la malade de Creutzfeldt-Jakob dans les 10 ou 20 ans à venir. Au niveau de la contamination des bovins, il n'est pas possible de savoir quelle était la contamination exacte à l'époque. Elle reste très faible en France ; en rapportant les cas positifs par rapport au cheptel bovin français, elle est de l'ordre de quelques animaux par million de têtes de bétail : nous avons 20 millions de têtes de bétail et depuis 1991, soit en 10 ans, nous avons eu 250 cas, ce qui est relativement peu par rapport à la Grande-Bretagne (avec 190 000 cas) et d'autres pays comme la Suisse.

Mme Touratier - Par rapport à leur population bovine, ils ont trois fois plus de cas. Il est important de rapporter ces chiffres aux bovins de plus de 24 mois qui sont susceptibles de faire une ESB. Actuellement, l'incidence augmente dans notre pays, ce qui pose un problème, mais elle reste faible : en incidence glissante sur les 12 derniers mois, le nombre de cas est de 15 par million de bovins de plus de 24 mois. Une maladie qui concerne quelques dizaines d'individus par million d'individus est une maladie à incidence faible.

Le problème est que ces incidences augmentent puisqu'il y a 12 mois il s'agissait de 3 cas par million de bovins. Bien qu'il s'agisse d'une multiplication par 4 ou 5 du nombre de cas, l'incidence reste faible. On peut concevoir que sur un cheptel de 20 millions de bovins, les contaminations croisées, avec cette dose contaminante faible, produisent les effets actuels.

M. Jean-Jacques Rosaye - Les différents ministres, de l'Agriculture et autres, ont pris, au niveau de la France, de bonnes mesures pour protéger la santé du consommateur essentiellement et pour éradiquer la maladie progressivement dans les élevages. Il est vrai que nous avons été mis à l'index car nous avons mis en place des tests en place au niveau français : comme on dit, qui cherche trouve. Malheureusement, quand on trouve on est mis à l'index mais c'est une manière de protéger les consommateurs.

La FNGDS a demandé à Monsieur le ministre de l'Agriculture qu'une commission d'enquête publique, comparable à celle de Grande-Bretagne, soit mise en place et qu'elle dispose de larges moyens d'investigation pour aller plus en profondeur, notamment en termes de fraude. Si des fraudes ont existé, il faut les trouver et les dénoncer. Actuellement, nous n'avons pas les moyens de le faire. La brigade vétérinaire enquête mais je ne suis pas sûr qu'elle puisse aller jusqu'à l'investigation assez approfondie pour dénoncer les fraudes.

Les contaminations par les farines de viande, dans les années 1990/1996, résultent pour une grande part des contaminations croisées en usines, et éventuellement en transport et en exploitation. La pression des contrôles a été insuffisamment harmonisée. Les moyens des services concernés n'étaient pas là pour le faire.

La question en matière de sécurité sanitaire porte moins sur les farines carnées en elles-mêmes que sur le retrait des matériaux à risques spécifiés. Alors que depuis 1996 la France a pris des mesures, d'autres pays européens n'ont pas procédé à de tels retraits. En matière de circulation des farines de viande (cela nous a été dit par les représentants du ministère), ce marché était, jusqu'à il n'y a pas très longtemps, un marché communautaire ; de ce fait, les frontières des pays n'existant plus au niveau communautaire, des farines étrangères à la France pouvaient arriver en France. Ce risque porte donc une interrogation.

De plus, des pays n'ayant pas pris de mesures depuis 1996, des produits animaux rentraient encore en France jusqu'à il y a très peu de temps et ont pu apporter un risque au niveau de la sécurité alimentaire de la France.

Enfin, de manière plus large, il est nécessaire de faire part de l'analyse de la FNGDS quant aux luttes d'influence entre les ministères, tant sur ce dossier que, plus généralement, sur celui de l'ESB. Ce qui apparaît comme une véritable guerre des ministères, et de leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et l'efficacité des mesures prises. Dans un climat de surenchère, de suspicion ou de critique permanente, l'opinion publique et les producteurs finissent par en être les victimes : les uns parce qu'ils sont les enjeux de la communication et de la volonté de pouvoir et les autres parce qu'ils assistent, impuissants, notamment les éleveurs, à la destruction exagérée de leur outil de travail et à la mise en accusation devant cette même opinion publique.

Les éleveurs ont été souvent mis à l'index depuis quelques mois concernant ce dossier. Leur sentiment sur le terrain est une exaspération car ils ne sont pas plus la cause de cette vague d'ESB que n'importe qui. Ils en sont les victimes.

M. le Président - Concernant la copie du courrier figurant dans votre dossier, existe-t-il une réponse ?

M. Cassagne - Les ministres n'ont pas toujours l'habitude de répondre au courrier qu'on leur adresse. En revanche, très rapidement, des premières réunions ont eu lieu, auxquelles nous participions, au niveau de la Direction Générale de l'Alimentation, pour faire le point sur ce dossier et voir ce qui pourrait être fait dans l'hypothèse où, en France, un cas se produirait.

M. le Rapporteur - Êtes-vous satisfaits du dispositif d'identification et de contrôle des mouvements d'animaux au niveau européen ?

Il nous a semblé lire dans la presse, ces jours derniers, que le laboratoire Boehringer Ingelheim aurait mis au point un test ante-mortem sur la détection de l'ESB. Avez-vous quelque information fondamentale sur ce point ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Sur l'identification, je pense que depuis la dernière réforme, en date de 1998, l'identification fonctionne bien en France et est fiable. Je n'affirme pas qu'il n'existe pas de fraude, car de telles possibilités peuvent exister, mais elles sont très minimes.

Nous disposons d'un système informatique permettant de suivre les animaux et d'avoir connaissance de documents les concernant.

Des contrôles des services vétérinaires, qui ont lieu dans les élevages depuis deux ans, ont permis de remonter de petites infractions mais pas de grosses infractions permettant d'affirmer qu'il existe une fraude. De ce côté, je ne pense pas qu'il existe de problème majeur.

M. le Rapporteur - Sur les carcasses et, à la fin, sur l'étal du boucher, considérez-vous que des progrès doivent être faits en la matière ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Je ne connais pas toute la filière jusqu'à l'étal du boucher. Depuis un an et demi ou deux ans, tout le monde fait des efforts pour identifier tous les morceaux. Le plus gros problème est certainement au niveau de la restauration collective où il est très difficile d'aller jusqu'aux consommateurs. Il existe un point où il faut s'arrêter et la traçabilité est très difficile à réaliser jusqu'aux consommateurs ; toutefois, tout le monde essaie, au moins pour rassurer les consommateurs, d'apporter le maximum d'informations.

M. Cassagne - Le système de traçabilité français est constitué de l'identification et de l'étiquetage. Qu'attend-on de ce système et que veut-on savoir ? Le consommateur peut savoir que le morceau de viande qu'il achète provient de l'exploitation de M. Rosaye. En termes de marketing, c'est rassurant pour le consommateur mais ce n'est pas l'essentiel. L'essentiel est que les contrôles permettent d'assurer la traçabilité du morceau de viande jusqu'au bovin ou l'inverse.

Le système est sans doute perfectible mais, globalement, nous avons la sensation que le système de traçabilité, tel qu'il est actuellement, permet globalement la traçabilité selon la formule « de la fourche à la fourchette » et de « l'étable à la table ».

Nous en parlions avec des personnes d'Interbev et, globalement, on peut l'assurer. J'avais cru comprendre que votre question avait une dimension européenne, ce qui constitue une tout autre situation.

Concernant l'exemple de la restauration collective, vous êtes souvent, Messieurs les Sénateurs, des élus locaux, des maires, et vous devez vous occuper de cantines scolaires. Cela dépend probablement de la taille des communes, c'est souvent en régie directe mais vous passez également par l'intermédiaire d'entreprises. Vous avez sans doute eu la curiosité de regarder, dans le cadre d'appels d'offres, les réponses qui sont fournies. Nous avons pratiqué cela, sous une autre forme, pour la ville de Paris.

La traçabilité est assurée, sur les viandes d'importation, à partir de l'abattoir. Il est impossible de remonter, pour les entreprises ayant répondu à l'appel d'offres et proposant des animaux abattus en Hollande, au-delà de l'abattoir dans lequel l'animal a vécu ses derniers instants. Alors qu'en France on peut remonter jusqu'à l'exploitation d'origine, dans ce cas c'était absolument impossible.

Ceci, dans le système que nous connaissons, ne présente pas, à nos yeux, un niveau de garantie suffisant. Les choses changeront ; on le constate avec ce qui se passe en Allemagne. Des pays se sont présentés comme indemnes d'ESB, malgré l'avis des scientifiques (ils faisaient de l'ESB sans cas clinique), et la libre circulation faisait qu'il n'existait pas de traçabilité totale depuis l'élevage jusqu'à l'abattoir.

M. le Rapporteur - Cela voudrait dire que des animaux importés d'un pays de l'Union Européenne et abattus sur le territoire français n'auront de traçabilité qu'à partir de cet abattoir.

M. Cassagne - Jusqu'en octobre 2000, il n'existait pas de décision européenne de retrait des matériaux à risques spécifiques. Parmi les pays européens, beaucoup, pas très loin de la France, ne procédaient pas à ce retrait alors que l'on sait, sur un plan scientifique, que c'est la mesure, certes pas unique mais essentielle en matière de sécurité alimentaire. Ce manque de traçabilité et cette absence de retrait des matériaux à risques spécifiques font que s'il existe des risques sanitaires pour la santé publique, ils doivent probablement être recherchés du côté d'animaux de ce genre plutôt que sur des animaux français.

Cela ne signifie pas qu'en France tout est propre et clair. Toutefois, l'effort fait en France en matière d'identification (certains pays ont mis en place très tard des systèmes d'identification inférieurs à ce qui existait en France dès 1998) procure une garantie supplémentaire, probablement mal vendue auprès du consommateur, et que l'on ne trouve pas, ou de manière insuffisante, dans certains autres pays européens.

J'ajoute, en matière de traçabilité sanitaire, qu'actuellement le ministère de l'Agriculture est en voie de finalisation d'un logiciel informatique répondant au nom de « Civet et Marcassin » : « Civet » parce qu'il s'occupe d'hygiène alimentaire et « marcassin » pour la santé animale. Ce logiciel sera déployé d'ici septembre 2001 dans l'ensemble des département français, à savoir les Directions des services vétérinaires et les groupements de défense sanitaire : Marcassin renforcera la traçabilité sanitaire des animaux et Civet fera de même pour les produits.

Dans le même temps, il devrait renforcer la capacité d'intervention des services vétérinaires de contrôle en permettant d'assurer une traçabilité renforcée puisque toutes les informations seront stockées sur une base nationale située à Toulouse. Les contrôles seront donc beaucoup plus faciles ; en cas de problèmes sanitaires, les services de contrôle pourront intervenir beaucoup plus rapidement et conduire beaucoup facilement les enquêtes épidémiologiques nécessaires. Nous avons donc plutôt une bonne identification en France. Nous allons renforcer, sur le plan sanitaire, cette traçabilité par un logiciel unique de santé animale et d'hygiène alimentaire.

Dans un autre temps, nous considérons que le risque, même s'il est très difficilement quantifiable, repose plus sur des animaux étrangers que sur des animaux français.

M. Jean-Jacques Rosaye - Concernant un test ante-mortem, je souhaiterais citer une phrase du Professeur Dormont à qui la question avait été posée concernant la date d'obtention d'un tel test. Il nous avait répondu, à nous, éleveurs, qu'il espérait que l'on n'en trouve jamais.

En effet, le prion, en tant que tel, ne se trouve que dans le système nerveux central, en phase terminale. Pour trouver le prion, il faut abattre l'animal pour analyser le cerveau et la moelle épinière. Si l'on trouve un test permettant de détecter le prion sur le lait ou sur le sang, cela signifiera que la contamination se fait par le lait, le sang ou la viande. De ce fait, le risque est important.

Je ne sais pas s'il existe d'autres moyens indirects, peut-être par des déductions scientifiques, de trouver le prion qui se trouve dans le cerveau.

Mme Touratier - Je complète cette réponse. Aujourd'hui, le modèle le plus sensible permettant de détecter le prion est celui de l'inoculation intracrânienne à la souris. Des essais expérimentaux ont été faits sur des bovins et des veaux, essentiellement en Grande-Bretagne, avec des doses contaminantes expérimentales extrêmement élevées, à savoir d'environ 100 grammes. On fait ingérer à des veaux 100 grammes de cerveau de vache folle. Cela constitue entre 100 et 1 000 fois plus que la dose contaminante déterminée -dont il a été question tout à l'heure- qui est très faible puisqu'elle se situe à moins d'un gramme de cerveau de vache folle.

Ces doses expérimentales sont extrêmement importantes. Ensuite, régulièrement, tous les 4 mois, on découpe en morceaux des lots d'animaux : 50 tissus sont ensuite inoculés par voie intracrânienne à des souris calibrées pour cela.

Avec ces essais (qui sont aujourd'hui le modèle le plus sensible, qui ne détecte pas le moindre prion, en raison d'un seuil de sensibilité des techniques, bien qu'elles soient très sensibles) on ne retrouve du prion que dans une fraction du tube digestif, ou plutôt dans les plaques de Peyer, uniquement lors d'essais expérimentaux. En effet, sur des animaux atteints naturellement, on ne trouve rien, y compris dans les plaques de Peyer, parce que les doses contaminantes naturelles sont probablement très inférieures à ces doses expérimentales.

Dès 6 mois après la contamination expérimentale, on retrouve des traces de prion dans ces plaques de Peyer, à un taux faible, tout au long de l'incubation. On ne commence à retrouver du prion, à des doses faibles, que 32 mois, au plus tôt, après. Cette dose augmente dans le système nerveux central (cerveau, moelle épinière et un certain nombre de ganglions le long de la moelle épinière) et cette quantité de prion n'explose véritablement dans ce système nerveux central que dans les 3 à 6 mois qui précèdent l'apparition des signes cliniques.

C'est ce que l'on observe avec des doses expérimentales extrêmement fortes. Personne ne peut dire que l'on n'en trouvera pas ailleurs car il existe un cheminement de ce prion dans l'organisme, depuis le tube digestif, puisque la contamination se fait par voie orale, jusqu'au système nerveux central.

Il existe deux voies de recherche fondamentales : la voie du système lymphatique ou la voie d'un certain nombre de troncs nerveux. Pour le dire diplomatiquement, il est extrêmement curieux qu'un laboratoire annonce qu'il mettra au point, dans les mois à venir, un test sur le sang. En effet, tous les éléments scientifiques, qui se recroisent et sont confirmés depuis des années, rendent plus que curieux ce genre d'annonce.

Même si l'on en avait trouvé dans le sang des animaux, ce qui n'est pas le cas chez les bovins, ce type de test est extrêmement délicat à valider. Cela nécessite à grande échelle, comme on le constate avec les tests Prionics ou les tests rapides, de valider des erreurs par défaut ou par excès. Ce sont des protocoles extrêmement délicats et, très franchement, pour le dire un peu moins diplomatiquement, ce genre d'annonce tient plus de la gesticulation que de ce que l'on sait au niveau de ce qui est publié scientifiquement.

J'ai lu cette annonce dans la presse. Ensuite, des responsables viennent tempérer ce genre d'annonce mais elles tiennent plus du marketing, ou du commercial, que du fondé au plan scientifique.

M. Cassagne - Le laboratoire a peut-être trouvé quelque chose. Puisqu'il n'existe rien d'autre qu'une rumeur et une information prospective, pour l'instant il ne faut pas se baser sur cette information.

Mme Touratier - Le problème de ce prion est qu'il n'existe pas de réaction. On pourrait rechercher un indicateur, et non pas directement le prion, qui augmenterait au niveau sanguin dans le cas d'une contamination par le prion.

La validation d'un test, quand on cherche l'agent lui-même, est très complexe mais quand on passe par un indicateur indirect la validation ne se compte pas en mois mais en années. Sans être scientifique, je dispose d'une certaine culture scientifique, et je suis extrêmement surprise devant ce genre de déclaration qui ne coïncide pas avec ma culture scientifique.

M. Jean-François Humbert - Je suis désolé de revenir sur un élément car je sais que vous ne pourrez pas répondre autre chose que ce que vous avez déjà répondu. Vous avez parlé, à plusieurs reprises, d'importations frauduleuses en nous disant que les informations sont celles de « l'homme qui a dit à l'homme qui a dit à l'homme etc. ». Toutefois, ne pourrions-nous pas en savoir plus ?

Notre mission est d'essayer de comprendre un certain nombre de choses et, sans vouloir vous demander de procéder à telle ou telle délation, n'a-t-on pas, ici ou là, assisté à quelques premières procédures judiciaires, notamment dans l'Est de la France, en région Lorraine et même dans les Vosges ?

Sans avoir à citer qui que ce soit, en respectant le secret de l'instruction ou la présomption d'innocence, en regardant du côté de l'Est, pourrions-nous avoir quelques premiers éléments de réponse ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Je connais le dossier car ce n'est pas loin de chez moi dans les Vosges.

L'étude en cours concerne la recherche de farine de viande dans les silos d'aliments d'un éleveur dont le bétail a été touché par l'ESB. Même si on retrouve de la farine de viande dans cet aliment, est-ce dû à une contamination croisée ou à une fraude ? Je ne peux pas répondre.

Je pense, mais je ne peux rien prouver, qu'il s'agit plutôt de contamination croisée d'avant 1996 puisqu'ils recherchant dans des silos ayant quelques années. Des morceaux d'os ont été retrouvés : s'agit-il de farines d'os d'avant 1996 et qui auraient pu être croisées avec d'autres aliments, soit au camion soit à l'usine, ou est-ce frauduleux ? Je ne peux pas le dire car je n'ai aucune preuve sur ce sujet.

M. Cassagne - Nous avons connaissance de quelques exemples, par la presse, d'actions en justice qui avaient été engagées. Les informations dont nous disposons complétaient certains points. On a vu, à l'époque, comment cela s'est terminé ; il est très difficile de retrouver les preuves car certaines entreprises, en dehors d'une comptabilité, n'ont aucune archive. Ce n'est pas une obligation : elles peuvent être détruites par le feu, disparaître ou être volées. Il est donc extrêmement difficile d'apporter la preuve de ce qui aurait pu éventuellement se passer à tel ou tel endroit.

Dans les processus de justice qui se sont produits dans un certain nombre de cas, nous avons constaté l'impossibilité, pour la justice et les enquêteurs, d'aller au-delà d'un certain nombre de choses car il n'existait aucun moyen d'aller dans un sens ou dans un autre. C'est sans doute un travail de longue haleine.

Il faudrait d'ailleurs que ce soit coordonné au niveau européen car il s'agissait d'un problème européen. On sait qu'il existe, dans d'autres secteurs tels ceux des hormones ou d'autres médicaments, des filières mafieuses de distribution « sous le manteau » de médicaments.

Cela ne signifie pas que tous les éleveurs sont des criminels ou que tous les vétérinaires sont des complices. Ce genre de situation existe et provient d'autres pays. Le Président de la FNB avait apporté des exemples extrêmement précis à la Direction Générale de l'Alimentation sur le trafic de produits médicamenteux. Cela se heurte à certains niveaux et c'est au niveau européen que l'Europe de la sécurité sanitaire, ou des investigations sanitaires, devrait être plus efficace car la France se heurtera toujours à ces mêmes situations sans qu'il soit possible d'aller plus loin. Nous avons d'ailleurs pu voir, sur M6, un reportage concernant un marchand de bestiaux qui était poursuivi par la Police française et dînait tranquillement dans un restaurant belge.

Le problème ne pourra pas, à ce niveau, être résolu dans l'espace intérieur de chaque pays mais plutôt dans l'espace intérieur de l'Union Européenne.

M. Jean-Jacques Rosaye - Jusqu'en 2000, le marché de la farine de viande était européen. Cela signifie que même si la France sécurisait ses farines de viande, des farines de viande pouvaient transiter ou passer en France, tout à fait légalement, en provenant de pays où les morceaux à risques et des bovins morts étaient encore inclus dans ces farines de viande. Ceci se faisait en toute légalité puisqu'il s'agissait d'un marché européen.

Mme Touratier - Concernant la difficulté d'apporter une preuve, il faut constamment avoir en perspective le problème de l'incubation. Nous évoquons des faits qui se sont déroulés en moyenne 6 ans plus tôt ; en effet, en France l'incubation moyenne des cas d'ESB est de 5 ans et 10 mois. Par ailleurs, certains animaux ont une incubation très supérieure à cette moyenne.

Sur le plan juridique, c'est très complexe car cela se heurte à des difficultés d'apporter des preuves ainsi que, sans doute, à des délais de prescription.

Par ailleurs, la date de 1996, celle du retrait des matériaux à risques spécifiés, est déterminante en matière de diminution et de maîtrise des risques. Par contre, les contaminations croisées ont persisté même si elles ont diminué visiblement après 1996. Concernant les chiffres de la DGCCRF, l'analyse a été mise au point en 1997. S'agissant de la tendance de la courbe de ces échantillons qui sont à plus de 0,1 % d'os, soit plus de 0,3 % de farine de viande et d'os, elle est de 4,2 % en 1997, 1,3 % en 1996 et 1,6 %, ou 1,7 %, en 1998.

M. Cassagne - Les chiffres sont de 4,2 % en 1997, 1,2 % en 1998 et 1,64 % en 1999.

Mme Touratier - Pour les chiffres publiés jusqu'à récemment par la DGCCRF, 0 % en 2000, avec une augmentation du nombre d'analyses sur la dernière partie de 2000. La tendance est à la baisse.

Or, si on met en perspective l'incubation qui est de 6 années, les cas observés actuellement concernent des animaux nés entre 1993 et 1995, avant ces analyses. Si on reconstitue la courbe, le taux de contamination croisée était probablement supérieur durant ces années-là.

Sur un cheptel de 20 millions de bovins, sans parler des fraudes sur lesquelles nous n'avons pas d'information tangible, au plan épidémiologique je trouve qu'il n'y a rien de mystérieux à voir quelques dizaines de bovins contaminés, de surcroît avec une dose contaminante faible.

M. Cassagne - L'autre méthode consiste à augmenter la pression de contrôle ; il faut que le pouvoir régalien intervienne, mais ceci repose le problème des moyens : un demi contrôleur n'est pas suffisant pour surveiller 3, 10 ou 20 camions. Je ne dis pas qu'il faut augmenter le nombre de fonctionnaires ; il existe d'autres méthodes passant par l'intermédiaire des vétérinaires libéraux. Toutefois, sur certaines prestations ceux-ci nous disent que les tarifs sont ceux d'une femme de ménage.

M. Paul Blanc - A peine !

M. Cassagne - Ne pouvant pas faire appel aux fonctionnaires de l'Etat, qui sont en nombre insuffisant, il faut s'adresser à des vétérinaires, dans le cadre du mandat sanitaire, pour effectuer certains contrôles. Dans un cas, nous ne disposons pas des moyens et dans l'autre cas il n'y a pas non plus de moyens pour que les vétérinaires puissent accomplir décemment ces missions.

La pression est largement insuffisante et il faut attendre 5 ou 6 ans pour savoir ce qui s'est passé. C'est un problème de moyens et notamment de moyens au niveau des services vétérinaires.

M. Jean-François Humbert - Concernant l'importation frauduleuse, nous avons lu et entendu un certain nombre de remarques depuis que cette Commission a commencé à travailler. L'une des hypothèses (qui n'est pas prouvée, mais on le sait) est que les Anglais ont continué à fabriquer des farines de viande, qu'elles auraient éventuellement transité par l'Irlande et seraient ensuite revenues en France, par un circuit qui n'est pas complètement éclairé et élucidé, en passant sans doute par la Belgique à laquelle vous faisiez allusion. Je suis désolé d'insister davantage mais ne pouvez-vous pas nous en dire plus, vos informations sont-elles insuffisantes ?

M. Cassagne - Nos informations concordent avec les vôtres car, comme vous, nous l'avons lu dans la presse. En effet, les farines irlandaises n'ont pas fait l'objet des mêmes dispositions que les farines anglaises et les liens historiques de la Grande-Bretagne avec l'Irlande peuvent nous laisser faire certaines suppositions. C'est une hypothèse totalement plausible.

Toutefois, je ne suis pas certain qu'il aurait fallu naturaliser belge, portugais, etc. ces farines ; elle étaient irlandaises et auraient probablement pu aller dans un certain nombre de pays. Nous ne vous apporterons rien de plus par rapport à vos propres informations car nos seules informations reposent sur des rumeurs et des indications. Cela fait un faisceau de présomptions dont on peut considérer qu'il est un embryon de preuve. Malgré cela, nous n'avons pas de « papier miracle » à vous communiquer.

M. Georges Gruillot - Je regrette de vous pousser dans vos retranchements. Vous êtes ici devant une commission d'enquête, vous êtes tenu d'y dire tout ce que vous savez, sous peine d'un certain nombre de difficultés consécutives. Or, quand je prends votre document, dans le dernier paragraphe vous vous permettez d'écrire, en parlant des luttes d'influence entre ministères, tant sur ce dossier que généralement sur celui de l'ESB : « Ce qui apparaît comme une véritable guerre des ministères, et de leurs services, perturbe en profondeur la lisibilité et l'efficacité des mesures prises dans un climat de surenchère, de suspicion et de critiques permanentes. L'opinion publique, ainsi que les producteurs, finissent par en être les victimes, les uns parce qu'ils sont les enjeux de la communication et de la volonté de pouvoir.... ».

Vous vous permettez d'écrire une critique très grave mais vous l'écrivez en termes si généraux que cela ne signifie pas dire grand-chose. Or, je pense que vous n'avez pas écrit cela sans avoir en tête des exemples et des cas très précis à nous signaler. Vous devez, devant une commission d'enquête, nous donner plus de précisions dans ce domaine et nous informer de ce que vous savez. Je ne pense pas que vous vous seriez permis de l'écrire en termes généraux.

M. Jean-Jacques Rosaye - Sur ce dossier de l'ESB, beaucoup de choses ont été dites depuis quelques mois. On s'aperçoit qu'un certain nombre de ministères, ou de représentants de ceux-ci, pratiquent des annonces publiques, parfois contradictoires, qui font que la communication auprès du public est de plus en plus illisible et rend la psychose encore plus importante.

Pour ne rien cacher, on sent un certain tiraillement entre le ministère de la Santé et le ministère de l'Agriculture ; c'est évident et sensible. L'un dit que l'autre ne fait pas assez, le second répond qu'il fait le maximum, etc. Quand un ministre ou un secrétaire d'Etat annonce à la télévision que des dizaines ou des milliers de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob seront enregistrés dans les prochaines années, cela ne réconforte pas le consommateur. Scientifiquement, il n'existe aucune preuve et cela ne va pas dans le bon sens.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu des échanges épistolaires avec les différents ministères sur ce point précis ?

M. Jean-François Humbert - C'est un document officiel et ce que vous écrivez est grave.

M. Cassagne - C'est une analyse de la FNGDS ; c'est notre vision. Il est, pour nous, clair qu'il existe une lutte d'influence entre les ministères sur l'affaire de l'ESB. Cette lutte est probablement fondée sur une appréciation différente de la notion du principe de précaution. Il s'agit probablement, cela n'engage que moi, au ministère de la Santé d'un traumatisme dû au sang contaminé avec la volonté de s'entourer du maximum de garanties absolues.

Du côté du ministère de l'Agriculture, il existe la même volonté d'appliquer le principe de précaution. Il existe toutefois une différence d'appréciation puisqu'il s'agit, d'un côté, de médecins et, de l'autre, de vétérinaires qui sont sur le terrain avec les animaux. Bien qu'il s'agisse de médecine dans les deux cas, il s'agit d'une médecine vétérinaire et d'une médecine humaine et il n'est pas possible de calibrer les deux pour n'en faire qu'une seule.

Ensuite vous avez, comme dans toutes les Administrations, des querelles et des luttes d'influence. Quand cela s'exprime publiquement, c'était le cas du ministère de la Consommation il y a quelque temps, cela apparaît comme une surenchère non fondée, ni scientifiquement ni épidémiologiquement, et donne l'impression que l'un ou l'autre veut, dans cette « course à l'échalote », dans laquelle chacun veut essayer de récupérer le « bébé », la Santé considérant que le dossier serait mieux géré par elle et l'Agriculture estime que les vétérinaires connaissent bien la santé animale et le problème de la santé publique.

Cela me semble humainement normal. Toutefois, à certains moments, cette situation laisse transparaître dans la presse, de manière directe ou indirecte, que certains services ne font pas bien leur travail. Cela constitue un jugement rapide et il faudrait plutôt vérifier si les services incriminés disposent de moyens réels pour conduire ces missions.

Il ne s'agit pas de prêter à nos propos une mise en accusation en parlant de « guerre » entre ministères ; nous utilisons des guillemets car ce n'est qu'une image. Dieu merci, nous n'en sommes pas là.

M. Jean-François Humbert - Je me contente de lire ce que vous avez écrit. Je me serais jamais permis d'écrire cela et j'estime que vous prenez des risques.

M. Cassagne - La notion de prise de risques et le principe de précaution sont très forts.

M. Jean-François Humbert - Il y a ici un pharmacien, un médecin et trois vétérinaires et tous s'entendent bien.

M. Cassagne - La guerre des ministères fait référence à la guerre des polices. Cela ne signifie pas qu'un policier et un gendarme ne peuvent pas s'entendre.

M. Georges Gruillot - J'admets qu'un échotier quelconque écrive cela, mais s'agissant d'un organisme national responsable comme le vôtre, c'est une prise de risques.

Vous avez parlé largement d'identification. En Corse le troupeau est-il totalement identifié ? Quand j'étais vétérinaire praticien et qu'il m'arrivait de me rendre en Corse, je n'ai jamais vu là-bas une vache identifiée. En sommes-nous encore là aujourd'hui ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Il existe une spécificité corse qui n'est pas que politique puisqu'il s'agit de l'identification ; je pense que cela s'améliore doucement au rythme de la Corse.

M. Cassagne - Si vous connaissez bien la Corse, l'élevage y est terriblement extensif. Actuellement, des efforts réels sont faits en matière d'identification. Ce n'est pas de la langue de bois car nous sommes allés sur place et nous avons constaté cette volonté, notamment des groupements sanitaires corses, d'accélérer le mouvement d'identification.

Nous avons discuté avec les agents identificateurs qui nous expliqué en quoi consistait leur journée de travail. Les spécificités géographiques et de l'élevage font que l'identificateur a énormément de difficultés à identifier.

Il existe ce que l'on appelle les troupeaux fantômes qui sont sans propriétaire. Le propriétaire, qui habite en ville ou sur le continent, a hérité d'un troupeau et ne s'en occupe absolument pas ; de ce fait, le troupeau divague. Ce sont des spécificités réelles qui font qu'actuellement l'identification en Corse n'est pas aussi fiable qu'en France car tous les animaux ne sont pas identifiées. Un effort est mis en oeuvre mais sera-t-il suffisant ?

C'est le même problème en Corse pour les troupeaux ovins. Les animaux en bordure de la mer sont bien identifiés et ceux qui sont dans l'arrière-pays le sont beaucoup moins bien.

M. Paul Blanc - Je passerai sur l'identification des troupeaux. Je ne pense pas que les montagnes corses constituent un obstacle plus important que les montagnes pyrénéennes, sans parler des problèmes transfrontaliers de cette région.

Au niveau de la chaîne alimentaire, il semblerait que tout animal présentant des symptômes de folie bovine n'ait pas toujours été éliminé et soit rentré dans le circuit alimentaire. Peut-être qu'un diagnostic formel n'avait pas été fait ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Cela dépend de la date à laquelle vous situez cela. Il est possible, il y a deux ou trois ans, que des animaux ayant des problèmes neurologiques aient pu rentrer dans l'équarrissage, après leur euthanasie, ou en abattage d'urgence et qu'ils soient passés dans la chaîne alimentaire.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous indiquer une date à partir de laquelle plus aucun animal présentant de tels problèmes ne serait rentré dans la chaîne alimentaire ?

M. Cassagne - Je parle sous contrôle des vétérinaires. Il existe d'autres possibilités de comportement anormal de l'animal en dehors de la maladie de la vache folle. Durant des années, de bonne foi, l'examen ante-mortem pouvait ne pas orienter nécessairement vers une suspicion d'ESB.

Mme Touratier - Cela a été abordé dernièrement dans la presse et cela corrobore peut-être la question grave que vous avez posée.

Un rapport de l'AFSSA sur les 15 000 premiers prélèvements du programme de tests a été publié le 11 décembre. Il met en perspective que le réseau d'épidémio-surveillance n'aurait pas fonctionné aussi bien que souhaitable. Pour alimenter cette thèse, il indique que l'état de déclaration du nombre de suspicions augmente de façon conséquente à partir de mai et juin 2000, à savoir quand le programme de tests a été rendu public.

Ces éléments sont incontestables mais, très sincèrement, penser que l'ESB (les vétérinaires ici présents le savent) se manifeste systématiquement sous la forme des images d'animaux atteints passant en boucle à la télévision, c'est loin d'être le cas. Beaucoup des animaux détectés par notre système d'épidémio-surveillance n'étaient pas facilement détectables.

Au-delà de la fraude, personne ne peut s'engager décemment pour indiquer à partir de quelle date les fraudes se seraient arrêtées. C'est très ténu, l'incidence est très faible et aucune personne honnête ne pourrait vous donner une date juste. Cela supposerait qu'à une date donnée on passerait du mal au bien ; or, personne ne peut rien garantir dans ce domaine.

Par contre, il faut parler d'une part de négligence et d'une pression qui n'a pas été effectuée. La vision que l'on peut avoir du rapport de l'AFSSA, y compris en tant que technicien, est un rejet de la faute sur l'agriculture et les éleveurs. Très franchement, je pense que le problème de l'ESB ne sera pas résolu en parlant de faute ; il faut traiter les verrous à améliorer et la responsabilité.

Évidemment, certaines suspicions n'ont pas été déclarées. Toutefois, concernant des animaux malades tels qu'ils sont présentés à la télévision, je n'affirme pas que la suspicion est nulle mais elle me semble extrêmement faible. Par contre, que des symptômes douteux n'aient pas été déclarés, cela constitue le problème.

Dire que cela revient exclusivement aux éleveurs et à l'agriculture constitue une analyse trop facile. Cela ne permet pas de mettre en lumière l'ensemble des créneaux d'amélioration. Il faut faire une analyse ne recherchant pas les fautes mais les possibilités d'amélioration. A l'époque, le réseau d'épidémio-surveillance était sous la responsabilité de l'ex-CNEVA, qui est l'animateur du réseau qu'est maintenant l'AFSSA. En quoi l'animateur de ce réseau nous a-t-il alerté pour nous faire part d'un problème ?

Concernant les suspicions, on connaît la gamme de ce qui peut recouvrir les animaux identifiés et classés comme atteints d'ESB : cela couvre des champs largement plus étendus que ces animaux atteints de façon évidente.

Cela pose un problème d'amélioration aussi sur ces phases. Quelque part, sous-entendre, bien que ce soit peut-être une perception exagérée, que c'est de la faute de l'agriculture, c'est un peu court !

M. Paul Blanc - Nous sommes là pour essayer de connaître la vérité et vous êtes là pour essayer de nous éclairer. Je vous pose cette question et vous êtes revenue sur une question que je voulais vous poser concernant cette distorsion entre les chiffres de réseaux épidémiologiques et les chiffres réels d'ESB. A votre avis, peut-on parler d'un phénomène de sous-déclaration ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Ce n'est pas une fraude en tant que telle mais plutôt une faute ou une négligence.

M. Paul Blanc - Nous ne menons pas une enquête policière mais nous essayons de connaître la vérité.

M. Jean-Jacques Rosaye - Il ne faut pas le nier, il a sans doute existé une sous-déclaration à l'époque où nous ne disposions pas des informations actuelles et nous ne connaissions pas le problème comme aujourd'hui. Par ailleurs, comme le disait Mme Touratier, nous n'avions pas un réseau de vétérinaires capables d'identifier l'animal en tant que tel.

M. Jean Bernard - Cela a toujours existé : durant 30 ans, j'ai rencontré des cas de vaches ayant des symptômes neurologiques, etc. alors même qu'il n'y avait pas de farine de viande dans les aliments.

Cela a été décrit depuis très longtemps et la symptomatologie des maladies nerveuses n'est pas facile. Il existe le même problème avec la rage. Il ne faut culpabiliser personne.

M. Cassagne - C'était la nature même, en fonction des outils dont nous disposions à l'époque, d'un système d'épidémio-surveillance passif fondé sur l'erreur humaine, sur la bonne volonté, etc. mais cela avait le mérite d'exister. Je dirais plutôt que cela n'a pas été constaté sur certains animaux.

M. le Président - Nous vous remercions pour tous les éléments intéressants, à approfondir, que vous venez de fournir.

Audition de M. Jacques ROBELIN, chef du département « élevage et nutrition des animaux » de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA)

(10 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Robelin, nous vous remercions d'être venu. Je rappelle que vous êtes Chef du département « élevage et nutrition des animaux » de l'INRA, l'Institut National de la Recherche Agronomique.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Robelin.

M. le Président - Monsieur Robelin, je vous demande de nous parler des problèmes des farines animales par rapport à l'alimentation des animaux ou, du moins, de l'utilisation des farines animales pour l'alimentation des bovins.

M. Jacques Robelin - Merci. Monsieur le Président et Messieurs les Sénateurs, vous m'avez invité, par un courrier, à introduire les débats en exposant ma position sur l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je pense être convoqué ici au titre de mes compétences scientifiques liées à mes fonctions de Chef du département « élevage et nutrition des animaux » à l'INRA.

Je me présenterai et j'aborderai le thème de la nutrition animale pour situer le champ des compétences.

Pour résumer le C.V. que vous avez reçu, je suis Directeur de recherches à l'INRA et, dans le cadre de ces recherches, j'ai soutenu une thèse de Doctorat d'Etat, au début des années 1980, dans le domaine de la croissance des animaux et plus précisément la différenciation et la croissance des tissus musculaires et adipeux.

On m'a confié, en 1992, la direction d'un département de recherche à l'INRA, grossi en 1994 par la fusion d'un autre département. Celui que je dirige actuellement rassemble 180 chercheurs, 400 techniciens dans 15 unités de recherches disposées sur l'ensemble du territoire. Ce département conduit essentiellement des recherches sur la nutrition animale, la physiologie générale des fonctions de production, la lactation, la croissance, et, plus globalement, les processus de conduite d'élevage des animaux terrestres, oiseaux, porcins et ruminants. C'est actuellement ce qui délimite globalement le champ de mes compétences.

J'aborderai d'abord l'alimentation animale et, plus précisément, les concepts sur lesquels elle repose. C'est à l'élaboration de ces concepts que mon département a travaillé durant les années 1960 à 1980. Je présenterai ensuite quelques hypothèses sur les raisons de l'introduction des farines animales dans l'alimentation des animaux.

J'ai fait le choix délibéré d'un message très dépouillé et je risque probablement une trop grande simplicité mais je compte sur vos questions pour me permettre de vous apporter des précisions.

L'alimentation animale : un processus biologique et les concepts sur lesquels elle repose

L'alimentation a pour finalité d'approvisionner l'animal en éléments nutritifs nécessaires à sa survie, et à celle de l'espèce, pour différentes fonctions telles que l'entretien de l'organisme, la croissance chez le jeune, la reproduction chez l'adulte, incluant la lactation ou la ponte, selon les espèces, sans oublier le travail musculaire.

Les aliments ingérés par un animal sont dégradés en éléments de plus en plus simples au cours des processus digestifs. Chez les ruminants, cette digestion commence par un processus de fermentation microbienne dans le rumen, la panse, avec des conséquences bien particulières et, en premier, lieu la capacité de valoriser la cellulose des végétaux, ce que ne peuvent pas faire les monogastriques et l'homme en particulier.

Parcours des éléments nutritifs, produits terminaux de la digestion

Ils sont absorbés au niveau de la paroi intestinale et ensuite transportés par la lymphe ou le sang, transformés éventuellement au niveau du foie et enfin utilisés au niveau des cellules pour le fonctionnement des différents organes : le cerveau, les muscles, le placenta, la glande mammaire, etc.

Tous ces phénomènes sont régis par un jeu complexe de régulations hormonales qui modulent le fonctionnement de l'animal en fonction de priorités liées à son état physiologique interne, comme la lactation, ou à son environnement externe.

Les protéines et précision de la nature de ces nutriments issus de la digestion

On distingue principalement deux catégories de nutriments, les nutriments énergétiques et les nutriments protéiques.

Les nutriments énergétiques sont constitués de chaînes d'atomes de carbone, d'hydrogène et d'oxygène, autrement appelés les hydrates de carbone. Ils représentent la source d'énergie pour le fonctionnement de l'animal.

Les nutriments protéiques sont les acides animés composés de chaînes carbonées comportant des atomes d'azote. Ils sont les éléments constitutifs des protéines qui elles-mêmes sont les entités caractéristiques des êtres vivants à la base de leur fonctionnement.

Il existe plus de 20 acides aminés différents et leur arrangement, dicté par le code génétique, détermine la nature des protéines et leurs fonctions.

Les trois points essentiels constituant les concepts de la nutrition protéique des animaux

Le premier est que certains de ces 20 acides aminés peuvent être synthétisés, dans les tissus animaux eux-mêmes, à partir d'autres acides animés. En revanche, une dizaine d'entre eux ne peuvent pas faire l'objet d'une telle synthèse chez l'animal. On les qualifie d'acides aminés indispensables, sous-entendu indispensables pour l'animal qui doit alors les trouver dans son alimentation.

Le second point est que la proportion, dans les tissus animaux, de ces acides aminés indispensables est différente de celle que l'on trouve dans les végétaux. Ainsi il existe un déséquilibre, a priori, entre les besoins des animaux pour la synthèse de leurs tissus et les apports alimentaires qu'ils trouvent dans les végétaux. Ce déséquilibre se traduit au niveau métabolique par une utilisation partielle des acides animés à des fins énergétiques avec, en corollaire, un rejet d'azote dans l'urine, et une utilisation non optimale de l'alimentation.

Le troisième point, duquel découle la pratique de l'alimentation animale, est que les différentes espèces végétales renferment des proportions différentes de ces acides aminés indispensables. Par conséquent, on peut ainsi, par un mélange judicieux de différentes sources d'aliments, obtenir des rations présentant un meilleur équilibre en acides animés vis-à-vis des besoins nutritionnels des animaux.

J'ai résumé les concepts que le département que je dirige a contribué à élaborer, avec de nombreux autres laboratoires dans le monde, en précisant que ces concepts constituent également la base de la nutrition humaine.

Traduction de ces concepts dans l'alimentation animale et utilisation des déchets animaux

Dans la pratique de l'alimentation animale, on a d'abord rééquilibré les rations à partir de tourteaux, à savoir des sous-produits de l'industrie huilière (arachide, soja, colza, etc.) contenant de fortes proportions de ces acides animés indispensables.

Les différents éléments qui ont pu contribuer à l'introduction de déchets animaux en tant que complément protéique des rations sont difficilement hiérarchisables. On peut néanmoins en citer quelques-uns.

Le premier est peut-être la disponibilité de ce sous-produit (les déchets animaux) de l'industrie de la viande et l'accroissement de cette disponibilité découlant de l'augmentation de la production de viande au cours des années 1960, voire la nécessité de les éliminer (ce en face de quoi nous sommes actuellement) avec, en corollaire, un coût réduit. Cet élément économique a dû compter dans la formulation des aliments fabriqués par l'industrie de l'alimentation animale.

Un second élément est le fait que ces sous-produits sont en très bonne adéquation en termes de proportion d'acides aminés indispensables. Cela n'est d'ailleurs pertinent que chez les animaux monogastriques car les ruminants sont plus autonomes en termes de composition en acides aminés.

Un troisième élément est probablement la recherche d'une indépendance nationale vis-à-vis des importations de soja américain qui avaient été limitées dans les années 1970.

Voilà brièvement cette contribution introductive au débat où je n'ai abordé qu'une seule facette de l'alimentation animale, à savoir sa finalité en tant que processus biologique ainsi que les concepts sur lesquels elle repose, et auxquels a travaillé le département que je dirige.

Je n'ai, volontairement, pas traité deux ou trois aspects sur lesquels nous pourrons revenir, à savoir le lien de l'alimentation animale au territoire et sa pratique dans les élevages, la conduite alimentaire des différentes catégories d'animaux.

Je n'ai évidemment abordé ce sujet que sur un plan scientifique correspondant à mes fonctions. Je suis toutefois disposé à donner un point de vue de citoyen mais je ne prétends pas qu'il s'imposait dans cet exposé introductif.

M. le Président - Nous vous remercions de cette introduction qui était parfaite pour remettre la situation en place par rapport à vos fonctions.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Que pensez-vous des produits de substitution qui sont maintenant obligatoires pour compenser la non-incorporation de ces farines animales, pensez-vous qu'ils auront le même rôle et sera-t-il aussi facile d'équilibrer les rations ?

Concernant l'alimentation des volailles, nous l'avons vu lors de notre déplacement dans la Sarthe, il semblerait que cela pose quelques problèmes non pas de formulation mais de fabrication des granulés, ainsi que de qualité des carcasses.

L'INRA a-t-il un programme de recherches sur des variétés semencières concernant les oléoprotéagineux pour les adapter à l'alimentation des bovins, des porcins et des volailles ?

M. Jacques Robelin - Vous m'avez posé la question sur les volailles et j'éliminerai tout d'abord le problème des ruminants. Il n'existe pas d'inconvénients, a priori, à supprimer les farines animales du complément protéique des ruminants qui ne sont pas les meilleurs valorisateurs de ces protéines de « haute qualité ». Je vous rappelle que 70 % à 80 % des protéines ingérées par les ruminants sont dégradés dans le rumen, éventuellement à un niveau assez avancé, jusqu'au niveau de l'ammoniaque. Les ruminants consomment essentiellement les protéines microbiennes synthétisées dans le rumen.

Concernant les volailles, j'aurai de la peine à répondre sur certains aspects de vos questions car elles sont en dehors de mes compétences.

Sur la capacité de granulation, je ne peux pas vous répondre car c'est en dehors de mon champ de compétence. Si vous auditionnez mon collègue responsable du département de technologie des produits végétaux, il sera plus capable de répondre sur ce sujet.

Concernant les semences, mon collègue responsable du département génétique et amélioration des plantes pourrait vous répondre. Toutefois, il me semble évident que la nécessité de développer notre autonomie, en termes de compléments protéagineux, induira automatiquement un regain d'intérêt pour des études de génétique et d'amélioration sur les protéagineux. Je ne pense pas trop m'avancer à sa place en affirmant cela.

Chez les volailles, cela ne pose pas de problèmes, mais les compléments protéagineux peuvent poser des problèmes pour certaines protéines de soja, notamment dans l'alimentation des veaux.

Concernant la qualité et l'aspect des carcasses, je ne vois pas, a priori, quels pourraient être les inconvénients du remplacement de protéines d'origine animale par des protéines d'origine végétale. Peut-être pouvez-vous préciser de quels aspects de composition des carcasses il s'agit ?

M. le Rapporteur - Il semblerait, à la lecture de la presse spécialisée, que les carcasses aient une couleur différente et suintent, uniquement en raison de l'alimentation de la volaille.

M. Jacques Robelin - A ma connaissance, il peut exister un effet de couleur quand on emploie du maïs, selon qu'il est jaune ou blanc. Sinon, il pourrait peut-être s'agir de la couleur non pas des carcasses mais du gras. Je ne pense pas que ce soit un problème de qualité de carcasse chez les volailles. Cela peut être un problème chez les ovins et bovins, d'ailleurs plus chez les ovins, mais pour les volailles je n'ai pas connaissance de problème de qualité par rapport à la couleur du grain. Concernant la couleur de la viande, j'avoue ne pas comprendre.

M. le Rapporteur - Je préfère votre réponse faite en votre qualité de nutritionniste.

M. Jacques Robelin - Cela dépend par quoi on imagine remplacer les protéines animales. Je ne connais pas suffisamment la palette actuelle des disponibilités de matières premières alimentaires utilisables ; il est possible que certaines contiennent des éléments donnant une couleur défavorable. On peut imaginer que le maïs donne une couleur.

M. le Rapporteur - En tant que nutritionniste, pensez-vous que l'ingestion, depuis les années 1960, de protéines d'origine animale par des herbivores n'a jamais soulevé de problèmes scientifiques majeurs ?

M. Jacques Robelin - Je n'ai pas parlé d'ingestion de protéines animales depuis les années 1960. Je ne sais pas depuis quelle date elles ont été utilisées car je n'ai pas de statistiques sur le sujet ; peut-être à partir des années 1980.

Il faudrait examiner les statistiques de production et d'utilisation. Il n'y a aucun intérêt particulier à donner des farines animales à des bovins. On peut même être surpris qu'elles aient été utilisées pour ces animaux.

En effet, l'intérêt strictement nutritionnel des farines animales chez un monogastrique est que la dégradation des farines dans la digestion produit, à la sortie, un profil d'acides animés qui est à peu près semblable à ceux des besoins de l'animal.

Dans le cas d'un bovin qui ingère des protéines, qu'elles soient végétales ou animales, elles sont, à 60 % ou 80 %, dégradées au niveau du rumen en éléments simples jusqu'au niveau ammoniacal. On ne trouve plus d'acides aminés ou d'éléments appelés protéiques, en termes de biologie, car ils sont complètement dégradés. Cet ammoniaque, joint aux éléments énergétiques du rumen, constitue l'alimentation des microbes du rumen qui, eux-mêmes, font une croissance, et l'alimentation du bovin est constituée par les microbes du rumen. Cela n'a plus « rien à voir » avec les protéines initiales.

Il est inutile de donner des protéines « de bonne qualité », en termes de profil d'acides aminés, à des ruminants car elles sont dégradées, sauf dans certains cas. C'est ce que l'on fait pour les tourteaux traités avec des tanins qui protègent les protéines de la dégradation par les microbes du rumen ; de ce fait on obtient, à la sortie du rumen, qui est l'équivalent de notre estomac, la caillette, une composition en acides aminés des tourteaux protégés.

Je n'ai jamais entendu dire que l'on ait protégé des protéines de farines de viande. Il n'y a, a priori, aucun intérêt à utiliser des farines de viande. C'est ce qui me permettait de dire que la première hypothèse d'utilisation des farines animales pour les bovins repose sur leur coût. Je pense qu'il s'agit d'une augmentation de la disponibilité de ces matières premières qui sont des déchets et ne valent pas, en termes de coût, très cher. Il faut peut-être tenir compte également des problèmes liés au soja.

M. le Rapporteur - S'il n'existe pas d'intérêt positif, existe-t-il des effets négatifs, en dehors du problème du prion ?

M. Jacques Robelin - Quel effet négatif pourrait-on attendre ? Le fondement de cela consiste à savoir que pratiquement tout est dégradé au niveau du rumen.

M. le Président - On nous a dit, lors d'une visite chez un fabricant d'aliments pour bétail, que l'INRA informe les fabricants d'aliments du bétail. Des publications faites par l'INRA permettaient d'indiquer les avantages et les inconvénients de l'utilisation de tels ou tels produits. Or, dans ce petit livre rouge publié par l'INRA, on incitait à mettre une certaine quantité de protéines animales pour obtenir les quantités protéiques.

M. Jacques Robelin - Je souhaiterais savoir de quel paragraphe il s'agit. J'ai été chercheur de base à ce moment-là, pas directement en nutrition, mais j'ai connu la période durant laquelle nous avons préparé ce livre rouge.

Parmi l'ensemble des matières premières entrant dans l'alimentation animale, nous avons fait quelques mesures sur des farines de viande pour donner une « valeur » protéique et une valeur énergétique à ces farines. Toutefois, je serais fort étonné qu'il s'agisse de recommandations d'utilisation de farines animales chez les ruminants.

Le principe de base de l'alimentation, du rationnement, d'un ruminant consiste d'abord à lui faire manger la plus grande quantité de ce que l'on appelle la ration de base : du fourrage, du foin, de l'herbe, de l'ensilage d'herbe ou de l'ensilage de maïs. Quand on connaît, ou on quand on peut estimer, la quantité de ration de base ingérée par le ruminant, on calcule le complément qu'il faudrait lui donner, s'agissant d'une vache laitière reproductrice, pour arriver à la satisfaction de ses besoins. On ne part jamais, dans la formulation d'une ration chez le ruminant, qui est faite à la ferme, sur les aliments « concentrés » au départ. Je suis fort étonné de cette allégation dans le livre rouge.

M. le Président - Il faut vérifier.

M. Jacques Robelin - Connaissant les personnes qui ont rédigé ce livre, cela m'étonnerait beaucoup car elles étaient plutôt des partisans de l'utilisation du fourrage.

Il est certain que nous avons supprimé toute notification en termes de farines animales dès l'année où elles ont été interdites pour les ruminants. Nous avons fait une nouvelle édition à partir de 1992, 1993 ou 1994 et nous avons cessé la vente des livres.

Autant que je me souvienne, car j'étais déjà Chef de département, nous avons examiné en détail les passages où l'on parlait de farines animales : elles étaient citées dans les tables des aliments et peut-être dans un paragraphe ou deux. Je préfère vérifier avant d'affirmer qu'elles n'étaient pas mentionnées en termes d'encouragement à les utiliser pour les ruminants. Je souhaite que l'on soit clair sur les phrases utilisées dans le livre.

M. le Président - Vous enverrez vos renseignements à la Commission d'enquête du Sénat.

M. Paul Blanc - Ma question est dans le droit fil du livre rouge. Il semblerait que l'INRA ait eu la licence des tourteaux tannés ou du moins ait beaucoup travaillé sur ces tourteaux tannés auxquels vous faites allusion.

Faisant référence au livre rouge, je me demandais si je ne pouvais pas répondre à votre place par rapport à ce que vous avez évoqué, à savoir la difficulté d'éliminer les déchets de carcasses animales. La préconisation de l'utilisation des farines animales ne répond-elle pas à un souci purement économique ? Je me fais l'avocat du diable.

M. Jacques Robelin - Je pense que nous ne les avons pas préconisées ; nous le vérifierons dans le livre rouge.

M. Paul Blanc - Vous n'avez peut-être pas mis suffisamment en avant les tourteaux tannés par rapport aux farines animales ?

M. Jacques Robelin - Il me semble que les tourteaux tannés sont arrivés après les farines animales (il faudrait que je vérifie) dans le début des années 1980, alors que les farines animales commençaient à être utilisées. Je ne peux pas fournir de précisions sur ce sujet.

J'aimerais connaître la quantité réelle de farines animales utilisées en 1980 dans l'alimentation des ruminants. Je pense que c'était vraiment minime car l'habitude était d'utiliser des tourteaux, puis des tourteaux tannés et ensuite des acides aminés de synthèse. Il doit exister des statistiques auxquelles, personnellement, je n'ai pas accès.

M. Paul Blanc - A quel moment l'INRA a-t-il été informé du lien entre les farines de viande et d'os et l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne ?

M. Jacques Robelin - Je ne peux pas vous le dire car la date à laquelle j'ai été informé n'est pas significative de la date à laquelle l'INRA l'a été. J'ai été informé comme tout le monde, à savoir au début de la période ou j'ai été Chef de département, quand la crise a éclaté.

M. Paul Blanc - En 1989 ?

M. Jacques Robelin - Non, car j'ai été Chef de département plus tard. Je ne peux pas répondre pour l'INRA.

M. Paul Blanc - Que pouvez-vous nous dire sur les lacto-remplaceurs destinés à augmenter la production de lait ? C'était aussi l'une des finalités de l'utilisation des farines animales puisqu'elles ont surtout été données aux vaches laitières.

Autrement dit, que pensez-vous de l'utilisation des farines animales pour stimuler la lactation des vaches ?

M. Jacques Robelin - Cela ne stimule pas la lactation.

M. Paul Blanc - Alors pourquoi les avoir données surtout aux vaches laitières ?

M. Jacques Robelin - Elles ont été données en termes de compléments nutritionnels mais pas pour augmenter la lactation.

M. Georges Gruillot - Surtout parce qu'elles étaient moins chères que les autres protéines.

M. Jacques Robelin - Peut-être, mais elles ne stimulent pas la lactation ; elles la « permettent », si la vache en est capable, mais ne la stimulent pas.

M. Paul Blanc - Les vaches qui absorbaient des farines animales donnaient davantage de lait que celles qui n'en absorbaient pas.

M. Jacques Robelin - Stricto sensu, non. Une vache qui a un potentiel laitier de 8 000 kilos n'en fera pas plus même si vous lui faites avaler des quantités importantes de farines animales chaque jour.

M. Paul Blanc - Pourquoi a-t-on donné les farines animales au cheptel allaitant ?

M. Jacques Robelin - Non.

M. Paul Blanc - Je voulais parler du cheptel laitier.

M. Jacques Robelin - Les vaches laitières, et surtout les vaches laitières Holstein, très hautes productrices, sont les seules qui nécessitent réellement un complément protéique important. Il n'y aurait pas eu de raison de donner cela à des Montbéliardes dans le Jura.

M. Paul Blanc - C'est quand même ce que l'on a beaucoup lu dans la presse.

M. Jacques Robelin - Les vaches les plus productrices sont les Holstein dans l'Ouest.

M. le Rapporteur - Il existe une relation directe entre la complémentation alimentaire, à partir d'un complément contenant 3 à 5 % de farine animale, et la production laitière. Entre une Montbéliarde et une frisonne française à pie noire, la ration de base est pratiquement identique, en fonction du poids, mais si elle produit davantage de lait il faut mettre plus de compléments alimentaires.

M. le Président - Je suis d'accord concernant les compléments, mais s'agissant des farines animales....

M. Georges Gruillot - ... En minéraux et en protéines.

M. Jacques Robelin - Ce sont des compléments alimentaires mais pas nécessairement des farines animales.

M. Paul Blanc - Des farines animales ont été utilisées en complément avant tout.

M. Jacques Robelin - Je ne pense pas que ce soit « avant tout ».

M. le Président - La quantité protéique fournie l'était en grande partie par les farines animales incorporées à l'aliment.

M. Jacques Robelin - Non.

M. le Président - Les compléments alimentaires qui ont été donnés à tous les animaux, en particulier aux vaches laitières, étaient, à une certaine période, fournis en partie par des farines animales ; en effet, les 3 % de protéines prévues dans presque tous les aliments étaient d'origine animale.

M. Jacques Robelin - Je ne peux pas répondre à cette question aussi précisément. Il serait important d'examiner des statistiques fiables sur l'utilisation des farines animales dans le cas des vaches laitières.

On prétend parfois certaines choses sans connaître la réalité. Je ne dis pas qu'elles n'ont pas été utilisées, mais je doute qu'il s'agisse de la majorité de la complémentation du troupeau laitier. Nous pouvons avoir une impression sur un tel sujet mais je souhaiterais avoir des données écrites et confirmées sur un sujet comme celui-là.

M. Jean-François Humbert - Je reviendrai sur les lacto-remplaceurs car, à la différence de la plupart de mes collègues qui sont d'éminents scientifiques, je ne suis qu'un modeste juriste et je ne comprends pas tout.

Les lacto-remplaceurs sont des laits que l'on transforme en lait en poudre et auxquels, parfois, on ajoute des compléments en particulier des graisses animales. Pouvez-vous nous donner plus d'informations sur la composition de ces lacto-remplaceurs et s'il s'agit de graisses animales, existe-t-il éventuellement des risques de contamination ?

M. Jacques Robelin - Je répondrai sur un plan du principe de fabrication de ces produits. Je ne suis pas industriel fabricant de ces produits et, par conséquent, je ne pourrai pas répondre à votre question sur ce sujet.

Sur le principe même, on a utilisé des lacto-remplaceurs, ou constitué des laits de remplacement à partir de protéines, essentiellement végétales, issues du soja et d'autres végétaux, avec comme complément énergétique des lipides issus des graisses animales. L'objectif était à nouveau de recycler des déchets, des graisses animales, au niveau de ces aliments.

D'un point de vue nutritionnel, nous consommons des lipides animaux à chaque fois que nous consommons de la viande et, en principe, ce n'est pas toxique.

Concernant la composition de ces lacto-remplaceurs, l'information qui m'a été donnée sur ce sujet, mais qui demande à être vérifiée, est que la réglementation actuelle impose de mettre dans ces laits de remplacement des matières grasses d'origine animale avec exactement les mêmes caractéristiques que celles imposées pour la biscuiterie.

Les risques, qui ont été évoqués assez fréquemment, notamment à propos des veaux, pour expliquer un certain nombre de cas d'apparition d'ESB chez les veaux, sont liés au fait qu'il peut rester des traces de protéines après le traitement des graisses que l'on incorpore aux lacto-remplaceurs. D'après ce que l'on m'a dit, c'est de l'ordre de moins de 1 %. Pour l'instant on ne peut pas certifier qu'il n'y ait pas de risque.

Je répondrai par écrit à l'affirmation concernant le livre rouge car cela me paraît être un point important. Il faut que ce sujet soit clair.

Ensuite, j'avoue que je ne suis pas complètement convaincu par la prééminence des farines animales dans la complémentation des vaches laitières en général. Je pense qu'il faudrait disposer de statistiques précises sur ce sujet.

M. Georges Gruillot - Des marques d'aliments n'ont jamais utilisé les farines animales.

M. le Président - Vous l'avez clairement expliqué.

M. Jacques Robelin - Concernant la qualité des carcasses, je ne vois pas sur quoi une telle remarque pourrait être fondée. Il existe peut-être une raison qui m'échappe.

M. le Président - Merci encore.

Audition de Mme Catherine GESLAIN-LANÉELLE,
Directeur général de l'alimentation,
et de M. Rémi TOUSSAIN, Directeur des politiques économique et internationale du ministère de l'agriculture

(17 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, nous auditionnons Mme Catherine Geslain-Lanéelle, directeur général de l'alimentation, et M. Rémi Toussain, directeur des politiques économique et internationale du ministère de l'agriculture.

Vous êtes accompagnés, madame et monsieur, de personnes que vous voudrez bien me présenter dès maintenant.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je suis accompagnée de Paul Merlin, sous-directeur à la sous direction de la santé et de la protection animale, à la Direction générale de l'alimentation, et de Bénédicte Herbinet, chef du bureau de la pharmacie vétérinaire et de l'alimentation animale dans cette même sous-direction, à la DGAL.

M. le Président - Merci. Vous savez que vous êtes auditionnés dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, une commission d'enquête du Sénat, et qu'à ce titre, je me dois de vous rappeler les directives et de vous demander de prêter serment.

Je demanderai à toutes les personnes de prêter serment afin que, si elles ont à intervenir les unes et les autres au cours de notre audition, elles sachent qu'elles le font également sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Geslain-Lanéelle, M. Toussain, Mme  Herbinet et M. Merlin.

M. le Président - Je vous remercie. Dans un premier temps, si vous le permettez, Mme Geslain-Lanéelle et M. Toussain, je vais vous demander de nous expliquer assez brièvement la façon dont vous voyez les choses, à votre niveau, par rapport à ce problème des farines animales, à leur utilisation et à leurs conséquences sur le plan de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), qui s'est développée aujourd'hui, en particulier dans notre pays.

Je vous passe tout d'abord la parole, madame.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Merci, monsieur le Président. Je vous suggère de faire une intervention liminaire en deux parties.

Dans une première partie, qui concerne la définition des farines animales, Rémi Toussain, dont la direction a en charge ces aspects, se propose de présenter les enjeux économiques et nutritionnels de leur utilisation en alimentation animale.

Dans une deuxième partie, je pourrai vous présenter l'évolution de la réglementation liée à l'utilisation de ces farines animales depuis 1989 jusqu'à ce jour.

M. le Président - Nous connaissons déjà la réglementation. Par conséquent, si vous le voulez bien, il serait bon que vous contractiez les choses au maximum. Vous pourriez être plus concernée par le débat qui interviendra ensuite.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Très bien. Si vous ne souhaitez pas d'intervention liminaire, je répondrai avec plaisir à vos questions.

M. le Président - Je dis cela par rapport à la réglementation. En effet, nous la connaissons et nous supposons que c'est celle que vous avez été chargée de faire respecter.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Absolument.

M. le Président - Donc nous procéderons ainsi. Cela dit, nous sommes tout à fait d'accord sur la première intervention liminaire.

M. Rémi Toussain - Comme le disait Catherine Geslain à l'instant, je vais vous dire quelques mots sur ce que sont les farines animales, leur intérêt nutritionnel et économique et les possibilités de substitution. J'avais prévu également --je le ferai si vous le souhaitez--de compléter cet exposé par les possibilités de substitution sur le plan communautaire et les démarches qui ont été entreprises à cet égard, mais je ne sais pas si cela entre également dans le champ de vos préoccupations.

Je commencerai par les farines animales.

Le mot recouvre une gamme assez large de fabrications, mais on peut dire que tous ces produits ont comme point commun d'être issus de la cuisson des coproduits des industries des viandes et que cela intègre les farines de poisson.

Pour la commodité de mon exposé sur la partie économique, je parlerai d'une manière générale de farines animales lorsque cela englobera farines de viande et farines de poisson ou, spécifiquement, de l'un ou l'autre terme lorsqu'il y aura lieu de s'y référer.

Globalement, sur 6 millions de tonnes de coproduits des différentes filières animales, les chiffres des farines sont les suivants.

Nous consommons en France, exclusivement dans l'alimentation du bétail, environ 590 000 tonnes de farines et de graisses auxquelles il y a lieu d'ajouter 60 000 tonnes destinées à l'exportation, toujours pour l'alimentation du bétail, ce qui fait un total, en termes de production, de 650 000 tonnes.

Il faut y ajouter 25 000 tonnes de graisses destinées aux entreprises non alimentaires et 200 000 tonnes de farines qui sont utilisées dans l'alimentation d'animaux domestiques (le pet food). Enfin, le service public de l'équarrissage regroupe maintenant 175 000 tonnes de farines et de graisses.

Autrement dit, on a chaque année, en France, un peu plus d'un million de tonnes de production de farines et graisses animales et, avant les interdictions auxquelles je ferai référence ensuite et qui sont intervenues à la fin de l'année dernière, 850 000 tonnes entraient dans le circuit de l'alimentation du bétail ou des animaux domestiques, y compris dans la partie destinée à l'exportation.

J'en viens à l'intérêt nutritionnel et économique de ces farines.

Je rappellerai très brièvement que les fabricants d'aliments du bétail recherchent toutes sortes de matières premières mais que l'on peut les répartir entre, d'une part, les matières riches en énergie, qui sont, grossièrement, les céréales et les produits dérivés et, d'autre part, les matières riches en protéines, dont font partie les oléagineux, les protéagineux et, naturellement les farines animales.

L'équilibre alimentaire communautaire amène, de manière assez originale par rapport au reste du monde, à faire un gros appel au tourteaux d'oléagineux et, surtout, aux tourteaux de soja --j'y reviendrai-- en termes d'importations.

L'utilisation des farines animales dans l'alimentation du bétail est assez ancienne puisqu'elle remonte au siècle dernier. Sur le plan nutritionnel, leur intérêt est leur richesse élevée en protéines, sachant qu'elles sont bien équilibrées en acides aminés essentiels, et elles sont en même temps une source de phosphore et de calcium très digestibles, ce qui en constitue un élément utile.

Les graisses animales, elles, constituent une source d'énergie complémentaire des céréales.

Enfin, sur le plan économique, on observe sur la longue période que le cours des farines animales est en corrélation très étroite avec le prix des tourteaux de soja.

Quelle était la place des farines dans l'alimentation animale avant la suspension du 14 novembre dernier ?

Les quantités de farines de viande et de poisson, c'est-à-dire les farines animales, consommées par le bétail ont représenté en France de l'ordre de 500 000 tonnes en 1999. A l'intérieur de cet ensemble, les farines de viande elles-mêmes sont essentiellement produites et consommées en France, la part des échanges étant très faible. En revanche, pour ce qui est des farines de poisson, nous importons quasiment les quatre cinquièmes de nos besoins.

Ces farines animales représentent environ 2 %, en moyenne et en tonnage, de l'ensemble des matières premières qui sont incorporées dans l'alimentation du bétail, les céréales et produits dérivés représentant environ 45 à 50 % et les tourteaux de soja de l'ordre de 20 à 25 %.

Cela étant, ce taux d'incorporation des farines animales est variable selon les destinations. Pour faire simple et introduire les conséquences de l'interdiction que je présenterai rapidement tout à l'heure, je peux dire que, pour les volailles, il est assez élevé, puisqu'il représente trois à 4 %, encore que ce chiffre moyen masque une forte différenciation. Par exemple, les volailles sous label n'en utilisent pas, voire très peu, alors que les poulets qui sont destinés à l'exportation en incorporent de 7 à 10 %.

Pour les porcins, en revanche, l'incorporation est relativement faible : de l'ordre de 1 à 1,5 %.

Au niveau communautaire, on retrouve en gros cette distribution, mais je ne vais pas vous importuner avec des chiffres, sauf si cela vous paraît utile.

Un deuxième élément est intéressant : la place non pas en tonnage mais en bilan protéique. Sur le plan de la fourniture en protéines dans l'alimentation animale, les farines animales représentent 7 à 7,5 % de l'apport en protéines total, les autres besoins étant couverts à hauteur de 55 % par les tourteaux de soja, 12 % par les pois protéagineux et 6 % par les tourteaux de colza.

On retrouve, là encore, à peu près les mêmes chiffres sur le plan communautaire. Je rappelle simplement, parce que ce sujet n'est pas indifférent pour la suite, que le taux d'auto-approvisionnement communautaire en matière de protéines n'était que de 30 % à la fin de l'année dernière, avant la suspension de l'utilisation des farines animales.

Pour mémoire, je vous signale que le déficit protéique de l'Union européenne, c'est-à-dire le chiffre complémentaire, était de 85 % en 1974,qu'il a été amélioré en 1990,époque à laquelle il n'était plus que de 63 %, à la suite des politiques de soutien aux oléoprotéagineux, et qu'il est redescendu à 70 % du fait, pour faire simple, d'une hausse de la demande par le développement des productions hors-sol et, en revanche, en raison de son encadrement, par une stabilité de la production communautaire de ces matières.

Voulez-vous que je décrive très rapidement le secteur de l'alimentation animale, d'une part, et le secteur de la production, d'autre part ?

M. le Président - Volontiers. C'est important.

M. Rémi Toussain - Cela donne un cadrage.

La production française d'aliments du bétail, en 1999,s'est élevée à moins de 23 millions de tonnes d'aliments et ces chiffres ont pratiquement triplé en une vingtaine d'années. La croissance a donc été très forte. Ce chiffre global se répartit de la façon suivante :

- 9 à 10 millions de tonnes pour les volailles, qui est le premier poste,

- 7 millions de tonnes pour les porcins,

- 4 millions de tonnes pour les bovins.

Ce secteur représente environ 350 entreprises avec, depuis une vingtaine d'années, une tendance constante à la concentration. Sachez que 8 % des entreprises représentent aujourd'hui 50 % de la production dans ce secteur, qui comprend 12 000 salariés et 5 % du chiffre d'affaires total du secteur agro-alimentaire. Il fait 40 milliards de francs de chiffre d'affaires.

Ce secteur est caractérisé par une forte importance de la part relative, d'une part, de la matière première et, d'autre part, des frais de personnel.

Le deuxième secteur concerné par notre sujet est celui de l'industrie des aliments pour les animaux familiers et domestiques, le pet food, qui est également en progression constante et qui a encore probablement devant lui des marges de progrès considérables si l'on considère les évolutions respectives des parcs animaliers en Europe et dans d'autres pays, notamment aux Etats-Unis.

C'est un secteur extrêmement concentré, avec des opérateurs multinationaux, qui valorise 1 200 000 tonnes de produits agricoles et, comme je le disais tout à l'heure, 200 000 tonnes de nos farines animales.

Voilà ce que je peux dire pour le cadrage général.

J'en viens à quelques mots sur les conséquences nutritionnelles et économiques de la suspension décidée le 14 novembre dernier, dont je rappelle qu'elle a concerné l'utilisation en alimentation animale de toutes les farines animales et de certaine graisses à l'exception des farines de poisson destinées aux poissons.

Je commencerai par les possibilités de substitution à ces produits. Tous les experts semblent converger, mêmes si les chiffres divergent, sur les effets suivants.

Tout d'abord, il sera nécessaire d'utiliser de façon accrue des tourteaux de soja, de maïs, d'huile végétale et de graisse oléagineuse et d'effectuer un apport en phosphates que, malheureusement, on ne trouve pas dans des proportions aussi assimilables dans les produits de substitution.

Parallèlement, on aura probablement une baisse des utilisations de céréales et de pois.

Sur le volet purement protéique, deux équivalences sont possibles --j'y reviendrai-- sur les actions à conduire au niveau national et communautaire. Il s'agit de regarder, très grossièrement, à quoi correspondrait, en augmentation de protéagineux ou d'oléagineux, en France ou dans l'ensemble communautaire, la suppression des protéines apportées par les farines animales en France ou dans l'ensemble de la communauté

En France, on aurait, au choix, 250 000 hectares de pois, soit 60 % d'augmentation par rapport à la surface actuelle, ou 1 400 000 hectares de colza, soit 40 % de la surface actuelle.

Sur le plan européen, les chiffres équivalents sont 1,8 millions d'hectares supplémentaires de pois (il s'agit là d'un triplement de la superficie communautaire de pois actuellement cultivée, ce qui montre que la France est le plus grand producteur communautaire de pois) ou, à quantité équivalente, trois millions d'hectares de colza ou, dans une moindre mesure, de tournesol, ce qui correspondrait à un doublement de la superficie actuelle en Europe.

Voilà ce qui se passerait si on devait effectuer un remplacement intégral par une augmentation de notre production indigène.

La même équivalence par importation de tourteaux de soja représenterait, en gros, une hausse de 15 % des importations et je vais vous donner également des chiffres arrondis pour la France et pour Europe.

Il faudrait compter 500 000 à 600 000 tonnes pour la France, qui s'ajouteraient aux 4,5 millions de tonnes que nous importons déjà annuellement. Quant à l'Europe, on aurait trois à 4 millions de tonnes sur les 28 à 30 millions de tonnes que l'Europe importe annuellement.

Du même coup, notre déficit protéique, dont je rappelle qu'il était remonté à 70 %, passerait, en gros, à 75 %.

Au-delà de ces effets mécaniques et quantitatifs, quelques effets sur le plan nutritionnel nécessiteraient une certaine adaptation des ratios en matière de phosphore, mais je ne vais pas vous ennuyer avec ces éléments. Simplement, il faut savoir que tout cela comporte un aspect qualitatif.

Quelles sont les implications économiques pour les opérateurs ? Il est probable qu'il y aura un effet haussier, comme tous les experts le disent (même s'ils se trompent forcément puisqu'ils ont de grandes divergences sur la quantification de cet impact), sur le cours des matières premières de substitution.

En France, tout de suite après l'annonce de la suspension, on a observé une envolée des cours du tourteau de soja, qui est passé de 140 ou 150 F du quintal à 180 F, mais il est retombé, depuis, à 165 F environ. La fermeté du dollar a également joué. En tout cas, il y aura un effet en ce sens, ce qui peut être d'ailleurs l'un des éléments positifs pour stimuler une production autonome indépendamment de toute intervention en termes de soutien.

Voilà ce que je peux dire sur les effets généraux.

Cela aura aussi des effets spécifiques selon les secteurs.

Le secteur de la volaille, qui est très utilisateur de farines animales, notamment les poulets de chair un peu basiques destinés à l'exportation, qui sont très dépendants, pourrait voir ses prix de revient mécaniquement augmenter de 4 à 5 %. Comme il s'agit d'un marché à l'export extrêmement concurrentiel, les difficultés économiques seront particulières sur ce type de produit.

Pour la filière porcine, on estime l'augmentation de 0,5 à 1 %, sachant que, par ailleurs, compte tenu de la situation du marché de la viande bovine, les difficultés économiques ne seront pas considérables.

Quant au pet food, compte tenu de la valeur ajoutée de ce secteur, il n'y aura pas d'effet économique.

Si vous le voulez bien, j'en viens à ma troisième et dernière partie qui concerne les possibilités de substitution sur le plan des protéines indigènes.

Je ne reprendrai pas les chiffres que j'ai indiqués tout à l'heure. Si on veut éviter une augmentation du tourteau de soja, la question est de savoir comment faire pour accroître notre production.

On peut évidemment imaginer quelques actions nationales --certaines sont en place--, mais elles ne peuvent avoir qu'une portée limitée et, juridiquement, s'agissant de soutien du marché, nous avons un cadre communautaire et international évidemment très prégnant.

Je rappellerai très rapidement que le soutien aux productions oléo-protéagineuses en Europe a été mis en place en 1966 sous la forme d'une aide variable en fonction des cours mondiaux et non pas, comme pour les céréales, sous la forme d'un soutien par le biais d'un prix d'intervention, parce qu'il avait été convenu au Dillon Round, au niveau international, qu'il n'y aurait pas de droit de douane à l'importation de ces produits particuliers en Europe. On ne pouvait donc pas imaginer un dispositif d'intervention avec une absence de préférence communautaire.

Cela étant, ce dispositif a formidablement bien fonctionné de 1966 à 1972 puisque, pour donner les chiffres généraux, on est passé d'un demi million de tonnes de production d'oléoprotéagineux en 1966 à un peu plus de 12 millions de tonnes de graines en 1992.

Cependant, cela n'a pas laissé --chacun s'en souvient-- les Américains indifférents puisqu'ils voyaient leurs propres débouchés diminuer. En 1988, ils ont déposé une plainte devant le GATT, à l'époque, sur le fameux « panel soja », qui a amené l'Union européenne à revoir une première fois son dispositif en 1992-1993. Une nouvelle plainte a été déposée à la suite de cette première modification par les Etats-Unis et on peut imaginer que cette nouvelle plainte aurait pu aboutir si elle n'avait pas été interrompue dans ses effets potentiels par l'accord de Marrakech, le dernier accord de l'OMC, qui a repris un accord spécifique passé d'abord entre l'Europe et les États-Unis, l'accord de Blair House, et qui est important pour l'encadrement de notre production d'oléagineux. Je vais rapidement en dire un mot.

Cet accord a consacré une limite économique à la production d'oléagineux de 5 482 000 hectares après élargissement. Il est intéressant de noter que c'est calculé en hectares et non pas en production, ce qui laisse une possibilité d'augmenter les rendements. Malgré tout, c'est une première contrainte.

De même, l'obligation du gel de terres ne peut descendre en dessous de 10 %, contrairement à ce qu'il est possible de faire pour les céréales, avec un dispositif de sanctions qui s'avère rapidement dissuasif, lorsqu'il se répète, pour la production communautaire.

Au-delà de cela, l'autre « échappatoire », qui était la possibilité de développer, sur jachère ou même en dehors celle-ci, des productions non alimentaires à usage de biocarburants et donc de développer des sous-produits des tourteaux a été limité dans ce même accord repris dans l'accord de Marrakech, de sorte qu'on ne peut pas dépasser un million de tonnes d'équivalents de tourteaux de soja par an.

Voilà le cadre international et communautaire qui constitue une première difficulté pour les oléagineux.

La deuxième difficulté, c'est l'Agenda 2000. Pour essayer d'échapper à la contrainte de Blair House, la contrainte de l'OMC, la Commission a proposé, moyennant quelques ajustements --et cela a finalement été décidé par le Conseil--, d'aligner progressivement, en trois ans, la dernière étape étant pour 2002-2003, les aides spécifiques aux oléagineux sur les aides aux céréales, espérant ainsi qu'en supprimant la spécificité du soutien aux oléagineux, cette opération rendrait caduc, ce qui est probable, l'accord de Blair House.

Cependant, si cette diminution des aides a juridiquement l'effet que je viens d'indiquer, elle a malheureusement, sur le plan économique, des effets que l'on peut craindre et qui ne sont pas contredits par la première année d'expérimentation de l'opération Agenda 2000. En effet, on a une réduction des superficies de l'ordre de 10 %, dans la communauté comme en France, et je ne parle pas des tonnages parce qu'il y a aussi une baisse climatique des rendements. Je pourrai vous donner des chiffres détaillés si vous le souhaitez.

Par conséquent, cette deuxième disposition interne à la communauté est un élément à prendre en compte.

Après avoir rappelé ce cadre, je mentionnerai les initiatives qui ont pu être prises au niveau national et au niveau communautaire pour essayer de remédier à cette situation.

Au niveau national, ces initiatives sont les suivantes :

- un ensemble de mesures en faveur du soja de qualité,

- des mesures agri-environnementales cofinancées par Bruxelles en faveur du tournesol,

- la mise en place d'un programme de recherche et développement en faveur des protéagineux (qui ne sont pas, eux, soumis à l'accord de Blair House),

- l'augmentation des capacités du diester, avec un programme de l'ordre de 450 millions de francs qui est significatif, même s'il est en soi limité ;

Au niveau communautaire, la France a pris un certain nombre d'initiatives, dont les plus récentes sont les suivantes :

- en juin 1999, un mémorandum français sur l'utilisation des farines animales a mis l'accent sur la nécessité de trouver des éléments de substitution ;

- au début de la présidence française, la délégation française a remis une deuxième note sur le soutien aux oléoprotéagineux ;

- les conseils de la fin de l'année, y compris le Conseil européen, font nettement référence à la nécessité, pour la Commission, de reconsidérer le sujet et de faire, le cas échéant, des propositions appropriées ;

Dans le cadre que je viens d'indiquer, les possibilités d'action au niveau communautaire se heurtent également à la problématique budgétaire puisque les ressources consacrées au soutien de marché à cause de la maladie de la vache folle risquent d'épuiser le budget. La première difficulté est donc de nature budgétaire.

Pour les oléagineux, nous avons une marge au moins jusqu'à la future renégociation, même si ce commentaire est un peu théorique, c'est-à-dire une possibilité de remonter les aides pour autant que, là aussi, on puisse faire marche arrière par rapport à l'Agenda 2000 sans excéder les quelque 5 millions d'hectares dont j'ai parlé.

Pour les protéagineux, les possibilités, sous réserve des contraintes budgétaires, peuvent être théoriquement mobilisées à beaucoup plus court terme. En effet, nous ne sommes pas liés au cadre de Blair House et de l'OMC. Il reste un tout petit risque que l'affaire ne soit pas tout à fait conforme aux règles de l'OMC en raison d'une clause qui a été souscrite quant à la non-augmentation des soutiens, mais je pense que ce risque est voisin de zéro. En tout cas, j'estime qu'il mériterait d'être couru.

Il reste, en théorie, la possibilité de relever les aides aux fourrages déshydratés ainsi que les quantités consacrées à ces productions.

Enfin --cela peut être à la fois un effort national et communautaire--, l'amélioration de la teneur en protéines de nos blés, y compris des blés fourragers, peut être un élément constitutif d'un redressement de la situation.

Voilà, monsieur le Président, les quelques éléments économiques que je voulais porter à votre connaissance.

M. le Président - Merci. Voulez-vous nous faire un bref exposé, madame, ou passe-t-on directement aux questions ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous m'avez indiqué qu'il était inutile que je rappelle le détail de l'évolution de la réglementation. Puisque vous m'en offrez l'occasion, j'appellerai donc votre attention sur le fait que cette réglementation a évolué depuis 1989 à la lumière des connaissances scientifiques et qu'en particulier, il me paraissait important de rappeler une série d'événements qui ont contribué à cette évolution.

En effet, en ce qui concerne l'évolution de la réglementation, on peut retenir trois principales étapes.

La première période se situe entre 1989 et 1993. En effet, à la fin des années 80, l'ESB était une maladie considérée comme exclusivement animale et donc non susceptible d'être transmise à l'homme car les connaissances scientifiques, à cette époque, n'étaient pas suffisantes : les premiers éléments scientifiques qui ont montré que cette maladie pouvait éventuellement être transmise à d'autres animaux concernent le chat, au premier semestre de l'année 1990.

Par ailleurs, dans un premier temps, ce problème a été spécifique au Royaume-Uni et à l'Irlande et c'est ce qui a conduit les autorités françaises, à cette époque, à prendre des mesures à l'égard de ces pays.

Les premiers éléments concernant le mode de transmission au cheptel par l'intermédiaire des farines animales datent de cette période. Il y avait des doutes à cette époque, ce qui a conduit les autorités françaises, dès 1990, à interdire l'utilisation de ces farines animales dans l'alimentation des bovins, dans un premier temps, puis de l'ensemble des ruminants, dans un deuxième temps, ce qui a été repris au niveau communautaire.

Ensuite, au cours de la période de 1993 à 1996, des travaux communautaires ont été réalisés, notamment sur les conditions de traitement et le tri des déchets.

J'attire votre attention sur un élément particulier parce que cela a conduit à modifier la situation pour les services de contrôle : l'entrée en vigueur du marché unique et le fait qu'il n'y avait plus de contrôle systématique à l'entrée sur le territoire français des produits importés des autres États-membres et, en particulier, des farines animales ou des aliments destinés au bétail.

On peut donc considérer qu'à cette période, à partir du 1er janvier 1993, les contrôles ont pu être allégés par rapport à ces importations en provenance d'autres pays de l'Union européenne.

La dernière période, qui est importante et que je ferai remonter à 1996, a commencé par l'annonce par le gouvernement britannique de la possible transmission de cette maladie à l'homme, qui a conduit les autorités françaises puis, plus tard, les autorités communautaires, d'une part, à gérer ce dossier et à prendre des réglementations comme si cette maladie était susceptible de se transmettre à l'homme, avec des décisions très importantes portant notamment sur le retrait de ce que l'on appelle "les matériels à risques spécifiés de la chaîne alimentaire", aussi bien humaine qu'animale, c'est-à-dire de tous les tissus susceptibles d'être contaminants et de transmettre la maladie de l'ESB ; d'autre part, à mettre en oeuvre un certain nombre de mesures relatives, au-delà du tri des matériels, au traitement à appliquer à ces farines afin d'inactiver les éventuels prions qui pourraient se trouver encore dans ces produits.

Voilà ce que je voulais rappeler très rapidement pour vous montrer que la lecture de l'évolution réglementaire se fait aussi à la lumière de l'évolution des connaissances scientifiques.

La Direction générale de l'alimentation, qui est chargée de veiller au contrôle de la qualité et de la sécurité de l'alimentation, est chargée d'une partie des contrôles de l'utilisation d'un certain nombre de déchets animaux dans l'alimentation animale et partage cette compétence avec la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et, pour ce qui concerne aussi les importations, avec la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI).

Ces compétences ont d'ailleurs évolué au fil des ans. En revanche, il y a toujours eu une coopération importante entre les services de la Direction générale de l'alimentation, c'est-à-dire les services vétérinaires départementaux, et les services de la DGCCRF soit pour que nous menions des actions conjointes, soit pour répartir nos moyens sur le terrain afin d'éviter les doublons dans les contrôles qui sont faits aussi bien dans les élevages que dans les équarrissages, les usines de fabrication de farines animales ou dans les usines de fabrication d'aliments pour le bétail.

Si vous le souhaitez, j'ai un certain nombre d'informations sur les résultats qui ont été obtenus concernant ces différents points au cours de l'année précédente, pour ne prendre que cet exemple, et qui reprennent les constats que l'on a pu faire tout au long de la filière.

Voilà ce que je voulais indiquer à titre liminaire avant que vous nous posiez des questions.

M. le Président - Je vous remercie, madame. Nous allons passer à la partie questions. Je donne pour cela la parole à M. Bizet, rapporteur de la commission, pour qu'il pose les premières questions.

M. Jean Bizet, rapporteur - Merci, monsieur le Président. J'ai une première série de quatre questions.

Première question : êtes-vous en possession des rapports d'enquête de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et, si oui, pouvez-vous les communiquer à notre commission d'enquête ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - J'ai en effet des documents qui me viennent de la Brigade d'enquête vétérinaire et sanitaire, qui est un service de la Direction générale de l'alimentation. J'ai également avec moi les rapports qui ont été faits par cette brigade sur les enquêtes qui sont réalisées à chaque fois que nous avons détecté un cas d'ESB dans un troupeau. Dans ce cas, vous savez que nous faisons ce qui s'appelle une enquête alimentaire, c'est-à-dire que nous remontons le cours des trois années précédentes et regardons tous les aliments et toutes les pratiques d'élevage qui ont été mis en oeuvre dans cet élevage pour voir si nous arrivons à identifier précisément le fait qu'il a pu y avoir des farines animales ou des aliments qui n'étaient pas destinés à ce troupeau.

J'ai donc un certain nombre d'éléments avec moi que, bien évidemment, je peux vous communiquer.

M. le Rapporteur - Sur ce point précis --et je parle sous l'autorité du président et de mes collègues--, lors d'une récente visite sur le terrain, notamment dans les Côtes d'Armor, nous avons pu auditionner trois entreprises de fabrication d'aliments du bétail et nous avons été assez surpris, compte tenu du nombre d'animaux contaminés dans ce département, de constater qu'aucun des trois principaux fabricants de ce département ne se dit « responsable » et qu'aucun des animaux incriminés n'aurait consommé d'aliments provenant de ces trois producteurs d'aliments du bétail.

Avez-vous quelques informations à nous donner sur le département des Côtes d'Armor, puisque c'est le premier département français touché au regard du nombre d'animaux contaminés ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - J'ai avec moi le rapport annuel qui est fait par la Brigade pour les années 1997 et 1998. Pour l'année 1998, ce rapport avait été rendu public, c'est-à-dire qu'il avait été mis en ligne sur le site Internet du ministère de l'agriculture et de la pêche. Le rapport 1999, que j'ai entre les mains, n'a pas été rendu public mais il peut vous être remis. Cependant, je ne suis pas en mesure de vous indiquer tout de suite s'il fait référence aux éléments que vous évoquez en ce qui concerne les Côtes d'Armor.

M. le Rapporteur - La commission va les éplucher avec attention.

J'en viens à ma deuxième question : disposez-vous de statistiques précises sur l'importation des farines animales non seulement d'Angleterre mais également d'autres pays tiers comme la Belgique, les Pays-Bas ou l'Irlande et, au-delà des farines, sur les abats et les carcasses ?

Lors des précédentes auditions, nous avons également pu noter que l'importation des abats, en 1994-1995, a subi une certaine inflation et qu'en ce qui concerne précisément les carcasses, on sait que la traçabilité proprement dite, notamment en matière de restauration collective ou en foyer, laisserait à désirer. Avez-vous des chiffres précis sur ces niveaux d'importation en farine, abats et carcasses ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Pour ma part, je n'ai pas ce type d'information puisqu'il s'agit d'une compétence de la Direction générale des douanes et des droits indirects, qui est chargée de ce travail de statistiques.

M. le Rapporteur - Elles ne vous sont pas transmises ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - J'en ai connaissance, mais cela ne relève pas de la compétence de ma direction générale.

En revanche, pour répondre à votre question, puisque vous souhaitez savoir si ces chiffres ont été portés à notre connaissance et s'ils ont pu être éventuellement utilisés, notamment dans le cadre d'une évaluation des risques d'exposition de la population française ou de notre cheptel à la maladie, je peux vous dire que ces données ont pu être utilisées notamment par l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments lorsqu'elle a travaillé sur la possible exposition de la population française à des produits bovins importés en provenance du Royaume-Uni.

Les statistiques ne relèvent pas de la compétence de ma direction générale. En revanche, lorsqu'on procède à des évaluations du risque, on peut avoir à prendre connaissance de données statistiques et à les prendre en compte, bien évidemment.

Je peux indiquer aussi que, s'agissant des matériels à risques spécifiés, sur lesquels la France a été l'un des premiers pays, dans l'Union européenne, à adopter une liste à la suite de l'annonce par le gouvernement britannique de cette possible transmission à l'homme, toutes les mesures que nous avons prises s'appliquaient à la fois à notre propre production nationale et aux importations. Cela veut dire que nous n'avons pas importé du Royaume-Uni ou d'autres pays de l'Union européenne, depuis 1996, des produits qui auraient été exclus de la chaîne alimentaire en France. Je pense en particulier à la cervelle, à la moelle épinière et à d'autres matériels à risques spécifiés. A chaque fois, nous avons pris une réglementation qui s'appliquait à notre production nationale ainsi qu'aux produits importés en provenance d'autres pays de l'Union européenne.

M. le Rapporteur - J'en viens à ma troisième question : pourquoi les farines animales n'ont-elles pas été interdites plus tôt compte tenu des risques de contamination croisée qui, eux, avaient été mis en lumière assez tôt ? Pourquoi a-t-on remis en vigueur les trois critères de fabrication des farine (la température, la pression et la durée) alors que, précisément, elles ont été à nouveau obligatoires en 1996 --je le dis de mémoire-- que l'interdiction des farines animales sur l'alimentation bovine datait de 1990 et que l'on a su assez rapidement que, compte tenu du mode de fabrication des farines pour les différentes filières, il y avait des contaminations croisées assez faciles ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - D'une part, pour ce qui concerne ce que vous appelez les contaminations croisées, il existe toujours des risques. Il reste que, lors des contrôles que nous réalisons et des enquêtes qui ont pu être faites par la Brigade, on peut mettre en évidence certaines contaminations qui peuvent avoir lieu soit au moment du transport, soit, le cas échéant, chez l'éleveur, lorsque celui-ci dispose à la fois d'un atelier bovin et d'uns atelier porcin, pour ne prendre que cet exemple.

En tout cas, les données qui résultent des contrôles que nous avons effectués ne révèlent pas de contaminations croisées massives. Il a pu exister ce type de difficulté et nous avons pu parfois le mettre en évidence, mais cela n'a pas représenté, à ma connaissance, des volumes considérables.

L'autre partie de ma réponse concerne le traitement qui devait être appliqué à ces farines animales et qui visait à inactiver, une fois que l'on avait procédé au tri (puisqu'il convient d'abord de trier et d'éviter que n'entrent dans la chaîne alimentaire, y compris pour les animaux, des matériels à risques spécifiés ou toute autre matière contaminante), et à traiter ces farines. Cela s'est fait, en France --vous avez raison de le dire--, sur la base d'une décision nationale puis d'une décision communautaire. Par conséquent, il y avait là un double verrou.

En fait, ce verrou était triple avec

- le tri des déchets, en évitant de faire entrer dans la chaîne alimentaire, y compris animale, des matériels susceptibles d'être contaminants,

- la question du traitement visant à inactiver les éventuels tissus qui auraient pu encore contenir du prion,

- le contrôle de destination qui est lié à l'interdiction de l'utilisation de ces farines dans l'alimentation des animaux.

Sur la contamination croisée, comme je vous l'ai dit, à ma connaissance, il n'y avait pas de mise en évidence de contaminations massives, sachant que, par ailleurs, d'autres précautions ont été prises : le tri et le traitement.

M. le Rapporteur - Je me permets de vous interrompre. Entre 1990 et 1996, il s'est écoulé six ans pour retirer, dans un premier temps, les matériaux à risques spécifiés, effectivement, mais aussi pour remettre en vigueur les 133 degrés, les trois bars et les 20 minutes. Ce qui nous soucie, c'est qu'il a fallu six années pour réagir, entre 1990 et 1996.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Les connaissances que nous avions sur les procédés d'inactivation du prion et le fait que ces farines animales étaient bien à l'origine de la contamination des cheptels ne sont pas celles que nous avons aujourd'hui. Comme je l'ai indiqué en préambule, à la fin des années 80 et au début des années 90, nous avions des connaissances bien modestes par rapport à celles que nous avons aujourd'hui, qui sont encore des connaissances modestes par rapport à celles que nous aurons probablement demain.

Il est clair que, dès 1990, nous avons interdit l'utilisation de ces farines chez les bovins. Cela a été une mesure importante qui, précisément, visait à éviter la transmission possible de la maladie aux bovins, qui ne s'est jamais manifestée dans les autres espèces, les porcs ou les volailles.

En 1994, nous avons étendu cela --et ce fut aussi une décision communautaire-- à l'ensemble des ruminants et ce n'est qu'en 1996, lorsque l'ampleur du problème est devenue beaucoup plus importante et qu'il y a eu ces annonces du gouvernement britannique, que nous avons eu des recommandations du Comité Dormont. Elles consistaient à instaurer différents verrous de sécurité pour renforcer notre dispositif de protection à la fois de la santé des animaux mais aussi, et surtout, de la protection du consommateur, avec des mesures visant au tri, au traitement et au contrôle de la destination.

Voilà la manière dont la réglementation a évolué sur ce sujet.

M. le Président - Vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez les rapports de la Brigade d'enquête vétérinaire sur 1998 et non pas ceux de 1999 ni de 2000. Cela nous étonne beaucoup, parce que c'est quand même un sujet extrêmement important. Si vous n'avez pas le résultat des enquêtes de la Brigade nationale, cela me paraît curieux.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Cela dépend des résultats dont on parle. S'il s'agit des enquêtes épidémiologiques, ce que j'ai appelé les enquêtes alimentaires faites par la Brigade, j'ai le rapport jusqu'en 1999 mais je n'ai pas les éléments pour 2000. Je précise que ce sont des enquêtes très lourdes.

M. le Président - Vous avez donc ceux de 1999 et vous pourrez nous les communiquer.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Absolument. Je m'y suis engagée et cela ne me pose aucun problème.

En revanche, nous avons des résultats de contrôles effectués par nos services déconcentrés aux différentes étapes de la filière, c'est-à-dire de l'éleveur jusqu'au fabricant de farines animales pour détecter d'éventuelles non-conformités liées soit à des contaminations croisées, soit à des insuffisances dans le traitement de ces farines animales.

M. le Président - Donc vous nous les fournirez tout à l'heure.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Oui. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'anonymiserai ces éléments. Lorsque des constats de non-conformité ont été faits, j'en ferai une présentation statistique et donc anonyme.

M. le Président - Vous savez que la commission d'enquête a droit à tous les renseignements et qu'elle a besoin des noms. Il ne faut rien anonymiser. Nous vous les demandons tels quels. C'est dans notre mission et c'est notre rôle. Sinon, comment voulez-vous que nous procédions ? Nous ne pouvons pas faire un rapport évanescent.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Ce que je vous donne n'est pas évanescent mais extrêmement précis.

M. le Président - Donc vous laisserez les noms.

M. le Rapporteur - J'ai une dernière question : comment imaginez-vous rendre plus transparente, à la fois pour les éleveurs et les consommateurs, l'alimentation animale ? Je me doute que vous avez, au niveau de la DGAL, une idée bien précise sur la question et je voudrais donc connaître la position du ministère sur ce point.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Nous avons déjà conduit un certain nombre d'actions au cours des dernières années et nous avons beaucoup travaillé avec ce secteur en lien avec la maladie de la vache folle, mais aussi sur d'autres dossiers, pour augmenter la transparence et améliorer les pratiques professionnelles.

Je n'ai pas évoqué ce point puisque vous n'avez pas souhaité que je détaille la réglementation, mais nous avons élaboré un certain nombre de guides en étroite concertation entre mes services et les professionnels sur l'utilisation des matières premières en alimentation animale et sur la manière d'éviter les contaminations croisées en identifiant les postes dans lesquels il y avait des risques et donc en veillant à faire des recommandations aux professionnels dans ce sens.

Par ailleurs, comme vous le savez, des travaux communautaires ont été faits sur l'étiquetage et ils visent à compléter les mentions d'étiquetage afin de permettre aux éleveurs d'avoir une meilleure connaissance des matières qui ont été utilisées pour la fabrication des aliments qu'ils donnent à leurs animaux. Une position commune a récemment été adoptée sur ce sujet et elle va permettre de franchir une nouvelle étape dans l'amélioration de la transparence de cette filière.

M. le Rapporteur - C'est tout ce qui concerne ce qu'on appelle le livre blanc au niveau communautaire, si ma mémoire est bonne. La position du ministère français est-elle bien claire, justement, sur ce qu'on appelle la liste positive ? En effet, la Commission préconise plutôt la liste positive alors qu'au niveau du Conseil, on n'a pas tout à fait la même approche. Le ministère français est-il pour la liste positive ? Cela m'apparaîtrait beaucoup plus sain et beaucoup plus transparent en la matière.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous faites référence à une liste positive de matières premières que l'industrie serait autorisée à incorporer dans l'alimentation animale ?

M. le Rapporteur - Il s'agit d'une liste exhaustive de matières premières, sans autres ingrédients, alors que, de mémoire, le Conseil était plutôt favorable à une liste négative en disant  : "il est interdit d'utiliser telle ou telle chose". Il me semble que, tous les jours, cette liste négative peut être mis en défaut alors qu'une liste positive est plus coercitive, certes, mais beaucoup plus claire.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - La position que la France a défendue jusque là a consisté à dire que, sans rejeter fondamentalement l'idée d'une liste positive, ce n'était pas forcément la panacée et la solution à tous les problèmes. Certaines difficultés que nous avons rencontrées et qui sont liées à des contaminations dans l'alimentation animale montrent que, parfois, ces difficultés n'auraient pas du tout trouvé de réponse dans une liste positive puisque, par exemple, certains additifs qui nous ont posé des problèmes étaient autorisés. Ce n'est donc pas une réponse absolue.

Nous avons plutôt plaidé pour un dispositif qui visait à une bonne surveillance des opérateurs avec la mise en place d'un agrément systématique des opérateurs et des contrôles réguliers afin de s'assurer des matières premières qui sont utilisées, sachant que, par ailleurs --vous avez raison de le dire--, il est important qu'à chaque fois que nous avons connaissance du fait que telle ou telle matière première est susceptible de présenter un risque pour la santé des animaux et pour la santé humaine, on puisse interdire l'utilisation de ces matières premières dans l'alimentation des animaux. C'est ce que nous avons fait au fil des ans.

M. le Président - Très bien. Je donne la parole à M. Blanc.

M. Paul Blanc - Monsieur le Président, je souhaite poser quelques questions qui complètent ce qui vient d'être dit.

La première concerne ce que l'on appelle la traçabilité. Pour chaque cas d'ESB qui a été répertorié, le ministère est-il capable, aujourd'hui, de déterminer quels étaient le ou les fournisseurs de l'éleveur ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - C'est ce que j'indiquais tout à l'heure sur les enquêtes alimentaires.

M. Paul Blanc - Allez-vous jusqu'à voir cela pour chaque cas ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Chaque cas détecté, dans le cadre de ce que nous appelons notre système d'épidémio-surveillance, fait l'objet d'une enquête alimentaire beaucoup plus large avec un certain nombre de vérifications au cours des trois années. Ces enquêtes sont systématiques et, bien évidemment, nous arrivons à identifier, au cours des années précédentes, les opérateurs de l'alimentation animale qui ont pu livrer des aliments à cette exploitation.

Cela dit, pour aller plus loin dans la réponse à votre question, nous n'arrivons pas systématiquement à mettre en relation directe le fait qu'il soit apparu un cas d'ESB avec la consommation d'un aliment pour animaux. Ce sont des enquêtes extrêmement compliquées mais nous arrivons parfois à déceler que des aliments qui n'étaient pas destinés aux bovins ont pu leur être donnés, ce qui ne veut pas forcément dire que les aliments en question étaient contaminants, comme je l'ai indiqué tout à l'heure.

M. Paul Blanc - Je parle des fournisseurs.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Nous les identifions lorsque nous retrouvons les documents, mais l'obligation est très récente, pour l'éleveur, de conserver suffisamment longtemps un certain nombre de documents pour que nous puissions identifier l'ensemble des fournisseurs d'aliments pour animaux.

Maintenant, les éleveurs doivent conserver ces documents pendant une période de cinq ans, ce qui va faciliter notre travail.

M. Paul Blanc - En poussant l'enquête plus loin, êtes-vous arrivée à déterminer, pour ces aliments qui ont été donnés et qui auraient pu être contaminants, quel était l'impact des farines en provenance d'Angleterre ? Peut-on aller jusque là ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il faudrait que je vérifie cela à nouveau dans les rapports antérieurs à l'année 1997 (en effet, n'ayant pris mes responsabilités qu'au mois d'août de l'année dernière, je n'ai pas pris connaissance --vous m'en excuserez-- des rapports antérieurs à l'année 1997), sur une période qui aurait pu concerner des cas liés à des importations de farines britanniques. Je ne peux donc pas répondre aujourd'hui à cette question.

M. le Président - Mais vous pourrez nous faire parvenir une réponse.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je vous ferai parvenir une réponse sur ce point particulier, bien évidemment.

M. Georges Gruillot - Votre enquête, en fait, ne remonte qu'à trois ans.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il existait des rapports annuels de la Brigade. Je veux simplement dire que les rapports que j'ai avec moi et ceux dont j'ai pris connaissance sont postérieurs à 1997.

M. Georges Gruillot - A combien d'annéeS remonte l'enquête sur l'alimentation des étables où il y a eu des cas d'ESB ? Vous avez parlé de trois ans tout à l'heure.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Les enquêtes que nous menons à chaque fois que nous détectons un cas d'ESB nous permettent de remonter aussi loin que nous le souhaitons et, en particulier, jusqu'à la date de naissance de l'animal. Pour des enquêtes que nous avons réalisées en 1995, cela peut être des animaux qui sont nés en 1990, voire avant, puisque les animaux sont en moyenne âgés de cinq ans.

Les rapports que j'ai, moi, ne datent que de 1997, mais cela ne signifie pas qu'il n'y a pas eu des recherches auparavant sur des animaux nés bien antérieurement.

M. Georges Gruillot - Pour le cas que l'on a trouvé hier matin, vous pourrez remonter éventuellement à 1994 ou 1995 ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Oui, bien sûr.

M. Georges Gruillot - Quand on le peut, en fait.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Absolument. Lorsque nous disposons encore des documents et quand nous les retrouvons, nous les prenons bien évidemment en compte. Nous ne nous interdisons pas de remonter aussi loin que possible.

M. Paul Blanc - Une note de service de la DGAL du 11 septembre 1998 a prescrit des contrôles vétérinaires systématiques dans les unités de fabrication des aliments composés en vue de la recherche de contaminations croisées. Avez-vous le bilan de ces contrôles et, à la limite, ne pensez-vous pas qu'on aurait pu le prévoir plus tôt, puisque l'interdiction des farines pour les bovins date de juillet 1990 ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je n'ai pas à ma disposition les résultats de cette enquête.

M. le Président - Si vous voulez que votre collaboratrice s'exprime, elle peut le faire, bien sûr, puisque je lui ai fait prêter serment. Je comprends bien que vous ne pouvez pas avoir tout en tête. Il est donc tout à fait logique et normal que votre collaboratrice, si elle le souhaite, s'exprime directement.

Mme Bénédicte Herbinet - En ce qui concerne les contrôles effectués chez les fabricants d'aliments composés, une note de service conjointe entre la DGAL et la DGCCRF, qui avait été faite en 1996 à la suite d'une note précédente de 1990, prévoyait que ce contrôle relevait principalement des compétences de la DGCCRF. Par conséquent, les actions que nous avons faites nous-mêmes venaient en plus pour aider les DSV, qui se posaient des questions par rapport à ces problèmes de contamination et qui nous avaient sollicités pour savoir quelle conduite ils pouvaient tenir s'ils cherchaient à évaluer les possibilités de contamination des aliments pour ruminants par des farines animales, notamment chez les fabricants.

Il est clair que, puisque leur mission principale était plutôt de contrôler la mise en place des nouvelles règles en termes de déchets et de traitement des produits animaux, ils se sont rendus en priorité chez les équarrisseurs et je ne pense pas que l'on puisse considérer que tous les départements ont eu les moyens de faire une visite systématique. Ceux qui ont pu le faire nous ont fait remonter les éventuels problèmes qu'ils ont pu constater.

Nous avons donc récupéré des informations plutôt d'ordre qualitatif que quantitatif.

M. Paul Blanc - En clair, si j'ai bien compris, une note du 11 septembre 1998 a prescrit un certain nombre de contrôles mais elle n'a pas pu être appliquée dans tous les départements du fait d'une insuffisance de moyens.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Non pas du fait d'une insuffisance de moyens mais parce que les DSV ont mobilisé l'essentiel de leurs moyens sur ce qui relevait de leurs compétences premières et que cette action était en fait une action complémentaire de celle de la DGCCRF et visait à répondre à des sollicitations de certains départements.

Il est possible que certains départements aient apporté des réponses à cette sollicitation, mais on peut dire que, probablement, tous les départements n'ont pas répondu à cette sollicitation.

M. Paul Blanc - Il semble qu'il y ait effectivement beaucoup de notes de service et de circulaires. Pourriez-vous communiquer à la commission l'ensemble des notes de service ou circulaires éditées depuis 1988 à votre initiative concernant l'ESB ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous voulez l'ensemble des notes de service entre 1988 et 2000 ?

M. Paul Blanc - Oui.

M. le Président - On vous laisse le temps de les réunir. Nous savons bien que vous ne les avez pas sous le bras ni sous le coude. Vous comprendrez que, pour notre commission d'enquête, qui travaille jusqu'au mois de mai, il se pose des questions importantes et primordiales telles que celle qui vient d'être posée. En effet, c'est justement à partir du calendrier que nous essayons de comprendre comment les choses se sont passées et pourquoi elles se sont passées ainsi.

Cela n'accuse personne, et surtout pas vous, puisque vous n'étiez pas en poste.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Ce n'est pas du tout le problème.

M. le Président - En revanche, toutes ces notes qui ont pu être diffusées au fur et à mesure de l'évolution sont très importantes. Comme vous le disiez tout à l'heure, il est vrai qu'il est plus facile de juger aujourd'hui avec les connaissances que l'on a par rapport à des décisions qui étaient à prendre dix ou quinze ans auparavant. Nous comprenons parfaitement que ce n'est pas du tout la même chose, mais il s'agit justement de voir l'évolution. C'est ce que vous demande notre collègue Blanc et c'est extrêmement important.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous souhaitez donc avoir l'ensemble des notes de service relatives à tout ce qui a trait aux farines animales entre 1988 et aujourd'hui ?

M. Paul Blanc - C'est bien cela.

M. Jean-François Humbert - Avec l'autorisation de notre collègue Blanc, je souhaiterais compléter la demande par la production, depuis 1990 jusqu'en 1999, des fameux rapports dont vous nous avez dit être en possession en dehors de l'année 2000, ce qui est somme toute logique, puisque nos sommes au début de l'année 2001.

Avez-vous, dans vos services --et je pense que la réponse sera positive--, l'ensemble des rapports annuels auxquels nous avons fait allusion à plusieurs reprises et qui pourraient être un complément d'information très important pour la commission d'enquête ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Tout à fait. J'ai le sentiment de m'être déjà engagée à les transmettre.

M. Jean-François Humbert - On ne comprend pas toujours la première fois. Donc pardonnez-nous de vous poser plusieurs fois les mêmes questions.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je vous en prie.

M. Paul Blanc - Je poursuis mes questions. Votre direction avait-elle envisagé, parmi les mesures à prendre, l'interdiction totale des farines avant le 25 octobre 2000 ?

M. le Président - Tu veux dire avant le 14 novembre 2000 ?

M. Paul Blanc - Je le demande avant le 25 octobre 2000 car c'est plus pointu. Est-ce que c'était dans les tuyaux ? Est-ce que vous y pensiez ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il est difficile de vous répondre. Je peux vous dire que, pour ma part, j'y avais songé mais que je ne suis là que depuis le mois d'août 2000. Je peux indiquer aussi qu'il me semble, pour avoir eu l'occasion de tomber dessus, que quelques notes de réflexion internes à l'administration avaient pu envisager en effet cette solution.

M. le Président - Ce sont ces notes qui nous intéressent aussi.

M. Paul Blanc - Je voudrais compléter. Ce que vous dites là me paraît très important. Comme le dit le président, lorsque ces mesures ont été envisagées, n'y a--t-il pas eu quelques pressions de la part des industriels qui, eux, n'en voyaient pas la nécessité ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Pas à ma connaissance. Je tiens à vous rappeler aussi qu'en 1999, le ministre de l'agriculture a transmis à la Commission européenne un mémorandum sur cette question dans laquelle il recommandait l'interdiction des farines animales.

M. Paul Blanc - Si je ne me trompe pas, le ministre avait également parlé d'une éventuelle catastrophe écologique si l'on supprimait totalement ces farines.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il l'avait fait parce que, à l'époque, c'était l'appréciation que l'on avait. Après avoir travaillé sur cette question et approfondi la réflexion, certaines difficultés qui paraissaient insurmontables ont pu être levées. C'est une mesure qui n'était pas simple à mettre en oeuvre. La preuve en est qu'il a fallu mobiliser des moyens importants, comme vous le savez.

La Mission interministérielle pour l'élimination des farines est mobilisée et les conditions de stockage ne sont pas simples. Comme vous le savez, beaucoup de nos concitoyens ne souhaitent pas les avoir au proximité de chez eux.

M. le Président - Nous allons voir le préfet Proust après vous.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il pourra donc vous exposer tout cela. Tous ces éléments devaient être pris en compte dans la réflexion que les pouvoirs publics conduisaient sur ce sujet de l'interdiction des farines animales, sachant que, sur le plan sanitaire, beaucoup de mesures avaient déjà été prises pour en assurer un usage très restreint sur le tri, les traitements, etc.

Il ne s'agissait donc pas, a priori, de matériels ou de produits hautement dangereux.

M. Paul Blanc - Ma dernière question s'adresse plutôt à M Toussain, qui nous a parlé de farines de poisson : est-ce que, dans les farines de poisson, on peut utiliser de la viande et des os de bovins ?

M. Rémi Toussain - Je vous communiquerai la réponse par écrit car je ne le sais pas.

M. le Président - Je passe donc la parole à M. Humbert.

M. Jean-François Humbert - Pour me faire pardonner, madame, d'avoir osé poser la même question pour la deuxième fois, je vous en poserai une autre. Quels sont les types de rapports, en dehors de ceux que nous avons évoqués deux fois, qui sont en possession de vos services et, si d'autres rapports existent, êtes-vous en mesure et avez-vous la volonté de les communiquer, pour ceux qui existeraient depuis au moins 1990 ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - La réponse est oui, mais vous faites allusion à des rapports qui font état de quel type de données et d'informations ?

M. Jean-François Humbert - Je parle de rapports qui pourraient par exemple parler de la maladie de la vache folle et du lien entre cette maladie et les farines animales, d'un ensemble de rapports qui pourrait être en votre possession sur le sujet qui nous préoccupe. Sur le reste, bien évidemment, nous n'avons pas l'intention de savoir tout ce qui se passe chez vous. Ce n'est pas l'objet de cette commission d'enquête.

Vos services ont-ils entre les mains d'autres rapports que le rapport annuel que vous avez évoqué ? C'est une question tout à fait naïve. Il n'y a pas d'arrière-pensée de ma part ; j'essaie de savoir, tout simplement.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - La difficulté, c'est que vous comprendrez qu'entre 1988 et 2000, on a une masse de documents très importante qui ont concerné ces sujets. A ma connaissance, il n'y a pas eu de rapports spécifiques sur ce sujet.

Dans la salle . - Ce sont les notes de service.

M. Jean-François Humbert - Au-delà des notes de service et de ce fameux rapport annuel, une autre partie de votre administration produit-elle chaque année un rapport sur cette inquiétante question et non pas sur tous les sujets, bien évidemment ? Notre souci, comme le président vous l'a rappelé, est d'essayer de comprendre. Plus nous aurons d'éléments émanant de ceux qui suivent cela au quotidien depuis 1990, vous et d'autres, plus nous serons à même d'essayer de comprendre.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je peux vous transmettre en effet la totalité des notes de services qui ont été faites sur les farines animales ainsi que tous les rapports de la Brigade qui contiennent des enquêtes alimentaires. Je peux aussi, si vous le souhaitez, vous transmettre une note de synthèse qui rappelle la manière dont les pouvoirs publics ont procédé...

M. le Président - Nous aimerions autant les notes de service, c'est-à-dire les notes directes, plutôt qu'une note de synthèse que vous feriez, non pas par suspicion, bien au contraire, mais pour mieux comprendre comment les choses se sont passées. En effet, quand on visite un certain nombre de fabricants d'aliments du bétail, ils disent pour la plupart que, bien avant la décision de 1990 visant à interdire les farines animales pour l'alimentation des bovins, ils avaient supprimé l'addition de farines animales dans ces aliments.

A partir du moment où des professionnels disent --et on a tout lieu de les croire-- qu'ils ont d'eux-mêmes supprimé certains produits alors que la réglementation ne les incitait pas à le faire, comment se fait-il que la décision officielle ait été prise beaucoup plus tard ? Cela veut dire que tout le monde était au courant ou que tout le monde savait quelque chose dans les années 1987, 1988 ou 1989 alors que la décision n'a été prise qu'en 1990.

Il doit donc bien y avoir des notes de service qui parlent de cela puisque nous l'avons entendu sur le terrain. Vous comprenez pourquoi nous aurions besoin de comprendre, sachant que nous ne pouvons le faire que par ce qui s'est passé à travers des organismes et des services tels que le vôtre.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Il y a un malentendu sur ce qu'on entend par « notes de service ». Je pensais à des ordres de service, c'est-à-dire à des instructions envoyées à nos services déconcentrés alors que vous faites référence, vous, à des documents qui, par exemple, ont permis l'élaboration de la décision relative soit à l'importation, soit à l'interdiction des farines.

Je peux en effet retrouver ces documents. Ce sont des notes internes à l'administration ou des comptes-rendus de réunions que je peux vous transmettre, y compris l'avis qui avait été formulé par la Commission interministérielle et interprofessionnelle de l'alimentation animale, qui avait recommandé aux pouvoirs publics d'interdire l'utilisation des farines dans l'alimentation des ruminants et qui a débouché sur l'arrêté de 1990.

Je peux vous transmettre tous ces éléments, bien sûr.

M. le Président - On peut supposer aussi qu'il peut y avoir des lettres ou des notes d'un DSV de tel département qui, lui aussi, écrivait pour faire remonter ce qu'il observait sur le terrain. C'est cela qui nous intéresse.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je vous rappelle que le premier cas de vache folle, en France, date de 1991.

M. le Président - Le premier cas officiel, en effet, mais il a pu y avoir des observations. Je suppose que des DSV départementaux ont pu avoir des observations qu'ils ont fait remonter au niveau du service que vous dirigez. C'est cela que nous avons besoin de savoir.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je n'en ai pas connaissance.

M. le Président - Vous nous avez dit que vous n'étiez là que depuis le mois d'août 2000.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - C'est vrai, mais on a déjà porté à ma connaissance un certain nombre d'éléments puisque, sur cette question des farines animales, vous n'ignorez pas que des instructions judiciaires sont en cours. J'ai donc été amenée à répondre, notamment au juge d'Epinal, sur cette question et j'ai pris connaissance d'un certain nombre de documents. Je peux donc vous transmettre les documents auxquels j'ai fait référence.

M. le Président - Je passe la parole à Michel Souplet.

M. Michel Souplet - Ma question sera d'un ordre tout à fait différent et elle s'adresse plutôt à M. Toussain. Nous avons écouté tout à l'heure avec beaucoup d'intérêt les chiffres qu'il nous a proposés. Je me mets à la place des éleveurs qui sont inquiets et découragés. J'ai déjà dit il y a quelques mois qu'il y aura probablement plus de morts par suicide chez les éleveurs dans un an qu'il n'y aura eu de victimes de la vache folle. C'est malheureux mais ce n'est pas notre fait.

Aujourd'hui, nous aimerions avoir plus d'éléments sur les productions de substitution. Si j'ai bien compris votre exposé de tout à l'heure, monsieur Toussain, il faudrait que l'on puisse, en France, faire 250 000 hectares de pois protéagineux en plus ou bien du colza dans des conditions plus importantes en surface. Or, compte tenu des surfaces mises en jachère actuellement, il ne devrait pas être trop difficile de faire 240 000 hectares de plus.

Quant aux oléagineux, on est coincé par les accords de Blair House. Cependant, les accords de Blair House étant liés à des surfaces, est-on capable, sur le plan de la recherche, de sortir très rapidement des variétés nouvelles en oléagineux qui ne seraient plus des oléagineux à vocation alimentaire directe pour l'homme mais qui pourraient servir dans les apports de farines de complément ? Ce serait vraiment intéressant parce qu'on ne peut pas jouer sur les surfaces mais sur les rendements.

En revanche, pour les protéagineux, sachant que nous ne sommes pas liés par les surfaces, il ne me paraît pas impossible de produire 240 000 hectares. Malheureusement, les prix actuels des pois protéagineux n'encouragent pas les agriculteurs à en produire. Peut-on envisager des mesures qui permettent de faire très vite 250 000 hectares de production en plus ?

M. Rémi Toussain - Sur le plan purement quantitatif et mécanique, vous avez tout à fait raison concernant le pois. Il y a eu une désaffection à l'égard de cette production en raison de la diminution des soutiens communautaires, mais aussi pour un certain nombre d'autres raisons.

La principale solution va dans le sens d'un meilleur soutien communautaire, et on peut imaginer par ailleurs --mais c'est une spéculation-- que la substitution par des matières végétales va renchérir le coût des matières végétales, comme cela a été déjà observé, et que le marché lui-même soit aussi un élément de soutien supplémentaire. Il faut la combinaison des deux.

Cela ne se heurte pas, s'agissant du pois, à des manques de superficie ni à l'obstacle de Blair House. J'ai dit qu'il y avait une petite hésitation sur la possibilité de revenir à un soutien plus élevé parce qu'il a été également convenu à l'OMC --ce sont les fameuses « boîtes bleues »-- que l'on ne pouvait pas augmenter les soutiens pour un produit. Cela dit, sans entrer trop avant sur ce sujet que nous avons bien étudié, l'affaire est tellement floue que l'on doit pouvoir passer outre cette difficulté.

Il reste donc deux obstacles à surmonter qui vont de pair : une proposition de la Commission mettant elle-même en avant les difficultés budgétaires communautaires pour ne pas le faire tout de suite.

C'est la raison pour laquelle, comme je l'ai rappelé tout à l'heure peut-être trop rapidement, la délégation française insiste énormément sur l'urgence de ce point, et je précise que, dans les conclusions du Conseil, ce n'est pas par hasard qu'il est fait mention de ces éléments. Nous continuerons à le faire.

J'ajoute, toujours pour le pois, que, dès à présent, au niveau national, un soutien à la recherche de 25 MF va être mis en oeuvre dès cette année pour améliorer ses qualités diététiques. Il comporte en effet un certain nombre d'obstacles nutritionnels et de problèmes de résistance aux maladies que l'on va essayer de lever par un programme triennal de recherche spécifique, en complément de ce qu'il faut obtenir à Bruxelles et/ou du fait du marché.

Voilà ce que je peux dire pour le pois.

Pour ce qui est des oléagineux, on retrouve bien sûr les contraintes budgétaires que j'ai indiquées, mais on est surtout devant la difficulté que tant que perdure l'accord de Blair House, qui est lui-même lié à l'accord de l'OMC, ce qui en fait une affaire lourde, soit on en sort par une évolution de la réglementation -c'était l'idée de la Commission-- vers l'aide unique (mais on voit les effets pénalisant qu'elle aurait sur les surfaces), soit on recrée une aide spécifique, c'est-à-dire qu'en réalité, on revient sur l'Agenda 2000 afin de remonter les aides, auquel cas on retombe complètement dans Blair House, c'est-à-dire dans les contraintes de surfaces.

Effectivement, il serait alors possible de jouer sur l'amélioration des rendements et de saturer pleinement la production destinée à l'éthanol, ce qui a comme effet induit la production de tourteaux. Bref, dans ce cadre, il s'agirait d'essayer d'exploiter pleinement, ce qui donne un peu de marge, même si on ne le ferait pas autant que les chiffres que j'ai indiqués tout à l'heure.

Je n'oublie pas non plus les fourrages déshydratés qui peuvent être également un élément de complément.

Voilà ce que je peux vous répondre, monsieur le Sénateur.

M. Gérard Miquel - Ma question sera très courte. Elle concerne le système de contrôle que nous avons en France. Je sais qu'il est parmi l'un des meilleurs au niveau européen, mais ne pourrions-nous pas l'améliorer en lui donnant plus d'efficacité et en regroupant ou en faisant collaborer plus étroitement les services vétérinaires, la DCCRF et les Directions départementales de l'action sanitaire et sociale ?

Nos commerçants, nos boulangers et nos bouchers sont contrôlés par ces trois services et, dans la même semaine, ils peuvent voir arriver trois contrôleurs des services de l'Etat. Je trouve qu'il y a là une perte d'efficacité et que, probablement, nous aurions intérêt à réorganiser tout cela pour être plus performants.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Sur ces questions de farines animales, comme je l'ai indiqué à plusieurs reprises, la Direction générale de l'alimentation et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes sont en effet compétentes, ainsi que leurs services extérieurs.

Comme je vous l'ai indiqué aussi, nous collaborons et des plans d'action conjoints sont mis en oeuvre précisément pour éviter ces doublons. En effet, les moyens de l'Etat ne nous permettent pas de visiter deux fois le même établissement pour les mêmes sujets. Nos actions sont donc complémentaires et, comme vous le verrez dans les notes de service que je vous transmettrai, certains de ces documents sont des notes de service conjointes de la DGAL et de la DGCCRF et il y a une répartition précise des tâches des contrôleurs, certains étant affectés à des tâches liées plutôt au contrôle documentaire et d'autres plutôt au contrôle physique. C'est la première réponse que je ferai sur ce point spécifique des farines animales.

D'une manière plus générale, en matière de sécurité des aliments, les services de l'Etat coordonnent leur action de différentes manières. Nous avons tout d'abord des plans de surveillance et de contrôle que nous coordonnons et sur lesquels nous nous mettons d'accord. Nous avons des réunions régulières et, chaque année, nous adoptons des programmes de contrôle et de surveillance coordonnés. Nous venons, par exemple, de valider ensemble les programmes concernant l'année 2001.

Au niveau déconcentré, nous avons aussi des pôles de sécurité des aliments qui sont mis en place sous l'autorité des préfets et qui voient collaborer le directeur des services vétérinaires, le DDCCRF et le DDASS de telle sorte que l'action des services sur le terrain soit aussi concertée que nous le souhaitons.

Voilà la réponse que je peux vous faire. Nous sommes en collaboration et il y a suffisamment de travail pour tout le monde.

M. François Marc - Bien entendu, madame, j'ai bien compris vos arguments lorsque vous dites que c'est en fonction des informations scientifiques disponibles que l'administration a pris ses dispositions. Quand on peut comparer ce qui a été fait en France et dans les autres pays européens, on a le sentiment que nous n'étions pas à la traîne par rapport aux dispositions à prendre. La plupart des entreprises nous disent d'ailleurs qu'elles ont appliqué la réglementation, si bien que nous pouvons avoir un petit sentiment de frustration --je rejoins ce qu'a dit notre rapporteur tout à l'heure-- quand nous entendons les entreprises.

Pour autant, une entreprise nous a dit la semaine dernière : « dès 1989, nous avons eu des doutes. Nous avons importé deux bateaux de farines irlandaises et, du fait des doutes et interrogations que nous avions, nous avons cessé immédiatement toutes ces importations, et nous n'avons pas pratiqué, depuis, ce genre d'approvisionnement, même si cela nous a coûté plus cher ».

A mon sens, c'est l'élément important. D'autres ont continué à importer et ont pu, de ce fait, bénéficier de marchandises à bas prix et mettre en oeuvre des politiques agressives en matière de tarifs, ce qui explique que nous ayons aujourd'hui un certain nombre d'éleveurs qui ont fait du « zapping » pendant les dernières années du fait des guerres des prix en matière d'aliments du bétail.

Si j'ai bien compris, certaines bêtes qui ont été testées positives avaient même eu des aliments venant de plusieurs fournisseurs.

Ma question est donc la suivante : disposez-vous d'informations précises sur les politiques agressives de prix des entreprises durant les années passées en ce qui concerne les aliments du bétail ? Il est clair qu'à cet égard, il y a une suspicion à l'égard de ceux qui auraient eu ces politiques agressives de prix. Ceux qui ont été honnêtes n'ont pas changé leurs prix alors que l'on peut imaginer que les autres, même s'ils étaient en accord avec la réglementation, n'ont pas suivi tous les principes de précaution nécessaires.

En ce qui concerne les éleveurs, pouvez-vous nous confirmer que, sur un certain nombre de cas positifs, des éleveurs avaient plusieurs fournisseurs d'aliments concernés dans l'enquête qui a été menée ? Avez-vous des informations sur ces points précis et sur la stratégie de prix des entreprises ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Sur la politique de prix, nous avons eu connaissance (c'est en tout cas ce que reflètent les quelques documents que je mettrai en votre possession), au moment où les décisions ont été prises, du fait que le prix des farines importées du Royaume-Uni avait considérablement baissé, après quoi, de manière plus générale, le prix de ces farines animales a connu une évolution. Nous en avons eu connaissance, effectivement, mais, s'agissant du prix des farines animales en France, ce n'était pas un élément à prendre nécessairement en compte dans le cadre d'une politique sanitaire.

Il s'agissait de faire une évaluation du risque et de prendre en compte les données scientifiques qui permettaient de savoir s'il y avait ou non un risque à utiliser ces farines et donc, ensuite, s'il fallait les interdire ou non.

C'est ce qui a été fait en France relativement tôt, même si on peut toujours en discuter, sur la base d'un avis qui a été rendu, si j'ai bonne mémoire, en juin 1990, sachant que l'arrêté date de juillet 1990. Voilà l'élément que je peux porter à votre connaissance en vous apportant les pièces que j'ai eues moi-même à disposition sur cette question.

J'en profite, si vous le permettez, monsieur le Président, pour dire que je n'ai pas répondu à la totalité de M. Bizet tout à l'heure concernant le traitement. Il a en effet indiqué que la France avait attendu 1996 pour mettre en place un traitement efficace des farines et je voudrais donc apporter un complément d'information sur ce point.

Un traitement visant à inactiver un certain nombre d'agents dans l'alimentation des animaux avait été déjà imposé par un arrêté en 1991. Il ne concernait pas forcément le prion parce qu'on ne connaissait pas les traitements permettant l'inactivation de cet agent non conventionnel. Cet arrêté a été complété, dès 1994, pour prendre en compte, précisément, cette question du risque lié à l'ESB.

Ensuite, nous avons été amenés à nous mettre en conformité avec la réglementation communautaire, sachant que, comme vous le savez, dès 1996, la France a beaucoup plaidé au niveau européen pour que, certes, on travaille sur cette question du traitement, et donc que l'on renforce les exigences sur le traitement, mais que l'on prenne aussi en compte cette exigence qui nous avait été recommandée par le Comité Dormont et qui concernait le tri sélectif des matières premières entrant dans l'information.

Le traitement est une bonne chose, mais il n'est pas suffisant. Il fallait aussi écarter de la chaîne alimentaire un certain nombre de tissus susceptibles d'être contaminants.

Pour répondre à votre deuxième question, dans la mesure où je vais vous transmettre les rapports complets, je suppose qu'il a pu y avoir, pour certains cas, plusieurs fournisseurs d'aliments. C'est possible.

M. le Rapporteur - La question de notre collègue Marc est très claire et il nous faudra malgré tout des noms, si je puis dire. Il est vrai que le raccourci intellectuel est très simple à faire. A partir du moment où un opérateur fait du dumping sur un produit, on voit bien d'où cela peut venir. Par conséquent, à mon avis, le rôle de cette commission d'enquête est de souligner un certain nombre de noms d'opérateurs.

Je souhaiterais revenir sur un point. Il y a quelque temps, nous avons auditionné le professeur Gérard Pascal, président du Comité scientifique directeur européen, qui nous a avoué que ce n'est qu'en 1992 qu'a été interdite l'incorporation de certains abats dans la fabrication de pots pour bébés, notamment de cervelle. Avez-vous eu vous-même, au niveau de la DGAL, quelques notes d'information sur ce point précis ? Je vous le demande parce que, a posteriori, on trouve qu'une information de ce type est fondamentale compte tenu du risque pour les générations qui vont suivre. Avez-vous eu des notes de service ou d'information sur ce point ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je ne pourrai pas vous faire une réponse très complète sur ce point.

M. le Rapporteur - Il s'agit du mois d'août 1992. C'est très précis.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je dirai simplement qu'au début des années 90,on n'avait pas les connaissances que l'on a aujourd'hui et qu'en effet, s'agissant de l'incorporation de certains tissus et organes, notamment la cervelle, dans l'alimentation humaine, on n'avait pas les doutes que l'on a aujourd'hui sur la possibilité de transmission de la maladie à l'homme.

M. le Rapporteur - Je le comprends bien, mais vous avez certainement dû avoir des notes émanant de ce Comité scientifique directeur ou d'autres sources vous informant de cette suppression à partir de 1992. La commission pourrait-elle obtenir ces notes ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je ferai une recherche. En effet, si le Comité scientifique directeur de l'époque nous a transmis des éléments sur ce sujet, nous avons dû les garder. Je ferai donc une recherche et si je retrouve ces avis, je vous les transmettrai pour que vous puissiez établir la chronologie de ces faits.

M. Jean-Marc Pastor - Dans le prolongement de la question de mon collègue Bizet, auriez-vous également des notes par rapport au comportement de la France qui, depuis une dizaine d'années, au niveau européen, a tenté d'y voir plus clair dans ce problème ? Il faudrait que nous puissions avoir, dans les deux sens, un certain nombre d'échanges qui permettent aux uns et aux autres de clarifier l'évolution de cette interrogation. Cela existe-t-il et sous quelle forme peut-on le retrouver ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous avez raison de souligner que les travaux d'harmonisation communautaire ont été difficiles sur cette question. Les décisions communautaires importantes datent de la moitié des années 90 et, pour ne citer qu'un exemple, l'adoption d'une liste communautaire de matériels à risques spécifiés date de l'année dernière et n'est entrée en vigueur dans la plupart des Etats-membres qu'au mois d'octobre 2000 alors que notre première liste, en France, date de 1996.

En effet, il a été difficile de progresser sur ces questions au niveau communautaire, certains pays considérant que ce risque ne les concernait absolument pas. La France, à cet égard, a fait preuve d'une attitude beaucoup plus précautionneuse, si je puis dire.

M. le Président - Je vais vous poser une dernière question. Les autorités françaises ont étendu l'interdiction des farines animales anglaises aux farines irlandaises dès le 15 décembre 1989. Pour quelle raison a-t-on levé cette interdiction à partir du 17 mars 1993 et quelle a été l'évolution des importations en provenance de l'Irlande à partir de cette date ? Avez-vous connaissance de cas où les farines irlandaises se sont avérées, après enquête, être finalement des farines anglaises ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je pense qu'il serait plus utile de poser la deuxième partie de votre question à la Direction générale des douanes et des droits indirects, car je vais avoir des difficultés pour y répondre.

En revanche, pour la première partie de votre question concernant la levée des mesures au début de l'année 1993 pour la République d'Irlande, je considère, compte tenu des éléments que j'ai eus à ma connaissance, que c'est probablement l'évolution du contexte européen qui a amené la France à prendre cette décision. Comme je vous l'ai indiqué, il s'agissait du marché unique et les décisions communautaires qui commençaient à être prises concernaient exclusivement le Royaume-Uni et non pas la République d'Irlande. C'est probablement ce contexte qui a conduit les autorités françaises à lever la mesure d'interdiction concernant l'Irlande.

M. le Président - En fait, qui a pris cette décision ? Si vous ne le savez pas, ce que je comprends très bien, vous chercherez la réponse et vous nous la donnerez. C'est important.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je vérifierai. Je ne peux pas répondre à cette question aujourd'hui mais je vous apporterai la réponse par écrit.

M. le Président - M. Humbert a encore une question à vous poser.

M. Jean-François Humbert - J'ai lu dans Le Monde hier ou avant-hier un article, avec un tableau à l'appui, qui fait part de statistiques françaises comparées à des statistiques belges en matière d'importation, et j'ai lu avec stupéfaction que le delta est minime puisqu'il porte sur 22 millions de tonnes entre les statistiques belges et les statistiques françaises. Vous allez me dire qu'il faut poser la question à la Direction des douanes, mais pensez-vous que ce genre de chose soit possible et, selon vous, derrière ce type de chiffre, y a-t-il la « révélation » de quelques fraudes, en matière de transit, de ces farines interdites ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Je n'ai pas connaissance d'éléments qui me permettraient de répondre précisément à votre question. C'est une question, comme vous l'avez très justement dit, qu'il faut poser à la DGDDI.

M. Jean-François Humbert - A propos de la DGDDI, les mesures d'interdiction qui ont été prises n'ont de valeur que si elles sont suivies d'effet et si des contrôles sont effectués. Avez-vous eu des réunions communes pour faire un point, régulier ou non, avec les services des Douanes et, si ces réunions ont eu lieu, ont-elles fait l'objet de comptes-rendus et de rapports ? S'ils existent, ces rapports seraient-ils disponibles ?

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Vous parlez de la période antérieure à la réalisation du marché unique, au moment où les services vétérinaires et les Douanes faisaient des contrôles systématiques à l'importation de ces farines ?

M. Jean-François Humbert - Je pense aussi qu'il y a peut-être eu --je n'affirme rien-- des importations frauduleuses et que, bien que cela ne concerne pas le service de la Direction générale de l'alimentation mais celui des Douanes, vous avez peut-être été appelés à en parler entre vous pour vous tenir informés de ces difficultés.

Il ne s'agirait pas que, d'un côté, des services du ministère de l'agriculture fassent des efforts considérables pour essayer de faire prendre les bonnes mesures et que, d'un autre côté, du fait d'un cloisonnement d'un autre service important de l'Etat, celui qui est chargé de veiller au respect des interdictions sur le terrain, un manque d'information entre vous conduise à la négation des décisions prises. Vous avez sans doute eu des réunions de travail avec les Douanes et ces réunions ont dû faire au minimum l'objet de comptes-rendus. S'ils existent, je souhaiterais qu'ils puissent être transmis à la commission.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Si vous m'y autorisez, monsieur le Président, je propose que ma collaboratrice réponde à cette question.

Mme Bénédicte Herbinet - Pour un certain nombre de mesures que nous avons prises, il s'agissait d'arrêtés cosignés par le secrétariat d'Etat au budget dans lesquels la DGDDI était étroitement associée, et des réunions ont pu avoir lieu sur les projets d'arrêtés qui étaient proposés, en général, soit par la DGAL, soit par la DGCCRF, pour discuter de leur contenu et de leur champ d'application par rapport à des produits venant d'autres Etats-membres ou de pays tiers.

Pour l'arrêté du 14 novembre dernier, par exemple, nous avons eu une réunion dans le cadre du SGCI pour discuter de son champ d'application et, par la suite, la DGDDI nous a envoyé un bilan établi de façon hebdomadaire sur les contrôles qui avaient suscité des observations concernant des farines animales ou des aliments pour animaux qui pouvaient être concernés par cet arrêté.

Voilà un exemple concret des échanges que nous avons pu avoir dans le cadre de ces mesures.

M. le Président - Il y a donc eu des comptes-rendus. Nous sommes toujours dans la même démarche : nous souhaiterions les avoir au fil des années.

M. Jean-François Humbert - Le marché unique ne peut en aucun cas lever l'interdiction qui était décrétée par ailleurs. Il ne s'agit pas seulement de la période précédant le marché unique ou sa mise en oeuvre en 1993 ; il s'agit de l'ensemble de la période jusqu'à l'interdiction définitive du 14 novembre dernier.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Sachez quand même que les contrôles ne sont pas systématiques à l'importation depuis la mise en oeuvre du marché unique. Je tenais simplement à le souligner.

M. Jean-François Humbert - Ils ont quand même coincé le soigneur d'une certaine équipe à la frontière belge. Peut-être la Douane a-t-elle donc aussi, en matière de farines, quelques informations à nous donner et qu'elle a évoquées avec vous.

M. le Rapporteur - C'est tout à fait vrai, mais entre 1993 et 1996, pour reprendre simplement cette période dont le journal Le Monde fait état, la France déclare importer beaucoup plus de farines animales que la Belgique ne déclare en exporter et le delta est effectivement de 30 000 tonnes. C'est assez curieux, au-delà de la notion de libre circulation qui date de 1993. Nous voudrions donc comprendre.

Mme Catherine Geslain-Lanéelle - Nous vous donnerons tous les éléments que nous possédons sur ce point.

M. le Président - Nous avons fait le tour de la question pour ce qui vous concerne et nous vous remercions, mesdames et messieurs. Nous attendons donc les documents que nous vous avons demandés, du moins tous ceux que vous pourrez retrouver, et nous vous demandons absolument de nous les faire parvenir. Merci de votre participation à cette commission.

On me dit que si on pouvait les avoir dans le mois qui vient, disons pour le 15 février, ce serait une bonne chose parce que nous en avons besoin pour la rédaction du rapport. Merci.

Audition de M. Jean-Paul PROUST,
Préfet chargé de la mission interministérielle
pour l'élimination des farines animales (MIEFA)

(17 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur le Préfet Jean-Paul Proust, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle à l'ensemble de nos collègues que vous êtes ici comme préfet chargé de la mission interministérielle pour l'élimination des farines animales.

Vous savez que vous êtes entendu --ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre--dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, une commission d'enquête du Sénat, et qu'à ce titre, je me dois de vous rappeler les directives et de vous demander de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Proust.

M. le Président - Je vais vous demander dans un premier temps de nous parler de la mission qui vous est confiée et de la manière dont vous avez essayé de traiter les problèmes, après quoi nous passerons aux questions que mes collègues seront à même de vous poser. Vous avez la parole.

M. Jean-Paul Proust - Merci, monsieur le Président. Monsieur le Président, messieurs les Sénateurs, je vais essayer rapidement de dire où nous en sommes dans l'exécution de la mission qui m'a été confiée le 14 novembre 2000 et qui a été mise en place quelques jours plus tard, il y a donc un peu moins de deux mois.

Le problème qui était posé avait trait à la fois à l'urgence immédiate et, évidemment, à moyen terme, à l'élimination de ces graisses et farines animales.

On conçoit bien que ce soit un problème d'urgence immédiate puisque, du fait de la décision de suspension de l'utilisation des farines animales pour la consommation animale, tout le débouché des équarrisseurs se trouvait interrompu, ce qui voulait dire qu'en amont, il y avait un risque d'arrêt du ramassage des déchets.

Je rappelle simplement, pour avoir quelques ordres de grandeur, que les déchets crus qui sortent des abattoirs et des boucheries représentent à peu près 3 300 000 tonnes d'un produit dont, aujourd'hui, environ 800 000 tonnes sont saisies et vont au service public de l'équarrissage et dont 2 500 000 tonnes allaient vers ces productions qui étaient commercialisées par les équarrisseurs.

Ces 2 500 000 tonnes de déchets crus ont évidemment une durée de quelques jours au maximum puisque ce sont des produits éminemment périssables. En quelques jours, on risquait donc d'avoir une asphyxie de toute la filière.

L'objectif immédiat était, dans les meilleurs délais, d'assurer la continuité du fonctionnement de la filière en permettant aux équarrisseurs de continuer à ramasser des déchets dans les abattoirs et donc à produire de la farine et des graisses, c'est-à-dire de stocker provisoirement ces farines et ces graisses et de trouver des lieux de stockage.

C'était la première urgence.

Où en sommes nous pour ce premier aspect de la mission ? Je dirai tout d'abord qu'un accord a été trouvé avec les professionnels. Il se traduit par un décret du 1 er décembre 2000 qui prévoit les conditions d'indemnisation pour la production de ces graisses et farines. Il s'agissait essentiellement, dans l'urgence, plutôt d'une indemnisation qu'autre chose (c'était une solution provisoire et je vous dirai tout à l'heure qu'un nouveau décret est en cours de préparation) puisque, du fait d'une décision gouvernementale, une activité industrielle et commerciale se retrouvait sans possibilité de débouchés.

Le critère qui a été retenu, au demeurant plus avantageux pour l'Etat que celui qui avait été envisagé et qui consistait à copier le service public de l'équarrissage, était la photographie du marché de toutes ces productions avant le 14 novembre, c'est-à-dire dans le mois qui a précédé cette interdiction. C'est cette photographie la plus précise possible qui a permis d'établir un barème d'indemnisations.

Il fallait évidemment, dans le même temps, trouver des lieux de stockage. Cela n'a pas été la partie la plus facile. En effet, même si ce produit ne présente en soi aucun danger particulier, il est entouré de toute une diabolisation qui fait que personne ne souhaite --et on peut le comprendre-- voir s'installer dans sa commune de tels lieux de stockage.

Nous avons donc eu quelques difficultés. Les préfets ont recensé tous les lieux de stockage possible et nous avons fixé un cahier des prescriptions spéciales qui devaient s'imposer à tout stockeur qui accepterait de stocker des farines animales ou des graisses.

Ce cahier des charges est plus sévère encore que celui qui avait été établi pour le service public de l'équarrissage. Il prévoit --j'en ai un exemplaire ici que je pourrai laisser à la commission-- toute une série de dispositions techniques. Il faut que les lieux de stockage soient couverts, qu'il y ait des dalles pour empêcher toute infiltration dans le sol, qu'il y ait une bouche d'incendie pour permettre l'intervention des sapeurs-pompiers en cas d'échauffement du produit. Il faut aussi respecter toute une série de règles de manutention. Je ne les lis pas toutes, sachant que je peux laisser le document à la commission.

Les préfets ont recensé environ 150 à 200 lieux de stockage pour en retenir finalement un nombre limité. En effet, on s'est efforcé au maximum de retenir les lieux de stockage les plus éloignés possible des habitations. De toute façon, la règle était de ne pas retenir des lieux à moins de 150 mètres d'habitation mais, dans la réalité, on recommandait aux préfets de rechercher encore plus loin si possible, non pas, là encore, du fait d'un danger immédiat mais parce qu'il est vrai qu'il peut y avoir des nuisances : si le stockage n'est pas bien entretenu, les odeurs que cela dégage sont désagréables pour le voisinage et le trafic de poids lourds est tout à fait nuisant pour un voisinage immédiat.

En définitive, nous avons retenu dix-huit sites de stockage qui ont fait l'objet d'une publication le 20 décembre et qui représentaient 270 000 tonnes. J'en parle déjà au passé puisque deux de ces sites ont été abandonnés depuis et que deux nouveaux sites, qui ont de beaucoup plus grandes capacités, sont en cours de discussion. L'un est prévu dans les zones industrielles du Havre, à plusieurs kilomètres de la première habitation et dans des lieux où il y a des stockages très importants et où l'impact sera donc marginal sur l'environnement ; l'autre est prévu dans la Marne.

Au total, la capacité actuelle de ces sites devrait être de l'ordre de 400 000 tonnes. Cela devrait nous permettre de répondre aux besoins jusqu'à la fin de 2001.

Bien entendu, ce stockage est un pis-aller, l'objectif n'étant bien évidemment pas de stocker. Nous souhaitons stocker le moins longtemps possible. L'objectif est de trouver un nouveau débouché à ces produits.

J'ai oublié de dire que nous avions retenu quatre sites pour les graisses. Pour les graisses, les choses vont vite et je pense que l'Etat pourra se désengager du problème des graisses dans les deux mois qui viennent. Je vous rappelle que les déchets crus, par an, font environ 700 000 tonnes de farine et 300 000 tonnes de graisses.

Les graisses sont un produit très proche, dans ses caractéristiques, du fuel lourd. Le fuel lourd était à 1 700 F la tonne et il est retombé à 1 400 F la tonne, mais c'est un produit qui se paie. Moyennant des aménagements relativement simples, les industriels peuvent substituer la graisses au fuel lourd. Ce produit, au départ, coûtait environ 700 F la tonne mais il peut aujourd'hui partir à 0 F et nous commençons même à recevoir des offres positives de 200 F la tonne.

A partir de là, le texte qui est en cours de préparation va supprimer toute aide à l'incinération des graisses et nous allons laisser les industriels commercialiser normalement ces graisses sans que l'Etat ait besoin de les stocker. Je pense que, dans les deux ou trois mois qui viennent, nous allons pouvoir résilier nos contrats sur le stockage des graisses sur les quatre lieux où nous les avons passés.

Pour les graisses, par conséquent, les choses sont allées vite. Ce sera un peu plus long pour les farines. En effet, comment les choses se présentent-elles ?

Tout d'abord, il y a une nouvelle donne : pourrait-on éliminer directement les déchets crus ? Est-on obligé de continuer à fabriquer de la farine ? Ce sont des questions que l'on peut se poser.

Une étude a été faite par un bureau d'études à la demande de l'ADEME. Il s'agit d'un inventaire de tout ce qui est fait en France et à l'étranger pour utiliser directement les déchets crus d'origine animale. On dispose actuellement d'un certain nombre de recherches qui sont intéressantes mais il n'y a pas encore aujourd'hui de procédé industriel en vraie grandeur qui utilise les déchets crus. Nous allons encourager toutes ces recherches parce qu'il est bien évident qu'à terme, on peut se demander s'il n'y aurait pas moyen de les utiliser plus directement, mais, aujourd'hui, on ne peut pas l'envisager ou, du moins, cela ne réduirait pas suffisamment nos stocks.

Nous sommes donc encore obligés, pendant un certain temps, hélas, de passer par la farine.

Quant à l'utilisation de la farine, elle doit bien évidemment se faire sans prendre le moindre risque, ni pour la santé, ni pour l'environnement. Cela limite beaucoup de possibilités d'emploi. Par exemple, théoriquement --ce n'est d'ailleurs pas interdit mais on ne veut pas le faire-- on pourrait utiliser ces produits azotés pour faire un engrais d'excellente qualité. Cependant, nous ne souhaitons pas le faire, du moins dans le contexte actuel, tant que toute garantie scientifique n'aura pas été donnée.

On a parlé d'autres procédés. Là aussi, aujourd'hui, nous n'en connaissons pas, en dehors de la filière énergétique, qui puissent consommer ces produits à un niveau industriel. On a parlé notamment de la possibilité de faire des matériaux avec du phénol. Tout cela mérite d'être examiné et expertisé mais, aujourd'hui, il n'y a pas de procédés industriels qui nous soient présentés même si, là encore, nous souhaitons les encourager. Nous ferons des appels à projets et nous aiderons les projets que les experts nous auront signalés comme intéressants ou susceptibles de déboucher, dans quelques années, sur d'autres usages plus valorisants.

De toute façon, tout ce qui diversifiera la demande de farines ira dans le bon sens puisque notre problème, comme pour la graisse, est de recréer un nouveau marché pour permettre à l'Etat de se désengager. Même cette farine a une valeur positive puisqu'elle a un certain nombre de caractéristiques, notamment pour faire de l'énergie, qui sont très positives.

Pour l'instant, la seule voie importante qui peut nous permettre d'espérer de consommer de gros tonnages rapidement est la filière énergétique, c'est-à-dire la production de vapeur, de chaleur et d'électricité.

Où en sommes-nous dans la recherche des débouchés et dans l'émergence d'un nouveau marché ? Il y a bien sûr les cimentiers qui avaient, bien sûr, déjà commencé puisqu'il ont brûlé l'an dernier 205 000 tonnes de farines, dont 180 000 tonnes venaient de l'équarrissage, et ils ont commencé à prendre celles du 14 novembre, si je puis m'exprimer ainsi, mais en petites quantités.

Ils devraient passer progressivement, au cours de l'année 2001, de 200 000 tonnes à un rythme annuel de 450 000 tonnes. C'est important. Je rappelle en effet que, pour l'instant, sachant qu'il y a des appels d'offres, les cimentiers demandent une prime de 400 F la tonne pour brûler ces farines. Cette année, j'aurai besoin des cimentiers mais j'espère que nous n'en serons pas toujours dépendants et que le marché de l'utilisation des farines, qui va se développer, permettra, comme pour les graisses, de passer de 400 à 300 puis à 0 F.

Quels sont les autres utilisateurs potentiels ?

Il y a les Charbonnages, avec leur filiale électrique, la Société nationale d'électricité et de thermique (SNET), qui sont intéressés. La SNET va faire un essai en vrai grandeur sur 10 000 tonnes, dans les semaines qui viennent, à Hornaing, dans le Nord, et nous verrons si ces essais sont concluants, surtout quant à l'analyse de tous les rejets dans l'atmosphère et la question des cendres. En fait, tout laisse à penser que les farines seront moins polluantes que le charbon ou le pétrole.. En effet, contrairement a ce qu'on a dit, si elles sont brûlées à un degré élevé dans des chaudières adaptées, il n'y a pas du tout de dioxine.

Nous allons donc voir cela en vraie grandeur, ce qui n'est pas possible avec les cimentiers puisque tout reste avec le mélange brûlé. En l'occurrence, en vraie grandeur, on va pouvoir faire toutes les mesures sur les rejets dans l'atmosphère et sur les cendres. Tout laisse à penser qu'elles devraient être positives, mais attendons de voir les essais. En tout cas, si elles étaient positives, les Charbonnages pourraient utiliser, dans trois centrales thermiques, de la farine mélangée au charbon : il y aurait au maximum 10 % de farine et 90 % de charbon, mais cela ferait quand même 100 000 à 150 000 tonnes de farines.

Toujours dans la voie des combustibles, nous avons une autre piste intéressante par le biais d'une filiale conjointe de Total et des Charbonnages qui s'appelle Agglocentre et qui est située à Montceau-les-Mines, en Saône-et-Loire. Agglocentre a un procédé, qui est en passe de devenir industriel (il va faire un essai la semaine prochaine sur 4 000 tonnes), de fabrication d'un combustible à base de 80 % de farines et 20 % de poudres de charbon, procédé qui a été validé par les experts de l'ADEME, de l'ANVAR, etc.

Il est intéressant parce qu'il permet d'avoir un produit stabilisé pour le stockage. Il se présente comme du charbon en granulat, il est complètement inerte et sans aucune odeur et il a une capacité calorifique intéressante : un jeu entre les molécules de charbon et de farines dégage une excellente capacité calorifique.

Les essais en vraie grandeur vont être faits et CDF, filiale des Charbonnages pour la commercialisation du charbon, se chargerait de commercialiser ce nouveau combustible qui pourrait assez rapidement consommer 100 000 tonnes de farine si, là aussi, les essais sont concluants.

Nous sommes également en contact avec une série de grands consommateurs d'énergie. Je les cite simplement mais comme rien n'est conclu, je ne pourrai pas vous donner de chiffres. Demain, j'ai une réunion chez Pechiney qui envisage, dans deux unités de cogénération existantes, de brûler des farines ; il s'agit d'unités situées en Haute-Garonne et dans les Bouches-du-Rhône.

Nous avons également des contacts avec les papetiers et avec Saint-Gobain. Usinor étudie aussi le procédé pour les hauts fourneaux. Cela pourrait être également un gros consommateur.

Enfin, il reste la voie des filières déchets. Les spécialistes de cette filière s'intéressent à ce produit et vont faire des propositions. L'idée de France Déchets, par exemple, filiale de la Suez-Lyonnaise, consisterait à construire une unité qui brûlerait de la farine en permettant de dégager une puissance calorifique suffisante pour brûler, derrière, les boues des stations d'épuration. La valorisation permettrait de se débarrasser des boues des stations d'épuration.

Vivendi-Environnement étudie également le projet.

De même, les unités de cogénération pourraient donner des résultats intéressants, mais à plus long terme, évidemment.

Mon espoir est, cette année, tout cela se faisant mois après mois et non pas en année pleine, d'arriver à une consommation de farines, en plus des 200 000 tonnes de l'équarrissage, d'environ 400 000 tonnes. Si nous arrivions à consommer 400 000 tonnes cette année, cela voudrait dire que le stockage pourrait être limité, à la fin de l'année, à environ 300 000 tonnes et que nos capacités actuelles de stockage autorisées seraient suffisantes si on ne dépasse pas ce chiffre.

Pour boucler --je veux dire par là avoir une demande supérieure à la production--, je crois qu'il faudra attendre 2002. Pour cela, j'espère que l'on pourra tabler sur les unités de cogénération. Il s'agit d'avoir un partenariat entre des industriels et l'EDF. L'EDF est d'ailleurs d'accord --son président me l'a dit-- pour prendre des participations dans le capital de ces sociétés qui feraient fonctionner des unités de cogénération, mais elle le ferait avec des partenaires industriels.

Deux projets sont déjà bien avancés et je peux les citer puisque les industriels ont accepté que l'on donne leur nom.

Le premier est celui du groupe Doux, un groupe intégré de l'agro-alimentaire. Il s'agit d'un projet de cogénération avec l'EDF dans le Morbihan avec, dans un premier temps, une unité qui consommerait 50 000 tonnes de farine, qui pourrait passer à 100 000 tonnes par an et qui produirait de la vapeur et de la chaleur pour les besoins industriels, le surplus étant repris sous forme d'électricité par EDF.

Le fait que, le 5 décembre, le Conseil des ministres de l'Union européenne ait reconnu que ce produit était une biomasse permettant de produire des énergies renouvelables va nous aider très certainement à boucler ces projets.

L'autre projet est celui du groupe Rhodia, dans le département des Deux-Sèvres. Cette fois, il s'agit d'un chimiste qui utilise lui-même beaucoup de chaleur et d'énergie et d'un projet de cogénération du même type.

Nous avons également quatre ou cinq autres projets qui se sont manifestés.

A vrai dire, il n'en suffirait pas plus de quatre ou cinq pour boucler définitivement notre équilibre entre l'offre et la demande de farines. Je donne quelques indications chiffrées : l'investissement pour une unité de 50 000 tonnes est d'environ 100 millions de francs. Certaines de ces unités de cogénération existent déjà et ce n'est donc pas une novation technologique : elles fonctionnent dans d'excellentes conditions dans deux ou trois unités industrielles du Royaume-Uni. Cela peut donc être très rapidement opérationnel mais il faudra quand même environ dix-huit mois entre maintenant et l'ouverture de ces unités.

Voilà où nous en sommes.

Pour terminer, je vous donne quelques indications financières. Le coût initial pour l'Etat, tel qu'on l'a prévu, entre le stockage, les indemnités pour la production de la graisse et des farines et l'élimination, a été évalué, pour l'année 2001, à environ deux milliards de francs. Il s'agit là d'un chiffre que je considère comme maximum.

Le décret en cours de préparation va déjà prévoir une réduction du barème d'indemnisation des équarrisseurs. Certes, cette réduction sera modeste parce qu'il ne s'agit pas de tuer les entreprises, mais nous allons serrer au maximum les prix dans un prochain décret que nous sommes en train de préparer. Par ailleurs, il n'y aura plus d'aides pour l'élimination des graisses.

Voilà déjà quelques éléments qui devraient permettre de réaliser certaines économies. J'espère, bien entendu, que la montée en puissance suffisamment rapide du dispositif permettra de poursuivre cet infléchissement vers le bas du coût pour les finances publiques.

Je terminerai en disant que l'abattage des bovins de plus de 30 mois est venu s'ajouter aux quantités que j'ai évoquées, même de manière marginale, puisque, actuellement, cela entraîne une utilisation à quasiment 100 %, voire à la limite de la rupture, des vingt-six usines d'équarrissage qui existent en France et que cela va augmenter de l'ordre de 60 000 tonnes environ les quantités de farine.

Cela dit, les fabricants de pet food vont en retenir un peu, si bien qu'au total, on devrait en rester autour de ces 700 000 tonnes pour lesquelles nous avons à chercher un débouché.

Au point de vue du calendrier, j'estime qu'en 2001, nous pourrons avoir 400 000 à 450 000 tonnes de consommation et qu'en 2002, nous devrions arriver aux 700 000 tonnes. J'espère pouvoir déstocker en 2003.

M. le Président - Merci, monsieur Proust. Je vais faire poser la première question au rapporteur de notre commission.

M. le Rapporteur - Monsieur le Préfet, peut-on imaginer qu'en vitesse de croisière, l'élimination de ces farines ne coûte rien à l'Etat, compte tenu des éventails que vous avez listés ?

M. Jean-Paul Proust - Aujourd'hui, je pense qu'on peut difficilement l'imaginer. On peut imaginer qu'assez rapidement, la farine n'ait plus besoin d'aides pour être éliminée. On peut même imaginer qu'elle ait, comme je le disais tout à l'heure pour les graisses, une petite valeur positive, mais cela ne compensera pas le coût de transformation du déchet en farine. Je pense donc qu'il restera un coût pour l'Etat pendant plusieurs années.

Il faut quand même ouvrir le champ. Nous essayons donc d'ouvrir les concurrences à tous les niveaux. Nous allons offrir la possibilité aux abattoirs de bénéficier d'une aide aux déchets crus s'ils assurent directement, avec un procédé agréé --il ne s'agit pas de faire n'importe quoi-- l'élimination de leurs propres déchets. Je crois qu'au départ, cette disposition sera purement optique, mais cela peut, d'une part, rendre raisonnables les équarrisseurs et, d'autre part, à terme, permettre un conditionnement beaucoup plus simple et rapide du déchet, notamment pour faire de l'énergie, s'il est brûlé sur place.

Le champ est ouvert. Je ne vous réponds pas oui aujourd'hui mais il faut créer les conditions permettant d'y arriver un jour.

M. le Rapporteur - Avez-vous quelques pistes sur le plan technologique pour éviter cette transformation des déchets en farines ?

M. Jean-Paul Proust - Oui. Ces pistes consisteraient à utiliser le déchet cru soit pour faire directement du gaz, soit pour le brûler dans les chaudières, avec un conditionnement simplifié par rapport au conditionnement actuel pour la farine.

Aujourd'hui, cela n'a jamais été fait à un niveau industriel mais des études sérieuses sont menées sur ce point. Il faut donner aux abattoirs la possibilité économique de le faire, s'ils le souhaitent et si c'est plus rentable que de faire de la farine.

M. le Rapporteur - Deuxième question : sur quels critères sera constituée la commission nationale d'information sur les farines et les graisses, commission ayant pour but de contrôler la transparence des opérations et d'expliquer au grand public la non nocivité de ces farines et de ces lieux de stockage ?

M. Jean-Paul Proust - Le Premier ministre doit signer la décision de constitution de manière imminente. Elle sera composée tout d'abord d'un certain nombre d'élus. Je pense que le président du Sénat désignera un sénateur, de même que le président de l'Assemblée nationale et qu'il y aura également des représentants de chaque niveau des institutions locales : régions, départements et communes. Elle comprendra aussi des représentants des administrations concernées, des représentants des associations, aussi bien de défense des consommateurs que de défense de l'environnement, et des experts.

Quatre experts pourraient être permanents : deux seraient désignés par le directeur général de l'AFSSA et deux seraient désignés par la ministre de l'environnement en tant que spécialistes de la qualité de l'air et de la qualité de l'eau.

Cependant, son président (on continue d'envisager que ce soit plutôt une personnalité indépendante, peut-être un conseiller d'Etat) pourrait faire appel à tout expert de son choix.

M. Jean Bernard - Monsieur le Préfet, votre mission est complexe et il y a une certaine urgence. Vous avez parlé de la Marne et j'ai rencontré le préfet de ce département qui m'a fait part de son intention de faire un stockage très important à Somsois.

Cette commission de contrôle ou cette entité que vous venez d'évoquer va mettre un certain temps à se mettre en place et, en attendant, sur le terrain, il y a déjà une mobilisation quasi générale contre l'éventualité de ce stockage. Les gens parlent de nuisances et de dangers de contagion qui sont totalement erronés, bien sûr, mais, sur le terrain, disposera-t-on d'éléments pour entrer en contact avec ces populations concernées afin d'essayer de les rassurer ou, du moins, de leur exposer objectivement ce que représente le stockage ?

Il y a aussi la cimenterie Calcia à Couvrot, qui est l'une des plus grandes cimenteries d'Europe et qui consomme des farines depuis quelques mois. Les responsables de cette entreprise sont prêts à aller un peu plus loin et à essayer d'organiser un flux entre cette zone de stockage et leur usine, sachant qu'une relative proximité faciliterait les choses.

En anticipant sur cette commission, qui sera évidemment composée de façon équilibrée, ne pourrait-on pas essayer, avec le préfet et les élus concernés, de faire déjà un peu d'information pour dégonfler des situations qui risquent de devenir conflictuelles alors qu'elles n'ont pas lieu d'être ?

M. Jean-Paul Proust - Monsieur le Sénateur, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous dites. On demande systématiquement aux préfets de constituer une commission locale d'information qui doit être composée à peu près de la même manière, en copie conforme, au plan local, c'est-à-dire avec des élus du département et le maire de la commune, les différentes administrations (DRIRE, DRAF, services vétérinaires, etc.) présentes autour de la table mais également les diverses associations qui peuvent exister localement et des experts. Il sera intéressant de trouver, même localement, en dehors des experts nationaux, à l'université et à la faculté de médecine, tel ou tel expert qui sera mieux placé que le préfet ou le maire pour répondre à certaines questions et rassurer les gens sur les aspects sanitaires du sujet.

Je crois qu'il sera important de trouver tel professeur de faculté ou tel professeur vétérinaire pour venir plancher devant ces commissions locales.

Je précise que le site dont vous avez parlé est important mais qu'il n'est pas aussi important que les plus gros sites, comme celui des Deux-Sèvres. C'est un site un peu intermédiaire. Nous nous efforçons aussi de trouver un certain équilibre régional, car nous avions jusqu'ici quelques trous dans la carte, notamment dans le centre-est, ce qui est gênant parce que cela nous force, avec un coût important, à promener les farines à travers la France, un point que nous voulons éviter. Nous allons donc essayer d'avoir des équilibres régionaux.

Comme vous le dites, les "consommateurs" que sont les cimentiers ou autres sont répartis sur tout le territoire et il faut quand même que nous ayons des lieux de stockage assez bien répartis pour éviter les transports.

M. Jean Bernard - La Marne y correspond à peu près, d'autant plus lorsque les élus sont également vétérinaires...

M. Paul Blanc - J'ai une question très simple à vous poser : existe-t-il encore des sites de stockage en plein air ?

M. Jean-Paul Proust - Normalement, non.

M. Paul Blanc - Mais réellement ?

M. Jean-Paul Proust - Il n'y en a aucun qui est autorisé. Vous savez qu'il n'y a pas d'interdiction formelle de mettre les farines dans les décharges de classe 2 mais nous l'avons exclu, comme pour les engrais. Nous avons exclu toute mise en décharge et tout site en plein air. Normalement, il ne devrait y en avoir aucun. Sinon, on le ferait en dérogation avec le cahier des charges qui précise qu'il faut des sites couverts.

M. Paul Blanc - Je note qu'il n'y en a pas.

M. Jean-Paul Proust - S'il y en a, ils feront l'objet d'un contrôle, d'un procès-verbal et d'une fermeture. La règle est absolue.

M. Paul Blanc - D'accord. Vous avez parlé tout à l'heure des possibilités qu'auraient éventuellement les abattoirs d'organiser en quelque sorte leur propre service d'équarrissage.

M. Jean-Paul Proust - Cela n'aurait pas d'intérêt si c'était pour dupliquer l'équarrissage, mais il s'agit plutôt d'avoir un processus permettant d'éliminer le déchet de manière plus économique que le passage par la farine.

M. Paul Blanc - Le système actuel de service public d'équarrissage, qui repose en réalité sur pratiquement deux opérateurs, ne vous paraît-il pas un peu gênant ? Ces possibilité données aux abattoirs n'iraient-elles pas dans le sens de la suppression de ce service public de l'équarrissage ou, du moins, de l'ouverture de ce service public qui en est un sans l'être vraiment ?

M. Jean-Paul Proust - Personnellement, je pense que le service public de l'équarrissage a d'autres missions, puisqu'il doit ramasser les cadavres et effectuer toutes ces missions qui font partie du service public qui a été défini dans le cadre de la loi de 1996. Cela continue.

En ce qui concerne l'aspect industriel sur les farines, je souhaite que, l'Etat étant obligé d'intervenir, il ne se trouve devant aucun monopole. Il faut donc ouvrir des concurrences, la compétition et le marché en amont et en aval pour l'incinération mais aussi pour l'élimination des déchets. C'est ainsi que l'on aura le plus d'innovations et que l'on aboutira aux solutions les plus économiques, sans des bouleversements demain matin mais sur quelques années.

M. le Président - Un dernier point : Vous l'avez peut-être dit mais, pour 2001-2002, quelle est l'évaluation du coût du stockage dans l'état actuel des choses ?

M. Jean-Paul Proust - Vous parlez bien du stockage et non pas de la totalité de la chaîne ?

M. le Président - Je parle du stockage et de la destruction, puisqu'il va bien falloir détruire derrière.

M. Jean-Paul Proust - Si on le décompose, le prix du stockage varie entre 50 et 100 F la tonne par trimestre, ce qui fait un prix moyen de l'ordre de 80 F par trimestre ou de 300 F par an. On voit qu'à raison de 300 F la tonne par an, si nous arrivons, comme je l'espère, à ne pas dépasser 300 000 tonnes, cela fait de l'ordre de 100 millions sur les deux milliards que coûte toute la chaîne.

On peut faire la règle de trois. Si on doit aller jusqu'à 500 000 tonnes, il faudra 150 millions.

M. Georges Gruillot - Vous avez parlé de l'utilisation des déchets crus. Nous avons vu qu'à la Cooperl, à Lamballe, on vient de lancer une usine, que nous avons visitée, où on détruit tous les résidus des abattoirs de porcs, c'est-à-dire toutes les saisies et les morceaux à éliminer, que l'on utilise pour faire chauffer un immense four dans lequel on fait de la transformation en granulés pour engrais. Cela existe déjà à Lamballe et nous l'avons vu fonctionner.

M. le Président - Cela fonctionne.

Monsieur le Préfet, nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation et de nous avoir donné tous ces renseignements. Nous ne manquerons pas de vous interroger à nouveau en cas d'évolution ou si nous avons besoin de renseignements.

Audition de M. Benoît ASSEMAT, Président du Syndicat national
des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)

(17 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Benoît Assemat, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes ici en tant que président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Assemat.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous demander d'exprimer, au cours d'une introduction liminaire, la position du syndicat que vous représentez par rapport à l'ensemble du problème qui est posé par les farines animales et le problème sous-jacent de l'ESB.

M. Benoît Assemat - J'ai prévu de faire cette intervention liminaire en trois temps : le premier pour rappeler rapidement le rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle sanitaire des filières animales ; le deuxième pour faire un bref rappel sur l'histoire récente des services vétérinaires et la place du contrôle des farines animales dans le dispositif administratif ; le troisième pour exprimer un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Sur le premier point, le rôle des vétérinaires inspecteurs dans le contrôle sanitaire des filières animales, vous savez que les vétérinaires assument cette fonction dans presque tous les pays du monde. C'est la formation initiale des vétérinaires, qui associe des compétences en matière de zootechnique et des connaissances des productions animales à des compétences médicales, qui prédispose particulièrement les vétérinaires à agir en matière de contrôle sanitaire des filières animales.

Je rappelle qu'en France, nous avons, en plus de cette formation initiale des vétérinaires, une formation spécialisée d'une ou deux années qui est effectuée à l'Ecole nationale des services vétérinaires et qui apporte surtout des connaissances en matière juridique et en matière de gestion des ressources humaines.

Enfin, je tiens à dire que les vétérinaires inspecteurs exercent, sur cette base d'une expertise technique vétérinaire et cette formation spécialisée, des fonctions d'expertise, de direction et d'encadrement qui, comme vous le savez, s'exercent principalement, dans la grande majorité, à la Direction générale de l'alimentation et dans les Directions des services vétérinaires qui existent dans chaque département.

Ces missions recouvrent toute une série d'éléments que je citerai rapidement : la sécurité sanitaire des aliments dans les filières animales, le bien-être des animaux, les mesures de prévention et de lutte contre les maladies animales ainsi que les mesures qui ont trait à la protection de l'environnement dans le rapport entre les animaux et les industries alimentaires. Toutes ces missions sont regroupées sous le concept de "santé publique vétérinaire" et concourent au bien-être de l'homme sous toutes ses formes : le bien-être physique, moral et social.

La sécurité sanitaire de l'alimentation n'est pas la seule concernée. Les autres aspects, notamment ceux qu'attend le citoyen en matière de bien-être animal et de protection de l'environnement, sont couverts par les services vétérinaires.

Cette présentation préliminaire me conduit à évoquer très rapidement l'histoire récente des services vétérinaires et la place du contrôle des farines animales dans le dispositif.

Je voudrais tout d'abord rappeler ici que c'est grâce à la loi du 8 juillet 1965, qui a créé un service d'Etat d'hygiène alimentaire, que nous sommes dans la situation actuelle. Cette loi avait une très grande ambition que l'on aurait presque eu tendance à oublier ensuite. Cette grande ambition existait dès le départ car elle ne limitait pas le service d'Etat à prendre en charge l'inspection qui existait dans les services municipaux. Cette loi a constitué un service d'Etat à partir des services municipaux d'inspection.

Il n'a pas été seulement question de l'inspection dans les abattoirs : dès le départ, le législateur a voulu organiser une inspection sanitaire sur toute la filière de la viande, depuis les marchés attenants aux abattoirs jusqu'à la remise des denrées aux consommateurs, et non pas seulement dans la filière viande, puisque le législateur a prévu que ce contrôle devait être effectué sur toutes les denrées alimentaires d'origine animale, quelles qu'elles soient.

C'est une très grande ambition qui a été fixée à l'époque --je le répète--avec un objectif très clair de protection de la santé publique. Ce sont les premiers mots de cette loi du 8 juillet 1965 : « dans l'intérêt de la protection de la santé publique, il doit être procédé à l'inspection sanitaire ».

Dès le départ, en 1965, parce qu'il s'agissait uniquement de la santé publique, des discussions ont eu lieu sur le ministère de tutelle qui devait être retenu.

Je terminerai l'évocation de cette loi, en vous indiquant qu'elle avait organisé (c'était la conception de l'époque ; personne ne l'avait imaginé) un contrôle unifié sur les filières animales, depuis l'animal vivant entrant dans l'abattoir jusqu'au consommateur, mais n'avait pas prévu le contrôle sanitaire en amont de l'abattoir, dans les élevages ou dans les usines d'alimentation animale. Le législateur, à l'époque, n'avait donc pas pensé que le contrôle sanitaire devait remonter si haut. En 1964, on a conçu un dispositif à partir des marchés attenants aux abattoirs de l'époque jusqu'au consommateur. C'était le but de cette loi.

J'ajouterai que le rattachement au ministère de l'agriculture, qui a finalement été retenu, a permis, dans les départements, de constituer les directions des services vétérinaires telles que nous les connaissons maintenant, en additionnant ce nouveau service d'Etat d'hygiène alimentaire au Service départemental des épizooties et aux laboratoires vétérinaires qui ont été créés à cette période. Nous avons eu, à cette période, au 1er janvier 1968, la constitution des directions des services vétérinaires que nous connaissons maintenant.

Cette loi était très ambitieuse. Ensuite, durant toutes les années 70, une réglementation sanitaire très importante a été élaborée. Elle portait sur tous les établissements agro-alimentaires et même sur la restauration commerciale par un arrêté de 1980, ce qui montre bien que l'esprit de cette loi était d'organiser un contrôle sanitaire sur toute la chaîne alimentaire. Cependant, je dois dire aujourd'hui que les moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour organiser ce contrôle sanitaire n'ont pas été à la hauteur des ambitions qu'avait voulues le législateur en 1965.

L'organisation que je représente aujourd'hui a constamment dénoncé, en tout cas depuis plus de dix ans, l'insuffisance des moyens qui ont été consacrés par les pouvoirs publics pour réaliser cette grande ambition qui avait été celle du législateur dans les années 60.

A cette époque, une chose extrêmement positive a été obtenue : l'unification du contrôle sanitaire dans les filières animales, l'unification de l'animal vivant pour ce qui touche aux maladies animales jusqu'au consommateur, sauf pour le thème qui vous intéresse et qui est celui du secteur de l'alimentation animale.

Je dirai donc quelques mots sur ce secteur de l'alimentation animale. Jusqu'à la loi d'orientation agricole, qui a été votée il y a dix-huit mois, deux services administratifs avaient des fonctions complémentaires pour le contrôle de l'alimentation animale. Je veux dire par là que le Code rural et les services vétérinaires avaient en charge la partie liée à la transformation des déchets animaux, c'est-à-dire le contrôle sanitaire au niveau des équarrissages, et également le contrôle de l'importation de ces déchets animaux.

En revanche, le contrôle de l'utilisation des farines animales, terme qui est stipulé dans l'intitulé de la commission d'enquête, c'est-à-dire l'intervention dans les usines d'alimentation animale, n'a jamais été prévu puisqu'aucun pouvoir n'était prévu à ce titre pour les agents des services vétérinaires. C'est donc sur la base du code de la consommation que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a organisé le contrôle sanitaire de l'utilisation des farines animales.

Voilà ce que je devais dire sur ce cas tout à fait particulier de l'alimentation animale et la matière dont, jusqu'à la loi d'orientation agricole, les choses étaient organisées.

Cela me conduit à évoquer devant vous les relations entre les services vétérinaires et les services de la Direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ainsi que l'articulation des activités de ces deux services.

Selon une idée reçue qui est largement partagée, puisqu'on lit cela très souvent, les services vétérinaires auraient en charge l'amont de la filière et la DGCCRF aurait en charge l'aval, c'est-à-dire la remise au consommateur. Cette idée reçue est une conception qui prévaut depuis de longues années et qui a conduit jusqu'à aujourd'hui à cette conception qui veut que l'on considère que le contrôle sanitaire est de la compétence de plusieurs ministères et qu'il faut donc organiser l'interministérialité au niveau local en mettant en place ces pôles de compétences qui se développent depuis quelques années.

Je tiens à exprimer aujourd'hui mon point de vue sur le fait que la réalité juridique est différente de cela, en tout cas sur ce qui touche les filières animales. En effet, il ne fait pas de doute --et je reviens sur la volonté du législateur de 1965-- que le rôle des services vétérinaires, en appliquant le code rural, est d'organiser un contrôle sanitaire du respect des règles tout au long des filières animales et que ce respect des règles sanitaires est assuré beaucoup plus par des mesures de police administrative qui ont un but préventif. En effet, pour assurer la sécurité de la population, il faut prendre des mesures préventives. Ces mesures de police administrative sont très développées dans les services vétérinaires qui l'appliquent prioritairement, car on dispose d'un code rural qui a élaboré une réglementation sanitaire spécifique.

Le rôle de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, sur la base du code de la consommation et, notamment, du titre I relatif à la conformité des produits, celui qui prévoit le délit de tromperie et de falsification, est un contrôle des règles en matière de loyauté des transactions commerciales. Ce rôle, qui a pour but de rechercher les tromperies, y compris en matière alimentaire, est essentiellement fondé sur la police judiciaire et a un but répressif mais, pour ce qui concerne les filières animales, du fait que, sur la base du code rural, une réglementation sanitaire a été élaborée pour toutes les filières animales, cela signifie, en droit administratif, que ce sont ces règles sanitaires d'un droit administratif spécial qui prévalent sur les règles générales qui sont celles du code de la consommation.

En matière de filières animales, il est faux de dire que les services vétérinaires ont en charge l'amont des aspects sanitaires et que la DGCCRF a en charge l'aval. Cette situation a été dénoncée à plusieurs reprises et j'ai prévu de citer deux extraits d'un rapport récent de l'Ecole nationale de l'administration qui a travaillé sur ce thème de l'interministérialité au niveau local :

« Le fait que la sécurité alimentaire se caractérise par un enchevêtrement des compétences est donc un obstacle considérable à sa gestion interministérielle ».

« L'interministérialité au niveau local devrait consister à mettre en oeuvre de manière coordonnée des compétences distinctes exercées par des services différents mais intervenant dans un même domaine, comme c'est le cas de la politique de la ville à celle de l'eau ».

Il serait beaucoup plus sain d'organiser le travail sur des bases d'objectifs complémentaires de chaque service plutôt que de continuer à dire que le respect des règles sanitaires est une fonction attribuée à plusieurs administrations et qu'elles n'ont qu'à se mettre ensemble pour l'organiser.

Je crois en réalité que la vraie politique interministérielle au niveau local qui pourrait être mise en place devrait porter sur l'alimentation et non pas sur le respect des règles sanitaires. Je veux dire par là que différents aspects doivent être arbitrés au niveau local : les aspects sanitaires, les aspects économiques, qui sont portés par l'administration de l'agriculture, la DDA, les aspects liés à la loyauté des transactions, les aspects liés à l'état de santé des populations, un domaine sur lequel la France rattrape son retard sur le plan de la surveillance des maladies humaines, et, enfin, les aspects nutritionnels.

On pourrait imaginer que, si on rassemblait des services qui ont des compétences distinctes (je veux dire par là très précisément que les services vétérinaires ont en charge le respect des règles sanitaires et que les services de la répression des fraudes pour les filières animales ont en charge d'abord le respect en matière de loyauté des transactions commerciales), on pourrait faire travailler de manière beaucoup plus profitable l'ensemble des services plutôt que d'organiser un genre de concurrence qui conduit soit à des doublons dans l'organisation du dispositif soit, plus grave, à des trous dans le dispositif. En effet, en disant que chacun organise le respect des règles sanitaires, cela permet à chacun d'organiser les choses comme il le veut, ce qui entraîne des trous dans le dispositif en matière de respect des règles sanitaires, dans les départements, compte tenu de l'insuffisance des moyens.

Voilà ce que je souhaitais dire sur l'organisation administrative et sur la partie liée au contrôle de l'utilisation des farines animales.

Je souhaite terminer cette présentation par un point de vue qui sera plus personnel que celui de l'organisation que je représente. Il s'agit d'un point de vue sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage. Je dis bien que c'est un point de vue plus personnel car notre organisation, le Syndicat des vétérinaires inspecteurs, n'a pas pour tradition de se positionner pour commenter les décisions qui sont prises par le pouvoir politique en matière de respect des règles sanitaires. Je veux dire par là que nous ne commentons pas l'opportunité ou non de telle ou telle mesure. Nous sommes sur un terrain où nous attirons l'attention de notre ministère de tutelle, lorsque qu'il le faut, sur l'insuffisance des moyens, par exemple, ou sur des problèmes d'ordre général, mais pas sur le contenu. Ce que je vais vous dire là est donc un point de vue personnel mais c'est aussi celui du professionnel puisqu'il est lié à mon activité professionnelle.

Je rappellerai que les mesures qui ont été arrêtées en avril 1996 puis à la fin du mois de juin sont tout à fait essentielles pour la protection du consommateur. D'ailleurs, quand on se replonge dans les missions d'information parlementaires de l'époque, on s'aperçoit que l'on jugeait ces mesures excessives et que les questions qui étaient posées portaient plutôt sur le côté excessif de ces mesures.

Je tiens donc à dire que les farines animales qui sont utilisées ou qui ont été utilisées récemment n'ont rien à voir avec celles qui étaient utilisées avant 1996, à savoir celles qui sont mises en cause dans l'évolution de l'encéphalopathie spongiforme bovine. En effet, vous savez que les animaux les plus jeunes confirmés actuellement -il y en a cinq ou six- sont nés en janvier 1996 et qu'il n'y a pas d'animaux plus jeunes confirmés. Cela fait donc cinq ans maintenant, de janvier 1996 à janvier 2001.

L'efficacité de ces mesures arrêtées en 1996, à mon avis, n'a jamais été remise en cause. Au contraire, il me semble que, plus le temps passe, plus il se confirme que ces mesures ont été efficaces. Je veux dire par là, sans être un expert du dossier, qu'au cours des années précédentes, bien qu'il y ait eu beaucoup moins de cas déclarés qu'en l'an 2000, au cours du dernier trimestre de chaque année civile, on a eu l'apparition des nouveaux cas d'ESB de la nouvelle génération d'animaux : des animaux âgés de 4 ans. Nous avons observé systématiquement, en 1997, 1998 et 1999, l'apparition d'une nouvelle génération d'animaux contaminés. Nous ne l'avons pas observée en l'an 2000 alors qu'il y a eu plus de 150 cas déclarés.

Je vous répète que les derniers cas remontent à des animaux qui sont nés en janvier 1996.

Cela me paraît extrêmement important. C'est pourquoi je pense que les mesures qui ont été arrêtées récemment par le gouvernement répondent d'abord à l'inquiétude et à la crise de confiance qui s'est déclenchée au sein de l'opinion publique. C'est une décision politique qui n'a d'ailleurs pas à répondre qu'à des considérations scientifiques. Il est parfaitement légitime que ces décisions répondent à des considérations socio-économiques et il est vrai que, si la société et les consommateurs ne veulent plus que les animaux qu'ils consomment soient eux-mêmes alimentés à partir des farines animales, on peut comprendre qu'on ait interdit ces farines animales, mais j'estime que la justification sanitaire est faible et ne peut apporter qu'une amélioration marginale à la sécurité sanitaire de l'alimentation des animaux d'élevage, compte tenu de l'importance considérable de ce qui a été arrêté en 1996.

Cependant, nous saurons mieux, dans quelques mois, si ces mesures se révèlent particulièrement efficaces, sachant que c'est au fil du temps que la sécurisation s'est améliorée. En effet, au début de 1998, on a franchi une nouvelle étape pour la sécurisation des farines animales, mais je pense que, dès l'année 1996 et la mise en place du service public d'équarrissage, on a divisé dans des proportions considérables le risque que représentait l'utilisation des farines animales dans les filières d'alimentation des porcs, des volailles et des poissons.

Je terminerai cette troisième partie en faisant une remarque sur la notion de « farines animales ».

Si on parle des farines animales qui étaient fabriquées avant le printemps 1996, c'est-à-dire celles qui sont mises en cause pour les cas d'ESB que nous connaissons maintenant et qui étaient élaborées à partir de cadavres d'animaux, j'attire votre attention sur le fait que la production qui était faite à partir de cette matière première contenant des cadavres d'animaux conduisait à produire un genre de produit brut que l'on appelle la « farine grasse », une farine contenant 20 à 30 % de matières grasses. Ce produit brut n'était pas utilisé en tant que tel dans l'alimentation : il faisait l'objet d'un traitement qui conduisait à avoir, d'une part, des farines dégraissées, qui sont les farines animales dont on parle couramment, des farines très riches en protéines et dégraissées à un certain taux et, d'autre part, des graisses d'équarrissage qui étaient normalement utilisées dans l'alimentation des animaux d'élevage et des ruminants jusqu'à la mise en place du service public d'équarrissage.

Il me semble qu'il y a parfois une confusion entre les farines animales et ces farines grasses. Le produit brut que sont les farines grasses conduit à deux produits : les farines et les graisses d'équarrissage. Je le dis parce que le prion, comme tout le monde le sait, je pense, est une protéine dont le caractère hydrophobe est très marqué. Comme les scientifiques le savent et comme l'indiquent tous les traités de biochimie, la protéine du prion est très hydrophobe, c'est-à-dire liposoluble, ce qui n'étonnera pas ceux qui savent où elle se trouve. En effet, elle se trouve dans le système nerveux central, une matière qui est d'abord constituée de lipides.

Je n'ai personnellement jamais vraiment pensé que l'on avait suffisamment approfondi le rôle qu'avait pu jouer cette protéine liposoluble dans l'apparition des cas que nous constatons maintenant et qui surviennent sur des animaux nés essentiellement en 1993, en 1994 et en 1995.

En guise de conclusion, je dirai qu'il me paraît tout à fait essentiel de préserver absolument l'unité du contrôle sanitaire dont nous avons la chance de bénéficier en France depuis 1968, depuis l'unité de la santé animale jusqu'à l'hygiène des denrées remises aux consommateurs. J'affirme qu'il n'y aurait rien de pire que de rattacher le contrôle sanitaire effectué sur les animaux, comme cela a été le cas dans beaucoup de pays d'Europe qui en paient les conséquences maintenant en découvrant très tardivement leurs cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, à un ministère de tutelle, par exemple au ministère de l'agriculture, et le contrôle sanitaire effectué à partir de l'abattoir à un autre ministère de tutelle, car on romprait l'unité du contrôle sanitaire qui est ce que nous avons de plus précieux et de plus efficace dans l'organisation de notre dispositif.

Enfin, je tiens à répéter que le syndicat que je représente a toujours défendu l'organisation de ce contrôle sanitaire unifié indépendant des services chargés de l'appui économique aux filières animales. Le SNVIA défend depuis 1984 une conception du contrôle sanitaire qui conduit à ne pas se placer dans la situation d'être juge et partie. Ce combat, qui a été mené dès 1985 par l'organisation que je représente et qui a été difficile à mener et très long (nous sommes maintenant quinze ans après), a commencé à porter ses fruits après la première crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine de mars 1996.

Nous constatons que tous les ministres de l'agriculture successifs, depuis M. Philippe Vasseur jusqu'à M. Louis Le Pensec et M. Jean Glavany, se sont efforcés de préserver la qualité du contrôle sanitaire et son indépendance par rapport à l'appui économique aux filières. Cependant, je tiens à dire qu'il reste encore beaucoup d'efforts à faire pour arriver au bout de cette démarche.

M. le Président - Merci. Je vais demander à notre rapporteur, M. Bizet, de poser la première question.

M. Jean Bizet, Rapporteur - J'aurai trois questions à l'adresse du président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs.

La première m'amènera à revenir sur les derniers propos que vous venez de tenir, monsieur Assemat, concernant votre approche personnelle au sujet des conséquences de l'utilisation des farines sur la santé animale. J'aimerais savoir quelle est votre analyse personnelle sur les conséquences de cette utilisation sur la santé humaine. Vous n'êtes pas un épidémiologiste, certes, mais vous avez certainement une idée personnelle de la question.

J'ai une deuxième question. Nous avons bien compris que vous dénoncez (nous sommes d'accord avec vous et nous avons été plusieurs, sur ces bancs, à le dénoncer lors de l'examen du projet de loi de finances 2001 dans le budget de l'agriculture) l'insuffisance des moyens humains mis à disposition. On avait noté à l'époque cinquante créations de postes pour le secteur de la sécurité alimentaire contre 410 pour la gestion des aides agricoles et des contrats territoriaux d'exploitation. Etes-vous satisfait du projet de loi de finances 2000 dans sa version finale ?

Troisième question : pensez-vous que le retrait des matériels à risques spécifiés est aujourd'hui effectué correctement dans les différents abattoirs et quels sont vos moyens pour contrôler les carcasses importées ? C'est aussi un problème important. Nous avons noté au travers des différentes auditions que l'identification pérenne des animaux, en France, est d'une grande qualité et d'une grande fiabilité --il faut le dire--, surtout par rapport à certains pays, notamment le Royaume-Uni, où on ne faisait pas d'identification pérenne il y a encore quelques années. Nous pouvons donc nous vanter, en France, d'avoir été des pionniers sur ce point, notamment pour éradiquer un certain nombre de maladies réputées légalement contagieuses.

Cela étant, l'identification des carcasses, notamment quand on s'adresse, au fur et à mesure de l'aval, à la restauration collective et la restauration hors foyers, laisse à désirer. Quelles sont donc aujourd'hui vos analyses en matière d'importations et en matière d'identification et de traçabilité sur les carcasses importées ?

M. Benoît Assemat - Sur le premier point, à savoir les conséquences sur la santé humaine, je pense comme beaucoup d'experts que le risque sanitaire est derrière nous, qu'il s'est essentiellement produit avant 1996, avant que l'on retire de l'alimentation humaine les organes qui renferment le prion, principalement le système nerveux central et la liste des organes qui a été augmentée.

Je pense en revanche que les conséquences sont encore devant nous, ce qui est difficile à comprendre pour la population. Je pense que, depuis 1996, le risque qui existait auparavant fait l'objet de beaucoup d'incertitudes quant à son importance, mais j'ai vu récemment qu'une expertise française évoquait un ordre de grandeur de 10 à 300 cas au cours des soixante prochaines années. Ce sont les estimations qu'a livrées Mme Alpérovitch avec un groupe d'experts, soit une fourchette très large, avec une moyenne maximum de cinq cas par an au cours de chacune des soixante prochaines années.

Je pense en tout cas que c'est très probablement avant 1996 que la contamination s'est produite et que les mesures prises en 1996, quelle que soit l'importance du nombre de cas, ont à mon avis diminué dans des proportions considérables le risque d'exposition de la population. Je n'en connais pas les proportions. Est-ce un rapport de cent, de mille ou de dix mille ? Les proportions sont en tout cas considérables.

Je ne pense donc pas qu'il y ait de risques réels, même si le risque zéro est poursuivi, parce que c'est la nature humaine. A mon avis, il n'y a plus maintenant de nouveaux risques à prévoir. Il n'y a que les conséquences du risque passé.

Votre deuxième question concerne l'insuffisance des moyens humains. Effectivement, notre organisation avait décidé, au cours des derniers mois, de porter l'accent sur ce point. L'actualité a fait que le ministère de l'agriculture et le gouvernement ont apporté une réponse tout à fait concrète par la mise en place de ce plan pluriannuel de trois cents emplois dans les services vétérinaires. Il ne s'agit pas uniquement d'emplois de vétérinaires inspecteurs, car il faut aussi des techniciens, des agents administratifs et des ingénieurs. Ce plan de trois cents emplois sur deux ans prévus pour le plan ESB est important car il sature les capacités de formation du ministère de l'agriculture.

En revanche, nous demandons, même si nous savons que c'est difficile, que la réflexion ne soit pas limitée au dossier de l'ESB ni aux seules deux prochaines années. Nous estimons qu'il y a un véritable défi à relever pour organiser un contrôle sanitaire moderne. Il ne s'agit pas de mettre un gendarme derrière chaque entreprise, évidemment, mais nous pensons qu'il y a un défi important à relever et qu'il faut voir au-delà des deux ans qui viennent.

Nous souhaiterions que la réflexion soit menée au cours des cinq à dix ans qui viennent pour mettre en place un grand service public de contrôle de la sécurité alimentaire de l'alimentation et que l'on prévoie, sur un plan pluriannuel plus important, les moyens qui devraient correspondre à ce qu'attend la société et aux besoins du service public. Voilà ce que nous pensons sur ce dispositif.

Quant au retrait des matériels à risques spécifiés, de même que toutes les mesures de lutte contre l'ESB, c'est la priorité des services vétérinaires sur le terrain. Cependant, vous savez ce qu'est une moelle épinière qui se trouve dans le canal rachidien d'un bovin. Le fait même de fendre la carcasse à l'abattoir en passant par le canal médullaire et de retirer à la main les morceaux de moelle épinière pour les mettre dans un petit sac montre que tous les efforts sont faits pour retirer les matériels à risques spécifiés dans les meilleures conditions possible mais qu'il y a certainement encore des marges pour faire mieux.

Il s'agirait notamment de mettre en relief la nécessité d'un échelon intermédiaire de pilotage de l'activité des services qui n'existe pas actuellement. Entre la Direction générale de l'alimentation et les Directions départementales des services vétérinaires, il n'y a pas --et cela fait défaut-- un échelon intermédiaire de pilotage qui pourrait être une délégation interrégionale à la sécurité sanitaire des aliments et qui aurait pour but de réaliser une expertise afin de diriger les choses sur le plan technique. En effet, vous savez comment cela se passe : les personnels sont très sollicités et chacun est à son poste dans son abattoir ou dans son département alors qu'il serait souhaitable d'avoir une coordination plus effective pour améliorer encore le dispositif.

Cependant, je pense que tous les efforts sont faits, dans les conditions actuelles, pour retirer les matériels à risques spécifiés.

Enfin, sur votre dernière question relative au contrôle des carcasses importées, je tiens d'abord à dire que le terme "importées" peut avoir deux sens. En effet, en matière d'importations de pays tiers, un contrôle est organisé au niveau des postes d'inspection frontaliers. Il est systématique mais il ne concerne que ce qui rentre des pays tiers. En revanche, si on parle plutôt de ce qui se passe en pratique avec les échanges intracommunautaires, qui ne font pas l'objet de contrôles systématiques, comme vous le savez, il est vrai qu'il y a une attente de traçabilité.

Je tiens donc à revenir sur ce que j'ai dit dans ma présentation. Nous sommes en effet devant deux sujets différents.

Le premier porte sur la sécurité sanitaire des aliments. Il faut savoir que tous les produits qui sont proposés au consommateur, qu'ils soient labellisés ou non, qu'ils soient d'origine allemande, espagnole ou française, qu'ils soient proposés à un prix bas de gamme ou qu'il s'agisse de produits réservés à des gens plus aisés, doivent répondre à un degré élevé de sécurité.

Le deuxième sujet ne concerne pas la sécurité mais l'identification du produit. Il est légitime de demander qu'il y ait de la viande française dans une collectivité, mais autre chose est de le garantir. Lorsqu'il y a une tromperie, par exemple, sur une viande qui serait déclarée française alors qu'elle viendrait d'Allemagne, c'est évidemment un délit qui peut être poursuivi (il s'agit là de la loyauté des transactions commerciales), mais la viande qui vient d'un autre pays d'Europe, sauf si c'est celle de l'embargo dont fait l'objet le Royaume-Uni, répond aux critères de salubrité de la même manière que la viande française, car le principe, dans un marché unique, c'est la réciprocité et la confiance mutuelle entre les services de chaque Etat-membre.

Il y a sûrement des efforts à faire en ce moment car il y a peut-être des fraudes en matière d'importations de carcasses et je ne sais pas exactement à quoi vous faites référence, mais j'insiste bien sur le fait qu'à mon avis, il n'est pas bon de mélanger la segmentation qualitative des marchés à la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Cette confusion est faite de plus en plus souvent. Malheureusement, le consommateur croit de plus en plus que, pour avoir un produit de qualité qui soit sûr pour lui, il doit aller vers une filière de garantie qualitative, vers un label ou un produit de l'agriculture biologique, ce qui est à mon avis un défaut majeur dans la compréhension actuelle.

Je pense qu'il serait extrêmement important, à chaque fois qu'on le peut, de bien distinguer ce qui relève de la sécurité sanitaire de ce qui relève de la loyauté des transactions. On en revient à ce que j'ai dit tout à l'heure sur la confusion des genres entre les fonctions de deux administrations. Cette confusion existe à tous les niveaux, et même dans le code rural tel qu'il avait été voté en 1965. Je me permets cette digression car elle m'a beaucoup intéressé : le rapporteur du Sénat de cette loi qui, en 1965, avait créé le service d'Etat d'hygiène alimentaire, avait lourdement insisté pour supprimer le terme "qualitatif" des fonctions du service. Au lieu d'avoir la notion d'inspection sanitaire et qualitative, le Sénat, par la voix de M. Victor Golvan, avait demandé à plusieurs reprises que l'on retire le terme "qualitatif" car il entraînait une confusion par rapport à l'objectif de protection de la santé publique.

C'est l'Assemblée nationale qui a eu le dernier mot et c'est pourquoi on trouve aujourd'hui dans le texte cette notion d'inspection "sanitaire et qualitative" qui est désuète et qui n'a d'ailleurs plus de sens aujourd'hui. Cependant, il est assez intéressant de se rendre compte que ces débats ont eu lieu, il y a trente-cinq ans, entre l'Assemblée nationale et le Sénat à l'occasion de l'examen de cette loi.

M. le Rapporteur - Je voudrais revenir sur cette dernière question, que je vous reposerai à l'envers : êtes-vous satisfait, aujourd'hui, des contrôles des carcasses importées des pays tiers ?

M. Benoît Assemat - Sur les pays tiers, à mon avis, il n'y a pas de problème. Pour le peu que j'en connaisse, à partir du moment où, en 1993, on a ouvert les frontières internes du marché unique européen et où on a non seulement concentré les moyens existants auparavant pour le contrôle des pays tiers mais structuré de manière très importante le contrôle des pays tiers par le contrôle dans les postes d'inspection frontaliers, je pense que si un secteur est bien maîtrisé et parfaitement cadré (c'est le seul dans ce cas par rapport au niveau communautaire et au niveau national), c'est bien celui du contrôle par rapport aux pays tiers, ce qui ne veut pas dire qu'il ne puisse pas y avoir de fraudes.

En revanche, en ce qui concerne le système intracommunautaire, c'est un autre sujet.

M. le Rapporteur - Est-ce qu'il vous satisfait ou non ?

M. Benoît Assemat - Il me paraît satisfaisant, à la réserve près des moyens disponibles. En effet, quand on considère la répartition des moyens existant actuellement dans les services vétérinaires et les effectifs consacrés à ce contrôle en pays tiers --un peu plus de trente équivalents temps plein sur 3 850--, on se dit que cela fait très peu.

Cela dit, quand on a supprimé les contrôle intracommunautaires aux frontières, c'est une masse considérable de marchandises qui ne faisait plus l'objet d'un semblant de contrôle. En effet, avant 1965, on faisait semblant d'organiser le contrôle puisqu'on ne pouvait pas contrôler systématiquement les camions. Vous connaissez le nombre de camions qui passaient à « risquons tout », à la frontière de la Belgique ou dans d'autres lieux dont le nom est moins évocateur...

A partir du moment où on ne contrôle que ce qui vient des pays tiers, ce contrôle est beaucoup plus efficace. C'est un point sur lequel les services de l'Etat fonctionnent très bien.

Cependant, sur l'alimentation animale, ce n'est qu'en février 2000 que les marchandises venant des pays tiers ont fait l'objet de ce contrôle. En effet, avant la loi d'orientation agricole, l'alimentation animale en général, mises à part les farines animales, n'était pas soumise à la réglementation sanitaire vétérinaire. Seules les farines animales ont toujours été soumises à un contrôle sanitaire.

M. Paul Blanc - Si je comprends bien, les contrôles qui sont opérés chez les industriels de la nutrition animale afin d'examiner les risques de contamination croisée ne sont pas de votre ressort mais plutôt du ressort de la concurrence et des prix.

M. Benoît Assemat - En fait, c'est plus compliqué que cela car il y a des compétences croisées. Les agents des services vétérinaires sont également habilités à contrôler ce qui relève du code de la consommation. Ce sont des agents de la répression des fraudes au même titre que les agents de la DGCCRF, de même que les agents de la DGCCRF sont habilités à relever les infractions aux textes sanitaires.

Cela étant dit, on n'a parlé des contaminations croisées qu'à partir de 1997 et 1998. Avant 1996, à ma connaissance, personne n'évoquait les contaminations croisées. Il est très clair qu'aucun contrôle à l'usine d'alimentation animale n'était effectué avant 1996 par les services vétérinaires départementaux de terrain qui n'en avaient pas la compétence. C'était un contrôle qui relevait de la DGCCRF, qui l'organisait de la même manière, sachant que c'est un service dont le sérieux est reconnu de tout le monde. Simplement, on ne parlait pas, à cette époque, des contaminations croisées.

Depuis que les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine se sont développés, des enquêtes épidémiologiques sont menées par les services vétérinaires, notamment par la Brigade nationale d'enquête vétérinaire et sanitaire, et ces contrôles amènent les agents des services vétérinaires à faire des contrôles en matière d'alimentation animale, mais c'est surtout la loi d'orientation agricole qui, depuis, a fait progresser les choses sur la base du code rural.

Quand on est dans les services vétérinaires, on a beau savoir qu'on est aussi agent de la répression des fraudes, en réalité, on a largement assez à faire en appliquant la réglementation sanitaire. Par conséquent, quand on est dans une direction des services vétérinaires, on applique d'abord les textes qui sont issus du code rural. Autrement dit, jusqu'à une période récente, on ne contrôlait pas l'alimentation animale mais l'équarrissage et l'importation des farines animales.

Cependant, les compétences croisées font que la réponse ne peut pas être aussi carrée. Il y avait des instructions internes entre le ministère de l'agriculture et le ministère de tutelle des fraudes qui prévoyaient que les contrôles en usine d'alimentation animale étaient du ressort de la DGCCRF, que les services vétérinaires pouvaient contrôler, dans les élevages, les étiquettes des sacs, par exemple, et qu'en cas de problème, ils pouvaient transmettre une étiquette à la DGCCRF, cette administration ayant alors la charge d'organiser le contrôle en usine.

Cela prouve bien qu'il n'était pas prévu que les services vétérinaires contrôlent les usines. De toute façon, ils n'avaient pas le droit d'y pénétrer. Si l'agent des services vétérinaires ne met pas sa casquette d'agent chargé d'appliquer le code de la consommation, il ne peut pas rentrer dans une usine d'alimentation animale pour faire un contrôle.

M. Paul Blanc - La DGCCRF vous demandait-elle d'aller contrôler ?

M. Benoît Assemat - Absolument pas. C'est un domaine qui était particulièrement clair. Nous avons souffert et nous souffrons encore, sur le terrain, de chevauchements de compétences. En matière de contrôle de la restauration, on peut en effet se demander qui contrôle, si cela ne concerne personne ou l'un et l'autre, si on doit séparer le département en deux, si on doit le faire selon ses compétences, etc. Toutes les hypothèses existent.

Cependant, dans ce domaine, les choses étaient parfaitement claires. Il n'est venu à l'idée de personne, à mon avis (en tout cas pas de moi, sachant que j'étais dans le département des Vosges puis dans celui de la Corrèze à cette époque), d'aller dans une usine d'alimentation animale pour cela. C'est un domaine qui était parfaitement clair.

M. Paul Blanc - Toujours dans le même esprit, des contrôles étaient-ils opérés sur les équarrisseurs concernant la sécurité des farines ?

M. Benoît Assemat - Les industries d'équarrissage étaient contrôlées tout d'abord au titre d'installations classées en matière de protection de l'environnement. Dans tous les départements, le directeur des services vétérinaires et ses services étaient chargés d'appliquer cette réglementation. Les dossiers passaient en conseil départemental d'hygiène après une enquête publique pour avoir une autorisation. Les moyens consacrés au contrôle des entreprises d'équarrissage n'étaient pas très importants mais on ne peut pas dire qu'il n'y avait pas de contrôle. Simplement, lorsque ce contrôle se pratiquait, il portait plutôt sur le respect des règles en matière de protection de l'environnement car il y avait un arrêté d'autorisation au titre des installations classées.

Il faut savoir qu'avant 1996, l'industrie de l'équarrissage n'était rien d'autre qu'une industrie de valorisation de déchets. Je ne sais pas si vous avez vu ce que récupéraient les entreprises d'équarrissage : parfois des cadavres d'animaux décomposés depuis huit jours, ce qui n'est pas particulièrement ragoûtant. Nous avions donc là une industrie qui récupérait des déchets, qui les transformait et qui les valorisait dans des produits vendus ensuite. Sur le plan hygiénique et sanitaire, il n'y avait pas grand-chose à faire. Il fallait notamment vérifier l'étanchéité des camions, par exemple.

M. Paul Blanc - Y avait-il des contrôles sur les températures, les conditions de cuisson et le retraits des abats à risques pour la sécurité des farines ?

M. Benoît Assemat - Avant 1996, nous n'étions pas dans ce contexte. Nous avions des équarrissages bruts avec des textes réglementaires. Le traitement des 133 degrés, vingt minutes et 3 bars n'était pas pratiqué et la question ne se posait donc pas de savoir si on pratiquait ce contrôle.

M. Paul Blanc - Que se passe-t-il depuis ?

M. Benoît Assemat - Depuis, bien évidemment, ce secteur a fait l'objet d'un contrôle renforcé. Cependant, si on regarde, là aussi, les moyens officiellement consacrés (je pense qu'ils sont de huit équivalents temps plein au niveau national), on se rend compte de la limite des effectifs consacrés à chaque secteur d'activité. Désormais, les services vétérinaires se sont beaucoup mieux organisés pour aller régulièrement dans les équarrissages et, en tout cas, pour accorder à ce dossier une attention beaucoup plus grande qu'avant 1996.

Cela dit, je suis mal placé pour répondre, monsieur le Sénateur, car je n'ai jamais eu, ni dans le département des Vosges, ni dans celui de la Corrèze, d'équarrissage dans mon département, ce qui fait que je n'ai jamais pratiqué cela.

M. Paul Blanc - Ne pensez-vous pas qu'il y a quand même une certaine opacité dans le secteur de la nutrition animale ?

M. Benoît Assemat - Vous voulez parler du contrôle ?

M. Paul Blanc - Je veux parler de l'ensemble de la filière.

M. Benoît Assemat - Non. Avant 1996, nous avions une industrie de la valorisation des déchets qui était ce qu'elle était et qui rendait bien service puisque, lorsqu'il y avait une grève de l'équarrissage dans les départements, le problème de santé publique que cela posait était important.

A partir de 1996, progressivement, on a mis en place une double activité : celle du service public d'équarrissage et celle de la valorisation des sous-produits avec des garanties sanitaires que je juge importantes car elles sont essentielles pour protéger la santé des consommateurs.

Quant à l'opacité sur les farines animales, il faut compter avec la presse, l'actualité et les enquêtes qui sont menées. Je n'ai pas plus d'informations que cela.

M. Paul Blanc - Je parle de l'ensemble de la nutrition animale.

M. Benoît Assemat - Je n'ai aucun a priori sur le secteur de la nutrition animale.

M. Paul Blanc - Enfin, je vous poserai une question personnelle : quel est votre sentiment sur le système du service public de l'équarrissage qui, en réalité, fait appel à deux monopoles ?

M. Benoît Assemat - C'est une situation très ancienne. Avant le service public tel que nous le connaissons maintenant, il y avait déjà des secteurs d'activité. Pour que cette activité fonctionne, j'imagine que le législateur a voulu dès le départ qu'il y ait des monopoles d'activité, sans quoi c'était un peu la foire. Je suis trop jeune pour avoir connu cette mise en place.

En ce qui concerne le service public d'équarrissage, le fait de faire appel à des sociétés privées qui sont chargées d'un service public ne me choque pas. Maintenant, l'aspect des monopoles n'est pas vraiment notre rayon. Nous n'avons pas vocation à évaluer, sur le plan économique, la pertinence de telle ou telle mesure. Y a-t-il une situation de concurrence qui n'est pas suffisamment bien assurée car le monopole est trop fort ? Je n'ai pas de compétence pour répondre à cette question.

M. Georges Gruillot - Je voudrais vous poser deux ou trois questions, si vous le permettez.

Vous avez répondu tout à l'heure au rapporteur, M. Bizet, si j'ai bien compris, que vous faisiez tout à fait confiance aux viandes importées des pays de l'Union européenne. Cela veut-il dire que vous faites absolument confiance aux services vétérinaires dans les pays de départ ?

M. Benoît Assemat - Non. Je veux dire par là que le principe de base du marché unique européen s'appuie sur la confiance mutuelle et la réciprocité de l'activité des différents services.

M. Georges Gruillot - A titre personnel, faites-vous totalement confiance aux vétérinaires allemands, espagnols, grecs ou italiens ?

M. Benoît Assemat - Voyant ce qui s'est passé sur le dépistage de l'ESB, notamment en Espagne et en Allemagne, je ne vais évidemment pas...

M. Georges Gruillot - Je ne parle pas seulement d'ESB. Je parle en général. Quand vous avez un papier d'un confrère d'Italie ou du Portugal, c'est tout bon ?

M. Benoît Assemat - Je pense qu'il n'y a pas suffisamment d'harmonisation. Au niveau communautaire, l'espace sanitaire européen n'est certainement pas encore fait. Un office alimentaire et vétérinaire intervient régulièrement et sa fonction est d'aller contrôler l'efficacité des services mis en place par chaque Etat-membre. Vous savez que lorsque l'office alimentaire et vétérinaire vient en France --il le fait régulièrement--, il fait souvent des observations critiques sur le fonctionnement de notre service national. Il a la même attitude avec d'autres services.

M. Georges Gruillot - Ce n'est pas la question que je vous pose. Je vous demande votre position personnelle. Faites-vous confiance les yeux fermés à vos collègues des autres pays ? Si c'est vrai, cela a bien changé... (Rires.)

M. Benoît Assemat - Je vous réponds à titre personnel. Je dis oui à partir du moment où des denrées d'origine animale sont remises aux consommateurs, qu'elles viennent de France, d'un élevage industriel qui a été nourri avec des facteurs de croissance ou autre chose ou que ce soit un poulet sous label, un poulet biologique ou un poulet qui vient d'Espagne ou d'ailleurs. J'estime que l'on ne peut pas fonctionner normalement s'il n'y a pas une reconnaissance de ce qu'est la garantie apportée par les services officiels, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'améliorer.

Au sein de notre organisation, nous nous battons, dans notre pays, pour améliorer le service public. Je ne suis pas satisfait du service public tel qu'il fonctionne en France et je ne connais pas suffisamment le rôle de contrôle des autres Etats-Membres. C'est celui de l'Office alimentaire et vétérinaire. Simplement, en tant que consommateur, je ne me dis pas que je suis plus inquiet...

M. Georges Gruillot - Je parle au président du syndicat des vétérinaires inspecteurs et non pas au consommateur. Je comprends que vous ne puissiez pas me répondre.

M. Benoît Assemat - Je vous réponds.

M. Georges Gruillot - J'ai une deuxième question à vous poser. En 1992, on a interdit, en France, l'utilisation de cervelle importée majoritairement du Royaume-Uni qui entrait dans des aliments en France alors qu'elle était interdite depuis 1990 à la consommation en Angleterre. Vous savez cela. Comment pouvez-vous nous l'expliquer ? Jusqu'en 1992, en France, on a consommé des cervelles anglaises, en particulier dans les pots pour bébés.

M. Benoît Assemat - L'arrêté qui a été pris en 1992 n'a concerné à ma connaissance que les pots pour bébés et je ne pense pas qu'avant l'embargo du 21 ou 22 mars 1996, il y ait eu une mesure d'interdiction.

M. Georges Gruillot - Cette mesure a été prise en 1992 en France et en 1990 en Angleterre.

M. Benoît Assemat - Vous parlez des cervelles et moelles épinières ?

M. Paul Blanc - Les Anglais, en 1989, ont interdit la commercialisation des abats chez eux et il a fallu attendre plus de deux ans pour que ce soit interdit dans notre pays.

M. Benoît Assemat - Je l'ignorais car, à ma connaissance, c'est en août 1989 que l'on a interdit, sauf dérogations, l'importation des farines animales venant du Royaume-Uni. Quant à l'importation des cervelles ou autres abats à risques, je n'ai pas connaissance d'un tel texte. Je n'ai connaissance que d'un texte sur les petits pots pour bébés qui ne venait pas du ministère de l'agriculture et qui date de 1992 mais, à ma connaissance, c'est de l'embargo de mars 1996 que date l'acte réglementaire d'interdiction de l'importation des sous-produits que vous évoquez.

M. Georges Gruillot - Mais l'interdiction des cervelles dans les pots pour bébés date bien de 1992 ?

M. Benoît Assemat - Il ne s'agit pas des cervelles britanniques mais des cervelles en général.

M. Georges Gruillot - Il s'agit des cervelles dont la majorité étaient importées d'Angleterre alors qu'en Angleterre, elles étaient déjà interdites à la consommation depuis deux ans.

M. Benoît Assemat - Je n'ai pas la moindre information sur la provenance des cervelles qui entraient auparavant dans les petits pots pour bébés, mais je ne pense pas qu'une mesure ait été prise à ce sujet en France en 1992, à moins que cela m'ait échappé. Je n'en ai pas le souvenir.

M. Georges Gruillot - J'ai une troisième question. J'ai trouvé que vous étiez très affirmatif quand vous avez dit que le prion était une protéine liposoluble. En effet, le professeur Dormont qui, pour nous, est le nec plus ultra des connaissances en matière de prion, l'est beaucoup moins que vous. Est-ce lui qui est un peu rétro ou vous qui allez trop vite ?

M. Benoît Assemat - Vous pouvez consulter tous les traités de biochimie. Ils disent tous que le prion est une glycoprotéine dont le caractère hydrophobe est très marqué. Tous les experts le savent et il n'y a absolument aucun doute là-dessus. Je ne pense pas qu'un quelconque expert puisse le contester ; ce n'est pas la question.

M. Georges Gruillot - Je vous interroge simplement là-dessus.

M. Benoît Assemat - La présence du prion dans les farines animales n'a jamais été mise en cause. Elle est évidente. On a toujours mis en cause les farines animales et je ne veux pas contester leur rôle. Je dis simplement qu'avant 1996, les farines brutes d'équarrissage conduisaient à un produit qui s'appelle la graisse d'équarrissage, qui n'est plus utilisée aujourd'hui mais sur laquelle je n'ai jamais eu de réponse satisfaisante qui me permette de comprendre pourquoi on ne mettait pas en cause le rôle éventuel joué par ces graisses d'équarrissage.

M. Paul Blanc - Si je vous comprends bien, vous pensez que ce sont plus ces graisses d'équarrissage qui seraient en cause, puisque le prion est liposoluble, que les farines à base de protéines elles-mêmes ?

M. Benoît Assemat - Je ne vais pas si loin que cela. Je dis que la question ne me semble pas avoir été suffisamment creusée. En tout cas, lorsque je m'y suis intéressé, je n'ai jamais eu de réponse qui me paraisse satisfaisante.

M. Georges Gruillot - J'en viens à ma dernière question à laquelle vous me répondrez facilement en tant que président du syndicat : aujourd'hui, quel salaire horaire accorde l'Etat aux vétérinaires inspecteurs vacataires ? Je voudrais savoir si cela a beaucoup progressé.

M. Benoît Assemat - Nous avons eu le grand plaisir de voir que l'action que nos avions menée au titre du syndicat avait conduit M. Jean Glavany à demander une revalorisation de plus de 40 % du taux de la vacation horaire, qui est donc passé de 70 F nets à 100 F nets au 1er janvier 2001. L'arrêté n'est pas sorti mais il sera rétroactif au 1er janvier 2001.

Cette augmentation de 40 % conduit donc à rémunérer un vétérinaire qui est recruté par exemple à 135 vacations par mois, ce qui est un cas relativement fréquent qui correspond à 80 % de mes confrères, sur la base de 13 500 F, ce qui est beaucoup mieux que 9 200 F nets. Nous dénoncions cette situation qui nous paraissait tout à fait scandaleuse. Nous avions indiqué que, pour nous, c'était une insulte au rôle joué par les vétérinaires en matière de contrôle sanitaire.

M. Georges Gruillot - Nous allons y réfléchir.

M. le Rapporteur - Vous avez dit tout à l'heure que les risques en matière de contamination humaine étaient un problème qui relevait plutôt du passé qu'autre chose en relevant que la date fatidique de 1996 pour les retraits de matériels à risques spécifiés était importante, ce qui est vrai. Cela étant, je reste marqué par cette notion d'incorporation de cervelles dans les pots pour bébés jusqu'en 1992, ce qui m'amène à être moins rassurant, en termes de prospectives épidémiologiques, que Mme Alpérovitch. Je suis quand même assez inquiet.

Quand on écoute également Mme Jeanne Brugère-Picoux, qui souligne que, jusqu'en 1994-1995, nous avons importé des tonnages importants d'abats d'origine britannique, on peut peut-être se dire que le danger est derrière nous mais que de nombreux cas humains sont terriblement devant nous.

Je repose donc indirectement la question que vient de vous poser mon collègue Gruillot en ce qui concerne les mouvements intracommunautaires et, en particulier, sur les quantités d'abats et de carcasses provenant d'Angleterre en 1994-1995. Je crois avoir les chiffres précis en tête : il y avait à cette époque environ 220 000 tonnes de viandes anglaises exportées, dont environ 50 % étaient importées en France.

Je suis désolé, mais il faut bien admettre que les Anglais ont interdit unilatéralement, chez eux, les farines, les carcasses ou les matériels à risques spécifiés mais qu'ils ont tout fait pour les exporter. C'est un point fondamental que la commission va creuser. Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. Benoît Assemat - Je la partage totalement. J'ajoute qu'à mon avis --je répète ce que j'ai dit tout à l'heure--, jusqu'en mars 1996, ont pu être incorporées dans certaines préparations à base de viande (et je ne parle pas de la viande hachée car, en France, la réglementation prévoit que la viande hachée ne contienne que de la viande) des éléments du système nerveux central. Je précise que je n'ai pas du tout le souvenir de cet arrêté de 1992.

M. le Président - Compte tenu du délai d'incubation dans l'espèce humaine, on peut se poser des questions.

M. Benoît Assemat - Il est possible --je n'en sais rien-- que le pic de contamination des humains, en France, se trouve entre 1993 et 1995 alors qu'au Royaume-Uni, il se retrouve avant, mais je n'ai pas de compétences pour l'affirmer et je n'ai pas plus d'éléments que ce qu'indique la presse.

M. le Président - En 1992, ce sont uniquement les MRS qui ont été retirés des compléments alimentaires et des produits destinés à l'alimentation infantile.

M. Benoît Assemat - A mon avis, des éléments des systèmes nerveux centraux britanniques ont pu rentrer en France jusqu'en mars 1996. Je ne dis pas qu'ils sont rentrés mais, réglementairement, ils ont pu le faire.

M. le Président - C'est le cas jusqu'à l'embargo, qui date de mars 1996.

M. Benoît Assemat - C'était mon analyse, jusqu'à présent, de l'évolution de la réglementation.

M. le Rapporteur - A mon avis, pour faire la moindre projection en ce qui concerne l'incidence sur la santé humaine et le nombre de cas que l'on pourrait malheureusement découvrir chez nos concitoyens, je pense qu'il faudra attendre encore quelques années en constatant cette incidence sur la population anglaise.

Cependant, je souscris totalement à ce que nous a dit ici Mme Brugère-Picoux : après la population anglaise, c'est la population française qui a été la plus soumise au risque entre 1993 et 1996.

M. Benoît Assemat - Je le pense aussi.

M. le Président - S'il n'y a plus de questions, nous vous remercions.

Audition de M. René BAILLY, Président du Syndicat national
des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL)

(24  janvier 2001)

(Huis clos demandé)
Audition de M. Jean-Jacques RÉVEILLON,
Directeur de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires

(24 janvier 2001)

M. Roland du Luart, Président - Mes chers collègues, nous recevons M. Jean-Jacques Réveillon, Directeur de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Réveillon.

M. le Président - Monsieur le Directeur, je vais vous demander de faire le point de ce que vous savez sur le sujet des enquêtes vétérinaires, après quoi M. le Rapporteur vous questionnera, ainsi que mes différents collègues.

M. Jean-Jacques Réveillon - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les membres de la commission, je prendrai d'abord quelques minutes pour vous présenter la Brigade et l'esprit dans lequel nous travaillons.

Nous sommes une petite unité composée d'une vingtaine de personnes, dont quatorze enquêteurs. Cette unité a été créée en 1992 pour faire face à l'organisation des trafiquants d'anabolisants qui se constituaient en réseau et qu'il était difficile de réprimer par les structures du ministère, c'est-à-dire, en particulier, par l'organisation et les compétences territoriales départementales. Nous avons donc créé la Brigade avec une compétence territoriale nationale pour lutter contre la délinquance sanitaire organisée. C'était sa première vocation.

Nous sommes peu nombreux, quatorze enquêteurs. C'est une volonté et nous ne souhaitons pas augmenter ce nombre parce que nous fonctionnons d'une manière particulière. J'en suis le directeur et j'ai un directeur adjoint qui s'occupe de tout ce qui est gestion et administration, mais nous travaillons en direct avec chacun des agents, qui dispose d'une assez grande autonomie d'action, de déplacement et de liberté afin d'être le plus efficace possible. Je précise que, dès que possible, nous nous plaçons sous autorité judiciaire, parce que nous n'apprécions pas les administrations avec des électrons libres et ne souhaitons donc pas en être une.

Nous développons nos activités dans trois secteurs.

Le premier est un secteur essentiellement d'enquêtes judiciaires. C'est principalement à ce titre que nous apportons notre appui à l'autorité judiciaire, à la Gendarmerie et à la police ; nous travaillons en collaboration avec la Direction nationale des enquêtes douanières et la Direction nationale des enquêtes fiscales.

En général, nous travaillons après une enquête préalable menée de notre propre initiative en fonction des pouvoirs qui sont conférés aux agents par le code rural, le code de la consommation et le code de la santé publique. Dès que nous avons réuni un faisceau de présomptions suffisant pour supposer qu'il existe un système de délinquance, nous saisissons le procureur de la République compétent en fonction du territoire qui, en général, nous désigne un service de police judiciaire, gendarmerie ou police, et nous place, par commission rogatoire, sous l'autorité de l'officier de police judiciaire qu'il charge de l'enquête.

C'est le premier aspect de nos activités.

Le deuxième aspect, c'est le développement d'une capacité d'expertise que je qualifierai de bas niveau. Nous sommes assez originaux : nous utilisons un créneau auquel personne n'a recours. Tout le monde recrute des experts de haut niveau et nous recrutons, nous, ce que nous appelons des experts de bas niveau, l'expression n'étant absolument pas péjorative. Parmi mes agents, j'ai des techniciens, des ingénieurs et des vétérinaires, sans hiérarchie (ils fonctionnent chacun à leur tour en fonction de l'enquête, qu'ils peuvent diriger ou non), qui ont la particularité d'avoir une forte expérience de terrain. J'ai un technicien qui a été agriculteur pendant quinze ans, des gens qui ont passé des années dans des abattoirs, un vétérinaire qui a été praticien pendant dix ans, etc. Ce sont donc des gens qui sont capables de détecter, quand ils rentrent dans un abattoir, le geste anormal qui cache quelque chose qui ne va pas.

En matière scientifique, nous nous appuyons, quand c'est nécessaire, sur l'AFSSA, sur les écoles vétérinaires et même sur la faculté de médecine, c'est-à-dire sur tous les gens que nous pouvons trouver pour nous aider, sachant que nous n'avons pas de problème pour les trouver.

Cette capacité d'expertise nous permet de faire des enquêtes techniques et administratives pour voir comment la loi est appliquée par les professionnels, déceler ce qui ne va pas dans l'application des règles et déterminer les règlements qui, peut-être, ne sont pas applicables.

La troisième partie, celle qui nous intéresse plus précisément aujourd'hui, a été confiée à la Brigade début 1996 : il s'agit des enquêtes épidémiologiques en élevage et des enquêtes alimentaires concernant l'encéphalopathie spongiforme bovine.

Dans ce domaine, nous avons quatre enquêteurs depuis le mois de septembre. Auparavant, nous n'en avions qu'un, mais, du fait de l'augmentation importante des cas déclarés et de l'augmentation des cas liés à la mise en oeuvre des tests, nous avons augmenté le nombre, sachant que nous ne pourrons pas l'augmenter indéfiniment parce que, dans une matière où il y a aussi peu de certitudes en matière scientifique, il importe de ne pas multiplier les enquêteurs pour conserver des enquêtes exploitables au plan statistique et avoir des démarches homogènes entre les enquêteurs.

Si vous le souhaitez, je peux continuer dans ce domaine plus particulier qui, je crois, est l'objet de votre travail.

Nous n'intervenons pas immédiatement après la déclaration d'un cas d'ESB, mais, par principe, seulement environ un mois après l'abattage des animaux. En fait, c'est ce qui se passait il y a quelque temps. En effet, nous avons pris du retard en raison du grand nombre de cas, ce qui a provoqué un décalage d'environ quatre à cinq mois. Nous procédons ainsi parce que, tout simplement, nous souhaitons intervenir à froid et non pas dans un cadre émotionnel. Notre objectif est d'essayer de savoir ce qui s'est exactement passé après que l'éleveur a surmonté toute sa phase de culpabilisation parce qu'il a eu un cas d'ESB et qu'il s'interroge sur ce qu'il a pu faire, ainsi qu'après une deuxième phase un peu dépressive parce qu'on lui a abattu ses animaux. Nous attendons donc qu'il ait reconstitué son cheptel pour passer chez lui. C'est une technique absolument volontaire.

Actuellement, nous sommes malheureusement un peu débordés et nous espérons que cela va diminuer, non pas seulement, d'ailleurs, pour les besoins de la brigade. Nous intervenons à peu près quatre ou cinq mois après.

Les investigations portent sur l'ensemble de l'exploitation : sa structure générale, son équilibre économique, ses diverses productions, les aliments qu'ont pu recevoir les bovins, les médicaments, les divers traitements et les diverses pratiques, notamment celles qui concernent l'épandage.

Il s'agit d'un entretien que je qualifierai de semi-directif, qui est fondé avant tout sur une enquête documentaire. A l'occasion de cette enquête, nous prenons toutes les factures de l'éleveur.

Il faut être conscient que nous intervenons sur un cas pour un animal qui a pu s'infecter six ou sept ans auparavant. Donc les enquêtes portent sur une durée qui remonte à environ trois mois avant la naissance du cas jusqu'à deux ans avant sa mort, ce qui nous fait des périodes d'enquête extrêmement longues. Il faut en avoir conscience parce que, sur une durée moyenne d'enquête de quatre à cinq ans, nous trouvons entre 2 et 140 dénominations commerciales d'aliments qui sont rentrés sur l'exploitation, avec une moyenne d'environ 55 à 60, ces dénominations commerciales pouvant correspondre à plusieurs lots de fabrication.

Cela rend ces enquêtes extrêmement difficiles, et je pourrai vous donner quelques exemples si vous le souhaitez. Je pourrai même vous en communiquer des rapports écrits pour que vous voyiez ce que nous demandons. Je n'ai pas amené de documents parce que je ne savais pas exactement quoi vous apporter mais je vous communiquerai ce dont vous souhaitez disposer ensuite.

Comme nous recueillons toutes les factures alimentaires et pharmaceutiques, nous visitons également le vétérinaire sanitaire de l'exploitation pour essayer de retrouver le passé sanitaire de l'exploitation, sachant qu'à partir du moment où nous avons les factures, nous avons les fournisseurs. Dès lors que nous avons les fournisseurs, nous communiquons tout le dossier d'enquête épidémiologique à l'un des deux enquêteurs chargés des enquêtes alimentaires en usine et nous repartons dans l'usine à l'envers, à partir du compte client, en recueillant tout le compte client. Cela nous permet de recueillir toutes les livraisons que l'éleveur aurait pu recevoir et qu'il a oublié de nous indiquer.

Je précise bien que c'est un oubli le plus souvent. En effet, quand vous avez 140 ou même 80 aliments dans une exploitation sur une période de cinq ans, vous pouvez avoir des oublis relativement logiques.

Donc nous avons une vue exhaustive. A partir de là, nous regardons les formules et, en fonction de cela, nous examinons les aliments que l'on qualifie de sensibles parce qu'ils sont censés contenir des protéines animales ou végétales, parce qu'on peut avoir une substitution de l'une à l'autre.

Nous examinons aussi l'ensemble des productions de l'exploitation, en particulier les productions de porcs, de volailles ou autres, et nous recueillons tous les aliments qui ont été fournis aux porcs, aux volailles, etc.

Par dossier, cela nous fait une masse de données qui est relativement importante.

Voilà, en gros, la manière dont se déroulent les enquêtes. Il faut savoir que, du fait de l'expérience, on peut considérer que l'on peut faire trois à quatre enquêtes par semaine et que, pour une enquête alimentaire, il faut, selon le cas, entre un jour et demi et trois jours dans une usine.

Je vais m'étendre quelque peu sur ce point des enquêtes dans les usines pour vous indiquer la manière dont procèdent les enquêteurs pour obtenir des résultats. Bien sûr, il y a des visites d'usine, mais aujourd'hui, elles n'apportent pas énormément de choses : chacun a ses silos bien séparés, alors que, au départ, nous avions effectivement trouvé des choses qui, dès la visite, montraient qu'il y avait des anomalies.

Ces enquêtes consistent à prendre tous les documents comptables de l'entreprise, à voir à peu près à quelle date ses responsables ont fait les investissements nécessaires pour les séparations qui s'avéraient nécessaires, à regarder les systèmes informatiques pour voir si la succession des productions est bien programmée et à prendre la photocopie (nous n'emmenons pas les originaux) de tout ce qu'on appelle les documents de production photocopiés, que l'on appelle les documents « du fil de l'eau », c'est-à-dire l'enregistrement de l'ensemble des productions. Ce sont des documents très précieux mais qui, malheureusement, n'étaient pas, jusqu'ici, obligatoires dans les entreprises. Ce n'est que le règlement du 8 février 2000 qui les rend obligatoires ; aux époques sur lesquelles nous enquêtons, ils ne l'étaient pas.

Cela nous permet de voir si, par exemple, une fabrication d'aliments pour ruminants a succédé à une fabrication d'aliments pour volailles sans rinçage intermédiaire. Cela nous permet de voir également à partir de quel silo ont été pris les différents composants, sachant qu'en remontant, on peut aussi savoir ce que contenaient ces silos en analysant aussi, au fil de l'eau, l'approvisionnement de l'entreprise.

Ces bilans sont très longs. Aujourd'hui, nous ne disposons pratiquement plus de fil de l'eau parce que ces documents ne sont pas obligatoires. Ce sont des documents qui étaient nécessaires aux entreprises et que celles-ci devaient garder six mois, des documents servant aux assurances, au cas où il y aurait des intoxications ou un problème dans le cheptel à la suite d'une mauvaise fabrication.

Certaines entreprises ont archivé ces documents et d'autres les ont détruits au bout de six mois. Cela fait que, dans les résultats que nous obtenons en matière judiciaire, dans bien des cas, ce sont les entreprises qui n'appliquaient pas les règles d'archivage qui se sont retrouvées un peu compromises du fait des documents qu'elles avaient conservés : bien entendu, pour celles qui les avaient détruits, comme elles en avaient le droit, on n'a plus d'éléments.

Que trouvons-nous ? En règle générale, nous décelons les contaminations croisées qui ne sont pas un mythe. Elles sont de trois types. Comme on vous en a certainement déjà parlé, je ne sais pas si je dois y revenir en détail. Il faut savoir que l'aliment bovin a toujours servi, historiquement, pour recycler les retours de non consommés, les sacs éventrés et les aliments porcs et volailles. Les porcs et volailles sont des productions industrielles qui nécessitent une composition alimentaire très précise et, dès lors que vous arrivez en fin de lot, qu'il vous reste un aliment « porc finition » ou « volaille finition » et que vous devez repartir avec un aliment « porcelet », ce n'est pas le même aliment. S'il reste suffisamment d'aliment, le fabricant le reprend. Seulement, comme c'est un aliment composé, il est très compliqué de le réintégrer dans une formule « porc » ou « volaille ».

Chez les bovins, c'est plus simple puisqu'en fait, ce n'est pas le bovin que l'on nourrit mais les bactéries du rumen, qui s'adaptent relativement rapidement en fonction de la composition de l'aliment. C'était donc une habitude.

M. le Président - M. le Rapporteur a une question à vous poser.

M. Jean Bizet, rapporteur - Monsieur le Directeur, puis-je vous interrompre dès maintenant ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Tout à fait. Je ne sais pas comment faire ; donc je parle, vous m'interrompez et je réponds aux questions quand vous voulez.

M. le Rapporteur - En ce qui concerne cette problématique des contaminations croisées et donc des retours d'aliments non consommés pour porcs et volailles, à quelle date, précisément, avez-vous pris conscience de cette notion de contaminations croisées et de son importance et, par ailleurs, quelles entreprises françaises avez-vous listées ? Nous souhaiterions avoir des noms parce que, lorsque nous nous déplaçons sur le terrain, nous n'en avons pas, sachant que chaque entreprise lave « plus blanc que blanc ».

A quelle date en avez-vous pris conscience et quelles entreprises françaises se sont-elles livrées à ces réincorporations ayant généré des contaminations croisées ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je précise que j'ai pris mes fonctions il y a un an, si bien que j'ai un peu de recul d'un côté mais que, d'un autre côté, je n'ai pas totalement en tête l'atmosphère générale qui présidait aux décisions, ce qui est très important pour savoir ce qui s'est passé.

Cependant, d'après les rapports et d'après ce que me disent mes agents, nous en avons pris conscience assez tôt. Dès la première année, c'est-à-dire en 1996, puisque, auparavant, nous ne faisions pas ces enquêtes, nous nous sommes aperçu que certaines pratiques n'excluaient pas les contaminations croisées, loin de là. J'ajoute que nous en avons trouvé jusqu'en 1997- 1998, au fur et à mesure de nos enquêtes.

Lorsque nous avons pu les trouver, nous avons transmis des dossiers au procureur de la République. Ce sont des dossiers très complexes à monter juridiquement. En effet, comme nous enquêtons dans le cadre d'un cas qui a eu lieu cinq ou six ans avant, sachant qu'il y a de nombreux lots, il est impossible de prouver que ce sont tel lot et telles farines qui ont provoqué tels cas. Nous enquêtons donc dans le cadre d'un cas mais nous constatons des défauts d'application du règlement qui veut que l'on n'utilise pas de farines animales dans l'alimentation des ruminants.

S'agissant des nombres, nous avons actuellement six dossiers qui sont au parquet, qui ont été retenus et qui ont fait l'objet d'un numéro de parquet. Je précise que ce sont des entreprises relativement importantes. Je n'ai pas souhaité avoir le huis clos mais, d'un autre côté, il m'est un peu difficile de communiquer des noms. En conséquence, je souhaite plutôt vous les communiquer par écrit, si cela ne vous dérange pas, parce que je ne sais pas quelle attitude prendre par rapport à la publication des noms.

Je ne suis pas du tout opposé à vous les communiquer ; je n'ai pas demandé le huis clos parce que j'estime n'avoir rien à cacher. D'un cotre côté, ces dossiers font l'objet de procédures judiciaires et ils ont un numéro de parquet. Je vous communiquerai donc les noms et les numéros de parquet, si vous le permettez.

M. le Rapporteur - Peu importe la formulation. Nous notons bien que vous allez nous communiquer six documents avec des numéros comportant donc six noms d'entreprises.

M. Jean-Jacques Réveillon - Je vous donnerai la liste des six noms avec les numéros de parquet.

M. le Rapporteur - Très bien. J'en reviens à la date de 1996 à partir de laquelle vous avez pris conscience des problèmes de contaminations croisées...

M. Jean-Jacques Réveillon - C'est dans le rapport de la Brigade. A partir de 1996-1997, on voit très bien qu'il y a des contaminations croisées. Attention : je parle ici de contaminations croisées d'entreprises alors qu'il y a aussi des contaminations croisées d'élevage.

M. le Rapporteur - Cela étant, vous avez informé les parquets correspondants. Avez-vous informé la Direction générale de l'alimentation ou le ministère de l'agriculture ? Si je vous pose cette question, c'est que, entre 1996 et 2000, date à laquelle le ministère a pris la décision d'interdire toute incorporation de farines dans l'alimentation animale, il s'est écoulé quatre ans. Avez-vous donc informé le ministère parallèlement, dès 1996 ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Le ministre est destinataire de nos rapports épidémiologiques d'ESB et c'est contenu dedans.

M. le Rapporteur - Très bien. Nous notons les quatre années.

M. Jean-François Humbert - Je voudrais dire un mot sur les rapports transmis au ministère. Pourriez-vous nous les faire parvenir ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Bien sûr. Cela ne pose aucun problème. Le rapport de 1996, donc publié en 1997, a été rendu public et le rapport provisoire 1999 a été mis sur Internet. Les rapports de 1997 et 1998 n'ont pas été rendus publics parce qu'ils sont nominatifs, c'est-à-dire qu'ils donnent le nom des entreprises et le nom des dénominations commerciales d'aliments, mais je peux vous les communiquer.

Quant au rapport définitif 1999 et début 2000, il est pratiquement prêt. Il a été plus long à rédiger parce qu'on voulait le rendre public, ce qui nous a obligés à coder tous les noms et toutes les nominations commerciales pour ne pas avoir d'ennuis, sachant que nous n'émettons que des hypothèses tant que nous n'avons pas de certitude. Il a été plus long à élaborer mais il est terminé et je pourrai également vous le communiquer.

M. Michel Souplet - Aujourd'hui, après avoir constaté un certain nombre de cas, en particulier dans la région du grand ouest où ils sont les plus nombreux, a-t-on pu faire un rapprochement entre l'origine des farines et les cas que l'on constate ? Cela vient-il d'un, deux ou trois producteurs d'aliments ou n'y a-t-il pas du tout de corrélation ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Comme je vous l'ai dit, en matière d'ESB, nous nous refusons d'émettre des affirmations et d'avoir des certitudes, sans quoi nous aurions le prix Nobel... Nous faisons donc des hypothèses que nous confirmons, que nous infirmons ou que nous détruisons au cours du temps, quand les faits sont établis ultérieurement.

Nous avons retenu l'hypothèse britannique de contamination par les farines de viande et d'os, bien sûr, mais sans éliminer les autres hypothèses, c'est-à-dire que nous cherchons à voir s'il y a des corrélations avec des médicaments ou des vaccins qui auraient été préparés à partir de sérum bovin ou à partir de cellules.

Nous faisons aussi à chaque fois l'analyse de l'éventualité d'une transmission mère-fille (je dis "mère-fille" parce que, jusqu'ici, on n'a que des femelles, sachant que les mâles meurent trop tôt pour exprimer des symptômes et qu'on ne sait donc pas ce qu'ils deviennent) mais nous n'avons pas trouvé d'éléments probants.

Pour être clairs, nous examinons ce qu'est devenue la mère après la naissance du veau qui est devenu un cas et nous examinons tout ce qui s'est passé pendant l'année qui suit. Or, pendant cette année qui suit, dans aucun des cas nous n'avons retrouvé une mort anormale de la mère. Soit la mère était vivante au bout d'un an, soit elle a été abattue parce que c'était son âge normal d'abattage en tant que vache de réforme. Nous n'avons donc rien de probant en matière de transmission mère-fille sur les quelque 250 cas que nous avons et les 170 cas sur lesquels nous avons enquêté, puisque des enquêtes n'ont pas été menées sur tous les cas à ce jour.

En ce qui concerne les farines animales, nous avons plusieurs hypothèses qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Si vous analysez les dates de naissance des cas que l'on découvre aujourd'hui et des cas de 1999-2000, il faut savoir que, jusqu'en 1999, on avait si peu de cas que l'on était très timide. Je ne dirai pas que je suis content d'en voir plus mais, au plan statistique, on est plus ferme quand on parle de 200 cas que lorsqu'on parle de 20 cas.

Nous avons déterminé que les animaux nés entre 1993 et 1995 ont été soumis à une exposition plus importante que les autres. Nous estimons donc qu'il s'est passé quelque chose entre 1993 et 1995, après leur naissance (ce sont les hypothèses des Anglais mais nous avons deux ou trois cas qui prouvent qu'ils ont été contaminés de façon certaine entre trois mois et un an), qui a fait que les aliments distribués aux bovins ont été plus contaminants.

A partir de là, nous avons trois possibilités de contamination des farines.

La première possibilité est une contamination à partir des farines britanniques importées, quand c'était tout à fait légal, entre 1986 et le 5 février 1990. Il faut savoir que l'on a importé à cette époque entre trente et quarante mille tonnes de farine. Quand on regarde la liste des origines (on les a puisque c'était légal et qu'il n'y avait donc pas de raison de cacher les choses), on s'aperçoit que, parmi les importateurs, on a des fabricants de farines anglaises qui sont ceux qui ont été à l'origine de l'épidémie britannique.

Par conséquent, entre 1986 et 1989, nos animaux ont mangé une farine contaminante, puisque ces mêmes farines ont provoqué en Grande-Bretagne, dans les années 1992 et 1993, 30 000 cas par an. Chez nous, en important entre 5 et 10 % de la production britannique, même si nous les avons données en grande partie aux porcs et aux volailles, parce qu'il est vrai que les ruminants en mangent peu, nous avons eu quelques cas.

La question qui se pose est la suivante : pourquoi, à partir des mêmes farines, les Britanniques ont-ils eu 30 000 cas alors que nous n'en avons eu que quelques-uns ? On ne se l'explique pas.

J'ai eu conscience de cette hypothèse à partir des cas de suspicion. En effet, quand on analyse les suspicions de maladie et non pas seulement les cas positifs, on s'aperçoit par exemple qu'en l'an 2000, on doit être aux environs de 426 suspicions (à dix unités près, car je ne suis pas tout à fait sûr du nombre), dont 323 négatives alors que, dans les années 1993 à 1995, on en était à 20 ou 30 suspicions. Or ces négatives d'aujourd'hui devaient bien exister à cette époque-là. Celles qui sont négatives sont celles qui n'avaient pas l'ESB.

Par conséquent, sauf à avoir une autre maladie comparable à l'ESB qui se serait développée ensuite, cela prouve que le réseau épidémiologique est monté en puissance très progressivement et que nous n'avons peut-être pas décelé tous les cas.

Cela signifie que, selon notre hypothèse (car c'est bien une hypothèse), nous avons, dans les années 1993 et 1994, recyclé des cas qui ont pu ne pas être déclarés (on pourrait en examiner les raisons, sachant qu'il peut y en avoir plusieurs) et que l'on a pu recontaminer nos farines françaises.

Il faut savoir qu'à l'époque, l'esprit qui prévalait dans nos équarrissages, c'est que si les Anglais avaient eu ces problèmes, c'est parce qu'ils chauffaient les farines à 70 ou 80 degrés mais que nous pouvions nous sentir en sécurité parce que nous les chauffions non pas encore à 133 degrés, puisque c'est venu progressivement, mais suffisamment pour éliminer les clostridium et leurs spores ; c'était en effet le critère retenu.

Or on s'aperçoit maintenant que non seulement les 120 degrés ne suffisent pas mais que les 133 degrés, vingt minutes et 3 bars (il suffit de voir ce qui se passe en Allemagne) n'étaient pas non plus une sécurité.

Par conséquent, s'il y a eu des sous-déclarations et si des animaux contaminés sont passés dans la filière d'équarrissage, il n'y a pas de raison que nos propres farines n'aient pas été recontaminées.

C'est l'hypothèse de la contamination des farines françaises. Il est possible que je déçoive, mais je ne veux pas que l'on puisse dire toujours : "ce sont les autres". Il faut analyser ce qui se passe chez nous aussi.

La première possibilité, c'est la contamination des farines françaises, la deuxième étant les farines d'origine britannique et la troisième les farines d'autres origines.

J'en viens donc à la deuxième hypothèse : les farines d'origine britannique, qui se subdivisent en deux.

Nous avons d'abord les farines d'origine britannique avérée. A cet égard --et nous sommes un peu désolés de ne pas aller dans le sens courant--, nous n'avons pas trouvé, au cours de nos investigations, qui ont parfois été très poussées sur le plan documentaire, de farines de viande et d'os de ruminants marquées "origine britannique".

Cela veut-il dire qu'il n'y en a pas eu ? C'est une autre affaire parce que le marché des farines est paneuropéen et qu'il est lié, en cours et en qualité, au marché des protéines en général, qui est un marché mondial. Il y a, dans ces affaires, des courtiers et des commerçants en farines. Quand on dit : « je veux tant de farine de telle caractéristique », cela passe par un certain nombre de pays et de silos et, il n'y a pas de traçabilité.

Peut-on masquer l'origine d'une farine en ne mettant que la provenance et en faisant passer la provenance pour l'origine ? J'émets une hypothèse : quand un produit est interdit et que l'on a un moyen de s'en procurer d'une autre manière, on ne va pas s'amuser à marquer « farine anglaise » sur le produit. Donc s'il y en a eu, elles sont peut-être passées autrement et pour les identifier, cela relève de l'enquête internationale, de l'enquête documentaire sur dix ans chez les courtiers, de l'enquête des importations et exportations de tous les pays pour voir si certains n'auraient pas fabriqué plus de farines que déclaré, etc.

C'est une hypothèse dont il faut tenir compte. Je ne dis pas qu'il n'y a pas eu de farine britannique. J'ai même lu dans la presse des articles qui indiquaient que nous avions fourni des documents inexploitables. Nous ne pouvons pas inventer des documents que nous n'avons pas. Nous avons des documents sur les importations de farines et nous n'avons pas trouvé de farines d'origine britannique. Je parle bien de farines de viande et d'os de ruminants. Il n'en est pas de même pour les farines de volaille.

M. le Président - Le rapporteur va vous interrompre.

M. le Rapporteur - Pouvons-nous imaginer, à ce stade de votre information, que votre curiosité vous a poussé, malgré tout, à comparer les tonnages d'importation au niveau français par rapport aux exportations des différents pays, le Royaume-Uni, certes, mais également la Belgique, l'Irlande, les Pays-Bas, etc. ? Avez-vous pu voir certaines concordances ou discordances ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Cela n'a pas encore été fait mais nous avons engagé plusieurs choses dont je vais vous parler au fur et à mesure et cela fait partie des choses que nous sommes en train d'engager. Des gens travaillent là-dessus et il y a même sur le réseau Internet une « liste ESB » sur laquelle un grand nombre de correspondants sont en train de faire des calculs. Je regarde donc ce qui se passe. Je ne peux pas vous l'affirmer, mais il semble que la réponse soit affirmative. Il semble que certains pays ont produit beaucoup de farines.

M. le Rapporteur - Depuis combien de temps cette approche de concordance entre importations et exportations a-t-elle été menée ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Nous ne faisons que la commencer parce que ce n'était pas notre travail. Dans notre action, nous nous sommes arrêtés à l'enquête alimentaire et dès que nous avions des documents intéressants, nous travaillions avec la section de recherche de la gendarmerie de Paris et nous lui avons fourni des documents sur d'éventuelles enquêtes sur les courtiers internationaux ou autres, mais nous n'avons pas le pouvoir d'aller plus loin.

Il faut savoir que nous n'avons pas une méthode d'école, c'est-à-dire que nous travaillons toujours au ras du terrain. Nous prenons des documents, nous les analysons à fond et nous recherchons des documents supplémentaires. Nous ne partons pas d'une étude d'ensemble pour essayer de voir comment s'organisaient les flux. Nous partons d'un point de détail et nous démontons des pelotes de laine. Il s'agit d'un travail d'enquêteur assez comparable à ce que peut faire la gendarmerie ou la police.

Donc ce n'est pas tout à fait notre travail de faire ces analyses économiques générales, mais à partir du moment où on en arrive à cette hypothèse que je viens d'évoquer, nous sommes en train d'essayer de recueillir des documents afin de la confirmer. Le problème est d'avoir des chiffres valables.

M. le Rapporteur - A quelle date pensez-vous pouvoir annoncer quelques chiffres ou quelques conclusions ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je suis ennuyé pour vous répondre parce que ce n'est pas un travail qui devrait être fait par nous. Normalement, une brigade d'enquêteurs ne fait pas ce genre de chose. Nous ne le faisons qu'en interne, sachant que nous faisons un certain nombre de choses en interne.

M. le Rapporteur - Qui doit logiquement le faire et qui vous a mandaté pour le faire si ce n'était pas votre travail ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Personne ne nous a mandatés pour le faire. Comme je vous l'ai dit, nous émettons des hypothèses et nous partons donc d'éléments logiques. Quand je vous parle de ces hypothèses, je vous dis que, sur les farines, il y a trois possibilités : soit elles sont françaises, soit elles sont britanniques, soit elles sont d'autres origines.

Pour ce qui est des farines françaises, il y a deux possibilités, dont l'une que je ne vous ai pas donnée parce que nous sommes partis sur un autre sujet. Il y a la possibilité de recyclage des bovins français contaminés dans les farines françaises, mais il faut aussi examiner la possibilité de recyclage de carcasses d'animaux anglais qui auraient pu contenir encore la moelle épinière dans l'équarrissage français. Il faut être exhaustif.

Quant aux farines d'origine britanniques, il y a également deux hypothèses : soit elles étaient marquées « origine anglaise », soit l'origine a été masquée et on a substitué la provenance à l'origine. Beaucoup de farines transitent par les Pays-Bas et la Belgique, mais aucun pays n'est à viser en particulier. Il faut reprendre toute la liste de ce qu'on a trouvé.

Pour ce qui est des farines de volaille, nous avons trouvé par hasard des importations de volailles d'Italie. S'ils n'avaient pas commis l'erreur de laisser le dossier avec les feuilles de route derrière, nous n'aurions jamais su qu'elles venaient d'Angleterre. Comme c'étaient des farines de volaille, nous ne pouvions rien faire, mais le fait est là.

Je veux bien faire faire ce travail si vous le voulez, même s'il faudrait que j'en parle à ma directrice puisque c'est elle qui donne les attributions de la Brigade.

Je n'en ai pas encore parlé, mais il faut savoir que je dépends directement de Catherine Geslain-Lanéelle, la Directrice générale de l'alimentation, et que je suis contrôleur général, ce qui me permet de m'assurer d'un statut me permettant de parler et de ne pas avoir d'ennuis si je ne suis pas d'accord, c'est-à-dire un statut d'impartialité. Nous avons donc toutes les conditions de l'impartialité.

Cela étant dit, je vous réponds oui à sa place et nous allons voir ce que nous pourrons faire dans quelques mois, mais je fixerai la date plus tard parce que nous n'en sommes qu'au début et que nous devons évaluer les documents disponibles. Entre nous, si un service devait faire cela, c'est bien celui des Douanes.

M. le Rapporteur - Nous voudrions avoir cette information début mai compte tenu des délais de notre commission.

M. Jean-Jacques Réveillon - Pouvez-vous poser la question au service des Douanes et me permettez-vous de prendre contact avec le service des Douanes pour savoir comment nous pourrions nous organiser sur cette affaire ?

M. le Rapporteur - Bien sûr.

M. Jean-Jacques Réveillon - Ce sont eux qui ont les documents et qui ont la correspondance avec leurs homologues des autres pays.

M. le Rapporteur - L'important, c'est le résultat.

M. Jean-Jacques Réveillon - Je vais voir cela avec les Douanes.

M. le Président - Nous allons recevoir les représentants des Douanes françaises le 31 janvier. Donc nous ferons passer le message.

M. le Rapporteur - Dans cet ordre d'idée, pourrions-nous avoir votre rapport 1999 « nominatif », si je puis dire ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui, s'il n'est pas publié. Je ne veux pas me retrouver en diffamation puisque ce sont des hypothèses.

M. Paul Blanc - Toujours dans le même ordre d'idée, si j'ai bien compris, les enquêtes que vous menez sont diligentées soit à la demande de votre directrice, soit à la demande du parquet.

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui.

M. Paul Blanc - Or vous avez dit tout à l'heure qu'un certain nombre de vos procédures ont été transmises au parquet. Est-ce que ce sont uniquement celles qui vous ont été demandées par le parquet ou est-ce que, de votre propre initiative, vous en transmettez au parquet ?

M. Jean-Jacques Réveillon - C'est de notre propre initiative que nous les transmettons au parquet, et nous en avons deux ou trois en cours.

M. Paul Blanc - Pour quelle raison les transmettez-vous au parquet ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Parce que nous avons noté des éléments que nous estimons des présomptions suffisamment fortes et concordantes pour estimer qu'il y a un non-respect des textes en matière d'incorporation de farines animales dans l'aliment bovin.

M. Jean Bernard - Savez-vous quel sort est réservé à ces transmissions ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Actuellement, c'est en cours.

M. Paul Blanc - Il s'agit du secret de l'instruction, mon cher collègue.

M. Jean-Jacques Réveillon - Si un sort leur était réservé, je vous le dirais, mais les six dossiers dont je vous parle sont, pour certains, en enquête préliminaire, sous autorité du procureur et, pour d'autres, en information judiciaire sous autorité du juge. Cela devrait donc aller assez vite et je sais que, pour un ou deux dossiers, l'enquête a apporté une confirmation de ce que nous avons fait.

M. le Rapporteur - Ce qui est, malgré tout, frustrant est ennuyeux, si je puis dire, c'est qu'en la matière Mme le juge Boizette est excessivement lente dans ses investigations. Quand on sait qu'au bout de trois ans, il y a prescription, on peut se poser beaucoup de questions. Dans le cas du département de la Manche, que je connais bien, des plaintes ont été déposées auprès d'un certain nombre de tribunaux et il n'y a jamais eu de suite jusqu'à maintenant. C'est assez troublant et frustrant.

M. Jean-Jacques Réveillon - Dans la Manche, vous allez avoir une ou même deux suites, mais vous verrez le dossier que je vais vous envoyer. Dans la Manche, il se passe des choses.

M. le Rapporteur - Nous l'attendons avec impatience.

M. Paul Blanc - J'ai plusieurs autres questions à vous poser. Au cours de vos enquêtes, avez-vous des difficultés à obtenir des industriels des renseignements sur la composition de leur formule ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Non.

M. Paul Blanc - A votre avis, est-il possible ou probable que certains éleveurs mélangent directement de la poudre d'os dans un aliment végétal acheté par leurs soins ou provenant de leur production ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui.

M. Paul Blanc - Des élevages ayant eu des cas d'ESB l'ont-ils fait à votre connaissance ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je suis assez content que l'on aborde ce problème, parce que je ne souhaite pas uniquement orienter le tir vers ceux pour lesquels on peut prouver quelque chose. Au cours de nos enquêtes épidémiologiques, que je qualifierai de "douces", dans lesquelles nous souhaitons avant tout savoir ce qui s'est passé, nous obtenons des confidences en général indirectes et codées qui nous donnent à penser qu'effectivement, la pratique consistant à donner des aliments de volaille aux jeunes bovins n'est pas inexistante.

La deuxième chose sur laquelle nous commençons à travailler, à la suite de nos enquêtes et des hypothèses que nous émettons, concerne un autre secteur dans lequel nous avons enquêté à partir de cas. En effet, nous constatons que nous avons une très forte proportion de cas qui se produisent dans des exploitations multi-espèces par rapport au pourcentage d'exploitations multi-espèces existant. Nous avons donc commencé une étude statistique pour voir s'il y a une différence signifiante et si ce sont des contaminations croisées d'aliments pour ruminants au niveau de l'usine. En effet, nous n'avons pas de raison d'avoir des différences significatives entre ceux qui n'ont que du ruminant et ceux qui ont autre chose.

Si ce sont des contaminations croisées au niveau de l'exploitation, il est moins étonnant que l'on ait une forte contamination dans les exploitations multi-espèces. C'est aussi une hypothèse mais nous avons maintenant des chiffres.

Nous engageons maintenant des enquêtes hors cas dans trois zones, que je ne désignerai pas pour l'instant, c'est-à-dire que nous avons commencé à prélever chez des industriels des listes d'acheteurs de produits pour volailles et porcs. Ensuite, nous vérifions si les acheteurs ont des volailles et des porcs, auquel cas nous essayons de voir si les indices de consommation sont tels que l'atelier peut être rentable directement, en tant que volailles, ou s'il n'y a pas un peu d'aliments qui passent chez les bovins.

Ce sont des choses très délicates. Nous n'avons aucune certitude mais nous sommes en droit de penser que cela peut exister.

Entre les deux choses, il peut y avoir éventuellement des contaminations de transports. On a constaté en effet que, dans certains cas, le reste de la livraison précédente arrivait au début de la livraison suivante, mais il y en a de moins en moins maintenant.

M. Paul Blanc - J'ai encore des questions. En ce qui concerne les aliments complémentaires que l'on peut donner dans des élevages allaitants qui, a priori, n'utilisent pas de farines animales, pensez-vous que ces aliments complémentaires pourraient être mis en cause ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui. Ils le pourraient. Si on fait l'analyse des cas qui ont fait l'objet d'enquêtes, nous avons un cas (nous en avons même deux parce que nous avons fait une enquête avant-hier qui le confirme mais il reste à faire l'enquête en usine et on veut voir, malgré la déclaration de l'éleveur, ce qu'il a vraiment acheté) qui est très simple : il s'agit d'un cas qui n'a consommé que deux aliments qui sont des compléments protéiques pour jeune bovin. Deux dénominations commerciales d'aliments sont rentrées sur l'exploitation, dans laquelle il n'y a ni porcs, ni volailles, qui ne fait pas d'épandage et qui ne compte qu'une vingtaine de bovins, sachant que ce sont des aliments qui sont livrés en sacs.

Comme il n'y a pas de contamination possible au niveau de l'élevage, nous sommes remontés à l'usine d'alimentation, qui fait 90 % de son chiffre d'affaire en porcs et volailles. Nous avons donc fait une recherche de contamination croisée et nous sommes remontés au marchand de farines. Sur la période, nous avons relevé plusieurs centaines de mouvements de farines entre les différents sites, les importations, les exportations, les passages par les courtiers et autres.

Cela fait que nous ne pouvons pas rattacher ce cas, alors que nous avons une relative certitude, à un lot déterminé ou à une origine déterminée de farine. C'est le cas le plus simple.

Nous avons d'autres cas simples qui viennent d'arriver. Nous sommes très intéressés à aller voir les cas de l'Ain et du Doubs. Ce sont deux affaires que l'on va regrouper dans les semaines qui viennent --le Doubs la semaine prochaine et l'Ain la semaine suivante-- parce que ce sont des cas intéressants. Plus nous avons de cas, plus nous allons trouver des cas exceptionnels qui vont nous permettre de déterminer quelque chose.

Il faut se garder de tout sophisme mais, dans tous les cas, il y a eu consommation de compléments « jeune bovin » protéinés. Tout le monde, bien sûr, n'a pas eu de complément « vache laitière », en particulier pour les allaitantes, et tout le monde n'a pas eu de lacto-remplaceurs, y compris dans les vaches laitières. Nous avons quelques cas dans lesquels il n'y a pas eu de lacto-remplaceurs. Cela ne veut pas dire que les lacto-remplaceurs ne sont pas en cause mais que, s'ils le sont, ce ne sont pas les seuls. Je parle bien de quelques cas chez les laitières, parce que, chez les allaitantes, il n'en est pas question.

M. Paul Blanc - Vous avez évoqué les courtiers. Pouvez-vous transmettre quelques noms à la commission ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui.

M. Paul Blanc - J'ai une dernière question. Vous avez déclaré tout à l'heure que, lorsque vous meniez vos enquêtes, vous commenciez trois mois avant la naissance. Est-ce à dire que vous n'éliminiez pas a priori une possibilité de contamination placentaire ?

M. Jean-Jacques Réveillon - De toute façon, nous n'éliminons rien a priori et nous avons des hypothèses plus ou moins fortes. Nous étudions cette hypothèse de contamination mère-fille. Simplement, comme nous estimons que, lorsqu'un aliment rentre dans une exploitation, il y a un certain délai pour être consommé, il est possible qu'un animal qui naisse trois mois après consomme un aliment rentré trois mois avant. Donc nous remontons pour avoir l'historique en matière d'aliments éventuellement consommés par le cas.

Pour les contaminations mère-fille, nous examinons le curriculum vitæ de la mère et nous regardons, dans l'année qui a suivi la naissance du veau qui est devenu un cas, ce qu'il est advenu de la mère. Nous vérifions en particulier s'il n'y a pas eu une mort avec départ à l'équarrissage. Nous n'en avons pas trouvé une seule sur les cas que nous avons étudiés. Dans deux ou trois cas, nous n'avons pas retrouvé la mère pour des problèmes d'identification, mais de façon générale, soit la mère était partie à l'abattage à un âge normal de réforme parce que c'était son dernier veau (vous savez comment les choses se passent : on attend quatre ou cinq mois pour la retaper et on l'emmène à l'abattoir), soit elle était vivante et a refait d'autres veaux.

M. le Président - Pour intervenir dans une exploitation, avez-vous un mandat du procureur ou de votre ministère ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Ce sont les droits qui nous sont conférés par le code rural. En général, dans la Brigade, nous utilisons trois codes.

Le premier est le code rural, qui nous autorise d'entrer dans tous les lieux où sont entretenus les animaux, où des denrées sont entreposés ou travaillées et, maintenant, où sont fabriqués des aliments. C'est très récent : il faut savoir que l'alimentation animale est réglementée, non pas dans la composition mais dans la fabrication, depuis très peu de temps.

Ce sont des pouvoirs de police qui sont complémentaires des pouvoirs de police des gendarmes.

Deuxièmement, nous sommes habilités à agir au titre du code de la consommation et nous travaillons avec les services de la répression des fraudes sur un certain nombre de dossiers.

Enfin, en matière de code de la santé publique, nous sommes habilités pour les médicaments vétérinaires, les substances, etc.

M. le Président - Les gens jouent-ils le jeu ou sentez-vous une certaine obstruction ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, il est important, dans une enquête épidémiologique, de savoir ce qui s'est passé. Parmi les enquêteurs que nous envoyons chez les éleveurs, nous n'envoyons pas des gens très répressifs, sans quoi nous ne saurions rien. En revanche, nous arrivons à obtenir des confidences codées, comme je vous l'ai dit.

On nous dit des choses du genre : "à bien y réfléchir, je me demande si elle ne s'est pas détachée un jour et si elle n'est pas allée manger dans le silo des cochons"...

M. le Président - Chez les fabricants d'aliment, je suppose que c'est beaucoup plus difficile.

M. Jean-Jacques Réveillon - Non. Ils nous donnent les documents quand ils les ont. En fait, cela devient difficile maintenant parce qu'ils savent bien que c'est le "fil de l'eau" qui est le document compromettant. Il ne doit plus en rester maintenant puisque ce n'est pas un document obligatoire. Nous n'avons donc pas l'espoir d'aller beaucoup plus loin dans les enquêtes, d'autant plus que les farines animales sont désormais totalement interdites.

Cela dit, nous n'avons pas de difficultés à nous faire communiquer les papiers de la part des fabricants d'aliments quand ils les ont.

M. François Marc - J'ai une question à vous poser concernant la contamination croisée à la ferme. Nous avons visité la société Glon, où on nous a dit qu'il n'y avait pas de risque que les éleveurs fassent un mélange parce que ce n'est pas la même formule et donc que personne n'aurait l'idée d'aller donner de l'aliment de volaille à des bovins.

Je voudrais avoir votre sentiment sur ce point, mais également sur l'information inverse qui nous parvient aux oreilles, dans nos cantons ruraux, et qui provient d'éleveurs qui font état de conseils qui leur auraient été donnés par des techniciens de sociétés d'aliments ou des coopératives en disant : « donnez donc un peu d'aliments porcs à vos jeunes bovins pour les démarrer ; c'est plus efficace et vous ne prenez pas de risques ».

Je voulais avoir votre sentiment sur ces deux perceptions des choses. D'un côté, on dit que la différence de formule fait qu'il ne faut pas mélanger et que personne n'aurait idée de le faire. D'un autre côté, y a-t-il eu, en ce qui concerne les responsables de ces aliments, un certain laisser-aller dans les conseils ou des choses un peu irresponsables qui ont été constatées sur le terrain ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je vous rappelle que nous nous situons dans les années 1993 et 1994, où il n'y avait que quelque cas par an, et je ne pense pas que les éleveurs auraient imaginé que les choses allaient atteindre de telles proportions.

Le fait de donner de l'aliment pour bovin aux porcs me paraît un peu compliqué, mais pour l'inverse, je ne vois pas où est le problème.

M. le Président - Le coût n'est-il pas le même ?

M. Jean-Jacques Réveillon - L'aliment porc ou volaille coûte moins cher.

M. Jean Bernard - Les fabricants d'aliment du bétail avaient dit qu'il n'y avait pas de justificatif de prix, que ce n'était pas rationnel. C'est une chose qui nous a été affirmée de façon péremptoire.

M. Jean-Jacques Réveillon - Lorsque le producteur d'aliment ne reprend pas les aliments dans un silo parce qu'il arrive en fin de bande de production et qu'il en reste, que fait l'éleveur, à partir du moment où cet aliment ne peut pas servir au démarrage de la bande suivante, puisque ce n'est pas le même ?

M. le Président - Il ne les jette pas, évidemment.

M. Jean-Jacques Réveillon - Demander à un éleveur de jeter de l'aliment est insupportable moralement et psychologiquement.

M. le Rapporteur - Je conclus sur ce point précis. Ou bien cet aliment fait l'objet d'une contamination in situ, dans l'exploitation agricole, ou bien il fait l'objet d'un retour et il y a alors une contamination croisée, mais non plus dans la ferme.

M. Jean-Jacques Réveillon - Petit à petit, en avançant dans notre discussion, nous en venons à des éléments fermes. Or je rappelle que ce sont des hypothèses et des possibilités que, personnellement, je n'exclus pas du tout.

M. le Rapporteur - A contrario, avez-vous la confirmation que, dans une ferme où il y a eu un cas d'ESB, le fournisseur d'aliments pour bétail n'utilisait pas de farines animales ? Avez-vous eu des cas de ce type ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Non. Très peu de fournisseurs fabriquent exclusivement des aliments pour bovins. Cela doit faire environ 10 % à 15 % du marché au maximum. La plupart des producteurs de farines font aussi des farines pour volailles et porcs. Il faut avoir une très forte concentration pour se spécialiser.

M. le Rapporteur - Nous en revenons donc à cette date de 1996. Dès 1996, vous avez pris conscience de la problématique de la contamination croisée.

M. Jean-Jacques Réveillon - A l'analyse des cas de 1996, donc début 1997.

M. le Rapporteur - Ce qui est inquiétant, c'est de voir que les pouvoirs publics ont mis trois ans pour réagir et pour interdire définitivement l'utilisation des farines pour toutes les espèces animales. Je relève la concordance des dates ou le différentiel entre 1997 et 2000, mais je comprends que vous ne répondiez pas.

M. Jean-Jacques Réveillon - C'est votre avis.

M. le Rapporteur - J'ai une autre question. Vous avez parlé de pratiques d'épandage. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à travers vos enquêtes épidémiologiques ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Nous sommes partis d'une autre hypothèse : le fait que l'agent infectieux (j'évite de parler du prion pour m'entourer de toutes les précautions), n'étant pas sensible aux divers enzymes et produits du tube digestif, peut le traverser et se retrouver dans le lisier quand on donne de l'aliment. Nous nous sommes donc dit que si quelqu'un reçoit du lisier sur son champ, sachant que le porc a été nourri aux farines animales, on pouvait éventuellement se retrouver avec un cas de pollution du milieu extérieur. C'est une chose que nous notons, mais nous n'avons encore trouvé aucun élément qui permet de nous orienter dans ce sens.

Nous sommes en permanence en train de nous poser des questions. Je vous les pose mais je ne voudrais pas qu'on en déduise que ce sont des certitudes. Je ne suis pas un scientifique. Nous sommes des enquêteurs et nous nous posons des questions.

M. le Rapporteur - Sur ce point précis, avez-vous des relations particulières avec l'AFSSA ? C'est quand même une problématique qui, si elle se révélait exacte, aurait des conséquences éminemment lourdes.

M. Jean-Jacques Réveillon - Je n'ai pas posé de question particulière à l'AFSSA. Ce n'est pas notre rôle. Il nous est arrivé de travailler avec elle sur le fameux cas de 1998. Je dirai que nous sommes complémentaires puisque nous faisons, nous, l'expertise de terrain et qu'elle fait de l'expertise scientifique de haut niveau.

Cela dit, je n'ai pas posé cette question à l'AFSSA. Je me contente de regarder ce qui se passe dans la presse et sur Internet concernant ces problèmes de rapports entre le milieu et l'agent infectieux pour voir s'il y a quelque chose de précis, mais nous sommes vraiment dans l'incertitude à cet égard.

M. le Président - Dans votre passé professionnel, vous avez été DSV et DDAF. Vous avez donc une grande expérience du terrain. Aujourd'hui, lorsqu'un cas d'ESB est détecté et prouvé, on abat l'animal avec tout le troupeau, après quoi on permet à l'éleveur de renouveler son cheptel, sachant que c'est à lui de le trouver, mais on ne pratique pas ce qu'on appelle le vide sanitaire et la désinfection, comme on le faisait autrefois. N'y a-t-il pas matière à réflexion sur ce point ?

Il me paraît curieux que, devant cette maladie sur laquelle on s'interroge, on ne prenne pas les précautions que l'on prenait pour d'autres maladies autrefois en pratiquant un vide sanitaire et une désinfection.

M. Jean-Jacques Réveillon - C'est une question qui relève plutôt de la compétence de l'AFSSA puisqu'elle porte sur le fait de savoir si, par le milieu extérieur, on peut avoir une contamination. Je précise quand même que tous les aliments sont éliminés, bien sûr. C'est une chose que vous pourriez demander à l'AFSSA car je ne me sens pas vraiment compétent pour répondre. Je ne veux pas induire des questions sur des éléments qui ne sont pas de ma compétence.

Pour notre part, nous prenons toutes les précautions et nous posons donc un tas de questions. Nous regardons même s'il n'y a pas quelque chose entre les races.

M. le Rapporteur - En feuilletant la liste de vos différentes expériences professionnelles, je m'aperçois qu'en octobre 1999, vous avez été missionné pour effectuer une mission sur les stockages des farines animales. Pourrions-nous être destinataires de votre rapport et pouvez-vous nous en donner brièvement les conclusions ?

M. Jean-Jacques Réveillon - C'est un rapport qui a fait suite aux auto-combustions qui s'étaient développées dans plusieurs silos, notamment en Bretagne. Dans ce contexte, il s'était agi d'examiner les différents stockages de farines animales et de voir quelles dispositions étaient prises pour juger de leur incidence par rapport à l'environnement.

A la suite de ce rapport, j'ai demandé que l'on élimine en priorité certains silos. C'est ainsi que l'on a éliminé en priorité celui de Cléguer, ce qui est une bonne chose parce que, du fait des inondations que nous venons de connaître, tout serait parti à la mer.

Je me suis fait toujours accompagner des DSV pour donner des instructions sur les dimensions des tas, la façon dont cela brûlait, les dératisations et désinsectisations, et j'ai fait une évaluation des différents sites pour déterminer ceux qu'il fallait vider en priorité et ne plus utiliser. Voilà, en gros, l'esprit de ce rapport. A l'époque, il restait 106 000 tonnes de 1996 en stock.

M. le Rapporteur - Il serait intéressant que la commission puisse l'avoir.

M. Jean-Jacques Réveillon - Je peux vous le communiquer.

M. François Marc - Il a été fait état tout à l'heure de quelques cas pour lesquels les dossiers sont transmis à la justice et qui concernent des entreprises de fournitures d'aliments qui n'ont pas respecté la réglementation. Au-delà, on peut aussi évoquer le principe de précaution, dans la mesure où les informations que nous avons pu collecter au cours de nos entretiens avec des entreprises font état d'interrogations, dès 1989, de certaines entreprises.

Selon votre analyse, beaucoup d'entreprises n'ont-elles pas manqué de vigilance sur l'application de ce principe de précaution ? N'y a-t-il pas des informations qu'elles pouvaient déjà anticiper et qui auraient dû les conduire à être plus vigilantes sur leurs pratiques ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je ne partirai pas du principe de précaution mais de l'application de la règle. A partir du moment où il ne fallait pas mettre de farine de ruminants dans l'alimentation des bovins, puis de farine animale dans l'alimentation des bovins, beaucoup n'ont pas été très rapides pour appliquer la règle.

Pour les enquêteurs que nous sommes, nous voyons si on applique la règle ou non ; le principe de précaution implique une évaluation qui n'est pas de notre domaine. Maintenant, si la question est de savoir si beaucoup de producteurs n'ont pas appliqué la règle, je vous réponds oui, et si vous me demandez si on peut le prouver, je vous réponds que c'est possible pour certains.

Je n'ai pas envie d'aller au tribunal. Donc je me méfie de ce que je dis. Je forme l'hypothèse que beaucoup n'ont pas appliqué la règle, mais j'ai au moins six cas pour lesquels je peux le prouver.

M. Jean-François Humbert - Pour éviter que vous n'alliez au tribunal, êtes-vous en mesure de nous fournir, dans les jours ou les semaines qui viennent, les noms des principaux fabricants de lacto-remplaceurs que vous avez rencontrés directement à travers vos dossiers et y a-t-il une possibilité, parmi d'autres, que ces lacto-remplaceurs soient éventuellement à l'origine de cas de vache folle ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Je peux vous fournir les noms des fabricants de lacto-remplaceurs, mais je ne dispose d'aucun élément me permettant de dire que ces produits ont joué un rôle.

M. Jean-François Humbert - J'ai été aussi prudent que vous dans ma formulation.

M. le Président - S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons en terminer avec cette audition parce que nous en avons une autre qui doit suivre. Avez-vous quelque chose à ajouter ?

M. Jean-Jacques Réveillon - Oui. J'ai parlé de trois hypothèses sur les farines et je voudrais donc parler de la troisième, qui n'est pas neutre. En effet, on s'aperçoit aujourd'hui que l'on a échangé des farines avec différents pays européens et que ces pays étaient contaminés.

Pour être complet, je résume donc les trois hypothèses : farines françaises, farines britanniques, d'origine masquée ou non, et farines européennes, qui ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Voilà notre idée sur la chose.

M. le Président - Très bien. Monsieur le Directeur, nous vous remercions de votre intervention qui était extrêmement intéressante et enrichissante pour nous tous. Nous attendons simplement que vous puissiez nous faire parvenir les différents documents que nous vous avons demandés, sachant qu'ils sont de droit pour une commission d'enquête. Je précise que nous devons rendre nos travaux pour la mi-mai. Toutes les contributions que vous pourrez nous apporter nous seront donc très précieuses.

J'ajoute que beaucoup de choses sont tenues secrètes jusqu'au moment de la publication du rapport de la commission d'enquête et que nous vous soumettrons ce qui vous concerne avant qu'il soit publié, du moins les points qui peuvent être sensibles.

Audition de M. Christian HUARD, président de Conso France, regroupant les associations de consommateurs ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT

(24 janvier 2001)

M. Roland du Luart, président - Nous recevons maintenant M. Christian Huard, président de Conso France, qui regroupe plusieurs associations de consommateurs : ADÉIC, ALLDC, CNAFAL, CNL, CGL et INDECOSA-CGT.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Huard.

M. le Président - Je vous remercie, monsieur le Président. Vous avez la parole pendant une dizaine de minutes, si vous en êtes d'accord, pour présenter votre association et nous donner votre sentiment sur le problème sur lequel nous travaillons, après quoi le rapporteur ainsi que mes collègues vous poseront les questions qu'ils souhaiteront.

M. Christian Huard - Je ne vais pas prendre beaucoup de temps pour présenter Conso France, qui est effectivement une coordination d'associations nationales de consommateurs dont vous avez donné la liste et qui avait fait l'un des dossiers prioritaires, lors de sa constitution, sur le problème de la sécurité alimentaire en général.

Cela dit, pour répondre à la question sur le pourquoi et le comment, même si je ne pense pas que ce soit l'intérêt de la commission ni de votre rapport, sachez que je tiens à dire aujourd'hui que j'ai accepté de venir ici de bon gré non pas comme expert juridique, comme expert technique ou comme scientifique mais comme représentant des citoyens consommateurs qui se posent de grandes questions.

L'avantage de Conso France par rapport à la seule association dont je suis aussi responsable, l'ADÉIC-FEN, c'est de pouvoir disposer de témoignages (c'est la grande difficulté que nous rencontrons et que vous rencontrerez) tant de salariés de l'ensemble de la filière agricole que de chercheurs publics ou privés qui, notamment par la voie de l'adhésion, tiennent à nous informer d'éléments d'interrogation, que cela vienne d'éleveurs ou d'opérateurs économiques qui, pour la plupart, à chaque fois qu'on leur demande de bien vouloir témoigner officiellement, y compris en cas de recours, nous disent : « nous ne souhaitons pas le faire. Nous vous informons au titre de citoyens mais, à titre de professionnels, nous ne pouvons pas nous engager compte tenu des risques ou des difficultés que nous pourrions rencontrer ».

Je confirme ce que disait récemment un juge d'instruction chargé d'une enquête dans cette affaire. Nous sommes dans un dossier, et non pas seulement sur les farines, dans lequel il règne quand même une certaine loi du silence qui nous complique la tâche et nous oblige à faire preuve d'une encore plus grande vigilance par rapport à d'autres secteurs professionnels avec lesquels nous travaillons et dans lesquels il y a un peu plus de transparence et de respect des obligations.

Lors d'une émission télévisée au Sénat, à laquelle on m'avait invité avec vos collègues parlementaires, j'avais dit que le problème, aujourd'hui, n'était plus tellement de trouver de nouveaux droits ou de nouvelles lois mais de rechercher une meilleure application des lois, droits et obligations existants, tant il nous apparaît, quand on fait la somme des éléments d'information dont nous disposons, et non pas forcément des témoignages sur lesquels nous pourrions vous apporter des preuves, que l'un des grands problèmes de la filière bovine, et bien au-delà de celle-ci, c'est le respect des dispositions législatives et réglementaires qui sont prises.

Je le dis en introduction pour justifier le fait que je ne vais pas m'en tenir aux seules farines animales. En effet, le dossier, chez nous, n'est pas celui des farines animales mais celui de la vache folle, de la production bovine et, au-delà, de la production de viande. Cependant, nous aurons aussi l'occasion de revenir sur les risques que l'on fait prendre aux consommateurs dans les techniques et les méthodes de production des végétaux, même si je n'en parlerai pas aujourd'hui.

Sur l'ensemble des filières viande, il faut avoir une vigilance accrue compte tenu de méthodes qui sont utilisés dans ces filières et qui ne sont pas respectueuses, loin s'en faut, de la législation, qu'elle soit européenne ou nationale, mais néanmoins plutôt plus dans notre pays que dans d'autres --j'y reviendrai tout à l'heure--, ce qui nous pose de vrais problèmes et nous conduit à faire preuve d'un grande vigilance.

Ce n'est pas un spécialiste qui va vous parler mais plutôt un représentant des citoyens qui est à une place où il doit concentrer des informations d'origines variées et diverses.

In fine, pour la première fois, je sortirai d'un silence sur une question que l'on nous a posée et je vous en réserverai la primeur parce que je considère qu'aujourd'hui, en témoignant ici, je me dois, au nom de Conso France, de vous informer d'une interrogation forte qui n'a jamais été évoquée sur le problème de la vache folle et sur laquelle votre commission d'enquête pourra peut-être déblayer des terrains qui n'ont jamais été évoqués jusqu'alors, pas plus dans les médias que chez un quelconque responsable de la filière, et qui pourraient peut-être même exonérer certains acteurs de la filière de leur responsabilité en la matière.

Cela étant dit, en ce qui concerne cette affaire de la vache folle, je noterai tout d'abord que la gestion de cette crise, sur le terrain politique, a été vraiment en notre défaveur.

Quelques faits. Cette crise a redémarré en octobre 2000, à la suite de l'affaire Carrefour, mais nous avions déjà communiqué dans les mois précédents en disant : « nous sommes repartis vers une crise ». Nous ne savions pas quand elle allait éclater mais nous pressentions à l'époque que les choses n'allaient pas se lisser toutes seules et qu'elles allaient à nouveau éclater.

Lorsque nous avons vu la manière dont cette crise a été gérée en France et en Europe, nous avons été très inquiets. Jamais les organisations de consommateurs n'ont rencontré les ministres de l'agriculture concernés, qui se refusent à toute rencontre avec ces organisations. Les décisions sont prises essentiellement par les ministres de l'agriculture en Europe et il n'y a jamais eu une seule réunion du conseil des ministres de la consommation ni aucune réunion du conseil des ministres de la santé au niveau européen lors de cette crise de la vache folle.

Toutes ces décisions ont été prises par les ministres chargés de la responsabilité économique de la filière agricole, et je le dis avec beaucoup de sérénité.

Il faut dire qu'en France, nous n'avons toujours pas de ministre de la consommation. Nous avons un secrétaire d'Etat qui, après les PME, les PMI, le commerce et l'artisanat, qu'il a en charge directe, est "chargé de la consommation", mais non pas des associations de consommateurs.

Au niveau européen, en revanche, les choses ont beaucoup bougé. Sur les vingt-quatre commissaires, l'un deux est chargé aujourd'hui de la santé et de la consommation, le commissaire Byrne, que vous connaissez sûrement.

En France, nous n'avons pas du tout les mêmes structures. Même l'Allemagne, après la crise qu'elle vient de connaître, a décidé de créer un ministre de la santé et de la consommation. En France, il y a incontestablement une sous-estimation de l'intérêt de la santé et de la protection économique des consommateurs dans les prises de décision politiques. Je pèse mes mots et je suis méchant ou volontairement précis dans mes mots, mais je pense qu'aujourd'hui, on le paie gravement.

Il a donc fallu que les consommateurs, c'est-à-dire les individus, se mettent à refuser de consommer, à décider d'en consommer moins ou à choisir d'autres morceaux pour que la question politique soit posée.

Si l'on veut se ménager d'autres crises à venir (je sors du cadre de cette commission d'enquête mais c'est une réalité nationale ou européenne vécue et partagée par toutes les associations de consommateurs, si bien que ce n'est pas plus propre à Conso France), il faudrait changer les méthodes de concertation et de décision.

J'en veux pour preuve la réunion de la semaine dernière avec l'ensemble des acteurs de la filière bovine sur l'impact des tests. Qui va payer les tests ? Les consommateurs, alors que les seuls acteurs de cette filière économique qui n'ont pas été convoqués et que l'on a même refusé d'entendre : les organisations de consommateurs. La décision est donc tombée. Les absents ayant tort, ce seront les consommateurs qui paieront in fine le prix des tests. Circulez, il n'y a plus rien à voir !

Quand nous disons que c'est dramatique, y compris sur la filière bovine, nous nous retrouverons certainement dans deux ou trois mois pour constater les effets d'une décision qui n'a pas pris en compte les intérêts économiques et sanitaires des consommateurs et nous ferons encore du "pédalage à revers" pour remonter une nouvelle crise qui aura été créée faute d'entendre, de vouloir écouter et de vouloir prendre en considération à la hauteur nécessaire les intérêts des citoyens consommateurs. Cette formule n'est pas de moi mais je la fais mienne aujourd'hui.

A partir de là, nous avons transmis dix propositions, dès la fin octobre, à Mme Lebranchu (j'espère que vous les avez reçues également), au moment de son remplacement par M. François Patriat, secrétaire d'Etat des PME-PMI et du commerce. Cela se passait juste avant l'éclatement de l'affaire Carrefour et je vais revenir sur ces dix propositions pour en mesurer l'impact. En effet, si on nous avait écoutés à l'époque, on n'aurait pas perdu quelques mois de plus qui ont coûté fort cher aux acteurs économiques de la filière bovine. Ces dix propositions, que je vais résumer sans vous les exposer de façon précise, concernaient déjà le dépistage.

Nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de la décision européenne, mais je rappelle qu'elle n'a toujours pas de forme juridique : il n'y a pas de règlement européen ni de directive européenne et on ne sait toujours pas quelle forme elle va prendre. De plus, comme elle va être soumise au Parlement européen, on a encore un délai de mise en oeuvre. Pour l'instant, nous en sommes encore dans le domaine de la bonne volonté des Etats et des acteurs pour la mettre en oeuvre.

Début janvier, on a simplement modifié l'arrêté fixant les obligations des abattoirs en France, mais je rappelle que cet arrêté ne porte que sur les viandes abattues en France, c'est-à-dire que, jusqu'au 1er juillet 2001, et pour autant que la disposition européenne soit prise et que le règlement ou la directive soit publié (il faut encore prévoir un délai de mise en oeuvre dans les Etats et c'est pourquoi nous préférons plutôt un règlement européen, mais ce n'est pas nous qui en disposerons, sachant que la Commission est en train de travailler sur la forme juridique de cette contrainte ou obligation), alors que sortent de Rungis 50 % des viandes qui sont produites et abattues en France, le reste étant produit et abattu hors de France (même si ce n'est pas la seule source d'approvisionnement de viande bovine en France, c'est quand même la principale), jusqu'au 1er juillet 2001, donc, 50 % des viandes qui seront encore mises en vente ne seront pas testées.

Quand nous demandons que l'on indique bien aux consommateurs quelles sont les viandes de plus de trente mois qui ont été testées et celles qui ne le sont pas, c'est simplement pour garantir au consommateur que, dans 50 % des cas, si cela a plus de trente mois, ce n'est pas testé. Cela permettra aussi de faire pression sur les viandes d'origine européenne, voire étrangère, qui ne sont pas soumises à cette obligation de tests, ce qui crée une pénalité pour les consommateurs de viande française. En effet, autant les viandes françaises vont avoir l'impact du test sur leur prix, autant les viandes importées de pays où les tests ne sont pas mis en place n'auront pas le même impact.

Au-delà de l'insécurité, nous aurons donc une forme de dumping économique sur les coûts. Au-delà du 50/50, nous risquons même d'avoir une importation massive de viandes européennes d'ici le 30 juin. Les indications qui me viennent "d'amis", c'est-à-dire d'adhérents, qui travaillent à Rungis me montrent que c'est en place. Autrement dit, pendant ces six mois, nous aurons non pas une relance de la filière bovine française sur laquelle on fait porter des responsabilités et des contraintes mais, à l'inverse, une importation massive de viandes européennes.

Je plaide pour cela ici parce qu'il me semble que les pouvoirs publics ne se montrent pas à la hauteur de leurs obligations de relance de la filière économique. Ce n'est pas mon rôle de le dire, mais je pense qu'une filière qui est saine et qui se porte bien économiquement a plus de chances d'être sûre en termes de produits donnés aux consommateurs. En tout cas, je crains que nous ayons des effets parasites forts d'un manque de cohérence européenne dans l'urgence des décisions à prendre.

Je n'en dirai pas plus sur le problème du dépistage mais nous sommes inquiets de voir qu'on laisse croire aux Français qu'ils ont maintenant des viandes de plus de trente mois dépistées alors que ce ne sera pas le cas avant au moins le 1er juillet si, d'ici là, le règlement ou la directive européenne n'est pas publiée, sachant que si c'est une directive, cela prendra plusieurs mois de plus.

Je rappelle aussi qu'en matière de traçabilité, la France est grande importatrice d'abats bovins. Les Français semblent davantage aimer les abats bovins avec une tradition de transformation par des cuisiniers de renom. Or beaucoup de scientifique attirent notre attention sur les risques supplémentaires non pas des matériaux à risques spécifiés mais de certains types d'abats. Il n'y a pas longtemps que l'on vient d'interdire le ris de veau, comme vous le savez, et bien d'autres abats sont encore en interrogation aujourd'hui.

M. Jean Bernard - On viendrait de le rétablir.

M. Christian Huard - Il est compliqué de s'y retrouver dans les abats qui sont autorisés ou non aujourd'hui, d'autant que le ris de veau vient du veau et qu'il n'y a pas de matériaux à risques spécifiés dans le veau dès lors qu'il est à moins de douze mois. Cela dit, nous y reviendrons aussi parce que nous avons des vrais problèmes d'interprétation de ces limites sur lesquelles nous n'avons pas forcément les précisions qui conviennent.

Sur le dépistage, nous avons des interrogations sur le choix des tests, même si ce n'est pas forcément sur ce sujet que nous en avons le plus, mais l'élément qui, à mon avis, a le plus d'importance, c'est la non-harmonisation des contrôles en Europe. Il s'agit là non seulement des statuts ou de l'organisation publique ou privée mais aussi de la compétence et des moyens techniques, je dirai même des normes techniques mise en oeuvre pour effectuer ces contrôles.

En clair --il n'est pas « franchouillard » de le dire mais il est bon de le rappeler--, il faut reconnaître qu'en France, sur le plan théorique, nous disposons de systèmes de contrôle et d'obligations de finesse de contrôle que l'on ne retrouve pas dans les autres pays. Comment peut-on comparer une chose qui est contrôlée dans un pays et qui ne l'est pas dans un autre alors qu'on n'a pas appliqué les mêmes normes ni les mêmes obligations techniques de contrôle ?

Pour ce qui est de la détection de la présence de morceaux d'os dans les farines végétales, on n'applique pas les mêmes contrôles. Il n'est donc pas étonnant que l'on n'ait pas forcément les mêmes résultats suivant que l'on considère que la farine a été contrôlée en Allemagne avec tel procédé ou ailleurs avec tel autre.

A cet égard, je tiens à apporter un témoignage qui m'a été apporté par des sources très diverses et à de multiples reprises. L'urgence, au niveau européen, aujourd'hui, serait d'harmoniser ces contrôles. Il n'est pas possible de continuer d'avoir des contrôleurs, notamment au Royaume-Uni, qui soient payés par les contrôlés.

Lors de l'adoption de ce qu'on avait appelé « la loi Vasseur » sur l'extension du code rural, toutes les associations de consommateurs avaient protesté contre le fait que, si les vétérinaires privés, dans leurs obligations avec leurs clients, étaient payés par leurs clients, cela ne pouvait générer que des troubles. On a eu le même problème dans le domaine financier : quand les contrôleurs aux comptes des entreprises sont payés par les entreprises, comment peut-on exiger d'eux une totale indépendance ? On ne peut pas être naturellement indépendant de ceux qui paient. C'est rêver que d'écrire cela dans une loi ou un texte réglementaire.

Voilà pourquoi la notion d'indépendance, de qualification des contrôles et d'agrément des contrôleurs devient vraiment un problème européen. Cela ne peut pas rester à la libre disposition des Etats. Il ne sert à rien d'avoir, pas plus en France qu'ailleurs, des obligations ou des directives réglementaires ou législatives si, derrière cela, on n'a pas harmonisé les moyens de contrôler leur bonne application dans les mêmes conditions dans tous les Etats.

Je pourrais prendre l'exemple des Pays-Bas, qui nous inquiète le plus. Cela figurera dans le compte-rendu et ils le sauront alors peut-être. Au Pays-Bas, il faut savoir que les contrôles, notamment dans les ports (c'est un pays de grande importation, ce qui permet de nationaliser hollandais des produits qui sont parfois fabriqués, produits ou élevés dans d'autres pays de l'Union européenne), portent essentiellement sur les taxes portuaires et non pas sur le contenu des matériaux ou des aliments, quels que soient les secteurs, dès lors qu'ils ne sont pas destinés à la consommation aux Pays-Bas.

En fait, le grand trou des contrôles en Europe est à rechercher aux Pays-Bas. C'est aussi pour cela que les Pays-Bas, pour ne prendre qu'un exemple récent, sont le seul pays où il n'y a pas eu de problèmes de dioxine dans l'alimentation. Les effets sont liés à la cause que je viens de donner : il n'y a pas de contrôle indépendant et efficace mis en place dans ce pays. C'est aussi pour cela que nous avons d'énormes trous en matière de sécurité sanitaire, et non pas simplement alimentaire.

Vous m'excuserez d'être un peu bavard, mais j'essaie pourtant d'aller à l'essentiel sur un certain nombre de faits, de reproches ou de constatations.

J'en arrive aux farines.

Je tiens tout d'abord à préciser que, depuis 1996, toutes les associations de consommateurs, en France, demandent l'interdiction des farines. Même si cela constitue un retour en arrière, vous me permettrez d'indiquer les fondements de cette demande.

Ce n'était pas une demande poujado-consumériste et il ne s'agissait pas d'affoler la population. Simplement, nous disions que le fait de l'interdire pour les bovins sans l'interdire pour tous les animaux comportait un risque de contaminations croisées lors des transports et des stockages (je suppose que bien d'autres personnes auditionnées ont dû intervenir sur ce dossier), même si nous n'y croyons pas beaucoup : ce n'était pas, pour nous, la principale cause.

Deux autres conséquences nous inquiétaient.

La première, c'est que le fait que ces farines animales étaient données aux poissons (bien que les pisciculteurs ont très vite décidé de ne plus utiliser de farines animales) faisait courir un grand risque de contamination de l'eau. Des spécialistes nous disent qu'un certain nombre de bovins ont pu être contaminés non pas par leur alimentation de farine mais par l'eau, notamment dans les élevages extensifs, où on ne leur avait donné aucune farine.

Or, si l'eau est contaminante pour les bovins, elle l'est aussi nécessairement pour les humains. Quand on sait que le prion, si c'est bien cette protéine qui est en cause --j'y reviendrai--, peut résister à des années et à des conditions climatiques et physiques extrêmement dures sans subir aucune dégradation ou modification chimique, on peut estimer aujourd'hui que l'on a fait prendre un risque, en n'interdisant pas les farines animales aux poissons, peut-être plus dangereux pour l'homme à terme de par les concentrations dans les nappes phréatiques.

Je dis cela à partir d'avis « d'experts » qui nous disent qu'il faudra fortement s'interroger, dans les années qui viennent, sur la contamination de cette maladie par l'eau.

M. le Président - M. le Rapporteur va vous interrompre.

M. Jean Bizet, rapporteur - Sur ce point précis, avez-vous des documents scientifiques ou des notes de ces experts ?

M. Christian Huard - Non.

M. le Rapporteur - Ce sont des conversations ?

M. Christian Huard - Nous avons des contacts avec un certain nombre de chercheurs du CNRS à ce sujet.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir des tirés à part ou des notes de ces chercheurs du CNRS ?

M. Christian Huard - Avant de venir, je leur ai demandé si je pouvais donner leur nom pour que vous les invitiez à témoigner et leur réponse a été non.

M. le Rapporteur - Ce serait pourtant important. Nous sommes une commission d'enquête et je me permets de vous rappeler que vous avez prêté serment devant l'ensemble de l'assistance. Par conséquent, à partir du moment où vous affirmez un certain nombre de choses, il faut aller jusqu'au bout.

M. Christian Huard - J'ai dit que la contamination par l'eau était une grande interrogation que nous devons avoir aujourd'hui sur les capacités chimiques du prion, si cette protéine est bien en cause.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir précisément le nom de ces chercheurs qui, au CNRS, partagent ces interrogations ou vous en ont fait part ?

M. Christian Huard - Ils ne sont pas habilités à témoigner en tant que chercheurs du CNRS.

M. le Rapporteur - C'est un peu surprenant.

M. le Président - C'est un établissement public français, quand même.

M. Christian Huard - Quand des gens parlent en confidence en tant qu'adhérents de l'association et viennent nous voir en tant que citoyens pour nous dire : « voilà les interrogations que nous avons à plusieurs », ce n'est pas du domaine du CNRS et je ne peux pas aller plus loin vis-à-vis de mes adhérents qui témoignent de beaucoup de choses dont je fais état ici par loyauté.

Sinon, j'arrête tout et je n'aurai plus grand chose à dire. Nous n'avons pas, nous, les outils d'investigation dont dispose une commission d'enquête parlementaire. Nous sommes amenés à travailler avec des gens variés qui sont, pour la plupart, des adhérents de l'association.

De la même façon, les éleveurs dont nous avons pu récupérer le témoignage dans certains départements refusent de venir témoigner de ce qu'ils nous ont dit ou de ce qu'ils ont fait.

M. le Rapporteur - Dans ce cas, au nom de notre commission d'enquête, nous demanderons au CNRS de mandater un certain nombre de chercheurs qui travaillent sur le domaine de l'eau et nous ferons état de vos allégations.

M. Christian Huard - C'est de votre responsabilité. Au contraire, si ces gens pouvaient être autorisés à se mettre à parler, ce serait une bonne chose.

M. le Rapporteur - C'est la responsabilité éminente de la commission.

M. Christian Huard - Je dis ce que je sais. Je vous ai dit en introduction que bien des témoignages et des éléments d'information nous sont transmis par les adhérents des associations réunies dans Conso France et que, dans un certain nombre de cas, ils ne souhaitent pas que l'on communique leur nom ni leurs coordonnées.

M. le Rapporteur - Comment voulez-vous que nous fassions des progrès sur ce point ? S'il y a eu des manquements, nous sommes obligés de les signaler. Ce point nous trouble énormément.

M. Christian Huard - Interrogez les spécialistes de l'eau et vous verrez bien ce qu'ils seront amenés à vous dire. Je ne peux pas témoigner à leur place ni donner leur nom.

M. le Rapporteur - On ne vous demande pas de témoigner à leur place. On vous demande simplement les noms de ces chercheurs au CNRS qui vous ont fait ces confidences.

M. Christian Huard - Ils n'ont pas fait des confidences en tant que chercheurs au CNRS car ils ne sont pas autorisés à en parler. Ce ne sont que des hypothèses et des travaux qu'ils mènent pour certains d'entre eux et le CNRS n'est pas le seul concerné, pour tout vous dire.

M. le Rapporteur - Dans ce cas, quels autres organismes travaillent sur cette question ?

M. Christian Huard - En tout état de cause, ils sont venus nous voir en tant qu'adhérents de l'association et j'atteste ici qu'ils ont été entendus soit par moi, soit par d'autres responsables de Conso France, car je n'ai pas tout entendu moi-même. Il est arrivé un certain nombre de témoignages sur le problème et les risques qui sont encourus aujourd'hui ainsi que sur les études à mener sur les problèmes de contamination de l'eau par le prion.

Cela dit, vous avez droit de ne pas prendre en considération ces affirmations. Je vous dis ce que je sais et non pas ce que j'ai inventé.

M. le Rapporteur - Nous les considérons justement au premier chef. Vous vous méprenez sur le sens de notre question. Nous ne mettons surtout pas en doute vos affirmations, vos interrogations ou les confidences qu'on a bien voulu vous faire ; nous voudrions simplement aller plus loin dans la problématique et l'expertise. Il est assez curieux que vous ne puissiez pas nous y aider. Je vous rappelle que vous avez prêté serment pour dire la vérité et toute la vérité en la matière.

M. Christian Huard - Le témoignage que j'ai reçu est un témoignage de citoyen et d'adhérent et non pas un témoignage de chercheur.

M. le Rapporteur - Ce n'est pas un citoyen anodin, si je puis dire. Si c'est un citoyen qui travaille au CNRS, il vous l'a fait en tant que chercheur du CNRS. Ce n'était pas "Mme Michu".

M. Christian Huard - Je vous fais une proposition. Le jour où une loi sera votée protégeant les salariés du secteur public et privé, voire les contraignant à témoigner lorsqu'il y a mise en danger... (Protestations des membres de la commission.).

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, je pense que l'on fait fausse route.

M. Christian Huard - Excusez-moi, mais Conso France a demandé qu'une loi protège les salariés lorsqu'ils sont amenés non pas à témoigner mais à indiquer officiellement un certain nombre de pratiques auxquelles ils assistent dans leur entreprise, sachant que, ce faisant, ils risquent de perdre leur emploi. Aujourd'hui, il n'y a pas de protection des salariés, quel que soit leur statut, lorsqu'ils sont amenés à dénoncer des pratiques portant atteinte à la santé.

Vous pouvez vérifier la législation. C'est une demande très forte de Conso France et d'autres confédérations syndicales qui monte actuellement parce que, effectivement, le problème est aujourd'hui d'apporter des preuves. Quand nous allons devant les tribunaux pour faire sanctionner des pratiques qui ne conviennent pas dans certaines entreprises, dès lors que nous n'avons pas de preuves, nous nous retrouvons sans moyens d'agir. La seule façon d'avoir des preuves, c'est de pouvoir faire témoigner des gens qui sont dans ces filières en tant que salariés, acteurs, dirigeants ou responsables d'un certain nombre de pratiques.

Voilà ce que je puis vous dire.

M. Jean Bernard - Les gens du CNRS sont protégés par le statut de la fonction publique, voyons !

M. le Président - Les chercheurs sont très protégés, même si Claude Allègre disait qu'on avait beaucoup de mal à leur demander des comptes sur leur travail, mais c'est un autre problème.

Vous avez prêté serment, monsieur le Président, en vous engageant à dire toute la vérité, et notre commission d'enquête a justement pour but de contribuer à faire apparaître la vérité sur tous les problèmes posés qui rejoignent les préoccupations des consommateurs. Nous sommes donc exactement sur la même ligne.

Il est donc extrêmement grave que vous refusiez de donner des noms. Nous allons être obligés de mettre dans notre rapport que vous n'avez pas voulu donner le nom de gens « qui affirmaient que »... C'est très préoccupant. Nous sommes en plein dans l'ordonnance de 1958 et c'est passible d'amendes et de tout le reste. En outre, vous ne contribuez pas à la recherche de la vérité à laquelle, vous comme nous, sommes attachés.

M. le Rapporteur - J'irai plus loin, si M. le Président me le permet. Vous ne contribuez pas non plus à protéger le consommateur alors que c'est précisément votre rôle de président.

M. Christian Huard - Je comprends bien la question que vous posez et que l'on peut poser effectivement sur le terrain réglementaire et législatif ainsi que sous l'aspect du principe. En tant qu'organisation de consommateurs, nous avons besoin, pour mener des investigations sur certains dossiers, d'avoir des témoignages de personnes qui nous disent : « je vous le dis, mais, surtout, je ne suis pas à l'origine de cette information ». C'est très fréquent dans beaucoup de domaines.

Nous n'avons pas d'autres moyens d'investigation et lorsqu'il faut véritablement faire bouger les choses, il faut bien s'appuyer sur les éléments d'information que nous avons.

Je comprends bien votre question et je la mesure bien mais je vous avais prévenus d'entrée de jeu. L'intérêt, ou la malchance, d'être responsable d'une association de consommateur, c'est de disposer d'informations apportées par des gens qui viennent vous dire : « Surtout, ne dites pas que c'est moi qui vous ai apporté ces éléments d'information ». Je comprends parfaitement votre question, mais je vous ai prévenus tout à l'heure en disant que je n'avais pas les preuves écrites de mes informations et que je n'étais pas autorisé à donner les noms, et je tiens à maintenir les engagements que j'ai pris auprès de ces gens pour qu'ils puissent nous tenir informés d'un certain nombre d'éléments, d'hypothèses, d'analyses et d'informations dont ils disposent.

Il n'y a pas d'autre solution d'avoir de l'information, dans un pays comme le nôtre où tous les secteurs sont bien fermés, que de laisser des gens venir nous parler en toute liberté, sans incidence sur leur carrière, d'un certain nombre de faits dont ils ont connaissance.

M. le Président - Notre audition est enregistrée actuellement, mais je vous propose de nous donner par écrit le nom du laboratoire auquel nous pourrions nous adresser pour que la vérité apparaisse.

M. Christian Huard - Si vous me parlez des confidences des vétérinaires, je vais les retirer. De cette façon, vous n'aurez pas le nom des vétérinaires qui nous ont contactés pour nous donner des éléments d'information, mais vous serez alors privés d'éléments d'information dont je dispose et sur lesquels je ne peux pas vous donner le nom de la personne.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, nous avons retenu avec beaucoup d'attention le fait que vous vous plaignez de ne pas être des interlocuteurs privilégiés auprès des différents ministères et des différentes instances. Comment voulez-vous être un interlocuteur privilégié si vous vous bornez simplement à relayer des informations ou des suspicions et si vous n'allez pas plus loin pour faire éclater la vérité ? Je pense que vous n'êtes pas tout à fait dans votre rôle.

Vous êtes dans une commission d'enquête et vous avez prêté serment. Soit vous nous donnez oralement les noms de ces personnes qui vous ont fait « des confidences », soit vous les transcrivez par écrit, mais si vous ne souscrivez ni à l'une ni à l'autre de nos demandes pressantes, je crois que vous allez vous attirer quelque ennui.

M. le Président - Donnez-nous au moins le laboratoire.

M. Christian Huard - Ce sont des témoignages d'adhérents.

M. Jean Bernard - Mais ils sont en même temps membres du CNRS.

M. Christian Huard - Ce sont aussi des citoyens consommateurs.

M. Jean Bernard - Ils ont en même temps des compétences que vous jugez suffisantes pour vous donner des renseignements crédibles. Nous vous le demandons et je ne vois vraiment pas ce que cela a d'anormal.

M. le Président - Je répète que vous avez la possibilité de les consulter et de nous donner le nom du laboratoire si vous ne voulez pas nous donner un nom. Il faut que nous puissions avancer sur ce point, car c'est extrêmement important dans la recherche de la vérité...

M. le Rapporteur - ...et la protection des consommateurs.

M. le Président - Jusqu'à présent, après plusieurs dizaines d'auditions, personne n'a évoqué le problème de la contamination par l'eau. Voilà pourquoi le rapporteur et les membres de la commission sont très intéressés par ce que vous dites. C'est extrêmement important pour les citoyens consommateurs que nous sommes tous ici.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas demandé le huis clos. Par conséquent, à partir du moment où tout cela est enregistré et télévisé, vous vous mettez, vis-à-vis de vos adhérents, dans une position excessivement délicate.

M. Christian Huard - Je vais devoir retirer de la suite un certain nombre d'éléments d'information dont nous disposons, mais, dès lors que nous nous engageons auprès d'un certain nombre de nos adhérents qui disent : « voilà où nous en sommes dans nos recherches »...

M. le Rapporteur - Je me permets de vous interrompre immédiatement. Vous n'avez pas à retirer un certain nombre d'informations que vous vouliez nous donner suite à cette altercation, si je puis dire, parce que vous avez prêté serment en disant tout à l'heure : « je dirai la vérité et toute la vérité ».

M. Christian Huard - Je vous dis toute la vérité. Je dispose de cette information et je vous la donne.

M. le Rapporteur - Vous ne dites qu'une demi vérité. Nous vous respectons en tant que président de l'association des consommateurs que vous représentez, mais vous venez de nous livrer quelques informations détenues par des scientifiques et nous voudrions avoir, si je puis dire, ces informations.

M. le Président - Comme nous ne sommes pas en situation de huis clos, je vous propose de nous donner des indices par écrit. Sinon, cette affaire va très mal se terminer parce que nous nous trouvons devant un point de rupture. C'est la première fois qu'une audition se termine ainsi.

M. Christian Huard - Sur les informations dont je dispose, si je dois vous donner à chaque fois la source et la preuve, j'aurai terminé très vite de vous dire les choses. Si vous voulez savoir ce que l'on nous dit et ce que nous avons fini par apprendre non pas du fait d'études scientifiques ès-qualité (nous n'avons pas de laboratoire) mais par le biais de gens qui sont dans des laboratoires, qui sont nos adhérents et qui travaillent sur des dossiers annexes (ils travaillent sur un grand nombre de dossiers), ce qui nous permet d'avoir des compétences internes pour apprécier la dangerosité des choses, je ne vous dirai que la vérité, qui est celle qui peut être attestée par un témoignage et le nom d'une personne.

Je n'ai pas d'autre choix. Soit vous souhaitez que je vous dise toute la vérité que nous possédons dans l'ensemble des associations de consommateurs de Conso France et même ailleurs, puisque d'autres pourront vous confirmer ce que je vous dis là, soit nous sommes devant un piège qui nous est tendu. Je prends la responsabilité d'affirmer que le risque de contamination par l'eau est aujourd'hui présent dans la tête d'un certain nombre de spécialistes de la question et de gens qui travaillent dans ce domaine.

Il y a une étude anglaise à ce sujet, mais je n'en ai pas pris la référence car je ne pensais pas que l'on irait jusqu'à en rechercher la preuve. Si on en arrive là, je ne vais m'en tenir qu'à des éléments sur lesquels j'ai le document, la preuve, le témoignage et l'accord de la personne pour témoigner. Cela dit, je ne suis pas producteur d'informations.

M. le Président - Nous avons eu la déposition du professeur Dormont, par exemple, qui n'a jamais évoqué le problème de l'eau. Il est donc très important pour nous.

M. Christian Huard - Des chercheurs anglais, il y a deux ou trois ans, ont commencé à poser la question des risques de contamination par l'eau quand ils ont examiné les conséquences du stockage des farines animales en Angleterre et le fait qu'une certain quantité de ces farines était entraînée par les eaux de pluie. Cette étude a permis de commencer à se poser la question de fond sur cet agent pathogène qui n'a pas été détruit. Ils ont fait des expériences démontrant qu'au bout de sept ans, en dépit de températures très basses ou très élevées et de la présence dans l'eau, la protéine n'était pas chimiquement modifiée.

Je ne suis pas le seul à faire cette affirmation et à poser l'interrogation. La difficulté, pour les chercheurs, c'est de retrouver des protéines dans l'eau, car c'est plus qu'un micro organisme. On en revient aux difficultés scientifiques de mener aujourd'hui des expériences à terme pour en connaître tous les effets.

Je note d'ailleurs que, sur le stockage des farines en France, il est fortement question de les mettre dans des endroits où elles seront protégées de tout ruissellement ou de tout entraînement par l'eau. Si l'on prend cette mesure, c'est bien que, quelque part, un certain nombre de spécialistes ont dit que la question était au moins posée quant au fait de voir ces farines entraînées par l'eau.

J'indique cela pour démontrer que cette information n'est pas complètement sans fondement, mais si vous me demandez la liste, le nom et les coordonnées précises des gens qui m'en ont parlé, je maintiens que ce sont tout d'abord des informations que j'ai eues en mon nom personnel et qu'a eues mon association, mais que d'autres associations de Conso France les ont eues également par leurs propres adhérents. Quand nous faisons le point entre nous des questions qui restent posées et qui doivent encore être traitées dans les mois ou années qui viennent, ces questions viennent fréquemment.

Je ne connais pas non plus la liste de toutes les personnes en question ; je ne connais que celles qui m'en ont parlé à titre personnel, mais ce n'est pas l'objet de cette intervention. Je ne suis pas là comme citoyen ès-qualité mais comme responsable d'une association de consommateurs. C'est à ce titre que nous avons des informations.

Maintenant, si vous voulez y donner suite, vous pouvez le faire, mais j'ai un vrai problème avec les adhérents qui viennent nous voir ou qui viennent voir d'autres associations de consommateurs de Conso France pour apporter des éléments d'information dans des débats qui ne sont pas sains. Pour être certains, justement, d'assurer la bonne sécurité des consommateurs, on ne peut pas se contenter de faits officiels à traiter.

M. Jean Bernard - Je maintiens qu'il est dommage que vous ne puissiez pas nous donner des renseignements beaucoup plus complets parce que, dans le cadre de notre commission, nous nous occupons des farines animales. Dans mon département, on prévoit un entreposage de farines extrêmement important et il serait donc intéressant que des spécialistes donnent leur avis sur l'étanchéité, les moyens de les conserver, de les neutraliser, etc..

M. le Président - Il serait bon d'auditionner les personnes qui pourraient enrichir le débat.

M. Jean Bernard - Nous ne demandons qu'à savoir.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, permettez-moi de vous préciser un point. Ne vous méprenez pas : vous n'êtes pas ici sur le banc des accusés. C'est un partenariat que nous essayons de créer avec le président des différentes associations de consommateurs de France que vous êtes et nous vous faisons totalement confiance. Si vous nous relatez des confidences ou des informations, non pas de citoyens ordinaires --nous l'avons bien compris--, mais également de chercheurs au CNRS, informations qui sont des hypothèses de travail et qui se vérifieront ou non, cela ne vous mettra absolument pas en porte-à-faux et cela grandira même les chercheurs. Un chercheur cherche mais ne trouve pas forcément.

Si, pour reprendre le fil de vos propos, la nourriture des poissons d'élevage aurait généré --on le comprend bien-- du fait de ces farines animales, une éventuelle pollution des nappes phréatiques, il serait important que nous puissions expertiser ce point précis.

De même, il m'a semblé vous entendre parler également de quelques confidences que vous avez eues de la part de vétérinaires praticiens sur le terrain. Avant vous, nous avons auditionné, en début d'après-midi, le président du Syndicat qui nous a donné également quelques informations et nous allons recouper tout cela, sans vous mettre en porte-à-faux, évidemment, et sans vous mettre au banc des accusés.

A posteriori, si les hypothèses émises par les chercheurs du CNRS s'avéraient exactes, nous en serions tous ennuyés, et vous le premier, puisque vous nous avez mis l'eau à la bouche, si je puis dire, sans nous permettre d'aller plus loin dans nos investigations. Je ne crois pas que vous trahirez ceux qui vous ont fait ces confidences. Vous pouvez donc nous donner ces indications par écrit ; nous ne trahirons pas votre confiance, de même que vous ne trahirez pas la confiance des gens qui vous ont fait ces confidences.

J'ai été membre, en 1998, de la conférence des citoyens sur les biotechnologies et je peux vous dire que des passerelles ont été créées entre les politiques et les consommateurs. Si nous voulons essayer d'aller dans ce sens, il faut que chacun joue le jeu. Nous ne sommes pas des juges ; nous voulons trouver la vérité. Donc ne vous raidissez pas, si je peux me le permettre, et ne considérez pas que vous êtes sur le banc des accusés. Vous avez malgré tout prêté serment et il est important que nous allions plus loin dans nos investigations pour la santé de l'ensemble de nos concitoyens.

M. Christian Huard - Je vous ai donné au moins l'institution --elle a été citée à plusieurs reprises-- dans laquelle cette idée est évoquée par un certain nombre de personnes.

M. le Président - Je vous rappelle que, depuis 18 h 00, il n'y a plus de retransmission télévisée, et je ne vous trompe pas. On vient de me faire savoir que c'est coupé depuis 18 h 00, c'est-à-dire depuis six minutes.

M. Christian Huard - Très bien. Je vous ai donc donné le nom d'une institution publique qui dispose depuis 1996 de crédits de recherche non négligeables sur l'ensemble des maladies à prion et leur transmission. Si je m'adresse au directeur du CNRS, je n'aurai pas de réponse, de toute évidence.

M. le Rapporteur - Nous, nous l'aurons.

M. Christian Huard - Dans ce cas, interrogez-le pour savoir quels chercheurs ont déjà mené des pré-études sur le maintien chimiquement stabilisé, si je puis dire, de cette protéine dans les différents milieux où elle peut se retrouver. Encore une fois, je précise que des recherches internationales sont faites sur ce point et qu'une recherche anglaise a été publiée. Les premiers qui en ont eu l'idée sont des chercheurs anglais sur la base du stockage de leurs farines animales à l'époque.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous nous communiquer cette note anglaise ?

M. Christian Huard - Je peux vous la retrouver.

M. le Rapporteur - Vous comprenez dans quel esprit nous souhaitons travailler.

M. le Président - Il est bien prévu dans l'article 6 sur les commissions d'enquête que "les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place", que "tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis" et qu'ils doivent "se faire communiquer tout document de service à l'exception de ceux relevant du secret défense". Nous ne sommes pas dans le cadre du secret défense. M. le Rapporteur a donc tout à fait le droit d'aller plus loin pour enrichir cette recherche.

Nous voulons véritablement --c'est fondamental pour les associations de consommateurs-- que ce dossier sur les farines animales fasse avancer la vérité. La commission d'enquête n'est là que pour cela. Or nous nous rendons compte en vous entendant, mais en entendant aussi beaucoup d'autres personnes, combien c'est complexe et difficile du fait d'un manque de transparence dans certains secteurs alors que nous voulons faire avancer les choses.

Vous nous ferez donc parvenir le papier concernant les chercheurs anglais et nous demanderons des précisions au CNRS sur les études au sujet de l'eau.

Vous pouvez maintenant continuer.

M. Christian Huard - Concernant le deuxième argument sur les farines, le problème était de suivant. Les effets des farines animales sur les bovins sont connus, efficaces et rapides, c'est-à-dire qu'il ne convient pas de donner des farines animales sur une très longue période pour avoir un effet sur la masse musculaire des bêtes. Quant au lait, il faut régulièrement en donner pour avoir un effet sur l'augmentation importante de la quantité de lait produite. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on trouve plus de cas de vache folle chez les vaches laitières plutôt que sur les races à viande.

En effet, sur les races à viande (mais je me demande si je dois le dire parce qu'il s'agit encore d'une vérité que l'on sait sans que je puisse dire d'où elle vient), on sait qu'il suffit de donner des farines animales à certains bovins de races à viande sur quelques mois pour provoquer ce phénomène de grossissement. Par conséquent, on n'est pas tenu de les leur donner cinq ans avant avec les effets observés cinq ans après ; il suffit de les mettre, quelques mois avant leur vente, au grossissement par les farines animales.

Cela nous a donc également inquiétés puisqu'on ne sait pas véritablement à partir de quand une bête contaminée devient contaminante pour celui qui la mange. Là-dessus, il y a encore des incertitudes scientifiques. Lorsqu'on donne pendant trois mois à un bovin des poignées de farine animale dans sa farine végétale traditionnelle, cela a-t-il des effets sur l'homme ? On ne le sait pas, mais on sait que les farines animales ont continué d'être utilisées dans un certain nombre de fermes, surtout chez les marchands de bestiaux qui ont retenu les bêtes pendant un mois ou deux.

En effet, les marchands de bestiaux ne sont pas tous des parqueurs. Certains sont des engraisseurs finaux de leurs bêtes et on sait que c'est là que se pose le problème. L'un des problèmes de l'éleveur de l'Eure vient peut-être de toute une filière d'engraissement in fine des bêtes à viande et non pas des bêtes à lait.

Voilà pourquoi nous avions demandé, dès 1996, cette interdiction des farines animales, sachant que cette façon de faire existait déjà entre 1990 et 1996, période au cours de laquelle il était pourtant déjà interdit de donner des farines animales aux bovins.

Voilà nos trois raisons d'inquiétudes fortes :

- les contaminations croisées lors des stockages, transformations et compositions des aliments pour animaux,

- les contaminations par l'eau,

- le problème du « forcissement » des bovins juste avant leur mise en vente, ce qui provoque des kilos de viande supplémentaires à la vente.

Par ailleurs, nous nous interrogeons sur le problème des conséquences de l'interdiction des farines sur les filières végétales, mais je suppose que d'autres vous en ont parlé. Nous avons rencontré et demandé à rencontrer les acteurs de la filière des protéagineux et oléagineux pour en mesurer tous les effets.

Je ne vais pas répéter, car vous le savez sûrement déjà, que nous avons des risques, pour le consommateur, en termes d'assurance sur la sécurité sanitaire, du fait du remplacement d'une alimentation dangereuse, les farines animales, par une autre alimentation de compléments végétaux de type OGM. Vous connaissez cette problématique. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions, dans un ou deux ans, dans une nouvelle crise faute d'avoir réglé en temps utile la production de protéines végétales non génétiquement modifiées, en ayant remplacé une crise par une autre en termes de confiance des consommateurs.

Y a-t-il un risque ou non sur le soja génétiquement modifié ? Ce n'est pas la question de ce soir et je m'arrêterai donc sur ce point.

En tout cas, voilà les trois raisons qui nous avaient amenés à demander la suppression des farines animales dès 1996. Si nous avions été entendus depuis lors, nous aurions gagné quelques années sensibles dans cette crise de la vache folle. Maintenant, si vous me demandez pourquoi cela n'a pas été fait en 1996, je pourrai vous répondre.

Je reviens sur les contrôles. Je vous ai parlé des contrôles européens d'entrée de jeu parce que je pense que les parlementaires européens, avec lesquels je suppose que vous êtes en relation, vont prendre le dossier du contrôle au niveau européen, mais j'aimerais ajouter ici un problème que nous rencontrons, nous, assez fortement. Là aussi, nous avons des témoignages sur lesquels je ne peux pas vous apporter des preuves (excusez-moi de le dire comme cela) mais qui montrent qu'il y a un problème de coordination des contrôles en France.

Les contrôles et leur suivi, dans la filière bovine, dépendent d'administrations de l'Etat très différentes qui ne sont pas toutes mobilisées sur les mêmes intérêts ou les mêmes missions. Ils dépendent bien entendu de la DGCCRF (je suppose que vous avez eu ou que vous aurez l'occasion d'auditionner les responsables de cette administration), des services vétérinaires, des Douanes, dont je rappelle que la principale préoccupation est la fraude fiscale ou la déclaration douanière, de la police et de la gendarmerie. Or il nous revient assez fréquemment (si vous me le demandez, je m'arrêterai une nouvelle fois car je comprends bien le problème mais j'entends vous donner la vérité que nous connaissons par des témoignages croisés et divers) que nous avons, en France, des problèmes de suite dans les contrôles.

En clair, lorsqu'un agent de la DGCCRF de Rungis constate quelque chose et voudrait mener une enquête pour remonter les faits, il ne peut pas continuer à le faire pour des raisons de limites territoriales et lorsqu'il faut concentrer ou mettre en place des actions conjointes de la gendarmerie, de la police, de la DGCCRF et des services vétérinaires, les témoignages qui nous arrivent montrent que c'est toujours fortement compliqué.

J'affirme donc que nous avons un problème de coordination des autorités françaises, pour ne pas dire européennes, pour avoir des enquêtes non pas des services vétérinaires, de la DGCCRF ou des Douanes mais des enquêtes nationales inter administrations qui pourraient faire autorité et permettre d'avoir de véritables investigations de ces services de contrôle, plus importantes que l'investigation in fine.

M. le Président - Depuis 1996, je pense que les autorités françaises ont agi avec sérieux, notamment à partir de la traçabilité. On nous a dit tout à l'heure, au cours d'une audition avec le directeur de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires, que le vrai problème était un manque d'harmonisation européenne et que la France s'était appliqué un certain nombre de règles que les autres ne s'appliquaient pas. Avez-vous des contacts avec les associations de consommateurs des autres pays pour faire le point et aboutir à une harmonisation ?

M. Christian Huard - Même si ce n'est pas le cas de Conso France ès-qualité, mon organisation et d'autres organisations regroupées dans Conso France sont membres de l'Association européenne des consommateurs (AEC) qui s'est saisie de ce problème. Sa présidente est suédoise, comme l'actuelle présidence de l'Union européenne (ce sont des faits d'actualité), et elle est très préoccupée par ce problème de l'harmonisation des contrôles. Cette association travaille dans un certain nombre de pays pour tenter de faire prévaloir, dans tous les milieux politiques, qu'il y a urgence à obtenir au niveau européen cette politique commune des contrôles en matière de sécurité sanitaire et non pas simplement alimentaire, car nous avons d'autres problèmes dans le textile, les produits pour la maison, etc.

Nous avons en effet de vrais problèmes d'harmonisation des normes mais aussi des contrôles qui s'appliquent dans ces différents pays.

Nous n'allons pas parler de tout ce soir mais, encore une fois, c'est un problème général qui ne touche pas que l'alimentation. Le statut des contrôleurs, en Angleterre, pose de vrais problèmes. En effet, quand la plupart des contrôleurs sont payés par les contrôlés au Royaume-Uni, ce qui n'est pas le cas dans toutes les régions britanniques, cela pose un problème d'harmonisation pour le Royaume-Uni lui-même : ils sont déjà en dysharmonie au sein même de leur pays et ils sont donc en totale dysharmonie avec les autres principes de contrôle (statuts, corps, capacités, compétences, matériels, etc.) en Europe.

Par exemple, la France est la seule à s'être dotée de normes qui justifient d'utiliser des techniques très modernes comme la résonance magnétique nucléaire pour mener des investigations sur des produits et les repérer plus facilement, ce qui coûte très cher. Dans d'autre pays, on en est à peine à l'utilisation de la loupe, si je puis dire, pour examiner un produit.

M. le Rapporteur - Je voudrais vous poser une question sur les dispositifs de traçabilité, d'identification et d'étiquetage de la viande bovine. Vous avez dénoncé, le 18 juillet dernier, les dispositifs de l'Union européenne. Pouvez-vous nous préciser quelles en sont les lacunes et quels seraient les conseils ou suggestions que vous pourriez faire en la matière pour améliorer cette traçabilité et cet étiquetage de la viande bovine ?

M. Christian Huard - C'était un point fort des éléments que je comptais vous apporter. Je vous annonce d'ailleurs (pour notre part, nous allons résister encore parce que le problème est complexe) que l'UFC Que Choisir vient d'appeler les consommateurs à boycotter toutes les viandes sur lesquelles il n'y aurait pas les indications résultant de l'accord interprofessionnel, en France, sur la race, la catégorie et l'origine parce que cette proposition française d'extension a été profondément modifiée par le Parlement européen, qui a remplacé ces indications par des numéros d'abattoirs ou d'ateliers de découpe.

Pour un consommation, un numéro n'a aucune valeur d'information. Certes, cela permet la traçabilité en matière de contrôles, parce qu'un numéro d'abattoir est préférable, parfois, à l'origine d'un pays, mais on est en train de confondre la traçabilité, c'est-à-dire les techniques qu'utiliseront les services de contrôle pour un suivi et un éventuel rappel en cas de problème, et ce que nous appelons, nous, l'information du consommateur, c'est-à-dire l'étiquetage sur le lieu de vente.

Au point où nous en sommes de nos études et de nos discussions internes avec les consommateurs, nous estimons qu'il faut donner maintenant trois paquets d'information.

Le premier doit porter sur la race, la catégorie et l'origine. Il faut donc absolument que les pouvoirs publics français (nous le faisons et cela a d'ailleurs été bien repris pour l'instant) demandent au pouvoir européen de remettre sur le chantier ce problème d'indication des catégorie, race et origine et de revenir sur la décision du Parlement européen si c'est possible.

Le deuxième point sur lequel nous avons à travailler porte sur le dépistage de la viande au moment de l'abattage. Le problème se pose jusqu'au 30 juin, comme je l'ai dit, mais nous aurons aussi le problème, par la suite, des pays situés en dehors de l'Union européenne dans lesquels on pourra continuer d'importer des bêtes sans obligation d'obéir forcément au règlement européen qui demande un dépistage en amont. Il s'agit en effet du moment de l'abattage.

On peut donc imaginer aisément qu'un certain nombre de bêtes nées et élevées dans l'Union européenne partira dans des abattoirs situés dans des zones frontalières de l'Union européenne pour y être abattu et pour se soustraire alors à de telles obligations.

Voilà pourquoi nous demandons aussi --mais c'est contesté pour l'instant-- que les viandes dépistées soient signalées et connues du consommateur. Le consommateur a besoin de savoir si la bête de plus de trente mois qu'il achète a bien été dépistée ou ne fait pas partie de ces bêtes qui sont passées dans les trous de la réglementation.

Le troisième élément sur lequel nous travaillons d'arrache-pied actuellement avec les responsables de la distribution bovine est une chose qui avait été refusée en 1996 et qui était pourtant très demandée par les consommateurs : la nature et les modes d'élevage. En effet, on ne peut pas se satisfaire de n'avoir des informations ou des assurances sur les modes (à l'air ou autres), la nature de l'élevage (intensif ou extensif) et l'alimentation (au grains ou autres) que pour les viandes labellisées "bio".

Voilà les trois éléments sur lesquels nous essayons de travailler. Il me semble que ces aspirations et ces demandes très fortes des consommateurs dans tous ces secteurs mériteront d'abord d'être traitées au niveau national, où nous avons au moins des interlocuteurs relativement prêts, sachant que les distributeurs sont assez touchés par cette crise, à organiser en amont des contrôles et des vérifications, avant de passer dans le domaine réglementaire sur ces trois aspects qui nous semblent important en matière de vérification.

Cela ne répond pas entièrement à votre question mais vous démontre que, dans cette problématique, il faut à chaque fois bien scinder dans nos réflexions et nos propositions ce qui relève de la traçabilité pour les contrôles et les retraits en cas de problème et ce qui relève, à partir de la traçabilité, de l'information donnée aux consommateurs. Actuellement, on mélange trop ces deux aspects.

Encore une fois, tout n'est pas forcément dans l'étiquetage. Ce n'est pas le débat de ce soir, mais je tiens à vous donner la thèse que nous défendons à Conso France. A chaque fois, on surajoute des informations du consommateur sur l'étiquette alors qu'elle a une place et une dimension forcément limitées et, à un moment donné, il faudra bien que la législation différencie --cela peut être une bonne proposition pour le Sénat-- ce qui relève du droit de savoir par les consommateurs de l'obligation d'étiqueter pour un professionnel donné. Ce n'est pas la même nature.

Pour me faire comprendre et ne pas jouer les mystérieux, je peux vous dire qu'actuellement, nous travaillons beaucoup sur les produits allergéniques ou allergogènes (selon les spécialistes). Pour 0,1 % des Français qui ont besoin de savoir s'il y a du jaune d'oeuf dans la préparation, pourquoi devrait-on donner l'information à 99,9 % des Français qui n'en ont que faire ?

Il convient de mener une réflexion, en France, sur une modification de la législation à cet égard. Tout ce que le consommateur veut savoir ne doit pas forcément figurer obligatoirement sur l'emballage ou l'étiquette. Je referme vite cette parenthèse pour dire qu'il faut différencier, à notre sens, le problème de la traçabilité du problème de l'information donnée au consommateur. Après tout, cette information peut figurer sur le lieu de vente et non pas forcément sur l'étiquette.

M. Paul Blanc - Je voudrais avoir une précision. Si je vous ai bien compris, vous conseillerez aux consommateurs français, en ce qui concerne la viande bovine, de ne consommer que de la viande élevée et abattue en France. Vous avez dit "abattue", ce qui veut dire que vous êtes sûr qu'il y aura des tests, puisqu'on ne les fait qu'en France, et "élevée", dans la mesure où vous avez parlé de l'alimentation de la bête.

M. Christian Huard - En 1996, malgré des accusations assez fortes et malgré les limites, nous avions soutenu l'indication "VBF", viande bovine française. Nous avions pensé que c'était un point de passage obligé pour permettre au consommateur de retrouver une confiance dans ses choix alimentaires, même si ce n'était pas la totalité des éléments à mettre en oeuvre à l'époque pour réussir ce retour de la confiance simple et pour tranquilliser les consommateurs pour l'avenir. En effet, la pire des choses, pour une filière, c'est de sortir d'une crise tout en préparant la suivante.

En 1996, M. Vasseur, alors ministre de l'agriculture, nous réunissait tous les mois pour faire état des problèmes, des questions, des interrogations, une chose qui a disparu depuis. Je ne fais pas de la politique en disant cela ; je constate simplement les faits. C'est à cette époque que nous avons pu plus facilement et plus rapidement monter un certain nombre d'opérations consensuelles, si je puis dire, c'est-à-dire qui n'étaient pas dénoncées par l'une ou l'autre des parties dans la mesure où elles faisaient l'objet de discussions sur lesquelles nous essayions de trouver le compromis acceptable.

Aujourd'hui, vous me posez la question et je vous réponds donc que nous avons décidé, à Conso France, de ne pas donner de consigne aux consommateurs. Par conséquent, vous ne verrez pas de déclaration de Conso France appelant les consommateurs à boycotter le reste, parce que c'est un danger majeur dans la mesure où on n'est pas sûr d'avoir forcément donné le bon conseil. Je ne suis d'ailleurs pas sûr, aujourd'hui, que l'on ait scientifiquement les moyens de donner le bon conseil.

Notre mission, en tant qu'organisation de consommateurs, est de faire en sorte que toute viande qui est vendue, dans l'état de nos connaissances scientifiques, soit au moins sûre et qu'ensuite, le consommateur puisse disposer de choix entre viande de qualité ou non. Nous considérons que la sécurité est un droit et que le conseil : "mangez cela parce que c'est plus sûr" sous-entend : "ne mangez pas cela parce que ce n'est pas sûr". Si ce n'est pas sûr, notre rôle est de demander qu'on retire ces produits de la vente.

Nous sommes donc sur une ligne très difficile à tenir dans laquelle nous n'appelons pas au boycott. En revanche, nous avons soutenu "VBF" à fond et s'il faut, demain, prendre d'autres initiatives que nous sommes en train de prendre avec les distributeurs sur les méthodes d'élevage, nous le ferons. Simplement, cela ne veut pas dire que l'on demandera aux gens qui n'auront pas les modes d'élevage de certaines viandes de ne pas consommer ce type de viande.

M. Paul Blanc - Je vais vous poser ma question différemment et je vous demanderai de me répondre simplement par oui ou par non. Si je me place en tant que consommateur, faut-il aujourd'hui, pour être "sûr", ne manger que de la viande bovine élevée et abattue en France ?

M. Christian Huard - Si vous ne me laissez que la possibilité de répondre oui ou non, je vous réponds oui.

M. Paul Blanc - Cela me rassure.

M. le Rapporteur - J'ai une autre question mais, compte tenu des horaires, il vous sera peut-être difficile de l'aborder dans le détail. Si vous avez la réponse, il serait intéressant que vous puissiez nous faire passer les documents correspondants. Les associations de consommateurs se sont-elles penchées précisément sur les importations d'abats et leur cheminement au travers de la chaîne alimentaire, soit bruts, soit dans la composition d'aliments pour bébés ou autres ?

Si vous avez quelque chose, je vous prie de bien vouloir nous envoyer les documents correspondants.

M. Christian Huard - Nous ne nous sommes pas penchée spécifiquement là-dessus. Nous nous sommes penchés sur deux autres types de problème : ce que nous appelons, globalement, les produits transformés et les produits dérivés.

Pour ce qui est des produits dérivés, nous avons pris nos responsabilités à l'époque et nous continuons de les prendre quand on nous pose la question, même si nous ne faisons pas des campagnes forcenées parce que nous ne cherchons pas à multiplier la désassurance du consommateur. Nous pensons que ce sont des travaux nationaux et européens qui peuvent apporter à un moment donné les garanties nécessaires. Nous ne sommes pas des "affoleurs" dans le domaine médiatique et nous ne cherchons pas à nous faire un nom, loin s'en faut.

Pour ce qui est des gélatines, comme elles ne peuvent pas supporter les traitements qui sont susceptibles de détruire le prion, sachant qu'elles sont faites à partir de produits bovins pour la quasi-totalité, nous avons appelé au boycott des gélatines importées pour les enfants, notamment dans les confiseries. C'est la seule fois que Conso France a décidé d'appeler au boycott des bonbons importés contenant de la gélatine bovine.

Nous travaillons aussi en relation assez étroite avec le ministère de la santé sur les produits dérivés. En effet, nous avons aussi le problème des souches médicamenteuses, des souches des sérums qui sont pris sur des bovins ou des souches animales et nous demandons à ce sujet plus d'expertises scientifiques pour en mesurer les effets.

Nous travaillons aussi actuellement sur d'autres dispositions comme les transfusions sanguines et les dons d'organes, car nous ne voudrions pas nous retrouver avec une insuffisance de compréhension. Je rappelle que d'autres pays ont pris des dispositions tout à fait catégoriques à l'égard des personnes ayant séjourné maintenant en Europe, et non plus simplement en Angleterre, y compris pour les dons d'organes.

Nous avons une interrogation que d'autres scientifiques ont dû vous donner sur la possibilité très faible d'une contamination par les appareils chirurgicaux car les techniques de stérilisation des appareils n'assurent pas la destruction du prion. Comme on ne connaît pas les effets de transmission directement par interventions chirurgicales --les médecins sauront le dire mieux que moi--, la Grande-Bretagne a pris la décision de procéder à la destruction de tous les matériaux chirurgicaux après une utilisation sur des personnes relativement ciblées et à risques en termes de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. Paul Blanc - Il n'y a pas qu'en Angleterre que cela se passe.

M. Christian Huard - C'est vrai, mais c'est parti d'Angleterre dans un premier temps.

M. Paul Blanc - Aujourd'hui, dans notre pays, beaucoup de pratiques médicales d'endoscopie et chirurgicales se font avec des appareils jetables, du matériel à utilisation unique.

M. le Président - Il va nous falloir conclure. Nous allons vous poser une dernière question.

M. le Rapporteur - Je voudrais terminer sur les abats. Si vous pouviez nous rendre destinataires de tous les documents dont vous êtes en possession sur les abats et leur cheminement, nous pourrons les recouper avec les informations que nous avons par ailleurs.

M. Paul Blanc - J'ai une question complémentaire : avez-vous une connaissance précise de l'utilisation par les industries agro-alimentaires des abats et des graisses d'origine bovine dans les ravioli, les sauces tomates, bolognaises, etc. ? Avez-vous des informations précises là-dessus ?

M. Christian Huard - Oui. Nous avons même une information qui a eu un important retentissement sur les bouillons cubes, dans lesquels on a des concentrés de toutes origines et de tous morceaux bovins sans traçabilité et qui ne donnent aucune possibilité à un contrôleur, à l'arrivée, de vérifier la dangerosité ou l'origine de ce produit. Cela paraît dérisoire, mais cela sert énormément dans la fabrication de nombreux produits transformés.

Je réponds là-dessus avec beaucoup de sincérité, de simplicité et presque de naïveté. Nous nous inquiétons de ce problème mais nous n'avons jamais pu obtenir l'ombre d'une information. Lorsqu'une grande chaîne de télévision, à notre demande, a mené une investigation très poussée, elle n'a trouvé aucune réponse. Il y a un refus de réponse des professionnels au nom du secret industriel de fabrication.

M. Paul Blanc - Par conséquent, aujourd'hui, vous ne rassurerez pas le consommateur sur les plats cuisinés.

M. Christian Huard - Les plats transformés nous posent un énorme problème parce que la traçabilité et les origines deviennent quasiment impossibles à déterminer.

M. le Président - Nous devrons travailler sur le problème des plats cuisinés.

Monsieur le Président, vous vous avez dit tout à l'heure que vous auriez une information extrêmement importante à délivrer à la commission d'enquête. Etait-ce la révélation sur l'eau ou pensiez-vous à autre chose ? Si vous le permettez, nous allons conclure par là.

M. Christian Huard - Je termine rapidement. Nos interrogations portent sur un point : comment cette maladie est-elle apparue et quelles en seraient les causes ? D'autres scientifiques ont dû vous en parler et il y a de grandes interrogations sur ce point. Il y a en tout cas trois familles de réponses.

La première possibilité est une mutation naturelle, auquel cas il faut expliquer pourquoi les bisons aux Etats-Unis, les rennes au Canada et les élans dans les grandes forêts américaines sont atteints de cette même maladie. Comment se fait-il que la même mutation aurait lieu chez plusieurs mammifères dans plusieurs endroits du globe ? L'interrogation reste forte mais je ne pense pas que cette mutation soit porteuse, même s'il n'y aura jamais de certitude.

La deuxième thèse, que M. Dormont a dû exposer ici et qu'il partage avec d'autres scientifiques, c'est que la cause première serait un micro-virus (je ne suis pas spécialiste et je ne me lancerai donc pas sur ce terrain) ou, disons, une cause externe de type viral qui aurait entraîné la mutation du prion et qui, de prion en prion, modifie la totalité des prions dans une chaîne assez longue. Cette thèse est débattue dans les milieux scientifiques --mais je ne sais plus comment je dois le dire-- et certains ont déjà des plaidoyers contre cette thèse du micro-virus.

La troisième thèse, c'est ce qu'on avait appelé à un moment donné la "troisième voie" ; elle nous inquiète particulièrement. En 1996, dès l'apparition de cette maladie, en France, il n'y avait pratiquement qu'une seule équipe de recherche, un seul laboratoire qui travaillait sur ce point : le Commissariat à l'énergie atomique (CEA). Les autres laboratoires et les autres centres de recherche (CNEVA, CNRS) publics ou privés en France ne menaient pratiquement plus de recherche sur ce sujet. On avait considéré qu'il n'y avait pas lieu de chercher.

J'avais donc demandé à l'époque, avec d'autres, pourquoi le Commissariat à l'énergie atomique était le seul à le faire. Certes, il a un département de sciences de la vie et il a des moyens, mais la question méritait d'être posée. Je rappelle que le test français a été mis au point par le CEA.

Nous avons mené l'enquête avec d'autres organisations de consommateurs pour savoir s'il y avait des éléments de corrélation ou de constante dans les autres pays. Or nous avons découvert avec une certaine stupeur et même avec crainte qu'aux Etats-Unis, l'essentiel des recherches sur les maladies à prion était fait à partir de financements de l'armée américaine.

Nous avons cette interrogation très forte --ce n'est pas une certitude-- qui est partagée par certains de nos amis et nous continuons cette investigation pour déterminer si la cause ne serait pas externe et liée à l'homme et non pas quelque chose de naturel, comme on semble trop vouloir nous imposer la thèse ici ou là.

Voilà l'interrogation dont je voulais vous faire part. Cette fois-ci, je ne me cache pas derrière mon petit doigt et je ne cherche pas à protéger quiconque. Cette interrogation est de plus en plus partagée par un certain nombre de personnes qui voudraient bien savoir si on ne se trompe pas sur la cause première de cette maladie.

Cela semblerait supposer à terme que ce ne sont pas les éleveurs ou la filière qui sont totalement responsables mais que nous serions plutôt tous victimes que responsables dans cette affaire.

Voilà ce que je voulais dire et exposer loyalement. Jusqu'alors, nous nous étions interdits d'exposer cette thèse publiquement ou de la donner à quiconque mais, ayant promis de dire la vérité, je vous dis où nous en sommes et ce sur quoi nous travaillons d'arrache-pied aujourd'hui pour essayer d'accumuler le maximum d'informations.

M. le Président - Cette affaire est assez troublante.

M. Paul Blanc - Jusqu'à preuve du contraire, je n'ai jamais entendu dire que des vaches qui n'avaient pas mangé des farines étaient malades.

M. Christian Huard - Les élans ne mangent pas de farines animales aux USA.

M. le Président - Ce qui est troublant, c'est que des animaux sauvages vivant dans les Rocheuses ont cette maladie et n'ont jamais mangé de farine.

M. Paul Blanc - Ils n'ont pas reçu non plus quelques armes chimiques américaines.

M. Christian Huard - Je vous livre un simple fait : on a trouvé un troupeau de bisons décimé qui avait changé son itinéraire de migration régulier. Il était passé dans une zone où, il y a fort longtemps, il y avait eu des explosions aériennes nucléaires, où on avait testé des bombes nucléaires.

Je vous livre cette information provenant de correspondants américains. Apparemment, des journalistes américains mènent des investigations sur ce terrain.

Quant aux rennes, ils viennent vivre en toute liberté, pendant des périodes un peu plus chaudes, dans des zones de l'extrême nord de l'Amérique où ont été faites également des expériences nucléaires.

Je vous livre ces éléments d'information avec certaines réserves, sachant que je me devais de dire la vérité et tout ce que je sais, sans pour autant afficher une quelconque théorie. Je me devais de le dire parce que si, demain, on sort le dossier, vous pourriez nous dire : "vous auriez pu nous en parler avant".

M. le Président - Vous vous demandez en fait pourquoi le CEA est le seul laboratoire qui faisait des recherches en 1996, sachant que c'est lui qui a mis au point le test, en liant ces éléments au fait qu'aux Etats-Unis, les recherches sur le prion sont financées par des crédits défense, en retrouvant derrière cela le lobby atomique à tous les coups. C'est, en quelque sorte, le raccourci des questions que vous vous posez.

M. Christian Huard - C'est une interrogation. Si j'avais une certitude, je vous la donnerais.

M. le Président - Nous la prenons bien comme telle. Il est évident qu'il faut être très prudent sur tout cela.

Monsieur le Président, nous vous remercions.

Audition de M. Jérôme GALLOT, Directeur général de la concurrence,
de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF),
et de M. Daniel HULAUD, chef de bureau (produits d'origine animale)

(31 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, merci d'avoir répondu à notre convocation et de participer à cette audition. Je souhaite également la bienvenue à M. Gallot, Directeur général de la DGCCRF, ainsi qu'à M. Hulaud, Chef de bureau aux Produits d'origine animale dans votre Administration.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Gallot et Hulaud.

M. le Président - Monsieur Gallot, dans un premier temps je vous demande de nous donner vos impressions et les connaissances dont vous disposez sur le problème qui nous intéresse. Ensuite nos collègues poseront les questions qui leur semblent utiles.

M. Jérôme Gallot - Le sujet qui nous intéresse aujourd'hui, à savoir les farines animales, est évidemment au centre de la problématique de l'ESB. Très tôt les scientifiques ont estimé que les farines animales étaient le vecteur de transmission le plus probable de la maladie. A ce jour, même si d'autres voies de transmission sont évoquées, elles demeurent la cause privilégiée de la maladie.

On constate d'ailleurs que l'ensemble du dispositif réglementaire, qui s'est sensiblement renforcé au cours des dernières années, est largement bâti autour de cette hypothèse.

La DGCCRF est l'une des administrations de contrôle qui intervient en matière de sécurité alimentaire. A ce titre, elle a, bien entendu, participé à l'élaboration du dispositif réglementaire et concouru au respect de cette réglementation.

Je rappelle très brièvement que j'occupe depuis le 5 mars 1997 les responsabilités de Directeur général de cette Direction qui emploie un peu plus de 4 000 personnes parmi lesquelles environ 3 000 ou 3 100 sont dans les Directions départementales et régionales, 340 à 350 sont dans les 8 laboratoires et le complément est à l'Administration centrale.

Cette Administration s'occupe, certes, de sécurité alimentaire, mais aussi de sécurité des produits industriels, des problèmes de concentration, de contrôles des marchés publics, de la concurrence, de la protection économique du consommateur et a également d'autres missions comme l'urbanisme commercial. Je ne citerai pas toutes ses missions car c'est une administration de régulation et de contrôle qui a beaucoup d'aspects liés à la loyauté et au bon fonctionnement des marchés.

Quel a été le rôle de la DGCCRF dans l'affaire qui nous occupe ? Il a été celui que lui assigne le Code de la Consommation, à savoir assurer la loyauté des transactions, en l'occurrence le contrôle chez les fabricants d'aliments, la vérification des formulations et de l'étiquetage et, plus globalement, la protection des consommateurs puisque cette Direction générale du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a une mission horizontale de protection des consommateurs dans le cadre d'un rôle général de surveillance du marché.

Elle a exercé sa mission en coopération avec d'autres services de contrôle tels que la Direction Générale de l'Alimentation et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects. Je dois préciser que cette coopération a été considérablement renforcée ces derniers temps.

Les farines ont été très tôt au centre des préoccupations des Pouvoirs publics français en matière d'ESB. Je ne rappellerai pas les grandes dates, de 1989 à 1994, que tout le monde connaît, mais je ferai quelques commentaires sur cet historique quelque peu lointain.

Les premières mesures ont été prises en 1989 et il faut attendre 1991 pour avoir un premier cas d'ESB en France.

Toutes les mesures ont été prises après consultation des instances scientifiques, notamment le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique, la CEDAP, la CIAA, la Commission des toxiques, toutes commissions qui sont maintenant regroupées dans l'AFSSA qui est l'instance d'évaluation des risques. Il faut clairement dire qu'en France il y a eu une anticipation par rapport aux mesures de protection prises en matière communautaire.

Dès la mi-1992, cette Administration avait organisé des réunions de travail très approfondies avec les scientifiques, les mêmes que ceux que nous entendons aujourd'hui, à savoir M. le Professeur Dormont et Mme le Professeur Brugère-Picoux, en associant d'autres administrations sur la nécessité, ou pas, de prendre des mesures réglementaires.

Concernant la première mesure d'interdiction des farines pour les bovins, qui date de 1990, la première concrétisation dans le contrôle consiste en une note de service entre la Direction Générale de l'Alimentation et la DGCCRF datant du 6 novembre 1990. Cette note précise, et nous aurons l'occasion d'y revenir, le champ d'intervention respectif des deux services ; elle a par ailleurs été précisée et complétée en 1996 et ensuite un peu plus récemment.

Globalement, il faut retenir que la Direction Générale de l'Alimentation intervient chez les équarrisseurs et dans les élevages et la DGCCRF le fait chez les fabricants d'aliments pour animaux. En même temps, cette intervention chez les fabricants d'aliments pour animaux n'est pas exclusive du fait que nous puissions remonter en amont, notamment chez les équarrisseurs, pour le contrôle de l'origine des matières premières utilisées. Plus généralement, la DGCCRF agit au stade de la fabrication et de la commercialisation pour assurer la loyauté des transactions et la sécurité des consommateurs.

Les deux mots de « loyauté » et de « sécurité » sont d'ailleurs ceux que l'on retrouvera le plus fréquemment quand il s'agit d'expliciter le mode d'action de ma Direction générale.

Les contrôles réalisés par ma Direction dans les entreprises ont pour objet de déceler, à tous les stades de la production et de la transformation, les pratiques interdites (c'est notamment la répression des fraudes), de repérer les marchandises non conformes et dangereuses et, par conséquent, de rechercher des infractions éventuelles, d'évaluer le dispositif d'autocontrôle mis en oeuvre par les entreprises pour s'assurer de la bonne exécution de leur activité au regard des obligations réglementaires qu'elles ont et d'essayer de remédier aux anomalies détectées à l'occasion des contrôles.

Lors de leurs contrôles, les agents de ma Direction effectuent des constatations directes, procèdent, si nécessaire, à des prélèvements d'échantillons qui sont analysés dans un laboratoire officiel, et réalisent un examen des différents documents ayant trait à la fabrication, comme les factures ou les formules de fabrication.

Je vous indiquerai quels contrôles nous avons réalisés, comment nous les avons effectués et quels sont les résultats obtenus. Je vous remets dès à présent les pièces écrites sur les instructions et les bilans de ces contrôles. Vous avez un document assez complet et je commenterai un certain nombre de ces pièces. Je tenais à vous les remettre dès maintenant en distinguant les notes de service et les résultats des contrôles ainsi que des documents plus généraux, historiques, qui expliquent tout ce qui a été fait par cette Administration depuis une douzaine d'années sur ces sujets.

Pour vous donner quelques chiffres, les entreprises de fabrication d'aliments pour animaux, dont j'ai dit que c'était le coeur de notre compétence, ont été visitées et contrôlées par les agents de la DGCCRF dans le cadre général de ce que nous appelons le contrôle en entreprise. Nous sommes passés d'un chiffre compris entre 200 et 400 contrôles par an, dans les années 1990 à 1995, à un niveau situé entre 700 et 950 contrôles par an depuis cette époque.

Dans un deuxième temps, nous réalisons, surtout depuis 1997, des contrôles ciblés avec des comptes-rendus précis, dont vous disposez, et méthodiques sur les aliments pour animaux ; pour cela, nous procédons à des prélèvements dans les entreprises et ils sont ensuite analysés par les laboratoires grâce à une méthode de détection de la présence de farines dans les aliments pour animaux. Je reviendrai plus tard sur ce sujet. Depuis 1999, des contrôles du chauffage des farines sont venus s'y ajouter.

Pour résumer : contrôles en entreprise, contrôles généraux, contrôles ciblés sur la détection de traces (ou la présence) de farines dans les aliments pour animaux à partir de 1997, en second lieu, et en troisième lieu contrôles, à partir de 1999, du chauffage des farines. Je vous donnerai certains chiffres précis sur les éléments 2 et 3 de ces contrôles.

Je voudrais préalablement intervenir sur les importations car ce sujet a beaucoup intéressé M. le Professeur Mattei. J'ai quelques scrupules à affirmer que tout a été dit, d'autant que mon collègue des Douanes vous en parlera plus tard. Je suis très clair sur ce sujet et je n'ai pas l'habitude de fuir mes responsabilités, mais vous devez savoir que mon Administration n'a pas la compétence pour contrôler les importations ; c'est le travail de la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects. Le passage au « Grand marché » a perturbé les statistiques douanières en raison même de l'allégement des procédures imposées aux opérateurs.

Toutefois, mon Administration a pu apporter -d'où l'ambiguïté- son concours à la Direction Générale des Douanes et Droits Indirects pour préciser certains flux d'importation de farines en provenance du Royaume-Uni entre les années 1993 et 1996.

La DGCCRF (dont ce n'était pas le nom à l'époque) a procédé depuis 1970, en les approfondissant depuis 1988, à certains contrôles qualitatifs des produits d'alimentation animale débarqués dans différents ports de l'Ouest de la France. A cette occasion, nous avons commencé à rechercher les aflatoxines dans les tourteaux d'arachide et nous avons vérifié la qualité des matières premières importées. Nos contrôleurs ont relevé, bateau après bateau, toutes les données se rapportant aux produits, aux quantités, aux origines, aux opérateurs et aux affréteurs.

Nous avons pu, grâce à la connaissance de ces opérations de déchargement de matières premières importées, apporter une aide à nos collègues de la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects quand il fallait connaître, en 1996, l'origine et la nature de certaines farines.

Ainsi, nous avons pu conforter, aider à redresser et modifier certaines données et statistiques douanières. J'insiste sur le fait que la DGCCRF n'a pas de données propres qui pourraient être opposées à celles des Douanes.

Une synthèse des travaux avait été rendue publique en 1995 par le ministre délégué aux Finances et au Commerce Extérieur sur les importations de farines en provenance du Royaume-Uni, d'Irlande et de l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Je n'ai, aujourd'hui, aucun élément nouveau à ajouter.

Mon collègue, Directeur général des Douanes, vous donnera plus tard les derniers chiffres qui ont été calés sur les tonnages importés, mais je n'ai pas, par rapport à ce que je viens de vous indiquer, de statistiques ou de documents différents.

La France a largement anticipé sur l'Union Européenne et sur nombre de ses partenaires pour sécuriser sa chaîne alimentaire. Il y a eu une restriction croissante en matière de farines et je ne reviendrai pas sur la réglementation.

Je souhaite toutefois vous indiquer que certains problèmes ont été rencontrés. En 1992, ma Direction générale avait obtenu, à la suite d'un arbitrage interministériel, la prise d'un arrêté interdisant l'utilisation des farines de viande et d'os dans la fabrication des matières fertilisantes. En effet, à l'époque nous étions déjà préoccupés par l'éventualité d'une contamination par le sol car des études relataient l'existence de champs à tremblante. Les contrôles menés par la DGCCRF avaient « fait du bruit » à l'époque mais cet arrêté a été annulé par le Conseil d'Etat en 1994 pour manque de motivations.

La prise du texte est de 1992 mais le temps judiciaire est différent. En 1994 cet arrêté a été annulé par le Conseil d'Etat pour manque de motivations et des procès-verbaux réalisés ont donc été annulés. Je dis cela comme étant une erreur de parcours et il en existe éventuellement d'autres.

Dans ma typologie, ce que nous avons fait depuis 1997 sera le second point. Il s'agit des prélèvements effectués sur les farines et le contrôle de l'existence, ou de la trace de farines dans les aliments pour animaux. Il me semble en effet que c'est l'un des coeurs du sujet.

La DGCCRF a mis au point, dans le courant du premier semestre 1997, une méthode d'analyse permettant la détection et la quantification des farines dans les aliments. Je crois pouvoir vous dire que c'est un tournant dans la réalité et dans l'efficacité des contrôles puisque nous sommes passés d'un contrôle général en entreprise à un contrôle spécifique orienté vers des prélèvements nous permettant de détecter des traces de farines.

A partir de ce moment-là, nous avons pu combiner le contrôle documentaire et le contrôle analytique qui est plus efficace que le seul contrôle documentaire. Nous avons immédiatement (les documents que je vous ai remis en font état) lancé un programme de contrôles sur cette base ; c'est ce que nous appelons la tâche programmée 84 qui, depuis, a été précisément reconduite trimestre d'activité par trimestre d'activité.

Je souhaite faire, sur ce sujet, un bref commentaire par rapport à une polémique récente, du 25 octobre dernier, concernant un prétendu seuil de tolérance dans la présence des farines.

En effet, le 25 octobre, un journal du matin a mis en cause mon Administration sur une tolérance concernant les traces de farines. Or, les farines animales sont interdites depuis 1990 pour les bovins et depuis 1994 pour l'ensemble des ruminants, et un service de contrôle n'a pas la possibilité de revenir sur une réglementation.

Par ailleurs, il est vrai que nous avons fixé une limite à partir de laquelle une procédure est envoyée devant les tribunaux. Cette limite est égale à 0,3 % de traces de farines dans l'alimentation animale ce qui, techniquement, correspond à 0,1 % de fragments d'os.

Cette limite existe parce que cette méthode d'analyse mise en oeuvre en Europe pour la première fois par mes services, comporte, comme toute autre méthode, une marge d'approximation et d'erreur et nous avons constaté que l'analyse est fiable à 0,1 %.

S'agissant du cadre d'une procédure pénale, nous devons démontrer au juge l'intention frauduleuse ou la négligence coupable. A partir de 0,1 % nous avons estimé pouvoir convaincre le juge et montrer que, même s'il n'existe que des traces, celles-ci sont suffisantes pour démontrer la négligence coupable ou l'intention frauduleuse. Dans le cas contraire, nous n'arrivons à rien devant les tribunaux ; certains des bilans de contrôles qui sont en votre possession indiquent que nous avons déjà rencontré des difficultés pour obtenir des condamnations même quand des traces de farines supérieures au niveau de 0,1 % ont été relevées.

Jusqu'à présent, sur 15 affaires transmises à la justice, concernant des cas à partir ou au-delà de 0,1 % de fragments d'os, 7 ont été jugées, 5 ont été classées, une a fait l'objet d'une relaxe et une seule condamnation a été prononcée.

Vous constatez que cette polémique est particulièrement déplacée et malveillante. Nous avons pris, en guise de marge d'erreur, le seuil de 0,1 %, mais cela ne sécurise pas totalement par rapport au devenir ou au bon aboutissement des procédures judiciaires.

Le mot de « tolérance » est spécialement malveillant car il donne l'impression qu'en deçà de ce seuil l'Administration ne fait rien. Il est évident que l'Administration agit en deçà de ce seuil et je reviendrai sur ce sujet pour prendre quelque hauteur sur la différence entre les procédures de fraude et de lutte contre la fraude, et les problèmes de sécurité alimentaire.

Au titre de la fraude, nous envoyons à la justice au-dessus de 0,1 % mais au-dessous de 0,1 %, même si nous ne transmettons pas au Parquet, nous agissons au titre de la Police administrative et des pouvoirs que nous avons à ce titre. Dans ce cas, nous revenons dans les entreprises et nous mettons tout en oeuvre pour les obliger à modifier leurs process, afin que les sources de contamination soient recherchées, et qu'elles adoptent des mesures correctrices.

Je suis heureux de pouvoir m'exprimer pour la première fois sur ce sujet pour préciser que cela ne signifie pas que l'Administration accepte des traces jusqu'à 0,1 % ; cela veut dire qu'elle agit au titre des pouvoirs de Police administrative qui sont les siens. Il faut d'ailleurs augmenter ses pouvoirs et j'ai fait des propositions au Gouvernement à ce sujet.

Il est donc erroné de prétendre que nous avons admis un seuil de tolérance. Il est également erroné de comprendre ce seuil comme une abstention de l'Administration ou pire encore, car on voit bien le glissement progressif vers le plaisir, vers ce qui pourrait être assimilé à une sorte d'accommodement ou de « concubinage » entre l'Administration et les entreprises.

J'ajoute, Monsieur le Président, que depuis 1997 nous sommes restés fermes sur ce seuil de 0,1 % alors que le Comité Scientifique Directeur de Bruxelles a retenu, en 1998, un seuil supérieur puisqu'il a été placé à 0,15 %.

Dans ma typologie, le troisième point (touchant les méthodes d'analyse) concerne le contrôle du traitement thermique des farines. En 1999, le laboratoire de Rennes a adopté une méthode encore non officielle pour vérifier que la farine avait bien été traitée à 133°C avec une pression de 3 bars pendant 20 minutes. Cette méthode assez technique est fondée sur la dégradation d'une protéine de porc.

Des contrôles ont été réalisés et ils ont donné lieu, en cas d'anomalie, à une information et à une coopération avec les Services Vétérinaires qui interviennent généralement avec mes services chez l'équarrisseur fabriquant la farine. Pour l'année 2000, 83 prélèvements ont été effectués par la DGCCRF, sur cette problématique du chauffage des farines, dans 18 entreprises agréées pour pratiquer le traitement thermique. Dans 18 cas, le traitement appliqué avait été insuffisant et ces résultats ont conduit à 3 procédures contentieuses ainsi qu'au retrait de l'agrément d'une entreprise.

Je terminerai par une interrogation. L'interdiction récente et générale des farines a-t-elle été le révélateur de l'échec de la sécurisation, que nous poursuivons depuis un certain nombre d'années, et de l'échec des contrôles ? C'est un point de vue qui a été parfois développé, notamment par des scientifiques éminents tels que M. le Professeur Pascal et d'autres.

Vous me permettrez de défendre le point de vue inverse. Je ne crois pas que l'interdiction des farines, datant de la fin octobre et du début novembre, soit un aveu ou un constat d'échec. Il est tout à fait évident que les farines fabriquées en l'an 2000 présentaient un degré de sécurité beaucoup plus élevé que les farines des années précédentes grâce au retrait des MRS, des cadavres, pour lesquels nous avons été en France quelque peu en avance, et aux traitements thermiques dont je viens de parler ; l'un s'ajoute à l'autre et la sécurisation provient de l'addition de toutes ces mesures.

A priori, les conditions d'une sécurité maximum (je ne dirai pas totale) étaient réunies, même si nous n'étions pas à l'abri de défaillances ou de fraudes. J'ai récemment donné des statistiques montrant que des anomalies ou des fraudes ont existé.

La mise en oeuvre du traitement thermique ne s'est pas faite sans difficultés. Nous avons constaté, à l'analyse des farines, des défauts de traitement dus à des dérèglements d'appareils de mesure, à une insuffisante maîtrise des procédures ou au fait que les températures n'étaient pas suffisantes au coeur du lot. Par une action conjointe avec les Services Vétérinaires, nous avons fait prendre des mesures correctrices et notamment un retrait d'agrément.

Dans ce contexte il n'est pas déraisonnable d'affirmer que nous pensions que les farines avaient atteint un niveau de sécurité élevé. Les risques liés à une éventuelle présence intempestive de farines dans les aliments pour bovins, par une contamination croisée, devenaient plus un problème de fraude qu'un problème de sécurité alimentaire stricto sensu.

On ne peut jamais dire que la fraude est éradiquée à 100 %. Il existait, même dans une période récente, des risques de contamination croisée notamment lors du transport et du stockage des farines. Une contamination chez les éleveurs n'était pas impossible notamment chez ceux qui élèvent également des volailles ou peuvent être tentés de donner de l'aliment pour volailles aux bovins.

L'important est que la sécurité alimentaire a été mise au premier plan des priorités d'action de ce service. En 1997 j'ai fixé, avec l'accord des ministres, trois priorités d'action pour ma Direction générale : le contrôle des marchés publics, le contrôle de la concurrence et la sécurité alimentaire. Les bilans des contrôles qui vous ont été remis illustrent que cette priorité a été traduite dans les faits.

Les statistiques des contrôles sont importantes sur les farines mais il existe d'autres statistiques, plus générales, sur l'origine et la traçabilité des viandes. Je n'en ai pas parlé car ce n'est pas le coeur du sujet de votre commission mais je peux vous proposer des bilans sur les contrôles puisqu'en matière d'origine et de traçabilité des viandes nous avons effectué 63 000 contrôles. Je vous ai remis un document synthétique sur ce sujet.

J'insiste fortement sur la distinction entre la problématique de la fraude et celle de la sécurité alimentaire. La fraude nécessite, pour que les services de contrôle puissent établir les fraudes, la confidentialité, le secret et la discrétion, alors que la sécurité alimentaire exige la transparence, la communication et l'information du public. Il existe un défi pour mon Administration entre la préoccupation de la fraude et celle de la sécurité alimentaire. Les deux préoccupations peuvent être réunifiées par les mesures de Police administrative. Nous ne pouvons pas nous contenter d'être des auxiliaires par rapport à la Police judiciaire et par rapport aux procédures pénales ; nous devons pouvoir développer des procédures de Police administrative pour agir très rapidement dans l'intérêt du consommateur.

M. Jean Bizet, rapporteur - La première question que l'on peut se poser concerne le rapport que l'on a coutume d'appeler le Rapport Claude Villain de l'Inspection Générales des Finances. Ce rapport rédigé fin septembre 1996 révèle que les services de la DGCCRF, sollicités en juillet 1990 pour l'interdiction de l'emploi de farines, n'avaient pas été informés de l'avis aux importateurs publié en août 1989.

Confirmez-vous cette information et quelles sont les conséquences sur la protection et l'information aux consommateurs ?

Ce même rapport révèle qu'une réelle collaboration entre la DGCCRF et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects a été établie seulement au printemps 1996 afin d'échanger les renseignements existants (les listes des bateaux et les documents irlandais) pour faciliter le contrôle des déclarations d'échanges de biens et, inversement, la notification de ces déclarations d'échanges de biens suspectes à la DGCCRF.

Comment expliquez-vous cette absence de coordination jusqu'en 1996 et quelles en ont été les conséquences sur les fraudes à l'importation des farines britanniques ?

Par ailleurs, y a-t-il lieu de s'inquiéter de la composition des bouillons en cubes, des fonds de sauce et de certains plats cuisinés ? Si oui, pourquoi les industries agro-alimentaires ont-elles pu utiliser des graisses animales issues de la pression des farines ou des abats à risques importés de Grande-Bretagne ?

Concernant l'incorporation de farines dans les engrais pour améliorer les sols, vous dites qu'un arrêté de 1992 a été cassé par décision du Conseil d'Etat en 1994 au motif d'insuffisance de motivations. Pouvez-vous nous dire qui a saisi le Conseil d'Etat pour prendre une telle décision ?

M. Jérôme Gallot - Je vous ai précisé que les contrôles, non pas à l'importation, mais sur les matières premières déchargées dans les ports, n'étaient pas le coeur de compétence et d'intervention de la DGCCRF. Cette mission est réalisée de longue date à partir d'une problématique qui n'était pas celle de l'ESB mais elle a été remobilisée sur l'ESB. Ce n'est pas l'essentiel de l'activité de mon service, même si cette mission a été fort utile et a produit des résultats.

Je vous ai remis des résultats de contrôles liés à cette intervention dans les matières premières importées.

Je crois donc que la relation entre la DGCCRF et la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects a été établie de manière convenable à partir de 1996 ; le Rapport Villain le dit. Cela ne signifie pas qu'il n'existait pas de relations mais elles étaient moins importantes. Depuis, ces relations ont été formalisées.

Nous avons, en février 1998, signé un protocole d'accord entre la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects et la DGCCRF. Il ne concerne pas la problématique des ports et de l'importation, car ce n'est pas l'essentiel des activités de ma Direction, mais plutôt les échanges d'informations lors de fraudes ou de mouvements de marchandises anormaux. Quand les douaniers interceptent un certain nombre de cargaisons ils ont besoin des Services Vétérinaires, ou de mes services, pour contrôler sur le territoire français la réalité du contenu de la cargaison ; de ce fait, nous procédons à des prélèvements.

C'est explicité dans le protocole d'accord de février 1998 et nous avons procédé à environ 450 échanges d'informations (appelées fiches d'analyse transmises entre les deux Directions) depuis février 1998.

Je ne polémiquerai pas sur le passé, et ce que M. Claude Villain affirme est peut-être vrai. Je peux dire que nous avons tiré les leçons du Rapport Villain sur le fait que la coopération entre les deux Directions du ministère des Finances chargées des problèmes de sécurité n'était pas suffisante ; elle a été renforcée à partir du début de l'année 1998.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous être destinataires du Rapport Villain et de ce document formalisant une meilleure coordination entre la DGCCRF et la DGDDI ?

M. Jérôme Gallot - Je vous remets dès maintenant le Rapport Villain et je dispose certainement de l'autre document.

J'insiste sur le fait qu'entre les Douanes et la DGCCRF il existe un protocole d'accord sur l'ESB datant de février 1998. Fin mars 2000 nous avons examiné la totalité des relations de contrôle entre la DGCCRF et les Douanes. Il existe un protocole de coopération, plus large que le seul protocole de 1998 sur l'ESB qui doit faire l'objet d'un bilan annuel. Nous ferons à ce titre un bilan complet pour l'anniversaire de ce protocole.

Je vous remets le protocole de coopération d'ensemble, du 8 mars 2000, mais il existe un protocole spécifique ESB en annexe.

M. le Rapporteur - C'est une dérive ou un mal français et nous notons avec beaucoup d'intérêt cette formalisation dès 1998.

M. Jérôme Gallot - Vous m'avez posé le problème de la relation avec les Services Vétérinaires dans le cadre du Rapport Villain.

M. le Rapporteur - Non, mais vous pouvez nous donner vos informations.

M. Jérôme Gallot - Il a existé, le cas échéant dans le passé, des difficultés ou des crispations. Il s'agit de deux ministères différents et il ne faut pas oublier l'histoire. En effet, l'ancien service de la répression des fraudes venait du ministère de l'Agriculture et a formé en 1981/1982 la Direction de la Consommation et de la Répression des Fraudes ; l'ensemble a ensuite fusionné en 1984/1985/1986 pour former la DGCCRF.

Des relations ont été très importantes au niveau central. Certaines notes de service, dont vous disposez, sont co-signées par les deux Directeurs généraux. J'ai parlé de celle de 1990 mais il en existe d'autres.

En matière de coopération je crois qu'il faut allier plusieurs ingrédients. Le premier est la volonté personnelle des Directeurs généraux de travailler très étroitement ensemble. Cette volonté existe au sein de la Direction Générale de l'Alimentation, avec le Directeur général de la Santé et celui des Douanes. Les Directeurs généraux font preuve d'une forte volonté personnelle de travailler en complémentarité.

Cela ne suffit pas car il faut aller en permanence dans les services déconcentrés, prendre son « bâton de pèlerin » et se rendre dans les Directions départementales. Personnellement, en 47 mois j'ai fait 98 déplacements sur le terrain et j'ai visité 80 départements. Je pose régulièrement la question aux responsables départementaux et aux agents sur le terrain : concernant les relations avec les Parquets, avec le Préfet, les Douanes et les Services Vétérinaires, quelles sont les actions entreprises, existe-t-il une complémentarité et une coordination pour qu'un commerçant ne soit pas contrôlé un jour par les Services Vétérinaires et deux jours plus tard par la DGCCRF ?

Il existe une volonté au sommet mais également un essai de mobilisation fort pour apprendre à nos agents des Services Vétérinaires et ceux de la DGCCRF à travailler ensemble. Cela ne peut pas se faire rapidement mais des progrès significatifs ont été enregistrés.

Il y a quelques années, plusieurs mois étaient nécessaires pour trouver un accord sur l'interprétation de textes alors qu'aujourd'hui ce délai est passé à 15 jours ou 3 semaines.

Concernant l'interdiction générale des farines, fin octobre/début novembre, M. Hulaud, ici présent, a négocié en une dizaine de jours, au maximum, avec ses homologues de la Direction Générale de l'Alimentation. Ce n'est pas facile. Chacun porte des responsabilités, des compétences et des points de vue qui ne sont pas exactement les mêmes. Toutefois, j'ai la faiblesse de considérer que cette diversité des opinions dans l'appareil d'Etat est une source d'enrichissement et non pas de redondance.

Je pense qu'entre les Services Vétérinaires et nous il existe les dominantes amont et aval. Les Services Vétérinaires sont en amont, à l'abattoir où leur présence est institutionnalisée et permanente, et pour exercer leur métier ils se projettent plus en aval. Nous sommes en aval, au contact du consommateur ; nous procédons d'abord, et avant tout, à des contrôles au niveau de la distribution et, pour bien exercer ce métier de l'information loyale du consommateur, nous sommes obligés de remonter plus en amont car la traçabilité, à savoir le contrôle de l'origine, nous impose de le faire.

Je disais que sur les farines nous avions avant une responsabilité historique sur les fabricants d'aliments. J'ai aussi indiqué que nous allions chez les équarrisseurs, même si ceux-ci relèvent plus de la responsabilité des Services Vétérinaires, afin de contrôler les matières premières. Les notes de service d'il y a 4 ou 5 ans indiquent ce partage des rôles et des responsabilités.

Je crois pouvoir vous dire que la coopération s'est intensifiée et qu'elle donne aujourd'hui de meilleurs résultats parce qu'il existe une volonté claire, au sommet, d'en vérifier les conditions d'application. Certains pôles de compétences sont mis en oeuvre par les préfets au plan local et je demande à mes Directeurs d'y participer avec mobilisation, loyalisme et efficacité, tout en respectant les compétences juridiques des uns et des autres. En effet, nous aurions des problèmes d'efficacité juridique si nous abandonnions une partie de nos compétences.

Par une programmation conjointe et une planification des sorties, nous demandons à nos services déconcentrés de rendre compte de leurs actions. Il est parfois difficile d'avoir des comptes-rendus car les enquêteurs sont mobilisés au plan local par des sorties dans les entreprises. Aujourd'hui, nous avons plus de comptes-rendus qu'auparavant. Je ne peux pas dire que tout est parfait mais, indiscutablement, la situation est meilleure aujourd'hui.

M. le Rapporteur - L'année 1998 a marqué un tournant.

M. Jérôme Gallot - Tout cela compose un processus continu.

Concernant les engrais, je laisse la parole à M. Hulaud car je ne sais pas qui a fait le recours par rapport à la décision de justice dont nous avons parlé.

M. Daniel Hulaud - Un recours a été fait concernant le texte visant à imposer une homologation à toutes les matières fertilisantes qui renfermaient des farines de viande.

Cette homologation permettait d'interdire, par ce biais, un certain nombre de produits qui pouvaient présenter un risque, de par leur épandage, lors de la consommation de l'herbe par les animaux. Certains professionnels considéraient que ce n'était pas approprié et que cela allait au-delà des mesures de sécurité visant à protéger de la santé des animaux et la santé humaine. De ce fait, le Conseil d'Etat, considérant que les motivations étaient insuffisantes, a annulé ce texte.

Aujourd'hui, un autre texte est présenté à la signature des ministres et nous espérons que dans les prochains jours nous aurons à nouveau un texte interdisant l'incorporation des farines dans les engrais. Nous travaillons à ce projet. C'était une mesure à laquelle nous tenions car il nous avait semblé, à l'époque, qu'il s'agissait d'une bonne application du principe de précautions.

M. le Rapporteur - C'était un problème d'homologation et cela relève plus d'une harmonisation au niveau européen. Je pense donc qu'aucun organisme n'a fait pression.

M. Daniel Hulaud - Cette affaire date de 1992 à 1994 et je n'ai pas le détail de la procédure ayant conduit à cette annulation ; nous pourrons toutefois vous fournir des informations.

Les procès-verbaux dressés pour l'application de cet arrêté ont, je pense, conduit à une telle levée de boucliers et à la saisine du Conseil d'Etat avec un recours en annulation.

M. Jérôme Gallot - Une question concernait les plats cuisinés et les fonds de sauce. Nous contrôlons la totalité des entreprises qui utilisent des éléments bovins ou des éléments liés aux viandes d'une manière générale. Il n'existe pas de différence entre les morceaux de viande entiers et ceux que l'on retrouve à faible dose dans les fonds de sauce ou certaines productions. Cela fait partie des missions habituelles de la DGCCRF et nous contrôlons ce type d'aliments chez l'ensemble des fabricants.

M. Daniel Hulaud - Pour la sécurité de ces bouillons et fonds de sauce, mais aussi de l'ensemble des plats cuisinés, il ne faut pas oublier les mesures prises dès le début de l'année 1990 concernant l'interdiction d'importer des abats à risques en provenance du Royaume-Uni. Certaines garanties ont été apportées du fait de l'adoption de cet avis aux importateurs.

M. le Rapporteur - Nous disposons de chiffres qui peuvent désormais être croisés. Je vous rappelle qu'entre 1978 et 1987 la France a importé 3 185 tonnes d'abats et entre 1988 et 1996, sur une période de 9 ans, 47 890 tonnes ont été importées. Ceci est malgré tout choquant. Sur ce point précis, avez-vous des informations à nous livrer ?

M. Daniel Hulaud - Je n'ai pas d'informations précises. Sur la période ayant précédé 1990 nous ne pouvons pas dire grand-chose puisque les Anglais nous avaient précédés de quelques mois. Nous avons cru bon de prendre un avis aux importateurs car nous avions trouvé, notamment à Rungis, quelques abats qui avaient franchi les frontières.

M. le Rapporteur - Il s'agit de 47 000 tonnes ; ce ne sont pas que « quelques abats ».

M. Daniel Hulaud - Des produits étaient rentrés sur le territoire français et nous avons pris cet avis aux importateurs.

Il existe plusieurs catégories d'abats et les abats à risques étaient interdits à partir de 1990. Or, sans être spécialiste des statistiques douanières, je peux dire qu'il est fort probable que l'on ne fasse pas de différence entre le foie de veau, qui reste autorisé, et pouvait être importé jusqu'à la date de décision d'embargo de 1996. Il faudrait analyser ces chiffres dans le détail pour savoir s'il ne s'agit pas uniquement de ces produits autorisés ; c'est d'ailleurs ce que j'espère car, dans le cas contraire, ce serait tout à fait anormal.

M. Paul Blanc - Dans le droit fil de la question concernant les fonds de sauce, etc., il me semble que le retrait des abats à risques a été décidé en juillet 1992 pour les petits pots pour bébés. Pourquoi cette même mesure n'a-t-elle pas été appliquée pour les plats cuisinés ?

M. Jérôme Gallot - Sur ce point M. Hulaud, qui était présent à l'époque des événements, pourra compléter l'information.

Obtenir une interdiction pour les petits pots pour bébés a été un combat. Plusieurs semaines, voire des mois, de travail, de conviction et de persuasion de l'ensemble du paysage interministériel ont été nécessaires. A l'époque, cela a été considéré comme un succès et comme une mesure très positive de protection des consommateurs les plus fragiles, à savoir les enfants. Cette mesure très importante a été difficile à obtenir.

M. Daniel Hulaud - Cette affaire était importante pour nous puisque nous assurions, concernant la DGCCRF, la tutelle d'une commission chargée des produits diététiques et des produits de l'enfance.

Nous avons assuré cette tutelle jusqu'à la création de l'AFSSA. Sachant tout ce qui était dit sur la maladie de la vache folle et sur l'ESB, nous avons demandé, lors d'une des réunions de cette commission, à un spécialiste des encéphalopathies spongiformes de nous expliquer la situation.

Les travaux étaient conduits par M. Jean Navarro, Professeur de pédiatrie à l'Hôpital des Enfants Malades. A la suite de l'exposé fait par M. Deslys la décision a été prise de rendre un avis visant à interdire, pour les produits relevant de la compétence de cette commission, l'utilisation des abats à risques.

Les professionnels ont indiqué que c'était inutile puisque des mesures avaient été prises. Cependant, les mesures prises au niveau national ne visaient certainement pas les produits importés. Nous avons donc pris l'arrêté et, dans l'avis émis par la CEDAP, nous avons été conduits à saisir le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France puisque l'alimentation, en général, ne relevait pas de la compétence de cette commission. Le Conseil Supérieur Public d'hygiène de France a rendu un avis plus tempéré que celui de la CEDAP et n'a pas conduit les Pouvoirs Publics à prendre une telle mesure.

Toutefois, cet arrêté concernant les petits pots pour bébés a fait l'objet de très vives critiques par la Commission de Bruxelles et nous avons été contraints de nous en expliquer à Bruxelles. J'y suis personnellement allé et je peux vous dire qu'il nous a été rappelé à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'une mesure visant à protéger le marché national, à entraver les échanges et que ce n'était nullement une mesure de santé publique.

Nous avons, parmi les documents en notre possession, des pièces attestant de cela et nous pourrons vous les fournir.

Nous avons pris des arrêtés de renouvellement mais ce n'est qu'aux environs de 1996 qu'il a été possible de concrétiser par un décret, et rendre pérenne, cette mesure qui n'était valable qu'un an.

M. Paul Blanc - Monsieur Gallot, vous parlez d'un combat ; vous avez donc livré un combat contre Bruxelles.

M. Jérôme Gallot - En quelque sorte.

M. Paul Blanc - Vous avez parlé de la collaboration étroite entre les différents services, notamment la DSV. Concernant un cas pratique, êtes-vous informé de ce qui s'est passé dans les Hautes-Alpes où la DSV des Hautes-Alpes a saisi le Parquet de Gap à la suite de découvertes d'importantes quantités d'aliments pour bovins contenant des farines animales importées d'Italie ?

M. Jérôme Gallot - Oui. L'origine du problème est une fraude détectée par les Services vétérinaires. Il y a eu ensuite un échange d'informations entre les services concernés, la Préfecture, les Services Vétérinaires et la Direction départementale. Mes services, avec les Services Vétérinaires, sont ensuite retournés dans différentes entreprises qui avaient pu être clientes de ce fournisseur. Il s'agit d'une coopération importante entre les deux services de contrôle, même si l'origine, à savoir le fait générateur, est une découverte faite par les Services vétérinaires.

Un autre aspect du dossier concerne l'information des autorités étrangères faite par mon Administration centrale par une lettre datée du 5 janvier.

Le sujet que vous évoquez illustre ce que je disais sur la fraude et la sécurité alimentaire. Pour parvenir à élucider le problème il a été nécessaire, pendant 3 semaines ou un mois, de rester dans une forme de discrétion. Nous pensions (et nous le pensons toujours) que ce n'était plus un véritable problème de sécurité alimentaire, des mesures ayant été prises depuis 7 ou 8 ans, et que nous devions traiter cette affaire ainsi.

Au cas par cas, nous sommes toujours confrontés à cette problématique : faut-il, ou pas, médiatiser rapidement de telles découvertes ? Si nous le faisons, nous nuisons à l'efficacité de la lutte contre la fraude.

M. Paul Blanc - Je voulais préciser cette collaboration par un cas concret.

Vous parliez du contrôle de ces bateaux transportant des farines animales. Quels sont les importateurs : des professionnels de l'alimentation animale, des courtiers ou d'autres personnes ?

M. Daniel Hulaud - Les importateurs peuvent être, dans certains cas, des courtiers, mais ce sont aussi de gros fabricants d'aliments pour animaux qui importent directement.

M. Paul Blanc - Quand il s'agit de courtiers, n'est-il pas plus difficile de remonter la filière et trouver la traçabilité ?

M. Daniel Hulaud - Nous avons plus de difficultés quand il s'agit de courtiers car ce ne sont pas toujours des importations directes. Il a été constaté que des marchandises pouvaient arriver par la Belgique ou les Pays-Bas, notamment lors des contrôles réalisés sur cette période de 1993 à 1996.

M. le Président - Avez-vous des listes de courtiers et d'établissements contrôlés ?

M. Daniel Hulaud - Oui. La coopération avec les Douanes intervient quand nous demandons à ses services quels sont les importateurs pour certains types de produits. Ensuite, à partir de ces listes, nous allons voir ceux qui nous intéressent.

M. le Président - Je vous demande de bien vouloir nous fournir les documents concernant les importateurs ou les courtiers contrôlés.

M. Jérôme Gallot - Oui. Vous avez déjà le résultat de contrôles qui ont été menés dans les années 1993 mais nous pourrons vous donner des résultats plus complets.

M. Paul Blanc - En ce moment les compléments alimentaires et les lacto-remplaceurs sont au centre du débat. En assurez-vous le contrôle et, si oui, comment ?

M. Daniel Hulaud - Les lacto-remplaceurs ou les autres aliments sont tous contrôlés. Je rappelle à cet égard le combat que nous avons livré à une certaine époque concernant les anabolisants ; cela a beaucoup occupé nos services durant les années 1991 et 1992. Il est vrai que ces substances étaient essentiellement présentes dans les lacto-remplaceurs puisqu'il s'agissait d'aliments pour veaux que nous contrôlions au même titre que les autres.

La seule problématique est que les ingrédients ne sont pas nécessairement les mêmes. Nous ne trouvons pas la même quantité de farines puisque les lacto-remplaceurs contiennent très peu de protéines. Nos recherches sont donc orientées différemment. Aujourd'hui, la problématique des graisses se pose davantage. Je rappelle qu'un arrêté récent interdit certains types de graisses à risques dans les aliments pour animaux.

M. Paul Blanc - Actuellement, on parle beaucoup de l'utilisation de la gélatine bovine pour les bonbons. Quel est votre sentiment sur le sujet ?

M. Jérôme Gallot - Ce sujet fait l'objet de contrôles par nos services depuis fort longtemps, à savoir depuis pratiquement le début des années 1990.

M. Daniel Hulaud - La gélatine est un produit qui pourrait éventuellement poser des problèmes. Au début de la crise, avec M. Gallot nous avons fait visiter une fabrique de gélatine à des scientifiques pour savoir s'il existait des problèmes concernant cette fabrication. Aujourd'hui, les scientifiques s'interrogent toujours puisqu'à Bruxelles il a récemment été question des colonnes vertébrales. Il n'est pas impossible que des mesures soient prises sur les matières premières mises en oeuvre pour sécuriser davantage les produits.

M. Jean-François Humbert - Monsieur le Directeur général, vous avez évoqué un protocole d'accord entre la Direction des Douanes et votre Direction en février 1998. Pouvez-vous nous en dire plus sur le contenu. J'ai en effet le sentiment que, dans un certain nombre de cas, quand la Direction des Douanes n'avait rien à reprocher, votre Direction, ou vos services régionaux ou départementaux, se considéraient comme étant exonérés d'aller plus loin. Je précise que c'est une interprétation personnelle que vous pouvez contester.

Il me semble que nous aurions besoin de savoir quels sont les contrôles opérés par votre Direction auprès des industriels de l'alimentation animale depuis 1990, à savoir depuis l'interdiction de l'utilisation des farines animales dans les aliments pour bovins.

A partir du moment où des contrôles ont eu lieu, qui était à l'origine de ces contrôles, s'agissait-il d'une décision nationale prise par arrêté ou par instructions internes à votre Direction ou encore de décisions prises sur le plan régional ou départemental ?

Concernant les petits pots pour bébés, vous avez dit, Monsieur le Directeur général, que des semaines ou des mois de bataille interministérielle avaient été nécessaires. Qui a mené cette bataille, contre qui et quels ont été les résultats ?

M. Jérôme Gallot - En 1996, la DGCCRF a communiqué aux Douanes des informations concernant les importations de farines ; cela a contribué à la correction des statistiques douanières qui avaient été établies à partir de données incomplètes puisqu'il s'agissait de déclarations d'échanges de biens qui n'étaient pas complètement remplies.

Il s'agit d'une coopération au moment des travaux de la Commission Mattei sur ce sujet.

Le 27 février 1998, après quelques semaines d'échanges, nous avons signé ce protocole de coopération pour renforcer la coordination et la coopération entre les deux services dans le but d'éviter l'écoulement frauduleux de marchandises bovines interdites.

Depuis la signature de ce protocole, 440 fiches ont été transmises aux Directions Départementales de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes par les services des Douanes. Quelques dizaines ont été établies lors de la crise de la dioxine en 1999 et 376 concernaient des informations propres à l'ESB. A partir de ces 376 liaisons des Douanes vers la DGCCRF, des échanges ont eu lieu. De même, quelques dizaines de transmissions autonomes ont été effectuées de la DGCCRF vers les Douanes.

Ensuite, nous avons effectué des contrôles conjoints. Il s'agissait de contrôles routiers, puisque seule la Douane a le pouvoir d'arrêter les cargaisons, et l'appréciation du contenu qualitatif des marchandises nécessitait l'intervention des Services Vétérinaires ou de mes services. De même, des contrôles portuaires et aéroportuaires ont été effectués ainsi que des actions en commun près des frontières.

Je pourrai vous donner des bilans. Quelques dizaines de tonnes de viande en provenance d'Espagne circulaient sans documents d'accompagnement, des déchets contenant de la moelle épinière ou des cervelles de bovins provenaient d'Allemagne, etc. Ce protocole a apporté quelque chose dans la coopération des deux services sur le terrain.

M. Jean-François Humbert - A partir de ce protocole, avec les effets que vous venez de résumer de manière synthétique (et je vous en remercie), les deux services dépendant plus ou moins du même ministère, il doit exister une répartition des rôles. Vous étiez d'accord pour que la DGCCRF intervienne dans tel secteur et les Douanes dans tel autre. Quelle était la liaison entre les deux services d'un même ministère, et des écrits pourraient-ils nous être transmis à ce sujet ?

Nous sommes conscients qu'une audition très rapide ne vous permet pas de nous donner l'ensemble des informations. Toutefois, il existe peut-être des documents écrits que nous aurions intérêt à lire et qu'il vous serait possible de nous transmettre.

M. Jérôme Gallot - Je vous transmettrai le bilan de cette coopération.

Je précise qu'il n'existe pas de véritable chevauchement de compétences entre la Douane et la DGCCRF. Toutefois, il en existe entre les Services Vétérinaires et la DGCCRF, ce qui nécessite des notes de service au cas par cas sur l'ensemble de ces contrôles d'aliments ou de viandes bovines ; c'est d'ailleurs ce que nous faisons. Il existe une complémentarité d'action avec les Douanes. Le Code des Douanes donne des pouvoirs beaucoup plus étendus que le Code de la Consommation ; il permet notamment d'intervenir la nuit, ce qui n'est pas autorisé par le Code de la Consommation.

En 1994, au sein du ministère des Finances un rapport administratif connu sous le nom de Rapport Lefranc avait établi une sorte de ligne de partage entre les Douanes et la DGCCRF sur divers sujets tels que la coopération en matière industrielle, la contrefaçon, l'économie souterraine, etc. Il avait été convenu, à cette époque, que les Douanes s'interdisaient d'utiliser le Code de la Consommation.

Le précédent Directeur général des Douanes et moi-même avons convenu que cette ligne de partage n'était plus actuelle. De ce fait, il fallait que les Douanes puissent utiliser les pouvoirs tirés du Code de la Consommation car la sécurité alimentaire ne se « tronçonne » pas en compétence administrative ; elle est globale et il faut regrouper les forces. Dans un certain nombre de crises récentes, les Douanes ont utilisé très concrètement les pouvoirs tirés du Code de la Consommation.

Toutefois, la zone de compétences communes est moins importante que celle existant entre la DGCCRF et les Services Vétérinaires. Là aussi des progrès non négligeables ont été réalisés en matière de relations entre les deux services.

M. Jean-François Humbert - Avez-vous le sentiment que la collaboration entre les Services Vétérinaires et vos propres services est sans faille ou, au contraire, les relations, durant certaines périodes, n'ont-elles pas permis une grande efficacité ? Pardonnez-moi pour ce substantif à connotation péjorative.

M. Jérôme Gallot - Je confirme que la coopération a fait, durant des périodes récentes, des progrès très importants.

M. Jean-François Humbert - Cela signifie qu'entre 1990 et aujourd'hui cela n'a pas toujours été le cas.

M. Jérôme Gallot - J'essaie de parler des sujets et de la période que je connais. A ce titre, il me semble que nous progressons dans cette coopération.

M. Jean-François Humbert - Nous vous en remercions.

M. Jérôme Gallot - La deuxième question concernait les instructions. En réalité, les réglementations sur ces sujets résultent de décrets ou d'arrêtés. Ces réglementations sont fondées sur des articles du Code Rural ou du Code de la Consommation ou des deux en même temps.

Ipso facto, cela nous donne une habilitation pour contrôler. Toutefois, le décret, ou l'arrêté en tant que tel, ne donne pas un monitoring suffisant pour les services de contrôle et tout texte important est suivi d'une note de service. Des exemples, même relativement anciens, montrent que nous établissons, ou essayons d'établir, ces notes de service conjointement entre les Services Vétérinaires et la DGCCRF.

L'avantage est double car cela montre à nos troupes qu'il existe, au sommet, une volonté d'entente. Par ailleurs, cela facilite l'application concrète sur le terrain en évitant aux entreprises et aux professionnels d'essayer de se faufiler entre des interprétations divergentes des textes. Le symbole et l'efficacité commandent que cette pratique soit systématisée et elle l'est aujourd'hui.

M. Jean-François Humbert - Je me félicite que vous ayez été nommé au poste qui est le vôtre aujourd'hui. Depuis 1990 jusqu'à une période récente on peut sans doute considérer (il vous appartient de confirmer ou non mes propos) que cette coordination était peut-être insuffisante et qu'il n'existait pas une conscience suffisante de la gravité du problème.

M. Jérôme Gallot - Des notes de service étaient communes.

M. Jean-François Humbert - Pouvez-vous nous les communiquer ?

M. Jérôme Gallot - Elles figurent dans le dossier.

Des notes de service communes datent de 11 ans. Les services de contrôle sur le terrain sont extrêmement sensibilisés à cette nécessité de travailler ensemble. Je ne peux pas indiquer que nous sommes passés d'un moment difficile à un moment plus facile car tout nécessite une attention constante et des relances. Aujourd'hui, des pôles de coopération et de sécurité alimentaire existent sur le terrain.

Les critiques qui ont pu être émises me paraissent devoir être, aujourd'hui, atténuées sur cette problématique. Je n'ai pas dit que tout se déroulait parfaitement bien dans tous les départements car dans quelques-uns cette coopération ne semble pas suffisante. Je l'avais d'ailleurs indiqué devant la Commission d'enquête parlementaire sur la sécurité alimentaire à l'Assemblée Nationale.

M. Daniel Hulaud - Je ne dirai pas qu'il s'agissait d'une « bataille interministérielle ». Un avis a été rendu par la CEDAP le 9 juillet 1992 et l'arrêté est daté du 31 juillet 1992. J'estime donc que cet arrêté a été pris très rapidement.

Toutefois, par la suite, lors du renouvellement de cet arrêté et afin de pérenniser cette disposition par voie de décret, nous nous sommes heurtés non pas à des difficultés au niveau interne mais davantage à des difficultés vis-à-vis de Bruxelles qui nous a adressé un avis circonstancié. C'est ce qui nous a créé beaucoup de problèmes.

M. Michel Souplet - J'ai écouté avec beaucoup d'attention et d'intérêt ce que vous venez de nous dire. Je suis convaincu que, concernant la France, tout ce qu'il était possible de faire l'a été, même si cela n'a peut-être pas été aussi rapide que nécessaire.

En conclusion de ma réflexion, j'estime que la France a eu raison mais qu'elle a eu tort d'avoir raison trop tôt. Le fait qu'elle ait raison trop tôt et qu'elle en parle haut et fort, pour que les autres pays agissent de la même manière, a conduit à une campagne de médiatisation exagérée du phénomène. C'est mon point de vue.

Vous disiez qu'une médiatisation excessive était très gênante pour les études que vous conduisiez. Je le comprends bien car beaucoup de sujets doivent être traités dans la confidentialité.

J'ai examiné l'évolution de ce phénomène depuis qu'il est bien connu. La consommation de viande de boeuf a chuté en 15 jours de 80 %. Elle est progressivement remontée pour être quasiment au niveau normal, chez les bouchers, depuis environ 15 jours. Ces résultats sont issus d'une enquête conduite auprès des grossistes et des bouchers. Cette consommation chute à nouveau depuis les décisions prises à Bruxelles (qui étaient probablement exagérées) et depuis le dernier Conseil des ministres de l'Agriculture.

Pensez-vous, Monsieur le Directeur général, qu'il existe une distorsion entre l'importance du phénomène et la catastrophe économique qui en résulte ?

Il est vrai que des personnes sont atteintes et ne guériront pas. Nous avons trois cas en France (nous les connaissons depuis longtemps) et nous en rencontrerons d'autres. Pour l'instant, personne n'en parle. Par comparaison, des personnes fument chaque jour et il est indiqué partout qu'il est dangereux de fumer, mais les débits de boissons et les tabacs ne sont pas fermés pour cette raison.

En tant que citoyen libre et parent, ou grand-parent, d'élève, je suis choqué que les cantines soient fermées. Si j'ai envie que mes enfants mangent de la viande à la cantine, il ne peuvent plus le faire. Je dis que nous sommes peut-être allés trop loin.

Je voulais connaître votre point de vue sur cette médiatisation exagérée. En effet, depuis le début de notre enquête nous avons rencontré 25 ou 30 autres personnalités françaises ou internationales compétentes dans le domaine qui nous occupe et aucune ne nous a dit qu'elle ne mangeait plus de viande bovine. Certaines personnes ont même indiqué qu'elles continuent à manger des abats sauf s'ils proviennent de Grande-Bretagne. Il existe donc une disproportion énorme entre le risque et la médiatisation.

M. Jérôme Gallot - Il est vrai que la relance médiatique du problème, ayant conduit aux chutes de consommation dont vous faites état, est intimement liée à l'affaire SOVIBA concernant une fraude dans les départements de l'Eure et du Calvados il y a deux mois. Cet événement s'est produit à un moment où, je l'ai dit, les farines avaient atteint un niveau de sécurisation qui n'était pas obtenu ou connu dans le passé. Il s'agit là d'une sorte de paradoxe dont il faut toutefois tenir compte. Les mesures prises par les autorités publiques s'efforcent de contribuer au retour à la confiance.

Ensuite, on peut se demander si chaque nouvelle mesure prise doit générer la confiance ou l'inquiétude et vous semblez indiquer que cela crée une nouvelle inquiétude. C'est un dosage particulièrement complexe et les autorités ont eu raison de prendre des mesures, qui sont certes de la précaution extrême, au mois de novembre.

Ma Direction générale avait, au mois de juin 1999, exprimé sa position favorable sur l'interdiction totale des farines. Ces mesures de précautions extrêmes sont sans doute le prix à payer pour retrouver une certaine confiance. Il faut savoir que ce prix sera également important pour la collectivité, notamment en termes de finances publiques.

C'est un sujet difficile qui laissera dans les filières des traces très importantes. Dans le même temps, les associations de consommateurs, les Françaises et les Français, que nous rencontrons sont, me semblent-il, de plus en plus exigeantes en matière de sécurité. Il nous appartient de faire en sorte que le dosage des mesures prises crée de la confiance et de la sécurité et n'apporte pas l'inquiétude dont vous parlez.

Vous me dites (ce sont effectivement des chiffres que j'avais entendus) que le rythme de consommation retrouve un niveau un peu plus satisfaisant ; cela démontre que ce dosage ne se déroule pas dans de mauvaises conditions. Il faudra peut-être en tirer des conclusions sur une période plus longue.

M. le Président - Je vous ai communiqué un certain nombre de questions, que nous n'avons pas eu le temps de vous poser, pour lesquelles nous vous demanderons de bien vouloir nous répondre par écrit et de nous fournir les documents appropriés. Nos services suivront avec vous cette opération.

Nous vous remercions pour les informations que vous avez apportées et nous remercions également M. Hulaud d'avoir témoigné sur certains points.

Audition de M. le Professeur Luc MONTAGNIER

(31 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci d'avoir répondu à notre convocation Monsieur le professeur.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. le Professeur Montagnier.

M. le Président - Je vous remercie de bien vouloir nous parler de vos recherches personnelles sur ce problème de l'ESB et de ses conséquences sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. le Professeur Luc Montagnier - Merci Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs, je suis virologiste de formation et Professeur à l'Institut Pasteur depuis 1972. Je me suis intéressé depuis longtemps à ces agents non conventionnels qui transmettent ces encéphalopathies.

Dans les années 1970, il s'agissait essentiellement de la tremblante du mouton, qui était l'objet de plus d'études. Je n'ai pas moi-même fait d'études de laboratoire de cet agent mais j'ai suivi de près le travail d'un certain nombre de mes collègues, dont le Professeur Dormont, ainsi que d'autres en Angleterre.

Je me suis, à ce titre, également intéressé au problème de la transmission de l'agent de la maladie humaine de Creutzfeldt-Jakob ayant été consulté par mon collègue M. Fernand Dray, qui préparait des hormones de croissance à l'Institut Pasteur, à partir de l'hypophyse. J'ai été le premier, en 1980, à mentionner la possibilité que l'agent de Creutzfeldt-Jakob pouvait être transmis par des hypophyses prélevées sur des cadavres de patients morts de maladies neurologiques.

J'ai suivi tous les événements qui se sont produits depuis 1980, à savoir le problème de la contamination des hypophyses mais aussi la maladie dite de la vache folle en Angleterre. Je me suis documenté auprès de mes collègues anglais sur les caractéristiques histologiques de cette forme dans la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob humaine avec le nouveau variant probablement dérivé de l'infection par l'agent des bovins. J'ai pu constater, notamment chez mon collègue Bob Will à Édimbourg, que les caractéristiques histologiques de cette maladie étaient différentes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique. Il y a formation de plaques où la partie prion est entourée d'une sorte de couronne de nécrose. Cela donne un aspect caractéristique différent de celui de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui donne relativement peu de plaques et dont la surface est par ailleurs petite.

Je n'ai pas de compétence particulière au niveau scientifique bien que je suive le sujet. J'ai fait quelques essais pour mettre au point un test de dépistage prédictif, à savoir qui puisse être effectué sur des animaux ou des hommes vivants, et je vous dirai quels obstacles j'ai rencontrés à ce sujet.

J'ai apporté quelques documents et il me sera possible de vous les laisser si vous n'en disposez pas encore. Il s'agit notamment de publications scientifiques récentes sur la tremblante du mouton dans le Journal of Neuro-virology de l'année 2000. Cette publication, concernant une étude sur l'Islande, est faite par un groupe multinational de chercheurs islandais.

Le travail a été effectué en Islande qui est un pays de moutons où sévit le scrapie. Les chercheurs ont observé que des moutons sains qui paissaient sur des champs où avaient séjourné des moutons atteints de scrapie attrapaient cette maladie. Ils ont montré que ceci était lié à des acariens, présents dans le foin, susceptibles de stocker l'agent. En effet, si on les injecte en extrait à des souris il est possible de reproduire la maladie.

Tout ceci est connu et publié scientifiquement, mais cela n'a fait l'objet d'aucun commentaire dans la presse et dans les commissions. Il est important de savoir qu'il existe peut-être d'autres modes de transmission de ce type d'agent que l'alimentation par les farines animales constituées à partir d'animaux déjà atteints.

Le deuxième document que j'ai apporté est extrait du Wall Street Journal du 23 janvier. C'est une étude importante, réalisée par trois journalistes à partir du rapport publié en Angleterre, qui montre que la diffusion possible de l'agent peut être mondiale. S'agissant de la courbe des exportations de farines animales, prises dans leur sens large à savoir de poudre d'os, etc., on s'aperçoit que les exportations britanniques n'ont jamais cessé et n'ont peut-être pas encore complètement cessé. La courbe s'arrête en 1996 et on constate qu'après le bannissement de l'utilisation de ces farines en Angleterre l'exportation a continué.

Je pourrais vous citer le raisonnement qui a conduit à ces exportations : les farines ont été envoyées d'abord dans les pays de la C.E.E. et ensuite, quand la C.E.E. en a banni l'utilisation, elles sont parties ailleurs, dans le monde entier.

Il en a été de même pour les exploitations de bovins vivants qui ont été exportés d'Angleterre vers la Russie, les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, le Chili, le Pérou et l'Australie.

Il existe donc un risque que cette épidémie puisse se diffuser dans bien d'autres pays que l'Europe. On cite notamment le cas d'un animal contaminé qui a été trouvé dans les Emirats arabes.

Je pourrais vous donner plus de renseignements sur cette étude qui me paraît bien réalisée. Je suis prêt à répondre à vos questions, notamment sur le test de dépistage.

M. Jean Bizet, rapporteur - Monsieur le Professeur, vous avez parlé de tests prédictifs. Parmi les trois tests aujourd'hui agréés par la Commission Européenne -Biorad, Prionics, Enfer-, nous vous demanderons votre analyse pour savoir quel est le plus pertinent et le plus sensible.

Il me semble que vous avez proposé à Mme Dominique Gillot de développer ce test plus prédictif (bâti sur une réponse immunitaire à tout ce qui survient d'anormal dans l'organisme atteint) dans un centre de recherche de l'Hôpital Saint-Joseph. Pourriez-vous nous expliquez pourquoi et comment vous n'êtes pas allé jusqu'au bout ? Il nous semble en effet que vous n'avez pas eu toutes les possibilités pour conduire vos travaux sur le plan national.

M. le Professeur Luc Montagnier - Tout agent infectieux donne naissance à une réaction du système immunitaire. Le cas du prion est particulier puisqu'il s'agit d'une protéine cellulaire et le changement de conformation n'est pas véritablement reconnu par le système immunitaire. Les études montrent que l'infection orale, provenant de l'alimentation, passe par des relais intestinaux, lymphatiques, les amygdales, etc. avant d'atteindre le système nerveux. Cette protéine est donc très visible pour le système immunitaire.

J'ai mis au point, dans mon laboratoire de l'Institut Pasteur, un test permettant de détecter toute alerte du système immunitaire à une infection même banale, comme une infection dentaire, basée sur l'expression de deux molécules à la surface des lymphocytes et des monocytes et mesurée par un système de laser. Je me suis donc questionné pour savoir si l'agent prion ne pouvait pas donner lieu à une réaction positive avec ce test.

Pour cela, il faudrait réaliser des expériences de laboratoire, par exemple chez l'homme, avec des prélèvements, mais les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sont extrêmement rares. J'avais essayé, quand j'ai appris le premier cas de Creutzfeldt-Jakob nouvelle variante en France, et j'ai contacté mon collègue, M. le Professeur Guy Chazot à Lyon. Or, malgré le TGV, 24 heures ont été nécessaires pour que les prélèvements arrivent ; ils étaient inutilisables.

Il faut faire des études chez les animaux mais un problème se pose. Ces molécules ont une spécificité d'espèce et sont reconnues par les anticorps correspondants. Si on veut appliquer ce test aux bovins, il faut préparer les mêmes molécules provenant du bovin et faire des anticorps spécifiques de ces molécules. Ceci représente le travail d'environ une année pour deux chercheurs ainsi qu'une certaine somme d'argent.

M. le Rapporteur - Peut-on avoir l'idée de cette ligne budgétaire ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Il faudrait un million d'euros et un an pour préparer ce test. Je suis prêt à le faire sous une forme ou une autre et j'ai contacté des collègues étrangers qui peut-être le feront.

J'ai proposé à Mme Dominique Gillot un test pour augmenter la sécurité transfusionnelle. Nous détectons des agents infectieux dangereux comme les hépatites et le virus du Sida mais beaucoup de virus que nous ne connaissons pas sont présents dans le sang des transfusions. Ce test permettrait d'augmenter la sécurité transfusionnelle : si un donneur avait un test positif d'alerte, il serait sans doute infecté par quelque chose et il faudrait s'abstenir d'utiliser son sang.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas eu de réponse ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je n'en ai eu aucune.

M. Michel Souplet - La Grande-Bretagne ayant été touchée avant nous -et vous êtes allé vers la Grande-Bretagne puisque des cas de Creutzfeldt-Jakob étaient enregistrés-, est-elle, au niveau de la recherche, plus avancée que nous ou travaillez-vous en collaboration ? De plus, une à deux années semblent un minimum pour atteindre quelque chose de concluant. Pensez-vous que l'on puisse aller plus vite ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Il faut distinguer la recherche en général et le test spécifique de dépistage. Je ne garantis pas que ce test fonctionnera car ce n'est qu'une piste.

Je pense que les Anglais ont davantage de groupes de laboratoires travaillant dans ce domaine et notamment de matériel biologique. En France dès qu'un cas d'ESB est détecté dans un troupeau, tout le troupeau est abattu et il n'y a aucun moyen de faire des prélèvements. J'avais contacté des vétérinaires du CNEVA à Lyon mais il a été impossible d'organiser des prises de sang des animaux en contact avec les animaux malades en France. Ce sera possible en Angleterre.

Je souhaite insister sur le fait que la recherche est très importante et qu'il ne faut pas procéder seulement à des opérations sanitaires brutes, très dommageables pour les éleveurs. Je crois que l'on pourrait appliquer des tests au troupeau dont une vache est affectée afin de constater si les vaches autour sont positives pour le test dont je parlais. Pour cela, il faudrait que les vaches ne soient pas abattues immédiatement afin que l'on puisse prélever du sang.

M. le Rapporteur - Il s'agit donc d'un manque d'écho et de réceptivité auprès de Mme Dominique Gillot.

M. le Professeur Luc Montagnier - Cette lettre est arrivée à son bureau ou à son Cabinet.

M. le Rapporteur - Je pense que l'on ne doit pas égarer un courrier du Professeur Montagnier.

Concernant la sécurisation des transfusions, avez-vous un meilleur écho à l'étranger et, si oui, dans quel pays ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je n'ai pas envoyé de courrier à l'étranger. C'est un problème qui me préoccupe beaucoup et nous allons lancer une étude pour valider ce test ; j'espère qu'elle se fera en France, à l'Institut Pasteur. Ce test détecte des infections comme le Sida mais il peut également détecter des cancers, des infections très banales comme les infections dentaires, etc. C'est un test de première analyse et s'il est positif il faut trouver l'agent responsable de sa positivité.

Nous allons faire une étude chez des vaccinés pour voir si la vaccination changera quelque chose à ce test et savoir s'il n'existe pas des personnes répondant davantage ; il s'agirait alors de personnes à risques susceptibles de faire des accidents suivant les vaccinations. Cette étude sera réalisée (sans doute en France mais peut-être aussi aux Etats-Unis) mais elle nécessitera du temps car nous devons trouver le financement.

Concernant l'application du test chez les bovins, il faut un an de travail pour mettre au point les molécules correspondantes du bovin, les cloner, les séquencer, faire les protéines et les anticorps. C'est seulement après que l'on pourra essayer de voir ce qui sera détecté chez les bovins grâce à ce test.

Je trouve absurde d'abattre 100 vaches qui sont, pour le moment, saines quand seulement une ou deux sont contaminées. C'est aussi un préjudice pour les éleveurs. Même dans l'absence de tests prédictifs, avec les tests a posteriori dont nous disposons, il suffirait de tester ces animaux après qu'ils soient passés à l'abattoir.

M. le Rapporteur - Sur ce point précis, vous êtes en relation avec le Professeur Aguzzi d'origine suisse. Que pensez-vous de ses allégations concernant un test ante mortem qu'il serait prêt à lancer et à mettre sur le marché ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Il existe plusieurs tentatives dans ce domaine. Je ne dis pas que ma proposition soit la seule possible et valable car certaines équipes s'attachent à mettre ce type de test au point. Il serait très bien qu'il soit réalisé en France.

M. le Rapporteur - Dans quel laps de temps pouvons-nous raisonnablement avoir un test ante mortem valable ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je ne peux pas le dire car il faut trouver des marqueurs très précoces de ce mystérieux cheminement du prion. Nous ne savons pas très bien ce qui se passe entre le moment où le prion infecte l'alimentation et celui où il arrive dans le cerveau et commence à induire cette transformation par un jeu de dominos. Il existe peut-être un deuxième facteur infectieux qui serait plus facile à détecter qu'une protéine d'origine cellulaire n'induisant pas de réactions inflammatoires. Il faut rechercher dans ce domaine la possibilité de facteurs qui ne soient pas infectieux, notamment de facteurs toxiques, susceptibles d'être transmis passivement par les farines animales qui peuvent agir dans des quantités infinitésimales. Le champ des hypothèses et des expériences est très vaste et il est très difficile de donner une réponse quant à un délai.

M. le Rapporteur - Comment expliquez-vous l'arrivée du prion bovin, est-ce une mutation, et quelle est votre analyse sur ce point ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Il est apparu quand les procédés de traitement des farines animales en Angleterre ont été modifiés en abaissant la température de chauffage et en s'abstenant d'une technique d'extraction des lipides. Ceci montre d'ailleurs que l'agent est associé aux graisses et aux lipides.

Ceci signifie probablement que les prions de ces bovins existaient auparavant mais qu'ils n'étaient pas transmis. La transmission en chaîne est venue de ce changement de procédé accompagné du poolage de quantités de plus en plus importantes. Le poolage est une technique moderne et industrielle, ayant apporté un certain nombre de catastrophes, où l'on mélange une très grande quantité de matériaux venant de différents animaux ou d'êtres humains, comme par exemple le sang ; si un échantillon est affecté, tout le lot l'est également.

C'est malheureusement le principe de la préparation industrielle et ceci a conduit à des catastrophes. Le procédé consistant à donner des extraits de viande à des bovins est ancien, notamment en Angleterre, mais il n'a jamais donné lieu à des épidémies ou des accidents tant qu'il est resté artisanal. Dans les pays industriels, à la suite du poolage, le changement de procédé des préparations a déclenché cette transmission en chaîne.

Concernant l'origine de ce prion bovin, je pense que chaque espèce peut fabriquer des prions transformés car, dans le gène prion, nous trouvons des mutations favorisant cette transformation. Elle se produit chez beaucoup d'êtres humains, car il existe des mutations dans ce gène, mais ceci ne donne pas lieu à une épidémie ; en effet, cela reste dans l'individu car il n'y a pas d'utilisation de matériel. Si l'on prenait le cerveau d'une personne qui a la maladie d'Alzheimer et que l'on en injectait une partie dans le cerveau d'une autre personne, peut-être pourrions-nous déclencher cette même maladie. Le système prion peut être étendu à la protéine prion mais aussi à d'autres protéines, par exemple à celles du système nerveux.

En fait, les pratiques humaines ont créé cette épidémie.

M. Michel Souplet - Vous venez de nous dire quelque chose qui pourrait être réconfortant pour les éleveurs. En effet, il vous semble stupide de faire abattre un troupeau entier quand une seule vache est malade. Rien n'empêche les Pouvoirs Publics, afin de faire des expérimentations, de mettre en quarantaine un cheptel complet dès qu'un cas d'ESB est découvert. Si d'autres cas se révélaient les animaux seraient éliminés mais une ou deux expériences pourraient être conduites en grandeur nature sur un cheptel complet.

J'ai vécu il y a une quinzaine de jours un abattage de deux animaux chez un voisin ; il n'y avait pas de prion chez lui mais ses deux animaux avaient été achetés 6 mois plus tôt dans un élevage de l'Allier où un cas a été trouvé. Le cas trouvé dans l'Allier a permis de remonter, par les numéros d'oreille, chez mon voisin éleveur qui avait deux bêtes.

La logique aurait voulu que l'on tue tout son cheptel alors que l'on a seulement tué ces deux animaux qui étaient là depuis 6 mois. Je pense qu'il existe quelque chose d'illogique dans l'abattage systématique. Si l'on pouvait proposer aux Pouvoirs Publics de faire quelques tests grandeur nature sur un cheptel où l'on a trouvé un cas, cela permettrait d'avancer plus vite sur la recherche.

M. le Professeur Luc Montagnier - Même sans études scientifiques on peut toujours vérifier tous les animaux quand ils sont menés à l'abattage et éliminer ceux qui ont une transformation au prion. Le mode de transmission de l'agent n'est pas connu et je citais cet article sur la tremblante qui peut être appliqué aux bovins. Les acariens du foin gardent peut-être le prion ; dans ce cas, il serait inutile d'abattre des animaux car les étables ou les champs seraient peut-être contaminés.

M. Paul Blanc - Et l'eau ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je ne sais pas ; je ne pense pas. Il s'agit de tout ce qui peut vectoriser les produits et les sécrétions des animaux.

M. Paul Blanc - La semaine dernière nous avons auditionné une personne qui indiquait que des contaminations seraient envisageables à travers le ruissellement d'eau provenant de stockage de farines animales. Elle faisait également état d'une contamination des nappes phréatiques.

M. le Professeur Luc Montagnier - L'eau peut transporter à distance les prions transformés et ils peuvent peut-être résister des dizaines d'années. Au début de l'épidémie de vache folle en Angleterre, les animaux abattus ont été enterrés, et non pas incinérés, car ils manquaient d'incinérateurs, et il est possible que les champs soient contaminés pour plusieurs siècles.

M. le Président - Les farines animales que l'on fabrique aujourd'hui sont exemptes de prion puisqu'elles ont été chauffées sous pression et à la température adéquate. De plus, les matériaux à risques ont été enlevés. Actuellement, le ruissellement d'eau sur les stockages de farines animales ne pourrait pas entraîner cela.

M. le Professeur Luc Montagnier - On dit que le prion est résistant à la chaleur mais il est partiellement inactivé comme tout agent biologique. C'est donc une question de concentration : sur 10 000 particules, si le chauffage à 120°C en élimine 99 %, il en restera quand même 100 ; de même, si vous n'avez que 100 particules au départ, le chauffage les supprimera toutes.

M. le Rapporteur - Concernant les trois tests sur le marché, quelle est votre analyse sur leur sensibilité et leurs différences les uns par rapport aux autres ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je n'ai pas d'expérience personnelle mais je crois que le test Biorad est 30 fois plus sensible que le test Prionics. Si un test est plus sensible, on détectera peut-être davantage d'animaux infectés.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé du tropisme très positif du prion à l'égard des lipides. Jusqu'à maintenant nous n'avons pas pu, fort heureusement, prouver la contamination du lait. Or, il s'avère que les Anglais se penchent à nouveau sur cette question. Avez-vous des informations scientifiques ou des inquiétudes sur ce point ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je n'ai pas d'information à ce sujet.

M. Paul Blanc - Comment expliquez-vous le fait que le CEA ait travaillé sur le sujet de l'ESB ?

M. le Professeur Luc Montagnier - C'est une longue histoire puisque le CEA a constitué une équipe dans les années 1970 pour travailler sur ces maladies ; le Professeur Dormont y travaillait déjà.

Un médecin militaire a constitué cette équipe qui était pratiquement la seule à travailler en France et organisait régulièrement des congrès connus au niveau international. Je crois que c'est tout à l'honneur du CEA d'avoir constitué cette équipe.

Il l'a sans doute fait pour des questions de circonstances : peut-être existait-il un intérêt militaire à utiliser cette maladie ? Il est vrai que l'armée a essentiellement commencé à travailler sur ce sujet.

M. Paul Blanc - Cela induit ma deuxième question. Il existe sans doute une relation et comment peut-on expliquer la contamination, aux États-Unis, de mammifères sauvages tels que daims, cerfs et bisons ? Certains ont évoqué des hypothèses de mutations.

M. le Professeur Luc Montagnier - Il faut considérer que ce sont des agents, des maladies, qui existent dans la nature. Ce n'est pas une invention humaine car la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique existe chez l'homme depuis très longtemps et a été découverte dans les années 1920. La tremblante du mouton est connue depuis deux siècles.

Il est possible qu'une mutation du gène favorise la transformation et que celle-ci s'étende chez l'animal. Il est transmis d'animal à animal car il existe peut-être des vecteurs comme les acariens du foin, des chancres du foin, le manque d'hygiène chez les animaux, etc. Les bovins peuvent être contaminés dans les étables et les animaux sauvages peuvent avoir des contacts entre eux favorisant la transmission.

M. Paul Blanc - Par rapport à ce qui a été dit au niveau de cette Commission, pensez-vous que le passage d'un nuage radioactif ait pu entraîner la mutation d'un gène, lequel aurait pu induire la transformation de la protéine ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je pense, d'une façon plus générale, que tout agent mutagène peut favoriser les mutations. En plus des nuages radioactifs il existe une pollution chimique et nous sommes soumis à une atmosphère mutagène peut-être plus importante que celle que connaissaient nos ancêtres. Toutefois, le scrapie existait déjà au 18ème siècle alors qu'il n'y avait pas de nuages radioactifs et de pollution chimique. Ces maladies existaient déjà et atteignaient les animaux sauvages, notamment les visons.

Ces maladies sont étudiées dans des laboratoires spécialisés aux États-Unis. Pour l'instant il n'y a pas eu de passage à l'homme mais on ne peut pas exclure cette possibilité. On a également parlé des problèmes rencontrés par les écureuils qui sont très présents dans les parcs américains.

M. Paul Blanc - Que pensez-vous de la coordination des recherches sur l'ESB de la part des chercheurs et des différents laboratoires ?

M. le Professeur Luc Montagnier - J'ai suivi ces recherches d'assez près et j'ai participé à des colloques dont les premiers ont été organisés par nos collègues du CEA en France. Des colloques plus récents ont eu lieu en Sicile réunissant tous les groupes mondiaux travaillant dans ce domaine.

Au départ, il existait une très grande polémique car l'hypothèse de M. Stanley Prusiner n'a pas été acceptée d'emblée. Il a travaillé seul pendant des années, avec ses hamsters et ses souris, et a même failli être mis à la porte de l'Université de San Francisco. Maintenant il est Prix Nobel et a tous les égards dus à son titre.

Des groupes discutent encore cette théorie disant qu'il existe peut-être, en plus de cette transformation qui est indéniable, un agent conventionnel viroïde qui pourrait commencer à déclencher cette transformation. Il n'est pas naturel que l'on trouve cette transformation pathologique conduisant à la mort de l'organisme. La nature ne sélectionne pas de cette façon, sauf pour faire mourir les personnes assez vieilles.

Pendant une vingtaine d'années, on se demandait quelle était la nature de l'agent et en France, en plus du groupe du Professeur Dormont, le groupe où je travaillais à l'Institut Curie, dirigé par M. Raymond Latarjet, avait étudié la radiosensibilité de l'agent en collaboration avec les groupes de Richard Kimberlin en Angleterre. Ils montraient que l'agent était inactivé comme une protéine et non pas comme un acide nucléique. C'était donc en faveur de l'hypothèse de M. Stanley Prusiner émise au début des années 1980.

Maintenant on se questionne sur les raisons de cette transformation. En effet, on ne parvient pas à reproduire totalement in vitro, à partir d'un prion sain, la transformation pathogène. Si l'on dispose d'un noyau pathogène on peut augmenter la transformation pathogène mais on ne sait pas le faire à partir d'un noyau sain. C'est en faveur d'un deuxième agent positionné dans une autre protéine ; c'est ce que l'on appelle une chaperonne, à savoir une autre protéine qui aide à changer la conformation de la protéine. On peut également se questionner sur la présence éventuelle d'un agent microbial ou viral très résistant. On sait qu'il existe des spores de bactéries résistant à 140°C, et cette hypothèse n'est pas impossible.

Il existe toujours un mystère sur la nature de l'agent déclenchant. Toutefois, la nature des mutations favorisant la transformation a été très bien analysée du point de vue moléculaire. Les mutations de la protéine prion favorisent cette transformation et, suivant le type de mutation, on obtient différents symptômes : en dehors de la maladie de Creutzfeldt-Jakob il existe deux ou trois autres maladies rares liées à des mutations spécifiques de la protéine prion.

M. Paul Blanc - A votre avis, peut-on encore séparer l'étude et le contrôle de l'alimentation animale de l'étude et du contrôle de l'alimentation humaine ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Les deux doivent être liés. J'apprécie les efforts de l'Agriculture dans ce domaine mais je pense que le ministère de la Santé a été trop discret dans cette affaire qui le concerne également.

M. Paul Blanc - C'est d'ailleurs pourquoi nous faisons aussi cette étude.

M. Jean-François Humbert - Monsieur le Professeur, je reviendrai sur un élément évoqué par notre Rapporteur, bien que je ne sois pas certain de parler du même type de lait que lui.

Vous avez évoqué, dans votre propos introductif, cette fameuse contamination possible par les acariens présents dans le foin ; cette hypothèse a été découverte lors de cette étude conduite principalement en Islande. Vous avez également confirmé ce qui s'est passé en Angleterre en indiquant le rôle joué par les farines animales dans l'alimentation des bovins dans ce pays voisin.

Que pensez-vous de ce que l'on entend depuis peu de temps en Allemagne au sujet des contaminations éventuelles par les graisses animales contenues dans les laits de remplacement ?

Les laits de remplacement, qui sont, dans certaines régions, un élément important pour l'alimentation des jeunes bovins, peuvent-ils avoir un rôle, en raison de leur composition, dans la transmission de cette maladie ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Je ne connais pas la composition de ces laits. S'ils contiennent des produits dérivés proches du système nerveux il serait préférable de les éviter.

Il faut aussi tenir compte de la gélatine extraite des os ; la question se posera peut-être de remplacer cette gélatine par autre chose.

M. Jean-François Humbert - Y a-t-il une confirmation éventuelle ou une information ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Il faudrait examiner soigneusement la composition de ces laits de remplacement. Or, si les fabricants les tiennent secrètes, c'est un problème très difficile. Il ne faut pas trop fantasmer car il est clair que le système nerveux contient les prions transformés et les autres tissus, dans la mesure où ils ne sont pas contaminés par le système nerveux, sont extrêmement peu infectieux. On ne peut pas garantir un risque zéro mais il est faible.

C'est malheureusement le temps qui nous apportera une réponse. En prenant des mesures très strictes et en respectant l'interdiction des farines animales, s'il reste encore des contaminations on pourra se questionner sur les autres voies de contamination. Je pense qu'il est plus important d'imaginer qu'il existe des vecteurs de ces prions dans la nature.

M. le Rapporteur - Est-ce votre inquiétude majeure ?

M. le Professeur Luc Montagnier - Oui parce que l'on peut rencontrer le cas d'un animal contaminé alors qu'il ne semble pas avoir reçu de farines animales.

M. François Marc - Le journal Le Monde d'hier faisait état d'interrogations en Allemagne concernant les techniques d'inactivation par la chaleur. En tant que scientifique, estimez-vous que ces techniques utilisées aujourd'hui sont totalement fiables ?

M. le Professeur Luc Montagnier - J'ai cru comprendre que les farines animales n'étaient plus utilisées quel que soit le traitement utilisé. Le problème ne se pose donc plus.

Je sais que les Allemands ont longtemps défendu leur technique de chauffage à l'autoclave à plus forte pression en indiquant qu'elle éliminait totalement les prions. Or, des cas d'ESB ont été trouvés dans ce pays. Cela signifie que cette technique n'était pas totalement fiable ou qu'il existe d'autres agents de transmission.

M. le Rapporteur - Nous savons maintenant que le nouveau process de fabrication des farines venant d'Angleterre résultait d'un brevet américain. En fonction de vos connaissances et étant proche de ce territoire, avez-vous connaissance de l'utilisation de farines dans l'alimentation animale des animaux américains ?

Une telle possibilité corroborerait la thèse que cette épidémie est quasiment mondiale, notamment au vu de la mise en quarantaine d'un troupeau de bovins au Texas. Par ailleurs, nous savons quelle est la sensibilité de la RDA et plus particulièrement sa maîtrise de l'information.

M. le Professeur Luc Montagnier - Je ne connais pas tous les changements de règlements mais il me semble avoir lu que les farines animales ne sont plus utilisées aux États-Unis pour les bovins mais sont encore utilisées pour les poulets. C'est un problème car dans les exportations anglaises il est difficile de distinguer l'origine et l'utilisation de ces farines. Elles sont achetées pour nourrir des poulets mais elles peuvent servir pour les bovins ou les porcs.

La seule manière consisterait à bannir totalement, et dans le monde entier, ces farines animales. C'est loin d'être le cas et beaucoup de pays considèrent qu'ils ne sont pas touchés, qu'ils ont une production locale de farines et n'ont pas lieu de s'inquiéter. D'après les cartes présentées dans cet article, il semble qu'il existe un risque dans beaucoup de pays du monde, même si cela n'apparaît pas encore rapidement.

M. le Président - Du fait de l'exportation de farines anglaises dans beaucoup de pays.

M. le Rapporteur - Nous avons parlé de l'incidence de cette infection sur la santé humaine. Que pensez-vous des modélisations des épidémiologistes essentiellement anglo-saxons tels que M. Roy Anderson, M. John Collinge, et plus récemment, en France, de Mme Brigitte Chamak ?

La fourchette est importante et le risque réel. Ayant travaillé sur le virus du Sida vous avez certainement une approche, une explication et peut-être même des modélisations.

M. le Professeur Luc Montagnier - Je ne suis pas épidémiologiste mais j'ai suivi les travaux de M. Roy Anderson et de ses collègues. Concernant le Sida, leurs prédictions épidémiologiques des années 1980 étaient relativement exactes pour les pays africains.

Concernant les pays européens ou l'Amérique du Nord, il n'y a pas eu une explosion aussi importante et le nombre de cas de Sida a été surestimé pendant assez longtemps aux Etats-Unis.

S'agissant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob il existe très peu de cas et la fourchette d'erreur est bien plus grande. De plus on ne sait pas comment l'agent est transmis, par quel type d'alimentation et s'il existe d'autres facteurs pouvant favoriser l'apparition de la maladie, notamment la pollution chimique puisque l'Angleterre est un pays assez pollué.

Tout ceci constitue beaucoup d'inconnues et il est très difficile de prédire quoi que ce soit : on peut faire un scénario catastrophe ou un scénario minimum. Il faut sans doute se placer dans le cas du pire et c'est la raison pour laquelle des mesures très drastiques ont été prises. Il faut par ailleurs conseiller aux consommateurs de manger de la viande cuite car même si l'agent n'est pas totalement inactivé il sera partiellement inactivé par un chauffage.

M. le Président - Nous vous remercions infiniment d'avoir accepté de venir témoigner et nous vous remercions de nous laisser les articles collationnés à notre intention. Ils nous permettront de compléter nos connaissances dans ce domaine.

Audition de M. Alain CADIOU, Directeur général de la DGCCRF,
M. François MONGIN, Chef de service, et de M. KEARNEY

(31 janvier 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci Monsieur Cadiou d'avoir accepté de répondre à notre invitation et de venir témoigner devant la Commission d'enquête du Sénat sur l'utilisation des farines animales.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Cadiou, Mongin et Kearney.

M. le Président - Monsieur le Directeur, je vous laisse la parole pour que vous nous parliez de ce problème vu à partir du service que vous dirigez.

M. Alain Cadiou - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, des crises ont entamé la confiance des citoyens dans la sécurité alimentaire. Depuis plus de 10 ans, la Douane est partie prenante aux côtés d'autres administrations de la prévention contre l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'ESB.

Nommé depuis le 6 décembre dernier à la tête de l'administration des Douanes, j'ai donc eu à m'occuper, dès les premières heures, de cette question. C'est pourquoi je suis particulièrement heureux de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui de vous exposer le rôle de la Douane dans la gestion de cette crise.

Le rôle de l'administration que je dirige n'est pas de donner un avis scientifique sur la dangerosité de tel ou tel produit mais de contrôler, et le cas échéant de s'opposer, à l'entrée en France de produits pour lesquels existent des indices d'une telle dangerosité.

En ce qui concerne plus particulièrement les farines animales, je me limiterai à trois séries d'observations.

Tout d'abord, la Douane est l'un des éléments du contrôle de la chaîne alimentaire. J'aborderai ensuite le rôle spécifique de la Douane qui s'oppose à l'entrée sur le territoire, à la sortie et la circulation des farines interdites. Enfin, je vous parlerai du rôle de la Douane qui doit également établir des statistiques d'importations et d'exportations.

I - La Douane est l'un des éléments du contrôle de la chaîne alimentaire

La chaîne alimentaire européenne apparaît comme une résultante du mouvement d'industrialisation de l'agroalimentaire de l'après-guerre et du modèle d'agriculture intensive.

Elle comporte deux types de conséquences au regard de l'application du principe de précaution et de la coordination entre les services de l'Etat.

La précaution est un principe qui guide l'action administrative en matière de sécurité alimentaire.

Le principe de précaution signifie qu'aussi longtemps qu'un doute subsiste quant à l'innocuité d'un produit, celui-ci ne doit pas être commercialisé ou importé. La mise en oeuvre de ce principe suppose en premier lieu une évaluation du risque, qui est aujourd'hui essentiellement le rôle de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA).

Elle signifie, en second lieu, une gestion du risque qui est le rôle principal des administrations chargées du contrôle.

Elle implique, en dernier lieu, une information des citoyens sur la nature des risques.

L'exemple des farines carnées illustre cette application du principe de précaution, puisque les mesures restrictives ont évolué avec l'avancée des connaissances scientifiques. Des mesures ont en effet été prises d'abord par les autorités françaises puis par la Commission Européenne pour faire face au risque que l'ESB semblait représenter pour la santé animale puis humaine. Je me limiterai à rappeler quelques dates importantes pour la Douane :

- Depuis 1965, les farines animales pouvaient rentrer en France dans les conditions de droit commun.

- En 1989, la France a interdit, en août, l'importation des farines de viande du Royaume-Uni et, en décembre, des farines irlandaises.

- En 1993, l'interdiction d'importation des farines de République d'Irlande, (Eire), a été levée.

- En 1994, la Commission a interdit les exportations de farines de ruminants originaires du Royaume-Uni et fabriquées avant le 1er janvier 1995.

- Depuis mars 1996, un embargo national et communautaire est entré en vigueur sur les produits bovins britanniques et les farines et d'os de mammifères.

- En novembre 2000, la France interdit l'ensemble des farines animales dans l'alimentation des animaux, à l'exception des farines de poissons pour les seuls poissons. L'Union Européenne a pris, en décembre, une mesure d'interdiction dont le périmètre est moins large. Ainsi, les farines de poissons ne sont pas prohibées dans l'alimentation des animaux terrestres.

A coté de ce principe de précaution, la Douane intervient en coopération avec d'autres administrations pour le contrôle de la chaîne alimentaire.

La Douane n'est pas le seul service en charge de la sécurité alimentaire en France. D'autres intervenants ont eu, ou auront, l'occasion de préciser le rôle en la matière de la Direction Générale de l'Alimentation (DGAL) ou de la DGCCRF.

En effet, quand on parle de chaîne alimentaire cela signifie plusieurs choses.

En premier lieu, le contrôle ne peut se focaliser sur le seul produit mais doit également s'intéresser au processus de production et de fabrication (abattoirs, ateliers de découpe, de transformation, etc.) ou de commercialisation (restauration, grandes et moyennes surfaces, etc. ).

En second lieu, la traçabilité des produits revêt une importance particulière. Cette notion signifie qu'en contrepartie d'un processus de chaîne alimentaire, les produits doivent pouvoir être précisément localisés et leur origine et leur destination doivent être identifiées.

En troisième lieu, la coopération est primordiale entre les différentes administrations chargées du contrôle de la chaîne alimentaire.

La Douane, pour sa part, s'intéresse aux opérations d'importation ou d'exportation de produits bruts ou finis, qui se situent le plus souvent en amont ou en aval du processus de production ou de transformation sur le territoire national. Elle s'appuie cependant sur les informations ou l'expertise technique de la DGCCRF ou de la DGAL. Elle s'appuie également sur une coopération internationale bien développée.

La coopération au niveau national est un élément essentiel du contrôle de la chaîne alimentaire.

Un véritable réseau de veille et d'alerte a su se mettre en place au niveau central. Des groupes de pilotage se réunissent régulièrement au sein du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, comme au niveau interministériel, afin d'échanger les informations sur les contrôles et de prendre les décisions qui s'imposent.

Un protocole d'accord « ESB » lie la Douane à la DGCCRF et vise notamment à favoriser les échanges d'informations, sous forme de fiches de liaison, sur les fraudes décelées lors des contrôles. Il prévoit également des opérations conjointes. Depuis la signature de ce protocole, le dispositif a permis d'échanger 441 fiches de liaison et de mener 12 actions conjointes. Ce protocole a été étendu et révisé en mars dernier pour tenir compte de l'expérience des dernières crises (dioxines belges et Coca-cola). Un protocole analogue a été proposé par la Douane à la DGAL.

Cette coopération est relayée au niveau local. Ainsi, lorsque, lors d'un contrôle immédiat, un doute apparaît sur la nature des marchandises ou l'authenticité des documents présentés, les services douaniers peuvent solliciter l'avis des agents des Services Vétérinaires dépendant de la DGAL ou de la DGCCRF.

Une coopération internationale est également mise en oeuvre, notamment par le biais du réseau des attachés douaniers français à l'étranger et de l'Assistance Administrative Mutuelle Internationale (AAMI).

Cette coopération est essentielle pour s'assurer de l'origine (Royaume-Uni, République d'Irlande, etc.), voire de la nature exacte (farines de ruminants, de volailles, de plumes, etc.) des produits soumis à restriction ou à interdiction.

De même, la France travaille avec l'Office Européen de Lutte Anti-Fraude (OLAF) sur les fraudes. Une messagerie électronique européenne permet aux Douanes des différents Etats membres d'échanger leurs informations en matière de fraude. Concernant les farines, aucune filière de fraude n'a été mise en évidence dans aucun Etat membre.

II - Le rôle spécifique de la Douane consiste à s'opposer à l'entrée sur le territoire, à leur sortie et à la circulation des farines interdites.

La Douane est le pivot d'un dispositif de contrôle qu'elle anime avec des méthodes et des moyens adaptés en coopération avec d'autres administrations nationales, communautaires ou étrangères.

Toutefois, une différence majeure existe entre les produits communautaires et les produits tiers. En effet, le marché unique, depuis 1993, ne permet pas de contrôles systématiques aux frontières intérieures.

Les moyens de contrôle ont beaucoup évolué avec l'avènement du marché unique.

Jusqu'au 1er janvier 1993, les contrôles douaniers étaient systématiques aux frontières nationales, y compris sur les produits communautaires. Ils s'ajoutaient aux contrôles vétérinaires préalables sur ces produits.

La mise en place du marché unique, en 1993, a entraîné la suppression des formalités de dédouanement dans le cadre des échanges intra-communautaires. Il en est résulté, d'une part, la disparition des contrôles vétérinaires et douaniers systématiques aux frontières, remplacés par des contrôles ponctuels sur l'ensemble du territoire et, d'autre part, une modification du régime de collecte des statistiques du commerce extérieur.

Cette différence entre ce qui est communautaire et ce qui ne l'est pas a des conséquences sur l'applicabilité du Code des Douanes national.

Le Code des Douanes national s'applique directement en ce qui concerne les produits en provenance de pays tiers.

Le Code des Douanes national offre des pouvoirs adaptés à la nature des contrôles de flux transfrontaliers : droit de visite des marchandises, droit d'injonction d'arrêt au conducteur et d'immobilisation des moyens de transport, droit de communication des certificats sanitaires et de tout document commercial, droit de saisie, etc. et tout un arsenal de sanctions assez sévères.

Concernant les produits communautaires, le Code des Douanes ne s'appliquait pratiquement plus depuis 1993 (article 2 bis du Code des Douanes), jusqu'à la création récente de l'article 38-5 du Code des Douanes intervenue par la loi 2001-06 du 4 janvier 2001.

Toutefois, malgré cette diminution de pouvoirs, il pouvait être fait application de certaines dispositions de ce code dans des cas très restreints.

Ainsi, le code rural habilite les agents des Douanes à effectuer certains contrôles sur les animaux vivants et les produits carnés accompagnés d'un document vétérinaire obligatoire ; c'est le cas des viandes qui doivent être accompagnées d'une attestation indiquant qu'elles ne contiennent pas de matériaux à risques spécifiés.

Le code rural habilite les agents des Douanes à appliquer les pouvoirs prévus par le Code des Douanes afin d'effectuer des contrôles documentaires et une simple inspection visuelle des marchandises mentionnées au code rural. Les agents peuvent, en outre, consigner les marchandises par application de l'article 322 bis du Code des Douanes dans l'attente d'une inspection vétérinaire.

Des contrôles de produits alimentaires sont également possibles sur le marché national. En cas de danger grave et immédiat pour la sécurité et la santé des consommateurs, il est fait application par la Douane du Code de la Consommation. Il convient toutefois de relever que ce dernier offre des moyens de contrôle plus restreints que le Code des Douanes. Ainsi, les contrôles ne peuvent être opérés que de jour.

Pour optimiser l'utilisation des pouvoirs douaniers dans les échanges intra-communautaires, un article 38-5 nouveau du Code des Douanes a été introduit sous forme d'un amendement gouvernemental, lors de la première lecture par le Sénat, de la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire en matière de santé des animaux, publiée le 5 janvier 2001.

Ce nouvel article permet aux agents des Douanes de retrouver les moyens d'action plus complets, sur le fondement du Code des Douanes national, à l'égard de marchandises désignées par arrêté qui font l'objet de mesures de restrictions communautaires ou nationales dans les échanges intra-communautaires, conformément à ce qui se passait avant 1993.

Le dispositif douanier de contrôle repose sur un triple niveau de contrôle.

La Douane peut mobiliser 10 000 agents (sur les 19 000 douaniers) dont à peu près 1 700 ou 1 800 pour les Directions concernées par les frontières du Nord et de l'Est, où s'effectue la majeure partie des introductions et des importations.

J'ai demandé des précisions au Directeur compétent, afin de me rendre compte de l'ampleur de la tâche. En 2000, 1,3 million de camions sont arrivés de Grande-Bretagne, soit à Calais par le tunnel, soit à Boulogne ou à Calais par les ferries.

La sécurité alimentaire est tout d'abord prise en compte dans l'activité quotidienne de 3 000 douaniers chargés du dédouanement des produits de pays tiers. A l'occasion de ces formalités, abolies en 1993 concernant les produits communautaires, les douaniers s'assurent notamment de l'origine des marchandises déclarées et du fait que les contrôles sanitaires ont été opérés, y compris concernant les farines animales qui peuvent être importées de pays tiers.

Pour les produits communautaires, les formalités préalables de dédouanement ont été remplacées par le dépôt d'une déclaration d'échange de biens (DEB), un document à vocation statistique. Nous en distribuerons un exemplaire. Cette dernière est un document que doivent remplir chaque mois les entreprises, récapitulant l'ensemble des opérations de livraisons et d'acquisitions communautaires auxquelles elles ont procédé.

Indépendamment de ces formalités documentaires, des contrôles physiques sont organisés. Concernant les produits communautaires, il ne s'agit pas de contrôler tous les véhicules, ce qui irait à l'encontre du principe de libre circulation des marchandises, mais de mettre en place un système de contrôle qui respecte les principes d'efficacité, de dissuasion et de proportionnalité.

De ce fait, les contrôles reposent sur une analyse du risque et sur un ciblage. Le ciblage, pour les douaniers, consiste à focaliser les contrôles sur les moyens de transport qui, en raison de leur origine, de leur provenance, de leur itinéraire ou de leurs caractéristiques propres (par exemple camion frigorifique), sont les plus susceptibles de transporter des marchandises litigieuses.

Pour résumer, la Douane exerce un triple niveau de contrôle qui se présente ainsi :

- Des contrôles immédiats sont opérés aux frontières de la France avec des pays tiers. Ils permettent, notamment, de procéder aux contrôles de dédouanement que je viens d'évoquer. Il convient de rappeler que les laboratoires des Douanes procèdent chaque année à environ 12 000 analyses de produits agro-alimentaires.

En outre, bien que les règles du marché intérieur ne prévoient pas de contrôles douaniers systématiques à la frontière entre Etats membres, de tels contrôles sont cependant mis en place en cas de crise, notamment quand un embargo est décidé par les autorités politiques nationales.

- D'autres contrôles peuvent être effectués à la circulation en tout point du territoire, notamment par les 6 500 agents les plus concernés des services de surveillance.

Ce sont ainsi près d'un million de contrôles qui ont été menés sur les moyens de transport depuis 1996 en vue de contrôler le respect de l'embargo sur le boeuf britannique.

- Des contrôles a posteriori sont menés dans les entreprises en vue de s'assurer que des produits interdits n'ont pas été introduits d'autres Etats membres ou importés de pays tiers.

Il peut, par exemple, s'agir des contrôles des déclarations d'échanges de biens ou d'enquêtes des services de la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED).

En 1999, 52 428 contrôles de DEB ont été réalisés par l'ensemble des services douaniers. 11 485 de ces contrôles correspondent aux contrôles dits de 2ème niveau, c'est-à-dire qu'ils ont été menés dans des entreprises. Ces contrôles sont systématiques concernant l'ensemble des produits bovins concernés par l'ESB.

Corrélativement, de lourdes sanctions peuvent être infligées :

- quand une marchandise communautaire litigieuse est découverte par le service des Douanes, elle est consignée, dans l'attente de l'avis des Services vétérinaires ou des services locaux de la DGCCRF. Cette consignation peut, après 10 jours, être prolongée, suite à la saisie du Procureur de la République, pour une durée totale de 21 jours. Dans le cadre de l'ESB, depuis mars 1996, 213 consignations douanières ont donné lieu à 125 refoulements décidés par les Services Vétérinaires, 13 destructions et 12 consignations sous la responsabilité des Services Vétérinaires. Sur l'ensemble de ces consignations, 64 dénonciations aux Procureurs de la République ont été effectuées sur la base de l'article 40 du Code de Procédure pénale.

Ainsi, s'il apparaît que la marchandise était prohibée, elle peut être réexportée ou détruite, selon les cas de la nature de la marchandise, sur décision des services sanitaires ou de l'autorité judiciaire ;

- pour les marchandises de fraude originaires des pays tiers, des sanctions douanières sur la base de l'article 414 du Code des Douanes (jusqu'à trois ans de prison et amende jusqu'à deux fois l'objet de la fraude) peuvent être infligées.

C'est donc tout ce qui concerne le rôle spécifique de la Douane au niveau de l'opposition à l'entrée, à la circulation et à la sortie de certaines marchandises.

III - Le rôle de la Douane pour l'établissement des statistiques d'importation et d'exportation.

De ce point de vue, les chiffres, notamment ceux relatifs aux importations de farines carnées, appellent plusieurs précisions.

Il convient en premier lieu d'apporter des précisions méthodologiques.

Ces précisions contribueront à éclairer votre commission sur les causes des différences entre les chiffres fournis par les divers interlocuteurs de la mission d'information de l'Assemblée Nationale de 1996-1997.

Avant 1993, chaque importation de produits originaires des autres Etats membres était traitée comme celle des pays tiers et donnait lieu au dépôt d'une déclaration en douane soumise à des contrôles douaniers systématiques, ainsi que je viens de le rappeler. Les statistiques reposaient donc sur l'exploitation de la totalité de ces déclarations.

Depuis le 1er janvier 1993, le système statistique entre Etats membres de la communauté, reposant sur la déclaration d'échanges de biens (DEB), déposé mensuellement, impose certaines limites qui sont au nombre de 6.

Aucun seuil communautaire n'est fixé en valeur pour le dépôt obligatoire des DEB et les obligations de déclaration dans les différents Etats membres peuvent être fixées à des niveaux différents. En France, les seuils permettent de couvrir 99 % des échanges. Ainsi, quand les acquisitions intra-communautaires sont inférieures, au cours d'une année, à 650 000 F elles ne sont pas soumises à déclaration. Entre 650 000 F et 1,5 MF, elle donne lieu au dépôt par le redevable d'une déclaration statistique simplifiée qui ne fait pas obligatoirement apparaître l'origine du produit et sa quantité. Ces seuils sont notablement inférieurs à ceux utilisés par la plupart des autres Etats membres.

La nomenclature combinée tarifaire européenne à 8 chiffres (NC8), qui désigne le produit sur ces déclarations, reprend seulement, dans de nombreux cas, les produits par grande famille. La notion de farines animales, carnées, de viandes et d'os, correspond ainsi à deux codes particuliers :

- Le code 02 10 90 90 comprend les « farines en poudres comestibles de viandes ou d'abats ». Ces farines peuvent être indifféremment issues des espèces bovines, porcines, ovines, etc. Elles ne sont pas destinées à l'alimentation animale.

- Le code 23 01 10 00 comprend les « farines, poudres et agglomérés sous formes de pellets de viandes ou d'abats ». Cette position tarifaire relève du chapitre 23 de la nomenclature européenne consacré aux résidus et déchets des industries alimentaires et aliments préparés pour animaux. C'est la position la plus spécifique pour les farines animales, sans qu'elle permette d'identifier s'il s'agit de viande bovine, ovine, caprine ou de volaille, y compris les plumes.

La France a demandé à diverses reprises une extension à 10 chiffres de la nomenclature tarifaire pour distinguer la nature des farines et cela n'a jamais été accepté par la Commission Européenne. De nouvelles démarches en ce sens seront effectuées lors des prochaines réunions avec la Commission Européenne et l'office statistique communautaire, Eurostat.

Le code géographique du Royaume-Uni (006) ne distingue pas la Grande-Bretagne et l'Irlande du Nord pour laquelle les mesures d'embargo sont distinctes.

Les déclarations d'échanges de biens mensuelles, basées sur les déclarations des opérateurs, sont, par définition, plus susceptibles d'erreurs de leur part que les déclarations en douane qui étaient autrefois établies systématiquement par des professionnels du dédouanement. M. Galland, alors secrétaire d'Etat au Commerce extérieur, y faisait d'ailleurs référence dans sa note de juillet 1996. Dans le cadre de la crise de l'ESB, les services douaniers ont donc procédé à plusieurs campagnes de vérification des DEB.

Dans le prolongement des contrôles sur les acquisitions de farines animales et de bovins vivants de janvier 1993 à mars 1996, qui avaient permis de contrôler 98 % des tonnages introduits, des contrôles DEB sont régulièrement effectués sur l'ensemble des produits couverts par l'embargo.

Par ailleurs, certaines campagnes de vérification ont été l'occasion d'actions communes avec la DGCCRF à travers lesquelles la Douane a réalisé des études de flux en vue de permettre à cette Direction de recenser les stocks de farines. Ces opérations se sont achevées fin janvier 1999, sans qu'aucune fraude n'ait été décelée.

Ces vérifications peuvent nécessiter des demandes d'Assistance Administrative Mutuelle Internationale (AAMI) du ministère de l'Agriculture et de la Pêche auprès des autorités compétentes, par exemple celles du Royaume-Uni.

La règle retenue en matière de publication des statistiques peut également expliquer les différentes statistiques.

Les statistiques françaises indiquent l'origine des produits, tandis que les statistiques communautaires consolidées indiquent la provenance, ce qui peut induire des différences, notamment en cas de commerce triangulaire.

Par exemple, une viande danoise introduite en Allemagne pour être transformée avant d'être introduite en France, est reprise en origine danoise dans les statistiques françaises mais en origine allemande dans les statistiques communautaires.

Les statistiques rendent compte avec peine des évolutions de la réglementation relative à l'embargo sur les produits britanniques.

Si l'introduction de farines de viande bovine était interdite depuis 1989, des autorisations vétérinaires ont pu être accordées par les services du ministère de l'Agriculture et de la Pêche, pour leur introduction en France à condition qu'elles ne soient pas destinées à des usines fabriquant des aliments pour ruminants. Jusqu'en 1993 et l'ouverture du marché unique, ces autorisations devaient se trouver à l'appui de la déclaration en douane.

En juillet 1994, la Commission a interdit les farines de ruminants originaires du Royaume-Uni fabriquées avant cette date ainsi que celles produites jusqu'à la fin de l'année, date à laquelle ont été mises en oeuvre des normes de traitement.

L'importation de farines de volailles ou celles destinées à l'alimentation des animaux domestiques est autorisée. Or, la nomenclature statistique européenne ne distingue pas si les farines animales sont destinées, comme je l'indiquais précédemment, à l'alimentation des ruminants (interdites d'importation depuis 1989) ou des non-ruminants, ni les différents types de ces farines.

Les données statistiques appellent quelques commentaires complémentaires.

La consommation de farines animales dans l'alimentation des animaux s'élève, selon les experts, à environ 400 000 tonnes par an. Les importations, entre 1990 et 1997, selon les années, ont représenté entre 5 % (en 1992) et 19 % (en 1995).

Entre 1988 et 1997, la France a importé ou introduit 416 908 tonnes de farines relevant du code 23 01 10 00 précité.

Les Etats membres de l'Union Européenne, y compris la Suède, la Finlande et l'Autriche, qui ont adhéré à l'Union Européenne en 1995, étaient les principaux fournisseurs de la France.

Les introductions/importations de farines du code 23 01 10 00 se sont ainsi élevées, entre 1988 et 1997, à 385 246 tonnes.

Les approvisionnements se sont diversifiés au cours de la période : le Danemark, 12 500 tonnes en 1990, et la Belgique, 8 000 tonnes en 1990, étaient les principaux fournisseurs au début des années 1990. Ils ont été supplantés par l'Italie (16 500 tonnes en 1997) et la République d'Irlande (8 000 tonnes en 1997).

La République d'Irlande a largement bénéficié de la levée de l'embargo qui pesait sur ses exportations de farines de ruminants entre décembre 1989 et mars 1993 puisque ses exportations sont passées de 5 000 tonnes en 1993 à 20 000 tonnes en 1994 puis 35 000 en 1995.

Par ailleurs, la part du Royaume-Uni dans la consommation nationale de farine s'est effondrée à partir de 1989.

Concernant les abats, puisque la question a été évoquée dans les documents qui m'ont été transmis, la production française est de l'ordre de 400 000 tonnes par an. Les abats bovins et porcins représentent chacun environ la moitié de cette production.

La France importe environ 60 000 tonnes par an mais ce tonnage a diminué dans les années récentes. Les fournisseurs sont essentiellement les Etats membres : Pays-Bas (11 000 tonnes), Allemagne (8 000 tonnes), Irlande, Espagne et Belgique. La part du Royaume-Uni s'est effondrée en passant de 7 700 tonnes en 1995 à zéro aujourd'hui.

Voilà en quoi consiste le rôle de la Douane dans le dispositif de sécurité alimentaire en France.

M. le Président - Monsieur le Directeur je vous remercie. Je pense qu'une telle présentation était utile pour que l'on sache bien comment fonctionne les Douanes et quelles sont les limites dans les possibilités de contrôle.

M. Jean Bizet, rapporteur - J'ai essentiellement, dans un premier temps, deux types de questions.

Je suis ennuyé de vous poser cette question car vous avez pris le temps d'expliquer les mouvements, les modifications ou les explications, au travers de la notion de seuil de la détermination des codes, comme quoi l'explication des quantités et des statistiques n'a rien de mystérieux.

Toutefois, à la lecture d'un quotidien daté du 16 janvier 2001, il est possible de relever des discordances entre des statistiques douanières françaises, concernant l'importation de farines animales en provenance de Belgique, et les statistiques douanières belges relatives à l'exportation de ces mêmes farines en direction de la France.

Tout débute en 1993 : au-dessous d'un seuil de 650 000 F il n'y avait pas de déclaration et entre 650 000 F et 1,5 MF il existait une déclaration simplifiée. Il me semble que tout concourt à compliquer la situation, ce qui est assez troublant.

J'aimerais donc que vous puissiez, malgré tout, nous expliquer une telle discordance.

Le deuxième point concerne les abats car j'ai tendance à regarder davantage en direction des abats que des farines animales. Or, vous dites qu'il n'y a plus d'importations d'abats en provenance du Royaume-Uni.

S'agissant des statistiques par périodes décennales, entre 1978 et 1987, la France a importé du Royaume-Uni 3 185 tonnes, ce qui était minime. Par contre, entre 1988 et 1996, nous sommes passés à 47 890 tonnes : c'est donc multiplié par plus de 10 sur une période de seulement 9 ans. J'aimerais que vous puissiez nous parler de cela.

Par ailleurs, au sein de la notion d'abats, compte tenu du fait qu'il s'agit de « matériaux à risques spécifiés », pourriez-vous établir un distinguo entre les abats « autorisés » et ceux qui ne le sont pas. Cette question nous préoccupe beaucoup puisque le Professeur Pascal a affirmé qu'à partir d'août 1992 les abats n'étaient plus utilisés dans la fabrication des petits pots pour bébés. Le Directeur général de la DGCCRF nous a effectivement confirmé les difficultés administratives qu'il a pu rencontrer pour mettre en place cet embargo et cette harmonisation au niveau européen.

Je vous prie de m'excuser de reposer cette question sur les farines, mais cette notion de code et de seuil, qui est peut-être facile à comprendre sur le papier, trouble malgré tout la perception que l'on peut avoir de ces tonnages.

M. Alain Cadiou - Au niveau de la méthode, depuis 1993 (je l'ai dit plusieurs fois mais cela paraît essentiel), la déclaration d'échanges de biens, qui est effectuée au-dessus de ce seuil depuis le 1er janvier, concerne essentiellement des statistiques. Elle est effectuée tous les mois par les entreprises, alors que la marchandise a déjà circulé.

Aujourd'hui, nous n'avons pas d'autre instrument, mais il faut reconnaître que cette déclaration n'était pas prévue pour cela. C'est un vrai problème. S'agissant du seuil, on peut regretter son niveau mais il est bien plus faible que dans les autres pays européens ; ceci n'est pas une excuse, bien au contraire.

Il existe un problème de circulation des marchandises et on a tendance à laisser circuler certains produits plus facilement entre la Belgique et la France. Au niveau de ce qui s'est fait avec la Belgique je passe la parole à M. Kearney.

M. Kearney - Concernant les différences entre les statistiques françaises et belges, il s'agit effectivement d'une question évoquée souvent, ainsi que pour l'Irlande. Il existe deux sources de divergences principales. La première est la différence de seuil puisque la France a l'un des seuils de statistiques les plus bas de l'Union Européenne : il s'établit à 650 000 F alors qu'il était plus faible auparavant avec 250 000 F. Ce seuil de 250 000 F était trois fois inférieur à celui de la Belgique qui est de 680 000 F.

Les échanges transfrontaliers peuvent être importants avec la Belgique et tous ces échanges, entre 250 000 F et 680 000 F, étaient pris en compte dans les statistiques françaises mais pas dans les statistiques belges.

Concernant la deuxième source de différences, comme le Directeur général l'a indiqué, les informations françaises tracent l'origine des produits alors que les statistiques belges (et communautaires) tracent la provenance.

La Belgique est passée, au milieu des années 1900, de statistiques traçant l'origine à des statistiques traçant la provenance. En matière de farines qui tracent l'origine, les farines que nous comptabilisons comme étant belges sont, a priori, des farines belges, mais ce n'est pas forcément le cas dans les statistiques belges .

Ce sont deux explications des différences entre les statistiques françaises et belges. Cela n'exclut pas les fraudes à l'origine mais aucune n'a été découverte dans aucun Etat membre concernant les farines.

M. le Rapporteur - Nous prenons note de cette information. La sémantique est un art merveilleux, et la nuance entre les mots « origine » et « provenance » est terriblement intéressante et habile. Sans dévoiler les diverses recommandations du rapport, il faudra avoir une harmonisation en termes de dénomination.

M. le Président - La différence pourrait-elle être de 30 000 tonnes ?

M. Kearney - Sur plusieurs années, c'est possible.

M. le Président - Cela correspond.

M. Kearney - Il faudrait que la France reconstitue des statistiques sur les farines sur l'ensemble des Etats membres pour avoir une vision communautaire des statistiques tenues, en origine et en provenance, et obtenir une confirmation.

Il est plus intéressant pour nous, en termes de lutte contre la fraude, de connaître l'origine des farines, pour s'assurer qu'elles ne sont pas britanniques, plutôt que de savoir d'où elles viennent.

Sur les abats, nous vous remettrons les statistiques sur la consommation. Six codes statistiques concernent les abats et ils ont été regroupés dans les statistiques préparées pour la Commission. Nous pourrons donner des statistiques plus détaillées en indiquant ce qui est abats de type matériaux à risques spécifiés ce les autres abats bovins.

Certains Etats membres sont les principaux fournisseurs de la France et le Royaume-Uni a eu une place importante, sans être dominante, parmi eux. Il était généralement le cinquième fournisseur, et non pas le premier comme c'était le cas pour les viandes fraîches, mais cette barre s'est effondrée à partir de 1995.

M. le Rapporteur - A partir de novembre 1989, l'Angleterre a interdit l'utilisation des abats, et de 1988 jusqu'à 1996, soit en moins de 10 ans, nous avons importé du Royaume-Uni 47 890 tonnes alors que dans la décennie précédente nous n'avions importé que 3 185 tonnes. C'est très choquant. Pourriez-vous nous fournir des détails suivant les différents classements d'abats ?

M. Kearney - Cette évolution a été constatée avec beaucoup d'autres Etats membres. C'est l'effet de la construction du marché unique, l'européanisation des échanges, qui a pris de l'ampleur au cours des années 1980 dans des proportions fortes avec d'autres Etats membres. Concernant le Royaume-Uni, il est vrai que cette situation est perturbante, a posteriori, compte tenu des développements de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

S'agissant de la décomposition de ces 47 890 tonnes en fonction des différents types d'abats, je ne dispose pas de ces renseignements aujourd'hui mais il me sera possible de vous les remettre dans les prochaines semaines.

Nous rencontrerons une difficulté quelque peu analogue à celle des farines mais toutefois moindre. En effet, certains abats sont identifiés, notamment la langue et le foie, en termes de statistiques individualisées ; en revanche, pour d'autres abats spécifiés la difficulté est six fois moindre que pour les farines puisque nous passons d'une position spécifique à six positions. Nous pourrons vous les donner. Je sélectionne, au fur et à mesure des questions posées, certains éléments à vous remettre, notamment les statistiques sur l'importation des abats entre 1988 et 1999.

M. Michel Souplet - Monsieur le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de Monsieur le Directeur général. Je voudrais m'inquiéter de deux aspects évoqués.

Il est évident que la politique commune se met en place et que l'harmonisation des législations nationales est loin de suivre le rythme dû aux divers élargissements. En 1993, la suppression des douanes était normale puisqu'elle était inscrite dans les textes. La France a conservé une protection douanière extra-communautaire de Dunkerque à la frontière italienne mais, dans le même temps, les autres pays n'ont pas fait les mêmes efforts.

Entre les services des Douanes françaises et les services de vos homologues, des 12 ou 15 pays qui sont maintenant dans la Communauté, les rapports sont-ils bons et la fiabilité de leur politique est-elle suffisante ou devrait-elle se rapprocher de la nôtre ?

Par ailleurs, vous indiquez que vous ne pouvez pas effectuer de contrôle de nuit avec le Code de la Consommation. Quand des camions rentrent sur le territoire durant la nuit, êtes-vous obligés d'attendre 6 heures du matin pour les contrôler ou pouvez-vous les arrêter ? Il est inquiétant de penser que l'on ne peut pas agir pendant 12 heures.

Si vous ne pouvez pas les arrêter, alors que vous avez un doute sur leur origine, pouvez-vous les suivre jusqu'à l'endroit où ils vont décharger, afin d'effectuer les contrôles au lever du jour ?

M. Alain Cadiou - La France a gardé un dispositif qui, à bien des égards, est plus important que celui d'autres pays. Toutefois, la coopération fonctionne bien surtout sur des schémas de ce type.

Le douanier est une personne qui veut agir et est dans l'action. Pour lui, il est plus simple de faire un contrôle systématique à la frontière (comme il le faisait avant de manière quasi exhaustive) ou de disposer de l'article que vient de voter le Parlement (l'article 38-5) permettant de faire des contrôles systématiques ou d'avoir des listes de marchandises prohibées.

Cela n'a pas été le cas et vous l'avez reconnu Monsieur le sénateur : en 1993, c'était l'ouverture du grand marché et la règle était de laisser circuler.

Concernant les contrôles de nuit, je laisserai la parole à M. Kearney. Les douaniers, quand ils ont les moyens d'agir avec le Code des Douanes national, et non pas le Code de la Consommation, travaillent de nuit.

Sur 19 000 douaniers, 9 000 douaniers dits de surveillance (les douaniers en tenue) ont une obligation de service 24/24 heures. Tout dépend de ce qu'on leur demande de faire et des moyens dont ils disposent.

M. François Mongin - Je crois, Monsieur le Sénateur, qu'il est important d'intégrer la modification du mode d'action des Douanes européennes depuis 1993. Même si la France a conservé un dispositif douanier important, le mode d'intervention des Douanes françaises a changé. Nous avons aujourd'hui forcément moins de monde sur les frontières intra-communautaires -c'est la logique du marché unique- qu'avant 1993.

De ce fait, la logique des contrôles mis en oeuvre a changé. Là où les contrôles étaient systématiques, sur les produits de type bovins, en liaison étroite avec les Services Vétérinaires, nous faisons maintenant des contrôles inopinés à l'intérieur du territoire (c'est une pratique nouvelle) sur la base de ciblages, repérages ou d'identification de véhicules suspects. Les modes de contrôle ont forcément changé, et ce qui était systématique ne l'est plus par obligation communautaire.

Pour répondre à votre deuxième question, sur la base du Code de la Consommation les agents des Douanes ne sont pas habilités à intervenir pendant la nuit. En revanche, quand ils interviennent sur la base du Code Rural, et plus particulièrement de l'article L. 236, pour les contrôles de produits animaux, ils sont habilités à intervenir la nuit et, en cas de doute, à procéder à une consignation jusqu'au verdict des autorités vétérinaires ou de la DGCCRF.

Je voudrais vous rassurer sur ce point. La Douane ne s'arrête pas de vérifier les camions de viande bovine pendant la nuit. Bien au contraire une grande partie de ses contrôles, en particulier sur la frontière nord-est de la France, qui est l'un des axes majeurs de circulation, s'opère dans cette période.

M. Jean-François Humbert - J'avoue que depuis de très nombreuses années j'ai beaucoup de difficultés à maintenir un effort de concentration et d'attention suffisant pour ne pas revenir sur un certain nombre d'éléments qui ont sans doute déjà été dits.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le fait que depuis 1993, date de la mise en oeuvre du marché unique, il existe des difficultés supplémentaires pour que les agents des Douanes puissent effectuer correctement leur travail.

Par ailleurs, à la question de notre Rapporteur concernant les différences entre les statistiques belges et françaises, vous dites que l'on parle d'origine et de provenance et qu'il vous est possible de nous fournir des éléments statistiques.

Ma question peut sembler naïve : sur quelles bases êtes-vous en mesure de préparer et remettre, dans un délai de quelques jours ou quelques semaines, ces fameuses statistiques ? Je souhaite savoir sur quoi vous travaillez pour les établir entre Etats membres de l'Union Européenne.

M. François Mongin - Les statistiques que nous établissons sont consolidées à partir de ces fameuses déclarations d'échanges de biens mises en place en 1993. Elles sont exhaustivement dépouillées par nos centres de traitement informatique. Nos publications statistiques mensuelles du commerce extérieur de la France sont établies à partir de ces déclarations, telles qu'elles sont remplies par les entreprises qui y sont assujetties de manière simplifiée entre 650 000 F et 1,5 MF d'introduction annuelle.

L'absence de fourniture de cette déclaration est sanctionnée par une amende, certes faible, prévue par le Code des Douanes.

M. Jean-François Humbert - Ces DEB existent-elles sous une forme quelconque en Allemagne, en Belgique, en Angleterre ou au Danemark ?

M. François Mongin - Les pays européens, sur la base de la réglementation dite « intra stat » de 1992, sont dotés d'un système leur permettant de poursuivre la mesure de leur flux de commerce intra-communautaire. La difficulté fondamentale est que ces systèmes ne sont pas harmonisés.

Les seuils qui ont été évoqués préalablement sont une cause majeure de discordance des statistiques. Dans la préparation de l'audition par votre Commission, nous évoquions, de manière anecdotique, que la France apparaît dans nos statistiques comme un très gros exportateur de bateaux vers la Belgique alors que les statistiques belges ne mentionnent aucune importation de bateaux. En réalité, les bateaux sont achetés par des particuliers qui ne sont soumis à aucune obligation de déclaration d'échanges de biens. Dans nos statistiques nous trouvons des quantités importantes de bateaux qui nous permettent de considérer que des entreprises de ce secteur ont un commerce florissant avec la Belgique. Or, en Belgique les bateaux disparaissent des statistiques.

Ce problème de seuil se rencontre avec la Belgique et l'Angleterre (dont le seuil est 4 fois plus élevé que le nôtre). Par ailleurs, les PAYS-BAS en sont réduits à estimer près de 20 % de leurs échanges intra-communautaires car leurs déclarations d'échanges de biens ne leur permettent pas de les retracer.

Sans vouloir s'abriter derrière des arguties techniques, il est vrai que cette distorsion dans la réglementation des seuils et des modalités d'élaboration des DEB est une gêne à la cohérence de l'ensemble.

M. Jean-François Humbert - Lors d'auditions précédentes j'ai eu l'impression qu'il a pu exister (après l'interdiction) des transits de farines animales par l'Irlande, le Danemark, et la Belgique.

Le fait de travailler les uns avec les autres, avec vos homologues des autres Etats membres de l'Union Européenne, peut-il être d'une quelconque utilité pour tenter de reconstituer ce chemin ?

M. Kearney - Sur ce sujet, il n'est pas possible de déduire une fraude en examinant les divergences de statistiques. S'agissant du passage par l'Irlande, ce pays est intéressé à ne pas laisser passer de farines britanniques sur son territoire ; en raison d'un tel embargo sur les farines britanniques, le risque théorique est faible.

Nous n'avons pas pu constater, ni en France ni dans l'ensemble des Etats membres, alors que nous sommes en liaison avec l'Office européen de lutte anti-fraude (OLAF), de fraude sur les farines britanniques.

Le Directeur général parlait d'analyse de risques. Le gain espéré par la fraude sur les farines, alors que les variations de prix sont très faibles et pas toujours en faveur des farines britanniques, n'est pas à la mesure du risque encouru. Ce sont des éléments de bon sens douanier.

M. Jean-François Humbert - Il existait une interdiction totale en Angleterre et leur problème était peut-être d'assurer l'écoulement de la production de ces farines.

M. Kearney - Il était plus facile pour des Britanniques de percevoir les indemnités du Gouvernement ou d'exporter vers des pays tiers.

Concernant les farines britanniques, nous n'avons pas pu constater de fraude, ou de circuit de fraude, apportant une explication de ces divergences de statistiques, d'année en année, sur les importations par les pays cités.

M. Jean-François Humbert - Pouvez-vous nous parler du protocole d'accord qui a été signé avec la DGCCRF ? En termes de contenu et d'action commune, j'aimerais savoir s'il existe des rapports ou des synthèses de réunions qui auraient pu avoir lieu, ainsi que des préconisations ou des recommandations qui auraient pu résulter de votre travail avec cette autre Direction qui, je crois, dépend du même ministère que la Direction des Douanes.

M. Kearney - Sur la coopération avec la DGCCRF, nous avons deux protocoles. L'un, opérationnel, concerne spécifiquement l'ESB et prévoit des mesures d'échanges d'informations et d'actions communes sur les importateurs de farines.

Par ailleurs, nous avons élargi ce protocole ESB lors de la crise des dioxines belges et de Coca-Cola en intervenant durant l'été 1999. Sur la base de cet élargissement, nous avons conclu un protocole élargi à l'ensemble des crises sanitaires, qu'elles soient alimentaires ou non, pour pouvoir échanger et être informés systématiquement sur tous les risques sanitaires qui pèsent en Europe. Cela se pratique notamment par la diffusion de messages d'information européens sur les risques sanitaires : dès que des « crevettes parfumées au choléra » rentrent en Espagne nous sommes informés afin de pouvoir prendre des mesures de contrôle aux frontières.

Nous avons désigné des correspondants uniques dans chacune des deux Directions pour pouvoir faciliter la coopération. Nous faisons des échanges d'instructions et nous pouvons recourir, en cas de besoin, au laboratoire de la DGCCRF, ce qui est utile pour l'analyse des farines. Par ailleurs, nous disposons d'un programme de formation commune qui se déroule en une session de deux jours pour former les gestionnaires des crises sanitaires. Une telle session se déroule d'ailleurs demain à Dijon avec un suivi au cours de l'année par une série de formations.

Si vous le souhaitez, nous pourrons communiquer à la Commission les deux protocoles d'accord entre les Douanes et la DGCCRF.

M. le Président - Ce sera mis au dossier.

M. Jean-François Humbert - Nous avons entendu parler d'un deuxième protocole qui serait regroupé en un seul.

Je note que vous n'avez pas indiqué ce que vous faisiez ensemble. Il est question de farines animales dans notre pays et en Europe. Existe-t-il des actions communes de recherche, ici ou là, une fois les frontières franchies ? Je crois que le rôle de chacun consiste à essayer de trouver, s'il y a eu fraude, où sont passées les dites farines et par qui elles ont été utilisées.

M. François Mongin - La collaboration ne se résume pas à des échanges tels que des débats ou un protocole écrit. Nos services d'enquête, la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières et l'homologue de la DGCCRF, sont en relation quotidienne sur les sujets communs de fraude.

Il nous arrive très fréquemment d'échanger des renseignements. Par exemple, quand la Douane a lancé des campagnes de vérification des déclarations d'échanges de biens (qui sont le seul moyen, dans la nomenclature statistique évoquée, de déterminer l'origine des farines), dès que nous avions des soupçons d'irrégularités sur la destination des produits en cause, nous saisissions nos collègues de la DGCCRF.

A ce titre, nous avons échangé avec eux des fiches de liaison et, concrètement, diligenté quelques enquêtes communes. Je pense que M. Kearney peut vous donner quelques chiffres.

M. Kearney - Parmi les actions communes, l'une d'elles a été décidée en mai 1998 pour les farines afin de réaliser un recensement et des contrôles des stocks en cours. Cette opération de contrôle de grande envergure a duré environ 6 mois (entre mai 1998 et janvier 1999) et a permis d'échanger 50 fiches d'information et de mettre en oeuvre 5 contrôles conjoints entre les Douanes et la DGCCRF.

Sur ces bases, 95 contrôles ont été effectués par la DGCCRF à partir des données transmises par la Douane.

Sur la deuxième moitié de 1998, une opération similaire a commencé. Elle a donné lieu à des contrôles sur les viandes bovines en 1999 et 2000.

Depuis la signature du protocole, en mars 2000, nous avons échangé 441 fiches de liaison (des fiches d'informations sur des risques de fraudes ou des données statistiques concernant les entreprises) essentiellement dans le sens Douanes vers DGCCRF puisque nous disposons des statistiques du commerce extérieur. Cela a permis de mener 12 actions communes depuis mars 2000 dans le cadre de l'ESB.

M. Jean-François Humbert - Ces fiches constituent-elles un document confidentiel ?

M. le Président - Pas pour la Commission. A ce titre, je suppose que vous disposez de certains documents et je vous demanderai très officiellement de nous remettre la totalité de ce qui peut nous permettre de tout connaître.

M. Jean-François Humbert - Y a-t-il eu, à votre connaissance, sur le territoire français, des lacto-remplaceurs ou des laits de remplacement d'origine communautaire ou d'origine plus ou moins déterminée, à savoir venant de pays tiers ?

M. Kearney - Monsieur le sénateur, il me serait bien difficile de vous répondre. Nous pourrons statistiquement savoir si des entrées de ce type ont eu lieu.

Mon premier sentiment est qu'il s'agit plus d'importations intra-communautaires que de produits en provenance de pays tiers. L'analogie avec les farines indique qu'il s'agit à 90 % de produits communautaires. Toutefois, pour répondre précisément à votre question, nous ferons une vérification sur ce point.

M. Paul Blanc - Vous avez parlé de cette coopération entre les différents services de Bercy, notamment les Douanes et la DGCCRF. Il semble que le Rapport Villain indique qu'elle a été tardive puisqu'elle daterait seulement de 1996 et qu'il y aurait peu de rapports avec les Services Vétérinaires.

Permettez-moi de vous tester : êtes-vous informé de ce qui s'est passé dans les Hautes-Alpes où les Services Vétérinaires ont saisi le Parquet de GAP à la suite de la découverte d'importantes quantités d'aliments pour bovins contenant des farines animales importées d'Italie ?

M. Kearney - Concernant la coopération avec la DGCCRF, le Rapport Villain a été communiqué à votre Commission afin que vous puissiez en juger par vous-mêmes. Certains points positifs y sont mentionnés, notamment le fait que l'interdiction d'importation des farines avait été respectée et que la Douane s'est mobilisée dès 1989 sur l'interdiction des farines.

Ce rapport relève que la collaboration avec la DGCCRF n'a commencé qu'en 1996, mais cela semble naturel puisque la crise de l'ESB date de cette année-là.

Des protocoles ont permis d'améliorer le fonctionnement mais la collaboration naturelle de la Douane se faisait plutôt avec les Services Vétérinaires qui effectuaient (et effectuent toujours) des contrôles systématiques et préalables sur les produits importés, ce qui était le cas entre 1989 et 1993.

Sur la période de 1993 à 1996, nous étions dans une situation où il n'y avait pas d'embargo sur les produits bovins britanniques. Il existait une prohibition sur les farines mais cela ne nécessitait pas une coopération particulière avec la DGCCRF puisqu'il s'agissait de missions classiques de contrôle de prohibition.

Des mesures ont été prises à la suite de la publication du rapport et elles ont donné lieu aux mesures de coopération décrites qui n'ont pas permis de déceler de fraude particulière. Nous avons constaté des irrégularités, comme des erreurs de remplissage de déclarations d'échanges de biens, mais pas de mouvements particuliers de fraude.

Nous collaborons avec des résultats qui ne sont pas déterminants pour montrer une fraude.

Concernant les Hautes-Alpes, une coopération entre la Direction Générale de l'Alimentation et la DGCCRF a permis d'identifier un certain nombre de fraudes sur des farines animales et des aliments pour animaux. L'enquête est en cours et nous n'avons pas d'élément particulier sur la suite puisque, s'agissant des stocks détenus sur le territoire français, cette affaire est gérée conjointement par la DGCCRF et la DGAL, sans l'intervention de la Douane à ce niveau.

M. Paul Blanc - Vous avez parlé de l'élaboration des DEB et des erreurs qui pouvaient se produire. Il me semble qu'une erreur matérielle est passible d'une amende.

M. Alain Cadiou - Oui.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous préciser le montant de cette amende et le nombre d'infractions relevées entre 1993 et 2000 ?

M. François Mongin - Concernant les amendes, l'article L. 467 s'applique ; il prévoit que le défaut de production, dans les délais, de la déclaration d'échanges de biens donne lieu à l'application d'une amende de 5 000 F. A défaut de production de la déclaration dans les 30 jours suivant la mise en demeure, l'amende est portée à 10 000 F.

M. Paul Blanc - Quel est le nombre d'infractions relevées ?

M. François Mongin - Je ne peux pas vous répondre immédiatement mais je rechercherai ce renseignement.

M. Paul Blanc - Surveillez-vous les courtiers qui importaient des farines animales ?

On nous a indiqué que les farines animales arrivaient par bateaux et étaient destinées à des fabricants d'aliments mais également à des courtiers. Il est relativement facile de contrôler les fabricants d'aliments mais est-ce le cas pour les courtiers ?

M. Kearney - Oui, puisque par définition nous contrôlons l'ensemble des opérateurs du commerce extérieur qui remplissent les DEB, ainsi que ceux qui n'en remplissent pas afin de nous assurer qu'ils n'en remplissent pas à raison.

En revanche, s'agissant des courtiers, en matière de statistiques il peut s'agir de courtiers français qui importent des produits. Cela a constitué un problème de divergences de statistiques entre les DEB remplies par les opérateurs sur la base des factures et les importations réelles en fonction de l'origine. Il s'agissait notamment des farines irlandaises vendues par des courtiers britanniques : elles apparaissaient comme britanniques dans certaines statistiques et dans les DEB remplies par les importateurs français, mais il s'agissait en fait de farines irlandaises. Des courtiers britanniques qui ne pouvaient plus vendre les farines de leur pays ont décidé de vendre des farines irlandaises ; de ce fait, ils continuaient à approvisionner leurs clients français avec des farines d'autres pays. C'est un deuxième aspect de la question concernant les courtiers.

M. Paul Blanc - Au-delà de tous les chiffres qui nous ont été remis, selon vous y a-t-il eu des fraudes ?

M. Kearney - Sur les farines nous n'avons pas pu déceler de fraudes, ou du moins pas de fraudes de nature importante, au-delà de quelques erreurs de déclaration. Toutefois, cela ne signifie pas qu'elles n'existaient pas. A notre sens, il n'y en avait pas car il n'existait pas de logique économique et nous n'avons pas pu déceler de telles fraudes.

Quand le Directeur général a mentionné le nombre de camions contrôlés, il faut rapprocher deux chiffres : 1,3 million de camions en provenance du Royaume-Uni par an et un million de contrôles réalisés 1996 sur les camions britanniques. Cela signifie qu'un camion britannique sur cinq est contrôlé par la Douane sur le territoire national.

M. Paul Blanc - J'en déduis qu'il n'est plus rentable d'acheter des farines animales britanniques. C'est ce que l'on peut constater en Principauté d'Andorre avec les cigarettes.

Dans l'élaboration des DEB, avez-vous connaissance de vente à la France, notamment dans les régions frontalières du département des Pyrénées-Orientales, d'aliment pour bétail en provenance d'Espagne ? Si vous ne pouvez pas répondre aujourd'hui à cette question, je souhaiterais que vous le fassiez dans les 15 prochains jours.

M. Kearney - J'ai noté la question.

M. Jean-François Humbert - Vous avez indiqué à plusieurs reprises l'absence d'intérêt économique à l'importation des farines britanniques. Concernant les cigarettes (évoquées par M. Blanc) ou d'autres produits interdits en France, vos agents sur le terrain les trouvent à la suite de renseignements qui leurs sont donnés.

La valeur marchande des farines était-elle si peu importante qu'aucune information n'a été transmise, par exemple par un concurrent malheureux de tel ou tel fabricant français ou étranger ?

M. Kearney - Sur ces aspects, il faut rappeler que le prix d'un kilo de farines animales se situe à 1 F ou 1,40 F selon le type. Le différentiel entre Etats membres est assez réduit. Par ailleurs, il ne s'agit pas de produits fortement taxés comme l'alcool ou les cigarettes pour lesquels il existe, dans les autres Etats membres, des circuits de fraude bien organisés, ce qui est l'occasion de saisir des conteneurs entiers ou des camions de cigarettes de contrebande.

Si on postulait sur un système de fraude intervenant sur une grande échelle, il serait plus intéressant pour une organisation mafieuse de s'intéresser aux cigarettes plutôt qu'aux farines. Il s'agit de volumes qui n'ont aucun point commun.

Sur des informations qui auraient pu être données à la Douane, je ne peux pas certifier qu'aucune information n'a été procurée sur les 10 dernières années. Toutefois, à ma connaissance aucun renseignement de ce type n'a permis de découvrir un circuit de fraude particulier.

M. François Mongin - Pour répondre précisément à la question, nous n'avons pas mis en évidence de circuit de fraude sur les farines animales. En revanche, nous avons connaissance de quelques affaires de fraude sur des circulations illicites de viande bovine. Ceci a fait l'objet de travaux de notre Direction nationale de recherches et d'enquêtes.

Il nous est possible, même si ce n'est pas l'objet de votre Commission, de vous communiquer quelques informations sur le sujet.

M. le Rapporteur - La Commission d'enquête a pour but d'essayer de clarifier les conditions d'utilisation des farines animales et leurs conséquences sur la santé humaine. Or, qui dit farines dit abats et également carcasses. Il serait donc souhaitable que vous puissiez nous fournir les informations que vous détenez sur ces mouvements frauduleux car il me semble que cela concerne également cette Commission d'enquête.

Sur ce point précis, je suis troublé par la décision du 27 juillet 1994, au niveau français, de durcir les conditions d'importation de viandes britanniques et d'exiger des viandes désossées provenant précisément d'élevages exempts d'ESB depuis au moins 6 ans.

Or, une année plus tard, une directive européenne adressée au Gouvernement anglais faisait obligation de parfaire ce système d'identification pérenne des animaux. On peut donc considérer que cette demande, invitant les Britanniques à parfaire leur système d'identification pérenne, signifie que ce moyen était loin d'être parfait.

Au niveau des Douanes, sur quelles bases avez-vous travaillé pour vérifier les mouvements d'importation de carcasses et étiez-vous satisfaits de leur traçabilité ?

M. Kearney - La traçabilité des carcasses est encore fort délicate aujourd'hui. J'aurais tendance à vous répondre qu'elle l'était davantage en 1994 et que la réglementation française et communautaire, qui a beaucoup évolué sur ces points, n'a pas été d'une aide particulière.

Concernant la manière dont les contrôles étaient effectués à l'époque, je vous demande de m'accorder un délai de réponse afin de pouvoir vérifier. J'ai le sentiment que c'était assez complexe.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous être destinataires de ces tonnages dans ces périodes critiques et des éventuelles notes de service vous permettant de vous appuyer sur une traçabilité prouvant que ces carcasses désossées provenaient, à partir du 27 juillet 1994, de cheptels anglais exempts d'ESB ?

Une autre question est en articulation directe avec celle de notre collègue M. Humbert. Pourriez-vous nous fournir, sur une période de 10 ans, l'évolution des prix des farines animales sur le territoire européen ? Cela ne doit pas être compliqué car ce genre d'information doit être compulsé. Cela nous permettrait éventuellement de voir certains dumping.

Il semblerait que la DGDDI n'ait pas de contact particulier avec la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires.

M. Kearney - Il s'agit de contacts au niveau des services d'enquêtes entre la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières et la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires. Il existe des transmissions de statistiques sur les volumes de produits bovins, la liste des importateurs et des contacts de nature un peu informelle.

M. le Rapporteur - Ces contacts ou cette manière de travailler ensemble vous semblent-ils suffisants ?

Imaginez-vous qu'il soit pertinent d'avoir une coopération et une cohérence plus forte entre ces deux services ?

M. François Mongin - Je voudrais répondre de façon générale. Sur le plan opérationnel, nous estimons satisfaisant l'état de la coopération résultant des protocoles passés avec nos collègues de la DGCCRF. Nous avons proposé, à plusieurs reprises, à nos homologues de la DGAL, de conclure un protocole de coopération avec nous car nous pensons que c'est le bon axe pour améliorer la qualité conjointe de nos contrôles.

Cela dépasse le sujet de la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires. D'une manière plus générale, nous souhaiterions rentrer dans un schéma opérationnel, comparable à celui de la DGCCRF, avec la Direction Générale de l'Alimentation.

Concernant la traçabilité, nous verrons ce qu'il nous est possible de vous fournir sur les importations de carcasses de bovins exempts d'ESB. Toutefois, j'ai plutôt tendance à penser que ce sujet concerne davantage nos collègues du ministère de l'Agriculture. Comme le disait le Directeur des Douanes, nous sommes une administration de contrôle ; nous ouvrons des camions pour examiner leur contenu et il est fondamentalement difficile d'apprécier si une carcasse de bovin est exempte d'ESB quand elle passe la frontière.

Aussi, quand nous avons un doute, nous faisons appel aux Services Vétérinaires car nous ne pouvons pas porter une telle appréciation. Nous ne sommes pas en capacité technique ou juridique de le faire. J'insiste beaucoup sur ce point.

M. le Rapporteur - Concernant ces mouvements frauduleux, pouvez-vous nous donner plus de précisions car c'est un élément capital ?

M. Kearney - Vous souhaitez connaître les importations de carcasses bovines du Royaume-Uni ?

M. le Rapporteur - Essentiellement ou « sans provocation », de certaines « plaques tournantes » telles que la Belgique ou l'Irlande.

M. Kearney - Sur cet aspect, il faut rappeler que le Code Rural a été modifié en 1994 pour permettre à la Douane de faire des contrôles visuels sur les produits carnés et les animaux vivants.

L'autre aspect, qui correspond à une revendication ancienne de la Douane, consiste à pouvoir disposer d'un document d'accompagnement dans les échanges intra-communautaires permettant de s'assurer d'un certificat sanitaire ou d'une facture. Je ne sais pas si à l'époque c'était le cas pour la circulation de ces carcasses

En l'absence de certificats sanitaires, les contrôles douaniers sont plus difficiles dans les échanges intra-communautaires. Il convient aussi de considérer cet aspect.

M. le Rapporteur - Pour parfaire ma question, à qui et à quoi étaient destinées ces carcasses : s'agissait-il de fabrication de farines animales ou d'alimentation humaine directement ?

S'il s'agissait de fabrication de farines animales, avaient-elles fait l'objet d'un traitement spécifique pour enlever les matériaux à risques spécifiés au regard de la législation française de l'époque ?

M. Kearney - Sur la destination des carcasses, le ministère de l'Agriculture ou la DGCCRF pourraient mieux vous répondre que moi. D'après les discussions que nous avions eues sur ce sujet avec la DGCCRF, les carcasses de viande étaient plus destinées à l'alimentation humaine qu'à la fabrication de farines animales, sans que l'on puisse donner sur la destination exacte des informations sur le nombre de carcasses ou le tonnage de carcasses introduites importées du Royaume-Uni. Nous n'avons pas traité le dossier.

M. le Rapporteur - Vous avez constaté et ensuite vous avez confié ce dossier à la DGCCRF et au ministère de l'Agriculture ?

M. Kearney - Le dossier n'est pas confié ; il s'agit d'une répartition des compétences prévue par les textes. Nous pratiquons des contrôles à la circulation sur des camions et dès que les animaux rentrent dans un processus de fabrication ou de commercialisation il s'agit, selon les cas, de la DGCCRF ou de la DGAL, car c'est destiné à l'alimentation humaine ou animale.

M. le Rapporteur - De quelle époque datent ces mouvements ?

M. Kearney - Les mouvements de carcasses ont continué jusqu'en mars 1996, avec une augmentation ou une diminution selon les années. C'étaient des animaux abattus et exportés en France.

Nous pourrons vous donner des chiffres sur les introductions de ces carcasses de viande en provenance du Royaume-Uni et d'autres états limitrophes.

M. le Président - Je vous remercie de bien vouloir nous fournir les documents qui vous ont été demandés car ils sont très importants pour nous. Je vous remercie pour votre participation et je pense que nous vous recontacterons pour vous demander certaines précisions sur des informations que nous découvrons.

Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, merci de nous accompagner dans cette démarche qui est parfois bien longue.

Audition de M. Jean-Yves KERVEILLANT, Direction générale de l'alimentation,
sous-direction de l'hygiène des aliments, bureau des matières premières

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, merci d'être présents.

Monsieur Jean-Yves Kerveillant, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes auditionné ici dans le cadre de la Commission d'enquête du Sénat sur les farines animales, que vous êtes à la Direction Générale de l'Alimentation, Sous-direction de l'Hygiène des Aliments, Bureau des Matières Premières.

Etant auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, vous devez témoigner sous serment. Pour ce faire, je vous relirai la note que je dois vous lire et je vous ferai prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Kerveillant.

M. le Président - Merci.

Dans un premier temps, vous nous décrirez ce que vous connaissez de ce problème des farines animales et de ce qui se passe -ou de ce qui s'est passé- au niveau du problème de l'alimentation. Ensuite, nos collègues vous poseront les questions qu'ils jugeront utiles.

M. Jean-Yves Kerveillant - Merci, Monsieur le Président.

Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, je travaille aux Services vétérinaires. Je suis entré dans l'Administration en 1985. J'ai entamé ma carrière dans les Services vétérinaires du Val-de-Marne à Rungis où je suis passé par tous les postes des chaînes alimentaires.

Nous avions à l'époque un très important bureau de douane, le bureau de Rungis, couplé à un autre, le bureau d'Orly. J'en ai assuré la responsabilité pendant environ une dizaine d'années, car j'ai quitté ce Service en 1995. J'avais également sous ma responsabilité tout ce qui était denrées animales et d'origine animale, présentées à la vente sur le marché de l'international de Rungis avec des quantités très importantes de viandes d'animaux de boucherie et, notamment, de viandes bovines, ovines et caprines importées des Etats membres et des Pays tiers jusqu'en 1993 et ensuite échangées à partir du 1er janvier 1993.

A partir de 1995, j'ai quitté ce Service pour rejoindre la Direction Générale de l'Alimentation où je suis en charge du Bureau des Matières Premières (qui ne s'appelait pas ainsi à l'époque) qui regroupe les mêmes attributions.

Dans ce Bureau, je suis en charge de toute la réglementation relative à l'agrément et aux conditions d'installation de fonctionnement et d'inspection sanitaire des viandes d'animaux de boucherie, volaille, lapin et gibier.

Depuis le 20 mars 1996, où cette maladie de l'encéphalopathie spongiforme bovine est devenue un véritable problème de santé publique, j'ai eu à suivre toutes les évolutions réglementaires au regard des modifications de la liste des matériels à risques spécifiés.

Figurait également dans mes attributions au début de la crise, le problème de l'équarrissage. Cela s'arrêtait à l'élaboration des farines animales à partir des matières premières collectées dans les abattoirs et les ateliers de découpage et, à partir de 1998, compte tenu de l'ampleur que prenait ce problème et de la charge pesant sur le Service dans lequel je me trouvais, il a été décidé de regrouper à la Direction Générale de l'Alimentation l'ensemble des problèmes équarrissage et alimentation animale dans un autre bureau à la tête duquel se trouvait jusqu'à présent Bénédicte Herbinet que vous avez rencontrée puisqu'elle accompagnait la Directrice Générale de l'Alimentation au cours de son audition.

Je m'occupe des problèmes liés au retrait des matériels à risques spécifiés au sein des abattoirs. J'ai participé à tous les débats depuis 1996 sur ce sujet et j'ai travaillé jusqu'en 1998, à savoir la date d'entrée en application du traitement 133°/20 minutes/3 bars à toutes les farines valorisées en alimentation animale. J'ai également travaillé avec un autre collègue sur le secteur de l'équarrissage sur lequel j'étais moins impliqué que je ne le suis sur le problème du retrait des matériels à risques spécifiés.

Dans le travail que j'avais à effectuer sur la première partie de ma carrière, j'ai eu beaucoup à m'occuper de tout ce qui était produits entrés du Royaume-Uni et, sur la période précédant mon arrivée à la Direction Générale de l'Alimentation, il est vrai que l'encéphalopathie spongiforme bovine n'était pas aux yeux d'un agent présent sur le terrain et compte tenu des informations en notre possession, un problème majeur de santé publique pour les personnes qui, comme moi, étaient sur le terrain.

J'ai été sensibilisé par la presse professionnelle, notamment par certains articles publiés dans la Semaine vétérinaire ou la Dépêche vétérinaire qui faisaient que j'avais quelques notions de ce qui se passait au Royaume-Uni et j'ai été à l'origine, en 1990, d'un renforcement du dispositif français au regard du contrôle que nous réalisions à l'époque à l'importation, notamment du Royaume-Uni, pour tout ce qui était matériels à risques spécifiés, intitulés à l'époque « abats à risques spécifiés ».

Suite à un contrôle que j'avais effectué chez un grossiste du marché de Rungis, mes collègues ont pris un avis aux importateurs interdisant l'introduction sur le territoire français de tout ce qui était abats à risques spécifiés bovins, dès le mois de février 1990 car, au cours du contrôle que j'avais effectué, je m'étais rendu compte que les Britanniques ne respectaient pas leur engagement au niveau communautaire, à savoir d'interdire la sortie de leur territoire des abats qu'ils s'interdisaient eux-mêmes pour leur consommation.

J'avais trouvé des têtes entières de bovins -renfermant la cervelle- destinées à la consommation humaine et distribuées par un grossiste du marché de Rungis.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Avez-vous des pièces relatant vos interrogations et vos suspicions ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La seule pièce administrative que j'ai retrouvée est une note d'information sur l'encéphalopathie spongiforme bovine datée de février 1990 et rédigée à l'époque par une collègue qui travaillait au Bureau de l'Epidémiologie générale et opérationnelle, qui donne les premières informations sur l'encéphalopathie spongiforme bovine. Sont précisées à la fin du document les constatations qui avaient été faites et les modifications réglementaires qui avaient été apportées.

C'est le seul document de cette époque que j'ai retrouvé.

C'était la période antérieure à 1993, car je distinguerai le travail que j'ai effectué dans un premier temps dans le Val-de-Marne en deux périodes : la période antérieure à 1993 et la période postérieure à 1993. Pourquoi ce distinguo ? Avant le 1er janvier 1993, toutes les introductions sur le territoire français étaient des importations.

Nous avions un contrôle sur les camions -même s'il était souvent relativement succinct- et tout au moins la totalité des camions était ouverte par mes collègues à l'introduction sur le territoire national. A partir du 1er janvier 1993, le marché unique a été mis en place dans la précipitation et les contrôles que nous avons pu effectuer postérieurement sur ce marché de Rungis pour vérifier la bonne application des dispositions communautaires en vigueur sur l'encéphalopathie spongiforme bovine, ont démontré que les Britanniques ne respectaient pas ce texte, puisque les documents qui devaient accompagner les carcasses (dont vous savez qu'il existait 2 catégories : originaires d'élevages dans lesquels peu de cas d'ESB avaient été déclarés et celles originaires d'établissements d'élevage dans lesquels des cas avaient été déclarés et qui devaient subir un désossage complet avec retrait de tous les tissus nerveux et ganglions lymphatiques apparents) n'étaient pas respectés et plusieurs rappels à l'ordre ont été nécessaires. Le travail était beaucoup plus difficile, car nous étions alors dans une phase où il n'existait pas de contrôles systématiques. Nous devions travailler en application d'une directive communautaire (la 89-662) prévoyant des contrôles aléatoires par sondage de façon non discriminatoire.

M. le Rapporteur - Vous dénoncez cette situation à partir de 1993. A partir de quelle date estimez-vous que les Anglais ont respecté leurs obligations sur cette viande désossée et non désossée ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Vous me posez une question « piège », car je ne peux pas vous répondre. Sur ce que je connais, j'ai constaté des anomalies antérieurement. Nous les avons rectifiées par un avis aux importateurs qui a permis de recadrer la situation et cela a été l'occasion pour l'Administration centrale d'envoyer un document d'information aux services, qui les a sensibilisés à partir de 1990. A partir de 1993, des dérives ont eu lieu à nouveau, car ces contrôles systématiques n'étaient plus effectués.

M. le Président - Compte tenu que vous procédiez à quelques contrôles aléatoires de temps à autres, pensez-vous que cela ait pu continuer longtemps ?

M. Jean-Yves Kerveillant - En effectuant des contrôles aléatoires, surtout sur un marché comme celui sur lequel j'ai travaillé pendant 10 ans, j'ai relevé des anomalies concernant les Britanniques et tout le monde. Dès que vous interdisez quelque chose, certains opérateurs cherchent toujours à contourner la réglementation. Par exemple, l'importation des ris de jeune bétail des Etats-Unis est interdite en raison de problèmes liés à l'utilisation des hormones. Ces ris sont exportés en Yougoslavie, déconditionnés et reconditionnés pour arriver en France.

Il s'agissait de toutes les façons d'un travail demandant une attention de tous les jours supposant d'être bien impliqué et introduit auprès des opérateurs. J'y ai passé un certain temps, ce qui m'a permis de comprendre les mécanismes et d'enrayer ce type de fraude.

Ensuite, j'ai travaillé à la Direction Générale de l'Alimentation. J'ai visionné la cassette de l'audition de ma Directrice Générale et j'ai travaillé principalement sur tout ce qui touche au retrait des matériels à risques spécifiés et aux modifications de la réglementation sanitaire, notamment l'arrêté du 17 mars 1992 sur les abattoirs et l'article 31-P que je connais par coeur, car il a changé plus d'une dizaine de fois depuis 1996 suite notamment aux avis du Comité Dormont, du Comité Français sur l'Encéphalopathie spongiforme transmissible et du Comité Scientifique Directeur, nous-mêmes ayant apporté quelques modifications sans attendre des avis.

Je me tiens à votre disposition pour répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

M. le Président - Vous confirmez que des importations d'abats britanniques ont eu lieu dans des quantités importantes malgré l'interdiction.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je confirme qu'il y a sans doute eu des importations de matériels à risques spécifiés interdits de commercialisation sur le territoire britannique ; je n'ai pas dit en quantités importantes, mais que j'ai constaté personnellement des anomalies sur le marché de Rungis qui ont donné lieu à des mesures correctives quand j'ai transmis cette information à mes collègues ; cela a été effectué très rapidement.

M. le Président - Quand vous effectuez un contrôle, vous établissez un bordereau, presque un procès-verbal, pour signifier cette affaire. Auriez-vous des exemplaires à nous communiquer ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non, compte tenu que j'ai quitté ce département, je n'ai plus accès aux documents.

M. le Président - Normalement, cela peut se retrouver.

M. Jean-Yves Kerveillant - De nombreux déménagements et changements dans ce Service ayant eu lieu, ce sera difficile à retrouver. La seule trace écrite figure dans le document que je vous ai indiqué : « Après la découverte à Rungis d'abats de bovins interdits au Royaume-Uni en provenance d `Ecosse, des mesures d'interdiction d'importation en France concernant ces abats ont été prises par l'avis aux importateurs de viande et d'abats de bovins en provenance de certains pays de la Communauté Européenne, publié au J.O. R F du 17 février 1990 ».

M. le Président - C'était pour avoir des documents précis démontrant clairement, à la suite des contrôles que vous avez effectués, que vous avez décelé un certain nombre de cas.

M. Jean-Yves Kerveillant - Cela s'est traduit dans le cas présent par une saisie des produits, par une lettre d'information à la Direction de la Qualité et par une prise de mesures. Je n'ai pas retrouvé cela dans les dossiers que j'ai eus à traiter sur l'ESB avant 1996.

M. le Rapporteur - Concernant les abats, confirmez-vous les chiffres qui nous ont été livrés par Mme Brugère-Picoux lors de son audition, à savoir que dans la période 1978-1987 la France a importé 3 180 tonnes d'abats ? Ensuite, dans les 9 ans qui ont suivi (1987-1996), nous sommes montés à plus de 47 000 tonnes.

Ils sont majoritairement passés par Rungis. Confirmez-vous ces tonnages ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Compte tenu que je n'ai pas de données chiffrées, je pense que ces donnés ont été extraites des statistiques qui ont pu être fournies par la douane, mais je crois que c'est de ces ordres-là. La douane et les Services de la Direction Générale des Droits indirects ont établi des statistiques dont j'ai été destinataire sur la partie abats et sur la partie carcasses. J'ai des souvenirs des tonnages de carcasses mais pas de ceux concernant les abats.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous produire un document faisant état de ces tonnages ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non. Je ne disposais pas des tonnages. Tous ces chiffres sont disponibles auprès de la Semaris (la Société d'Exploitation du Marché de Rungis) qui établit des statistiques d'entrées de matières sur le marché ; il existait des statistiques annuelles avec les origines pays par pays, quand les pays avaient une importance.

M. le Rapporteur - Vous nous conseillez de nous adresser à la Semaris pour obtenir ces documents.

M. Jean-Yves Kerveillant - Elle devrait être à même de vous fournir des éléments sur les volumes commercialisés sur les marchés de Rungis et les origines de ces denrées, puisqu'elle tenait à jour des statistiques annuelles ; tous les ans, je recevais les statistiques des quantités.

M. le Rapporteur - Nous adressons-nous au Directeur de la Semmaris ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui.

M. le Rapporteur - Avez-vous une idée de la ventilation de ces types d'abats et de leur destination sur marché français ?

Quels types d'abats étaient-ils importés régulièrement en France et quelles étaient leurs destinations ? Alimentation animale, humaine, cosmétologie ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La France a toujours été un très grand consommateur d'abats.

M. le Rapporteur - Je me permets de revenir sur les 2 périodes : à partir de 1987-1988, quand on passe de 3 000 tonnes à 47 000 tonnes ; c'est troublant.

M. Jean-Yves Kerveillant - Il faudrait regarder ces chiffres par rapport aux tonnages globaux commercialisés.

M. le Rapporteur - La France, à partir de cette date, a dû changer de fournisseur. L'Angleterre a mis sur le marché des abats à des prix séduisants pour les importateurs. Cela ne peut s'expliquer qu'ainsi.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je n'ai pas de données chiffrées.

M. le Rapporteur - Le Directeur de la Semmaris pourrait-il nous renseigner ? Avez-vous son nom ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui. Il s'agit de M. Marc Spielrein, le Président.

M. le Rapporteur - Nous nous rapprocherons donc de M. Spielrein.

M. Jean-Yves Kerveillant - A Rungis, la Société Mecarungis est en charge de la facturation et pourra vous fournir l'évolution des prix. J'ignore jusqu'à quelle date ils peuvent remonter dans leurs archives, mais ils devraient être à même de vous indiquer les statistiques en volume par origine et par nature, à savoir la qualité des produits introduits.

M. le Rapporteur - Vous confirmez, en restant sur cette problématique abats, qu'ils étaient interdits en Grande-Bretagne à partir du 23 octobre 1989.

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui.

M. le Rapporteur - Ils ont été mis massivement sur le marché à des prix sans doute intéressants, car ils ont été importés massivement jusqu'en 1996 en France.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avons continué à importer des abats du Royaume-Uni qui n'étaient pas forcément interdits car nous les avions à l'oeil. Le marché de RUNGIS était le plus grand marché par lequel passait la plus grande partie des abats, car tous les intermédiaires se trouvent sur Rungis et après avoir mis en oeuvre les mesures d'interdiction et les avoir rappelées, nous avons regardé de plus près ce qui entrait sur le territoire national.

Les abats interdits concernent : la cervelle, la moelle épinière, les yeux, la rate, le thymus, et les intestins. Ceux qui étaient importés concernaient principalement des cervelles, la France étant une grande consommatrice de cervelles. Les concernant, nous n'avons plus rien noté après les interdictions réelles. En revanche, nous recevions du coeur, du foie et de la langue. Ces morceaux n'ont jamais présenté au regard de l'ESB un risque quelconque.

M. le Rapporteur - Avez-vous saisi, au-delà des périodes d'interdiction, des lots qui ne devaient pas entrer sur le marché national ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non. Je m'étais chargé de faire une bonne information auprès de tous les grossistes. J'étais bien introduit auprès de tous les professionnels et je passais par l'intermédiaire des fédérations de façon à les sensibiliser aux mesures qui devaient être prises et leur rappeler la réglementation en la matière.

Je ne pense pas que l'opérateur dont je parlais avait agi de mauvaise foi. Il s'agissait de quelques têtes de bovins qu'il faisait venir d'un fournisseur britannique et ce n'était pas là-dessus qu'il devait tirer des profits considérables.

M. le Rapporteur - Pourrons-nous avoir les noms des principaux importateurs français ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Vous aurez le nom des entreprises dont certaines étaient spécialisées en viande anglaise. Des opérateurs travaillaient des viandes d'origine française, d'autres de la viande anglaise à 100 %. Ils ont déposé le bilan en 1996 dès le 20 mars, puisque tous leurs approvisionnements ont été arrêtés. Vous retrouverez auprès d'un syndicat professionnel l'un des opérateurs qui était à l'époque le premier en termes d'importation de viande anglaise.

M. le Rapporteur - L'importation de cervelles dont la France était friande était-elle pour la consommation en l'état ou pour servir de liant ? Quelle était l'utilisation des cervelles ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Elles étaient commercialisées par les tripiers, nombreux en région parisienne. Les opérateurs faisait venir sur le FFMIN de Rungis des têtes entières sur lesquelles ils récupéraient la cervelle, la langue et les joues et toute la main d'oeuvre était payée à l'époque par la commercialisation de l'os qui entrait dans les circuits de la gélatine, entre autres.

Pour eux, c'était une opération assez rentable. Ils vendaient ces articles pour une consommation en l'état et non pas pour une consommation de ce que l'on a pu rencontrer éventuellement comme liant dans les steaks hachés. Elles étaient également utilisées dans tout ce qui était bouchées à la reine mais, à Rungis, les produits qui partaient étaient pour une consommation en l'état.

M. le Rapporteur - Quelle est la date d'interdiction en France des matériaux à risques spécifiés britanniques dans l'alimentation humaine ? S'agit-il bien de février 1990 ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Le texte communautaire date d'octobre 1989. En principe les Anglais auraient dû s'abstenir d'exporter ces matériels et, à l'époque, nous leur avions fait confiance. Il n'avait pas été introduit dans le droit national une obligation ou une interdiction quelconque. Ce n'est qu'à partir du contrôle effectué sur le terrain que nous avons pris une mesure et un avis aux importateurs interdisant l'introduction sur le territoire. Entre octobre 1989 et février 1990, pendant cette courte période de battement, certains produits ont pu continuer à entrer. Je l'ai constaté une fois. Je suis très prudent.

M. le Rapporteur - Y a-t-il eu possibilité de trafics d'abats britanniques à partir d'autres Etats communautaires comme la Belgique, la Hollande ou l'Irlande ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Pas à ma connaissance. Personnellement, je n'ai rien constaté.

M. le Rapporteur - Ne trouvez-vous pas curieux que l'interdiction générale des matériels à risques spécifiés dans l'alimentation humaine ne soit intervenue qu'à partir du 4 avril 1996 ?

M. Jean-Yves Kerveillant - A partir du 12 avril 1996.

C'est le premier arrêté français qui a été pris. Je vous l'ai expliqué en préambule. J'étais sur le terrain et l'ESB n'était pas un problème de santé publique. Le problème était traité par la Sous-Direction de la Santé et de la Protection animale jusqu'en 1996. Sur la période octobre 1995-mars 1996 qui sont les 6 premiers mois de travail au niveau central, nous n'avions jamais eu à traiter de l'encéphalopathie spongiforme au sein du bureau. Après cette date, j'étais en pointe sur ce dossier.

M. le Rapporteur - Concernant les carcasses, nous avons évoqué l'embargo français qui a été déterminé en mai 1990 sur les viandes britanniques et levé le 7 juin, sous condition suspensive, à savoir que l'on ait des carcasses provenant d'exploitations britanniques exempte d'ESB depuis moins de 6 ans et, en l'occurrence, dans le cas contraire, on avait le droit d'importer de la viande désossée.

Or, nous nous apercevons que 5 années plus tard, en 1995, la Commission Européenne fait obligation au Royaume-Uni, au travers d'une directive, d'une application en droit national d'une identification de leur cheptel bovin.

Ce différentiel de 5 ans ne vous a-t-il pas là aussi troublé ? En avez-vous eu connaissance ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Personnellement, à l'époque, je le répète, j'étais sur le terrain en hygiène alimentaire et, pendant cette période, je n'ai pas suivi tout ce qui se tramait au niveau communautaire. J'ai pu savoir par la suite que la Commission n'a pas beaucoup oeuvré pour faire avancer ce dossier.

M. le Rapporteur - Vous confirmez que, sur le territoire national, la Commission européenne n'a pas beaucoup oeuvré à cette époque.

M. Jean-Yves Kerveillant - Peu d'actions ont été menées et, sur la période 1996 jusqu'aux mesures prises récemment, il a fallu forcer la main à la Commission pour qu'elle prenne des mesures draconiennes, même au plan communautaire, pour tous les Etats membres. Il a fallu attendre la décision 2418, entrée en application au 1 er octobre 2000, pour voir un retrait uniforme sur l'ensemble du territoire communautaire des matériels à risques spécifiés, alors qu'auparavant nous avions travaillé sur une décision 97-534 avec d'interminables discussions pour faire avancer ce dossier.

M. le Rapporteur - Sur ces carcasses de bovins britanniques importées en France, que devenaient ce que l'on appelle les matériaux à risques spécifiés ? A Rungis, vous aviez des carcasses entières.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avions des carcasses présentées selon la présentation traditionnelle, en quartiers soit des avants, soit des arrières, avant coupé droit 5 côtes ou arrière coupé droit 8 côtes ou avant caparaçon et arrière traité à 8 côtes. Il restait toute la partie vertébrale avec éventuellement de petits résidus de moelle épinière. Cela partait dans le circuit équarrissage ou valorisation alimentation animale.

M. le Rapporteur - Il n'y avait pas de moelle.

M. Jean-Yves Kerveillant - Nous avions également regardé ce point sur le FFMIN de Rungis de façon à faire en sorte que les opérateurs s'interdisent toute introduction sur le territoire national de carcasses qui n'avaient pas été correctement démodulées.

M. le Président - Parmi les bovins de plus de 30 mois, comment sont choisis ceux bénéficiant de tests à l'entrée des abattoirs et ceux qui, au contraire, sont retirés de la chaîne alimentaire ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Sur le terrain, ce n'est pas le Service vétérinaire qui décide. Il applique la réglementation, à savoir que tout animal de plus de 30 mois destiné à la consommation humaine doit faire l'objet d'un test. On lui présente des animaux à l'abattoir en indiquant que cet animal est destiné à la consommation humaine et, dans ce cas, dans les abattoirs, des séquences d'abattage sont préparées pour les animaux de plus de 30 mois sur lesquels sera systématiquement réalisé le test.

Conjointement, on réalise des séquences d'abattage sous le contrôle de l'OFIVAL pour tous les bovins de plus de 30 mois qui ne subissent pas le test et pour lesquels aucune valorisation dans le circuit de l'alimentation humaine et animale n'est autorisée, mise à part la récupération des cuirs à des fins techniques.

Ce sont des séquences d'abattage distinctes, mais nous pouvons avoir des animaux très bien conformés qui, en fonction de la demande, dans la plupart des cas n'entrent plus dans le circuit de l'alimentation humaine aujourd'hui. Cela peut paraître choquant quand on le voit.

M. Georges Gruillot - Concernant les farines animales, vous nous avez dit que vous aviez été responsable de ce secteur jusqu'à une certaine période de votre exercice. Avant la norme 133°/3 bars/20 minutes, que se pratiquait-il sur le traitement des farines animales en France et quels étaient vos moyens de contrôle et des contrôles existaient-ils réellement ?

M. Jean-Yves Kerveillant - La directive communautaire 90-667 fixe les conditions de production des farines animales. Elle classe les produits en 2 catégories: les matières à haut risque, susceptibles de présenter un danger pour la santé des animaux et devant subir un traitement permettant d'éliminer tout risque pour la santé des animaux susceptibles de consommer ces farines. C'est le traitement 133°/20 minutes/3 bars ou traitement alternatif, imposé par la directive 96-667. Il impose non pas l'élimination du prion de l'ESB ou de la Tremblante, mais uniquement la destruction des spores de clostrium perfringens .

Pour ces matières à haut risque, il existait une obligation de moyens en termes de traitement thermique appliqué et une obligation de résultats en termes de critères microbiologiques auxquels sont soumis les produits élaborés à partir des matières premières en cause.

Les matières à faible risque ne présentent pas de risques particuliers pour la santé des animaux. Dans ce cas, il n'existe pas d'obligation de moyens en termes de traitement mais uniquement des obligations de résultats (absence de salmonella), ce que vous retrouvez dans la directive communautaire. Cela a été transposé en droit national par un arrêté du 30 décembre 1991.

A partir de là, il y a eu en 1992 une décision communautaire sur les traitements alternatifs et ce n'est qu'en 1994 que l'on commence à parler de certaines obligations au regard du risque nouveau présenté par l'encéphalopathie spongiforme bovine.

La Commission définit des paramètres qui sont des traitements permettant d'apporter une garantie suffisante au regard du risque du prion de l'ESB avec des obligations en termes de moyens pour atteindre l'objectif « plus de risques » au regard de l'ESB.

Ensuite, vous avez la décision 96-449 qui impose le traitement unique 133°/20 minutes/3 bars. Pourquoi être passé de la décision 94-382 (133°/20 minutes/3 bars et traitement alternatif à la décision unique 96-449 ? Parce que les scientifiques ont fait savoir à la Commission que le seul traitement susceptible d'apporter des garanties tant au regard du prion de l'ESB que de celui de la Tremblante était le traitement 133°/20 minutes/3 bars.

En France, il n'a pas été mis en oeuvre immédiatement pour apporter la sécurité. Mais dès le 28 juin 1996, faisant suite à un avis de notre Comité français sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles, a été mis en oeuvre un tri des matières de façon à éliminer toutes les matières à haut risque des circuits de l'alimentation animale. Ces matières à haut risque sont les cadavres, les saisies sanitaires et les matériels à risques spécifiés de l'époque, dont les matériels à risques spécifiés de premier rang que sont la cervelle et la moelle épinière présentant le risque le plus grand au regard de l'ESB.

Sur la base d'un avis du Comité Dormont, postérieur à la date du 28 juin 1996, nous n'avons jamais mis en place ce traitement 133°/20 minutes/3bars, considérant que la sécurité était apportée par le tri des matières premières et ce n'est qu'en février 1998 que nous l'avons mis en place, suite aux pressions de la Commission.

Nous avons alors décidé, en plus du tri des matières premières, d'assurer le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Cette décision faisait suite également à une meilleure connaissance des risques éventuels de contamination croisée que l'on pouvait avoir au cours des utilisations des farines utilisées dans l'alimentation des animaux autres que ruminants.

M. Georges Gruillot - Avez-vous des moyens de contrôle et ont-ils été exercés dans les usines ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Des contrôles étaient exercés dans les usines, mais pas ceux que nous sommes amenés à y exercer aujourd'hui. Si vous regardez la chronologie dans les instructions qui ont été données, la première dans laquelle est imposée réellement une fréquence des contrôles remonte à mars 1998 où est demandé un contrôle systématique tous les 15 jours dans les usines élaborant des farines animales destinées à l'alimentation animale.

M. Georges Gruillot - Avant cette date, il n'existe donc aucune certitude concernant l'application des mesures.

M. Jean-Yves Kerveillant - Des contrôles étaient effectués, mais pas de façon aussi stricte que ceux opérés à compter de mars 1998.

M. le Rapporteur - Ce nouveau process de fabrication des farines animales venues d'Angleterre mettant en place les fameux 3 critères 133°/ 20 minutes/3 bars provient d'un brevet américain, comme j'ai pu le lire. Avez-vous connaissance de la manière dont sont fabriquées les farines animales aux Etats-Unis et de leur éventuelle utilisation dans l'alimentation animale dans ce pays ?

M. Jean-Yves Kerveillant - J'ai eu l'occasion en 1999 de visiter des abattoirs avec, annexés à ces abattoirs, des usines d'élaboration de farines animales. Malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de parler avec les professionnels des conditions de mise en oeuvre des traitements et, quand j'ai eu l'occasion de les observer, ce n'était pas le traitement 133°/20 minutes/3 bars. Tout dépendait de la nature de la matière première utilisée. Un traitement était appliqué dans le but d'obtenir un produit d'une qualité donnée, plutôt que par rapport à une sécurité sanitaire.

M. le Rapporteur - Vous rappelez-vous de la date de votre présence aux Etats-Unis ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Juillet 1999.

M. le Rapporteur - Estimez-vous, en tant que professionnel, que ce que vous avait vu là-bas ne vous laissait pas supposer que ces 3 critères étaient utilisés ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Non.

M. le Rapporteur - Les farines de viande sont-elles utilisées dans l'alimentation animale aux Etats-Unis ?

M. Jean-Yves Kerveillant - Oui. Aujourd'hui encore.

M. Georges Gruillot - Le problème de l'équarrissage : entre le bas risque et le haut risque dans la même usine comment faire la distinction ? Est-il possible d'assurer un suivi dont on soit certain ? Nous sommes nous-mêmes a priori certains que tout cela se mélangeait gaillardement.

M. Jean-Yves Kerveillant - Il faut faire la distinction entre avant et après 1996. Avant 1996, quand il y avait mélange, l'usine était classée haut risque et appliquait le traitement haut risque pour tout le monde.

Après 1996, nous avons été amenés à assurer le tri des matières premières avec tout ce qui entrait dans le service public de l'équarrissage. Cela a été mis en place réellement par la loi de fin décembre 1996, entrée en application le 1erjanvier 1997 mais, entre le 1er juillet 1996 et le 31 décembre 1996, nous avions mis ce tri en place. Il a fallu un certain temps pour organiser cette collecte séparée et cette transformation séparée.

Dans un premier temps, nous avons dû accepter que les farines à haut risque et celles à faible risque soient élaborées dans les mêmes usines. Dorénavant tous les sites élaborant des matières à haut risque entrant dans le cadre du service public de l'équarrissage sont des sites dédiés dans lesquels vous n'avez plus que cette activité. Au départ, il n'a pas été facile de mettre en place ce tri puisqu'il a fallu spécialiser des unités.

M. le Président - Nous vous remercions d'avoir témoigné et de nous avoir apporté des renseignements très importants et très précis, ce qui est tout à fait précieux nous concernant. Merci de votre intervention. Je pense que vous nous laisserez quelques documents.

M. Jean-Yves Kerveillant - Je vous remets une note d'information sur l'encéphalopathie spongiforme bovine, la première note de synthèse faite à l'intention de nos collègues et qui m'avait marqué, car je trouvais qu'elle était bien faite et représentait une bonne synthèse pour les agents. Je peux laisser pour votre collègue un document qui lui permettra de faire la différence entre les matières à haut risque et les matières à faible risque.

J'ai le document de 1998 si vous avez la possibilité de faire une copie. Je peux également vous remettre des tableaux sur les obligations de traitement des matériels à risques spécifiés et des matières à faible risque, qui vous permettra de mieux appréhender nos difficultés à mettre en place ces textes.

M. le Président - Merci beaucoup.

Audition de M. Jean-François GROLLIER,
Vice-président en charge de la direction générale de la recherche
et du développement du groupe l'Oréal
et de M. Giorgio GALLI,
Directeur de la communication et des relations extérieures

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci Messieurs d'être présents. Je rappelle que vous êtes M. Giorgio Galli, Directeur de la Communication et des Relations extérieures et M. Jean-François Grollier, Vice-président de la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et Président du Comité de coordination des Associations spécialisées.

Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous savez que vous êtes entendus dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner après avoir prêté serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Grollier et Galli.

M. le Président - Je vous remercie.

La cosmétologie en général peut paraître éloignée des farines animales proprement dites, mais les missions de la commission d'enquête sont élargies en dehors des farines animales, et il s'agit également de l'utilisation en cosmétologie de tous les produits utilisés à partir des animaux abattus dont sont issus les différents sous-produits ou produits de transformation. C'est pourquoi nous vous poserons des questions sur leur utilisation.

Je crois que dans un premier temps vous pouvez nous faire une brève présentation de tous ces éléments et nous donner votre avis sur ces problèmes. Ensuite, l'ensemble de nos collègues posera les questions qu'ils jugeront utile.

M. Giorgio Galli - Mesdames et Messieurs les sénateurs, vous avez souhaité entendre le Groupe L'Oréal sur la question de l'ESB.

Je suis Giorgio Galli, Directeur Général de la Communication et des Relations extérieures et je représente, avec M. Jean-François Grollier, Vice-Président en charge de la Direction Générale de la Recherche et du Développement, le Groupe L'Oréal.

Je souhaite porter à votre connaissance l'historique de l'attitude de notre Groupe concernant la question de l'ESB.

Aujourd'hui, en France, les formules issues de nos laboratoires ne contiennent ni extraits ni dérivés des classes I, II et III de l'OMS ni suif ni gélatine en tant que tels.

Seuls subsistent quelques ingrédients dérivés de suif, de collagène ou de lait, pour lesquels nous possédons les garanties de provenance ou de procédés. Ils sont par ailleurs en voie de suppression.

Cette situation présente découle de l'historique que je vous détaillerai.

Notre Groupe a développé de longue date une éthique et une politique de protection des consommateurs très rigoureuse. Dans ce cadre, il exerce en permanence une veille attentive sur toutes les questions qui peuvent se poser au sujet de la sécurité de ses produits et des ingrédients qui entrent dans leur composition.

Cette vigilance s'est appliquée concernant l'ESB et s'est traduite par une attitude d'anticipation et de précaution active qui a été précoce et s'est poursuivie au fils des années et jusqu'à nos jours.

Au début de l'épizootie d'ESB qui s'est produite au milieu des années 80 au Royaume-Uni, personne n'imaginait qu'elle pourrait présenter un risque éventuel pour la santé humaine. A cette époque, les ingrédients d'origine animale étaient largement utilisés par plusieurs secteurs industriels et, en premier lieu, dans le domaine agroalimentaire.

Dès l'émergence en 1990 des premières informations scientifiques sur les risques potentiels liés à l'épizootie de l'ESB en Grande-Bretagne, le Groupe L'Oréal s'est mobilisé. Lors de l'apparition de cas sporadiques d'ESB en France en 1991, la question d'un risque éventuel pour la santé humaine s'est imposée à notre Groupe. Nous avons contacté des experts français en matière d'encéphalopathie spongiforme, dont le Professeur Jeanne Brugère-Picoux, de façon à comprendre la nature et les causes de l'ESB, ainsi que les risques éventuels liés à l'utilisation des extraits bovins.

Les conclusions ont été rassurantes. Le franchissement de la barrière d'espèce paraissait peu probable et l'utilisation d'extraits bovins en cosmétique présentaient infiniment moins de risques qu'en alimentaire.

Mais nous ne sommes pas contentés d'examiner des hypothèses. En même temps, nous avons demandé à nos laboratoires de ne plus utiliser dans les nouvelles formules les ingrédients dérivés d'organes et de tissus que l'OMS décrira quelques mois plus tard comme pouvant présenter le plus haut niveau de risque potentiel en les situant en classe I et II.

De la part d'un industriel de la cosmétique, cette mesure représentait alors réellement une mesure de précaution.

En effet, il convient de rappeler que le risque qui pouvait être évoqué par certains début 1991 était un risque théorique de transmission par voie alimentaire et que les produits cosmétiques sont appliquées par voie topique et ne sont pas destinés à être ingérés.

Aucune étude n'a d'ailleurs montré à ce jour la possibilité de transmission de l'agent du prion par la voie cutanée.

Deux renforcements de cette première précaution sont intervenus peu après.

Au deuxième trimestre 1991, nous avons demandé à un expert vétérinaire d'évaluer chez nos principaux fournisseurs d'extraits biologiques bovins le risque ESB depuis la récolte des organes jusqu'à l'obtention des extraits. Il a été rassurant sur la source des ingrédients mais, pour aller plus loin, nous avons demandé à nos fournisseurs, au troisième trimestre 1991, de nous fournir pour chaque livraison :

- à un certificat d'origine garantissant la provenance de pays hors de l'épizootie d'ESB,

- à un certificat vétérinaire prouvant que les bovins étaient aptes à la consommation humaine

- à un certificat mentionnant le respect des procédés de fabrication garantissant la qualité des extraits fournis et ceci pour toutes les matières premières d'origine bovine à l `exception des dérivés de la classe IV de l'OMS.

L'étape suivante, pour notre Groupe, a été la conséquence du rapport publié en novembre 1991 par l'OMS. Ce rapport, qui s'appuyait sur les résultats d'études faites sur la tremblante du mouton, décrivait les procédés d'inactivation du prion et les organes et tissus à risques selon une répartition en quatre classes.

La classe IV mentionnait les tissus pour lesquels il n'avait pas été trouvé d'infectiosité, tel que le lait.

Quant à la peau, aux poils et au suif -qui sont des tissus classiques pour l'obtention d'ingrédients cosmétiques-, ils n'étaient pas mentionnés dans cette classe IV, car ils auraient dû faire partie d'une autre classe présentant un niveau de risque encore bien inférieur.

Suite à ce rapport, nous avons établi début 1992, toujours par souci de précaution et d'anticipation, un plan de reformulation de nos produits pour substituer dans toutes les formules concernées, la totalité des matières premières dérivées des classes I, II et III décrites par l'OMS.

Ce très grand travail de reformulation a été effectué entre 1992 et 1995.

A signaler également qu'en novembre 1992 le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France a rendu un avis recommandant à l'Industrie cosmétique de s'approvisionner dans des pays exempts d'épizootie d'ESB pour les produits des classes I, II et III.

Dans les cas où cette garantie n'existait pas il fallait utiliser des procédés assurant l'inactivation. Nous avions donc largement anticipé cette recommandation.

Précisons que la classe IV pouvait être utilisée sans garantie d'origine.

Une autre étape importante de notre action se situe début 1996.

Toujours avec l'aide d'un expert vétérinaire, nous avons lancé chez nos fournisseurs une série d'actions pour nous assurer de la traçabilité et du respect des procédés lors de la fabrication des ingrédients d'origine bovine de classe IV que nous utilisions encore (hors dérivés de suif et de lait).

Les deux années suivantes, de 1996 à 1998, ont été marquées par une série de mesures réglementaires d'interdiction en France et en Europe ; comme je viens de vous le dire, nous avions déjà mis en pratique, pour l'essentiel, ces différentes mesures.

En août 1996, la France, dans un arrêté, a pris des mesures concernant la cosmétique. Premièrement, l'interdiction d'utilisation d'extraits d'encéphale, de moelle épinière et de globes oculaires de bovins âgés de plus de 6 mois.

Nous avions déjà mis en oeuvre cette précaution pour nos nouvelles formules depuis 1991 et, pour les produits existants, au plus tard en 1995.

Il s'agit des classes I, II et III.

Deuxièmement, l'interdiction de l'utilisation de toute matière première bovine provenant du Royaume-Uni. Nous avons demandé aux fournisseurs de nos matières premières encore d'origine bovine des certificats, lot par lot, de conformité à cet arrêté.

En janvier 1997, la directive européenne 97/1 a repris en partie l'arrêté français de 1996.

Toujours dans le même souci de précaution, nous avons lancé un plan complémentaire de reformulation au premier trimestre 1997 pour remplacer progressivement les produits d'origine bovine de la classe IV encore existants.

En mars 1998, la directive européenne 98/16 a renforcé et élargi les mesures d'interdiction et réglementé les conditions de traitement des dérivés de suif.

Cette directive a été transposée en droit français par l'arrêté du 8 avril 1998.

En résumé, depuis 10 ans, une part très importante de nos travaux de recherche a été consacrée à la substitution de matières premières d'origine bovine, de façon à ne prendre aucun risque pour la santé des consommateurs.

Nous pouvons dire que notre vigilance active et notre attitude de précaution systématique ont conduit à anticiper les réglementations et à apporter le maximum de garantie possible dans la sécurité de nos produits, en fonction des connaissances scientifiques du moment.

Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre attention.

Nous avons préparé ce texte que nous pourrons vous laisser en tant que document officiel.

M. le Président - Manifestement, vous nous dites -et c'est tout à l'honneur de votre Groupe- que vous avez pratiquement précédé à chaque fois les décisions qui ont été prises postérieurement au niveau national ou communautaire.

Pensez-vous que l'ensemble des fabricants de cosmétique a eu la même démarche ultérieurement ?

Je ne vous demande pas de délation, mais ce que vous en pensez, ce que vous estimez en tant que professionnel, ou si, à la suite des décisions et des arrêtés qui ont été pris, quelques fraudes ou quelques transgressions de la réglementation par d'autres fabricants de cosmétiques ont eu lieu.

M. Giorgio Galli - Nous n'avons pas d'éléments pour parler de fraudes à l'intérieur de l'Industrie cosmétique. Nous sommes maîtres de la politique de L'Oréal et, au niveau de la recherche, tous les pas ont été faits pour pouvoir nous situer dans une situation de sécurité par rapport à nos produits et nos consommateurs.

Pour l'avoir vécu directement, je sais qu'au niveau des associations inter-professionnelles, à chaque fois, toutes les recommandations ont été faites à l'ensemble de l'Industrie cosmétique tant au niveau européen que français.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir la liste des produits de substitution qu'au fur et à mesure vous avez utilisés dans la préparation de vos produits de cosmétologie ?

M. Giorgio Galli - M. Grollier, en charge de la Recherche, vous répondra. C'est un travail long et dense.

M. Jean-François Grollier - Comme vous l'avez vu, notre travail de reformulation a duré de 1992 à 1995. Nous avons cherché des produits permettant d'obtenir les mêmes propriétés. Nous pouvons dire que nous avons très souvent remplacé par des matières premières venant du règne végétal, les produits en provenance du règne animal.

M. Gérard César - Pour compléter la question de mon collègue, concernant le plan de reformulation que vous avez mis en place, vous avez évoqué dans votre propos des experts vétérinaires. Pourriez-vous nous préciser s'il s'agit d'un expert vétérinaire de votre propre Maison L'Oréal ou un expert indépendant agréé par les Pouvoirs Publics ?

M. Jean-François Grollier - C'est un expert indépendant, le Docteur Constantin qui aujourd'hui est en retraite et qui, à l'époque, se trouvait à Angers.

M. le Président - Vous parlez d'extraits de produits végétaux. N'y aurait-il pas eu de produits venant d'animaux marins, de poissons, en substitution des extraits bovins ou ovins ?

M. Jean-François Grollier - Nous cherchons principalement à remplacer par des matières premières d'origine chimique car, par la chimie, il est possible de fabriquer des produits, ou par des chaînes grasses par exemple en provenance de végétaux.

En particulier actuellement dans le remplacement des dérivés de suif, il est tout à fait possible de trouver dans le règne végétal, des chaînes remplaçant le suif.

M. Roland du Luart - En vous écoutant, je suis frappé par un fait au cours de ces différentes auditions : le secteur alimentaire n'a pas eu le même principe de précaution que la cosmétologie. Est-ce intuitif ? Quelle raison vous a fait agir aussi rapidement ?

Vous avez entendu parler de cette maladie et vous vous êtes dit très en amont par rapport aux autres : « Il est indispensable de prendre des principes de précaution même si, scientifiquement, il n'existe pas de risques que cela passe d'une espèce à l'autre mais nous ne voulons pas prendre de risques ». Est-ce une mesure que l'on retrouve dans votre Maison L'Oréal par rapport à certains choix de société ou aviez-vous une intuition vous faisant craindre le pire avec cette épidémie ?

M. Giorgio Galli - Cela fait partie de la politique de la Maison. Nous avons un respect et une éthique absolus par rapport aux produits que nous mettons sur le marché, et dès qu'un élément est identifié comme à risque potentiel éventuel, il est sûr que nous tentons de voir clair et que nous nous mettons dans une position qui est celle de voir comment nous pouvons protéger nos consommateurs. Nous sommes allés même au-delà de toutes les réglementations. C'est une attitude que nous pouvons attribuer spécialement à notre pensée et notre philosophie et à ce que nous souhaitons par rapport à nos consommateurs et au marché.

M. le Rapporteur - Vous avez une cellule de veille qui fonctionne en permanence pour être en alerte sur ce genre de problématiques dans la société d'inquiétude dans laquelle nous vivons.

M. Jean-François Grollier - Nous regardons tous ce qui se passe à l'extérieur. Bien avant le premier cas d'ESB en France, nous avons vu ce qui se passait en Grande-Bretagne et nous avons identifié un risque potentiel à prendre en compte immédiatement.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous nous livrer quelques autres inquiétudes que vous allez corriger, puisque vous avez une réactivité exceptionnelle, au niveau de l'alimentaire ou de l'utilisation des farines dans l'assolement ?

M. Giorgio Galli - Nous prenons des mesures au niveau de la reformulation des produits par rapport même à des dérivés de substances que l'OMS a placées en classe IV, alors qu'elles ne présentent aucun risque détectable d'infectiosité.

Nous nous mettons en position d'anticipation.

M. le Président - Il est vrai également que l'origine de la cosmétologie en général a suivi les origines ou a accompagné les progrès de la pharmacie et des médicaments. La démarche n'est pas la même entre la cosmétologie en général qui suit de très près la plupart du temps la méthodologie utilisée dans la fabrication des médicaments alors que, malheureusement, la filière d'alimentation n'a jamais suivi exactement cette démarche. C'est ce qui fait la différence.

M. Jean-François Grollier - Nous avons notre propre démarche en tant que cosmétique.

M. le Président - Aujourd'hui mais, à l'origine, c'était celle-là et c'est ce qui est différent.

M. le Rapporteur - A posteriori, ne pensez-vous pas que l'arrêté du 8 avril 1998 soit venu d'après vous un peu tard ? Aujourd'hui, cet arrêté et la liste des matériaux interdits vous donnent-ils satisfaction ? Vous êtes allés au-delà. Nous l'avons bien compris et analysé. Clairement, estimez-vous que cet arrêté de 1998 arrive un peu tard ?

M. Jean-François Grollier - Je ne peux pas juger. Il convient de resituer le risque en cosmétique par rapport aux autres. Il ne faut pas oublier que le produit est appliqué sur la peau, qu'il n'y a jamais eu la moindre étude démontrant qu'il pouvait y avoir une affection par la peau et les quelques risques potentiels qui pourraient exister ne seraient qu'avec un produit à très haut potentiel infectieux appliqué sur une grande surface de muqueuse fortement lésée, ce qui pourrait se passer dans la bouche, mais on ne met pas un produit cosmétique dans la bouche. Il faut resituer ces risques par rapport à l'alimentaire, et nous sommes aujourd'hui, en cosmétique, dans une grande sécurité.

M. Gérard César - Au niveau de l'OMS que vous avez citée plusieurs fois, est-elle dans sa définition beaucoup plus restrictive que les mesures européennes ou françaises (car vous êtes un Groupe international vendant dans le monde entier) ? Est-ce une bonne référence par rapport à l'Europe?

M. Jean-François Grollier - Nous sommes en France et nous y exprimons, mais nous appliquons nos mesures pour le monde entier.

M. Giorgio Galli - La politique en matière de recherche est une politique internationale.

M. Jean-François Grollier - Toutes les mesures prises sont appliquées en France et dans le monde entier pour qui nous fabriquons des produits.

M. le Rapporteur - Etes-vous satisfait des mesures de traçabilité permettant de suivre l'origine des produits ?

M. Jean-François Grollier - La sécurité, nous concernant, est assurée à deux niveaux : d'une part la traçabilité en demandant un certificat attestant que les bêtes ne viennent ni d'Angleterre ni du Portugal mais, concernant le suif, c'est surtout par les traitements qu'il subit à haute température par trans-estérification et saponification que nous avons les meilleures garanties.

M. le Président - Utilisez-vous toujours du suif actuellement ?

M. Jean-François Grollier - Des dérivés du suif. Actuellement, oui, quelques-uns.

M. le Président - Qui ont subi les traitements que vous venez d'énoncer.

M. Jean-François Grollier - Qui ont la double garantie au niveau de l'origine des suifs et par les traitements physico-chimiques subis.

M. le Président - Qui n'ont jamais montré jusqu'à présent ....

M. Jean-François Grollier - Les traitements figurant dans la directive 98-16 sont appliqués.

M. le Président - Merci. Je pense que nous vous avons posé toutes les questions que nous étions susceptibles de vous poser. Nous vous remercions d'avoir collaboré à notre démarche ainsi que des précisions que vous nous avez apportées.

Audition de M. Eugène SCHAEFFER, Premier vice-président de
la Fédération nationale des Syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)
et président du comité de coordination des associations spécialisées

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Messieurs, merci d'avoir répondu à notre convocation.

Je rappelle que vous êtes M. Eugène Schaeffer, Premier Vice-Président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles et Président du Comité de Coordination des Associations Spécialisées et M. Garnotel, Directeur-adjoint de la F.N.S.E.A. chargé des questions économiques et internationales.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Schaeffer et Garnotel.

M. le Président - Merci. Dans un premier temps, vous pourriez brièvement nous donner votre opinion sur le problème de l'ESB, de l'utilisation des farines animales et des conséquences qui s'en sont suivies pour le développement de l'ESB dans le troupeau français et européen.

M. Eugène Schaeffer - Merci au nom de la F.N.S.E.A. de nous auditionner, car c'est avec plaisir que nous avons répondu à votre invitation.

Rapidement, je reclasserai les affaires dans le temps et dans l'histoire. La fabrication des farines animales pour la nutrition animale par la suite n'est pas nouvelle. Elle date du siècle dernier. Elle a évolué au fur et à mesure avec une certaine législation et une certaine réglementation.

Cette fabrication que l'on peut dire de protéines animales a surtout évolué de façon importante -il faut le souligner- quand nous avons pris les décisions de fermer tous ces petits abattoirs et de concentrer tout ce qui était abattage sur des grands abattoirs.

Les Etats-Unis avaient connu cette situation dans les années 20, avec les grands abattoirs de Chigago. Les Américains nous ont transmis toutes ces méthodes de fabrication et s'est posé, dans ces grands abattoirs où les abattages avaient été concentrés suite à la fermeture des tueries particulières, le problème des déchets et de leur « valorisation ».

Il est vrai également -il faut le souligner- que les bovins et les ovins sont ceux qui laissent le plus de déchets. Dans un porc, pratiquement tout est consommé. Dans une volaille, à part les viscères et les plumes, tout est consommé également.

Aujourd'hui, avec une vache de 600 kg, 400 kg doivent être détruits parce que déjà la rentabilité du poids vif au poids mort est de 53 %. Vous vous retrouvez avec 330 kilos en carcasse, les 4 quartiers, et quand vous commencez à désosser et à enlever ce que prescrit maintenant la réglementation avec la suppression de tout ce qui est viscères, on arrive à 400 kg. A l'époque, les volumes à détruire dans les abattoirs étaient déjà importants.

A la F.N.S.E.A., nous nous étions toujours basés sur la réglementation existante concernant le système des farines carnées animales et leur emploi dans l'alimentation animale.

Une parenthèse concernant l'alimentation animale : nous avons toujours dit qu'il fallait faire attention. Dans le domaine des protéines animales ou d'origine carnée (comme on les appelait alors) nous avons clairement fait la distinction dans nos instituts de recherche, notamment pour les porcs et les volailles -et nous l'avons encore constaté ces derniers temps-, concernant l'emploi de protéines carnées ou des graisses.

Par exemple, dans l'alimentation des dindes, cela nous a posé de nombreux problèmes de qualité. Le muscle n'était pas le même. Il existe une différence entre une protéine végétale et une protéine animale et une forte différence entre une graisse animale et une graisse végétale.

La suppression que nous avons connue du jour au lendemain a posé des problèmes de qualité, au niveau des volailles notamment. Une grande variété d'oiseaux de la famille des rapaces ne se nourrissent que de viande. Leur appareil digestif fonctionne très bien pour les farines animales. Nous avons toujours fait attention et demandé de veiller à l'emploi de ces farines animales dans les porcs et les volailles. Il y a 2 ou 3 ans nous avons encore attiré l'attention du Gouvernement concernant la suppression totale des farines animales, notamment pour les volailles.

Pour le moment, nous ne nous en sortons pas mal, car nous avons réussi à trouver un certain nombre de produits en remplacement de tout ce qui est farines animales. Cela n'a pas été sans peine, il faut le dire. Nous avons connu, dans un certain nombre d'élevages, des piquages et des problèmes en raison de la disparition des farines animales.

Je me souviens des années 90 où la France a pris les premières mesures d'interdiction totale des farines animales concernant l'alimentation des bovins.

Il faut dire qu'avant 1990, j'ignore si beaucoup d'agriculteurs savaient que l'aliment qu'ils donnaient contenait des protéines ou des farines animales. Après 1990, la législation a évolué, ainsi que l'étiquetage car, d'après nous, l'étiquetage du produit par rapport à l'agriculteur et au producteur est important.

A un certain moment, il précisait « protéines animales » et a été renforcé dans les derniers temps pour indiquer : « Attention, cet aliment n'est pas fait pour des ruminants mais pour des porcs et des volailles ». Nous n'avons cessé de dire aux agriculteurs de faire attention dans l'emploi des produits.

Ensuite se sont posés les problèmes de la maladie transmise par les produits qui n'ont pas été traités convenablement par les Britanniques et de l'importation de ces produits. Je me souviens à l'époque quand nous en parlions, la Commission de Bruxelles préconisait la libre circulation : « Pas d'entrave à la libre circulation ». Plusieurs fois nous avons attiré l'attention des Pouvoirs Publics sur ce sujet.

En 1996, le débat que nous avons eu avec le ministre de l'Agriculture de l'époque était de dire : « Que fait-on ? Il faut changer la réglementation française » et, à l'époque, la réglementation de Bruxelles prescrivait le chauffage à 133°/20 minutes/3 bars.

Nous avons alors décidé, avec les Services du ministère de l'Agriculture, de prendre les devants. La France a été le premier pays à décider de n'introduire dans les fabrications de farines animales que des produits propres et notamment contrôlés par les vétérinaires à la sortie des abattoirs. Nous avons mis en place une gamme de produits à risques qui étaient à éliminer sous l'autorité des vétérinaires. Ne devaient entrer dans la fabrication que des produits propres notamment concernant les bovins. Pour les porcs et volailles, c'était différent. La législation était bien faite.

La France avait un système à double tour, tout d'abord l'élimination totale des produits à risques (les cadavres et les produits à risques sur les carcasses) et conjointement, un contrôle par les vétérinaires à la sortie des abattoirs ; ce devait être bon. Les autres pays de l'Union n'avaient adopté que le système du chauffage prescrit par l'Union Européenne et continuaient à mettre les cadavres dans les fabrications de farines de viande. J'étais assez confiant, car je pensais que la France avait un système à double tour qui devrait fonctionner.

A-t-il fonctionné ? Deux éléments sont à prendre en considération : un système d'investissements relativement importants a été mis en place dans les usines d'équarrissage et, d'après moi, comme habituellement, les investisseurs attendant les subventions publiques (qui tardent à arriver), les travaux ont été effectués en retard d'où sans doute certaines défaillances, mais encore faut-il le contrôler car je ne parle que d'éléments assez généraux. C'est le premier point. La mise en place du système et les investissements à réaliser.

Deuxième point : quand une réglementation est en place, les gouvernants, notamment le ministère de l'Agriculture et les services de l'Administration ont-ils pris tous les moyens pour l'appliquer ? Une fois édictée, il faut prendre ensuite les moyens de l'appliquer. C'est la D.G.C.C.R.F. et sous la direction des Services vétérinaires que les responsables appliquent.

J'ai été surpris quand sont sortis dans les journaux des articles concernant la fabrication des farines animales, sachant ce qui avait été mis en place en 1996 au niveau français, avec tout ce système à double tour : plus de produits à risques, plus de cadavres et, de l'autre côté, le système édicté par l'Union Européenne.

M. le Rapporteur - Estimez-vous que les Pouvoirs Publics n'ont pas exercé un certain nombre de leurs missions, à savoir n'y a-t-il pas eu des manquements de la part des Pouvoirs Publics et à quelle époque ?

M. Eugène Schaeffer - Je ne peux pas être affirmatif. Nous n'avons que quelques soupçons. Quand 2 ou 3 ans après 1996 des journaux ont évoqué l'introduction de déjections humaines dans les usines d'équarrissage, j'ai pensé que ce n'était pas possible, connaissant la réglementation.

M. le Rapporteur - La F.N.S.E.A. a déposé plusieurs plaintes contre X.

M. Eugène Schaeffer - Oui.

M. le Rapporteur - Sur quels arguments vous êtes-vous positionnés et quels étaient vos soupçons ?

M. Eugène Schaeffer - Il s'agissait de l'application de la réglementation. Dans les équarrissages, je ne sais pas ce qui s'est passé, mais il fallait regarder de très près, car les journaux reprennent des scandales.

Au niveau de la fabrication des aliments tout a-t-il été respecté ? Depuis 1990, l'introduction de produits carnés était interdite dans les aliments. Cela relève des contrôles qui doivent être faits. Nous savons uniquement que des contaminations ont eu lieu.

Quant à s'interroger sur les contaminations notamment après 1996, je crois que trois points sont à soulever. A l'époque, il avait été décidé de supprimer totalement les farines animales dans les aliments pour bovins. Des contaminations croisées se sont-elles produites ? C'est possible. Souvenez-vous du tollé lors de la découverte d'une tolérance de 0,3 % du point de vue de la fabrication d'aliments ne devant absolument pas contenir de farines animales.

En 1996, nous en avions longuement parlé et le débat était le suivant : sur le terrain (c'est une explication que je peux vous donner), notamment dans les régions d'élevage bovine avec très peu de production porcine et volaille, il existait énormément de petites usines d'aliments, des privés, des personnes qui faisaient 20 000, 30 000 ou 40 000 tonnes d'aliments, toute une gamme pour porcs, volailles, bovins, ovins, à partir des aliments de démarrage.

Nous nous étions longuement interrogés afin d'obtenir une propreté absolue. Soit ces personnes enlevaient totalement les farines animales, car il n'existait qu'un seul circuit de fabrication et dans ce cas vous mélangez de nouveau les farines animales pour porcs et volailles éventuellement, et ensuite vous refaites un aliment pour bovins ; de ce fait, dans les trémies de mélange, les moulins et les camions servant au transport, il peut rester des résidus. Nous avions attiré l'attention sur ce point.

A notre avis, nous aurions dû nous sortir rapidement du 0,3 %, le temps de permettre aux usines de se repositionner, car les grandes usines autour de 100 000 tonnes auraient pu avoir deux circuits d'aliments (un circuit farines animales et un autre) et les petits, sur le terrain, aurait pu obtenir un délai de 3 ou 4 ans pour la suppression totale, de leur fabrication, des farines de viande.

Effectivement, dans ce cas, il existait un risque de contamination croisée. De plus, il faut le souligner, 50 % de l'aliment porcin est fabriqué à la ferme. Les farines de viande étant autorisées dans la fabrication du porc, si conjointement, le producteur avait à côté un atelier de vaches laitières avec les mêmes outils de fabrication à la ferme, il fabriquait l'aliment pour le porc et ensuite pour les vaches laitières ; il peut également exister un risque.

Le dernier risque est qu'en toute connaissance de cause -et dans ce cas, il s'agit plutôt de fraude- des producteurs aient pu donner de l'aliment pour porcs et volailles à leurs bovins, voire même pour d'autres, accidentellement.

Voilà les trois causes que l'on peut trouver concernant les contaminations croisées.

M. Garnotel - La F.N.S.E.A. a porté plainte dès 1996 au moment de l'apogée de la première crise de l'ESB avec ses associations spécialisées producteurs de lait et de viande bovine, en raison de soupçons, notamment sur la manière dont étaient traités les échanges d'animaux, de farines et d'aliments du bétail avec la Grande-Bretagne et parce qu'à l'époque l'étiquetage des aliments du bétail utilisés par les éleveurs étaient insuffisant ; de notre côté, nous avons demandé une transparence absolue sur l'étiquetage.

Je vous rappelle -pour nous être renseignés sur ce sujet- que c'est seulement en 1998 qu'a été apposée sur les sacs d'aliments du bétail, ou sur les bordereaux de livraison vrac, la mention « Cet aliment contient des produits protéiques interdits dans l'alimentation des ruminants ». C'était des aliments destinés aux porcs et aux volailles. Pendant un certain laps de temps, la puissance publique n'a pas réagi suffisamment tôt avant de mentionner ce que je viens de rappeler.

M. le Rapporteur - C'était l'argumentaire qui vous a permis de déposer des plaintes contre X. Où en sont-elles ?

M. Garnotel - Malheureusement, la justice française manquant de moyens, ces dossiers ont été classés pendant un certain temps. Ils ont resurgi avec la deuxième crise de l'ESB et, depuis lors, nous avons confirmé notre plainte et avons été reçus par le juge Boizette. Il faut également signaler que des fédérations départementales ont porté plainte et se sont portées partie civile dans les Vosges notamment et, aujourd'hui, nous percevons du côté de la justice, l'ambition et les moyens de traiter ce sujet.

De 1996 à pratiquement 1999, il s'est produit une sorte de léthargie que nous ne pouvons expliquer à notre niveau.

M. Eugène Schaeffer - Depuis 2 ans ou 3 ans, concernant la transparence et ensuite une séparation totale de tout ce qui est filière alimentation animale avec farines de viande et sans farines de viande, des problèmes se posaient sur le sujet, malgré tout ce qui était mis en place et la réglementation.

Nous avons estimé que la traçabilité et la séparation n'étaient pas totales et difficiles à respecter. Nous avons alors commencé à penser à l'éventualité d'interdire totalement tout ce qui est farines de viande aujourd'hui dans l'alimentation animale.

Voyant que la traçabilité ne fonctionnait pas et que des problèmes se posaient partout, que l'application de la réglementation et les contrôles étaient difficiles, nous avons estimé que, pour être clairs, notamment vis-à-vis des consommateurs, il fallait arrêter l'ensemble du système parce que nous ne parvenions pas, devant le consommateur, à nous justifier concernant la réglementation mise en place .

M. le Rapporteur - Concernant votre position en matière de substitution (le fameux plan protéines), avez-vous des informations récentes ? Nous avons eu l'occasion de voir M. Franz Fischler la semaine dernière, qui nous a annoncé qu'il n'était pas question, au niveau communautaire, de subventionner même momentanément ce type de production. Je me suis laissé dire il y a 24 heures que cela semblerait s'orienter plus positivement.

M. Eugène Schaeffer - Sur ce sujet, il est vrai que la commission est prise aujourd'hui dans sa politique de renégociation de localisation mondiale du commerce par rapport aux Américains. Franz Fischler et le commissaire Lamy ont dit plusieurs fois qu'il ne fallait pas trop bouger sur ce sujet, car cela risquait de compliquer les négociations.

M. le Rapporteur - Oléagineux, oui, mais pas protéagineux. Ils sont libres de l'accord de Blair House.

M. Eugène Schaeffer - Il faut séparer les oléoprotéagineux .Si nous voulons faire du soja, aujourd'hui le financement est largement au-dessous de l'aide qui est donnée et les primes aux oléoprotéagineux, dans 1 an, seront ramenées aux primes céréales dans les départements, ce qui est largement insuffisant. La commission l'a proposé pour tenter sortir de l'accord de Blair House pour demander que des aides supplémentaires ne soient pas accordées.

Pour faire des protéines, pour la plupart, la base est composée de tourteaux relevant de la fabrication de l'huile. Nous faisions du soja en Alsace et ma coopérative plantait du soja il y a une dizaine d'années. Nous le faisions triturer par des usines allemandes sur le Rhin, ce qui nous convenait parfaitement.

Le soja a été délaissé. Il faut le dire et être clair : il est possible de produire le soja, mais il faut déjà que le producteur s'y retrouve quelque part et que cela lui amène autant du point de vue revenu qu'un hectare de céréales. Si demain il produit du soja, une coopérative, un collecteur, achètera son produit et le même le vendra à une grande usine qui retirera l'huile, et les tourteaux et autres seront redonnés ou revendus au prix du marché mondial au producteur.

Tout ce qui est tourteaux à base d'huile passe tout d'abord dans la politique de fabrication des huiles et redevient protéines, que les grandes usines allemandes ou françaises revendront au même prix que le marché européen.

Ensuite, vient ce que l'on appelle la production de poids, qui sont des protéines pures. Il faut réfléchir sur ce qu'il est possible de faire. On a parlé de luzerne. La luzerne ou les trèfles seront pour les ruminants. Je n'ai jamais vu des porcs ou des volailles manger des farines de luzerne. Il ne peut s'agir que de produits à base d'oléagineux ; tous les tourteaux redeviennent des protéines ou des protéines pures mais, dans ce cas , il y a du travail à faire.

M. le Rapporteur - La F.N.S.E.A. exerce-t-elle un lobbying en direction de l'INRA pour mettre en place très rapidement des protéines de substitution, car la problématique se pose sur ce point également ?

M. Eugène Schaeffer - Les recherches ne datent pas d'aujourd'hui. Dans les instituts animaux, élevage du porc ou des volailles et à l'INRA, depuis 15 ans, (le fameux le boycott du soja américain), nous tentons de trouver des produits de substitution en protéines, au soja.

Nous procédons tous les ans à des essais de substitution d'autres produits par rapport au soja dans les aliments. Ce n'est pas facile, car le tourteau de soja est de loin le meilleur produit et détient à peu près la richesse en protéines des farines animales, car cela dépend de la richesse. Un colza, en protéines, a la moitié de la richesse du tourteau de soja. Ces aspects doivent être pris en considération.

Ensuite, dans une alimentation animale, vient l'appétence. Aujourd'hui, les tourteaux de colza posent problème, car l'aliment n'est pas appétissant. Tout un travail est à faire en y mettant le double du volume. Ce sont des travaux que nous menons et qui fonctionnent. Nous continuons à travailler sur le sujet. Pour produire des protéines ou des oléagineux pour en faire des tourteaux de protéines, les primes et toute la politique devront être complètement révisées, sinon nous n'y parviendrons pas. Une révision de la politique communautaire sur ce sujet est indispensable.

M. le Rapporteur - Quelle est votre analyse ? Nous sommes à l'aube d'un virage important de la réorientation de la politique agricole commune. N'êtes-vous pas inquiet de constater ou de voir que le balancier -c'est souvent ainsi que cela se passe en France et en Europe- risque d'aller vers le tout environnemental déjà amorcé avec les fameux C.T.E. ? Quelle est votre position sur ce point ?

M. Eugène Schaeffer - Notre position est très claire. Je vois partout aujourd'hui cette politique contre l'agriculture productiviste. Nous l'avons vu dans un journal, hier ou avant-hier.

La France n'est pas le dernier pays de l'Union -nous sommes même les premiers- à continuer à développer tous ses produits en politique de filières sous signe de qualité, que ce soit les labels rouges fermiers et les produits certifiés ou tracés mais à chaque fois avec un contrôle tiers, car aujourd'hui l'opinion, ou le consommateur, ne croit rien si ce n'est pas attesté par un contrôle. Il faut continuer. Les autres filières ou les filières bovines le font.

Ensuite, il faut être transparent. La non-transparence dans une filière, notamment les filières animales, est le problème de l'alimentation animale.

En passant devant un élevage, tout le monde voit le silo : « Que contient-il ? N'est-ce pas de la poudre de perlimpinpin ? » Il faut être transparent. Je l'ai déjà dit et je l'ai fait faire chez moi. Il convient de faire visiter des usines d'aliments, car ce n'est pas demain, en affichant un antiproductivisme, que l'on reviendra à une fabrication de tous les aliments à la ferme. Ce n'est pas possible. De nombreuses personnes estiment qu'il faut arrêter les usines d'aliments et produire les aliments à la ferme comme il y a 50ans. C'est impossible.

M. le Rapporteur - Qu'en est-il du Livre blanc ?

M. Eugène Schaeffer - La F.N.S.E.A. a sorti son Livre blanc sur lequel nous avons bien détaillé nos positions.

Même s'il est largement question de l'agriculture raisonnée que nous ne cessons d'initier, notamment avec tout le travail effectué sur le terrain pour changer de méthodes de production, y compris végétale, concernant l'emploi des nitrates et des fertilisants, des produits phytosanitaires dans l'agriculture, il faut faire évoluer -c'est déjà le cas dans de nombreux départements- les méthodes de production. C'est en cours et cela se fait.

Les produits sous signe de qualité : globalement, il faut être intransigeant sur la qualité sanitaire des produits. Sur ce point je réponds à un certain nombre de personnes, concernant l'agriculture productiviste : dans notre pays, au niveau de l'Union Européenne, il faut garder une agriculture compétitive.

75 % des produits alimentaires sont commercialisés par les grandes surfaces et, au vu de la façon dont elles mettent en compétition nos entreprises agro-alimentaires, que ce soit les productions végétales ou animales, celui qui n'est pas compétitif a des problèmes. La qualité est demandée, mais ensuite cela devient une question de prix. Si nous ne gardons pas une agriculture compétitive par rapport aux autres pays de l'Union Européenne, attention, le marché est libre. Regardez déjà tout le mal qui est fait au niveau de la compétitivité des fruits et légumes et des produits espagnols par rapport au Midi de la France. Nous nous sommes toujours battus sur une démarche qualité. Sur ce point, les Français sont les meilleurs.

Dans la production de volailles, environ 20 % de nos produits avec des poulets label sont sous signe de qualité reconnue et contrôlée. Aucun pays n'a cela. Il faut continuer dans ce domaine et ces démarches. Je suis producteur de mes poulets label, mais si à certains moments par rapport aux grandes surfaces les abattoirs de chez nous ont un prix supérieur aux autres, nous ne vendrons pas le produit, même sur les produits de qualité.

Nous débattons avec des personnes sur la compétitivité : si pour les produits alimentaires, le législateur change totalement le marché, les règles du marché ne sont plus les mêmes que pour les autres produits et il est alors possible d'agir. Tant que la compétitivité des produits existera... Il faut faire la part des choses. Ensuite ne parlons pas de l'organisation mondiale du commerce avec l'ouverture des frontières.

M. Gérard César - Concernant la politique de la F.N.S.E.A., nous avons parlé des protéagineux d'origine végétale. Que pensez-vous de la politique de jachère ? Continuerons-nous à la maintenir au niveau de l'Europe alors que nous allons manquer de protéines végétales ?

Une question d'actualité : que pense la F.N.S.E.A. de la proposition de la Commission Européenne d'augmenter le tonnage par rapport au retrait du marché, de façon à avoir pour objectif d'équilibrer le marché de la viande ?

Concernant la plainte que la F.N.S.E.A. a déposé (aussi bien les Fédérations), sur quels faits précis avez-vous pu déposer plainte au titre des parties civiles au niveau de ces problèmes ?

M. Eugène Schaeffer - Concernant les protéines, je pense que la situation est claire : dès la suppression totale des farines animales, nous avons demandé que les terres gelées puissent être mises en production pour la production de protéines végétales. Pour nous, c'était clair au niveau du Gouvernement et de Bruxelles. Nous avons bien insisté auprès du Gouvernement pour qu'il relaye ses demandes à Bruxelles, car c'est dans les mains de Bruxelles. Le gel des terres est acté par Bruxelles qui en définit le pourcentage. C'est une politique communautaire qui a dû être mise en place.

Concernant le plan de régionalisation, nous savons très bien qu'avec l'agenda 2000, les aides aux oléoprotéagineux doivent être ramenées aux aides des céréales.

Ce plan de régionalisation doit s'appliquer en 2002. Tentons de revoir immédiatement le système à Bruxelles, afin qu'il ne soit pas appliqué dans 1 an à cette politique d'oléoprotéagineux, au risque de faire disparaître la production. Disons au ministre aujourd'hui : « Plus de débat sur le plan de régionalisation, mettons d'abord en place avec vous et avec Bruxelles un véritable plan de développement et de production d'oléoprotéagineux, notamment pour nos productions animales en France et en Europe, sinon c'est à contresens ».

Nous en avons parlé ce matin. La situation est très négative, car la consommation ne reprend pas. Nous nous situons entre moins 30 % et moins 35 %. Nous ne voyons aucun signe de reprise ni le bout du tunnel et c'est en France que la crise dure le plus longtemps car c'est nous qui avons commencé et ensuite les pays de l'Union. Les producteurs sont mal et les aliments s'entassent dans les fermes.

J'ai rencontré précédemment dans une réunion un agriculteur qui devait commercialiser une centaine de jeunes bovins. Cela fait un mois qu'il doit les sortir. Il ne le peut pas et ils prennent du poids. Ils feront des carcasses de 460 kilos. De plus, il faut les nourrir tous les jours à tel point que, dans quelque temps, ils seront invendables et plus personne n'en voudra. Nous en sommes là.

De plus, au national, le système de retrait pour la destruction a été mis en place. Il fonctionne. Une grande partie des vaches laitières de réforme passe dans le système de destruction des farines pour être brûlée dans les cimenteries. Reste l'autre problème des animaux au-dessus de 30 mois, notamment parce qu'en France on ne mange à environ 80 % que des viandes femelles et très peu de viandes mâles. Les vieilles vaches pratiquement vont à la destruction en grande partie parce que le steak haché est complètement arrêté, et la valorisation des vaches d'un certain âge était le steak haché.

Tous les animaux femelles au-dessus de 30 mois vont dans la consommation avec des prix au rabais de 2, 3 ou 4 F au kg. Cela pose un énorme problème et ensuite même dans ce que l'on appelle les femelles charolaises de type viande, aujourd'hui un problème de valorisation des quartiers avant se pose, parce que l'on ne mange que des quartiers arrière, les produits nobles, et que personne ne veut des quartiers avant.

Compte tenu que ces produits allaient dans le steak haché et ce dernier étant pour le moment pratiquement condamné, il n'existe pas de valorisation, à tel point que l'on se demande si les quartiers avant de vaches charolaises ne vont pas passer à la casse car, à force de les entasser dans les frigos, nous ne savons plus quoi faire.

Il existe une politique pour tenter de relancer le steak haché, mais il faut reconquérir la confiance du consommateur dans une traçabilité totale.

Le troisième point est beaucoup plus difficile : le problème des jeunes bovins. La France a un troupeau allaitant très important (le plus grand d'Europe). Nous avons de loin 70 % en subventions et en primes communautaires pour les vaches allaitantes. Il existe encore des vaches allaitantes en Irlande et éparses dans d'autres pays de l'Union où la production de viande vient de la production laitière, avec des races mixtes comme, en Bavière, des Pieds Rouges et autres.

Les jeunes bovins qui sont les mâles de nos races à viande étaient exportés pratiquement sur les pays de l'Union à 80 %. Compte tenu que les frontières sont totalement fermées et que les Français n'en mangent pratiquement pas car ils consomment à 80 % des viandes femelles, ces animaux s'entassent dans les étables et posent un sérieux problème.

Les éleveurs me disent qu'ils ont des animaux qui devaient être vendus depuis 1 mois ou 6 semaines et dont ils ne savent que faire. Se pose le retrait de ces animaux. J'ignore ce que la commission en pense.

Le problème final : je ne sais pas comment nous nous en sortirons concernant le cheptel français : par exemple si nous recalons la consommation dans 1 an, moins 15 ou moins 10 font 10 à 15 % du volume en moins. Il faut une politique de réadaptation de la production au marché.

Que va-t-on arrêter éventuellement comme producteurs et comme éleveurs avec ensuite la fermeture des entreprises, des abattoirs et de tout ce qui tourne autour, à savoir des personnes se trouvant en sérieuses difficultés ? C'est la sortie du tunnel. Quand la consommation reprendra, nous ne pouvons pas nous permettre d'avoir une politique d'intervention permanente dans les frigos.

Tout le monde hésite.

Concernant cette situation, Bruxelles n'a pas de politique. Le Commissaire Fischler l'a déclaré (je l'ai vu au Parlement Européen) : « J'avais de l'argent disponible et maintenant je n'en ai plus. Je l'ai dit au Conseil des ministres qui m'a dit de me débrouiller. Je n'ai plus de fonds de tiroirs à ratisser ».

Il a également déclaré : « Ce n'est pas moi qui proposerai de prendre de l'argent, par exemple sur les primes céréales, pour la viande bovine. Cela relève d'une décision du Conseil des ministres de l'Agriculture et avec un aval du ministre des Finances ; j'attends les décisions politiques ».

A Bruxelles, nous ne sommes plus d'accord sur une certaine politique agricole et compte tenu du fait qu'avec les Allemands et d'autres pays de l'Union, cela pose problème, nous sommes dans une impasse budgétaire.

M. Fischler a déclaré : « Je ne suis pas contre les aides nationales, les gouvernements n'ont qu'à faire les demandes à la commission et nous veillerons qu'il n'y ait pas de distorsion de concurrences communautaires ».

M. le Rapporteur - La F.N.S.E.A. a-t-elle fait du lobbying vis-à-vis du Gouvernement pour dégager certaines lignes budgétaires ?

M. Eugène Schaeffer - Hier a eu lieu une réunion avec nos responsables et le ministre de l'Agriculture où ces propositions ont été faites. Le grand problème : pas un centime d'indemnisation n'est arrivé aux producteurs.

M. Garnotel - M. Glavany doit faire des propositions demain au niveau national suite à la réunion d'hier. Il n'a pas dévoilé ses idées. Ce seront des aides limitées puisque l'essentiel de l'organisation des marchés est de compétence européenne.

Je reviendrai très brièvement sur le plan protéines : la solution de mettre en culture les jachères en production oléoprotéagineuses est une excellente solution. M. Fischler a déclaré devant le Parlement Européen que l'on pourrait ouvrir ces jachères en plus des cultures industrielles qui fabriquent des bio-carburants à des fourrages pourvu qu'ils soient conduits en mode bio. C'est sans doute trop réducteur, car l'agriculture biologique en France est peu développée, le marché en face l'étant peu lui-même. Il faudra pousser un peu pour aller plus loin.

Concernant la nature de la plainte déposée par la F.N.S.E.A. je lirai deux paragraphes de la lettre que nous avons envoyée le 23 juillet 1996 au Procureur de la République : « Au nom des organisations que nous présidons, nous avons l'honneur de présenter la présente plainte pour tromperie, falsification, propagation d'une épizootie et introduction sur le territoire de denrées d'origine animale ne répondant pas aux conditions sanitaires etc.... ».

Notamment, les Pouvoirs Publics français n'ont pas pris les mesures suffisamment rapidement pour interdire l'importation en France de certaines farines fabriquées au Royaume-Uni.

On peut reprocher au Royaume-Uni d'avoir continué à vendre des farines alors qu'elles étaient interdites dans les élevages du Royaume-Uni. C'est une grande responsabilité des Pouvoirs Publics.

M. le Président - C'est une plainte contre qui ? Contre X ?

M. Garnotel - Une plainte contre X. Nous nous sommes portés partie civile. Nous n'avions pas d'institution à désigner.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé de vente de farines à partir du Royaume-Uni. Avez-vous des preuves de ce que vous avancez, des tonnages ou des destinations ?

M. Eugène Schaeffer - Non. Nos services ne donneront pas de preuves.

M. Garnotel - La Confédération Paysanne a commis des actions qui ont permis d'accéder à certaines informations ; cela n'a pas été notre politique. Nous avons des soupçons.

M. Eugène Schaeffer - Des soupçons ne sont pas des preuves.

M. Georges Gruillot - J'avais lu hier ou ce matin, dans la presse, la position que l'Europe paraît vouloir prendre en matière agricole concernant l'agriculture biologique. C'est l'un des problèmes qui nous soucient. Vous-même F.N.S.E.A. avez clairement exprimé votre position en direction de la qualité sanitaire. Quelle est votre position vis-à-vis de l'agriculture biologique quand, conjointement, vous défendez la qualité sanitaire ? Pensez-vous que ces deux éléments sont conciliables ?

M. Eugène Schaeffer - Nous sommes totalement pour l'agriculture biologique. Il est vrai que la qualité sanitaire concernant les produits doit être totalement respectée ; il n'en est pas d'autres et, dans un débat qu'il faut poursuivre pour l'agriculture biologique, le consommateur ne doit pas être déçu au niveau des produits.

Le consommateur cherche à retrouver un produit plus naturel et plus sain mais également au goût différent. Aujourd'hui, l'agriculture biologique est une production sous signe de qualité, un cahier des charges doit être respecté et contrôlé pour ensuite permettre d'apposer le signe de qualité « agriculture bio » sur le produit.

Sur les labels rouges fermiers, viandes ou d'autres produits, il existe un cahier des charges avec toutes les démarches de production, d'élevage et autres, mais derrière le label rouge, il existe une politique de qualité gustative. Ce sont des produits qui obligatoirement, comme les vins, sont soumis à qualité gustative (les volailles labels ou les viandes labels rouges) dans des endroits tout à fait neutres et nous avons les résultats régulièrement.

J'ai proposé ceci aux agriculteurs : « Vous avez une agriculture bio qui repose sur des méthodes de production, mais pourquoi ne voulez-vous pas entrer, comme pour les labels rouges fermiers, dans des systèmes de dégustation des produits pour travailler les deux ? » Les méthodes de production, les qualités sanitaires mais également travailler la qualité gustative, car cela se travaille. Regardez sur les viandes, notamment les poulets, il existe une très grande différence de goût entre un poulet de type standard et un poulet label rouge.

Il serait possible d'entrer, pour les bio, dans une politique de dégustation des produits afin d'améliorer la qualité gustative. C'était une démarche et, pour le moment, nous n'y sommes pas.

Nous y sommes favorables, mais ce qui est mentionné dans les cahiers des charges doit faire l'objet de contrôles, car je crois beaucoup aux contrôles mais des contrôles de type scientifique réalistes.

M. Georges Gruillot - Considérez-vous qu'ils existe des produits ayant suffisamment de qualités sanitaires dans l'agriculture biologique pour les communiquer aux consommateurs ? A leur niveau, aujourd'hui en France, il existe une sorte de tromperie, car les consommateurs considèrent que, quand c'est bio, la qualité sanitaire est forcément satisfaisante. Aujourd'hui nous n'en sommes pas là.

Il ne faudrait pas que la Fédération des exploitants prenne ce créneau sans mettre en garde les personnes qui se lancent dans le bio. Le bio ne signifie pas qualité si l'on n'améliore pas le sanitaire.

M. Eugène Schaeffer - Vous avez raison. Il faut améliorer le sanitaire sur le bio. Il faut que les bio acceptent -nous le faisons maintenant- un travail de recherche scientifique, l'amélioration des méthodes de production, tout ce qui est derrière et que l'on s'engage dans ce système.

Je suis persuadé qu'il existe un marché mais il doit être sérieux, sans accidents -car ils peuvent arriver- et que l'on écoute les scientifiques dont un certain nombre nous ont dit que les produits et les animaux étaient malades. Il faut les traiter, car ils sont soumis aux grandes maladies, et continuer à effectuer les vaccinations sur un certain nombre d'animaux.

Il faut également faire en sorte que, dans le bio, les animaux et les plantes restent saines jusqu'au consommateur, car une maladie sur un animal ou sur un produit peut lui être néfaste. Il faut continuer à travailler ce point. Il y a beaucoup de travail à faire du point de vue recherche. La qualité sanitaire des produits doit être irréprochable.

M. Gérard César - Dans votre propos, vous avez évoqué les irrégularités que vous avez pu constater dans la fabrication des farines. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Eugène Schaeffer - Il est difficile d'être précis. Nous n'avons pas de preuves à l'appui. Nous constatons le résultat : par rapport aux interdictions et réglementations édictées, les contaminations ont continué. Je ne peux pas en dire plus.

Il n'est pas possible d'accuser des personnes, ou tel ou tel, d'avoir importé. Je sais que les noms de grands fabricants ont été cités. Nous n'avons aucune preuve formelle. Il faut faire attention sur ce sujet. Encore faut-il pouvoir prouver. C'est à la justice de le faire.

M. le Président - A part les grands Groupes, des éleveurs et peut-être vous-même également, avez fabriqué des aliments à partir de vos produits, mais vous avez acheté des condiments que vous avez ajoutés. Aviez-vous des renseignements suffisants sur leur composition ?

M. Eugène Schaeffer - Pour la plupart, qu'achetons-nous ? Quand nous fabriquons les aliments à la ferme, nous disposons des céréales. Nous achetons les protéines, il peut s'agir de soja ou d'un autre tourteau, un tourteau d'arachide, et vous pouvez acheter des farines animales.

Compte tenu qu'une personne pouvait fabriquer à la ferme pour deux productions, l'une de porcs où elle mettait des farines animales et une autre laitière, où elle ne pouvait pas en mettre, cela pouvait produire des contaminations croisées. Ensuite le complexe vitamines et minéraux était ajouté (ces complexes sont achetés par des fabricants de complexes de vitamines et de minéraux) et je ne prétends pas que, sur les fermes, des accidents n'aient pas pu se produire quelque part.

Le fait de préconiser la fabrication des aliments à la ferme n'est pas sans danger. Une usine d'aliments peut être contrôlée alors que, pour chaque fabricant à la ferme, cela reste une question de confiance.

M. le Président - Nous vous remercions d'avoir accepté de venir témoigner et nous espérons que la situation s'arrangera du point de vue de la reprise de la consommation.

Audition de M. Axel REICH,
Premier conseiller à l'ambassade d'Allemagne à Paris

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Reich, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Nous apprécions votre façon d'y répondre favorablement.

Nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête et nous faisons prêter serment aux ressortissants du territoire français. Toutefois, il est hors de question de vous demander de le faire car cet entretien est tout à fait informel.

Nous vous demanderons un certain nombre d'avis sur ce qui a pu se passer avec l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des bovins et surtout quelles sont les conséquences de la propagation de la maladie dite de la vache folle, l'ESB. Il serait souhaitable que vous puissiez nous parler de ce qui s'est passé en Allemagne, du moins selon vos connaissances.

Cet entretien sera placé dans le cadre des auditions de notre commission d'enquête et nous vous remercions encore d'y participer.

Dans un premier temps, si vous le voulez bien, vous nous indiquerez ce que vous savez et comment s'est passé ce problème dans votre pays. Ensuite, nous vous poserons quelques questions.

M. Axel Reich - Merci pour votre invitation. C'est un grand honneur pour moi d'être ici devant vous et de vous informer, au titre de mes fonctions de Premier conseiller attaché agricole à l'ambassade d'Allemagne, sur les événements qui ont eu lieu en Allemagne et sur leur cadre juridique.

Concernant la situation juridique, l'Allemagne est une Fédération ; de ce fait, la protection des consommateurs et la suppression des épidémies relèvent de ses compétences au titre de la législation, des décrets et des arrêtés.

Cela signifie que la Fédération édite les lois. Toutefois, en Allemagne quand une autorité, à savoir un office, n'a pas été installée par une loi, avec le consentement du Bundesrat, l'exécution des lois et des décrets édités par la Fédération relève de la tâche des Länder.

Nous sommes ici dans la situation où la législation et les décrets cadres sont établis par la Fédération et leur application est la tâche des Länder.

Depuis 1939, une législation concernant l'équarrissage et la production (à partir de l'équarrissage des graisses et des farines animales) décrète ou ordonne que tous les déchets traités dans des usines d'équarrissage doivent être chauffés jusqu'à 133°, sous une pression de 3 bars et pendant une durée de 20 minutes.

Une loi fédérale de 1975 a réitéré cette application et l'a même complétée.

De ce fait, environ 15 % des produits traités proviennent d'animaux trouvés morts, abattus d'urgence ou euthanasiés. Le reste, soit 85 %, provient de déchets d'abattoirs qui ne sont pas utilisés pour la consommation humaine.

En Allemagne nous n'avons pas une telle habitude et les farines animales ne sont jamais entrées officiellement dans la composition d'aliments pour ruminants. Même avant les problèmes de l'ESB, aucune recette de producteur d'aliments pour ruminants n'indiquait la présence de farines. Nous n'avons pas eu de déclarations des éleveurs ou des acteurs agricoles car il n'était pas dans leur habitude de procéder ainsi.

Nous avons eu une exploitation assez forte de ces farines pour la nourriture des porcs et des volailles.

Quand les premiers signes d'ESB ont été constatés en Europe, avec l'interdiction des importations provenant de Grande-Bretagne, nous avons eu une interdiction officielle (par décret) de l'utilisation des farines animales pour des ruminants, presque en même temps que la directive de l'Union Européenne en 1994.

Ensuite, nous avons eu des interdictions diverses concernant l'échange des marchandises et des bêtes vivantes, mortes ou des déchets de viandes provenant de Grande-Bretagne et de la Confédération helvétique.

En 1997, une ordonnance a demandé l'abattage total de tous les bovins provenant de Grande-Bretagne et de Suisse. Les animaux encore vivants provenant de ces deux pays étaient condamnés.

Depuis 1991, nous avons appliqué le système d'épidémio-surveillance pour l'ESB. Entre 1991 et 1999 nous avons examiné presque 11 994 cerveaux bovins dont plus de 3 700 spécialement pour le problème de l'ESB. En dehors de cette surveillance, un test à grande échelle a été mené en Westphalie avec le test Prionics puisque 5 000 bêtes ont été examinées ; les tests étaient négatifs.

Durant l'année 2000, nous avons examiné (avant le premier cas d'ESB en Allemagne, détecté le 26 novembre de l'année dernière) environ 6 600 animaux trouvés morts et environ 500 animaux abattus d'urgence ou euthanasiés.

Le système d'épidémio-surveillance est basé sur l'action des vétérinaires officiels dans le canton, ou du CRES qui est légèrement plus grand qu'un canton. Nous disposons de trois ou quatre vétérinaires par CRES ; par ailleurs, si le canton comporte un abattoir, nous disposons de spécialistes pour celui-ci.

Après la détection des premiers cas d'ESB en Allemagne, nous avons édicté, par loi ou par décret, une gamme de mesures qui sont sensiblement les mêmes qu'en France. Nous avons interdit, dès le 2 décembre dernier, l'utilisation des farines dans la nourriture des animaux destinés à l'alimentation humaine. De même les farines de poissons ne sont autorisées que pour les poissons.

Nous avons également interdit la vente des carcasses des bovins de plus que 30 mois qui n'étaient pas testés par les tests Prionics ou Biorad qui sont les deux tests utilisés en Allemagne.

A partir du 27 janvier dernier, nous avons ordonné les tests sur des animaux à partir de 24 mois car nous avons trouvé 28 cas d'ESB sur des animaux de moins de 30 mois, à savoir nés en 1998.

C'est la situation actuelle. Nous avons testé plus de 60 000 bêtes de plus de 30 mois durant le mois de décembre dernier. Pour le mois de janvier, à la date du 15 nous avions testé plus de 47 000 bovins.

M. le Président - Jusqu'à présent, combien de cas d'ESB sont-ils recensés ?

M. Axel Reich - 28.

M. le Président - Depuis le début des tests ?

M. Axel Reich - Non, avant le début des tests systématiques. Les tests ont débuté le 2 décembre et le premier cas a été confirmé le 26 novembre.

Les bêtes maintenant constatées sont partiellement des bêtes malades, détectées dans le cadre de cette surveillance.

Concernant les tests à l'abattoir, nous avons trouvé 12 cas et les autres concernent des bêtes trouvées mortes, abattues d'urgence ou euthanasiées.

M. Jean Bizet, Rapporteur - J'ai noté qu'il s'agit d'une loi réactualisée en 1975, précisant les conditions de fabrication des farines animales, tant au niveau de la température, de la pression que de la durée de chauffage.

Vous dites qu'en Allemagne les farines animales étaient uniquement utilisées pour les carnivores ou les omnivores, à savoir les porcs ou les volailles.

M. Axel Reich - Nous n'avons pas eu l'habitude d'utiliser des mélanges pour ruminants contenant des farines animales. Je ne peux pas dire que cela n'a jamais existé car il existe toujours un pourcentage de personnes n'appliquant pas les normes ou les règles. Cette pratique n'était pas interdite mais elle ne faisait pas partie des habitudes. Nous n'avons pas connaissance de producteurs d'aliments capables d'indiquer que les produits contenaient un certain pourcentage de farines.

M. le Rapporteur - C'est très troublant pour nous, Français, car vous indiquez que ce n'était pas la « mode » en Allemagne. Nous aimerions savoir quelle est l'explication des scientifiques allemands sur l'origine de l'ESB en Allemagne puisque de plus vous fabriquiez « correctement » ces farines. Avez-vous importé des farines anglaises ?

M. Axel Reich - Pas seulement anglaises car des importations assez fortes provenaient de toute la communauté : de la France, plus que de l'Angleterre, des Pays-Bas ...

M. le Rapporteur - ... Auriez-vous la possibilité de nous faire parvenir des documents d'importation indiquant précisément les tonnages ?

M. Axel Reich - Oui. Eurostat publie ce genre de renseignements et je vous les ferai parvenir.

M. le Rapporteur - Les farines n'étant utilisées que pour les porcs et les volailles, compte tenu des volumes d'abattage, j'ai toutefois des difficultés à comprendre pourquoi vous étiez contraints d'en importer. Même si ce n'était pas la « mode » dans les documents agricoles ou scientifiques, vous aviez sans doute également d'autres utilisations.

M. Axel Reich - Un producteur d'aliments pour les volailles ou les cochons était situé presque à côté d'un équarrisseur qui produisait les farines. Toutefois, il avait importé des farines car l'importateur proposait des prix inférieurs à ceux du producteur local.

M. le Rapporteur - Vous exportiez donc une très grande partie de votre production et vous avez importé parce que les cours étaient intéressants.

M. Axel Reich - Je le suppose.

M. le Rapporteur - Vous avez importé des farines mais celles qui ont été fabriquées en Allemagne ont été exportées.

M. Axel Reich - Nous avions des échanges forts entre des pays membres de l'Union Européenne, tant en importations qu'en exportations.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir une copie de ces documents d'importations et d'exportations ?

M. Axel Reich - Oui, je vous les fournirai.

M. le Rapporteur - Les mesures mises en place plus récemment sont encore plus restrictives que celles édictées par la Commission européenne concernant les graisses animales. Avez-vous des arguments scientifiques sur ce point pour étayer votre position plus dure ?

M. Axel Reich - Une publication d'une institution de recherche, la Bundes Forshung Anstalt für Virus Krankheiten der Tiere, indiquait que des prions auraient été détectés dans les graisses. C'était une erreur car cette information était fausse.

Jusqu'à maintenant nous n'avons pas la preuve, d'après mes connaissances et celle de mes collègues au ministère de l'Agriculture, que les graisses ont été contaminées avec des prions. Toutefois, dans certains cas on soupçonne qu'un mélange inconnu, avec des farines à un pourcentage infime, aurait pu causer cette contamination. Les lacto-remplaceurs contiennent toujours des graisses animales et celles-ci n'étaient peut-être pas aussi propres que souhaitable.

Rien n'est prouvé et les raisons de ces soupçons reposent sur le fait que des éleveurs affirment n'avoir jamais acheté autre chose que des lacto-remplaceurs et que l'autre alimentation était faite à base de produits de la ferme.

M. le Rapporteur - C'est une suspicion.

M. Axel Reich - Oui.

M. le Rapporteur - Vous dites que vous utilisez deux tests sur l'ensemble du territoire allemand, le Biorad et le Prionics. Avez-vous des commentaires à faire sur l'un ou l'autre en fonction de leur sensibilité ou leur fiabilité ?

M. Axel Reich - Le ministère a parfois indiqué que le kit d'un test n'était pas aussi bien fabriqué que l'autre, mais je ne sais pas s'il s'agit du Biorad ou du Prionics.

Ce sont des informations lues mais non officielles de la part du ministère. J'ai questionné un collègue vétérinaire au ministère qui ne peut pas le confirmer. Il s'agit peut-être d'un problème individuel de fabrication d'un test, mais cela ne remet pas en cause le principe du test.

M. le Rapporteur - Nous avons assisté à des mouvements politiques en Allemagne concernant le « limogeage » du ministre de l'Agriculture qui a été remplacé par quelqu'un d'une sensibilité totalement différente.

Prévoyez-vous d'autres mouvements politiques de ce type en Allemagne et qu'entendez-vous par l'« agriculture écologique » que certains veulent mettre en place ?

M. Axel Reich - Sur la première question, je ne suis que fonctionnaire et je ne peux pas répondre.

Concernant la seconde question, une déclaration gouvernementale a été faite par la nouvelle ministre de la Protection des consommateurs, de l'Alimentation et de l'Agriculture. Il faut une meilleure harmonie des acteurs concernés, à savoir les consommateurs, les négociants, les transformateurs, les éleveurs et les agriculteurs. L'intention est d'arriver à une harmonie plus complète. La politique sera menée en ayant comme objectif majeur l'intérêt du consommateur et non pas celui de l'agriculteur.

Concernant l'agriculture écologique ou biologique, d'après les déclarations de la ministre, nous avons l'intention d'inciter la production biologique (qui représente environ 2 % de l'agriculture en Allemagne) pour atteindre 20 % dans les 10 prochaines années.

M. le Rapporteur - Ce serait une multiplication par 10.

M. Axel Reich - Oui, c'est la déclaration officielle.

M. le Rapporteur - Ne craignez-vous pas que l'Allemagne perde des parts de marché au niveau international ? La production de produits « biologiques » est sympathique, mais il s'agit peut-être d'une mode ou d'une réaction brutale à une production trop productiviste.

M. Axel Reich - En tant que représentant de mon Gouvernement, je ne pense pas que la production biologique soit une mode. Nous pensons que l'intérêt de la population est d'acheter des produits issus d'une agriculture durable et respectant l'environnement : fertilisation des sols, traitement des animaux de rente, etc. Nous sommes convaincus que le consommateur est, dans certains secteurs, prêt à payer plus cher que pour des produits ordinaires.

M. le Rapporteur - En France, nous avons la même réflexion et la même interrogation. Entre la production biologique et la production de produits d'une agriculture plus intensive, les socioprofessionnels essaient de développer une troisième voie, à savoir l'agriculture raisonnée.

L'agriculture écologique, telle que veulent la développer les autorités allemandes, s'apparente davantage à l'agriculture biologique qu'à l'agriculture raisonnée.

M. Axel Reich - Les 20 % mentionnés concernent l'agriculture biologique dans le sens européen. Cela n'évite pas ou n'empêche pas les acteurs politiques et les agriculteurs de la faire progresser sur les 4/5 de notre part de l'agriculture. L'agriculture de précision, ou votre agriculture phare, est en développement avec la formation des agriculteurs.

L'agriculture ne s'oriente pas seulement vers l'intention de protéger le sol, qui est la base de toute agriculture. En effet, une agriculture de précision est, à la longue, meilleur marché que celle qui a été exercée durant ces 10 ou 15 dernières années.

Nous ne voyons pas d'opposition dans la logique. La ministre est convaincue que nous aurions un marché pour les 20 % de production. Cela ne signifie rien pour la perfection de l'agriculture qui n'est pas biologique ou écologique au sens européen.

M. le Rapporteur - Au niveau de l'Union Européenne, vos ressortissants qui siégeront (la ministre de l'Agriculture et vos parlementaires) mettront tout en oeuvre pour porter l'accent sur une réforme de la Politique Agricole Commune plus orientée vers les produits biologiques que les produits dits conventionnels.

M. Axel Reich - Concernant le développement de la Politique Agricole Commune, la ministre indique qu'elle veut utiliser (comme cela a déjà commencé en France) les possibilités de faire progresser une agriculture plus respectueuse de l'environnement que l'agriculture actuelle grâce à la modulation et à l'application de l'éco-conditionnalité autorisée dans le cadre de la Politique Agricole Commune.

Nous entendons également atteindre un développement dans le bien-être des animaux de rente, pas seulement dans l'exploitation mais aussi pendant le transport. La ministre a indiqué qu'elle aimerait avoir une plus large marge de manoeuvre pour les Etats membres au sein de la Politique Agricole Commune.

M. le Rapporteur - C'est le souhait d'une forme de renationalisation de la Politique Agricole Commune.

M. Axel Reich - Je ne peux pas utiliser ce mot car il n'a pas été prononcé par la ministre.

Nous avons la possibilité de faire de la modulation. Cela a été appliqué en France, en Grande-Bretagne et au Portugal, mais 12 pays ne l'appliquent pas. Peut-être existe-t-il d'autres domaines où l'on pourrait pratiquer de la même manière ? Par exemple, en France on trouve une prime supplémentaire pour les vaches allaitantes. Cette mesure se rencontre aussi au sein de la Politique Agricole Commune.

M. le Rapporteur - Nous avons pu lire dans la presse, durant ces derniers mois, que vous utilisiez des abats, notamment de la cervelle, en Allemagne pour fabriquer certaines charcuteries. Est-ce une pratique courante concernant toutes les charcuteries ou simplement une frange de votre production, et ces productions sont-elles maintenant normalisées ?

M. Axel Reich - Des productions locales très limitées utilisaient les cervelles de porcs pour la fabrication de certaines charcuteries.

M. le Rapporteur - Uniquement du porc ?

M. Axel Reich - A ma connaissance, oui. En effet, lors de l'abattage d'un porc, la carcasse est partagée en deux depuis le museau jusqu'à l'arrière-train, ce qui n'est pas une habitude d'abattage pour les bovins. Ce sont des productions régionales, très limitées, uniquement réalisées avec de la cervelle de porc.

M. Georges Gruillot - Vous nous avez indiqué que l'Allemagne avait décidé d'abaisser l'âge des tests (à 30 mois en Europe et en France) à 24 mois en raison de 2 cas, sur 28, d'animaux jeunes morts d'ESB.

M. Axel Reich - Il ne sont pas morts de l'ESB mais elle a été diagnostiquée à l'abattoir.

M. Georges Gruillot - A notre connaissance, nous n'avons pas de cas similaires en France et je ne pense pas que de tels cas aient été constatés en Angleterre.

M. Axel Reich - 81 cas similaires ont été relevés en Angleterre parmi les 180 000 cas d'ESB.

M. Georges Gruillot - L'Allemagne a-t-elle tiré des conclusions ?

M. Axel Reich - Je peux vous donner les dates de naissance des animaux : l'un était né le 14 septembre 1998 et l'autre le 17 août 1998. Ces deux cas ont été constatés le 15 janvier et le 27 janvier 2001 alors que les bêtes étaient âgées de 29 mois.

M. Georges Gruillot - Vous n'avez tiré aucune autre conclusion quant au mode de contamination ?

M. Axel Reich - Je n'ai pas connaissance d'une autre réflexion sur un mode de contamination différent.

En Angleterre, il est connu, Monsieur le sénateur, que le risque de transmission de la mère au veau est faible. Ici, nous n'avons pas constaté cela et je n'ai pas d'informations sur les modes de contamination. Concernant toutes les voies de contamination, il existe beaucoup d'incertitudes et le mode de propagation concerne la nourriture.

M. Georges Gruillot - Vous indiquez que vous avez fait réaliser 47 000 tests d'abattoir sur des animaux de plus de 30 mois depuis le 15 décembre.

M. Axel Reich - 67 000 tests ont été effectués en décembre et 47 000 tests ont été pratiqués durant la première quinzaine de janvier.

M. Georges Gruillot - Cela représente plus de 110 000 tests sur des animaux de plus de 30 mois menés à l'abattoir.

Les viandes exportées (notamment les viandes bovines exportées en France) proviennent-elles d'animaux testés ?

A notre connaissance, nous importons actuellement de la viande allemande provenant d'animaux non testés à l'abattoir. Cela provoque une réaction du commerce de la viande en France puisque ici les animaux de plus de 30 mois doivent être soumis à un test à l'abattoir.

M. Axel Reich - J'ai indiqué que depuis le 2 décembre il est obligatoire de tester tous les bovins de plus de 30 mois ; par ailleurs, depuis le 27 janvier il est obligatoire de tester tous les bovins de 24 mois et plus.

M. Georges Gruillot - La viande arrivant en France est-elle testée ?

M. Axel Reich - Les bovins de plus de 30 mois qui ont été abattus à partir du 2 décembre ont été testés car, sans cela, ils ne pourraient pas disposer de l'estampille du vétérinaire. Les bovins abattus depuis le 27 janvier sont testés s'ils ont plus de 24 mois.

M. Georges Gruillot - Selon le commerce de la viande en France, cela pourrait concerner des animaux abattus plus tôt et stockés.

M. Axel Reich - Il ne serait pas possible de tester un animal abattu le 15 novembre et vendu le 5 décembre.

M. Georges Gruillot - Cela peut être en congélation.

M. Axel Reich - Monsieur le sénateur, je vous prie de m'excuser mais je ne peux pas faire de suppositions sur les possibilités d'exportation de l'Allemagne. Je peux seulement vous rappeler quelles sont les obligations de tests depuis le 2 décembre 2000 et le 27 janvier 2001.

Vous savez que l'ESB ne s'est pas arrêtée en Allemagne ; on trouve des cas partout.

M. Georges Gruillot - Vous avez décidé d'abattre tous les animaux vivants sur le territoire allemand et importés de Grande-Bretagne ou de Suisse. Combien d'animaux cela concerne-t-il ?

M. Axel Reich - Je ne peux pas vous le dire.

M. Georges Gruillot - Le problème de la Suisse est très important car vous avez une frontière commune avec ce pays. Or, dans ce pays on rencontre beaucoup de cas d'ESB depuis longtemps. Je pense donc que l'Allemagne a été particulièrement vigilante par rapport à son voisin suisse.

M. Axel Reich - Oui, mais je ne peux pas vous dire combien d'animaux ont été abattus.

M. Georges Gruillot - Concernant le problème des farines animales, en France nous avons établi, depuis 1996, une séparation entre les matières à hauts risques et les matières à bas risques pour les problèmes d'équarrissage et la fabrication des farines. Il semble que cette distinction en deux catégories n'ait pas été faite chez vous.

M. Axel Reich - Ce n'était pas pratiqué jusqu'au 1er octobre de l'année dernière.

M. Georges Gruillot - Des Groupes allemands sont propriétaires d'usines d'équarrissage en France. Pensez-vous que ces Groupes français aient pu importer des farines animales venant d'Allemagne ? Dans l'affirmative, je vous demande de m'indiquer quel pourrait être le tonnage et les usines concernées chez nous en France.

M. Axel Reich - Je peux vous fournir, comme je l'ai indiqué à Monsieur le rapporteur, les statistiques des échanges pour lesquels il existe deux nomenclatures. Je peux vous remettre les statistiques Eurostat concernant les farines animales et les graisses intra-communautaires. Ce ne sont que des statistiques et nous n'avons aucun renseignement par entreprise.

M. Gérard César - Où en êtes-vous en Allemagne sur la recherche en matière de détection de cette maladie et quels sont vos progrès éventuels ?

M. Axel Reich - Il existe un programme de recherche accélérée sur lequel nous voulons déposer des fonds. Je ne peux pas vous indiquer quel en sera le budget mais nous donnons plus de moyens qu'auparavant aux chercheurs concernant les maladies spongiformes transmissibles.

Les chercheurs constituent une famille internationale et ils se connaissent entre eux. Concernant l'intention du Gouvernement allemand, je ne peux pas vous donner de chiffres aujourd'hui mais je pourrai les fournir plus tard sur le sujet de l'accélération et l'intensification de la recherche.

M. Gérard César - Pensez-vous qu'il existe une coordination entre tous les chercheurs allemands et les autres chercheurs européens ?

M. Axel Reich - Nous avons deux voies d'échanges, à savoir les symposiums de chercheurs (et leurs publications) et les discussions à l'échelle européenne. N'étant pas expert, je ne pourrais pas vous indiquer s'il existe assez d'échanges. Je n'ai jamais entendu dire que les chercheurs ne communiquaient pas entre eux car ils échangent des informations dans des symposiums.

M. le Président - En Allemagne il a été décidé d'abattre tout le troupeau quand un cas d'ESB est découvert. N'est-il pas difficile de faire appliquer cet abattage systématique ?

Il me semble qu'en Bavière certains, les éleveurs et certains écologistes, étaient contre cet abattage systématique. Où en est-on sur ce sujet ?

M. Axel Reich - Nous avons eu une discussion très profonde sur cette question. La raison en est qu'en Suisse il existe des expériences assez bonnes avec l'abattage des cohortes et des descendantes.

La décision prise en Allemagne consiste à abattre tout le troupeau car nous n'avons pas assez d'informations sur les voies de transmission. Avec plus de renseignements la décision serait sans doute différente.

Concernant les 28 cas d'ESB constatés, nous avons fait abattre tout le troupeau sauf un veau dans le Schleswig-Holstein qui a été mis à l'écart dans un lieu où il n'aurait pas de contact avec d'autres bovins. C'était peut-être une décision très sentimentale qui a été encadrée de précautions évitant toute contamination ou tout contact direct avec d'autres bovins.

La question d'abattre tout un troupeau a profondément ému beaucoup de personnes en Allemagne, ainsi que des politiciens.

M. le Président - Par ailleurs, comment se déroule l'application des mesures sanitaires dans le contexte fédéral propre à l'Allemagne ? Vous avez indiqué qu'il en existait au niveau des Länder mais aussi au niveau Fédéral.

M. Axel Reich - Les lois et les décrets de loi sont édictés par la Fédération. Pour qu'ils soient appliqués dans les Länder il faut le consentement du Bundesrat.

La seule possibilité d'agir sans le consentement du Bundesrat serait de produire un décret d'urgence, tel celui qui ordonne les tests pour les bovins de plus de 24 mois. Toutefois, ces décrets d'urgence n'ont qu'une vie éphémère de 6 mois durant lesquels il faut recueillir le consentement du Bundesrat. C'est la législation.

L'application de tout ce qui concerne la sécurité sanitaire relève des services des Länder. Nous n'avons presque pas de policiers fédéraux, de juges fédéraux, de professeurs ou d'instituteurs fédéraux. Les Länder sont à la base et il existe une coordination sous la présidence du secrétaire d'Etat du ministère fédéral : on y coordonne les mesures et les chefs des services vétérinaires des Länder s'informent entre eux sur la manière de procéder.

M. le Président - Par ailleurs, où en est le marché de la viande en Allemagne, la consommation, etc. ?

M. Axel Reich - La consommation est à 43 % de ce qu'elle était avant le 26 novembre. Le marché est si bas que l'intervention a commencé ; cela signifie que le prix est 60 % au-dessous des prix directeurs.

Par exemple, dans un buffet de petit déjeuner à l'hôtel, chaque charcuterie porte une mention indiquant qu'elle ne comporte pas de viande bovine. Si de la viande bovine était utilisée, ce serait spécialement mentionné. La réaction est extrêmement brutale.

M. le Rapporteur - Existe-t-il en Allemagne un cas humain supposé de MCJ ?

M. Axel Reich - Non. Officiellement nous n'avons pas détecté de cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. le Rapporteur - En Allemagne les chercheurs pensent-ils à la mise au point prochaine d'un test ante mortem ?

M. Axel Reich - L'entreprise Boehringer-Ingelheim a annoncé qu'elle a obtenu un brevet sur un test ante mortem qui sera prêt en août. Il semblerait que ce laboratoire ait fait « marche arrière » car il n'indique plus de date pour la disponibilité de ce test.

M. le Président - Quelle est la date d'interdiction d'utilisation des farines animales en Allemagne ?

M. Axel Reich - Mars 1994.

M. le Président - Nous vous remercions infiniment d'avoir accepté de participer à cet entretien. Merci pour tous les renseignements que vous nous avez communiqués et pour la manière très conviviale dans laquelle s'est déroulé cet entretien.

Audition de M. Alain GLON, Président de la société Glon-Sanders

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Alain Glon vous êtes Président de la société Glon Sanders et je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glon.

M. le Président - Nous vous demanderons de nous parler de ce problème des farines animales tel que vous l'avez vécu. Vous avez pu voir comment les choses se sont passées par rapport à votre entreprise, à la fabrication d'aliments pour le bétail et les conséquences sur le développement de l'ESB.

M. Alain Glon - J'ai 59 ans et, dans l'un de nos métiers d'origine qui est la nourriture animale, je crois avoir tout fait depuis l'époque du cheval et de la charrette.

Au fil de ma présentation et de vos questions, je pourrai apporter quelques précisions.

J'ai une première interrogation car j'ai lu dans Ouest France de samedi dernier : « Farines : les sénateurs face à des silences ». Il s'agit probablement d'une nouvelle erreur journalistique.

Même si c'est vrai (cela l'est certainement en partie), c'est en raison de l'histoire que l'on connaît qui, comme je vous le disais, est fort longue. Aussi, sachant qu'aujourd'hui j'allais venir face à des parlementaires, je m'interrogeais pour savoir s'il fallait leur dire une partie de ce que nous savions de cette longue histoire et s'il était intéressant que les représentants de la Nation connaissent le climat psychologique qui règne autour de cette affaire.

Je vous laisse le libre choix.

M. le Président - Nous avons la nécessité de tout savoir et de tout comprendre. Aussi, nous vous laissons l'entière liberté de pouvoir tout nous dire dans ce sens.

M. Alain Glon - Il est important que vous compreniez le climat psychologique qui règne autour de cette affaire. J'ai fait une note interne reprenant les propos que j'échangeais dernièrement avec mon fils Benoît.

« Alain : Bonsoir, Ben, il y a des jours avec et des jours sans. Aujourd'hui, c'était une bonne journée, les flics sont sympas.

Ben : De retour après deux années en Asie, je trouve la situation en France assez folle. Dis-moi papa, ce qui s'est passé dans l'entreprise cette semaine, est-ce grave ?

Alain : Non, ce n'est pas grave, mais par contre c'est perturbant et pour le moins pas banal de recevoir la visite impromptue de 15 policiers d'un coup et je comprends ton interrogation.

Mais avant avoir d'avoir une réaction de rejet ou de dégoût, il faut d'abord que tu intègres l'histoire récente de la France, celle du sang contaminé, de la mise en cause de l'Etat et de la perte de confiance du citoyen. Les analogies avec l'affaire de la vache folle sont telles que chacun cherche en cette affaire, depuis 10 ans, un coupable, voire un coupable alternatif.

En deuxième lieu, il convient, dans ce feuilleton à rebondissements, de pondérer toute la partie irrationnelle ou, au contraire, celle qui l'est trop comme le médiatique par exemple. Le sujet fait monter l'audimat, la télévision a montré des images terribles sur des malades anglais, et même si en France il n'y a eu que deux, ou peut-être trois, cas humains, ceux-ci frappent plus l'opinion que le cancer ou les accidents de la route.

Il y a aussi tous les aigris de la société dans ces milieux scientifiques, juridiques, politiques et autres, tous ceux qui cherchent l'occasion d'une revanche. Il y a aussi, comme en Grande-Bretagne, des scientifiques qui annoncent un cataclysme humain pour se faire financer des moyens de recherche.

Tout ceci est compliqué et il faut, pour mieux comprendre, que tu intègres toutes ces composantes du dossier.

Dans un deuxième temps, il faut que tu considères qu'en France l'Etat est gérant, c'est-à-dire qu'il se mêle de la conduite des affaires et n'est pas seulement garant, c'est-à-dire préoccupé essentiellement de ses droits et devoirs régaliens comme c'est souvent le cas dans les pays qui connaissent le même niveau de développement.

De ce fait, l'Etat doit gérer la crise et les angoisses entretenues dans la population. Quand autant de bateleurs d'estrade réclament un coupable, l'Etat est contraint d'agir pour rassurer l'opinion : « Je veille sur vous braves gens ».

Bien sûr, c'est pour nous la cinquième commission d'enquête, sans compter les deux commissions parlementaires, bien sûr celle-ci ne découvrira rien de contrevenant ; cela aurait été fait depuis longtemps, notamment par ceux qui viennent pour la troisième fois.

Nous avons toujours anticipé les décisions et parfois contraint l'Etat à agir. L'Etat pourra dire cette fois : « J'y ai mis mes 15 meilleurs limiers qui sont arrivés à l'improviste avec tous les mandats voulus ». Il est vrai que cette fois nous avons à faire à des « super pro ». Fais-moi confiance mon fils, pas un coupable ne pourrait résister au régime que l'on nous applique depuis plus de 10 ans maintenant.

Ben : J'entends bien, mais tu me dis que cette fois il y avait 15 inspecteurs. Dans aucune série noire je n'ai vu la même chose. Cela pourrait-il te conduire en prison ?

Alain : Tu sais que notre entreprise présente des caractéristiques intéressantes pour faire de nous « le responsable choisi pour être le coupable qui convient » selon l'expression utilisée par ceux qui ont investi dans ce but.

Tu sais que ma tête a déjà, en 1996, été confiée à des services très spéciaux et c'est la raison pour laquelle j'avais différé l'acceptation de la Légion d'Honneur. Je sais donc que tout est possible.

Quant à la « justice de mon pays », j'ai eu l'occasion de vérifier personnellement que là aussi tout est possible. Mais vois-tu, à ton âge il n'est pas bon de douter de tout alors je n'en parlerai pas davantage. La presse en parle régulièrement, les gens de ton âge doivent croire en la vie et relever des challenges ; ils n'ont pas à épouser une gérontocratie qui ne craint plus que pour sa santé.

Ben : Est-ce que cela a toujours été comme cela ?

Alain : La réponse n'est pas catégorique. Il faut d'abord que tu saches qu'il existe la même proportion de voyous dans toutes les couches de la société et qu'il convient que les autorités adaptent leurs méthodes à ces contrevenants. Cependant, quand les pratiques ne sont pas en harmonie avec les protagonistes, et surtout quand il s'agit en quelque sorte d'obtenir un « effet de manche », c'est dégradant pour l'enquêté et l'enquêteur.

D'ailleurs, les enquêteurs eux-mêmes s'étonnent quand nous leur relatons toutes les enquêtes dont nous avons fait l'objet et dont pas une seule ne s'est terminée par un document quelconque. Même pas une copie de note, alors que j'ai vu le courrier écrit par le ministre en charge des Douanes, à destination de son collègue de l'Agriculture, pour lui indiquer qu'il n'avait rien trouvé de frauduleux chez nous ou ailleurs.

Je ne te parle pas des perturbations que ces centaines de journées d'enquêtes, ces tonnes d'archives et ces milliers de photocopies engendrent pour nos collaborateurs dans l'entreprise. Nous les entrepreneurs, nous sommes corvéables à merci. Tu sais que dans le concert international on appelle cela l'arrogance française, mais la France pense que c'est faux.

Ben : Dis-moi, cela a toujours existé et la population l'ignore ?

Alain : Bien sûr, nous ne sommes pas un cas unique et d'autres entreprises connaissent la même situation. C'est probablement un problème de taille ou de secteur d'activité.

Mais j'en reviens à ta question. Nous concernant, 15 inspecteurs, c'est un record, car jusque là nous en étions à 12 à la fois, bien sûr sans annonce, sans suite ni mot d'excuse.

Maintenant, en remontant très loin dans le temps je pourrais te citer l'exemple de Mamie que nous avons accompagnée dans son dernier voyage il y a tout juste un mois. Elle a vécu toute sa vie le traumatisme des fouilles du moulin en 1943/1944 lorsque nous étions levés la nuit et alignés au mur le temps que des hommes en vert-de-gris cherchaient les maquisards. Bien sûr, c'était différent car ceux-là ne déclinaient pas leur nom et leur titre en arrivant. Mais tu vois, à la suite de cela elle n'a plus voulu aucune responsabilité en dehors de celles d'une mère. Je la comprends.

Pour ma part, j'essaie de garder la bonne distance par rapport à ces événements. La frénésie et l'obsession nous guettent, tout comme d'autres, par exemple :

- le militaire est tenté de guerroyer sans cesse et sans fin,

- le politique pourrait être tenté par l'abus de pouvoir personnel et refuser le désaveu,

- le juge pourrait tomber dans l'intégrisme, à savoir inculper au nom de la loi pour un fait non avéré, juger au nom des principes (de précaution) et non plus selon la loi, condamner au nom de la justice alors devenue ordre, ce qui nous ramènerait au temps de l'inquisition,

- l'homme d'affaires quant à lui peut sombrer dans l'amour immodéré de l'argent.

Ben : Et comment vois-tu le futur ?

Alain : Tu sais que je suis optimiste, d'ailleurs sans cela je n'aurais pas été un entrepreneur. Cependant l'évolution de la France me paraît inquiétante. Le monde politique a perdu la confiance de la population, nombre d'élus pensent essentiellement à se défendre et à agir au gré des sondages ; ce sont donc les médias qui orientent la politique du pays. L'absence, le vide laissé par le politique est en passe d'être occupé par des juges ; cela conduit à une rigidification de la société, voire dans certains cas à une forme d'intégrisme. J'y pense dans nos activités alimentaires pour le zéro OGM ou le zéro salmonelle. Je pense à ce que l'on peut faire dire à l'obligation de précaution. La France risque de payer le prix fort pour la désagrégation de son système politique. Ce prix sera aussi payé par toute la société civile.

Une civilisation ne peut impunément laisser mettre en cause ses valeurs fondatrices comme nous l'avons vu :

- les scientifiques rompent le tabou sur le génome humain,

- la mondialisation écrase l'homme pour la finance,

- le cinéaste a cru pouvoir utiliser le Christ en pornographie,

- un écrivain a cru pouvoir vilipender le prophète de l'Islam,

- un distributeur a cru pouvoir angoisser la population sur le produit des autres.

Tu sais que pour notre part, au-delà du bon à manger, nous nous appliquons pour que nos produits soient aussi bons à penser ».

M. le Président - Il faut se recentrer sur le problème. Je comprends bien votre amertume et votre attitude mais nous sommes dans le cadre, je le répète, d'une commission d'enquête sur un problème bien précis et je crois qu'il est nécessaire maintenant de se remettre véritablement sur le sujet en traitant des problèmes posés par la fabrication d'aliments pour le bétail et celui de l'introduction des farines de viande et ses conséquences.

Je le répète, je comprends votre position personnelle, mais je me dois, dans le cadre de cette commission d'enquête, de recentrer les débats.

M. Alain Glon - Merci. Sur ce tableau mon intention est de vous montrer les différents métiers et, si besoin est, d'éviter, à vos yeux (car pour le reste je n'y crois plus) que la confusion soit entretenue.

Un premier métier, celui d'équarrisseur, consistait à ramasser les cadavres d'animaux dans la campagne ou dans les élevages pour les transformer en farines animales.

Un deuxième métier est né, conjointement, pour traiter les déchets des ateliers de découpe, à savoir des morceaux qui ont la même qualité bactériologique que ce que nous mettons dans notre assiette.

Pour des raisons qu'il vous appartiendrait de rechercher, ces personnes ont été appelées, tout comme nous, « fabricants de farines » et cette confusion a été volontairement entretenue dans la population. Il serait intéressant que vous recherchiez qui était propriétaire de ces entreprises.

M. le Président - Il faut nous le dire.

M. Alain Glon - Il s'agit de l'Etat.

M. le Président - Il serait donc propriétaire des équarrisseurs.

M. Alain Glon - Oui, à concurrence de deux tiers ou trois-quarts de l'activité en France.

Ensuite, les fabricants d'additifs mélangent des vitamines, oligo-éléments ou autres, destinés à être incorporés dans les aliments des animaux.

Il existe aussi des fabricants d'aliments d'allaitement. Il semblerait que ce soit la nouvelle cible. A partir du lait, ils retirent la matière grasse (le beurre) et ajoutent, en substitution, des matières grasses végétales, telles que l'huile de palme, ou animales. Il s'agit d'un métier qui n'a rien à voir avec le nôtre.

Par ailleurs, les fabricants de pet food (les aliments pour animaux de compagnie) ramassent les déchets des ateliers de découpe.

Les fabricants d'aliments composés utilisent les farines animales produites par d'autres.

Je crois qu'il conviendrait de vérifier qui était en charge de la qualité de ces farines animales, qu'elles soient d'importation ou produites en France.

Pour chercher la vérité, il faut avoir une notion de ce qu'est chacun de ces métiers.

Jusqu'au 1er janvier 1999, date à laquelle nous avons repris le Groupe Sanders, nous étions une entreprise familiale installée essentiellement en Bretagne Depuis, nous avons comme actionnaires des financiers et l'Etat qui est resté à 23 % .

Concernant les dispositions prises par notre entreprise, nous n'avons jamais utilisé de farines de viandes anglaises importées par nous pour les bovins. Toutefois, puisque les équarrisseurs français ont mélangé des farines anglaises à leur production, je ne peux pas être aussi affirmatif sur l'absence de farines animales anglaises dans nos produits.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Quels étaient vos circuits d'approvisionnement ?

M. Alain Glon - Nous importions des farines anglaises mais elles n'ont jamais été incorporées aux aliments pour bovins. Nous disposons de plusieurs usines qui sont plus ou moins spécialisées.

M. Gérard César - A quoi servaient les farines anglaises importées ?

M. Alain Glon - Dans notre entreprise, les farines anglaises n'ont jamais été utilisées dans les aliments pour bovins ; elles servaient à fabriquer les aliments pour les volailles et les porcs. Je parle des farines importées par nous de Grande-Bretagne.

Quand nous ne les importions pas de Grande-Bretagne, nous pensions que celles achetées aux équarrisseurs français étaient françaises.

M. le Rapporteur - Avez-vous acheté des farines en Irlande ou en Belgique ?

M. le Rapporteur - Nous avons acheté des farines en Irlande. Concernant la Belgique, Glon n'a jamais acheté de farines à ce pays mais ce n'est pas le cas de Sanders.

M. Gérard César - En Hollande ?

M. Alain Glon - Nous ne pouvons pas le savoir ; c'est comme pour certains produits tels que le sucre. Là aussi des sociétés françaises étaient impliquées.

Nous avons arrêté les importations de Grande-Bretagne le 9 janvier 1989 ; c'est la date du dernier arrivage reçu de ce pays. L'interdiction française date d'août 1989 alors que nos importations avaient cessé 6 mois plus tôt ; nous avons d'ailleurs beaucoup agi pour que ces importations soient arrêtées, sans avoir toujours eu l'audience voulue.

M. le Président - Vous disiez que des sociétés françaises étaient impliquées dans l'importation de farines provenant de Belgique ou d'ailleurs. De quelles sociétés s'agissait-il ?

M. Alain Glon - Ce sont les mêmes propriétaires que pour les équarrisseurs français.

M. le Président - Ce sont toujours les mêmes.

M. Alain Glon - A partir de Belgique il peut en venir énormément. Des sociétés d'équarrissage françaises avaient un commerce européen.

Nous avons arrêté toute incorporation de farines animales dans les aliments pour bovins en mai 1989, quand nous avons constaté que des équarrisseurs français avaient importé des farines anglaises pour les mélanger à leur production.

Nous avons tenté de faire interdire l'introduction de farines animales dans tous les aliments pour ruminants et cette interdiction est arrivée en juillet 1990, soit 15 mois après que nous ayons cessé d'utiliser ces farines.

M. le Président - Concernant cette décision (prise bien avant la décision officielle, vous avez raison), comment aviez-vous été informés, par quelle voie ou quel organisme professionnel ?

M. Alain Glon - Fin 1988 nous avons observé que la qualité des farines de viandes importées de Grande-Bretagne se dégradait, non pas au niveau des prions ou de la BSE (tout le monde en ignorait l'existence) mais plutôt des salmonelles. Compte tenu de ce risque, nous avons arrêté les importations le 9 janvier 1989 et résilié les contrats.

Toutefois, nos concurrents continuaient à utiliser ces farines vendues à des prix sensiblement inférieurs à ceux des farines produites en France à l'époque. Cette distorsion de concurrence nous a conduits à rechercher ce qui pouvait justifier la dégradation des farines anglaises. En constatant le manque de clarté de la situation en Grande-Bretagne nous avons préconisé aux autorités françaises l'arrêt des importations et ensuite l'arrêt des incorporations de farines dans les aliments pour bovins.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu des échanges téléphoniques ou épistolaires avec les autorités françaises pour faire état de vos craintes ?

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Pourrait-on avoir ces documents ?

M. Alain Glon - J'ai un souvenir assez précis des échanges téléphoniques mais il existait peu de documents.

M. le Président - Nous sommes des béotiens et nous ne connaissons pas tout. Vous dites avoir eu des échanges avec les représentants de l'Etat : de qui s'agissait-il ?

M. Alain Glon - Il s'agissait de personnes de la rue de Varenne.

M. le Président - C'est donc directement avec le ministère de l'Agriculture.

M. Alain Glon - Tout cela sera su rapidement.

M. le Président - S'agissant d'une commission d'enquête, vous nous donnez des informations (mais pas volontairement car, je le comprends, en votre qualité de chef d'entreprise, c'est difficile) relevant d'une certaine habitude de fonctionnement. Nous ne sommes pas informés de tout et c'est ce que nous voulons comprendre.

Quand vous indiquez que vous étiez en relation avec les représentants de l'Etat de l'époque, nous devons savoir de qui il s'agissait précisément. Nous n'avons pas lieu de douter de vos affirmations puisque vous avez prêté serment, mais nous devons connaître la Direction avec laquelle vous étiez en contact afin de l'alerter sur ce problème.

M. Alain Glon - C'était le ministère, le cabinet de la Direction Générale de l'Alimentation.

M. le Rapporteur - La DGAL, rue de Varenne à l'époque.

M. Alain Glon - Dans une réunion nous ne faisons pas la distinction pour savoir qui est de quelle administration.

M. le Président - Bien sûr.

M. Alain Glon - C'était au printemps 1989.

M. Georges Gruillot - Vous disiez avoir constaté la dégradation de la qualité des farines anglaises. Les farines françaises vous semblaient-elles de qualité constante ?

M. Alain Glon - Non.

M. Georges Gruillot - A l'époque, il y avait de tout dans les farines françaises.

M. Alain Glon - Oui. C'était une dégradation de la qualité.

Il faut comprendre que notre métier (je ne sais pas si d'autres avant moi vous l'ont expliqué) consiste à établir des rations pour les animaux à partir d'un nombre important de matières premières pour lesquelles nous avons précisé environ 60 caractéristiques. Par ailleurs, le besoin des animaux est déterminé avec 60 contraintes. Des calculs réalisés par ordinateur ajustent l'offre et la demande.

Nos fournisseurs utilisent les mêmes techniques que nous et savent à quel prix ils peuvent nous vendre ces matières premières. Si nous utilisons, en compétition, soit du soja soit des farines animales, le fournisseur sait à quel prix il faut vendre ces farines animales.

Pour nous, l'intérêt économique (contrairement à ce qui a été dit) est extrêmement faible. Il n'existe pas de fournisseur assez ignare pour vendre très au-dessous du prix d'intérêt de sa matière première.

Par ailleurs, les quantités de farines utilisées ont toujours été très faibles ; c'est comparable à ce que pratique la ménagère qui incorpore un bouillon en cube dans le potage.

M. le Rapporteur - S'agissait-il de 3 % ou 5 % ?

M. Alain Glon - Moins, mais cela peut varier. Les Anglais en consommaient beaucoup car l'Angleterre n'a pas de très grands ports pour recevoir de gros bateaux provenant du Brésil ou d'Argentine avec de la protéine compétitive.

La protéine de soja vient du Brésil, d'Argentine ou des Etats-Unis par bateaux jusqu'à Rotterdam ; elle est ensuite transbordée et acheminée vers les ports anglais. Cela signifie que pour les Anglais le soja (produit concurrent de la farine de viande) était plus cher que pour nous sur le continent.

Par ailleurs, les Anglais ayant une aviculture peu développée (les farines de viande sont consommées essentiellement par l'aviculture) avaient des prix de farines de viande plus bas que ceux du marché ; étant exportateurs, ils devaient payer le différentiel de transport pour livrer sur le continent. C'est donc un pays qui consommait traditionnellement beaucoup de farines de viande, y compris pour les ruminants.

La Suisse est dans le même cas. Elle dispose d'un système très protectionniste taxant fortement les importations de tous produits protéiques. C'est une façon pour ce pays de protéger son herbe ou sa luzerne contrairement au système européen. De ce fait, les farines animales produites en Suisse présentent un très grand intérêt économique et leur taux d'incorporation est de loin supérieur à ce qu'il était en France.

M. le Rapporteur - En Suisse et Angleterre, quel était le taux d'incorporation de ces farines dans la ration ?

M. Alain Glon - J'ai entendu dire qu'il s'agissait de 7 % à 8 %.

M. le Rapporteur - Soit trois fois plus qu'en France. Quel est le différentiel de prix entre les farines anglaises, fabriquées selon le concept ayant généré l'ESB, et les farines « françaises » respectant les trois critères de température, temps de chauffage et pression ?

M. Alain Glon - Les farines françaises ne respectaient pas les critères de température, pression, etc.

M. le Rapporteur - Jusqu'à une certaine époque.

M. Alain Glon - Jusqu'en 1983.

M. le Rapporteur - Vous estimez donc que les farines françaises ont été dégradées à partir de 1983.

M. Alain Glon - En 1983, avec crise du pétrole tout le monde a été incité à faire des économies d'énergie, y compris cette profession. Les règles qui régissent les farines animales portent sur des taux de contamination bactériologique (campilobacter, salmonelles et autres) et cette industrie a diminué l'intensité des traitements tout en satisfaisant les obligations réglementaires. Tout le monde ignorait que le prion était présent.

Les farines françaises étaient de même nature mais nous avions peut-être moins de moutons atteints de tremblante.

M. le Rapporteur - Sur ce plan, suite à l'audition de Mme Brugère-Picoux, il semblerait (selon les connaissances scientifiques) qu'il n'existe pas de relation entre la tremblante du mouton et l'ESB.

Quel était l'intérêt pour les producteurs français (pour les transformateurs que vous êtes) de s'approvisionner avec des matières premières anglaises ; était-ce une question de prix ?

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Quelle était la différence de prix ?

M. Alain Glon - Dans nos métiers nous dégageons moins de 1 % de marge et la matière première représente plus de 80 % du prix de revient. Si une matière première procure 1 % ou 2 % d'écart de prix, nous mettons beaucoup de moyens en oeuvre pour y accéder.

M. le Rapporteur - Même avec une incorporation dosée à 2 % ou 3 % ?

M. Alain Glon - Oui, car nous sommes dans l'infiniment petit.

Vous faisiez référence (après les perquisitions tout sera présenté) à la Commission d'enquête parlementaire. Je peux vous lire la lettre que j'ai adressée le 23 janvier 1997 à Mme Guilhem qui était Présidente de cette Commission d'enquête parlementaire.

« Madame la Présidente,

Vous savez le souci permanent qui est le nôtre, tant au plan de l'éthique que de la vérité. J'ai la conviction que dans sa recherche effrénée d'un responsable pour en faire un coupable, l'Etat aurait détruit notre entreprise si nous n'avions pas été d'une scrupuleuse honnêteté.

Je lis aujourd'hui dans le journal Libération une interview de M. Josselin qui en réponse à la question : « Avez-vous entendu André Glon ? » répondait : « Non, il a décliné notre invitation ».

En dehors de l'erreur de patronyme, s'agissant d'Alain et non pas d'André, la réponse me surprend. Vous vous souviendrez en effet que nous étions convenus qu'il était préférable que notre rencontre ait lieu en dehors de l'Assemblée Nationale ».

A l'époque, on parlait d'écoutes.

« Le rendez-vous avait été pris à notre stand d'exposition au SIAL. Dans les derniers instants, vous aviez dû annuler cette rencontre pour participer à un déplacement à Brest dans le cadre de la Commission de la Défense nationale.

Le nouveau rendez-vous pris, pour la semaine suivante, a également été annulé en raison d'une rencontre urgente avec M. Vasseur.

Vous m'indiquiez alors que votre rapport devait être remis pour fin octobre et qu'en raison du court délai qui vous était laissé vous m'appelleriez téléphoniquement en tant que de besoin.

S'agissant de l'aspect journalistique, en référence à l'article cité, ceci ne me crée pas de difficultés tant nous avons lu d'inexactitudes par ailleurs. Par contre, je ne voudrais pas qu'un instant le Président, M. Josselin, et ses collègues puissent penser que je me suis dérobé.

Concernant le fond de l'affaire et l'intérêt éventuel de ce que j'aurais pu dire, je vous rappelle qu'autant j'ai pu me montrer inflexible en 1989, quand il s'agissait de la santé animale, ou que je croyais limitée à la santé animale, et en 1996 quand il s'agissait de la santé humaine, autant je suis soucieux de ne pas accroître le malheur.

Ceci explique d'ailleurs pourquoi je n'ai pas pu être plus explicite en audience.

Le mélange des farines anglaises à des farines françaises par les équarrisseurs, je l'ai vu confirmé dans le journal Ouest France quelques jours plus tard. Le traitement insuffisant idem à celui des Anglais appliqué par les équarrisseurs français, le même article d'Ouest France en faisant état.

La séparation des cadavres et ASB que j'ai quasiment arrachée nous met théoriquement à l'abri, mais les quelques angoisses qui me restent m'amèneront à des positions fermes au 1er avril 1997 par rapport par rapport aux 3 bars, 133° et 20 minutes.

L'aliment volailles donné aux bovins, votre rapport en fait état. La mise en cause des farines françaises par la Suisse, le journal Libération du 13 janvier l'aborde. Les prélèvements d'hypophyse à destination de l'hormone de croissance, c'est en cours et le danger n'existe plus. Laissons faire la justice, les sessions et les cotations. La contamination par la voie génétique et ses conséquences, il ne convient pas d'en parler, mais c'est ce que j'aurai à l'esprit pour décider de ce que je ferai de la farine au 1er avril 1997.

Je n'ai repris que l'essentiel et deux choses me préoccupent : l'échéance du 1er avril 1997 (traitement à la pression), l'image que vous vous êtes faite de la DGCCRF alors que moi, qui ai subi plus de 100 jours de contrôles en cette affaire, je la tiens en très haute estime ; je l'ai d'ailleurs dit à M. Mattei.

Pardonnez-moi d'avoir été long, mais c'est de mon honneur dont il s'agit. Merci de faire silence désormais, il n'y a plus que le travail qui vaille ».

Je vous ai éclairés sur les différentes actions entreprises et j'ai mentionné à chaque fois le décalage entre le calendrier des obligations officielles et ce que nous avons pratiqué.

Retrait des abats à risques et cadavres de la fabrication des farines françaises : cela s'est passé à Lorient le 26 juin 1996. Nous étions, nous les fabricants d'aliments, accusés de consommer n'importe quoi et chacun continuait, ou souhaitait continuer, à mettre les cadavres et le reste dans les farines animales que nous devions consommer. Nous avions organisé l'arrêt de tous les achats.

Le 26 juin 1996, dans une réunion qui s'est tenue à la sous-préfecture de Lorient, environ 13 personnes venant de Paris ont essayé de nous convaincre de continuer la consommation. Nous avons refusé de le faire et nous ne l'aurions fait que si les déchets à risques avaient été retirés et c'est vraiment ce jour qu'ils l'ont été.

M. le Rapporteur - Le 26 juin 1996, 13 personnes étaient en sous-préfecture de Lorient (ce sont sans doute des personnes du ministère et il serait possible de retrouver leur nom) vous faisaient obligation de continuer à incorporer des farines... Ce n'est peut-être pas tout à fait cela.

M. Alain Glon - La langue française possède des ressources quand on écrit : « Ces farines doivent continuer à être utilisées.... ».

M. le Rapporteur - Avez-vous conservé ce courrier ?

(Présentation du courrier par M. Glon)

M. Alain Glon - Je vous disais que pour nous l'intérêt économique était extrêmement faible.

Le courrier indique : « En attendant et considérant que les mesures de précautions prises en France, sur la base des recommandations du Comité interministériel sur l'EEST dûment notifiées, n'ont pas fait l'objet, à ce jour, de commentaires de la Commission, la production et l'utilisation des farines de viande d'origine française doivent se poursuivre dans le respect ».

Nous n'avons jamais pu faire éclaircir le terme « doivent ».

M. Gérard César - C'était à la suite de la réunion de Lorient.

M. Alain Glon - Je n'ai plus la date de ce courrier mais je la rechercherai.

Entre le risque de voir les abattoirs s'arrêter (car les déchets n'auraient plus quitté les abattoirs) et le confort pour nous d'arrêter l'utilisation, il était infiniment plus confortable, si nous n'avions vu que notre intérêt, d'arrêter l'utilisation.

M. Gérard César - Pourriez-vous nous indiquer le nom des équarrisseurs français qui importaient ces farines anglaises ? C'est important pour notre commission d'enquête car sans nom cette information peut ne pas nous intéresser.

M. Alain Glon - Je lis : « Le Groupe SARIA Industries réalise des importations importantes par voie maritime dans son usine de la Française Maritime de Concarneau : 4 000 tonnes arrivent d'Ulster, l'Irlande britannique ». Il s'agit d'une déclaration du 6 septembre 1996.

Ce sont des chiffres confirmés par le Directeur commercial de cette société, M. Patrick Colombier, interrogé par nos soins. Nous n'avons aucun « complexe » à dire que nous avons importé des farines de viande britanniques ; il s'agissait de cretons qui sont des mélanges d'os et de suif (et non des produits d'équarrissage), des produits dégraissés aux solvants et retranchés avant utilisation.

Les enquêteurs précisent que toutes ces farines ont été mélangées aux productions métropolitaines du Groupe et vendues aux fabricants d'aliments sans préciser l'origine partiellement britannique des produits. C'est ainsi que des fabricants ont pu recevoir, sans le savoir, des farines d'origine anglaise ».

M. le Rapporteur - On peut considérer qu'elles étaient utilisées pour les porcs et les volailles.

M. Alain Glon - Celles-là l'étaient aussi pour les bovins puisque les farines françaises étaient réputées saines.

M. le Rapporteur - Il s'agit de 1996.

M. Alain Glon - Non, la déclaration est de 1996. Pour moi, il n'y a pas eu d'importations illégales en France.

Les Douanes et la DGCCRF ont complètement réécrit l'histoire. Cela aurait été stupide puisque le Gouvernement anglais, quand il a mis un embargo sur l'utilisation des farines, a également mis en place un dispositif de rachat des farines à un prix infiniment plus cher que celui du marché. Si on voulait la vérité, tout le monde pourrait vérifier cette information très facilement.

Je n'imagine pas qu'une société importe des farines à un prix beaucoup plus cher pour le plaisir qu'elles soient anglaises. Selon moi, il n'y a pas eu d'importations frauduleuses. Je le dis aussi pour mes collègues.

Depuis un certain temps, nous avons vu beaucoup de situations. Nous sommes à près de 300 ou 400 jours d'enquête chez nous.

Que sont devenus les déchets de ces animaux, à savoir les veaux anglais importés qui devaient être tenus en quarantaine pour ne jamais devenir adultes ? Ils sont devenus des cadavres et ont été recyclés naturellement dans des usines françaises. Il existe un certain nombre de ces exemples.

M. le Président - C'est en 1997.

M. Alain Glon - Oui. On peut aussi parler des 40 000 bêtes importées de Grande-Bretagne sur le continent au titre de la génétique durant la période à risques.

M. le Rapporteur - Il s'agit bien de génétique ?

M. Alain Glon - Oui, les Anglais ont fait beaucoup de bêtises mais aussi des études très sérieuses et selon eux 11 % des animaux étaient des porteurs sains.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous nous donner des précisions concernant ces animaux importés ?

M. Alain Glon - C'était au titre de l'amélioration génétique. De même que la France vend des embryons de Charolais dans le monde entier, des éleveurs français ont importé de la génétique anglaise avec des animaux de bonne qualité.

M. le Rapporteur - Sous quelle forme ?

M. Alain Glon - Ce sont généralement des animaux vivants et les statistiques anglaises indiquent que 40 000 bêtes ont été exportées en France, dont 11 % étaient des porteurs sains.

M. le Rapporteur - Avez-vous un document sur ce sujet ?

M. Alain Glon - Il en existait mais je n'ai pas tout gardé.

M. le Rapporteur - La génétique anglaise n'est pas très bonne.

M. Alain Glon - Elle était de bonne qualité. Cela a eu lieu jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.

M. Gérard César - De quelle race s'agissait-il ?

M. Alain Glon - La race Holstein mais il ne convient peut-être pas de parler de toutes les voies de contamination.

M. le Rapporteur - C'est la première fois que je prends connaissance de cette information concernant l'importation d'animaux génétiquement intéressants. Je n'avais pas l'habitude de considérer que sur le plan laitier la génétique était intéressante à partir de Grande-Bretagne.

M. Alain Glon - Des animaux ont été contaminés chez certains de nos éleveurs et cela porte à s'interroger. Il existe une coïncidence assez forte entre les zones géographiques où ont eu lieu les importations génétiques et le nombre de cas.

M. le Rapporteur - C'était précisément notre souci quand nous sommes allés dans les Côtes d'Armor qui est le premier département tristement célèbre à travers le nombre d'animaux contaminés. Nous nous interrogions et l'une des réponses pourrait être celle d'importations de ces animaux génétiquement intéressants à partir de Grande-Bretagne.

Connaissez-vous les entreprises ayant importé ces animaux ?

M. Alain Glon - Oui, mais il n'y avait rien d'illégal dans cette pratique. Toutefois, nous supportons mal que le fabricant d'aliments soit le seul « cloué au pilori » dans cette affaire.

M. le Rapporteur - Nous cherchons à comprendre.

M. Alain Glon - Vous ne le dites pas.

M. le Président - Cela nous permet de remonter.

M. le Rapporteur - Concernant les veaux, nous pouvions deviner ce qui se passait quand ils étaient sur le territoire national. S'agissant des animaux d'âge adulte, nous n'avions aucune information.

M. Gérard César - D'où provient le chiffre de 40 000 bovins importés de Grande-Bretagne ?

M. Alain Glon - Ils ont été exportés par la Grande-Bretagne sur la totalité du continent. Ce sont les statistiques anglaises et elles peuvent être demandées à la douane.

M. le Président - Ce sont des bovins anglais importés sur l'ensemble du continent européen.

M. Alain Glon - Oui.

M. le Rapporteur - Durant quelle période ?

M. Alain Glon - Je ne sais pas depuis quand cela se pratiquait ; jusqu'en 1993 et peut-être même au-delà.

M. le Rapporteur - C'est une question que nous approfondirons.

M. Alain Glon - Sur les statistiques nous pouvons constater des erreurs de 30 000 tonnes. Ce n'est pas surprenant car les douanes ont été « chahutées » au 1 er janvier 1993 et les statistiques n'ont plus été tenues.

M. le Rapporteur - Que signifie « les douanes ont été chahutées au 1er janvier 1993 » ?

M. Alain Glon - A cette époque la communauté européenne a supprimé beaucoup de contrôles douaniers. A cette époque, les documents en douane ont été tenus par des agents en douane divers et variés, généralement des professions portuaires, et la complexité de la nomenclature a généré des erreurs. Ceci a donné à M. José Bové l'occasion de beaucoup de « pirouettes ».

Pour ma part, j'ai toujours été surpris que les ordinateurs des douanes acceptent d'enregistrer l'entrée d'un produit interdit sur le territoire.

Tout cela a été rectifié après un mois mais comme le fabricant d'aliments convenait en tant que cible, cela a duré. Vous voyez encore ces derniers éléments, qui sont sortis tout récemment, sur des différences de statistiques entre l'exportation belge et l'importation française.

M. le Rapporteur - On nous a expliqué cela « scientifiquement » ou officiellement. A partir du 1er janvier 1993, entre la notion de déclaration d'échanges de biens et la notion de seuil (qui est différente selon les pays de la communauté), tout est fait pour que personne ne s'y retrouve.

M. Alain Glon - Ou que l'on fasse du fabricant d'aliments la cible choisie.

M. le Rapporteur - Je n'irai pas jusqu'à ce raccourci intellectuel. Apparemment, nous avons eu les explications et nous retrouvons à peu près, à 1 000 ou 2 000 tonnes près, les tonnages.

M. Alain Glon - Avez-vous vu les rectifications qui pourraient retirer l'émoi dans la population ?

M. le Rapporteur - Non. Les avez-vous ?

M. Alain Glon - Dire la vérité à la presse ne présente pas d'intérêt.

M. le Rapporteur - Pour nous si, c'est l'objet de cette commission.

M. Alain Glon - Vous savez que les différentiels de seuil entre le niveau de déclaration en Belgique et en France provoquent des écarts statistiques.

M. le Rapporteur - Il est vrai que c'est ubuesque, mais nous en avons pris acte. Si vous disposez d'autres informations autour de cette période de 1993 nous sommes prêts à les entendre.

M. Alain Glon - Mon intime conviction est qu'il n'y a pas eu de fraude et cela aurait dû être dit depuis longtemps.

M. le Rapporteur - Il y a eu incohérence.

M. Alain Glon - Oui. Tout cela a été rectifié par la DGCCRF en 15 jours et par les Douanes en un mois, mais les communiqués qui devaient être publiés à la suite de cette remise en ordre n'ont jamais été faits.

M. le Président - Pour qui cette remise en ordre était-elle nécessaire ?

M. Alain Glon - Pour rétablir la vérité.

M. le Président - Ce pourrait être consultable après quelques années pour indiquer qu'il n'y avait rien. Qui cela pouvait-il cacher ?

M. Alain Glon - Le fabricant d'aliments est la cible qui convient.

M. le Président - C'est le résultat. A votre avis, c'était donc destiné à cacher quelqu'un d'autre.

M. Alain Glon - On peut s'interroger pour savoir qui tamponnait les certificats sanitaires des farines animales que nous importions, les uns ou les autres, de Grande-Bretagne, qui vérifiait la qualité des installations des équarrisseurs français ou qui contrôlait les veaux, les vaches et les 130 000 tonnes d'abats importés, et consommés, chaque année durant cette période ? Je ne suis pas certain qu'il convienne d'en parler.

M. le Président - Vous venez de le dire.

M. Alain Glon - Je ne suis qu'un observateur et je me pose des questions.

M. le Rapporteur - Vous dites que malgré les incohérences à partir du marché unique au 1er janvier 1993, on retrouve malgré tout l'ensemble des tonnages.

Parlez-nous des fameux problèmes de contaminations croisées. Nous avons visité des entreprises, tant dans les Côtes d'Armor que dans d'autres départements. Je pense que doucement, ou plus rapidement, les entreprises françaises se sont adaptées à séparer les circuits de fabrication.

Toutefois, que pouvez-vous nous dire concernant la reprise des lots ? En effet, nous nous interrogeons (et nous ne sommes pas les seuls) sur de telles pratiques dans les exploitations agricoles où, la production étant terminée, l'entreprise reprenait et réincorporait les farines. Comment cela se passait-il chez vous ?

M. Alain Glon - Nous avons fait l'objet d'enquêtes, au moins autant que je vous l'ai indiqué, et pas un seul défaut n'a été trouvé. Je crois que nous avons toujours appliqué les méthodes avec une certaine rigueur.

Il serait simple de vérifier, pour chaque fabricant d'aliments, quel est le nombre d'élevages (de clients) avec la BSE. Dans le premier département que nous fournissons, le Morbihan, 9 cas de BSE ont été constatés et il ne s'agit pas de nos clients. Cela peut laisser entendre que nos méthodes étaient rigoureuses.

Concernant votre question, il est évident que des éleveurs (qui ne s'en cachent pas) ont parfois donné des aliments pour volailles à des bovins.

M. le Rapporteur - C'est de la contamination croisée in situ, à savoir dans l'élevage. Je parlais de la reprise d'aliments par l'industriel, ce qui est logique, en cohérence avec l'éleveur. Comment ces tonnages étaient-ils recyclés ensuite ?

Il me semblait, compte tenu du fait que les formulations des aliments du bétail, jeunes bovins ou truies, étaient les plus simples qu'ils pouvaient plus facilement recevoir ces retours de lots. Confirmez-vous que c'est facile ?

M. Alain Glon - Oui, en l'absence d'attention voulue, l'aliment repris en élevage peut être considéré comme une matière première comme une autre.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous que la réincorporation des retours de lots est plus aisée sur les aliments pour truies ou jeunes bovins, par rapport aux aliments pour bétail (par exemple les vaches laitières) dont la formulation est plus rigoureuse ?

M. Alain Glon - Non. Certains ont peut-être mis en oeuvre ce type de pratique mais je n'en connais pas la raison spécifique.

Néanmoins, ce sujet m'interpelle. Même s'il y a eu une contamination croisée, il aurait fallu que les farines animales entrant dans l'alimentation des volailles ou autres soient contaminées. Comment expliquez-vous que ces farines puissent être contaminées sur toute la France ?

M. le Rapporteur - Avant 1996, il n'était pas procédé au retrait des matériaux à risques spécifiés et certaines importations pratiquaient un mélange.

M. Alain Glon - Il est évident que dans certaines régions (dans le Puy-de-Dôme ou les élevages de Montbéliardes) aucune farines anglaises ne sont parvenues.

M. le Rapporteur - C'est là où le relais semblerait pris par les lacto-remplaceurs.

M. Alain Glon - C'est la nouvelle cible.

M. le Rapporteur - Il faut considérer que nous sommes ici presque tous dans la même situation : nous cherchons à comprendre et non pas à accuser.

Nous avons entendu parler ici des graisses, des suifs, etc. incorporés dans les aliments d'allaitement. En tant que professionnel, pensez-vous que ce pourrait être une explication sur les races allaitantes ?

M. Alain Glon - Croyez-vous que beaucoup de matières grasses (destinées à la fabrication des aliments pour veaux) aient été importées de Grande-Bretagne ?

M. le Rapporteur - Avant 1996 (la date fatidique du retrait des matériaux à risques spécifiés) les farines ou les co-produits animaux n'étaient pas sécurisés.

M. Alain Glon - A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'importations de matières grasses animales en provenance de Grande-Bretagne car les données du marché ne les justifiaient pas.

Que la graisse soit en cause, pourquoi pas, mais d'où provient la contamination de cette graisse ?

M. le Rapporteur - Des animaux recyclés avant 1996.

M. Alain Glon - Vous laissez donc entendre qu'il y avait en France beaucoup de vaches folles.

M. le Rapporteur - Il y en avait.

M. Gérard César - Comment expliquez-vous que les farines françaises n'étaient pas saines ?

M. Alain Glon - Les procédés de traitement pratiqués en France, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays étaient les mêmes puisque les Anglais appelaient cela le « procédé français » extrapolé de la fabrication des farines de poisson. En raison de l'atténuation de l'intensité du traitement et des mutations d'espèces (Mme Brugere-Picoux pourrait vous en parler mieux que moi) il s'est passé certaines choses.

En Suisse, le nombre de cas d'ESB est important alors qu'ils n'ont importé que 7 tonnes de farines de viande de Grande-Bretagne et quelques dizaines de milliers de tonnes de France.

C'est un peu comme pour Tchernobyl, les prions respectent les frontières. Des situations simples doivent être observées.

M. le Rapporteur - Vous dites que les Anglais appelaient cela la « méthode française », or en 1987/1988 les Pouvoirs Publics français avaient alerté les fabricants d'aliments en leur indiquant que les conditions de fabrication des farines anglaises ne répondaient pas aux critères utilisés en France et recommandés. Il était conclu et recommandé la plus grande prudence.

D'après ce que j'ai lu, le process de fabrication des farines anglaises, abaissant les 3 paramètres, relevait plutôt d'un brevet américain. Contredisez-vous cela ?

M. Alain Glon - C'est le procédé Stord bartz system mais le même était également utilisé en France.

M. le Rapporteur - C'était un brevet américain qui a été pratiqué en France.

M. Alain Glon - Le terme de « brevet » américain est trop fort. Des fabricants de matériels en France ont reproduit les mêmes équipements.

Des commissions ont circulé dans un certain nombre d'équarrissages français et ont fait des constats pour vérifier quelles étaient les méthodes appliquées.

M. le Rapporteur - Vous êtes ferme : à partir de 1983, date du choc pétrolier, la compression des coûts fixes a conduit à une diminution de l'utilisation du pétrole pour chauffer les farines aussi fort et aussi longtemps.

M. Alain Glon - Oui. Tout cela nous interpelle et je pense que des experts ont réalisé des tests, en laboratoire, pour savoir jusqu'où il était possible de baisser l'intensité du traitement tout en satisfaisant à la norme réglementaire (campilobacter et salmonelles), en ignorant la présence du prion.

Quand on se rend dans un équarrissage à 2 ou 3 heures du matin, on devient prudent sur la possibilité de transposer à l'usine ce qui se passe dans le laboratoire. Si la Communauté a imposé le chauffage à 133° pendant 20 minutes à une pression de 3 bars, elle a également précisé qu'aucun morceau ne devait dépasser 10 mm de côté. En effet, la présence d'un caillou peut percer une grille de broyeur et si un morceau plus gros passe, alors que la pression n'est plus la même, je ne suis pas certain que le produit soit traité à coeur.

Il y a probablement eu trop de certitudes scientifiques transposées dans un univers qui n'avait rien à voir.

M. Gérard César - Quelles sont les commissions ayant visité des équarrissages ?

M. Alain Glon - C'était pratiqué en plein jour. Nous en avons parlé avec le professeur Dormont et nous sommes allés en visiter. C'est un métier comme un autre.

M. Gérard César - Concernant le process américain, avez-vous des documents à nous remettre ?

M. Alain Glon - Non.

M. Gérard César - Ce n'est pas un brevet mais plutôt un process.

M. Alain Glon - Nous n'avons pas de documents car nous ne sommes pas équarrisseurs.

M. Gérard César - Vous travaillez avec eux.

M. Alain Glon - Oui.

M. Gérard César - Concernant la concurrence entre les fournisseurs d'aliments, il semble que certains cas déclarés dans les élevages révèlent qu'ils avaient été alimentés par plusieurs fournisseurs d'aliments au cours des années passées.

Y a-t-il eu une guerre des prix entre les fournisseurs d'aliments et, si oui, quelles sont les raisons ayant permis à certains de baisser leurs prix d'aliments ?

M. Alain Glon - La compétition existe tous les jours. Nous sommes dans des activités où la marge n'est que de 1 %. Je ne peux pas appeler cela une guerre des prix ; il s'agit d'une concurrence permanente comme entre tous commerçants. Je ne crois pas que certains aient pu baisser leurs prix.

M. Gérard César - Concernant les équarrisseurs, vous indiquiez qu'à votre connaissance ils avaient un grand commerce européen. Avez-vous eu des doutes ou des inquiétudes suffisamment tôt sur l'origine des produits qu'ils commercialisaient auprès des fournisseurs d'aliments ?

M. Alain Glon - La géographie prime en la matière. Les coûts de transport sont tels qu'en règle générale l'approvisionnement vient d'un équarrissage voisin.

Quand les prix deviennent anormalement élevés par rapport aux autres pays de la communauté, les fabricants d'aliments situés à proximité des frontières se fournissent à l'étranger. Pour le reste, c'est la loi du marché.

Nous n'avons pas eu de doute spécifique, hormis sur la volonté de cacher leur existence.

M. Georges Gruillot - Concernant les importations de farines pour les Suisses, il s'agit de 7 tonnes provenant d'Angleterre. Or, d'autres personnes auditionnées ici nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un chiffre bien plus élevé.

Sur quelle base pourrait-on s'appuyer pour avoir un chiffre correspondant à la réalité ?

M. Alain Glon - Sur les statistiques des douanes suisses.

M. Georges Gruillot - Les Suisses ont-ils toujours importé beaucoup de farines de viande, notamment de France ?

M. Alain Glon - De France, oui.

M. Georges Gruillot - Il y a 20 ou 25 ans, dans mon propre équarrissage les farines produites n'étaient achetées que par les Suisses car personne en France n'en voulait. Le chiffre de 7 tonnes me semble faible.

M. Alain Glon - C'était essentiellement pour fabriquer des médicaments.

M. Georges Gruillot - Pour l'alimentation, ne sont-ils pas passés par la Belgique, la Hollande ou l'Allemagne ?

M. Alain Glon - Je dispose de statistiques d'importations suisses ; il suffit de les demander aux autorités suisses.

Le document que je vous présente indique : « 122 - Grande-Bretagne - 75 kilogrammes ».

M. le Rapporteur - Ce sont des farines ?

M. Alain Glon - C'est la même rubrique douanière, ce qui explique la complexité. Ces importations étaient destinées à la fabrication de médicaments.

Pourquoi SANOFI a-t-il racheté SARIA Industries ?

M. le Président - SARIA Industries n'est-il pas allemand ? SANOFI est la filiale d'ELF.

A force de sous-entendus dans tous les domaines, nous en arrivons à ne plus rien comprendre. J'aimerais que vous parliez clairement dans tous les domaines et que vous alliez jusqu'au bout de vos phrases. Ce n'est pas une accusation mais une constatation ; je vous demande de la clarté.

M. Alain Glon - En 1973 les Etats-Unis ont mis un embargo sur le soja et le Président Georges Pompidou a affirmé qu'il faudrait se passer de ce produit. Cela ne se passera pas ainsi et le prix des farines animales a beaucoup augmenté puisqu'il s'agit d'une protéine en compétition avec le soja.

A l'époque, le Plan protéines a été institué. Claude Calet indiquait que « les rognures ramassées au bord des assiettes pourraient procurer une grande quantité de viande ». Cela a d'ailleurs été fait plus tard puisque dans les ateliers de découpe il ne s'agit que de cela.

A partir de cette date, l'Etat français a commencé à racheter très cher les équarrisseurs qui étaient des entreprises familiales. Elles ont été rachetées par deux Groupes, EMC, pour fabriquer de la gélatine, et SANOFI, pour les médicaments. Ces entreprises sont restées très longtemps la propriété de l'Etat jusqu'à ce qu'elles soient vendues à une société allemande. Elles ont été ensuite rapidement revendues à un équarrisseur allemand qui est donc propriétaire de SARIA Industries. C'est aujourd'hui allemand, mais c'est récent.

La Suisse accusait la France de ne pas l'avoir prévenue suffisamment tôt et des entreprises suisses ont continué à fabriquer des médicaments avec des organes qui n'étaient peut-être pas sans risques.

M. le Président - Méfiez-vous de vos propos. Quand vous parlez de médicaments, je n'imagine pas qu'ils puissent contenir des farines animales.

M. Alain Glon - Il ne s'agit pas de farines animales mais de glandes bovines. Ceci explique les faibles quantités achetées à la France pour fabriquer des produits pharmaceutiques.

M. le Président - Je vous remercie de nous procurer une photocopie du document concernant les importations suisses.

Merci d'être venu témoigner de ce qui s'est passé dans votre entreprise, comme dans d'autres, et d'avoir fourni le maximum de renseignements.

M. Gérard César - Les articles de presse nous intéressent également.

Audition de Mme Marie-José NICOLI, Présidente de l'UFC-Que Choisir ?

(14 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Je rappelle que vous êtes Présidente de l'Union Française des Consommateurs - Que Choisir et que vous êtes entendue dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat sur les farines animales et sur les conséquences que cela a entraîné avec la propagation de l'ESB.

Comme dans toute commission d'enquête, vous devez témoigner sous serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous demanderai ensuite de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Nicoli.

M. le Président - Nous vous demandons de donner votre opinion sur ce problème et nous vous poserons ensuite des questions.

Mme Marie-José Nicoli - Mon intervention sera partagée en deux. Dans la première partie je ferai ressortir tous les manquements et le manque de rigueur d'un certain nombre d'Etats, notamment l'Angleterre, la France et l'Union Européenne, à travers des exemples que je vous fournirai.

Il est important de revenir en arrière sur ce point qui doit nous servir de leçon pour les prochaines années. Il est possible d'être plus fermes qu'il y a 15 ans en raison du recul et des connaissances nouvelles. Cela signifie toutefois qu'il a existé beaucoup de laxisme dans des décisions qui ont été prises tardivement, etc.

Aujourd'hui, le dossier des farines animales cristallise la peur alimentaire des consommateurs, parfois à tort d'ailleurs pour une partie des farines animales françaises qui auraient encore pu être données aux porcs et aux volailles si les problèmes de contaminations croisées n'existaient pas.

L'Angleterre connaît des problèmes d'alimentation des bovins avec des farines animales depuis septembre 1979. A cette époque, un rapport très officiel, le rapport Zukerman indiquait qu'il existerait des problèmes pour l'homme avec la propagation d'agents infectieux provenant de cette alimentation. Je pourrai vous transmettre ce rapport.

Le Gouvernement anglais était informé mais il n'a pas réagi.

En 1981/1982 les procédés technologiques (que je ne vous rappellerai pas) ont été modifiés par les fabricants de farines animales anglaises. Il faut le répéter : baisse du chauffage et suppression de solvants ; de ce fait, le prion n'était pas supprimé des farines.

Le Royaume-Uni a quand même été informé, en juin 1987, de l'existence de la maladie de l'ESB et n'a pris les premières mesures qu'en juillet 1988.

A cette date, l'interdiction de nourrir les bovins avec des protéines provenant de ruminants a été rendue obligatoire mais elle n'a pas été complétée d'une interdiction d'exportation.

Cela signifie que l'Angleterre, qui considérait que ses produits étaient dangereux pour les ruminants, les a vendus en grande quantité à partir de cette période. Tout le monde connaît tous les chiffres des exportations de farines animales anglaises. Par exemple, pour la France, les importations ont été doublées en 1989 par rapport à 1988 ; les prix étant très bas, c'était très intéressant pour les fabricants d'aliments.

En 1989, la France a importé 16 000 tonnes de farines provenant du Royaume-Uni.

En Grande-Bretagne, l'interdiction de consommation humaine d'abats date de 1989. Or, jusqu'en 1992 l'importation d'abats a été très importante et elle a même été multipliée par 15 en France. Les Anglais précisent que ces abats ne contenaient pas forcément des cervelles contaminantes et qu'il s'agissait d'autres abats. Toutefois, nous ne pouvons que constater la montée en puissance des importations.

Le Royaume-Uni n'a réellement déclaré l'existence d'un danger en contamination humaine qu'en mars 1996, ce qui est très tard par rapport à tout ce qui a été fait durant les années précédentes.

Tout le monde sait aujourd'hui que le développement de l'épizootie au niveau européen, voire international, est dû à la responsabilité des fabricants de farines animales anglaises, mais ils n'ont jamais été sanctionnés. C'est un point que nous considérons inadmissible et nous avons déposé une plainte auprès de la Commission européenne en juillet 1999 pour l'ensemble des consommateurs français et européens.

Les produits alimentaires sont industrialisés et en 48 heures partent d'un endroit pour aller à l'autre bout de l'Europe. Il n'est donc pas possible de ne pas protéger juridiquement les consommateurs sur les problèmes de certains aliments fabriqués dans tel État membre et provoquant des problèmes sur les consommateurs d'un autre État membre.

Nous sommes les seuls à avoir déposé une plainte il y a plus d'un an, en juillet 1999, auprès de la Commission européenne. Elle a essayé de la classer l'année dernière, durant une période plus calme, mais nous l'avons réactivée.

La Commission européenne est très ennuyée car, depuis, le rapport de Lord Phillips confirme tous les manquements soulignés dans notre plainte au niveau communautaire.

Nous ne savons pas ce que deviendra cette plainte, mais pour l'instant la Commission européenne fait profil bas. La classer signifierait qu'elle « passe l'éponge » sur tout ce qui a été fait au Royaume-Uni ; poursuivre l'action devant la Cour européenne tendrait à reconnaître, d'une certaine manière, sa propre responsabilité durant la période en question.

Tout ceci permet de relever un certain nombre de manquements au Royaume-Uni.

En France, des mesures ont été prises. La suppression des farines animales chez les bovins en 1990 est une bonne mesure. La deuxième mesure positive est celle du retrait des cadavres et des matériaux à risques en juillet 1996 ; c'est même la mesure la plus importante. Au début de l'année 1998, la France s'est mise aux normes pour le chauffage des farines animales.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Seulement en 1998 ?

Mme Marie-José Nicoli - La Commission européenne a procédé à plusieurs avertissements et il a été nécessaire qu'elle menace la France d'une procédure pour que ce soit mis en oeuvre début 1988. J'ai d'ailleurs assisté à une réunion à la DGAL sur ce sujet.

M. le Président - Il s'agissait des équarrisseurs.

Mme Marie-José Nicoli - Oui, mais les fabricants d'aliments étaient également présents.

M. le Rapporteur - Cette précision est importante. Les fabricants étaient d'accord mais les équarrisseurs ne mettaient pas en oeuvre le procédé.

Mme Marie-José Nicoli - Pour les équarrisseurs, si les matériaux à risques étaient supprimés, ils chauffaient mais pas dans les conditions demandées par la directive européenne. Suivant l'avis d'un certain nombre de scientifiques (notamment anglais) précisant que même à 133°, à 3 bars et pendant 20 minutes le prion ne disparaissait pas obligatoirement, les équarrisseurs considéraient que leur chauffage suffisait puisque les matériaux à risques étaient supprimés.

C'est la raison de ce refus et cette demande précise de la Commission européenne a été nécessaire début 1998. On peut estimer que la conformité n'a pas eu lieu avant la mi-1998.

Par ailleurs, il faut préciser certaines dispositions prises par la France qui, avec le recul, nous semblent assez légères.

Début 1989, la France a importé massivement des farines britanniques. Un avis aux importateurs, le 13 août 1989, paru au Journal Officiel et confirmé par une note en décembre 1989, précise l'exclusion pour les bovins de tout produit composé de farines animales britanniques. En 1989, on pouvait continuer à donner des farines animales françaises aux bovins mais plus de farines britanniques.

Il s'agissait seulement d'un avis aux importateurs et non pas d'un décret ou d'un arrêté. Je tiens ces documents à votre disposition. Ils sont le reflet d'une enquête et le travail d'un an d'investigations pour un journaliste. Je dois vous donner ces informations qui ne seront publiées que dans quelques jours.

En outre, il existait une possibilité de dérogation, pour les fabricants d'aliments, d'importer ces farines anglaises. Il leur suffisait d'établir une déclaration sur l'honneur pour obtenir une dérogation des Services Vétérinaires. Ce type de déclaration ne signifie pas grand-chose.

Depuis 1989, il était interdit de donner ces farines aux bovins mais elles pouvaient être importées et utilisées pour les porcs et les volailles. Aucun décret, aucun arrêté, aucune circulaire n'a été publié par les autorités françaises pour interdire définitivement les importations de farines britanniques. Il s'agit seulement d'un message sur minitel du ministère de l'Agriculture aux Services Vétérinaires, daté du 5 février 1990 et référencé SVSPA97, pour mettre fin au système de dérogation pour les porcs et les volailles. Je dispose de ce document et je pourrai vous le remettre.

A partir de 1990, il a été interdit de donner toutes farines aux bovins mais début 1990 d'énormes quantités de farines animales (provenant du Danemark, d'Irlande, de Belgique) destinées aux porcs et aux volailles ont été importées en France. En effet, jusqu'en 2000 en France les porcs et les volailles pouvaient consommer des farines animales. On peut se demander si ces farines importées ne sont pas des farines anglaises recyclées ayant transité par ces pays.

M. le Rapporteur - Vous dites : « On peut se demander ». Vous avez des suspicions mais pas de confirmations ou de preuves.

Mme Marie-José Nicoli - On peut faire un rapprochement entre, par exemple, les quantités de farines animales que la Belgique pouvait produire. Pour chaque État membre, on sait à peu près quelles quantités de farines animales peuvent être produites à partir de son cheptel. Dans ce cas précis, on constate que la Belgique, l'Irlande et le Danemark importaient et exportaient. Il existe donc des suspicions et il serait sans doute possible de recouper des chiffres.

M. le Rapporteur - Votre association l'a-t-elle fait ?

Mme Marie-José Nicoli - Je crois que notre journaliste l'a fait et cela paraîtra dans le prochain Que Choisir.

Les farines animales ont été supprimées en France et en Europe quelques mois après, à savoir depuis le 1er janvier 2001. Des Etats membres avaient l'interdiction d'utiliser les farines. Or, depuis 1996, date à laquelle nous avons pris cette décision, d'autres Etats membres continuaient à donner des farines carnées aux porcs et aux volailles alors que les matériaux à risques n'étaient pas retirés ; ils n'ont été supprimés qu'en octobre 2000.

En France, il a pu exister des contaminations croisées avec des farines importées, par exemple avec des aliments contenant des farines venant d'Allemagne, puisque l'Allemagne a attendu octobre 2000 pour supprimer les matériaux à risques.

Pour l'instant, les cas d'ESB ne dépassent pas l'année 1996. On peut penser que les contaminations croisées peuvent provenir de farines françaises, mais j'ai quelques doutes sur ce point car elles étaient propres depuis 1996.

La décision de juillet 1996 de supprimer les matériaux à risques n'a vraiment été mise en application qu'à la fin de l'année. On peut considérer que l'on pourra se poser de réelles questions pour les animaux nés en 1997 et 1998. Pour l'instant, il n'y en a pas ; je pense qu'à la fin du second semestre 2001 nous devrions constater une diminution des cas d'ESB grâce aux différentes mesures qui ont été prises.

Au niveau communautaire, je ne reviendrai pas sur le sujet. Concernant les farines telles qu'elles sont aujourd'hui, que pouvons-nous en faire ?

Pour leur destruction, nous pensons qu'il existe des propositions pour en incinérer une partie mais aussi pour fabriquer des produits inertes. Il faut développer cette recherche car l'incinération en France nous obligerait à multiplier par trois nos systèmes d'incinération. Ce serait assez long en raison des demandes et des procédures, au niveau de l'environnement, qui nécessiteront des mois ou des années.

Nous pensons qu'il peut exister des débouchés sur des matériaux dont il a été question dans la presse. Des produits nous ont été présentés et si des scientifiques peuvent nous donner leur avis pour que ces matériaux puissent être utilisés, cela diminuera les quantités à incinérer. Par ailleurs, cela permettrait d'avoir moins de pollution et de valoriser ces farines.

S'agissant de ces farines qui ne servent plus du tout à l'alimentation (je pense que ce sera définitif) actuellement on chauffe celles qui sont les moins contaminantes et on ne chauffe pas celles qui sont les plus contaminées. C'est un paradoxe et c'est assez étonnant. Je ne sais pas s'il est normal que l'on ne chauffe pas toutes les farines, tant celles à hauts risques que celles à bas risques.

M. le Rapporteur - Qu'appelez-vous les farines à bas ou hauts risques ? Il me semble que les MRS sont retirés.

Mme Marie-José Nicoli - Les farines à bas risques sont celles qui étaient données aux porcs et aux volailles il y a encore quelques mois. Il s'agissait de farines composées de carcasses d'animaux dont nous mangeons la viande, où l'on avait retiré les matériaux à risques. Cette farine continue à être chauffée. Les farines à hauts risques, composées de tous les matériaux à risques (saisies d'abattoirs, cadavres, etc.) ne sont pas chauffées.

M. le Rapporteur - Cela va directement à l'incinération.

Mme Marie-José Nicoli - Il existe un travail de manipulation, de transport, etc.

On pouvait comprendre, il y a quelques mois, que les farines à bas risques soient chauffées puisqu'elles allaient à l'alimentation alors que l'on ne se préoccupait pas trop du reste. Actuellement, c'est un paradoxe puisque toutes ces farines ne doivent normalement plus aller à l'alimentation.

Il existe un problème dans la gestion de ces farines et dans leur dénomination : s'agit-il de déchets, jusqu'à quand sont-elles considérées comme déchets, à partir de quand deviennent-elles des matériaux pouvant être valorisés ?

C'est important car la démarche n'est pas la même pour les citoyens et pour les associations de consommateurs ou de l'environnement. Les déchets peuvent être surveillés jusqu'à la fin. Pour ce qui n'est pas considéré comme déchets, comme cela se passe actuellement dans les départements, des CLI (Comités Locaux d'Information, et non pas de surveillance,) sont mis en place. S'il s'agissait de déchets, ce seraient des CLIS, Comité Locaux d'Information et de Surveillance. Ce n'est pas exactement la même chose et il me semble que cette question devrait être réglée assez rapidement pour que nous sachions exactement à quoi nous en tenir.

Je précise que j'ai eu le courage d'indiquer que toutes les mesures prises ces derniers mois (les moratoires, les interdictions, les changements de réglementation, etc.) ne changeront rien à l'évolution de l'épidémie pour les bovins, notamment en France. Si elle doit s'éteindre dans le deuxième semestre et aller en diminuant, ce ne sera pas grâce aux dernières mesures prises mais plutôt grâce à celles prises avant, à savoir en 1996, etc.

Par ailleurs, cela ne changera rien pour les êtres humains car les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sont en incubation pour un certain nombre de personnes. Cette maladie a été contractée il y a 10 ou 15 ans et non pas ces derniers mois. J'espère que nous n'aurons pas beaucoup de cas mais actuellement plus de 90 cas ont été recensés : 88 ou 89 en Grande-Bretagne, 3 en France, 1 en Irlande. Il est à espérer que nous n'irons pas très loin dans ces chiffres, du moins pour les humains.

Aujourd'hui, nous payons, et nous payerons encore, le manque de décisions prises entre 1986 et 1996. Il est important de le dire.

En tant qu'UFC, nous avons déposé une plainte et nous sommes partie civile dans environ 12 affaires concernant les farines animales. Au niveau communautaire, fin juin 1996 nous avons déposé une plainte auprès du juge Boizette, avec d'autres organismes, pour essayer d'avoir une bonne information sur les farines.

Depuis, nous sommes partie civile dans un certain nombre de procédures. La dernière est celle déclenchée par les familles dont un membre ou un proche a été victime de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous agissons comme nous l'avons fait pour les problèmes rencontrés avec l'hormone de croissance il y a quelques années.

Je précise que j'étais chez le juge Boizette il y a environ un mois et demi ; l'affaire n'avait pas beaucoup évolué. Mme Boizette nous a indiqué qu'elle avait eu d'autres occupations pour la mise en place du pôle financier et que le reste était moins important ; du moins, elle n'avait pas pu faire progresser ce dossier.

M. le Rapporteur - Cela signifie-t-il que les moyens actuellement mis en place par le Gouvernement pour la justice sont insuffisants dans ce domaine, comme dans d'autres ?

Mme Marie-José Nicoli - Oui, mais ce n'est pas nouveau. Cela se démontre facilement, mais Mme Boizette le dit également. La plainte que nous avons déposée, ainsi qu'un certain nombre de professionnels ou d'autres organismes, l'a été au titre de la tromperie et de la falsification ; de ce fait, il n'a été possible que de remonter sur trois ans avant son dépôt, soit de 1993 à 1996. Or, les années importantes sont situées entre 1988 et 1993. Mme Boizette nous a indiqué que si la partie civile voulait contourner cette prescription il fallait remettre des éléments nouveaux.

Les autres procédures sont en cours. Concernant celle sur Creutzfeldt-Jakob, c'est différent car nous nous joignons à la plainte pour empoisonnement et homicide involontaire ; dans ce cas, il est possible de remonter aussi loin qu'on le souhaite car il n'existe pas de problèmes de prescription.

L'affaire des farines animales, notamment en France, montre qu'une réglementation a été prise en 1996 (matériaux à risques et cadavres supprimés des farines animales) en s'appuyant sur des avis de scientifiques. Or, rien n'a bien fonctionné à cause de partenaires (qui sont plus sur le terrain) tels que les fabricants de farines animales, les stockeurs ou les transporteurs.

C'est une leçon à retenir car il existait des farines animales propres (que l'on peut considérer comme propres dès l'instant où elles avaient bien été nettoyées), mais les circuits de fabrication et de transport, entre l'alimentation des porcs, des volailles et des bovins, n'étant pas étanches, et il a été nécessaire de supprimer ces farines. Les pratiques sur le terrain n'étaient pas en adéquation avec la réglementation.

Je crois qu'à l'avenir il faudra, dans la gestion d'un risque, prendre en compte tous les acteurs d'une filière. Les Pouvoirs Publics ont fait une réglementation qui leur convenait, les politiques ont considéré qu'elle était bonne, mais cela n'a pas suivi sur le terrain en raison d'un manque de contrôleurs. Par ailleurs, il était impossible de mettre un gendarme derrière chaque acteur de cette filière pour contrôler ce qu'il faisait.

C'est un point extrêmement important, d'autant plus important que la gestion du risque relève d'un Gouvernement ou des politiques ; on ne doit pas simplement se cacher ou indiquer que l'on a bien travaillé en établissant une réglementation reprenant un avis scientifique. Il faut prendre en compte tout ce qui se trouve en aval et n'a pas bien fonctionné. Concernant des décisions au niveau de la gestion du risque, il faut aussi travailler sur le terrain.

M. le Rapporteur - Vous affirmez, et nous partageons largement votre analyse, qu'à partir de 1996 les mesures prises ont généré une meilleure sécurité et sûreté alimentaire pour les consommateurs.

Mme Marie-José Nicoli - Oui. Toutefois, la mesure prise en 1990 concernant la suppression des farines animales chez les bovins est également importante ; il me semble toutefois qu'elle n'a pas, sur le terrain, été appliquée complètement car à cette époque peu de personnes se questionnaient sur la transmission de cette maladie à l'être humain.

Je vous rappelle qu'en 1991, trois pays ont mis un embargo sur la viande britannique (l'Italie, la France et l'Allemagne) mais il n'a pas tenu 48 heures. En effet, sous la pression des Anglais et du Commissaire de l'époque, l'embargo a été levé à condition que les Anglais mettent en pratique toutes les mesures qui ont été reprises en 1996 et qui n'ont pas été mises en application en 1991.

Si l'embargo avait été maintenu, avec des contraintes importantes telles que celles imposées en 1996, l'épidémie aurait sans doute été moins importante en Angleterre et il aurait été possible de limiter les dégâts dans les autres États membres et au niveau international. En effet, s'agissant des chiffres de ventilation des exportations de farines animales anglaises, on constate que beaucoup de pays dans le monde en ont acheté car elles étaient à très bas prix. Des pays comme la Chine prennent actuellement des mesures pour essayer de se préserver.

M. le Rapporteur - Partagez-vous l'inquiétude, au-delà de la problématique des farines, de Mme Brugère-Picoux concernant l'importation et la consommation importante d'abats en provenance d'Angleterre jusqu'en 1996 et avez-vous des commentaires à faire sur ce point ?

Mme Marie-José Nicoli - Les Anglais ont été capables d'exporter des farines animales auxquelles ils donnaient le nom de « poison » chez eux. Je pense que dans les importations d'abats en France, qui ont été multipliées par 15 dans la période critique (Mme Brugère-Picoux vous a sans doute remis des chiffres), on devait trouver des abats contaminants qui ont servi pour des plats cuisinés, pour les liants de certains steaks hachés qui n'étaient pas pur boeuf, etc.

M. le Rapporteur - Nous avons quelques difficultés à connaître le cheminement de l'ensemble des abats. Votre association, à partir des tonnages importés en France, peut-elle nous procurer des informations sur la ventilation et la destination de ces 47 000 tonnes d'abats entre 1988 et 1996 ?

Mme Marie-José Nicoli - Non.

M. le Rapporteur - Où pourrions-nous trouver ces informations ?

Mme Marie-José Nicoli - Chez les importateurs qui ont revendu ces abats ; ils ont été importés et ensuite ventilés dans des entreprises qui devaient fabriquer des plats cuisinés, etc. Il s'agit de documents qui peuvent être saisis par une commission rogatoire faite par un juge.

Ces abats ont été importés et seuls les importateurs peuvent indiquer comment ils ont été ventilés, du moins si l'on retrouve les documents à ce sujet. C'est un point très important car si l'on découvre d'autres cas de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France, cela risque de concerner des personnes relativement jeunes qui auront été contaminées par des petits pots pour bébés ou des hamburgers, à savoir des steaks hachés qui ne sont pas pur boeuf.

M. le Rapporteur - Vous confirmez l'incorporation de petits pots pour bébés jusqu'en août 1992.

Mme Marie-José Nicoli - Oui, ensuite une autre réglementation a pris des dispositions à ce sujet.

A cette époque, pour beaucoup de Français, à quelque niveau qu'ils soient, les problèmes alimentaires n'étaient pas une priorité. Nous avons, depuis 1989, donné une information sur l'ESB et des articles dans Que Choisir, publiés depuis cette date, faisaient régulièrement état des cas d'ESB en Grande-Bretagne. Nous avions même une interview de Mme Brugère-Picoux qui, à l'époque, indiquait qu'il fallait faire attention et qu'il y aurait des problèmes.

Nous avons même publié (cela figure dans le dossier) la lettre qui avait été adressée par M. Castille à l'UFC concernant le fait que la Commission étouffait quelque chose d'important. La publication de ces extraits, en 1991, n'avait pas soulevé des « montagnes » et pas un journaliste n'avait relevé le sujet. Cela n'a été repris qu'en 1996, quand il a été indiqué que cette maladie pouvait être transmise à l'être humain.

Auparavant, quand des informations étaient données cela ne provoquait pas la Une des journaux comme c'est le cas depuis quatre ans en France.

M. le Rapporteur - Vous parliez de trois cas reconnus (ou deux cas et un cas possible de nouvelle variante) de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Avez-vous eu des contacts ou des rapports avec l'Institut de veille sanitaire ou des épidémiologistes pour imaginer quelle serait la situation à l'horizon 2020/2040 ?

Mme Marie-José Nicoli - Non, car les déclarations sont effectuées avec de telles fourchettes qu'elles ne servent à rien. Quand on dit qu'il pourrait y avoir entre 30 000 et 150 000 cas, cela signifie que personne ne sait rien précisément.

Malheureusement, il faut attendre et avoir beaucoup de rigueur et d'attention dans les hôpitaux, pour que le système d'épidémio-surveillance fonctionne bien, et faire la différence entre une maladie de Creutzfeldt-Jakob « normale » et la nouvelle variante.

M. le Rapporteur - Le corollaire indispensable de la sûreté alimentaire s'avère être l'étiquetage et la traçabilité. On sait quelle était la teneur de l'accord interprofessionnel conclu en 1997.

La proposition récente de la Commission européenne, que vous avez dénoncée le 18 juillet dernier, nous laisse penser, suite à l'entretien que nous avons eu la semaine dernière avec le Commissaire Fischler, qu'il y a de la part de certains pays, notamment toujours de l'Angleterre, un lobbying très fort des pays qui ne sont pas prêts en matière d'identification des bovins (de traçabilité) à adopter la position française qui était, à juste titre, maximaliste. Quelles seront vos actions ?

Mme Marie-José Nicoli - Nous demandons que les consommateurs boycottent les viandes bovines qui n'indiqueront pas l'origine, le type racial et la catégorie.

Actuellement, nous faisons pression auprès de l'interprofession pour qu'ils reprennent cet accord interprofessionnel.

M. le Rapporteur - Quelles sont les réponses ?

Mme Marie-José Nicoli - Les éleveurs sont d'accord mais le milieu de filière (les industriels et les abatteurs) n'est pas d'accord ; il estime que la réglementation communautaire est trop compliquée.

M. le Rapporteur - Avez-vous des échanges de courriers à ce sujet ?

Mme Marie-José Nicoli - J'étais présente à leur congrès de la Fédération nationale bovine. Il en a été question longuement en tribune et M. Spanghero et M. Toulis ont pris l'engagement de signer cet accord interprofessionnel. Depuis, ils ont certainement changé d'avis.

M. le Rapporteur - Les éleveurs sont d'accord mais les professionnels de la première transformation ne le sont pas.

Mme Marie-José Nicoli - La grande distribution et les bouchers sont d'accord avec nous pour garder l'information. Toutefois, depuis quelques semaines la DGCCRF fait des enquêtes dans les magasins et verbalise les enseignes ou donne des avertissements. Les textes qui sont envoyés à la grande distribution indiquent que s'il faut choisir, il faut retenir l'étiquetage européen, qui est obligatoire, alors que l'étiquetage français ne l'est pas.

La DGCCRF verbalise si le règlement européen n'est pas appliqué et dissuade la grande distribution et les bouchers de continuer à mettre l'étiquetage français. Or, celui-ci est fortement demandé par les consommateurs et touche vraiment le produit.

Je ne vous apprendrai pas quelles informations peuvent apporter ces trois éléments alors que le numéro d'atelier de découpe ou d'abattage ne signifie rien pour le consommateur. Il est évident que cela facilite le travail des Pouvoirs Publics, des relations entre professionnels, mais le consommateur est complètement oublié de ce processus.

M. le Rapporteur - Sans déflorer ce que seront nos recommandations au travers de ce rapport, cela pourra faire partie, quand nous travaillerons sur les conclusions, de l'une des recommandations fortes.

Mme Marie-José Nicoli - Aujourd'hui, les consommateurs sont de plus en plus informés ; il ne se passe pas un jour sans qu'un article de presse sur la vache folle soit publié. Les consommateurs ont donc leur propre idée sur ce dossier. Quand ils se rendent dans un magasin, une étiquette mentionnant le type racial (laitier ou race à viande) a une signification pour eux.

De plus, dans les catégories, actuellement le consommateur est en train de payer le prix des tests et de la taxe d'équarrissage que la grande distribution a reportés sur le prix du kilo de viande. Nous sommes à 6 % à 10 % d'augmentation des prix ; on va diminuer l'information sur l'étiquetage et, de plus, des informations prennent aujourd'hui du relief.

Par exemple, concernant le jeune bovin, qui est une bête tuée avant 24 mois, son prix ne doit pas augmenter car le test ne doit pas être appliqué sur cette viande. Or, certains l'appliquent sur toutes les viandes.

Il faut également tenir compte de l'origine : actuellement, il est préférable de manger de la viande française plutôt que de la viande allemande.

Il y a peu de temps, des éleveurs sont allés dans une restauration collective. Ils ont trouvé beaucoup de viandes allemande et espagnole mais peu de viande française. La viande française était étiquetée mais les autres viandes ne l'étaient pas.

M. le Rapporteur - Je me suis permis de vous adresser récemment un courrier sur ce point car je pense qu'il est fondamental. Si l'on veut rétablir la confiance du consommateur, cela doit commencer par ce point.

Mme Marie-José Nicoli - J'en ai récemment parlé à M. Glavany qui indique que la France a insisté pour une réglementation communautaire. Maintenant, il n'est pas possible de revenir sur ce point en indiquant qu'elle ne convient pas et qu'il faut faire autre chose.

Nous n'aurons pas beaucoup d'aide de ce côté, mais cela peut changer.

M. le Rapporteur - Si ce n'est que relever le niveau d'informations au niveau communautaire.

Mme Marie-José Nicoli - Il faut changer certains éléments. Une étiquette n'est pas un « roman » et il n'est pas possible d'y présenter 50 indications. De ce fait, un choix doit être fait. Nous avons choisi, car le numéro d'atelier et le numéro d'abattoir ne nous intéressent pas. Il semble que le numéro d'identification de l'abattoir permet de connaître tous les autres numéros. J'estime que c'est de la « cuisine de Pouvoirs Publics » et cela ne nous apporte rien.

M. le Rapporteur - Effectivement, ce n'est pas un langage pour le consommateur.

Etes-vous satisfaite ou quels sont vos commentaires et vos critiques sur le Livre blanc sur la sûreté alimentaire, la création de la future autorité alimentaire européenne et également sur la problématique de l'abattage total ou sélectif des troupeaux lors de la détection d'un cas d'ESB ?

Mme Marie-José Nicoli - Le Livre blanc est une très bonne chose et nous avons insisté pour qu'il existe et soit publié. L'autorité européenne va à peu près dans le sens que nous souhaitons en tant qu'association française puisque nous ne sommes pas tous d'accord sur son fonctionnement.

Nous avons demandé que cette agence fasse la différence entre l'évaluation des risques et la gestion des risques. Nous ne voulons pas de représentants de la société civile dans les comités scientifiques, même en tant qu'observateurs.

Par contre, nous avons trouvé un compromis. En effet, en acceptant en tant qu'observateurs des représentants d'associations de consommateurs et des représentants d'associations de l'environnement, il n'y a pas de raison de ne pas avoir aussi des représentants de l'industrie. C'est tout à fait normal.

Quand des scientifiques débattent d'un avis devant des personnes venant de la société civile, j'estime qu'ils ne sont pas libres de faire ce qu'ils veulent.

Par contre, l'AFSSA a trouvé une solution : les comités auditionnent les personnes qu'ils souhaitent auditionner. C'est de leur propre initiative et ils peuvent auditionner des industriels, des associations de consommateurs, etc.

J'estime que c'est une ouverture possible. M. Byrne en a pris note et a considéré que c'était une bonne chose.

Concernant l'abattage sélectif ou total, nous sommes toujours pour le maintien de l'abattage total tant que nous n'aurons pas les résultats et l'analyse des 48 000 cas dans le programme des tests. Ces résultats devraient nous donner un certain nombre d'indications sur les troupeaux ayant des bêtes malades pour savoir s'ils sont plus exposés que d'autres, etc.

A partir de ce moment et avec le test systématique des animaux de plus de 30 mois, n'ayant pas une position idéologique, nous réagirons avec les éléments qui nous seront communiqués.

Nous attendons toutefois le résultat de ces 48 000 tests car il n'existe pas encore de données nouvelles. Quand un animal est testé à 30 mois, cela ne signifie pas qu'il est sain.

En testant un animal à 30 mois on ne prend pas beaucoup de risques pour trouver l'ESB puisqu'elle se rencontre essentiellement sur les bêtes de 4 ou 5 ans. Pour se rassurer encore plus, autant tester les animaux de 24 mois car nous n'en trouverons pas du tout, surtout si on continue à tester les cervelles.

M. le Président - Faites-vous des enquêtes chez les industriels de l'agro-alimentaire qui fabriquent des plats cuisinés ?

Mme Marie-José Nicoli - Nous n'avons aucun pouvoir pour rentrer dans une entreprise privée.

La seule chose que nous pouvons faire (nous sommes la seule organisation de consommateurs à le faire en France ; l'INC pratique des tests mais c'est un institut d'Etat) consiste à tester les produits présents sur le marché et indiquer ce que nous y avons trouvé.

Nous ne sommes pas une Administration et nous ne rentrons pas dans les entreprises. J'ai réalisé beaucoup de visites d'abattoirs et d'usines d'équarrissage, mais je l'ai toujours fait en demandant préalablement l'autorisation. J'ai pu entrer parce que le P.D.G. de l'entreprise était d'accord ou parce que je m'y rendais avec un inspecteur de la DGCCRF ou de la DSV. Personne ne peut pénétrer ainsi dans une entreprise ; même des sénateurs ne pourraient pas le faire.

M. le Président - S'agissant d'une commission d'enquête, nous pouvons aller où nous voulons. Il est bien évident que nous nous annonçons.

Mme Marie-José Nicoli - Personnellement, je ne peux pas aller où je veux.

M. le Président - Concernant le dépistage, selon vous, qui doit le payer et le financer ?

Mme Marie-José Nicoli - La décision a été prise : le consommateur paie. Sur les tests, l'observatoire mis en place indique que cela ne sera pas plus que 1,50 F par kilogramme de viande. Personnellement, je pense que cela pourrait être 3 F.

Conjointement, la taxe d'équarrissage est très importante. Est-il normal qu'un produit de consommation soit taxé pour l'équarrissage qui est un service public ? Il ne devrait pas être possible de taxer un produit car cela reviendrait à pouvoir taxer tous les autres produits de consommation. Ce n'est pas logique.

Cette taxe a été reportée sur la grande distribution qui, évidemment, nous l'a répercutée, d'ailleurs sur toutes les viandes, les salaisons et les raviolis. Il ne s'agit pas que de la viande bovine.

M. le Président - Cela dilue le coût.

Mme Marie-José Nicoli - Je trouve anormal qu'il n'y ait pas eu une répartition tout au long de la filière. On ne parle pas des fabricants d'aliments qui devraient être concernés.

M. le Président - Nous vous remercions pour votre présence et les informations que vous nous remettez.

Audition de M. Jacques DRUCKER,
Directeur général de l'institut de veille sanitaire

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - La séance est ouverte.

Mes chers collègues, nous allons maintenant entendre M. Jacques Drucker, directeur général de l'institut de veille sanitaire, que je remercie d'avoir répondu à notre convocation.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Drucker.

Je vous laisse maintenant la parole afin que vous exposiez à la commission votre sentiment sur les conséquences sanitaires de l'utilisation des farines animales, notamment dans l'alimentation du troupeau ovin.

M. Jacques Drucker - L'institut de veille sanitaire a pour mission de coordonner la surveillance de l'état de santé de la population française. En liaison avec divers partenaires, il est à ce titre impliqué dans le suivi des conséquences du développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine : il est notamment chargé de la surveillance de la forme humaine, c'est-à-dire de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob liée -on a toutes les raisons de le penser- à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

C'est donc sous l'angle de vue d'un responsable d'institut d'épidémiologie que je me propose de présenter mon exposé introductif. Je commencerai ainsi par décrire la façon dont le dispositif de suivi épidémiologique des maladies humaines s'est mis en place depuis la déclaration de l'épidémie animale pour surveiller les conséquences sanitaires de celle-ci. Je présenterai ensuite les informations aujourd'hui disponibles en France avant d'aborder les questions que soulève le suivi épidémiologique dans notre pays.

Après la détection de la survenue et du développement de l'épidémie d'encéphalopathie spongiforme bovine au Royaume-Uni, les épidémiologistes et les chercheurs spécialistes des maladies infectieuses humaines se sont, naturellement, assez rapidement interrogés sur le risque de transmission de l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine à l'homme. Au tout début des années 1990, nous avions déjà un éclairage sur le rôle des farines animales et sur la similitude entre la maladie des bovins et certaines maladies neuro-dégénératives de l'homme.

Plusieurs pays d'Europe ont alors mis en place un dispositif de surveillance des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles -encéphalopathies dont font partie les formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et notamment celle qui allait apparaître comme sa nouvelle variante- dans le cadre d'une étude européenne dont l'objectif était d'estimer l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de préciser les différents facteurs de risque.

Cette étude, dont la coordination a été assurée en France par l'unité 360 de l'INSERM, l'institut de la santé et de la recherche médicale, a eu une importance cruciale puisque c'est dans son cadre que nos collègues anglais ont, en mars 1996, finalement mis en évidence - ou, tout du moins, annoncé - les premiers cas de cette nouvelle forme de maladie que l'on appelle maintenant la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, forme qui est donc liée à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

C'est aussi dans le cadre de cette étude que le premier cas français a été identifié en 1996, ce qui a conduit la France à renforcer son dispositif de surveillance des formes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme en rendant obligatoire, à partir du mois de septembre de cette même année, la déclaration de toute maladie ou, plus exactement, de toute suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

En 1996, l'institut de veille sanitaire, appelé alors réseau national de santé publique, s'est donc vu confié, comme pour les autres maladies à déclaration obligatoire, la coordination en liaison avec l'INSERM de la surveillance des formes de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Depuis 1996, le dispositif a encore été renforcé. Il constitue aujourd'hui un véritable réseau national de surveillance : multidisciplinaire, il associe des cliniciens, neurologues ou neuropathologistes, des biologistes, travaillant dans les centres de référence sur les maladies à prions ainsi que dans divers laboratoires de recherche sur ces agents de transmission, et, bien sûr, l'ensemble du tissu des professionnels de santé, puisque ceux-ci sont censés, s'agissant d'une maladie à déclaration obligatoire, signifier toute suspicion. Des outils de détection de plus en plus sensibles ont en outre été développés.

Toutes les informations ainsi recueillies sont centralisées, d'une part, à l'institut de veille sanitaire du fait de la déclaration obligatoire, d'autre part et surtout, à l'unité 360 de l'INSERM. Chaque suspicion notifiée fait en effet l'objet d'une investigation destinée, d'une part, à établir le degré de certitude, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'un cas possible, probable ou certain de maladie de Creutzfeldt-Jakob ou d'un cas qui, finalement, n'appelle pas ce diagnostic, d'autre part, à préciser l'étiologie, c'est-à-dire à déterminer s'il s'agit d'une maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, familiale, iatrogène ou, et c'est ce qui nous intéresse ici, d'une forme variante.

Les objectifs du dispositif, qui fonctionne maintenant depuis huit ans, sont donc de repérer d'une façon aussi exhaustive que possible les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob, d'en préciser l'étiologie et notamment de repérer les formes variantes, mais aussi d'explorer les facteurs de risque de survenue, voire de repérer d'éventuels cas regroupés, ce qui aurait une importance particulière pour la compréhension de la transmission de la maladie.

Chaque mois, l'institut de veille sanitaire actualise les données épidémiologiques recensées rapportées par ce dispositif et les rend publiques sur son site web. Quelles informations avons-nous recueillies au cours des huit dernières années ?

Depuis quatre ans, nous assistons à une augmentation du nombre des déclarations de suspicion. C'est le résultat d'une recherche de plus en plus active et d'une sensibilisation de plus en plus forte des cliniciens, tant en matière de diagnostic que de déclaration des cas.

Au cours des cinq dernières années, nous avons aussi observé une augmentation du nombre des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique diagnostiqués. Pour donner un ordre de grandeur, 68 cas certains ou probables de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique ont été recensés en 1996 ; en 1999, dernière année pour laquelle nous avons stabilisé les chiffres, 91 de ces cas ont été enregistrés, soit une augmentation d'environ 30 %, essentiellement due elle aussi à la meilleure performance du système. De façon globale, l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique est en France d'environ 1,5 cas par million d'habitants, ce qui place notre pays à peu près dans la moyenne européenne.

S'agissant de la forme variante, comme vous le savez sans doute, ont à ce jour été recensés en France deux malades décédés avec certitude de cette maladie, l'un en 1996, l'autre en 2000, et un malade classé pour le moment comme cas probable puisqu'il est toujours vivant et qu'il n'y a donc pas eu de confirmation possible. Au total, selon la définition européenne ou internationale de la maladie, il y a donc en France trois cas certains ou probables. Je rappelle qu'au Royaume-Uni 87 cas certains et 9 cas probables en cours d'exploration ont été recensés. Un seul autre cas à été recensé dans le monde, en Irlande.

La France dispose d'un système de surveillance assez performant, capable de détecter la survenue de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans sa forme variante, qui nécessiterait cependant d'être renforcé.

En effet, pour établir un diagnostic de certitude de maladie de Creutzfeldt-Jakob, le clinicien doit à l'heure actuelle disposer d'un examen anatomo-pathologique du cerveau, examen qui ne peut être réalisé, bien entendu après le décès du malade, que dans le cadre d'une autopsie. Or, en France, le taux d'autopsie en cas de suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob plafonne à 55 % ou à 60 %. Nos collègues anglais font un peu mieux que nous puisque le taux d'autopsie dans ce type de cas est d'environ 80 % au Royaume-Uni.

Pour permettre un suivi épidémiologique encore plus précis à l'avenir, il paraît donc nécessaire de renforcer un diagnostic qui ne repose aujourd'hui que sur les examens assez lourds et complexes que sont les examens anatomiques du cerveau. Vous le savez, une recherche assez active se poursuit actuellement en France pour tenter de mettre au point des tests de diagnostic d'utilisation plus courante, en particulier un test capable, le cas échéant, de détecter le prion ou la protéine pathologique dans le sang. Nous disposerions ainsi d'un outil plus performant de suivi épidémiologique.

La direction générale de la santé nous a demandés s'il était possible d'organiser en France un dépistage du portage de la protéine pathologique liée à la forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Nous avons donc procédé à une expertise au cours des derniers mois avec le concours de plusieurs spécialistes en la matière. Cette expertise nous a amenés à conclure que, en l'état actuel, compte tenu des tests disponibles et de la fréquence apparente de la maladie en France, compte tenu aussi des grandes incertitudes qui demeurent sur la durée d'incubation, compte tenu encore de considérations éthiques sur l'exploitation éventuelle des résultats, il n'était ni pertinent ni faisable de mettre en place un tel dépistage, cette position pouvant bien entendu évoluer dans le futur, en fonction notamment de la disponibilité de tests plus faciles à utiliser à grande échelle.

En dehors des questions que je viens d'évoquer -renforcement de la surveillance et pratique des autopsies, problème du dépistage-, une autre question nous est posée : peut-on aujourd'hui faire des prévisions ou des projections quant au nombre futur des malades compte tenu des connaissances actuelles sur l'épidémie animale et sur les risques de transmission du prion bovin à l'homme ?

Comme vous le savez, on trouve déjà dans la littérature scientifique ce type d'extrapolation. Nos collègues anglais notamment s'y sont livrés : sur la base de l'épidémiologie en Angleterre et, surtout, sur la base d'hypothèses évidemment relativement hasardeuses et encore assez instables -durée d'incubation, dose minimum infectante pour l'homme, degré réel d'exposition de la population à l'agent infectieux-, ils ont émis des chiffres qui, au fil des mois, se « resserrent » et deviennent un peu plus précis.

Les chiffres les plus raisonnables sur le plan scientifique ainsi publiés par nos collègues anglais font état d'une fourchette allant de 150 cas, hypothèse la plus basse, à environ 6 000 cas dans les trente prochaines années au Royaume-Uni.

L'institut de veille sanitaire n'a pas souhaité extrapoler à partir des chiffres anglais compte tenu de l'ampleur des incertitudes et de l'imprécision des hypothèses. Si l'on devait cependant donner un ordre de grandeur pour évaluer ce que pourrait être le développement de la maladie chez l'homme en France, le plus rationnel serait en définitive, considérant qu'il y a aujourd'hui environ trente fois moins de cas et étant estimé que l'exposition de la population au prion responsable de l'encéphalopathie spongiforme bovine a été environ vingt fois moins élevée en France qu'en Angleterre, de diviser par vingt les prédictions anglaises. On arrive ainsi à un résultat de l'ordre de quelque centaines de cas -environ 300- appelant, encore une fois, de nombreuses réserves et devant être interprété avec beaucoup de prudence.

Espérant avoir ainsi décrit à votre commission la situation en matière de surveillance épidémiologique des conséquences sanitaires de l'encéphalopathie spongiforme bovine en France, je terminerai mon propos en disant que l'hypothèse selon laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait liés à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine paraît tout à fait plausible.

M. Jean Bizet, rapporteur
- Je tiens, monsieur le directeur général, à vous remercier des précisions que vous nous avez apportées.

Cela dit, je voudrais revenir sur un point particulier : en effet, vous nous avez dit que la population française serait vingt fois moins exposée à la maladie de Creutzfeldt-Jakob que la population anglaise.

Or, compte tenu, d'une part, de l'importation malgré tout massive jusqu'au début de 1996 d'abats à risque provenant de la Grande-Bretagne et, d'autre part, de la présence de cervelle dans les petits pots pour bébé jusqu'en 1992, pensez-vous que la population française ait été soumise à des risques importants ?

Confirmez-vous cette notion de « vingt fois moins » ?

M. Jacques Drucker - C'est effectivement ce que j'ai dit tout à l'heure, mais bien évidemment, il y a tellement d'inconnues et d'incertitudes dans ce dossier, en particulier concernant le degré et les conditions d'exposition de la population -qui sont pourtant l'un des paramètres essentiels de la démarche d'évaluation des risques- qu'il nous faut rester très prudents.

L'institut de veille sanitaire, pour sa part, afin de procéder à ce type d'évaluation des risques, ne peut disposer que d'hypothèses fondées sur la situation en Grande-Bretagne qui, elle-même, repose sur les informations disponibles, qui sont « sur la table » si j'ose dire.

L'un des paramètres manquants pourrait s'énoncer ainsi : dans quelle mesure les dispositions de prévention et de précaution qui ont été prises dès le début des années quatre-vingt dix ont-elles été appliquées et, si oui, l'ont-elles été correctement ?

Si l'on part de l'hypothèse fondée sur l'importation des tissus à risque spécifié, vous le savez comme moi, mesdames, messieurs les sénateurs, il existe de fortes interrogations sur la rigueur avec laquelle ces mesures ont été appliquées. Dès lors, toutes les hypothèses sont possibles quant à l'exposition de la population française à cet agent infectieux et il nous faut, je le répète, rester extrêmement prudents.

M. le Rapporteur - Vous parlez de « fortes interrogations ». Disposez-vous pour cela d'autres éléments d'information ?

M. Jacques Drucker - Je ne détiens aucune information complémentaire, monsieur le rapporteur. Je me fonde ici sur le fait que, finalement, aujourd'hui, tous les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine qui ont été rapportés depuis 1997 sont apparus chez des bovins nés après l'interdiction des farines. J'en déduis donc que l'interdiction de l'importation des farines carnées n'a pas dû être absolue.

D'autres hypothèses ont également été émises quant au mode de transmission de la maladie à l'homme, mais la plus réaliste, à mes yeux, reste que l'interdiction de l'importation des farines animales n'a pas été totale et, dès lors, toutes les hypothèses portant sur l'exposition de la population restent assez hasardeuses, il faut le dire.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé de cas « sporadiques » de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de nouvelles variantes. Or le diagnostic n'ayant pu être porté que post-mortem, j'aimerais savoir si un clinicien averti peut détecter la maladie sur des sujets vivants ?

M. Jacques Drucker - Je ne suis pas neurologue, monsieur le rapporteur, mais je sais, pour en avoir discuté à plusieurs reprises avec mes collègues cliniciens, qu'il existe des caractéristiques cliniques assez évocatrices de la nouvelle variante ; je pense notamment à l'âge des personnes malades dont les manifestations cliniques à forte composante psychiatrique sont plus perceptibles.

Il est vrai que jusqu'à présent, la commission de surveillance a constaté des signes de la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob chez des sujets jeunes et qu'il faudra sans doute étendre le recours à l'autopsie car les caractéristiques cliniques de cette maladie pourraient évoluer pour toucher des personnes plus âgées. Dans ce contexte, la maladie de Creutzfeldt-Jakob risquerait d'être confondue avec d'autres démences plus fréquentes chez les personnes âgées telles que la maladie d'Alzheimer.

M. le Rapporteur - Peut-on imaginer que certaines variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu échapper à tout système de surveillance ? Hélas, il est à noter une sorte d'omerta des professions médicales à l'égard de cette maladie.

M. Jacques Drucker - Il n'est effectivement pas exclu, monsieur le rapporteur, que des variantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob aient pu passer entre les mailles de la surveillance, de sorte que certains cas auraient pu survenir chez des sujets plus âgés, comme je viens de le dire.

Si votre question est : « le dispositif médical, en toute connaissance de cause, aurait-il pu ne pas signaler un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ? » Alors ma réponse est la suivante : « personnellement, je ne le pense pas ». En effet, je n'imagine pas que dans le dispositif actuel de surveillance qui, je le rappelle, repose sur tout un réseau de recherche en matière de santé publique, un cas de variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ait pu être passé sous silence.

Notre souci, aujourd'hui, est orienté dans l'autre sens, si je puis dire. En d'autres termes, quand un cas de suspicion de variante apparaît, nous faisons toutes les études nécessaires, même si c'est pour nous apercevoir que cette suspicion n'était pas fondée.

Cela dit, il n'est pas exclu que pour des raisons purement techniques de sensibilité du système, quelques cas de forme variante aient pu ne pas être repérés.

M. le Rapporteur - En parallèle, monsieur le directeur général, nous avons vu que la Commission européenne, dès les années quatre-vingt dix, a fait preuve d'une autorité très forte pour étouffer les cas d'encéphalopathie spongiforme bovine, compte tenu des effets économiques induits, notamment pour la Grande-Bretagne.

Or sur un plan purement sanitaire, peut-on imaginer que l'institut de veille sanitaire puisse « discrètement » ne pas informer l'opinion publique sur le nombre exact de nouvelles variantes ? Cela n'est pas pensable, à votre avis ?

M. Jacques Drucker - En effet, cela n'est pas pensable, monsieur le rapporteur.

S'agissant de l'Europe, c'est la Commission elle-même qui, depuis 1992, a contribué à développer la connaissance de ces nouvelles maladies ; cela est indiscutable.

Pour ce qui est de l'institut de veille sanitaire, il ne paraît pas non plus pensable que, pour cette maladie comme pour d'autres, il ne porte pas à la connaissance des pouvoirs publics, des professionnels et plus généralement de l'opinion publique l'apparition probable de nouvelles formes variantes.

Ce qu'il faut comprendre dans le système de surveillance, c'est que, entre le moment où la suspicion de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est notifiée et le moment où le diagnostic est confirmé, il peut se passer entre six à douze mois. La mise à jour doit donc se faire de façon un peu décalée et aujourd'hui, nous connaissons les données au 15 février, y compris les cas qui sont en cours d'investigation, c'est-à-dire qui, pour le moment, ne sont que des suspicions et non pas des maladies confirmées.

M. le Rapporteur - Monsieur le directeur général, vous avez tout à l'heure émis quelques craintes quant à la contamination interhumaine, notamment à l'occasion d'une transfusion sanguine. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet ?

M. Jacques Drucker - Effectivement, il s'agit là d'un mode de transmission possible de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à l'espèce humaine, mais cela doit être étudié au cas par cas. Ainsi, dès qu'une suspicion de maladie de Creutzfeldt-Jakob est portée à notre connaissance, nous mettons en place un dispositif d'hémovigilance au même titre qu'est explorée la voie d'une transmission éventuelle de cet agent pathogène au cours d'actes diagnostiques ou thérapeutiques invasifs.

A ce propos, un certain nombre de mesures ont été prises au cours des derniers mois qui continuent d'évoluer, la dernière en date étant une circulaire émanant de la direction des hôpitaux et portant sur le renforcement des mesures de stérilisation des appareils chirurgicaux. Or, comme vous le savez, il s'agit là d'un sujet extrêmement difficile car, contrairement à la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique et « sporadique », il semble que le prion pathologique, agent de la forme variante, ait une dissémination beaucoup plus large par l'organisme que les agents des autres formes de la maladie qui, elles, se confinent si j'ose dire au système nerveux.

M. le Rapporteur - J'aimerais vous poser une dernière question, monsieur le directeur général.

Sur les quatre-vingt sept cas recensés à ce jour au Royaume-Uni, on a pu constater que treize patients étaient des donneurs de sang potentiels. Vos collègues anglais ont-ils un peu plus de certitudes quant au mode de transmission par transfusion sanguine notamment ?

M. Jacques Drucker - Pas à ma connaissance, monsieur le rapporteur. En effet, nos collègues épidémiologistes anglais n'ont pas communiqué ou transmis à la communauté scientifique d'informations permettant de mieux cerner le risque transfusionnel.

Par ailleurs, comme vous le savez, une expertise assez complète a été menée à la fin de l'année dernière sur ce risque-là en particulier, expertise au cours de laquelle ont été analysées toutes les données disponibles, y compris les informations anglaises.

Personnellement, je n'ai pas d'information complémentaire sur ce dossier.

M. Paul Blanc - Je voudrais simplement revenir sur l'épidémiologie des deux cas certains et d'un troisième, probable, de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en France. A-t-on profité de l'apparition de ces trois cas pour mener une enquête approfondie sur les habitudes alimentaires et la possibilité de contamination par voie digestive ?

M. Jacques Drucker - Absolument, monsieur le sénateur : nous avons fait une investigation aussi poussée que possible concernant les habitudes alimentaires des deux malades décédés et du troisième malade encore vivant, étant entendu que la prise en compte de ces habitudes alimentaires doit remonter à plusieurs années auparavant.

M. Paul Blanc - Les médias ont évoqué un autre cas possible...

M. Jacques Drucker - A ma connaissance, ce cas n'a pas été confirmé, monsieur le sénateur.

M. Paul Blanc - La déclaration de Mme le secrétaire d'Etat à la santé avait déclenché de nombreuses réactions concernant de possibles cas à venir. Dès lors, j'aimerais savoir si elle s'est appuyée sur des informations que vous lui auriez transmises, monsieur le directeur général.

M. Jacques Drucker - Non, l'institut de veille sanitaire n'a jamais fait d'évaluation de risque et donc, a fortiori, transmis de rapport contenant des prédictions quant au nombre de cas à venir.

Les éléments que vous avez pu lire dans la presse, monsieur le sénateur, sont des extrapolations des données de l'unité 360 de l'INSERM. A ma connaissance, il n'y a jamais eu d'étude structurée ou de modélisation en France, contrairement à ce qu'ont fait les Anglais.

M. Paul Blanc - Pouvez-vous nous dire, monsieur le directeur général, si, à votre connaissance, une étude des habitudes alimentaires aurait donné des résultats ?

M. Jacques Drucker - Ce que je peux vous dire, monsieur Blanc, c'est que nos collègues anglais, pour chaque cas suspect de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, ont employé le même protocole d'investigation épidémiologique. Or à ce jour et à ma connaissance, ces investigations n'ont rien donné.

De la même façon, vous savez qu'actuellement les Anglais enquêtent sur un foyer de cinq ou six cas suspects se situant dans une commune de taille relativement limitée. L'investigation est aujourd'hui en cours, mais pour l'instant, aucune conclusion n'a été apportée à cette étude.

Il entre aussi dans les objectifs du système de surveillance français de repérer des cas regroupés géographiquement, et ce afin de mener des investigations pouvant aboutir à une meilleure connaissance des facteurs de risque. Nous n'avons pas encore rencontré ce type de commune en France, mais, je le répète, pour l'instant cette investigation de ce foyer de cinq à six personnes malades en Grande-Bretagne n'a pas donné de résultat.

M. Paul Blanc - Mais alors, pourquoi les Anglais ont-ils retiré les abats de la vente dès 1989 ? Est-ce parce qu'ils estimaient tout de même qu'une concentration possible de l'agent pathogène pouvait se révéler dangereuse pour l'homme ?

M. Jacques Drucker - Absolument, monsieur le sénateur.

Le premier cas d'encéphalopathie spongiforme bovine a été recensé en 1985 en Angleterre. Deux ou trois ans plus tard, les vétérinaires ont fait le lien entre les farines carnées et le développement de l'encéphalopathie spongiforme bovine. C'est ainsi qu'à la fin des années quatre-vingt, la physiopathologie, autrement dit la diffusion de l'agent pathogène dans le cas des bovins, était parfaitement connue. C'est cela effectivement qui a incité les Anglais à retirer de la vente ce que l'on appelle aujourd'hui les « matériaux à risque ».

M. le Président - Je voudrais revenir sur l'une des questions posées par M. Blanc concernant la déclaration de Mme la secrétaire d'Etat. Sur quoi était-elle fondée ?

M. Jacques Drucker - Je pense que la déclaration à laquelle vous faites allusion repose, je le répète, sur les données émanant de l'unité 360 de l'INSERM, monsieur le président.

M. Jacques Bimbenet - Que penser, monsieur le directeur général, des informations récemment révélées concernant les moutons ?

M. Jacques Drucker - Tout d'abord, monsieur le sénateur, je dois vous dire que vous ne vous adressez pas ici à un spécialiste de la maladie animale.

Cela étant dit, je pense - et ce n'est pas nouveau - que compte tenu de ses similitudes avec la tremblante du mouton, depuis que l'encéphalopathie spongiforme bovine a été détectée, certains ont pu émettre l'hypothèse que l'agent pathologique pouvait effectivement être transmis du mouton à la vache et ensuite que les bovins nourris aux farines animales ont pu à leur tour contaminer les moutons.

A ma connaissance, au cours de ces dernières semaines ou de ces derniers mois, aucun élément scientifique nouveau n'est apparu confirmant une telle hypothèse.

Par conséquent, est-il oui ou non justifié aujourd'hui de prendre des mesures de précaution s'agissant des moutons ? L'interprétation que j'en fais personnellement est qu'il vaut mieux effectivement envisager des mesures de précaution sur un risque théorique de ce type - « à froid » en quelque sorte - plutôt qu'en situation de crise ou de réaction à l'annonce d'un élément nouveau.

Bien sûr, reste à poser les limites de l'application du principe de précaution, sujet un peu délicat, vous en conviendrez, monsieur le sénateur.

Quoi qu'il en soit, l'hypothèse selon laquelle certains cas de tremblante du mouton seraient en fait des maladies dues à l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine est une hypothèse tout à fait plausible.

M. le Président - La commission d'enquête vous remercie, monsieur le directeur général, des informations que vous avez bien voulu lui apporter.

Audition de M. Marian APFELBAUM,
ancien Professeur de nutrition à la faculté de médecine Xavier-Bichat (Paris)

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur le Professeur, merci d'avoir répondu à notre convocation.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Apfelbaum.

M. Marian Apfelbaum - J'ai préparé un bref plan de ce que je vais dire, qui a pour objectif de situer le problème, et je serai ensuite à votre disposition pour répondre à vos questions.

Quelques mots sur les encéphalites humaines non bovines, sur les encéphalites animales non bovines, sur la transmissibilité de cette maladie chez les bovins et, enfin, quelques chiffres situant les risques quantitatifs comparés à l'extrême émotion de l'opinion publique. Nous verrons qu'il y a là un décalage majeur.

La maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans sa forme sporadique, a été décrite en 1921. Elle touche, dans les sociétés développées, à peu près un sujet par an pour un million d'habitants.

Il existe cependant des exceptions, que je ne veux pas développer : les Juifs de Libye et les Slovaques ont une prévalence de la maladie 20 à 30 fois supérieure.

Plus intéressante est la maladie du "Kuru", la maladie du frisson, décrite en Papouasie en 1955. Il s'agissait d'un cannibalisme rituel. Lorsqu'un membre de la tribu mourrait -et nous verrons qu'ils mourraient très jeunes- son corps était entièrement consommé. Le mouvement féministe étant faible en Papouasie, les femmes avaient droit aux entrailles et à la cervelle, alors que les hommes mangeaient de la bonne viande.

Toujours est-il que ce sont les femmes et les enfants qui ont été très massivement atteints puisque, dans cette tribu qui comptait 35.000 Papous, on a compté 3.000 morts dus a cette encéphalite.

Il s'agit là du premier modèle indiscutable d'une transmission orale de l'encéphalite. Cela fait quarante ans que ce cannibalisme a été arrêté ; or, il y a encore des cas nouveaux dans certains sous-groupes génétiques. Ce travail a d'ailleurs donné lieu à un prix Nobel vingt ans plus tard.

Dans les années qui ont suivi cette étude, les recherches ont permis d'affirmer que ce n'était ni un microbe, ni un virus, et l'hypothèse a été avancée qu'il s'agissait d'une protéine. Il faut dire que cela renvoyait à des conceptions extraordinairement fortes, liées à la bagarre franco-britannique entre Lamarck et Darwin, l'idée que des protéines puissent transmettre de l'information paraissant absolument hérétique.

Pour mémoire -mais nous passerons vite- il existe d'autres encéphalites. L'une d'elles, extraordinairement rare, provoque des insomnies fatales, mais on a pu montrer que l'encéphale des personnes atteintes contenait un agent infectieux puisque, injecté à l'animal, il provoquait une maladie mortelle.

Enfin, il y en a que l'on connaît moins bien.

Au total, il y a plusieurs formes d'encéphalite spongiforme chez l'homme, toutes à composantes génétiques, et toutes transmissibles.

Chez l'animal, l'affaire est très ancienne. La maladie spongiforme la plus anciennement décrite est la tremblante du mouton -1755- qui a donné lieu à nombre de travaux. Elle est transmissible expérimentalement à une autre brebis, ainsi qu'à la chèvre et au mouflon mais, par voie orale, elle n'est pas transmissible à d'autres espèces.

C'est à propos de cette tremblante du mouton qu'il a été démontré qu'il existait une protéine hydrophobe qui était l'agent visible de la transmission de la maladie, qui a donné lieu à un autre prix Nobel.

Il existe d'autres encéphalites de découverte plus récente, en particulier l'encéphalite du vison américain, d'autant plus particulière que les visons américains n'ont pas mangé de bovins atteints d'encéphalite bovine européenne.

Les cervidés américains en sont également atteints. Il y a eu trois cas d'encéphalite chez des chasseurs américains, provoquée par la consommation de viande de cervidés. Dans certains groupes de cervidés, la fréquence de la maladie atteint 20 %.

Tout ceci pour dire que, aussi troublant que soit pour nous le phénomène d'encéphalite bovine, n'est pas unique, ni dans l'espèce humaine, ni dans l'espèce animale.

Venons-en maintenant au sujet de l'encéphalite spongiforme bovine. Premier cas en Grande-Bretagne en 1985. 185.000 bovins ont été atteints en Angleterre sur un troupeau d'à peu près 11 millions ; 4,5 millions de bovins ont été abattus.

La cause directe a parfaitement été démontrée, puisqu'il s'agit de la consommation par ces animaux de farines animales. Je ne reviens pas sur les preuves : elles sont nombreuses.

La cause première n'est toutefois pas connue. L'hypothèse a été faite il y a très longtemps qu'il y avait de l'encéphale de mouton dans les farines animales et que la transmission de la tremblante du mouton a été ainsi assurée aux bovins.

Cette hypothèse est trop simple. Il faut en effet une mutation, car on sait très bien que l'encéphalite bovine n'est pas du tout identique à l'encéphalite du mouton. Si c'est le mouton qui est la cause première, il y a donc eu mutation.

Il y a aussi la possibilité qu'il s'agisse d'une encéphalite spongiforme sporadique chez les bovins, et que ces bovins en aient infecté d'autres en passant par les farines animales. Toujours est-il qu'il y a là un trou dans nos connaissances.

En 1988, les Anglais ont interdit l'usage des farines animales seulement pour les bovins, mais pas à l'exportation. Je m'abstiendrais de tout jugement !

L'explosion a eu lieu en 1996. Le ministre anglais, peu de temps après avoir affirmé à la télévision qu'il n'y avait aucun danger, ayant appris l'existence d'une publication scientifique, a pris les devants et a annoncé que la transmissibilité à l'homme était probable. Ceci a déclenché une panique qui n'a pas cessé depuis.

Parmi les travaux dans ce domaine, il y a un point sur lequel je voudrais insister : dans la maladie de Creutzfeldt-Jakob et dans la tremblante du mouton, on trouve un grand nombre de souches qui, injectées à des animaux, provoquent des maladies à localisations différentes, ce qui n'est pas le cas de l'ESB, qui est une source unique. Cela veut dire qu'il y a eu un événement unique, qui est la cause d'un ensemble unique.

Cette encéphalite est caractérisée par sa transmissibilité cérébrale, mais aussi orale pour un grand nombre d'espèces. 500 mg de cervelle bovine par voie orale provoquent chez le mouton une encéphalite qui n'est pas la tremblante du mouton, mais aussi chez l'homme, le lion, le tigre, le chat, l'antilope. Le nombre d'espèces atteintes par voie orale est grand -une vingtaine en tout. La barrière des espèces n'arrête donc pas l'encéphalite.

Quelques chiffres pour insister sur le décalage extrême qu'il y a entre le risque quantitatif tel que l'on peut l'apprécier et l'extrême émotion de la population. En France, on a recensé 200 cas -un petit peu moins- sur 21 millions de bovins. Un certain nombre de cas qui ont eu lieu ont disparu et n'ont pas été recensés ; d'autres n'ont pas encore été découverts. Au total, les gens compétents, dont je ne suis pas dans ce domaine, disent qu'en France, vraisemblablement, l'ensemble des cas autochtones est inférieur à 1.000.

En Grande-Bretagne, on a dit qu'à peu près 200.000 bovins ont été déclarés, mais les mêmes m'ont dit que le vrai chiffre doit être inférieur à un million. Dans les deux groupes de chiffres, il y a 200.000 fois moins de cas français que de cas britanniques.

Le problème demeure quand même d'actualité, puisque, en premier lieu, la diminution, depuis la disparition des farines animales en Angleterre, est beaucoup plus lente que ce qui avait été prévu par les épidémiologistes. On recense surtout, en France, une augmentation des cas "naïfs" nés après l'interdiction des farines.

Actuellement, les animaux que l'on découvre sont des animaux naïfs. Si lesdites farines étaient la seule cause de la transmission, les cas naïfs ne devraient pas exister.

Premier problème : l'hypothèse selon laquelle les farines n'étant pas interdites jusqu'à récemment, ni pour les oiseaux, ni pour les cochons, il y a eu mélange, soit chez les fabricants, soit chez les éleveurs, et que c'est par accident que les cas naïfs ont été infectés.

Deuxième problème, très actuel : on a dit que le mouton ne transmet pas la maladie à l'homme, mais il transmet l'encéphalite bovine, lorsqu'il en est atteint, à toutes sortes d'espèces, comme l'encéphalite bovine chez les bovins. Or, il faut très peu d'encéphale -500 mg- pour qu'un mouton soit atteint de la maladie.

J'en arrive pour terminer à la comparaison entre le risque quantitatif, tel qu'on peut l'apprécier, et le décalage avec la crainte de l'opinion publique, et je vais ici proposer l'explication de ce décalage.

Laissons de côté le problème des importations de viandes britanniques, qui ont pu provoquer des atteintes en cours chez l'homme, puisqu'il n'y a plus de viande britannique, et concentrons-nous sur le problème du risque qu'encourt actuellement un citoyen français, en mangeant un produit d'origine bovine en France, d'être atteint de cette maladie.

En faisant l'hypothèse extrême, pour simplifier, que toutes les mesures de précautions prises n'ont pas diminué les risques comparativement à la situation britannique depuis le début, nous nous retrouvons avec l'idée que les cas autochtones, en France, devraient être actuellement au maximum d'un millième des cas anglais, compte tenu des chiffres présentés.

Or, la fourchette haute de la prévision la plus pessimiste des Anglais est de 136.000 cas en Grande-Bretagne pendant 40 ans. Pourquoi 40 ans ? Tout simplement parce que, en Nouvelle-Guinée, 40 ans après la fin du cannibalisme, des cas sont encore découverts.

Si l'on prend cette fourchette haute, compte tenu des deux simplifications pessimistes que j'ai énoncées, on se trouve, en France, avec 136 cas -et non 136.000- sur 40 ans. En d'autres termes, le danger pour la santé publique, en France, actuellement, à consommer de la viande bovine, n'est pas significativement différent de zéro !

Or, toute la population est inquiète, et une partie l'a pris d'une façon tout à fait dramatique. Comment expliquer cela ? L'explication me paraît biologique. Nous sommes des omnivores, et tous les groupes d'omnivores -les cochons, les rats, les hommes- sont nés avec une crainte extrême concernant l'alimentation, pour une raison très simple : tout individu qui n'est pas méfiant envers l'alimentation meurt empoisonné par des poisons de toutes sortes avant de se reproduire !

Il y a des expériences innombrables que je ne citerai pas qui prouvent qu'en matière d'alimentation, il existe une extrême asymétrie entre la crainte et le fait d'être rassuré.

En un mot, le signal que cet aliment est dangereux est immédiatement perçu et mémorisé de façon durable, mais le signal destiné à affirmer le contraire ne passe pas ! C'est caricatural s'agissant de l'ESB, mais je peux vous présenter nombre d'expériences montrant que c'est un phénomène général. Lorsqu'on dit à quelqu'un que ceci est un poison, il ne le croit pas mais se comporte comme s'il le croyait !

Ceci étant dit, je pense que le pronostic épidémiologique, en France, est excellent, et le pronostic politique très mauvais.

Je vous remercie.

M. le Président - Merci, Monsieur le Professeur.

La parole est au rapporteur.

M. Jean Bizet, rapporteur - Après un préambule aussi brillant et incisif, que l'on partage, j'en suis persuadé, je vais me permettre de vous citer. En mai 1999, dans "Le Point", vous disiez : "Le bio est un mélange de conneries et de nécessité".

Peut-on dire que le bio est moins sûr, du point de vue de la sécurité alimentaire, que le produit conventionnel, voire industriel ? Du point de vue nutritionnel, qui emporterait l'avantage ?

M. Marian Apfelbaum - Tout d'abord, je vous prie de pardonner la crudité de mon langage, mais j'ignorais que je serais cité dans cette noble assemblée !

Le principe des aliments biologiques repose sur la croyance en un naturel sain et en un progrès technologique coupable.

Il s'agit donc non d'une façon de fabriquer des aliments plus sains, mais d'une façon de nous rassurer sur le fait que l'on a banni le progrès coupable.

Certains aliments biologiques peuvent être bons pour la santé, mais ce n'est pas démontré. D'ailleurs, la législation en matière d'aliments biologiques impose qu'un certain nombre de procédés ne soient pas appliqués, mais n'impose ni critères de qualité, ni critères de sûreté.

Je continue à penser que les aliments biologiques sont en effet un produit de la "connerie", c'est-à-dire de notre goût à être rassurés et de la nécessité, pour certains, d'être sûrs que l'aliment n'a pas été touché par le progrès. C'est évidemment faux ! Toute l'agriculture, depuis le néolithique, est entièrement artificielle. Seules les sociétés de cueillette mangeaient des produits naturels !

M. le Rapporteur - Ceci est très clair mais, dans l'opinion, nous sommes partis -et je crois pour un certain nombre d'années- vers une orientation environnementaliste assez forte. Personnellement, je suis assez inquiet devant les orientations qui vont être prises en la matière, au niveau de l'Union européenne, dans les mois ou les années qui viennent, face à nos amis d'outre-Atlantique.

M. Marian Apfelbaum - Je voudrais prendre un exemple, celui des nitrates -il y a récemment eu une réunion au Sénat à ce sujet- que l'on répand un peu partout et qui sont provoqués par synthèse chimique. Ceux-ci sont absolument indiscernables par rapport à ceux qui sont contenus dans les coups de tonnerre, qui fabriquent des nitrates qui tombent du ciel.

Lorsqu'on les interdit, on se tourne vers les engrais naturels -fumier, phosphore. Il s'agit là d'un produit d'une sécurité bien moindre que les nitrates produits en usine, en particulier riches en nitrite, en microbes, etc. Les salades "biologiques" comportent un taux de nitrate égal à celui des salades non biologiques, et un taux de nitrite plus élevé !

Au total, je pense que, s'il est nécessaire de laisser faire ce genre de choses, il ne faut pas les encourager.

M. le Rapporteur - Je reviens sur l'un de vos ouvrages "Crises et peurs alimentaires".

Je vous cite : "Les traditionnels circuits courts, qui comportaient des éléments de confiance interpersonnels, qui ont disparu dans les filières d'industrie alimentaire comme la grande distribution, n'ont été que partiellement remplacés par la confiance dans la marque".

Aujourd'hui, avec cette fameuse épidémie d'ESB et la crise induite sur la filière bovine, pensez-vous que le retour à un circuit court, que l'on voit à travers la politique de label, la suppression des échanges entre les pays européens, soit réversible ou non ?

M. Marian Apfelbaum - Je pense qu'il est réversible ponctuellement, mais pas sur le fond. On a pris l'habitude d'avoir un grand nombre d'aliments à un coût très bas. Il est aujourd'hui très bon marché de manger, et ceci grâce à l'industrie agroalimentaire, à son gigantisme et à son uniformité.

En effet, malgré les apparences et le fait que, dans les divers marchés, les produits industriels se présentent sous forme de milliers de variantes, le produit industriel, par rapport au circuit court, est caractérisé par l'uniformité.

Une usine d'une chaîne alimentaire fait la même chose et met en place des systèmes de vérification pour prouver qu'il s'agit de la même chose. Si nous passons dans un circuit court -qu'il s'agisse de ce que fait mon charcutier ou mon pâtissier, que je connais et qui font des choses exquises- la variabilité, d'un jour à l'autre, d'une semaine à l'autre, est plus grande. Cette variabilité provoque chez moi un grand plaisir, mais diminue la sécurité.

Au total, les contraintes économiques font que seuls des produits de luxe, c'est-à-dire très chers, peuvent être mangés en toute sécurité, dans des circuits courts très coûteux, parce qu'il faut que les mesures soient assurées sur toute la production. La grande majorité d'entre nous continuera à manger, dans les années à venir, des produits uniformes de l'industrie alimentaire.

Je voudrais ajouter que les politiciens sont très en danger face aux problèmes alimentaires. Vous vous souvenez en effet que la dioxine belge a fait sauter un ministre, puis un deuxième, puis un Gouvernement, puis le parti au pouvoir.

Les dirigeants des grands groupes agro-alimentaires sont absolument obsédés par le danger du risque réel ou imaginaire, parce qu'ils y perdraient leur poste, et la marque sa valeur. En d'autres termes, il n'est pas indispensable de dire à l'industrie agroalimentaire d'être attentive à la sécurité : elle l'est déjà de façon obsessionnelle !

Le résultat, d'ailleurs, est qu'actuellement, on ne compte, pour la totalité des risques alimentaires aigus, que quelques dizaines de morts par an sur 500.000 cas, alors qu'au temps des circuits courts, le seul botulisme provoquait en France des milliers de morts ! Notre situation est actuellement entre 100 et 500 fois meilleure en termes quantitatifs qu'elle ne l'était au début du siècle !

Nous ne ferons pas marche arrière sur l'essentiel.

M. le Rapporteur - Quelle évolution voyez-vous pour l'agriculture productiviste, l'agriculture biologique, l'agriculture raisonnée, en tant que scientifique et en tant que citoyen ?

M. Marian Apfelbaum - Ma compétence comme agriculteur ou comme expert en agriculture est nulle. Ceci étant dit, j'en sais assez pour dire que, si jamais on décidait de revenir à des modes culturels anciens, on déclencherait une famine.

Si, dans ce pays qui est grand et qui comporte beaucoup de terres arables, il fallait nourrir la population par les méthodes anciennes, la chose s'avérerait impossible, sauf à supprimer de notre alimentation toute la partie animale puisque, pour fabriquer un produit animal, il faut une quantité importante de produits végétaux.

En d'autres termes, on pourrait revenir à des techniques anciennes, avec l'assurance de connaître les famines anciennes et, comme autrefois, une extrême pauvreté.

M. le Rapporteur - Merci de votre clarté.

M. le Président - La parole est aux commissaires.

M. Paul Blanc - Une première question provocatrice. Le nutritionniste que vous êtes ne se réjouit-il pas de voir la consommation de viande rouge diminuer, alors qu'elle est accusée de favoriser les cancers du colon ?

M. Marian Apfelbaum - Les relations entre la consommation de la viande et un certain nombre de maladies, dont le cancer du colon, sont très discutables.

La viande est un produit relativement gras. Il va de soi qu'un bon filet est plus maigre qu'une viande hachée mais, au total, les relations avec les maladies coronariennes, d'une part, et les cancers, d'autre part, n'ont jamais été prouvées expérimentalement.

Il y a des corrélations épidémiologiques plus ou moins fortes selon les cas. Je pense que la consommation, en quantité raisonnable, d'une viande bovine de qualité ne présente aucun inconvénient pour la santé.

M. Paul Blanc - Vous avez parlé du souci obsessionnel des fabricants agro-alimentaires. Au cours de notre enquête, nous avons constaté que l'agroalimentaire utilisait jusqu'à très récemment, de manière assez importante, des graisses bovines dans l'alimentation humaine. Pensez-vous qu'il n'y avait aucun risque à ce niveau-là ou que le souci obsessionnel est récent, suite à ce que l'on vient de voir ?

M. Marian Apfelbaum - Actuellement, quel que soit le caractère infime du risque, il serait tout à fait condamnable de mettre dans les petits pots de bébés de la cervelle. Même si le risque est très faible, il est inacceptable.

Une fois que l'industrie s'est assurée de la sécurité de ses produits, le second problème réside dans le prix de revient. Ils sont philanthropes, mais sans le faire exprès !

L'agroalimentaire éprouve une peur obsessionnelle du risque, réel ou imaginaire, car une marque est mise en cause aura le plus grand mal à s'en remettre.

Il y a un produit dont je ne me sers jamais, car je le considère comme particulièrement mauvais : c'est le Coca-Cola. Il y a eu, dans le Nord de la France, un bruit qui ne reposait sur rien, selon lequel le Coca-Cola de l'usine de Lille provoquait des maladies. La presse s'en est emparé, la consommation a baissé, la chute à Wall Street a été considérable, alors qu'on savait qu'il n'y avait aucun fondement à ces bruits. Puis, les choses se sont arrangées.

En d'autres termes, Coca-Cola fait-il attention à ce que la chose ne se reproduise pas de son fait ? Oui ! Mais les malheurs qui leur sont arrivés étaient des malheurs dont ils étaient innocents.

M. Paul Blanc - Il y a eu Perrier aux Etats-Unis.

M. Marian Apfelbaum - J'ai bien connu l'affaire. Les traces de benzène trouvées aux Etats-Unis par des machines d'une puissance extrême étaient inoffensives, quelle que soit la dose : on pouvait boire des milliers de litres de Perrier souillés sans jamais en être incommodé -bien qu'en absorbant quelques milliers de litres, on puisse l'être quand même !

Toujours est-il que les directeurs de l'entreprise de l'époque, ayant immédiatement compris la chose, à la place de discuter sur le fait que la quantité de benzène était inoffensive -moi-même j'ai affirmé qu'elle l'était- ont retiré de la circulation mondiale toutes les bouteilles de cette série. Or, la consommation de Perrier n'a pas encore repris son niveau aux Etats-Unis !

C'est dire l'impact qu'a eu l'association Perrier-benzènes-poison, pour fausse qu'elle ait été, sur la carrière du directeur et sur le bénéfice de la marque, qui a encore du mal à s'en remettre, et ceci 25 ans après !

M. le Président - Que pensez-vous du principe de précaution que l'on applique à peu près partout et pour tout, et qui va se développer encore ?

M. Marian Apfelbaum - J'ai été professionnellement mêlé à certaines discussions sur ce sujet. Malgré les nombreux textes qui existent à la matière, personne ne m'a expliqué les limites du principe de précaution. Je crois avoir compris que le principe de précaution intervient à un moment où aucune preuve scientifique n'est faite qu'il existe un risque.

Il renvoie à la notion du risque zéro, auquel nous avons droit, mais qui est une bêtise incroyable, parce que la vie est un phénomène génétiquement transmissible et toujours mortel ! Manger, boire -sans parler des tentatives de procréer ou de ne pas procréer- sont des actes dangereux. Il s'agit là d'une exigence irrépressible, mais entièrement stupide !

De toute façon, le principe de précaution a été inventé à la suite des écrits de Jonas concernant l'écologie. Il a été étendu à l'alimentation dans le cadre de la pression médiatique et populaire.

En matière d'alimentation, il n'a aucun sens. Un danger doit être appréhendé, prévu, mesuré et évité, ce qui est une obligation pour tous -politique, nutritionniste, système de contrôle.

Je pense que le principe de précaution en matière alimentaire ne devrait pas s'appliquer, tout en sachant que cela est contraire à l'exigence médiatique et publique. Les médias ne sont d'ailleurs pas les inventeurs de la panique que l'on vit. Ils l'accompagnent et l'amplifient à la demande de la population. Ce n'est pas un complot médiatique.

Une remarque : la dernière grande panique concernant l'encéphalite bovine, que nous vivons encore, a été déclenchée par un non événement : il n'y a pas eu 500 Français d'atteints, mais un paysan qui a mené à l'abattoir une vache qu'il n'aurait pas dû amener. Le vétérinaire a fait ce pour quoi il était payé : il a isolé la vache et il ne s'est rien passé de plus.

Là dessus, une chaîne de télévision a passé l'image d'une jeune anglaise en train de mourir d'encéphalite, mais qui aurait aussi bien pu mourir de leucémie, déclenchant immédiatement le signal dont j'ai parlé.

Revenons à ce signal. Prenez des étudiants, théoriquement bien au courant de ce qu'est le raisonnement scientifique. Convoquez-en vingt pour faire des tests et donnez à chacun deux petits gobelets vides. Demandez-leur de marquer, sur l'un, "poison" et, sur l'autre, "sucre", puis remplissez les deux gobelets de sucre en poudre.

Laissez passer une ou deux heures et, au bout de ce laps de temps, servez-leur du thé. Ils voudront alors sucrer leur thé et prendront donc du sucre. Dites-leur : "Prenez donc du poison !". Ils refuseront !

Là, le complot n'a pu exister : tout était sur la table depuis le début. C'est une expérience qui démontre bien que dire qu'une vache "follette" a été menée aux abattoirs et montrer une enfant anglaise en train de mourir est un signal qui peut être critiqué, mais dont l'efficacité est certaine !

Un mot d'introspection : si j'étais producteur de télévision, je pense que je chercherais des images-chocs pour gagner ma vie.

M. Roland du Luart - Une réflexion. Nous avons été jeunes l'un et l'autre. Vous êtes nutritionniste et je voudrais vous poser une question par rapport à l'alimentation qu'on donnait aux enfants.

Autrefois, les pédiatres recommandaient de la cervelle, du foie de veau et un certain nombre de produits de ce genre. Or, aujourd'hui, tout cela est interdit.

Je crois savoir qu'en Europe, on autorise le thymus alors qu'on l'interdit en France. Pensez-vous que, lorsque cette crise sera passée, on pourra revenir vers la consommation de produits recommandés pour les enfants, et qui sont aujourd'hui interdits ?

M. Marian Apfelbaum - Dès lors que tout danger d'encéphalite aura disparu, je ne vois pas de raisons de ne pas reprendre de la cervelle d'agneau, parce qu'on sait que la tremblante n'est pas transmissible et, en second lieu, du foie de veau.

Mais, d'après ce que je sais de la psychologie humaine, le signal que les gens ont reçu ne va pas disparaître. Si jamais j'annonçais à la télévision, moi qui suis vieux, qui porte une barbe blanche et qui suis censé représenter l'image du père, que l'eau du robinet peut transmettre l'encéphalite bovine, le Sida et d'autres choses, une partie importante de la population arrêterait immédiatement d'en consommer. Si je revenais ensuite pour dire que c'était une plaisanterie, une partie de cette même population ne recommencerait pas pour autant à boire de l'eau du robinet.

Conclusion : les produits condamnés aujourd'hui dans le cadre de l'encéphalite ne reviendront pas de si tôt, même si tout danger paraît écarté.

M. le Président - Y a-t-il d'autres questions ?

Monsieur le Professeur, je pense que nous avons fait le tour de ce que nous souhaitions vous demander. Nous vous remercions infiniment de la qualité de l'intervention que vous avez faite, qui a été très claire et très affirmée.

M. Marian Apfelbaum - Merci, Monsieur le Président.

Audition de M. Éric GRAVIER, Vice-président de Mac Donald's France

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Éric Gravier, vous êtes vice-président de Mac Donald's France. Vous êtes accompagnés de Mme Catherine Choquet, responsable filière, et de Mme Edith Lagnien, directeur de la société Mac Key. Merci d'avoir répondu à notre convocation.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Gravier et à Mmes Choquet et Lagnien.

M. Éric Gravier - Si vous le voulez bien, nous allons présenter les deux entreprises représentées ici, Mac Donald's France, et son fournisseur, Mac Key.

Mac Donald's, en chiffres, pour 2000, c'est 11,5 milliards de francs de chiffre d'affaires, un million de clients par jour, 860 restaurants sur l'ensemble de l'année, dont 70 nouveaux qui ont représenté un investissement de 656 millions de francs, 35.000 personnes qui travaillent sous l'enseigne, un réseau de 240 franchisés, qui sont des responsables de PME indépendants dans le tissu économique local.

En ce qui concerne les achats de Mac Donald's en termes de produits alimentaires, le chiffre d'affaires s'est élevé à 2,6 milliards de francs, dont 77 % sont des produits alimentaires achetés à France, soit un peu plus de 2 milliards de francs. Le monde des fournisseurs de Mac Donald's emploi lui-même, directement ou indirectement, à peu près 3.000 personnes.

Nous sommes en développement continu, notamment avec le monde de nos fournisseurs ; par exemple, l'an 2000 a vu la mise en place et l'ouverture d'une nouvelle usine, à Fleurey-sur-Ouche, près de Dijon, et 2001 doit voir la mise en place de la nouvelle usine du groupe Mac Cain à Matougues, pour les frites.

Plus en amont, nous avons travaillé en l'an 2000 avec un peu plus de 48.000 éleveurs de bovins, 90 éleveurs de poulets, 110 éleveurs de porcs, 100 céréaliers, 80 maraîchers et 375 producteurs de pommes de terre.

Je laisserai la parole à Edith Lagnien pour qu'elle présente elle-même l'entreprise Mac Key.

Mme Edith Lagnien - Nous sommes une PME de 160 personnes, située à côté d'Orléans. Nous avons fabriqué en 2000 environ 30.000 tonnes de steaks hachés surgelés, soit environ un steak haché surgelé sur quatre produits en France.

Nous fournissons Mac Donald's à 98 % et sommes vraiment le spécialiste du steak haché, puisque notre usine, qui est entièrement dédiée à cette transformation, n'a ni abattoir lié, ni salle de désossage.

On travaille donc avec une trentaine de fournisseurs, qui sont des abattoirs désosseurs, parmi lesquels on va retrouver des grands groupes et des grosses unités, comme Bigard-Cuiseaux, SOCOPA-Coutances, SABIM à Sablé-sur-Sarthe, SVA Trémorel, ou Bif Armor. On va également retrouver des unités plus petites, comme Gourault, à Blois, Monier, ou Le Bocage à Formerie.

Depuis un certain nombre d'années, nous avons développé avec tous nos fournisseurs des plans d'assurance-qualité pour garantir toute la sécurité alimentaire, en particulier par le développement, dès 1992, d'un process de traçabilité, comportant un process informatisé de l'entrée des matières premières dans notre usine jusqu'au produit fini.

A partir de 1993, jusqu'à un process concrétisé en 1995, on a travaillé avec nos fournisseurs pour avoir une traçabilité complète de l'arrivée de l'animal à l'abattoir jusqu'au produit fini, en demandant à nos fournisseurs d'enregistrer tous les numéros de lots et de tueries des animaux pour avoir toutes les informations sur la traçabilité.

On a également beaucoup travaillé avec nos fournisseurs pour développer les plans HACCP, qui sont des méthodes d'assurance-qualité permettant de garantir toute la sécurité alimentaire. Nous avons en particulier demandé à nos fournisseurs, depuis 1993, de mettre ces plans HACCP en place, alors qu'à l'époque, ce n'était pas encore entré dans les moeurs et que ce n'est toujours par réglementairement obligatoire aujourd'hui.

Il s'agit de tout un travail au niveau des fournisseurs en matière de bonnes pratiques, mais également de choix des matières premières.

Nous ne fabriquons pour Mac Donald's France que du steak haché. La définition réglementaire du steak haché est extrêmement claire : ce n'est que du muscle, qui peut réglementairement contenir 1 % de sel. Chez nous, volontairement, cela n'a jamais été que du steak haché 100 % pur muscle, sans adjonction de sel, depuis 1987 que l'usine existe.

Cela signifie que la viande n'est pas séparée mécaniquement, qu'elle ne contient ni abats, ni chutes de découpe. Nous nous interdisons également d'y incorporer un certain nombre de muscles, pour des raisons organoleptiques, ceux-ci risquant de donner à la viande un goût un peu fort, qui n'est pas ce que nous recherchons pour notre steak haché.

Un certain nombre de carcasses sont également interdites d'emploi, comme les veaux, puisqu'on fait un steak haché avec des animaux plus âgés. On ne veut pas non plus de taureaux puisque, de la même façon, d'un point de vue gustatif, cette viande ne correspondrait pas à nos standards.

Ce travail en amont est donc extrêmement important quant au choix des morceaux et des fournisseurs. Le process est relativement simple et correspond un petit peu à ce qui peut se faire chez le boucher : un hachage des viandes dans un hachoir sans fin, avec un mélange, un formage et une surgélation, puis un stockage avec, à tous les points de l'usine, et en particulier au niveau de la réception, tout un système d'assurance-qualité et de contrôle-qualité destiné à vérifier que les matières premières que l'on reçoit sont bien conformes à nos cahiers des charges. Ces contrôles existent également à tous les stades de la production.

Enfin, les matières premières sont principalement des avants, c'est-à-dire des parties à bouillir, comme les morceaux type "pot-au-feu", l'achat complet des avants participant à l'équilibre de la carcasse.

M. le Président - La parole est au rapporteur.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Vous avez parlé de la traçabilité. En êtes-vous satisfaits ? Ferez-vous encore des progrès ?

Avez-vous l'intention d'informer le consommateur sur l'origine de vos viandes et sur la façon dont les animaux ont été nourris ?

Quelles sont vos prévisions ou vos prospectives en la matière ?

M. Éric Gravier - Aujourd'hui, tous les outils ont été mis en place pour remonter jusqu'à l'origine des animaux concernés. Sur le plan de la sécurité, nous nous sentons donc bien armés.

En revanche, il est clair que, s'agissant de muscles entiers sélectionnés au niveau des abattoirs, il y a encore de quoi réaliser des marges de progression, puisqu'il existe une sorte de barrière, non volontaire probablement, entre le monde de l'élevage et les industries de distribution ou de troisième transformation. La présence à mes côtés de Catherine Choquet, responsable risques et filière chez nous depuis l'an dernier, démontre, en ce qui nous concerne, une stratégie destinée à mieux connaître ce qui se passe dans le monde de l'agriculture aujourd'hui, au niveau de l'élevage.

Non que nous ayons des doutes mais, aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de mettre en place des cahiers des charges, nous commençons par les mettre en place au niveau des viandes sélectionnées par les abattoirs.

Nous serions intéressés de voir se développer de bonnes pratiques, voire même la qualification des élevages, que nous serions prêts à privilégier et à favoriser. Certes, cela nécessite du travail et une mise en oeuvre technique, mais c'est l'orientation que nous avons choisie de prendre.

M. le Rapporteur - Si je comprends bien, au delà de l'outil de première transformation qui est l'abattoir, vous imagineriez, dans un avenir proche, de contractualiser ou de passer un partenariat avec les agriculteurs appartenant à un réseau respectant un certain cahier des charges.

M. Éric Gravier - En tout cas, dans un premier temps, un des moyens que l'on pourrait imaginer de mettre en place relativement rapidement, c'est l'éventualité d'une prime aux morceaux de viande issus d'élevage recourant aux bonnes pratiques et qui, volontairement, acceptent de se faire auditer par des organismes tiers. On pourrait imaginer, sous cet angle, apporter un signe au monde de l'élevage.

Quant à la question de savoir si l'on irait jusqu'à contractualiser, peut-être en partie. C'est un travail de recherche et de réflexions que l'on est en train de mener avec le monde de l'élevage, tout en restant conscients du fait que nous représentons un débouché important au marché, puisqu'on prend une partie des pièces avants et que l'on n'a pas l'intention, par des décisions trop drastiques et trop lourdes, de mettre en difficulté le marché de la filière bovine en France aujourd'hui.

M. le Rapporteur - Vous avez donné votre définition du hamburger -100 % pur muscle. Lors des auditions précédentes, nous avons eu quelques informations selon lesquelles, en France, certains fabricants y incorporaient également des morceaux d'abats -coeur, etc.

Nous avons été notamment troublés d'apprendre qu'en Angleterre, on incorporait de la cervelle dans les hamburgers.

Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ? L'inquiétude est profonde sur le hamburger "made in England".

M. Éric Gravier - Je commencerai, dans la gamme existant depuis de longues années en France, par essayer de clarifier la définition du hamburger et du steak haché.

Le code des usages de l'interprofession, depuis très longtemps, a autorisé que l'on nomme "hamburger" toute préparation hachée qui ne soit pas 100 % pur boeuf et qui n'est pas du steak haché.

Cette définition s'est retrouvée dans les rayons des magasins sous forme de viande hachée surgelée en boîte. Ce que nous appelons, nous, "hamburger", c'est le nom d'un sandwich. A ce titre, dans notre sandwich qu'on appelle "hamburger", nous n'avons jamais mis autre chose que du steak haché 100 % pur boeuf, et j'ai apporté avec moi un cahier des charges qu'a cosigné notre fournisseur Mac Key, d'ailleurs en anglais -car c'était avant même la mise en place physique de Mac Donald's en France- qui date de 1973.

Nous l'avons cosigné en 1986. Il détermine et définit précisément les pièces que nous autorisons. Déjà à l'époque, il mentionnait l'interdiction des viandes séparées mécaniquement, des abats et des chutes de coupe.

M. le Rapporteur - Et ceci depuis combien d'années ?

M. Éric Gravier - Depuis que Mac Donald's France existe.

M. Edith Lagnien - Et, pour ma part, depuis que Mac Key France existe -1996.

M. Éric Gravier - Le plus ancien document que j'ai pu récupérer date de 1973. C'est un document rédigé en anglais, car il concerne toute l'Europe. On en a fait une traduction partielle pour les points-clés. Bien entendu, il est à votre disposition.

Mme Edith Lagnien - Pour rebondir sur cette définition du mot "hamburger" et sur la confusion entre le hamburger contenant de la viande hachée et le sandwich à base de viande hachée, le nouveau code des usages "viandes hachées", qui a été rédigé il y a peu et à la rédaction duquel j'ai participé -il est en cours de parution- interdira l'utilisation du terme "hamburger" pour les préparations de viande hachée, précisément pour éviter toute confusion.

M. le Rapporteur - A propos d'usages de fabrication, pouvez-vous confirmer l'incorporation de cervelle ou d'abats dans le steak haché anglais ?

M. Éric Gravier - Pour ce qui concerne Mac Donald's, le cahier des charges que j'ai cité, qui date de 1973, est un cahier des charges européen, pour l'ensemble de tous les fournisseurs de steaks hachés. Mac Donald's, en Angleterre, et son fournisseur, travaillaient déjà sur le même cahier des charges en 1973.

M. le Rapporteur - Vous avez dit que pratiquement 77 % de vos approvisionnements étaient d'origine française. Avez-vous acheté des viandes et des carcasses à l'étranger, notamment dans certains pays qui n'avaient pas la même réglementation au regard de l'ESB que la France ?

Mme Edith Lagnien - Il nous est arrivé effectivement d'acheter des viandes à l'étranger à un très faible pourcentage puisque, depuis quelques années, on achète plus de 95 % de nos viandes en France, mais toujours avec les mêmes cahiers des charges, et les mêmes systèmes d'audit et de contrôle à réception.

M. Éric Gravier - En fait, Mac Key a eu besoin de s'approvisionner à l'étranger en raison du manque de disponibilité sur le marché français.

Notre steak haché, dans notre cahier des charges, doit contenir 20 % de matière grasse ; cela sous-entend des pièces prisent sur les avants, mais aussi sur les flancs. Or, quelquefois, il s'avère que l'on ne trouve pas toute la capacité sur le marché français.

Je rappelle qu'il s'agissait toujours de muscles entiers et uniquement pur boeuf, avec le même cahier des charges que celui de Mac Donald's pour les pays dans lesquels Mac Key s'est approvisionné.

M. le Rapporteur - Quels étaient ces pays ?

Mme Edith Lagnien - On s'est approvisionné en Irlande, en Allemagne, un tout petit peu en Italie, en Angleterre -mais on a cessé d'acheter en Angleterre depuis 1993- et aux Pays-Bas.

M. le Rapporteur - Pourrait-on avoir des documents pour visualiser les tonnages que vous avez pu importer au fil des ans ?

Mme Edith Lagnien - Bien sûr !

M. le Rapporteur - On a pu noter une baisse de 10 % de votre chiffe d'affaires au cours de l'année 2000. Y a-t-il une relation directe avec cette crise de l'ESB et imaginez-vous, si tel était le cas, retrouver votre niveau de chiffre d'affaires une fois la crise passée ? Quelle est votre analyse en la matière ?

M. Éric Gravier - Pour 2000, si l'on tient compte du chiffre d'affaires sous enseigne, qui inclut les 70 restaurants nouveaux que nous avons ouverts, le chiffre d'affaires a augmenté de près de 9 %.

Il est donc en progression, et non en chute. Il n'en est pas moins vrai qu'au moment de la dernière crise de l'automne, nous avons ressenti un effet, mais beaucoup plus dans le cabre d'un transfert du boeuf vers d'autres types de viandes -poulet, poisson- de l'ordre de près de 15 %.

En réalité, la fréquentation de nos restaurants n'a pas beaucoup évolué. Elle aurait pu être en progression. Elle ne l'a pas été, mais on ne peut dire aujourd'hui qu'on a été impacté à la baisse par cet effet de la crise.

Nous avons construit la réputation de Mac Donald's sur un concept "hamburger". Près de 60 % de nos sandwiches sont faits avec du boeuf. C'est donc notre fonds de commerce. Il n'est pas question de lui tourner le dos. Nous avons confiance à la fois en notre cahier des charges et dans la capacité des gens qui le font vivre, mais aussi, bien entendu, dans la filière bovine française !

M. le Rapporteur - Quels sont vos projets en termes de communication ?

M. Éric Gravier - Ces projets sont inscrits depuis 1999. Sur le plan de l'approvisionnement, notre objectif est d'aller le plus vers le monde de l'agriculture et de l'élevage.

Néanmoins, sur le plan de la communication, nous avons construit une sorte de fil rouge depuis cette année puisque, à partir du mois d'août, nous avons commencé à communiquer à la télévision sur la qualité de nos produits. Demain, on parlera peut-être du social.

En réalité, nous sommes une entreprise-symbole. C'est souvent le propre des entreprises leaders sur leur marché. On l'assumera comme tel. On revendique notre "américanité", puisque c'est le concept que nous proposons mais, à force de ne pas nous exprimer, on laisse penser que nous cachons quelque chose.

Nous avons donc décidé de cesser de paraître cacher quoi que ce soit. Nous parlons, à la télévision, depuis le mois d'août, de la qualité du steak haché. En novembre, nous avions une deuxième campagne de télévision, dans laquelle nous avons même utilisé des informations que nous n'aurions jamais utilisées auparavant, puisqu'on commençait à parler du muscle.

Sur le plan commercial, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus vendeur, mais il s'avère que l'attente des consommateurs est toujours plus importante.

Nous avons donc pris la décision de monter notre citoyenneté et d'agir dans la transparence. Nous sommes présents au salon de l'agriculture cette année, non dans le but de vendre des sandwiches ou des hamburgers, mais pour parler de la filière, pour montrer que nous sommes là aussi.

Nous avons l'intention, dès le mois de mars, de faire une opération "rencontre", au cours de laquelle nous ouvrirons les portes de nos restaurants au grand public, ainsi qu'aux médias.

Nous ouvrirons aussi cette année les portes de nos fournisseurs principaux de steaks hachés, de frites et de pains.

Nous pensons que nous rentrons dans une époque où nous devons assumer notre responsabilité, le dire et le clamer. Bien sûr, si l'on fait des erreurs, il faudra le dire de la même manière. La réalité, c'est que l'on veut ouvrir nos portes et agir dans la transparence.

M. le Président - Un cas de vache folle a été détecté en Italie, chez l'un des fournisseurs de Mac Donald's. Quelles sont les mesures prises à la suite de cette découverte ?

M. Éric Gravier - Je rappelle que notre cahier des charges, en Italie, est le même qu'ailleurs en Europe. Il s'agit bien de muscles entiers pur boeuf et cela a toujours été le cas. Le fournisseur de Mac Donald's en Italie est un très gros intervenant de la filière bovine, puisque je crois qu'il abat près de la moitié de tout ce qui est abattu en Italie.

De fait, à partir du moment où les tests ont été mis en place, il n'était pas surprenant de trouver le premier cas chez ce fournisseur-là. Évidemment, s'agissant du fournisseur de Mac Donald's, il était intéressant de pouvoir le dire. C'est le côté très voyant de notre entreprise et de sa notoriété.

De fait, cette bête a été identifiée et mise de côté. Il n'en reste pas moins vrai qu'il y a une démarche qui va vers toujours plus de contrôles et de vérifications, et le fournisseur a eu dix jours pour mettre en place des contrôles opérés par des organismes indépendants tiers, pour répondre à toutes les normes, et même plus que la réglementation.

M. le Président - D'après les chiffres que vous nous donnez, vous êtes l'un des gros consommateurs de la production française. Comment se fait-il qu'il y ait un tel décalage entre une partie des producteurs et ceux que vous représentez ?

M. Éric Gravier - On a deux exemples à citer. Le premier est issu du monde de l'agriculture. Nous avons un fournisseur qui contractualise avec ses autres fournisseurs de pommes de terre, soit 375 producteurs de pommes de terre en France. Ceux-là savent pertinemment que les pommes de terre qu'ils cultivent sont destinées à faire des frites pour Mac Donald's.

S'agissant du boeuf, qui est le cas opposé, Mac Key, notre fournisseur, est positionné sur le marché. En fait, il achète une partie des avants. Cela tourne autour de 50 Kg par animal.

On parle d'industrie intensive. En réalité, le monde de l'élevage français, ce sont des exploitations moyennes de 50 animaux. Chacune vend, en moyenne, une dizaine de bêtes par an. Il s'agit donc d'une industrie de cueillette, et non d'une industrie intensive, comme on veut bien le laisser penser.

Évidemment, lorsqu'un de ces animaux va à l'abattoir, l'éleveur lui-même ne sait pas forcément où partira la partie avant de l'animal. Bien souvent, il peut connaître la destination par le nom de l'abattoir mais, en ce qui concerne les morceaux avants, ce n'est pas évident.

C'est pour cela que l'on est présent au salon de l'agriculture, parce qu'on parle de 40.000 éleveurs pour l'année 2000. Ce n'est pas rien ! Cela représente l'équivalent de 500.000 animaux, et ce monde-là ne le sait pas.

Nous pensons qu'il y a un lien nécessaire à créer entre le distributeur final que nous sommes, au contact du client, et l'éleveur qui, lui-même, a certainement, dans beaucoup de cas, remplit son contrat jusqu'à maintenant.

Aujourd'hui, il se doit aussi de travailler différemment, en transparence, en documentation et en bonnes pratiques.

M. le Président - Vous avez un programme de développement : se situe-t-il toujours dans la même démarche.

Qu'est-ce que cela va entraîner en volume ou en nombre d'éleveurs, parmi ceux qui vont être concernés ? Avez-vous une estimation ramenée au tonnage ?

M. Éric Gravier - C'est assez difficile. Le chiffre que nous citons tient au fait que l'élevage est une industrie de cueillette. Nous travaillons avec beaucoup d'éleveurs, et pas toujours les mêmes. Il n'est pas anormal qu'un éleveur n'envoie qu'une, deux ou trois bêtes à l'abattoir.

De fait, je pense qu'aujourd'hui, compte tenu de la raréfaction de la matière, les bêtes qui servent à faire du steak haché sont probablement issues d'un plus grand nombre d'élevages. Je ne serais pas surpris que, ramené à une moyenne annuelle, on travaille avec 100.000 éleveurs.

La progression de notre chiffre d'affaires, qui a atteint près de 9 % pour l'année 2000, tient bien sûr compte du fait que nous ouvrons plus de restaurants.

En moyenne, cela tourne entre 60 et 80 restaurants de plus chaque année, bien qu'ils n'aient pas tous la même configuration que par le passé. Ce sont des restaurants souvent plus petits, dans des zones où nous n'étions pas, comme les gares, les aéroports.

Bien entendu, cela se traduit en termes de volumes d'achats de produits, en quantités, par des tonnages qui sont, selon le cas, selon le type de promotion que l'on va faire, en progression de 5 à 10 % chaque année.

Nous constituons un tel débouché potentiel pour la filière bovine et nous avons tellement construit sur le boeuf que l'on fera en sorte de ne pas tourner le dos au boeuf.

A ce titre, dès le mois de mars, nous allons lancer un sandwich qui sera fait avec le steak haché le plus gros que nous n'ayons jamais fait dans notre histoire, qui va faire 150 g. Vous voyez que, dans ce domaine, on pense que, plutôt que courber l'échine, il faut lever la tête et montrer qu'on est là !

M. le Président - Quelles ont été les réactions des clients qui ont continué à venir chez vous, même au plus fort de la crise, en novembre et décembre ? Les gens posaient-ils des questions ou non ?

M. Éric Gravier - Évidemment, je peux vous parler des gens qui pratiquent nos restaurants. Ceux-là ont déjà poussé la porte : cela veut dire qu'ils viennent en confiance. Ils sont près d'un million chaque jour, mais il est vrai que les consommateurs les plus inquiets sont plutôt les mères de famille, puisqu'on est le restaurant de la famille et orienté aussi sur les enfants.

Les inquiétudes des mères de famille portaient sur le fait de savoir si elles pouvaient continuer à donner du boeuf à leurs enfants. Nous avons opté pour donner un choix supplémentaire dans le cadre de nos "happy meals", en proposant un croque-monsieur que l'on appelle "Croque-Mac Do" pour les enfants. On a donc proposé une alternative supplémentaire, sans le faire à grand renfort de publicité.

Par ailleurs, du fait que nous prenons la parole depuis cette année sur la sécurité alimentaire, on nous demande si nous avons toujours pratiqué ainsi. Nos clients nous posent ces questions et -je le vois pour pratiquer le salon de l'agriculture tous les jours- les éleveurs aussi.

Cette inquiétude est plus orientée sur le passé que sur ce qu'on explique aujourd'hui. Il semble que les clients continuent à avoir confiance en notre enseigne, mais se posent beaucoup de questions sur ce qu'on a fait avant.

M. le Président - Quand vous leur expliquez ce que vous faites depuis 1973, comment réagissent les éleveurs et les clients ? Sont-ils étonnés ? Vous croient-ils à peine ?

M. Éric Gravier - On étonne beaucoup. Je crois qu'il faut faire la distinction. On est une entreprise très visible. De fait, on sert de faire-valoir. On est le symbole de beaucoup de choses. Quand on fait une manifestation devant chez nous, on est au moins sûr que la chaîne régionale de télévision se déplacera. Entre cette partie de la population, qui entretient des informations qui ne sont pas toujours fondées, et la partie grand public, il y a un écart très important.

Pour preuve, le million de clients qui continuent à venir chez nous vient en confiance. Les gens qui se posaient des questions nous croient donc volontiers, puisqu'on ne prend pas aujourd'hui, en France, le risque de faire de l'information et de la communication télévisée sans pouvoir prouver ce que l'on dit !

Aujourd'hui, on est dans un monde de suspicion. On doute de tout, et c'est vrai qu'a priori, quand on prend la parole, on se doit d'être capable de le prouver.

Il y a donc une sorte d'étonnement devant nos réponses, d'autant qu'elles sont très argumentées et qu'elles ne cachent rien. Finalement, on rassure.

L'éleveur, on l'étonne, et certains, aujourd'hui, après quelques jours au salon, viennent nous voir spontanément, en nous demandant s'il y a moyen de travailler directement ensemble. La vraie question consiste à demander si, en travaillant différemment, il y a moyen de revaloriser la démarche, et si cela peut de devenir une valeur ajoutée.

Beaucoup de questions se posent, et je crois qu'aujourd'hui le grand public et le monde de l'agriculture nous croient volontiers. Reste à convaincre les gens qui font l'opinion. C'est autre chose. Je crois qu'on restera un symbole : il faut l'assumer aussi !

M. le Président - Je reviens au problème de l'ajout de cervelle. Vous dites que, même en Angleterre, du fait du cahier des charges, on n'en a jamais rajouté. Or, on a entendu, dans d'autres auditions, exactement l'inverse !

Vous confirmez que le cahier des charges a été le même partout à Europe et, donc, respecté ?

M. Éric Gravier - Je ne sais si on vous a cité Mac Donald's, mais on a fait attention à bien faire la distinction entre "hamburger" et steak haché.

Ce que je peux dire, c'est que le cahier des charges que j'ai, qui est en anglais, qui est disponible et dont vous aurez copie, a moins de fraudes et d'actions non volontaires de la part de Mac Donald's que des autres. Il est bien évident que ce cahier des charges est un cahier des charges que nous avons cosigné et fait signer à tous nos fournisseurs en Europe. Si ce n'est pas ce qui s'est produit, c'est qu'il y a donc eu fraude !

J'en doute très sincèrement, compte tenu du fait que la plupart de nos fournisseurs, en Europe, sont des fournisseurs qui ne font que du steak haché, majoritairement ou à plus de 90 % pour Mac Donald's, avec des moyens de contrôle, de fait, assez rigoureux et efficaces.

Chez Mac Key, par exemple, les lots arrivent par quantité de 800 Kg. 800 Kg, ce n'est pas si difficile que cela à contrôler, et lorsque chaque pièce de muscle est mise sur les convoyeurs, elle y est mise morceau par morceau.

A partir de là, s'il y avait eu des cervelles d'incorporées de manière frauduleuse, cela se serait vu. Je ne peux en dire plus, mais j'ai des documents à l'appui.

J'ai moi-même entendu parler de cervelles utilisées dans des hamburgers et il est vrai que, lorsqu'on pense "hamburger", on pense immédiatement Mac Donald's !

M. le Président - Je pense que vous avez répondu à toutes nos questions.

Dites-moi, vos magasins, vous les livrez en kit -puisqu'il paraît qu'ils se démontent ?

M. Éric Gravier - Ils se démontent, ils se cassent assez facilement, mais on ne les livre pas en kit. On les soigne. On soigne surtout leur décor intérieur -et même extérieur.

Les Gobelins, à Paris, notamment, font partie des prochains restaurants que nous ouvrirons qui cherchent à s'intégrer à l'architecture extérieure et tentent de créer des décors de convivialité très nouveaux et très révolutionnaires dans le monde de Mac Donald's International !

M. le Président - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions et bon courage !

M. Éric Gravier - Merci.

Mme Edith Lagnien - Merci.

Audition de M. Jean-Louis HUREL,
Directeur général de SARIA industries

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Hurel, vous êtes Directeur général de SARIA Industries et vous êtes aujourd'hui entendu dans le cadre de notre Commission d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et leurs conséquences avec la propagation de l'ESB.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Hurel.

M. le Président - On nous avait annoncé que vous seriez accompagné de M. Voguet, responsable de la Communication pour le compte du SIFCO. Je préfère donc qu'il vienne avec vous et qu'il prête serment afin de pouvoir répondre aux éventuelles questions qui pourraient lui être posées.

Dans le cas contraire, je serais obligé de lui demander de sortir de cette salle. Cette séance est publique pour les journalistes mais pas pour les autres personnes.

M. Jean-Louis Hurel - Je n'y suis pas opposé si lui-même est favorable à votre requête.

M. le Président - Monsieur Voguet, vous êtes responsable de la Communication pour le compte du SIFCO, à savoir l'organisation professionnelle de l'ensemble de la profession.

Je vais vous demander de prêter serment afin que vous puissiez répondre à toute question qui pourrait vous être posée. Je vous demande de dire toute la vérité, rien que la vérité, de lever la main droite et de le dire je le jure.

M. Voguet - Je le jure.

M. Jean-Louis Hurel - SARIA Industries est aujourd'hui une entreprise de 1 450 personnes qui réalise un chiffre d'affaires d'environ 1,4 GF.

Elle émane, à l'origine, d'un département de la société SANOFI Bio-Industries spécialisé dans les bio-industries du Groupe SANOFI. Cette société a été vendue en 1995 au Groupe allemand Rethmann.

En France, elle regroupe environ 14 usines plus ou moins spécialisées dans différentes activités en fonction du gisement et de la collecte des matières premières.

Le Groupe SARIA Industries est spécialisé dans le traitement et la valorisation (au moins jusqu'à une date récente) des coproduits d'abattoirs ; ce qui n'est pas directement utilisé dans la viande est récupéré pour être transformé, principalement en farines animales et en graisses.

Une deuxième partie de l'activité consiste à traiter le service public de l'équarrissage ; il s'agit de collecter et de transformer (en farines animales destinées à l'incinération) les matériaux à risques spécifiés, à savoir les coproduits exclus de la chaîne alimentaire par les Services Vétérinaires, dans les abattoirs suivant une liste déposée. Cette mission consiste également à collecter les cadavres d'animaux dans les élevages.

Cette activité représente aujourd'hui environ un tiers du volume total traité par SARIA Industries qui collecte et transforme environ un 1 500 000 tonnes de coproduits et de produits animaux.

Je suis moi-même rentré dans l'entreprise en octobre 1996 et j'ai exercé pendant 4 ans les fonctions de Directeur administratif et financier. J'ai été nommé Directeur général du Groupe en France depuis le 1er janvier 2001.

Les conditions dans lesquelles nous exerçons notre activité résument la situation que nous vivons aujourd'hui. Depuis 1990 un certain nombre de cas, en France, d'animaux atteints de l'ESB a été constaté. En 1990, la consommation de farines animales par les ruminants a été supprimée. Ce n'est qu'en 1996 que la séparation totale des matériaux à risques spécifiés et leur incinération a été effectuée, en obligeant les structures industrielles que nous sommes à séparer les circuits de transformation et de collecte ; il nous a été demandé de traiter de manière totalement indépendante le service public de l'équarrissage et la transformation pour valorisation des coproduits.

Des unités de stérilisation ont été installées en 1998 à la suite des demandes de la Commission européenne. Le 14 novembre 2000, les farines et une partie des graisses issues de la transformation ont été interdites dans l'alimentation animale. Toutefois, depuis peu de temps les farines de poissons sont à nouveau autorisées dans l'alimentation de certains animaux, mais pas dans celle des bovins.

M. le Président - Par rapport à cette évolution, comment vos entreprises ont-elles évolué au cours du temps ? Il semble qu'à chaque fois vous étiez obligés de traiter les produits de manière différente. Comment cela s'est-il passé et à quelle date avez-vous appliqué les réglementations qui s'imposaient ?

M. Jean-Louis Hurel - Dès 1996 nous avons appliqué la séparation des collectes et des traitements. Les véhicules devaient être identifiés concernant le service public de l'équarrissage, et pour les MRS, ainsi que pour la partie valorisation. Les usines ont également été spécialisées.

Concernant notre Groupe, 4 usines ont fait l'objet d'une affectation exclusive pour le service public de l'équarrissage. Les deux usines de Plouvara et Guer sont exclusivement dédiées à cette activité. Deux autres usines mixtes, avec des installations totalement indépendantes, sont situées dans les Côtes d'Armor.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le directeur, j'aimerais revenir sur un point. Durant les différentes auditions nous avons pris conscience que la mise en place d'un process nouveau, d'origine anglo-saxonne, abaissant la température, la pression et le temps de cuisson, a généré des farines impropres à la consommation par rapport à ce qui se fabriquait au préalable. On nous a précisé que c'était à partir de 1983 en Angleterre, à la suite du premier choc pétrolier.

En France, comment cela s'est-il passé : à partir de quel moment n'avez-vous plus respecté les fameux trois critères de 133°C, 3 bars et 20 minutes ?

M. Jean-Louis Hurel - La France avait pris une option en 1996 ; elle avait décidé un tri complet des matières collectées en équarrissage et des matériaux à risques spécifiés. C'est la raison pour laquelle le principe de stérilisation par autoclavage (133°C, 3 bars et 20 minutes) a été appliqué à la suite d'un arrêté ministériel du 8 février 1998 pris par M. Le Pensec qui était alors ministre de l'Agriculture. Il s'agissait d'une application des mesures européennes sur le territoire français.

M. le Rapporteur - Vous avez rectifié ces normes à partir de 1996.

M. Jean-Louis Hurel - Nous avons, dans l'entreprise, assuré le tri selon les règles nationales en dissociant la partie du service public de l'équarrissage, et des matériaux à risques, de celle concernant la valorisation, à partir de la date de cet arrêté ministériel.

Le 8 février il a été décidé de mettre la France aux normes européennes et d'imposer le procédé de stérilisation par autoclavage. Cela a été appliqué dès le départ ; les farines étaient transférées, en sous-traitance, dans des entreprises qui étaient en mesure de les stériliser, pendant que le processus de stérilisation était installé dans nos usines.

M. le Président - Où le faisiez-vous réaliser ?

M. Jean-Louis Hurel - A ma connaissance, le SIFCO a regroupé l'ensemble des farines qui émanaient de la profession ; elles étaient traitées, à l'époque, dans une entreprise située dans l'Ouest de la France, chez SOCOFARIA.

M. le Président - Cette organisation a été mise en place sous l'égide du SIFCO.

M. Jean-Louis Hurel - L'ensemble a été réalisé en commun à travers le passage d'une décision de l'ensemble des opérateurs, en association avec les services de la Direction Générale de l'Alimentation.

M. le Rapporteur - Avant 1998, vous aviez les mêmes normes de fabrication que vos homologues anglo-saxons.

M. Jean-Louis Hurel - Les normes de fabrication qui relevaient, à ma connaissance, de nos processus de transformation, ne prévoyaient pas une température de l'ordre de 80°C ou 90°C ; ces informations m'ont été communiquées ultérieurement. Nos processus de transformation utilisaient déjà des températures de cuisson d'environ 135°C. Un seul point n'était pas totalement conforme à la stérilisation sous forme d'autoclavage car il n'y avait pas de pression ; à l'époque, les 3 bars n'étaient pas une obligation.

M. le Rapporteur - J'avais cru lire que quelques recommandations avaient été faites directement par le SIAL qui indiquait qu'il fallait faire attention aux importations de farines anglo-saxonnes car les critères respectés en France ne l'étaient pas en Angleterre. Or, nous avons appris depuis que ces normes n'étaient respectées ni en France ni en Angleterre.

Vous indiquez que vous étiez en conformité, à partir de 1998, avec l'arrêté ministériel et qu'auparavant le critère de la pression n'était pas respecté.

M. Jean-Louis Hurel - Nous avons toujours été en conformité avec les arrêtés ministériels. La législation, à l'époque, ne nous imposait pas de stériliser au sens des 133°C, 20 minutes et 3 bars. Les processus des transformations des farines, tels qu'ils existaient en France (validés par les Services Vétérinaires et par l'Administration), étaient considérés comme étant exempts de risques.

Ce n'est que pour se conformer à une disposition européenne qu'il a été décidé de mettre en place le système de stérilisation par autoclavage à partir de 1998.

La transformation, telle qu'elle était pratiquée dans nos usines, a toujours été effectuée à une température de 135°C. La seule chose qui n'existait pas, et qui n'était pas imposée sur le territoire français, et ne l'a d'ailleurs été qu'en 1996 par la Commission européenne, était l'autoclavage avec une pression de 3 bars.

L'ensemble de la transformation était conforme à ce qui était demandé par les Pouvoirs Publics français. Toutefois, j'ai entendu dire que les farines anglaises étaient sans doute moins chauffées.

M. Georges Gruillot - Pourquoi la France a-t-elle attendu deux ans (entre 1996 et 1998) pour mettre en application cette consigne européenne ?

M. Jean-Louis Hurel - Ma réponse n'engage que ma propre interprétation. Sans avoir aucun élément à l'appui de cette idée, je pense qu'à l'époque on avait identifié le processus de tri comme étant suffisant.

M. Georges Gruillot - Nous ne respections pas la réglementation européenne. Elle date de 1996 et n'a été mise en application qu'en 1998 ; nous avons donc attendu deux ans avant de l'appliquer sur le territoire national.

M. Jean-Louis Hurel - Je ne peux pas répondre à cette question qui concerne plutôt l'administration et la DGAL.

M. Georges Gruillot - En 1996, c'était donc une décision générale sur l'Europe.

M. Jean-Louis Hurel - Apparemment.

M. Georges Gruillot - Dans quels pays cette loi européenne a-t-elle été appliquée dès 1996 ?

M. Jean-Louis Hurel - En Allemagne.

M. Georges Gruillot - En Angleterre ?

M. Jean-Louis Hurel - Dans ce pays il n'était plus possible d'utiliser les farines depuis un certain temps ; il n'était donc plus nécessaire de stériliser les produits valorisables.

M. le Président - Qu'en faisaient-ils ?

M. Jean-Louis Hurel - A ma connaissance, ils les détruisaient.

M. le Rapporteur - Votre Groupe a des établissements en Allemagne. Existait-il des mouvements de farines, entre les unités françaises et allemandes, à partir de 1996, pour répondre à la demande de la filière de l'alimentation animale ?

M. Jean-Louis Hurel - Concernant la valorisation, les transferts de farines étaient destinés à l'incinération dans des incinérateurs allemands, sous le contrôle des Services Vétérinaires.

M. le Rapporteur - Il existait donc des mouvements de la France vers l'Allemagne et pas l'inverse.

M. Jean-Louis Hurel - Oui.

M. Paul Blanc - Concernant le stockage de ces farines animales, vous avez été cloué au pilori en raison des risques de percolation par l'eau avec une pollution éventuelle. Qu'en est-il exactement ?

M. Jean-Louis Hurel - Au moment de la décision, à savoir de l'arrêté ministériel du 28 juin 1996, nous avions une problématique en France avec l'absence totale d'identification et de lieux d'incinération. Il a été décidé que les matériaux à risques spécifiés devaient partir en incinération mais il n'existait pas encore de solution identifiée pour incinérer les farines.

Par ailleurs, quand ces solutions existaient, notamment au travers de l'industrie cimentière, celles-ci nécessitaient une qualité de farine particulière que certaines usines n'ont pas toujours été en mesure de produire. Il existait, dans certaines usines, un système de dégraissage des farines, avec un solvant, permettant de transformer la teneur initiale de matières grasses de la farine, d'environ de 35 %, en farine avec une teneur en matières grasses d'environ 2 % à 4 %. Ce procédé, qui existait dans certaines usines, ne pouvait être affecté qu'à l'activité de valorisation des farines puisqu'elle était la seule à nécessiter des farines dégraissées.

Nous avons donc été contraints de stocker les farines grasses, notamment sur les lieux de production, puisqu'il n'existait pas non plus de solution de stockage. Les stocks de farines, provenant du service public de l'équarrissage qui produisait des farines grasses, ont augmenté relativement rapidement. Quand on a identifié des solutions d'incinération, notamment chez les cimentiers, des cahiers des charges, n'autorisant les farines qu'avec une teneur en matières grasses de 12 % à 14 %, nous ont été transmis pratiquement un an après la décision de tri et de destruction.

Les farines qui avaient été stockées pendant près d'un an et contenaient près de 30 % de matières grasses ne pouvaient pas être incinérées directement dans la filière cimentière. C'est la raison pour laquelle elles ont principalement été traitées dans des incinérateurs allemands.

M. Paul Blanc - En attendant elles ont été stockées comme il était possible de le faire. C'est là que des problèmes ont été rencontrés.

M. Jean-Louis Hurel - Nous n'avons pas identifié de problèmes autres que ceux médiatiques, que vous soulevez, concernant le refus de voir s'accumuler sur les sites des tonnages importants de farines grasses provenant du service public de l'équarrissage.

M. Paul Blanc - Les cimentiers sont-ils capables d'éliminer toutes celles actuellement produites ?

M. Jean-Louis Hurel - Il semblerait que ce ne soit pas le cas. Selon les informations dont je dispose, il y a peu de temps l'ensemble de ces farines produites dans le cadre du service public avaient, dans certains cas, des difficultés à partir en incinération. J'imagine qu'avec les décisions prises dans l'arrêté du 14 novembre 2000 la capacité des cimentiers est largement insuffisante. Je sais qu'ils ont planifié un certain nombre de transformations d'usines et d'adaptation de cimenteries pour augmenter cette capacité d'incinération.

M. Paul Blanc - C'est ce que j'avais cru comprendre lors de la visite à Bayet.

A votre avis, ne serait-il pas préférable d'aider les cimentiers à s'équiper de brûleurs plutôt qu'essayer de rechercher des sites de stockage puisque cela semble poser quelques problèmes ?

M. Jean-Louis Hurel - Il serait préférable d'interroger l'industrie cimentière qui serait plus capable de vous répondre. Il me semble que l'on ne puisse pas dépasser un certain volume de farines incinérées dans une cimenterie ; c'est directement lié à la capacité d'utilisation du ciment.

M. Paul Blanc - J'ai pu comprendre que toutes les cimenteries n'étaient pas équipées de brûleurs adéquats leur permettant d'incinérer ces farines animales. Toutefois, si d'autres cimenteries étaient équipées, cela permettrait d'éliminer la totalité. Quel est votre avis ?

M. Jean-Louis Hurel - A ma connaissance, et selon ce qui m'a été indiqué par l'industrie cimentière que je rencontre assez régulièrement, la totalité ne pourrait pas être éliminée au travers des cimenteries ; en effet, cela dépend aussi de la quantité de ciment produite en France. Il n'est pas possible d'augmenter le nombre de cimenteries pour les transformer en unités d'incinération de déchets.

M. le Rapporteur - Quels secteurs d'activité pouvaient constituer des débouchés pour les graisses animales ?

M. Jean-Louis Hurel - Il existe un certain nombre de secteurs dont le plus important était l'alimentation animale. Les graisses étaient utilisées dans différents produits et notamment les produits de remplacement du lait pour les animaux, à savoir les lacto-remplaceurs.

M. le Rapporteur - Quels étaient les critères de fabrication de ces graisses ?

M. Jean-Louis Hurel - Techniquement, la fabrication des graisses s'effectue suivant plusieurs méthodes. Des graisses proviennent directement de la fonte de suif d'animaux ou de saindoux ; dans ce cas précis, elles sont directement obtenues à partir des parties grasses de l'animal.

Une deuxième catégorie est celle des graisses de cuisson qui correspondent à l'extraction de la phase graisseuse qui se trouve dans la viande. Quand on passe les déchets en traitement de cuisson, cela élimine la phase aqueuse. Il reste un produit constitué de farine sèche et de graisses animales obtenues par pressage de la farine à la sortie du cuiseur.

M. le Rapporteur - L'alimentation animale était-elle votre seul débouché ?

M. Jean-Louis Hurel - Il existe des applications techniques, notamment la cosmétologie, l'industrie de la saponification et d'autres applications techniques.

M. le Rapporteur - Vous devez disposer de documents faisant état des tonnages et des différents clients. Pourriez-vous nous les fournir ?

M. Jean-Louis Hurel - Naturellement.

M. le Rapporteur - Compte tenu de l'utilisation non alimentaire de ces farines, la différenciation entre les deux circuits de fabrication (à bas risques et hauts risques) est-elle appelée à perdurer ? En effet, en tant que professionnel, cela vous pose sans doute des problèmes différents en termes de traçabilité, de différents circuits, etc.

Avez-vous des propositions à faire ?

M. le Rapporteur - Les conséquences sont évidemment importantes en termes d'organisation industrielle. En 1996 nous avons spécialisé les usines pour traiter en deux circuits séparés. J'attire votre attention sur le fait qu'aujourd'hui la nature des produits n'est rigoureusement pas la même s'agissant de leur destination.

Dans un premier cas, il s'agit de matières provenant du service public de l'équarrissage et étant identifiée comme étant à risques. Dans un second cas, il s'agit d'un marché aujourd'hui fermé pour des raisons de sécurité ou de précautions à prendre. La fabrication des farines en France n'est pas mise en cause ; il s'agit plutôt de leur utilisation vers l'alimentation animale.

Dans les deux cas, on trouve une différenciation complète sur la nature des produits. Dans un premier cas, ils sont considérés à risques et doivent être détruits immédiatement. Dans un second cas, il s'agit de matières qui, jusqu'à présent, étaient utilisées. L'arrêté du 14 novembre ne prévoit d'ailleurs qu'une suspension de ces matières et il n'est pas, aujourd'hui, opportun de mélanger ces deux circuits, même si, sur le plan industriel, je n'ai pas évalué les conséquences positives ou négatives qu'un traitement conjoint pourrait engendrer. Je pense que cela nous obligerait néanmoins à modifier un certain nombre de circuits de traitement.

Sur le plan médiatique, ou de l'image, on ne parle pas du même produit. On le remarque dans les capacités de stockage dont nous disposons aujourd'hui ; en effet, on nous impose, la plupart du temps, de ne stocker que les produits dits à bas risques. Si l'on commençait à envisager le stockage mélangé, de produits à hauts risques et à bas risques, les conséquences en termes médiatiques ne seraient pas les mêmes.

M. le Rapporteur - Avez-vous une activité concernant les graisses en dehors du domaine alimentaire et fournissez-vous toujours la cosmétologie ?

M. Jean-Louis Hurel - Oui. Nous avons des applications de ces produits en lipochimie.

M. le Rapporteur - Peut-on avoir la liste de vos clients ?

M. Jean-Louis Hurel - Oui.

M. le Rapporteur - Savez-vous à quoi sont destinés ces produits ?

M. Jean-Louis Hurel - Je connais les grandes lignes de leurs procédés mais pas les détails.

M. le Rapporteur - Antérieurement, avant toutes ces interdictions, achetiez-vous à l'abattoir ou étiez-vous payés pour collecter les matières premières qui participaient à la fabrication des farines ?

M. Jean-Louis Hurel - Les deux cas existaient suivant certains critères tels que la nature des produits collectés et l'emplacement éventuel des abattoirs. En l'occurrence, nous avons toujours basé notre système d'achat ou de facturation de prestations de services pour l'abattoir sur le niveau de rentabilisation que nous pouvions obtenir des produits transformés.

Nous avons toujours indexé le niveau des prestations, ou le coût d'achat des matières, en fonction d'un prix de revient ou d'un prix de vente des produits finis. Ce prix de vente est souvent, pour notre profession, indexé sur les coûts moyens, au niveau mondial, de la protéine ou des graisses.

M. le Président - Les animaux qui sont retirés du marché directement à l'abattoir, pour soulager le marché, passent-ils, chez vous, dans la filière hauts risques ou bas risques ?

M. Jean-Louis Hurel - Les bovins âgés de moins de 30 mois, qui ne font pas l'objet de tests aujourd'hui, sont principalement traités dans des unités bas risques, à savoir dans des usines spécialisées dans la valorisation. Toutefois, quelques carcasses ont été traitées dans des unités hauts risques. La destination est la même puisqu'elles partent en incinération.

M. le Rapporteur - Compte tenu du fait que ces farines ne peuvent plus être valorisées, comment équilibrez-vous votre activité ?

M. Jean-Louis Hurel - Un décret paru le 1er décembre 2000 indemnise les producteurs sur la base d'une valeur déterminée selon le cours des marchés à ce moment-là, à savoir le 14 novembre. Un décret est d'ailleurs en cours de signature et de publication pour modifier et adapter les prix d'indemnisation.

M. le Rapporteur - Ces cours seront soumis à des fluctuations, comme l'était autrefois le prix de la protéine.

M. Jean-Louis Hurel - Il s'agit d'une décision des Pouvoirs Publics pour indemniser l'activité en remplacement du chiffre d'affaires qui existait auparavant.

M. le Rapporteur - En tant qu'ancien Directeur financier vous avez pu avoir une certaine approche. Même si c'est récent, estimez-vous que la situation antérieure était économiquement plus intéressante par rapport à celle d'aujourd'hui ?

M. Jean-Louis Hurel - Il est trop tôt pour se prononcer. Les cours mondiaux, notamment de la protéine de soja, qui était le prix de référence pour la commercialisation de nos produits, étaient extrêmement fluctuants d'une année sur l'autre. Nous avons connu, dans les dernières années, des variations très élevées, ce qui engendrait également des variations très importantes du chiffre d'affaires de nos entreprises.

A titre indicatif, une tonne de farine de viande se vendait environ 1 800 F en janvier 1998 et 550 F en septembre 1999. Cela a engendré des pertes considérables pour l'ensemble des acteurs.

M. Georges Gruillot - Dans le domaine des prix des farines, dans les années 1990/1992, quels étaient les prix pratiqués en France et, dans le même temps, ceux pratiqués en Angleterre ?

M. Jean-Louis Hurel - Je suis incapable de vous répondre car je n'étais pas présent dans cette activité à l'époque ; je ne connais pas les prix.

Comme tout le monde, j'ai lu dans la presse que les farines anglaises étaient distribuées à un prix plus bas.

M. le Président - Pourriez-vous faire rechercher, dans les archives de votre entreprise, les prix pratiqués et ceux qui pouvaient l'être par les Anglais ?

M. Jean-Louis Hurel - Aucune importation n'a été faite directement d'Angleterre par notre entreprise. Je pourrais toutefois vous indiquer à quel prix nous vendions.

M. Georges Gruillot - SARIA Industries n'a donc pas acheté de farines anglaises pour augmenter son volume de ventes en France.

M. Jean-Louis Hurel - Non.

M. le Rapporteur - Vous produisiez ce que vous vendiez.

M. Jean-Louis Hurel - Une activité de négoce consistait à exporter les produits fabriqués en France.

M. le Rapporteur - Il n'y avait aucune importation pour assurer la fourniture de vos clients.

M. Jean-Louis Hurel - Pas à ma connaissance. J'ai seulement identifié que des produits passaient en Belgique et étaient réexportés à l'extérieur dans la période 1990/1996.

A l'époque, j'ai pu constater, dans les documents qui m'ont été fournis, des exportations de farines produites en France et exportées vers les pays tiers. Certaines de ces farines produites en France passaient par des filiales du Groupe Sanofi Benelux qui a servi d'intermédiaire.

M. le Président - Vous dites que vous ne savez pas, ou que vous n'avez pas connaissance, s'il y a eu importation de farines anglaises, par un Groupe tel que le vôtre, pour les renégocier par ailleurs.

M. Jean-Louis Hurel - Pas à ma connaissance et je n'ai vu aucun document qui puisse en attester.

M. le Rapporteur - Les fabricants d'aliments, quand ils voulaient acquérir des farines animales sur le marché, s'adressaient à vous, quand c'était autorisé, ou au marché international. Toutefois, vous ne serviez pas d'intermédiaire ; votre seul négoce concernait votre production.

M. Jean-Louis Hurel - Nous n'avions aucun intérêt à commercialiser en France des produits provenant de l'étranger puisque nous devions prioritairement commercialiser nos propres produits élaborés en France. Utiliser des produits de l'étranger pour les revendre en France aurait été une fausse concurrence.

M. le Rapporteur - Quand on a su l'effondrement des cours des farines anglaises, il était tentant d'en acheter pour les revendre à un certain prix.

M. Jean-Louis Hurel - C'était peut-être vrai pour un fabricant d'aliments mais pas pour un producteur de farines.

M. Georges Gruillot - Nous insistons tous sur ce point car un fabricant d'aliments nous a indiqué que les fabricants d'aliments, en France, à cette période, s'adressaient à leurs équarrissages, pour acheter des farines de viande ; or, il semblerait que les équarrisseurs importaient des farines d'Angleterre pour les mélanger à leur production et les revendre aux fabricants d'aliments français.

M. Jean-Louis Hurel - Je n'ai pas de traces d'une telle pratique.

M. Georges Gruillot - Il existe une certaine incohérence entre ce que vous nous expliquez et ce qui nous a été dit ici il y a quelques jours.

M. Jean-Louis Hurel - Dans le cas de responsabilités, il est toujours plus facile de s'exonérer...

M. le Président - Nous avons entendu l'inverse. Nous vous posons des questions et vous devez nous dire toute la vérité et rien que la vérité.

M. le Rapporteur - Auriez-vous ici des documents concernant l'évolution du tonnage, depuis 1975 jusqu'en 2000, commercialisé par vous ?

M. Jean-Louis Hurel - Je vous ai indiqué que j'étais rentré dans l'entreprise à la fin de l'année 1996. J'ai été extrêmement occupé dans cette activité depuis cette date et je n'ai pas eu la nécessité d'aller rechercher ce qui s'était produit dans la période antérieure.

M. le Rapporteur - Vous pouvez toutefois retrouver ces évolutions de volume de production.

M. Jean-Louis Hurel - Je n'ai jamais fait de démarche consistant à identifier d'éventuels circuits comme ceux que vous citez.

M. le Rapporteur - Je parle des tonnages de production au cours des 20 dernières années.

M. Jean-Louis Hurel - Je n'ai aucune difficulté pour cela. Je retrouverai ces informations dans les archives.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas les documents ici ?

M. Jean-Louis Hurel - Non, mais je pourrai vous les fournir.

M. le Rapporteur - Nous souhaitons connaître l'évolution de vos productions.

M. Jean-Louis Hurel - Ce sera sans aucune difficulté, sauf si une partie de l'information a été abandonnée ou a disparu dans la période, ce dont je doute. Il est sans doute possible de retrouver les tonnages qui ont été traités dans notre entreprise.

M. le Rapporteur - Nous voulons aussi connaître ce qui a été traité en hauts risques ou bas risques, à partir de 1991, et quels ont été les tonnages de farines destinées à l'incinération ou valorisables après 1996. Il serait important que vous puissiez nous fournir cela avec la différenciation.

Y avait-il une commercialisation, de votre part, des farines pour les activités d'amélioration de la qualité des sols, à savoir pour les engrais ?

M. Jean-Louis Hurel - C'est une activité relativement récente dans notre Groupe et nous distribuons aujourd'hui une très faible quantité de farines dans les engrais. Ce marché est relativement marginal mais il existe néanmoins.

M. le Rapporteur - Dans ce document, que vous aimerions recevoir, sur l'évolution des tonnages, pourrions-nous connaître la ventilation des différentes applications d'utilisation de vos produits ?

M. Jean-Louis Hurel - Oui.

M. le Rapporteur - Ce serait intéressant pour nous aider à comprendre.

M. le Président - Concernant la situation dans laquelle vous vous trouvez aujourd'hui, nous constatons souvent dans la presse des attaques contre votre entreprise, indiquant que dans chaque usine vous traitez plus que prévu par la réglementation.

Pouvez-vous nous dire pourquoi est-ce ainsi et comment comptez-vous réagir par rapport à cette situation pour l'améliorer ?

M. Jean-Louis Hurel - Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette situation. Le premier est une augmentation permanente des matériaux à risques spécifiés qui a pris des proportions très élevées dans les dernières années et mois, notamment par la récente interdiction des intestins de bovins.

Cette augmentation de tonnage des MRS est relativement passée inaperçue dans une période de bien plus faible abattage comme à la fin de l'année 2000. En réalité on augmentait le volume des matériaux à risques en proportion des bovins abattus, sans se rendre compte immédiatement de l'évolution de la situation quand l'abattage reviendrait à un niveau normal.

Or, depuis le 1er janvier 2001 on procède à l'abattage des bovins de plus de 30 mois non testés. On est donc parvenu relativement rapidement à un niveau d'abattage extrêmement élevé qui a généré directement une augmentation considérable des volumes de matériaux à risques spécifiés. A titre indicatif, notre entreprise traitait environ 300 000 tonnes de matériaux à risques à la fin de l'année 1999, elle a traité 400 000 tonnes durant l'année 2000 et nous envisageons une augmentation de 10 % à 20 % sur l'année 2001.

Nous ne changeons rien au volume global de matériaux, ou de matières premières, issus de la filière viande ; il ne s'agit que d'un transfert d'une situation de bas risques à une situation de hauts risques. L'outil industriel existe, en tant que tel, pour traiter la totalité des matières. Nous devons être capables de transformer une unité bas risques en une unité hauts risques au bon moment, à savoir quand nous identifierons clairement l'augmentation considérable des volumes.

Le passage d'une usine de bas risques en hauts risques ne peut s'effectuer que par paliers, avec la transformation d'une centaine de milliers de tonnes annuelles d'un secteur vers l'autre.

Nous avons attendu et nous ne nous sommes pas rendu compte, vers la fin de l'année 2000, de la conséquence des MRS, de l'interdiction des intestins de bovins, et nous avons constaté, dès le début 2001, que les tonnages augmentaient de manière considérable. Nous sommes tenus, par des marchés publics signés avec l'administration, d'enlever tous les produits d'abattoir résultant du service public.

Nous avons pu, dans certains cas, signer des avenants permettant une augmentation des marchés mais nous n'intervenons qu'a posteriori, et le marché n'est pas décidé avec une connaissance précise des volumes qui seraient traités sur la période.

M. le Président - Aujourd'hui, pour l'évacuation de ces farines à partir des différentes usines vers le stockage, rencontrez-vous des problèmes ?

M. Jean-Louis Hurel - Jusqu'à présent, en toute honnêteté, il est vrai que nous manquons parfois d'un peu de visibilité, mais nous avons toujours trouvé des solutions d'évacuation de ces produits. En n'ayant pas obligatoirement la connaissance d'un emplacement d'évacuation de nos matières, nous avons parfois quelques inquiétudes par rapport aux volumes traités.

M. le Président - Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions. Vous devez nous transmettre certains documents et je vous demande de le faire le plus rapidement possible.

Audition de M. Laurent BEAUMONT,
Directeur général du groupe Caillaud

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Beaumont, vous êtes Directeur général du Groupe Caillaud. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle que nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête du Sénat sur les farines animales et les problèmes qui ont été engendrés par leur consommation par les bovins.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Beaumont.

M. le Président - Je vous demande de faire une présentation de votre entreprise et d'indiquer comment tout s'est passé durant les années passées.

M. Laurent Beaumont - Je suis Directeur général de la Société Caillaud, le n° 2 en France dans le traitement des sous-produits animaux. Cette société contrôle un certain nombre de filiales.

Ce Groupe d'origine familiale a été créé à partir des années 1950, essentiellement par le regroupement d'un nombre important de petits clos d'équarrissage ; la plupart des entreprises actuelles de ce secteur ont d'ailleurs été constituées de la même manière.

En 1986, la famille actionnaire a cédé cette entreprise au Groupe Entreprises minières et chimiques.

Les activités du Groupe Caillaud sont de deux ordres : des missions d'utilité publique, l'équarrissage, et des activités de valorisation de coproduits d'abattoir.

Traditionnellement, l'activité d'équarrissage, en remontant dans les années 1975, était régie par un texte de décembre 1975 figurant au Code rural qui est lui-même inspiré de la loi de juillet 1975 sur les déchets. C'était l'ère de la philosophie du « tout recyclage » : la totalité des sous-produits de la filière animale, y compris les cadavres d'animaux ramassés dans les fermes, étaient recyclés et valorisés en alimentation animale, ce qui était l'objet d'un consensus de la Société.

Les autres activités concernaient la valorisation à titre commercial et n'étaient pas régies par le Code rural. Cette activité consistait à acheter des sous-produits dans les abattoirs et à les transformer à destination d'un certain nombre d'industries utilisatrices, parmi lesquelles se trouvait l'industrie de l'alimentation animale (qui vous intéresse plus particulièrement) et également celles du petfood, de la savonnerie, de la gélatine, des engrais organiques, de la lipochimie ou encore de la pharmacie qui utilise des fractionnements de protéines ou de corps gras, des acides aminés ou gras. Les sous-produits d'abattoirs sont une matière première pour un très grand nombre d'industries.

Le problème que traite votre Assemblée est celui des farines de viande dans l'alimentation animale. Ces farines n'existent pas dans la nature car ce sont des sous-produits animaux qui ont été déshydratés ; on pourrait les comparer à de la purée de pommes de terre en flocons ou à de la poudre de lait.

La qualité ou la sécurité de ce produit est principalement liée à la qualité des matières premières mises en oeuvre. En utilisant de mauvaises pommes de terre, on fabrique une mauvaise purée en flocons ; la farine de viande obéit aux mêmes critères.

Concernant le procédé de traitement mis en oeuvre, il faut correctement stériliser, produire cette farine, la sécher, la déshydrater et la dégraisser. Il existe un certain nombre de critères qui, quand ils sont bien mis en oeuvre, contribuent à la sécurité de la farine de viande.

J'ai rappelé que les cadavres d'animaux, de manière consensuelle, étaient recyclés. Cette matière première ne présentait pas de garantie a priori et nécessitait la mise en place d'un système de traitement thermique efficace au plan de la microbiologie et de la sécurité.

On peut dire qu'en France le système a été correctement mis en oeuvre puisque l'apparition de l'ESB en France est liée aux importations de farines anglaises. Avant ces importations nous n'avions pas décelé de cas d'ESB en France ; cela tend à démontrer que le système français (un service d'équarrissage extrêmement large recyclant la totalité des déchets d'animaux à destination de l'alimentation animale) n'a pas provoqué de problèmes sanitaires.

On peut parler de deux événements : l'apparition de la maladie en Angleterre, pour les raisons que vous connaissez (et que je pourrais éventuellement commenter), et l'importation de farines anglaises en France qui a, semble-t-il, introduit la maladie sur le territoire.

Un deuxième élément concerne une sensibilisation de l'opinion, au cours des années 1990, sur les problèmes alimentaires en général et les problèmes d'élevage. On peut regrouper la sensibilisation de l'opinion aux mauvais traitements des animaux, à leurs conditions de transport ainsi qu'à certains éléments concernant l'élevage et les pratiques agricoles.

La première crise médiatique de la société a été liée à l'annonce en Grande-Bretagne, en mars 1996, de la transmission de l'ESB à l'être humain. Cela a amené les autorités communautaires, et notamment françaises, à prendre des dispositions.

La première, et la plus importante, de celles-ci a été la création du service public de l'équarrissage et l'élimination (la destruction par incinération) des farines de viande produites à partir d'un certain nombre de sous-produits parmi lesquels figuraient les matières à risques des ruminants, les plus potentiellement susceptibles d'accueillir le prion, ainsi que d'autres matières parmi lesquelles le prion n'a jamais été détecté ; il s'agit notamment d'un certain nombre de déchets de volailles.

Tout ceci était destiné à répondre à un souci d'image. Les mesures du 28 juin 1996 (l'interdiction de certaines farines) répondaient à des exigences sanitaires liées à l'ESB et à un besoin d'image des farines de viande vis-à-vis de l'opinion.

Parallèlement à ces matières à risques (les saisies d'abattoirs, les matières de ruminants à plus fort taux d'affectivité vis-à-vis de l'ESB), notre industrie transforme d'autres matières animales pour en faire des farines de viande (qualifiées de saines jusqu'au 14 novembre dernier) à partir de coproduits en grande partie de qualité alimentaire.

Une très grande partie des matières animales est de qualité alimentaire et se trouve disponible pour notre industrie du fait des changements de consommation. Par exemple, le « pied de cochon » est un plat réputé mais, compte tenu des volumes abattus en France, des quantités de pieds de porc ne terminent pas dans les assiettes ; ces excédents dans les abattoirs permettent de fabriquer des farines de viande. Il n'est donc pas choquant de déshydrater un produit qui, pour partie, est consommé dans l'alimentation humaine. Le même principe se retrouve avec la tête de porc.

Ceci procure donc des centaines de milliers de tonnes de sous-produits alimentaires transformés en farines de viande pour lesquelles, a priori, il existe moins de problèmes que pour les farines produites à partir de cadavres.

Je pense également aux tibias de bovins qui sont découpés en rondelles par le boucher pour être incorporés au pot-au-feu. La ménagère utilise cet os sans aucun problème, mais dès qu'il est déshydraté pour en faire une farine il se transforme, dans l'opinion, en produit dangereux. Des pratiques ont peut-être été excessives, mais la peur l'est aussi quand on présente la situation de cette manière.

M. Jean Bizet, Rapporteur - J'aurais aimé savoir quels étaient les tonnages de farines produits par votre établissement, depuis un certain nombre d'années, et la ventilation des produits en fonction de vos différents clients de la cosmétologie, de la pharmacie, etc.

M. Laurent Beaumont - Je citerai, de mémoire, quelques chiffres et, si vous le souhaitez, je vous transmettrai des renseignements plus précis et plus contrôlés.

Le Groupe Caillaud, à savoir la Société Caillaud et les sociétés contrôlées aujourd'hui, car cela a évolué au fil des années, traitent environ 1 million de tonnes de coproduits animaux. Sur cette quantité, actuellement environ 300 000 tonnes relèvent du service public de l'équarrissage et sont traitées dans 4 usines.

Sur les 700 000 tonnes valorisables (au sens donné avant le 14 novembre) environ 200 000 tonnes sont destinées à la filière du petfood. Notre Groupe ne transforme pas et ne collecte pas de matières fraîches pour l'industrie du petfood qui, en France, utilise environ 1,1 million de tonnes de sous-produits animaux : une moitié est en frais, des matières broyées et congelées servant à réaliser des boites d'aliments, et l'autre moitié est en déshydraté pour la fabrication des croquettes.

Le Groupe Caillaud est donc présent sur le marché de la fourniture de matières premières pour les producteurs de croquettes pour chiens et chats. Cela représente environ 200 000 tonnes pour la fraction protéique.

Dans les matières utilisées pour le petfood, essentiellement des sous-produits de volailles, seule la protéine est utilisée ; les corps gras sont généralement traités par l'industrie de la savonnerie ou de la lipochimie.

Notre Groupe traite environ 100 000 tonnes de matières premières à destination de la production de gélatine. Nous disposons d'une unité de dégraissage d'os dont une fraction de la matière sèche est utilisée pour l'extraction de la gélatine.

L'autre fraction sèche, la partie la moins dense, celle qui était auparavant recyclée dans l'alimentation animale, fait aujourd'hui partie des farines de viande dites suspendues par l'arrêté du 14 novembre. Cette autre fraction des os dégraissés était (et est encore) cédée à la savonnerie, à la lipochimie et a également pu être vendue, auparavant, dans les aliments d'allaitement pour veaux.

Le reste, 400 000 tonnes, constituait les matières premières valorisables utilisées pour la production de farines dégraissées animales destinées à l'industrie de l'alimentation animale jusqu'au 14 novembre. Cela représente environ 70 000 tonnes de graisses animales et 80 000 à 100 000 tonnes de farines de viande.

M. Georges Gruillot - A la liste, pouvez-vous ajouter les engrais ?

M. Laurent Beaumont - Le Groupe Caillaud ne s'est pas spécialisé sur ce marché. Nous avons vendu quelques milliers de tonnes de farines de plumes, d'hydrolysat de plumes, à l'industrie des engrais, mais notre part de marché est faible.

M. le Rapporteur - Aviez-vous, dans votre Groupe, des sociétés hors du territoire national ?

M. Laurent Beaumont - Non.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu des mouvements, des échanges, de produits à partir d'autres pays de l'Union européenne, à savoir l'Angleterre, l'Irlande, les Pays-Bas, la Belgique ou le Bénélux ?

M. Laurent Beaumont - Ma réponse est négative à la date d'aujourd'hui. Nous avons eu, pendant 4 ans, la propriété d'une usine de transformation en Belgique mais elle est maintenant cédée. Cette société avait été acquise avant la crise de 1996, à une époque où la circulation des produits était aisée. Il existait une cohérence industrielle à cette opération, mais l'usine a été rétrocédée depuis.

Le fonctionnement de notre Groupe est essentiellement français, avec quelques importations marginales de matières premières d'Allemagne et aussi de Belgique ; certaines de nos usines, situées dans l'Aisne et la Meuse, collectent parfois quelques tonnages aux abattoirs frontaliers.

M. le Rapporteur - Il s'agissait de matières premières et non pas de farine directement fabriquée. Pourrons-nous connaître précisément ces tonnages ?

M. Laurent Beaumont - Oui, il s'agissait de matières premières.

M. le Rapporteur - Les équarrisseurs, en général, ont été directement mis en cause par des fabricants d'aliments, notamment de la dernière audition avec M. Glon ; il semblerait que vous achetiez, sur le marché international, des farines anglaises à l'époque où elles étaient bradées.

M. Laurent Beaumont - Ce n'est pas le cas de notre entreprise.

M. le Rapporteur - Ce n'est également pas le cas de l'entreprise que nous avons auditionnée précédemment ; aussi, puisque vous n'êtes que deux sur le marché national, nous « tournons en rond ».

M. Laurent Beaumont - Nous ne sommes pas seulement deux ; il existe deux acteurs majeurs, mais nous sommes environ 20.

M. le Rapporteur - En termes de tonnages, de volume, combien le Groupe Saria Industries et le Groupe Caillaud représentent-ils ?

M. Laurent Beaumont - 70 %.

M. le Rapporteur - Les allégations qui m'ont été fournies par certains fabricants d'aliments me laissent penser que ce ne serait pas vous mais plutôt les autres.

M. Laurent Beaumont - Historiquement, notre Groupe n'a pas eu de pratiques de négoce, l'achat de produits finis ou semi-finis, pour réaliser une finition et revendre. Nous sommes suffisamment occupés par la transformation des matières premières et cela ne figure pas dans les lignes de développement de notre entreprise.

Par ailleurs, les données statistiques douanières existent et il ne doit pas être très compliqué d'obtenir des renseignements.

M. le Rapporteur - Vous n'avez donc acheté que des matières premières ?

M. Laurent Beaumont - Oui, et parfois marginalement sur les abattoirs frontaliers proches de nos usines frontalières. Cela se faisait en permanence, avec des ajustements quand la réglementation française s'est distinguée de la réglementation communautaire, à savoir quand des matières étaient valorisables en Allemagne mais plus en France. Il était en effet plus difficile d'avoir la garantie de conformité.

M. le Rapporteur - En 1996, avec la décision unilatérale française de retirer les MRS des carcasses de bovins, ce qui n'était pas le cas en Allemagne, vous avez pu importer des carcasses d'Allemagne.

M. Laurent Beaumont - Nous avons maintenu nos importations d'Allemagne sur des marchandises précises, comme les os, pour lesquels il n'existait pas d'ambiguïté. Nous avons aussi privilégié les importations de sous-produits d'abattoirs de porcs pour lesquels il n'y avait pas de restrictions en France. Nous avons continué à importer des os d'Allemagne en précisant, à compter d'octobre 1997, que les os crâniens en étaient exclus. Nous disposions de certificats vétérinaires du pays expéditeur et du pays importateur afin de garantir la conformité des produits mis en oeuvre avec la législation française.

M. Michel Souplet - En 1996, vous aviez une usine en Belgique. Or, à cette date, la Communauté européenne a pris des mesures qui n'ont été appliquées en France qu'en 1998.

En Belgique, en 1996, appliquait-on les mesures communautaires ou, comme en France, continuait-on selon l'ancienne formule sans s'inquiéter des 133°C, 3 bars et 20 minutes ?

Nous aimerions savoir quels sont les pays de la Communauté européenne ayant satisfait immédiatement aux injonctions de celle-ci et quels sont ceux qui, comme la France, ont tardé à le faire.

M. Laurent Beaumont - En Belgique, la décision communautaire de juillet 1996 a été mise en application et la société que nous contrôlions a investi dans le système de 133°C, 3 bars et 20 minutes.

M. Michel Souplet - Vous étiez donc tenu de le faire dès 1996 en Belgique alors que cela n'a été appliqué en France qu'à partir de 1998.

M. Laurent Beaumont - Cette usine située dans les Flandres bénéficiait d'un statut (en raison des particularités régionales belges) pour la transformation de matières à faibles risques mais également à hauts risques (de cadavres) en cas de besoin de la collectivité. Elle n'avait pas le statut d'équarrisseur officiel mais pouvait être réquisitionnée pour traiter des matières.

Globalement, à certains moment, notre filiale belge a traité à 133°C, 3 bars et 20 minutes des matières contenant des cadavres d'animaux alors qu'en France nous traitions selon le barème thermique 94-382, considéré comme équivalent à la stérilisation à 133°C, 3 bars et 20 minutes, vis-à-vis du prion de l'ESB.

Il ne faut pas porter un jugement trop sévère sur le fait que la France a tardé à imposer (seulement en février 1998) le traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes, puisque le barème en vigueur était prescrit par la Décision 94-382 de l'Union Européenne, qui dans cet attendu, faisait référence à des expérimentations garantissant une élimination du prion de l'ESB.

Le texte de juillet 1996, imposant les 133°C, 3 bars et 20 minutes pour certains sous-produits, vers certaines destinations (il ne s'agissait pas de toutes les farines de viande), prenait en considération des expérimentations nouvelles sur l'inactivation du prion de la tremblante qui était présenté comme plus thermorésistant que le prion de l'ESB par les instances communautaires ; c'est ce que certains scientifiques contestent.

M. Jean Bernard - Où êtes-vous installés dans la Meuse ?

M. Laurent Beaumont - A Charny.

M. le Rapporteur - Concernant la fabrication des graisses et de la gélatine, avez-vous appliqué les nouvelles normes de fabrication par anticipation, à la date imposée par le Gouvernement ou encore avez-vous subi quelques informations, conseils ou injonctions de la part de vos clients ? Il s'agit en effet de matériaux à valeur ajoutée intéressante.

M. Laurent Beaumont - Nous ne sommes pas présents sur les marchés de cosmétologie et pharmacie. Toutefois, nous le sommes sur celui de la gélatine par le biais d'un semi-produit, à savoir l'os dégraissé qui, dès le début, a été mis en conformité avec les normes réglementaires, notamment avec l'arrêté du 3 décembre 1991 qui est la transcription d'un texte communautaire de 1990.

Une date importante, en matière de gélatine, est celle de la décision entrée en vigueur au 1er juin sur le respect des délais d'acheminement de produits et le suivi documentaire ; les matières premières et semi-finies doivent être accompagnées d'un document commercial. Cela a été mis en oeuvre et nous avons anticipé la mesure de retrait des colonnes vertébrales, depuis plusieurs mois, de manière concertée avec le client.

M. le Rapporteur - La différenciation entre vos circuits de farines à bas risques et farines à hauts risques vous pose-t-elle un problème et comment évoluez-vous sur ces deux types de matériaux ?

M. Laurent Beaumont - Il n'existe pas de farines à hauts ou bas risques : une farine est sans risque puisque le traitement thermique est destiné à le supprimer. Elle peut être issue de matière à hauts risques ou à faibles risques.

Il est difficile de comprendre ce point précis et il est nécessaire d'apporter des précisions. La terminologie communautaire de hauts risques et bas risques ne recouvre pas exactement le champ d'application du service public de l'équarrissage. Cela signifie que des matières à hauts risques sont valorisables. Ce n'est pas très intelligible pour le grand public.

M. le Président - Des matériaux à hauts risques sont transformés en farines.

M. Laurent Beaumont - Les termes de farines à hauts risques ou à bas risques sont utilisés, mais pour être précis la classification entre les matières à hauts risques et celles à faibles risques relève à l'origine d'une pertinence scientifique. Toutefois, les textes français mis en application depuis ne recouvrent pas strictement les produits à hauts risques destinés à la destruction et les produits à bas risques valorisables ; il existe des produits à hauts risques valorisables comme les matières qui ne sont pas soumises à une inspection post mortem.

La définition des bas risques concerne des sous-produits issus d'animaux ayant bénéficié d'une inspection anté-mortem et post-mortem à l'abattoir. Or, des matières sont prélevées avant l'inspection post-mortem. Par définition, ce sont des matières à hauts risques mais elles restent valorisables car elles ne sont pas visées par les textes relatifs à la destruction. Les pieds de bovins, par définition, sont une matière à hauts risques ; quand ils sont inspectés, ils deviennent à faibles risques.

Cela influe sur des fractions de tonnages mais il est important de le savoir car il existe, dans l'application des textes, une différence entre les matières à hauts risques et celles à bas risques.

Nous avons plutôt tendance à parler de filière de destruction et de filière de valorisation, y compris pour la valorisation suspendue. Dans le Groupe, nous avons choisi, en 1996, l'affectation exclusive d'usines à l'une ou l'autre activité. Grâce à un nombre important de sites, ce choix, qui n'a pas pu être fait par toute la profession, nous était permis. Dans certaines usines, il a été nécessaire de constituer deux ateliers pour séparer les matières à détruire et les matières valorisables.

Ce choix d'usines dédiées à l'une ou l'autre activité a augmenté la logistique et a rallongé les distances, mais il avait le mérite de la clarté vis-à-vis du public. De même, les parcs de véhicules ont été affectés à l'une ou l'autre activité.

M. Paul Blanc - Que faites-vous de ce qui sort de Charny ?

M. Laurent Beaumont - A Charny, il s'agit de matières valorisables, y compris de la valorisation suspendue par l'arrêté du 14 novembre.

M. Jean Bernard - Les responsables d'une commune se questionnent : les farines entreposées proviendront-elles de chez vous et seront-elles à bas ou hauts risques? Il faut faire passer cela au niveau de la population.

Des camions qui sortent de chez vous vont à la cimenterie de Couvrau ?

M. Laurent Beaumont - Notre usine de Charny a 4 productions : l'une est commercialisée et les trois autres sont destinées à la destruction dans le cadre des mesures annoncées par le Premier ministre le 14 novembre.

La production destinée à la valorisation concerne les suifs, les corps gras qui vont en savonnerie, et les trois autres productions touchent les farines de viande, les graisses animales et les cretons, à savoir la texture protéique issue de la fonte des corps gras qui n'ont pas l'agrément, sur cette usine, pour aller au petfood.

Certaines autres usines peuvent le faire compte tenu de la présence de l'atelier de traitements des produits à faibles risques situé à côté. Il faut une ligne d'usine exclusivement dédiée au petfood, ce qui n'est pas le cas de cette usine.

Les graisses animales peuvent être utilisées dans notre propre chaufferie comme combustible de substitution ou brûlées dans des chaufferies industrielles de cimenterie, de fours à chaux, etc. Une laiterie est une importante consommatrice d'énergie et brûle des graisses dans sa chaufferie.

Concernant les farines, Charny a quelques débouchés en cimenterie mais l'essentiel part en stockage.

Ce sont des farines issues de matière valorisables, essentiellement des bas risques. La précision que j'apportais sur les hauts risques est marginale mais elle est néanmoins importante.

Ces farines sont actuellement stockées et sont produites aux normes de l'alimentation animale en vigueur jusqu'au 13 novembre dernier ; elles sont stérilisées à 133°C, 3 bars pendant 20 minutes.

M. le Président - La différenciation entre les deux types est-elle toujours justifiée puisqu'il n'y a, actuellement, plus de destination à l'alimentation animale et pensez-vous que ce système doive perdurer ?

M. Laurent Beaumont - Il existe deux éléments de réponse. Le régime réglementaire prévoit une suspension (ce n'est pas une interdiction) qui sera sans doute convertie en interdiction. Je ne sais pas s'il s'agira de la totalité.

M. Jean Bernard - Vers le 1er juillet.

M. Laurent Beaumont - Il n'est pas possible de prendre position et de préjuger. Il existe un aspect d'acceptation par l'opinion et un aspect scientifique. Nous ne savons pas si une fraction sera de nouveau valorisable. Pour le moment, il n'est pas envisageable de mélanger les deux activités.

Un second aspect concerne l'acceptation par les populations en matière de stockage et d'incinération qui peuvent être différenciés. Nous rencontrons des difficultés de stockage mais elles seraient bien plus importantes si les farines étaient mélangées et si l'on annonçait à un maire que des farines à hauts risques seraient stockées sur le territoire de sa commune.

Les farines à faibles risques, qui servaient à nourrir des porcs et des volailles jusqu'au 13 novembre dernier, posent quelques problèmes auprès de l'opinion ; s'il s'agissait de farines issues de matières à hauts risques, cela compliquerait la situation.

M. Georges Gruillot - J'ai quelques difficultés à comprendre. Vous nous avez longuement expliqué depuis le début de votre intervention, en étant très affirmatif, que l'ESB en France provenait des farines animales anglaises.

Vous avez, dans une deuxième partie de votre exposé, insisté pour démontrer que vos fabrications n'étaient entachées d'aucune possibilité de risques. Vous avez même indiqué qu'avant la mise en application des 133°C, 3 bars et 20 minutes en 1998 en France, vous disposiez d'un processus au moins aussi efficace pour détruire le prion.

Vous traitez un million de tonnes de déchets par an. La personne qui est passée ici avant vous représente une société qui traite 1,5 million de tonnes et nous a tenu le même discours. Vous représentez ensemble 2,5 millions de tonnes sur les 3,2 ou 3,5 millions de tonnes traitées.

M. Laurent Beaumont - Je dirais plutôt 4 millions de tonnes.

M. Georges Gruillot - Selon vous, la responsabilité est totalement anglaise. Vous avez été très affirmatif sur ce sujet.

Pour que nous trouvions l'ESB à un tel niveau en France, il faut que la farine soit passée quelque part. Si ce n'est pas par les 2,5 millions de tonnes fabriquées par les entreprises que nous venons d'auditionner, cela ne peut être que par les plus petits fabricants.

Comment pouvez-vous être aussi affirmatif ? Si vous avez raison, et vous avez certainement raison, expliquez-nous pourquoi et apportez-nous plus d'éléments. Notre commission d'enquête doit aller au fond de ce problème et savoir comment (à partir de ce qui s'est passé en Angleterre, de farines mal traitées et vendues à bas prix, arrivées sur notre marché et consommées par nos bovins) nous avons pu rencontrer plus de 200 cas d'ESB sur nos bovins.

Vous devez avoir des renseignements sur ce thème et nous souhaiterions avoir des informations ; vous devez aller au fond du problème.

Vous dites être vierge et nous avons compris que la SARIA l'était également. Il existe donc parallèlement des circuits moins vierges puisque vous êtes affirmatif sur le rôle des farines anglaises dans l'épidémie d'ESB en France. Pourquoi êtes-vous aussi affirmatif ? Nous vous demandons de nous donner des éléments nous permettant d'aller chercher ailleurs.

M. Laurent Beaumont - Je ne suis pas un expert scientifique. Je pense être un bon connaisseur parce que c'est mon métier et ce serait grave si je n'avais pas quelques idées précises sur la question.

M. Georges Gruillot - Il serait grave de ne pas nous en faire part.

M. Laurent Beaumont - Je ne suis pas un chercheur, à savoir un thésard, sur l'introduction de l'ESB en France mais ce sujet m'intéresse au plus haut point. J'ai lu beaucoup de choses sur la question, entendu des experts dans des colloques, des conférences ou des réunions interprofessionnelles, me permettant de me forger une idée.

Mon affirmation ressort également de l'analyse de textes que j'ai lus. Je n'ai pas réalisé d'expertise de la probité de ces articles, mais il existe un faisceau d'éléments assez cohérents.

Je pense que la France et les procédés français ne sont pas en cause. En effet, les premiers cas d'ESB ont été constatés en France en 1991 ou 1992 et à très faible quantité. Les cas suivants l'ont été à partir de 1995/1996 à une fréquence plus forte.

Par ailleurs, l'utilisation des farines de viande dans l'alimentation animale remonte à plusieurs décennies, dans les années 1950 ou 1960. Je ne sais pas à quel moment l'incorporation dans les aliments pour bovins a été faite ; il faudrait sans doute questionner les représentants de l'industrie animale. Je pense que c'est également assez ancien.

Les températures de cuisson, les traitements thermiques, n'étaient pas, à ma connaissance, normalisés en France dans les années 1970 et même 1980. Le premier texte officiel date de 1990. D'après ce que je sais concernant cette profession, en France la norme était de chauffer les farines à environ 130°C (parfois moins ou parfois plus, selon les technologies). Le traitement ne se faisait pas sous pression : il pouvait s'agir de traitement à pression atmosphérique, en discontinu ou en continu. C'était assez disparate mais la donnée commune reposait sur des températures importantes.

En Angleterre, le procédé mis en oeuvre au début des années 1980 utilisait une très basse température avec une évaporation sous vide (donc à moins de 100°C) de l'ordre de 75°C à 80°C. L'écart était considérable (d'environ 40°C à 50°C) par rapport au traitement généralement utilisé en Europe. Or, c'est précisément en Grande-Bretagne que la maladie s'est propagée avec l'impact que vous connaissez.

De là à valider en contrepoint les procédés français, c'est assez tentant et il n'existe pas beaucoup d'éléments pour s'opposer à cette affirmation.

Les cas d'ESB ont été relevés en France au début des années 1990 alors que les importations de farines anglaises étaient relativement importantes (si j'en crois la presse) dans les années 1987/1989. Compte tenu de la période d'incubation, il est également plausible de considérer que cette maladie a été importée par ce biais. Je ne l'affirme pas scientifiquement mais c'est plausible car les dates concordent.

Ensuite, il faut tenir compte d'une nouvelle donnée. Quand la maladie a été introduite en France, notre profession a eu, dans ses collectes de matières premières, des sous-produits d'animaux contaminés. Cela justifie le renforcement et la normalisation des procédés de traitement qui ont été pris par l'Europe et la France en 1996/1998, tous les ans et tous les 6 mois depuis.

Je ne pense pas que les matières premières aient été importées car ce genre de produit brut ne supporte pas les transports sur de grandes distances. Les importations qui peuvent être faites sont celles de proximité et je n'ai pas connaissance d'importations de matières premières crues d'Angleterre. Toutefois, les importations de farines de viande anglaises ont pu être faites par des producteurs français de farines de viande.

M. Georges Gruillot - Vous avez été tellement affirmatif que j'aimerais vous pousser au fond de vos retranchements. Or, dans la deuxième version vous l'êtes beaucoup moins. Si vous étiez aussi affirmatif, vous un vrai professionnel, vous devriez avoir connaissance de certains éléments que nous ne connaissons pas.

M. Laurent Beaumont - J'ai la connaissance de la profession en France dans les années 1980 où l'on cuisait à des températures élevées. Je connais également bien le procédé anglais (car il nous avait été proposé en France par les constructeurs) qui consiste à extraire les protéines et graisses à basse température. Il est vrai que cette technologie était séduisante par certains aspects.

M. Georges Gruillot - Existait-il, durant la période critique, une importante différence de prix entre les farines anglaises et les nôtres qui aurait pu inciter certains de vos confrères à acquérir des farines anglaises pour les mélanger à leur production ?

M. Laurent Beaumont - L'interdiction de l'utilisation des farines de viande en Grande-Bretagne a pesé sur le marché français en provoquant une chute des cours des farines de viande produites en France.

M. le Rapporteur - Cela a dû vous handicaper sur le plan commercial. Vous aviez sans doute les mêmes charges fixes ; comment vous êtes-vous adaptés ?

M. Laurent Beaumont - Les importations de farines anglaises sont une question essentielle de votre Commission. Je pense que les Douanes doivent pouvoir vous procurer la liste des déclarations d'importations.

M. Georges Gruillot - Vous n'êtes pas très nombreux et tout se sait dans le milieu professionnel ; si vous le savez, vous êtes tenu de nous le dire.

M. Laurent Beaumont - Nous avons constaté, à l'époque, des diminutions d'achat de la part de nos clients. Le fabricant d'aliments qui importait des farines anglaises a moins acheté en France.

M. le Rapporteur - Ce que vous dites est intéressant : pourrions-nous avoir la liste de vos clients qui sont passés, à l'époque, d'un certain volume d'achats à un volume moins important ?

Ce sont des documents comptables, dont vous devez disposer, concernant les années charnières. Une entreprise comme la vôtre ne peut pas avoir perdu ce genre de renseignements.

M. Laurent Beaumont - Je prends note. Ce sont des archives commerciales vieilles de 14 ou 15 ans et je ne peux vous apporter aucune garantie. Il me semblerait plus rapide, pour vous, d'obtenir des informations de la part de l'Administration.

M. le Président - Nous disposons de ces documents mais nous vous demandons de nous fournir des renseignements sur ce qui s'est passé avec vos clients. Si vous les suivez, vous pouvez constater des changements éventuels.

M. le Rapporteur - Il serait pertinent de faire des recoupements de façon à avoir les réponses des uns et des autres.

La seconde question (qui a également été posée à votre prédécesseur, la Société SARIA) concerne votre adaptation, durant les années délicates, à l'effondrement des prix de ces matières premières pour rester concurrentiels sur le marché.

Comme l'a dit très clairement M. Glon, avez-vous acheté des farines anglaises pour effectuer un mélange avec les vôtres et moduler votre prix de revient ou avez-vous eu d'autres solutions ?

M. Laurent Beaumont - J'ai déjà répondu : non, nous n'avons pas importé de farines anglaises. Concernant l'adaptation, il n'existe pas beaucoup de manière d'y parvenir ; il faut s'aligner sur les prix.

Un fabricant d'aliments a besoin de protéines qui sont d'origine animale ou végétale et se substituent facilement. Nous en avons la preuve depuis le 15 novembre puisque les animaux sont nourris sans farines de viande. C'est la preuve que la substitution totale est possible.

Quand un fabricant d'aliments se positionnait pour acheter des protéines animales, il se référait au produit dominant, le tourteau de soja, qui est la ressource majeure mondiale en termes de protéines. Les cotations sont connues et transparentes.

Le formulateur donne donc un prix équivalent aux farines de viande. C'est automatique et la négociation n'existe pratiquement pas. C'est un prix d'alignement sur l'équivalent en protéines végétales, à quelques ajustements techniques tels que les matières minérales présentes dans les farines de viande et carencées dans les végétaux. La fixation du prix est dominée par la teneur en protéines.

Par ailleurs, un facteur limitant est le taux d'incorporation. On sait que pour un type d'animal donné le taux d'incorporation maximum en farines de viande est par exemple de 5 % ou 6 % pour les dindes, pintades, canards, etc. C'est parfaitement connu de la profession, des nutritionnistes de nos clients et des services commerciaux de notre entreprise.

Il n'y avait donc pas une très grande élasticité à la consommation de farines de viande. Même en donnant le produit, il n'aurait pas été consommé plus en raison du facteur limitant qui est le taux d'incorporation.

Quand il y a un apport de marchandise, il faut dégager le marché à l'exportation. On peut dire que le marché français de farines de viande était très régulier et très étale. On peut dire que c'est une question de parts de marché. En cassant les prix, on prend des parts de marché aux concurrents mais, globalement, il ne se vendra pas plus de produit. Le concurrent ayant des stocks pourra exporter pour les vendre aux pays qui sont de gros importateurs de protéines. Le marché s'équilibrait ainsi.

J'ai bien noté votre question mais des baisses de consommation de la part d'un client ne signifient pas automatiquement qu'il importait d'Angleterre. Il achetait peut-être plus à SARIA ou à d'autres, ou peut-être avait-il eu la possibilité, à un moment donné, d'acheter du soja bon marché, etc. Il existe des moyens de recoupement de l'information.

Concernant votre question sur notre réaction, nous nous sommes alignés sur les prix ; il nous était donc possible de baisser les prix en France ou de pratiquer la grande exportation qui pouvait devenir compétitive.

M. le Rapporteur - Vous avez dû perdre de l'argent sur le marché national à partir du moment où vous avez été obligés de baisser vos prix par rapport à une période antérieure. Si vous avez pratiqué l'exportation, vers quels pays était-ce ?

M. Laurent Beaumont - En général la grande exportation est orientée vers le Moyen-Orient, qui est gros consommateur, et les pays de l'Est.

M. le Rapporteur - Quelle est l'utilisation de ces produits au Moyen-Orient ?

M. Laurent Beaumont - De l'alimentation pour les volailles.

Au niveau financier, il ne faut pas oublier que notre industrie pratique le recyclage. Les farines de viande sont de la viande desséchée ; nous achetions les sous-produits des abattoirs en fonction du prix de vente des produits finis.

Si les importations de farines de viande anglaises ont pesé sur le marché des protéines en France, en entraînant une chute des cours, notre seul moyen de nous en sortir financièrement consistait à répercuter sur les abattoirs en achetant les sous-produits moins cher qu'auparavant.

C'est comme le ferrailleur : quand le prix de l'acier baisse, la ferraille s'achète et se vend moins cher. Le même phénomène se rencontre avec le pétrole : quand le prix du brut augmente, le prix augmente à la pompe et inversement, indépendamment des phénomènes de stocks et autres.

Pour nos produits, il existe une indexation de fait entre le cours de la protéine et celui de reprise en abattoir des coproduits. Tout cela a entraîné temporairement une moindre valorisation des coûts de produits d'abattoir.

M. Georges Gruillot - Au niveau de la connaissance de la dangerosité des farines dans les cas d'épidémie d'ESB, quand les Anglais ont interdit la consommation de leurs farines de viande pour les bovins, en tant que professionnels avez-vous été informés en France ?

Les grands spécialistes de farines de viande et tous les grands de l'alimentation animale ont sans doute été informés bien avant la sensibilisation de l'opinion publique sur ce même sujet.

Dans les années 1989/1990/1991, vous avez certainement dû, entre vous, parler de ce problème. Je pense qu'à l'époque vous étiez tous parfaitement informés du risque qui existait à utiliser des farines insuffisamment traitées, et particulièrement des farines qui auraient été importées, dans l'alimentation des bovins. Cela se savait-il dans le milieu professionnel ?

M. Laurent Beaumont - Il n'est pas possible de dire que nous étions parfaitement informés, notamment au niveau scientifique et sanitaire. Le contrecoup a été découvert par le marché.

M. Georges Gruillot - Vous saviez toutefois que l'utilisation de ces farines était interdite en Angleterre.

M. Laurent Beaumont - Nous l'avons appris par les fabricants d'aliments du bétail.

M. Georges Gruillot - A quelle période l'avez-vous appris par rapport à l'interdiction anglaise ?

M. Laurent Beaumont - Je ne m'en souviens plus mais, a priori, cela a été assez rapide. L'arrivée des farines anglaises sur le marché français nous a tous surpris. A l'époque, peu de personnes parlaient de ce problème de l'ESB.

M. Georges Gruillot - Dans le milieu professionnel, quand on a su que les farines anglaises, dangereuses et interdites Angleterre, venaient polluer le marché français, personne n'a réagi ? Il s'agissait également de conscience professionnelle par rapport à la sécurité de l'aliment.

M. Laurent Beaumont - Vos propos sont parfaitement logiques. Le souvenir que j'ai de cette période est que nous avons mis en avant cet aspect incongru de l'arrivée en France des farines anglaises alors qu'elles étaient interdites en Grande-Bretagne.

Cela s'est fait de services commerciaux à services commerciaux, d'acheteurs français de farines à vendeurs anglais de farines. La remarque a été de nous dire que nous défendions nos produits, que nous étions insatisfaits de la concurrence, que les farines étaient autorisées et que tout était légal.

M. Georges Gruillot - Quels fabricants d'aliments vous ont tenu ce langage ?

M. Laurent Beaumont - Je ne peux pas le dire car je ne le sais pas. Je ne suis pas Directeur commercial de l'entreprise et ces entretiens m'ont été rapportés, à l'époque, dans nos discussions de Direction.

Ces arrivées de farines anglaises, qui plombaient le marché français, nous agaçaient. Le discours des Anglais était que les farines étaient autorisées à l'exportation et que notre réaction était celle de commerçants.

M. Georges Gruillot - Vous devez savoir de qui il s'agissait. Si vous ne le savez pas, il vous est sans doute possible, dans votre entreprise (il existe toujours des traces), de vous renseigner et de nous remettre une réponse écrite dans quelques jours.

M. Laurent Beaumont - Non.

M. Georges Gruillot - Nous nous interrogeons devant un tel problème. Devant un tel mur de silence, nous ne pouvons que supposer qu'il y a quelque chose à cacher.

M. Laurent Beaumont - Je répète que, personnellement, je n'ai pas souvenir des interlocuteurs de l'époque ; c'était il y a 12, 13 ou 14 ans. Sur la vingtaine ou trentaine de clients de Caillaud S.A., si mon Directeur commercial a des souvenirs précis de ces échanges de propos, je n'ai pas d'objection ou de raison de m'opposer à votre demande.

C'est un réflexe corporatiste : un vendeur cherche à vendre le plus cher possible et un acheteur cherche à acheter le moins cher possible. Quand on trouve une marchandise moins chère autorisée....

M. Paul Blanc - Cela doit laisser des traces au niveau des bons de commandes : un client avec lequel vous avez entamé des discussions a moins commandé de farines chez vous.

M. Laurent Beaumont - C'est moins ou c'est autant et beaucoup moins cher. Cela se passe en termes de prix.

M. le Président - Nous vous demandons de vérifier, pour les années qui vous ont notifiées, les variations de prix de vente chez vous ; si vous avez été obligés de vous adapter en fonction du marché, on doit constater une baisse de vos prix de vente à la tonne ou au kilogramme. C'est le signe qu'il existe une concurrence.

Nous vous demandons également, dans ces périodes évoquées, pour un certain nombre de clients, si les commandes ont été moins importantes de leur part. Cela doit pouvoir permettre d'apprécier s'il existe une concurrence en tonnage provenant d'ailleurs.

Vous nous fournirez ces renseignements pour que nous puissions constater si cela correspond à quelque chose.

M. le Rapporteur - Vous disiez que l'on vous avait fait des propositions en matière de technologies nouvelles vous permettant de moins chauffer les farines. Cela sous-entendait-il un matériel spécifique ?

M. Laurent Beaumont - Oui.

M. le Rapporteur - Vous avez donc été contactés par des vendeurs de matériel.

M. Laurent Beaumont - Il existe un procédé qui était assez largement répandu en Grande-Bretagne.

M. le Rapporteur - Ces professionnels existent-ils sur le marché français ou sur le marché européen ?

M. Laurent Beaumont - C'est européen.

M. le Rapporteur - Vous pourriez donc nous communiquer la liste des professionnels qui mettaient à votre disposition ce matériel nouveau.

M. Laurent Beaumont - Oui.

M. le Président - Quel traitement subissaient les graisses animales issues de la presse des farines ?

M. Laurent Beaumont - C'était le même traitement thermique que celui des farines, hormis la stérilisation depuis février 1998. En effet, le texte communautaire prévoit l'application du traitement à 133°C, 3 bars et 20 minutes sur la matière première ou sur la farine. Ce barème de traitement ne s'imposait pas aux graisses animales.

Il existe donc deux manières d'appliquer le barème : sur la matière première, crue, ou sur le produit fini, qui était limité aux farines. C'était la technologie utilisée dans notre Groupe.

M. le Président - Pouvez-vous nous fournir l'évolution, année après année, de la production de farines et de graisses animales par votre Groupe pour la période comprise entre 1975 et 2000 ?

M. Laurent Beaumont - Ce sera compliqué à reconstituer car entre 1975 et 2000 le Groupe s'est agrandi.

M. le Président - Je sais que vous avez changé de dimension à plusieurs reprises.

M. Laurent Beaumont - Il faut également tenir compte des orientations de matières premières vers d'autres débouchés. Les sous-produits de volailles ont permis, à une certaine époque, de fabriquer des graisses et des farines, puis des cretons de volailles pour les petfood ; ils n'ont donc plus été destinés à l'alimentation des animaux de rente. Une même matière première peut avoir des débouchés différents suivant le traitement qui lui est appliqué. Un os dont on extrait de la gélatine peut aussi servir à la fabrication de la farine de viande ou d'un creton dans des croquettes d'aliments pour chiens.

M. le Président - Un certain nombre d'établissements de votre Groupe, ou d'autres groupes, sont mis au pilori par les médias car les conditions d'exploitation ne sont pas toujours tout à fait conformes à ce que l'on peut attendre.

Que fait votre Groupe pour tenter d'améliorer la situation, notamment par rapport à l'environnement ? Il est évident que l'on trouve toujours des conséquences sur l'environnement immédiat.

M. Laurent Beaumont - C'est une démarche assez longue. Notre Groupe n'est pas à l'abri des difficultés ou des problèmes. C'est toutefois une idée importante, de stratégie, d'être clairs vis-à-vis des problèmes d'environnement. C'est un choix d'entreprise coûteux.

Le problème de l'environnement peut être aussi une clé de distorsion de concurrence s'il n'existe pas une politique de contrôle homogène. Notre Groupe a la prétention d'avoir engagé un effort, ou poursuivi ce qui avait été engagé par nos prédécesseurs, sur la voie d'une rigueur en matière de respect de la réglementation environnementale ; il s'agit parfois même d'une anticipation.

Le Groupe Caillaud représente 41 sites en France, 12 usines et 29 dépôts centralisateurs de marchandises. Ce nombre très important nécessite une forte volonté de management, des moyens financiers importants ainsi qu'un savoir-faire ; la volonté des clients ne suffit pas. Nous sommes engagés sur une démarche à long terme de certification ISO 14 000 sur un certain nombre de sites.

M. le Président - C'est engagé.

M. Laurent Beaumont - Oui, c'est la poursuite d'un effort financier considérable. Toutefois, il est vrai que nous avons dû être vigilants pendant un certain nombre d'années concernant l'impact sur les coûts par rapport à la concurrence. Beaucoup de secteurs d'activité connaissent ce genre de problème.

M. Georges Gruillot - Pouvez-vous nous indiquer, depuis 8 ou 10 ans, quelle est la fréquence des visites, dans vos établissements, des grandes administrations technique de l'Etat, notamment des Services Vétérinaires ? Nous comprenons que ce nombre est maintenant important, mais l'était-il il y a 4, 5 ou 6 ans et quel était leur rôle chez vous ?

M. Laurent Beaumont - Nous avons noté un renforcement, en 1997, avec la création du service public de l'équarrissage puisque des postes ont été créés. Nous avons, sur nos usines de production, une personne détachée avec une présence d'une journée minimum par semaine ; cela concerne essentiellement la fabrication sanitaire et des questions financières pour attester aux organismes payeurs de la bonne exécution des marchés d'équarrissage qui ont été passés.

Si vous voulez me faire dire qu'il y a eu un accroissement de la fréquence des visites, il est évident que la perception plus forte du problème de l'ESB, les connaissances scientifiques nouvelles et l'inquiétude grandissante ont amené les services de contrôle à être plus présents qu'auparavant.

M. Georges Gruillot - A quelle fréquence étaient-ils présents ?

M. Laurent Beaumont - Nous avons 41 sites et il serait possible de vous apporter autant de réponses que de sites. C'est assez variable d'un département ou d'un site à l'autre. Quand une entreprise est présente non loin d'un abattoir où se trouve un préposé à demeure, il est demandé à cet inspecteur de l'abattoir de faire des visites fréquentes dans l'entreprise d'équarrissage.

M. Georges Gruillot - Est-ce un préposé ou un vétérinaire ?

M. Laurent Beaumont - Cela peut-être l'un ou l'autre. Je n'ai pas connaissance d'une attitude homogène.

Ce peut être fait à double titre puisque les Services Vétérinaires ont une responsabilité de contrôle en matière sanitaire mais également environnementale. Ils ont une tutelle du ministère de l'Environnement au titre de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement.

M. Georges Gruillot - A part les Services Vétérinaires, vous n'avez jamais vu personne d'autre ?

M. Laurent Beaumont - Au titre de la Police des eaux, nous avons des contrôles des services de l'Agriculture, des gardes-pêche de la DDA ou, quand nous rejetons dans des voies fluviales, de la DDE puisque c'est de leur compétence.

Nous avons également des contrôles de la DGCCRF, mais exclusivement au titre des produits mis sur le marché.

Les Services Vétérinaires sont concernés par l'environnemental, le tri des matières premières, le respect sanitaire, le respect de l'arrêté préfectoral d'autorisation au titre des installations classées et le respect de l'agrément sanitaire délivré au titre de l'arrêté du 30 décembre 1991.

M. le Président - Merci d'avoir répondu à toutes nos questions.

M. Laurent Beaumont - Sous quel délai voulez-vous les informations ?

M. le Président - Nous souhaiterions en disposer au plus tard le 15 mars 2001.

Audition de M. Bernard LEPOITEVIN,
Directeur général de la SOFIVO

(21 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - M. Lepoitevin, vous êtes Directeur général de la SOFIVO et vous êtes accompagné de M. Lescene, Directeur de la Recherche et Développement.

Vous savez que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre vous devez témoigner sous serment. Je vais vous lire la note officielle et je vous demanderai ensuite à tous les deux de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Lepoitevin et Lescene.

M. le Président - Je vous laisse la parole pour que vous puissiez faire un point sur la SOFIVO et nous présenter votre approche par rapport à ce problème de l'ESB.

M. Bernard Lepoitevin - Je ferai une présentation de la production de viande de veau en Europe qui est une production charnière entre les activités viande et lait.

Les 33 millions de bovins, vaches allaitantes et vaches laitières, existant en Europe produisent environ 29 millions de veaux parmi lesquels 6 millions trouvent un débouché dans la filière viande de veau, soit environ 20 %.

Elle est également charnière avec la production laitière dont je rappelle qu'il s'agit de 115 milliards de litres de lait en Europe, dont 10 % sont transformés en poudre de lait, soit environ 1,1 million de tonnes. Sur les 1,1 million de tonnes de lait produites dans la communauté, 500 000 tonnes (environ 50 %) sont consommées dans les aliments d'allaitement.

En Europe il est fabriqué à peu près 1,8 million de tonnes d'aliments d'allaitement qui consomment 500 000 tonnes de poudre de lait, environ 750 000 tonnes de lactosérum, 360 000 tonnes de matières grasses diverses (animales et végétales) et 190 000 tonnes d'autres produits comme l'amidon, la farine de blé, les protéines végétales, etc.

Les grands acteurs, sur le plan européen, sont essentiellement les Hollandais qui produisent 43 % des aliments d'allaitement européens. Avec leurs filiales européennes, on peut considérer que 60 % de la viande de veau produite en Europe est d'origine hollandaise.

Les plus grands acteurs sont les Groupes hollandais Schils, qui produit plus de 300 000 tonnes, le Groupe Namobi avec un peu moins de 300 000 tonnes également et le Groupe Denkavit avec un peu moins de 200 000 tonnes. Le premier Groupe français est Lactalis, avec 120 000 tonnes environ, et vient ensuite le Groupe Sofivo avec 100 000 tonnes d'aliments d'allaitement produits chaque année.

Ces aliments d'allaitement trouvent deux grands débouchés : le premier, pour 80 %, concerne la production de viande de veau. Il s'agit d'un animal dit veau de 8 jours, pesant 45 à 50 kilos, qui est mis en élevage pendant 140 à 150 jours. Après avoir consommé environ 280 à 300 kilogrammes d'aliments d'allaitement, cet animal produit une carcasse de viande d'environ 130 à 135 kilogrammes.

Le reste des aliments d'allaitement, 20 %, va vers l'alimentation des veaux d'élevage, à savoir le cheptel qui participe essentiellement au renouvellement du cheptel laitier.

Cet ensemble « viande de veau » représente environ 800 000 tonnes de viande pour la partie Europe. Dans le monde, la consommation de viande de veau est estimée à un million de tonnes. C'est donc une spécificité européenne et notamment française puisque les Français consomment 38 % de la viande de veau produite en Europe, avec 5 kilogrammes par habitant ; viennent ensuite les Italiens, avec 4,6 kilogrammes, et les Allemands avec 1,3 kilogramme. Ces trois pays (France, Italie et Allemagne) consomment 80 % de la viande de veau produite en Europe.

Nous dans le cadre de SOFIVO, nous sommes étonnés de nous retrouver devant cette commission puisque, comme je l'ai décrit, les aliments d'allaitement ne comprennent aucune farine animale. Nous n'avons jamais incorporé de farines animales, et le Docteur Lescene pourra vous en indiquer les raisons puisque cela ne correspond pas à notre profil alimentaire.

M. le Président - Les farines animales n'ont sans doute pas été données directement dans l'alimentation des veaux. Toutefois, il existe peut-être des problèmes avec les lacto-remplaceurs qui ont pu être utilisés. Nous vous poserons donc des questions sur ce sujet.

M. Lescene - Sur la non-utilisation des farines animales dans les aliments d'allaitement, je précise que ce sont des produits qui, de par leur présentation, leur nature et leur composition, ne correspondent pas aux besoins techniques de ce type de production, tant en granulométrie, solubilité, composition globale ou solution.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Les lacto-remplaceurs sont fabriqués à partir de graisses animales sous la forme d'incorporation de graisses. Pourriez-vous nous préciser quelle est la composition des lacto-remplaceurs, sous quelle forme ils se présentent, quelles quantités sont données, etc. ?

M. Lescene - Un lacto-remplaceur est une poudre ; c'est à peu près l'équivalent de ce qui est utilisé pour préparer un biberon pour un bébé.

Les ingrédients de cet aliment sont tout d'abord d'origine laitière : 70 % de produits laitiers sous forme de poudre de lait écrémé, lactosérum et produits dérivés du lactosérum, éventuellement lactose.

Ensuite, on trouve des amylacés comme les amidons de blé ou de maïs, plus ou moins transformés et éventuellement gélatilisés, des farines de blé de même type que celle utilisées en boulangerie, voire meilleures, et des produits en protéines végétales issues du soja, du pois ou du blé.

Pendant un certain temps des concentrés solubles de poisson ont été utilisés ; il s'agissait de protéines de poisson hydrolysées. Je précise que nous sommes dans une période de flou concernant ces produits, qui correspondaient à des besoins techniques, jusqu'à la fin des années 1990.

Durant une période, ces concentrés solubles de protéines de poisson ont été touchés par des arrêtés, dans la masse des produits interdits ; ils ont ensuite été réintroduits puisqu'ils étaient issus de produits de poissons de pêche et non pas d'élevage.

M. le Rapporteur - Sont-ils encore utilisées aujourd'hui ?

M. Lescene - Non, mais c'est toutefois autorisé. Nous travaillons aussi avec des clients dont les cahiers des charges précisent, pour des raisons qui leur sont propres, que les produits ne doivent pas être issus du poisson. Par ailleurs, d'autres clients refusent toutes les protéines végétales. Tout dépend de la philosophie du client final.

M. le Rapporteur - Il existe donc des lacto-remplaceurs contenant des hydrolysats de farine à base de poisson.

M. Lescene - Il pourrait y en avoir.

M. le Rapporteur - A votre connaissance, il n'y en a plus sur le marché.

M. Lescene - C'est tout à fait marginal.

Les mélanges représentent une faible partie de la formulation qui concerne les vitamines, les oligo-éléments et quelques minéraux.

Les graisses, jusqu'à la fin de l'année 2000, étaient essentiellement constituées, en France, de suif et de coprah (du gras issu de la noix de coco), un peu de saindoux et un peu d'huile de poisson. Le suif était majoritairement employé ; il s'agissait de suif de grande catégorie, du premier jus issu de la fonte des tissus adipeux d'animaux récoltés à l'abattoir, à savoir sains et livrés à la consommation humaine.

Notre cahier des charges est très clair en ce sens depuis de très nombreuses années. Il doit s'agir de suif raffiné, à savoir issu de premier jus ou du raffinage d'un certain nombre de matières grasses collectées dans des ateliers de découpe ou chez les bouchers.

M. Bernard Lepoitevin - Nous tenons ce cahier des charges à votre disposition.

M. Lescene - J'ai apporté un mémo retraçant la composition d'un aliment d'allaitement. La liste, qui n'est pas exhaustive, mais néanmoins complète, mentionne les matières premières utilisées dans ces aliments.

Un exemple des cahiers des charges SOFIVO a d'ailleurs été transmis à la Commission Dormont il y a peu de temps. Vous constaterez que nos caractéristiques correspondent au moins à celles de la norme AFNOR puisque nous avons travaillé en suif alimentaire.

M. le Président - Durant l'année 1990 jusqu'à la fin de l'année 2000, du suif a toujours été additionné à ces lacto-remplaceurs. Quel traitement subissaient les graisses utilisées ?

M. Lescene - Vous pourriez poser cette question à des fournisseurs de matières grasses. Le premier jus est traité à partir de tissus adipeux frais de bovins récoltés à l'abattoir. Je précise qu'il s'agit de bovins entrant dans la chaîne alimentaire. Ceux qui sont saisis en amont n'y rentrent pas.

Ces tissus adipeux sont traités dans un laps de temps court pour des raisons de préservation de la qualité liées à l'oxydation et à l'acidité. Ils sont broyés, traités à 85°C avec un peu de vapeur, pressés et filtrés.

Les deux coproduits de ce process sont le suif de premier jus, qui ressemble, à chaud, à une huile de table, et les cretons qui sont majoritairement dirigés vers le petfood.

Concernant le raffinage, des opérations ultérieures sont effectuées à plus hautes températures, entre 200°C et 250°C, sous vide. Elles sont destinées à enlever les acides gras libres et un certain nombre d'impuretés par filtrage.

Sur un premier jus, le taux d'impuretés (mucilages ou produits de ce genre) est de 0,10 % ou 0,15 % ; après le raffinage, ce taux est de 0 %. Je rappelle que ce sont les mêmes matières grasses que celles qui partaient en alimentation humaine pour fabriquer les biscuits, le pain, etc.

M. le Rapporteur - Compte tenu de la suspicion, voire du discrédit, entourant ce type de produit il y a quelques années (on le voit dans la presse concernant les farines mais également les graisses), les garanties de fabrication données par les fabricants vous semblaient-elles suffisantes ?

M. Lescene - Oui. Quand on s'adresse à un produit de nature et de qualité identiques à celles qui entrent dans l'alimentation humaine, cela procure quelques garanties.

M. le Rapporteur - Aujourd'hui, quels substituts utilisez-vous ?

M. Lescene - Notre approvisionnement est plus diversifié. Nous utilisons diverses matières grasses végétales, issues de cultures françaises, colza et soja, et des huiles tropicales, palme et coprah.

M. le Rapporteur - Les résultats sont-ils les mêmes en termes technico-économiques ?

M. Lescene - Nous utilisons aussi une proportion de saindoux, à savoir des matières grasses animales issues du porc.

En utilisant exclusivement des matières grasses végétales, la technique est un peu plus difficile.

M. le Rapporteur - C'est la même problématique que dans l'alimentation des volailles où il est difficile de mettre au point les formules d'aliments.

M. Lescene - C'est moins facile.

M. le Rapporteur - Quels étaient vos fournisseurs de suif ?

M. Lescene - Ils étaient tous français. Ils sont assez peu nombreux : le plus important est la Société SARIA, l'ancien SANOFI, MAINGUET et TACNORIAN.

M. le Rapporteur - Le prix de ces matières premières a-t-il toujours été identique ?

Nous aimerions savoir si vous disposez de documents présentant les tonnages que vous utilisiez et les prix auxquels ils étaient livrés.

M. Lescene - Nous n'avons pas apporté ces documents.

M. Bernard Lepoitevin - Le suif fait partie d'une cotation paraissant chaque semaine ; c'est donc facile à reconstituer.

M. le Rapporteur - Cela nous intéresse, au niveau de la Commission d'enquête, de disposer des tonnages et des prix pratiqués depuis une dizaine d'années.

M. Bernard Lepoitevin - Les tonnages sont relativement réguliers. Nous utilisons, dans la formule, en moyenne 18 % à 20 % de matières grasses à la fois animales et végétales. Le suif est fonction du disponible. Aujourd'hui, nous nous sommes orientés vers les matières grasses végétales car nous trouvons de moins en moins de suif. Compte tenu de la traçabilité et des contraintes concernant la collecte des tissus adipeux, il est obligatoire de se reconvertir vers d'autres matières grasses.

M. le Rapporteur - Nous aimerions connaître les prix de cette matière première. Vous savez que la presse (à tort ou à raison) s'est largement fait l'écho des mouvements d'importations de farines animales. Nous voudrions savoir à quel prix ces organismes vous fournissaient.

M. Bernard Lepoitevin - Sur quelle période ?

M. le Rapporteur - Entre 1988 et aujourd'hui.

M. Bernard Lepoitevin - L'un des avantages de la matière grasse animale, par rapport à la matière grasse végétale, est qu'elle est collectée « localement », en France ou sur les pays limitrophes, avec un prix relativement stable, à l'opposé des produits utilisés aujourd'hui (palme, etc.) qui sont des matières grasses très fluctuantes.

On peut en effet trouver aujourd'hui de l'huile de palme à environ 3 F, mais son prix peut augmenter très rapidement ; quand des plantations avaient brûlé en Indonésie, le prix était passé à 6 F. Ce sont donc des matières grasses plus volatiles, en termes de prix, que les matières grasses animales.

M. Paul Blanc - Commercialisez-vous vous-même vos produits ou passez-vous par l'intermédiaire de fabricants d'aliments pour le bétail ?

M. Bernard Lepoitevin - Nous sommes fabricants d'aliments d'allaitement et nous disposons de deux circuits.

Concernant la partie aliments pour les animaux destinés à la boucherie, nous travaillons avec des intégrateurs, à savoir des personnes qui produisent de la viande de veau. Pour les aliments d'élevage, nous travaillons avec des revendeurs comme des grandes coopératives et des distributeurs, de manière générale, d'agrofournitures.

Pour certains fabricants d'aliments pour le bétail (comme vous les appelez), par exemple Agrial, nous revendons nos aliments d'allaitement qui sont ensuite distribués à leurs producteurs.

M. Paul Blanc - Vous savez que les produits que vous commercialisez ont été directement mis en cause dans certains cas d'ESB. En effet, aucune alimentation par les farines n'a été utilisée alors que les animaux avaient été nourris avec des lacto-remplaceurs.

M. Bernard Lepoitevin - Nous n'avons aucune information de ce type. Il est vrai qu'un docteur allemand s'est avancé sur cette piste mais des démentis ont eu lieu dans les 48 heures suivantes. Il s'agissait apparemment d'une erreur de traduction et personne n'a jamais (à ma connaissance) démontré la relation entre la consommation d'aliments d'allaitement et la maladie de l'ESB.

Je peux vous transmettre l'information. C'est venu d'Allemagne ; il s'agissait du Directeur de l'équivalent des Services Vétérinaires d'une province allemande qui a tenté une expérience. A la traduction de cette expérience, le vocabulaire utilisé a laissé croire certaines choses. Nous avons demandé sur le plan syndical, y compris par l'Association laitière, un démenti formel que nous avons obtenu et que nous sommes en mesure de vous transmettre.

M. le Rapporteur - Nous avons eu cette information. Il reste toutefois vrai qu'il existe une suspicion sur les graisses animales ; des cas d'ESB ne s'expliquent pas au travers de l'alimentation avec des farines animales, notamment sur le cheptel allaitant pendant les premières semaines.

M. Lescene - Dans le cheptel allaitant il n'y a pas d'utilisation de lacto-remplaceurs puisque la vache nourrit son veau.

M. le Rapporteur - Les éleveurs disposent parfois d'un sac d'aliments de lait de remplacement. C'est d'ailleurs la raison de ne plus incorporer les graisses dans l'alimentation animale.

M. Lescene - La décision n'est pas prise.

M. Bernard Lepoitevin - Les graisses interdites sont celles d'os.

M. Lescene - Les graisses de cuisson également. Il s'agit des coproduits de la fabrication de gélatine à partir d'os et des coproduits de la fabrication des farines de viande à partir des déchets de viande, indépendamment de l'équarrissage.

Les graisses d'os et les graisses de cuisson sont donc les deux produits interdits. Les suifs fondus restent autorisés.

M. le Rapporteur - Ces graisses étaient antérieurement incorporées aux aliments.

M. Lescene - Jamais. Il s'agit d'une confusion entre les aliments d'allaitement et les aliments de sevrage ; ce sont sans doute des aliments en granulés pour les jeunes bovins, destinés à faire la transition entre l'allaitement et le sevrage. Il y a peut-être une phase de flou.

Ceux-là sont produits selon les technologies d'aliments du bétail classiques mais les aliments d'allaitement n'ont jamais utilisé ces produits ; je parle pour notre fabrication.

M. Georges Gruillot - Vous n'avez jamais utilisé de suifs d'origine d'équarrissage ?

M. Lescene - A ma connaissance, non.

M. Georges Gruillot - En règle générale dans ce métier ?

M. Lescene - Le suif d'équarrissage, tel qu'il existait, n'était pas compatible avec nos technologies laitières ; son utilisation aurait fait exploser nos installations. Cela n'entrait donc pas dans notre formulation pour une simple raison technique et technologique.

Par ailleurs, pour des raisons zootechniques, cela aurait été plus difficile car il s'agit de la comparaison de formulations différentes. Dans l'aliment d'allaitement, la matière grasse représente 20 % ; ce macro-nutriment constitue un apport considérable. Dans l'alimentation standard du ruminant, la matière grasse est réduite à un faible pourcentage dont une partie est destinée à apporter un plus technologique dans la fabrication du produit. Il s'agit donc de deux sujets différents.

M. Bernard Lepoitevin - On fait, à chaque fois, la confusion avec l'aliment de démarrage du bétail qui n'a rien à voir avec notre aliment d'allaitement. Je rappelle que sur les cas d'ESB constatés, la vache allaitante représentait un cas parmi les 170 ou 200 cas identifiés.

M. le Président - Le lacto-remplaceur a été mis en cause, à l'époque, à plusieurs reprises par plusieurs personnes. C'est la raison pour laquelle nous avions besoin d'entendre l'avis des fabricants.

M. Lescene - Une confusion est née de l'utilisation du terme lacto-remplaceur pour désigner les matières grasses.

M. Georges Gruillot - Du prion pourrait être apporté, dans les laits de remplacement, par les graisses d'origine bovine. Intellectuellement, ce n'est pas impensable, mais cela n'a jamais été démontré.

M. Lescene - Dans les matières grasses utilisées, le taux d'impuretés est extrêmement faible ; c'est principalement de la matière grasse et pas de la protéine.

M. le Rapporteur - Quand nous avons auditionné M. le Professeur Dormont et Mme Brugere-Picoux, il nous a été clairement indiqué que le prion avait un profil lipidique assez fort. Cette addition de suspicions nous permet d'imaginer que le prion peut se trouver dans les graisses animales incorporées dans l'aliment d'allaitement des veaux.

M. Lescene - Cette question se pose aujourd'hui mais elle ne l'était pas il y a 10 ans.

M. le Président - Le Directeur de la Brigade vétérinaire a longuement mis en cause les lacto-remplaceurs. Je suppose qu'il s'agit des produits contenus dans les aliments de démarrage des veaux.

M. Georges Gruillot - Dans notre esprit il s'agissait des laits reconstitués.

M. le Président - Je vous demande de redéfinir les différents produits qui peuvent être utilisés depuis la naissance du veau jusqu'au moment où il n'est plus considéré comme étant un veau.

M. le Rapporteur - Il existe deux filières : le veau de boucherie reçoit une alimentation lactée et le veau destiné à devenir un herbivore adulte reçoit au départ une alimentation lactée qui est ensuite différente.

Le même lait est donné au veau de boucherie, durant toute sa vie (3 mois ou 3 mois et demi), et au veau destiné à devenir un herbivore, pendant un certain laps de temps.

M. Lescene - Les aliments d'allaitement, ou lacto-remplaceurs, sont une poudre contenant une grande part de produits laitiers, environ 20 % de matières grasses, un peu d'amidon, d'amylacés, de farine de blé et de protéines végétales. C'est la seule nourriture du veau de boucherie jusqu'à son abattage.

Concernant le veau d'élevage, futur ruminant, cet aliment n'est distribué que pour une quantité comprise entre 40 et 50 kilogrammes et il recevra très vite une alimentation diversifiée. En même temps que ce lacto-remplaceur, qui est destiné à remplacer le lait de la mère (lequel lait part vers l'alimentation humaine), il reçoit une alimentation diversifiée qui, dès 8 jours, lui permettra de consommer un peu de foin et quelques granulés de démarrage pour préparer sa panse. C'est un autre type d'aliment car au lieu d'une majorité de produits laitiers on trouve une majorité de céréales, luzerne, produits fibreux, cellulose, son, etc.

M. Bernard Lepoitevin - La confusion provient du fait que presque en même temps le veau consomme de l'aliment pour jeune bovin et des lacto-remplaceurs.

M. Lescene - Le lacto-remplaceur sera consommé jusqu'à environ deux mois, date à laquelle il sera complètement sevré et autonome ; il ne boira plus que de l'eau.

M. Georges Gruillot - Le vétérinaire qui nous a dit cela doit être informé de la différence entre les aliments de premier âge et les laits de remplacement.

M. Paul Blanc - Dans les lacto-remplaceurs on trouve une base de lait.

M. Bernard Lepoitevin - Ce sont des produits laitiers.

M. Paul Blanc - Par analogie avec l'alimentation humaine, il peut exister une confusion. En effet, dans l'alimentation du nourrisson on trouve également des lacto-remplaceurs indemnes de toute trace de lait puisqu'ils sont donnés lors d'eczémas ou d'allergies. En médecine, ces produits à base de soja sont appelés lacto-remplaceurs ; cela peut prêter à confusion alors qu'ils ne contiennent pas de lait.

M. Bernard Lepoitevin - Ce n'est pas notre tendance actuelle car dans notre différenciation nous trouvons beaucoup de grandes entreprises ou distributeurs (tels Carrefour) dont les cahiers des charges précisent que l'alimentation de l'animal doit contenir au moins 70 % de produits laitiers.

M. le Président - Si le produit était appelé « lait en poudre » chacun comprendrait ce que cela signifie.

M. Bernard Lepoitevin - En faisant cela vous heurteriez nos collègues de la consommation humaine qui souhaitent faire la différence entre le lacto-remplaceur destiné à l'animal et le lait de consommation destiné à l'alimentation humaine.

M. Lescene - Les personnes de la DGCCRF pourraient dire qu'il ne s'agit pas de lait.

M. le Rapporteur - En tant que professionnel, vous n'avez jamais vu, dans des documents concernant le suif, la moindre suspicion de présence de prion.

M. Lescene - La question est extrêmement récente et aujourd'hui, officiellement, le suif n'est pas interdit. Cette notion est née durant ces dernières semaines ou ces derniers mois.

M. le Rapporteur - Vous avez préféré anticiper et plutôt utiliser d'autres produits.

M. Bernard Lepoitevin - On trouve beaucoup moins de suif. En effet, ce qui était en cours consistait à mettre en place une filière dite sécurisée collectant séparément les tissus adipeux de la carcasse afin qu'aucune esquille d'os ne soit mélangée à ces tissus adipeux. Cette pratique élimine environ 70 % de la ressource : 30 % de tissus adipeux sont collectés avant la fente de la carcasse et 70 % ensuite. Nous sommes donc naturellement obligés de trouver d'autres sources.

M. le Rapporteur - Compte tenu de la fluctuation du prix de la graisse végétale, n'avez-vous pas imaginé qu'il soit possible de mettre en place une filière spécifique ?

M. Lescene - Il y a deux ans, nous avons fait un essai sur le terrain avec quelques milliers de veaux engraissés uniquement avec des matières grasses végétales qui, à l'époque, coûtaient le double du prix du suif.

Après cette constatation sur le terrain, nous avons mis fin à cet essai grandeur nature de préparation pour un temps où le suif deviendrait peut-être difficile à utiliser.

M. le Président - Pensez-vous que certains de vos concurrents aient pu utiliser autre chose pour la fabrication d'un lacto-remplaceur comme celui-là ? Je ne vous demande pas de noms.

M. Georges Gruillot - Les Hollandais sont de gros faiseurs.

M. Lescene - Il faudrait étudier les possibilités de fourniture du Nord de l'Europe et de l'Allemagne ; on peut penser qu'un certain nombre de produits issus de la graisse d'os ont pu être utilisés.

M. le Président - Si cela s'est pratiqué, cela s'est certainement dit dans la profession.

M. Lescene - Non.

M. Bernard Lepoitevin - La partie formulation de chacun est très secrète.

M. le Président - Il serait peut-être possible de faire des suppositions.

M. Lescene - On peut le penser.

M. le Président - Ces produits sont venus en France.

M. Lescene - Les marchés sont ouverts.

M. Georges Gruillot - Ils viennent encore en France.

M. Bernard Lepoitevin - Concernant le suif, nous avons moins de collectes spécialisées avant la fente de la carcasse. Nous rencontrons également le problème de la conservation des tissus adipeux en abattoir compte tenu qu'ils doivent attendre les résultats des tests ESB avant de pouvoir être livrés. Cela nécessite des capacités de stockage importantes ; il en résulte une oxydation du produit et la nécessité de le raffiner de manière systématique, ce qui en accroît considérablement le coût.

M. le Rapporteur - La sécurisation de l'ensemble de la filière a permis à votre matière première d'origine animale de ne plus guère présenter d'intérêt sur le plan financier.

M. Bernard Lepoitevin - Le plan financier est un point, mais nous jouons aux « apprentis sorciers » avec le gras végétal. Nous n'avons pas de recul suffisant quant à la texture de la viande ou la couleur du gras ; nous avançons contraints et forcés alors qu'il existe un certain nombre de points inconnus.

M. le Rapporteur - Vous avez produit quelques lots d'animaux qui ont été alimentés de la sorte et vous avez dû faire, en aval, des tests de dégustation, à savoir des tests organoleptiques. Quels en sont les résultats ?

M. Lescene - C'est à peu près comparable, mais il faut savoir que les comparaisons sont difficiles à effectuer en raison d'une variabilité individuelle très forte. Il faut prendre en compte de nombreux individus et réaliser des confrontations sur des grands nombres.

Il ne nous semble pas que la différence qualitative soit très marquée entre un veau engraissé avec des matières grasses animales et un autre engraissé avec des matières grasses végétales.

M. le Rapporteur - Compte tenu des normes de bien-être que l'on voit foisonner dans de plus en plus de textes, même des textes communautaires, êtes-vous optimiste sur l'avenir de la filière veau en France et en Europe, notamment si l'on ajoute les problématiques alimentaires ?

M. Lescene - On peut l'être car il est possible de constater que dans la tourmente actuelle autour de la viande en général, la consommation sur le marché français reste relativement ferme à 5 kilogrammes par habitant.

M. le Président - Cet après-midi l'un des fabricants de farines animales indiquait que parmi les orientations des ventes figuraient les fabricants de lacto-remplaceurs.

M. Lescene - S'agit-il d'un fabricant de matières grasses ?

M. le Président - C'est un équarrisseur. Nous nous interrogeons donc et nous devons vous questionner sur ce point. Nous admettons que vous n'en utilisez pas mais cela doit exister ; il faut parvenir à savoir de qui il s'agit.

M. le Rapporteur - Dans la profession, auriez-vous quelques idées à ce sujet ?

M. Lescene - Cela me surprend dans le sens où le veau est un consommateur sensible et exigeant qui n'aime pas les produits trop typés ; il a également besoin d'une régularité et d'une grande qualité de produits.

M. le Président - Cela ne changera rien. Il est possible d'avoir la même qualité de produits en utilisant les mêmes quantités de graisses.

M. Lescene - Il faut savoir que les cahiers des charges sont relativement contraignants.

M. Georges Gruillot - Éliminent-ils les sucs d'équarrissage et est-ce identique pour vos concurrents, notamment les Hollandais ?

M. Lescene - Il est difficile de savoir ce qui se passe en Hollande.

M. Georges Gruillot - Vous dites qu'ils réalisent 60 % de la production en Europe. C'est une réelle interrogation pour nous.

M. le Rapporteur - Le prix de leur produit fini est-il identique au vôtre ?

M. Lescene - Il l'est rarement.

M. le Rapporteur - La variabilité des prix des autres matières premières vous laisse-t-elle supposer que les 20 % de graisses en sont l'origine ?

M. Bernard Lepoitevin - Ils produisent des veaux différents des nôtres : nous avons des carcasses de 125 à 130 kilogrammes pour du veau standard alors que les leurs sont de 150 à 160 kilogrammes. Ils amortissent le prix du veau de 8 jours sur un poids de viande supérieur et leur prix de revient est inférieur au nôtre. Ce sont des industriels du veau avec trois intervenants qui sont industrialisés : la fabrique d'aliments, la ferme d'élevage et l'abattoir.

M. Georges Gruillot - Le même Hollandais peut vendre du lait en France et y intégrer des élevages.

M. Bernard Lepoitevin - Leurs coûts logistiques sont inférieurs aux nôtres. Ils ont la filière totale de la fabrication de l'alimentation, de la production de viande de veau et de la partie abattoir et découpe. Ils disposent d'une chaîne de valeur totale.

Concernant la consommation, je suis relativement mesuré car toutes ces contraintes représentent des charges supplémentaires. Or, la viande de veau représente un univers très élevé par rapport à l'ensemble des autres viandes ; cette viande est la plus chère avec un prix moyen de 70 F à 75 F le kilogramme. Notre concurrent direct est la volaille dont le prix est situé entre 28 F et 30 F le kilogramme. A chaque fois que l'on ajoute des « handicaps » à la fabrication de la viande de veau, cela réduit d'autant la partie attractive de cette viande.

M. le Président - Je me permets de vous dire que nous restons sur notre « faim » et que nous avons besoin « d'aliments ». Nous vous rappelons que différents intervenants de différents domaines ont signalé le problème posé par les lacto-remplaceurs.

Vous indiquez qu'il n'y a jamais eu de possibilité d'utilisation éventuelle de graisses animales. Toutefois, cela doit exister car cela n'a pas été inventé par ces intervenants : parmi eux figurent ceux qui peuvent constater, comme le Directeur de la Brigade vétérinaire, et ceux qui vendent, à savoir les équarrisseurs, et ils tiennent le même discours.

Nous essayerons donc d'orienter nos recherches ailleurs. J'admets, et je vous en félicite, que vous soyez complètement vierge de toute contamination éventuelle. Il existe toutefois un soupçon en raison de ces renseignements provenant d'intervenants différents.

Vous avez juré de dire la vérité et vous l'avez dite, je n'en doute pas. Nous serons donc obligés d'entendre d'autres personnes pour avoir une réponse précise. Il me semble curieux que certains affirment des pratiques alors que ceux qui fabriquent le produit indiquent le contraire.

M. Bernard Lepoitevin - Il est important de définir le terme de lacto-remplaceur.

M. le Président - Nous l'avons redéfini ensemble et nous sommes d'accord.

M. Georges Gruillot - Je partage votre analyse.

M. Bernard Lepoitevin - Il faut savoir que dans la profession des aliments d'allaitement, des opérateurs ne sont pas exclusivement des fabricants d'aliments d'allaitement. Je pense que l'ambiguïté provient de là : des Groupes sont à la fois fabricants d'aliments d'allaitement et fabricants d'aliments du bétail ; ils sont reconnus au titre des aliments d'allaitement alors qu'ils ont également une vocation pour les aliments du bétail. Il n'est pas anormal que les équarrisseurs affirment avoir vendu des graisses animales à ces sociétés.

M. le Président - Ils ont indiqué qu'ils s'agissait de la fabrication des lacto-remplaceurs.

M. Lescene - Il existe un exemple français de l'utilisation de graisse d'os en lacto-remplaceurs. Il s'agit d'un fabricant de produits réengraissés sur base laitière ; c'est une poudre de produits laitiers gras, à base de graisse d'os, destinée à des aliments pour porcelets, majoritairement à l'exportation.

C'est peut-être ce type de produits car cet opérateur doit consommer plus des trois-quarts de la production de graisse d'os française. Il produit également des aliments d'allaitement. L'ambiguïté vient peut-être de ce point.

M. le Président - Nous vous remercions pour vos renseignements.

Audition de M. Jean-Luc DUVAL,
Président du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA)

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Duval, je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation.

Je vous rappelle que vous êtes auditionné par notre commission d'enquête en tant que président du Centre national des jeunes agriculteurs, le CNJA.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Duval.

M. le Président - Monsieur Duval, la commission d'enquête souhaiterait d'abord savoir ce que vous connaissez de cette affaire et quelle en est votre analyse.

M. Jean-Luc Duval - Permettez-moi au préalable de me présenter. Je suis moi-même agriculteur et éleveur ; j'ai une exploitation de vaches laitières et de jeunes bovins ; je me suis installé dans l'Orne en 1988. Je suis depuis peu, depuis le mois de juin précisément, président du CNJA.

Je vous livrerai donc moins les réflexions d'un dirigeant ou même d'un militant syndical que l'expérience d'un éleveur.

Pour parler des farines animales, cette question cruciale qui se pose dans tout le monde agricole, il nous faut remonter jusqu'aux années 1990.

D'après ce que j'ai pu voir et entendre, la responsabilité propre des agriculteurs ne me semble pas du tout avérée, bien au contraire, et nous avons subi cette crise plus que nous n'en avons été des acteurs.

Pour dire le moins, nous sommes très attentifs au sort qui sera réservé aux actions en justice qui ont été diligentées en différentes régions et nous souhaitons aller jusqu'au bout de ce dossier pour mieux comprendre les mécanismes et désigner des responsables, si tant est qu'il y en ait. Nous sommes, de même, très intéressés par les travaux de votre commission d'enquête.

Il faut dire que le monde agricole vit très mal la suspicion qui pèse sur sa profession, je peux en témoigner en tant qu'éleveur. Je ne dis pas que nous sommes blancs comme neige et vierges de tout, mais de là à jouer avec la santé du consommateur, vraiment, ce n'est pas notre fonction première, laquelle consiste, au contraire, à fournir à la population l'alimentation la plus saine possible.

Après expertise, après analyse du dossier de l'ESB, le monde agricole s'est posé des questions dans les années 1988-1990. La presse spécialisée se faisait alors l'écho de l'existence de problèmes au Royaume-Uni et de décisions prises. Nous avons interrogé les responsables syndicaux de mon département ainsi que l'administration, notamment pour en savoir un peu plus sur ce qui se passait outre-Manche, car si le cheptel bovin était touché, nous pouvions nous poser des questions.

A posteriori, après toute la polémique qui s'est développée, nous constatons que nos amis britanniques avaient découvert cette maladie quelques années auparavant et avaient pris en conséquence des décisions concernant leur territoire, et uniquement leur territoire, sans alerter suffisamment leurs partenaires. A cet égard, la prise de conscience européenne n'a pas été à la hauteur et les précautions prises par le Royaume-Uni n'ont pas été étendues au reste de l'Europe.

Européen convaincu, et pour m'être entretenu avec des spécialistes du prion comme Mme Brugère-Picoux, que vous avez dû auditionner, je ne peux qu'être étonné de constater que les exportations anglaises d'abats en direction de la France ont été multipliées par vingt d'une année sur l'autre, passant de 400 tonnes à 8 000 tonnes ! Autrement dit, on refuse chez soi de consommer des produits pour mieux les exporter dans un pays voisin, qui plus est ami : c'est tout de même dangereux !

Puis ce fut la polémique sur les fameuses farines animales. Au risque de passer pour un rétrograde, je n'ai pas l'impression que nous ayons joué aux apprentis sorciers. J'ai même retrouvé, dans certains traités d'agriculture de mon père, que l'on avait déjà, à l'époque, la préoccupation du recyclage des déchets ; l'utilisation des farines animales en faisait partie. Simplement, nous sommes allés trop loin dans cette voie en utilisant les cadavres. Compte tenu de notre métier d'agriculteur et de la société qui est la nôtre, il était donc normal qu'à un moment donné le problème du recyclage de tous les déchets se pose.

Ce n'est pas aux élus que vous êtes que je l'apprendrai, on ne peut pas se contenter d'entasser les déchets dans un coin et se sentir tranquille avec cette solution : tôt ou tard des problèmes surgissent ; je pense notamment aux boues des stations d'épuration.

Les farines animales ont donc été utilisées pour l'alimentation animale. Cependant, il faut relativiser l'ampleur du phénomène - les pourcentages n'ont jamais été aussi extraordinaires qu'on a pu le dire - et le replacer dans son contexte. D'un point de vue technique et peut-être même, au-delà, politique, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre pays et ses voisins européens avaient en quelque sorte décidé, mais de manière moins explicite que cela, de se partager les productions avec les États-Unis : à ces derniers revenaient les productions de protéines azotées, aux Européens, la production d'énergie. La France étant fortement déficitaire en protéines azotées, les farines animales lui ont permis de diminuer un peu ce déficit. On a pu constater une légère accélération de l'utilisation de ces farines au moment de la crise pétrolière de 1973.

Depuis que je suis militant syndical, je vois que les organisations agricoles réclament les moyens nécessaires pour que nous soyons sinon indépendants, du moins, pour ce qui est de la production des protéines azotées, le moins déficitaires possible.

Or, j'imagine que, compte tenu de toutes les conséquences de la crise de l'ESB, un certain nombre de décisions pourraient être prises en faveur de la culture, chez nous, de protéines azotées. Il ne s'agirait pas forcément d'ailleurs d'une monoculture de type soja, car nous pouvons opposer techniquement d'autres solutions à celle-ci, notamment avec la féverole, le pois fourrager ou le lupin.

D'un point de vue tant agronomique que technique, les agriculteurs sont prêts. Les décisions politiques restent à prendre à l'échelon européen, mais il est vrai que l'on ne ressent pas une grande motivation sur le sujet.

Les farines animales ont été interdites le 24 juillet 1990 pour les ruminants, et sans que nous nous y opposions, bien au contraire : s'il y avait un problème, il fallait prendre une décision, tout en sachant que, auparavant, du fait d'un certain flottement, ces farines dorénavant interdites avaient peut-être été utilisées pour l'alimentation des ruminants. Dont acte !

J'ai personnellement vécu, dans les années 1990, c'est-à-dire après l'interdiction des farines animales, les interrogations que ne manquaient pas de susciter chez les agriculteurs les écarts de prix enregistrés entre les farines destinées à l'alimentation des bovins. Et l'on avait bien du mal à nous expliquer de telles différences de prix. En tant qu'ancien président des jeunes agriculteurs de mon département entre 1992 et 1994, et pour avoir siégé au bureau auparavant, j'ai de bons rapports avec les responsables des organismes coopératifs ou privés qui fournissent l'alimentation animale dans ma région. Nous nous sommes rendu compte que, sur certaines parties du territoire, des éleveurs, des agriculteurs se fournissaient en alimentation pour ruminants à des prix inférieurs de quinze à vingt centimes par kilogramme. Syndicaliste agricole, j'ai bien sûr posé la question : si certains peuvent se procurer de l'alimentation moins chère, pourquoi pas moi ? C'est un raisonnement économique simple : pour une exploitation de vaches laitières et de jeunes bovins, il faut 30 à 35 tonnes d'aliments ; avec un différentiel de 20 centimes par kilogramme, vous voyez que cela donne des sommes importantes qui grèvent ou non le revenu de l'agriculteur.

Je n'ai jamais obtenu de réponse satisfaisante et plausible à l'époque. A posteriori, l'analyse que je peux en faire, et elle n'engage que moi même si elle est partagée par d'autres au CNJA, c'est qu'il y a sûrement eu des fraudes, à un niveau ou un autre, dans la production de l'alimentation animale, singulièrement des farines animales. C'est peut-être une supposition gratuite, mais nous nous sommes constitués partie civile pratiquement dans les trente-sept actions en justice diligentées et j'attends beaucoup des décisions judiciaires à venir.

Aujourd'hui, c'est l'explosion avec, en France, la crise de l'ESB et un nombre de cas que l'on a qualifié d'importants, mais qu'il convient de relativiser : avec nos 270 ou 280 cas, contre 180 000 au Royaume-Uni, nous ne sommes pas dans la même situation. Cela n'est cependant pas une raison pour ne plus nous préoccuper de la question.

Nous avons pris un certain nombre de décisions s'agissant du retrait des matériaux à risque, jusque et y compris les farines animales, retrait dont nous avions adopté le principe lors de notre dernier congrès, à Deauville, tout en estimant qu'il était peut-être risqué de rendre cette fois végétariens les cochons et les poulets, qui sont omnivores. Mais, au nom de la protection du consommateur, il fallait aller jusqu'au bout sur un dossier aussi important.

Telle est mon expérience, sans doute retracée de manière un peu décousue, d'agriculteur et de responsable syndical.

M. le Président - Votre intervention était parfaitement structurée et nous vous avons fort bien compris.

M. Jean Bizet, Rapporteur - J'aimerais savoir si, pour vous, les pouvoirs publics ont tardé à prendre des décisions et des réglementations dans la gestion de cette crise de l'ESB et de ses conséquences.

M. Jean-Luc Duval - J'ai vraiment le sentiment qu'il y a eu une période de flottement européen sur le sujet. Certains faits sont avérés aujourd'hui. Enfin, il faut être lucide de temps en temps. Moi, j'ai fait certains rapprochements. Je constate ainsi que le problème est né au Royaume-Uni, là où la viande bovine est d'une importance particulière, comme en Irlande, d'ailleurs. Je constate encore que le commissaire européen chargé de l'agriculture était, à l'époque, M. Ray Mac Sharry, un Irlandais qui a fini sa carrière précisément dans le secteur de la viande bovine. D'où certaines interrogations...

J'ai l'impression, d'une part, que nos amis anglais ont tenté de gérer le problème chez eux, mais sans alerter de façon suffisamment pressante les autorités européennes, d'autre part, que le commissaire chargé de l'agriculture de l'époque n'a peut-être pas pris toutes les précautions qu'il devait.

Quant à l'empressement de la France sur le sujet, il est toujours très facile a posteriori, quinze ans plus tard, de juger, fort des nouvelles connaissances acquises depuis, qu'il aurait fallu prendre telle ou telle décision. Pour revenir à l'exemple que j'ai cité tout à l'heure, nous envoyer par cargos entiers des abats qui étaient interdits à la consommation en Angleterre, cela me paraît un peu problématique, surtout quand on veut construire une Communauté.

M. le Rapporteur - Avez-vous, vous-même ou vos prédécesseurs, alerté les pouvoirs publics et les différents ministères concernés ? Y aurait-il eu des échanges de courriers que vous pourriez retrouver dans les archives du CNJA ?

M. Jean-Luc Duval - Tout à fait !

Nous changeons de président tous les deux ans, vous voyez le nombre de présidents que cela donne si l'on remonte si loin dans le temps. Il faudrait faire des recherches dans les archives pour vérifier si nous avons alerté de manière effective les pouvoirs publics.

M. le Président - Je pourrais vous le demander.

M. Jean-Luc Duval - Je peux m'engager à faire cette recherche dans ce que nous pouvons avoir comme archives au CNJA et produire devant vous, le cas échéant, des courriers et autres documents.

M. le Président - Par exemple.

M. Jean-Luc Duval - Je pourrais interroger mes prédécesseurs pour savoir s'ils ont souvenir d'avoir formulé des interrogations. Oui, je peux le faire.

M. le Président - Alors, je vous le demande officiellement. (Sourires.)

M. le Rapporteur - A la faveur de la crise de l'ESB, quelle analyse faites-vous d'une part de la réorientation de l'élevage bovin français et de l'agriculture au sein de la politique agricole commune et, d'autre part, de cette politique ?

M. Jean-Luc Duval - D'après mon expérience et celle de mes aînés, je peux dire que nous avons vécu, entre le début et la fin du XXe siècle, une évolution bien plus rapide que celle qui avait été constatée entre le Moyen Age et la fin du XIXe siècle. Rien n'avait changé, alors, et le soc de la charrue était simplement non plus en pierre mais en bois et la traction animale prévalait toujours. Au contraire, depuis le début du siècle dernier, nous vivons une immense révolution et nous sommes toujours en évolution. Alors, à ceux qui pensent que nous sommes des attardés qui ne prennent pas en compte ces évolutions, je dis, moi, au contraire, que nous ne faisons qu'évoluer.

J'ai du mal à accepter que l'on jette le bébé avec l'eau du bain. Ne nous a-t-on pas demandé, peut-être pas explicitement, mais tout de même, d'assumer des situations de crise, notamment après la guerre, quand la France n'était pas autosuffisante du point de vue alimentaire ? Il semble que l'on a un peu oublié ce que nous avons réussi à faire.

Je reviens du Japon, car j'ai la chance, du fait de mes responsabilités syndicales, de pouvoir aller à droite et à gauche. Il faut savoir que le Japon n'est autosuffisant que pour 40 % et importe 60 % de ses besoins alimentaires, ce qui veut dire que le Japon sait encore ce que signifie le mot « pénurie ». Voilà pourquoi il cherche à développer son agriculture. Nous, en France, nous avons oublié que, à un moment donné de notre histoire, le problème était de donner à manger à tout le monde. Il est bon de le rappeler régulièrement.

Quant à ce que l'on pourrait appeler les « nouvelles attentes de la société », je constate l'écart qu'il y a entre les pratiques culturales d'aujourd'hui et ce que j'ai appris à l'école dans les années 1980, ne serait-ce qu'en termes de techniques agricoles.

Aujourd'hui, les préceptes de l'époque nous semblent erronés, mais c'est qu'ils ont été modifiés au fil du temps. Peut-être que, par rapport à des sujets aussi cruciaux que l'environnement, l'action des agriculteurs n'a pas forcément été exemplaire, mais songez qu'il fallait faire avec les connaissances de l'époque.

Je prends régulièrement l'exemple de ce professeur de phytotechnique qui, dans les années 1980, nous recommandait, pour détruire le chiendent dans le maïs, d'utiliser de l'Atrazine à raison de 8 à 10 kilogrammes. Eh bien, aujourd'hui, le dosage réglementaire est de 1,5 kilogramme, parce que l'on s'est rendu compte qu'avec l'effet de lessivage on retrouvait du produit dans la nappe phréatique. Et c'était pourtant une préconisation technique d'un professeur.

Cela étant, tous les efforts qui sont faits aujourd'hui n'auront pas de répercussions immédiates sur l'environnement. C'est la période critique que nous traversons. Pour les rencontrer régulièrement, je vois que les jeunes sont très sensibilisés et ont envie de bien faire leur métier et d'être exemplaires, mais tout ce qui se fait à l'heure actuelle n'aura de répercussions sur l'environnement que dans quelques années. Il faut compter avec le temps de réponse de la nature : il ne suffit pas, comme dans un véhicule, de donner un coup d'accélérateur !

Je ne suis pas contre une certaine réforme. En revanche, je suis très inquiet, à la suite de ce qui s'est passé avant hier soir, de constater que l'on est en train de renationaliser la politique agricole commune. Pour la France, c'est dommage et cela m'inquiète beaucoup. Certains pensent que nous sommes en surproduction structurelle. Mais je rappelle qu'au mois de septembre dernier, et les cours l'ont montré, notamment pour la viande bovine, nous avons peut-être connu une sous-production. Je suis vendeur de vaches de réforme et de jeunes bovins et je peux vous dire que lorsque l'on posait la question, on nous répondait qu'il ne fallait pas se plaindre. Quand on connaît les paysans, on sait qu'une telle réponse veut dire que la situation n'était pas trop mauvaise.

Donc, au départ, nous n'étions pas du tout en complète surproduction. Maintenant, de cette situation conjoncturelle, va peut-être naître une situation cette fois structurelle si les consommateurs changent durablement leurs habitudes alimentaires.

Voilà pourquoi nous nous posons des questions quand on en appelle à la diminution importante de la production agricole.

Cela concerne le devenir des producteurs, et notre structure se bat pour l'installation des paysans ; cela concerne également l'industrie agroalimentaire, qui est source de renom national et international pour la France. J'ai le sentiment de ne pas apporter beaucoup de réponses.

Certes, il faut évoluer, mais j'ai du mal à croire en un virage à 180° pour ce qui concerne la production agricole. Notre réflexion vise à inscrire la politique agricole commune et ses réorientations dans le temps ; il en sera question lors du congrès du mois de juin.

En effet, comment imaginer que les jeunes s'investissent dans une démarche systématiquement fondée sur des aides de prix et des compensations économiques que certains nomment « primes », d'autres « subventions » ? Il est d'ores et déjà difficile d'expliquer cela au grand public et aux médias, mais qu'en sera-t-il dans dix ans ou dans quinze ans quand il faudra expliquer que le prix est un prix mondial assorti de compensations pour permettre aux producteurs de s'en sortir ?

Nous appelons de nos voeux une politique des prix. Mais si nous relançons une telle démarche au plan national et européen, il faut à mon sens associer l'OMC à la réflexion. Il faut savoir utiliser les mots qui fâchent la profession, à d'autres endroits, et parler de temps en temps de baisse de production.

Je connais bien le secteur laitier. Même si nous avons beaucoup diminué le nombre des producteurs de lait, il y en a encore 130 000 en France. C'est le secteur qui connaît le plus grand nombre d'installations. J'ai régulièrement des contacts avec mes collègues européens, notamment les jeunes, qui s'étonnent que nous puissions maintenir une filière laitière dynamique en France avec de jeunes agriculteurs. Anglais et Allemands s'interrogent en effet sur la pérennité de leur filière, qui compte de nombreux producteurs âgés de plus de 40 ans et qui ont peut-être moins envie d'accélérer la dynamique.

Par ailleurs, pourquoi vouloir opposer l'agriculture biologique à l'autre système d'agriculture ? Je suis normand, je ne suis donc pas un homme d'opposition, et je préfère poser le problème en ces termes : comment faire évoluer l'ensemble de l'agriculture ? Le CNJA mène une réflexion approfondie sur l'agriculture raisonnée. Ce type d'agriculture ne modifiera pas de manière très importante les pratiques des agriculteurs, même si des efforts sont à faire, mais cela permettra peut-être d'expliquer au public la production agricole. Je me trouvais au salon de l'agriculture la semaine dernière et j'ai remarqué que la discussion avec les visiteurs permettait de lever un certain nombre d'incompréhensions.

M. le Rapporteur - Précisément, le concept de l'agriculture raisonnée est-il partagé par vos homologues européens, jeunes agriculteurs ?

M. Jean-Luc Duval - Par les jeunes agriculteurs, oui.

Si vous demandez à des gens qui ont été incités à prendre une direction de révolutionner leur démarche, la réponse ne sera pas rapide. En revanche, la pression est très forte sur les jeunes agriculteurs, leur métier, la façon de produire. Il suffit de participer à un repas où il n'y a pas que des agriculteurs, à des réunions diverses, pour s'en rendre compte. Pour vivre heureux vivons cachés, telle n'est pas la devise du CNJA. Nous préférons être fiers de notre métier et aller au contact du public. Les jeunes sont prêts à relever le défi, encore faut-il leur en donner les moyens.

De ce point de vue, nous allons devoir batailler avec les pouvoirs publics, mais également avec nos partenaires de la filière que sont les transformateurs, la grande distribution et les consommateurs. Nous menons une opération - Terre Attitude - qui réunit les acteurs de la filière agricole, de la filière agroalimentaire et de la grande distribution. La semaine dernière, nous sommes parvenus à rédiger un communiqué de presse commun avec l'UFC-Que choisir - ce qui n'est tout de même pas simple - sur le concept de l'agriculture raisonnée. Si cela vous intéresse, je peux vous le faire parvenir.

M. le Rapporteur - Ne pensez-vous pas que l'avenir de la filière de la viande bovine passe par une diminution du nombre des intermédiaires entre l'éleveur et le consommateur ? En effet, les éleveurs, comme les consommateurs urbains qui s'approvisionnent maintenant majoritairement dans les boucheries de quartier, sont révoltés de constater que la baisse du prix de la viande, de sept à dix francs au kilo, n'est pas répercutée en fin de chaîne.

M. Jean-Luc Duval - Nous cherchons à savoir comment cela se passe.

M. le Rapporteur - Nous auditionnerons M. Bedier. Pour autant, menez-vous une réflexion sur le raccourcissement de la filière ? Comment cela vous semble-t-il possible ?

M. Jean-Luc Duval - Compte tenu de la masse de viande bovine qui est produite, il ne me semble pas possible de ne faire que de l'élevage en circuit court. Cependant, un certain nombre de mes collègues imaginent la vente de la viande par Internet. Cela peut être une solution personnelle, mais j'ai du mal à croire que la population agricole y recoure majoritairement.

En revanche - et là nous faisons un peu tache au sein de la profession, mais c'est aussi notre rôle - nous devrions saisir l'occasion de cette crise pour mettre au clair la filière agricole et la filière de la viande bovine. Si nous parvenions au même degré d'organisation que dans la filière laitière, ce serait une révolution ! Cela suppose que les producteurs prennent des responsabilités qu'ils ne sont pas prêts à assumer.

Le lait doit être détruit rapidement alors qu'on peut attendre deux à trois semaines avant de vendre une vache et en négocier le prix. C'est cela que nous aimerions voir changer dans le monde des producteurs. Je souhaite vraiment que nous puissions nous réunir autour d'une table pour clarifier la situation et, en disant cela, je ne me fais pas que des amis.

Récemment, un certain nombre d'actions syndicales ont été menées par nos adhérents exaspérés par les intervenants de la filière. Or, j'ai rencontré hier un restaurateur qui dit travailler dix-sept tonnes de viande par jour et qui jure ses grands dieux qu'il n'arrive pas à s'approvisionner sur notre marché. Dans un pays qui compte vingt millions de bovins, aller chercher hors des frontières de la viande bovine me laisse perplexe. Je vais pouvoir interroger des transformateurs sur le sujet.

M. Paul Blanc - Une question pratique. Combien de temps se garde un sac d'aliment pour le bétail ?

M. Jean-Luc Duval - Personnellement, je n'achète pas d'aliment en sac, mais en vrac. Pour mes jeunes bovins, je remplis un silo de quatre tonnes d'aliment environ tous les deux mois. En ce qui concerne les vaches laitières, pour l'alimentation concentrée - protéines énergétiques - j'utilise mes céréales d'une campagne sur l'autre ; pour les produits azotés, j'utilise un aliment d'hiver et un aliment d'été.

M. Paul Blanc - C'est une rotation très rapide ; il est donc peu probable que des sacs d'aliment aient été stockés et utilisés beaucoup plus tard.

M. Jean-Luc Duval - Je ne le crois pas. Le paysan est d'un naturel assez intéressé et, le stock, c'est de l'argent qui dort.

M. Paul Blanc - S'agissant de la traçabilité des aliments pour le bétail, vous semblez soupçonner un trafic de farines animales. Pouvez-vous citer des faits précis ?

M. Jean-Luc Duval - Non, je m'interrogeais. Quand on met des données bout à bout, on peut tirer des conclusions. Nous n'avions pas connaissance, entre 1990 et 1996, du fait que certains producteurs d'aliments utilisaient des farines animales. Les chiffres sont là : on a augmenté très fortement notre achat de farines animales en Belgique, par exemple, alors que ce pays n'a pas doublé sa capacité de production.

M. Paul Blanc - Qui est « on » ?

M. Jean-Luc Duval - Certains intervenants.

M. Paul Blanc - Est-ce que ce sont des éleveurs qui fabriquent leur aliment à la ferme ou bien des intermédiaires ?

M. Jean-Luc Duval - Ceux qui fabriquent les aliments à la ferme travaillent des matières premières telles que des tourteaux de colza, de soja ou des mélanges de céréales produites sur l'exploitation. Je ne connais pas de gens qui achetaient directement des camions de farines animales. Avant l'interdiction, nous savions qu'il y avait des farines animales dans l'aliment du bétail, nous l'apprenions même à l'école : les tables de calcul des rations faisaient état des valeurs énergétiques des farines animales. Cela n'était pas caché sous le manteau.

M. Paul Blanc - C'était légal.

Et pour ce qui concerne les fabricants ?

M. Jean-Luc Duval - J'ai un doute.

M. le Président - Vous évoquiez tout à l'heure les importations de Belgique. Avez-vous des témoignages, des écrits, car nous ne disposons pas forcément des mêmes chiffres que les vôtres ?

M. Jean-Luc Duval - C'est un recoupement de ce qu'on a pu voir ici ou là, de chiffres qui ont été publiés notamment dans la presse et de ce qu'on a pu entendre. Certains vous donneront peut-être des documents relatifs aux saisies de douane ; il y a matière à s'interroger. Je n'ai pas de documents à produire sur le sujet, je fais plutôt état d'une ambiance. Mais il est un fait que des aliments pour bovins de valeur alimentaire de même nature étaient proposés avec un différentiel de prix. Comment ne pas s'interroger ?

M. Paul Blanc - Cela n'a jamais été expliqué ?

M. Jean-Luc Duval - Non, et j'attends beaucoup des actions en justice et des travaux qui seront menés car j'ai besoin de savoir.

M. le Rapporteur - Y aurait-il dans les archives du CNJA une liste des entreprises qui proposaient aux agriculteurs des aliments à des prix inférieurs de quinze à vingt centimes ?

M. Jean-Luc Duval - Non.

M. Paul Blanc - Avez-vous l'impression - ou la certitude- que les coopératives qui fabriquaient des aliments étaient plus attentives qu'on ne pouvait l'être dans le secteur marchand privé ?

M. Jean-Luc Duval - Bonne question. Il y avait certainement plus de pression de la part des agriculteurs sur les coopératives pour un sujet aussi important que celui-là.

M. Paul Blanc - Cela les aurait incitées à être plus regardantes ?

M. Jean-Luc Duval - Oui. Certains responsables de coopératives sont également des paysans, ce sont nos copains, nos voisins, les choses vont plus vite, on en parle un peu plus...

M. Paul Blanc - Autrement dit, à partir du moment où vous vous posiez des questions sur ce qui se passait en Angleterre, les agriculteurs auraient pu mettre en garde les coopératives...

M. Jean-Luc Duval - Oui. Certains responsables de coopérative nous disent a posteriori n'avoir jamais décidé de tomber dans ce panneau-là.

M. Jean Bernard - La concurrence aidant, il fallait que tout le monde s'aligne sur les prix.

M. Jean-Luc Duval - C'est clair. Étant coopérateur, je demandais à mon fournisseur pourquoi je payais vingt centimes de plus que les autres.

M. le Président - Mes chers collègues, avant de conclure, je souhaiterais poser une dernière question.

S'agissant de l'avenir de la profession d'agriculteur, auriez-vous rédigé quelque document que vous pourriez nous communiquer ?

M. Jean-Luc Duval - Tout à fait. Sachez que les jeunes sont soucieux de leur avenir.

M. le Président - Nous attendons donc les différents documents que nous vous avons demandés et nous vous remercions de votre témoignage.

Audition de M. Michel PAILLIER,
Directeur général de la société Bonilait Protéines

(28 février 2001)

(Huis clos demandé)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Michel Paillier, nous vous remercions d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné en qualité de directeur général de la société Bonilait Protéines dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. Je vous rappelle les conditions dans lesquelles se déroule une commission d'enquête parlementaire.

Vous avez demandé à être auditionné à huis clos ; nous procédons donc de cette manière. Bien entendu, votre audition fait l'objet d'un compte rendu sténographique qui sera publié en annexe du rapport écrit, sauf opposition de votre part.

M. Michel Paillier - Monsieur le président, messieurs les sénateurs, je suis ici pour répondre à vos questions. J'ai souhaité être entendu à huis clos car mon entreprise ne me semble pas concernée par le débat sur les farines animales. La médiatisation des problèmes a déjà fait beaucoup de mal et alors que nous connaissons une crise très importante au niveau européen et mondial, moins on met en cause des entreprises qui ne sont pas concernées, mieux elles se portent.

Puisque vous me le proposez, je préfère que le compte rendu de mon audition ne figure pas en annexe du rapport ; mais je vous en laisse juges.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Pallier.

Audition de M. Martin HIRSCH,
Directeur général de l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA)

(28 février 2001)

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Directeur, merci d'avoir bien voulu répondre à la convocation de cette commission d'enquête.

Je me permettrai d'être brièvement à la fois président par intérim et rapporteur, Gérard Dériot ayant dû s'absenter. Il devrait toutefois nous rejoindre dans quelques instants.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Hirsch.

M. Martin Hirsch - L'AFSSA est un établissement public administratif, placé sous la tutelle des ministres de la santé, de l'agriculture et de la consommation, dont les missions ont été fixées par la loi du 1er juillet 1998.

La première mission de l'Agence porte sur l'évaluation des risques de la chaîne alimentaire, depuis l'alimentation animale jusqu'au stade de la consommation finale -produits animaux et végétaux- mais aussi sur l'ensemble des différentes étapes, qu'il s'agisse des process, de la qualité des matières premières ou des différents risques qui peuvent être évalués -nutritionnels, toxicologiques, microbiologiques.

Cette mission d'évaluation comporte aussi une mission spécifique concernant les médicaments vétérinaires, puisque l'Agence accueille en son sein l'Agence nationale des produits vétérinaires, chargée de l'évaluation et du suivi des médicaments vétérinaires.

La seconde mission de l'AFSSA est une mission d'appui scientifique et technique qui s'exerce à travers treize laboratoires, qui ont été intégrés dans l'Agence au moment de sa création. On y retrouve les deux-tiers des effectifs de l'Agence, soit 800 personnes.

Ces laboratoires font de l'appui scientifique et technique en santé animale, en hygiène des aliments et dans le domaine des eaux. Ce sont des activités de référence. Pour prendre l'exemple le plus actuel, le laboratoire de référence sur la fièvre aphteuse se trouve au sein de l'Agence et est actuellement sollicité pour vérifier la situation française en la matière.

Nous avons également des laboratoires de référence en matière d'ESB, ainsi que dans d'autres domaines très variés.

On exerce cet appui scientifique et technique le plus souvent à la demande des ministères, en participant à l'organisation de plans de surveillance, de diagnostics de confirmation, etc.

La troisième mission de l'Agence est une mission de recherche en santé animale compte tenu de l'origine des laboratoires qui ont été intégrés dans l'Agence. Petit à petit, ces recherches sont diversifiées en fonction des priorités scientifiques que l'on met en place.

Une réflexion a été lancée depuis la création de l'Agence pour parvenir à une émergence de projets, afin que ceux-ci soient rattachés aux priorités sanitaires et qu'ils puissent être examinés avec le concours des différentes autorités, sous l'égide du Conseil scientifique, pour définir des axes de recherche à moyen et long terme.

On a plusieurs gros projets qui ont déjà été lancés, qui sont en cours de finalisation, impliquant plusieurs laboratoires de l'Agence, mais aussi des laboratoires français ou étrangers d'autres secteurs.

Voilà donc les caractéristiques de cette Agence.

M. le Rapporteur - Sur quels programmes ?

M. Martin Hirsch - On a approuvé, il y a deux ou trois mois, après passage devant le Conseil scientifique, une vingtaine de projets de recherches, concernant par exemple la listéria dans les différents produits, ce qui permet de travailler sur les produits de la mer, les produits laitiers, la charcuterie...

M. le Rapporteur - Sur ce point précis, iriez-vous jusqu'à contredire la norme officielle de l'OMS, ou êtes-vous d'accord avec celle-ci ?

M. Martin Hirsch - Sur les sujets d'évaluation, nous avons deux types de travaux. On a produit un rapport général de 150 pages, après saisine des ministères sur la listéria, sur toutes les données scientifiques dont on disposait et sur un certain nombre de recommandations qui portaient sur le réexamen de l'état clinique de consommation d'un certain nombre de produits, afin de reprendre la classification des aliments, pour être sûr que des produits ne soient pas classés en fonction de critères anciens ou arbitraires, mais scientifiques, en fonction du PH et de différentes caractéristiques physico-chimiques.

D'autres recommandations ont porté sur l'alimentation animale puisque, si certains animaux sont porteurs de la listéria, cela peut avoir des conséquences sur le produit final.

Cette palette a donné lieu à des recommandations, y compris sur la révision de la norme qui concernait certains produits de charcuterie. Celles-ci n'étaient pas en contradiction avec la norme de l'OMS mais, en France, il existait un certain flou dans les tolérances par rapport à ce qui avait été défini en matière de produits à base de lait cru, et nous avons donc recommandé que des critères s'appliquent.

Parmi les autres sujets, on trouvera des sujets de pure santé animale. On travaille par exemple beaucoup sur les virus qui peuvent atteindre les élevages porcins, comme la maladie du porcelet, qui est en régression, ou, en recherche fondamentale, sur la compréhension des virus ainsi que sur l'amélioration des vaccins. On trouve toute une variété de sujets, y compris ceux concernant la nutrition et l'amélioration de nos capacités de travail en matière d'alimentation animale.

M. le Rapporteur - Estimez-vous que la France a répété les erreurs de 1996 en laissant au seul ministre de l'agriculture la gestion d'une crise de santé publique et d'une crise de confiance des consommateurs ? De quelle manière, à votre avis, devrait être géré l'aspect politique de la question ?

C'est une question peut-être délicate, mais c'est au coauteur de "L'affolante histoire de la vache folle" que je m'adresse.

M. Martin Hirsch - C'est la même personne !

Depuis ce livre -dont la préface a été rédigée par le précédent ministre de la santé, qui indiquait qu'il serait peut-être judicieux de créer une agence de sécurité européenne- plusieurs changements institutionnels importants sont intervenus en France et ont conduit à la création d'une Agence qui, comme je le rappelais, a comme caractéristique de dépendre de trois ministères.

Beaucoup des acteurs qui participent à ces travaux -ministères, scientifiques, responsables administratifs, consommateurs- ont conscience de ce que cela apporte.

En effet, les différents ministères sont au courant des projets de réglementation, l'Agence étant saisie soit par les trois ministères, soit par l'un d'eux, avec information immédiate des autres, ce qui permet un travail en amont.

En second lieu, note mission et notre mode de fonctionnement obligent à ce que, à tous les stades de l'instruction des saisines et des avis, des échanges aient lieu avec les administrations, soit parce qu'on a besoin de recueillir des données auprès d'elles, soit parce que l'on a besoin de leur transmettre des informations, des avis ou des recommandations. On peut également agir par l'intermédiaire de groupes de travail, etc.

Je crois donc que le changement est extraordinaire par rapport aux habitudes de cloisonnement administratif françaises. Beaucoup de réunions ont permis de mettre à plat des approches différentes en matière d'épidémiologie, de produits de santé, ou dans le secteur alimentaire.

On en a de multiples illustrations. C'est ainsi que l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et l'AFSSA ont, cette semaine, conjointement saisi le comité interministériel sur l'ESB pour évaluer les derniers procédés de sécurisation des gélatines. Il y a là, je crois, un décloisonnement complet qui profite à la santé publique.

M. le Rapporteur - J'en viens directement aux cas d'ESB découverts au cours de l'année 2000, qui concernent des bovins nés entre 1993 et 1995, bien après l'interdiction des farines.

Quelle est, pour vous, l'hypothèse la plus probable : contaminations croisées, trafics illicites de farines ou utilisations de graisse dans les compléments alimentaires ? Quelle est la piste que vous privilégiez avec le recul qui est le vôtre ?

M. Martin Hirsch - Une précaution oratoire préalable : je ne suis pas expert. Je suis chargé d'organiser l'expertise et d'endosser la responsabilité des avis qui engagent l'Agence, mais vous rencontrerez d'autres interlocuteurs plus compétents pour savoir comment le prion se comporte selon les milieux, les espèces, etc. Ils pourront vous faire un point précis en leur qualité de scientifiques.

Nous travaillons maintenant depuis près de quatre mois sur un certain nombre de questions qui nous ont été adressées par les trois ministères sur la sécurité des farines animales employées pour nourrir les espèces pour lesquelles elles ont été autorisées, après leur interdiction chez les ruminants.

En premier lieu, nous avons proposé, lorsque nous avons été saisis, de regarder si des faits scientifiques nouveaux permettant de penser que des espèces réputées non sensibles à l'ESB -porcs, veaux, lapins, chevaux- pouvaient être contaminées.

Le second bloc de questions portait sur le fait de savoir si, en examinant les données issues des contrôles qu'on nous demandait explicitement de pratiquer, l'on pouvait dire que les sécurisations n'étaient pas complètes pour ces produits. En d'autres termes, il s'agissait de savoir si des contaminations croisées étaient toujours possibles, au moment où les farines restaient autorisées pour certaines espèces.

La troisième question concernait les risques potentiels relatifs aux farines de viande et d'os et les autres dérivés d'animaux qui n'auraient pas été interdits pour les ruminants. On s'est intéressé aux lacto-remplaceurs, aux phosphatines bicalciques, dont on avait considéré jusqu'alors qu'il n'y avait pas de problème à les autoriser chez toutes les espèces.

La quatrième question portait sur les risques induits par une suspension et une interdiction des farines par rapport à des espèces comme les poissons, et soulevait le problème des garde-fous à mettre en oeuvre pour éviter de créer d'autres risques. C'est un sujet particulièrement important concernant le stockage et le traitement des farines elles-mêmes, mais également de leurs effluents.

La cinquième question concernait l'évaluation des produits de substitution qui seraient donnés aux animaux selon les différentes espèces, et les dernières questions portaient sur les effets que pourrait avoir une mesure unilatérale prise par un pays, si d'autres pays ne la mettaient pas en oeuvre, dans un contexte de libre-échange.

C'est sur ces différentes questions que nous avons mobilisé tous nos groupes d'experts, et nous avons continué à le faire une fois que la suspension a été décidée au niveau français, puis européen, pour savoir si la suspension devait ou non être prolongée, s'il y avait des aménagements à y apporter, et quelles explications rétrospectives pouvaient être données aux cas qui s'étaient présentés.

Ce sujet illustre plusieurs difficultés. En premier lieu, il existe des questions purement scientifiques : le porc est-il sensible par voie d'inoculation intra-fécale ou alimentaire ? Au bout de quel délai d'incubation ? Ce sont là des données purement scientifiques, mais il faut également pouvoir porter une appréciation sur l'efficacité des dispositifs mis en place.

La loi du 1er juillet prévoit que les données sur le contrôle doivent être communiquées à l'Agence, qui doit effectivement pouvoir évaluer les dispositifs. Au delà de la question de savoir si les porcs, les veaux ou les autres espèces sont sensibles à l'ESB, la question est de savoir si les espèces pour lesquelles ces farines sont interdites peuvent courir un risque malgré l'interdiction.

La réponse dépend à l'évidence des appréciations que l'on peut porter sur l'efficacité des mesures prises par le passé.

Ce sujet, nous l'avions abordé dans un rapport sur l'alimentation animale et la sécurité des aliments, que l'on avait lancé à la suite de la crise de la dioxine, estimant que l'importance du sujet justifiait un tour d'horizon de l'ensemble de l'alimentation animale.

S'agissant des farines de viande et d'os, nous avions identifié quelques points critiques, en recommandant que l'on porte une grande attention à l'éviction des matériels à risques, aux procédés de traitement, et à la séparation des circuits. Toute une série de choses nous ont ainsi facilité le travail, à partir du moment où la question de savoir ce qu'il en était à la fin de l'année dernière nous a été posée.

Il s'agissait principalement de déterminer si les écarts -car il est rare qu'une réglementation aussi complexe soit vérifiée et contrôlée à 100 %- peuvent avoir un impact sanitaire ou s'ils sont purement formels, soit qu'il s'agisse d'écarts secondaires, soit qu'il s'agisse d'écarts que l'on rattrape à l'étape suivante et qui, bien que réels, n'auraient pas d'impact sanitaire.

C'est ce travail que l'on est en train d'achever, sur le fondement des évaluations faites par le Comité sur l'ESB, fin 1998-début 1999 qui, pour expliquer les cas naïfs -à une époque où il y en avait beaucoup moins que maintenant- avait recensé cinq ou six hypothèses possibles, depuis les contaminations croisées aux différents stades, jusqu'à d'éventuelles autres voies de transmission que les voies alimentaires, en les classant par ordre décroissant de probabilités.

C'est cette thématique que l'on a reprise dès que l'Agence a été créée, en se demandant si les cas naïfs étaient dus à des maintiens de contaminations croisées avec les farines interdites, ou à des produits qui restaient autorisés pour certaines espèces, comme ceux que je citais auparavant.

Les conclusions ont montré que ces deux hypothèses doivent être prises en considération et qu'il pouvait y avoir une justification à élargir la liste de ce que l'on interdisait -farines animales, etc.- puisqu'il est préoccupant de voir que le nombre de cas nés après l'interdiction des farines est bien supérieur au nombre de cas nés avant.

Si une partie de l'explication peut se trouver dans l'amélioration indéniable des procédures de surveillance, celle-ci n'est pas suffisante et conduit à considérer ces deux hypothèses comme possibles. On se heurte là à deux difficultés. La première vient du fait qu'on n'a les réponses que quelques années après, puisque les cas se déclarent en moyenne cinq ans plus tard. Or, beaucoup de facteurs sont communs à l'ensemble des bovins, et démêler celui qui pourrait être à l'origine de la maladie n'est pas simple.

C'est pour cela qu'a été lancée une étude lourde appelée "cas-témoins", destinée à comparer les exploitations qui ont connu un cas avec celles comparables en tous points -taille, type d'élevage, type de localisation- qui n'en ont connu aucun.

Les différentes enquêtes ont démontré qu'on ne peut exclure la possibilité d'une contamination croisée, soit à l'origine, soit au moment du transport, soit à la ferme. Toutes ces pistes permettront de cerner de mieux en mieux les choses.

A cet égard, les enseignements qui ont été tirés du programme de tests sont extrêmement importants. Elles ont permis une meilleure connaissance de la maladie, et de voir que le nombre de cas détectés par cette voie ne l'avaient pas été pas uniquement dans des élevages mixtes où l'on trouvait des porcs et des bovins, mais dans un nombre d'exploitations important où il n'y avait que des bovins, ce qui implique une contamination croisée en amont. Il y a ainsi toute une série d'informations capitales pour progresser.

M. le Rapporteur - Considérez-vous que l'AFSSA se heurte à des difficultés pour connaître la composition des compléments alimentaires destinés au bétail ou des plats cuisinés destinés à l'alimentation humaine ?

M. Martin Hirsch - S'agissant de la composition des aliments, je pense effectivement que tout le monde se heurte à des difficultés. En effet, les différents ingrédients sont complexes et si l'on n'examine un par un l'ensemble des ingrédients, on peut passer à côté de quelque chose d'important.

C'est la raison pour laquelle on s'est attaché, lorsqu'on a travaillé sur les greffes d'os, les phosphates bicalciques, les suifs, etc., à bien établir la liste des produits animaux qui entraient dans les différents aliments.

On a également étudié quels étaient les facteurs communs en amont. C'est ce qui nous a conduits à mette l'accent sur un point central du dispositif : le problème de l'incorporation des corps vertébraux en amont de la chaîne, qui pouvait avoir des répercussions sur les produits dérivés.

Ceci nous a conduits à recommander, l'année dernière, que les vertèbres soient retirées de la chaîne alimentaire, en France comme dans les autres pays de l'Union. Cette position qui a été soumise par la France à ses partenaires, et a été rejointe par l'ensemble de la Commission, puisqu'une décision rend obligatoire le retrait des vertèbres dans les pays touchés par l'ESB.

Par ailleurs, plus généralement, on mène des travaux sur la composition des aliments au sein de l'Agence. Notre centre d'informations sur la composition et la qualité des aliments essaye de décomposer, aliment par aliment, le contenu de ceux-ci.

On ne peut toutefois le faire pour l'ensemble des aliments. Il faut donc des objectifs précis. On le fait par exemple aujourd'hui sur la teneur en sel de certains produits, pour pouvoir aider les allergologues à parfaitement connaître la composition des aliments et ne pas risquer de soumettre des sujets allergiques à un certain produit sans qu'ils le sachent.

De même, nous cherchons à apporter une clarification sur les produits d'origine animale qui peuvent se trouver dans différents ingrédients. C'est un sujet complexe, compte tenu de l'immense variété des process. On ne peut prétendre avoir, du jour au lendemain, la composition exacte, ingrédient par ingrédient, de l'ensemble des aliments, mais je crois que les choses progressent beaucoup.

Un certain nombre d'ingrédients sont en effet soumis à des procédures d'autorisation, dans le cadre des réglementations nationales et européennes. Il y a un certain nombre de données capitales, tant sur le plan de la sécurité alimentaire que sur celui des aspects nutritionnels.

M. Jacques Bimbenet - Comment faites-vous par rapport au secret de la fabrication ? Il n'existe plus ?

M. Martin Hirsch - On y a été confronté à propos d'une boisson gazeuse. Leur recette est protégée par le secret industriel. En revanche, rien n'empêche de passer ces aliments dans différentes machines complexes -spectrographes de masse et autres- et d'en sortir tous les ingrédients, tous les ions, toutes les protéines que l'on y trouve pour avoir la composition de ces aliments, sans en connaître la recette.

M. Jacques Bimbenet - Vous ne pourrez pas la divulguer à la concurrence !

M. Martin Hirsch - Je ne crois pas que la composition finale soit protégée. On ne s'est jamais heurté à cette difficulté-là dans nos travaux sur la composition des aliments.

Les équipes d'évaluation essayent de comprendre, de faire des tableaux pour voir ce qui se passe, et les soumettent aux professionnels en demandant s'ils ont oublié quelque chose. Il y a une démarche itérative pour savoir si ce que l'on pense correspond aux pratiques et aux formules qui sont employées.

M. Paul Blanc - Je voudrais revenir sur votre livre "L'affolante histoire de la vache folle". Confirmez-vous que l'embargo sur la viande anglaise était plus destiné à rassurer le consommateur qu'à assurer une véritable mesure de santé publique ?

M. Martin Hirsch - Vous voulez savoir s'il y a un désaccord entre l'un des coauteurs du livre et le directeur général de l'Agence ! (Rires).

M. Paul Blanc - Je pose une question, c'est tout !

M. Martin Hirsch - L'embargo est une mesure qui n'a pas été prise après consultation des scientifiques. C'est une première remarque.

Seconde remarque : il est souvent nécessaire de prendre des mesures qui peuvent avoir un fondement soit sanitaire et scientifique, soit psychologique ou économique, destiné à réguler les marchés. Parfois, cela coïncide ; d'autres fois, non.

Un bon exemple dans lequel cela a coïncidé est celui des conditions du dépistage. Il était nécessaire, pour des raisons économiques, de rassurer le consommateur -ce type de mesures pouvant d'ailleurs avoir des conséquences pires que celles que l'on a connues sur le cours et la consommation de la viande.

Ceci a coïncidé avec un cheminement parallèle des instances scientifiques, travail préparé avec le programme expérimental de dépistage.

Je puis garantir -et je dépose sous serment- que c'est indépendamment que les scientifiques ont été conduits à dire qu'il existait un fondement sanitaire qui imposait de procéder au dépistage des bovins de plus de trente mois.

M. Paul Blanc - N'y a-t-il pas là une contradiction, à partir du moment où l'on a dit aussi qu'on éliminait pratiquement une contamination possible à travers le muscle ?

M. Martin Hirsch - Je ne crois pas, dans le mesure où tout le raisonnement scientifique a été basé sur le fait de dire qu'à partir du moment où un animal était infecté, il fallait tout faire pour qu'aucun de ses produits n'entre dans la chaîne alimentaire.

Lorsque le prion est présent chez ces animaux, on peut toujours craindre qu'il soit à des niveaux non détectables, ou, surtout, si l'on ne peut enlever 100 % de l'ensemble des matériaux à risques spécifiés, que l'on puisse laisser entrer dans la chaîne alimentaire des éléments que l'on doit interdire.

M. Paul Blanc - Et le muscle ?

M. Martin Hirsch - On n'a jamais détecté de prion dans le muscle mais, lorsqu'on est face à un animal infecté, le muscle peut être découpé avec un couteau entré en contact avec la moelle épinière. C'est donc un principe de base.

Je ne voulais pas esquiver la question sur l'embargo. Comment mettre en place une mesure de précaution, et comment la lever ? C'est la question soumise à l'Agence, qui a répondu qu'il lui semblait que lever une mesure de précaution prise dans un certain contexte, à un moment où l'on disposait de nouveaux tests, ne serait pas cohérent avec les objectifs de santé publique.

Elle a estimé qu'il valait mieux connaître la réalité de la maladie, puisqu'on a maintenant des outils dont on ne disposait pas il y a cinq ans, et savoir ensuite si cette réalité était ou non proche des choses.

C'est ce raisonnement qui a conduit à ce que les tests soient mis en place, permettant de démontrer que les pays qui en avaient déjà en avaient plus que prévu et que les pays qui n'en avaient pas comptaient en fait, pour la majorité d'entre eux quelques cas.

Le Royaume-Uni est en train de faire des programmes de tests et il est probable qu'ils aboutissent aux mêmes conclusions. Par conséquent, les présupposés du schéma d'exportation n'étaient pas fondés, et il y a donc eu des erreurs d'hypothèse dans la façon dont on a prévu la levée de l'embargo.

M. Paul Blanc - Dans un autre ordre d'idée, pouvez-vous nous confirmer qu'il y a eu une importation légale, jusqu'en 1996, de veaux anglais ?

M. Martin Hirsch - Je ne peux ni le confirmer ni l'infirmer.

M. Paul Blanc - Il aurait été intéressant, au cas où vous auriez eu de telles informations, de savoir ce que ces veaux sont devenus, s'ils sont partis en boucherie ou s'ils sont devenus vaches. Cela pourrait aussi expliquer la recrudescence de l'ESB en France.

Je suppose qu'une enquête épidémiologique très poussée a été menée pour connaître l'origine du bétail ?

M. Martin Hirsch - J'espère ne pas me tromper, mais j'ai le souvenir qu'effectivement, à cette époque, ont été abattus tous les animaux qui avaient été importés vivants du Royaume-Uni. Les services vétérinaires seront plus compétents que moi sur ce sujet, car je parle de mémoire.

Chaque fois qu'il y a enquête sur un cas, on regarde l'origine, le père, la mère, les mouvements précédents. C'est pour cela qu'il y a des rapports de 25 pages à chaque fois, avec la filiation, les séjours dans les différentes exploitations, les aliments consommés, etc.

M. Paul Blanc - Comment l'ancien responsable ministériel que vous êtes explique-t-il le déferlement médiatique qu'a suscité le problème de l'ESB ?

M. Martin Hirsch - Plusieurs raisons font que ce sujet est au coeur des préoccupations. La presse, en général, essaie d'écrire des choses qui intéressent la population. Elle est le reflet de ce qui préoccupe les gens -ou alors il s'agit de poussées de fièvre vite oubliées.

M. Paul Blanc - Et ce à propos de sujets beaucoup plus graves : je pense en particulier au nombre de morts du cancer du poumon dus au tabac !

M. Martin Hirsch - Il y a plusieurs caractéristiques. La première différence réside dans les incertitudes sur l'ampleur de l'épidémie. Les épidémiologistes anglais disent qu'en fonction de tous les éléments qu'ils peuvent faire entrer dans leurs modèles mathématiques, la fourchette est comprise entre quelques dizaines et 136 000 cas de personnes contaminées.

Or, je n'ai jamais entendu aucun scientifique sérieux dire qu'on peut privilégier l'une ou l'autre de ces hypothèses ! On peut le faire par conviction, mais non sur une base scientifique.

En général, les scientifiques qui connaissent bien ce sujet disent qu'il y a un certain nombre d'incertitudes sur les prévisions épidémiologiques et qu'ils ne peuvent trancher. Ce ne sont pas des devins.

La deuxième différence s'explique par le fait que les consommateurs ont l'impression qu'ils ne sont pas libres de leur choix, et ce pour deux raisons.

Tout d'abord, ils sont obligés de se nourrir alors qu'ils ne sont pas obligés de fumer ou de prendre leur voiture. En second lieu, on découvre au fur à mesure que les choses sont plus compliquées qu'il n'y paraissait au début. C'est un peu le raisonnement qu'ont découvert les éleveurs sur l'alimentation des animaux que nous découvrons dans notre vie quotidienne. Ces raisons-là suscitent donc l'inquiétude.

Je crois, en troisième lieu, que l'on est là face à quelque chose qui bouleverse tous les concepts habituels des maladies infectieuses, puisque le prion a un comportement qui, à chaque fois, a déjoué les connaissances classiques, qu'il s'agisse du modèle de Pasteur ou de la virologie des années 1950.

On a commencé par penser que cela ne passait pas d'une espèce à l'autre ; or, cela passe d'une espèce à l'autre ! Il y a toute une série de choses qui étaient plutôt rassurantes qui le sont moins. Tout le monde espère effectivement qu'en ce qui concerne les populations humaines exposées par voie alimentaire, il y aura peu de victimes, mais tant que ces incertitudes demeurent, il est assez logique que les préoccupations à propos d'une maladie qui est plus préoccupante que d'autres restent fortes.

M. Jean-Paul Emorine - Je voudrais revenir à l'utilisation des farines animales : depuis l'interdiction, quel a été le rôle de l'AFSSA ?

Beaucoup de revues affirment que, pendant cette période, des farines animales auraient continué à circuler. Vous nous avez indiqué que l'alimentation animale faisait partie de vos missions. Votre attention a-t-elle été attirée sur l'origine des farines destinées à nourrir les animaux ?

En second lieu, face à un cas d'ESB dans un cheptel, en France, aujourd'hui, le Gouvernement a décidé d'abattre l'ensemble du cheptel alors que, dans le reste de l'Union européenne, ce n'est pas le cas. Quelles sont les motivations qui font que l'on a pris cette décision ? J'aimerais connaître votre avis sur ce point.

M. Martin Hirsch - Depuis que les mesures de suspension ont été prises, on a été conduit à rendre plusieurs avis sur les aménagements aux mesures générales. Par exemple, on a rendu, à la mi-février, un avis pour indiquer que l'on pouvait admettre que l'on n'interdise plus les farines de poisson et qu'un certain nombre d'aménagements pouvaient être pratiqués, sur lesquels on a procédé à des évaluations scientifiques.

Seconde chose : pendant toute cette période, on a effectivement travaillé pour recueillir les données des plans de contrôle et pour pouvoir, à travers les différents points critiques -chauffage, etc.- porter une appréciation sur l'efficacité du dispositif.

Notre mission n'est pas de réaliser les contrôles nous-mêmes. Il est cependant de notre responsabilité de tirer la sonnette d'alarme, comme on l'a fait à plusieurs reprises, quand les données du terrain ou les résultats du contrôle laissent penser qu'il y a un risque pour la santé humaine. C'est l'esprit de la loi. Il y a une chaîne de police sanitaire, une chaîne d'évaluation scientifique et, entre les deux, des ponts pour éviter que les pouvoirs publics se retrouvent face à deux avis complètement contradictoires.

En fait, si nous ne sommes pas intervenus durant les dernières semaines, c'est parce qu'on ne nous a pas demandé notre avis et que nous ne nous sommes pas auto-saisis de cette question.

En effet, nous avons déjà suffisamment de mal à savoir quelles sont les causes des cas d'ESB et quel était l'état effectif du chauffage des farines et des différentes étapes il y a quelques mois, pour ne pas avoir d'évaluation scientifique supplémentaire à apporter à ce sujet.

Nous sommes toutefois intervenus sur un point important en disant qu'il ne fallait pas prendre de demi-mesures et faire en sorte que l'on ait un dispositif difficilement contrôlable. Lorsqu'on nous a demandé si l'on pouvait réintroduire les protéines de cuir dans la chaîne de l'alimentation animale, on a recommandé de ne pas le faire, au motif que l'on risquait alors de ne plus pouvoir distinguer les protéines "légales" des protéines "illégales".

Dès lors qu'il faut prendre une mesure de suspension générale, il convient de rester sur les généralités. Accepter les farines de poissons, ce n'est pas forcément gênant, mais accepter les protéines animales, cela semble ingérable.

Ceci rentre tout à fait dans notre rôle. En revanche, nous serions totalement incapables de courir après des données de contrôle ponctuelles, pour lesquelles il existe des services dont c'est le rôle.

Concernant l'abattage total, la question est la suivante : si l'on passait de l'abattage total, tel qu'il est pratiqué en France depuis le premier cas d'ESB, à un abattage sélectif, aurait-on un niveau de protection aussi élevé pour le consommateur et susceptible de garantir la non pérennisation de la maladie ? C'est la question qui nous est posée.

Que fait-on pour y répondre ?

Regardons d'abord ce qui passe dans les différents pays. Il y a trois cas de figures : les pays à abattage total, les pays où il n'y a pas d'abattage du tout et les pays à abattage sélectif.

L'absence d'abattage -si ce n'est le premier cas- c'est la stratégie du Royaume-Uni. Le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'a pas jugulé rapidement l'épidémie et qu'il y a plusieurs cas par troupeau. Cette stratégie n'était recommandée par personne, même si elle n'a pas été modifiée dans ce type de pays.

La seconde possibilité, c'est l'abattage total ou sélectif. Entre les deux, il est difficile de trancher, pour plusieurs raisons.

Depuis quelques mois, on récupère les cerveaux d'un grand nombre de bovins abattus. Ce n'est pas forcément toujours faisable, mais nous essayons d'avoir des milliers d'échantillons, que l'on teste. A travers ceux-ci, on peut essayer de répondre à ces questions.

Pourquoi ne l'a-t-on pas fait plus tôt ? Il y a quatre ans, on ne pouvait faire de dépistage à grande échelle, et l'on ne disposait pas de méthodes permettant de faire des centaines de tests. Il y a encore deux ans, le nombre total de tests pratiqués en France était d'environ 300 ; l'année dernière, il était de 20.000. Cette année, il est de 3 millions.

Cependant, pour pouvoir répondre aux questions, il faut un certain nombre d'échantillons suivant les différentes tranches d'âge. On aura rapidement la réponse pour les animaux qui sont à peu près dans la même tranche d'âge. Il faut également examiner les animaux plus âgés ou plus jeunes, mais en ayant conscience que l'on n'est pas sûr d'avoir l'ensemble des réponses, dès lors que les méthodes de tests ne fonctionnent qu'à partir d'un certain âge. C'est pour cela qu'on n'a jamais recommandé de faire du dépistage en-dessous de trente mois.

Dans une exploitation, un animal de six mois qui réagit négativement au test peut être soit totalement indemne, soit avoir des tissus déjà infectés, sans que cela n'apparaisse pour autant dans le système nerveux central avant un certain temps. C'est la raison pour laquelle on avait recommandé, il y a quelques mois, d'autoriser à nouveau la consommation des cervelles de bovins jusqu'à 12 mois.

Pour faire le travail sérieusement et avoir des milliers d'échantillons, ce qui est statistiquement faisable, il faut encore un peu de temps, et nous nous sommes donc engagés à fournir ces éléments au printemps. En tout état de cause, les différents pays ne sont pas forcément très sûrs de leur propre stratégie, et personne ne détient la recette miracle.

M. le Rapporteur - Que pouvez-vous dire concernant les fonds de sauces ? C'est une question qui revient souvent. Avez-vous étudié le problème et expertisé ce point précis ?

M. Martin Hirsch - Non. Je ne peux rien dire de particulier sur les fonds de sauces, mais au moment où l'inquiétude a grandi, début novembre, le Gouvernement a saisi l'Agence pour obtenir une évaluation et savoir s'il y avait ou non plus de risques qu'avant.

A un moment, la question s'est posée de savoir si l'on pouvait demander à l'Agence de répondre plat par plat.

Nous avons répondu que nous ne pouvions répondre en trois jours. Il y a en effet deux façons de faire. La première consiste à poser des questions générales. La bonne approche, aux yeux des scientifiques, est d'étudier les choses en amont. Dès lors que les matières premières sont bien sécurisées, il n'y a aucun problème pour les fonds de sauces ou pour les autres plats.

C'est pourquoi nous avons proposé, début novembre, que soient prises six ou sept mesures faciles à appliquer, destinées à augmenter le degré de sécurité, depuis les mesures concernant le T-bone, jusqu'à la suspension et l'interdiction des farines, en passant par le dépistage à grande échelle, afin de sécuriser la gélatine et les différents aliments éléments qui entrent dans les fonds de sauces.

Je crois que la question des fonds de sauces est liée à la sécurisation des graisses ou de ce type de produits qui rentrent dans différents aliments, et que la mesure consistant à retirer les colonnes vertébrales est la plus scientifiquement fondée pour ajouter un degré de sécurisation alimentaire au degré actuel, sachant que l'on estime que 4 % des gélatines utilisées dans l'alimentation humaine sont faites à base d'os de ruminants et 96 % plutôt à base de couenne ou d'os de porc, etc.

Je ne sais si ma réponse vous satisfait.

M. le Rapporteur - Votre réponse nous satisfait.

Dans le droit fil de cette question, êtes-vous satisfait des mesures de traçabilité et de l'étiquetage informatif jusqu'au niveau de la RHF ? Imaginez-vous aller plus loin ou non ?

M. Martin Hirsch - La traçabilité d'identification peut être faite soit à titre purement informatif, parce qu'on aime savoir ce que l'on mange, soit pour permettre le libre choix de produits autorisés pour des tas de raisons -y compris religieuses, etc.- soit encore pour des raisons de santé publique. C'est en cela que nous sommes concernés, les deux autres raisons ne nous regardant pas.

Quels objectifs recherchons-nous en matière de traçabilité ? On a vu que le fait que l'identification de la traçabilité des bovins ait été mise en place précocement en France est l'un des éléments essentiels de la sécurisation du système, avec le retrait systématique des matériaux à risques spécifiés. C'est la raison pour laquelle, en France, le dépistage systématique marche, ce qui permet de prendre des mesures.

Beaucoup de pays sont très en retard dans ce domaine. On discute aujourd'hui de la levée de l'embargo qui frappe les viandes portugaises. Dans le dossier portugais, on voit que l'identification des bovins date de 1999 ou de 1998 !

M. le Rapporteur - En Angleterre, elle remonte à 1995.

M. Martin Hirsch - En effet.

Ces procédures, pour différentes raisons, sont plus difficiles à mettre en oeuvre pour les ovins, d'où les difficultés que l'on a aujourd'hui pour être sûr que l'on repère bien les ovins qui viennent d'Angleterre.

Dans ce domaine, la traçabilité de l'identification doit donc être considérablement améliorée. S'agissant des plats cuisinés et des aliments eux-mêmes, elle doit certainement l'être également pour différentes raisons : allergies, rappels de lots... Plus il y a d'informations, plus les mesures de sécurité, lorsqu'elles sont nécessaires, peuvent être ciblées, efficaces et moins douloureuses.

Il y a donc un tas d'améliorations que l'on peut apporter, et que l'on peut examiner sujet par sujet si vous le désirez.

M. le Rapporteur - Même si vous ne vous autorisez pas le moindre jugement sur les opinions émises lors de la promulgation des avis de l'AFSSA, quelle est votre analyse sur le jugement de l'INRA au sujet des mesures que vous avez préconisées en ce qui concerne le mouton ?

M. Martin Hirsch - Je dispose d'un communiqué de presse de l'INRA -que je n'ai pas ici- qui indique que l'INRA n'a pas à se substituer à l'AFSSA dans l'évaluation. Il y a des chercheurs de l'INRA dans les comités d'évaluations de l'Agence et l'INRA considère -je crois- qu'il n'y a pas de divergences entre l'avis du CSD et l'avis du Comité.

Il est vrai que l'on travaille énormément, soit en matière de recherches, avec des laboratoires de l'INRA, soit en matière d'évaluation avec des chercheurs qui viennent de l'INSERM, de l'INRA, du CNRS, du CEA, de l'AFSSA elle-même, et de différents domaines.

S'il existe des sujets sur lesquels on peut avoir une certaine compétition scientifique, c'est sur les sujets de recherches, ce qui est normal entre organismes de recherches.

En revanche, on a effectivement des missions d'évaluation et de sécurité alimentaire que n'a pas l'INRA. Certaines personnes ont aussi plusieurs rôles et on a été à plusieurs reprises, ces derniers temps, dans des situations dans lesquelles il pouvait y avoir décalage entre la façon dont étaient générés et conclus des avis européens et français.

Nos méthodes de travail sont les suivantes : les avis sur ce sujet sont élaborés par des comités qui ont été sélectionnés sur la base de leurs publications scientifiques, leurs travaux préalables, leurs comités d'experts, et sous l'égide du Conseil scientifique de l'Agence. Une fois qu'ils sont composés, nous mettons dans nos avis l'intégralité, à la virgule près, des conclusions auxquelles ils ont abouti.

Sur l'avis ovin, on trouve donc, à la virgule près et en italiques, l'intégralité des conclusions du Comité interministériel, qui sont très proches, à un détail près, je crois, sur l'âge du système nerveux central -certains scientifiques ont d'ailleurs participé aux deux- des conclusions des groupes de travail qui ont été mis en place au niveau européen sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Avez-vous lu le livre de M. Eric Laurent "Le grand mensonge" ?

M. Martin Hirsch - Je l'ai parcouru.

M. le Rapporteur - Est-ce qu'il ne serait pas du ressort de l'AFSSA de formaliser par écrit un certain nombre de réfutations sur les informations scientifiques ou pseudo scientifiques qui y sont incluses ?

M. Martin Hirsch - Nous nous refusons en général à intervenir par réaction sur tel ou tel livre.

M. le Rapporteur - La commission le souhaiterait, parce que, très honnêtement, ce qui est écrit est assez choquant !

M. Martin Hirsch - Je vais donc le faire ici.

Normalement, nous nous y refusons. Effectivement, le journal qui en avait publié les bonnes feuilles m'avait demandé si je voulais écrire quelques lignes. Pour une fois, j'avais accepté, mais ils n'en ont finalement pas eu besoin, et je ne les ai pas écrites.

Je vais cependant vous dire ce que j'en pense. Je crois que les mensonges par omission sont aussi importants que les autres. Toutefois, si l'on réagissait sur certains livres et pas sur d'autres, on dirait que ceux sur lesquels l'AFSSA n'a pas réagi sont des livres qui ont notre caution, alors que les autres sont considérés comme mauvais par l'AFSSA.

On ne réagit donc pas aux articles de presse, sauf lorsqu'il y a des inexactitudes sur tels ou tels travaux de l'AFSSA. Là, il n'y a pas d'inexactitude sur les travaux de l'AFSSA : ce livre est écrit comme si l'AFSSA n'existait pas -sauf si je me suis trompé.

J'ai trouvé très intéressant de voir qu'était citées dans ce livre un certain nombre de choses qui nous ont beaucoup préoccupés un certain temps, comme le jonchage, dont nous nous étions auto-saisis, à propos duquel nous avions fait des recommandations qui ont été appliquées extrêmement rapidement.

Tout ce travail mis en place depuis quelque temps, qui a préexisté à l'AFSSA et qui a peut-être eu un mouvement d'accélération et de meilleure formalisation avec l'Agence, consistant à regarder en amont, à donner les éléments scientifiques, à coller à ce que l'on connaissaient des pratiques de la réglementation, des failles, des données scientifiques les plus actualisées d'un travail collégial, a conduit à modifier la réglementation un grande nombre de fois et à une meilleure transparence.

Rappelez-vous, nous avons rendu un avis pour confirmer que certains animaux infectés avaient pu rentrer dans la chaîne alimentaire, puisqu'on ne les détectait pas tous. Je crois que l'opinion publique sait entendre de telles choses. Cela n'a d'ailleurs pas semé de panique. Je pense que c'est si l'on prétend le contraire et que l'inverse est démontrable rapidement que se posent les problèmes !

J'ai en effet vu que l'auteur de ce livre ne prenait pas en compte un certain nombre de choses qui se font ces derniers temps, mais je ne peux savoir pourquoi.

M. le Rapporteur - Vous ne pouvez réfuter par écrit, pour la commission, un certain nombre de points contenus dans cet ouvrage ?

M. Martin Hirsch - Monsieur le Président, un certain nombre d'avis rendus par l'Agence sont en eux-mêmes probablement en contradiction avec un certain nombre de choses, mais il y aura d'autres livres, et je crois que nous sortirions de notre rôle. D'abord, cela nous occuperait beaucoup, et l'on ne pourrait pas faire ce que l'on nous demande !

M. le Rapporteur - Si l'AFSSA ne peut le faire, ne pensez-vous pas que le ministère de la santé ou de l'agriculture pourrait le faire ? Je pense qu'à force de laisser passer de tels écrits, l'opinion publique finit par les accréditer. Ce sera peut-être l'une des recommandations du rapport. Nous sommes aujourd'hui à mi-étape, et je verrai donc cela avec l'ensemble de mes collègues.

Je crois que l'opinion publique est aujourd'hui réceptive à un certain nombre d'informations, y compris celles devant souligner la dérive de certains journalistes.

Je cite la page 34 : "Le muscle contient forcément des prions en plus faible concentration que les abats spécifiés". Les consommateurs, nos concitoyens, lorsqu'ils peuvent lire cette phrase, doivent être à mon avis extrêmement troublés. Je pense que c'est le rôle de l'AFSSA ou -si vous estimez, en tant que directeur, que cela ne l'est pas- celui d'un de vos ministères de tutelle.

M. Martin Hirsch - Je pense qu'il y a beaucoup de choses approximatives qui ont été écrites sur ce sujet, soit volontairement, soit involontairement.

M. le Rapporteur - Ce livre affirme qu'il y a des prions dans le muscle, même en moindre concentration. Ces affirmations sont de vrais mensonges et quand on voit -ce qui est logique- l'ampleur des sommes financières mises en jeu par le Gouvernement pour inciter nos concitoyens à consommer davantage de viande rouge, je pense qu'il serait tout aussi utile de consacrer quelques lignes à essayer de réfuter ce type d'information !

M. Martin Hirsch - Si je me souviens bien des travaux préparatoires de la loi, ce que le Parlement et le Gouvernement attendaient en créant l'Agence, c'était d'avoir en face d'eux un organisme sur lequel se reposer pour dresser une évaluation sérieuse des risques afin, le cas échéant, d'arrêter des mesures adaptées.

On est extraordinairement sollicité par les médias. Le nombre de fois où l'AFSSA a été citée -on le voit à la facture de l'Argus de la presse- est impressionnant. Beaucoup de références sont faites à ce que l'on écrit ou à ce que l'on dit.

On nous soupçonne quelquefois de mal penser, mais on a le sentiment que lorsque l'Agence dit quelque chose, ce n'est pas pour travestir une vérité, ni pour amplifier quelque chose, mais pour essayer d'être factuel.

Je puis garantir que l'on n'a pas eu cinquante coups de téléphone de journalistes, après la sortie de ce livre, pour nous dire que l'AFSSA n'avait visiblement pas fait son travail.

Les ministères doivent-ils prendre position ? C'est toujours compliqué. Si on le fait pour l'un, faut-il le faire pour l'autre ? Je crois que ce travail a été fait, et je n'ai pas eu le sentiment que ce livre ait fait l'objet de commentaires soulignant la documentation scientifique et la rigueur des raisonnements tenus jusqu'à présent.

M. le Rapporteur - Toutes les questions d'alimentation humaine sont maintenant de vrais problèmes de société. Je sais que vous produisez chaque année un rapport d'activité mais, au delà de la loi de 1998 qui a institué l'AFSSA, ne serait-il pas pertinent d'officialiser une rencontre annuelle pour que vous présentiez au Parlement vos travaux au cours de l'année écoulée ?

M. Martin Hirsch - Effectivement, la loi prévoit que le rapport annuel est transmis au Gouvernement et au Parlement. On le fait selon la procédure classique : on transmet le rapport au Secrétariat général du Gouvernement, en lui demandant de le transmettre au Parlement.

Je crois que cette loi, qui est d'initiative parlementaire, montre que le Parlement est très attentif au suivi des travaux de l'Agence. Dans l'esprit des textes, il était bien entendu que l'Agence devait être en capacité de rendre compte devant le Parlement.

M. le Rapporteur - Vous y seriez favorable ?

M. Martin Hirsch - Bien entendu.

M. le Rapporteur - On essaiera de le formaliser.

M. Martin Hirsch - On ne voit aucun inconvénient à ce que ce soit formalisé ou non. Nous avons à vous rendre des comptes et à vous expliquer comment on travaille, ou à prendre en compte ce que vous pensez du fonctionnement de cette Agence qui a été créée par la loi.

M. le Rapporteur - Au travers du rapport de la commission d'enquête, nous essaierons de formaliser ce souhait, car je pense qu'il est important pour l'ensemble des membres du Parlement de savoir ce que vous avez fait, et quels ont été les résultats au cours de l'année écoulée.

Une dernière question -je crois vous l'avoir déjà posée lors d'une précédente rencontre. Elle concerne plus généralement le Livre blanc sur la sécurité alimentaire et sur l'alimentation animale : le ministère de l'agriculture, selon vous, a-t-il évolué en ce qui concerne la fameuse "liste positive" à laquelle, personnellement, je suis assez attaché, dans la composition des aliments pour animaux ?

M. Martin Hirsch - Oui. Le Livre blanc, à juste titre, contient des chapitres extrêmement importants sur l'alimentation animale et sur la liste positive. On a du coup, je pense, dans ce contexte difficile, déjà clarifié un certain nombre de choses sur l'alimentation animale, en ayant une démarche analytique, en supprimant un certain nombre de choses sur lesquelles on ne voyait pas suffisamment clair, et je pense que les choses peuvent être maintenant plus mûres pour les travailler au niveau européen.

Je n'ai jamais entendu de réticences du ministère de l'agriculture sur ce sujet.

M. le Rapporteur - Nous avons eu, avec notre collègue Emorine, qui a beaucoup travaillé sur cette question, quelques apartés sur ce point. J'ai senti malgré tout une réticence du ministère de l'agriculture sur l'élaboration d'une liste positive.

M. Martin Hirsch - Peut-être sur sa faisabilité, mais jamais sur le principe.

M. le Rapporteur - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions ? Il n'y en a pas !

Monsieur le Directeur général, nous vous remercions.

M. Martin Hirsch - Merci, Monsieur le Président.

Audition de M. Jean-François HERVIEU,
Président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA),
accompagné de M. Daniel GRÉMILLET, Mme Dominique BRINBAUM
et M. Guillaume BAUJIN

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Hervieu, merci d'avoir répondu à notre convocation et, mesdames et messieurs, merci de l'accompagner.

Vous savez, monsieur Hervieu, que vous êtes entendu ici en tant que président de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, que vous êtes amené à témoigner devant une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre, je suis obligé de vous faire prêter serment. Je le ferai également pour vos collaborateurs. De cette façon, si vous avez besoin de leur passer la parole au cours de l'audition, il n'y aura pas de problème. Chacun à leur tour, ils jureront de dire la vérité et toute la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Hervieu, Grémillet, Baugin et Mme Brinbaum.

M. Jean-François Hervieu - Je me suis permis de me faire accompagner de M. Grémillet, président de la Chambre d'agriculture des Vosges, qui vient d'ailleurs d'être réélu, parce que, au niveau des chambres d'agriculture, sur le plan national, il est chargé des établissements départementaux d'élevage. C'est donc lui qui, à l'intérieur des chambres d'agriculture, suit tout spécialement ces problèmes.

J'ai également à mes côtés Mme Brinbaum, directeur général adjoint de l'APCA, tout spécialement chargée de la politique agricole en général. Elle pourra, sur des questions particulières assez pointues et techniques, vous apporter un complément qui pourra peut-être vous intéresser.

M. le Président - Je vais vous demander de bien vouloir prêter serment, madame.

Mme Dominique Brinbaum - Je le jure.

M. Jean-François Hervieu - Enfin, nous avons M. Baugin, qui est chargé des relations avec le Parlement et qui ne prendra pas la parole.

M. le Président - Très bien.

Dans un premier temps, je vais vous laisser la parole pour que vous puissiez nous parler succinctement, vu de votre place, de la manière dont vous voyez cette affaire des farines animales et de la propagation de l'ESB, après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les questions qu'il nous semble utile de poser.

M. Jean-François Hervieu - Il est certain qu'au sein de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'une des questions que nous avons suivie le plus est le problème des farines, le problème du développement de l'ESB en tant que telle étant plus particulièrement scientifique, un élément sur lequel nous sommes plus au niveau des informations qu'au niveau des décisions.

Je vais vous rappeler un certain nombre de dates (ce sont des choses que vous connaissez et que vous avez déjà entendues) qui me semblent importantes en ce qui concerne les farines.

M. le Président - Ce n'est peut-être pas la peine. Je suppose que vous allez nous reparler de dates que nous connaissons. Nous n'avons que trois quarts d'heure.

M. Jean-François Hervieu - Il ne s'agit pas d'insister lourdement sur les dates mais de rappeler simplement que le premier cas d'ESB a eu lieu en 1986 en Grande-Bretagne et que, pendant les trois années qui ont suivi, aucune décision efficace n'a été prise.

La première décision efficace a été prise par la France en 1989 sur l'interdiction des importations et il a fallu attendre 1990 pour interdire l'utilisation des farines de viande en général et des protéines animales pour l'alimentation des bovins. C'est donc un point important. La question que chacun se pose sur ce plan, nous-mêmes comme vous-mêmes à travers votre commission d'enquête, est de savoir ce qui s'est passé dans les importations entre juillet 1988 et août 1989, lorsqu'il a été possible de continuer à importer en dehors de toute réglementation, puisqu'il n'y avait pas d'interdiction en tant que telle.

La deuxième question que nous nous posons porte sur les dates effectives de cessation des importations de farines animales. En effet, nous pensons qu'il a été possible de faire un certain nombre d'importations d'une façon ou d'une autre à cette époque.

L'année 1996 marque vraiment le début de la première crise de l'ESB en tant que telle en France, crise qui est liée à la directive de l'Union européenne sur la méthode de chauffage des farines qui permettait normalement de faire face à la destruction des prions. A la suite de cela, en 1996, au niveau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, nous nous sommes mobilisés sur le problème de l'utilisation des farines. En effet, nous avons considéré qu'il était grave que les éleveurs, par l'étiquetage des farines, en particulier, ne soient pas du tout au courant des produits réels qui existaient et qui étaient utilisés dans le cadre de leurs farines. Tout à l'heure, M. Grémillet, qui est en même temps éleveur, pourra vous apporter des compléments d'information sur ce point.

Durant toute cette période, nous avons évidemment posé le problème aux différents intervenants sur le marché, c'est-à-dire les fédérations de coopératives comme l'industrie privée, pour obtenir une amélioration sensible et être certains des produits qui étaient mis dans la fabrication des aliments du bétail pour bovins.

Nous avons fait des demandes allant dans le même sens auprès des pouvoirs publics et, malheureusement, nous n'avons eu aucune réponse. Nous n'avons obtenu, de la part des fabricants, que des réponses (elles ont été faites à cette période et elles ont été ultérieurement redonnées) liées soit à des problèmes de secrets de fabrication en disant : "nous ne pouvons pas divulguer publiquement les produits que nous utilisons", soit à des arguments économiques en disant : "compte tenu de la variation des prix des produits qui sont utilisés pour les aliments du bétail, il faudrait changer l'étiquette trop souvent et nous sommes dans l'impossibilité de le faire."

M. le Président - Excusez-moi de vous interrompre. Je suppose que toutes ces demandes ont été faites tant aux pouvoirs publics qu'aux fabricants d'aliments du bétail. Pourrez-vous nous donner les documents correspondant aux lettres que vous avez envoyées et les réponses qui vous ont été faites, même si, comme vous l'avez dit, elles sont négatives ?

M. Jean-François Hervieu - Nous avons eu essentiellement des réponses orales.

M. le Président - D'accord. Il nous faudrait au moins les lettres que vous avez envoyées, vous.

M. Jean-François Hervieu - Nous vous les communiquerons. Nous pensons, à partir de là, que la responsabilité des éleveurs, qui est évidemment engagée en tant que telle, a été défaussée du fait qu'il n'y avait pas une connaissance réelle de ce qu'ils pouvaient donner à leurs animaux. C'est donc un problème de fond et nous nous rendons compte finalement que, cinq ans après, la situation n'a pratiquement pas évolué. C'est donc une chose fondamentale.

Bien sûr, les mesures qui ont été prises très récemment évitent les accidents que l'on a pu connaître à cette époque, mais, pendant toute cette période, les éleveurs ont pu, à leur insu, avoir un certain nombre de produits introduits dans leurs aliments en allant à l'encontre de leur propre volonté.

C'est un événement important pour nous, dans la mesure où c'est l'une des actions sur lesquelles nous avons voulu très directement agir pour faire en sorte qu'une responsabilité soit prise par les producteurs.

Nous nous interrogeons aussi sur le retard qui a été pris par la France pour transposer la directive européenne de cette période de 1996 jusqu'en 1998, puisque, durant un peu plus d'un an et demi, il y a eu une différence de réglementation entre l'Europe et la France. Cela a été l'un des éléments importants sur lesquels nous agissons.

Cela étant, les décisions importantes ont maintenant été prises, puisqu'il s'agit de la suppression de l'utilisation des farines animales en tant que telles, si bien que le problème est relativement réglé sur ce plan.

Je dois dire que, lorsque la décision a été prise à ce moment-là, nous avons approuvé cette interdiction, malgré le coût qu'elle représentait, pour une raison essentiellement psychologique, puisqu'il était important de satisfaire l'opinion publique et de répondre aux interrogations que pouvaient avoir les consommateurs dans ce domaine. C'était certainement le moyen le plus efficace d'y répondre, même si, économiquement et matériellement, d'autres solutions auraient pu être prises.

Quant à la reprise de l'utilisation, puisque c'est l'une des questions qui sera posée et que cette interdiction a été prise à titre temporaire, nous pouvons dire que nous ne sommes pas hostiles au principe d'une réutilisation des farines animales, non pas pour les ruminants, bien sûr, mais pour les espèces monogastriques. Cependant, il est évident que le public et les consommateurs, en particulier, ne sont pas du tout prêts à l'accepter. C'est donc une possibilité peut-être à long terme mais elle n'est en tout cas pas à prendre dans les mois qui viennent car cela ne ferait que déstabiliser encore un peu plus les consommateurs par rapport aux problèmes de la viande. Ils ont besoin, sur ce plan, d'être légitimement sécurisés en matière d'alimentation.

Sur l'étiquetage, en particulier, je pense que le président Grémillet, si vous en êtes d'accord, pourrait vous apporter quelques compléments.

M. Daniel Grémillet - Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, effectivement, les agriculteurs découvrent, en 1996, une nouvelle maladie, au moment où la crise est rendue publique par les médias. En 1996, s'enclenchent deux niveaux d'action.

Le premier niveau concerne l'APCA et la délégation que m'a confiée le président en ce qui concerne la politique de l'élevage. Nous avons réuni l'ensemble des présidents et directeurs de tous les départements de France pour voir comment nous pourrions faire en sorte que la réglementation française et européenne nous permette de connaître le contenu des aliments et des ingrédients présents dans les aliments que l'on injecte.

A cette époque, nous avons fait plusieurs démarches.

Une démarche a tout d'abord été faite avec les professionnels de l'alimentation : les professionnels coopératifs ou privés. Nous avons obtenu une fin de non-recevoir, avec l'argument majeur du secret de fabrication. Je vous rappelle que le fait de connaître les ingrédients présents n'a rien à voir avec le secret de fabrication. Les ingrédients présents ne sont pas les pourcentages. Nous pourrons vous donner les documents qui font état de cette demande des éleveurs initiée par l'APCA.

Une autre démarche a été faite au niveau du ministère de l'agriculture en demandant que la réglementation soit changée.

Le deuxième niveau a concerné, dans le même temps, en 1996, les éleveurs-paysans dans le département des Vosges. Dès lors que nous avons appris qu'une nouvelle maladie frappait des bovins, qu'elle pouvait provenir de la consommation de farines mal conditionnées et que ces farines anglaises auraient pu venir sur notre pays, nous avons été dix-sept éleveurs du département des Vosges à demander à nos fabricants de connaître la composition des aliments que nous avions achetés et payés sur la période 1990-1996. Là aussi, nous avons eu un refus.

Compte tenu de ce refus, nous avons engagé une procédure au tribunal de grande instance, au niveau du juge des référés, au civil et non au pénal, pour que celui-ci nous permette de connaître la composition des aliments.

J'ai pris avec moi une photocopie --que je pourrai vous laisser-- de l'étiquette accompagnant la livraison du 2 décembre 1992, une livraison d'aliments dans mon exploitation. Je vous lis cette étiquette pour confirmer le propos du président quant au fait qu'aujourd'hui (c'est bien le drame et c'est pourquoi nous faisons des propositions sur la transparence), à aucun moment, on ne peut connaître ce que comporte l'alimentation. Voici donc cette composition :

"Catégorie d'ingrédients : coproduits de céréales" (on ne nous dit pas lesquelles), coproduits de sucreries, tourteaux plus produits azotés végétaux" (on ne sait pas quoi), céréales et amylacés, produits cellulosiques, substances minérales".

On pourrait dire que, depuis 1992, la réglementation a changé. J'ai donc pris avec moi l'étiquette qui accompagne mon bon de livraison du 29 janvier 2001 et je vous la lis :

"Tourteaux de soja, colza, tournesol, cornfield, radicelles, drêches de blé, coproduits de la fabrication de lysine protéinale, urée (1,25 %)."

Cela veut dire qu'aujourd'hui, on en est pratiquement toujours au même stade sur la composition des aliments. Cependant, cette procédure --c'est intéressant- nous a permis de toucher plusieurs domaines.

Le premier, c'est que nous nous sommes rendu compte qu'il n'y avait pas de traçabilité. Si vous venez dans mon élevage, je peux vous donner les animaux qui étaient présents en 1992 grâce à la traçabilité et au registre d'élevage que nous avons dans nos fermes et je peux donc vous donner les achats d'aliments puisque, lorsque nous avons demandé au tribunal de nous aider à connaître la composition des aliments, le président du tribunal nous a demandé de fournir l'ensemble de nos comptabilités de 1990 à 1996, ce qui est tout à fait normal. Nous avons donc fourni l'ensemble des factures et des bons de livraison des aliments que nous avions utilisés.

Dans ce propos, je souhaite vous faire toucher du doigt le fait que nous avons été confrontés à deux problèmes que nous avons découverts après coup.

Le premier, c'est que l'on était en train de mettre en place le marché unique tout doucement au niveau européen, ce qui a constitué un obstacle. Dans le cadre des auditions qu'il a réalisées, l'expert nommé par le tribunal nous a indiqué que, dès lors qu'une farine qui quitte l'Angleterre arrive aux Pays-Bas, elle ne peut plus s'appeler "farine anglaise" et qu'elle peut revenir en France sous l'appellation "farine néerlandaise". Il n'y avait donc aucune traçabilité et la réglementation ne permettait pas à ceux qui étaient chargés de contrôler les importations de savoir si ces farines venaient ou non d'Angleterre.

Je rappelle qu'en Angleterre, l'interdiction d'utiliser les farines animales a été prise et que personne ne s'est soucié de savoir ce qu'elles devenaient. Elles étaient interdites en Angleterre mais elles ne l'ont pas été pour les autres pays.

La deuxième chose que nous avons découverte, c'est qu'en 1989, une lettre a été envoyé par les services du ministère de l'agriculture, et non du ministre, à l'ensemble des fabricants d'aliments, lettre qui est datée du 13 novembre 1989. L'ensemble des fabricants a donc été alerté sur ce qui était en train de se passer.

Le ministre Nallet, qui a été auditionné le 12 février 2001, nous a fait part d'une chose très intéressante. Il a dit en effet qu'à aucun moment, ni les scientifiques, ni les experts, ni ses services vétérinaires ne l'ont alerté et que les décisions qui ont été prises en 1990 l'ont été par le ministre de l'agriculture suite aux articles de presse qui faisaient état de la transmission, notamment lorsque la barrière des espèces a été franchie et lorsqu'on a découvert, en 1990, que des chats avaient été contaminés.

C'est très important, car cela veut dire que l'on a évolué, durant les années 1988, 1989 et 1990 à 1996, au fur et à mesure des connaissances. Au début, on pensait que cette maladie était essentiellement animale et qu'elle n'était pas transmissible à l'homme, aucun rapport n'ayant mis en évidence ces faits.

Je signale une autre chose intéressante : le problème des importations d'animaux vivants provenant d'Angleterre. Là aussi, des décisions ont été prises et le directeur des services vétérinaires des Côtes d'Armor, M. Gouello, qui nous a expliqué que tout animal vivant venant d'Angleterre devait être abattu avant six mois. Or il semblerait que tous les animaux venant d'Angleterre n'ont pas été abattus dans les six mois.

Cela veut dire que nous avons pu avoir, à l'intérieur de notre propre traitement, en France, des animaux vivants qui, ensuite, ont rejoint les morceaux qui partaient dans les farines animales en France et qui provenaient de carcasses anglaises.

La deuxième chose très intéressante, sachant que l'on était dans le cadre d'un système de dérogation, c'est qu'il nous a dit que jamais une dérogation n'avait été refusée concernant les importations de farines anglaises.

Voilà des éléments qui montrent l'ampleur de ce qui a pu se passer et qui expliquent surtout la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Je voudrais terminer mon propos par un exemple. En 1996, lorsqu'on a découvert la maladie, on avait deux solutions : soit gérer le problème, soit le cacher. Le gérer, cela impliquait qu'il fallait dire que des farines contaminées avaient pu entrer dans différents pays de l'Union européenne. Je vous rappelle que l'on n'est pas sûr que tous les pays de l'Union européenne ont des systèmes conformes en matière de traitement des cadavres et des résidus de la consommation de la viande.

Par ailleurs, gérer le problème, cela impliquait d'admettre que l'on avait pu avoir des contaminations par mélange. Là aussi, la preuve a été faite que la plupart des usines d'aliments, en France, ne sont pas des usines spécialisées soit pour volailles-porcs, soit pour bovins, mais que la même usine est habilitée à faire à la fois des aliments pour bovins et des aliments pour les porcs et que le même camion peut les transporter indifféremment. Cela veut dire que l'on a pu avoir des contaminations croisées.

Si on avait géré intelligemment le problème en 1996, on aurait pu, comme je viens de le faire en vous parlant des livraisons de 1992 dans mon exploitation, savoir que, sur tel site, des farines ont effectivement été introduites et que, sur tel autre site, aucune farine n'a été introduite. Aujourd'hui, il y a suspicion sur l'ensemble de l'alimentation et l'ensemble du cheptel alors qu'en fait, l'ensemble du cheptel n'a pas été exposé aux farines.

C'est une solution qui n'a pas été choisie pour différentes raisons. Au niveau de l'APCA, nous le regrettons parce que l'initiative que nous avions prise en 1996 était de dire : "gérons le problème". Or la décision qui a été prise a été justement de ne pas gérer le problème, puisque nous étions persuadés que cela ne pouvait pas nous arriver.

Cela a été le drame de 2000. En effet, rien n'est plus terrible, dans la vie, que de donner l'impression qu'on a menti. En 1996, on a mis en place une initiative très intéressante, qui était Viande Bovine Française (VBF), avec la traçabilité et la connaissance de l'ensemble des détenteurs de chaque animal durant sa vie, et on a expliqué alors que les animaux, en France, ne pouvaient pas être contaminés puisque les farines étaient bien traitées.

Cependant, on n'avait pas intégré tous les points que je viens de soulever, à savoir les importations venant directement d'Angleterre en France ou provenant d'autres pays dont la case départ était l'Angleterre. Cela veut dire que, lorsque le phénomène s'est développé en 2000, les consommateurs et les citoyens français ont eu l'impression que, quelque part, on leur avait menti puisque le nombre de cas était en train de remonter.

Mon dernier propos est de dire, hélas, que les faits nous donnent plutôt raison. Je vous rappelle que l'initiative prise dans le département des Vosges l'a été avant que nous ayons un cas d'ESB : nous l'avions fait à titre préventif. A l'époque, le président du tribunal d'Epinal nous avait posé une question terrible à nous, éleveurs : "si, demain, avec la procédure que vous avez engagée, vous apprenez que des aliments que vous avez achetés ont contenu des farines, que faites-vous des animaux ?" Nous avions répondu alors, en 1996 : "nous ne commercialiserons pas ces animaux". Le premier cas d'ESB dans le département des Vosges date du mois d'octobre 2000, soit quatre ans après.

Nous sommes aujourd'hui à fin février 2001 et je ne sais toujours pas ce que contiennent les aliments que j'ai achetés et payés sur la période de 1990 à 1996.

M. le Président - Merci. Cela étant, il faut relativiser les choses quand on sait comment cela se passe. En effet, après avoir relevé des cas d'ESB dans certains élevages, on aurait peut-être pu retrouver, s'il n'y avait eu qu'un ou même deux fournisseurs, la composition des aliments et mener une investigation à cet égard.

Or vous savez bien --c'est tout naturel-- que, souvent, des éleveurs se servent chez plusieurs fournisseurs, quand ils ne fabriquent pas leurs propres aliments.

M. Daniel Grémillet - Vous posez une vraie question. Le tribunal d'Epinal, en 1996, a exclu toutes les procédures dès lors que l'éleveur achetait plusieurs types d'aliment. Les éleveurs qui sont en procédure aujourd'hui n'ont acheté, sur la période 1990-1996, que chez un seul fournisseur d'aliments.

M. le Président - D'accord. Et vous êtes sûr qu'ils ne donnaient que ces aliments ?

M. Daniel Grémillet - Bien sûr, puisque nous avons fourni l'ensemble des comptabilités.

M. le Président - Cependant, je voudrais vous faire remarquer que, tout à l'heure, entre vos deux étiquettes, il y a eu une certaine évolution, parce que la dénomination n'est pas tout à fait la même. Au début, on vous donne très peu d'indications, mais ensuite, on vous indique quand même : "tourteaux de soja, tournesol, etc." C'est quand même une évolution. Je trouve cela assez net.

Cela étant, c'est logique et normal. C'était la réglementation, mais il est vrai que vous pouvez souhaiter en savoir davantage, ce qui est tout à votre honneur. Je veux simplement dire qu'il y a quand même eu une petite évolution à travers l'exemple que vous nous avez donné.

M. Daniel Grémillet - La question que nous posons et que nous continuons à poser ne porte pas sur la composition des aliments mais sur les ingrédients présents dans les aliments qui nous sont livrés, ce qui est totalement différent.

Aujourd'hui, la plupart des aliments sont livrés en vrac, c'est-à-dire que, dès lors que le camion a déchargé, même si vous contestez la livraison, vous ne pouvez plus le faire parce qu'on peut toujours dire que vous l'avez mélangée à autre chose. Dans le département des Vosges, la Chambre d'agriculture, avec la FNSEA, a mis en place un système d'auto-contrôle. Nous avons fait un prélèvement par huissier au début, au milieu et à la fin de la livraison, au mois de décembre 2000, et je peux vous dire, monsieur le Président, mesdames et messieurs, que, dans cette livraison, certains ingrédients qui n'étaient pas sur l'étiquette y figuraient, tout simplement parce que le camion qui avait livré l'aliment avait livré auparavant de la luzerne : on trouvé des bouchons de luzerne dans la livraison d'aliments pour vache laitière.

La luzerne n'est pas un problème, bien sûr, mais je dis cela pour vous sensibiliser sur le fait que le problème peut se poser en ce qui concerne le transport, la fabrication, le stockage ou le transport des matières premières. Le fait de demander la connaissance des ingrédients présents permet non seulement d'entrer dans les secrets de fabrication (peu importe s'ils en mettent 18 ou 15 %) mais de savoir qu'un aliment que l'on donne à un bovin ne contient que des ingrédients conformes à l'alimentation des bovins.

C'est pourquoi j'insiste sur la distinction entre la composition qui a effectivement changé par rapport à ma livraison du mois de décembre 1992 mais qui n'a à aucun moment changé par rapport aux mélanges qui peuvent intervenir au moment de la fabrication ou de la livraison.

Le meilleur exemple que nous avons est celui de M. Vaxelaire, un éleveur qui a eu le premier cas d'ESB de notre département alors qu'il n'a jamais mis dans son silo d'autres aliments que des aliments pour bovins. Des prélèvements ont été réalisés sur la paroi intérieure du silo et on y a relevé la présence d'os. Cela veut dire qu'à l'insu de l'éleveur, à un moment donné, soit par contamination croisée, soit par introduction volontaire, de la farine animale a été dans ce silo.

C'est un exemple concret qui a été vécu dans le département des Vosges au mois de décembre 2000.

M. le Président - Si je comprends bien, vous pensez qu'il y a eu des retards dans les décisions pour faire évoluer les réglementations. Quel est votre sentiment sur ce point ? Est-ce tout à fait cela ou pensez-vous qu'on ne pouvait pas faire autrement ?

M. Jean-François Hervieu - On pourrait comprendre qu'il y ait un décalage de quelques jours. En revanche, le fait qu'il y ait un décalage de plusieurs mois me paraît incompréhensible face à un problème de cette importance. Il y a donc eu, à un moment ou à un autre, un laisser-aller ou une faute, disons quelque chose d'anormal par rapport soit à des décisions qui ont été prises à Bruxelles, soit à des faits qui se sont passés en particulier en Grande-Bretagne.

Le dernier point qui est assez étrange, c'est qu'en ce qui concerne l'incinération des farines animales, la réglementation européenne datait de 1996 et que l'adaptation française n'a été faite qu'un an et demi après, alors qu'on était en pleine crise. L'ensemble des sites d'incinération français correspondait-il de façon satisfaisante aux réglementations européennes ? Je ne le sais pas, mais la réglementation aurait pu être adaptée quasiment au même moment.

M. le Président - Par ailleurs, pensez-vous que les éleveurs ont été suffisamment informés à l'époque de l'interdiction de l'utilisation des farines animales pour les bovins ? L'information a-t-elle été suffisante et cela n'a-t-il pas entraîné une continuité, en dehors même des fabricants d'aliments du bétail, d'utilisation par les éleveurs, à certains moments, d'une petite partie de farines animales dans la fabrication d'aliments faits à la ferme, par exemple ?

M. Daniel Grémillet - J'ai dans les mains une note qui a été faite par l'ambassade de France en Grande-Bretagne au mois de mars 1989 et qui alerte la France sur ce qui se passe en Angleterre. Cette note est très claire et je pense que vous l'avez sûrement.

M. le Président - Vous nous la donnerez. Nous pourrons la comparer pour vérifier que c'est bien celle que nous avons.

M. Daniel Grémillet - Il en est de même pour la lettre du 3 août 1989. Elle a été envoyée par la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire qui, suite à une visite en Angleterre, a interpellé le ministère en demandant une rencontre. Cela s'est passé en 1989. Je vous rappelle qu'à cette époque, tout est géré par les services et non par le ministère, puisque la lettre envoyée aux fabricants d'aliments datant du mois de novembre 1989 est envoyée par les services du ministère et non pas signée par le ministre, mais tous les fabricants l'ont eue.

La seule remarque que je tiens à rapporter est un propos plein de bon sens de la part du directeur de la DGCCRF. Il nous a en effet expliqué que les farines anglaises étant interdites en Angleterre, elles n'ont pas eu une interdiction européenne. Cela veut dire qu'elles ont pu continuer, soit par d'autres pays, soit par dérogation, de rentrer dans notre pays. C'est un premier problème.

Par ailleurs, dès lors qu'une farine en est effectivement une, les contrôles s'arrêtent là. Il nous a alors donné un exemple plein d'images : la personne qui introduit de la drogue dans un camion frigorifique ne va pas marquer sur le bon de livraison que c'est de la drogue. Autrement dit, même si on voulait recenser les importations et connaître les transits des farines, vous ne pourrez pas déceler si cela a été fait d'une manière illégale. La DGCCRF expliquait que ce n'était pas en demandant des bordereaux aux entreprises que l'on pouvait déceler s'il y avait eu fraude. S'il y a fraude, il faut tomber dessus au moment précis de la fraude. Sinon, on ne peut plus refaire l'histoire.

C'est un point important à signaler, parce qu'il ne faut pas oublier qu'une matière première qui est interdite soudainement dans un pays ne vaut plus rien. Je vous rappelle --mais je pense que vous avez dû avoir cette information-- que les fabricants des farines françaises ont alerté le ministère des finances en 1988-1989 sur les bas prix des farines anglaises qui entraient dans notre pays en disant qu'il n'était pas possible d'avoir des distorsions de concurrence aussi importantes. Je le dis parce que ce sont les fabricants français eux-mêmes qui l'ont indiqué, ce qui voulait dire qu'il y avait une certaine spéculation et des intérêts financiers derrière cela.

Quant aux éleveurs et à la question plus précise de l'utilisation de farines animales dans les exploitations, je peux vous dire qu'au niveau des EDE, la plupart des aliments donnés aux bovins sont malgré tout achetés par les éleveurs. De toute façon, si jamais ce sont des farines qui sont légalement entrées dans l'alimentation du bétail, vous aurez les bordereaux de livraison, mais cela ne dira pas si ces farines viennent de France ou d'Angleterre, puisque la réglementation nous l'interdit du fait du marché unique. Je parle bien des bovins et non pas des porcins. Le système de fabrication des aliments du bétail est très développé en ce qui concerne l'alimentation bovine alors que, dans le système porcin, on a peut-être un pourcentage plus élevé de personnes qui fabriquent elles-mêmes leurs aliments.

M. le Président - De toute façon, il fallait bien qu'ils achètent leurs compléments d'aliment et on ne peut pas savoir d'où ils viennent.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Avez-vous gardé par devers vous, dans les archives de l'APCA, des échanges de courriers entre les fabricants d'aliments du bétail et les pouvoirs publics sur cette distorsion de concurrence et le bas prix des farines animales anglaises ?

M. Daniel Grémillet - Je peux vous donner le nom de la personne qui a envoyé cette lettre aux fabricants le 13 novembre 1989. Il s'agit de M. Jacques Olry, qui était contrôleur général au Conseil général des vétérinaires entre 1990 et 1994.

M. le Président - Pouvez-vous nous la donner ?

M. Daniel Grémillet - Je ne l'ai pas. C'est lui qui nous a informés de ce qui a été envoyé.

M. le Rapporteur - En s'adressant à lui, nous pourrions donc avoir le double de ce courrier. Il s'agit bien du 13 novembre 1989 ?

M. Daniel Grémillet - Exactement. C'est une lettre qui a été envoyée à l'ensemble des fabricants d'aliments par les services du ministère, signée de M. Olry.

M. Paul Blanc - Dans le même ordre d'idée, en ce qui concerne la fabrication de ces aliments, vous avez tout à l'heure mis dans le même sac, si je peux m'exprimer ainsi, les privés et les coopératives fabricant des aliments. Or il me semble que les coopératives sont elles-mêmes gérées par des agriculteurs. Vous avez dit tout à l'heure que vous aviez insisté auprès des fabricants pour qu'ils prennent en compte ce problème. N'avez-vous pas pu être mieux entendu par les coopératives ?

M. Daniel Grémillet - Hier, j'ai présidé, avec le président Hervieu, une réunion à l'APCA avec tous les présidents de l'élevage des chambres d'agriculture de France et leurs directeurs, et nous avions invité le président Montécot, pour le privé, et M. Rabiller, pour le SYNCOPAC.

A la demande de tous les éleveurs, j'ai dit : "Compte tenu de ce qui est en train de se passer, travaillons ensemble autrement et allons plus loin que la réglementation", mais je n'ai eu qu'une fin de non-recevoir.

Je vous précise que, dans le département des Vosges (quand on est dans cette situation, il faut bien prendre des initiatives à un moment donné), nous avons mis en place un système qui fait que les éleveurs sont en train de signer des contrats et que, dès lors que le fabricant, quel qu'il soit, ne s'engage pas à fournir, avec chaque bon de livraison, la totalité des ingrédients présents, nous n'achetons plus des aliments chez ces fabricants. Nous allons au-delà la réglementation française et européenne. C'est très important.

L'APCA souhaite que cette transparence, qui est nécessaire aujourd'hui pour la confiance et l'exercice de notre métier en tant qu'éleveurs, mais aussi pour le citoyen et le consommateur, puisse s'exercer à tous les niveaux de la chaîne, que ce soit pour que nous connaissions la composition des aliments que nous achetons, que ce soit lorsque nous vendons nos produits (aujourd'hui, la réglementation a changé et beaucoup de choses sont maintenant connues) ou que ce soit pour le produit final qu'achète le consommateur.

M. Jean-Paul Emorine - Tout à l'heure, lorsque vous avez évoqué la période de 1996, vous nous avez dit qu'à l'époque, pour ce qui concerne les farines qui venaient de Grande-Bretagne et qui pouvaient transiter par la Belgique, on vous avait répondu qu'à ce titre, on n'avait pas à savoir d'où elles venaient. Je pense qu'au titre de la traçabilité, même si c'est dans une directive européenne, rien n'empêche l'entreprise belge de vous indiquer d'où viennent ces farines. Dans l'entreprise, il y a bien, à un moment donné, un certificat qui donne l'origine de ces farines, même si elle ne fait que du commerce.

La directive n'empêche pas les denrées de circuler au niveau européen et on peut parler du passé mais aussi de l'avenir. Quand on parle de traçabilité, si on reste dans ce contexte, il suffira qu'un produit circule au niveau de l'Europe pour ne pas connaître son origine de départ.

La réponse qui vous a été faite, à mon avis, ne peut pas satisfaire le monde agricole, parce que si on devait rester sur cette position au niveau européen, je ne vois pas à quel titre vous pourriez faire de la traçabilité.

J'ai une autre question à vous poser. Dans le secret de fabrication, on vous donne les ingrédients et non pas le niveau de ces ingrédients, et vous avez très bien répondu sur ce point. Cela dit, quand on parle de traçabilité, je ne vois pas au nom de quoi on ne peut pas arriver à connaître la fabrication des aliments. Quand vous achetez certains produits, même si une concurrence se fait automatiquement, on doit vous donner la composition des ingrédients.

On ne pourra pas, au niveau français, mettre en place une traçabilité définitive si on ne peut pas aller plus loin dans la composition de ces aliments. Je ne vous pose pas beaucoup de questions, mais je trouve anormal qu'en 1996, on s'appuie sur une directive pour vous dire : "vous n'avez pas à nous demander d'où vient cette farine animale puisqu'elle vient d'Europe".

M. Jean-François Hervieu - Sur la traçabilité elle-même, effectivement, un acheteur peut toujours demander l'origine, mais, dans la mesure où il n'y a pas de traçabilité et où la farine est indiquée comme étant belge, elle change de nationalité, elle devient belge ou hollandaise et l'acheteur ne peut pas savoir, si son vendeur veut le lui cacher, s'il y a une origine de Grande-Bretagne.

M. Jean-Paul Emorine - Vous sentez bien que c'est néanmoins la vraie question qui est posée aujourd'hui, même si on ne va pas refaire le passé.

On est pour l'Union européenne, mais on peut connaître quand même le pays d'origine de la denrée. Au titre de la traçabilité, on n'échappera pas à cette notion ni à la décision qui a été prise dans les Vosges et que M. Grémillet exposait tout à l'heure. Si vous dites aux fournisseurs d'aliments : "on veut tout connaître", vous verrez qu'ils vont s'y plier.

Je suis très heureux de vous entendre, parce que, lorsque les gens ne voulaient rien vous dire en matière de composition des aliments, c'est la preuve que cela cachait quelque chose. Cela ne cachait pas que les ingrédients : s'il n'y avait eu que cela à donner, ils l'auraient sans doute fait.

M. Jean-François Hervieu - Sur le raisonnement, on vous suit totalement. Cependant, je tiens à vous donner un exemple qui est lié au même problème : la Hollande est aujourd'hui dispensée de l'abattage d'animaux de plus de 30 mois au prétexte qu'il n'y a pas d'animaux malades chez elle. On peut s'interroger. Le résultat européen est là. On a donc le même problème.

La deuxième question que vous posez concerne les farines animales. La réglementation oblige à écrire : "farines venant d'animaux terrestres". C'est la formule utilisée. Par conséquent, ces farines peuvent provenir de bovins comme de porcins ou de volailles ; elles peuvent aussi contenir de la viande, de la plume ou des os. On est incapable de savoir ce qu'on a réellement dans un aliment à partir d'une telle définition. C'est la réglementation de base.

M. le Président - Quel est aujourd'hui votre sentiment sur les dernières mesures qui ont été prises par l'AFSSA à propos des ovins ?

M. Jean-François Hervieu - Vous voulez parler de la fièvre aphteuse ?

M. le Président - Non. Je parle de la mesure consistant à retirer les abats à risques, le crâne, etc., par rapport à la tremblante.

M. Jean-François Hervieu - Je pense que c'est une approche de précaution qui est normale. Au niveau de l'AFSSA et du Conseil scientifique européen, les approches ont été sensiblement les mêmes et, compte tenu des démarches et des recherches qui sont faites actuellement, il apparaît qu'en retirant les matériaux à risques sensibles, on répond largement au principe de précaution.

Je pense que nous pouvons en rester là en ce qui nous concerne. Nous n'avons pas d'autres éléments qui nous permettent de penser qu'il faut agir différemment. Je ne sais pas si M. Grémillet a des éléments supplémentaires à apporter sur ce sujet.

M. Daniel Grémillet - Je ne suis que paysan et non pas scientifique. Cependant, pour nous aussi, en tant que paysans, il est important que le scientifique parle lorsqu'il a des éléments, y compris quand ils ne sont pas affirmés, c'est-à-dire quand il a des éléments de suspicion. Il est important qu'il nous informe et, surtout, qu'il informe les politiques pour que chacun prenne ses responsabilités. Le rôle du scientifique est de chercher et le rôle du politique est de décider.

A contrario, il est très dangereux que les scientifiques se mettent à exprimer des craintes qui ne se sont pas identifiées pour l'instant.

C'est important parce que, aujourd'hui, il y a un vrai débat sur ce dossier. J'ai juré tout à l'heure et je ne voudrais pas que mon propos soit considéré comme une affirmation mais, en tant qu'éleveur et responsable, on m'explique aujourd'hui que certaines choses pourraient être mises en avant, notamment sur le fait qu'au départ, contrairement à ce qu'on avait expliqué, l'ESB pourrait venir des farines animales anglaises qui traitaient à la fois des moutons et des bovins, y compris des moutons qui avaient la tremblante, alors qu'au début, on nous disait que ce n'était pas possible. Aujourd'hui, c'est une chose qui n'est plus exclue.

On nous a dit aussi que l'interdiction d'utiliser les farines a concerné, dans un premier temps, les bovins et non pas les ovins, si bien que les ovins ont eu légalement le droit de consommer plus longtemps des farines animales. Aujourd'hui, toujours d'après les scientifiques (encore une fois, je ne fais que rapporter des éléments que l'on nous donne en tant qu'éleveurs et responsables et il faut trier là-dedans), on nous explique qu'un nouveau variant possible de cette maladie serait passé du bovin à l'ovin, après un premier passage de l'ovin au bovin, mais sous une autre forme qui aurait des différences très nettes par rapport aux bovins. En effet, d'après les scientifiques, il semblerait que, pour les bovins, seul le système nerveux pourrait transmettre la maladie et non pas le muscle et qu'en revanche, pour ce qui est des ovins, il y aurait moins de certitudes sur le fait que le muscle ne puisse pas transmettre la maladie.

Je voudrais aussi que l'on évoque un autre point, si nous avons un peu de temps, après celui des farines animales : celui des graisses animales. En effet, on s'aperçoit qu'aujourd'hui, la plupart des animaux contaminés sont nés en 1994 ou 1995. Comme on connaît le temps d'incubation, cela veut dire que ces animaux ont été contaminés très jeunes, souvent dans la première année de leur existence, à une période où ils peuvent consommer des aliments d'allaitement, qui sont composés --il suffit de prendre les étiquettes-- à 50 % de lait en poudre et à 50 % soit de produits végétaux, soit de graisses animales.

Or les scientifiques ont démontré aujourd'hui que les graisses animales pouvaient, elles aussi, être porteuses et transmettre le fameux prion puisque, dans le traitement de ces graisses, on pouvait trouver des matériaux à risques.

C'est aussi un élément nouveau. N'oublions pas que les graisses animales étaient encore autorisées il y a très peu de temps, y compris dans notre pays. C'est donc un élément qu'il faut intégrer également.

Pour reprendre l'image de 1996, je pense que, dès lors que l'on sait, il faut gérer les problèmes et non pas les cacher. Il faut les gérer et voir où il y a risque ou non de manière très transparente.

M. le Rapporteur - Je voudrais revenir sur l'éleveur des Vosges, dont j'ai oublié le nom, qui a eu un cas d'ESB dans son exploitation et chez lequel, après prélèvement, vous avez découvert des fragments d'os le long des parois de son silo. Accréditez-vous l'hypothèse, qui court de plus en plus, selon laquelle les contaminations croisées sont plus des contaminations issues d'un problème de retour de fins de silo plutôt qu'une contamination in situ dans l'exploitation agricole elle-même ?

Cette hypothèse s'appuie sur l'argumentation suivante. Dans un but de bonne pratique commerciale, soit sur un atelier volailles, soit sur un atelier porcs, lorsqu'un industriel de la transformation de farines récupérait une partie d'un silo, on considère qu'il y avait ensuite incorporation de ces retours de silo dans d'autres aliments pour animaux en utilisant deux formulations qui, techniquement, étaient les plus simples à élaborer : la formulation "aliments complémentaires pour les jeunes bovins" et la formulation "aliments pour les truies". Il paraît que c'est au sein de ces deux types d'aliments qu'il était plus facile d'incorporer ces retours de lots.

C'est une thèse qui semble se développer. Avez-vous des informations là-dessus et accréditez-vous cette thèse ?

M. Daniel Grémillet - Il est certain, sur l'aspect alimentaire, que les bovins peuvent consommer des produits beaucoup plus souples que d'autres espèces. Par exemple, le porc est un animal qui a besoin d'une alimentation très précise, qui est beaucoup plus sensible que le bovin.

M. le Rapporteur - J'ajoute que cette thèse accréditerait également l'hypothèse que les animaux seraient contaminés précisément dans leur jeune âge. On a parlé des lacto-remplaceurs au travers des graisses, mais, juste après les lacto-remplaceurs, dans la période de transition, on a l'aliment "jeunes bovins" et on pourrait imaginer que les animaux seraient contaminés dans leur première année d'existence.

M. Daniel Grémillet - Tout à fait. Dans les auditions qui ont été faites à Créteil par l'expert, il me semble que c'est M. Jean-Jacques Réveillon qui nous a expliqué que chaque usine d'aliment avait un silo "infirmerie" qui contenait tous les retours des lots d'aliment. Je ne le retrouve pas précisément dans mes notes, mais je sais qu'une personne nous a effectivement parlé de ce problème de fin de lots, de restes de camion, voire de reprises d'aliments, lorsqu'une bande est terminée et qu'il y a un vide sanitaire, avec des produits retraités. Pour cette personne, ces produits pouvaient repartir dans l'alimentation des bovins.

Cela fait partie d'une autre source. La contamination croisée ne s'arrête pas aux mélanges dans les camions mais va effectivement jusqu'aux restes de fabrication.

M. le Président - Je pense que nous avons fait le tour de ce que nous avions à vous demander. Nous vous remercions d'avoir répondu à cette audition, en espérant que les choses s'arrangeront pour tout le monde parce que cela devient difficile.

Audition de M. Jérôme BÉDIER, Président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), accompagné de Mme Géraldine POIVERT

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Bedier, je vous rappelle que vous êtes auditionné dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales, élargi à la propagation de l'ESB sur les bovins, et que je dois à ce titre vous faire prêter serment après vous avoir rappelé les dispositions permettant le fonctionnement de cette commission d'enquête.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bédier et à Mme Poivert.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous laisser la parole pour que vous nous disiez, vu de votre côté, ce que vous savez et les conséquences que ce problème a pu entraîner, après quoi nos collègues vous poseront les questions qu'ils souhaitent pour éclaircir leur jugement.

M. Jérôme Bédier - Merci, monsieur le Président. Nous avons, comme beaucoup d'acteurs économiques, découvert l'ampleur du problème de l'ESB au moment de la première crise de 1996. C'est à ce moment-là que nous nous sommes retrouvés affectés directement dans notre activité et que nous avons entrepris, tout d'abord, de nous documenter sur la situation scientifique et les informations qui étaient disponibles.

Nous avons créé, en avril 1997, un service d'information alimentaire assorti d'un comité scientifique qui nous a permis d'exercer une sorte de veille pendant l'ensemble de cette crise et nous avons été amenés, à cette occasion, à nous exprimer de temps en temps sur la situation de la viande bovine et sur les mesures qui y étaient liées.

Nous l'avons fait d'ailleurs en faisant appel, le cas échéant, à des personnalités extérieures. C'est ainsi que Mme Brugère-Picoux est venue à plusieurs reprises devant nos spécialistes et notre comité scientifique pour nous faire part de ses observations et de ses connaissances.

Au plan interne de notre Fédération, c'est notre comité "qualité" qui a suivi la crise bovine. Il s'agit d'un comité composé de tous les responsables qualité, qui sont souvent des vétérinaires, des gens qui suivent l'ensemble des questions de qualité à l'intérieur des enseignes, avec l'appui de notre comité "viande", qui suit plus particulièrement les questions liées au marché de la viande bovine.

Voilà, en gros, l'architecture des organes amenés à travailler sur cette question.

Qu'avons-nous fait ou entrepris à ce sujet ? Notre position est de dire que nous avons besoin d'un maximum d'informations sur la crise pour prendre, dans nos entreprises, les mesures les plus adaptées mais que, bien sûr, nous ne pouvons pas avoir de pensée scientifique autonome par rapport à ce que disent les pouvoirs publics, c'est-à-dire que nous nous calons de manière précise sur ce que les pouvoirs publics disent et dictent et que notre priorité est évidemment de faire en sorte que ce que disent les pouvoirs publics, en particulier ce qu'ils demandent aux commerçants, qui sont à l'aval de la filière, soit véritablement mis en oeuvre dans les magasins.

C'est ainsi que nous avons été amenés à travailler sur cette question dans le cadre des cahiers des charges qui sont mis en place entre les enseignes, certains producteurs et certains transformateurs et à faire en sorte que ces cahiers des charges soient le plus possible actualisés en fonction des informations qui existaient.

S'agissant des farines animales, nous avons été finalement amenés à intervenir sur ce sujet, en particulier sur un aspect latéral mais important : le problème du financement. En effet, nous avons enregistré les décisions qui ont été prises. La première l'a été en 1990, avant même la sensibilité qui existe maintenant sur ce sujet, et la suivante a été prise en 1996 pour le retrait des matériaux à risques spécifiés. C'est finalement par le biais financier et budgétaire que nous nous sommes trouvés mêlés assez directement à l'opération, puisque c'est à ce moment-là que le gouvernement de l'époque a décidé de mettre en place une taxe d'équarrissage qui nous paraissait présenter beaucoup de problèmes, parce que nous considérions --et nous considérons d'ailleurs encore--, d'une part, que cette taxe d'équarrissage avait tendance à déresponsabiliser l'amont en faisant payer par l'aval, c'est-à-dire, en définitive, le consommateur, l'essentiel des charges liées à l'élimination des carcasses et au problème du processus des farines et, d'autre part, que nous ne bénéficiions pas, dans ce domaine, d'une suffisante visibilité sur la façon dont fonctionnait le service public de l'équarrissage qui a été institué à l'époque.

Nous avons d'ailleurs milité pour dire qu'il fallait un système plus ouvert qui ne bénéficie pas de manière directe d'une fiscalité propre. Cela s'est traduit par l'article 3 de la loi instituant le service public de l'équarrissage, article dans lequel on dit qu'il faut un rapport tous les ans pour donner toutes les informations sur la mise en oeuvre de ce service public. Ce rapport, à ma connaissance, est sorti une année, début 1999 sur l'exercice 1998 et, depuis, nous avons eu assez peu d'informations. Nous avons donc dit que cette façon de calculer une fiscalité pour l'équarrissage nous paraissait problématique et dangereuse.

C'était le premier épisode : celui de 1996.

En ce qui concerne la crise de l'année dernière, nous avons été parmi les derniers à prendre position, en tant que profession, sur l'élimination des farines animales de l'alimentation. Nous avons en effet considéré longtemps que les mesures édictées par le gouvernement, c'est-à-dire les mesures de précaution pour le traitement des farines, d'une part, et l'interdiction absolue d'utiliser les farines dans l'alimentation des herbivores, d'autre part, suffisait à garantir à nos consommateurs une sécurité alimentaire nécessaire.

Nous avons été obligés de constater qu'il y avait un tel doute sur l'application réelle de la mesure édictée en 1990 qu'il fallait que nous changions un peu de position. Les premiers qui l'ont fait, d'ailleurs --cela nous avait un peu surpris à l'époque--, sont les industriels et l'ANIA, c'est-à-dire l'industrie agroalimentaire, qui ont dit en juin 2000 : " il faut interdire les farines animales dans tous les types d'alimentation des animaux".

Nous avons dit qu'il était dangereux de le dire parce que cela signifiait que nous n'étions pas sûrs que les contrôles sont véritablement appliqués. Si c'est un problème de contrôles inappliqués, il vaut mieux faire les contrôles et appliquer la réglementation, dès lors que l'on considérerait que des farines traitées pourraient continuer à servir à l'alimentation d'autres animaux que les herbivores.

Finalement, nous avons eu l'addition des cas de vache folle naïfs avec, à chaque fois, un communiqué ou des commentaires tendant à indiquer que c'était sans doute la contamination croisée qui expliquait les cas. Tout cela a abouti à une crise de confiance, à notre avis assez compréhensible, de l'opinion. C'est pourquoi on a fini par se dire qu'il valait mieux prendre une mesure drastique et éliminer les farines animales avec le risque que cela comportait, dans la mesure où on émettait un doute sur l'application des mesures qui avaient été prises dans le passé.

C'est ainsi qu'après que l'ANIA eût rappelé (tout cela s'est passé au CIAL, comme vous le savez), le lundi, qu'elle souhaitait l'interdiction des farines, que l'une de nos grandes enseignes, Carrefour, eût dit le mardi qu'elle souhaitait que les farines animales n'entrent pas dans l'alimentation et que le président de la République eût dit le mercredi qu'il fallait prendre cette mesure, nous avons en quelque sorte confirmé cette position dans une interview aux Echos qui est intervenue peu de temps après.

Voilà la position que nous avons prise. Nous avons eu le sentiment que l'absence de garanties suffisantes sur les contrôles, cette remarque valant aussi pour la non utilisation ou l'élimination des matériaux à risques spécifiés, nous obligeait à prendre une mesure qui avait un impact lourd et qui, en outre, avait l'inconvénient de donner l'impression aux Français que les mesures de sécurité alimentaire n'avaient pas été véritablement respectées dans le passé.

La question qui est posée aujourd'hui est de savoir comment les choses peuvent se passer. La seule remarque que je ferai, parce que l'interdiction est provisoire --elle doit durer six mois mais elle durera vraisemblablement plus longtemps--, c'est qu'il faudrait éviter, après avoir banni les farines animales de l'alimentation, d'avoir des circuits de farines insuffisamment contrôlés. Il faut que l'on puisse, d'une part, continuer à traiter les farines pour que des éléments contaminants ne puissent pas continuer à se promener d'une manière ou d'une autre dans la nature et, d'autre part, avoir une traçabilité complète des farines, quelle que soit l'utilisation finale, même si on en revient, un jour, à les utiliser dans un processus alimentaire dès lors qu'il y aurait un consensus des scientifiques pour le faire.

Voilà la position que nous avons prise.

Nous avons également été amenés à intervenir à nouveau sur la taxe d'équarrissage. Pour être francs, nous avons été franchement déçus par la décision prise à cet égard et le Sénat connaît bien le débat puisqu'il a voté à deux reprises contre l'augmentation de la taxe d'équarrissage dans sa nouvelle forme. En effet, il nous est apparu totalement inadéquat de multiplier par plus de trois le produit de la taxe d'équarrissage à un moment où il fallait recréer la confiance des Français à l'égard de la viande. Ce n'est pas en créant un impôt de 4 % sur la viande, à comparer avec une TVA de 5,5 %, que l'on allait contribuer à recréer la confiance chez les Français, d'autant plus qu'il s'agissait à notre sens d'une question de santé publique qui devait être financée par le budget général du pays.

Par ailleurs, on ne dispose aujourd'hui d'aucune visibilité sur le circuit des farines, la rentabilité et la façon dont on peut recréer un processus industriel de valorisation ou d'utilisation des farines. On voit des articles sur ce point dans les journaux. Certains disent que l'on peut les brûler et que cela a un pouvoir calorifique considérable ; d'autres disent que cela coûte 2 milliards...

En tout cas, nous, opérateurs économiques qui nous nous retrouvons mêlés à l'impôt qui est prélevé, n'avons aucune visibilité sur le coût réel de ce processus et de son optimisation. En effet, nous sentons bien que si on crée une fiscalité pérenne, cela ne pousse pas à une forme d'optimisation, y compris si on veut avoir un usage énergétique des farines animales.

Nous avons donc dit de manière très claire qu'il nous paraissait extrêmement contre-productif, dans la période transitoire que nous traversons, de créer une fiscalité définitive. C'est malheureusement ce qui a été fait, avec le paradoxe que la taxe est finalement reversée au budget général. En effet, si elle avait été reversée, comme c'était le cas dans le passé, au CNASEA, pour financer les farines animales, elle aurait été manifestement anticommunautaire. On a donc créé une taxe de 4 % sur les produits de viande pour alimenter le budget général. Je pense que l'on aurait pu essayer de trouver une autre solution pour essayer de conforter la filière bovine.

Nous ne contestons pas qu'il puisse y avoir des coûts, car il faut absolument que ce problème des farines animales soit réglé, mais si on doit financer certains coûts, il faut le faire, premièrement, sur la base de données scientifiques et techniques précises permettant d'ajuster véritablement les coûts, deuxièmement, sur le fondement d'un contrôle extrêmement précis de ce que serait un service public de l'équarrissage ou de l'élimination des farines et, troisièmement, sous la forme d'une fiscalité qui devrait, comme il s'agit d'un problème de santé, dépendre du budget général et non pas d'une fiscalité propre sur le produit.

Voilà, monsieur le Président, ce que je voulais dire pour commencer. Je m'en tiendrai là pour respecter le délai avant de répondre à vos questions.

M. le Président - Merci. Le problème de la crise de l'ESB a eu forcément un impact considérable sur l'activité de l'ensemble des commerces. Quel impact réel sur les chiffres d'affaires a eu cette crise de la fin de l'année dernière ?

M. Jérôme Bédier - Nous avons perdu, en chiffre d'affaires, 50 %, en gros, entre octobre et début décembre ; nous sommes remontés début décembre, nous sommes redescendus en janvier et nous sommes actuellement à environ - 25 % pour la viande bovine. Cela dit, il y a des effets de report sur d'autres productions. En gros, nous chiffrons la perte de nos enseignes, globalement, pour l'année 2000, à plusieurs centaines de millions de francs, entre 500 et 800 millions de francs. Une seule enseigne a perdu 80 millions de francs, en affectant les frais fixes que nous sommes tenus d'affecter. Ce sont des montants considérables.

Aujourd'hui, nous sommes inquiets sur l'évolution de la consommation, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises au ministre de l'agriculture. En effet, la meilleure manière de financer cette crise est de recréer de la consommation, c'est-à-dire de recréer de la confiance. Or nous avons le sentiment que les conditions ne sont pas encore réunies pour que la confiance soit au rendez-vous, et ce pour une raison essentielle : la difficulté que nous avons, dans cette crise, à réunir tous les partenaires autour de la table et à les faire parler d'une même voix, avec un même objectif et sur un même sujet : le produit.

Les Français n'attendent pas qu'on leur parle du financement des agriculteurs ou des dernières hypothèses de tel ou tel chercheur anglais ou américain ; ils attendent qu'on leur dise : "voilà le produit qu'on vous présente et voilà ce qu'on a fait pour répondre aux questions qui ont été soulevées au cours des semaines précédentes". Malheureusement, nous avons un mal fou à y arriver.

Dans l'interview des Echos auquel j'ai fait allusion tout à l'heure, j'ai dit publiquement que l'interprofession ne fonctionnait pas et c'est le cas encore aujourd'hui, c'est-à-dire que nous assistons à une série d'effets d'annonce individuels. On a vu récemment apparaître des logos dont personne n'avait véritablement discuté auparavant ; on a vu apparaître, au cours d'un congrès récent, une charte de l'élevage que l'on connaît plus ou moins mais qui n'a pas été véritablement discutée ; on a vu l'initiative de tel ou tel syndicat pour prendre telle ou telle mesure d'élimination des animaux.

Bref, les Français sentent qu'il y a une assez forte cacophonie de l'ensemble des acteurs et c'est un point auquel nous sommes particulièrement sensibles. Tout notre effort serait donc d'arriver à mettre sur pied, pour que ce soit en application d'ici l'été, un système très simple mais très coordonné consistant à dire aux Français : "on s'est mis d'accord, pour vous garantir, par des voies de contrôle, non seulement que les réglementations sont appliquées mais que toutes les bonnes pratiques que nous connaissons sont mises en oeuvre pour l'ensemble des produits", ce qui suppose de mettre en place un nouveau logo ou cahier des charges qui serait une sorte de "VBF plus" avec des contrôles de tiers.

Cela suppose aussi que l'on ait une politique claire et explicite sur les prix de la viande bovine qui, aujourd'hui, son réellement la bouteille à l'encre. Certains disent qu'il faut absolument ne pas baisser les prix, sans quoi c'est la catastrophe, et d'autres disent qu'il faut absolument les baisser, sans quoi le marché ne reprendra pas. Certains disent qu'il y a trop de marges et d'autres qu'il n'y en a pas assez, etc. Il y a aussi le problème, assez difficile à résoudre, des valorisations ou covalorisations de l'animal, qui peut baisser en vif mais dont le rumsteck, celui du même animal, peut augmenter parce que le reste n'est pas valorisé.

Bref, il faut arriver à trancher une série de problèmes sur les prix. Nous l'avons dit à M. Glavany et à M. Patriat à la table ronde sur les tests d'ESB au mois de janvier et il faut vraiment une politique claire sur les prix. Soit on fait comme les Anglais qui ont dit : "on baisse de 20 à 30 %" et on explique cela aux Français, soit on fait autre chose, mais on le dit.

Certaines de nos enseignes ont essayé de faire des promotions au mois de décembre et ont vendu de la viande à -- 25 ou - 30 %. Cela n'a pas marché du tout parce que, lorsque le consommateur, qui n'a pas été informé de manière collective, voit arriver dans le magasin une viande à - 25 ou - 30 %, il se demande ce qu'on est en train de lui vendre et où on est allé chercher le produit en question. Quand on lui dit : "c'est exactement la viande que vous aviez deux mois avant, mais comme les prix ont baissé, on vous la vend moins cher", il n'achète pas. S'il n'y a pas une information collective, c'est très difficile à gérer.

Voilà où nous en sommes. Les chiffres restent bas et nous sommes dans une période où nous pensons que, s'il n'y a pas de sursaut, nous risquons d'avoir des comptes d'exploitation durablement affectés.

M. le Président - Vous parlez de 800 millions de pertes sur 2000, mais cela se rapporte à quel chiffre d'affaires total ?

M. Jérôme Bédier - Nous représentons environ 70 % de la commercialisation de viande.

M. le Président - Cela ne nous donne pas le chiffre.

M. Jérôme Bédier - Je ne l'ai pas à l'esprit. Pour nous, cela représente beaucoup.

M. Paul Blanc - Combien représente la taxe d'équarrissage ?

M. Jérôme Bédier - Elle a un rapport prévu de 3,5 milliards de francs environ. Elle a la caractéristique de porter sur tous les achats de produits à base de viande. Si vous avez une pizza dans laquelle il y a 5 % de viande, on paie la taxe d'équarrissage sur la pizza, donc y compris sur le reste. Cela dit, nous pourrons vous fournir le chiffre que vous demandez.

M. le Président - Nous souhaitons l'avoir.

M. Paul Blanc - Si je vous ai bien compris, aujourd'hui, en ce qui concerne la viande, la loi du marché ne joue plus.

M. Jérôme Bédier - La loi du marché joue d'une certaine façon, dans la mesure où les clients ont eux-mêmes arbitré, en fonction de l'image qu'ils se font de la sécurité de tel ou tel produit, pour certains types de production. Ils ont arbitré pour d'autres viandes que la viande bovine et, au sein de la viande bovine, ils ont arbitré, pour résumer les choses, plus vers de l'allaitant et du jeune bovin.

On voit bien que tout ce qui est signe de qualité, filières tracées, allaitant, etc. a eu des chiffres d'affaires qui ont plutôt augmenté, avec d'ailleurs une certaine difficulté à trouver du produit, et qu'en revanche, la vache laitière, qui a de très bonnes qualités gustatives et qui est l'un des produits classiques que les Français consomment, a perdu beaucoup de part de marché.

M. Paul Blanc - En matière de prix, elle n'a pas baissé.

M. Jérôme Bédier - Dans les magasins, elle a légèrement baissé.

M. Paul Blanc - C'est d'ailleurs ce que vous reprochent les éleveurs en disant : "nous ne pouvons pas vendre notre production et, parallèlement, sur l'étal, elle n'a pas baissé d'un centime".

M. Jérôme Bédier - Nous disons aux éleveurs que, d'une part, il ne faut pas comparer directement le prix du vif et le prix du bifteck, parce que lorsqu'on ne vend plus les avants, que le steak haché est à moins de 40 %, que l'on ne vend plus les abats (qui représentaient, pour certains, une valorisation importante) et que les farines deviennent une source de coûts au lieu d'être une source de vente, il peut arriver dans certains cas que le prix du vif baisse alors que le prix "prêt à découper", comme on dit, que l'on achète pour le vendre dans les magasins, n'a pas véritablement baissé.

M. Paul Blanc - C'est très difficile à faire comprendre aux consommateurs français.

M. Jérôme Bédier - Oui, mais nous sommes en face de produits avec des co-valorisations et il faut bien que le consommateur puisse le comprendre. C'est pourquoi il faut faire de la pédagogie ensemble. Si on dit aux consommateurs français : "vous allez vous faire arnaquer si vous allez acheter de la viande parce qu'ils vous ont fait des marges", ce n'est pas ce qui fera remonter la consommation. On a plutôt intérêt à nous mettre d'accord --c'est ce que nous disons aux agriculteurs-- sur un niveau de prix et à en discuter entre nous plutôt que sur la place publique.

Je pense qu'aujourd'hui, si on décide de le faire, on pourrait baisser les prix de certaines catégories de bovins, notamment de certaines vaches laitières, de manière drastique. C'était d'ailleurs l'une des hypothèses de la discussion qui s'est conclue à Berlin. La Commission avait dit elle-même qu'on ne pouvait plus continuer, sur la viande bovine, à avoir un différentiel de prix aussi élevé par rapport à la viande blanche et donc qu'il fallait baisser de 20 à 30 % les prix de la viande bovine en tendance. Une partie des éleveurs français est d'ailleurs assez favorable à cette évolution. C'est ce qu'ont fait les Anglais.

Le troupeau allaitant y est très opposé. J'ai eu l'occasion d'en parler avec certains leaders du troupeau allaitant qui ont dit : "si on fait cela, on aura une grappe de prix de la viande blanche assez basse et une grappe intermédiaire, et la viande allaitante va devenir une viande de riches, avec un décalage important de prix visuels. On sera donc obligé d'aller vers le bas". Ce serait donc compliqué à gérer pour des troupeaux soumis à des contraintes assez fortes.

Par conséquent, cette décision ne peut être prise que collectivement. Si nous voulons baisser le prix du bifteck dans les magasins, nous ne pouvons pas le faire individuellement.

Si nous le baissions trop, les agriculteurs nous le reprocheraient. Si nous faisions des promotions trop fortes sur la viande, les agriculteurs protesteraient en disant : "vous allez casser l'éventuelle remontée des cours".

C'est d'ailleurs ce qu'ils ont fait. Quand la viande a été vendue trop peu cher dans certains cas, le sentiment des agriculteurs a été que, par rapport aux interventions des pouvoirs publics qui étaient faites à certains niveaux, on courait le risque de faire migrer les prix vers le bas. C'est une problématique que l'on connaît bien et nous avons eu souvent l'occasion d'en parler avec les producteurs de porcs, qui ont des cours très erratiques et qui sont souvent venus nous dire : "ne faites pas trop de promotions et ne vendez pas trop bas parce que, si on veut baisser les prix, il faut que nous le fassions par promotions".

Nous pensons qu'on ne peut pas baisser les prix du fond de rayon sans courir un risque. Si on fait passer aux Français l'idée que le prix du fond de rayon de la viande est durablement peu élevé, on va freiner la remontée des cours si elle intervient un jour. Donc si nous voulons vendre moins cher, il faut le faire par promotions et, dans ce cas, on le fait dans un contexte qui ne contribue pas à tirer le marché vers le bas.

Tout cela est assez compliqué. Comme c'est une audition publique, je sais que les autorités chargées de la concurrence m'entendent, mais, sur des sujets comme celui-là, il faut, d'une manière ou d'une autre, que les acteurs économiques se mettent d'accord sur une évolution. Nous sommes prêts à le faire. Nous sommes tout à fait prêts à envisager, avec nos partenaires de la filière, que, sur certaines catégories de produits, on se mette d'accord pour dire qu'il y a une baisse durable.

Par exemple, on doit avoir un débat sur certaines catégories de vaches, sur le steak haché (là aussi, les positions sont contrastées : certains industriels souhaiteraient que l'on baisse le prix du steak haché de manière assez forte, mais il faut mesurer les conséquences que cela peut avoir) et sur les abats. Je considère aujourd'hui que certains abats sont vendus trop chers par rapport au prix du marché et qu'on ne peut pas espérer que leurs prix remontent. Dans ces conditions, on a intérêt, en tendance, à plutôt les baisser.

En tout cas, c'est une stratégie que nous devons arrêter tous ensemble, avec les partenaires de la filière.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président, dans cet effort de pédagogie collective auquel vous aspirez et sur lequel nous ne pouvons être que sensibles, je pense que cela doit passer également par une transparence en ce qui concerne l'élaboration, tout au long de la chaîne, du prix final de la viande. Or cela a toujours été, pour l'ensemble de la filière, quelque chose d'assez nébuleux. Ne serait-il pas l'occasion de clarifier les choses sur ce point précis ?

Nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur le fait que le cinquième quartier n'a plus la valeur d'autrefois et que les quartiers avants, puisqu'il n'y a plus d'écoulement sur le steak haché, ont perdu beaucoup de leur valeur. Ne serait-ce pas l'occasion de clarifier très nettement les choses ? Je crains qu'en effet, certes à la marge, se développent malgré tout, sur l'ensemble du territoire national, une filière et des circuits un peu plus courts. Je pense que nous aurions tous intérêt à jouer la transparence. Ce serait l'occasion de jouer sur l'élaboration de la grille et, par conséquent, de la fixation finale du prix de la viande.

M. Jérôme Bédier - Nous y sommes favorables, monsieur le Rapporteur. Nous avons d'ailleurs fait une conférence de presse le 14 décembre dernier --nous pourrons vous laisser le document-- au cours de laquelle nous avons réclamé une sorte d'observatoire des prix de la viande. Nous avons souhaité qu'il puisse y avoir, de façon régulière, à partir des chiffres qui existent et que l'on connaît (il y a les cotations, les chiffres de l'OFIVAL, etc.), une analyse de l'évolution du marché aux différents stades. En effet, nous avons toujours constaté dans le passé que, lorsqu'il y avait des débats ou des conflits sur ces sujets de prix, une bonne analyse factuelle et chiffrée réglait beaucoup de problèmes.

Je me souviens des crises que nous avons eues sur la tomate et le choux-fleur. Des analyses ont été faites et, depuis, chacun a pu considérer la réalité des compositions de coûts et a pu voir que, par exemple, entre un prix de vente dans l'exploitation et un prix de vente dans le magasin, il y avait une série d'étapes avec des coûts. Bref, les études faites par des experts extérieurs ont contribué à éclaircir les esprits et à circonscrire les éventuels problèmes que nous pouvions avoir.

Nous y sommes favorables. Nous avons été à deux doigts de le faire tout seuls et de dire que nous allions financer nous-mêmes des études sur la décomposition des prix, mais il nous est apparu qu'il était préférable que cela puisse être fait par des experts totalement indépendants qui ne puissent pas être mis en cause.

Il nous paraîtrait donc utile qu'à partir des chiffres qui existent, on puisse avoir régulièrement ces analyses, qu'elles soient diffusées à tous les acteurs et que, lorsqu'elles sont produites, les acteurs en parlent entre eux pour considérer tel problème ou telle question stratégique à régler ensemble.

M. Paul Blanc - Vous m'excuserez, mais, sur la tomate, étant du département des Pyrénées-Orientales, j'aurais beaucoup à dire sur le prix de production chez nous et sur le prix de revient de la tomate marocaine ou espagnole. Il y a de gros problèmes.

M. Jérôme Bédier - Vous avez tout à fait raison, mais il ne faut pas nous en rendre responsables, monsieur le Sénateur. Ce n'est pas nous qui signons les accords avec le Maroc et ce n'est pas nous non plus qui allons opérer au Maroc... (Rires.)

M. Paul Blanc - Je sais bien que des agriculteurs catalans sont allés investir au Maroc.

Je ne veux pas vous rendre responsable de tout, mais il y a quand même une chose qui m'embête un peu. En définitive, vous avez toujours essayé de tirer les prix vers le bas. Cela a été votre leitmotiv, en particulier pour la viande. Par là même, vous avez incité les agriculteurs et les éleveurs à produire les produits les moins chers possible. Maintenant, ne pensez-vous pas que vous avez une part de responsabilité, dans la mesure où vous leur dites maintenant : "il faut en discuter" ?

Vous dites qu'il faut organiser la filière et se mettre d'accord autour d'une table, mais ils sont réticents sur ce point aujourd'hui car vous n'avez pas toujours tenu ce langage. Ne pensez-vous pas qu'une part de responsabilité vous incombe, dans la mesure où, maintenant, les mêmes sont assez frileux ?

M. Jérôme Bédier - Nous n'essayons pas de tirer les prix vers le bas en tant que tels. Nous essayons simplement, évidemment, de négocier des prix compétitifs par rapport au marché. On nous prêterait beaucoup de talent en prétendant que nous avons fait évoluer l'agriculture et provoqué le productivisme en agriculture avant même que nous existions.

La révolution agricole a commencé au XVIIIe siècle et la politique de production de masse de l'agriculture, qui a été confirmée par la PAC des années 60, date des années 50, avant même que nos formes de commerce ne se soient véritablement créées. Il ne faut donc pas nous rendre responsables, nous, du productivisme agricole. Le productivisme agricole est une chose qui correspondait parfaitement, à mon avis, à des priorités qui étaient celles des années 50 et 60, au moment où on a créé notamment la Politique agricole commune.

M. Paul Blanc - Nous en sommes tous responsables, parce que tout le monde a dit : "il faut manger du poulet, du saumon, etc."

M. Jérôme Bédier - Tout à fait, et on ne peut pas contester le choix de nos parents qui l'ont fait à l'époque. Ce choix du productivisme agricole a été fait à une époque et je pense que c'est maintenant terminé.

D'ailleurs, dans nos magasins, nous ne vendons pas que du premier prix. Nous avons, certes, des premiers prix, mais si vous allez dans nos magasins, quelle que soit leur taille, vous verrez que tout le travail que nous faisons depuis quinze ans consiste justement à sortir d'une logique dans laquelle nous étions, en vendant uniquement des produits de masse à des prix indifférenciés. Nous avons au contraire cherché à arbitrer des marchés pour créer des filières, des segmentations et des produits à valeur ajoutée, sachant que, dans beaucoup de filières, cela a produit beaucoup d'effets.

Je vais vous faire une confidence : nous, commerçants, nous aimons beaucoup vendre des produits chers si les clients les achètent. Quand nous vendons du vin à 1 000 F la bouteille, nous sommes ravis si un client nous l'achète. C'est la même chose pour la viande : quand nous vendons une viande à 100 F le kilo, comme cela nous arrive parfois, parce qu'elle est tracée, nous sommes ravis.

La réalité, aujourd'hui, et l'avenir de l'agriculture, c'est la création de la valeur ajoutée sur les produits et c'est là, d'ailleurs, que beaucoup de richesse va être créée. Il y aura peut-être moins d'agriculteurs mais beaucoup plus de richesse. On le voit bien dans les filières qui ont fait le travail : la filière viti-vinicole qui, depuis quinze ans, a su créer de la valeur ajoutée, fonctionne bien. Elle a d'autres défis pour demain qui sont la marque, le cépage et le commerce international, mais elle a très bien fonctionné durant les quinze dernières années.

Il en est de même pour la filière de la pomme de terre, que vous connaissez bien. La pomme de terre a augmenté sa valeur ajoutée de 2,5 % en quinze ans avec le même tonnage. Dans les magasins, vous avez dix sortes de pommes de terre : on vend de la rate à 30 F le kilo dans les magasins, ce qui était impensable il y a quinze ans.

Par conséquent, tout un travail est en train de se faire. Ce travail est justement lié à l'abandon du concept de l'agriculture de masse et nous nous sentons les acteurs de cette évolution.

Ceux qui, au contraire, sont pour le prix minimum (je l'ai souvent dit à nos amis syndicalistes agricoles), ont encore dans le cortex le réflexe de l'agriculture de masse. On fait des produits indifférenciés, le bon agriculteur est celui qui fait le plus de quantité possible et comme il y a le prix minimum, il a un revenu minimum.

L'agriculture de demain, ce n'est pas cela du tout. Elle consiste à faire de la valeur ajoutée et à avoir des produits que l'on place, ce qui est une autre logique qui fait que l'on n'a plus besoin de prix minimum. A quoi servent les prix minimum si on vend huit sortes de pommes de terre ? On ne va pas faire un prix minimum sur la roseval, sur la rate, sur la bintje, etc. Donc on sort de cette logique.

Malheureusement, à mon avis, le monde agricole y est, d'une certaine façon, moins prêt que nous.

M. le Rapporteur - Je pense que cela évolue, quand même. Ce que vous venez de décrire est tout à fait vrai. C'était la théorie de M. Gourvenec, mais je pense quand même que, même chez les Bretons --et je ne suis pas breton--, c'est un point de vue qui évolue.

Cependant, quand vous parlez de valeur ajoutée, je me permets d'insister, avec tout le respect que je dois à la fonction que vous représentez, car je pense qu'il est essentiel que la captation de la valeur ajoutée ne soit pas le fait de la seule grande distribution. Il faut être, à cet égard, assez objectif et il va falloir plus équitablement partager cette notion de valeur ajoutée. Je pense que l'on est à l'aube d'un nouveau partage en la matière, et Dieu sait si vous connaissez ma sensibilité politique.

M. Jérôme Bédier - Je pense que ce partage dépend, en définitive, de l'équilibre des marchés.

Dans certains domaines, pour des produits très particuliers, on peut se mettre d'accord entre acteurs avec des cahiers des charges et des rémunérations pour les uns et pour les autres. Cela existe pour certaines filières. Dans ce cas, on passe un contrat individuel entre acteurs économiques et il y a ce que l'on peut appeler une forme de partage de la valeur ajoutée. Certains contrats sont passés de cette façon et, en général, ils ne fonctionnent pas mal.

Si on est dans un domaine dans lequel il y a des effets de cours, c'est une toute autre logique, parce qu'on ne partage pas la valeur ajoutée. On a un système dans lequel les niveaux de cours s'établissent en fonction de l'équilibre du marché. Si le marché est bas, valeur ajoutée ou non, la rémunération du producteur est mauvaise. En revanche, si le marché est élevé, la rémunération est bonne. En général, quand le marché est bas, on dit que c'est de la faute des distributeurs et lorsqu'elle est élevée, on dit : "c'est grâce à notre talent que nous arrivons à vendre nos produits à des prix élevés".

S'il n'y a pas d'équilibrage des marchés ni ce que j'appellerai la gestion de la rareté de certains marchés, il ne faut pas croire qu'il pourra y avoir une bonne rémunération des producteurs.

La réponse finale à la question que vous avez posée tout à l'heure sur le revenu des éleveurs est dans les cours de la viande bovine qui n'ont pas été mauvais depuis 1995 ; il y a eu une bonne tenue des cours non pas parce que nous ou d'autres avons été particulièrement vertueux ou parce que nous avons voulu faire plaisir à tel ou tel éleveur mais, tout simplement, parce qu'il y a eu un bon équilibre du marché, et il y a eu un bon équilibre du marché parce qu'il y a eu de bonnes mesures gouvernementales. Comme le marché a été tenu, les cours ont été corrects, et comme les cours sont la rémunération de l'éleveur, il y a eu une rémunération correcte de l'éleveur.

Il faut pouvoir analyser ces phénomènes de cours. Nous sommes favorables, évidemment, à des cours stables car il est alors plus facile de faire notre métier. Quand on a des cours stables, on peut prévoir les choses et les organiser, et il y a ce qu'on appelle une image "produit" chez le consommateur qui est cohérente. Quand vous avez des cours en yoyo, vous avez beaucoup plus de mal à expliquer au consommateur à quel prix il faut acheter et pourquoi tel produit est différent d'un autre.

Nous sommes d'accord avec l'idée de dire que, pour des filières particulières, il faut se mettre d'accord entre opérateurs économiques sur des contrats, sachant que, dans ces contrats, il y a une forme de partage de la valeur ajoutée avec éventuellement des surplus ou des surrémunérations dues à telle ou telle opération ou telle ou telle contrainte de cahier des charges. En revanche, quand on est dans une économie collective, ce sont purement les effets de cours qui jouent. Il ne faut pas nous demander à nous, distributeurs, de compenser des effets de cours qui n'auraient pas été bien gérés ou réglés par ailleurs.

On peut donner un coup de main à un moment donné, comme on le fait de temps en temps sur les fruits et légumes pour dégager le marché (on essaie de faire des actions ponctuelles de cette sorte dans le cadre des filières), mais s'il y a un déséquilibre structurel sur un marché, ce n'est pas en parlant de valeur ajoutée et par des actions que chacun voudra mener de son côté que l'on pourra le régler.

M. Jean-Paul Emorine - Vous avez évoqué l'agriculture productiviste depuis les années 50. La difficulté à laquelle l'agriculture est confrontée aujourd'hui, c'est que, même en voulant avoir des produits de qualité, le prix du produit est toujours basé sur les périodes où il y avait des surproductions.

Vous avez dit tout à l'heure qu'il fallait que le prix de la viande rouge se rapproche de celui des viandes blanches. Or vous êtes assez averti pour savoir que c'est une chose très difficile. En effet, une viande rouge a un minimum de deux ans au moment où elle est abattue alors que les viandes blanches (on ne va pas en faire la critique ici) ont souvent 42 à 50 jours. L'immobilisation dans les entreprises n'est pas la même et si vous voulez laisser croire au consommateur que cette viande devrait avoir le même prix dans l'avenir, ce serait le tromper.

Vous avez évoqué par ailleurs la baisse des prix, dont vous n'êtes pas forcément responsable. Aujourd'hui, il y a deux options. Soit on pense que l'agriculture et l'élevage vont s'en sortir avec la baisse des prix, soit on pense que l'agriculture doit faire partie de l'économie dans laquelle l'agriculteur vit de son produit. Si on veut qu'il vive de son produit, il faut bien qu'il tire son revenu le plus possible de son produit.

Vous évoquiez à l'instant même le revenu des éleveurs. Je suis désolé, mais si on n'avait pas les primes européennes, aucun compte d'exploitation ne serait bouclé, aujourd'hui, en matière d'élevage.

Je pense que nous sommes à un moment charnière auquel vous pouvez participer --je vous ai bien entendu sur ce point-, sachant que vous préférez travailler sur un produit qui a une valeur assez élevée au départ pour pouvoir dégager des marges.

Ce que je crains --et je vous le dis pour que vous le sachiez--, c'est que, plus vous irez vers un produit bas au départ, moins cela laissera de marge pour tout le monde par la suite. On ne peut pas baser un élevage ni une agriculture sur des prix bas systématiques parce qu'on est en train de confondre le prix de revient d'une viande rouge avec celui d'une viande blanche alors que ce n'est pas comparable.

Je suis d'accord avec vous sur le fait que les éleveurs doivent aller vers des politiques de qualité, mais il faut qu'ils puissent en tirer des profits. Je suis éleveur de charolais et je sais de quoi je parle aujourd'hui. Nous avons beau développer des politiques de qualité (je me suis inscrit dans le charolais de Bourgogne). On voit bien que nous ne valorisons pas notre produit dans une période de crise.

Je pense que nous en sommes à un moment charnière. En ce qui concerne la PAC, en 2000, deux politiques pouvaient se dessiner. Je me souviens que j'ai été rapporteur d'un projet de loi, avec mon collègue Deneux, qui prenait en compte la politique consistant à aller vers la baisse des prix, et c'est ce qui a été retenu dans la PAC 2000, mais quand on évoque des baisses de prix de 20 à 30 %, on ne voit pas comment on va pérenniser l'agriculture parce qu'on va vers un produit intérieur brut qui va représenter un jour (je parle de l'agriculture et non pas de l'industrie agroalimentaire) 1 % du produit intérieur brut national, si bien que tout le monde peut remettre en cause l'avenir de l'agriculture.

Je souhaite donc qu'à travers vos responsabilités, vous ayez à prendre en compte des produits de qualité plutôt que d'aller vers la baisse des prix, sans quoi nous ne pourrons pas avoir une agriculture pérennisée.

En tout cas, il ne faut surtout pas confondre la viande rouge et la viande blanche. J'ai des voisins qui ont des poulaillers et qui, sur une exploitation d'élevage bien plus importante, sortent chaque mois quatre fois le tonnage d'une exploitation d'élevage. Si on veut aller vers des produits de qualité, il faut prendre en compte le fait que la viande rouge a un prix de revient. Cela dit, comme vous l'évoquiez sur l'élevage laitier, il faut peut-être avoir une réflexion au niveau des professionnels.

Je ne vous pose pas de question parce que vous y avez déjà répondu en partie, mais je voulais avoir votre sentiment, malgré tout, sur le fait de pouvoir défendre le prix de la viande rouge par rapport à celui de la viande blanche en expliquant bien aux consommateurs que ce n'est pas la même chose, ainsi que sur une agriculture qui, comme c'est malheureusement le cas à l'heure actuelle, perçoit des primes par rapport à une agriculture qui pourrait vivre de son produit.

M. Jérôme Bédier - Nous sommes plutôt favorables, mais nous ne voulons pas préjuger d'une décision prise par l'ensemble de l'interprofession, à "sortir de la crise par le haut", comme nous le disons. Ce sont les termes que nous avions utilisés en décembre. Nous ne croyons pas, en ce qui nous concerne, à une baisse des prix de la viande bovine et à son intérêt. Cependant, il ne faut pas nous dire en même temps qu'il faut baisser les prix dans le magasin.

On nous dit en même temps qu'il ne faut pas baisser les prix des producteurs et qu'il faut baisser les prix dans les magasins. Il faut savoir. Si la collectivité veut que l'on baisse les prix dans les magasins, on peut le faire, mais notre expérience, c'est que l'on est toujours sorti des crises alimentaires par le haut. Au moment du problème des hormones avec la volaille, le veau, etc., c'est toujours en refaisant des filières par le haut et en offrant des garanties, des qualités, etc. que l'on a pu s'en sortir. Je ne pense donc pas que c'est en baissant les prix que l'on s'en sortira. Je suis tout à fait d'accord avec vous sur ce point, et il est vrai que les deux produits que sont la viande blanche et la viande rouge sont très différents. Il faut simplement arriver à vendre les particularités de l'un et de l'autre à un consommateur.

Quand on voit les courbes de la viande blanche et de la viande rouge, on voit bien la substitution assez forte qui est intervenue, d'où l'intérêt de cette réflexion.

Encore une fois, nous sommes plutôt favorables à sortir par le haut, à condition que tout le monde soit d'accord pour le dire et le faire.

En ce qui concerne la rémunération des producteurs sur les contraintes nouvelles et particulières qui sont liées à la réglementation ou au cahier des charges, finalement, différents types de contraintes peuvent être édictés.

Un premier type de contraintes apparaît comme étant un minimum exigible dans l'avenir. On voit que, par exemple, en ce qui concerne les antibiotiques à des fins autres que thérapeutiques (pour l'instant, c'est dans les cahiers des charges), les Suédois ont déjà décidé une interdiction parce qu'il y a un risque de santé avéré énorme, même s'il n'est pas dû qu'à la viande bovine. Dans quinze ans (nous avons d'ailleurs fait un dossier scientifique dans le cadre de notre comité qui est intéressant ; il est fait par les professeurs Lagrange et Carlier), les antibiorésistances auront tellement augmenté qu'il faudra prendre des mesures.

Il est possible que, si on va dans cette logique, il faudra avoir une rémunération correspondante dans un premier temps mais qu'ensuite, cela devienne le lot commun, c'est-à-dire qu'on ne le valorise pas spécialement.

Il y a une deuxième manière de valoriser les choses. Il s'agit de dire que nous avons en face de nous une caractéristique objectivement valorisée pour le consommateur, qui fait la différence entre le produit précédent et celui qui a une nouvelle caractéristique, auquel cas il accepte de payer plus. Finalement, c'est le consommateur qui décide. S'il dit : "vous m'expliquez cela mais, finalement, j'y ai droit de toute façon ; donc vous n'allez pas m'expliquer que, comme vous n'avez pas mis de produits que vous ne devez pas mettre de toute façon, il faut que je vous paie plus". En revanche, s'il y a une caractéristique propre ou une origine, le consommateur est prêt à payer plus.

C'est là le travail que nous devons faire ensemble. Ce n'est pas nous, commerçants, qui allons deviner tout seuls ce que le consommateur est prêt à payer, pas plus que les éleveurs. C'est ensemble que l'on va dire : "voilà ce qu'on peut faire et voilà vers quoi nous pouvons aller". Dans ce cas, on sent qu'une chose va intéresser le consommateur.

Le troisième élément de rémunération pour les producteurs, c'est que ceux qui sont dans ces filières bénéficient d'une sorte de compartimentage de la production et donc d'une plus grande sécurité en cas de crise. Si je prends l'exemple des filières de porc gascon, quand on a eu la crise sur le porc avec des prix du porc extrêmement bas, tout ce qui était porcs fermiers et porcs labellisés s'en est beaucoup mieux tiré. Les producteurs avaient, à ce moment-là, une sorte de garantie de revenus due au fait que leurs produits n'étaient pas affectés comme les produits tout venant.

C'est aussi une manière d'assurer au producteur une certaine pérennité de sa rémunération, mais c'est la contractualisation qui va régler tout cela progressivement.

M. le Président - Nous passons très vite à la dernière question, parce que nous avons dépassé le délai.

M. le Rapporteur - Monsieur le Président, j'aimerais avoir votre avis sur les derniers dispositifs définis par l'Union européenne en matière d'étiquetage et d'identification suite à la décision de l'Union européenne du 18 juillet 2000. On connaît la position d'un certain nombre d'associations de consommateurs qui, pourtant, à travers l'accord interprofessionnel de 1997, étaient tout à fait en phase avec l'ensemble de la filière.

Quelle est votre position sur ce point et comment pensez-vous vous en sortir ? Serez-vous ouverts, à terme, à la mise en place, comme on le lit dans certaines revues spécialisées, de bornes d'information interactives dans vos magasins déterminant un étiquetage beaucoup plus informatif ?

M. Jérôme Bédier - Nous sommes négatifs sur l'accord qui est intervenu au printemps sur l'étiquetage. Nous considérons que c'est un mauvais accord et qu'il doit être renégocié. Nous l'avons redit au ministre.

Il est mauvais parce qu'il a été passé avant la deuxième crise sur la base d'un compromis avec les Allemands, qui considéraient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas d'ESB chez eux et qui ont donc dit qu'ils ne voulaient pas entrer là-dedans et qu'il fallait mettre sur l'étiquette des indications qui n'intéressent pas du tout le consommateur et qui n'ont aucune contrainte pour la structuration de la filière : le numéro de l'abattoir et celui de l'atelier de découpe. Nous l'avons dit à l'époque et nous continuons à le dire.

Comme il y a eu la crise de l'ESB, nous pensons qu'il faut renégocier l'accord. Nous voulons continuer à mettre la catégorie et la race ; nous continuons d'ailleurs à le faire dans beaucoup de magasins --c'est l'accord que nous avons signé--, sachant que c'est une vraie information pour le consommateur et un élément très structurant. En effet, dès que l'on met la catégorie et la race, on est obligé de faire des choix commerciaux d'un bout à l'autre de la filière. Cela veut dire qu'un magasin ne peut pas avoir un grand nombre de catégories ou de races. Il choisit donc de se spécialiser dans tel ou tel domaine ou de recréer une filière avec telle ou telle appellation. Cela structure le marché, cela recrée la concurrence et cela débanalise complètement le produit. Donc cela a un effet tout à fait positif.

En revanche, nous sommes opposés à mettre la catégorie et la race, plus l'atelier de découpe et l'abattoir, et ce pour au moins deux raisons.

La première, c'est que nos étiquettes sont totalement surchargées. Les consommateurs sont d'ailleurs en train de discuter avec nous pour savoir comment simplifier les étiquettes parce qu'ils ont du mal à s'y retrouver avec des étiquettes trop complexes, sachant que, si on met deux choses qui ne servent à rien, cela a un impact négatif.

La deuxième raison, c'est que si nous allions dans cette direction consistant à tout mettre sur l'étiquette, cela coûterait encore une fois cher au consommateur, en définitive, parce qu'on serait obligé de reprendre toutes les machines à étiqueter et à refaire tout un système pour étiqueter l'atelier de découpe alors que nous avons, pour chacun des produits, un numéro de lot qui nous permet tout à fait de remonter en amont si nous avons une crise sanitaire à assumer.

Nous estimons donc que le numéro de lot plus la catégorie et la race sont ce qu'il faudrait faire. Le problème, aujourd'hui, c'est que nous sommes verbalisés dans les magasins par la DGCCRF, qui vient nous reprocher de ne pas appliquer la réglementation européenne. Elle dit : "vous faites ce que vous voulez, mais il faut que vous mettiez le numéro de l'atelier de découpe et l'abattoir". Nous avons même eu un agent zélé qui est venu verbaliser 3 000 F par barquette dans un supermarché en disant : "il n'y a pas le numéro de l'atelier de découpe". J'ajoute que lorsque nous en parlons à la DGCCRF, elle nous dit qu'elle a les agents de Bruxelles sur le dos.

Nous souhaitons que les pouvoirs publics puissent traiter ce problème rapidement, c'est-à-dire que nous puissions nous mettre d'accord sur le fait que, si nous avons le numéro de lot, la traçabilité est suffisante pour retrouver les origines en cas de crise alimentaire et sur le fait qu'il suffise de mettre la catégorie et la race sans avoir à refaire l'ingénierie de l'étiquetage et aboutir à des étiquettes trop complexes.

Nous sommes favorables au principe de mettre la catégorie et la race, mais à condition que cela ne s'additionne pas au reste.

M. le Président - Très bien. C'est parfait. Merci d'avoir consacré ce temps à notre commission. Vous nous ferez donc passer les chiffres que nous vous avons demandés.

M. Jérôme Bédier - On va vous donner ces chiffres et vous faire passer des communiqués de presse et des déclarations que nous avons faites ces derniers temps et qui reprennent en partie tout cela.

M. le Président - Très bien.

Audition de M. Alain DECROP,
Président de la société Guyomarc'h nutrition animale,
accompagné de M. Alain GUYONVARCH

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Decrop, vous êtes ici en tant que président de la société Guyomarc'h nutrition animale. Je vous rappelle que vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête mise en place par le Sénat sur le problème des farines de viande, des farines animales et des conséquences sur le développement de l'ESB et qu'étant entendu dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, vous devrez prêter serment. Auparavant, je vais vous relire les conditions dans lesquelles cette commission fonctionne.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Decrop et Guyonvarch.

M. le Président - Très bien. Monsieur Decrop, je vais vous passer la parole dans un premier temps pour que vous puissiez brièvement nous donner votre position par rapport à ce problème d'utilisation des farines animales, à ce que vous avez fait, vous, dans votre entreprise et sur la façon dont les choses se sont passées, après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser. Vous avez la parole.

M. Alain Decrop - Je suis effectivement président de la société Guyomarc'h depuis 1994 et j'étais auparavant dans différentes fonctions au sein de la société Guyomarc'h, avec mon collègue, qui est directeur scientifique. Nous sommes tous les deux ingénieurs agronomes et nous avons fait toute notre carrière au sein du groupe Guyomarc'h.

Je vais vous présenter, si vous ne le connaissez pas bien, ce qu'est le groupe Guyomarc'h. Nous sommes une entreprise spécialisée dans la nutrition animale en général avec trois branches d'activité : la santé, les services que nous apportons à des fabrications indépendantes et la fabrication d'aliments complets.

Nous avons réalisé, en l'an 2000, un chiffre d'affaires de 4,3 milliards de francs et nous employons 3 000 salariés, dont 1 500 en France. En France, nous disposons à l'heure actuelle de 25 usines, qui vont d'une capacité de fabrication de l'ordre de 40 000 tonnes par an jusqu'à 500 000 tonnes par an dans notre usine la plus importante, qui est située en Bretagne, à Questembert.

Nous produisons environ 2 millions de tonnes d'aliments pour animaux par an en France, 2,5 millions de tonnes dans le monde, et 6 millions de tonnes sont produites sous notre technique dans le monde.

Je pense que vous avez eu le temps d'explorer notre métier au cours de ces différentes auditions. Nous sommes concepteurs de recettes alimentaires --c'est la partie des services-- et nous sommes des assembleurs de matières premières, c'est-à-dire que nous achetons des matières premières à des fournisseurs.

Qu'est-ce qu'un aliment ? C'est une recette spécifique à une espèce animale et à un âge de l'animal, recette qui est également spécifique d'une qualité requise dans le produit fini selon la qualité gustative ou autre que l'on veut lui donner.

Si on veut bien faire ce métier, il faut avoir une bonne connaissance des besoins des animaux, notamment des apports nutritionnels des matières premières. Ces recettes sont définies par un calcul matriciel entre trois ensembles de données qui sont, d'une part, les apports nutritionnels des différentes matières premières, les besoins nutritionnels des animaux et les prix des différentes matières premières disponibles à un instant t. Ce calcul matriciel donne ensuite la meilleure solution en termes d'apports équilibrés de nutriments à l'animal.

On peut dire à l'heure actuelle que la diététique animale est une science plus élaborée encore que l'alimentation humaine, puisqu'on arrive à connaître très précisément les besoins des animaux en fonction de ce que l'on recherche.

Cette recherche s'appuie, chez nous, sur un centre de recherche et de test de différentes recettes que nous mettons au point avec un certain nombre d'animaux, mais également beaucoup, sur le plan historique, de la recherche publique, notamment de l'INRA qui a établi, au cours de ces travaux, un certain nombre de tables d'utilisation de matières premières.

Je tiens à préciser, parce qu'on a souvent mis en cause les raisons pour lesquelles, dans cette industrie, on avait pu utiliser des farines de viande dans l'alimentation de ruminants, en particulier de bovins, que c'est une pratique qui existe depuis très longtemps, qui a été recommandée dès le siècle dernier par des vétérinaires et qui faisait tout à fait partie des tables officielles de l'alimentation des animaux en France. J'ajoute qu'en 1988, les farines de viande en provenance des industriels de la fabrication de ces farines faisaient encore partie des matières premières devant être utilisées pour obtenir une bonne production laitière.

Les matières premières utilisées globalement sont des produits bruts issus directement de l'agriculture, entre 60 et 70 % (des céréales, des pois, etc.), beaucoup de co-produits d'industries alimentaires issus de la transformation de matières premières agricoles, c'est-à-dire tout ce qui reste lorsqu'on a extrait d'une matière première un produit qui va aller dans l'alimentation humaine (je pense par exemple aux tourteaux : on prend des graines oléagineuses et on en ressort une huile d'un côté et un tourteau de l'autre), des minéraux, des vitamines et des additifs nutritionnels ainsi que les matières premières qui sont l'objet de cette commission, qui sont issues de la transformation de produits animaux, qui étaient utilisées dans le passé et qui provenaient essentiellement, mais non pas exclusivement, de l'industrie de l'équarrissage.

C'est une spécificité européenne liée au fait que l'Europe est faiblement productrice de protéines végétales qui a fait qu'en Angleterre, bien sûr, mais aussi dans le reste des pays de l'Union européenne, la diététique et la connaissance des matières premières a été sans doute plus élaborée que dans d'autres pays et que l'on a été amené, pour des raisons de disponibilité de matières premières, à utiliser une palette très large de matières premières dans l'alimentation des animaux.

Aujourd'hui, l'Europe dispose à cet égard d'un savoir-faire, qui est reconnu dans le reste du monde, pour l'utilisation d'une palette très large de matières premières du fait, justement, de la non-possibilité d'utiliser un modèle de type américain, c'est-à-dire maïs et soja, puisque les Américains ont sur place les protéines végétales et l'énergie qui sont nécessaires à leurs animaux en quantité suffisante, ce qui n'est pas le cas en Europe.

Je ferai un peu de sémantique sur les farines animales. En effet, j'ai été surpris de l'intitulé de la commission, puisqu'on parle de "farines animales" alors que le mot "farine" recouvre une présentation, comme la farine de blé.

M. le Président - Je vous donne une explication. Cela vient simplement du mot générique qui était utilisé à ce moment-là dans la presse et le grand public. C'était pour que nous soyons compris. Cela étant dit, nous avons largement fait la différence depuis.

M. Alain Decrop - Donc vous parlez bien des farines de viande et d'os. Je le précise parce que notre métier a été souvent confondu avec l'industrie de l'équarrissage et de la fabrication des "farines animales". Nous sommes des assembleurs de matières premières, mais je tiens à dire que les deux industries sont totalement séparées, comme vous le savez sans doute.

J'ajoute un autre point de sémantique : la poudre de lait que l'on prend dans son petit déjeuner le matin est une farine animale.

Je ne parlerai donc ici que des farines de viande et d'os (FVO).

J'en viens au fond du sujet. Quelle ont été les mesures de sécurité mises en place par la France sur l'usage des FVO ? Il y a eu tout d'abord des dispositions réglementaires, puis des dispositions qui ont été le fait de la profession et, enfin, des dispositions que nous avons pu prendre, nous, en tant qu'entreprise.

Globalement, quand on regarde les décisions qui ont été prises, on s'aperçoit que la réglementation sur l'alimentation animale a globalement précédé la réglementation sur l'alimentation humaine, c'est-à-dire que l'on a pris des dispositions réglementaires en alimentation animale avant de prendre des dispositions dans l'alimentation humaine pour des produits de même nature. La raison me paraît évidente : entre 1990 et 1996, c'est une épidémie animale qui a été gérée tant par les pouvoirs publics que par les différentes catégories professionnelles qui étaient concernées.

Sur le plan réglementaire, le dispositif qui a été mis en place en France a toujours reposé sur le principe d'une triple sécurité.

Le premier niveau de sécurité porte sur la source des co-produits animaux qui entraient dans la fabrication des farines de viande et d'os.

A cet égard, je peux revenir sur un certain nombre de points, sachant que cette industrie pourra vous en parler mieux que moi. Des dispositions européennes ont été prises dès 1990 afin de demander un traitement différencié des matériaux à risques. En 1991, un arrêté français a repris la directive européenne et a défini les matières à hauts risques qui devaient subir un traitement des produits à 133 degrés et 3 bars pendant 20 minutes ou un système équivalent.

En 1996, la sécurisation a été considérablement renforcée en France par l'élimination des cadavres et des MRS. Ensuite, une révision régulière de cette liste de MRS a été effectuée et on peut rappeler qu'en 1996, il y a eu une extension de l'interdiction d'usage des FVO dans les aliments pour ruminants à toutes les protéines animales.

Je le dis parce que, alors que l'on a souvent reproché --vous me poserez sans doute la question tout à l'heure-- à notre industrie d'avoir importé des farines de viande anglaises en 1988 et 1989, il faut savoir que les Anglais, en 1989, ont supprimé les abats spécifiés bovins (ASB) de la fabrication des farines de viande et d'os, ce que nous n'avons fait en France qu'en 1996.

Le second niveau de sécurité, c'est le traitement.

Jusqu'en 1997, en France, le traitement qui a été appliqué aux farines de viande et d'os était 100 degrés pendant 25 minutes, c'est-à-dire le traitement qui existait historiquement en France et qui était considéré comme sûr.

En 1997, l'Union européenne a préconisé le traitement de 133 degrés, 3 bars et 20 minutes, qui a été mis en application en France en 1998, qui était le traitement allemand utilisé depuis 1938 et que les Allemands considéraient comme les mettant à l'abri de la transmission de cette maladie.

Le dernier dispositif de sécurité, après la source et le traitement, c'était l'espèce destinataire.

En 1990, la réglementation française a interdit l'incorporation de farines de viande et d'os dans les aliments bovins, elle l'a fait en 1994 dans les aliments ovins et caprins et, le 14 novembre 2000, dans toutes les espèces.

Dans un second point, je vais parler de la réglementation et de la profession, qui a souvent anticipé sur la réglementation.

Le 30 novembre 1989, dans une recommandation syndicale, on a recommandé de ne plus incorporer dans les aliments ruminants des farines de viande et d'os, c'est-à-dire neuf mois avant l'interdiction officielle pour les bovins et quatre ans avant l'interdiction officielle pour les ovins et les caprins.

En 1997, on a transcrit les mesures qui existaient dans notre industrie dans ce qu'on a appelé un guide de bonne pratique de maîtrise des contaminations croisées.

Enfin, en 1999, notre industrie, le SNIA, et l'industrie de l'équarrissage se sont mises d'accord sur une liste positive des matières premières entrant dans la fabrication des farines de viande et d'os. Cette décision a été prise suite à un incident qui est survenu lors de l'incorporation de boues de stations internes d'épuration chez un fabricant de farines de viande. Nous avions donc demandé à l'époque que ces fabricants nous garantissent une liste positive de matières premières entrant dans la fabrication de FVO.

Voilà ce que la profession a fait. J'ai souhaité vous lister ces quelques points, sachant qu'il y en a certainement d'autres encore.

Qu'avons-nous fait au niveau de notre entreprise ?

D'une part, nous avons anticipé la réglementation et, dans certains cas, les recommandations syndicales. Nous l'avons fait sur les préconisations de nos techniciens et de nos scientifiques, au fur et à mesure des informations qu'ils avaient eux-mêmes. D'une certaine manière, on peut dire que notre profession, d'une part, et nous, industriels, d'autre part, nous avons appliqué en quelque sorte le principe de précaution.

Par exemple, nous avons supprimé les farines de viande et d'os dans les aliments porcs en 1996 alors qu'elles n'ont été interdites que le 14 novembre 2000. Nous l'avons fait parce que cela nous permettait de renforcer la sécurité concernant les contaminations croisées potentielles dans une usine d'aliments. Nous l'avons fait aussi parce que nous avions lu quelque part qu'il était possible, pour des porcs, d'être contaminés par cette maladie par injection dans le cerveau ou par consommation de quantités très importantes de farines de viande contaminées.

M. Jean Bizet, Rapporteur - A quelle époque avez-vous pris cette mesure ?

M. Alain Decrop - En 1996, lorsque nous avons eu l'information, en provenance d'Angleterre, selon laquelle cette maladie était potentiellement transmissible à l'homme.

M. le Rapporteur - Vous l'avez donc fait pour sécuriser davantage vos unités de fabrication ?

M. Alain Decrop - Cela a été fait parce que cela permettait, effectivement, de renforcer considérablement la sécurité.

M. le Rapporteur - Cela voudrait dire qu'entre 1990 et 1996...

M. Alain Decrop - J'attendais votre question sur ce point. Cela veut simplement dire que c'était un renforcement de la sécurité sur la fabrication, mais je ne veux pas dire par là qu'il n'y avait pas de sécurité auparavant.

M. le Rapporteur - Je reviens sur la question que je souhaitais vous poser. En 1990, on a interdit l'utilisation des farines dans l'alimentation des bovins et vous dites qu'en 1996, dans vos usines où vous fabriquez des aliments pour les bovins, pour les porcs et, éventuellement, pour les volailles, vous avez supprimé les FVO pour les porcs afin d'éviter les contaminations croisées.

M. Alain Decrop - Nous l'avons fait afin de renforcer les dispositions qui existaient déjà.

M. le Rapporteur - Cela veut-il dire que, dès 1990, vous avez été en mesure de fabriquer véritablement des farines pour les bovins à partir d'éléments techniques vous permettant d'être sûrs d'une absence de contamination ?

M. Alain Decrop - C'est le fond de la question que vous voulez me poser. A partir du moment où nous avons pris la décision de ne plus incorporer de farines de viande dans les aliments pour ruminants et où, ensuite, cela a été effectivement interdit, nous avons géré cette question exactement comme nous le faisons pour les autres incompatibilités qui existaient déjà et qui existent toujours entre des produits qui peuvent passer dans nos process de fabrication.

Les aliments "label", par exemple, depuis l'origine, n'autorisent pas l'utilisation des farines de viande dans leur fabrication. Ces aliments "label" sont contrôlés historiquement, depuis 1980, pour vérifier la présence ou l'absence de ces farines de viande. Nous avons traité l'ensemble des ruminants, et non pas simplement les bovins, de la même manière.

Les ovins sont très sensibles au cuivre, qui est dangereux pour eux. En revanche, on amène cet oligo-élément dans l'alimentation des autres espèces de manière régulière : on met du cuivre dans tous les aliments. Or, dans une usine, quand vous fabriquez à la fois de l'aliment pour ovins et d'autres aliments, vous avez potentiellement un risque de contamination.

Nous gérons aussi ce principe quand nous mettons un anticoccidien comme le Monensin dans un aliment poulet, en sachant que ce produit, à très faible dose, est capable de tuer un cheval et que nous fabriquons aussi de l'aliment pour chevaux dans nos usines.

Globalement, le système de précaution qui a été appliqué à cette époque relevait du même principe de précaution qui était appliqué pour la fabrication de ce type de produits.

M. le Rapporteur - Aujourd'hui, vos usines sont-elles spécialisées pour tel type d'animaux ?

M. Alain Decrop - Cela dépend des cas, mais nous avons pris, depuis 1996, des dispositions visant à supprimer l'usage des farines de viande et d'os dans les usines polyvalentes. Quand la décision a été prise le 14 novembre, sur toute la France, nos 22 usines polyvalentes n'utilisaient plus les farines de viande et d'os, non pas parce que nous considérions que c'était dangereux mais parce que nous estimions que ce n'était plus médiatiquement acceptable puisque, à l'époque, les farines de viande étaient considérées comme totalement saines.

C'est d'ailleurs sans doute l'un des problèmes que peut avoir la France. En effet, nous avons toujours eu comme discours global que les farines de viande françaises sont saines.

M. le Président - Comme certains de vos collègues nous l'ont affirmé, y a-t-il eu des farines anglaises (on va toujours parler de farines puisque c'est le terme qui est utilisé) qui auraient été mélangées avec des farines françaises et qui auraient été ensuite incorporées dans des aliments fabriqués par des entreprises comme la vôtre ? Je parle bien des équarrisseurs, parce que cela ne venait pas de vous, évidemment. Je précise donc ma question. Au niveau des équarrisseurs, chez qui vous vous serviez, y aurait-il eu des mélanges de farines anglaises et de farines françaises qui auraient été ensuite rachetés par des entreprises comme les vôtres pour être incorporés dans les aliments que vous fabriquiez ?

M. Alain Decrop - Des documents officiels, qui n'ont d'ailleurs pas été rendus de façon officielle à mon avis, indiquent qu'effectivement, des fabricants de farines de viande ont importé des farines de viande anglaises dans les années 1988-1989.

M. le Président - Avez-vous des documents qui le disent ou qui le montrent, afin que nous puissions les joindre à notre rapport ?

M. Alain Decrop - Il s'agit d'un document qui a été diffusé dans la presse, notamment par la Confédération paysanne.

M. le Président - Cela a été fait ces derniers temps. Mais auparavant ?

M. Alain Decrop - Auparavant, je ne le savais pas.

M. le Président - Mais est-ce que cela s'est dit ?

M. Alain Decrop - Non. Tout s'est dit, en fait, mais en ce qui concerne quelque chose de crédible, sincèrement, je n'avais pas entendu parler de cela. Je ne l'ai vu que sur ce document qui a été remis par la Confédération paysanne à la presse.

M. le Président - Cela veut dire qu'à une époque, malgré toute votre bonne volonté, s'il y a eu ce mélange de farines anglaises et françaises, vous avez pu en acheter sans le savoir.

M. Alain Decrop - Bien sûr.

M. le Rapporteur - Quel était le prix d'une tonne de farines animales en comparaison avec celui d'une tonne de protéines végétales à l'époque ?

M. Alain Decrop - C'est en général à peu près le même niveau de prix.

M. le Président - Aujourd'hui ou à l'époque ?

M. Alain Decrop - Même à l'époque. Cela a toujours été à peu près le même niveau de prix, mais la qualité des protéines animales, en termes de nutrition, est supérieure à celle des protéines végétales. A équivalence de prix, il y avait donc un usage, pour des pourcentages faibles dans les fabrications, de ces farines de viande, mais M. Alain Guyonvarch sera peut-être plus explicite que moi.

M. le Rapporteur - A partir de 1988-1989 et pendant quelques années, les farines anglaises ont eu un prix très "compétitif", si je puis dire. Avez-vous ressenti cette baisse des prix des farines en question chez vos différents fournisseurs de l'époque ?

M. Alain Decrop - Je n'ai pas de point de vue là-dessus, sincèrement.

M. le Président - Vous n'avez pas de point de vue, mais vous avez peut-être des documents.

M. Alain Decrop - Pour être très clair, je dirai que le prix des matières premières évolue absolument tous les jours. Nous avons une centrale d'achats qui se charge de l'achat de toutes les matières premières que l'on qualifie d'oligopolistiques, c'est-à-dire pour lesquelles il y a peu de fournisseurs potentiels. Les farines de viande et d'os et les graisses sont un marché oligopolistique parce qu'il n'y a que dix fabricants en France, dont deux qui sont les plus importants.

M. le Rapporteur - Votre centrale d'achats est-elle propre au groupe Guyomarc'h ?

M. Alain Decrop - Oui.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir les documents d'archives qui existent dans la période 1990-2000 ?

M. Alain Decrop - Je pense que c'est possible. Vous voulez donc des documents sur l'évolution des prix ?

M. le Président - Sur les tonnages et les prix.

M. Alain Decrop - Si je les retrouve, il n'y aura aucun problème pour vous les communiquer.

M. le Président - Nous vous les demandons tout à fait officiellement. Nous souhaiterions donc avoir, sur la période 1988-2000, des documents sur les tonnages et les prix d'acquisition de ces farines chez vos fournisseurs. Ce serait, pour nous, très important. Je reconnais que c'est un travail important, mais je peux vous dire que nous l'avons demandé aussi à vos concurrents. Au moins, le handicap est le même.

M. Alain Decrop - Nous allons rechercher cela.

M. le Rapporteur - Quels étaient précisément vos fournisseurs de farines ? Est-ce que c'était les centres d'équarrissage français et lesquels ?

M. Alain Decrop - Nous avons des usines qui sont réparties à peu près sur toute la France. Donc ce sont tous les fabricants de farines de viande qui existent en France, à peu de choses près. Je n'en ai pas la liste exhaustive, mais il y avait des groupes comme Saria et Caillaud ... Ce sont les principaux qui me viennent à l'esprit, mais d'autres petits fabricants étaient concernés également.

M. le Rapporteur - Vous ne vous approvisionniez pas directement sur le marché étranger ? Vous ne passiez que par ces intermédiaires ?

M. Alain Decrop - Fin 1988 jusqu'au tout début de 1989, nous avons acheté très exactement 2 752 tonnes de farines de viande anglaises qui ont été utilisées principalement dans une usine spécialisée volailles et nous avons acheté, entre 1993 et 1996, environ 3 000 tonnes de farines de viande d'origine irlandaise.

M. le Rapporteur - Entre 1993 et 1996 ?

M. Alain Decrop - En fait, cela a commencé en 1994-1995.

M. le Président - L'intérêt d'acheter ces farines venait-il du fait que les prix étaient plus faibles ?

M. Alain Decrop - Les qualités étaient différentes. Les farines de viande irlandaises étaient d'une qualité intéressante et étaient vendues à un prix sans doute compétitif à l'époque. Je l'espère pour nos acheteurs. Sinon, ils n'auraient pas fait leur travail.

M. le Rapporteur - Quand vous dites que la qualité était différente, vous estimez que la qualité était supérieure aux farines de viande françaises ?

M. Alain Guyonvarch - Les caractéristiques sont un peu différentes. La farine de viande irlandaise est un peu plus faible en termes de protéines et plus riche en termes de matières grasses. Pour les aliments volailles, auxquels elles étaient principalement destinées, il y avait une adéquation plus claire par rapport au type de formules que nous avons. Ce sont des produits qui rentrent mieux, pour tout dire.

M. Alain Decrop - Ces farines de viande irlandaises ont été utilisées uniquement dans une usine spécialisée volailles que nous avons à Questembert. Nous avons deux usines sur place : l'une qui ne fait que des aliments volailles et l'autre qui fait tous les autres types d'aliments.

M. le Rapporteur - Nous l'avions bien noté. A partir du marché unique, le 1 er janvier 1993, les documents d'accompagnement de ce type de produits étaient beaucoup plus succincts, si je peux m'exprimer ainsi, que dans la période antérieure, avant 1993. Donc je suppose que vous ne pouviez pas, à votre niveau, faire de distinguo entre farines anglaises, farines irlandaises, etc.

M. Alain Decrop - Si, puisque notre attention était attirée sur le sujet. A l'époque, l'un de nos acheteurs est allé en Irlande et il est allé voir les fabricants irlandais d'où nous sont venus ces produits. Nous avons obtenu de leur part des certificats d'origine des produits et nous avons eu aussi, de la part du ministère de l'agriculture irlandais, un certificat indiquant que l'importation de farines de viande anglaises était interdite en Irlande et que, par conséquent, les produits vendus par l'Irlande étaient en provenance de l'Irlande. Par ailleurs, tous ces produits ont été contrôlés à l'arrivée des bateaux par les services de l'Etat français.

M. le Président - Pourrez-vous nous retrouver les documents ?

M. Alain Decrop - Absolument. J'en ai un exemplaire.

M. le Président - Très bien. Il sera important que vous nous les donniez.

M. Paul Blanc - J'ai une question à poser au scientifique. En 1989, les Anglais ont interdit les farines animales. Cela ne vous a-t-il pas interpellé et avez-vous fait des démarches pour savoir pourquoi ?

M. Alain Guyonvarch - Nous n'avons pas fait une démarche. Dès 1989, quelques articles français parlaient de l'épidémie d'ESB en Angleterre. Des gens, en particulier Marc Savet, commençaient à s'en préoccuper. Vers la fin de l'année 1989, des réunions ont eu lieu avec la profession et ont provoqué, devant l'absence de réaction ou de prise de décision de l'administration française, la décision de l'interprofession.

Je précise que les Anglais, en 1988, n'ont pas interdit les farines de viande. Ils n'ont interdit que les protéines d'origine ruminants dans les aliments pour ruminants, c'est-à-dire que leur exclusion a été extrêmement sélective.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous préciser ?

M. Alain Guyonvarch - Ils ont interdit dans les aliments pour ruminants l'utilisation de protéines provenant de ruminants.

M. Paul Blanc - Est-ce qu'ils les séparaient ?

M. Alain Guyonvarch - Bien sûr. C'était effectivement ce qui était réclamé. Maintenant, je ne suis pas allé voir sur place s'ils le faisaient, mais c'était effectivement ce qui était demandé. Les Anglais ont continué à utiliser très longuement des protéines d'origine animale dans les aliments pour ruminants, puisque ce n'est finalement qu'en 1996 qu'ils ont interdit les protéines d'origine mammifère dans les aliments pour ruminants.

M. le Rapporteur - Auriez-vous des documents sur ce point précis ? Le distinguo me paraît important.

M. Alain Guyonvarch - Je vais pouvoir vous en retrouver, mais je ne sais pas si je les ai avec moi. J'ai un document issu d'une conférence à ce sujet qui a eu lieu en 1997 à la Commission de Bruxelles.

M. le Rapporteur - Entre 1990 et 1996, on a importé des quantités relativement importantes de viandes anglaises.

M. Alain Guyonvarch - C'est exact.

M. Alain Decrop - Il faut être très clair, et c'est bien le distinguo que j'ai fait en introduction. Même la réglementation française a pris, en ce qui concerne la nutrition animale, des dispositions réglementaires bien avant que des dispositions soient prises sur la viande elle-même, ce qui démontre à l'évidence que le souci de voir une transmission à l'homme n'était pas présent dans les esprits à cette époque.

M. le Président - Par ailleurs, vous utilisiez des graisses animales et je suppose que, de la même manière, vous achetiez chez les mêmes fournisseurs.

M. Alain Decrop - Absolument.

M. le Président - Est-ce que vous en utilisiez encore dans les dernières années?

M. Alain Decrop - Nous en avons utilisé encore dans les dernières années pour tous les aliments et il a pu y en avoir ponctuellement dans les aliments pour ruminants jusque dans les années 1997-1998, mais nous avions progressivement éliminé ces produits dans les aliments ruminants.

Il n'y avait jamais eu de suspicion sur les matières grasses animales jusqu'en août 2000 et c'est donc au mois d'août 2000 que l'AFSSA a rendu un avis en indiquant qu'il serait de bonne précaution de prendre une disposition visant à retirer les graisses animales. Nous l'avons fait tout de suite dans toutes nos usines, partout où il pouvait éventuellement rester quelques formules qui en avaient. C'est pourquoi je dis que cela n'a pas été complètement supprimé, parce que ce n'était pas une décision formelle que nous avions prise. Nous avions dit qu'il fallait être prudents sur ce plan, mais sans plus, parce que ce n'était pas mis en avant comme étant un risque.

C'est donc en septembre 2000 que nous avons pris une décision formelle d'exclusion et que nous avons demandé à tous nos approvisionneurs d'aliments de lacto-remplaceurs de supprimer de leur fabrication toutes les matières grasses animales qui provenaient de ruminants.

M. le Président - Pouvez-vous nous citer les noms de vos fournisseurs pour la fabrication des lacto-remplaceurs ?

M. Alain Decrop - Je ne pourrai pas toutes vous les citer, mais nous avons notamment Spécilait-Serval, Bonilait, Even, Celtilait... Ce sont les principaux.

M. Paul Blanc - Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit au sujet des farines anglaises interdites pour les ruminants. Pensez-vous réellement que, dans la fabrication des farines animales, les Anglais ont vraiment séparé celles provenant des bovins des autres ? Ont-ils des usines séparées ? La séparation paraît extrêmement difficile.

M. Alain Decrop - Personnellement, je ne suis pas capable de répondre à cette question. Cela dit, à une certaine époque, en France, il y a eu des fabrications séparées entre les farines de volaille, les farines de viande et d'os, qui prenaient les déchets d'abattoir de toutes provenances, et d'autres types de fabrication comme les farines de plumes ou de sang, mais il s'agissait éventuellement d'installations industrielles séparées.

Quant à l'Angleterre, je ne peux pas le dire. On devrait pouvoir le retrouver dans la littérature, mais ce n'est pas une information que nous avons à l'esprit.

M. Paul Blanc - Il faudra poser la question aux Anglais.

M. Alain Decrop - Je vais continuer mon exposé en disant que nous avons fait un arrêt formel de toute importation de farines de viande et d'os étrangères en 1996, c'est-à-dire que nous avons arrêté l'importation de farines de viande irlandaises (nous l'avions déjà fait en 1995 mais nous l'avons arrêté formellement à ce moment-là). Globalement, lorsque le guide des bonnes pratiques de fabrication est sorti, nous sommes allés au-delà de ce guide et nous avons mis en place des procédures plus strictes, notamment des réceptions totalement séparées et des contrôles renforcés. Comme nous avons un laboratoire important sur le plan du contrôle, nous faisions des prélèvements statistiques systématiques qui nous permettaient de contrôler qu'il n'y avait pas de contamination. Nous avons également spécialisé les lignes de fabrication.

Par conséquent, en juin 2000, toutes nos usines étaient spécialisées ou n'utilisaient pas de farines de viande et d'os.

Nous avons également mis en place, depuis 1998, la méthode d'analyse des risques intitulée "méthode HACCP", qui est utilisée dans le domaine alimentaire, dans toutes nos usines et nous avons créé en interne un corps de quarante auditeurs qui audite nos différentes usines que nous avons. Nous avons donc toujours essayé d'aller au-delà de ce que nous préconisait la réglementation ou même la profession.

Globalement, on peut dire que c'est en France qu'à la fois les pouvoirs publics et les professionnels sont allés le plus loin dans la prise de dispositions visant à assurer la maîtrise du risque ESB et que, malheureusement, on s'en aperçoit aujourd'hui, c'est-à-dire que l'on voit que d'autres pays, autour de nous, qui étaient assurés d'avoir des bons systèmes de traitement, sont aujourd'hui plus touchés que la France. Certes, il y a 260 cas et il y en aura sans doute 500 à 1 000 en France.

M. le Rapporteur - C'est votre analyse ?

M. Alain Decrop - Il n'y a pas de raison que cela s'arrête brutalement demain matin. Je pense que l'on va trouver encore des cas jusqu'à ce que toutes les dispositions successives qui ont été prises éliminent les principaux facteurs de risques, même si, aujourd'hui, on considère que ce sont les farines de viande et d'os qui sont l'un des vecteurs principaux avec les matières grasses. Une théorie qui est en train de s'élaborer à l'heure actuelle tendrait à prouver que la contamination se ferait plutôt dans le jeune âge. Par quelle voie ? Cela reste à définir ; je ne suis pas compétent pour le dire.

Le fait qu'il n'y a eu que 260 cas à l'heure actuelle signifie que le problème a été globalement maîtrisé, même s'il l'a été insuffisamment, puisque ce sont sans aucun doute 260 cas de trop. En tout cas, cela n'a rien à voir avec ce qui s'est passé en Angleterre et cela n'a probablement rien à voir avec ce qui risque de se passer en Allemagne.

M. Jean Bernard - Est-ce que des élevages qui se fournissaient chez vous ont été affectés ?

M. Alain Decrop - Certains élevages dont nous étions fournisseurs, mais non pas forcément exclusivement (de toute façon, il est rare que nous soyons fournisseurs exclusifs) ont été touchés, effectivement.

Je pense que d'autres vous le diront car ils seront mieux à même d'avoir des statistiques complètes sur le sujet, mais nous avons nous-mêmes nos analyses sur le sujet et nous nous apercevons que c'est très largement réparti.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir cette analyse ?

M. Alain Decrop - C'est aux pouvoirs publics de vous la donner. Ce sont des informations internes qui ne peuvent pas avoir une valeur officielle, dans la mesure où c'est une indication selon laquelle tel éleveur est fourni principalement par tel ou tel fournisseur.

M. Jean Bernard - Il faudrait faire le rapport entre l'importance du cheptel et ce qui vient de chez vous. Il faudrait avoir des ratios moyens, en fait.

M. Alain Decrop - C'est très compliqué.

M. le Rapporteur - Vous avez parlé de contaminations des animaux dans leur jeune âge.

M. Alain Decrop - C'est une théorie dont je fais état et non pas ma théorie, car je ne suis pas compétent pour l'exprimer.

M. le Rapporteur - On peut donc imaginer que cela se fasse au travers des lacto-remplaceurs. Nous l'avons lu également, mais nous avons vu que cette théorie est assise aussi sur une contamination un peu plus tardive, c'est-à-dire au-delà de trois mois de vie de l'animal, par le biais des aliments jeunes bovins...

M. Alain Decrop - J'ai lu cela aussi.

M. le Rapporteur - ...au travers de contaminations croisées sur des retours de lots et non plus de contaminations in situ dans l'exploitation agricole elle-même. Quelle est votre analyse sur ce point ?

M. Alain Decrop - Mon analyse, c'est que, dans la mesure où, dans les usines, même s'il peut y avoir des retours ou des fins de lots, nos opérateurs, par définition, ont l'habitude de les gérer et ne le font pas dans le cadre des farines de viande, en particulier, il n'y avait pas de réincorporation de retours de lots de volailles ou de porcs dans des aliments ruminants puisqu'il y avait l'interdiction de l'usage d'une matière première dans cet aliment.

C'était la même chose pour les labels. Si nous avions eu des retours de lots de farines de viande, c'est-à-dire de volailles et porcs, avant 1996, dans des aliments sur lesquels il y avait des interdictions, nous aurions constamment eu des problèmes avec les organisme certificateurs de labels, puisque c'était interdit par le cahier des charges dans les aliments. Donc c'est une chose que nos opérateurs géraient.

M. le Rapporteur - Comment la géraient-ils ?

M. Alain Decrop - Les retours allaient principalement dans les aliments porcs, et peut-être un peu en volailles.

M. le Rapporteur - Nous avons appris l'existence de "silos infirmerie", si je puis dire, comme on le dit dans le jargon de votre profession. Vous dites donc que ces silos étaient principalement destinés au reconditionnement d'aliments pour porcs ?

M. Alain Decrop - Oui, principalement, voire essentiellement, et ce pour une raison simple : globalement, le coût matières aliments ruminants est plus bas que le coût matières aliments porcs ou volailles. Economiquement, cela n'aurait pas de sens. Globalement, l'interdiction et le fait que cela n'avait pas de sens économique expliquent que ce qu'on appelle "le réengrainement" se faisait principalement dans le porc, qui est omnivore et pour lequel les choses se passaient correctement.

M. le Président - Très bien. Nous allons vous remercier pour cette audition. Vous avez à nous donner quelques documents.

Par ailleurs, si, malgré tout, vous avez vos statistiques de répartition du nombre de cas par rapport à vos clients, même si c'est un document interne, nous en aurons besoin simplement pour avoir une vision des choses. Je précise que, bien sûr, cela ne sortira pas de chez nous. Si vous pouviez nous donner ce document, ce serait intéressant.

M. Alain Guyonvarch - Je pense que la Brigade nationale des enquêtes vétérinaires a les plus belles statistiques de la profession sur ce point.

M. le Président - On me dit que nous avons ce document.

M. Alain Decrop - Il est toujours difficile de mettre son nom lorsqu'on est multifournisseur d'un éleveur.

M. le Président - On le comprend parfaitement. Nous le savons très bien.

M. Alain Decrop - J'ai un point à ajouter. Comme on a souvent entendu que notre profession ne donnait pas d'informations aux éleveurs, je vais vous remettre des documents qui montrent l'étiquetage tel qu'il existe à l'heure actuelle et l'étiquetage tel qu'il existait, en ce qui nous concerne, avant septembre 2000.

Pour notre part, nous avons décidé de passer par ingrédients, en donnant la liste, par ordre décroissant d'importance quantitative, des ingrédients dans les aliments, mais nous avions également une déclaration par catégorie, puisque c'était une possibilité offerte à ce moment-là. Cependant, nous avions, pour éclairer les éleveurs, édité des documents qui permettaient de lire quelles matières premières existaient à l'intérieur de l'aliment en fonction des catégories indiquées sur l'étiquette.

Il faut savoir que, jusqu'en 1992, la législation française imposait l'étiquetage par ingrédients et que, par conséquent, jusqu'à cette date, la liste exhaustive des matières premières utilisées dans les aliments était portée sur les étiquettes, et donc à la connaissance des éleveurs.

J'ai également apporté un document qui est utilisé à l'heure actuelle pour expliquer à nos éleveurs ce que contiennent les aliments, quels qu'ils soient, et qui reprend toutes les matières premières qui peuvent être utilisés dans un aliment à l'heure actuelle de manière exhaustive.

M. Alain Guyonvarch - Pour répondre à l'interrogation de M. Blanc sur les matières premières qui ont été interdites dans l'alimentation des ruminants en Angleterre, j'ai ici un article (il s'agit d'un exemplaire unique mais je peux vous en donner la copie si elle vous suffit) d'une conférence qui a eu lieu en juillet 1997 à l'initiative de la Communauté européenne. Il s'agit d'un travail effectué par M. J.W. Wilesmith qui est l'un des pontes anglais de l'ESB et qui indique comment les choses ont été faites.

Je vous précise donc que les protéines de ruminants ont été interdites dans l'alimentation des ruminants le 18 juillet 1988 en Grande-Bretagne et en janvier 1989 en Irlande du nord, que les abats spécifiques bovins ont été interdits de l'alimentation animale britannique dès le 25 septembre 1990 (je rappelle qu'ils l'ont été six ans plus tard en France) et que la protéine d'origine mammifère a été interdite dans l'alimentation de tous les animaux en Grande-Bretagne depuis avril 1996.

M. le Président - Très bien. Nous vous remercions.

Audition de M. Claude BELLOT,
Président de la Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD)

(28 février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Vous êtes M. Claude Bellot, président de la Confédération générale de l'alimentation de détail et c'est à ce titre que vous êtes auditionné aujourd'hui par notre commission d'enquête parlementaire sur le problème des farines animales et de la propagation de l'ESB.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bellot.

M. le Président - Merci. Dans un premier temps, je vais vous demander très brièvement de nous dire à votre niveau ce que vous pensez de ce problème des farines animales par rapport à votre activité, après quoi nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.

M. Claude Bellot - Merci, monsieur le Président.

Je tiens tout d'abord à remercier la commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs d'avoir souhaité m'auditionner aujourd'hui.

Je devais commencer par une brève présentation de la Confédération générale de l'alimentation de détail et de ses actions en matière de sécurité alimentaire et, ensuite, passer la parole à M. Pierre Perrin, président de la section artisanale de la CGAD et, surtout, président de la Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteur, qui s'occupe plus particulièrement de cette question. Malheureusement, son beau-père est décédé ce matin et il a été obligé de regagner son domicile précipitamment. Vous voudrez donc bien nous en excuser.

La Confédération générale de l'alimentation de détail (CGAD) représente à la fois les entreprises du commerce indépendant de l'artisanat et de l'alimentation. Si ces deux secteurs sont juridiquement distincts, sur le plan professionnel, ils forment un tout car les artisans et les commerçants de l'alimentation exercent des activités de transformation et de service vraiment très spécialisées.

Ainsi, la CGAD représente plus de 290 000 entreprises couvrant seize métiers regroupés au sein de dix-sept confédérations nationales qui, afin de garder leur spécificité, sont regroupées en deux sections : une section commerciale et une section artisanale.

La section artisanale regroupe les bouchers, les charcutiers, les pâtissiers, les glaciers, etc., et la section commerciale regroupe les épiciers détaillants, les détaillants en fruits et légumes, les hôteliers et la restauration, les crémiers-fromagers et les commerçants sur les marchés, c'est-à-dire les non-sédentaires.

Au fur et à mesure des années, la CGAD s'est développée sur le plan local et, aujourd'hui, 500 syndicats départementaux sont regroupés en sections départementales et régionales de notre confédération. C'est un organe de liaison et de représentation de tout un secteur.

La CGAD est un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics et des différents partenaires économiques avec lesquels elle entretient des rapports constants. En outre, elle travaille à la création d'outils spécifiques destinés aux professionnels du secteur.

Soucieuse de répondre aux exigences des consommateurs, d'aider les entreprises des métiers de bouche et de répondre aux exigences réglementaires depuis 1992, la CGAD a entrepris, avec l'ensemble de ses confédérations, de multiples actions en matière d'hygiène. Elle a notamment engagé la réalisation de guides de bonnes pratiques d'hygiène. Ces outils, réalisés en se fondant sur les principes d'une démarche de type "HACCP", sont des documents collectifs conçus par les professionnels pour des professionnels et validés, bien sûr, par les administrations qui proposent des savoir-faire et des méthodes à appliquer pour atteindre un niveau satisfaisant d'hygiène.

C'est ainsi que dix guides de bonne pratique d'hygiène sont proposés aujourd'hui aux professionnels : les guides pâtissiers, glaciers, fromagers, traiteurs, bouchers, restaurateurs, confiseurs chocolatiers, charcutiers, poissonniers et fruits et légumes.

Parallèlement à l'élaboration de ces guides, et afin d'apporter un appui concret aux entreprises sur le terrain, la CGAD a mis en place des mesures d'accompagnement en partenariat avec ses administrations de tutelle, en particulier avec la DGAS, et ses administrations dites de contrôle, dont la DGCCRF et la Direction générale de l'alimentation. Elle a été ainsi à l'initiative de la création des centres d'action qualité.

Le Centre national d'action qualité (CNAQ) a été créé en 1994 et les Centres locaux d'action qualité (CLAQ), créés à l'initiative de chaque CGAD départementale, se mettent en place progressivement. Leur mission essentielle est d'assurer dans les départements un véritable partenariat avec les administrations de contrôle et d'accompagner les entreprises dans la mise en oeuvre des recommandations des guides de bonnes pratiques d'hygiène.

A ce jour, soixante-cinq CLAQ ont été homologués par le CNAQ, ce qui représente quatre-vingt-six départements.

Outre ces actions spécifiques, la CGAD suit actuellement, à travers ses branches ou directement, tous les grands chantiers ouverts en matière de sécurité sanitaire. Elle participe notamment aux travaux du Conseil national de l'alimentation sur la traçabilité, la gestion de crise, le principe de précaution. Elle suit le dossier OGM au sein du Conseil national de la consommation ou participe aux travaux du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire allié de l'AFNOR.

En dehors de cette participation concrète à tout ce qui peut concourir à l'amélioration de la qualité des produits, notre organisation dénonce depuis plusieurs années les méfaits de l'industrialisation et de l'intensification des productions. Nous avons notamment souligné à de nombreuses reprises que la course aux prix bas pouvait avoir des conséquences désastreuses sur la qualité des produits et, malheureusement, les faits nous ont donné raison.

Nos métiers de l'alimentation ont subi et subissent encore fortement les effets des dernières crises alimentaires. Selon les sondages d'opinion réalisées au dernier trimestre 2000, la sécurité alimentaire constitue une préoccupation croissante pour les Français. Plus spécifiquement, si le pic de la crise de l'ESB semble maintenant dépassé, une forte inquiétude persiste malgré le moratoire sur les farines animales.

Certes inquiet, le consommateur se tourne plus volontiers vers les commerçants et les artisans traditionnels mais, parallèlement, il exige beaucoup plus d'informations et de traçabilité. C'est dans ce sens que la CGA poursuit ses investigations en matière de sécurité alimentaire.

M. le Président - Merci. Avez-vous une idée de l'impact qu'a eu le problème de cette crise sur les chiffres d'affaires de vos professions ?

M. Claude Bellot - En ce qui concerne l'impact immédiat de la dernière crise liée à l'ESB (je parle de celle de 2000 et non pas de celle de 1996), dans un premier temps, on a frisé les 40 %, mais cela s'est rétabli relativement vite. Il est vrai que les consommateurs ont fait confiance à leur boucher traditionnel où ils retrouvaient une traçabilité. Actuellement, au moment où je vous parle, on peut dire que les bons bouchers (parce que, dans une profession, il y a effectivement des spécialistes mais il y a également un tout) ont retrouvé leur niveau, mais certains artisans qui se retrouvaient dans des régions où ils ne pouvaient pas proposer à la clientèle une haute qualité ont perdu quand même jusqu'à 20 ou 25 % de chiffre d'affaires.

M. le Président - Qu'est-ce que cela représente réellement en chiffres ? Vous nous parlez de pourcentages, mais nous souhaiterions avoir des chiffres. Vous ne les avez peut-être pas ici mais on vous demandera de nous les faire parvenir.

M. Claude Bellot - Je suis très ennuyé, monsieur le Président, mais je suis vraiment incompétent sur ce problème. C'est en effet le président Perrin qui était saisi de ce dossier : en tant que président de la boucherie traditionnelle, c'était son secteur. Je vous propose donc qu'il puisse répondre par écrit aux demandes que vous pourriez lui formuler.

M. le Président - Tout à fait. C'est ce que je voulais vous demander. C'est la meilleure solution.

M. Claude Bellot - Je vous prie encore une fois de m'excuser de ce contretemps qui est vraiment indépendant de notre volonté.

M. Paul Blanc - Quand vous parlez de 25 % de baisse, parlez-vous d'une baisse globale ou ne concerne-t-elle que la viande bovine ? N'y a-t-il pas eu une compensation sur autre chose ?

M. Claude Bellot - Je ne parle que de la race bovine. Cela a été effectivement compensé sur d'autres produits, notamment sur la volaille.

M. le Président - Pour en revenir sur ce problème de chiffres, que nous comprenons très bien, nous vous demanderons de nous envoyer le plus rapidement possible le volume que cela a représenté en viande bovine et le pourcentage, ce qui nous permettra d'avoir ce que cela représente en francs, et également les compensations qui ont pu être faites sur d'autres viandes, pour que nous puissions avoir le montant réel.

M. Claude Bellot - J'ai en ma possession une étude qui a peut-être été portée à votre connaissance. En effet, le Centre d'information de l'industrie laitière (CIDIL) -je suis personnellement dans les produits laitiers et fromagers- a fait une étude d'impact sur les consommateurs pour connaître leur position. Je ne sais pas si elle est arrivée à votre connaissance, mais je pourrai peut-être vous annexer ce rapport ou, du moins, le demander aux services du CIDIL. Il s'agit d'une étude qui a porté sur la listeria de 1988, sur celle de 1992 ou 1993 et, surtout, sur la crise liée à l'ESB en 1996 et actuellement.

M. le Président - Vous pourrez en effet nous la faire parvenir.

M. Claude Bellot - Je pense qu'elle est intéressante en ce qui concerne la position des consommateurs.

Je vous signale par ailleurs que la Confédération de la boucherie a porté plainte, le 16 décembre 1996, avec constitution de partie civile, et que le dossier est en cours d'instruction. Elle a réagi en disant que, bien évidemment, c'était un tort causé aux produits ainsi qu'aux détaillants qui avaient constaté, en 1996, une forte baisse de consommation, plus difficile à remonter que l'actuelle et que, bien sûr, il y avait eu des dépôts de bilan et des fermetures, ce qui a engendré chez le consommateur des soupçons et des critiques, sans parler du préjudice financier.

Si le président Perrin avait été là, il vous aurait également parlé de la taxe d'équarrissage.

M. le Président - D'autres nous en ont parlé...

M. Claude Bellot - Cela ne m'étonne pas.

M. Paul Blanc - Vous dites qu'il y a actuellement une certaine reprise. A votre sens, à quoi est-elle due ? A l'ambiance générale ou au fait que le consommateur trouve une meilleure traçabilité ?

M. Claude Bellot - Honnêtement, je pense que c'est une question de traçabilité.

M. Paul Blanc - Bien que le consommateur ne vérifie pas toujours, il sait que son boucher peut lui fournir une traçabilité. Il m'arrive assez souvent d'aller chez mon boucher, en particulier le samedi --c'est souvent moi qui fais les courses--, et je peux dire que, dans le magasin, les gens savent que l'étiquette existe mais que personne ne la vérifie. C'est plutôt un sentiment général de confiance.

M. Claude Bellot - C'est vrai, mais les artisans ont, depuis 1996, accordé une attention toute particulière à la traçabilité et je pense que, vis-à-vis de leurs clients, la confiance s'est renforcée à partir de cette date. Avec l'ESB, il y a eu une réticence au départ parce qu'on ne savait pas où on allait mais cette confiance est revenue.

Je pense que les professions alimentaires, d'une façon générale, ont mis du temps à pouvoir compter sur la reprise économique. Nous avons été l'un des derniers secteurs dans lesquels les choses sont reparties, mais je ne pense pas que l'impact soit dû à la reprise économique. Il est sûrement dû à la confiance que les bouchers ont pu redonner depuis quelques années et à la traçabilité.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président, la confédération que vous représentez est très intéressée par l'origine des viandes que vous commercialisez. Votre préoccupation, maintenant, va-t-elle jusqu'à rechercher quelle est l'alimentation des bovins sur le territoire national ? Si oui, quelles sont vos suggestions en matière de traçabilité, d'information et d'étiquetage à l'adresse du consommateur ?

M. Claude Bellot - Vous m'excuserez, mais je suis vraiment incompétent pour vous répondre sur la viande. Je pense qu'il y a effectivement une préoccupation de la profession au sujet de la nécessité d'avoir cette traçabilité et de remonter en amont le plus haut possible, mais je ne peux pas vous répondre dans le détail. Cependant, je peux poser la question.

M. le Rapporteur - Il serait intéressant que vous posiez la question aux personnes compétentes de votre confédération.

M. Claude Bellot - Pouvez-vous me la reformuler ?

M. le Rapporteur - Nous nous doutons de votre préoccupation en matière d'origine des viandes que vous commercialisez, mais cette préoccupation va-t-elle maintenant au-delà, c'est-à-dire sur la problématique de l'alimentation des animaux ? Si oui, quelles sont les mesures que vous êtes prêts à mettre en oeuvre pour mieux informer les consommateurs sur ce point ? Est-ce que vous imaginez aller jusqu'à des contractualisations avec les producteurs ou des circuits un peu plus courts qu'à l'heure actuelle au niveau de la grande distribution, pour vous démarquer un peu plus et de façon à mettre davantage l'accent sur la traçabilité et l'identification ?

Je suis persuadé que vous devez avoir avec vous des gens qui réfléchissent à cette problématique et qui ont des idées et des propositions. Il serait donc intéressant que nous puissions les avoir.

M. Claude Bellot - D'accord, monsieur le Sénateur.

M. le Président - Nous vous avons posé les questions principales que nous voulions vous poser et nous comprenons bien la situation. Nous préférons donc que vous nous répondiez par écrit et que vous nous envoyiez les documents qui correspondent, car il ne servirait à rien que nous vous posions d'autres questions. Il vaut mieux faire de cette façon.

M. Claude Bellot - Très bien, Monsieur le Président.

M. le Président - Nous vous remercions infiniment d'avoir été patient, puisque vous étiez arrivé en avance, et nous vous demandons donc de nous répondre par écrit. Merci beaucoup.

M. Claude Bellot - Merci, monsieur le Président.

Audition de M. Jean-Jacques MENNILLO,
PDG de la société Agro marchés internationaux

(28  février 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Tout d'abord, merci, monsieur Mennillo. Je rappelle que vous êtes M. Jean-Jacques Mennillo, PDG de la société Agro marchés internationaux, que vous êtes auditionné à ce titre dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et de la propagation de la maladie de l'ESB et qu'étant auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête, je suis obligé de vous faire prêter serment. Auparavant, je vais rappeler les conditions dans lesquelles fonctionne notre commission.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Mennillo et Volant.

M. le Président - Très bien. Dans un premier temps, je vais vous passer la parole pour que vous nous disiez, à votre niveau, ce que vous pensez du problème qui nous concerne, après quoi mes collègues et moi-même vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.

M. Jean-Jacques Mennillo - Merci, monsieur le Président. Je vais commencer par vous dire qui je suis et ce que je représente. L'entreprise que je dirige et qui est installée sur huit pays en Europe s'est spécialisée depuis de très longues années dans tout ce qui est mise en marché des produits agro-alimentaires frais dans lesquels entrent les produits de la pêche, les fruits et légumes et, bien entendu, les animaux vivants. C'est sans doute à ce titre que je me trouve ici aujourd'hui, d'autant plus que notre groupe a développé, depuis mars 1989, une démarche de traçabilité.

A cette époque --le mot "traçabilité" n'était pas dans le dictionnaire il y a deux ans--, vous pouvez imaginer que c'était une avancée considérable. Nous étions donc considérés comme des gens très curieux et bizarres, tout le monde ne voyant pas l'intérêt de la traçabilité à cette époque. Aujourd'hui, évidemment, avec tout ce qui se passe, en particulier avec l'ESB, la traçabilité est devenue à l'ordre du jour et tout le monde en parle beaucoup.

Cependant, je ne suis pas certain que tout le monde sache avec précision ce qu'on met dans la traçabilité et que les différents opérateurs des différents intervenants sur les filières, depuis le producteur jusqu'au consommateur final, savent exactement ce qu'on peut mettre dans la traçabilité.

Bien entendu, je n'ai strictement aucune compétence en matière d'ESB. En revanche, le gros avantage d'une entreprise comme la mienne et de tous les gens qui font de la traçabilité, c'est de vivre au quotidien avec les producteurs, avec les éleveurs, avec les pêcheurs, etc., c'est-à-dire avec toutes les personnes qui font les matières premières pour lesquelles nous avons mis en place des services.

Vous savez par ailleurs que le Salon de l'agriculture vient de se terminer. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de le visiter, mais il était remarquable de noter que, cette année, il n'y avait pas un seul stand sur lequel on ne trouve pas le mot "traçabilité". Dieu sait ce que cela recouvre, mais tout le monde se targue de faire de la traçabilité.

Par ailleurs, on a vu ça et là apparaître des termes comme "tiers de confiance" ou "nécessité absolue d'une forme de labellisation" de cette traçabilité.

Tous ces éléments font qu'en tant que personnes qui parlons de la traçabilité et qui la faisons de façon concrète depuis plus de dix ans, nous sommes un peu choqués. Vous me permettrez d'être très direct. Je crois qu'il faut arrêter d'insulter (j'utilise le terme à dessein, même s'il peut paraître fort) les producteurs, les éleveurs et les pêcheurs en leur parlant de "tiers de confiance", de "contrôle", etc.

Je pense en effet que, dans la population des producteurs de l'agroalimentaire et des produits frais, au sens très large du terme, il y a très exactement la même proportion d'escrocs que celle que l'on trouve dans la population nationale. On pourra parler de 0,8 ou 0,6 %. Vous me permettrez de faire une autre lecture de ce chiffre, qui veut dire que nous avons 99,2 ou 99,4 % de gens qui font leur métier d'une façon claire, nette et sincère, en véritables professionnels, qui tiennent depuis la nuit des temps des cahiers d'élevage, puisque c'est le sujet dont on parle aujourd'hui, des cahiers de culture ou des cahiers de pêche, pour les pêcheurs, et qui ont découvert, de même que M. Jourdain ne savait pas qu'il faisait de la prose, qu'ils faisaient de la traçabilité depuis des décennies.

Nous qui nous targuons d'être des professionnels de la filière, nous disons : "arrêtons, cela suffit !" Ces gens sont, dans leur grande majorité, des vrais professionnels qui notent tout ce qu'ils font sur les animaux et qui n'ont pas besoin du tout de tiers de confiance, voire de gendarmes qu'il faudrait poster derrière chacun des producteurs.

Par conséquent, dans leur grande majorité, les éleveurs, puisque le sujet porte sur les farines animales, de façon très précise et détaillée, ont toujours noté ce qu'ils faisaient, comme je viens de le dire. La grande nuance, aujourd'hui, c'est que, premièrement, on a donné un nom à ce travail --c'est la traçabilité-- et que, deuxièmement, on leur demande de transmettre ces informations.

Que se passait-il jusqu'à ce qu'on rencontre tous ces problèmes bactériologiques, ces maladies dues à des virus ou des prions sur le marché ? Lorsqu'un camion venait charger la production ou les animaux d'un éleveur, on ne transmettait pas le cahier d'élevage, c'est-à-dire que le camion partait avec un produit qui avait eu une traçabilité à un moment donné et qui arrivait chez un autre opérateur, lequel refaisait lui-même sa propre traçabilité pour ce qui se passait chez lui, et ainsi de suite jusqu'au bout de la filière.

La nouveauté, c'est qu'il faut tirer un trait d'un bout à l'autre et c'est le travail dans lequel le groupe que je préside s'est engagé dans huit pays d'Europe. Cela implique un travail très précis au contact des producteurs en leur donnant la capacité de faire cette transmission.

Vous me direz qu'il existe des systèmes qui imposent aux producteurs de fournir des informations sur le cheptel qui est géré à l'intérieur de l'exploitation, sur les animaux qui sont à l'intérieur de cette exploitation, sur les numéros des boucles de chacun des animaux, sur les numéros des boucles des numéros de cheptel, sur les numéros dans le cheptel, etc., autant de choses que vous avez dû voir en détail depuis le début de vos auditions. Toutes ces informations sont transmises à des bases de données officielles qui sont gérées généralement sur le plan national. En France, sauf erreur ou omission de ma part, ce sont les ARSOE qui gèrent cela.

Je peux donc vous en donner la répartition, car cela peut être intéressant : 70 % des inscriptions se font encore par minitel aujourd'hui, bien que nous soyons à l'ère d'Internet --cela prouve que c'est un bon outil--, mais nous n'abandonnons pas pour autant Internet, puisque 5 % des éleveurs font leurs inscriptions sur les bases officielles des ARSOE par Internet, et 25 % le font sur papier, soit par fax, soit par courrier. C'est un système qui fonctionne parfaitement bien et qui sert à renseigner une base de contrôle permettant à tous les opérateurs, notamment les vétérinaires et autres personnes chargées de contrôler la filière, de pouvoir identifier ce qui se passe à l'intérieur de chaque cheptel et de chaque exploitation.

Sur le petit document que je me suis permis de vous apporter, sur un seul schéma --c'est parfois mieux qu'un long discours--, vous voyez une ligne en pointillés qui sépare bien ce qui est du domaine des inscriptions obligatoires officielles d'un autre monde complètement différent : le monde du commerce et de la traçabilité commerciale.

Ce qui est intéressant -vous trouverez cela dans un dossier que j'ai apporté-, c'est de savoir quelles sont les attentes des personnes qui, sur le marché, in fine, vont s'approvisionner avec le produit qui a été élevé avec soin par les producteurs.

Mon groupe a fait faire un sondage par l'IFOP, dont je vous transmets quelques échantillons, pour savoir quelles étaient les attentes des distributeurs. Il s'agit d'un très gros document que je vais vous résumer, sachant que, si vous souhaitez avoir le document in extenso, il est bien entendu à votre disposition. Il est tout à fait remarquable de voir qu'aussi bien les ménagères que les acheteurs de la distribution finale, quelle que soit sa forme, sont des personnes qui attendent de la tranquillité, si vous me permettez d'utiliser ce terme.

Ils veulent en effet savoir ce qui impose la traçabilité dans les textes, par exemple le fait de dire que l'animal est arrivé chez M. un tel, qu'il est reparti tel jour chez M. un tel, qu'il a été transporté de telle façon vers tel marché et qu'il est allé à tel abattoir, mais ce qui est beaucoup plus important et intéressant, c'est ce qui est arrivé à cet animal, à ce produit lors de son passage chez M. X, le contexte dans lequel cela s'est fait et ce qu'il a mangé. Il s'agit de savoir si cet animal, parce qu'il s'est blessé, a été vacciné et combien de temps après avoir été vacciné il est allé à l'abattoir. Ce sont des informations essentielles qu'il faut ajouter aux éléments de traçabilité pour permettre à un certain nombre d'acheteurs d'avoir des informations exhaustives sur un produit.

C'est pourquoi nous faisons une distinction, sur le schéma que je vous ai remis, entre des données obligatoires d'identification et des données qui complètent la traçabilité par des éléments commerciaux pour permettre d'informer l'aval des marchés.

Cette information n'est pas neutre. Je vous ai dit tout à l'heure en commençant que nous nous occupons de deux choses, la première étant l'organisation des marchés et la commercialisation des produits et la deuxième étant la traçabilité, qui est absolument indissociable aujourd'hui. Or la mise en marché des produits, aujourd'hui, ne peut plus être réalisée si les éléments de traçabilité ne sont pas communiqués aux marchés.

Nous nous retrouvons donc dans une période où la mise en place de ces éléments qualitatifs qui viennent compléter la traçabilité est essentielle pour fluidifier le marché et vendre les produits.

Quelle est la situation exacte des éleveurs que nous connaissons ? D'origine, je ne suis pas un grand spécialiste des bovins. Ce n'est pas mon métier : j'ai commencé mon métier et mon entreprise sur les problèmes de la pêche et des bateaux de pêche, mais lorsque nous avons voulu aborder le marché des bovins, nous sommes allés voir des spécialistes des bovins et avons passé un accord avec eux. C'est ainsi que la plus grande structure française de commercialisation de bovins sur pieds est notre partenaire et que c'est avec elle que nous avons commencé à découvrir et à vivre ce marché et le drame dans lequel vivent les éleveurs aujourd'hui.

Je pense que vous devez savoir mieux que moi qu'il y a quinze jours, en Bretagne, il a été créé un numéro vert "SOS suicide éleveurs". Bon nombre d'éleveurs se trouvent dans une situation absolument dramatique du fait de la psychose du marché à l'heure actuelle. En effet, la commercialisation des bovins se fait très mal (j'enfonce une porte ouverte car la presse s'en est fait l'écho) et les prix ont chuté sur le marché ; c'est un effet mécanique habituel.

Le problème, c'est qu'il n'y a pas que des marchés locaux et nationaux. Il y a des marchés à l'étranger qui sont parfaitement accessibles mais que l'on ne savait pas toucher et exploiter encore très récemment. Je vous dis donc, sans vous en faire la démonstration (sachant que je peux bien entendu la faire), que l'un des très grands intérêts de ce qu'on appelle communément aujourd'hui la mise en place des nouvelles technologies est de permettre d'associer les éléments statistiques obligatoires, ce qu'impose l'Etat, pour pouvoir suivre le cheptel, les éléments de traçabilité et les éléments de qualité et d'aboutir à une mise en marché, à une reprise commerciale des exportations ou à la constitution de lots convenables (les spécialistes pourront identifier ce que je viens de dire) afin de réamorcer la commercialisation des produits.

Voilà, à grands traits et très rapidement, l'exposé général que je peux faire en associant ce qui est obligatoire et qui est géré par l'Etat de façon parfaite, disons-le, et ce qui est absolument nécessaire commercialement pour permettre une reprise.

Je vous ai dit que j'avais commencé mon métier avec le poisson. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais, en février 1994, sauf erreur de ma part, les pêcheurs ont mis le feu au Parlement de Rennes au cours d'une manifestation un peu forte. C'est en tout cas ce qu'on a dit. Dans quelle situation étaient les pêcheurs à cette époque ? Il ne s'agissait pas de problèmes de virus ou de maladies mais de problèmes d'organisation et de dynamisation du marché pour toutes sortes de raisons.

Je ne ferai pas de parallèle entre le prion et les difficultés que connaissait le poisson en 1994, mais le résultat était le suivant : un marché stagnant et des pêcheurs qui travaillaient extrêmement durement, au péril de leur vie, et qui n'arrivaient pas à commercialiser leurs produits. Que s'est-il passé entre 1994 et 2001 ? Les méthodes et les moyens mis en oeuvre pour améliorer la commercialisation des produits, garantir la qualité et assurer la traçabilité ont été modifiés. On a intégré, dans les moyens de mise en marché de ces produits, les nouvelles technologies.

Je peux vous dire qu'aujourd'hui, nous assurons un tout petit peu moins de 50 % des transactions de la pêche fraîche française, ce qui fait quand même beaucoup. Savez-vous sur quoi cela se fait ? Intégralement sur des systèmes électroniques.

Cela veut dire qu'il est temps, vu de notre côté, d'associer le savoir-faire incontestable de 99,4 % des producteurs (et je répète qu'il faut arrêter de les insulter) et de leur donner les moyens de réaliser ce qui va leur permettre de sortir de la crise dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui et à laquelle on a encore ajouté une nouvelle couche de difficultés avec cette véritable maladie qui est apparue et qui arrive à un très mauvais moment.

Voilà le schéma général, monsieur le Président. Bien entendu, je suis prêt à répondre à l'ensemble de vos questions.

M. le Président - Merci. Je vais passer la parole à notre rapporteur pour qu'il puisse vous poser les premières questions.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Président, si je regarde le petit document de synthèse que vous nous avez livré, je vois que la traçabilité a pour but de rassurer le consommateur qui, dans son supermarché, veut avoir davantage d'informations sur la barquette ou le produit qu'il est en train d'acheter. Comment se déroule ensuite tout le processus informatif ? On connaît le langage des codes barres, mais ce n'est pas un langage qui parle directement au consommateur. Par conséquent, à partir de votre structure, comment le consommateur peut-il avoir ensuite toutes les informations concernant les pièces de l'animal, son vécu chez l'éleveur, etc. ?

M. Jean-Jacques Mennillo - C'est une remarquable question, comme on le dit à la télévision. Je vous remercie de me la poser parce qu'elle me donne la possibilité d'expliquer comment un éleveur (vous savez que nous en avons 230 000 ou 240 000 en France) peut transmettre toutes les informations qui sont nécessaires à l'aval pour valoriser le produit, sécuriser l'ensemble des personnes et garantir la qualité des produits.

Au-delà de la traçabilité stricto sensu, qui est obligatoire et qui consiste à dire où était le produit à tel moment et où il est passé, j'ai insisté tout à l'heure sur tout le côté qualitatif qu'il faut ajouter et qui, en fait, se retrouve dans les cahiers d'élevage de chacun des éleveurs dans lesquels il dit ce qu'il fait.

Il importe de donner une façon simple à l'éleveur de transmettre ses informations. J'ai parlé des nouvelles technologies et, évidemment, on parle tout de suite d'Internet, mais tous les éleveurs français ne disposent pas d'Internet. Pour une entreprise comme la mienne, notre réponse a été extrêmement simple, mais nous ne sommes pas les seuls à faire de la traçabilité dans le monde, fort heureusement : elle se retrouve dans ce petit appareil.

(M. Mennillo montre un téléphone portable.)

Il suffit de donner la possibilité à chacun des éleveurs de nous appeler sur un numéro, après avoir été abonné à notre base de données, et de nous transmettre des informations. C'est extrêmement simple, cela prend quelques dizaines de secondes chaque jour ou toutes les semaines et cela nous permet de saisir pour leur compte un certain nombre d'informations qualitatives qui vont venir ajouter des éléments sécurisants à l'ensemble du produit.

C'est un exemple parmi beaucoup d'autres. Il y a également le fax et, évidemment, l'Internet.

M. Paul Blanc - Le problème, c'est que, dans l'arrière-pays, il y a des endroits où ni Itinéris, ni SFR ne passent, mais fermons la parenthèse... (Rires.)

M. Jean-Jacques Mennillo - Monsieur le Sénateur, intervenez pour qu'il n'en soit plus ainsi.

M. Paul Blanc - Je suis fatigué d'intervenir...

M. le Rapporteur - En quelque sorte, votre société gère une banque de données qui est nourrie par les informations que vous livrent les éleveurs.

M. Jean-Jacques Mennillo - Exactement.

M. le Rapporteur - Il faut donc qu'il y ait une interrogation de la part du consommateur qui vient d'acheter son produit dans un supermarché.

M. Jean-Jacques Mennillo - C'est vrai, mais cela ne se passe pas exactement de cette façon. Lorsqu'un lot est proposé à un organisme de distribution, que ce soit la grande distribution ou autre chose, il est évident que beaucoup d'offres se font électroniquement aujourd'hui et que les avant-derniers vendeurs font leurs offres aux acheteurs de la distribution par des moyens électroniques. A ce moment-là, nous associons aux lots l'ensemble des fiches de traçabilité pour que l'acheteur puisse disposer de ces informations en ligne.

M. le Rapporteur - J'ai bien compris l'ensemble du système mais ce qui me manque, c'est le dernier chaînon, si je puis dire.

M. Jean-Jacques Mennillo - J'y arrive si vous me le permettez. Cela donne la possibilité à l'acheteur qui a choisi un lot (parce qu'il ne choisit évidemment pas la totalité des lots qui lui sont proposés) de faire selon les moyens qu'il a jugé utiles. Parmi ces moyens, il peut fort bien imprimer tout ou partie des informations, sachant que toutes les informations ne sont pas bonnes à donner au consommateur final.

Je crois savoir qu'il y a des médecins, des vétérinaires ou des pharmaciens parmi vous. Vous pouvez imaginer ce que peut penser une ménagère à qui on dit que, dans telle entrecôte, il y a 800 000 germes au gramme en flore totale mésophile à 30 degrés. Elle va partir en courant alors que c'est une norme parfaite. La ménagère ne sait pas que, sur le bout de sa langue ou de la mienne à l'heure actuelle, nous flirtons avec les 2,5 millions ou les 3 millions de germes au gramme et que cela n'empêche personne de se porter très bien.

On ne va donc pas dire cela à la ménagère. On va lui dire que c'est un produit conforme aux normes, aux règles, aux cahiers des charges ou à un cahier des charges de label, par exemple. A partir du moment où la centrale d'achats a eu le choix entre les lots, a pu obtenir la traçabilité on line et a choisi un produit de qualité en toute conscience, elle dispose des moyens de transmettre ces informations jusqu'au point de vente final.

Je vous donne un exemple. Nous sommes en train de travailler à l'heure actuelle sur la mise en place de bornes interactives de saisie pour permettre aux charmantes mamans de nos bambins de savoir ce que leurs enfants vont manger à l'école et, dans les semaines qui viennent, on pourra savoir d'où vient la vache qui a donné le steak que l'on va donner à ces bambins. C'est une information importante qui permet de sécuriser l'ensemble et d'être conforme aux normes et aux règles qui sont imposées sur la traçabilité en ajoutant des informations de nature commerciale.

Je vous choque peut-être en disant que je fais non pas un amalgame mais un parallèle entre l'efficacité commerciale et la gestion de la traçabilité à laquelle on ajoute des éléments qualitatifs. Sans les deux, on ne sortira pas de la crise la tête haute parce qu'il faut que les ventes reprennent. Donc il faut bien transmettre les deux informations.

Vous voyez que, sur le schéma que je vous ai remis, j'ai fait une distinction très précise entre les informations obligatoires qui sont l'apanage des organismes de contrôle de l'Etat habilités à faire ces contrôles et les éléments commerciaux qui relèvent d'un autre monde, le monde du commerce et du business, qui, in fine, est celui qui valorise le travail rigoureux et difficile que le producteur a réalisé dans son exploitation.

M. le Rapporteur - Dans un domaine à peu près voisin, en ce qui concerne par exemple la traçabilité génétique, l'analyse de l'ADN est-elle, pour vous, une chose qui doit se développer et qui a un avenir compte tenu de son prix ?

M. Jean-Jacques Mennillo - A titre personnel, ma réponse est oui, mais, en tant que chef d'entreprise, je n'ai pas à porter de jugement. En tout cas, je peux vous dire que nous avons pris des dispositions pour recevoir des informations provenant de laboratoires agréés et pour les stocker en parallèle sur la base de données.

Nous l'avons prévu et nous sommes en train de le mettre en place. Nous avons un partenaire mondial pour ces opérations, dont je ne dirai pas le nom mais qui est l'un des plus grands au monde en matière de bases de données et nous développons avec lui le stockage de ces informations sur notre base de traçabilité. C'est un élément qui doit nous permettre de suivre de façon extrêmement précise et sans aucun doute le produit d'un bout à l'autre.

Cela étant dit, monsieur le Sénateur, vous me permettrez de revenir sur un élément sur lequel je n'ai pas insisté. Il faut savoir ce que coûte, pour un éleveur, le fait de gérer sa traçabilité. Comme cela vous intéresse sans doute, je vais vous donner ces éléments de coût. Entre les abonnements au serveur et les coups de téléphone qu'il a à donner, le coût est d'un peu moins de 300 F par mois. Pour un certain nombre de personnes, cela peut apparaître comme très bon marché. Pour un éleveur, je vous assure que ce n'est pas neutre : cela fait environ 3 600 F par an. Je pense donc qu'à ce sujet -mais c'est vous qui êtes juges-, il conviendrait d'instaurer une aide aux éleveurs pour ce genre d'opération, non pas une aide directe ou financière mais plutôt un avoir fiscal ou une chose de ce genre.

Ne vous méprenez pas. Mon groupe a été construit sur fonds privés, sans subventions. Nous ne réclamons aucune subvention. Nous disons simplement que, pour que ces services soient accessibles au plus grand nombre, que ce soient les nôtres ou les services d'autres entreprises (encore une fois, nous ne sommes pas les seuls, même si nous sommes les premiers et les plus gros en Europe), il conviendrait qu'une aide appropriée soit mise en place pour aider cette chose-là.

C'est l'une des conditions sine qua non de l'efficacité de la sécurisation du marché et d'une véritable reprise de la commercialisation, qui sont deux éléments essentiels sans lesquels on va constater la crise sans savoir comment en sortir tant que la psychose n'est pas terminée.

J'ajoute que nous avons des discussions extrêmement précises, aujourd'hui, avec des compagnies d'assurance, parce que nous disons que la traçabilité pourrait fort bien être gérée comme une assurance. Il faut réfléchir à ce sujet.

M. le Président - Permettez-moi de vous reposer une question. Votre entreprise met donc à disposition, moyennant un abonnement, une banque de données dans laquelle sont rentrées toutes les caractéristiques de l'animal, mais cela s'arrête-t-il là ?

M. Jean-Jacques Mennillo - Pas du tout. Si cela s'arrêtait là, nous ne serions pas distincts des stockages d'informations que font à juste titre les organismes officiels. La vocation de ce stockage est, bien entendu, de déboucher sur quelque chose.

M. le Président - D'accord. Ensuite, vous faites donc la commercialisation ?

M. Jean-Jacques Mennillo - C'est très complet, mais je ne vais pas entrer dans les détails. Dans l'ensemble du système, vous avez des animaux qui vont être mis en vente dans des marchés physiques, par exemple des marchés comme Guerlesquin, où on va vendre l'animal aux enchères à des acheteurs qui sont autour.

Nous gérons ce marché, c'est-à-dire que nous avons des systèmes, à l'intérieur du marché, qui permettent à l'exploitant du marché d'utiliser des moyens électroniques. On ne se tire plus l'oreille ou on n'aboie plus très fort pour dire que l'on est acheteur d'un animal ; on appuie sur un bouton et notre base de données est derrière ce bouton, c'est-à-dire qu'elle est capable de dire que tel animal de M. Mennillo qui vient d'arriver en vente dans le marché vient d'être racheté par M. X à un prix qui existe, qui est connu et qui permet de sortir les statistiques commerciales du marché en temps réel, sur écran. Aujourd'hui, sur Internet, si vous vous connectez sur notre système, vous avez les cours en temps réel.

M. Paul Blanc - C'est la criée, en fait.

M. Jean-Jacques Mennillo - Exactement. Un animal, par exemple, va passer quelques semaines ou quelques mois dans un élevage quelconque, ce qui est très bien : on sait où il est allé, après quoi il va réapparaître sur le marché parce qu'il va être engraissé, et, au bout de quelques mois, l'éleveur qui sera détenteur de l'animal va dire qu'il est temps de le vendre. On en arrive alors dans la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui : comme il n'y a plus de marché, il n'arrive pas à écouler son animal et comme on est en hiver, il faut qu'il achète des aliments. On retrouve tout ce que l'on connaît aujourd'hui et ce que la presse a longuement retracé.

J'énonce une nuance extrêmement importante qu'il faut bien comprendre. Dans tout ce qui est distribution et exportation, vous avez aujourd'hui l'apparition de cahiers des charges du fait même des difficultés. Cela veut dire que tout acheteur qui va proposer un produit a un cahier des charges de plus en plus exigeant et contraignant.

Je vais schématiser cela de façon très simple. On ne vous dit plus : "je veux 200 tonnes de viande pour alimenter mes restaurants" ; on vous dit : "je veux 200 tonnes de viande selon le cahier des charges n° X".

Il y a trente-quatre ans que je suis dans le métier, monsieur le Président. Quand j'ai commencé, les cahiers des charges que nous recevions représentaient deux pages alors qu'aujourd'hui, on reçoit des cahiers des charges de quatre kilos dans lesquels on va tout vous définir : la longueur et la largeur minimum ou maximum de l'entrecôte, comme si la nature faisait tout au moule, le taux d'aponévrose, le taux de graisse, la longueur des fibres, la couleur de la viande (en fait, on ne vous parle pas de la "couleur de la viande" mais de sa couleur selon tel colorimètre et tel numéro), etc. Cela veut dire que c'est de plus en plus contraignant.

Mettez-vous à la place d'un acheteur --les puristes vont me pardonner de schématiser-- ou d'un exploitant qui va, dans un abattoir, acheter ces 200 tonnes de viande. Autrefois, il disait : "je veux 200 tonnes de viande", tous les négociants du coin allaient dans les marchés et dans les fermes trouver les 800 vaches qui faisaient les 200 tonnes de viande finie et c'était terminé ! Aujourd'hui, avec les cahiers des charges et les contraintes, l'acheteur ne demande plus 800 vaches ; il dit : "il me faut 800 Holstein de quatre ans". Comment pouvez-vous les trouver si vous n'avez pas une base de données ? Il vous faut une base de données. C'est notre travail.

M. le Rapporteur - Votre société existe depuis quelle année ? Depuis 1984 ?

M. Jean-Jacques Mennillo - J'ai commencé avec une entreprise de conseil en 1984, nous sommes passés aux "nouvelles technologies" (ce qui était à l'époque les nouvelles technologies) en mars 1989, ce qui ne date pas d'hier matin, et nous sommes passés sur les bovins il y a deux ans en faisant une joint venture avec la SICAMOB, que je citais tout à l'heure et qui est l'une des plus grandes structures françaises de commercialisation.

Nous venons par exemple de reprendre la majorité des quatre plus grands marchés de bestiaux en Hollande mais nous sommes également implantés en Allemagne, où nous avons importé des systèmes pour la gestion des marchés.

M. le Rapporteur - Combien avez-vous de personnes dans votre société ?

M. Jean-Jacques Mennillo - J'ai 160 ingénieurs aujourd'hui et l'équivalent d'une capitalisation boursière de l'ordre de 450 millions de francs.

M. le Rapporteur - Où sont-ils basés ?

M. Jean-Jacques Mennillo - Ils sont répartis entre la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre, la Hollande, la Finlande, l'Islande (nous détenons l'équipement de la totalité des 31 criées au poisson d'Islande), le Maroc, la Tunisie et, au travers de la Tunisie, l'Algérie et la Libye.

Nous sommes en train de nous installer en Pologne, parce que nous avons commencé des accords commerciaux pour la traçabilité des produits polonais et leur commercialisation, et nous y serons installés physiquement d'ici deux mois. Nous serons également en Grèce avant les vacances.

C'est une entreprise totalement privée qui se développe. Nous avons fait le contraire de ce que l'on voit dans les "dot.com" ou les nouvelles technologies : nous sommes partis de quelque chose de très concret : le sol, la discussion avec les agriculteurs et les producteurs et la connaissance de leur métier. Sur les 160 ingénieurs qui sont chez moi, 130 sont des spécialistes de l'agroalimentaire, de l'aquaculture, du poisson et de l'halieutique, et il n'y a que quelques ingénieurs informaticiens, c'est-à-dire que ce n'est pas la cohorte de masse. Pour nous, l'informatique, c'est de la plomberie. Ce qui est important, c'est d'être capable de discuter avec l'éleveur et de connaître son problème pour lui ciseler un produit qui va lui permettre d'être performant.

Je vous livrerai une dernière anecdote, si vous me le permettez. Il y a trois semaines, l'un de mes amis, au fin fond de la France profonde, m'a dit un jeudi soir : "à 20 h 30, je réunis quelques-uns de mes éleveurs qui ont besoin de discuter parce qu'ils ont vraiment de très gros problèmes". Le matin même, il me téléphone en disant : "je suis navré, mais je n'en aurai que quatorze". Je lui ai répondu que j'avais promis de venir et que je viendrais. C'était un jeudi et il y avait un quelconque "Navarro" à la télévision. Nous pensions que nous n'aurions personne.

Je peux vous dire, messieurs, qu'il y avait 137 personnes dans la salle et qu'à minuit moins le quart, ces éleveurs étaient encore en train de nous poser des questions pour savoir comment ils allaient pouvoir s'en sortir et si, en faisait ceci ou cela, ils seraient performants sur le marché.

Il faut avoir vécu cela pour voir l'état et la situation dans lesquels ils sont. Il y a tout ce qui peut être fait du point de vue administratif pour contrôler les choses, mais je répète une troisième fois avec force --vous me pardonnerez--qu'il faut arrêter de mettre un gendarme derrière eux. Ils n'en ont pas besoin. Ce sont des gens qui travaillent de façon dure et raisonnable pour faire un produit de qualité et qui sont prêts à se suicider quand on leur démolit leur troupeau. Il faut le savoir.

Ajoutons à la performance de ces gens des outils d'aujourd'hui. Ce n'est pas de leur faute si on élève les vaches de la même façon depuis des centaines d'années et ce n'est pas leur faute si le marché qui est chargé de vendre leurs produits a changé d'outils. On est en train de confronter des gens qui sont en trottinette à des gens qui sont en BMW de l'autre côté. Il faut harmoniser les moyens.

Nous essayons d'y parvenir en connaissant finement le travail de ces producteurs et en leur donnant des outils d'une façon aussi transparente que possible. Qu'ils prennent le téléphone s'ils ne savent pas travailler sur un écran. Il s'agit d'adapter leurs moyens aux exigences de ceux qui sont chargés de mettre en vente leurs produits. Voilà le vrai challenge. Nous attendons donc une collaboration étroite sur ce plan.

Sur mon schéma, j'ai mis une ligne en pointillés entre les deux bases de données avec un point d'interrogation. Ma base de données, en Hollande, est connectée avec la base de données officielle de la Hollande. Nous l'avons obtenu du gouvernement hollandais sans aucun problème. Notre base de données, en Allemagne, est connectée avec la base officielle allemande. Même en Pologne, sans être encore une société polonaise, nous avons obtenu la même chose. Je ne dirai pas que nous avons des difficultés en France, mais nous attendons toujours la possibilité d'obtenir des informations sur une base de données officielle. C'est un élément de fond.

M. le Président - Très bien, nous vous remercions de cette intervention et nous réfléchirons sur ce sujet

Audition de Mme Annick ALPÉROVITCH,
Directrice de l'unité Inserm 360 à la Pitié-Salpétrière

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Je vous remercie d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes Madame Annick Alpérovitch, Directrice de l'unité INSERM 360 à la Pitié-Salpétrière. C'est en tant que Directrice de ce service et de vos fonctions d'épidémiologiste que vous êtes auditionnée aujourd'hui dans le cadre de la commission d'enquête sur les farines animales du Sénat et que, dans le cadre de cette commission d'enquête, nous sommes obligés de vous faire prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Alpérovitch.

M. le Président - Pouvez-vous nous donner votre avis sur ce problème ESB et surtout sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'épidémie qui a pu se développer ? Ensuite, nous poserons les questions qui nous sembleront utiles pour éclairer notre investigation.

Mme Annick Alpérovitch - Je vais brièvement situer le contexte général des recherches que nous avons en cours sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob, recherches que nous avons commencé à mettre sur pieds fin 1990. Pourquoi en 1990 entreprendre des études épidémiologiques sur cette maladie ? C'est avant tout dans un objectif de connaissance. La maladie de Creutzfeldt-Jakob est une maladie passionnante, la maladie sporadique, sans parler du nouveau variant qui nous préoccupe actuellement, sur lequel on sait encore très peu de chose. En 1990 il y avait eu très peu d'études cas témoin pour trouver les facteurs de risque de la maladie sporadique. Des éléments nouveaux étaient connus depuis peu de temps, en particulier les facteurs génétiques qui influencent la susceptibilité à la maladie. En 1990, il nous avait paru intéressant, sur un plan de connaissance scientifique épidémiologique de la maladie, d'entreprendre une étude sur l'ensemble du territoire national sur l'incidence et les facteurs de risque de la maladie de Creutzfeldt-Jakob essentiellement sporadique puisque à l'époque il n'était pas question de nouveaux variants. C'était la préoccupation principale de notre recherche et l'objectif principal. Il y avait déjà à cette époque, en arrière-plan de cette étude, une préoccupation de santé publique.

A la fin de 1990, l'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne était déjà importante ; il y avait déjà plusieurs centaines de cas à l'époque par an en 1991 et 1922 ; on a culminé en 1993 à 30 000 cas par an. En 1990 l'épidémie était déjà importante. Cette épidémie remettait en question un certain nombre de postulats qui venaient de la recherche expérimentale, et en particulier que la barrière entre les espèces, si elle n'était pas absolue, était cependant assez solide pour que la possibilité d'un passage inter espèce dans des conditions naturelles apparaisse comme très peu probable. L'épidémie d'ESB remettait en question ce postulat. En 1990 en effet, l'hypothèse qui a été faite assez rapidement est que l'épidémie avait pour origine l'adaptation d'une souche scrapie aux bovins, même si cette hypothèse est remise en question aujourd'hui. En 1990, c'était l'hypothèse principale.

L'autre postulat que remettait en question l'épidémie d'ESB et qui reposait également sur des faits expérimentaux est la très faible probabilité d'un passage inter espèces par voie orale dans des conditions naturelles. En laboratoire il fallait se placer en situation extrême pour obtenir ce passage. L'épidémie d'ESB en Grande-Bretagne montrait que dans des conditions naturelles, exceptionnelles mais naturelles, il pouvait y avoir transmission inter espèces de la maladie par voie orale puisque non seulement les bovins étaient contaminés par voie orale, mais aussi d'autres espèces comme des chats et des animaux de zoo.

Cette souche de Prion responsable de l'ESB ayant été transmise à différentes espèces, il fallait ne pas complètement écarter la possibilité, même s'il elle paraissait très peu probable, qu'elle puisse se transmettre à d'autres espèces et bien sûr l'espèce humaine.

Un moyen de disposer d'une alerte si ce passage devenait réalité est de disposer de données épidémiologiques très solides sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour détecter tout changement de la fréquence de cette maladie qui pourrait constituer une alerte et ce réseau mis en place en France pour surveiller l'incidence de la maladie sur le territoire était en relation avec le réseau qui se mettait en place en Grande Bretagne pour surveiller l'incidence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob dans ce pays et dans d'autres pays européens comme à ce moment-là l'Allemagne, l'Italie, la Slovaquie et les Pays Bas, qui ont fait partie du premier réseau de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce premier réseau européen a commencé à travailler en 1993.

Les événements et l'évolution que vous connaissez ont montré l'importance d'avoir mis sur pied cette surveillance. Lorsque les 2 premiers cas de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont survenus en Grande Bretagne avec des décès à la fin 1995, les données dont disposait l'ensemble du réseau européen, qui montraient que la maladie sporadique n'existait pas pratiquement aux âges où on avait observé le nouveau variant -les 2 premiers cas publiés avaient moins de 20 ans-, l'ensemble des données recueillies au niveau du réseau européen qui travaillait depuis plus de 3 ans permettaient de dire que, dans ce réseau, on n'avait observé aucun cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob à ces âges, en dehors des cas iatrogènes liés à l'hormone de croissance, et que donc il se passait là probablement un phénomène qui méritait l'attention, même si on ne savait pas à ce moment qu'il s'agissait d'un nouveau variant et de la transmission à l'ESB.

Voilà le contexte général de nos recherches. Notre travail consiste à essayer de faire un enregistrement le plus exhaustif de tous les cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob survenant en France, qu'il s'agisse de maladie sporadique, génétique, ce travail se fait en relation avec le Centre National de Référence pour les maladies iatrogènes, et bien sûr de nouveaux variants.

L'ensemble du dispositif de surveillance est cordonné depuis l'année dernière par l'Institut National de la Veille Sanitaire, à qui nous transmettons de manière régulière des données sur la fréquence des formes de la maladie en France et l'Institut National de la Veille Sanitaire transmet les données françaises au niveau européen.

Concernant la maladie sporadique, qui est de très loin la plus fréquente en France, depuis que le système de surveillance a été mis en place, nous avons observé une augmentation régulière du nombre de cas de maladie sporadique. L'incidence de la maladie est passée d'une quarantaine de cas par an en 1992, qui est la première année où nous avons disposé de données considérées comme exhaustives pour l'ensemble du territoire, d'une quarantaine de cas en 1992 donc à 80 en 1999 2000 ; le nombre de cas que nous avons recensés a doublé au cours de cette période de 12 ans, tout en restant très modéré puisque nous sommes passés de 40 à 80 par an.

Lorsqu'on regarde un peu plus en détail cette tendance à l'augmentation de l'incidence, on s'aperçoit qu'elle s'explique essentiellement par une augmentation de l'incidence chez les personnes les plus âgées, alors qu'on observe pas d'augmentation de l'incidence avant 60 ans. Ce phénomène d'augmentation de l'incidence parmi les groupes d'âge les plus âgés se retrouve dans l'ensemble des pays européens qui surveillent la maladie, quel que soit leur niveau d'exposition à l'ESB. Il est interprété généralement comme le résultat d'une meilleure surveillance de la maladie qui, probablement, auparavant, était sous-estimée dans les groupes d'âges les plus âgés.

Nous avons aussi étudié la répartition des cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadiques sur l'ensemble du territoire à la recherche d'éventuels foyers de la maladie qui pourraient nous mettre sur la piste de facteurs de risque. Je parle là de la maladie sporadique classique. En fait l'analyse que nous avons faite ne montre pas de résultat très important. Le seul foyer potentiel qu'a mis en évidence l'analyse statistique est un petit foyer de 3 cas dans le sud-ouest de la France mais il faut être très prudent dans l'interprétation des foyers parce que l'effet du hasard peut expliquer des occurrences exceptionnelles. Il est très difficile de retrouver un lien entre des cas dans un petit foyer parce que des personnes vivant dans une même région ou un même village depuis des années, parfois depuis leur naissance, ont des habitudes communes qui ne permettent pas de faire un lien entre ces habitudes et l'origine de la maladie.

Nous avons comparé les facteurs de risque des malades atteints de maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique à ceux de témoins sans mettre en évidence de résultat très net en dehors, mais c'est retrouvé dans toutes les études et depuis longtemps, d'un discret excès de cas parmi les professions liées à l'agriculture ou à l'élevage, mais c'est un résultat connu depuis longtemps et qui existait bien avant l'apparition de l'ESB en Grande Bretagne. Concernant le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le premier cas français est survenu pratiquement en même temps que les premiers cas britanniques. Le premier patient est décédé en 1996. Ses premiers symptômes étaient survenus 12 à 18 mois plus tôt. Le premier cas est survenu en France en même temps que les premiers cas en Grande Bretagne. Depuis ce premier cas il y a eu un autre cas confirmé en France qui est décédé en 2000. Actuellement, il y a un troisième cas probable sur la base des critères cliniques disponibles.

Il n'y a pas, à notre meilleure connaissance aujourd'hui, d'autre cas de nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob en cours d'évolution en France. En termes de nouveau variant, la situation épidémiologique générale en Europe est de 96 cas confirmés ou probables en Grande Bretagne, 3 cas en France et un en Irlande. Il n'y a de cas dans aucun autre pays européen.

M. Jean Bizet, rapporteur - L'évolution au cours de l'année passée du nombre de cas britanniques de nouveaux variants de la maladie de Creutzfeldt-Jakob a-t-elle pour conséquence de réévaluer dans un sens pessimiste les estimations réalisées pour la France ? L'an passé, on est passé à 29 cas en Angleterre.

Mme Annick Alpérovitch - Je ne crois pas que cela doive être interprété de manière pessimiste. Si on fait l'hypothèse que la durée d'incubation de nouveaux variants pourrait être au minimum de l'ordre de 15 à 20 ans et que l'on voit l'image de ce qu'a été l'allure de l'épidémie d'ESB en Grande Bretagne, on peut s'attendre, avec les premiers cas diagnostiqués en 1985 -il y avait une cinquantaine de cas puis augmentation très rapide jusqu'en 1989, où les premières mesures de réduction de risque ont été prises en Grande Bretagne avec interdiction de certains tissus dans l'alimentation humaine, dans cette période, il y a eu augmentation très forte de l'exposition de la population anglaise _cette période a probablement duré 5 ans- sans mesure de réduction de risque-, on doit s'attendre à trouver pendant au moins 5 ans et peut-être plus une augmentation de l'incidence de la maladie en Grande Bretagne parallèle à l'augmentation de l'exposition qui a eu lieu entre 1985 et 1990. On pourrait s'attendre à ce que l'année prochaine on puisse avoir plus de cas qu'en 2000 sans que cela puisse être considéré comme un élément alarmant. C'est un élément attendu compte tenu de l'allure de l'épidémie d'ESB. Entre 1985 et 1990, la population de Grande Bretagne a été de plus en plus exposée sur cette période de 5 ans, et on voit actuellement, et c'est plutôt bon signe car cela veut dire peut-être que la durée d'incubation est peut-être moins longue qu'on ne pourrait le craindre, on voit actuellement une augmentation du nombre de cas, qui pourrait encore augmenter pendant un, deux, trois ans sans que ce soit vraiment très alarmant.

M. le Rapporteur - 2 épidémiologistes se sont penchés sur les modélisations et la prospective de l'évolution de la maladie, Monsieur Anderson et vous-même sur le territoire national. Confirmez-vous les chiffres que vous annonciez, c'est-à-dire peu près 300 cas sur une vingtaine d'années en France ? Vous faudra-t-il encore deux ou trois ans pour les confirmer ou les infirmer ?

Que pensez-vous de la projection de votre confrère Monsieur Anderson sur les 136 000 cas ? Il était passé de 580 000 à 136 000 pratiquement.

Mme Annick Alpérovitch - Je me suis appuyée sur la projection d'Anderson pour essayer d'en déduire ce que pourrait être l'épidémie en France en considérant que la projection est valide et qu'on peut la prendre en compte. Compte tenu des très nombreuses incertitudes sur le nouveau variant et l'incertitude qui pèse le plus et qui gêne le plus les prédictions, celle sur la durée d'incubation, l'équipe d'Anderson a effectué une modélisation en simulant un très grand nombre possible de durées d'incubation, des plus courtes aux plus longues, les plus courtes étant moins de 10 ans ou 20 ans, ce qui est probablement une hypothèse optimiste, jusqu'à des durées d'incubation très longues puisque leur travail a pris en compte des durées d'incubation moyennes de plus de 60 ans. Une durée d'incubation moyenne de plus de 60 ans, cela veut dire que, pour un nombre de patients non négligeable, pour presque plus de 50% des patients, la durée serait de plus de 60 ans. On est dans des scénarii qui ne sont probablement pas les plus plausibles et qu'il est difficile de maîtriser complètement lorsqu'on se place à cet horizon.

Selon la durée d'incubation que l'on considère, le nombre de cas que l'on peut envisager est très différent. Dans cette hypothèse qui est la plus pessimiste mais peut-être pas la plus plausible, qui est une durée d'incubation en moyenne de 60 ans, la modélisation d'Anderson donnait une borne supérieure de l'intervalle qui était de 136 000. La borne inférieure était beaucoup plus basse.

Lorsqu'on écarte la durée d'incubation moyenne de plus de 60 ans et qu'on admet qu'elle ne peut dépasser 60 ans, la borne supérieure de la prédiction, dans l'hypothèse la plus pessimiste, est 6 000 cas pour la Grande Bretagne. 136 000 est la borne supérieure de l'intervalle pour une durée d'incubation de plus de 60 ans en moyenne. Si on considère que la durée d'incubation moyenne ne dépassera pas 60 ans, ce qui laisse la possibilité que pour certaines personnes elle soit supérieure à 60 ans, ce qui est déjà une durée d'incubation très longue, pour laquelle on n'a pas de précédent et d'exemple dans l'espèce humaine, sous cette hypothèse la modélisation d'Anderson trouve qu'au maximum le nombre de cas attendus en Grande Bretagne serait de 6 000.

Si on retient cette borne supérieure, qui est déjà supérieure -la valeur inférieure de l'intervalle est beaucoup plus basse- et que l'on essaie d'évaluer quel a été le niveau d'exposition de la population française par rapport à la population britannique, les données dont on peut disposer, avec les réserves qu'on peut faire sur leur validité, laissent penser que la population française a pu être exposée entre 10 et 20 fois moins que la population britannique, et probablement plutôt 20 fois moins. Ce raisonnement est très simpliste, s'appuyant sur la modélisation d'Anderson, en faisant l'hypothèse qu'il y a relation entre le niveau d'exposition et le nombre de cas, qui est une hypothèse raisonnable, on peut envisager pour la France un nombre de cas qui serait d'un petit nombre de centaines dans les dizaines d'année à venir.

M. le Rapporteur - Pourtant la population française a été celle qui a été la plus exposée au regard du nombre de quantité d'abats que nous avons importé dans les années critiques par rapport aux anglo-saxons.

Mme Annick Alpérovitch - Je ne suis pas la mieux placée pour parler de ce sujet. Malgré tout, le tissu dont le pouvoir infectieux est le plus important chez l'animal est le système nerveux central. Les autres tissus, même si dans certains on sait qu'il y a de l'infectivité, ont un niveau d'infectivité bien inférieur au système nerveux central.

C'est peut-être ce tissu qui est le plus critique et qui peut expliquer les différences de niveau d'exposition entre les différents pays. Le cerveau, la moelle épinière ne sont pas des abats directement utilisés dans la consommation humaine de manière la plus fréquente. Concernant cette importation d'abats, ce ne sont peut-être pas les abats les plus à risque pour l'homme.

M. le Rapporteur - Y aurait-il une fraction de la population française plus exposée sur le plan physiologique, on sait les informations que nous livrait il y a quelque temps Madame Jeanne Brugère-Picoux sur les MET MET ou les MET VAL, et sur un plan sociologique ? Il semblerait se dessiner que ce sont les classes moyennes ou assez pauvres de la population anglo-saxonne qui, compte tenu de leurs habitudes de consommation, seraient plus à même de développer la maladie.

Mme Annick Alpérovitch - Pour ce qui est du facteur génétique, tous les cas de nouveaux variants génotypés en Grande Bretagne sont méthionine. Cela représente 40% de la population qui a ce génotype en France comme en Grande Bretagne, donc une fraction importante de la population. Comme probablement, si ceci a été évoqué devant vous, Jeanne Brugère-Picoux a dû le dire, il est peut-être trop tôt pour écarter la possibilité que les personnes ayant un autre génotype puissent être infectées par l'agent et développer le nouveau variant.

Concernant les groupes qui pourraient être les plus exposés, il semble qu'effectivement en Grande Bretagne certaines différences nord sud par exemple sur la fréquence de la maladie puissent être expliquées par le niveau socio-économique et la qualité des produits consommés. C'est une hypothèse tout à fait plausible.

M. le Rapporteur - Quels sont les progrès accomplis dans la connaissance de ce nouveau variant maladie de Creutzfeldt-Jakob depuis 1996 ? Pouvez-vous nous parler des doses cumulatives infectieuses de la clairance de la protéine Prion pathologique ?

Mme Annick Alpérovitch - Beaucoup de progrès ont été accomplis dans la connaissance du variant depuis 1996. En cette année, le lien entre ce nouveau variant et l'ESB était une simple hypothèse, qui était contestée par beaucoup, y compris par beaucoup de scientifiques. Les premières données importantes qui ont été obtenues sont celles qui ont montré que l'agent du nouveau variant était identique, compte tenu de nos moyens d'investigation, à celui de l'ESB. Un élément important de la connaissance sur la maladie aussi a été la démonstration que, contrairement à ce qui se passe dans la maladie sporadique, il y a dans le nouveau variant de l'infectivité dans les tissus périphériques et en particulier dans les organes lymphoïdes. C'est la base d'un test qui permet de porter le diagnostic de nouveaux variants probables du vivant du malade s'il y a de la protéine Prion pathologique dans l'amygdale. Les autres résultats expérimentaux importants obtenus par transmission expérimentale à l'animal souvent ne font que confirmer des résultats déjà connus pour d'autres souches de Prion, comme par exemple le fait que la transmission est plus facile et que la durée d'incubation est plus courte lorsqu'il y a passage intra espèce.

Concernant votre seconde question, l'effet cumulatif d'exposition à des doses infectantes répétées, on sait très peu de choses sur ce point. C'est un point très important en particulier pour prédire ce que peut être l'importance du risque pour la population britannique et aussi un peu pour modérer ce que je disais à l'instant sur le fait que l'essentiel de l'infectivité est concentrée dans le système nerveux central. C'est dans ce tissu qu'il y a des doses infectantes fortes pour lesquelles on peut penser qu'une exposition à une dose est suffisante pour infecter une personne et qu'elle développe la maladie. Il y a peut-être des tissus avec des doses infectantes plus faibles, dans lesquels une consommation répétée pourrait avoir effet cumulatif. A ma connaissance, on ne sait rien sur le sujet.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous les travaux d'un chercheur qui avaient contribué à démontrer que, dans une période inférieure ou égale à 3 jours, l'effet cumulatif de doses infectieuses minimales a précisément un effet cumulatif fort sur une période de trois jours ?

En d'autres termes, se gorger de hamburger infectieux pendant 3 jours aurait un effet assez néfaste par rapport au fait de manger cette même quantité sur plus de temps.

Mme Annick Alpérovitch - Je ne connais pas suffisamment ces travaux pour répondre à votre question.

M. le Président - Je vous remercie, Madame , d'avoir accepté de témoigner devant notre commission d'enquête.

Merci.

Audition de M. Gilbert BORNHAUSER, Courtier

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Je vous remercie d'être présent. Vous êtes Monsieur Gilbert Bornhauser, Courtier. Vous avez répondu à la convocation que nous vous avons envoyée. Vous êtes entendu ici dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de l'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent sur la santé des consommateurs. Comme dans toute commission d'enquête je suis obligé de vous faire prêter serment puisque vous êtes tenu de témoigner sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bornhauser.

M. le Président - Dans un premier temps je vous donne la parole, vous nous ferez un exposé sur votre vision à partir de votre profession et en rapport avec ce problème des farines animales. Ensuite nous vous poserons les questions que nous jugerons utiles pour éclairer notre investigation.

M. Gilbert Bornhauser - Je vais vous expliquer en quoi consiste mon métier. Je suis courtier en matières premières. J'ai fait un petit dessin pour que les choses soient claires.

Je suis assis au centre du schéma. J'ai comme interlocuteurs des fabricants d'aliments du bétail qui ont un poste d'acheteur ; ces gens ont besoin d'approvisionner des matières premières pour nourrir les animaux. Comme pour nourrir les hommes, on mange du pain donc on met des céréales. On mange de la viande, on met de la farine de viande, on mange de la salade on met de la luzerne déshydratée. Les composants de l'alimentation animale ne sont pas loin de ressembler aux nôtres. Ces gens ont donc des matières premières à acheter. Pour ce faire ils peuvent s'adresser à une palette de fournisseurs existants. Pour se simplifier les choses, des courtiers existent. L'acheteur fabriquant les aliments de bétail appelle un courtier ce qui lui permet de connaître le marché des produits des vendeurs avec lesquels le courtier a l'habitude de travailler. Pour parler de farine de viande, puisque c'est la plus grande partie des produits que je vends, ce fabriquant d'aliments du bétail, quand il avait besoin d'acheter la farine de viande -ce qui n'est plus le cas aujourd'hui, mais on parle du passé- s'adressait à un courtier et , sur le marché des courtiers spécialisés en farines de viande, il y en avait peu. Je dois être un des seuls. Ils m'appelaient. En un coup de téléphone, ils connaissaient la valeur du marché des vendeurs français. Il y en avait une petite dizaine à l'époque, il en reste deux gros aujourd'hui environ. Cela leur permettait de savoir ce que cela valait, comment était le marché, quel était le marché sur les autres pays européens, Irlande, Angleterre, Belgique, Allemagne, Italie etc. En un coup de téléphone, cet acheteur est renseigné sur le marché. S'il veut acheter il peut le faire par mon intermédiaire. Il peut acheter seul car souvent il connaît tous les vendeurs. Il a une liberté totale.

Ce métier de courtier existe depuis très longtemps. Une ordonnance de Charles VII régit et interdit aux courtiers de faire du commerce pour leur propre compte. Nous sommes des intermédiaires du commerce. Ce métier existe depuis longtemps surtout pour les céréales ; historiquement le courtier vendait des céréales. Les fabricants d'aliments du bétail se sont développés, d'autres produits sont intervenus, donc il existe des courtiers, comme moi, qui étaient spécialisés dans les farines de viande.

Voilà pourquoi nous existons. Ce fabricant d'aliment du bétail mélange les matières premières, livre un éleveur avec son camion. Il livre des élevages. Dans cette filière un éleveur ne peut pas m'appeler pour acheter de la farine de viande. Il achète un aliment composé. Les gens ont souvent du mal à comprendre ; ils disent que des éleveurs ont fraudé et ont mis de manière frauduleuse des farines de viande dans l'alimentation ; ce n'est pas réaliste. Les farines de viandes se vendent par unité de camion de 25 tonnes, c'est un petit produit dans la ration. Au même titre qu'on ne mange pas que de la viande, dans les rations des animaux, vous avez dû entendre chez les fabricants d'aliments de bétail que les farines de viande s'incorporent à des doses de 2, 3, voire 5% dans les aliments. Jamais on ne peut voir un éleveur acheter de la farine de viande, cela n'existe pas. Dans la déontologie de notre métier, nous sommes à même de faire des affaires, de conclure des contrats. Nous avons une responsabilité de part la législation au moment où nous faisons des contrats. Si nous vendions des farines de viande dans une période où c'est interdit ou à des gens à qui ce ne serait pas autorisé, ce serait aussi grave que de vendre des armes. On doit y être attentif. Dans l'organisation de mon métier il existe une chambre arbitrale.

Ma spécialité, c'était les produits de l'équarrissage donc des farines de viande et des graisses animales essentiellement du marché français, avec un certain nombre de vendeurs, une petite dizaine, et des fabricants d'aliment du bétail du marché français. Je travaillais un peu avec tout le monde. Je suis un des seuls courtiers à avoir fait autant de farines de viande sur le marché français.

En matière d'import, mon frère possède un cabinet international à Genève. La connaissance des marchés irlandais, anglais, allemand et italien sont de sa compétence. Pour avoir des informations, j'avais le relais du cabinet de mon frère, qui me renseignait sur les produits d'import. J'ai été amené à faire quelques importations dans les années 1990, au moment où c'était autorisé, qui étaient des farines de viande venant d'Irlande. J'ai eu l'occasion de faire 3 ou 4 bateaux, le tonnage total étant de 3 800 tonnes. Les volumes mensuels que je traitais à l'époque étaient de 3000 tonnes par mois du marché français à des fabricants d'aliment du bétail français.

M. le Président - Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Vous nous avez dit que vous aviez importé quelques farines venant d'Irlande. Y a-t-il eu évolution dans vos importations à partir de 1988-1989 ?

M. Gilbert Bornhauser - Je n'ai fait des importations que dans l'année 1990. A cette période le marché français devait être un peu déficitaire de farine de viande et il est probable que les prix à ce moment-là des farines de viande française étaient élevés, puisque nous en exportions aussi. Nous étions gros consommateurs en tant que fabricants d'aliments du bétail puisque notre filière volaille est performante et faisait des exportations en quantité. Les prix à ce moment-là des farines d'importation pouvaient être compétitifs. A cette période, c'était rare. Il y a probablement une raison de marché, puisqu'il y a avait déjà des troubles en Angleterre. Les Anglais n'utilisaient plus leur farine ; il est probable que cet élément avait fait baisser les prix des marchés européens et mondiaux.

M. le Rapporteur - Vous dites " probablement ". Auriez-vous conservé de cette époque le montant des cours ?

M. Gilbert Bornhauser - Quand un fabricant d'aliment du bétail importe un produit, c'est parce qu'il y trouve un intérêt nutritionnel et économique. On ne met pas un produit en alimentation s'il n'y a pas ces 2 raisons. Ces importations se sont faites parce qu'elles étaient moins chères que les produits du marché français.

M. le Rapporteur - Vous avez dit être un des principaux courtiers sur le plan national. Je suis surpris. Il y a eu décision de ne plus incorporer de farine animale en Angleterre en juillet 1988 puis interdiction en France en 1990 pour les bovins. Or il s'avère que, dans les années 1987-88 la France importait peu de farine anglaise, de l'ordre de 4 000 tonnes par an. On est monté à 15 000 tonnes par an en 1989 et 1990. Vous étiez le principal intervenant, et vous dites que vous n'avez pas importé de farine anglaise. Vous avez donc des concurrents qui l'ont fait.

M. Gilbert Bornhauser - En matière d'importation, 100% de ce qui a été importé l'a été par le cabinet de courtage de mon frère. C'est un concurrent. C'était sa spécialité de travailler avec le marché anglais, irlandais etc.

M. le Rapporteur - Vous pouviez ensuite vous adresser à lui pour vous fournir.

M. Gilbert Bornhauser - Quand des opportunités commerciales se sont produites, j'ai pu le faire et je l'ai fait. Avant, il n'y avait pas de possibilité car les prix ne pouvaient intéresser les acheteurs.

M. le Rapporteur - Donc il y a bien eu un prix intéressant à cette époque.

M. Gilbert Bornhauser - Il y a eu dans cette période, probablement entre juin et novembre de l'année 90, des conditions où ces produits d'importations se sont trouvés moins chers que nos productions.

M. le Rapporteur - Pourrions-nous avoir un éventail de ces prix ?

M. Gilbert Bornhauser - Oui.

M. le Président - C'est important pour nous. Je vous demande de nous les fournir. Cela nous permettra d'étayer certaines hypothèses qui pouvaient être lancées sans preuve formelle. Je vous demande de nous fournir dans les meilleurs délais ces montants de prix, avec les volumes importés, pour que nous puissions savoir exactement ce qu'il en est.

M. Gilbert Bornhauser - Les volumes totaux sont connus des douanes, qui peuvent vous les donner. Ils ont fait les contrôles chez moi. Mon frère s'est déplacé de Suisse pour leur apporter les contrats quand ils ont fait les contrôles. Ils ont dit " on regrette de ne pas vous avoir connus avant ". Cela leur a permis de toiser la totalité de ce qui s'est importé et d'avoir un résultat dans lequel il est mentionné qu'aucune fraude n'a été commise. 4,5 tonnes d'aliments ont été retirées suite à ces contrôles. Tout a été contrôlé. Sur le plan des fraudes vous avez là une certitude qu'il n'y a pas eu fraude réglementaire à l'importation des farines de viande. On trouve cela épouvantable aujourd'hui d'avoir importé des farines de viande ; à l'époque ça ne l'était pas. J'ai vendu cette semaine deux bateaux de luzernes à l'exportation. On a retrouvé des mites dans des foins de prairie en Islande, ces mites sont porteuses du Prion et ont contaminé des souris auxquelles on l'a inoculé. Les bateaux de luzerne que je vends en ce moment pourront sembler épouvantables dans 10 ans. On me montrera peut-être du doigt car j'aurai vendu de la luzerne déshydratée. Tout aujourd'hui vous semble horrible, mais il n'y a rien d'horrible à cela.

Cela n'avait rien d'extraordinaire à l'époque. Il est facile après coup de trouver les choses épouvantables.

M. le Rapporteur - Une chose semble plus controversée. Lors d'une audition devant la commission d'enquête sur l'ESB de l'assemblée nationale, Monsieur Gilbert Houins, inspecteur général de l'agriculture belge, a révélé qu'une inspection réalisée par les autorités belges en novembre et décembre 1996 dans le port d'Anvers avait permis de découvrir un trafic de farines carnées et a personnellement mis en cause Monsieur Youssef Chataoui, le courtier français dirigeant de l'entreprise EFI Euro feed Industries SA-, entreprise de négoce et de fabrication d'alimentation animale basée à Boulogne et possédant plusieurs usines dans l'Oise et la Somme qui aurait procédé à des réensachages, à des réétiquetages de farines importées illégalement d'Irlande et des Pays-Bas. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette affaire ?

M. Gilbert Bornhauser - J'ai rencontré une fois Monsieur Chataoui ; il fait ou faisait des concentrés protéiques à l'export. C'est une des spécialités européennes. Beaucoup de négociants le font. Ces gens vendaient dans des pays souvent du Golfe, pays arabes etc., des concentrés protéiques qui leur permettent sur place de faire de la volaille. Ils sont capables d'acheter des céréales sur le marché mondial. Les volailles qui sont des omnivores sont des animaux qui ont besoin de farine de viande, de graisses. C'est tout à fait nécessaire pour avoir une performance dans ce type d'alimentation. Monsieur Chataoui achète des farines de viande dans l'Europe entière, en Irlande et pourquoi pas en Belgique. Il les mélange avec ce qui est à haute teneur protéique, farine de viande, farine de sang, farine de plume et ils font un hyper concentré de protéines qui ensuite sert à faire la partie protéique d'un aliment volaille. Au lieu d'expédier un aliment composé complet, vous n'expédiez que la partie concentrée. Cela permet de faire du commerce alors que, peut-être, l'aliment complet n'aurait pas supporté les frais de transport.

L'Egypte était je crois gros acheteur de ce type de concentrés. Ils étaient capables d'acheter les céréales sur le marché mondial, de rentrer des bateaux de blé, de maïs et la partie concentrée était toute faite par des gens comme Monsieur Chataoui. Il a importé des farines de viande d'Irlande, de Belgique, il en a fait un mélange, les a réexpédiées sous son étiquette. Sous cet angle on dit que c'est un fraudeur car il a baptisé des farines. Mais c'est un métier normal de mélanges d'un quasi fabricant d'aliments du bétail.

C'est peut-être cela qui est interprété de manière peut-être anormale.

M. le Rapporteur - Ces concentrés étaient-ils plutôt destinés à l'alimentation des volailles d'après vous ?

M. Gilbert Bornhauser - Oui, mais il n'est pas le seul. Guyomarc'h est sur ce marché des concentrés et tous les fabricants d'aliments qui ont un service export. La SARB était assez fort là dedans. C'était le groupe COFNA etc. C'est un métier qui existe. Ils sont assez peu à le faire. C'est un métier qui existe. Cela mérite de se renseigner. Je ne suis pas formel car je n'ai pas fait d'affaire avec Monsieur Chataoui. Vous pourriez demander à mon frère ce qu'il lui a vendu comme farines de viandes et comme origine. Cela correspond à ce que je sais.

M. le Rapporteur - Donc la fabrication plutôt de concentrés destinés à l'export.

M. Gilbert Bornhauser - Dans lesquels il y a des farines de viande les plus riches possible. Il va chercher des 60 de protéines plutôt que des 50, de la farine de sang, de la farine de plumes et des oligo-éléments pour équilibrer les formules.

M. le Rapporteur - Pouvez-vous confirmer l'existence de circuits de blanchiment de la farine animale anglaise ?

Il y a eu une évolution importante après l'interdiction sur le territoire national anglo-saxon de la vente de ces farines. Par quels pays passaient ces farines ? La France était-elle concernée à votre avis et votre société y aurait-elle pris part ?

M. Gilbert Bornhauser - Non, et je doute qu'il y ait eu des opérations de blanchiment. C'est un produit dont les prix ne sont pas énormes. La moyenne est de 1600 francs la tonne. Ce n'est pas de l'or. Dès que le soja baisse, la farine de viande baisse aussi. Elle est toujours en compétition avec le soja. Cette protéine a un intérêt en alimentation un peu supérieur au soja car il y a des vitamines, des matières minérales. Pour remplacer ces protéines animales, il vous faut mettre du soja, du phosphate bicalcique et médicamenté pratiquement en vitamine etc. C'est faisable, puisque les fabricants d'aliments ont supprimé les farines de viande, en mélangeant d'autre chose. Mais c'est une matière première qui était toujours freinée par le soja. Les prix marchent ensemble. Il y a peu de marge. Si vous faites voyager un bateau de farines de viande et que vous l'envoyez en Belgique puis que vous faites un transport sur la France, le transport sur la France est de trop, elle ne sera plus compétitive. On ne met pas des farines de viande pour le plaisir. Il faut que cela vaille la peine économiquement. On ne peut pas tellement les faire voyager. Je ne vois pas l'intérêt de blanchir de la farine de viande et je ne crois pas que ce soit tellement possible.

M. le Rapporteur - Ce qui est troublant, c'est que quand on regarde les exportations de farines anglaises, on voit qu'ils en ont exporté jusqu'en Indonésie et au Sri Lanka. Vous dites que cela ne vaut pas le coup de transporter des farines jusqu'en France, mais ils l'ont fait jusque là-bas. A mon avis il devait y avoir un différentiel de prix relativement intéressant, même si l'incorporation n'a jamais dépassé les 5% dans une ration animale, je pense que les Anglais ont dû les brader et des sociétés telles que les vôtres ou des sociétés de courtier sur le marché international n'ont pas dû rester insensibles à cette baisse de prix, c'est inévitable.

M. Gilbert Bornhauser - Au même titre que je ne m'amuserais pas à vendre des pistolets mitrailleurs, je ne m'amuserais pas à vendre une farine anglaise interdite.

M. le Rapporteur - Vous avez eu raison de dire " il faut remettre cela dans les connaissances scientifiques de l'époque ". En 1988-89, lorsque les Anglais les ont interdites sur le territoire national, il n'y avait pas les connaissances que nous avons et la dangerosité qu'on leur accorde aujourd'hui.

M. Gilbert Bornhauser - Il les ont interdites en alimentation de bovins un an avant nous. Ils ne devaient pas les avoir interdites à ce moment dans l'alimentation porc et volaille. Leur attitude semble épouvantable aujourd'hui mais à l'époque l'état des connaissances probablement ne rendait pas cela épouvantable. Je ne pense pas que cela puisse induire un trafic. Que leurs prix se soient écroulés à un moment donné, c'est normal. Quand il y a eu les histoires de dioxines, le prix du poulet s'est écroulé. Ce sont des mécanismes de marché normaux.

M. le Rapporteur - Quand on passe de 4 000 à 15 000 tonnes, pour la seule partie française, il y a bien une raison.

M. Gilbert Bornhauser - Il y a eu un intérêt économique pendant cette période, mais il n'y a que cela.

M. le Rapporteur - Donc il y a eu utilisation en France et incorporation en France.

M. Gilbert Bornhauser - Oui, cela a été importé car cela faisait gagner de l'argent.

M. le Président - Avez-vous en tant que courtier la nécessité de repréciser aux personnes à qui vous vendez que les farines que vous importiez à l'époque pour les raisons que vous venez d'expliquer devaient être utilisées uniquement pour volaille etc.? Dans la déontologie votre métier, cela ne fait-il pas partie d'une obligation ?

M. Gilbert Bornhauser - Nous ne sommes pas l'utilisateur mais notre responsabilité serait engagée. Quand ces importations se sont faites, je m'en souviens, elles se sont faites au profit de gens qui étaient les volaillers, qui avaient des usines spécialisées, performants sur l'export, les Bourgoin, etc., qui avaient des usines qui ne faisaient que cela. Dans leurs usines, ils ne faisaient que du poulet de chair. C'était du poulet de chair pour l'exportation à 1,2 Kg en six semaines.

C'est une industrie de la volaille qui était à même d'acheter cela. C'étaient les seuls qui l'achetaient à cette époque.

M. le Président - Quand vous importiez les farines anglaises de manière légale, aviez-vous la responsabilité après de savoir si c'était utilisé exclusivement pour les volailles et pas pour les bovins ou n'est-ce pas votre problème ?

M. Gilbert Bornhauser - Si, derrière, un fabricant trichait en nous racontant des histoires ... Nous travaillons au téléphone. Derrière, nous n'avons pas d'action pour le savoir. Quand j'ai vendu de la farine de viande à une usine en Vendée par exemple, cette société ne fait que du poulet, pas de porc ni de bovin, j'avais une certitude sur les usines. D'autres fabricants qui ont de multiples usines les achetaient pour les usines dédiées. Je n'aurais pas vu si une fraude avait été faite.

Avez-vous vu des fabricants d'aliments du bétail ? Vous ont-ils semblé être des fraudeurs ? J'ai assez confiance dans leur mode de travail.

M. le Président - C'était pour savoir du point de vue déontologique.

M. Gilbert Bornhauser - Je ne pourrais pas le savoir.

M. Gérard César - Les statistiques s'arrêtent en octobre 2000. Depuis, où en êtes-vous par rapport au commerce et à votre chiffre d'affaires ?

Votre chiffre d'affaires a-t-il subi les conséquences de la crise que nous connaissons ?

M. Gilbert Bornhauser - Je suis assez sinistré par cette interdiction de commercialiser les farines de viandes et graisses animales car c'était le gros de mon activité. J'avais des produits annexes, les luzernes, pulpes de raisin etc., mais qui représentaient 30% environ de mon activité. J'ai perdu 70% du chiffre d'affaires que je faisais, et ceci suite à l'interdiction d'utilisation des farines de viande.

J'ai apporté de la graisse animale. C'est aujourd'hui interdit. On vend aujourd'hui des huiles végétales. Au lieu de vendre de l'animal, on vend du végétal. Les courtiers qui font des sojas en vendent plus qu'avant, puisqu'il n'y a plus de farines de viandes. Je ne suis pas capable de vendre du soja car ces courtiers sont dans leur marché depuis toute une vie. Je ne délogerais pas un courtier qui fait du soja de sa place. Je fais les choses que je peux faire, remplacer ces graisses animales aujourd'hui interdites par des huiles végétales. Je faisais en commissions autour de 200 000 francs par mois de chiffre d'affaires, donc 2,2 MF par an. Je suis tombé le mois dernier à 70 000 francs de chiffre d'affaires. C'est une chute d'au moins la moitié, parfois plus.

M. Bernard Cazeau - Vous dites qu'il y avait des opportunités économiques et que cela a conduit des gens à acheter plus de produits importés. Nous avons eu l'occasion de visiter une entreprise il y a quelques mois. Cette entreprise a dit " dès 1989 nous avons eu des doutes et nous avons refusé d'utiliser les farines animales importées d'Irlande ". D'autres, semble-t-il, ont continué à en acheter de plus en plus puisqu'on est passé à 15 000 tonnes par an. Avez-vous le sentiment que dans vos clients il y a eu des différences de comportement entre ceux qui ont appliqué le principe de précaution maximum, ayant des doutes, des interrogations, et ceux qui ont voulu faire le maximum de profit en tirant partie de ces opportunités économiques ?

M. Gilbert Bornhauser - C'est toujours vrai. Je me souviens d'un fabricant d'une coopérative bretonne à qui j'avais vendu un bateau ; la presse s'est déchaîné sur lui en disant qu'il importait des choses épouvantables. Il a cessé tout de suite, mais je pense que c'était plus une question médiatique, de peur des médias. Ce n'était pas réglementaire, c'était une précaution car les médias lui étaient " tombés sur le dos ". Il existe une graisse animale aujourd'hui, une graisse de couenne de porc, sous-produit de la gélatine, faite avec des peaux de porc, sans os. Elle est utilisable dans l'alimentation animale aujourd'hui, malgré l'interdiction des graisses animales. Pas un fabricant d'aliment du bétail ne la met. Il a trop peur qu'on lui tombe sur le dos.

Elle ne se vend pas à l'alimentation animale. Ces précautions supplémentaires que certaines entreprises prennent dépendent de médiatisation ou de précaution supplémentaire. Certains fabricants ont pu vous dire qu'avant même que certains règlements soient sortis, ils avaient anticipé un peu. Ils l'ont un peu tous fait, c'est un peu normal.

M. le Président - A quels contrôles étaient soumises les farines que vous importiez ? Etaient-ce des contrôles simplement sur pièce ou des contrôles sanitaires ?

Ces contrôles étaient-ils systématiques? De quelle administration ces contrôles émanaient-ils ?

M. Gilbert Bornhauser - Dans les années 90, pour importer un bateau, c'était sous contrôle vétérinaire du pays exportateur et du pays réceptionnaire. Il y avait un vétérinaire au chargement du bateau, un à la réception du bateau.

M. Jean Bernard - La traçabilité existait-elle ?

M. Gilbert Bornhauser - Pour l'Irlande, ils pouvaient être parfois 1 ou 2 fabricants à mettre de la marchandise sur un bateau. Pour un bateau de 700 tonnes, c'est le plus souvent un fabricant mais il n'est pas impossible d'en trouver 2. Donc une traçabilité moyenne.

M. le Président - Le contrôle à l'arrivée était-il fait par les services vétérinaires ?

M. Gilbert Bornhauser - Il y a toujours un contrôle vétérinaire pour vérifier l'absence de salmonelle. C'est ce qui était contrôlé à l'époque.

M. le Président - Savez-vous si, par rapport à vos clients, par ce que vous avez fait importer ou revendu à vos clients, il y a eu beaucoup de cas de vache folle déclarés en lien avec ce que vous avez importé ?

M. Gilbert Bornhauser - GLON est un gros volailler. Il n'a pas eu de vache folle dans sa clientèle, par rapport à d'autres qui n'ont pas importé de farines. Je ne pense pas qu'on puisse faire une relation.

M. Jean-François Humbert - Tout ce qui a pu être écrit et dit sur une éventuelle fraude n'a pas résisté à votre analyse, pour 2 raisons principales. Il ne peut y avoir eu fraude car ce sont des professionnels consciencieux qui travaillent dans ce secteur et ensuite une absence d'intérêt économique éventuelle en raison des cours supposés ou connus de ces farines animales.

Cela veut-il dire qu'on peut affirmer, et est-ce ce que vous faites, qu'il n'y a pas eu fraude, qu'il est impensable qu'il y ait eu fraude et que par conséquent ce qu'on a pu lire ou entendre n'est que pure invention de personnes qui n'avaient pas préalablement cherché à savoir ce qui s'était réellement passé ?

M. Gilbert Bornhauser - J'ai été soumis à une enquête de la répression des fraudes. Ils ont tout contrôlé. Avec les contrats qu'ils avaient chez moi, ils ont contrôlé les fabricants d'aliment du bétail. A cette époque, il leur a été rendu justice. Ce n'est pas très médiatique. Cela a été dit par Yves Galland. Il décrit les contrôles. Ils ont contrôlé tout le monde et ont trouvé 0 fraude. Il y avait un certain nombre d'erreurs.

Il y avait des farines de plumes qui se vendaient d'Angleterre et qui étaient autorisées à cette époque. Des farines de volaille allaient en aliment chiens et chats et étaient autorisées. Ils ont tout recoupé. Il y a eu quelques erreurs. Ils ont retrouvé 0 fraude. Ils ont trouvé 4,3 tonnes d'aliments retirés pour je ne sais quelle raison.

Un communiqué a été fait à l'époque que j'ai là est que je pourrai vous donner. Il a été fait le 23 juillet 1996.

Ces contrôles ont été faits et bien faits. Ces gens sont des contrôleurs très efficaces.

M. Jean-François Humbert - Je ne remets pas en cause la conscience professionnelle. Je ne vous mettais pas en cause, je m'interrogeais sur d'autres personnes qui travaillent dans cette filière. Votre réponse m'a semblé définitive : ce n'est pas possible et d'ailleurs un communiqué le démontre. Sera convaincu celui qui voudra bien l'être.

Sur l'intérêt économique, il est vrai que les farines animales avaient des cours qui suivaient le marché et aussi le marché du soja. Est-ce que je me trompe quand je pense que quand quelque chose est interdit il prend de la valeur ? Quand les farines animales ont été interdites, n'y a-t-il pas sur le plan économique, dans une économie non officielle, quelque intérêt à éventuellement les faire entrer sur un territoire qui n'en veut plus ?

M. Gilbert Bornhauser - Pour moi non. Le fait qu'il soit interdit ne lui donne pas de valeur. Pour qu'il ait une valeur il faut qu'il soit bon marché.

M. Jean-François Humbert - Ne pensez-vous pas que ceux qui utilisaient quand elles étaient autorisées ces farines animales pouvaient avoir intérêt à continuer à les utiliser quand elles étaient interdites car cela apportait en matière nutritionnelle soit disant des performances supplémentaires ?

M. Gilbert Bornhauser - Les farines de viande et les graisses animales sont interdites ; dans l'heure qui suit tous les fabricants d'aliments du bétail ont fait des formules végétariennes. Le dommage est un surcoût. On s'interdit de mettre des graisses animales. C'est un surcoût de la filière, mais le fabricant d'aliments du bétail achète ses matières premières et revend un aliment ; que son aliment coûte 5 ou 10 centimes de plus, tout le monde est à la même enseigne sur le marché français. Vis-à-vis de ses concurrents, il n'a pas de problème à ne pas mettre de farine de viande , il fait son métier de mélangeur avec les produits qui sont autorisés. Le dommage est ailleurs. Nos voisins européens ont le droit de mettre des graisses animales. C'est déclassé car comme nous n'en mettons plus et que nous les brûlons, il y a désaffection des graisses animales. Aujourd'hui sur le marché européen cette graisse animale vaut 150 francs le quintal. On achète des huiles végétales mélangées, qui viennent du monde entier, qui valent 230 francs. On met dans nos formules d'aliments en ce moment des huiles à 230 francs alors que nos voisins européens qui se conforment à la législation européenne, qui n'est pas notre législation particulière, mettent un produit à 150 francs, ils font du poulet moins cher. La filière va avoir une concurrence de volaille européenne moins chère que les nôtres. Bloque-t-on ces volailles à l'entrée ? On leur vend des Citroën et des Renault. Peut-on bloquer leurs volailles ? Non. On se met des liens coûteux et qui coûtent à notre économie. Professionnellement, cela ne change pas la vie du fabricant d'aliments.

Quand on se met des réglementations françaises qui ne sont pas les réglementations européennes, cela ne va pas.

On prend des précautions maximum mais je pense qu'on a tort de prendre des précautions différentes de celles de l'Europe. On importe des agneaux en pagaille. En France on ne fait pas beaucoup d'agneaux, ils viennent d'Angleterre. Je ne pensais pas que des bovins ou des agneaux venaient vivants d'Angleterre. On est en Europe et tout cela circule librement. On le découvre quand il y a épidémie etc. Ces farines de viandes qui sont choquantes sont européennes et avaient le droit de circuler.

M. Jean-François Humbert - On pourrait être choqué dans l'hypothèse où, une fois l'interdiction prononcée, il y aurait eu continuation de l'importation.

M. Gilbert Bornhauser - Les enquêtes sont bien faites. Appuyez-vous sur les contrôles qui ont été faits ; cela vous permettra de vous faire une opinion, ne vous appuyez pas sur des sous-entendus comme on le fait. Il n'y a rien d'abominable dans ce qui se passe dans le commerce.

En Angleterre, ils continuent à avoir des cas de vaches folles. Cela fait pourtant longtemps qu'ils ne mettent plus de farine de viande. Donc concernant la contamination aujourd'hui, on peut regarder ailleurs que vers la farine de viande. Il faut faire les contrôles, mais dès qu'il y a une vache folle, on dit " elle a probablement mangé de la farine de viande en douce ". C'est une hypothèse. Il est facile de se défausser.

M. Jean-François Humbert - Vous avez parlé de graisse animale. Avez-vous eu l'occasion de vendre ce type de produit à des fabricants de lacto-remplaceurs ?

M. Gilbert Bornhauser - Non. Ce n'est pas ma clientèle. Les fabricants de lacto-remplaceurs mettaient des suifs premier jus. Quand les suifs étaient chers, les graisses d'os ont été utilisées, qui sont des produits animaux très durs. Ils ont besoin d'un produit dur qui ressemble au suif de vache.

Ils achètent du Coprah ou du Palme raffiné. Ils auraient le droit de mettre des suifs premier jus. Il reste pratiquement un unique producteur, Minguet. Il y a projet de retirer dans les abattoirs le suif avant la vente des carcasses, qui fait que ces gens vont fermer la boutique.

Des produits vont disparaître, qui sont des suifs et des saindoux qu'on retrouvait en cuisine. Ces graisses probablement vont disparaître.

M. Jean-François Humbert - Ils ont remplacé des graisses animales ou de suif par du végétal. Donc cela a été utilisé.

M. Gilbert Bornhauser - Cela n'a pas été coûteux. Les suifs sont difficiles à trouver et coûteux ; aujourd'hui un suif pour l'aliment veau vaudrait autour de 300 francs. Ils ont payé un peu moins cher du végétal. Les prix fluctuent. Certains regardent s'ils ne sont pas obligés de revenir en arrière pour essayer de réutiliser des suifs ou des saindoux car ils peuvent avoir des problèmes de couleur. Le problème technique n'est pas réglé pour eux.

M. le Rapporteur - Confirmez-vous le fait que certains fabricants d'aliments d'allaitement ont incorporé à des doses infinitésimales des concentrés de protéines ?

M. Gilbert Bornhauser - Pas à ma connaissance.

M. le Rapporteur - Des farines de viande excessivement concentrées dans l'aliment d'allaitement ?

M. Gilbert Bornhauser - Cela peut faire référence au CPSP, Concentrés Protéines de Poissons par Évaporation ? C'est un produit de luxe. C'est possible.

M. le Rapporteur - On n'est pas sur du poisson mais sur du bovin.

M. Gilbert Bornhauser - Je ne connais pas ce produit.

M. le Rapporteur - Sur le marché hollandais, cela s'est fait. Pouvez-vous confirmer que cela s'est fait sur le marché français ?

M. Gilbert Bornhauser - Non, et je ne vends rien aux lacto-remplaceurs.

M. le Président - Merci pour tous ces renseignements.

Audition de M. Philippe MANGIN,
Président de la Confédération française de la Coopération agricole,
et Mme DEBREDEVILLE,
Chargée des Relations parlementaires pour la Coopération agricole

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Vous êtes Monsieur Philippe Mangin, Président de la Confédération Française de la Coopération Agricole. Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes entendu ici dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème des farines animales et des conséquences pour la santé des consommateurs. Dans le cadre d'une commission d'enquête vous devez témoigner sous serment. Je vous lis le processus et je vous ferai prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Mangin et Mme Debredeville.

M. Philippe Mangin - J'interviendrai en qualité de généraliste président de la Confédération Française des Coopératives Agricoles, qui réunit l'ensemble des coopératives du territoire national, tous métiers confondus. Mes collègues, Daniel Rabiller, Président des coopératives d'aliments du bétail, François Toulis, Président des Coopératives de bétails et viandes ont été auditionnés par cette commission en décembre et ont pu évoquer les aspects plus techniques de la fabrication des aliments et de l'évolution de la filière de fabrication. J'évoquerai quelques réflexions sur les filières de production et les choix qui pourraient être faits pour accroître la sécurité alimentaire conformément aux attentes de nos concitoyens, attentes légitimes après les peurs qui ont pu être cultivées et révélées ces dernières années.

J'articulerai mon exposé rapide autour de 3 points : la place et le rôle des coopératives dans les filières de production animale, et tout particulièrement d'aliments du bétail, la traçabilité et la sécurité alimentaire dans les coopératives et une conséquence qui m'apparaît indispensable à évoquer, la nécessité d'un plan de relance des protéines végétales à l'échelle européenne.

1. La place des coopératives dans les filières de production animale est importante. Je rappelle une spécificité forte qui fait qu'un agriculteur qui fait le choix d'adhérer à une coopérative est un actionnaire, un client de produits ou de services et il est encore un fournisseur. Aucun acteur économique ne peut aujourd'hui revendiquer une telle étroitesse de ses relations avec ses actionnaires ou ses clients ou ses fournisseurs et rares sont les entreprises qui peuvent réunir 3 ou 2 de ces conditions à la fois. Cette spécificité coopérative offre une immense chance à la structuration de filières organisées et donc organisées peut sous entendre rassurantes pour le consommateur au sens où elles peuvent raccourcir le processus que nous appelons souvent " de la fourche à la fourchette " et mettre beaucoup de rigueur dans les relations de cette chaîne de production.

Il existe de nombreux types de coopératives, mais historiquement ce sont les coopératives de mise en marché qui ont connu le plus fort développement notamment sur des produits très périssables comme le lait. Depuis de nombreuses années, les coopératives se sont impliquées dans le secteur de la viande, dans la création d'outils industriels notamment les usines d'aliments, les abattoirs, les unités de transformation, ceci dans la continuité de la mise en place des groupements de producteurs, de cette mise en marché qui a d'abord initié cette organisation, et dans un souci de conquête de valeur ajoutée et de sécurité des débouchés.

Mais il faut souligner que tout ce mouvement organisationnel des agriculteurs, cette naissance du monde coopératif dans la filière de production d'aliments du bétail et de commercialisation de la viande s'est créée aussi en réaction à des pratiques professionnelles traditionnelles qui ont souvent été opaques et contestées par les agriculteurs et par les consommateurs à certains moments. Elles ont ainsi contribué à l'organisation des filières et à la transparence des circuits de mise en marché, condition indispensable à la sécurité sanitaire, plus spécifiquement pour accompagner les besoins des animaux. Ces organisations coopératives ont depuis longtemps investi, souvent à plusieurs, dans des usines de fabrication d'aliments du bétail. La part des coopératives représente 400 000 tonnes par an, 400 000 étant la capacité moyenne des outils des coopératives dans ce secteur de production.

On estime qu'entre 1985 et 2000 la part de la coopération dans l'alimentation animale est passée de 32 à 52%, donc il y a eu un fort développement de la présence coopérative dans la fabrication d'aliments du bétail, par croissance interne des outils ou par rachat d'unités privées. Ce mouvement a été initié le plus souvent par des coopératives polyvalentes multibranches ou par des coopératives céréalières soucieuses de trouver, à travers les productions animales, en général, et l'aliment en particulier, un débouché régulier pour les productions végétales de leurs adhérents.

La part du prix de revient du kilo d'aliment dans le prix de revient du produit final, porcins, volailles, ovins, moutons, connaît une importance croissante selon les filières. Les outils d'alimentation animale ont joué un rôle clef dans un secteur très concurrentiel et les coopératives ont largement contribué à la croissance de la production, qu'elles ont dû également accompagner par des structures adéquates de mise en marché, qu'il s'agisse d'animaux vivants ou de produits transformés.

Comme les autres entreprises de ce secteur, les coopératives ont dû faire face à la pression croissante de la grande distribution, qui a eu un impact direct sur l'amont des filières, ce qui les a contraints à se concentrer, à essayer de réduire les coûts pour offrir à leurs adhérents des produits et des services aussi compétitifs que possible. J'insiste pour dire que le renforcement de l'organisation des producteurs nous paraît être une condition essentielle à l'évolution d'une agriculture dynamique et plus encore au moment où on s'inscrit dans moins de politique agricole sur les marchés, il nous faudra plus d'organisation de producteurs pour rendre ces agriculteurs capables de conquérir ces marchés et de rester des acteurs économiques dignes de ce nom.

Il faut qu'on milite pour amener les agriculteurs plus loin dans les filières. On constate au cours de ces 20 dernières années le déplacement de la valeur ajoutée d'un maillon à l'autre des filières de production. C'est en essayant d'organiser les producteurs le plus loin possible dans la filière que nous pourrons les aider à conquérir plus de valeur ajoutée face à une concentration des acteurs de la grande distribution sur laquelle il n'est pas nécessaire de s'attarder ici.

2. La traçabilité et la sécurité alimentaire dans les coopératives. Comment est-elle pratiquée ? Cette particularité de l'actionnariat, du statut de client et de fournisseur qui était celui des agriculteurs, c'est parce qu'elle regroupe les différents maillons de la chaîne de production que la coopération nous semble particulièrement prédisposée à occuper une place de premier plan dans le renforcement de la sécurité alimentaire. C'est le fondement des entreprises coopératives que de valoriser la production de leurs adhérents sur une zone bien définie. Si, comme les entreprises concurrentes, elles n'excluent pas le recours à des importations, à des apports de produits non issus de leur région territoriale, leur activité technique et commerciale s'appuie quand même avant tout sur des produits locaux et de ce fait contribue nettement à la mise en valeur du territoire.

Avant de parler de qualité et de traçabilité, les coopératives ont travaillé à la mise en place de cadres interprofessionnels, encouragées dans leur démarche par les pouvoirs publics.

Le mouvement interprofessionnel n'a pas d'équivalent en Europe. Il est extrêmement puissant sur notre territoire national et il a été fortement encouragé par les coopératives. A ce titre nos coopératives sont, plus que d'autres entreprises, attachées à la segmentation des produits et au développement des démarches de qualité.

Tout ce qui concerne les signes officiels de qualité, AOC, Label Rouge, HACCP, même agriculture biologique, c'est le mouvement coopératif qui en est, si ce n'est à l'origine, en tout cas le vecteur, le support, le vulgarisateur. Cette situation est à prendre à compte pour essayer d'améliorer encore cette recherche de sécurité alimentaire.

Depuis longtemps nos coopératives ont ainsi sensibilisé les producteurs à l'importance des aspects qualitatifs, notamment dans le secteur des produits élaborés, plus directement en contact avec les marchés, comme le lait ou le vin.

A la fin des années 90, on a vu se mettre en place dans les outils industriels agroalimentaires coopératifs les premières assurances qualités système, selon des normes internationales ISO 9000, base d'une organisation visant à améliorer la sécurité des systèmes de production. En complément à cette mise en place des normes ISO dans nos entreprises coopératives se sont développés différents outils d'amélioration, comme la démarche HACCP, et les premiers guides de bonne pratique, disponibles progressivement dans toutes les filières. Depuis plusieurs années, pour contribuer au renforcement de la qualité et à la sécurité des approvisionnements, le programme Agriconfiance concernant l'assurance qualité des exploitations agricoles voit le jour sous l'égide de la CFCA.

Certifié par des organismes de certification indépendants, Agriconfiance articule une démarche autour de la relation entre l'agriculteur et la structure coopérative de mise en marché d'une part, et entre cette structure coopérative et le besoin exprimé par le client final d'autre part. En 2000, ce référentiel Agriconfiance, en cours de développement dans la filière de production d'aliments du bétail, a fait l'objet d'une normalisation par l'AFNOR pour permettre à toute structure organisée des productions agricoles de bénéficier des procédures d'assurance qualité des exploitations agricoles. A ce jour 40 entreprises coopératives sont certifiées Agriconfiance, 130 sont engagées dans la démarche, ce qui représente plus de 40 000 exploitations agricoles, ce n'est que 10% du total national. La démarche est en cours dans toutes les filières, qu'il s'agisse des filières de céréales, de vins, en passant par les produits laitiers et la viande.

Cette approche est particulièrement adaptée à l'organisation en filière, du producteur au consommateur, mise en oeuvre dans nos coopératives et cette approche facilite la traçabilité des produits et permet un meilleur suivi de la qualité.

C'est donc l'effort global des entreprises coopératives sur les usines et dans leurs relations avec les agriculteurs que j'ai plaisir à souligner ici, même si nous sommes conscients que le chantier reste ouvert et que les programmes d'assurance qualité se doivent d'être encore plus développés.

En conclusion de ce deuxième point, la sécurité alimentaire, par la traçabilité, c'est plus facile en coopérative, plus rigoureux en coopérative et plus facilement vulgarisable, développable en démarche coopérative. Quand une entreprise coopérative qui réunit 3000 adhérents se lance dans une telle démarche, c'est une dynamique de groupe qui suscite l'adhésion de l'ensemble des agriculteurs et qui apporte plus de rigueur que toutes autres démarches dispersées.

Dernier point : en conséquence de cette crise de l'ESB et de la suppression des farines animales, nous croyons à la nécessité d'un plan de relance des protéines végétales à l'échelle européenne.

La décision de suppression des farines d'origine animale de novembre 2000 a de lourdes conséquences quantitatives et qualitatives. Dans le contexte de consommation et de prix actuels, la commission européenne estime le besoin complémentaire en protéines à 2 millions de tonnes d'équivalents tourteaux de soja, ce qui vient s'ajouter aux importations habituelles.

Sur le plan qualitatif le besoin supplémentaire va se traduire par l'importation d'aliments oléo-protéiques dont il sera difficile de contrôler la nature, risques liés aux organismes génétiquement modifiés et plus encore le contrôle de la traçabilité dans un marché mondialisé.

Au-delà de cet accroissement immédiat du besoin lié à cette décision, c'est une réflexion sur l'ensemble de la situation protéique européenne et les conséquences de notre dépendance qu'il faut mener.

Très résumée, la situation actuelle de dépendance se traduit par des conséquences économiques liées au coût direct des importations massives de protéines qui nous sont expédiées par les grands pays producteurs, USA, Argentine et Brésil, et au manque à gagner pour la production agricole européenne. Elle se traduit encore par des risques du point de vue de la sécurité alimentaire car l'absence de choix réel et donc l'obligation d'importer fragilise les mesures destinées à accroître la traçabilité et à améliorer la sécurité alimentaire souhaitée par les opérateurs et les consommateurs.

Lorsqu'on nous présente un certain nombre de pays producteurs de protéines comme indemnes d'OGM, et je pense notamment au Brésil, et qu'en se rendant sur place dans des exploitations agricoles nous constatons comme je l'ai vu au cours d'une dernière mission- des agriculteurs désherber leur production de soja avec des produits supportables uniquement par des semences résistantes à ce produit, et donc génétiquement modifiées, vous nous permettrez d'exprimer beaucoup d'interrogations quant à la sécurité et à la traçabilité qu'offrent ces pays qui, pourtant, sont présentés comme ayant chez eux interdit la production d'OGM. Si on prend en compte l'ensemble des sources de protéines, on peut estimer que le taux européen de dépendance est de 33% environ, c'est-à-dire qu'environ un tiers de nos besoins globaux sont couverts par des importations, avec une très large part accordée au soja sous différentes formes, graines, farines et tourteaux. Ce taux s'accroît jusqu'à 75% si on prend en considération les besoins spécifiques des espèces mono gastriques, porcs et volailles, et la réponse protéique particulièrement bien adaptée, offerte notamment par le tourteau de soja, dont la composition est proche des farines animales qui viennent d'être interdites.

Sur le tonnage équivalent tourteau de soja des matières à haute teneur en protéines nécessaires au fonctionnement actuel de l'alimentation animale, on estime que les 2 tiers sont importés.

Pour couvrir une partie de ce déficit, il nous semble indispensable de mettre en oeuvre rapidement un plan encourageant ces productions protéagineuses.

En plus ces cultures ont l'avantage de capter l'azote de l'air et donc présentent des avantages sur le plan environnemental incontestables. Le développement de ces cultures complémentaires, tant du point de vue agronomique que zootechnique, a récemment fait l'objet de propositions de la part de la profession. Il s'agit de demander des mesures destinées à encourager la culture de ces plantes, qui souffre aujourd'hui d'un certain désintérêt de la part des agriculteurs, et pour des raisons essentiellement économiques. A cet effet, il serait entre autres solutions envisageable soit d'utiliser les jachères disponibles, soit de réorienter une partie des terres actuellement consacrées aux céréales. Cette dernière voie ne sera réalisable que dans la mesure où les producteurs et les coopératives de collecte valident économiquement ces orientations et tiennent compte des régions.

Naturellement, les producteurs devraient être accompagnés dans ces évolutions par les instituts techniques et les organismes économiques.

Nous pensons, dans les coopératives, être particulièrement bien placés pour accroître la production de protéines végétales destinées à l'alimentation animale. La plupart des coopératives ont depuis longtemps mis en oeuvre des productions contractualisées destinées à différents opérateurs, la meunerie, le malt, il y a une culture de la contractualisation dans nos coopératives qui est réelle et qui pourrait permettre le développement de ce plan protéine de façon rapide.

Une politique volontariste de la part des Pouvoirs publics pour une relance de ces productions de protéines aurait également des conséquences économiques directes sur l'accroissement de la production végétale finale.

A ce jour, en dépit de l'analyse demandée lors des sessions du 4-12-2000 et du 26-02-2001 par le Conseil de l'Agriculture à la commission européenne, il n'apparaît pas que des décisions claires aient été prises et on pourrait même parler d'un certain désintérêt pour ce problème de la part des autorités européennes.

En conclusion, je me permettrai d'inviter les membres de la commission d'enquête à souligner l'importance de l'enjeu proposé aux coopératives agricoles, particulièrement bien placées pour l'organisation des filières de production, la maîtrise des relations avec les exploitations agricoles, et donc la rigueur dans les procédés de traçabilité et de sécurité alimentaire, vous inviter à soutenir la recherche de solutions destinées à accroître la production de protéines végétales, en relayant les propositions formulées par la profession ; même si cette question est du domaine européen, nous en sommes bien conscient, il nous paraît quand même important que la France formule cette demande avec plus d'insistance encore.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Concernant Syncopac, qui représente les coopératives fabriquant des aliments pour animaux au sein de votre confédération, avez-vous eu connaissance d'importations de farines d'origine douteuse, et si oui vous êtes-vous porté partie civile dans un certain nombre de procès ?

M. Philippe Mangin - Non, nous n'avons pas eu connaissance d'importation et de ce fait, nous n'avons pas été interrogés sur l'opportunité de nous porter partie civile.

M. le Rapporteur - Sur un plan plus général, considérez-vous que le secteur de la production de farine animale est suffisamment et efficacement contrôlé et encadré en France ?

M. Philippe Mangin - Je ne le pense pas. Je ne pense pas que nous nous soyons entourés de toute la rigueur et de tous les contrôles qui auraient été souhaitables. Je veux insister sur l'attitude plutôt offensive des coopératives de fabrication d'aliments du bétail, qui ont été les premières à poser le problème de la présence de farines animales dans certains aliments, notamment dans la chaîne de production d'aliments du bétail pour bovins. Nous étions bien avancés déjà dans nos réflexions avant que les décisions n'aient été prises par les autorités publiques, nous étions bien avancés dans des réflexions et dans des stratégies visant à ce que des ententes coopératives puissent séparer les circuits de production d'aliments. C'est ainsi que plusieurs coopératives ont créé des alliances pour spécialiser leurs usines et faire en sorte qu'il n'y ait plus de contamination possible entre la fabrication d'aliment pour viande blanche pour les mono gastriques et la fabrication d'aliments pour les bovins. Je suis président d'une coopérative qui a participé à une stratégie de ce type en alliance avec trois autres coopératives. Cela nous a permis de spécialiser 4 de nos outils industriels de façon à ce que plus aucune contamination ne puisse avoir lieu, qu'on ait des camions de distribution qui n'aient eu aucun contact d'une gamme de produit à une autre. Cela a été conduit dès le début des années 99. Il est bon de rappeler que le Syncopac a formulé publiquement des demandes en ce sens. On peut regretter une insuffisance de rigueur de contrôle en la matière, effectivement.

M. le Rapporteur - Êtes-vous toujours en phase avec les décisions gouvernementales, c'est-à-dire interdiction totale des farines animales sur l'ensemble des animaux, porcs, volailles, bovins ou seriez-vous plus tolérant sur porcs et volailles ?

M. Philippe Mangin - Sous réserve d'expertises scientifiques qui resteraient à réaliser encore pour l'alimentation des mono gastriques, j'aurais tendance à penser que, si nous avions pu spécialiser complètement nos outils de production et assurer une traçabilité la plus totale qui ne présente aucun risque de contact et de mélange, autrement dit si nous avions des usines de fabrication à destination des seuls mono gastriques et qu'il n'y ait aucun contact possible avec l'alimentation des bovins -c'est par cette approche que nous avons été longtemps guidés-, j'aurais tendance à dire que, sous réserve d'expertise scientifique qui démontre qu'il n'y a pas de risque dans la famille mono gastrique, cela me semble être une solution qui pourrait redevenir possible.

M. le Rapporteur - Vous n'avez pas peur qu'en terme d'image vis-à-vis de l'opinion ce soit désormais impossible ?

M. Philippe Mangin - Nous pourrons assez facilement, et c'est un peu le cas, dire au consommateur que malheureusement l'origine des protéines végétales aujourd'hui n'est pas beaucoup plus rassurante pour lui.

M. le Rapporteur - Est-ce un discours que l'on peut tenir ? On peut le tenir ici entre nous, on le comprend bien, mais ce n'est pas en disant que l'origine des protéines végétales n'est pas plus sûre qu'on peut aborder vraiment le problème.

M. Philippe Mangin - Les peurs alimentaires, qui sont tout à fait légitimes après les difficultés rencontrées ces dernières années, sont quand même souvent excessives. Il convient d'en revenir à la raison. Cette raison qu'il faut rechercher, c'est l'expertise scientifique sous surveillance des pouvoirs publics qui nous permettra d'y revenir. Si nous avons des instances scientifiques indépendantes qui peuvent démontrer à l'issue de travaux rigoureux que les farines animales dans l'alimentation des mono gastriques ne présentent pas de danger, je ne vois pas pourquoi le consommateur continuerait à s'affoler exagérément. Il faut tenter de rassurer le consommateur sur la rigueur, l'indépendance, la qualité de l'expertise scientifique. Cela demandera un peu de temps sans doute. C'est selon nous le meilleur moyen pour que le consommateur s'y retrouve dans les informations qui lui sont livrées pêle-mêle et qui parfois sont davantage dues à des lobbies de tout poil qu'à des supports crédibles.

M. le Rapporteur - Vous avez fait un long exposé et plaidoyer concernant les protéines végétales et le souci que vous avez de relancer un plan protéine au niveau européen et français en particulier. Nous sommes assez désemparés. Que ce soit auprès de Franz Fischler, que nous avons rencontrée il y a quelques semaines à Bruxelles, ou suite à l'audition de Monsieur Moscovici où nous lui avons posé la question au sein de la délégation à l'Union Européenne, on ne sent pas une volonté très nette sur ce point et vous avez vu les résultats du document de travail de la commission.

Je ne sais pas quels seraient les moyens pour bien faire comprendre déjà au niveau national la pertinence. On a reçu le président de la FOP, qui était d'une clarté exemplaire sur ce point. Cela paraît excessivement rationnel de relancer un plan protéique au plan national. Nous sommes encadrés par les accords de Blair House sur une partie seulement de ce plan.

Une fois qu'on a rencontré ces personnes, on va reposer la question à Monsieur Glavany, on ne sent pas de volonté très claire. Cela ne passerait-il pas non plus par une action auprès de l'INRA, pour avoir des variétés plus compatibles avec la climatologie nationale ?

Toutes tendances politiques confondues, nous sommes très réceptifs à cela pour faire un relais, mais nous sommes déçus.

M. Philippe Mangin - On se heurte à ce qui pourrait sembler être un certain désintérêt de la commission européenne sur la question. Si c'est le cas, c'est parce que cela cache des préoccupations budgétaires importantes. Vouloir au niveau européen être offensif en ce domaine et relancer un véritable plan protéine supposerait un certain rééquilibrage du budget en défaveur de certains secteurs.

Il y a 2 possibilités. Soit on se dit : pour relancer ce plan protéine on va prendre un peu sur les filières animales. Ce n'est pas le moment, puisqu'au contraire, du côté des filières animales, il y a besoin de moyens budgétaires plutôt plus importants.

Si tel n'est pas le cas, c'est peut-être dans la filière céréalière qu'il faut trouver les moyens d'y parvenir. Je ne sais pas si l'état de la céréaliculture européenne peut permettre cette éventualité. La filière a dû accepter de gros efforts ces derniers temps, en France, en plus, avec la mise en place de la modulation, donc essayer d'expliquer au secteur céréalier qu'on va devoir lui baisser les primes à la faveur d'une relance du secteur protéine ne me paraît pas non plus être chose facile.

L'équation de la politique agricole européenne aura du mal à trouver une réponse à budget constant et à la veille d'un élargissement. C'est ce qui nous encombre dans cette recherche de solution que de se dire en préalable " nous ne pouvons raisonner qu'à budget constant et à l'intérieur du budget actuel".

Cela étant, une évolution budgétaire est-elle possible ? La question me dépasse. Je sens que s'il y avait un effort réalisé de ce côté, les choses pourraient se dénouer assez vite. Deuxième crainte que peuvent avoir les autorités européennes : la réaction des États-Unis. Le panel soja que nous avons perdu n'est pas très ancien. A la veille de l'ouverture de négociations difficiles, bon nombre de négociateurs sont tentés de nous dire " patientez un peu ". Or, il y a des intérêts que vous avez bien compris qui pourraient nous permettre d'être plus offensifs dans ce domaine. J'en rajoute un, cher à une région comme la mienne : toutes les régions agricoles dites intermédiaires, le grand pourtour du bassin parisien, qui va même jusque dans le Sud-Ouest, se heurtent à la difficulté de ne pas pouvoir développer de cultures dites industrielles, comme des régions du bassin parisien peuvent en avoir avec la betterave, la pomme de terre etc.

Elles sont en système de production un peu enfermées en termes de tête d'assolement, autour soit du tournesol dans le sud-ouest, et du maïs, ou du colza pour une grande partie l'est de la France. Développer le plan protéines, c'est redonner des chances à l'agriculture de ces régions, qui présente toutes les conditions pédo-climatiques pour redévelopper de la culture qui historiquement se faisait, comme la féverole, le lupin et d'autres productions de ce type.

Il y a un avenir pour les régions dites intermédiaires qui passe par le développement de ces cultures de protéines. Il faut le verser au débat politique.

Ce sont les régions actuellement qui souffrent le plus de l'évolution de la réforme de la PAC des derniers accords de Berlin, ce sont celles qui ont le moins de chance de diversification, sauf à espérer relancer ces productions de protéines.

M. le Rapporteur - Il faudra que l'on raisonne à budget constant. Les informations qu'on peut avoir au plus haut niveau nous amènent à le penser. Mais il y a des priorités. Celle-ci en est une, voire la première. Au sein de votre système coopératif, est-ce une réflexion à laquelle vous commencez à avoir des conclusions entre vous ?

M. Philippe Mangin - Beaucoup de coopératives ont commencé à prendre le taureau par les cornes en réalisant ce qui peut paraître bien petit eu égard à l'ampleur du problème, mais en remettant dès l'année dernière par exemple des parcelles d'essai de ces productions dans toutes les coopératives à peu près, ce qui avait été abandonné et ce qui nous amène à la difficulté dans laquelle nous sommes. Il n'y a pas eu de recherche génétique depuis des années, il n'y a pas eu de moyen tellement développé auprès des instituts etc. Il y a une mobilisation des coopératives. Certaines ont passé des accords avec des collectivités territoriales, c'est le cas en Languedoc-Roussillon où il y a un accord de la région pour soutenir à titre expérimental, mais dans un souci de vulgarisation, ces cultures à titre d'essai.

Donc cette mobilisation côté coopératives est réelle. Elle est en train de se traduire par des faits concrets. La première chose à faire est celle-là pour que les agriculteurs se disent " j'ai intérêt à recommencer cela ". Qu'on leur montre grandeur nature " nous avons fait des essais, les résultats économiques ne sont pas aussi négatifs que chacun a pu le penser ". Cette mobilisation existe. La volonté des coopératives de mettre tout en oeuvre pour contribuer au retour de ces productions est certaine, notamment pour celles qui sont aussi productrices d'aliments du bétail, qui sentent bien l'intérêt, et qui se disent que ce sera même comparatif très rapidement.

Pouvoir dire à ses sociétaires " je vous vends un aliment du bétail qui certes n'a plus de farines animales, mais qui en plus contient des protéines " du pays ", sera un avantage compétitif ".

M. le Rapporteur - Au travers du secteur Languedoc-Roussillon, donc, dans le cadre d'un contrat de plan État région, pourrons-nous avoir un document sur ce point ? Il serait intéressant de le verser au dossier de la commission. Cela pourrait être l'objet d'une incitation au travers de ce document sur d'autres régions françaises.

Ma dernière question a trait à la réflexion sur la réforme de la Politique Agricole Commune. Je suis persuadé que la coopération y pense activement et de façon pertinente.

Cela doit être également l'objet d'une des réflexions de cette commission d'enquête. Quelle est votre approche concernant la réforme de la PAC ? Nous sommes là à un virage. La PAC a été un élément fondamental dans la construction européenne. Là on est au bord de l'implosion. Il serait intéressant qu'on puisse vous entendre sur ce point. Cela demandera sans doute d'autres rencontres, mais cela fait partie de l'objet de la commission.

M. Philippe Mangin - Nous craignons le glissement d'une politique agricole vers une politique de revenus. Nous sommes persuadés qu'un jour viendra où les agriculteurs vendront avant d'avoir produit ou ne mettront rien en production sans avoir un contrat, un débouché, une contractualisation.

Ce jour viendra. C'est en plein développement. Ce sera étendu à la plupart des agriculteurs rapidement.

Cette simple analyse pourrait nous amener à dire " il n'y a plus besoin de politique agricole, il n'y a que de la compensation à faire pour les agriculteurs en situation plus défavorable ". J'émets une forte réserve à cette déduction. Nous avons affaire là, contrairement à des secteurs industriels, à du vivant. C'est une production qui ne se contractualise pas et qui ne se régule pas comme une chaîne de production de voitures. On peut se dire qu'un fabricant automobile, à part dans la phase de lancement d'un nouveau produit, fait ensuite travailler sa chaîne en fonction des bons de commande. Il adapte sa production ainsi. En agriculture nous n'y parviendrons jamais complètement, parce que nous avons affaire à du vivant. Cela supposerait que la politique agricole européenne continue à intervenir en deux directions :

* Qu'elle maintienne un filet de protection au sens où nous ne sommes pas à l'abri de crise dans un sens ou l'autre en terme quantitatif. 2% de plus d'excédent d'une production sur un marché mondial, c'est tout le secteur qui connaît une très forte dégradation des prix. Un agriculteur ne peut supporter de telles variations. Il est important qu'on conserve dans cette politique agricole un niveau minimum de filet de protection.

* Puisque c'est du vivant, nous sommes soumis à tous les risques que présente le vivant et donc des risque sanitaires, liés à la santé. On ne peut imaginer que la profession soit capable elle-même d'assumer toujours les conséquences de tous ces risques.

Ces 2 raisons m'amènent à dire que toutes les évolutions de politique agricole européenne sont imaginables. Il faut être ouverts à ces formes d'évolution à condition qu'on ait bien pris en compte cette spécificité de l'agriculture qui vise à traiter du vivant et qui donc nécessiterait ce filet de sécurité et cette capacité à gérer les crises maintenue au niveau européen. Ce sont 2 piliers sur lesquels il faut axer notre réflexion. Je n'ai pas évoqué les conditions climatiques et les variations qu'elle peut engendrer. L'Europe est un des continents le plus stable en matière de production, par son climat. Les variations climatiques sur d'autres continents sont extrêmement fortes et vous voyez des courbes de production extrêmement cycliques quand vous prenez la production de l'Australie ou des États-Unis dans certains secteurs au cours des 10 dernières années.

Ces 2 conditions étant posées, imaginer une autre intervention des soutiens publics, une autre conditionnalité à l'octroi de soutien aux agriculteurs me paraît souhaitable. Il faut que la profession s'en ouvre et soit force de proposition en la matière. Nous devons dans toute cette approche rassurer le consommateur et rendre des comptes au citoyen.

Ce sont deux questions qu'on ne pourra balayer d'un revers de main, comme la profession l'a fait un peu trop sans doute dans les réflexions précédentes en 1992 et en 1997 ou 1998.

M. le Rapporteur - Au sein d'une contractualisation forte à laquelle je crois personnellement, vous n'avez pas évoqué le dernier maillon, celui de la grande distribution et de la concentration qui est la sienne, que l'on dénonce. Au niveau de la coopération, pensez-vous avoir un effet de levier sur lequel vous voudriez vous appuyer davantage ? Concernant le partage de la valeur ajoutée, on voit de plus en plus où va le glissement. Il est très net. Même s'il y a un excellent rapport de nos collègues Le Déaut et Charié sur ce point, on ne sent pas une volonté gouvernementale, quel que soit le gouvernement, pour aider à déplacer ce niveau de captation de valeur ajoutée. Avez-vous des propositions sur ce point ?

M. Philippe Mangin - Nous interpellons depuis longtemps déjà, mais plus récemment encore, les pouvoirs publics pour qu'ils conditionnent l'octroi des aides à l'organisation des producteurs. Pas toutes les aides, mais un certain nombre d'aides en provenance des offices notamment, pourraient être octroyées en étant davantage conditionnées à l'organisation des producteurs. L'organisation des producteurs procurera des économies aux pouvoirs publics. Elle fera réaliser des économies aux pouvoirs publics car elle limitera les crises. Plus nos agriculteurs seront organisés pour être présents sur les marchés, moins nous serons confrontés la crise.

Quand on en a les moyens au niveau des pouvoirs publics, comme c'est le cas dans les offices, nous avons eu ce débat au Conseil supérieur d'orientation et nous n'avons pas été suivis, nous coopérations, et nous le regrettons. Nous n'avons pas été suivis par une partie de la profession aussi. Nous avons eu ce débat et nous pouvions sous-tendre, conditionner davantage un certain nombre d'aides à ce degré d'organisation économique. Cela n'a pas été fait mais nous continuons à la CFC à militer dans ce sens et invitons avec force les entreprises coopératives à créer des alliances pour essayer d'être plus présentes dans la conquête de la valeur ajoutée, essayer d'aller plus loin dans la chaîne alimentaire.

M. le Rapporteur - Créer des alliances entre différentes coopératives ?

M. Philippe Mangin - Oui. Le terme " alliance " n'a pas toujours été bien compris par les agriculteurs puis par les pouvoirs publics, qui considéraient que nous invitions nos coopératives à créer des choses monstrueuses que les agriculteurs ne maîtriseraient plus etc. Nous n'étions pas tellement compris dans cette approche. Il s'agit d'inviter les coopératives à créer des alliances. Cela ne sous-tend pas toujours des fusions pour ne créer qu'une seule entité. On peut être coopérative en relation directe avec ses agriculteurs et sur un territoire donné, s'en tenir là et, dans l'aval, dans les outils industriels, dans la conquête de la valeur ajoutée, se doter d'outils à 2, 3 ou 5. J'ai 2 exemples en tête, dont Malt Europe, qui réunit 20 coopératives du grand Nord Est de la France, premier malteur européen, deuxième malteur exportateur au monde. Ce sont 20 coopératives qui ont leur propre entité et ont su à une époque créer un outil commun qui est devenu un des principaux acteurs dans le malt au niveau mondial, qui a maintenant des malteries en Espagne, en Allemagne, au Portugal, en Argentine et en Chine.

Des coopératives, donc, peuvent faire s'il y a la volonté des hommes et si elles se sentent soutenues, invitées. Nous ne demandons pas de privilège particulier mais une dynamique qui nous amène à agir dans ce sens. Chaque fois que les pouvoirs publics pourront inviter les agriculteurs à cette démarche d'organisation, ils aideront ensuite les coopératives à des démarches d'alliance pour cette conquête de la valeur ajoutée.

M. Jean-Marc Pastor - Vous avez brossé un tableau général de l'action et de l'action de groupe nécessaire au monde agricole, auquel on adhère tous. Je reviens sur une des interrogations qui est également la nôtre. Comment, dans la période 1990 à 2000, où il y a eu fabrication d'aliments du bétail, comment la confédération, vous-même, avez été intégrés, mêlés de près, de loin, à la mise en place de tout cela ? Derrière cette préparation d'aliment du bétail planent les farines animales.

Avez-vous été interpellé sur cette question de façon directe par des coopératives de fabrication d'aliments dans cette période ? Je ne parle pas de 1999. Comment cela s'est-il passé avant ? Quelle est la tutelle que peut exercer la confédération par rapport aux coopératives ? C'est lié.

M. Philippe Mangin - Interpellée par nos coopératives, la CFCA en tant que telle, non. Nous sommes une confédération qui réunit 19 fédérations spécialisées par métier, plus un certain nombre d'entreprises qui adhèrent directement à la CFCA, en l'occurrence les polyvalentes et les plus grosses d'entre elles.

Nous n'avons pas de relations directes à la CFCA avec les entreprises coopératives, à l'exception des plus grosses. Ce sont nos fédérations spécialisées qui ont cette relation. Elles nous interpellent régulièrement, notamment quand une relation avec les pouvoirs publics est souhaitable. La CFCA est la confédération qui est chargée de porter des préoccupations sectorielles au plus haut niveau.

Je fais une petite parenthèse : cette organisation ne nous satisfait pas, sur laquelle depuis mon arrivée à la présidence de la CFCA je travaille beaucoup pour faire que cette confédération soit un peu plus fédération et faire en sorte que le mouvement coopératif se dote d'une organisation plus musclée en termes d'expertise. Notre expertise est diffuse dans ces fédérations. Je souhaite la concentrer pour la renforcer et l'améliorer, de façon aussi à renforcer notre expression politique. Vous avez reçu 2 présidents, l'un de la fédération d'aliments du bétail, le Syncopac, l'autre de la fédération de production d'aliments de bétail et de viande ; tout cela reste une voie assez dispersée. Qu'il y ait des approches par filière et métier est indispensable. Que nous soyons capables de nous réunir pour nous doter d'une vraie expertise me paraît souhaitable, d'abord pour traiter de problèmes aussi graves que ceux-là. La CFCA ne peut donner tout ce qu'elle pourrait compte tenu de ce mode d'organisation, mais nous y travaillons et j'espère que 2001 sera révélatrice en termes d'amélioration.

M. Jean-Marc Pastor - Dans le prolongement de ce débat et dans une vision plus perspective, vous touchez du doigt que la notion de confédération est difficile dans l'équilibre national pour essayer d'être le porte-parole dans une diversité de points de vue. Sur le terrain nous nous rendons compte de cette diversité de points de vue. Soutien des pouvoirs publics, soutien du monde professionnel agricole. Tant qu'il n'y aura pas une fédération, il y aura du mal à trouver une adhésion, une expression unanime par rapport à ce mode d'organisation économique. Vous avez là un point faible qu'on retrouve dans notre interrogation pour essayer d'y voir plus clair dans ce cheminement, cheminement qui vous échappe quelque part car il n'y a pas de tutelle. Si l'idée est intéressante, dans la pratique on se rend compte d'un point faible par rapport à cette organisation. Il y a du chemin que l'on partage.

M. Philippe Mangin - Je ne veux pas dresser un tableau trop sombre de la situation. Nous exerçons une certaine tutelle, même si le mot est un peu fort, sur nos fédération. Je ne peux nier cette situation et je travaille pour que cela s'améliore.

M. Bernard Cazeau - L'enseignement principal de la crise de l'ESB est qu'il y a une préoccupation de plus en plus manifeste du consommateur par rapport à la qualité des aliments. A cet égard, on peut aujourd'hui s'interroger sur les précautions prises. L'ESB est un problème que l'on vit, qui nous conduit à réfléchir sur le passé. Si on regarde l'avenir, on voit des préoccupations sur les pesticides, les herbicides par exemple, sur les résidus très importants qu'on trouve dans l'eau et les produits alimentaires. Dans cette idée de précaution maximum, y a-t-il des démarches actives au niveau des coopératives qui ont plus que d'autres le sens éthique, dans l'optique de faire en sorte que les pesticides diminuent très vite dans les années qui viennent et qu'on puisse dire dans 10 ans " on avait à l'époque pris les précautions, on avait essayé de diminuer fortement les pesticides " ? Y a-t-il une réflexion, un projet collectif sur ce point au niveau des coopératives ?

M. Philippe Mangin - On pourra toujours démontrer qu'on a trouvé une coopérative qui n'est pas très soucieuse de ces questions. Cela m'arrive fréquemment, quand je tente d'expliquer l'action coopérative dans ce domaine, qu'on me trouve un contre-exemple. Il y en a sans doute, comme dans tout secteur professionnel, comme dans toute famille organisationnelle. Cela étant, l'investissement des coopératives dans ce domaine est réel et déjà ancien. Le rôle des coopératives est précieux. Elles ont une capacité de levier auprès des agriculteurs qui est très forte, bien plus que celle d'une chambre d'agriculture ou d'une autre organisation. Lorsqu'une coopérative a décidé qu'elle devait faire tous les efforts possibles pour diminuer la consommation d'engrais azotés, elle met ses équipes techniques au travail et une fois que le message part dans la nature, cela va très vite. Une autre organisation agricole, avec toute son honnêteté et sa légitimité, n'aura jamais cette capacité d'entraînement, de mobilisation, d'adhésion des agriculteurs. Même les agences de bassins, souvent réticentes à l'égard des coopératives, notamment de celles qui peuvent être acheteurs de produits et vendeurs d'intrans, ont revu cette approche et ont vu qu'avec les coopératives, elles pouvaient jouer sur ce rôle de levier qu'elles avaient, qui est incontestable. On a beaucoup de démarches de gestion parcellaire, d'optimisation des itinéraires conduites par des coopératives. Beaucoup des expérimentations et des conseils diffusés aujourd'hui s'appuient sur de l'optimisation.

Comment réussissons-nous à inviter les agriculteurs à être plus précautionneux ? Autour de la notion de marge brute. Dire à un agriculteur " En diminuant tes doses d'intrans de x% tu vas améliorer les conditions de la nappe phréatique etc., " c'est bien ; lui démontrer en même temps qu'il y a un gain économique qui va améliorer sa marge brute à l'hectare, cela va encore mieux. Les coopératives savent le faire. Si en plus elles peuvent ajouter une approche contractuelle avec un cahier des charges qui permet auprès du client final une petite valorisation -car ces écarts restent infimes-, l'adhésion est encore meilleure. Beaucoup de coopératives sont dans cette logique de contractualisation qui nous conduira nous l'espérons à dire que le produit alimentaire a une origine mais qu'en plus, ses modes de production auront été soucieux de l'environnement. On touche là la notion d'agriculture raisonnée qui nous pose des problèmes pour être reconnue et mise en oeuvre au niveau national. Nous progressons.

Audition de M. Lucien ABENHAÏM, Directeur général de la santé

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Lucien Abenhaïm, vous êtes Directeur général de la santé et c'est à ce titre que vous êtes auditionné dans le cadre de la commission d'enquête du Sénat sur le problème des farines animales et des conséquences que cela peut entraîner sur la santé humaine. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre.

Comme vous le savez, nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et, bien sûr, les témoignages doivent se faire sous serment. Je vais donc vous lire le protocole habituel et, à la fin, vous demander de bien vouloir jurer de dire la vérité et toute la vérité.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Abenhaïm.

M. le Président - Merci. Si vous le voulez bien, dans un premier temps, je vais vous demander de nous dire quel est votre sentiment sur le sujet qui intéresse notre commission, après quoi, avec nos collègues, nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser. Je vous passe donc la parole.

M. Lucien Abenhaïm - Monsieur le Président, messieurs les Sénateurs, je vais très rapidement vous exposer la vision de la Direction générale de la santé sur la question spécifique des farines animales, puisque j'imagine que vous souhaitez que je centre mon exposé sur ce point. Je précise que, bien entendu, pour la Direction générale de la santé, c'est à la fois une question centrale mais également une question périphérique parce que nous n'avons pas directement de compétence dans la gestion de l'alimentation animale, ni même de compétence, au sens juridique et strict du terme, en termes de sécurité des aliments, dont la compétence revient au ministère de l'agriculture et au ministère qui a la charge de la consommation.

Néanmoins, c'est une question centrale, dans la mesure où, en termes de santé humaine, d'épidémiologie et de suivi éventuel de l'épidémie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui nous intéresse directement, les facteurs de risques de cette maladie nous concernent, bien entendu, et que les farines animales sont donc un facteur de risques principal. C'est en ce sens que nous l'abordons.

Je vais simplement vous dire rapidement comment nous réfléchissons à ces questions du point de vue de la santé publique. Nous nous intéressons à cette question en termes de risques de développement d'un nouveau variant ou de la nouvelle variante (les scientifiques changent d'appréciation pour savoir si on doit parler de "nouveau variant" ; je pensais qu'il avait été décidé que c'était une "nouvelle variante") de la maladie de Creutzfeldt-Jakob pour laquelle, en France, nous avons eu jusqu'à présent deux cas confirmés et certains et un cas très probable et encore vivant. Nous avons donc pour l'instant un certain nombre de cas relativement peu nombreux dans ce pays, mais nous savons qu'au plan international, on en est aujourd'hui à cent cas, l'essentiel d'entre eux étant bien entendu au Royaume-Uni et un cas confirmé se situant en Irlande. Aucun cas ailleurs dans le monde n'a été rapporté pour l'instant.

Cent cas d'une maladie inconnue jusqu'alors, même si on connaît d'autres formes approchantes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, c'est évidemment une épidémie, même s'il ne faut pas confondre épidémie et maladie contagieuse. En effet, cela ne veut pas dire que la maladie soit contagieuse et puisse se transmettre de l'homme à l'homme de façon simple, mais il est très clair que cela représente une épidémie et un nouveau phénomène.

Quelles sont les raisons de ce phénomène ? Je pense qu'aujourd'hui, il ne fait pratiquement aucun doute dans l'esprit des scientifiques que l'origine en est la consommation d'aliments contaminés par le prion pathologique, en particulier la consommation qui pourrait provenir de la transformation de produits d'origine bovine. On n'en a pas de preuve absolue au sens scientifique du terme puisque, évidemment, on n'a pas pu faire d'expérience chez l'homme mettant en évidence cette transmission, mais on a suffisamment d'éléments épidémiologiques pour pouvoir l'affirmer avec certitude.

Une autre source pourrait être la contamination inter humaine, ne serait-ce que par le partage des produits du sang ou à travers les soins. Pour l'instant, nous n'avons pas d'éléments épidémiologiques qui nous permettent de mettre en évidence ce facteur de risques. J'ajoute que, pour la consommation d'aliments, nous n'avons pas non plus d'éléments épidémiologiques formels sur l'origine bovine. C'est simplement la correspondance entre les types de maladie que l'on a pu détecter chez l'homme et ceux que l'on connaît chez l'animal qui nous fait penser à une relation causale, mais on n'a pas pu le mettre en évidence comme on peut le faire dans d'autres maladies.

Par exemple, entre le tabac et le cancer du poumon, on a une relation statistique établie. En l'occurrence, la relation statistique n'est pas établie. En revanche, on dispose d'éléments biologiques et de coïncidences temporelles qui nous font penser que l'on a une relation.

Pour les animaux contaminés, quel est le facteur de risque principal et peut-être unique qui a pu être mis en évidence pour la contamination de ces animaux ? Ce sont bien entendu les farines. C'est évident pour vous et vous l'avez évidemment beaucoup entendu, mais je crois qu'il faut remonter l'ensemble de la filière pour se le rappeler.

On n'a pas pu démontrer que les farines animales sont responsables expérimentalement mais on a pu le faire sur le plan épidémiologique. En effet, on a vu très clairement, en particulier, la chute considérable de l'épidémie chez les bovins britanniques à partir du moment où les farines animales ont été retirées et interdites et où cette interdiction a été effective. C'est l'argument principal sur lequel on se fonde pour considérer que les farines qui ont été consommées en Grande-Bretagne étaient à l'origine de l'épidémie de l'encéphalopathie spongiforme bovine.

On a déterminé une autre source qui pourrait être une transmission verticale et qui ne serait pas responsable d'une très grande partie de la contamination, et on cherche une troisième voie, depuis un certain temps, qui n'a pas pu être mis en évidence ni expérimentalement, ni biologiquement : il n'est pas strictement impossible que les lacto-remplaceurs, qui contenaient des graisses d'origine animale, y compris des graisses d'os d'origine bovine ou de ruminants, soient considérés comme une autre voie possible, théoriquement, sans en avoir aucune preuve scientifique, de contamination.

A partir du moment où ces farines sont mises en cause, il se pose la question de savoir ce qui est vraiment mis en cause, si c'est le fait d'avoir des farines de viande et d'os, si c'est le fait d'avoir des farines de viande et d'os qui n'ont pas été traitées de façon adéquate ou si c'est le fait d'avoir des farines de viande et d'os qui proviennent d'animaux contaminés ou qui n'ont pas subi les opérations de prévention nécessaires.

Assez rapidement, vers la fin des années 80, on s'est rendu compte que les farines de viande et d'os pouvaient être à l'origine, en Grande-Bretagne, de l'épidémie qui commençait à être identifiée. Il faut se rappeler qu'en 1987 ou 1988, on n'en était encore qu'à quelques centaines de cas, uniquement en Angleterre, après quoi la courbe a été exponentielle dans les années qui ont suivi. On a donc pensé immédiatement à ces farines comme étant à l'origine éventuelle de l'épidémie, et les mesures qui ont été prises, en Grande-Bretagne, ont été d'abord, bien entendu, la déclaration obligatoire des cas et l'interdiction des farines de viande et d'os en juillet 1988 pour les ruminants, puis une interdiction totale qui n'est survenue que beaucoup plus tard.

En Grande-Bretagne, on a ensuite interdit l'utilisation des abats à risques pour la constitution des farines, évidemment, mais également pour l'alimentation animale en général et pour l'alimentation humaine à partir de 1990 et, en théorie, ces interdictions ont été considérées comme effectives à partir de 1991.

C'est la raison pour laquelle des mesures ont été prises pour limiter la consommation de certains abats à risques dans l'alimentation humaine pour les animaux qui seraient rentrés dans la chaîne alimentaire après 1991.

Vous connaissez tout cela. J'insisterai simplement sur le fait que, lorsque je suis arrivé à la Direction générale de la santé, en août 1999, j'ai pris connaissance du fait que la Direction générale de la santé, assez rapidement, en 1992 mais surtout en 1994, avait été la première à réellement alerter un certain nombre de partenaires. En particulier, une démarche spécifique a été faite avec une délégation de la DGS qui est allée en Allemagne pour renforcer l'alerte par rapport au fait que la transmission de l'ESB ou, en tout cas, d'une encéphalopathie spongiforme, pouvait être plus importante que l'on pouvait le croire. Cette conséquence avait été mise en évidence par mes services quand ils ont appris qu'une quarantaine de chats étaient atteints en Angleterre.

Cela remettait en question le dogme qui prévalait jusqu'alors et selon lequel la transmission inter espèces n'était pas très facile. Il faut bien se dire que, jusqu'à cette date, l'opinion majoritaire était que l'ESB que l'on voyait chez les bovins en Angleterre était de la "tremblante du mouton recyclée", c'est-à-dire que les bovins avaient développé l'ESB à cause du fait qu'ils avaient consommé des farines étant elles-mêmes contaminées par les carcasses de mouton. On disait alors que l'on connaissait la tremblante du mouton depuis deux siècles (elle existe depuis peut-être plus longtemps) mais qu'elle n'avait jamais été transmise à l'homme et il n'y avait donc aucune raison qu'elle le soit.

C'est donc le fait qu'en 1993, les Britanniques aient mis en évidence la transmission à des chats qui a fait penser que la barrière inter espèces pouvait être franchie beaucoup plus facilement.

A ce moment-là, la DGS, fin 1993, a participé au Conseil de la santé, au niveau européen, du 30 mars 1994 et a conduit une mission à Bonn qui a débouché, à la suite d'une réunion à Matignon, le 14 juin 1994, sur une démarche simultanée des ministres français et allemands auprès de la Commission. C'est donc la date à laquelle on a commencé à se dire, à la DGS, qu'il y avait peut-être un problème.

Par la suite, jusqu'en 1999, le nombre de cas d'encéphalopathie spongiforme bovine en France était extrêmement limité : il y avait eu cinq cas en 1991, zéro en 1992, un cas en 1993, quatre cas en 1994, trois cas en 1995, six en 1997... On n'avait donc pas le sentiment que l'on avait, en France, à faire face à un problème de l'ampleur de celui qui était vécu en Grande-Bretagne. Nous n'avons d'ailleurs jamais eu un problème de cette ampleur.

Quand je suis arrivé à la DGS en 1999, mes services m'ont alerté sur le fait qu'ils avaient le sentiment que, dans le dernier trimestre 1999, il y avait eu une légère augmentation du nombre de cas par rapport aux années précédentes. Effectivement, sur 1999, nous avons eu trente cas, dont une bonne partie se sont accumulés dans le dernier trimestre 1999, et, en l'an 2000, nous avons eu 102 cas rapportés de façon clinique chez l'animal.

Tout cela pour dire que la plupart de ces animaux étaient nés dans les années 1993, 1994 et 1995. On parle de 13 cas nés en 1993 pour les animaux qui ont déclaré la maladie en 2000, 43 nés en 1994 et 33 nés en 1995, c'est-à-dire "nés après l'interdiction des farines", des cas NAIF.

Très clairement, on a donc eu un deuxième pic, même s'il n'est pas extrêmement élevé par rapport aux centaines de milliers de cas que l'on a connus en Grande-Bretagne, dans l'encéphalopathie spongiforme bovine, et il s'est passé quelque chose. Il est probable que notre système de surveillance précédent n'était pas très bon ni suffisant, mais la DGS n'a pas les moyens de savoir quel était notre système de surveillance précédent et cette explication ne peut pas s'appliquer à tous les cas. En effet, lorsqu'on examine les chiffres avec précision, on se rend compte qu'à système de surveillance à peu près équivalent, si on compare plusieurs années, on a le même phénomène qui se reproduit.

Donc le système de surveillance n'est pas suffisant pour expliquer le phénomène. On sait que, bien entendu, il y a eu beaucoup de cas infracliniques, mais il n'y a pas de raison de penser que le rapport entre cas cliniques et infracliniques ait changé considérablement.

Ce qui s'est passé très probablement, au début des années 90, c'est la consommation par des bovins français de farines ou d'alimentations contaminées. Evidemment, il n'y a que trois sources possibles : soit la contamination croisée entre le producteur, le transporteur et l'utilisateur, soit la fraude, soit l'utilisation illégale.

Il ne faut pas complètement mettre de côté l'hypothèse des lacto-remplaceurs, puisqu'ils ont été utilisés jusqu'à la fin de l'année 2000, à notre grande surprise d'ailleurs. En effet, les services de la DGS étaient persuadés, sur la base de discussions qu'ils avaient eues en 1997, que cette consommation n'existait plus ou, en tout cas, qu'elle était marginale. Nous avons donc appris vers le milieu de l'année 2000 qu'en fait, elle était encore très largement répandue.

Voilà ce que je voulais vous dire en introduction, sachant que vous connaissez déjà ces éléments. Je vais maintenant répondre à vos questions.

M. le Président - Merci. Je vais passer la parole à notre rapporteur pour qu'il vous pose les premières questions.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Directeur, je voudrais revenir sur un point qui nous a un peu surpris, non seulement les sénateurs mais également l'ensemble de la population française, suite aux propos de Mme Dominique Gillot, lorsqu'elle s'est exprimée, il y a quelque temps, sur le nombre futur de cas français de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Quand elle s'est exprimée, l'a-t-elle fait en disposant d'informations que possède la Direction générale de la santé ? Comment pouvez-vous expliquer non pas un écart de langage mais une crainte manifeste de sa part ?

M. Lucien Abenhaïm - Je ne me permettrai pas de dire que c'est un écart de langage. Nous avons effectivement des données qui sont des analyses faites par des scientifiques et dont Mme Gillot s'est fait l'écho.

Une modélisation a été effectuée en Angleterre par une grande équipe de scientifiques britanniques qui a utilisé tous les modèles possibles et imaginables.

M. le Rapporteur - Vous voulez parler de la modélisation du professeur Anderson ?

M. Lucien Abenhaïm - Exactement. Le premier chercheur, dans la publication, est Mme Ghani.

Cette modélisation, qui est mathématique et pour laquelle 5 millions de modèles ont été testés, a montré que, selon certains modèles, on pouvait soit avoir quelques dizaines de cas attendus en Angleterre, soit 136 000 cas, au maximum de la fourchette qui avait été étudiée. Je précise que ce chiffre de 136 000 cas correspondait à un temps d'incubation moyen --je dis bien moyen-- supérieur à soixante ans pour l'ESB.

Mme Annick Alpérovitch, Directrice de l'unité de recherche de l'INSERM en France, a repris ces données dans le cadre du groupe de travail de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), chargé de faire des recommandations sur le sang et les produits dérivés du sang. Elle a défendu l'idée, qui est rapportée dans le rapport et qui est d'ailleurs reprise par le groupe d'experts en question, selon laquelle l'hypothèse d'une durée d'incubation moyenne supérieure à soixante ans était peu réaliste et que, si on utilisait une durée moyenne d'incubation pouvant aller de trente à soixante ans, c'est-à-dire assez élevée (il est évident que plus la durée d'incubation est courte, plus le nombre de cas attendus est faible, puisque si la durée moyenne d'incubation est de cinq ans, nous aurions déjà passé cette durée et l'épidémie serait derrière nous, ce qui n'est pas vrai puisqu'on voit que l'on a encore des cas et que cela ne baisse pas en Angleterre), une hypothèse pessimiste mais non pas impossible, on arrivait à environ 6 000 cas d'une nouvelle variante de Creutzfeldt-Jakob attendus au total pour la Grande-Bretagne.

On peut faire des hypothèses sur l'exposition française comparée à l'exposition britannique, sachant qu'il y a deux sources d'exposition en France : soit la consommation de viandes ou d'aliments provenant de Grande-Bretagne, directement ou indirectement, soit, bien entendu, la consommation de viandes et d'autres produits français.

Tous les modèles font penser qu'au début des années 90, on a eu une exposition qui, en France, pouvait être au maximum de 5 à 10 % au maximum de celle qui a été connue en Angleterre. Autrement dit, en croisant ces deux données et en tenant compte d'autres petits facteurs épidémiologiques ou statistiques, Mme Alpérovitch est arrivée, avec le groupe de travail de l'AFSSAPS dirigé par le professeur Begaud, à évaluer qu'en France, l'exposition pouvait être à l'origine d'un maximum de 300 cas de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob à l'intérieur de ce modèle, que les hypothèses les plus réalistes étaient peut-être inférieures à celle-ci mais que celle-là n'était pas impossible, sachant que c'est une estimation qu'elle considérait comme pessimiste.

Mme Gillot a repris ces chiffres quand elle a parlé de quelques dizaines de cas attendus dans les prochaines années. Il s'agit de 300 cas sur soixante ans, bien entendu, puisque le modèle part d'une hypothèse de trente à soixante ans d'exposition.

Voilà les chiffres que je peux vous donner. En tout cas, nous en avions parlé avec elle.

M. le Rapporteur - Dans le droit fil de cette approche, avez-vous pris des mesures concernant la contamination du matériel chirurgical et les problèmes liés à la transfusion sanguine compte tenu de la problématique de la contamination interhumaine ?

M. Lucien Abenhaïm - Je vous prie de m'excuser de ne pas avoir abordé cette question. Je pensais en effet que vous souhaitiez surtout parler des farines animales, mais il est évident que j'aurais dû aborder ces questions qui nous concernent beaucoup plus directement et dont nous sommes responsables. Si vous le permettez, je vais prendre quelques minutes pour répondre à cette question extrêmement importante.

La position de la Direction générale de la santé, dans cette affaire, a consisté à rechercher l'éradication du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. En santé publique, on fait face à deux types de modèle : soit la recherche de l'éradication, soit la gestion du risque. Quand on n'est pas en mesure d'éradiquer complètement une maladie, on cherche à gérer son risque.

Quand on sait comment éradiquer une maladie et que c'est possible techniquement, nous cherchons bien entendu l'éradication ou, en tout cas, nous nous en faisons les avocats. Cette éradication a été atteinte dans un certain nombre de maladies comme la variole, par exemple, qui est pour l'instant complètement éradiquée. En Europe, nous avons aussi éradiquée complètement la poliomyélite, même si elle ne l'est pas complètement dans le monde. Les conditions, c'est que l'on connaît l'origine de la maladie et que l'on est en en mesure de mettre en place les mesures.

C'était notre analyse pour le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dont on sait que l'origine est la consommation de viande contaminée provenant de différents types d'animaux souffrant d'encéphalopathie spongiforme bovine et qu'en outre, chez ces animaux, le facteur de risque, sinon unique du moins principal, ce sont les farines.

C'est la raison pour laquelle la Direction générale de la santé a toujours défendu l'idée de la nécessité d'éradiquer cette maladie et d'aboutir à son éradication par des mesures aussi importantes que possible.

En effet, si le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob se développait dans l'espèce humaine, on se trouverait dans une situation extrêmement difficile en termes de gestion du risque, par la suite, au sein de l'espèce humaine, parce que le prion du nouveau variant semble être distribué très largement dans l'anatomie humaine, c'est-à-dire qu'on en trouve bien entendu dans le cerveau et les tissus nerveux centraux, mais également dans les tissus nerveux périphériques, au niveau des plaques de Peyer ou des tissus lymphoïdes. Il s'agit donc d'une distribution très importante et on ne peut pas exclure non plus sa présence dans le sang, même si, pour l'instant, aucun élément scientifique ne nous permet de le mettre en évidence.

Vous savez qu'on a été capable de transmettre --on l'a appris l'été dernier--l'encéphalopathie spongiforme bovine d'un mouton à un autre par transfusion de sang du premier au second.

Autrement dit, par la suite, la gestion du risque est extrêmement difficile.

Il faut savoir que nous n'avons pas de moyens de test nous permettant d'identifier, par exemple, parmi les donneurs de sang et les personnes qui subiraient des interventions chirurgicales, des endoscopies ou un certain nombre de gestes médicaux, ceux qui pourraient être contaminés, contrairement au VIH, par exemple.

Par ailleurs, le prion semble extrêmement difficile à éliminer. Les procédures de stérilisation et de désinfection efficaces demandent des moyens importants, drastiques et très compliqués.

C'était donc la troisième raison pour laquelle nous étions en faveur de l'éradication, sachant que le risque, par la suite, serait très difficile à gérer.

Néanmoins, nous avons émis assez récemment une circulaire pour la stérilisation et la désinfection appropriée au risque du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il nous a fallu attendre les positions de l'OMS et des groupes d'experts, très divergents d'ailleurs jusqu'à il y a très peu de temps, pour nous amener à prendre cette position, la circulaire ayant été signée par la ministre il y a quelques semaines. Voilà ce que je peux dire pour répondre à votre question.

Sur le sang, j'ai saisi une première fois, fin 1999, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, qui a remis un rapport en février 2000 en expliquant que, grosso modo, les mesures de sécurisation ou de sécurité sanitaire qui étaient déjà prises étaient suffisantes et qu'il n'y avait pas de raison d'ajouter d'autres mesures à l'époque mais que, bien entendu, tout ce que l'on pouvait faire devrait être fait.

Nous avons saisi à nouveau l'AFSSAPS en août ou en septembre 2000, à la lumière des nouvelles données scientifiques, en particulier celles auxquelles je faisais allusion, sur la transmission par le sang chez un mouton, et l'AFSSAPS nous a remis un rapport dans lequel elle a à nouveau considéré que le risque associé à l'utilisation du sang ou des produits dérivés du sang ne justifiait pas de remettre en cause leur utilisation aujourd'hui.

Le groupe d'experts, dans sa majorité, était en faveur de ne pas exclure du don de sang les personnes qui avaient vécu en Angleterre compte tenu du fait que le risque absolu en excès qui pouvait leur être attribué a été considéré par ce groupe d'experts, dans sa majorité, comme extrêmement faible, voire négligeable. En revanche, une partie du groupe d'experts a considéré que, puisqu'on pouvait le faire, autant le faire. C'est ainsi que les ministres ont décidé de suivre cette opinion et que, par mesure d'extrême précaution, les personnes qui avaient séjourné en Angleterre plus de douze mois ont été exclues du don de sang.

M. le Rapporteur - Une chose est assez troublante en ce qui concerne la Direction générale de la santé, c'est qu'elle n'est pas en première ligne médiatique sur le plan de la gestion de ce type de problème, cette place étant plutôt gérée, médiatiquement parlant, par le ministère de l'agriculture. Cela ne vous gêne-t-il pas trop ?

D'un autre côté, pouvez-vous nous parler de l'articulation qui existe entre l'Institut de veille sanitaire, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments et la DGS ?

M. Lucien Abenhaïm - La DGS n'est pas en première ligne uniquement médiatiquement. Je me permets de dire qu'en termes de responsabilités, puisqu'il s'agissait surtout et qu'il s'agit encore d'un problème de sécurité des aliments, la compétence, au plan juridique, de la DGS est extrêmement limitée. Nous n'avons pas des moyens de contrôle, d'inspection ni de police sanitaire par rapport aux aliments au sens strict du terme. Cela relève de la Direction générale de l'alimentation et de la DGCCRF et, jusqu'à un certain point, l'AFSSA, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, a un pouvoir d'enquête que je n'ai pas personnellement au niveau de la Direction générale de la santé. Autrement dit, notre pouvoir est extrêmement limité.

Néanmoins, il a été décidé, en 1998, en réunion interministérielle, que toutes les saisines de l'AFSSA devaient être, autant que faire se peut, interministérielles, entre l'agriculture, la consommation et de la santé. Malgré cette limite au point de vue juridique, il est très clair que la Direction générale de la santé se sent concernée par tout ce qui peut se passer dans le domaine de l'alimentation et, dans la limite des moyens dont elle dispose, elle essaie d'alerter et de soulever les problèmes qui lui sont évidents. Je l'ai d'ailleurs fait à plusieurs reprises au cours des dernières années, de même que mes prédécesseurs.

Il faut rappeler que, dès 1994, c'est la DGS qui a alerté les autorités sur ce risque, qu'en 1999, c'est à la suite d'une initiative de la DGS que l'AFSSA a été saisie à nouveau en novembre 1999, de façon interministérielle, compte tenu du fait que nous sentions ce frémissement dans l'augmentation du nombre de cas d'ESB chez les bovins, et que c'est à nouveau la DGS qui a poussé à la saisine de l'AFSSA en novembre 2000 à propos de l'ensemble du dispositif.

Nous jouons donc ce rôle d'alerte en posant des questions et en ne nous satisfaisant des réponses que lorsqu'elles vont dans le sens que nous considérons comme étant le meilleur pour la santé publique.

Le ministre de la santé a la tutelle complète de l'institut de veille sanitaire et il partage la tutelle de l'AFSSA avec l'agriculture et la consommation, sachant que 80 % du budget de l'AFSSA vient de l'agriculture. Cela n'empêche pas que nous puissions jouer un rôle de tutelle complet au point de vue administratif.

M. le Rapporteur - C'est quand même, en bout de chaîne, la problématique de santé humaine qui se pose. Je trouve donc un peu anormal que la DGS ne soit pas en première ligne.

J'ai une dernière question sur ce point. Je trouve un peu curieux que ce ne soit que sous la pression des associations des familles de victimes que l'administration de la santé ait daigné sortir une circulaire sur la prise en charge des malades. Que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

M. Lucien Abenhaïm - Puisque vous y faites allusion, je pense également, en tant que Directeur général de la santé, que ces questions concernent la santé publique et que la DGS doit avoir les moyens de sa politique. Jusqu'à présent, je ne disposais pas d'un bureau des aliments. Je n'avais qu'un bureau de l'eau et des aliments dans lequel j'avais une personne en charge des aliments, compte tenu des moyens dont je disposais.

Evidemment, pour l'ESB, j'ai mobilisé plusieurs personnes au sein de la DGS que j'ai fait sortir de leur activité normale pour s'occuper de la question de l'ESB et de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, mais il est exact que la Direction générale de la santé n'a pas les moyens juridiques dont disposent d'autres ministères pour assurer la sécurité alimentaire. Je ne peux pas dire que je considère que cette situation soit totalement satisfaisante.

Grâce à l'annonce du Premier ministre, nous avons de nouveaux moyens dans le domaine de l'alimentation et nous créons d'ailleurs un bureau des aliments pour lequel je suis en train de recruter le chef de bureau (mes services font des entrevues à ce sujet cette semaine). Nous serons donc, je l'espère, de mieux en mieux armés dans ce domaine à l'avenir.

J'en viens à votre question sur la circulaire de prise en charge des malades. La plus grande partie de cette circulaire reprend et explique mieux la manière dont fonctionne un certain nombre de mécanismes et de prises en charge auxquels les malades ont toujours eu droit. Elle identifie cependant deux éléments nouveaux par rapport aux malades qui souffrent de ces pathologies.

Le premier est la mise en place d'une cellule de référence et de coordination. Cette cellule, dans sa grande partie, existe et fonctionne déjà de façon informelle, mais il s'agit qu'elle soit plus formellement mise en place, notamment sur des éléments psychologiques nouveaux.

Le deuxième élément, qui a été rajouté dans les toutes dernières heures avant la sortie de la circulaire, c'est l'identification d'une somme forfaitaire pour l'aide aux familles des patients vivants.

M. le Rapporteur - De quel ordre ?

M. Lucien Abenhaïm - De 200 000 F au maximum.

Cela dit, la maladie de Creutzfeldt-Jakob n'est pas la seule maladie dont on peut mourir et qui entraîne des situations difficiles, voire dramatiques, pour les patients. Nous avons commencé par identifier le type de maladie auquel cela pourrait correspondre. Selon les définitions, on peut retenir les maladies à évolution subaiguë et très graves comme la sclérose latérale amyotrophique, par exemple. Faudrait-il la classer avec des maladies comme le mélanome malin ou tous les cancers ? La question pourrait se poser. C'est donc un problème très important.

C'est en raison de la grande émotion qui a été soulevée à ce sujet que le gouvernement a souhaité que cette circulaire soit faite et que ces éléments soient pris en compte, mais il est certain que nous devons mener un débat pour savoir jusqu'à quel point les personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont les premiers exemples de ce qu'il faudrait élargir ou si elles ont une singularité telle que cette circulaire ne devrait s'appliquer qu'à elles ou à une forme de maladie très similaire.

Le débat n'est pas du tout évident, et vous savez qu'il est d'ailleurs soulevé à partir d'autres questions.

M. le Rapporteur - Combien avez-vous de personnes qui, au sein de la DGS, suivent ces problèmes des maladies neuro-dégénératives ?

M. Lucien Abenhaïm - Actuellement, nous avons une cellule sur le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui comporte, si je ne me trompe, six ou sept personnes et qui suit très régulièrement tous les développements sur cette question, ce qui est important comparativement à d'autres maladies. Ce n'est pas forcément non justifié compte tenu des incertitudes qu'il y avait et qu'il y a encore sur le développement possible de cette maladie en termes épidémiques.

Il est certain que l'on ne traite pas une situation épidémique ou possiblement épidémique (pour la France, nous n'en sommes pour l'instant qu'à une maladie possiblement épidémique et nous n'en sommes pour encore au début d'une épidémie) de la même façon que des maladies endémiques ou chroniques, pour lesquelles on a une stabilité du nombre de cas.

Je rappelle qu'au début de l'épidémie de sida, pendant plusieurs années, le nombre de cas, en France, se mesurait en unités ou en quelques dizaines et qu'il a fallu un certain temps pour atteindre quelque 100 000 personnes contaminées. Pendant plusieurs années, dans une épidémie d'une maladie nouvelle et mortelle, il est normal que la veille soit renforcée.

Cela concerne la DGS, mais il ne faut pas oublier que nous avons aussi l'Institut de veille sanitaire qui fait une surveillance épidémiologique approfondie avec l'équipe d'Annick Alpérovitch à l'INSERM, ainsi que, bien entendu, l'AFSSA et l'ensemble des agences qui travaillent, notamment l'AFSSAPS en matière de sang. Ce sont autant d'organismes qui font aussi partie de nos ressources puisque nous en avons la tutelle. Si on compte l'ensemble de ces organismes, il y a probablement plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui travaillent sur cette question aujourd'hui. C'est donc une question qui, à mon avis, est surveillée de très près par rapport à d'autres maladies.

M. Georges Gruillot - Monsieur le Directeur, j'ai essayé de bien vous écouter, mais j'ai quelques problèmes de chronologie avec les dates que vous nous avez indiquées.

Vous nous avez dit qu'à la fin des années 80, l'Angleterre était certaine de l'origine de l'épidémie : les farines, que l'on a pris des mesures en Angleterre, en 1988, en interdisant de distribuer ces farines aux ruminants et qu'en 1990, les Anglais ont pris aussi des décisions pour interdire les matériaux à risques.

Dans le même temps, vous nous indiquez qu'entre 1992 et 1994, votre Direction informe ses partenaires de sa certitude d'une transmission possible de l'ESB inter espèces, donc éventuellement à l'homme. Vous nous avez alors dit que c'est en mars et en juin 1994 que vous aviez officiellement informé un certain nombre de partenaires européens.

Cela bouleverse un peu ce que j'avais appris depuis quelques mois. Il me semblait en effet que les Anglais, de manière bien plus précoce, s'étaient rendu compte que les matériaux à risques étaient dangereux pour une éventuelle transmission à l'homme et qu'ils les avaient interdits en Angleterre en 1989, alors que l'on a continué à les exporter sur la France qui, elle, ne les a interdits qu'en 1992, soit trois ans plus tard. On savait donc bien en Angleterre, en 1989, quand on a pris cette décision, qu'il y avait, par là, une transmission possible à l'homme. Je suis donc surpris que la Direction générale de la santé, en France, n'ait réagi que trois, quatre ou cinq ans postérieurement à cette découverte anglaise.

Je suis un peu perdu dans ces dates. Il me semble qu'au cours de ces quatre ou cinq années-là, soit on n'a pas bien géré les problèmes, soit on s'est trompé dans les dates.

M. Lucien Abenhaïm - Je ne le pense pas. Les dates que je possède, à quelques mois près, sont les mêmes que celles que vous avez indiquées. En juillet 1988, l'Angleterre interdit les farines de viande et d'os pour les ruminants et, en 1996, elle interdit leur utilisation totale, non pas simplement pour les ruminants.

Jusqu'en 1996, tout le monde pensait, y compris les Britanniques, contrairement à ce que j'ai cru entendre dans ce que vous avez dit, que la transmission de l'ESB en dehors de l'espèce bovine, ou même en dehors des ruminants, était très peu probable, puisque les Britanniques eux-mêmes qui, entre 1990 et 1992, avaient plusieurs centaines de milliers de bovins malades (en 1994 ou 1995, ils en étaient à 175 000), ont attendu 1996 pour interdire les mêmes farines qui avaient rendu malades un million de leurs bovins (175 000 déclarés et près de 1 million probablement). Autrement dit, ils ont attendu 1996, avec la découverte des premiers cas humains, pour interdire ces farines chez d'autres animaux que chez les ruminants.

Il faut bien comprendre qu'en Angleterre, des centaines de milliers d'animaux étaient malades et que les Anglais pensaient eux-mêmes qu'ils n'avaient pas à interdire ces farines.

M. Georges Gruillot - Je ne vous parle pas des farines mais de santé humaine. Les Anglais ont interdit en 1989 de consommer des cervelles...

M. Lucien Abenhaïm - Si je peux me permettre de le dire, ils ne l'ont pas fait sur des arguments de santé humaine. L'initiative franco-allemande de 1994 (à l'initiative de la DGS, je le rappelle) demandant de rendre plus stricte l'interdiction des farines au niveau européen et de prendre des mesures à ce niveau s'est heurtée à un refus de la Commission, d'après laquelle il n'y avait aucune raison de penser que l'ESB pouvait être transmise à l'homme.

On a sinon mis en évidence, du moins très sérieusement suspecté la transmission à l'homme pour la première fois à l'occasion d'une publication dans le Lancet fin 1995 ou début 1996 (je ne me souviens plus des dates exactes) mais, surtout, quand les dix cas ont été rapportés en Angleterre, en mars 1996. Le premier article soulevant la question de la possibilité d'une transmission à l'homme date de fin 1995/début 1996. Jusqu'à cette époque, aucune des mesures qui ont été prises ne l'a été en fonction de la transmission à l'homme ou pour le risque humain.

Il n'était pas du tout question, à l'époque, d'une transmissibilité à l'homme et si la DGS a soulevé la question en 1994, c'était à partir de la transmission à des chats en Angleterre, fin 1993. La DGS a dit à l'époque : "puisque cela peut se transmettre à des chats, on peut émettre l'idée que la barrière inter espèce peut être franchie. Donc soyons prudents et prenons des mesures par rapport aux farines pour l'homme".

Il ne faut pas oublier qu'en France, en 1991, il y avait en tout et pour tout cinq cas d'ESB qui ont été rapportés alors que les Britanniques, si je ne me trompe pas, en avaient 30 000 cette année-là. En France, on n'avait absolument pas le sentiment d'être au niveau d'une épidémie comparable. Je ne prétends pas que rien n'aurait dû être fait, mais l'impression que l'on avait, c'est que le risque était extrêmement faible.

Ce qui est plus problématique, c'est le fait qu'on ne dispose toujours pas d'évaluation française du nombre d'animaux malades qui ont pu entrer dans la chaîne alimentaire en France. Les services de l'agriculture ont fait une étude épidémiologique récente à partir des animaux abattus d'urgence, dont les résultats ont été rapportés par l'AFSSA, mais pour savoir combien d'animaux ont pu entrer dans la chaîne alimentaire, en France, à la fin des années 80 et au début des années 90, on ne dispose que d'une évaluation qui a été publiée par une Britannique, Mme Donnelly, dans Nature et on va disposer très bientôt d'une évaluation de chercheurs français.

Le problème est là. En tout cas, quand on se demande si, en 1994, la transmission à l'homme pouvait être établie, je réponds que non seulement elle n'était pas établie mais qu'elle s'opposait à l'opinion de l'ensemble de la communauté scientifique de l'époque. A l'époque, on n'avait pas une seule preuve ou un seul élément scientifique pour le dire et on n'avait aucun cas rapporté chez l'homme. Je répète que le premier cas humain a été rapporté en 1996 ou fin 1995 (quand on retourne dans les dossiers, on se dit qu'il avait peut-être été rapporté un peu avant) en Angleterre et qu'en tout cas, nous n'en avons eu connaissance au plan international qu'en mars 1996.

M. le Président - Vous avez répondu déjà à un certain nombre de questions et vous nous avez donné votre opinion et votre avis sur cette affaire.

Il est certain --vous l'avez dit vous-même-- que, de plus en plus, dans l'avenir, votre Direction sera appelée à intervenir dans de nombreux domaines de ce type, parce qu'on se rend bien compte que les problèmes qui peuvent toucher l'alimentation animale concernent très vite des problèmes de santé publique. C'est à la lumière de ce qui se passe que l'on peut évoluer. Je pense que nous n'y couperons pas, ni les uns, ni les autres.

M. le Rapporteur - D'où l'intérêt du livre blanc et de l'Autorité alimentaire européenne.

M. Lucien Abenhaïm - Il ne m'appartient pas de vous encourager en ce sens, mais c'est évident.

M. le Président - Nous l'avons bien compris. Monsieur le Directeur, merci d'avoir répondu à nos questions et merci encore d'être venu.

Audition de M. Claude CHÉREAU, Ambassadeur, représentant permanent de la France auprès de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture à Rome

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Claude Chéreau, vous êtes ambassadeur, représentant permanent auprès de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture à Rome

Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les problèmes causés par l'utilisation des farines animales et les conséquences qui en découlent pour la santé des consommateurs. Comme nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire, vous savez que les témoignages se font sous serment. Je vais donc être obligé de vous lire le texte habituel et de vous demander ensuite de prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Chéreau.

M. le Président - Si vous le voulez bien, dans un premier temps, je vais vous passer la parole pour que vous nous donniez votre sentiment et votre vision des choses, après quoi nous vous poserons les questions que nous souhaitons.

M. Claude Chéreau - Si vous me le permettez, monsieur le Président, je vais vous poser une question. J'ai occupé, au cours des douze dernières années, des fonctions assez diverses et je n'ai pas tout à fait bien saisi au titre de quelles fonctions vous souhaitiez m'entendre, en vous priant de m'excuser de vous poser la question comme cela. Je souhaite également vous remercier d'avoir accepté de changer la date de mon audition, puisque cela m'a permis de la faire coïncider avec un déplacement que je faisais dans le cadre d'une mission.

M. le Président - Nous vous auditionnons parce que vous êtes représentant de la France auprès de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, mais aussi parce que vous êtes un ancien conseiller à Washington.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Si je puis me permettre, nous souhaitons vous entendre précisément sur l'éclairage, monsieur l'Ambassadeur, que vous pouvez avoir sur ce qui s'est passé aux Etats-Unis, à la fois en tant qu'ancien conseiller chargé des problèmes agricoles au niveau de l'ambassade de France à Washington et au titre de votre poste actuel d'observateur particulièrement engagé auprès de l'ONU sur les problèmes alimentaires. C'est cette période qui est importante pour nous.

M. Claude Chéreau - Merci, monsieur le Président et monsieur le Rapporteur. Je vais donc essayer de résumer l'expérience que j'ai pu avoir.

Je suis arrivé aux Etats-Unis en novembre 1994 comme conseiller chargé de l'agriculture à l'ambassade de France à Washington avec également une compétence -mais cela n'est pas notre sujet aujourd'hui-- sur les questions économiques relatives à la mise en place de l'ALENA, le traité qui groupe les trois pays d'Amérique du Nord.

Au cours de mon séjour à Washington, j'ai été amené à avoir des contacts, bien entendu, avec l'administration américaine et à suivre les retombées et les jugements qui pouvaient être portés sur la situation en Europe, en particulier à partir d'avril 1996, quand la crise de l'ESB a atteint un paroxysme.

La situation américaine était à ce moment-là la suivante. Il n'y avait pas de suivi très précis, et même pas du tout de suivi, dans beaucoup d'Etats par les centres vétérinaires des maladies animales pour la détection possible d'encéphalopathies, du moins de manière systématique.

Pourtant, les encéphalopathies n'étaient pas inconnues aux Etats-Unis puisque, dès 1947, si je me le rappelle bien, des travaux ont été menés sur certaines encéphalopathies touchant des visons d'élevage et que l'on avait trouvé ensuite le même type de maladie (excusez-moi si je ne suis pas très précis parce que ma connaissance vétérinaire est très limitée) chez des cervidés d'élevage. Cela a d'ailleurs posé des problèmes, tardivement, pour certaines populations de chasseurs qui consommaient ces cervidés, mais on n'a jamais pu mettre en évidence, à l'époque, à ma connaissance --je suis parti en 1997--, une contamination humaine par ces cervidés produits du gibier.

Il apparaissait aussi qu'encore une fois, les Centers for veterinarian diseases (les centres vétérinaires de suivi), avaient des activités extrêmement inégales. L'un d'eux est important dans le Colorado, zone d'élevage par excellence, mais on s'est aperçu qu'il n'y avait eu aucun prélèvement ou aucune analyse effectuée, dans la perspective des encéphalopathies, pendant un certain nombre d'années.

Depuis, les Américains ont quelque peu rattrapé leur retard pour ce qui est de la connaissance des populations bovines. Il faut dire qu'il arrive assez fréquemment, dans le centre des Etats-Unis ou au Texas, de trouver des animaux morts au bord de la route et que personne ne s'en occupe, puisque ce sont les prédateurs habituels qui les font disparaître. Donc les problèmes ne se posent pas exactement de la même manière qu'en Europe.

Cela dit, les services américains ont été quand même assez effrayés par ce qui s'est passé en Europe à partir de 1996. Ils ont alors estimé qu'il fallait faire quelque chose, mais cela s'est mis en route avec une certaine lenteur, notamment au niveau du Food Inspection Service (le FSAIS), du ministère de l'agriculture; qui a progressivement intensifié ses analyses.

La coordination, aux Etats-Unis, entre les différents services concernés n'est pas non plus très évidente compte tenu de la structure fédérale de ce pays. Tant que j'étais là-bas, je n'ai pas vu de choses extrêmement significatives.

Cela n'empêchait pas les farines animales d'être utilisées de manière courante dans beaucoup d'Etats. Finalement, compte tenu des décisions ou des sanctions que j'ai vu paraître petit à petit dans le bulletin du ministère de l'agriculture américain, certains fournisseurs d'aliments du bétail n'étaient probablement pas tout à fait dans les règles par rapport aux conditions édictées par le ministère de l'agriculture lui-même.

Cela ne veut pas dire qu'il y a eu des contaminations, sachant que, encore une fois, on n'en a pas constaté sur le plan humain. Cependant, comme pour beaucoup de secteurs alimentaires aux Etats-Unis, notamment dans l'industrie de la viande, je pense qu'il y avait des zones d'ombre que personne n'essayait d'éclairer, de manière traditionnelle. Je veux dire par là que, dans les abattoirs, aussi bien en matière de qualification de la main-d'oeuvre qu'en matière d'inspection vétérinaire, non pas pour les bovins mais en tout cas pour les volailles et quelques autres petits animaux, il y avait certainement beaucoup à dire par comparaison avec les règles que nous appliquons en Europe.

M. le Rapporteur - Précisément, maintenant que vous êtes en poste à Rome auprès de la FAO, avez-vous un éclairage encore plus précis de ce qui se passe aux Etats-Unis ? Si on vous pose cette question, c'est que l'on a toujours l'idée, en filigrane, que, dans le cadre des négociations internationales, il nous semblerait pertinent que nos amis d'Outre-Atlantique essaient de cacher un éventuel problème. En effet, s'ils ont exactement la même problématique, c'est-à-dire la nourriture de leurs animaux à partir de farines, et les mêmes imperfections en ce qui concerne les process de fabrication, j'imagine mal qu'ils n'aient pas, par un effet indirect, de telles affections.

Aujourd'hui, pouvez-vous avoir d'autres informations ?

M. Claude Chéreau - Je pense qu'il y a une volonté de l'administration américaine d'aller plus loin et de mieux connaître ce qui se passe. Ce qui a été détecté récemment dans des troupeaux de moutons du Vermont importés du Bénélux en est un exemple. Cependant, c'est aussi un contre-exemple, dans la mesure où il apparaît qu'il y a, pour cet éleveur du Vermont qui était concerné, un certain nombre de possibilités de recours qui ont empêché jusqu'à présent les services vétérinaires américains fédéraux de procéder à l'abattage, du fait d'une décision de justice de l'Etat du Vermont.

Il y a donc un certain nombre de blocages, mais je pense qu'il y a une volonté beaucoup plus nette aujourd'hui qu'il y a trois ans, même si ce n'est toujours pas parfait, de l'administration américaine de pas se laisser surprendre par une maladie dont elle est vraiment très consciente du risque qu'elle représente. En tout cas, elle ne nous accuse plus, sur l'ESB, à la différence de ce qui se passe pour l'interdiction en Europe des viandes hormonées, à travers cela, de faire du protectionnisme. Les Américains ont vraiment compris qu'ils devaient essayer, chez eux, d'éviter que ce problème apparaisse.

Je serais donc plutôt tenté de leur faire confiance maintenant, mais c'est récent.

M. le Rapporteur - N'imaginez-vous pas que la double mission de la FDA, à savoir l'évaluation et la gestion du risque, par rapport à ce que nous essayons de mettre en place au niveau européen au travers de l'Autorité alimentaire européenne, n'est pas un gage d'efficacité et d'indépendance, précisément ?

M. Claude Chéreau - Ils sont en train de faire une réforme de la FDA, car cet organisme a été beaucoup attaqué à la fois par les consommateurs, qui lui ont reproché sa trop grande opacité et son manque de transparence, et par l'administration, qui a trouvé qu'il y avait des failles dans le dispositif.

La réforme de la FDA ne sera pas vue de la même manière que la création de l'Agence européenne de sécurité sanitaire, mais elle permettra peut-être d'amorcer, plus tard, un dialogue un peu plus fructueux entre les deux bords de l'Atlantique.

M. Paul Blanc - Les Américains ont-ils importé des farines animales en provenance d'Angleterre ?

M. Claude Chéreau - Les Américains n'importaient pas de farines animales, du moins en quantités significatives à ma connaissance, c'est-à-dire qu'elles n'apparaissaient pratiquement pas. Cependant, ils ont importé des animaux de Grande-Bretagne qui, normalement, ont tous dû être abattus, même s'ils avaient été importés depuis assez longtemps.

Je sais qu'au Canada, il y a eu le cas d'un animal qui avait développé quelque chose. Les autorités ont ensuite retracé toutes les importations et sont allées rechercher des troupeaux, y compris jusque dans le fond de l'Alabama, quand j'étais encore aux Etats-Unis, pour éviter de laisser quelque postérité que ce soit de ces animaux.

Cela dit, ils produisent eux-mêmes les farines animales et ils n'ont pas besoin d'aller les chercher ailleurs.

M. Paul Blanc - Dans la mesure où les farines animales anglaises étaient peut-être à des coûts moins élevés que les leurs, ils auraient peut-être été tentés d'en importer. De toute façon, même en petites quantités, on a pensé qu'il pouvait y avoir des contaminations simplement par l'utilisation de récipients ayant contenu des farines animales ou pour des traces qui pouvaient être contaminantes.

M. Claude Chéreau - Sur les traces dans les moyens de transport ou dans des conteneurs de produits d'alimentation animale, je ne peux pas vous contredire, parce qu'il est très difficile de démontrer qu'il n'y avait rien. En revanche, je ne pense pas que les conditions étaient réunies pour avoir un intérêt à importer des farines animales, parce que le coût de production aux Etats-Unis était certainement beaucoup plus bas.

M. Paul Blanc - Savez-vous ce qu'ils ont fait des animaux qui ont été abattus ? Ont-ils été remis dans le circuit de leurs farines animales ?

M. Claude Chéreau - Il y a deux sortes d'animaux. Il y a tout d'abord les moutons dont j'ai parlé tout à l'heure et qui ne sont pas encore abattus, à ma connaissance, du fait de cette procédure juridique.

Par ailleurs, il y a eu une recherche des troupeaux d'origine britannique qui ont été abattus, sachant que, compte tenu des délais, certains animaux avaient déjà été consommés. Il devait en rester soixante-dix qu'ils ont fini par retrouver et qu'ils ont abattus. En tout cas, je ne pense pas qu'ils les aient remis dans le circuit de l'alimentation, qu'elle soit animale ou humaine.

Voilà mes remarques sur ma période américaine. Si vous n'avez pas d'autres questions et si vous me le permettez, je passerai à ma période romaine.

M. le Président - S'il n'y a plus de questions sur cette première période, vous pouvez poursuivre.

M. Claude Chéreau - Le type d'information que je peux avoir au niveau de l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, c'est-à-dire la FAO, qui est un sigle anglais, est d'une autre nature.

La FAO a reçu un encouragement de la part du sommet du G8, lors de la réunion d'Okinawa, pour expertiser un peu plus un certain nombre de problèmes d'actualité en matière de santé animale. D'où une recommandation récente qu'elle a publiée et des explications qu'elle a fournies pour les pays susceptibles d'avoir importé des produits d'origine britannique. Si cela vous intéresse, je peux verser à vos dossiers --c'est tout à fait public-- les deux avis qu'elle a fournis récemment.

Par ailleurs, la FAO, en collaboration avec l'OMS --M. le Rapporteur le sait bien puisqu'il a lui-même été à l'origine d'un rapport sur le Codex alimentarius-- est le siège de bon nombre de choses concernant la Commission du Codex alimentarius, commission qui a une activité normative et qui est très décentralisée, dans la mesure où, suivant le secteur de l'alimentation concerné, les réunions se tiennent dans un pays ou dans un autre.

Les réunions du comité du Codex pour les principes généraux, donc la base de l'activité normative du Codex, se tiennent en France, à Paris, et d'autres réunions sur les produits laitiers ou la viande se tiennent ailleurs. Il y a des réunions périodiques aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande ou dans d'autres pays en fonction du type de produit concerné. Il s'agit simplement d'une spécialisation.

Cependant, cette spécialisation n'est pas sans avoir des conséquences économiques, puisque les pays, comme par hasard, qui hébergent ces commissions sont généralement très intéressés aux normes concernant le type de produits dont elles s'occupent.

Les activités du Codex sont encore insuffisamment développées mais elles sont considérables parce qu'elles ont une influence non seulement sur la bonne compréhension de ce que doit être l'alimentation pour être saine et ne pas mettre en danger la santé du consommateur, mais également, comme on l'a vu depuis la création de l'OMC, sur le fait que les normes élaborées dans le cadre du Codex alimentarius sont ensuite reprises par l'OMC pour justifier ou infirmer les positions jugées à ce moment-là protectionnistes de certains Etats au nom de la santé alimentaire.

C'est donc un autre type d'information qui n'est pas en prise sur l'événement mais qui est une anticipation sur ce que peut être la gestion de crise plus tard.

Les autres travaux de la FAO sont entrepris dans le cadre de ce qu'on appelle le programme EMPRES, un sigle britannique qui vise la prévention des maladies transfrontalières animales ou phytosanitaires. Ce programme est en train de se développer (cela concerne aussi, par exemple, la lutte contre le criquet pèlerin qui date de très longtemps) et il englobe notamment le suivi et la prévention non seulement de la fièvre aphteuse mais de toute autre maladie importante. C'est à travers ces programmes que remonte à la FAO un certain nombre d'information sur les maladies, notamment l'ESB.

Je me permets de signaler --on ne le savait pas encore il y a peu de temps--que l'on recrute un Français à partir du 15 juin comme n° 2 du Codex dans le cadre de la FAO. Il était à Bruxelles et s'appelle M. Jouve.

M. le Rapporteur - Je voudrais revenir deux secondes sur le Codex. Où en est-on du code d'usage pour une bonne alimentation animale ? Est-ce en train de se formaliser ?

M. Claude Chéreau - C'est en train de se formaliser et cela ne devrait plus beaucoup tarder. C'est à peu près au point. Il restait des problèmes techniques, notamment de traduction, mais, sur le fond, je pense que l'on est très proche d'une sortie de ce code.

M. le Rapporteur - Il y a une interaction très forte --vous pouvez le deviner-- avec le livre blanc sur l'alimentation. Sur ce point précis, le Codex va-t-il émettre un avis sur l'interdiction définitive des farines animales sur l'ensemble des animaux d'élevage ? Je pense aux monogastrites.

M. Claude Chéreau - J'ai bien compris, mais je ne suis pas certain que le Codex le fasse dans des termes aussi précis. On touche là à des points qui sont d'un intérêt tout à fait essentiel pour certains pays, qui avancent pour l'instant à bon droit que, malgré l'utilisation des farines animales, ils n'ont pas eu de cas de maladie. C'est là que cela accroche.

M. le Rapporteur - Est-ce que, dans le droit fil de votre période romaine, la FAO a un avis à donner, ce qui serait très important pour la France, sur la relance de la production des protéines végétales ?

M. Claude Chéreau - Normalement, la FAO pourrait être amenée à se saisir elle-même de ce dossier, mais je la sens un peu timide.

M. le Rapporteur - Compte tenu des interactions avec les règles de l'OMC ?

M. Claude Chéreau - Oui.

M. le Rapporteur - En ce qui concerne les tests de dépistage ESB, la FAO a-t-elle l'intention de susciter leur mise en place dans des pays en voie de développement ou, plus précisément, dans des pays qu'elle a classifiés "à risques" sur ce point précis ?

M. Claude Chéreau - Pour l'instant, la FAO n'en est pas à interdire les farines animales ; elle conseille de les éviter. La notion d'interdiction n'est pas tout à fait en son pouvoir. Seul le Codex pourrait le faire. Elle recommande de prendre des mesures de surveillance active et d'éliminer les matériaux à haut risques spécifiés, de la même manière que nous l'avons fait en France et en Europe. Elle voudrait également interdire l'utilisation des animaux morts impropres à la consommation humaine, pour éviter qu'on les retrouve dans les circuits de l'alimentation animale. Enfin, elle voudrait améliorer la gestion des risques et la communication sur ces questions de sécurité.

Voilà les recommandations de la FAO. A ce stade, cela reste très général.

M. le Rapporteur - Je reviendrai deux secondes sur votre période américaine, si vous me le permettez. Avez-vous connaissance du fait que les Américains ont lancé des campagnes de dépistage d'ESB et avez-vous une idée du résultat de ces débuts de dépistage ?

M. Claude Chéreau - Non, je n'ai pas eu d'informations récentes sur ce point, mais je pense que mon successeur à Washington pourrait vous le dire mieux que moi.

M. le Rapporteur - Pourriez-vous récupérer ce type d'information et nous le faire parvenir ? Ce serait important pour la commission.

M. Claude Chéreau - Tout à fait. Je le note.

M. le Rapporteur - J'en viens à l'un des derniers points qui nous préoccupe : ce qu'on appelle le "syndrome de la vache couchée". D'après les experts scientifiques de la FAO, est-ce véritablement une affection différente de la maladie de la vache folle ou un problème purement de sémantiques sur lequel les Américains resteraient campés ?

M. Claude Chéreau - C'est une grande question que l'on a déjà posée en 1997. Là aussi, il faut que je me renseigne car je n'ai plus d'informations suffisantes sur ce point. A ma connaissance, on n'en a pas parlé récemment à la FAO.

M. le Président - N'ayant plus de question à vous poser, monsieur l'Ambassadeur, nous allons vous remercier d'avoir répondu à toutes nos questions. Si, effectivement, vous pouvez nous faire parvenir les renseignements dont nous venons de parler, ce sera parfait pour la commission.

Audition de M. Damien VERDIER, Président de la Commission qualité, sécurité alimentaire du Syndicat national de la restauration collective (SNRC)

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Vous êtes M. Damien Verdier, Président de la Commission qualité, sécurité alimentaire du Syndicat national de la restauration collective.

M. Damien Verdier - Je suis maintenant président du Syndicat lui-même.

M. le Président - C'est parfait. Je vous précise que vous êtes entendu au titre de la commission d'enquête du Sénat sur les problèmes causés par l'utilisation des farines animales et les conséquences sur la santé des consommateurs, que vous êtes donc entendu dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire et qu'à ce titre, vous devez témoigner sous serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Verdier.

M. le Président - Merci. Dans un premier temps, je vais vous demander, de manière très synthétique, de nous donner votre point de vue sur cette affaire par rapport à ce que vous représentez, après quoi nos collègues vous poseront les questions qu'ils souhaitent. Je vous passe la parole.

M. Damien Verdier - Je vous remercie, monsieur le Président et messieurs les Sénateurs. En quelques minutes, de façon très synthétique, je vais vous expliquer qui je représente et la manière dont nous travaillons dans les domaines de la sécurité alimentaire.

Je rappelle qu'en France, environ 15 millions de consommateurs bénéficient chaque jour d'une prestation de restauration collective, que ce soit dans des entreprises, dans des écoles, dans des établissements de soins ou dans des établissements pour personnes âgées ou personnes handicapées.

Sur ces 15 millions de consommateurs qui, tous les jours, bénéficient de cette prestation, les entreprises spécialisées, regroupées au sein du Syndicat national de la restauration collective, représentent une part qui est croissante, année après année, mais qui reste minoritaire, de 25 % environ. Aujourd'hui, en France, 75 % des repas servis en restauration collective sont réalisés par les collectivités elles-mêmes et 25 % par les entreprises que je représente.

Le Syndicat national de la restauration collective regroupe 22 entreprises spécialisées de toutes tailles, des grandes et des petites, et emploie environ 65 000 salariés en France.

Notre présence est très irrégulière selon les secteurs d'activité. Nous sommes très présents dans le secteur de la restauration d'entreprise, puisque environ 85 % des entreprises ont confié leur restauration collective à des entreprises spécialisées. En revanche, nous sommes quasiment absents de tout le secteur des lycées et des collèges, où nous sommes présents pour 2 %, puisque c'est l'Education nationale qui assure elle-même la restauration des lycéens et collégiens, et nous sommes également très peu présents dans le milieu hospitalier public, à hauteur de 8 %, tout le reste étant effectué par les collectivités elles-mêmes.

Par conséquent, la présence des sociétés de restauration n'est pas du tout homogène suivant les secteurs d'activité.

Je rappelle simplement que plusieurs entreprises de restauration collective occupent des positions extrêmement significatives au plan mondial et que l'on peut dire aujourd'hui que les savoir-faire développés en France en matière de restauration collective font référence dans le monde entier et sur certains domaines, y compris aux Etats-Unis.

Dans toute sa diversité, notre métier se caractérise par deux points importants. Le premier, c'est que les repas que nous servons ont un caractère social très important, que ce soit en entreprise, dans les établissements de soins ou dans les écoles ; le deuxième, c'est que nous servons tous les jours des consommateurs, mais toujours dans le cadre d'un contrat qui est signé avec la collectivité à laquelle appartiennent les consommateurs.

Nous sommes toujours dans une relation directe, au quotidien, avec nos consommateurs, mais toujours dans le cadre d'un contrat avec une collectivité, et la collectivité a elle-même, bien entendu, des points importants qu'elle peut exiger de son fournisseur. Elle a un rôle très important en matière de définition de cahier des charges ou d'établissement du marché.

Au niveau du syndicat, nous avons, depuis plus de dix ans, une commission de sûreté alimentaire qui se focalise sur trois sujets essentiels.

Le premier est l'hygiène et la qualité. Je ne vais pas beaucoup m'y attarder : ce sont tous les problèmes d'hygiène alimentaire, sachant que beaucoup de progrès ont été faits en France depuis quinze ans en matière de maîtrise de chaîne de froid et autres.

Le deuxième est la nutrition. Je ne vais pas non plus m'y attarder, mais je rappelle que c'est aussi l'une des questions clés de notre métier quand on voit la progression de l'obésité chez les jeunes ou les difficultés que l'on rencontre aujourd'hui, compte tenu des habitudes alimentaires des enfants, à les faire néanmoins déjeuner de façon équilibrée. Il est certain que si on leur donnait du poulet-frites tous les jours, tout irait très bien, mais ce n'est pas notre vocation. C'est donc souvent dans la restauration collective qu'ils découvrent ce qu'est un repas équilibré et que nous sommes chargés de leur faire manger des légumes, par exemple, ce qui n'est pas la chose la plus simple. Je passerai donc assez vite sur les questions de nutrition, sauf si vous avez des questions, bien entendu.

Le troisième, c'est que, depuis plusieurs années, nous avons un groupe de travail qui s'occupe d'approvisionnement et de sécurité alimentaire. C'est le sujet clé qui vous intéresse.

Je voudrais aussi rappeler en guise d'introduction que nous sommes présents dans tous les groupes de travail, notamment au Conseil national de l'alimentation, que nous avons beaucoup travaillé avec le GPMDA pour établir toutes les règles qui sont en train d'évoluer sur la passation des marchés publics en matière de restauration collective et donc que notre syndicat est très présent et actif auprès de tous les acteurs publics pour que certains textes évoluent et soient de plus en plus précis et rigoureux.

Encore une fois, il s'agit du GPMDA et du Conseil national de l'alimentation. Nous sommes très actifs en ce qui concerne le guide des bonnes pratiques en matière d'hygiène qui devrait sortir bientôt dans notre métier et cela fait partie du rôle du syndicat.

Enfin, je voudrais dire quels sont nos moyens d'action. On agit beaucoup en matière de formation ; c'est un métier qui s'est beaucoup professionnalisé ces dernières années et nous consacrons une grosse part de nos budgets à la formation de nos personnels, que ce soit en matière de connaissance des convives, de savoir-faire culinaire ou de partenariat avec les écoles hôtelières.

Nous sommes extrêmement engagés sur des processus d'assurance qualité et beaucoup de nos entreprises adhérentes ont certifié leur service achats, ce qui implique des cahiers des charges précis, des audits de qualité et des contrôles de qualité. Nous menons aussi des actions de recherche sur les questions de nutrition, notamment avec le CNRS, le Centre Foch, l'université de Toulouse Le Mirail et l'Institut Pasteur de Lille sur les questions de nutrition.

Nous avons aussi un dispositif de veille sur des problèmes sociaux et de santé publique nouveaux comme les allergies et l'impact des 35 heures sur les habitudes alimentaires (nous pensons que les 35 heures vont sans doute accélérer les phénomènes de grignotage).

Nous travaillons également sur les techniques de cuisson et les règles de l'intercommunalité pour mieux utiliser les équipements de restauration collective et nous auditons régulièrement des spécialistes chercheurs.

J'en viens tout de suite à la question de la sécurité alimentaire. Nous avons mené depuis plusieurs années des négociations actives auprès des filières agro-alimentaires et nous avons fait deux grands types d'action.

La première, c'est que nous nous sommes entendus entre sociétés de restauration, au niveau du syndicat, pour mettre au point des cahiers des charges précis sur certains produits sensibles. Par exemple, dès 1996, nous avons mis au point un cahier des charges homogène pour toutes nos sociétés sur le steak haché. Nous avions légèrement anticipé la législation sur un steak haché 100 % pur boeuf sans viande séparée mécaniquement et sans matériaux à risques spécifiés.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Cela voudrait-il dire qu'antérieurement, ce n'était pas le cas ?

M. Damien Verdier - Antérieurement, nous n'avions pas, nous, en tant qu'utilisateur final, la preuve absolue que, depuis l'année 1990, qui correspond à l'arrêt des farines animales sur les ruminants en France, toutes ces questions de fabrication des steaks hachés étaient totalement garanties. On sait que le déclenchement de l'ESB date de 1990 et il faut reconnaître qu'au début, y compris nos fournisseurs n'étaient pas capables de nous répondre là-dessus et que l'on ne savait pas qui était la cause de l'ESB au Royaume-Uni. Nous nous sommes donc occupés surtout de mettre au point un produit de qualité dès 1990 et nous avons exclu les viandes séparées mécaniquement et les matériaux à risques spécifiés dès 1996.

M. le Rapporteur - Sur ce point précis, avez-vous eu connaissance du fait que certains transformateurs en France utiliseraient ou auraient utilisé des abats dans l'incorporation de steaks hachés, comme cela a été déclaré officiellement en Angleterre ?

M. Damien Verdier - Dans le cadre de ces cahiers des charges "steak haché", toute la profession s'est engagée en 1996. Nous avons assuré, derrière, des contrôles histologiques que nous avons confiés à des organismes spécialisés comme l'Institut Pasteur et nous n'avons jamais eu d'analyse reflétant des steaks hachés qui ne soient pas 100 % pur boeuf.

Pour les autres produits du boeuf, je rappelle que nous ne travaillons et que nous n'achetons que du muscle. Nous n'achetons pas de carcasse, nous ne désossons pas et nous ne débitons pas. Nous achetons des muscles de bavette, de rumsteck et autres.

Je vais enchaîner sur ce que nous avons ensuite. Pour renforcer cela, nous avons signé une charte de transparence, il y a un an et demi, en précédant le texte du 25 août sur les questions de lieu d'abattage et, depuis la signature de cette charte de transparence, que j'ai à votre disposition, nous avons demandé à tous nos fournisseurs de s'engager vers le "né, élevé et abattu" et, dans un premier temps, vers la garantie du lieu d'abattage, qui existe depuis un an chez nous.

Aujourd'hui, nous pouvons garantir une traçabilité du lieu d'abattage, que nous faisons contrôler par le BVQI. Autrement dit, toutes nos entreprises et tous nos fournisseurs sont contrôlés par le BVQI sur la traçabilité d'abattage. En outre, nous nous sommes battus pour que le "né, élevé et abattu" précède le texte (qui le prévoit en janvier 2002) et nous voulons absolument être en "né, élevé et abattu" à la prochaine rentrée scolaire.

M. le Rapporteur - Pour rester deux secondes sur cette partie concernant le steak haché, avez-vous l'intention de revenir sur la possibilité d'exercer des circuits courts, c'est-à-dire de permettre à des boucherie "de proximité" de fournir des cantines scolaires ou des établissements que vous fournissez habituellement ?

M. Damien Verdier - Je ne vois pas bien ce que cela peut garantir en plus à partir du moment où nous sommes en 100 % pur muscle.

M. le Rapporteur - En automne dernier, lorsqu'il y a eu un problème sur ce point, nous avons eu une réaction des maires des différentes municipalités de France qui ont raisonné comme cela en remettant le circuit court et les produits issus de boucheries de proximité.

M. Damien Verdier - A mon sens, cela ne change pas grand-chose. Pendant la période de la crise, nous avons eu des clients qui nous ont effectivement demandé de suspendre le service de boeuf et nous l'avons fait raisonnablement, parce que le repas d'un enfant doit être pris dans un climat de sérénité, ce qui n'était pas le cas alors.

Aujourd'hui, on remet petit à petit, avec les mêmes conditions de contrôle, que nous avons réexpliquées à nos clients, dans les collectivités, notamment scolaires, la viande de boeuf à nos menus et nous savons aujourd'hui apporter autant de garanties qu'un boucher de quartier.

Ensuite, il faut savoir que, sur un certain nombre de collectivités, le boucher de quartier ne peut pas fournir. Quand vous servez 10 000 steaks hachés sur une même journée dans une collectivité, le boucher de quartier ne peut rien faire.

M. Gérard César - J'ai quelques questions à vous poser. Tout d'abord, quelle est la traduction du sigle BVQI ?

M. Damien Verdier - C'est ce qu'on appelait le cabinet Véritas. Il s'agit d'un bureau de vérification et de certification indépendant.

M. Gérard César - Ensuite, pour continuer sur le steak, avez-vous aujourd'hui le sentiment que les collectivités reviennent positivement au steak haché ? Entre à la période de la crise et maintenant, quel est le pourcentage de consommation du steak haché ?

M. Damien Verdier - Il faut savoir que ce phénomène a touché surtout la restauration scolaire. Dans les autres clientèles, l'émotion collective a été moins forte. L'émotion a été manifestée spécialement dans la restauration scolaire et nous n'avons pas eu la même émotion dans les établissements de soin dans lesquels nous sommes présents ou dans les entreprises. Cela ne veut pas dire que nous n'avons pas informé nos consommateurs de ce que nous faisions, mais je veux dire qu'il n'y a pas eu de retrait comme ce qui a été constaté en matière de restauration scolaire.

On peut dire qu'avant la crise, c'est-à-dire avant Noël, une collectivité sur deux cliente des sociétés de restauration nous avait demandé de suspendre la présence de viande de boeuf dans les menus et qu'aujourd'hui, nous devons avoir 10 à 20 % des collectivités qui attendent des textes et encore des textes pour la réintroduire. Il y a donc une espèce d'attente par rapport à la réglementation. Ce sont des collectivités qui ne souhaitent toujours pas mettre la viande de boeuf au menu. Cela dépasse bien entendu le problème du steak haché : il s'agit de la viande de boeuf.

M. Paul Blanc - Quelle est l'origine française de votre viande de boeuf ? Est-elle française ?

M. Damien Verdier - Nous sommes à 80 % en approvisionnement français.

M. Paul Blanc - Et les 20 % restants ?

M. Damien Verdier - Il s'agit de viande provenant de la Communauté économique européenne en dehors des pays sous embargo, évidemment.

M. le Rapporteur - Êtes-vous satisfait de la traçabilité telle qu'elle est faite aujourd'hui ?

M. Damien Verdier - Comme je vous l'ai dit, il y a un an et demi, nous étions la première profession (on n'a peut-être pas assez bien communiqué là-dessus parce que la restauration collective a été parfois désignée comme étant un mauvais élève alors qu'à l'inverse, nous étions plutôt le fer de lance) à demander du "né, élevé et abattu" à nos fournisseurs, c'est-à-dire une traçabilité d'origine complète. Il y a un an et demi, nos fournisseurs ont accepté de rédiger la charte --je peux vous la lire-- en disant qu'ils étaient d'accord pour aller vers le "né, élevé et abattu", c'est-à-dire que nous ne l'avions pas encore.

Nous sommes aujourd'hui sur la traçabilité d'abattage, c'est-à-dire que nous connaissons le lieu d'abattage, ce qui n'est pas mal et ce qui permet de faire des audits. Quant au "né, élevé et abattu", comme je vous l'ai dit tout à l'heure, alors que la réglementation l'exige pour janvier 2002, nous espérons aller plus vite.

M. Paul Blanc - Et sur les 20 % de viande provenant de la CEE ?

M. Damien Verdier - Nous avons eu aussi la traçabilité de d'abattage. Plusieurs sociétés se servent avec un fournisseur italien, par exemple, qui a été extrêmement précis sur les traçabilités d'abattage.

M. le Président - Vous savez qu'en Espagne et en Allemagne, ce n'est pas le cas, que la traçabilité n'existait pas.

M. Damien Verdier - Je pense que nous ne nous fournissons pas en Espagne.

M. le Rapporteur - "Né, élevé et abattu" est une chose, mais êtes-vous susceptible de répondre à une opération de retrait lorsqu'il se déclare un événement désagréable sur la filière ?

M. Damien Verdier - Vous pouvez interroger la DGAL, qui peut témoigner que notre organisation est capable, en une demi-journée, de procéder à des retraits sur 10 000 restaurants. Nous avons tout un système, qui a d'ailleurs été mis au point au moment de la crise de la dioxine sur les poulets. A cette époque, nous avons été capables de vérifier tous nos stocks de volaille en trois heures de temps et de consigner des lots. La DGAL pourrait en témoigner parce qu'elle nous contrôle là-dessus.

M. le Rapporteur - Vous avez donc élaboré un concept bien particulier de réactivité très fort. Pourrions-nous avoir ce document ?

M. Damien Verdier - Je pourrai vous le donner. En liaison directe avec la DGAL, nous avons tout un système de communication, en cas de crise, avec le réseau des 22 adhérents et chaque adhérent a tout son réseau pour mobiliser tout ces sites.

M. le Rapporteur - Dans le droit fil de la notion de traçabilité, n'avez-vous pas conscience qu'au fil du temps, compte tenu du fait que l'un de vos objectifs majeurs est de comprimer vos coûts de production, vous avez tiré vers le bas à la fois la qualité gustative des repas et la qualité sanitaire ? On sait bien que, comme vous l'avez dit vous-même, il y a une connotation sociale dans votre activité.

M. Damien Verdier - Je m'inscris totalement en faux sur le fait que notre compétitivité ait pu se faire au détriment de la qualité. Je pense qu'au contraire, depuis quinze ou vingt ans, la restauration collective en France n'a cessé de progresser au plan des savoir-faire. J'ai parlé tout à l'heure de la chaîne du froid et de la maîtrise de notre professionnalisme. Notre concept de cuisine centrale est une chose que le monde entier regarde avec envie et je dirai qu'aujourd'hui, notre compétitivité est, certes, liée aux achats (quand on arrive à massifier des achats, on est plus compétitif que quelqu'un qui fait ses courses tout seul) mais qu'en restauration collective, l'enjeu n° 1 de la gestion est d'abord le gaspillage.

Comme je l'ai dit en deux mots tout à l'heure, il faut comprendre qu'en restauration scolaire, par exemple, il y a encore beaucoup de gaspillage alors que nos coûts et nos prix de revient en dépendent avant tout : il s'agit de faire en sorte que ce qui est dans les assiettes soit mangé par les enfants et ne passe pas à la poubelle.

Le deuxième enjeu, ce sont les frais fixes. Les frais de fonctionnement de la restauration collective représentent des enjeux beaucoup plus importants que le coût des denrées dans l'assiette. Aujourd'hui, les expertises développées par nos entreprises concernent avant tout le management et l'organisation des outils de travail (j'ai pris l'exemple des cuisines centrales tout à l'heure, qui sont de vrais outils de travail), et je rappelle qu'en restauration scolaire, il faut amortir ces outils sur 140 jours de chiffre d'affaires par an. C'est là que se joue la compétitivité de nos entreprises, de façon beaucoup plus importante que de gagner 10 centimes sur un coût alimentaire. En l'occurrence, on ne parle pas de 10 centimes mais de francs par repas et par an.

Cela dit, vous avez raison, monsieur le Sénateur, dans la mesure où nous sommes au contact du consommateur et que nous avons sûrement un défi difficile à relever aujourd'hui : faire comprendre au consommateur, sans doute un peu comme la grande distribution, que s'il veut manger de la viande de Salers, on est capable de lui en servir, de même que l'on est capable de faire du Charolais et du poulet label rouge tous les jours, sans aucun problème, mais qu'il faut alors qu'il le paie.

Aujourd'hui, avec un certain nombre de villes, nous avançons sur cette notion en essayant d'avoir une bonne communication et une bonne information aux parents d'élèves, pour faire comprendre qu'effectivement, le prix du kilo de la viande de Salers n'est pas le même qu'un rumsteck issu d'une vache laitière française tracée VBF.

Allons-nous gagner ce défi ? Aujourd'hui, des sondages montrent que des parents seraient prêts à payer 30 % de plus, mais ce n'est pas vérifié.

M. Paul Blanc - Ils demandent alors que les communes paient.

M. Damien Verdier - Quant aux collectivités, nous nous sommes aussi inscrits dans leurs attentes et je ne pense pas que les maires aient fait n'importe quoi, sachant qu'ils ont aussi à gérer ce budget de restauration collective qui est non négligeable. Les collectivités participent déjà beaucoup par le biais des quotients familiaux et autres prises en charge de coûts du repas et nous sommes conscients aussi que ce ne sont pas les collectivités qui paieront.

En rémunération de services, nous faisons un bénéfice, mais cela n'a pas de commune mesure avec les écarts de coût qu'il faudrait mettre si on veut faire de la viande de race bouchère partout, par exemple. Comme les collectivités ont un budget déjà très important à gérer, il faut savoir si, au bout du compte, le consommateur est capable de payer.

En tout cas, j'insiste pour dire que ce n'est pas parce que nous avons cet enjeu que, pour autant, les questions de prix de la restauration collective se sont faits au détriment de la qualité.

M. le Rapporteur - Vous avez malgré tout un défi médiatique à relever, sans vouloir tomber dans l'excès. Vous avez parlé de l'utilisation de produits sous signe de qualité et, là aussi, sans tomber dans cette approche, il est bien évident qu'il y a eu une spirale à la baisse. A l'identique de ce qui s'est fait dans la grande distribution, dont vous avez parlé tout à l'heure, je pense que cela s'est fait au détriment de la qualité organoleptique de ce que vous serviez à vos consommateurs.

M. Damien Verdier - Je ne le sais pas. Les études ne le démontrent pas.

M. le Rapporteur - Cela apparaît clairement suivant les études qui ont été menées ici ou là. Je ne parle pas de l'aspect sanitaire mais de l'aspect organoleptique qui est, là aussi, très important. Je pense que vous avez là un grand défi à relever.

M. Damien Verdier - Nous avons un défi de communication et d'information des consommateurs et des parents d'élèves à relever. Je suis totalement d'accord là-dessus. Aujourd'hui, le consommateur demande la transparence de tout. Nous commençons donc à expliquer où nous achetons nos poulets et nous venons de signer une charte de transparence sur les poissons d'élevage afin de l'afficher dans tous nos restaurants scolaires. Il faut savoir que nous sommes les premiers à signer cette charte de transparence sur les poissons d'élevage qui ne représentent que 15 % de nos consommations. Les signataires de cette charte s'engagent à ne pas utiliser d'hormones de croissance, de farines animales, etc. et nous allons l'afficher.

Nous avons --c'est vrai-- besoin d'expliquer ce que nous faisons, mais de là à dire que nous faisons moins bien aujourd'hui qu'avant, je pense que ce n'est pas possible. Je pense sincèrement que la restauration collective, en France, est professionnelle, à la fois au plan des équilibres alimentaires et des savoir-faire.

Je vais vous donner un exemple. Dans nos sociétés spécialisées (et je sais que nous n'avons pas communiqué sur ce point), cela fait presque dix ans que nous avons mis au point une fiche technique sur le poisson pané, qui est un grand sujet parce que les enfants aiment le poisson pané. Les taux de panure et de matière grasse dans le poisson pané ont été décrits dans des cahiers des charges qui sont établis depuis pratiquement dix ans. Nous avons des niveaux d'exigence, sur le poisson pané, qui sont supérieurs à ceux de la ménagère. Cela veut dire que ce que nous donnons aux enfants est meilleur que ce qu'elle achète en moyenne.

En revanche, nous avons un déficit de communication. Il est clair qu'aujourd'hui, la restauration collective est souvent mise au banc des accusés, parce que c'est de la restauration de masse. Il est vrai que nous nourrissons beaucoup de monde et que nous avons donc un devoir de sécurité et de santé publique. Nous en sommes conscients. Cependant, je crois --et j'insiste sur ce point-- que ce métier s'est énormément professionnalisé.

M. Jean-François Humbert - Pour vous permettre cette transparence à laquelle vous êtes très attaché, et sans doute parce que j'ai mal compris, je voudrais vous demander une précision, si vous le voulez bien.

Lorsque l'un de mes collègues vous a interrogé sur l'origine des viandes qui sont servies dans la restauration collective, vous nous avez dit que 80 % étaient d'origine française et 20 % d'origine Union européenne. Vous avez poursuivi en nous indiquant que l'on avait la certitude, en Italie, par exemple, de connaître la traçabilité de l'abattage, mais est-ce que le "né, élevé et abattu" est possible avec ces viandes d'origine européenne ?

M. Damien Verdier - Je représente ici toute la profession. Notre devoir est de référencer les fournisseurs, de les contrôler, de les auditer et de vérifier qu'ils font ce qu'ils promettent. Je dis donc que nous avons trouvé un ou deux fournisseurs en Italie (je ne parle pas de l'Italie en général et je ne dis pas qu'il y en a 250) qui sont, semble-t-il, aussi avancés en matière de traçabilité que les meilleurs industriels transformateurs français.

M. Jean-François Humbert - Ils font du "né, élevé et abattu" ?

M. Damien Verdier - Ils y vont au même rythme que les Français, sachant que tous les fournisseurs français n'en sont pas non plus au "né, élevé et abattu".

M. Jean-François Humbert - C'est vrai, mais cela a bien avancé, quand même.

M. Damien Verdier - Tout à fait. C'est pourquoi je vous dis que j'espère que l'on va pouvoir anticiper la mise en place du "né, élevé et abattu" avant l'obligation légale de janvier 2002. Nous travaillons pour cela.

M. le Président - Avez-vous d'autres questions mes chers collègues ? Non ? Vous avez peut-être quelque chose à ajouter, monsieur Verdier.

M. Damien Verdier - Je tiens simplement à souligner que nous nous sentons très responsables en matière de sécurité et de santé publique. Quand nous nourrissons des enfants, des personnes âgées ou des salariés sur un lieu de travail, ce ne sont pas des gens qui ont forcément choisi de venir déjeuner là, contrairement à la restauration commerciale. Si vous choisissez d'aller déjeuner dans un restaurant, c'est votre choix. Pour notre part, nous travaillons dans des univers où les gens viennent manger pour une raison donnée et ils n'ont pas le choix d'aller ailleurs, du moins la plupart du temps. Nous sommes donc des acteurs responsables.

Par ailleurs, les questions de santé publique ne souffrent pas de compromis et nous représentons des entreprises qui sont le fer de lance de tous ces sujets.

Cela dit, il y a des actions à renforcer et nous avons été les premiers à déplorer des manques de transparence dans les filières. Sur la filière des poissons d'élevage, il nous a fallu dix mois pour aboutir à notre charte de transparence. Ce n'est pas un hasard : c'est parce que nous faisons des contrôles afin de voir si ce qui est écrit a des chances d'être respecté, sachant que nous confions ensuite à des auditeurs externes le travail de contrôle de ces chartes de transparence. On peut difficilement faire mieux.

Je pense qu'effectivement, au-delà de tout ce travail de fond qui est fait, il faut restaurer le capital de confiance.

Cela dit, il me semble que toutes les filières progressent et je ne pense pas que l'on fasse moins bien qu'avant. Je pense que l'on fait toujours mieux. Or, il se trouve que, malgré cette progression, le capital confiance, malheureusement, ne se rétablit pas, ce qui est un vrai souci. Cependant, ce n'est pas parce qu'on ne fait pas, que l'on fait moins ou que l'on fait moins bien ; c'est parce qu'on a un vrai défi de restauration du capital confiance. Nous nous sentons très concernés sur ce capital confiance, qui dépend d'une communication sur des choses simples que nous faisons.

J'ajoute que, dans ces périodes de crise, il y a eu parfois --il faut le reconnaître-- des communications un peu compliquées à comprendre. En effet, entre les avis scientifiques, l'Union européenne, les mesures de la France et ce que nous nous engageons à faire en tant que prestataires, il faut reconnaître que, pour le consommateur parent d'élève dans une ville, il faut devenir expert pour tout comprendre. Cela devenait très compliqué.

Je pense que le capital confiance vient de plusieurs leviers. Il faut d'abord que l'Etat explique les contrôles qu'il fait. Nous avons un Etat qui ne contrôle peut-être pas assez mais nous ne pouvons pas nous substituer à lui sur les contrôles aux frontières ou dans les filières. Il y a la DGCCRF et la DGAL pour cela et je pense que l'Etat doit mieux communiquer sur les contrôles.

A un moment donné, on disait : "plus on dit que l'on contrôle, plus cela sème le doute". Je pense qu'il faut aller plus loin dans ce débat. En effet, après n'avoir rien dit pendant des années, on s'est retrouvé face à des gens qui découvraient d'un coup qu'il y avait des risques et à qui on n'avait rien dit, ce qui faisait s'écrouler le capital de confiance, même si ces risques étaient connus. Je pense donc qu'il y a eu un manque de transparence dans la communication sur toutes ces crises.

La deuxième chose, c'est qu'il faut une harmonisation avec l'Europe parce que, aujourd'hui, cela devient vraiment trop compliqué. Quand nous sommes face à des parents d'élèves, il est difficile d'expliquer ne serait-ce que la crise de fièvre aphteuse actuelle, même si la France semble, pour l'instant, un peu privilégiée. C'est trop compliqué. Il faut donc vraiment une harmonisation européenne sur la sécurité alimentaire. On sent que cela vient, mais il faut vraiment que cela vienne vite.

La troisième chose, ce sont nos engagements à nous. Il s'agit, comme je l'ai dit, d'être plus transparents, d'être auprès des élus dans les collectivités. Comme nous l'avons dit et comme les élus le savent, nous sommes prêts à aller dans les réunions de quartier. Les élus qui ont choisi de confier leur restauration collective à des sociétés spécialisées par choix, en considérant qu'elles exercent tellement de métiers qu'elles ne peuvent pas tous les faire convenablement, n'ont qu'à nous emmener avec eux. Nous sommes là pour expliquer aux parents d'élèves ce que nous faisons et la manière dont nous travaillons. Faisons des journées portes ouvertes dans les cuisines centrales et ouvrons nos frigos. Nous avons vraiment un gros travail de communication et de transparence à faire.

Nous nous y engageons, en tout cas, et nous faisons savoir à nos clients que les cuisines centrales sont visitables et qu'il y a des journées portes ouvertes. Encore une fois, il faut sans doute que nous allions davantage, avec les élus, au contact du consommateur final qui est l'élève, l'enfant et ses parents. En tant que professionnel, on peut aussi aller s'engager directement auprès du consommateur final.

M. le Président - Très bien. Nous vous remercions infiniment de nous avoir apporté un certain nombre de renseignements qui seront utiles pour notre rapport.

M. Damien Verdier - Souhaitez-vous que je vous envoie mon texte en filigrane ?

M. le Président - Il a été pris en sténo et nous devrions l'avoir. Merci beaucoup.

Audition de M. Jean GLAVANY, ministre de l'agriculture et de la pêche

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Mes chers collègues, nous pouvons reprendre nos travaux.

Monsieur le Ministre, merci d'avoir répondu à notre invitation. Je vous rappelle que vous êtes entendu dans le cadre de la commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur les problèmes posés par l'utilisation des farines animales et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs et que, comme vous le savez, ces témoignages doivent se faire après avoir prêté serment. Je vais donc vous rappeler la formule consacrée et vous demander, ainsi qu'à vos collaborateurs, si vous leur passez la parole, de bien vouloir prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Glavany.

M. Jean Glavany - Je le jure. Je vous présente les collaborateurs qui m'entourent : Mme Geslain-Lanéelle, directrice générale de l'alimentation, que vous avez déjà auditionnée, ainsi que Bénédicte Herbinet et Loïc Evain, qui sont tous les deux membres de mon cabinet.

M. le Président - Nous avons eu également la chance de voir Mme Herbinet.

M. Jean Glavany - Quand vous l'avez auditionnée, elle était fonctionnaire des services alors qu'elle est maintenant dans mon cabinet.

M. le Président - Tout est donc changé...

M. Jean Glavany - Quand j'ai vu la qualité de sa déposition devant vous, je me suis dit qu'il fallait absolument l'amener.

M. le Président - Très bien. Je me permets de vous faire prêter serment les uns et les autres.

Mme Geslain-Lanéelle - Je le jure.

Mme Bénédicte Herbinet - Je le jure.

M. Loïc Evain - Je le jure.

M. le Président - Merci. Si vous le permettez, monsieur le Ministre, je vais vous donner la parole pour que, dans un premier temps, vous nous donniez votre opinion et votre position sur ce phénomène, après quoi, avec l'ensemble de nos collègues, nous nous permettrons de vous poser les questions qu'il nous semble important de vous poser.

M. Jean Glavany - Je vous remercie, monsieur le Président. Je suis très heureux d'être là, devant vous, un peu intimidé, même s'il m'est déjà arrivé de présider des commissions d'enquête parlementaires et d'être à votre place. C'est la première fois que je suis de ce côté de la barrière, mais il faut de tout pour forger une expérience. Je suis heureux d'avoir l'occasion de parler devant vous aussi librement que possible d'un sujet qui, à bien des égards, est passionnant et difficile en même temps.

J'ai choisi de le faire en commençant évidemment par la problématique du risque en général et du risque alimentaire en particulier. Je crois que la France avait, de ce point de vue, beaucoup de progrès à faire et qu'elle en a encore beaucoup à faire, mais que ces dernières années ont permis à notre organisation publique de faire des progrès considérables, notamment avec la création de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en 1999, Agence, dont, d'une certaine manière, je voudrais remercier le Sénat, puisque c'est une proposition de loi d'initiative parlementaire, notamment du Sénat, qui en est à l'origine. Elle marque à mon avis un bouleversement extrêmement positif et constructif pour l'approche du problème des risques, en particulier alimentaires.

Dans une démocratie moderne, transparente et qui se veut efficace, il était indispensable de séparer les fonctions d'évaluation et de gestion du risque. L'évaluation du risque relève de la compétence de l'autorité des scientifiques, si possible indépendants, alors que la gestion du risque ne peut relever que des autorités publiques démocratiquement élues et responsables devant le peuple.

Le mélange des genres est dommageable à bien des égards, aussi bien quand les responsables politiques et publics se targuent de pouvoir évaluer le risque mieux que les scientifiques que lorsque des scientifiques veulent sortir de leur rôle pour entrer dans la gestion du risque, ce qui n'est pas forcément meilleur, parce qu'ils ne sont pas responsables, eux, devant le peuple et qu'ils ne sont pas forcément non plus détenteurs de ce sens de l'intérêt général qui doit animer tous ceux qui gèrent la chose publique.

En tout cas, pour avoir vécu cette mise en place, puisque j'ai été nommé ministre à la fin de 1998, alors que l'initiative parlementaire était en pleine gestation, mais aussi parce que l'essentiel des moyens accordés à l'AFSSA sont d'anciens moyens du ministère de l'agriculture et que nous suivons la montée en puissance de l'AFSSA avec les moyens budgétaires du ministère de l'agriculture, je considère que l'AFSSA est l'une des plus belles réussites de création d'agences ou de nouvelles entités administratives depuis ces dix ou vingt dernières années.

J'ajoute même que, lorsque, après un an et demi à peine, on fait le bilan de son action, on est assez émerveillé de la place qu'elle a prise dans le dispositif d'évaluation des risques, de sa respectabilité et de son indépendance. Pour une entité administrative aussi neuve et aussi jeune, la réussite est assez exemplaire.

En tout cas, je veux dire ici que, maintenant qu'on s'appuie sur ce dialogue public entre les gestionnaires du risque que sont les gouvernements, le gouvernement français en l'occurrence, et les évaluateurs du risque que représente l'AFSSA, j'imagine bien ce que cela devait être avant, quand on avait une espèce de confusion des genres et un manque de visibilité entre l'évaluation et la gestion.

J'ajoute, pour finir sur ce point, que ce que nous avons réussi à faire dans notre pays, il est indispensable de le faire maintenant au plan européen. La nécessaire mise en place de l'Autorité alimentaire européenne, qui est une proposition faite par la France, me paraît plus que jamais urgente parce que, là aussi, il y a eu et il y a toujours des dysfonctionnements au niveau européen --j'en dirai un mot tout à l'heure-- entre l'évaluation et la gestion du risque. Là aussi, nous avons besoin d'une autorité indépendante qui puisse animer le débat entre les autorités nationales, éclaircir un certain nombre d'évaluations et conseiller les gestionnaires des risques au niveau européen.

C'était mon premier point.

Le deuxième, c'est que, dans cette gestion du risque, j'ai souhaité moi-même, quand je suis devenu ministre, procéder à une réforme de l'administration, et en particulier de la Direction générale de l'alimentation, qui m'était apparue comme héritant d'une sorte de vice constitutif, dans la mesure où la Direction générale de l'alimentation exerçait la tutelle des industries agro-alimentaires et, en même temps, assurait les tâches de sécurité alimentaire, notamment la gestion des services vétérinaires et toutes les tâches de contrôle de ces industries agro-alimentaires.

J'ai considéré que le procès qui pouvait être fait, et qui était d'ailleurs fait ça et là, à la Direction générale de l'alimentation d'être juge et partie vis-à-vis des industries agro-alimentaires devait nous amener à la réformer. J'ai donc transféré la tutelle des industries agro-alimentaires à la Direction de la production, la DPEI, de sorte que la Direction générale de l'alimentation, dont la directrice générale est à mes côtés, est devenue la Direction de la sécurité alimentaire à part entière.

C'était une sorte de gageure ou de révolution culturelle, je dois le dire, parce que, y compris pour les fonctionnaires de cette administration, cela n'allait pas de soi. J'ai souhaité que ce ministère, trop souvent perçu comme le ministère des agriculteurs, des producteurs, devienne aussi à part entière le ministère de la sécurité alimentaire. J'ai donné des consignes extrêmement rigoureuses en ce sens parce que je pensais que c'était à la fois une nécessité de la société moderne et une attente de l'opinion et surtout, pour tout vous dire, que si nous ne le faisions pas, d'autres le feraient à notre place et que cette direction serait peu ou prou rayée de la carte, puisque telle était l'attente centrale que l'opinion affichait ou exprimait à l'égard de l'administration en matière d'alimentation.

Je l'ai fait et, en même temps --j'en dirai aussi un mot plus tard--, j'ai souhaité qu'avec les autres ministres en charge de ces problèmes, nous franchissions un cap dans la fluidité, la transparence et l'harmonie du travail interministériel en matière de sécurité alimentaire.

Traditionnellement, les territoires de sécurité alimentaire sont traités par trois ministères : le ministère de l'économie et des finances, avec l'administration de la consommation, la DGCCRF, le ministère chargé de la santé, par le biais de la Direction générale de la santé, et le ministère de l'agriculture et de la pêche, à travers la Direction générale de l'alimentation.

Reconnaissons que des décennies de travail de ces trois directions ont été émaillées de bien des rivalités, de bien des difficultés, de bien des heurts et de bien des incidents. Nous avons donc pensé, depuis la réforme de la Direction générale de l'alimentation, qu'il fallait forcer le pas sur l'interministérialité et qu'au fond, loin d'être un handicap, cette interministérialité touchant les consommateurs, la santé et la Direction générale de l'alimentation pouvait être une chance à condition qu'on arrive à harmoniser totalement les travaux de ces trois directions.

C'est ce que, peu ou prou, nous sommes en train de réussir. Cela n'a pas été simple compte tenu des histoires de ces trois administrations. Je n'en dirai pas plus car vous connaissez ces histoires, qui sont traditionnelles, avec leur autonomie, leurs identités et leurs histoires propres, mais nous sommes en train de réussir cela, les trois directeurs généraux apprenant à travailler ensemble sur la base d'une régularité de rencontres et de protocoles de communication communs. Nous avons essayé de forcer le pas à toute cette interministérialité et nous sommes même en train de réussir la mise en place des pôles de compétence de sécurité alimentaire dans des départements, auprès des préfets, ceux-ci ayant reçu une circulaire des trois ministres concernés, plus le ministre de l'intérieur, il y a un an et demi, les incitant à mettre en place, au plan départemental, des pôles de sécurité alimentaire réunissant les services vétérinaires, les services de la DGCCRF et les DDASS pour les forcer à travailler ensemble et nommant un animateur de ces pôles de compétence. Dans un certain nombre de préfectures, ce sont les DSV, dans d'autres, ce sont les DDASS, dans d'autres encore, ce sont les directeurs départementaux de la concurrence.

Cela marche bien et, en cas de crise, cela permet de faire face de manière commune, harmonieuse et efficace, sur le terrain. Aujourd'hui, plus d'une vingtaine de départements ont mis en place ces pôles de compétence et une autre vingtaine sont en train de se mettre en place. Nous aurons ainsi une quarantaine de pôles de compétence d'ici la fin de l'année.

Le troisième point que je voulais évoquer avec vous, après avoir parlé de cette problématique du risque et du positionnement de l'administration que j'ai l'honneur de diriger, concerne le problème des farines animales, qui vous préoccupe, en essayant d'aller droit au but sur ce qui m'est apparu être le déficit d'Europe dont je parlais tout à l'heure.

À partir du moment où on a interdit, en 1990, les farines animales pour les bovins, toute la problématique de la gestion des farines animales a tourné autour des matériaux à risques spécifiés (MRS). Il s'agissait de savoir si, bien qu'on les ait interdites pour les bovins, puisqu'elles restaient autorisées pour les porcs, les volailles et les autres bétails, on arrivait à les sécuriser non seulement par les conditions de cuisson que vous connaissez comme moi (133 degrés pendant 20 minutes et à 3 bars de pression), mais aussi en en retirant tous les matériaux à risques spécifiés.

D'où les décisions qui ont été prises en 1996 et auxquelles je rends toujours hommage. Je pense en effet qu'Alain Juppé et Philippe Vasseur, à l'époque, ont pris des décisions courageuses qui sont la base même du dispositif de sécurité que nous avons mis en place. Je ne sais pas si c'est à 80, 85 ou 90 % que le dispositif a été arrêté à cette époque ; ensuite, nous avons sophistiqué les choses, mais les dispositions ont été prises à ce moment-là.

D'où les dispositions qui ont été prises en France en 1996, mais aussi d'où les difficultés que nous n'avons cessé de connaître depuis.

Nous avons continué à connaître ces difficultés tout simplement parce que, jusqu'à l'automne dernier, certains pays que vous connaissez comme moi, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et même le Danemark jusqu'à l'année dernière (il a viré six mois avant les autres), considérant qu'il n'y avait pas d'ESB chez eux, au nom d'une certaine forme --je ne sais pas comment le dire-- d'aveuglement, d'autisme ou de surdité, estimaient qu'il n'y avait donc pas de prion. Ces pays disaient : "circulez, il n'y a rien à voir, vous nous embêtez avec tout ce que vous nous proposez !", alors que, d'évidence, ils ne pouvaient pas ne pas en avoir, tout simplement parce qu'on leur disait quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement, à chaque fois qu'on les rencontrait à Bruxelles : "vous ne pouvez pas ne pas en avoir puisque vous avez importé des farines animales anglaises entre 1985 et 1995, comme nous, dans cette période où elles étaient contaminées et dangereuses".

Simplement, ils ne voulaient pas regarder les choses en face et ils s'opposaient donc à toute mesure européenne de restriction ou de sécurisation de la fabrication des farines animales.

D'où cette attitude qui est finalement parmi les plus choquantes et sur laquelle je pense que les historiens, et peut-être même les juristes ou les juges, devront s'interroger un jour : certains pays ont continué à mettre non seulement des matériaux à risques spécifiées mais des cadavres d'animaux dans les farines animales pour nourrir leur bétail jusqu'à il y a encore quelques mois ! Devant nos protestations, nous étions face à des murs d'obstination et de refus de toute évolution sur le sujet.

Pour moi, c'est un problème central.

Il aura fallu que se produise cette espèce de miracle et cette concordance des temps étonnante, au moment de la crise de l'ESB, en novembre et décembre derniers, entre deux Conseils de l'agriculture, dont l'un s'était très mal passé, avec une crise larvée, et le suivant s'était mieux passé. Ce miracle, c'étaient les cas d'ESB qui s'étaient déclarés en Allemagne et en Espagne, bousculant tout sur leur passage et permettant, au mois de décembre, que toutes les propositions soient adoptées, non seulement l'interdiction des farines animales, l'allongement et l'harmonisation de la liste des matériaux à risques spécifiés, mais aussi la mise en place des tests systématiques.

Il aura fallu des années, de 1996 à fin 2000, pour que cette évidence que représentait le danger des MRS dans l'alimentation animale et dans les farines qui continuaient à être distribuées aux porcs et aux volailles soit enfin admise par les pays qui gardaient se pouvoir de blocage et nous empêchaient d'harmoniser le dispositif sur le plan européen.

L'Europe, à cet égard, a montré des défaillances évidentes qui, en matière de gestion du risque, doivent nous amener à nous poser des questions et, surtout, à trouver des solutions.

J'en viens au quatrième point de mon exposé quant à l'interdiction elle-même des farines animales en France. En Europe, il s'agit d'une suspension pour six mois, mais je dis tout de suite à votre commission d'enquête, comme je l'ai dit devant le Conseil européen, que je ne crois pas qu'une disposition de ce type puisse marquer quelque retour en arrière que ce soit. A partir du moment où nous avons pris ce pli de l'interdiction, je ne vois pas le Conseil européen ou quelque gouvernement que ce soit retourner devant son opinion en disant : "compte tenu de tout ce que nous savons depuis, nous allons nous permettre de les réutiliser". Je crois que la page est tournée et bien tournée. Tant mieux.

Cela dit, je voudrais distinguer deux choses : tout d'abord l'évaluation du risque par les scientifiques et, ensuite, la gestion de ce risque par les politiques.

En l'occurrence, vous aurez noté que l'actualité politique, nationale et européenne nous aura amené à prendre la décision de l'interdiction des farines animales avant l'avis des scientifiques, qui était demandé à l'AFSSA à la fin du mois de novembre et que nous aurons peut-être la semaine prochaine, quand les scientifiques auront terminé leur travail. Peut-être pourrez-vous vous nourrir de cet avis vous-mêmes pour le rapport de la commission d'enquête.

D'une certaine manière, je pourrais presque vous dire mon intuition de ce que sera cet avis. Je ne dis pas que je suis un scientifique et que je peux me mettre à leur place, car je ferai ainsi une faute par rapport à ce que j'ai dit tout à l'heure, mais je pense que les scientifiques nous diront quelque chose du genre : "si vous pouviez nous donner des garanties absolues sur les conditions de fabrication de ces farines, sur la sécurisation des filières, sur l'hermétisme les lignes de production et de transport et si vous pouvez nous donner des garanties absolues sur le fait qu'il n'y a pas d'alimentation croisée, y compris dans les exploitations mixtes, celles qui ont à la fois des bovins, des porcs ou des volailles, si vous pouvez nous donner, sur tous ce points, des garanties, y compris sur les conditions de fabrication (sur les 133 degrés, 20 minutes et 3 bars dont on parlait tout à l'heure) et sur le retrait absolu de tous les MRS, si vous pouvez nous garantir tout cela, alors il n'est pas nécessaire d'interdire les farines animales. Mais comme nous subodorons que vous ne pouvez pas nous donner ces garanties et que, d'une certaine manière, aucun gouvernement ne pourrait jamais donner des garanties absolues qu'il n'y a pas de fraude, de légèreté ou quoi que ce soit, la décision d'interdiction ne manque pas de sagesse".

Je respecte l'indépendance des scientifiques et nous verrons si c'est ce qu'ils disent, mais cela ne devrait pas être très différent.

Nous avons donc été amenés, pour des raisons que vous connaissez bien et que je n'ai pas tellement envie de commenter, parce que cela n'apporte rien, à les interdire d'abord en France et, aussitôt après, au niveau européen.

Je vais vous dire pourquoi j'ai plaidé dans ce sens et vous rappeler que j'ai été le premier ministre de l'agriculture, en Europe, à dire qu'il faudrait interdire les farines animales. Je l'ai fait quelques semaines après ma nomination, à la fin de 1998, dans un Conseil de l'agriculture au niveau européen.

Je l'ai fait d'abord pour des raisons européennes, en dénonçant la faiblesse que j'indiquais tout à l'heure. Je l'ai fait en disant très clairement que, puisque certains pays ne veulent pas harmoniser les conditions de fabrication des graisses animales et ne veulent pas entendre raison, tôt ou tard, nous serions amenés à interdire ces farines.

J'avais retiré cette conviction d'une conversation que j'avais eue avec un certain nombre de scientifiques, notamment avec le professeur Dormont, qui me disait que la faille du dispositif en matière de farines animales était européenne, avec cette possibilité d'harmoniser les conditions de fabrication. Il m'avait dit : "si vous n'obtenez pas cette harmonisation, tôt ou tard, les scientifiques français vont vous demander de prendre une décision d'interdiction parce que la faiblesse se trouve là".

Très vite, entre fin 1998 et fin 1999, je me suis engagé dans cette voie en fixant l'objectif d'une interdiction, avant tout pour des raisons européennes.

Je l'ai fait aussi pour des raisons d'ordre pratique, je dirai presque pragmatique, en pensant à la charge de travail et aux missions des services du ministère, en particulier ceux de la Direction générale de l'alimentation et des Directions départementales des services vétérinaires.

En effet, la sécurisation des filières de fabrication et tout ce que je citais tout à l'heure, c'est-à-dire "l'hermétisation", si je puis dire, des lignes de fabrication et de transport, la vérification des conditions de cuisson et du retrait effectif des MRS ainsi que la lutte contre les alimentations croisées dans les exploitations, étaient autant d'éléments qui imposaient des tâches de contrôle tellement importantes que je me suis vite fait l'idée qu'au fond, le plus simple était de décharger l'administration de ces tâches en interdisant purement et simplement les farines animales.

Je me suis dit que le jour où je les interdisais, je libérais l'administration d'un gros problème, sachant qu'elle a bien d'autres tâches au moins aussi utiles à faire. J'ai trouvé que, sur le plan pragmatique, il était plus utile d'aller dans ce sens.

Je l'ai fait aussi pour des raisons que je qualifierai de politiques --c'est d'ailleurs ce qui a mené à la décision politique qui a été prise--, parce que l'opinion avait focalisé son attention sur les farines animales. On a vu à quel point le débat était devenu public sur le sujet. Au fond, je sentais depuis longtemps qu'il fallait en finir avec ce feuilleton douloureux des farines animales en disant : "basta ! C'est fini, il n'y a plus de farines".

L'opinion nous a amenés à le faire, y compris, reconnaissons-le et soyons francs, avec cette forme d'irrationalité dont elle est capable. Je vous renvoie à la crise de la filière bovine du mois de novembre, cette deuxième crise de l'ESB que vous connaissez. On a vu l'opinion, dans son irrationalité, dire que, premièrement, il fallait absolument interdire les farines animales (les sondages le montraient de manière massive), que, deuxièmement, elle consommait beaucoup moins de viande bovine (la chute de la consommation de viande bovine a atteint presque 50 % au pire de la crise), alors que les bovins n'étaient plus du tout produits avec des farines animales depuis 1990, et que, troisièmement, elle transférait sa consommation sur les porcs ou les volailles alors qu'ils étaient encore nourris avec des farines animales.

Il y a donc une forme d'irrationalité. L'opinion est comme cela. Il faut la prendre comme elle est et gérer cette irrationalité comme une donnée de la difficulté de notre tâche.

J'ai un dernier point sur lequel je souhaite insister. Je pense que l'on a bien fait de prendre cette décision à la fois au plan national et au plan européen et que l'on a clos ainsi un feuilleton qui a été difficile et douloureux et qui a duré trop longtemps, mais il reste --c'est ma responsabilité de le dire ici comme je l'ai dit devant le Conseil des ministres du gouvernement français ainsi que devant le Conseil des ministres de l'agriculture-- que c'était simple à dire mais, en même temps, très difficile à faire.

On a mis, en France, quelques semaines à étudier ce dispositif et reconnaissons que, alors qu'on nous a accusés de tarder, même quand on l'a fait, on a été encore très vite. C'est le débat politique. Cependant, nous n'étions pas encore tout à fait prêt --reconnaissons-le pour la filière elle-même (avec les entreprises, on a frisé la correctionnelle du point de vue de leur équilibre économique) mais, surtout, pour le problème considérable que posait le stockage de ces montagnes de farine qu'il fallait gérer.

De ce point de vue, je tiens vraiment à rendre hommage au préfet Proust pour le travail effectué par sa mission. Il quitte aujourd'hui sa mission pour devenir préfet de police de Paris, ce qui est une juste récompense de la qualité du travail qu'il a exercé au moins pendant ces six derniers mois, sachant qu'il a d'autres titres qui méritent cette récompense. Le travail qu'il a fait avec son équipe a été remarquable. En effet, improviser dans l'urgence une quinzaine de sites de stockage sécurisés, se mettre en disposition de stocker cette année, à la fin de 2001, près de 400 000 tonnes de farines animales et, à la fin de 2002, près de 600 000 tonnes avant que le dispositif mis en place permette de résorber le stock, de repartir à la baisse et de lancer des appels d'offres et des contrats pour l'incinération de ces sites, le tout dans des conditions d'urgence et de sécurité écologique et environnementale maximum, est une véritable prouesse.

Je tiens à dire ici que ce travail qui a été fait par cette équipe limitée mais très efficace a été remarquablement bien fait et que nous avons ainsi pu étaler la difficulté sans grand drame, même si je sais que, ça et là, il reste quelques tensions locales que je ne veux pas minimiser... Je vois certains d'entre vous grimacer, mais mettez-vous, quelques mois en arrière, devant la difficulté de la tâche. Si on m'avait dit à l'époque que, venant ici devant vous au mois de mars, je dirais que les choses se sont bien passées, j'aurais signé tout de suite, même avec ces difficultés. C'était un problème considérable et la capacité que nous avons eue, grâce à cette équipe interministérielle, de faire face à ce dossier est globalement très satisfaisante.

Voilà l'exposé que je voulais faire de manière liminaire. J'ai sûrement oublié beaucoup de choses, surtout compte tenu de vos connaissances du dossier, mais je vais essayer de me rattraper en répondant à vos questions.

M. le Président - Merci, monsieur le Ministre. Vous nous avez rappelé au début de votre propos que vous aviez réorganisé l'ensemble des services, pensant en cela, sans doute avec juste raison, que le cloisonnement pouvait engendrer des difficultés dans les prises de décision. Avez-vous le sentiment qu'auparavant, le fait que ces services soient séparés et non pas coordonnés ait pu entraîner, par exemple dans le cas de la crise de l'ESB, des retards de prise de décision à une époque où des décisions n'ont peut-être pas été prises de façon suffisamment ferme pour éviter quelques propagations ?

M. Jean Glavany - Je ne peux vraiment parler que de ce que je connais et donc de ce que j'ai vécu. Dans tout ce que j'ai eu à connaître depuis que je suis ministre de l'agriculture et de la pêche, je n'ai pas le souvenir de cas spécifiques, de retards ou d'incidents particuliers. Ce que je sais, c'est que j'ai vécu, dans les premiers mois du ministère, avec les autres ministres qui sont en charge de ces problèmes, qui ont d'ailleurs changé les uns et les autres à plusieurs reprises, les restes ou les suites de dysfonctionnements interministériels qui n'avaient pas lieu d'être.

J'ai toujours dit, et je le répète ici devant vous, qu'avant d'être fonctionnaire d'une direction, on est fonctionnaire de l'Etat et qu'il ne peut pas y avoir de concurrence entre les administrations, surtout quand on traite un problème de sécurité et de santé publique.

Trop longtemps, ces administrations ont vécu une sorte de concurrence que je n'hésite pas à qualifier de malsaine et je suis--je le dis en pesant mes mots--assez fier du travail que l'on a fait pour forcer le passage de l'interministérialité, qui est beaucoup plus harmonieuse maintenant.

M. le Président - Merci. Je passe la parole au rapporteur, M. Bizet.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions à vous poser, dont la première concerne les farines, mais vous y avez déjà en partie répondu. Je note, comme vous l'avez souligné, que l'interdiction totale des farines fait l'objet aujourd'hui d'un moratoire qui prendra fin dans quelques semaines et que la position que vous semblez prendre aujourd'hui, qui est très rationnelle et médiatiquement incontournable et qui consiste à continuer à les interdire pour l'ensemble des animaux d'élevage ne semble pas correspondre, malheureusement, à l'approche que le commissaire européen, David Byrne, a présentée lorsque nous l'avons rencontré à Bruxelles, il y a quelques semaines.

Cela veut-il dire que, lorsque la question sera posée lors d'un prochain Conseil agricole européen, vous aurez une position très ferme au nom de la France ?

M. Jean Glavany - Bien sûr. Je ne suis pas inquiet, pour tout vous dire, monsieur le Rapporteur. En effet, la position que je viens d'exprimer devant vous et que j'ai exprimée devant le Conseil de l'agriculture est quasi unanimement partagée. Il ne reste qu'un ou deux pays qui, dans leur rationalité protestante anglo-saxonne, se demandent pourquoi on ne pourrait pas y revenir si on prouve que ce n'est vraiment pas dangereux, mais une immense majorité a une position inverse dans le Conseil de l'agriculture.

Je sais que David Byrne est plus prudent et je le regrette, mais c'est le Conseil qui décidera.

M. le Rapporteur - En termes d'image, je pense qu'il est impensable que l'on puisse revenir en arrière, même si, scientifiquement, pour les porcs et les volailles, cela pourrait s'appréhender correctement. Ce n'est pas vendable.

M. Jean Glavany - Je le pense aussi.

M. le Rapporteur - Ma deuxième série de questions sur les farines a trait au laps de temps, que vous avez également souligné (a posteriori, on trouve que cela a été long, mais vous avez aussi souligné l'excellent travail qu'a fait le préfet Proust), qui s'est écoulé entre 1997 et la date d'interdiction totale des farines, c'est-à-dire novembre 2000, alors que vous dites que les services de votre ministère --vous n'étiez pas encore en place-- étaient au courant, à partir de la fin 1997, d'une contamination croisée qui était inévitable en matière de farines. Pourquoi ce laps de temps aussi long ?

J'ai une deuxième question, toujours en ce qui concerne les farines. Pourquoi, dans ce laps de temps qui nous paraît a posteriori assez long entre la directive européenne fixant les conditions d'attribution des farines, les fameuses trois règles que vous connaissez (température, pression et temps de cuisson), et sa transcription dans le droit national qui a eu lieu en février 1998, c'est-à-dire quasiment 18 mois après, ce process --on le sait aussi-- n'est-il pas parfait à 100 % ?

Ce laps de temps, sur ces deux points --je le dis toujours avec précaution--, a posteriori, nous semble assez long.

M. Jean Glavany - L'hypothèse des contaminations croisées n'est pas une hypothèse des services mais des scientifiques, c'est-à-dire du Comité Dormont et de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Elle ne mettait en rien en cause le dispositif tel qu'il était arrêté parce qu'elle portait sur un dispositif datant d'avant 1996. Il faut bien le comprendre.

Nous sommes dans une situation où nous gérons un risque qui est incertain et toujours décalé. Le risque de l'ESB est incertain, à l'inverse de la fièvre aphteuse, qui n'est ni un problème de santé publique ni même, quasiment, un problème de santé animale et qui n'est qu'un problème économique. C'est surtout un problème bien maîtrisé : il s'agit d'un virus que l'on connaît et que l'on sait traiter.

Avec l'ESB, on gère une incertitude, et je vous assure que, dans la gestion des risques, c'est une difficulté majeure, ne serait-ce que parce que nous sommes obligés d'adapter en permanence le dispositif à l'évolution de la connaissance scientifique, qui a encore de considérables zones d'ombre sur l'ESB, et que la succession de décisions que nous sommes amenés à prendre pour tenir compte de l'évolution de la connaissance scientifique désoriente l'opinion. Elle a le sentiment qu'on en rajoute et qu'à chaque fois, on recommence tout à zéro.

C'est donc une difficulté majeure, mais nous avions aussi des points de repère. Dans ces points de repère, l'année 1996 est essentielle. Je vous ai dit ma conviction de quelqu'un qui a passé quelques dizaines ou centaines d'heures sur ces dossiers : le coeur du dispositif de sécurisation vis-à-vis de l'ESB, c'est 1996, avec à la fois le retrait des MRS et ces conditions de fabrication des farines.

Or les alimentations croisées portent sur des événements entre 1990 et 1996. Ce sont des alimentations croisées dans des élevages ou des exploitations après interdiction, d'où l'expression "NAIF" ("né après l'interdiction des farines"), c'est-à-dire après 1990 mais avant 1996, c'est-à-dire avant la sécurisation sur les farines animales. Ce sont donc des bovins qui, bien que ne s'alimentant plus avec des farines animales depuis 1990, pouvaient être nourris avec des farines animales destinées aux porcs ou aux volailles entre 1990 et 1996 alors que ces farines n'étaient pas encore totalement sécurisées. La difficulté est là.

Le fait de donner cette explication sans en tirer de conséquences n'était en rien dommageable, puisque les conséquences avaient été prises en 1996. Simplement, l'effet de ces conséquences tirées en 1996 intervient cinq ans après l'incubation moyenne, après 2001.

Il est donc normal, compte tenu de cette connaissance scientifique --et je le dis avec prudence-- que nous ayons eu une croissance (d'ailleurs, les scientifiques l'ont toujours dit) du nombre de cas NAIF jusqu'en 2001. Théoriquement, nous sommes dans la dernière année de montée de la courbe. Les décisions de 1996 produisant leurs effets, nous devrions avoir une baisse à la fin de cette année et l'année prochaine et, très sincèrement, je n'ai pas de raison de ne pas le croire à ce stade.

Donc le fait que nous fassions l'hypothèse que les cas d'ESB qui étaient révélés étaient des cas NAIF avec des alimentations croisées, qui était l'hypothèse la plus scientifiquement vraisemblable, ne changeait en rien le dispositif, puisque les conséquences avaient été tirées en 1996. Suis-je assez clair ?

M. le Rapporteur - Oui.

M. Jean Bernard - Monsieur le Ministre, vous avez parlé du problème des stockages et vous avez rendu hommage au préfet Proust, qui fait effectivement preuve d'une pugnacité et d'un engagement formidables. Cependant, je suis au coeur du problème dans mon département parce que, à 300 mètres d'un village, on va entreposer 50 000 tonnes de farines. Il y a des peurs irrationnelles, dont vous avez parlé et vous avez raison, mais il y a aussi des résistances.

M. Jean Glavany - Dans quel département êtes-vous ?

M. Jean Bernard - La Marne. On mobilise l'opinion publique pour moins que cela et vous le savez.

Cela dit, dans notre secteur, des espaces militaires extrêmement importants sont désactivés depuis la réorganisation de nos forces, avec des locaux immenses, et j'ai donc j'ai interrogé le ministre de la défense, par l'intermédiaire de M. de Villepin, président de la Commission de la défense, pour savoir s'il y avait d'autres possibilités. Je souhaiterais vivement avoir une réponse pour pouvoir informer la population, qui est alarmée par cette affaire, qu'il n'y a pas d'autre possibilité, mais on ne me répond pas. Cela crée une espèce de réticence dans cette commune.

Il y a la proximité des usines Calcia, l'une des plus grandes cimenteries d'Europe, qui brûlent déjà de la farine et il y a donc une opportunité à situer ce stockage dans ce secteur, mais, grand Dieu, qu'on me dise que les militaires n'en veulent pas ou ne peuvent pas les stocker.

M. Jean Glavany - Je ne peux pas vous répondre sur ce point mais je pourrai vous donner des éléments le moment venu. Je peux simplement vous indiquer la manière dont nous avons fonctionné sur le plan méthodologique. Nous avons sollicité le ministère de la défense, qui a fait des propositions à la mission Proust sur un certain nombre de sites qui ont été recensés par les préfets. Je le sais puisque l'un deux a été proposé dans mon département.

Le ministère de la défense a donc fait ses propositions et celles-ci ont ensuite été évaluées par la mission Proust, soit à l'aune d'un certain nombre de critères de protection (ce n'est pas parce que c'est un site de la défense que, pour autant, il est sécurisé), soit en fonction des besoins, c'est-à-dire d'une répartition géographique aussi harmonieuse que possible.

La démarche a été faite. Maintenant, je peux prendre des dispositions pour qu'on vous donne les réponses précises.

M. Jean Bernard - Cela me permettrait de répercuter cela auprès de la population locale.

M. Jean Glavany - Bien entendu. Très sincèrement, si, dans la même zone, il y a un site de la défense et un autre site civil qui a été préféré, c'est sûrement que, soit le site de la défense n'était pas disponible compte tenu des besoins des forces armées, soit, s'il l'était, qu'il ne répondait pas aux critères de la mission Proust. C'est une réponse que je fais a priori et que je vais faire vérifier pour vous apporter la réponse.

M. Jean Bernard - J'y serai très intéressé. Merci.

M. Gérard César - Monsieur le Ministre, nous avons vu tout le secteur des farines animales, mais la question que je veux vous poser concerne les éleveurs eux-mêmes. Où en êtes-vous par rapport aux indemnités et aux problèmes qui entraînent le surcoût lié au fait que l'on doit garder les animaux beaucoup plus longtemps à la ferme ? Les agriculteurs, dans certaines régions, ont aujourd'hui des problèmes de fourrage et aussi de surcoût.

Tant que j'y suis, je vais vous poser une autre question, avec votre autorisation, monsieur le Président, concernant la substitution des farines animales par les protéines végétales et sur la position que vous pouvez avoir au niveau du Conseil de l'agriculture européen, en particulier, par rapport à la PAC et aux accords de Berlin. C'est un problème qui nous est posé aujourd'hui au sujet des aides qui pourraient intervenir de la part de Bruxelles.

Enfin, sachant que cela pourra être fait, avec l'autorisation du président, en fin d'audition, je souhaiterais que vous nous fassiez un point sur le problème de la fièvre aphteuse, ce dossier douloureux entre tous.

Voilà quelques questions très précises, monsieur le Ministre.

M. Jean Glavany - Sur le premier point, dans la gestion de la crise de l'ESB, nous avons deux grands volets : le volet sanitaire et le volet économique.

Je dirai ici non pas que le volet sanitaire est réglé mais que l'on est au mieux de ce que nous pouvons faire. Avec l'interdiction des farines, avec l'allongement de la liste des MRS et son harmonisation au plan européen et avec la mise en oeuvre des tests systématiques sur les bovins de plus de trente mois depuis le début du mois de janvier, je pense que nous avons un dispositif qui, du point de vue de la sécurité sanitaire de la filière bovine, est bon. Il était temps. On a mis du temps et on a beaucoup traîné, mais on y est et je ne peux que m'en féliciter. Ce dispositif ne devrait plus beaucoup bouger, sauf découverte particulière des scientifiques.

Il est possible que la première décision sera d'abaisser l'âge des bovins pour les tests, en passant de 30 à 24 mois dans quelques semaines ou quelques mois, mais cela ne va pas changer l'essence du dispositif.

Par ailleurs, il y a le traitement économique. A ce sujet, je veux distinguer deux choses : les éleveurs touchés par l'ESB et la crise économique.

Pour ce qui est des éleveurs, il y a deux éléments : le problème de l'abattage total du troupeau et le problème de l'indemnisation.

Nous n'avons pas de problème d'indemnisation. Nous avons choisi, il y a plusieurs années --cela a été fait par un gouvernement précédent--, de bien indemniser les éleveurs au-dessus de la valeur du marché pour les inciter à ne pas cacher la maladie, pour qu'ils sachent que, s'ils ont un cas d'ESB, ils vont avoir une bonne indemnisation. Il n'y a donc pas de problème d'indemnisation pour ces éleveurs.

En revanche, il y a un problème d'abattage total des troupeaux qui provoque, reconnaissons-le, un traumatisme croissant et une difficulté croissante pour les services vétérinaires à faire appliquer la mesure. Comme je l'ai dit publiquement, ainsi que devant le Sénat et l'Assemblée nationale : dès que je peux revenir à un abattage sélectif, je le ferai tout de suite. D'abord, ce sera économique pour les deniers de l'Etat et, ensuite, cela fera une charge de travail moins importante pour les services vétérinaires.

Simplement, je pense qu'il faut le faire avec un signal à l'opinion qui soit positif, c'est-à-dire avec un prétexte. Si je prends cette décision aujourd'hui, en pleine défiance à l'égard de la consommation de la viande bovine, je pense que l'opinion serait désorientée. Il faut donc que j'aie l'occasion de le faire.

Evidemment, j'interroge l'AFSSA et je la presse de me dire s'il n'y a pas des données nouvelles qui nous permettent de ne faire qu'un abattage sélectif. En particulier, je lui demande si le test systématique sur les bovins de plus de 30 mois ne nous donne pas l'occasion de lever un peu le dispositif. J'espère avoir, en avril, mai ou juin, un avis de l'AFSSA qui nous permettra d'aller dans ce sens.

Les scientifiques de l'AFSSA, à vrai dire, se fondent moins sur le dispositif de mise en place des tests systématiques que sur des études épidémiologiques, c'est-à-dire qu'ils font des tests sur les animaux à risques et sur tous les troupeaux abattus et qu'ils se font une idée épidémiologique pour voir si, effectivement, l'abattage sélectif ne présente aucun danger. Ils veulent que leurs séries statistiques soient suffisamment nourries pour que leur avis soit éclairé.

Par ailleurs, il y a la crise économique, dont il faut bien mesurer le poids dans la mesure où, aujourd'hui encore, quatre mois après, même si la consommation a quelque peu repris, le niveau de consommation de viande bovine se situe entre - 20 et - 25 % en ce qui concerne la consommation des ménages, - 40 % pour ce qui concerne la restauration collective (beaucoup de collectivités locales n'ont toujours pas rétabli la consommation de viande bovine dans leurs cantines) et entre - 90 % et - 100 % pour l'exportation, puisque la fièvre aphteuse nous a mis un verrou supplémentaire.

Nous sommes donc dans une situation de sous-consommation considérable qui provoque évidemment cette surproduction. Autrement dit, nous avons des problèmes à la fois physiques et financiers.

Le problème physique, c'est que cette surproduction fait que l'amont de la filière, dans les exploitations, garde des bêtes qui s'engraissent et qui représentent un poids et un surcoût considérables pour les éleveurs. Il nous faut absolument purger cet amont. Si nous ne trouvons pas les moyens de le faire, nous ne retrouverons pas les équilibres de marché qui, eux seuls, seront le signe de la sortie de crise en termes économiques.

L'abattage destruction a été mis en place. Cependant, aujourd'hui, sur quinze pays en Europe, quatre ou cinq le font, dont seulement deux le font sérieusement : l'Irlande et la France. Tous les autres pays répugnent à le faire parce qu'ils nous expliquent, de manière tout à fait convaincante, que cela pose des problèmes à leur opinion que de détruire des bêtes. Moi aussi, cela me pose des problèmes, de même qu'à l'opinion française et, surtout, aux éleveurs français qui doivent envoyer leurs bêtes à la destruction alors qu'ils ont mis des années à produire de la qualité. C'est évidemment un crève-coeur et un déchirement. Simplement, si on ne le fait pas, on va traîner cette crise pendant des mois.

La problématique qui nous est posée est donc de convaincre l'Union européenne de passer à la vitesse supérieure pour purger cet amont que nous n'arrivons pas à purger, loin de là. C'est un problème fondamental.

Le deuxième problème est économique et financier. Nous avons effectivement des éleveurs, quoique de manière inégalitaire, qui sont dans une situation économique et financière déplorable, sachant que la crise de la fièvre aphteuse rajoute là-dessus une difficulté considérable.

Nous avons mis en place un plan de 1,400 milliard de francs d'aides directes pour les éleveurs, que j'ai annoncé il y a environ un mois. Les enveloppes départementales ont été définies et elles sont dans les départements. Elles ont été débattues ou sont en train de l'être devant les CDOA, parce que j'ai fixé des critères nationaux mais laissé des marges d'appréciation pour tenir compte des réalités départementales ou locales.

Maintenant, il faut que les éleveurs déposent leurs dossiers, le plus vite étant le mieux. Je suis en train de prendre des mesures pour que cela aille le plus vite possible. Je souhaite que, lorsqu'on a donné la date limite de fin avril pour le dépôt des dossiers, on puisse faire remonter cela au 15 avril si possible et que, pour instruire ces dossiers et pour aller plus vite, on verse les crédits de telle sorte que, fin avril ou début mai, les premières avances arrivent, même si on régularise après, parce que je pense qu'il y a urgence et que cette solidarité doit se traduire le plus vite possible. En tout cas, je suis très préoccupé par cette urgence.

La deuxième grande question que vous me posiez concerne la substitution végétale des farines animales et les plans protéines.

Je suis très choqué de la manière dont la Commission a pris le problème. Dans un premier temps, elle a arrêté une "mesurette" sur le bio et les oléoprotéagineux ou les protéagineux bio sur la jachère, une mesure qui n'est pas mauvaise en soi mais qui n'est pas du tout à la hauteur du problème, en nous promettant, pour le dernier Conseil de l'agriculture, un plan digne d'intérêt parce qu'elle reconnaissait que cette mesure n'était qu'une mesurette, sachant qu'in fine, le dernier Conseil de l'agriculture nous a dit : "on a bien tout compté : cela n'a pas de sens de faire un plan protéines ; mieux vaut importer".

Pourquoi est-ce choquant ? Parce que, pour moi c'est la négation de la Politique agricole commune. On dit : "on est dans une telle situation qu'il vaut mieux acheter à l'extérieur". C'est l'absence totale de volontarisme, de régulation, de solidarité et d'action.

Le gouvernement français ne peut pas se satisfaire de cette situation et de cette proposition ; il l'a fait savoir et le refera savoir avec force.

Reconnaissons honnêtement que nous sommes devant une difficulté majeure : le fait que les caisses de l'Europe agricole sont vides, notamment du fait de la crise bovine, et que, pour faire un plan protéines, il faut trouver des incitations à l'hectare dignes de ce nom. Or il est difficile de le faire sans moyens financiers nouveaux. C'est donc un peu la quadrature du cercle.

Votre troisième question concerne la fièvre aphteuse...

M. Gérard César - ...qui nous intéresse tous.

M. Jean Glavany - Evidemment, j'ai scrupule à en parler devant votre commission d'enquête, mais évidemment, je vais m'y prêter de bonne grâce...

M. le Président - Vous comprenez bien que cela intéresse tout le monde.

M. Jean Glavany - J'avais l'intention de venir demain après-midi, mais je crains que le fait que nous en parlions ce soir ne me dispense pas de venir demain... (rires.)

M. le Président - Je le pense aussi.

M. Jean Glavany - Sinon, je vous aurais demandé l'autorisation.

J'ai donc des scrupules à en parler ici parce que je pense que nous avons vraiment tous intérêt à ne pas faire d'amalgame entre l'ESB et la fièvre aphteuse. L'ESB est un problème de santé publique incertain et difficile alors que la fièvre aphteuse n'est vraiment pas un problème de santé publique. Moi aussi, je suis très irrité et choqué de la multiplication de ces images télévisées qui, en montrant ces charniers et ces bûchers, participent du traumatisme de la campagne anti-viande, avec des effets sur l'opinion qui sont sûrement détestables.

On n'a pas besoin de cela. Je ne vois pas pourquoi on se délecterait de passer ces images. Quel besoin avons-nous de le faire ? C'est l'actualité, certes, mais je ne sais pas pourquoi on a besoin de montrer ces cadavres d'animaux par centaines ou milliers, en prenant une espèce de plaisir malsain à le faire, alors que les conséquences économiques sont sûrement beaucoup plus grandes qu'on ne le croit.

Ce n'est pas un problème de santé publique, ni même, quasiment, de santé animale. C'est un problème économique.

Aujourd'hui, le point que je peux vous faire, c'est que, premièrement, c'est un virus clairement importé du Royaume-Uni --cela ne fait pas de doute--, que, deuxièmement, nous avons pris des dispositions qui ont été qualifiées de drastiques, de draconiennes ou de brutales autour du premier foyer de la Mayenne et de l'Orne mais que mon sentiment, c'est qu'on a bien fait de le faire et que de cette brutalité dépendait la suite et notre capacité à juguler l'épizootie au moment où elle naissait en France.

Au fond, nous sommes en train de faire la démonstration qu'à l'inverse des Britanniques, nous sommes plutôt dans une logique de prévention que dans une logique curative. Les Anglais courent après l'épizootie alors que nous l'avons, semble-t-il, maîtrisée, même si je reste très prudent et si je touche du bois avec vous.

Nous avons donc eu deux foyers. Honnêtement --je vous parle sous le sceau du serment--on aurait pu éviter le deuxième si nous avions eu toutes les coopérations. Je ne veux montrer personne du doigt, mais si nous avions eu tout de suite la transparence sur les mouvements d'animaux, nous aurions pu éviter le deuxième. Il est survenu parce qu'on ne nous a pas tout dit alors que nous aurions vraiment pu nous en passer.

Je ne montre pas quelqu'un du doigt et je ne veux pas faire de polémique ; je parle sous le sceau du serment et, de toute façon, je l'ai déjà dit. Quand je parle de pratiques frauduleuses, je ne parle pas du tout des éleveurs. Il y a peut-être des éleveurs qui fraudent, comme c'est le cas chez les Français : la proportion d'éleveurs qui fraudent doit être la même. En revanche, dans la filière du commerce, du transport et de l'import-export, il y a beaucoup de fraudes. On les tolère parce que c'est la souplesse de l'économie de marché, mais enfin...

Commençons par la fraude à l'import-export. La directive de 1992 sur l'identification des traçabilités n'est pas du tout respectée en matière ovine. Elle est très bien respectée en matière bovine grâce à la crise de l'ESB (maintenant, toutes les vaches ont leurs boucles aux deux oreilles ; c'est impeccable), de même qu'en matière porcine, parce que c'est par lots que se fait l'identification. En revanche, en matière ovine, il n'y a quasiment aucune identification.

Comme nous sommes un pays fortement importateur, cela veut dire que nous importons des lots entiers d'ovins sur lesquels nous n'avons aucune espèce de véritable information en matière de traçabilité et d'identification. C'est un premier problème. Quand ils ne respectent pas ces réglementations de 1992, les exportateurs prennent une responsabilité lourde.

En matière de transport, vous savez que des réglementations sanitaires font que chaque transporteur, après avoir transporté du bétail, doit désinfecter son camion. On ne peut pas mettre des gendarmes derrière chaque transporteur pour vérifier s'il a bien désinfecté sa bétaillère.

En matière de ventes, les ventes "au cul de camion" ou sur les parkings sont des pratiques assez courantes. Cela permet de faire un peu de fraude à la TVA. C'est la souplesse de l'économie de marché ; on ne va pas mettre des gendarmes derrière chaque parking non plus.

Simplement, le jour où on a une crise comme celle-là à gérer, toutes ces petites fraudes deviennent un énorme handicap, parce qu'on ne sait pas retrouver les lots. La lutte contre l'épizootie de fièvre aphteuse est une course contre la montre considérable pour rattraper tous les lots qui ont été au contact et qui sont donc susceptibles d'avoir été contaminés avant que la maladie éclate. Les services vétérinaires, ces dernières semaines, ont passé des week-ends entiers à rechercher des adresses et à faire des enquêtes pour essayer de retrouver, notamment en région parisienne, où était passé tel ou tel lot.

Ces fraudes deviennent un véritable handicap. Malgré tout --je touche du bois--, il semble que nous maîtrisions à peu près la situation.

Il reste le problème de la vaccination. Honnêtement, pour moi, c'est un faux débat. Tout d'abord, il faut distinguer la vaccination préventive ou la vaccination curative. La vaccination préventive a été arrêtée en 1991 sur un raisonnement parfaitement mûri de l'Union européenne, qui est à la fois --c'est vrai-- économique et sanitaire. On peut toujours reprendre ce débat, mais, en l'occurrence, ce n'est pas le moment.

Il s'agit aujourd'hui de savoir si on doit faire de la vaccination curative. Elle peut être nécessaire (j'espère qu'elle ne le sera pas, mais je touche encore du bois) le jour où on ne fait pas face et où on n'arrive plus à maîtriser la situation. Dans ce cas, il faut effectuer une vaccination curative notamment périfocale pour empêcher la dissémination des foyers.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans cette situation et j'espère franchement que nous ne le serons pas. Il faut savoir que, si on fait de la vaccination curative (certains d'entre vous le savent sans doute), cela ne nous dispenserait nullement de faire, malgré tout, de l'abattage. C'est de la vaccination curative périfocale dans l'attente de l'abattage des troupeaux. Si on les abat assez vite, il n'y a pas besoin de faire de la vaccination curative.

Personnellement, j'ai le souci de la filière de l'élevage en France, qui représente une richesse considérable pour notre agriculture et le secteur agroalimentaire. Je citais les chiffres suivants hier, à l'Assemblée : le commerce extérieur de la filière bovine en France représente 8 à 8,5 milliards pour le bétail vivant, 10 à 10,5 milliards pour les viandes transformées, 25 ou 26 milliards sur les produits laitiers et produits transformés. Cela fait 44 à 45 milliards potentiels. Tout ne serait pas sous embargo, y compris parce que des pays, dans le monde, consomment ouvertement des produits qui sont eux-mêmes touchés par l'épizootie de fièvre aphteuse (je pense à des pays d'Afrique ou d'autres pays de ce type), mais ce serait une handicap considérable à l'exportation pour une filière difficile qui a déjà suffisamment de mal.

Il faut donc garder à tout prix notre statut de pays indemne de fièvre aphteuse. C'est ce que j'essaie de faire. J'espère y arriver. Je ne peux pas vous donner l'assurance que j'y arriverai, mais toutes nos forces sont tendues vers cela. Là aussi, je touche du bois, je croise des doigts et je fais tout ce que vous voulez, mais je pense que l'on est plutôt dans une logique de maîtrise. Cependant, compte tenu de ce que j'ai dit tout à l'heure sur ces pratiques, je ne peux pas en avoir la certitude.

M. Georges Gruillot - Monsieur le Ministre, je voudrais m'adresser au ministre des consommateurs. Chacun sait --vous plus que quiconque-- combien les consommateurs français sont attachés maintenant à la qualité de l'alimentation. Ils l'ont démontré dans toutes les crises. Cela a été le cas de la crise de la dioxine mais, avec l'ESB, on a vu le paroxysme de la crise, qui nous a provoqué une baisse de 50 % la consommation de viande bovine.

Dans cet esprit, les médias ont, à mon avis, trop joué leur rôle puisqu'on était en face d'une véritable psychose du consommateur, qui demeure aujourd'hui et qui fait que, dans l'esprit du consommateur français --je schématise un peu-- les produits de qualité sont forcément ceux qui sont produits localement, en petite quantité et avec des certifications d'origine. C'est ainsi que l'on exclut les produits de masse et tout ce qui est passé par les grandes surfaces. C'est un peu ce qui est dans l'esprit des consommateurs actuellement et je pense qu'on a été beaucoup trop loin dans ce sens, au point que l'on en arrive à une espèce de désinformation.

Je crois que c'est particulièrement vrai quand on pense à l'agriculture biologique. Dans l'esprit des Français, non informés, le "biologique" signifie qu'ils peuvent manger en toute sécurité. C'est peut-être vrai sur le plan de la qualité gustative, mais cela ne l'est pas du tout en matière de qualité et de sécurité sanitaires. C'est un ancien vétérinaire qui vous parle et qui a vu cela professionnellement, toute la journée, pendant une vingtaine d'années.

Si je vous interroge, c'est que je viens d'avoir, dans ma région, en Franche-Comté, deux cas d'ESB dans une exploitation biologique. Le premier s'est produit en Haute-Saône, il y a quelques semaines (nous avons le président de la région ici), dans un troupeau qui avait fait sa conversion en "bio" depuis seize ou dix-sept années, c'est-à-dire depuis longtemps. La presse, même la presse locale, n'en a pas parlé. C'était le black-out total, ce qui nous a un peu surpris quand on l'a appris quelque temps après.

Or nous venons d'avoir récemment, il y a huit ou dix jours, puisque le troupeau n'est pas encore abattu, un nouveau cas d'ESB, cette fois dans le Jura, également sur un troupeau en agriculture biologique mais, lui, depuis seulement deux ans. Là aussi, il nous semble qu'il y a une espèce de black-out (qui, finalement, a éclaté quelque peu puisqu'on le sait quand même) dû essentiellement à tous les gens de la filière bio et non pas tellement à nos fonctionnaires qui ont fait leur travail normalement.

En tout cas, je voudrais profiter de cette occasion, monsieur le Ministre, pour que vous puissiez officiellement clarifier les choses. Je n'ai rien et nous n'avons rien contre l'agriculture biologique, mais essayons d'être honnêtes avec nos consommateurs français et de leur faire comprendre qu'avec des produits d'origine biologique, ils n'ont pas une sécurité sanitaire supérieure à ce qu'ils peuvent trouver ailleurs, bien au contraire, malheureusement.

De plus, je voudrais vous interroger sur ce que l'AFSSA en pense. Je sais que l'AFSSA a été saisie, sur ce thème, d'une enquête ou d'une étude dont nous n'avons pas aujourd'hui les résultats. Je ne sais pas si vous connaissez déjà peu ou prou ces résultats, mais pourriez-vous nous les communiquer ?

M. Jean Glavany - Je vais vous parler franchement. Il y a eu ces deux cas, en effet, sur lesquels il n'y a pas de lock-out particulier. Simplement, l'un des deux éleveurs ne veut pas y croire et demande des vérifications à n'en plus finir, notamment en matière d'ADN.

M. Georges Gruillot - C'est surtout pour faire monter les enchères financières.

M. Jean Glavany - Je ne ferai pas ce procès d'intention, monsieur le Sénateur. Je n'imagine pas que cela puisse arriver. En tout cas, je ne crois pas que ce sont les premiers cas bio. Il me semble bien qu'il y en a déjà eu un l'année dernière.

M. Georges Gruillot - Peut-être, mais je vous parle des deux que l'on connaît.

M. Jean Glavany - La difficulté dans laquelle on est, c'est que, compte tenu de la durée d'incubation de la maladie, le problème n'est pas de savoir s'ils sont bio maintenant mais s'ils l'étaient au moment de la naissance de l'animal. Les derniers cas dont on parle sont des cas nés en 1993 et donc tout à fait dans le cadre de la période critique, entre 1990 et 1996, des alimentations croisées dont on parlait tout à l'heure. Si l'exploitation s'est convertie au bio en 1994, en 1996 ou en 1998, le bio n'est nullement à l'abri de désagréments.

En règle générale, je suis très favorable au développement de l'agriculture bio, mais je ne considère pas que ce soit la solution de l'agriculture française ou européenne. Il faut la développer parce qu'il y a une vraie demande, que, là aussi, nous ne sommes pas autosuffisants et que nous importons du bio qui est souvent de moins bonne qualité que le bio français. Il vaut donc mieux développer notre bio à nous, si j'ose dire. En tout cas, ce n'est pas du tout l'antidote à la problématique de l'ESB. Je pense simplement qu'il faut prendre des mesures de précaution pour tous les modes d'élevage, bio ou non. Je vous dis les choses très clairement.

M. Georges Gruillot - Ma question concerne le consommateur, monsieur le Ministre. Je pense que le consommateur français est leurré dans cette affaire et qu'il faudrait vraiment que l'on arrive à lui faire comprendre que le bio a des qualités mais que ce n'est pas là qu'il va trouver la sécurité sanitaire.

M. Jean Glavany - Le cahier des charges sur le bio est exigeant, encore plus en France qu'au niveau européen. Ce n'est pas seulement en termes de sécurité sanitaire que se pose le problème, mais aussi en termes de sécurité environnementale. De toute façon, le label bio n'est pas estampillé "sécurité sanitaire des aliments". A aucun moment il n'y a une publicité autorisée sur ce thème.

M. le Rapporteur - Si ma mémoire est bonne, monsieur le Ministre, sur le plan du cahier des charges, la filière bio est soumise à une obligation de moyens mais non pas à une obligation de résultat. Donc j'appuie totalement l'interrogation de mon collègue Gruillot. Je pense qu'il faut faire très attention en la matière. L'agriculture biologique représente 1,1 % de la surface agricole utile nationale, ce qui est très bien, mais si elle est multipliée par cinq ou par dix, il ne faudra pas oublier les 95 ou les 90 % du restant de l'agriculture française.

Nous n'avons aucune aversion envers cette forme d'agriculture, mais je crois qu'il faut faire attention. En France --vous le savez mieux que quiconque--, on mute souvent par coups de balancier assez amples. On risque donc d'avoir des déconvenues et de nuire à l'agriculture biologique si on ne l'encadre pas davantage.

M. Jean Glavany - Je vous rejoins. En même temps, je ne voudrais pas qu'à l'inverse, de manière paradoxale, on fasse le procès de l'agriculture bio, qui donne des garanties sur les modes de production mais qui n'a pas une obligation de résultat.

M. Paul Blanc - Monsieur le Ministre, j'ai une série de questions à vous poser.

Si vous le permettez, je voudrais vous faire une remarque sur les derniers propos que vous nous avez tenus concernant l'Europe et le développement des cultures de substitution aux oléoprotéagineux, auxquels il faut prêter attention. J'ai lu récemment un article de presse dans lequel on dit que, finalement, l'Europe n'est pas mécontente de cette crise, car si l'élevage européen disparaît, cela coûtera moins cher à l'Europe. C'est extrêmement grave, parce que si jamais cela venait à se produire, cela voudrait dire que nous serions totalement dépendants de l'Amérique ou de l'Afrique du sud.

Je pense qu'en tant que ministre de l'agriculture de la France, vous avez une position très ferme à défendre à cet égard par rapport aux autres pays européens. Vous m'excuserez de faire cette remarque mais, compte tenu de ce qu'on commence à entendre, je dirai qu'un homme averti en vaut deux.

Je voudrais ensuite vous poser une série de questions, dont la première est très simple : quand avez-vous pris la décision d'interdire les farines ? Je sais que cette décision a été prise au mois de novembre, mais vous nous avez dit tout à l'heure que vous aviez déjà pensé le faire avant. Pouvez-vous dire quand, exactement, vous avez pensé le faire ?

J'ai une deuxième question. Actuellement, les farines à haut risque, qui sont destinées à l'incinération, ne font pas l'objet d'une sécurisation par la température à la sortie de l'équarrissage. Cela veut dire que les 133 degrés à 3 bars et pendant vingt minutes ne sont pas respectés. Il y a donc là, à mon sens, un risque, dans la mesure où ces farines vont être transportées et stockées. Quelle est votre position là-dessus ?

Sur le problème de l'équarrissage, dans le cadre de notre mission, nous avons entendu à plusieurs reprises que le secteur de l'équarrissage et de la production de farine valorisable était insuffisamment contrôlé. Les industriels nous disent que c'est hyper contrôlé, mais on nous dit ailleurs que ce n'est pas aussi sûr. Quelle est votre position là-dessus ?

Troisièmement, que pensez-vous de la réintroduction des farines animales dans l'alimentation des animaux domestiques ? Pour l'instant, c'est interdit, mais on parle de les autoriser à nouveau. Compte tenu des cas d'ESB chez les chats, en particulier en Angleterre, que pensez-vous de ce problème ?

Ma dernière question concerne les importations de farines animales depuis des pays dans lesquels les matériaux à risques n'étaient pas exclus. Ne pensez-vous pas qu'entre 1996 et 2000, il a pu y avoir une faille dans le système de sécurisation des produits et des farines produites en France ? Dans cette hypothèse, pensez-vous, comme nous le souhaitons tous, bien entendu, que la décrue de l'épidémie d'ESB puisse intervenir très rapidement ?

M. Jean Glavany - Je vais répondre à votre première réflexion sur l'Union européenne, qui ne serait pas mécontente qu'après tout, cela fasse disparaître tout ou partie de l'élevage. C'est un discours que l'on entend y compris au niveau national, compte tenu du système d'aide que l'on met en place.

Je vous dis les choses comme je le pense : je n'ai aucune raison de suspecter cela de la part de la Commission. Aujourd'hui, elle met en oeuvre des dispositions contre l'avis d'un certain nombre de gouvernements ; je pense au groupe de Londres, réformé groupe de Capri, c'est-à-dire à ces quelques gouvernements très libéraux qui mettent en cause la notion même de PAC et qui accusent aujourd'hui la Commission d'intervenir dans la gestion de la crise bovine en disant : "de quel droit vous mêlez-vous de cette crise ? Laissez faire le marché". Je vois la Commission clairement résister et, par son intervention publique, défendre la notion même de Politique agricole commune et défendre donc l'existence des éleveurs de bovins. Je n'ai donc aucune raison de suspecter la Commission, dans la gestion de la crise, d'avoir cette mauvaise pensée.

Quant au gouvernement français, c'est une question de jugement politique. On peut toujours considérer que le gouvernement français "ne serait pas fâché de cela", mais je peux vous dire que je ne mobiliserais pas 1,4 milliard de francs d'aides ciblées sur les plus petites exploitations si je souhaitais les voir disparaître. Les choses, de ce point de vue, sont assez claires pour moi.

Quand ai-je commencé à envisager l'interdiction des farines ? Au premier semestre de 1999. J'ai été nommé ministre le 20 octobre 1998 et c'est au premier semestre 1999 que j'ai dit au Conseil de l'agriculture européen que je ne voyais pas d'autre moyen que de se préparer à aller vers l'interdiction. Je n'ai pas fait un franc tabac à ce moment-là, je dois le dire, mais je précise qu'alors qu'elles ont été suspendues en décembre, quand j'en parlais en novembre, j'étais quasiment le seul à le faire. Cela a donc basculé entre fin novembre et début décembre.

M. Paul Blanc - Si vous me le permettez, j'exprimerai un petit regret devant vous : lorsque je vous ai posé cette question écrite en juin 2000, vous ne m'avez pas répondu.

M. Jean Glavany - J'en suis absolument navré. C'est contraire à tous les usages et, en tout cas, à toutes les règles que je souhaite appliquer à mon propre travail.

J'en viens au service public d'équarrissage. C'est une vraie difficulté. Je ne vais pas fuir votre question qui consiste à demander s'il est assez contrôlé. On suit, dans le service public d'équarrissage, la procédure équivalant au traitement à 133 degrés, 20 minutes et 3 bars pour les farines destinées à la destruction et on a des contrôles avec deux visites par mois par les DSV.

Cela dit, mon angoisse ou mon inquiétude n'est pas là. Le problème, c'est qu'on a un service public de l'équarrissage qui est saturé et à la limite de l'explosion compte tenu de ce qu'on lui met sur la tête actuellement. Il a son travail normal, plus les farines, plus le retrait et la destruction. Cela explose de partout. Si, en plus, je devais multiplier les visites de contrôle, que se passerait-il ?

On a donc un vrai problème de capacité d'agir du service public de l'équarrissage, qui est aujourd'hui saturé par la succession des crises et les dispositions nouvelles que nous avons prises en termes de destruction. A cet égard, j'ai une vraie inquiétude.

Quant au pet food, c'est-à-dire à l'alimentation pour les animaux domestiques, nous envisageons effectivement, au niveau européen, un retour en arrière, c'est-à-dire une libéralisation, mais avec des conditions beaucoup plus strictes qu'auparavant, en n'autorisant notamment que des produits propres à la consommation humaine, dans des conditions de fabrication qui seront draconiennes.

Sur les importations qui se passaient avant, que voulez-vous que je vous dise en un jour où, actualité oblige, la séparation des pouvoirs fait l'objet d'un grand débat public ? À partir du moment où des plaintes ont été déposées sur cette période, je suis obligé de me référer à ce que fera la justice. Je suis comme vous : je trouve que cela pourrait aller plus vite. Alors que nous avons recensé environ seize plaintes, concernant ces années-là, sur les importations illicites, très sincèrement, je souhaiterais non seulement que cela aille plus vite mais que, si c'est avéré, les condamnations soient fermes et exemplaires et qu'il y ait là une base d'appui pour une réaction du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et de l'opinion devant de telles pratiques. Cela dit, je ne peux pas faire autrement que de me référer à l'action de la justice et de regretter que cela n'aille pas plus vite.

M. Jean-François Humbert - Pour prolonger ce que vous venez de dire, monsieur le Ministre, sans vouloir à mon tour mettre à mal la séparation des pouvoirs, au-delà de l'information sur les seize plaintes, en savez-vous un peu plus sur les procédures judiciaires qui sont conduites contre des fabricants de farine et, si oui, que pouvez-vous nous dire sur ce point ?

M. Jean Glavany - Je ne peux que vous donner mon sentiment, car j'ai vécu une chose très étonnante. Un expert mandaté par le tribunal de Besançon, M. Mouton, je crois, a interpellé le ministère par voie publique en le mettant en demeure de fournir des éléments sous huitaine sous peine d'astreinte d'un million de francs par jour. Je peux simplement vous dire --et je suis prêt à corriger mes propos si cela est démenti-- que cet expert avait été nommé depuis quatre ans.

M. Jean-Marc Pastor - Monsieur le Ministre, je vous poserai une question double. Vous nous avez dit tout à l'heure que l'une des difficultés, c'est qu'il y avait de la fraude par rapport aux problèmes évoqués, en particulier, dans la filière ovine.

M. Jean Glavany - Je le dis pour l'import-export. Certaines pratiques s'affranchissent de la directive de 1992 en matière ovine, mais, pour tout ce qui est négoce et transport de bestiaux, cela ne concerne pas que la filière ovine. Cela concerne les intervenants commerciaux du transport ou du négoce de bestiaux au sens large.

M. Jean-Marc Pastor - Ma première question est de savoir ce que vous comptez faire sur ce problème particulier.

Deuxièmement, dans un problème aussi complexe que celui que nous vivons depuis maintenant plusieurs mois entre, d'un côté, l'ESB et, de l'autre côté, le problème nouveau qui est arrivé avec la fièvre aphteuse, comment les choses se passent-elles entre, d'un côté, vous qui représentez le gouvernement et, d'un autre côté, les partenaires professionnels et, particulièrement, la profession ? Comment les uns s'impliquent-ils sur cette voie et comment y a-t-il un soutien réciproque du gouvernement par rapport à la profession et de la profession par rapport au gouvernement ?

S'il n'y a pas d'échange, on risque de buter contre un mur. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?

M. Jean Glavany - Je vais vous dire ce que je pense. En matière d'identification et de traçabilité, les éleveurs ont fait beaucoup d'efforts, pour ce qui est des bovins, sur le plan européen. L'ESB nous y a aidés. Il y a maintenant une identification de traçabilité quasi parfaite en matière bovine, à la fraude près, bien sûr, mais il est évident que, dans aucun secteur d'activité, aucun gouvernement, même le plus totalitaire (je dois dire d'ailleurs que c'est sous les gouvernements les plus totalitaires qu'il y a le plus de fraude et que ce n'est donc pas cela qu'il faut souligner), ne peut garantir 0 % de fraude chez lui. Il y a donc un système, en matière bovine, qui est satisfaisant au niveau européen.

En matière ovine, la France est sûrement en avance. Nous avons une bonne coopération avec la fédération nationale ovine, qui a fait des efforts et qui fait des progrès, mais nous sommes victimes de notre dépendance à l'égard de l'extérieur. En Europe, nous avons des efforts considérables à faire. Je pense (nous pourrons l'exiger d'autant plus facilement de nos partenaires européens) qu'en France, nous sommes plutôt en avance. Les éleveurs français, en matière ovine, sont plutôt en avance en matière d'identification et de traçabilité.

Cela ne veut pas dire que tout est parfait chez nous, loin de là, mais nous n'en exportons quasiment pas alors que nous en importons beaucoup. De ce point de vue, honnêtement (et j'ai eu, ces derniers jours, beaucoup de conversations avec certains de mes collègues), pour traiter le problème de la fièvre aphteuse, je pense que ce besoin de progrès en matière d'identification et de traçabilité pour ce qui est du secteur ovin est bien identifié en Europe. C'est l'une des principales leçons que nous tirerons de cette crise très vite

M. le Rapporteur - Monsieur le Ministre, je voudrais rebondir sur deux ou trois points en ce qui concerne la problématique de l'abattage total ou sélectif. Nous avons bien compris que vous attendiez l'avis de l'AFSSA, mais également...

M. Jean Glavany - Vous me permettrez de vous interrompre. J'attends l'avis de l'AFSSA, bien sûr, mais j'attends aussi tout élément qui me permettrait d'expliquer à l'opinion que cette mesure n'affaiblit pas le dispositif de sécurité sanitaire. Si j'en avais un autre, je le prendrais, tout simplement parce que je pense qu'il est urgent de le faire pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure. Cela dit, pour l'instant, celui qui s'annonce le plus proche, c'est l'avis de l'AFSSA.

M. le Rapporteur - C'est ce que j'allais vous dire. Vous recherchez donc également une fenêtre de tir qui n'est pas facile vis-à-vis de l'opinion publique.

M. Jean Glavany - Méfiez-vous de l'expression "fenêtre de tir"... (Rires.)

M. le Rapporteur - Je le dis tout à fait à dessein. Aujourd'hui, la législation fait que, si ma mémoire est bonne, l'agriculteur chez qui un cas d'ESB a été décelé et confirmé par analyse a un mois pour abattre son cheptel. C'est bien cela ?

M. Jean Glavany - Absolument, mais on le fait le plus vite possible et cela se passe d'un commun accord et de manière harmonieuse. Ce n'est pas lui qui, tout seul dans son coin, procède à l'abattage, qui se fait avec les services vétérinaires qui sont présents. Dans le cadre de cette disposition, le préfet met parfois des moyens de force publique pour que cela se fasse dans la discrétion, avec les DSV. Cela se fait donc le plus vite possible, en coopération avec l'éleveur.

M. le Rapporteur - J'ai eu l'occasion de le constater, malheureusement, dans mon département, et je peux dire que cela se fait "correctement".

M. Jean Glavany - Je vous arrête. Cela se fait de plus en plus difficilement, c'est-à-dire que l'on rencontre de plus en plus de difficultés.

M. le Rapporteur - Cela étant, tant que vous n'avez pas pris un autre arrêté, la législation, qui prévoit l'abattage dans un délai aux alentours d'un mois, doit s'appliquer. Or nous avons, dans nos départements, surtout ceux du grand ouest, de plus en plus de difficultés, et j'avoue que je suis inquiet, parce que le cas auquel je fais référence sans le nommer et que vous connaissez nous pose un énorme problème.

M. Jean Glavany - Tout à fait. A moi aussi.

M. le Rapporteur - Je voulais le souligner.

M. Jean Glavany - En même temps, monsieur le Sénateur, au total, depuis le début de la crise de l'ESB en France, nous sommes aujourd'hui, je crois, à un total de 292 cas (je vérifierai ce nombre pour vous le donner très précisément) et nous n'avons qu'une difficulté d'application concrète avec un éleveur. Donc ce n'est pas un phénomène très important, mais je reconnais que c'est de plus en plus difficile. L'abattage total est de moins en moins accepté. Par conséquent, plus vite je m'en affranchirai, mieux cela vaudra.

M. le Rapporteur - Par ailleurs, je voudrais revenir sur les propos de mon collègue César concernant la filière protéique. Nous avons eu l'occasion de rencontrer M. Franz Fischler, qui ne nous a pas non plus satisfaits en ce qui concerne ses réponses. Au-delà de l'indispensable accompagnement financier des agriculteurs qui s'orienteraient vers ce type de culture, compte tenu du statut de l'INRA et de vos rapports avec cet institut, l'avez-vous mandaté pour la recherche de variétés correspondant aux spécificités climatologiques nationales ? Suite à diverses auditions, il apparaît que les agriculteurs restent habitués aux performances techniques de variétés qui ne sont peut-être plus à l'ordre du jour.

Avez-vous demandé à l'INRA de travailler sur de nouvelles variétés ? Je pense que ce serait important.

M. Jean Glavany - Tout d'abord, j'ai retrouvé le chiffre et je peux vous dire qu'il s'agit bien de 292 cas (dernier cri hier soir).

Ensuite, il se trouve que nous avons eu une rencontre de travail avec l'ensemble des dirigeants des organismes de recherche nationaux et que nous avons parlé de cela, sachant que l'INRA s'était mis spontanément sur l'affaire et sur ce dossier. Je pense donc qu'effectivement, l'INRA va nous aider très vite à faire cette prospective de solutions alternatives. Il s'y était mis spontanément.

M. le Rapporteur - Vous nous le confirmez ?

M. Jean Glavany - Tout à fait.

M. le Rapporteur - Ma troisième question concerne la problématique de la fièvre aphteuse. Je suis d'accord avec vous sur l'approche qui est celle de votre ministère et de l'ensemble de vos services. Il est évident que tant qu'on peut tenir sans procéder à une vaccination, cela permet une classification de la France par rapport aux autres pays de l'Union européenne. A contrario, à partir du moment où un pays de l'Union européenne, en l'occurrence la Grande-Bretagne, dont on connaît, sans être méchant, les carences en matière de réseau épidémiologique, ne peut pas contenir une infection de ce type, dans quelle mesure, au niveau de l'Union européenne, un ou plusieurs pays parmi les Quinze peut obliger précisément la Grande-Bretagne à procéder à une vaccination systématique, soit périfocale, soit générale, de son cheptel ?

Il y a là, sans attendre la mise en place de l'autorité alimentaire européenne, si je puis dire, des dérives inacceptables. C'est le fruit, à mon avis, d'un laxisme très ancien et très fort de la Grande-Bretagne sur ce point. Dans quelle mesure la France peut-elle obliger nos amis anglais, par le biais de l'Union européenne, à vacciner ?

M. Jean Glavany - Pour ce qui concerne l'opportunité de la vaccination au Royaume-Uni, le débat est en cours et les Britanniques sont, en ce moment même, en train d'en discuter avec les autorités vétérinaires européennes. Ils y viennent enfin, mais, dans leur incapacité à maîtriser les choses --je le dis devant vous même si ce n'est pas le sujet de votre commission d'enquête--, il est tout à fait probable qu'ils ont eu "du retard à l'allumage".

Ce qui a fait notre chance, c'est que nous avons démarré vite et fort, avant le premier foyer alors que, pour ce qui les concerne, on doute qu'il aient démarré vite et fort ; on subodore même qu'ils ont eu du retard à l'allumage, y compris pour nous informer, mais avant tout parce qu'ils n'étaient pas informés eux-mêmes. Ils courent donc après l'épizootie et ils ne la maîtrisent pas.

Comme ils ne la maîtrisent pas, ils ont le débat sur la vaccination. Ils vont donc y être amenés tôt ou tard. C'est d'ailleurs presque acquis au niveau du Royaume-Uni.

Deuxièmement, il est bien évident que, dans ces conditions, nous ne pouvons obtenir des pays tiers qu'un traitement régionalisé de l'Union européenne, dans la mesure où il n'y a pas de raison que l'Union européenne tout entière subisse le contrecoup. On peut régionaliser les mesures à l'export. Si je puis dire, c'est encore plus facile quand c'est une île. La régionalisation fondée sur un blocus à l'égard d'une île facilite les choses. Il faut bien que les Anglais aient aussi, de temps en temps, les inconvénients de leur insularité.

M. Paul Blanc - On va refaire le blocus continental... (Rires.)

M. Jean Glavany - Pour eux, ils ont fait le blocus sur le continent et non pas l'inverse.

Donc je vous réponds que l'on doit régionaliser.

M. le Rapporteur - Il faudrait que cela serve, en quelque sorte, de jurisprudence pour une malheureuse prochaine fois, même si c'est triste à dire.

Mon dernier point n'appelle pas, de votre part, une réponse qui serait trop longue mais que vous pourriez peut-être formaliser au travers d'un document que vous pourriez nous transmettre d'ici quelque temps. Toute la problématique de l'ESB et de la fièvre aphteuse, mais surtout de l'ESB, pose le problème de la réorientation, à terme, de la PAC, pour laquelle on est arrivé à un tournant. Dans quelle mesure pourrez-vous concilier (l'exercice est particulièrement difficile mais, à mon avis, vous êtes tout à fait habilité à le faire) la réorientation de la PAC, d'un côté, et les exigences d'un grand pays agricole comme la France, d'un autre côté, notamment au travers de la production de produits agro-alimentaires, qui est le fleuron de l'industrie française ?

Nous serions très satisfaits si vous pouviez produire un document pour la commission. Ce serait d'autant plus intéressant, monsieur le Ministre, que les chambres d'agriculture viennent d'être réinstallées. Je ne parlerai pas des contrats territoriaux d'exploitation, parce que c'est le dossier de notre ami César...

M. Gérard César - Il n'y a pas de chasse gardée.

M. le Rapporteur - ..., mais on sent poindre à l'horizon une forme de "renationalisation" de la PAC. Pourriez-vous donc nous livrer (mais pas ce soir, parce qu'il sera trop tard) vos réflexions en la matière ?

M. Jean Glavany - J'ai souri quand vous disiez : "vous êtes habilité à le faire", parce que les mots sont précis et lourds de sens, en l'occurrence. Disons que j'en serais peut-être capable ou que, à défaut, j'ai quelques idées assez précises sur la question. Cependant, le mot "habilité" est pertinent parce que nous sommes en cohabitation et que celui qui engage la France sur la scène internationale est le président de la République. Or je ne suis pas tout à fait capable de vous dire si je pense exactement la même chose que lui, ou s'il pense la même chose que moi.

M. le Rapporteur - Dites-nous ce que vous pensez.

M. Jean Glavany - Je ne voudrais pas que ce soit une position du gouvernement français sur la scène internationale. Il est important de le dire comme cela.

Cela étant, j'y réfléchis et j'y travaille, puisque je pense que c'est de ma responsabilité, y compris pour mes successeurs. Des services du ministère travaillent sur le sujet et font de la prospective parce que c'est fondamental. Pour tout vous dire, y compris pour régler le problème de l'habilitation, et donc de la cohabitation, en ce qui concerne la PAC, on ne peut pas toucher au cadre qui a été fixé par les accords de Berlin et qui va jusqu'à 2006, un cadre de visibilité et de lisibilité indispensable pour les agriculteurs, parce qu'on ne peut pas changer les règles du jeu tous les ans ou tous les deux ans. Les agriculteurs sont des agents économiques qui ont besoin, pour programmer leurs investissements et leur endettement, de lisibilité à moyen terne.

En même temps, je tiens à dire ce que je pense avec un minimum de culot. Je ne pense pas que l'on peut attendre 2006 pour donner des signes de réorientation. Il faut donc trouver le moyen de garder le cadre et, dans ce cadre, de donner des signes que l'opinion publique attend. Je pense que c'est possible.

Cela dit, je tiens à vous mettre en garde. En effet, vous avez dit que la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse nous amenaient forcément à nous poser la question, mais je ne pense pas que les choses se posent en ces termes. Pour ce qui est de l'ESB, c'est vrai. A un moment, le fait de faire manger des farines animales à des bovins correspondait à une logique productiviste.

En revanche, la fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde. C'est presque une logique de maladie de pays pauvre, d'une certaine manière. Donc elle n'est pas le fruit du productivisme, sauf à dire que c'est parce que nous avons des élevages très développés, et parfois intensifs, que nous sommes plus exposés aux risques d'une contamination rapide. Sinon, cette épizootie n'est pas le fruit naturel du productivisme, d'autant plus que l'on sait, comme l'indique la FAO, qui a suivi les progrès de l'épizootie à travers le monde, que ce sont des tendances géographiques lourdes qui viennent --on le sait bien-- d'un certain nombre de foyers qui se trouvent dans des pays en difficulté ou en voie de développement.

Ce n'est donc pas du tout le fruit naturel du productivisme et c'est pourquoi je ne veux vraiment pas que l'on fasse l'amalgame.

M. le Président - Monsieur le Ministre, merci d'avoir consacré autant de temps aux travaux de notre commission et merci de vos réponses.

Je terminerai avec un petit clin d'oeil. La commission va se rendre en Angleterre demain...

M. Jean Glavany - Quelle chance ! Surtout, utilisez les pédiluves, messieurs !... (Rires.)

M. le Président - C'est ce que je voulais dire. Devons-nous emmener nos pédiluves personnels ?...

M. Jean Glavany - Je serai très heureux de lire les commentaires que vous ferez sur les informations auxquelles vous serez confrontés au cours de votre voyage.

M. le Président - Nous verrons. Je voulais simplement vous poser une petite question : que pensez-vous de l'attitude des Anglais, après 1989, par rapport à l'ESB, puisque c'est après cette date que l'on a continué à vendre les farines anglaises et même les abats ?

M. Jean Glavany - Vous pouvez bien deviner ce que j'en pense. Je l'ai d'ailleurs dit une fois. L'honnêteté commerciale eut été au moins de dire à l'époque : "attention, nous vous vendons cela, mais c'est interdit chez nous".

M. le Président - Très bien. Merci, monsieur le Ministre.

Audition de Mme Chantal JAQUET, Directrice prévention santé,
sécurité et environnement du groupe Carrefour,
accompagnée de M. Christian D'OLÉON, Directeur de la communication

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Nous vous prions de nous excuser de vous avoir fait attendre longtemps. Vous aurez compris que lorsque nous avons le ministre de l'agriculture en audition, nous ne pouvons que déborder.

Vous êtes donc Mme Chantal Jaquet, Directrice de la prévention santé, sécurité et environnement du groupe Carrefour, et vous êtes accompagnée par M. Christian d'Oléon. Vous êtes auditionnés dans le cadre de la commission d'enquête sur le problème des farines animales et des conséquences sur la santé des consommateurs, qui a été mise en place par le Sénat, et vous savez que, dans le cadre d'une commission d'enquête, les personnes qui sont auditionnées doivent le faire sous serment. Je vais donc vous lire les dispositions et vous demander à la fin, à l'un et à l'autre, de bien vouloir prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à Mme Jaquet et à M. D'Oléon.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous demander, très brièvement, de nous fait un topo sur la manière dont vous procédez, dans votre entreprise, par rapport à ce qui s'est passé, à ce que l'on vit actuellement et à ce que vous prévoyons pour l'avenir, après quoi nous en viendrons aux questions que nous avons à vous poser les uns et les autres.

Mme Chantal Jaquet - Je souhaite tout d'abord excuser le président Daniel Bernard. Comme il a perdu son père hier, il n'a naturellement pas pu être là aujourd'hui et il vous prie de bien vouloir l'excuser.

M. le Président - Vous lui ferez part de nos condoléances.

Mme Chantal Jaquet - Je n'y manquerai pas. Comme vous l'avez souligné, je suis Chantal Jaquet, Directrice de la prévention, de la santé et de la sécurité pour le groupe Carrefour. Ce poste est tout récent puisque j'ai été nommée il y a quelques mois, après l'affaire dont nous avons été victimes.

Je vais me permettre de lire l'intervention que Daniel Bernard souhaitait vous faire.

Avant 1991, nos achats de viande bovine étaient réalisés par magasin et de façon non centralisée. A cette époque, nous connaissions rarement l'origine de la vente et, encore moins, l'alimentation des animaux. Les éléments concernant les origines des viandes étaient difficiles à constituer puisque c'était une filière extrêmement atomisée et que les relations avec le monde agricole étaient inexistantes. Avant 1991, nous passions par des intermédiaires et nous n'avions aucune relation avec le monde agricole.

Dès 1991, Carrefour a été le premier distributeur à engager un partenariat de longue durée avec le monde agricole en valorisant les qualités organoleptiques de la viande bovine française et en privilégiant certaines origines telles que la race normande, la première race avec laquelle nous avons commencé à travailler sur nos filières "Qualité Carrefour".

C'est donc ainsi que sont nées nos filières "Qualité Carrefour", dont la filière bovine a été le premier maillon. Le terme "Qualité Carrefour" est un sigle que, dès 1993, nous avons apposé sur des viandes sur lesquelles nous avions une certaine démarche que je vais vous relater ici.

Nous avons aujourd'hui 83 filières qui regroupent 36 000 producteurs dans des domaines très variés, aussi bien des filières végétales, comme la carotte ou la pomme de terre, que la filière bovine ou le saumon.

Les filières, dont la viande bovine a été le premier exemple, s'inscrivent dans une démarche de progrès continu dont l'objectif est de répondre aux attentes des consommateurs, bien évidemment, et cette démarche est fondée sur les principes suivants :

- le principe de partenariat,

- le principe d'authenticité,

- le principe de sécurité,

- le principe de transparence,

- le principe de précaution.

L'application des principes de partenariat et d'authenticité, en ce qui concerne la filière bovine, nous a amenés à engager directement des partenariats avec le monde agricole et les sociétés d'abattage pour assurer un approvisionnement de viande française et identifier les meilleures races.

Dès 1991, nous avons voulu concentrer nos achats, pour la filière "Qualité Carrefour", sur les viandes d'origine française.

L'application du principe de sécurité, dans une première étape, nous a aidés à construire la traçabilité des troupeaux en identifiant les origines. En effet, vous n'êtes pas sans savoir que le secteur de l'élevage bovin, surtout à l'époque, était très peu structuré. Nous nous sommes retrouvés face à un véritable challenge, à l'époque, consistant à fédérer, sous le couvert d'un même cahier des charges et d'une même doctrine, environ 20 000 éleveurs, mais nous nous sommes appuyés pendant toute cette étape sur la réglementation en vigueur et, en particulier, sur l'interdiction d'utiliser des farines carnées, puisque celle-ci date de 1991.

Notre volonté était de construire une traçabilité du troupeau qui rassure le consommateur, qui sécurise son choix et conforte son attachement à différents terroirs. C'est pourquoi, dès 1991, nous avons pris parti pour un approvisionnement 100 % français. Dès 1991, toutes les filières "Qualité Carrefour" étaient fondées sur cet approvisionnement 100 % français.

Notre démarche s'est concrétisée en 1994 --elle a donc duré quatre ans-- par un contrat et un cahier des charges qui engageaient les trois partenaires. C'était une chose extrêmement innovante, à l'époque, parce que c'était la première fois qu'un distributeur, des partenaires agricoles et des intermédiaires tels que les abatteurs se trouvaient ensemble et, ensemble, définissaient un cahier des charges commun.

Au-delà du marché, une prime supérieure au cours du marché était versée par Carrefour aux éleveurs qui s'engageaient dans cette démarche. C'était, là aussi, une rémunération de la valeur ajoutée.

L'application du principe de transparence nous a conduits à mettre en place, progressivement, un système de qualification des élevages et de sécurisation de l'alimentation des animaux. Notre première démarche a été vraiment de dire que l'on assurait la traçabilité, ce qui n'était pas du tout évident à l'époque. Il faut dire que cela a été intéressant puisque, en 1996, lors de la première crise de la vache folle, avec les problèmes venant de Grande-Bretagne, tous les éleveurs, dès le lendemain, ont pu être dans les magasins Carrefour pour dire : "les viandes issues des filières viennent de chez nous et viennent de troupeaux français".

L'opération "qualification des élevages" est une démarche de partenariat entre Carrefour et les associations de groupements d'éleveurs consistant à établir des codes de bonne pratique que les éleveurs adoptent ensuite de leur plein gré. C'est vraiment fondamental. Il s'agit d'une démarche de progrès à laquelle adhèrent les différents partenaires et d'une série de dispositions concrètes avec, comme élément essentiel, la tenue d'un cahier d'élevage dans lequel tous les événements liés à la vie du troupeau sont consignés. En particulier, sont notés les formulations des aliments, les traitements thérapeutiques, avec le classement des ordonnances des vétérinaires, le nom des matières actives utilisées, la dose et la date d'application, afin de vérifier si les délais légaux avant abattage sont bien respectés, les conditions de nettoyage et les dispositions concernant le bien-être des animaux.

Dans le cadre d'un partenariat basé sur une confiance réciproque, les contrôles de ces dispositions sont réalisés par les techniciens des associations d'éleveurs. Il est admis que Carrefour puisse procéder à des audits de manière à s'assurer que les préconisations apportées d'un commun accord dans le cahier des charges sont bien suivies d'effet.

Ces audits sont réalisés par un organisme tiers indépendant qui, lui aussi, est choisi par les trois parties. Ce qui est original dans cette démarche, c'est qu'à chaque fois, les parties se mettent d'accord.

Ces contraintes sont donc librement consenties et sont le socle qui justifie les plus-values que nous donnons aux éleveurs.

Ces démarches ont été initiées en 1994 et sont finalisées depuis décembre 2000. Cela montre bien la progression : de 1991 à 1994, on assure la traçabilité, on crée ce climat de confiance et on a un approvisionnement 100 % français ; en 1994, on contractualise notre partenariat et on s'engage jusqu'en 2000 pour arriver à la qualification des élevages puisque, aujourd'hui, l'ensemble des élevages bovins de filière "Qualité Carrefour" a un certificat de qualification.

C'est un contrôle réciproque parce que les éleveurs viennent dans nos magasins, de même que les organismes de contrôle, pour voir si les viandes que nous mettons sous la filière "Qualité Carrefour" sont bien celles qui sont issues de nos élevages certifiés. C'est un double contrôle qui consiste à contrôler à la fois nos magasins et les élevages.

Le principe de précautions nous a amenés à interdire, en 1999, les farines animales terrestres dans l'ensemble de nos filières en anticipant les dispositions légales. Nous avons commencé cette démarche en 1996 avec les filières porcines, et l'aboutissement de tout cela a été l'année 1999.

En effet, nous nous sommes aperçu que les contaminations croisées, surtout, chez les éleveurs pluri-espèces, paraissaient possibles. Les opérations de rinçage des installations n'étaient pas adaptées au faible volume d'aliments pour les petits élevages, puisqu'on sait que, dans l'élevage bovin, on peut avoir quelques petits producteurs qui ont une dizaine de vaches dans leur troupeau et que c'était financièrement trop coûteux pour eux.

Nous avons pris aussi cette décision parce que l'alimentation végétale était reconnue comme un élément de valorisation dans tous les signes de qualité. Le comité des labels et de certification, notamment, dans tous ses labels, recommande l'alimentation végétale.

Cette mesure a été accompagnée de la suppression de tous les antibiotiques utilisés comme facteurs de croissance afin de prévenir les risques de résistance que de nombreux scientifiques estimaient comme probables. Là aussi, aujourd'hui, dans l'ensemble des filières "Qualité Carrefour", nous avons, encore une fois d'un commun accord avec nos partenaires, supprimé les antibiotiques facteurs de croissance.

En 2000, nous avons fédéré autour d'un seul référentiel l'ensemble des associations. Ce dossier a été reconnu et certifié par le Comité national des labels et des certifications.

Il s'agit toujours de ce principe de précaution. On en parle maintenant beaucoup, mais il est vrai que nous l'utilisions depuis longtemps. C'est ce principe de précaution qui nous a conduits, le 21 octobre 2000, à faire une information immédiate à l'ensemble de nos consommateurs, à la suite de l'incident dont nous avons été victimes dans un site d'abattage pour un produit hors filière "Qualité Carrefour", alors que la bête incriminée n'était jamais rentrée dans le circuit commercial.

Le rappel des produits a pu être fait, parce que nous avons, dans l'ensemble des enseignes du groupe Carrefour, une procédure de rappel qui est extrêmement efficace et qui nous permet de rappeler les produits très rapidement.

Toujours dans le cadre du principe de précaution, nous avons sollicité, dès octobre 2000, la mise en place systématique des tests avant abattage et la suppression des farines carnées pour l'ensemble des filières animales. On nous a souvent reproché d'avoir fait de cette opération une opération marketing, ce qui n'est pas du tout le cas. Tout ce que nous avons mis en place, tant la suppression des farines carnées que celle des antibiotiques facteurs de croissance ou la demande du test que l'on avait déjà évoquée sont des choses dont vous avez peu entendu parler dans la presse. Nous le faisons parce que nous estimons que, pour nos clients, ce sont des précautions supplémentaires dans des marques qui engagent l'enseigne.

Ce long cheminement dans le temps concrétise bien la préoccupation constante de Carrefour de proposer à ses consommateurs des produits à la fois bons, sains et sûrs. Notre démarche est pragmatique et non pas scientifique ; elle est pleine de bon sens et vise à réintégrer les valeurs d'origine de l'élevage français auxquelles nous croyons fortement. C'est un partenariat avec des hommes, une alimentation la plus saine possible pour les animaux, des conditions d'élevage avec un maximum de liberté pour les animaux et des conditions de transport et d'abattage qui respectent les animaux.

Pour conclure, je dirai que nous avons besoin de transparence pour que les constats du passé puissent nous donner la mesure de l'avenir. Nous avons toujours souhaité avoir une concertation avec les pouvoirs publics et les professionnels de l'agriculture pour mieux appréhender les avancées scientifiques et les nouvelles données du monde agricole, et nous sommes heureux que cette commission puisse nous permettre de nous exprimer sur ce sujet.

Nous tenons à votre disposition les résultats et les moyens dont nous disposons pour mieux appréhender ces nouveaux phénomènes de société, et nous pensons même que des réflexions du même type pourraient être menées sur un certain nombre de problèmes que l'on voit aujourd'hui émerger, par exemple sur l'utilisation de l'épandage des boues urbaines. Je pense qu'il faut que nous ayons une vraie réflexion sur ces thèmes, notamment sur l'utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance, qui sont toujours tolérés aujourd'hui, ou sur les OGM. Je pense que ce sont des vrais problèmes de fond qu'il serait important de creuser de façon dépassionnée et objective.

En tout cas, je vous remercie de votre attention et je me tiens à votre disposition pour répondre, dans la mesure du possible, dans le cadre de mes compétences et de mes connaissances, à toutes les questions que vous jugerez utile de nous poser.

M. le Président - Merci, madame. Vous faisiez allusion au problème qui s'est passé dans votre marque ou sous votre toit, si je puis dire. L'animal en question n'était pas parti dans la chaîne alimentaire, effectivement. Je suppose donc que vous aviez déjà eu une alerte au niveau de l'abattoir et que d'autres animaux du même troupeau étaient, eux, partis dans le circuit alimentaire. Est-ce que je me trompe ?

Mme Chantal Jaquet - Nous avons été prévenus par les services vétérinaires qu'un animal avait été retiré de l'abattage et évacué du service et qu'il nous fallait procéder à un retrait des produits dont on nous avait donné les éléments. On l'a fait immédiatement et l'animal en question n'était donc absolument pas rentré dans la chaîne alimentaire et dans nos magasins. En revanche, il y avait des animaux du même troupeau qu'on nous a demandé de retirer. Ce sont donc les services vétérinaires qui nous en ont informés.

De plus, un juge a fait une déclaration publique pour annoncer ce qui s'était passé. Il nous paraissait donc extrêmement important d'informer nos clients, sachant que les services vétérinaires nous avaient demandé de retirer les lots de bêtes et que le juge a fait une déclaration publique à travers les médias.

M. le Président - D'accord. Je donne la parole à M. Bizet.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Je vous prie de m'excuser car j'étais absent au début de votre intervention, mais j'ai simplement noté un point, dans la dernière partie de votre intervention, sur lequel je voudrais rebondir. Vous avez en effet utilisé le mot "partenariat". C'est un mot à la mode qui sous-entend un travail véritablement en commun et, surtout, un partage équitable de la valeur ajoutée, qui dépasse très largement le problème de l'ESB.

Là aussi, je pense que nous sommes à un virage. Avez-vous pris conscience qu'en tirant les prix par le bas, soit au niveau de votre enseigne, soit au niveau d'autres enseignes, il y a un moment où on atteint le plancher, si je puis dire, et qu'il faudra malgré tout revenir à des productions d'un autre aspect et d'une autre qualité, ce qui suppose également une élévation du prix et un meilleur partage de la valeur ajoutée ? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

Mme Chantal Jaquet - Le mot "partenariat" est effectivement un peu galvaudé aujourd'hui ; vous avez raison de le souligner. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, cette démarche que nous avons initiée date de 1991. A l'époque, c'était une chose totalement originale. Nous avons beaucoup travaillé avec les pouvoirs publics à l'époque (c'était M. Philippe Guérin qui, à ce moment-là, était le directeur de l'alimentation et nous avons beaucoup travaillé avec ses équipes) sur les référentiels des filières "Qualité Carrefour", un travail dont nous nous sommes beaucoup inspirés par la suite.

Je précise que les filières "qualité Carrefour" étaient, en gros, 10 % plus chères, en magasin, que les viandes de nos concurrents ou le VBF couramment vendu. Cela représentait entre 70 et 80 % des ventes de viandes de Carrefour et plus de 60 % du nouveau groupe, parce que, là aussi, ces filières ont été mises progressivement en marche. On sait bien que ce sont des démarches longues qui s'inscrivent dans la durée avec des projets communs.

Cela a donc représenté environ 60 % des ventes de viande du nouveau groupe Carrefour et entre 70 et 80 % auparavant, et il y avait une prime que nous donnions aux agriculteurs. Lors de la première crise de 1996, nous avons payé environ un ou deux francs du kilo de plus, malgré la prime que nous donnions déjà naturellement à l'époque, pour aider les agriculteurs à sortir de cette crise.

Je crois vraiment que cette démarche que nous avons initiée depuis le départ permet de rémunérer la valeur à son juste prix. C'est vrai pour les filières bovines, pour les filières porcines ou pour des filières comme les carottes, pommes de terre ou d'autres produits que nous vendons aujourd'hui sous notre sigle. Ce ne sont absolument pas les produits les moins chers des rayons et nous valorisons justement les terroirs français, les origines françaises et une qualité avec ces partenaires.

M. le Rapporteur - Qui dit partenariat dit contractualisation avec un groupement de producteurs, mise en place d'un cahier des charges commun, avec une négociation entre un groupement de producteurs et votre enseigne, mais quid de la propriété du cahier des charges ? Est-ce la propriété de Carrefour ou celle du groupement de producteurs ?

Mme Chantal Jaquet - C'est une propriété partagée, puisque nous l'élaborons ensemble. En général, nous faisons ces cahiers des charges avec les représentants des groupements de producteurs. Si je prends l'exemple de la race normande, comme nous avons 20 000 producteurs, nous ne faisons pas un cahier des charges avec les 20 000 producteurs.

Nous avons donc des groupements en essayant, en fonction de l'implantation de nos magasins, d'avoir des groupements de directeurs. Nous travaillons avec le groupement "la Montbéliarde", avec "l'Abondance", avec la "Charolaise"... Je précise que les Charolais sont venus les derniers et que ce sont eux qui sont venus nous le demander parce qu'au début, nous avons commencé avec des petits groupements de producteurs et que les Charolais nous disaient : "cela ne nous intéresse pas parce que nous sommes gros". Cela dit, assistant à nos démarches, ce sont eux qui sont venus nous voir ensuite pour nous dire : "nous aussi, nous voudrions nous inscrire dans les démarches filières Qualité Carrefour".

Nous mettons donc en place ces cahiers des charges avec les groupements de producteurs qui, ensuite, démultiplient avec leurs producteurs.

M. le Rapporteur - Il serait souhaitable, malgré tout --car je connais un peu le problème--, que le cahier des charges reste la propriété des éleveurs. Je pense que vous pouvez deviner pourquoi. Je trouve que ce serait plus rationnel.

Mme Chantal Jaquet - Ce cahier des charges nous engage nous aussi dans la façon dont nous mettons en vente nos produits. A partir du moment où cela engage les deux partenaires, je pense qu'il est important qu'il soit partagé. Il est même partagé entre trois partenaires, parce qu'il comprend aussi les conditions d'abattage, le bien-être des animaux, les conditions de stockage, de transport, etc. Là aussi c'est un engagement fort. Si vous souhaitez que l'on vous fasse parvenir un cahier des charges, nous le ferons avec grand plaisir.

M. le Rapporteur - Tout à fait.

J'ai une dernière question à vous poser : êtes-vous satisfaits de la traçabilité ? Je sais que de gros efforts ont été faits, mais pensez-vous aller encore plus loin en matière de traçabilité et de transparence afin de permettre aux consommateurs d'avoir l'information la plus large possible, qui soit conciliable avec un packaging bien encadré, avec des signes de qualité qui sont, là aussi, bien encadrés mais qui mériteraient peut-être d'être diminués, parce qu'il ne faut pas non plus que le consommateur soit noyé dans trop d'informations ? Avez-vous une réflexion sur ce point pour vous permettre d'aller plus avant dans une meilleure information du consommateur ?

Mme Chantal Jaquet - Je dirai d'abord que plus les filières sont organisées, plus la traçabilité est facile. Les filières porcines ou avicoles, par exemple, sont très organisées et la traçabilité ne pose vraiment aucun problème, ni en matière d'alimentation, ni en matière de conditions d'élevage. On arrive vraiment à maîtriser non pas parfaitement, parce que rien n'est jamais parfait, mais relativement bien la traçabilité.

Effectivement, plus les filières sont éclatées, plus c'est difficile. La filière bovine, aujourd'hui, n'est pas encore très organisée, d'autant plus qu'il y a beaucoup d'intermédiaires. On a vu qu'il y avait beaucoup de problèmes à travers des intermédiaires qui commercialisent des viandes bovines, et je pense qu'il faudrait se pencher un peu plus sur la façon de suivre les animaux à travers leurs différents circuits depuis leur naissance.

On a eu parfois du mal à avoir l'origine totale des animaux. On avait la traçabilité à partir du moment où le producteur l'avait ainsi qu'à partir du moment où il avait acheté la bête, mais il était assez difficile --c'est très particulier à la filière bovine-- de remonter jusqu'à l'origine et la naissance des bêtes pour des bêtes qui ont une dizaine d'années. Je pense qu'il faut vraiment se pencher ce problème particulier.

Nous avons été les premiers sur la filière porcine. Auparavant, une fois que le porc était découpé, on n'avait plus la traçabilité. Or, aujourd'hui, dans nos filières, nous suivons la bête, même découpée ; elle a un numéro et on peut la suivre. Dans nos magasins, aujourd'hui, dans nos filières porcines, nous pourrions mettre le nom du producteur, même si c'est un peu difficile en matière de marquage.

En revanche, aujourd'hui, sur les filières bovines, c'est beaucoup plus difficile. Nous pouvons donner le centre d'élevage : le groupement d'éleveurs certifie un certain nombre d'élevages qui ont été qualifiés. Les viandes arrivent et nous les avons donc parfaitement tracées à partir de l'éleveur et de l'abattoir. En revanche, pour des bêtes qui ont dix ans, nous avons beaucoup de mal, encore aujourd'hui, à retracer ce qui s'est passé les trois ou quatre premières années.

M. Jean Bernard - Vous avez dit, madame, que le contrat avec les éleveurs vous permettait d'avoir une fourniture d'un certain pourcentage de vos ventes, mais cela ne les concerne pas toutes.

Mme Chantal Jaquet - Pas toutes, en effet.

M. Jean Bernard - Au niveau de l'étal, y a-t-il des marques distinctives et le prix supérieur se justifie-t-il par une indication ? Le consommateur peut-il faire la différence entre une viande dite "foraine" et une viande provenant d'un éleveur avec lequel vous êtes sous contrat ?

Mme Chantal Jaquet - Oui. Chez Carrefour, depuis 1991, nous ne commercialisons que des viandes françaises. Nous avions soit du VBF, soit des viandes de qualité filière. Sur ces viandes de qualité filière, on certifiait un certain nombre de choses, dont nos élevages qui sont certifiés, alors que les viandes VBF étaient françaises mais ne venaient pas forcément d'élevages certifiés.

Nous nous sommes d'ailleurs rendu compte qu'après la première crise, en 1996, Carrefour avait eu des résultats bien meilleurs que les autres enseignes de distribution parce qu'à l'époque, le label VBF n'existait pas (il n'a été mis en place que plus tard). Tous les éleveurs étaient venus dans les magasins, puisqu'on leur avait donné la possibilité de valoriser la viande française, et nous avions eu des résultats bien meilleurs (on le voyait à travers le FCD) que nos autres concurrents.

Dans cette nouvelle crise, on s'aperçoit qu'à chaque fois que l'on a des viandes filières, elles se vendent mieux que les autres. Par exemple, dans l'ancien périmètre de Continent, dans lequel on n'avait pas eu le temps de faire monter en puissance l'ensemble des viandes vers la filière qualité, les résultats sont un peu moins bons. De la part du consommateur, il y a vraiment une reconnaissance de ces produits.

M. François Marc - J'ai deux ou trois petites questions à vous poser.

La première concerne les décisions que vous avez prises au mois d'octobre dernier, qui ont été spectaculaires et importantes : le retrait des viandes et une information assez médiatisée. N'avez-vous pas eu l'impression d'écraser une mouche avec une marteau-pilon ou, par rapport à un phénomène limité et sporadique, de créer quelque part une psychose ? Est-ce une chose que vous avez analysée a posteriori ?

Ma deuxième question concerne les viandes que vous mettez aujourd'hui sur le marché. Pouvez-vous nous confirmer qu'il n'y a pas de viande espagnole ou allemande ? On entend en effet des éleveurs qui disent : "ce n'est pas normal ; il y a des viandes allemandes ou espagnoles qui viennent !"

Enfin, j'ai un dernier point lié à cela. Nous avons aujourd'hui un certain nombre de producteurs qui souhaitent que l'on crée au plus vite un observatoire des marges, puisqu'ils ont constaté que les prix étaient très élevés alors qu'on leur achetait leurs bêtes trois fois rien. Êtes-vous favorable à ce que l'on crée un observatoire des marges pour dire clairement où passe l'argent, où sont les marges et comment se répartit la valeur ajoutée au sein de la filière de la viande bovine ?

Mme Chantal Jaquet - Je vais répondre à vos trois questions.

Nous avons un comité scientifique chez Carrefour, même si nous n'en parlons pas, ce qui nous paraît normal dans le cadre de nos responsabilités. Nous nourrissons aujourd'hui près de 25 % de la population française et nous ne pouvons donc pas faire les choses n'importe comment. Nous nous étions donc penchés sur ce problème de l'ESB parce que nous sommes vraiment au coeur de la chaîne alimentaire, entre le producteur et le consommateur. Comme beaucoup de choses se passent, nous nous sentons responsables aujourd'hui et nous voyons à quel point nos clients, qui sont en même temps consommateurs, citoyens et écologistes, nous rendent de plus en plus responsables d'un certain nombre de choses.

Par exemple, on a pu nous dire : "vous vous occupez de ce qui ne vous regarde pas" dans un certain nombre de cas, alors qu'en fait, tout nous regarde parce que nous nous sentons responsables devant nos clients et que ceux-ci nous rendent de plus en plus responsables d'un certain nombre de choses.

Dans le cadre de ce comité scientifique, puisque nous entendions parler de l'ESB comme tout le monde et que nous voulions savoir ce qui était vrai ou non, nous avons fait venir M. Dormont, quelques jours avant que se déclare ce problème chez Carrefour. Cela nous a permis d'avoir connaissance de ce qu'était l'ESB et de ses conséquences, et nous avons été vraiment extrêmement perturbés par ce que nous avons appris.

Par conséquent, quand cet événement s'est déclaré, c'était pour nous quelque chose d'important et non pas un épiphénomène. De plus, les services vétérinaires nous ont toujours fait confiance, de même que nous faisions confiance à la compétence et la diligence des services vétérinaires ainsi qu'aux pouvoirs publics. Le fait de retirer un produit était donc un acte important pour nous.

Par ailleurs, il y a eu la déclaration du juge. Je pense que nos consommateurs n'auraient pas compris que nous ne fassions rien. Je ne puis pas là pour parler de nos concurrents, mais, dans quelques enseignes qui n'ont rien fait, les clients (on l'a vu à travers des enquêtes récentes n'ont pas trouvé normal qu'on ne les prévienne pas.

Je pense que nous avons un devoir vis-à-vis de nos clients. Les enquêtes que l'on a pu faire montrent que Carrefour a été reconnu par les consommateurs, auxquels nous devons répondre en premier, comme une entreprise responsable. Là aussi, nous pourrons mettre ces enquêtes à votre disposition si elles vous intéressent.

Voilà ce que je peux répondre sur votre première question.

Je passe à la deuxième question sur les viandes venant d'Allemagne, d'Espagne ou d'ailleurs. Je peux vous assurer que, chez Carrefour, tout le périmètre des hypermarchés, aujourd'hui, ne se fournit en aucun cas avec une viande autre que française. C'est vrai également pour les supermarchés.

Simplement, vous savez que, depuis la fusion avec Promodès, nous avons des affiliés et des associés qui, ici ou là (mais je ne veux surtout pas dire que cela existe), de façon très sporadique, pourraient faire un achat de viandes étrangères, mais ce n'est en aucun cas une pratique de l'entreprise puisque, depuis 1991, nous menons cette action. Nous le faisons vraiment pour tout. Par exemple, par rapport aux fraises d'Espagne, nous achetons des fraises le jour où la production française démarre et, en général, nous travaillons avec les organisations françaises pour ne pas trop baisser les prix de façon à ce que, lorsque les fraises françaises arrivent, il n'y ait pas de décalage au point de vue des prix. Dès que la production française arrive, nous mettons en place la production française.

Nous faisons la même chose pour les tomates et pour un certain nombre de produits.

Je vous assure qu'en interne, ce ne sont pas toujours des positions faciles à tenir vis-à-vis des directeurs de magasin, parce que certains de nos concurrents ont des prix beaucoup plus bas mais nous le faisons.

Voilà ce que je peux répondre à votre deuxième question.

Enfin, sur l'observatoire des marges, je vais vous donner une réponse qui m'est très personnelle et que j'avais faite à l'époque. En effet, au moment de tous les problèmes sur la filière lait, je faisais partie d'Onilait parce que je m'occupais de la marque "Carrefour" et j'ai été concernée par le problème parce que je faisais partie de la commission constituée autour du ministre pour traiter ce problème.

Ce qui est fondamental, c'est que les producteurs soient rémunérés à leur juste prix et au prix de leur juste travail. Je pense qu'à partir du moment où ils sont payés et que c'est indiqué sur la facture (je ne m'étais pas fait toujours des amis quand je l'avais dit à l'époque), personne ne peut s'y opposer. Il est important que le producteur soit rémunéré à son juste prix.

Ensuite, les marges des transformateurs et des distributeurs appartiennent à chacun, selon sa politique commerciale. Des grands groupes comme Danone, Nestlé ou Yoplait ont aussi, entre eux, des bagarres commerciales et ils doivent pouvoir, en fonction de leurs produits, de leur stratégie ou de leurs outils, être libres de leurs marges. De la même manière, les distributeurs doivent aussi être libres de leurs marges, parce qu'ils peuvent à un moment donné, pour telle ou telle raison, décider de mettre en avant tel ou tel produit.

En revanche, il est fondamental que le producteur soit rémunéré à son juste prix. Il faut se battre pour cela et j'en suis partisane. C'est possible.

J'espère avoir répondu à vos questions.

M. le Président - Très bien. S'il n'y a pas d'autres questions, nous allons vous remercier d'avoir fait le tour de la question. Merci d'avoir répondu à toutes les questions des collègues.

Mme Chantal Jaquet - Nous vous ferons parvenir les éléments dont j'ai parlé : le cahier des charges et l'enquête consommateurs.

M. le Président - Très bien. Cela nous intéresse.

Audition de M. Yves BOISARD,
Directeur du contrôle qualité du groupement d'achats Leclerc,
et de M. Hervé AUBÉ, Directeur général de la société Kermené

(28 mars 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et aussi d'avoir attendu patiemment.

Monsieur Yves Boisard, vous êtes Directeur du contrôle qualité du groupement d'achats Leclerc et, monsieur Hervé Aubé, Directeur général de la société Kermené. Je vous précise que vous êtes auditionnés dans le cadre de la commission d'enquête mise en place par le Sénat sur le problème des farines animales et des conséquences pour la santé des consommateurs et qu'à ce titre, vous ne pouvez témoigner qu'après avoir prêté serment. C'est pourquoi je vais vous rappeler le protocole de cette opération.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à MM. Boisard et Aubé.

M. le Président - Dans un premier temps, je vais vous passer la parole pour que vous puissiez nous indiquer assez succinctement l'organisation qui est en place à l'intérieur de votre société, après quoi nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.

M. Hervé Aubé - Vous savez que le mouvement Leclerc est un groupe de 550 indépendants à travers la France, mais aussi trois autres pays : l'Espagne, le Portugal et la Pologne. Cela veut dire aussi que ces 550 magasins disposent d'un acte d'achat séparé.

Moi-même, je représente le seul outil collectif que nous ayons, c'est-à-dire un outil d'abattage et de transformation d'animaux, qui représente un chiffre d'affaires de 3 milliards de francs, en Bretagne, avec 1 800 personnes, mais qui ne représente que 12 à 20 % des besoins en produits carnés du groupe.

Par essence, ces 550 magasins déclinent régionalement leurs achats de produits carnés et donc nous n'avons pas, à l'intérieur du groupe, de filière organisée. Chacun est libre de pratiquer ses achats comme il le veut.

M. Yves Boisard - Compte tenu de la structure et de l'organisation en magasins indépendants, le système qualité reflète exactement ces dispositions.

Si l'on prend le problème par la base, chaque magasin a donc un responsable qualité. Chaque magasin est une entreprise et un responsable qualité est rattaché directement à la direction du magasin.

Ces magasins sont regroupés en seize centrales régionales ou plates-formes et il y a donc un responsable qualité par plate-forme.

Au niveau national, nous avons des responsables qualité par outil. Ce qu'on appelle "outil", ce sont toutes les sociétés qui référencent les produits : les produits alimentaires d'un côté et les produits non alimentaires de l'autre. On va ensuite dans un niveau encore plus détaillé avec le textile, le bazar et ainsi de suite. On attache une importance particulière à tout ce qui est marques de distributeurs, avec un service qualité complètement intégré dans la société que l'on appelle Scamarque et qui gère les marques des distributeurs.

Enfin, au dernier échelon, relié directement à la structure dirigeante de l'enseigne, il y a un service qualité groupe dans lequel je travaille et qui est chargé de trois tâches principales : tout ce qui touche à la veille, au sens large, tout ce qui touche aux préconisations quant aux démarches qualité que chaque niveau doit adopter et une démarche de surveillance du bon fonctionnement de l'ensemble des outils des centrales et des magasins.

Au fond, nous avons une structure comparable à ce qu'on trouve dans les groupes industriels, avec, de haut en bas, une direction de qualité groupe, une direction de qualité branches (pour nous, ce sont les régions) et une direction de qualité sur chaque site, un peu comme si nous avions des usines.

M. le Président - Si je comprends bien, cela veut dire qu'en particulier pour ce qui concerne la viande, chaque magasin est indépendant.

M. Yves Boisard - Chaque magasin a la liberté d'acheter.

M. le Président - Donc vous n'avez pas de cahier des charges commun et réel pour l'ensemble des magasins Leclerc ?

M. Yves Boisard - Absolument.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Je voudrais savoir quelle a été l'incidence, à ce jour, de la crise de l'ESB sur vos ventes, dans l'ensemble de vos magasins, si vous pensez retrouver le niveau de consommation antérieur et, si c'est le cas, à quelle échéance.

M. Hervé Aubé - C'est une crise qui a amené une variation dans les ventes. Les deux premières semaines de la crise, c'est-à-dire au mois de décembre, les tonnages ont baissé de pratiquement 40 à 50 % pour se relever dès la troisième semaine, où nous avons atteint un niveau de - 20 %, et ce jusqu'à il y a quatre semaines, où nous retrouvions nos tonnages, puisque, comme nous l'avons dit tout à l'heure, les magasins sont indépendants mais que l'on a une vision relativement précise de ce qu'achètent les magasins. Les magasins achetaient surtout des races à viande et, de ce fait, avaient retrouvé des tonnages qui devaient se situer entre - 8 et - 10 %.

C'est la crise de la fièvre aphteuse qui a fait replonger les magasins, depuis trois semaines, à un niveau de - 20 %. Voilà la situation.

Cela dit, il faut ajouter une particularité sur la viande déstructurée, comme le steak haché, qui n'a jamais retrouvé les tonnages que nous connaissions avant la crise. Ces tonnages doivent se situer encore aujourd'hui autour de - 30 %.

M. le Rapporteur - Imaginez-vous mettre en place des relations de partenariat plus fortes qu'elles n'existent aujourd'hui entre producteurs, transformateurs et distributeurs, les contractualisations allant jusqu'à l'identification de l'exploitation agricole avec, à la clef, un partage de la valeur ajoutée différent d'aujourd'hui ? Est-ce une démarche à laquelle vous avez réfléchi et dans laquelle vous allez vous lancer ? Si c'est le cas, n'est-ce pas une difficulté pour vous compte tenu du fait que chaque magasin est indépendant ?

M. Hervé Aubé - Effectivement, c'est une difficulté. En ce qui concerne l'outil collectif et les besoins qu'il représente vis-à-vis de ces 550 magasins, on a déjà pratiqué ce que vous évoquez, mais on l'a fait beaucoup plus sur d'autres espèces animales que le bovin. Nous l'avons pratiqué depuis dix ans sur le veau, en contractualisant avec les éleveurs sur un veau spécifique élevé uniquement avec de la protéine laitière dans un cahier des charges très précis.

Nous avons aussi contractualisé ce type de cahier des charges pour les espèces porcines parce que, avant cette crise bovine, nous nous apercevions que les consommateurs voulaient un produit déjà sans farine de viande. Nous avions donc contractualisé avec un certain nombre d'éleveurs un produit à la fois sans farine de viande, sans antibiotiques et sans facteurs de croissance. Nous avons vu ainsi les ventes largement se développer au cours de la crise bovine.

La grande difficulté que nous avons, c'est de contractualiser avec 550 magasins, mais les 550 magasins jouent leur citoyenneté municipale : leurs fournisseurs sont à côté des magasins et ils sont connus. Ce sont donc des achats de proximité qui sont faits. Par conséquent, même s'il n'y a pas une contractualisation sur le papier, il y a une contractualisation morale avec un certain nombre de fournisseurs, région par région.

M. le Rapporteur - Avez-vous une harmonisation de votre cahier des charges ou chaque magasin doit-il définir son cahier des charges ?

M. Hervé Aubé - En fait, il y a une harmonisation des cahiers des charges. Les magasins ont beaucoup d'espaces non pas en libre-service mais que l'on appelle traditionnels et, de ce fait, déclinent des achats d'animaux "boucher". Quand on parle d'animaux "boucher", on parle pratiquement toujours des mêmes catégories d'animaux. De ce fait, sans avoir de contractualisation écrite, les gens se réfèrent toujours aux mêmes animaux.

M. le Rapporteur - Êtes-vous satisfaits de l'état de la traçabilité, aujourd'hui, vis-à-vis des demandes de vos consommateurs ? Dans le même ordre d'idée, êtes-vous en phase avec les consommateurs sur la décision de l'Union européenne du 18 juillet dernier sur les normes d'étiquetage et d'identification qui ont été en deçà de ce qui avait été logiquement demandé et prévu ?

M. Yves Boisard - A l'automne dernier, lorsque nous avons diffusé les documents d'application des recommandations européennes, nous avons conseillé aux magasins de continuer à indiquer les deux informations qui étaient utilisées précédemment et qui manquaient, à savoir la catégorie et le type racial, parce que nous pensions --nous le pensons toujours-- que ces informations étaient demandées par les consommateurs.

Il n'y a pas de difficulté particulière à l'indiquer, puisqu'on l'a fait pendant très longtemps, et la marche arrière que l'on a constatée à l'automne et qui a été appliquée à partir du 1er janvier (il y avait une tolérance de quelques mois pour mettre en place la démarche) nous paraît être un recul par rapport à une chose qui était parfaitement établie et qui ne posait pas de problème particulier.

C'est pourquoi les magasins qui l'ont souhaité peuvent continuer à indiquer sur leurs étiquettes à la fois la catégorie et le type racial.

M. le Rapporteur - Mais vous n'êtes pas en conformité avec la législation.

M. Yves Boisard - Non, mais nous pouvons aussi donner des informations parce que nous pensons que les consommateurs les demandent.

M. le Rapporteur - Quels sont vos rapports avec la DGCCRF sur ce point précis ?

M. Yves Boisard - A aucun moment elle ne nous a fait remarquer que nous donnions plus d'informations que ce à quoi nous étions tenus, mais il est possible que cela change. A ce moment-là, nous demanderons aux magasins de rentrer dans la légalité, au moins sur ce niveau d'étiquetage.

M. le Rapporteur - Avez-vous, sur ce point précis, une réflexion qui va plus loin en termes d'information du consommateur ? En dehors du type racial, du lieu d'abattage, etc., avez-vous l'intention de médiatiser davantage ?

M. Yves Boisard - Pas à ce jour. Les informations qui sont données sont, à notre sens, très complètes pour la viande bovine. Maintenant, on peut se demander si on est en mesure de faire le même travail sur les autres espèces animales, sur la viande de porc, sur la viande ovine et ainsi de suite.

M. le Président - Très bien. Il n'y a pas d'autres questions ?

Je pense que vous nous avez donné la totalité de ce que nous attendions, sachant que nous avons pu poser les questions que nous voulions. Merci d'avoir répondu à cette invitation. Nous avons ainsi l'organisation telle qu'elle est établie chez vous, qui est différente d'autres groupes.

M. Yves Boisard - Très différente.

M. le Président - Cela nous permet aussi de comparer. Merci beaucoup.

Audition de M. Régis LESEUR,
Vice-Président du Conseil général vétérinaire

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci, Monsieur Leseur d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes Vice-Président du Conseil Général Vétérinaire. Nous avons souhaité vous auditionner dans le cadre de cette commission d'enquête sur les farines animales et les conséquences provoquées sur la santé des consommateurs.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Leseur.

M. Régis Leseur - Monsieur le Président, Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs, nommé Vice-Président du Conseil Général Vétérinaire le 25 décembre 1999, j'ai auparavant exercé au sein du ministère de l'Agriculture et de la Pêche un certain nombre de fonctions, notamment de décembre 1987 à juillet 1992, où j'étais sous-directeur de l'Hygiène alimentaire à la Direction générale de l'Alimentation et, en 1992, Monsieur le ministre de l'Agriculture et de la Pêche m'a demandé de créer ce qui est devenu au 1er juillet 92 la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires.

C'est à ce titre que la commission d'enquête que vous présidez souhaite entendre l'histoire de cette époque.

Je crois que pour aborder cette question il est nécessaire de rappeler quelques connaissances historiques pour bien délimiter le sujet.

En 1988, apparaît une nouvelle maladie qualifiée d'ESB. En 1990, sont prises en France les premières mesures vis-à-vis d'un éventuel passage de l'animal à l'homme et, en 1996, nous connaissons la révélation anglaise du passage presque avéré à l'homme.

Mon histoire personnelle, dans cette affaire, se situe autour de trois dates : il se trouve que, par le hasard des circonstances, c'est moi qui en 1991, à Bruxelles, ait annoncé le premier cas d'ESB français. En 1990, j'ai géré l'embargo britannique contre les viandes. En avril 1996, alors que le nombre de cas d'ESB paraissait augmenter, le Directeur Général de l'Alimentation de l'époque a demandé à la Brigade que je dirigeais, de s'intéresser aux enquêtes épidémiologiques concernant l'ESB.

Quelques points concernant les connaissances réelles dans l'histoire car, aujourd'hui, on fait une certaine confusion dans la connaissance des faits au cours des ans.

En 1988, je rappelle que l'on parlait d'un élément de transmission intitulé : « un agent de transmission non conventionnel ». Le mot « prion » n'existait pas.

En 1989, la France prend les premières mesures vis-à-vis des farines anglaises.

En 1990, l'épisode du chat a amené ultérieurement les premières mesures concernant la viande.

En 1994, un certain nombre d'informations parcellaires ont montré qu'il pouvait exister un passage à l'homme.

Début 1996, il n'était pas encore question du principe de précaution, mais du principe de prévention.

En 1997, seulement, une méthode d'analyse fiable et pertinente a vu le jour.

Tout ceci et ces quelques éléments de rappel pour qu'en 2001 il soit possible de relativiser la connaissance que les uns et autres avions des problèmes à cette époque. Il est évident qu'à la faveur des connaissances que nous avons en 2001, nous pouvons porter un jugement différent sur les actions qui ont pu être menées au cours de cette décennie, mais il était normal et nécessaire de rappeler cette connaissance.

Me concernant, pour être très clair, en 1996, quand il a été demandé à la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires de s'intéresser au problème de l'ESB, il existait une dizaine de cas avérés (premier cas officiel : 1991) et les travaux avaient toujours été générés et pilotés par l'Administration Centrale, organisme auquel je n'appartenais plus.

Compte tenu de la flexibilité de la structure que j'animais, de ses pouvoirs étendus puisqu'ils avaient compétence sur l'ensemble de la France et que nous rendions compte de l'existence de mouvements à l'intérieur du territoire français, il était logique de nous intéresser à la question.

Pour ce faire, nous avons procédé à un travail collectif et méthodologique entre nous : comment allions-nous aborder cette question ? Il est bien évident que nous avions un certain nombre de connaissances scientifiques avérées, mais qu'il était nécessaire de les coupler avec les connaissances de terrain recueillies et celles que nous allions devoir recueillir.

Nous avons préparé ce travail par une approche dans plusieurs domaines. Dans le domaine alimentaire, de la génétique, des diverses productions situées autour de la ferme et dans les modes de culture qui pouvaient se présenter au niveau de chaque ferme.

Nous avons pris comme éléments de base essentiels à toute notre enquête les cas qui étaient signalés et déclarés et c'est à partir de ce travail au niveau de l'endroit où le cas s'est développé que nous avons remonté toute l'histoire, sans oublier que nous nous intéressions à des faits qui s'étaient passés entre 5 et 10 ans auparavant. La mémoire des personnes est une chose et la mémoire des textes est autre chose et, entre temps, il y avait eu, du fait de l'évolution économique, des disparitions.

Nous avons été amenés à faire des enquêtes de terrain, ce qui a abouti à une publication d'un rapport administratif à la fin de chaque année et, compte tenu de l'incidence judiciaire qui commençait à se manifester en 1996, par la saisine de deux juges d'instruction, l'un à Nantes, M. le juge Petillon et l'autre à Paris, Mme le juge Boizette, nous avons collaboré à ces enquêtes judiciaires.

Au cours de ces 5 à 6 années de travail sur ce sujet, au titre de la Brigade Nationale d'Enquêtes Vétérinaires, nous avons été amenés à traiter trois types de sujets.

Le premier concernait les veaux, le deuxième les viandes anglaises et le troisième les cas d'ESB avec une incidente sur les farines. Je rappelle que notre saisine n'était pas, contrairement à celle de Mme le juge Boizette, une saisine de toutes les entrées sur le territoire national, mais un travail d'enquête lié à l'apparition des cas avérés et, de ce fait, nous n'avons travaillé, nous concernant, que sur les cas déclarés.

A partir de 1997, nous avons eu un certain diagnostic que nous avons présenté à la Commission Dormont pour qu'elle ait une connaissance des faits passés que nous supposions réels et pour que, dans ses recommandations scientifiques, elle puisse délibérer de manière pertinente et proposer aux autorités des ministères considérés, un certain nombre de mesures.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Vice-Président, j'ai noté au travers de vos propos trois points fondamentaux. En 1991, vous avez été celui qui avez annoncé à Bruxelles le premier cas d'ESB. Quel était votre interlocuteur et avez-vous reçu une certaine écoute ?

M. Régis Leseur - C'était dans le cadre des réunions des chefs de service vétérinaires, au titre du Conseil où (je ne sais plus quelle était cette réunion) tous les chefs de service vétérinaires étaient présents. L'homologue anglais était Keith Meldrum et je me souviens -puisqu'il était mon vis-à-vis- lui avoir dit, d'une forme de clin d'oeil, que c'était une vache d'origine britannique.

Voilà en deux mots la relation de cette situation car n'étant pas compétent dans les affaires de santé animale, car mon domaine de compétence était la sécurité alimentaire, j'étais le chef de service en exercice à la réunion des chefs de service et c'est pourquoi j'ai annoncé ce premier cas anglais.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu le sentiment d'être pris au sérieux, écouté, entendu et compris ?

M. Régis Leseur - Il faut relater les problèmes ou l'ambiance de cette époque : l'ESB était une maladie animale et uniquement animale.

M. le Rapporteur - Max était mort en 1991.

M. Régis Leseur - C'était en février 1991. En 1991 encore, et en 1992 c'était une maladie considérée comme étant animale.

Je n'ai entendu aucune remarque de la part des autres délégations ni de la commission.

Je rappelle que cette information était un élément informel -ce n'était pas dans le cadre du conseil- que le chef de service de l'époque m'avait demandé de rapporter aux autres chefs vétérinaires.

M. le Rapporteur - Vous nous avez dit avoir géré vous-même l'embargo dans les années 1992.

M. Régis Leseur - 1990.

M. le Rapporteur - Or, étaient-ce des embargos de la viande britannique ?

M. Régis Leseur - Oui.

M. le Rapporteur - La concomitance entre cette date 1990 et 1992 nous a troublés. En 1995 la Commission Européenne, au travers d'une directive, avait enjoint nos amis britanniques de procéder à des opérations d'identification correctes de leur cheptel, et nous venons de découvrir avec l'ensemble de nos collègues que ce n'est qu'en 1997-1998 que l'on peut considérer que le processus d'identification du cheptel bovin a été mis en place. Comment gérer un embargo quand vous n'avez pas d'identification des animaux ?

M. Régis Leseur - Nous sommes en 1990 et le fait que je rapporte est l'épisode ordonné par Henri Nallet, ministre de l'Agriculture de l'époque à la veille de la Pentecôte 1990 qui stipulait de procéder à un embargo sur les viandes britanniques et quelques jours après, puisqu'une réunion du Comité Vétérinaire Permanent dans un premier temps et du Conseil de l'agriculture dans un deuxième temps ont eu lieu, les mesures concernant les viandes anglaises ont été rapportées.

Nous sommes dans une situation où les Etats membres se font confiance.

Je rappelle que sous présidence française en 1989 -j'étais le Président du Comité des experts à l'époque-, nous avons fait passer une directive intitulée : « La Directive Assistance Mutuelle ». A ce titre, les Etats membres s'engageaient à aider leurs partenaires.

Nous sommes à l'époque de l'ouverture du Grand Marché ; à ce titre, il était tout à fait normal et logique de faire confiance aux autorités des Etats membres.

Ou alors -c'est hélas ce qui a pu se passer après et que nous avons découvert plus tard-, un certain nombre de partenaires, britanniques notamment, n'ont pas tout à fait joué le jeu.

M. le Rapporteur - C'est la première fois que j'entends parler de cette notion de Directive Assistance Mutuelle. Nous nous procurerons le document en question.

M. Régis Leseur - Elle a été transcrite dans le droit français par un arrêté de 1991.

M. le Rapporteur - D'où provenaient les farines utilisées par les fabricants d'aliments pour animaux jusqu'auxquels les enquêteurs sont remontés ?

M. Régis Leseur - La grande difficulté est que notre « commission d'enquête » à l'intérieur de notre structure est une commission nationale. Notre pouvoir d'investigation est national. Quand nous nous sommes trouvés devant un certain nombre de problèmes concernant des farines étrangères, nous n'avions que deux solutions. La première consistait, pour une période très ancienne, à nous assurer que les farines étaient anglaises ou d'un autre pays, auquel cas nous interrogions les services compétents dudit pays, et la deuxième était d'utiliser la voie judiciaire, ce que nous avons fait dans un certain nombre de cas et, de ce fait, munis d'une commission rogatoire délivrée par un juge et accompagnant un officier de police judiciaire, nous nous sommes rendus en Belgique.

Nous pouvons dire avec une certaine certitude, pour ne pas dire une totale certitude, que l'ensemble de la première vague des cas français a très clairement une origine de farines britanniques puisqu'elle est liée aux importations régulières des farines de Grande-Bretagne jusqu'en 1989.

Nous ne pouvons pas aller plus loin, car il aurait fallu faire des tests en disant que c'est la farine qui a procuré la mort, mais tout concourrait à pouvoir dire qu'il était possible de rapporter les cas avérés à la consommation de farines anglaises.

Dans un deuxième temps, c'était compliqué. Il est évident que, très certainement (cela doit figurer dans notre rapport de 1998), des farines françaises ont provoqué cette épidémie. Pourquoi ? D'après moi, plusieurs raisons expliquent cette situation. L'histoire nous permet de le dire : il y a eu une sous-déclaration des cas d'ESB en France dans les années 1991-1992.

M. le Rapporteur - L'affirmez-vous ?

M. Régis Leseur - Pourquoi une sous-déclaration ? C'est une maladie nouvelle, inconnue ou quasiment, parce que dans la littérature en 1880, M. le Professeur X de l'Ecole Vétérinaire de Toulouse a mentionné son existence. C'est une maladie inconnue dont on voit éventuellement les premiers prodromes par l'agriculteur, et la tentation naturelle d'un agriculteur est de se débarrasser d'un animal dont il soupçonne qu'il n'ira pas au bout de sa vie que ce soit en tant qu'animal de viande ou de sa vie économique.

Ce n'est pas porter injure à qui que ce soit.

Deuxième raison : jusqu'en 1996, il y avait réutilisation dans l'appareil d'équarrissage d'éléments qui historiquement parlant, faisait partie de l'histoire : on réutilisait dans le cadre de la chaîne alimentaire un certain nombre d'éléments que l'on considère aujourd'hui comme horribles mais qui étaient parfaitement acceptés par la population et tout le monde à cette époque : l'utilisation des saisies d'abattoir, voire l'utilisation de cadavres. Jusqu'en 1996, ces produits entraient dans la chaîne de fabrication des produits destinés à l'alimentation des animaux et personne n'y avait trouvé à redire.

Troisième élément peut-être : on a beaucoup glosé sur l'histoire du traitement 133 degrés, 20 minutes, 3 bars. Je rappelle qu'en 1990, à Bruxelles, quand a été acceptée la « Directive concernant le traitement d'équarrissage », une bagarre extraordinaire a eu lieu entre les délégués français et allemands. Pourquoi ? Ce procédé était allemand et uniquement allemand. De ce fait, comme les Allemands avaient déjà utilisé un système de ce genre concernant les poules pondeuses quelques années auparavant, la délégation française s'est battue bec et ongles pour obtenir « un traitement équivalent » et non pas le traitement 133 degrés, 20 minutes, 3 bars. C'est la raison essentielle pour laquelle, dans cette directive, apparaissent ce procédé « ou traitement équivalent ».

M. le Rapporteur - Les importations de farines britanniques ont-elles perduré en France après l'interdiction au plan européen et, dans l'affirmative, d'où tenez-vous ces sources et pouvez-vous donner quelques précisions ?

M. Régis Leseur - Pour pouvoir dire qu'il y a eu fraude, il faut le prouver et il est clair que les autorités britanniques en 1988 ont décidé théoriquement, provisoirement, de ne plus donner leurs farines animales aux animaux du cheptel britannique. Bien évidemment, ils l'ont annoncé très tardivement. Là encore quand il est dit qu'ils l'ont fait en 1988, cela n'a pas été connu immédiatement. Il a fallu écrire plusieurs fois aux autorités britanniques pour leur demander quelles mesures elles avaient prises, et je mets ceci en parallèle avec la Directive Assistance Mutuelle.

M. le Rapporteur - Vous êtes allé chercher l'information, eux-mêmes ne l'ont pas donnée.

M. Régis Leseur - Ils l'ont peut-être donnée quelque part, mais pas clairement. Dans cet épisode (je ne voudrais pas que l'on ressorte de cette salle en disant que les Anglais n'ont pas joué le jeu), mon sentiment et ma conviction profonde sont que ce dossier eût été mieux géré si les autorités britanniques avaient joué le jeu comme elles auraient dû le faire et si la commission avait également joué le jeu qui était le sien et qu'elle n'a pas joué : vous en connaissez les raisons.

A partir de là, nous pouvons nous poser un certain nombre de questions. On a beaucoup glosé également sur le passage des farines anglaises via l'Irlande, la Hollande et la Belgique. Nous avons vu des projets de transactions entre des opérateurs, mais nous ne sommes ni capables ni en mesure de dire si elles ont eu lieu. N'oublions pas qu'à partir de 1993, au terme de la modification douanière -puisque nous étions dans le Grand Marché- une modification essentielle a eu lieu puisqu'il n'existait plus de passages en frontières ; ils étaient abrogés et transformés en une déclaration d'échange de biens dont le montant variait selon les pays. Après nous pouvons dire que nous avons constaté ceci ou cela ; je n'irai pas jusque là. Nous n'avons pas pu, nous, avec certitude dire qu'il y a eu fraude et nous n'avons jamais constaté de fraudes de l'embargo sur les farines britanniques.

Cependant, une idée (plus même) est à rapporter des procédures pénales que nous avons diligentées : des farines anglaises ont pu être ajoutées à ce que l'on appelle le « corn gluten field », les maïs américains et autres sur un certain nombre de ports du Nord de l'Europe, et les poids spécifiques, les pourcentages en phosphore et en calcium étant à peu près identiques, il n'était pas possible de faire la différence, mais ce n'est qu'une hypothèse.

M. le Rapporteur - Que vous n'avez jamais pu vérifier.

M. Régis Leseur - Que je n'ai pas pu confirmer. Il eût fallu que les autorités belges, voire les autorités néerlandaises, puissent approfondir le dossier.

M. le Rapporteur - C'est une hypothèse, mais si vous l'avez émise, vous aviez donc des idées...

M. Régis Leseur - J'ai personnellement alerté les deux familles professionnelles -le SYNCOPAC et le SNIA- pour leur dire de faire des contrôles sur le corn gluten field qu'ils importaient, parce qu'il y avait peut-être matière à fraudes. Quand nous avons découvert cela, nous étions en 1997.

M. le Rapporteur - Avez-vous eu le sentiment d'une écoute de la part de ces deux organismes ?

M. Régis Leseur - Oui. Et nous sommes en 1997-1998. Nous commençons en 1996, nous remontons en 1992-1993 et 1990 et les éléments que j'évoque : 1998. Tout ce qui a été écrit à partir des contaminations croisées sont le résultat de toutes nos enquêtes de terrain. En 1996, nous n'imaginions pas un seul instant que nous déboucherions sur ces problèmes.

M. le Rapporteur - Un point nous trouble également -et quand nous interrogeons les anglo-saxons, les réponses ne nous satisfont pas- concernant les abats. Nous connaissons les quantités d'abats importées avant 1990, et à partir de 1990 jusqu'en 1996, nous savons quelle a été l'inflation en la matière. Avez-vous des réponses, des ventilations car, quand il est question de quantités d'abats, cela a été multiplié par 20 dans la dernière période, et même si l'on nous dit que nous importons du foie et des rognons, nous ne nous sommes pas mis brutalement, en France, à manger 20 fois plus de foie ou de rognons.

M. Régis Leseur - Quand on parle d'abats, on tombe dans la classification douanière, anatomique et, de nombreux éléments sont classés sous le terme d'abats. En 1990, il y avait une interdiction de pénétration sur le territoire national de la moelle épinière et de l'encéphale. Le foie et les rognons n'ont jamais figuré sur cette liste.

Les Anglais ne sont pas des consommateurs d'abats. D'un autre côté, un certain nombre d'abats ont toujours été utilisés dans la fabrication de l'alimentation pour animaux de compagnie. Il ne faut pas oublier cette possibilité qui a été que, compte tenu du fait que c'est une matière première peu onéreuse, il a pu y avoir et il y a eu beaucoup d'utilisation d'abats pour les animaux de compagnie. Je ne pense pas qu'en termes de consommation humaine il y ait eu brusquement une multiplication par 10 de la consommation des ménages français en foie et en rognons.

M. Georges Gruillot - Ce que je viens d'entendre m'étonne quelque peu. Quand nous avons abordé ce type de problème, tout le monde s'accordait à dire que nous avions consommé énormément de cervelles anglaises jusqu'en 1992. Ces cervelles arrivaient à Rungis.

Vous nous dites que nous avons arrêté en 1990. Il est très important, entre ces deux dates, de savoir la réalité.

M. Régis Leseur - Monsieur le sénateur, je crois qu'il existe -comme dans toute activité commerciale, des fraudes. L'histoire, notamment en 1997 ou en 1998, nous l'a démontré. En 1990, la décision d'interdire les cervelles anglaises figure expressément dans l'avis aux importateurs des 5 et 6 février 1990.

De là à dire qu'il n'y a pas eu de possibilités d'entrées sur le territoire national via la Belgique notamment, puisque nous l'avons démontré nous concernant sur les viandes dans les années 1997-1998, c'est un pas que je ne franchirai pas. Il n'y a pas contradiction entre ce que je dis sur le plan du droit et les pratiques qui ont pu exister jusqu'en 1992 et peut-être ensuite.

Encore une fois, à partir du moment où une cervelle supposée anglaise, arrive à quitter le Royaume-Uni, qu'elle se retrouve en Belgique ou en Allemagne, à ce moment-là elle devient belge, allemande ou hollandaise. Comment voulez-vous dire qu'elle était interdite sur le territoire français ? C'est le problème du commerce triangulaire que vous évoquez par là et ce sont ceux que nous avons eus à gérer dans le cadre des viandes en 1996 et 1997.

J'ai quitté mes fonctions à l'Administration centrale en 1992. Rungis nous avait signalé des arrivées anormales de cervelles anglaises qui ont été saisies à chaque fois que nous nous étions rendu compte qu'elles étaient d'origine anglaise mais si elles n'étaient pas expressément d'origine anglaise, si elles avaient bénéficié d'un changement de nationalité entre temps, elles ont, hélas, pu passer.

M. Georges Gruillot - Cela bouleverse tout ce que l'on nous a dit depuis 3 mois. Il faudrait retrouver qui nous a dit quoi. Jusqu'à maintenant, nous savions, dans la commission, que les Anglais avaient interdit en 1989 en Angleterre la consommation d'abats dangereux, en particulier toutes les matières nerveuses dont les cervelles.

M. Régis Leseur - Ne les consommant pas, il leur était facile de les interdire.

M. Georges Gruillot - En France, nous ne les avons interdites qu'à partir de 1992.

M. Régis Leseur - Non.

M. Georges Gruillot - Vous nous dites l'inverse de ce que nous savions jusqu'à maintenant.

M. le Président - Reprécisez-nous à ce sujet quels sont les dates que vous pouvez affirmer.

M. Régis Leseur - Monsieur le Président, je fais appel à ma mémoire car je ne gère plus les affaires administrative au jour le jour comme je l'ai fait à l'époque depuis fort longtemps, mais il me semble sans trop me tromper pouvoir dire que c'est l'avis aux importateurs de février 1990 qui a interdit la pénétration sur le territoire français de ces abats à risques.

Il faudrait que l'on puisse vous fournir les arrêtés, les avis aux importateurs en question, mais ils existent et, dans tous les cas, car j'ai en mémoire une note d'information du 23 mars 1990 où ces éléments figurent expressément.

M. le Rapporteur - En 1990 : interdiction et ce n'est qu'en 1992 que nous interdisons officiellement suite à un avis du Comité Vétérinaire Permanent l'incorporation de cervelle dans les pots pour bébés.

M. Régis Leseur - En France, nous n'étions pas favorables à l'utilisation de ces tissus nerveux quelle que soit l'origine. Encore une fois, il faut repartir d'un autre débat qui est celui sur la viande hachée. Avant les années 90, il y avait eu un très grand débat opposant la France aux autres pays et notamment le Royaume-Uni, sur la viande hachée.

La viande hachée française comme je le disais à l'époque, « la viande hachée à la française » était constituée exclusivement de parties nobles. Alors que nos amis britanniques utilisaient pour cette viande hachée, plutôt consommée sous la forme de boulettes, un magma de tout.

La Directive Viande Hachée qui a fini par sortir était très claire sur la question : ne pouvait recevoir la dénomination « viande hachée » que des viandes constituées uniquement de morceaux nobles.

Un débat a eu lieu sur un autre concept : la préparation de viandes hachées, où entraient un certain nombre de mélanges, de produits, mais je ne me souviens plus à quelle époque et étant en responsabilité à cette époque, je peux vous dire que l'une des négociations à laquelle nous avions abouti était que ces fameuses viandes de piètre qualité étaient destinées, tout au moins jusqu'en 1992, au marché anglais. Il n'était pas question qu'elles pénètrent sur le territoire français, car nous maintenions le fait que les viandes hachées avec une valorisation extrêmement importante, qu'elles étaient très intéressantes pour les collectivités et la filière parce que c'était l'utilisation d'un certain nombre de bas morceaux que le consommateur français ne voulait plus consommer (les avants des animaux) et qu'il était intelligent et intéressant de les faire consommer sous la forme de viande hachée. La spécificité française de la viande hachée a été très forte en cette matière.

Ensuite, le débat s'est posé sur les pots pour bébés. Nous n'étions plus dans le cadre de la viande hachée mais dans celui des préparations quelle que soit la destination et, à ce titre, compte tenu que les anglais continuaient d'utiliser les magma de tout ce que vous voulez, le débat a eu lieu et cela a abouti à un arrêté en France en 1993 sur l'interdiction d'utiliser les cervelles et autres dans le cadre de l'alimentation pour les enfants.

En 1993, est sorti le fameux arrêté sur les petits pots pour bébés.

M. Paul Blanc - Précédemment, vous avez insisté lourdement en disant que jusqu'en 1992 l'ESB était considérée exclusivement comme une maladie animale. Or, il semble qu'il ait existé un rapport de l'Académie de Médecine de 1990 qui demandait de ne pas exclure la possibilité de la transmission à l'homme. Qu'en est-il ?

M. Régis Leseur - Il est évident que quand je déclare que les connaissances scientifiques de l'époque nous incitaient à dire que la maladie n'était qu'une maladie d'animal, je le tiens des scientifiques pertinents de l'époque, mais il est évident qu'au titre du ministère de l'Agriculture, dans le cadre de nos fonctions (je rappelle que la loi de 1965 commence ainsi : « Dans le cadre de protection de la santé publique, il doit être procédé à... », l'interrogation d'une possible transmission à l'homme a toujours existé, même en 1989 et en 1990, mais aucun élément pertinent ne venait corroborer cette thèse, en raison de sa similitude avec la tremblante avec laquelle nous vivons depuis 200 ou 300 ans et qui ne s'est jamais transmise à l'homme. Il a fallu attendre officiellement 1996 pour avoir une approche différente car, encore une fois en 1993 et en 1994, aucun scientifique digne de ce nom n'a commencé à dire : « Attention, cela risque de passer la rampe ».

Bien sûr, il y a eu ce cas de la barrière d'espèce par les chats en 1990. Les scientifiques ont dit que ce sont des choses qui arrivent.

L'Administration est devenue le gestionnaire du risque (puisque cette répartition des rôles est relativement récente) et, à l'époque, nous avions fait l'analyse et n'imaginions pas collectivement que la maladie passerait à l'homme. Jusqu'en 1996, nous ne l'imaginions pas et, aujourd'hui, Monsieur le sénateur, des questions restent ouvertes, même si nous ne pouvons raisonnablement pas penser qu'elle a pu être transmise à l'homme par la Maladie de Creutzfeldt-Jakob.

M. Paul Blanc - Vous n'avez pas eu connaissance de ce rapport de l'Académie de Médecine en 1990 ?

M. Régis Leseur - Dans un compte rendu de réunion, je me souviens qu'a été évoqué le problème de passage à l'homme et nous avons dit rapidement que pour l'instant ce n'était pas d'actualité sur le territoire français, car nous n'avions aucun cas et, dès 1990, nous avions pris des mesures officiellement vis-à-vis de l'importation des denrées à risques britanniques.

Voilà la raison pour laquelle nous n'avons pas poussé plus avant cette recherche.

M. le Rapporteur - Je reviendrai sur un point concernant la viande.

Je me suis laissé dire qu'il existait un mouvement d'exportation/importation de viande française allant vers l'Angleterre et de l'Angleterre revenant en France considérant que des outils de désossage britanniques avaient une performance bien supérieure aux outils français, et des mouvements tout à fait légaux ont eu lieu en la matière. Confirmez-vous ce savoir-faire bien supérieur des outils de découpe anglo-saxons ?

M. Régis Leseur - Tout dépend, là encore, Monsieur le rapporteur, à partir de quand. Il est exact que certains outils britanniques étaient plus performants, mais je ne vois pas l'intérêt économiquement d'abattre des animaux sur le territoire français, de les transformer à Rungis, ou éventuellement en Normandie, de les amener à Rungis de les renvoyer au Royaume-Uni, de les triturer et de les ramener sur le territoire français à un prix compétitif.

Sur le plan purement économique j'ai du mal à le croire. Que certains faiseurs dans le cadre de sociétés pouvant avoir deux ateliers avec des commerces ou des destinations différentes aient pu pratiquer cette opération, pourquoi pas, mais il ne peut s'agir d'un phénomène de grande ampleur.

M. le Rapporteur - Concernant les lacto-remplaceurs, avez-vous eu des informations concernant l'incorporation à un certain moment dans certaines marques, d'extraits de protéines ?

M. Régis Leseur - Avec un lacto-remplaceur, ou une matière grasse, car le lacto-remplaceur est une matière grasse, on a forcément un pourcentage de protéines, le support de la matière grasse étant lié par des lignes protéiques. C'est de la physiologie basique.

Il n'est pas nécessaire d'ajouter des éléments car il existe déjà un support protéique dans la matière grasse. Il est faible, inférieur à 1 %, mais il existe.

La vraie question qui s'est posée est de savoir si les matières grasses en tant que telles pouvaient transmettre un certain nombre d'éléments.

A ce jour, la réponse n'est pas donnée. Nous avons posé cette question en 1995-1996, dans une des recommandations au titre du ministère de l'Agriculture dans un rapport que le ministre m'avait demandé d'établir. J'avais écrit qu'il paraissait souhaitable de s'intéresser à la connaissance scientifique concernant ce problème pour qu'il soit définitivement tranché, mais il est vrai qu'une des hypothèses de transmission a été l'utilisation non pas de protéines ajoutées à la matière grasse mais de matières grasses en tant que telles, parce que ce composant protéique peut dans certaines conditions être générateur.

M. le Rapporteur - En tant qu'ancien sous-directeur à l'Hygiène Alimentaire, à la D.G.A.L. vous avez sans doute assisté à des réunions du Comité Vétérinaire Permanent. Etes-vous satisfait de son fonctionnement ? Vous avez vu de l'intérieur comment fonctionnait la Commission Européenne dans cette affaire. Etes-vous conscient sous la présidence Ray Mac Sharry et dans le contexte de la préparation du marché unique, qu'il y a eu une volonté ferme d'occulter tous ces problèmes qui n'avaient pas l'ampleur qu'ils ont aujourd'hui ?

M. Régis Leseur - Monsieur le rapporteur, ma connaissance du Comité Vétérinaire Permanent était liée, durant l'exercice de mes compétences à l'Administration centrale, aux problèmes de santé publique. Ces problèmes ne sont jamais venus sur la table, hormis une fois en 1990. Nous n'avons pas eu à en parler, ce qui ne signifie pas qu'ils n'existaient pas mais cela me permet de confirmer l'hypothèse que vous formulez, à savoir une volonté manifeste, de la part de la Commission, de ne pas débattre sur ce sujet.

Toutefois, je n'ai pas été le témoin personnellement de quelconques problèmes. A posteriori, je peux dire qu'en dépit de demandes extrêmement fortes de la délégation française, notamment au niveau de la maladie, de la farine, il n'y a pas eu de débat. Il a fallu attendre 1994 pour que sorte une directive concernant l'utilisation des protéines dans l'alimentation animale.

M. Jean-François Humbert - Accepteriez-vous que nous revenions sur l'importation des matériaux à risques ? Notre rapporteur a attiré l'attention sur une augmentation considérable des importations après l'interdiction en Angleterre, et il semblerait que certaines ayant transité par la Hollande et la Belgique il n'était pas possible de s'y retrouver. Notre rapporteur évoquait l'augmentation considérable des matériaux à risques importés d'Angleterre clairement identifiés comme étant britannique. Cela signifie-t-il qu'il y en aurait eu plus avec ce qui a transité par la Hollande et la Belgique ?

M. Régis Leseur - Je n'ai pas le sentiment que, sur les matériaux à risques (je n'ai pas parlé de foie ou de rognons, mais de la cervelle et de la moelle épinière, ce que nous appelons dans notre jargon les « amourettes »), une augmentation très importante, voire extrêmement importante en provenance du Royaume-Uni, soit intervenue. Qu'il y ait eu des fraudes, bien évidemment, car je vous ai dit que Rungis avait signalé un certain nombre de fraudes, mais qu'elles aient été nombreuses et aient duré longtemps, je ne le pense pas.

M. Jean Bernard - Aucune traçabilité n'était-elle exigée ?

M. Régis Leseur - Ce terme n'était pas créé en tant que tel.

M. le Président - Je crois que l'ensemble de nos collègues ont posé toutes les questions qu'ils avaient à poser, Merci de vous être prêté à cette séance et nous espérons pourvoir en faire le meilleur usage.

Audition de M. Jean-Marc BOURNIGAL,
Attaché agricole à l'Ambassade de France à Rome

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné ce matin comme attaché agricole à l'ambassade de France à Rome, mais principalement compte tenu des postes que vous avez occupés.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Bournigal.

M. le Président - Dans votre cursus, des passages indiquent que vous avez été adjoint d'attachés agricoles au poste d'expansion économique de l'ambassade de France à Londres entre 1988 et 1990 et que, par ailleurs, vous avez également été chargé de missions au ministère de l'Agriculture, en particulier auprès de M. Philippe Vasseur. Vous avez obligatoirement au cours de vos différentes missions, été au courant des problèmes qui nous intéressent tout particulièrement. Peut-être pouvez-vous nous dire dans un premier temps votre sentiment sur cette affaire et ensuite nous vous poserons les questions que nous souhaitons vous poser.

M. Jean-Marc Bournigal - Je vais replacer mon cursus depuis les années 1988. J'ai commencé ma carrière dans le cadre du service national au Pôle d'Expansion de Londres où j'étais chargé du suivi des problèmes vétérinaires.

Je suis vétérinaire inspecteur en chef et j'ai été nommé à la Direction Générale de l'Alimentation en 1990 où j'ai commencé par m'occuper plus particulièrement des programmes d'assurance qualité dans l'agro-alimentaire et les aspects environnementaux, puis j'ai été responsable d'un bureau chargé de la tutelle de l'industrie agro-alimentaire dans les secteurs de la charcuterie et salaisons, de la volaille et de l'alimentation animale, de la restauration collective et, ensuite, conseiller du Directeur Général de l'Alimentation chargé des relations avec le cabinet.

En 1995, j'ai été nommé conseiller technique au cabinet de M. Philippe Vasseur où j'étais en charge des dossiers relatifs à l'Aménagement rural, au Développement rural, à l'Environnement et à tous les aspects sanitaires. J'ai été chef de la mission de coordination sanitaire internationale où j'ai été chargé des négociations internationales en matière sanitaire, du suivi des importations et du suivi du Comité Vétérinaire permanent à Bruxelles. Je suis depuis 1989 attaché agricole à l'ambassade de France à Rome.

Depuis le début de ma carrière, j'ai rencontré l'ESB à différentes reprises dans les postes successifs que j'ai occupés. Dès 1988-1989 (mon premier poste en Grande-Bretagne) c'était l'apparition d'une nouvelle maladie animale dans les années 1987, avec les premières mesures qui ont été prises par les Britanniques à partir de 1988 et une succession de mesures, aussi bien au niveau britannique qu'au niveau communautaire qui se sont enchaînées régulièrement sur maintenant plus de 10 ans.

Je crois que, globalement, deux phases sont apparues dans ce dossier. La première : apparition d'une nouvelle maladie animale et les mesures de lutte mises en place au niveau britannique et communautaire avec différents épisodes de prises de mesures unilatérales par certains Etats membres.

Il était question d'une nouvelle maladie animale où, sans que l'aspect transmission à l'homme n'ait été complètement écarté des réflexions, dans tous les cas, il n'était pas au coeur des décisions de cette phase.

La deuxième phase date de mars 1996 où le ministre de la Santé britannique a fait une déclaration devant le Parlement dans laquelle les autorités anglaises mettaient officiellement en avant un risque potentiel de transmission de la maladie à l'homme et, à partir de ce moment-là, les événements se sont accélérés, probablement peut-être à l'initiative de la France dans un premier temps car dès l'annonce de M. Stephen Dorrell devant le Parlement britannique, la France a mis en place un embargo sur les produits britanniques suivi d'une certaine accélération liée à une mobilisation plus importante de la communauté scientifique qui, pendant de nombreuses années, a été tenue à l'écart des réflexions techniques et des connaissances par leurs collègues britanniques. Quand la communauté scientifique française et celle des autres pays européens ont commencé à avoir accès à toute une série de données, il est devenu possible de lever les doutes et prendre des mesures de précaution alors qu'avant 1996 des études et des recherches étaient menées en Grande-Bretagne, dont la transmission aux collègues des autres pays européens était véritablement très limitée.

D'après ma connaissance personnelle, quand j'étais en 1988-1989 en Grande-Bretagne, le rôle d'une ambassade était de suivre ce qui se passe dans le pays d'implantation et d'informer régulièrement les autorités parisiennes des décisions prises en Grande-Bretagne. L'ambassade a tenu son rôle pendant cette période.

Il est vrai que la situation pouvait paraître (surtout a posteriori) peu claire, mais il est vrai qu'il s'agissait d'une nouvelle maladie animale. Nous avons recherché la source. Les publications n'étaient pas d'une grande clarté de même que les mesures prises par les Britanniques. Nous envoyions des informations régulières en France sans qu'une analyse globale puisse être faite dans des instances de réflexions périphériques car, au fur et à mesure que les données sortaient, les Britanniques donnaient des bribes d'information et prenaient des mesures.

M. le Président - Confirmez-vous que l'ambassade a envoyé en France les informations que l'on pouvait connaître à l'époque ? Sous quelle forme étaient-elles transmises ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les formes habituelles de transmission : les télégrammes diplomatiques.

M. le Président - Que l'on peut retrouver à l'ambassade.

M. Jean-Marc Bournigal - A l'ambassade ou au Quai d'Orsay.

M. Paul Blanc - Cela transitait-il par le Quai d'Orsay ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les télégrammes diplomatiques sont signés systématiquement par l'ambassadeur.

M. Paul Blanc - Il n'y a pas de transmission directement au ministère de l'Agriculture ou de la Santé.

M. Jean-Marc Bournigal - En général, non.

M. le Président - Normalement, le Quai d'Orsay retransmet ensuite aux différents ministères concernés.

M. Jean-Marc Bournigal - Oui.

Ensuite, la deuxième phase de ma carrière pendant laquelle j'ai eu à connaître l'ensemble de ce dossier a plutôt commencé en mars 1996, car plusieurs mesures ont été prises entre début 1990 et mars 1996 pour lesquelles je n'étais pas directement concerné. Quand en 1996, nous avons recommencé à prendre ce dossier lié aux déclarations du ministère britannique, des mesures étaient en place aussi bien au niveau communautaire qu'au niveau français :

Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation ont été mises en place en 1990 pour les bovins en France et, en 1994, ont été étendues à l'ensemble des ruminants.

Un réseau d'épidémio-surveillance existant depuis 1990 en France, avait permis de détecter quelques cas.

Les mesures d'éradication dès la découverte d'un cas, à savoir l'abattage de l'animal et du troupeau, étaient en place.

Les échanges avec les Britanniques étaient limités depuis le début les années 1990 aux animaux de moins de 6 mois et l'on ne pouvait recevoir sur le territoire français que de la viande désossée des animaux de plus de 30 mois.

C'était la situation en 1996.

La déclaration du ministère Britannique publique, devant le Parlement et la presse nous a énormément inquiétés car elle n'avait pas été préparée, et ses collègues des autres pays n'avaient pas été prévenus préalablement, ce qui n'est pas une pratique habituelle. Nous l'avons su le matin avant la communication. Ensuite, nous avons tenté désespérément d'avoir des informations complémentaires de la part des Britanniques. J'ai essayé d'avoir mon homologue au ministère de l'Agriculture. En désespoir de cause M. Vasseur et M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la Santé, avaient fait de même.

C'est dans ce climat d'inquiétude où nous ignorions ce qui sous-tendait la décision britannique, dans laquelle il n'entrait pas de communication scientifique, que l'on mettait en avant un risque. En l'absence de toute possibilité de clarification, il a été décidé au niveau du Premier ministre, de bloquer totalement la Grande-Bretagne et nous avons mis en place un embargo qui a été généralisé au niveau communautaire quelques jours plus tard.

Dès cette décision, tout le reste de la gestion de la crise s'est opérée en appliquant un principe relativement simple : le principe de précaution, qui est véritablement devenu à la mode, à partir de cette date et que nous avons tenté d'appliquer pendant toute la phase suivante.

Egalement, un principe de transparence car cette nouvelle annonce avait fortement inquiété les consommateurs, ce qui se traduisait sur le niveau de la consommation de l'ensemble de ces produits et la situation était catastrophique.

A partir de ce moment, nous avons regardé quels étaient les niveaux de connaissance que l'on pouvait avoir en France sur cet aspect particulier de la transmission de la maladie à l'homme et des modalités de transmission. Nous nous sommes alors aperçus que nos scientifiques, globalement, disposaient d'assez peu d'informations et, qu'ensuite, nous n'avions pas de structure ad hoc pour répondre au Gouvernement de façon continue, d'où la création le 17 avril du Comité Dormont, l'idée étant de rassembler dans une seule instance la totalité des données scientifiques capables d'apporter un éclairage médical vétérinaire ou universitaire sur cette problématique avec un triple objectif :

- Faire un inventaire des connaissances disponibles et notamment essayer d'avoir des contacts avec leurs homologues Britanniques pour voir quel était l'état des connaissances.

- Répondre ou accompagner le Gouvernement dans les différentes décisions qu'il était amené à prendre, ce qui s'est traduit par une série de questions qui ont été posées par l'ensemble des administrations concernées pendant des années à l'ensemble de la filière, sur les comportements non seulement sur les aspects alimentaires, mais sur tous les aspects sanitaires.

- Bâtir un cadre pour créer un programme de recherche digne de ce nom au niveau français, de façon à fédérer les différentes équipes françaises et à les mettre sur les pistes des recherches impérativement nécessaires.

Toute la difficulté de la crise était, pendant très longtemps et encore aujourd'hui, que nous avions à gérer des doutes. Le principe de précaution est une disposition très difficile à manier car nous gérons de l'incertitude, et prendre les décisions en gérant de l'incertitude et communiquer s'est révélé un exercice extrêmement difficile à mener pendant les mois qui ont suivi.

A partir de ce moment, une fois ce Comité créé, une première question a été très rapidement posée et les réponses se sont enchaînées. Les premières actions en direct sont venues plus tôt, car les 3 et 4 avril une première réunion a eu lieu au niveau de l'OMS sur l'ESB à partir de laquelle le Gouvernement avait pris la décision de retirer de la consommation humaine et animale les premiers matériaux à risques spécifiés des animaux nés avant juillet 1991 qui étaient la moelle épinière, le cerveau, les yeux, la rate, le thymus et l'intestin ; c'était la première préconisation donnée par l'OMS, qui indiquait que dans les pays connaissant des cas d'ESB, il convenait de prendre des mesures particulières pour que les tissus susceptibles d'être contaminés soient retirés de la consommation.

Dès ce moment et dès la création du Comité, le ministère de l'Agriculture, mais également tous les autres ministères, ont systématiquement, sur la base de chacun des avis scientifiques tant au niveau de l'OMS que du Comité sur les encéphalopathies spongiformes sub-aiguës transmissibles présidé par M. Dormont, suivi à la lettre les mesures préconisées par les comités scientifiques. A posteriori, l'on peut trouver apocalyptique d'ajouter le cerveau, l'oeil et la rate puis d'enlever un morceau.

Il faut être honnête, les avis scientifiques, tout au long de ces périodes, ont été assez variables. L'appréciation générale du risque de cette maladie au fur et à mesure de l'évolution de la connaissance a amené des modifications successives de la réglementation, qui ont été quelque peu difficiles à expliquer à la population mais, dans tous les cas, les mesures de précaution ont été prises systématiquement.

S'agissant des difficultés de gestion, puisque c'est peut-être ce qui vous intéresse, outre la difficulté de mise en place des mesures, notamment celles concernant le retrait des cadavres et des saisies d'abattoir de la fabrication de farines pour l'alimentation qui ont été extrêmement importantes à gérer puisqu'il y avait des farines un peu partout, le temps de réussir à déterminer les problèmes de stockage, d'incinération et de destruction avec la totalité des avis scientifiques pour trouver dans quelle industrie, pour assurer la protection des travailleurs, l'inactivation effective de l'agent et la mise en oeuvre de l'utilisation des incinérateurs comme les cimenteries, ont été pénibles à gérer pour tout le monde.

Cela a abouti également à une modification de la loi de 1975 sur l'équarrissage avec la création d'un service public. C'était une difficulté de mise en oeuvre liée à l'ampleur du système qu'il a fallu modifier, aux quantités, à la répartition sur le territoire, ce qui peut expliquer les difficultés que nous avons eues.

Les difficultés plus graves se situent dans les rapports que nous avons pu avoir avec nos partenaires Etat membres et la Commission.

Il est vrai que la France a pris les premières mesures dès le 4 et le 5 avril, suite à la réunion de l'OMS et, au fur et à mesure que le Comité Dormont prenait des mesures, systématiquement, elles ont été transmises à la Commission Européenne.

La création d'un comité multidisciplinaire avait été demandée par la France et par le Premier ministre au Président Santerre qui a répondu à cette attente, mais force est de constater que les avis scientifiques sur lesquels la France avait pris des mesures n'ont pas permis pendant de nombreuses années à la Commission d'obtenir une harmonisation communautaire en la matière. Ceci a amené la France non seulement à prendre des mesures sur son propre territoire mais à les étendre aux échanges intérieurs à partir du mois de septembre 1996 pour limiter l'importation des MRS et des aliments en contenant, de façon à assurer une cohérence de la mise en place des mesures qui avaient été prises au niveau français.

Je crois que c'est la principale difficulté rencontrée sur ce dossier, qui n'était pas forcément liée à la mauvaise volonté de la Commission qui, dès l'été 1996, avait fait des propositions qui allaient dans le sens des mesures prises en France. C'est surtout la division de l'Europe entre le clan des pays comportant des cas d'ESB et le clan des pays non atteints qui a joué.

Il est vrai que les avis scientifiques pouvaient toujours être lus à double sens, puisqu'à chaque fois on disait qu'il convenait de prendre des mesures pour les pays ayant des cas d'ESB ou dont le risque était avéré. Les autres pays n`ayant pas de cas d'ESB ont toujours considéré que le risque n'était pas avéré. Rétroactivement au vu du nombre de cas en Allemagne, en Espagne et en Italie, nous pouvons en sourire.

La grande difficulté a été là, et le levier a commencé à basculer à partir du moment ment où le nombre de pays avec des cas d'ESB est devenu plus important que le nombre de pays sans cas d'ESB. Nous avons finalement abouti à des mesures de retrait de MRS au niveau communautaire qui sont entrées en application en septembre 2000.

C'était la grande difficulté de la gestion de ce dossier outre celles d'ordre pratique, de mise en oeuvre de ses mesures qui ont été extrêmement lourdes.

M. le Rapporteur - S'agissant de votre période britannique, vous avez dit que, d'après vous, l'ambassade avait « fait son travail » et transmis les informations qu'elle avait recueillies ou que vous lui aviez fournies en la matière. Avez-vous l'impression avec le recul, que les autorités britanniques ont fait preuve de rigueur ou de désinvolture dans l'approche du phénomène et, dans un deuxième temps, rigueur ou désinvolture dans la transmission de l'information ?

M. Jean-Marc Bournigal - A la fin des années 80, l'organisation générale de l'Administration de contrôle en Grande-Bretagne était extrêmement faible. On sortait de la fin de la révision structurelle de l'Etat Britannique sur la période de Mme Thatcher et, en matière vétérinaire, la totalité des contrôles était passée dans les mains des communes qui avaient des employés locaux en la matière. Il n'existait plus véritablement de services d'Etat.

M. le Rapporteur - Le garde champêtre faisait office de ?

M. Jean-Marc Bournigal - Il n'y avait plus de services d'Etat en tant que tels ; les communes, les municipalités possédant un abattoir, embauchaient elles-mêmes le vétérinaire. Il existait néanmoins un vétérinaire dûment patenté conformément au droit communautaire en vigueur.

M. le Rapporteur - Sans aucune centralisation ni cohérence ?

M. Jean-Marc Bournigal - Les obligations de communication sont prévues dans les textes communautaires avec un minimum de flux de remontée d'informations, de façon que chaque pays puisse informer la Communauté qui établit des rapports annuels. Il n'y avait pas de structure d'Etat dans le sens où l'Etat était responsable des négociations communautaires et les autorités locales géraient la mise en place des mesures, ce qui ne rendait pas pratique la vision que l'on pouvait avoir de la réalité sur le terrain. Nous n'avions pas d'interlocuteurs avec une vision très horizontale de tout ce qui passait.

En matière d'ESB, quand la maladie a été identifiée, pendant un certain temps, la communication officielle britannique a toujours été minimaliste : « C'est une nouvelle maladie animale, une encéphalopathie existant déjà chez les moutons et dans toutes les espèces, y compris chez l'homme. Cela n'a rien d'extraordinaire ». Il a fallu regarder l'augmentation de la courbe ; au fur et à mesure que les cas augmentaient, l'inquiétude a grandi et les discours ont changé.

Dans un premier temps, c'était présenté comme étant une encéphalopathie banale puisqu'elle existait dans toutes les espèces de mammifères de façon étendue.

La communication vis-à-vis de l'étranger en la matière a toujours été très faible, car la Grande-Bretagne a dû en faire état à l'O.I.E. (qui est véritablement, dans le monde vétérinaire, la référence pour le suivi de tout ce qui concerne les maladies animales) en 1988-1989 en présentant cette maladie comme étant une encéphalopathie...

Quand les scientifiques ont commencé à isoler potentiellement l'origine car, compte tenu de l'augmentation du nombre de cas, ils sont arrivés à se demander pourquoi ils avait une explosion de cas à ce niveau, l'épidémiologie a rapidement démontré que nous étions face à une « anadémie », une contamination de source alimentaire. Les premières théories sont apparues ; « Soit c'est la tremblante qui est passée sur le bovin ou, plus probablement, une maladie préexistant chez les bovins et qui a été recyclée dans l'espèce à travers l'alimentation animale ».

La présentation initiale qui avait plutôt pour but de calmer les foules, était fondée sur le fait qu'il s'agissait d'une maladie animale sans problème particulier vis-à-vis de l'homme et ils mettaient en avant la comparaison avec la tremblante non transmissible à l'homme. Concernant la communication des décisions prises, la tradition britannique est de procéder à communications très simples. Ils sortent des petits communiqués de presse indiquant que telle réglementation sera mise en place, sans de publicité ni lettre d'avertissement particulières.

M. le Rapporteur - Sur votre période française de 1995 à 1997, sous le ministère de M. Vasseur, vous avez pris la décision de déterminer un embargo en 1996. Quels ont été les éléments déclenchants la réaction de la Commission Européenne ? Cela a-t-il été facile à gérer ?

M. Jean-Marc Bournigal - Nous étions dans un contexte où depuis les années 90 la Commission Européenne avait édicté toute une série de textes, aussi bien pour limiter les exportations d'animaux vivants que de produits ; avaient également été mis en place des systèmes de traitement des farines de 1994 avec la norme de 133 degrés, 20 minutes, 3 bars.

Le facteur déclenchant résidait dans la manière quelque peu impromptue dont le Gouvernement britannique a décidé de communiquer en la matière, sans avertir personne, sans communication technique préalable. Quand nous avons demandé à nos scientifiques s'ils étaient au courant d'éléments particuliers, ils n'en savaient pas plus que nous. Aucune réponse de la part des Britanniques et du monde scientifique, du côté français, quelque peu perplexe à l'égard de ce qui pouvait sous-tendre la communication du Gouvernement britannique en la matière.

Nous l'avons annoncé ainsi à l'époque : « Nous bloquons tout , nous attendons de voir ce qui se passe et nous verrons ensuite ». C'était dans cet esprit, alors que nous étions très inquiets, que nous avons pris l'assurance de voir comment réagissait la presse britannique à la communication faite au Parlement par le Gouvernement britannique. Nous nous sommes aperçus, le lendemain matin, en téléphonant dans quelques salles de presse que cela ferait la Une de tous les journaux en Grande-Bretagne. Cela allait « souffler très fort » le lendemain, sans que nous soyons capables du côté français de répondre quoi que ce soit à nos consommateurs globalement puisque, de toutes les manières, nous ne savions rien.

Le facteur déclenchant était inconnu. Nous savions que nous allions devoir répondre à une série d'interrogations et nous n'avions pas d'éléments ni pour dire que c'était vrai ni pour dire que c'était faux, mais c'était inquiétant.

La meilleure solution était de dire : « Nous fermons tout, nous attendons de voir ce que diront les Britanniques et sur quelle base ils ont pris cela et qu'ils s'expliquent » et le lendemain nous avons été capables de répondre qu'effectivement la France décidait d'un embargo .

La réaction de la Commission : toute mesure unilatérale d'une ampleur aussi importante est rarement bien reçue. Compte tenu du fait que la Commission n'avait pas beaucoup plus d'éléments que la France en la matière, le débat a tourné relativement court. Le lendemain, cela a soufflé extrêmement fort sur tous les pays européens, d'autres pays ont suivi la France et la Commission de même.

M. le Rapporteur - Durant votre période italienne, avez-vous pu recueillir des informations sur les quantités de farines importées par le Gouvernement italien et les entreprises italiennes, et savez-vous à quelle date les autorités italiennes ont pris des mesures pour les retraits des matériaux à risques, l'interdiction des farines pour les ruminants et les tests de dépistage ? Un décalage s'est-il produit par rapport à la position française ?

M. Jean-Marc Bournigal - Indéniablement. S'agit-il des importations de farines des années 80 ?

M. le Rapporteur - Surtout après.

M. Jean-Marc Bournigal - Traditionnellement, l'Italie n'est pas un grand importateur de farines. Les quantités doivent être relativement faibles. Il est possible de retrouver ces données, chaque pays ayant remis un rapport dans le cadre de l'évaluation des risques conduite au niveau communautaire. Sur la base du rapport italien, l'Italie se retrouvait dans une catégorie à risques, similaire à celle de la France.

L'exposition aux risques, en la matière, bien que probablement un peu plus faible en termes quantitatifs en raison de la proportion de leur système d'élevage et leur spécificité, est similaire. En matière de prise de décisions, l'Italie s'est calée sur les décisions communautaires. Les interdictions d'utilisation des farines pour l'alimentation des ruminants ont été prises en 1994, en même temps que la décision communautaire, et les retraits des matériaux à risques ont été imposés le jour de l'entrée en vigueur du texte à savoir en septembre 2000. Avant cette période, il n'existait aucune mesure spécifique en la matière.

Le réseau d'épidémio-surveillance a été mis en oeuvre depuis de nombreuses années mais, au regard des chiffres, nous nous apercevons que le réseau n'a jamais permis de détecter de cas d'ESB depuis la mise en place des tests au 1er janvier de cette année ; sur 60 000 tests réalisés à ce jour par les autorités italiennes, 11 cas ont été découverts, toujours grâce aux tests. Le réseau d'épidémio-surveillance n'a jamais fait remonter un seul cas en la matière.

L'Italie est un grand importateur d'animaux : nous expédions un million de bovins par an sur l'Italie (comme sur l'Espagne, l'Allemagne et la Pologne). Il ne s'agit pas uniquement des farines.

Le niveau de risques a été jugé par les experts communautaires comme étant similaire à celui de la France pour les échanges de farines et d'animaux, extrêmement importants depuis toujours.

M. le Rapporteur - Avez-vous le sentiment que les autorités italiennes réfléchissent à une réorientation de la politique agricole commune ou a-t-elle pris des distances ?

M. Jean-Marc Bournigal - Il est difficile de présenter la situation sous cette forme, car le Gouvernement en place en Italie est en période pré-électorale. Les chambres sont dissoutes et les élections se passeront en mai. La particularité du Gouvernement italien est d'avoir un ministre de l'Agriculture qui se trouve être le n° 2 des Verts et milite, depuis son arrivée à ce poste, pour une certaine réorientation de l'agriculture en faveur des produits typiques et biologiques. Aujourd'hui, l'Italie fait partie des pays qui demandent une réorientation de la politique agricole commune rapide et immédiate.

Il faut attendre un peu. Lors des négociations de l'agenda 2000, un groupe de pays s'était ligué (la Suède, l'Angleterre, le Danemark et l'Italie) et avait réussi à bloquer les négociations malgré des intérêts divergents.

Ce groupe s'est maintenu par la suite, s'est élargi l'année dernière au premier semestre (il a été dénommé le Groupe de Capri) avec l'arrivée des Pays-Bas. Il se réunira une fois avec l'Allemagne. Ce Groupe est le plus véhément, actuellement, dans les débats sur la réorientation de la politique agricole commune.

M. le Président - Nous vous remercions.

Votre carrière est tout à fait intéressante par rapport à l'ESB, car vous l'avez vécu à différents niveaux et vous avez bien retracé la qualité de ce qui s'est passé tel que vous l'avez vu et ressenti.

Merci beaucoup.

Audition de M. Philippe VASSEUR,
ancien ministre de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Merci d'avoir répondu à notre convocation, Monsieur le ministre.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Vasseur.

M. le Président - Je vous passerai la parole afin que vous puissiez donner votre sentiment sur le problème qui nous intéresse et auquel vous avez été confronté. Ensuite nous vous poserons des questions.

M. Philippe Vasseur - Merci, Monsieur le Président, mon introduction sera relativement brève car, soit je retrace la totalité des faits mais vous les connaissez déjà, soit je plante quelques points de repère et je réponds aux questions.

J'ai exercé ma responsabilité entre mai 1995 et mai 1997, pendant 2 ans, mais je pense que l'on ne peut pas détacher sur une période de 2 ans des faits qui se sont produits antérieurement et ont continué de se produire ensuite .

Je rappellerai quelques dates qui me paraissent des dates clés et ferai ressortir sur ces dates quelques points forts qui, de mon point de vue, méritent que l'on s'y arrête.

La première période était celle de ces 3 années (1988 1989 et 1990) au cours desquelles nous avons connu, en 1988, l'interdiction au Royaume-Uni de nourrir les ruminants avec les farines, période qui s'est traduite conjointement, entre 1988 et 1989, par une très forte augmentation -pratiquement un doublement- des importations de farines d'origine britannique en France, compte tenu du fait que ces farines avaient vu leur coût baisser en Grande-Bretagne et qu'il y a eu, de la part des exportateurs britanniques une attitude qui a consisté à essayer d'en vendre un maximum en France. C'est un premier point sur lequel nous insistons. En 1989, la France a interdit les importations de farines en provenance du Royaume-Uni et en 1990 la décision a été prise dans notre pays d'interdire de nourrir les bovins avec les farines animales.

Deux années (1988-1989) pendant lesquelles cette mise en place a eu lieu.

La date de 1990 est importante à rappeler car, si nous le savons bien, j'ai encore entendu récemment, à propos du débat sur l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des animaux, des personnes dire qu'il serait grand temps d'interdir de nourrir des bovins avec de la farine de viande alors que cela existe depuis 1990.

Deuxième période, celle allant de 1993 à 1996 au moment où nous avons eu connaissance par le secrétaire d'Etat à la Santé britannique Stephen Dorrell de la transmissibilité fortement probable de la maladie de l'ESB à l'homme. Pendant une période se situant entre 1990 et 1993, il ne s'est pas passé grand-chose. Quelques dérogations avaient été accordées pour des importations entre 1989 et 1990 où cela n'a plus été le cas.

A partir de 1993, la mise en place du marché unique a commencé, d'où une libre circulation des marchandises sur le territoire de l'Union. Nous avons constaté a posteriori, qu'entre 1993 et 1996, a eu lieu un commerce de farines destinées à l'alimentation animale sur l'ensemble du territoire de l'Union européenne. C'est un point sur lequel je reviendrai si vous le souhaitez, en raison d'une grande confusion sur l'appréciation de ce qui s'est passé pendant cette période avec des chiffres qui ont été diffusés, démentis, et qui ont donné lieu a des vérifications. J'ai le sentiment qu'il a fallu plusieurs vérifications et plusieurs mois pour y voir clair.

Dans ce domaine, si vous le souhaitez, je suis prêt à m'appesantir sur les éléments dont je dispose pour établir ce qui s'est passé pendant cette période.

Comme vous le savez, en 1994 -et cela correspondait à cette période-, l'Europe avec un peu de retard, a interdit au Royaume-Uni d'exporter ses farines animales.

Troisième période : à partir du 21 mars 1996, avec cette annonce brutale du ministre de la Santé et avec l'annonce d'un embargo total de tous les produits bovins directs ou dérivés pouvant provenir de Grande-Bretagne. Parallèlement, pour tenter d'appréhender ce qui se passe et ce qu'il est nécessaire de faire, il est décidé de créer un comité pluridisciplinaire, un comité scientifique, présidé par le Professeur Dominique Dormont et comprenant des chercheurs, des médecins et des vétérinaires qui commencent très rapidement à faire des préconisations. Certaines ont été faites par le Comité Dormont, d'autres -à peu près dans la même période- par le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France ou par l'Organisation Mondiale de la Santé.

Nous avons été amenés à prendre, à partir de ces recommandations scientifiques, un certain nombre de décisions concernant les farines animales. J'en citerai deux. Le 4 avril, à la suite d'une communication de l'OMS, nous avons décidé de retirer de la consommation humaine et animale certains abats (la rate, la cervelle, les yeux, la moelle épinière, les amygdales, le thymus et les intestins pour les bovins nés avant le 31 juillet 1991, date à partir de laquelle il était considéré qu'il ne devait plus y avoir, dans l'alimentation des animaux, de farines de viande et d'os, à savoir de farines animales.

La deuxième décision, plus lourde, a été prise à la suite du rapport remis par le Comité Dormont le 27 juin, avec deux mesures principales : l'interdiction d'introduire dans l'alimentation humaine et animale le système nerveux central des bovins de plus de 6 mois et des ovins et caprins de plus de 12 mois, et l'interdiction de faire entrer dans la composition des farines de viande, les cadavres et les saisies d'abattoir. Les conséquences économiques très lourdes de cette décision nous ont amenés ensuite à créer un service public de l'équarrissage et à instaurer une taxe sur les viandes que vous connaissez, puisque ce texte est passé dans votre Assemblée.

Quelle conclusion puis-je tirer de ce regard ? Celle qui me paraît la plus importante est que nous sommes dans un processus où nous devons à tout moment nous baser sur des donnés objectives.

Ce n'est jamais simple ; l'opinion est parfois complètement décalée par rapport à la réalité des faits avec, à certains moments, des réactions fortement contradictoires (je pense actuellement à la fièvre aphteuse dont nous savons concrètement et de façon scientifique qu'elle ne fait pas courir de risque à la santé humaine). Nous notons des réactions de méfiance de la part de l'opinion alors qu'en même temps (je lisais un sondage paru dans Le Monde hier), l'opinion trouve que nous en faisons trop.

D'une part, il y a toujours cette volonté d'appliquer le principes de précaution de manière absolue et, d'autre part, à un certain moment, nous prenons trop de précautions, ce que nous avons ressenti par rapport à d'autres pays qui estimaient que la France prenait un luxe de précautions. De mon point de vue, la seule façon de procéder est de tenter de s'appuyer sur des bases scientifiques incontestables, ne venant pas de tel ou tel parti mais d'une communauté scientifique pluridisciplinaire et incontestée. A partir de là, nous avons le devoir d'appliquer le principe de précaution tel que les scientifiques peuvent tenter de le définir.

D'après moi, nous avons toujours la possibilité d'aller au-delà de ce que nous demandent les scientifiques mais pas le droit de faire moins que ce qui nous est dit. Dans le cas de l'interdiction des cadavres et saisies d'abattoir dans la fabrication animales, le coût était considérable, mais nous ne pouvions pas nous imaginer (et si nous l'avions fait, les réactions auraient été brutales) que l'on puisse ne pas suivre la préconisation qui était faite.

Nous avons des besoins de transparence scientifique et d'informations aussi objectives que possible dans un domaine où l'on sait bien que toute polémique, y compris sur les travaux scientifiques, a des répercussions immédiates dans l'opinion et sur le devenir de la filière. J'ai constaté qu'à chaque fois qu'il y avait une polémique (y compris d'origine politique mais les polémiques se déclenchent dans tous les domaines), même sans éléments nouveaux ou susceptibles d'inquiéter davantage l'opinion, nous notions des réactions de retrait.

En conclusion : besoins d'avis scientifiques, de transparence et d'information.

Deuxième élément très net ; l'Europe n'a pas suivi dans cette affaire. L'interdiction de l'importation des farines britanniques remontait à 1994 alors qu'en France cette interdiction avait été décidée en 1989. L'Europe a mis 5 ans avant de suivre. De même, quand nous avons pris la décision de ne plus incorporer les cadavres et les saisies d'abattoir dans la fabrication des farines de viande, immédiatement nous avons vu ce que cette mesure pouvait avoir d'insuffisant puisqu'en France nous ne les fabriquions plus, mais les farines fabriquées dans d'autres pays d'Europe, sans parler du Royaume-Uni, continuaient d'être fabriquées en incorporant ces cadavres et ces saisies d'abattoir.

En dépit de notre insistance et de nos demandes répétées, l'Europe a considérablement tardé (la décision ayant été prise il y a peu de temps) à suivre la France dans ce domaine. Cela pose un problème, quand on a une confusion statistique sur les mouvements se produisant d'un pays à l'autre de l'Union, sur la commercialisation de farines de viande et simultanément une lenteur de l'Europe à intervenir dans le domaine sanitaire et étendre des précautions prises dans certains pays, que ce soit la Grande-Bretagne ou la France.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le ministre, vous avez imposé la séparation entre des matières à haut risque traitées par le service public de l'équarrissage et les co-produits à bas risques destinés à la fabrication de farines valorisables. Cette mesure n'a pas été prise dans la plupart des pays européens. Avez-vous pris les décisions visant à contrôler les farines importées de pays moins stricts que la France, concernant leur importation ?

M. Philippe Vasseur - Plusieurs types de contrôle : des contrôles vétérinaires ont eu lieu, mais ont été diligentés dès le mois de mars 1996 et se sont poursuivis pendant toute la période y compris aujourd'hui. Il s'agissait de contrôles sur lesquels nous opérions, mais nous n'avions pas de pouvoir réel pour interdire l'entrée des farines allemandes ou belges.

Ni les contrôles vétérinaires qui contrôlaient ni la DGCCRF ni la Direction Générale des Douanes ne disposaient des textes leur permettant de pouvoir interdire l'entrée de ces farines.

Dans ce domaine, nous pouvons prendre toute la réglementation que nous voulons, mais encore faut-il les faire respecter. Il n'est pas possible de mettre un gendarme dans chaque ferme et derrière chaque sac de farine. La réglementation est faite pour être respectée. Autant que faire se peut, il faut procéder par réprobation et par coercition. Je pense que dans le domaine qui nous occupe, la première des opérations à effectuer était de diffuser une information la plus complète possible vis-à-vis des utilisateurs, des fabricants et des importateurs. Je rappelle que, s'agissant de ces farines animales, de toutes les façons, ni les bovins depuis 1990 ni les autres ruminants depuis 1994 ne pouvaient en être destinataires.

M. le Rapporteur - Pour quelle raison vos services n'ont-ils pas transposé la Directive européenne de juillet 1996 sur les normes de cuisson des farines ? Jusqu'à ce qu'elle soit applicable en France, en février 1998 il n'existait dans notre pays aucune obligation de moyens concernant les températures, mais seulement une obligation de résultat sur le plan purement microbiologique.

M. Philippe Vasseur - Dans la directive que vous connaissez, il était stipulé qu'il s'agissait de « ce procédé ou un procédé jugé équivalent déjà appliqué en France ». Il nous a été dit de surcroît par le Comité Dormont que la simple directive sur les températures (les 133 degrés, 20 minutes, 3 bars) était jugée insuffisante. La préconisation européenne ne nous garantissait pas la destruction du prion comme cela pouvait être fait par le système français. Nous avons appliqué un système reconnu par la Directive Européenne comme étant validé par l'Europe et nous avons eu un débat avec les services de la Commission sur le fait que nous souhaitions un dispositif plus contraignant et garantissant mieux la sécurité.

M. le Rapporteur - Quelle est la différence techniquement ?

M. Philippe Vasseur - Je ne suis pas un scientifique et dans cette affaire je ne pouvais que me référer à ce qui nous était transmis par le Comité Dormont. Les documents sont à votre disposition.

M. le Rapporteur - Vous avez contribué à ma mise en place du logo « Viande Bovine Française » après la crise de mars 1996. Pensez-vous, au regard des évolutions récentes, que l'origine française de la viande a été une garantie de sécurité alimentaire ?

M. Philippe Vasseur - Le logo « Viande Bovine Française » n'était pas un logo disant : « Vous êtes certain que cette viande est à 100 % exempte d'ESB » , mais un logo destiné à assurer la traçabilité et à permettre au consommateur de savoir qu'il ne risquait pas d'acheter une viande en provenance d'un pays dans lequel existait des cas d'ESB supérieurs aux nôtres. La traçabilité des viandes vendues a été -je le crois- respectée, même si quelques fraudes ont eu lieu mais qui ont été trouvées et réprimées.

Cela étant dit, au moment où nous avons lancé ce logo « Viande Bovine Française », nous devions être à 160 000 cas d'ESB en Grande-Bretagne. En France, nous étions en 1996 à 13 cas, et 15 si nous prenons la période de 1996. Notre taux d'ESB était considéré comme extrêmement faible et je pense qu'il est utile de rappeler que même après que les contrôles aient été probablement renforcés, même si notre réseau d'épidémio-surveillance a été satisfaisant, quand nous avons procédé comme récemment à des tests systématiques, les taux d'ESB dans notre pays restent extrêmement bas par rapport au Royaume-Uni.

De ce point de vue, la sécurité de la viande française me paraît supérieure à celle de la viande britannique d'autant que des préconisations étaient indiquées sur les produits pouvant être commercialisés et qu'encore à ce jour, en 2001, on n'a pas trouvé de présences du prion infecté dans le muscle qui représente l'essentiel de la viande vendue.

Le logo « Viande Bovine Française » était destiné à rassurer le consommateur sur la provenance de la viande et nous n'avions pas caché qu'il y a eu quelques cas d'ESB en France, mais que par rapport au cheptel français (20 millions de bêtes) c'était infinitésimal.

M. le Rapporteur - Quelle a été la réaction première de la Commission européenne aux mesures unilatérales prises par la France ?

M. Philippe Vasseur - Le jour où nous avons déclenché l'embargo, la réaction de l'Union Européenne a été réprobatrice. Le commissaire nous a fait savoir, dans un communiqué publié par la Commission, que nous n'avions pas le droit.

Nous nous sommes appuyés sur une réglementation prévoyant qu'en cas de péril sanitaire, on a le droit de procéder à ce genre de mesure. La commission est revenue sur sa position.

De même quand nous avons lancé le logo « Viande Bovine Française », nous avons déclenché les foudres de la commission. Je ne mets pas le Commissaire Fischler en cause, car son approche était pragmatique et il tentait de voir comment évoluait la situation. Nous avons pu mesurer quels étaient les différents groupes de pays qui agissaient en la matière et nous ne sommes pas allés d'emblée vers une prise en compte au niveau européen des mesures telles que nous aurions pu les souhaiter en France.

Les premières réactions ont été hostiles à la France.

Par la suite (je n'ai pas de preuve de ce que j'avance, mais nous avons des présomptions) quand nous faisions pression auprès de la Commission et auprès d'un certain nombre de pays pour augmenter les précautions prises, nous avons vu surgir quelques rumeurs soigneusement entretenues dans les couloirs des bâtiments européens selon lesquelles la France prenait un luxe de précautions parce qu'en fait la situation était beaucoup plus grave chez elle alors que les autres pays étaient exempts d'ESB. Nous avons eu à subir ce type de difficultés. Cela n'a pas duré longtemps mais nous avons constaté cette tentative de déstabilisation de la position française consistant à dire que nous voulions aller trop loin.

J'ai relevé récemment un article de journal écrit par un journaliste au Monde, Jean-Yves Nau, qui a bien suivi cette affaire, dans lequel était dit : « La France, au nom d'une politique fondée sur le principe de précaution tenta longtemps en vain de mobiliser tant la Commission que ses partenaires de l'Union ».

Longtemps nous avons essayé, parce que nous étions tous très préoccupés par la situation telle qu'elle existait sur un plan sanitaire et économique mais nous n'avons pas eu en face de nous, des institutions européennes -Commission et Conseil- aussi sensibles que nous à ce qui se passait.

M. le Rapporteur - Compte tenu de l'expérience qui a été la vôtre à cette époque et maintenant du recul qui est le vôtre, alors que nous sommes à un tournant de la politique agricole commune, nous le voyons bien, au travers d'un certain nombre de réflexions, et que nous sommes également à la veille de l'élargissement de l'Union Européenne, comment voyez-vous la réorientation, la modification de la politique agricole commune qui, d'après moi, va au-delà de la problématique des agriculteurs, mais qui doit prendre en compte l'ensemble de la réalité ? Vous avez sans doute réfléchi à tout cela. Pouvez-vous nous livrer vos réflexions ?

M. Philippe Vasseur - C'est un sentiment et un regard d'observateur engagé car je continue professionnellement à travailler avec l'agriculture. De plus, ce que je dis là, je ne le dirais pas nécessairement devant une assemblée syndicale (quelle qu'elle soit) d'agriculteurs, ni même si j'avais une campagne électorale à mener.

Que cela nous plaise ou non, que nous le souhaitions ou non, nous allons vers une réforme très profonde de la politique agricole commune. Telle que nous l'avons connue depuis 40 ans, elle a vécu et atteint ses objectifs. Aujourd'hui, les problèmes qui nous sont posés ne sont plus les mêmes que ceux que nous connaissions à la fin des années 50 ou au début des années 60 et nous aurons une réorientation profonde.

Deuxième réflexion que nous pouvons faire : plus il est possible d'étaler dans le temps l'application de cette politique, mieux cela vaut que les ruptures brutales sont plus difficiles à vivre que d'autres), mais il ne faut pas considérer que le délai gagné peut être mis à profit pour ne rien faire.

Plus il est possible d'anticiper et mieux cela vaudra, tout au moins dans l'approche que l'on peut avoir. Je rappelle que nous avons eu tendance à oublier que l'Organisation Mondiale du Commerce continue à fonctionner ; contrairement à ce que certains imaginent, elle ne s'est pas arrêtée à Seattle fin 1999 : une clause de paix prendra fin en 2003 et remettra en question un certain nombre d'éléments.

Troisièmement, nous ne pouvons imaginer une agriculture livrée purement et simplement à elle-même. L'agriculture fait partie des secteurs stratégiques d'un pays qui méritent d'être soutenus, toujours encouragés et accompagnés, même si l'attente de l'opinion et la légitimité des soutiens que l'on peut accorder à l'agriculture ne sont plus de même nature que lorsqu'il s'agissait d'assurer à la population française la satisfaction de ses besoins en alimentation. Nous sommes aujourd'hui dans une approche plus qualitative, certainement plus rurale, et la légitimité des soutiens devra être revue dans ce sens.

Probablement, la justification que nous pourrons trouver vis-à-vis de l'Europe et du reste du monde passera probablement plus dans des politiques de promotion de la qualité et de soutien à l'environnement.

Cela dit, il faut le faire avec raison sans céder parfois à la tentation de se replier sur une agriculture de type « jardin d'Eden ». Remontons 100 ans en arrière, si on faisait du lait et du fromage au lait cru comme il y a 50 ans, il n'y aurait plus un camembert dont la vente serait autorisée dans notre pays. Il faut avoir cette perception et ne pas retomber dans une vision passéiste contre le progrès.

Si aujourd'hui nous pouvons continuer de manger du fromage au lait cru dans notre pays, c'est parce que nous avons fait des progrès considérables en matière de génétique, d'hygiène et de fabrication. Je prends cet exemple mais nous pourrions en prendre d'autres. Nous avons des défis scientifiques à relever y compris dans l'agriculture et il ne faudrait pas que la réorientation de la Politique Agricole Commune revienne à condamner un outil économique. L'agriculture doit rester un outil économique important même si je pense qu'il faut revoir notre façon de travailler.

Il est question aujourd'hui de productivisme. C'est un terme qui n'est pas tout à fait approprié, car il est possible de produire, de mon point de vue, et beaucoup, tout en ayant un respect de la nature et de l'environnement. Tout ce qui est développé aujourd'hui, notamment en faveur de l'agriculture raisonnée, pratiquée de façon concrète dans un certain nombre de régions, me paraît devoir être pris en considération au titre de la politique environnementale et discuté dans le cadre européen, tout autant que d'autres types de productions.

Nous ne ferons pas l'économie d'une réforme en profondeur d'une politique agricole commune. Que cela nous plaise ou non, nous savons pertinemment que notre système de quotas est remis en cause, de façon abusive parfois, car certains d'entre eux ne coûtent pratiquement rien au budget européen.

Je pense au domaine sucrier qui n'est pas budgétivore. L'un des reproches à la Politique Agricole Commune est de coûter cher pour des résultats qui ne sont pas avérés. La France doit, dans ce domaine, être une force de proposition importante. J'ai vécu un certain moment, dans une réunion où je disais qu'il faudrait réfléchir à... et l'on m'a dit : « On ne parle pas de cela. Tant que cela dure, cela dure ». Un jour ou l'autre on est rattrapé par l'histoire sans avoir rien prévu. Il ne faudrait pas reconduire une telle erreur et, d'après moi, nous avons 2 ou 3 ans devant nous et pas davantage. Ce n'est pas un discours politique car je le donne en tant qu'observateur.

M. Michel Souplet - Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt et je partage la totalité de l'analyse que vous venez de faire. Nous ne sommes pas là pour chercher des responsables mais nous voulons voir clair.

Il a été dit que nous avions pris des décisions qu'il fallait, en France au moment où il le fallait. Nous nous apercevons, au sein de la commission, qu'un message n'est pas passé, celui qui aurait consisté à prévenir les utilisateurs de farines animales à partir du moment où elles étaient interdites pour la viande bovine, et qu'il existait un grand risque de croisement d'utilisation sur les exploitations : ceux qui faisaient du mouton ou du porc en même temps que la viande, ou les patrons ne le savaient pas, ou les employés se disaient : « Il n'y a plus de farine, on en prend dans le tas d'à côté ».

Avons-nous suffisamment informé à ce moment ? Il est facile de dire : « Il n'y avait qu'à » et « Il fallait que ». Nous ne connaissions pas l'importance du désastre. L'information a-t-elle été suffisante ou pas ?

Ma deuxième réflexion concerne la disproportion énorme entre la médiatisation des phénomènes et des risques existants, qu'il ne s'agit pas d'occulter. Vous avez dit : « La Commission a beaucoup trop tardé à prendre des mesures énergiques ». Nous en sommes convaincus mais la Commission est composée de personnes irresponsables et qui continuent de l'être, car elles ne se sentent pas aujourd'hui fautives dans le cas présent qui nous concerne.

Une médiatisation démoniaque a conduit des personnes au suicide. J'aimerais que l'on parvienne à nous dire le nombre d'éleveurs qui se sont suicidés depuis 1 an. Il est plus important que le nombre de malades en France.

Troisième réflexion sur la réorientation de la politique agricole commune. Je fais confiance aux agriculteurs et à leurs responsables pour être capable de prendre le virage indispensable. Au moment de la mise en place de la politique agricole commune, un mandat a été donné au monde agricole : sécurité alimentaire pour l'ensemble de l'Europe en volume et qualité.

Nous l'avons réussi pleinement mais ce que l'on ne dit jamais c'est que la mise en place de la politique agricole commune, l'alimentation représenta 45 % du budget des ménages, contre à peine 15 % aujourd'hui. Le consommateur doit savoir demain que la réorientation de la politique agricole commune vers plus de qualité et un meilleur environnement aura un coût et qu'il doit être capable d'admettre de le payer.

Quand j'ai été rapporteur de la loi d'orientation agricole pour le Sénat, des représentantes d'organisation de consommateurs, deux dames, m'ont dit « Monsieur le sénateur, l'alimentation est un besoin de première nécessité, cela devrait être gratuit ». Pourquoi pas l'habillement et le logement. Tout est de première nécessité, sauf le téléphone et les produits de beauté qui représentent beaucoup plus que les 15 % de l'alimentation. Cela me révolte quelquefois car nous sommes conscients qu'il existe une évolution importante à conduire, mais face à cette exigence du consommateur nanti dans les pays industrialisés, il ne faut pas oublier qu'un tiers de la population mondiale est sous-alimentée et nous fera payer la situation dans laquelle elle se trouve.

M. Jean-Paul Emorine - L'ancien ministre de l'Agriculture a participé pendant deux ans aux affaires européennes car le ministre de l'Agriculture se réunissait au niveau de l'Europe. Nous voyons bien le manque de réactivité de l'Union européenne. Même si nous sommes tous des Européens convaincus. Comment pourrions-nous améliorer l'intervention de l'Union européenne en matière de santé animale ? Faut-il une agence européenne, une recherche européenne pour que l'Europe puisse prendre une décision immédiate ?

Je voudrais connaître l'avis de l'ancien ministre de l'Agriculture car nous percevons que les difficultés auxquelles les éleveurs ont été confrontés ont été imputables aux difficultés de décision au niveau européen. Comment faire évoluer la situation ? Existe-t-il des structures de recherche sur la santé animale, pour qu'immédiatement l'Europe puisse avoir une position, par rapport à toutes les épidémies, au niveau de la santé animale ?

M. Roland du Luart - Je suis d'accord avec l'analyse de M. Vasseur sur tous les problèmes concernant la réforme de la PAC et il est important d'y réfléchir, mais le problème de fond (car la réforme de PAC s'impose et nous n'en sortirons pas autrement) est le suivant : comment pourra-t-on, quel que soit le gouvernement, faire en sorte -je rejoins les propos de M. Souplet- que le consommateur soit prêt à payer le juste prix car on ne peut envisager une réforme de la PAC que si l'agriculteur est dignement rétribué de son travail et sort de l'assistanat ?

Comment préparer l'opinion publique à ce qu'il en soit ainsi ?

M. Philippe Vasseur - Tout d'abord : « A-t-on pris les décisions qu'il fallait quand il le fallait et, notamment, en termes d'information ? » J'ai le sentiment que l'information avait été faite. Peut-être pas suffisamment, ni de façon massive compte tenu de l'appréhension que l'on pouvait avoir du problème de l'époque. J'ai regardé derrière moi, dans un souci non polémique en me demandant ce que j'aurais fait à la place d'Henri Nallet. Globalement -c'est un sentiment personnel- on peut toujours dire : « Il aurait dû prendre telle mesure 6 mois avant ».

D'après moi, il a pris les bonnes mesures compte tenu du contexte et des connaissances de l'époque. Il faut se replacer dans ce que l'on savait à l'époque et rechercher les articles de presse de 1988, 1989 et 1990. Nous aurions pu gagner 6 mois, mais il est facile de dire ultérieurement que la mesure aurait du être prise en avril plutôt qu'en décembre.

Globalement, je crois que les mesures qui ont été prises en France ne sont pas parfaites et peut-être à tel ou tel moment peut-on porter un jugement critique mais en comparaison de ce qui a été fait dans d'autres pays, nous n'avons pas à rougir. Je le dis depuis l'origine de la crise : 1988, 1989.

Sur la disproportion médiatique, je ne peux qu'être d'accord.

Antérieurement, j'ai exercé quelques responsabilités dans le domaine des médias et il est vrai que j'ai parfois le sentiment (je ne me souviens plus de ce qui s'était passé ou le monde a changé) que la disproportion que prend la médiatisation d'un fait par rapport à l'origine est redoutable.

Nous y pensons et oublions. Une semaine, un mois, un événement va faire la Une de toute la presse et ensuite on passera à autre chose, mais le dégât est là. Je n'ai pas la réponse.

J'ai vécu un cas difficile : un jour, une publication imprimée (cela ne lui a pas porté chance et il ne suffit pas de faire du sensationnel pour gagner des lecteurs que l'on perd à la vitesse grand V) a publié : « Le Gouvernement vous ment, il y a 200 cas d'ESB, et des cas cachés que le Gouvernement ne vous dit pas » Quand vous lisez cela, vous tombez de haut Je me retourne vers mes services en demandant : « Que se passe-t-il ? » Il s'agissait de l'exploitation d'un communiqué fait par une association pseudo-écologiste, que nous ne connaissions pas, et sur le financement de laquelle nous nous posions des questions, toute la presse avait mis le communiqué à la poubelle parce que n'importe qui peut créer une association de loi 1901 : « Comité français de protection contre l'encéphalopathie spongiforme bovine » et faire un communiqué totalement erroné.

Si un journal le reprend, il est coupable. Ce titre à la Une était scandaleux, il ne pouvait qu'apporter du trouble et de la crainte supplémentaire à l'opinion. J'ai fait un procès en diffamation pour propagation de fausse nouvelle que j'ai gagné après les procédures classiques : première Instance, Appel. Deux ans après, nous avons obtenu la publication du jugement : cela a été quatre lignes, même un peu plus, mais tout le monde s'en moquait et le mal était fait.

Dans une telle affaire, la seule façon de procéder vis-à-vis de la médiatisation excessive était de jouer la transparence totale, mais encore fallait-il convaincre les médias que c'était le cas. En revanche, des journalistes, même dépendant de médias qui voulaient gonfler l'affaire, se sont comportés de façon responsable et sont par ailleurs toujours en place. Ce n'est pas le journaliste qui tempérera qui sera écouté de même que, dans un débat scientifique, si 99 scientifiques vous disent qu'il n'y a pas de problème, il suffit qu'un seul évoque un grave problème pour qu'il soit écouté, car il dérange et émet une opinion différente.

Concernant la Commission européenne, ses pesanteurs et ses lourdeurs, ainsi que les structures qui pourraient être mises en place : je dirai que la Commission est irresponsable, puisque ce n'est pas elle qui décide. Elle propose. Il est vrai que quand la Commission propose, son pouvoir de proposition est supérieur à celui du Président du Conseil. Si un représentant du Gouvernement fait une proposition et la met aux voix, il lui faut obtenir davantage d'adhésions que si la Commission qui propose.

La Commission dispose d'outils importants lui permettant de faire passer plus facilement une mesure que si la mesure émane du conseil. Néanmoins, les décisions sont prises par les politiques.

Il est arrivé plusieurs fois, et même relativement souvent, dans des conseils que l'on s'oppose à une décision, notamment quand le couple franco-allemand arrivait à se mettre d'accord pour faire échouer telle ou telle demande (c'était donnant-donnant). Ce n'est pas forcément un exemple car, si jamais pour faire fonctionner l'opération, il faut un accord apparent entre 2 pays ou 2 groupes de pays, ce n'est pas l'idée que l'on peut avoir de l'Europe. Mais la Commission avait beau jeu de dire : « C'est vous qui avez pris la décision. J'ai proposé et vous avez décidé ».

Dans le cas de réticences de la Commission, celles-ci n'étaient que le reflet de la position de certains pays. A l'intérieur de la Commission, tel Directeur de telle Direction ou à l'intérieur de telle Direction et de telle nationalité, bien évidemment sera sensible à la position de son pays. Nous-mêmes en avons bénéficié à un certain moment. Quand nous avions la direction de la DG 6, c'était plutôt un atout pour la France qu'un handicap.

Le problème vient du conseil et des divergences existant entre différents pays au sein du Conseil. Par exemple dans l'affaire de l'ESB, certains pays ne voulaient pas dire qu'ils couraient un risque d'ESB. Contre toute vraisemblance, des pays ont dit : « L'ESB ? Connaît pas. Cela ne nous concerne pas. » Nous avons constaté ensuite, quand il a été procédé à des dépistages systématiques, qu'ils étaient aussi atteints par l'ESB.

Nous pouvons soupçonner que dans tel pays européen qui ne fait pas partie de l'union européenne, mais lorsque une vache se mettait à trembler on disait qu'elle avait la rage et on l'enterrait. Ce que je dis là ne pourrait arriver dans aucun pays de l'Union.

Nous avions des doutes certains sur la réalité du phénomène ESB dans différents pays. Mais il existait contre l'intérêt même des populations une volonté dans certains pays de dire : « Nous n'avons pas d'ESB », de façon à occulter le problème et à dire à l'opinion publique : « Nous n'avons pas ce problème ».

Nous avons des structures et notamment un comité vétérinaire permanent qui n'est peut-être pas parfait mais qui existe. Nous constatons néanmoins qu'au travers de ce comité vétérinaire, l'opinion des différents pays resurgit. Faudrait-il une structure complètement indépendante et de quoi ? La question mérite d'être posée. Une structure composée de scientifiques complètement indépendants, pourquoi pas ?

Faudrait-il un Comité Dormont au niveau européen avec des personnes estimant devoir dire ce qu'elles ont à dire ? Les scientifiques mettent leur point d'honneur à garder une forme d'indépendance. Je ne serais pas contre. Il faudrait que ce soit une autorité incontestable, indépendante avec des personnes dont la préoccupation serait purement scientifique, qui ne soient pas les représentants de leur pays, ce que l'on a très souvent tendance à faire. Quand on crée un comité européen, on veut y peser de son influence.

M. Paul Blanc - Ou des lobbies.

M. Philippe Vasseur - Le terme lobby n'est pas péjoratif. Ce sont des personnes qui défendront leurs intérêts. Ce qui peut être condamnable, c'est la méthode employée.

Concernant la réforme de la PAC, nous sommes tous convaincus qu'il se passera quelque chose. Il est certain que si nous voulons détacher la Politique Agricole Commune du soutien au prix, tel que nous l'avons pratiqué pendant un certain temps, il faut mener une opération vérité vis-à-vis du consommateur qui doit savoir que cela un coût. Je partage l'avis de M. Souplet. Nous avons vu en cinquante ans les dépenses pour l'alimentation divisées par trois. Nous sommes passés de 42 % à 15 %, dont 4 % pour d'agriculture.

J'avais fait le calcul : si le prix du blé est augmenté de 5 %, la répercussion sur le prix de la baguette est de 3 centimes.

Une baguette vaut 4 F chez moi. Nous ne ferons pas payer la baguette 3,97 F, mais 4 F. Le prix payé à l'agriculteur ne représente pas une inflation considérable vis-à-vis du consommateur.

J'ai également eu des contacts avec des associations de consommateurs et, notamment une personne qui a évolué dans son approche de l'agriculture, laquelle est aujourd'hui est moins manichéenne. Cette femme disait qu'il était scandaleux d'avoir une alimentation à deux vitesses. Concernant le poulet, il en existe trois sortes : le poulet industriel, le poulet Label et le poulet AOC.

L'un est élevé pendant 42 jours et ils sont serrés les uns contre les autres, un autre est élevé deux fois plus longtemps et nourrit différemment dans davantage d'espace et le troisième... Ils ne sont pas au même prix. Le consommateur doit demander la même sécurité sanitaire pour le poulet industriel que pour le poulet Label, mais il ne peut pas avoir la même qualité gustative.

Tout cela passe, de mon point de vue, par l'affirmation d'une volonté politique forte, ne concernant pas seulement le gouvernement, mais plus globale : la France et l'Europe veulent-elles encore d'une agriculture ? Je commence à entendre des discours du type : « Après tout, on fait venir le soja du Brésil, le boeuf d'Argentine et on se fournit ainsi ».

D'après moi, il faut d'abord avoir une première affirmation, à savoir une volonté politique : voulons-nous toujours d'une agriculture et d'une agriculture qui gère notre espace ? Ensuite, nous examinerons les moyens pouvant être mis en oeuvre.

La nécessité -parce qu'elle vient de l'extérieur- de la réforme de la Politique Agricole Commune doit être l'occasion pour le pays, son agriculture et la collectivité publique d'une façon générale, de réaffirmer des principes -peut-être de nouveaux principes ou des principes qui auront évolué- sur l'agriculture, en tenant compte précisément de l'attente de l'opinion en termes de sécurité, de qualité et de respect de l'environnement.

M. le Président - Monsieur le ministre, merci. Vous avez apporté un certain nombre d'enseignements.

Audition de M. Henri NALLET,
ancien ministre de l'Agriculture et de la Forêt

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur le ministre, merci d'avoir répondu à notre convocation.

Vous êtes auditionné ce matin dans le cadre de la Commission d'enquête mise en place par le Sénat à propos du problème des farines animales, des conséquences sur le développement de l'ESB, mais aussi sur la santé des consommateurs.

Compte tenu que vous êtes auditionné comme ancien ministre de l'Agriculture qui avez eu à vivre ce problème et que dans le cadre d'une commission d'enquête comme celle-ci, les témoignages doivent se faire sous serment, je vous lirai le processus et, à la fin, je vous demanderai de bien vouloir prêter serment.

Il est à noter que vous avez déjà été auditionné ce matin par l'Assemblée nationale.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Nallet.

M. le Président - Je vous demanderai de faire un exposé personnel sur ce que vous avez vécu comme ministre de l'Agriculture sur ce problème, et ensuite nos collègues vous poseront les questions qu'ils souhaitent vous poser.

M. Henri Nallet - Merci, Monsieur le Président.

Mesdames, Messieurs, je suis très heureux de venir apporter ma contribution à votre travail et votre recherche, ainsi qu'aux questions que vous vous posez.

Je souhaiterais vous dire que non seulement je vous dirai toute la vérité comme je m'y suis engagé, mais que j'essayerai de collaborer au mieux de mes possibilités à votre travail d'investigation, car il me semble très important pour nos concitoyens de tout savoir et ce, de la manière la plus transparente possible. C'est en ne cachant rien que nous pouvons peut-être contribuer à restaurer une confiance qui aujourd'hui fait défaut, entre une grande majorité des consommateurs et leur système d'alimentation.

Je formulerai quelques remarques introductives, Monsieur le Président, qui vous paraîtront bien simples et bien ordinaires mais m'apparaissent importantes, pour, en quelque sorte, brosser le tableau des conditions dans lesquelles j'ai eu à faire face, entre 1988 et octobre 1990 à ce qu'il est convenu d'appeler « la première crise de la vache folle ».

Bien évidemment, Monsieur le Président, tout cela remonte pour moi à 11 ans et, comme tout le monde, ma mémoire a fait un tri. Je tenterai donc, chaque fois que je le pourrai, de vous dire ce qui est présent dans ma mémoire concernant cette période et ce que j'ai en revanche reconstitué, soit en interrogeant mes collaborateurs de l'époque, soit en lisant des textes, des ouvrages ou des articles.

Si je mobilise devant vous ce matin un instant ma mémoire sur cette période et sur la manière dont j'ai eu à traiter, en tant que ministre de l'Agriculture, de l'ESB, je voudrais vous dire -comme je l'avais dit en 1996, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale présidée par Mme Guilhem et ensuite par le Professeur Mattei- que je dois établir deux périodes extrêmement distinctes.

La première qui va jusqu'en avril-mai 1990 et la deuxième jusqu'au moment où j'ai quitté le ministère de l'Agriculture en octobre 1990, sont différentes.

Durant la première période, Monsieur le Président -je vous le dis sans aucune gêne- je n'ai aucun souvenir que la question de l'ESB (intitulée à l'époque BSE car l'on ne parlait qu'en anglais de cette maladie) ait été évoquée de manière directe auprès de moi ou, si l'on m'en a parlé -car il est possible que l'on m'en ait parlé-, c'est dans des termes qui n'appelaient pas de ma part de décision.

Ce n'est qu'à partir d'avril-mai 1990 que je m'empare de ce problème, non pas parce que tel ou tel collaborateur m'aurait fait une note impressionnante ou parce que les services vétérinaires m'auraient prévenu d'une catastrophe imminente, mais parce que l'attaché agricole de Londres m'envoie directement à mon Cabinet la photocopie de deux articles de la presse « People » indiquant que 2 chats sont morts d'une maladie étrange dont les manifestations symptomales rappellent la maladie de la vache folle.

J'ai un souvenir extrêmement précis que je vous livre d'entrée de jeu : je rentre du Conseil des ministres et à peine suis-je arrivé dans mon bureau que mon Directeur de cabinet, Jean Nestor, se précipite et me dit : « Il faut que tu nous rejoignes à la réunion du Cabinet, il se passe quelque chose de très grave ».

Je suis à cent lieux d'imaginer ce qui m'attend. Je vois une partie de mes collaborateurs, ceux qui sont directement au travail avec moi et sont pour la plupart d'entre eux des ingénieurs agronomes (ce point est important, ce ne sont pas des énarques), me dire qu'il se passe quelque chose de grave et me raconter cette histoire. Et ils ajoutent : « Tu comprends, là nous ne sommes plus dans un problème vétérinaire. Si des chats peuvent avoir contracté la maladie de la vache folle, cela signifie que la barrière des espèces est franchie et cela devient un problème pour toi, le ministre ».

A partir de là, je me trouve dans une toute autre situation, j'ai beaucoup de souvenirs à vous raconter et vous m'interrogerez sur ce que vous voudrez. Il est devenu, me concernant, un problème politique, éthique et, beaucoup plus, de santé humaine que de santé animale, même s'il n'est qu'une hypothèse.

Pourquoi cette coupure, pourquoi pendant pratiquement 18 mois de ma responsabilité, ce problème existant au Royaume-Uni est un problème dormant, se développant, du point de vue de l'Administration française, en dehors du regard immédiat du ministre ? Pour les raisons suivantes que vous connaissez, Monsieur le Président, mais que je rappellerai : jusqu'en mai 1990, pour moi et mes collaborateurs, l'ESB est une maladie strictement limitée aux bovins et de plus strictement limitée aux bovins du Royaume-Uni ; cela ne concerne pas la France et nos élevages.

Limitée aux animaux, elle relève de l'autorité spécifique des vétérinaires qui ont la responsabilité de la police sanitaire. A l'époque, il me semble -et je l'ai reconstitué, Monsieur le Président, que quand on parle de l'ESB, on se pose beaucoup plus de questions que l'on n'affirme de certitudes.

J'ai retrouvé quelques documents que je vous indique, mais que vous possédez ; en mai 1988, j'ai retrouvé le rapport final de la session annuelle de l'Organisation Internationale des épizooties qui, en point n° 166, indique : « Qu'une nouvelle maladie est apparue au Royaume-Uni, qu'elle est dénommée ESB et qu'elle comporte 5 cas qui ont été rapidement éliminés par abattage de la totalité du troupeau, et les épreuves sérologiques effectuées sur 25 000 échantillons prélevés à ce jour dans le cadre de l'enquête nationale n'ont pas mis en évidence de cas de cette maladie ».

J'ai retrouvé un deuxième document, peut-être pour vous encore plus intéressant. Je crois (je dis bien : « Je crois ») que c'est la première note des services vétérinaires français sur l'encéphalite spongiforme bovine. C'est une note de service -diffusée au Directeur des services vétérinaires et, pour information, aux préfets ou aux Directeurs départementaux de l'Agriculture- qui est une présentation de la maladie.

Je mettrai cette note à votre disposition si vous ne l'aviez pas. Elle est très dubitative.

Le signataire, le chef du service, déclare à propos de la question que vous vous posez : « Ces données, ajoutées à la faible prévalence de la maladie (455 cas pour un cheptel de 13 millions de bovins), permet de penser que des éléments comme les facteurs génétiques et l'environnement jouent un rôle important dans l'apparition de la maladie ».

Au paragraphe suivant : « Certains chercheurs anglo-saxons pensent que l'utilisation à partir de 1981 de sous produits d'abattoirs bovins pourrait être à l'origine de l'apparition de la BSE ». En juin 1998, les vétérinaires français s'interrogent encore sur la relation à établir entre les farines et la maladie.

La conclusion : « Dans l'attente de plus amples connaissances, des recommandations ont été faites aux éleveurs et vétérinaires anglo-saxons pour éliminer les bovins malades, désinfecter les locaux et assurer la surveillance d'animaux nés de vaches malades ».

Je me suis interrogé : pourquoi ce décalage ? Pourquoi les Britanniques commencent-ils à prendre des mesures en 1988 alors que nous-mêmes, en juin 1988, quand nous en parlons, sommes loin de ces mesures ? Pourquoi ne prend-on pas une décision (sur laquelle vous m'interrogerez) d'interdiction des importations de farines britanniques en août 1989 ?

Je crois qu'à l'époque, non seulement les connaissances sur la maladie sont faibles, mais nos vétérinaires pensent que notre troupeau en étant indemne (puisque nous vérifions assez rapidement que nos pratiques y compris de fabrication des farines, sont conformes aux exigences techniques et scientifiques). De plus -je le crois et pense devoir le dire car des documents l'attestent- que les autorités communautaires -dans tous les cas les autorités vétérinaires en contact avec leurs collègues britanniques- mettent en doute un certain nombre de mesures prises par les britanniques.

En particulier, j'ai retrouvé un document -que je mettrai également à votre disposition- où le vétérinaire français qui siège au Comité Vétérinaire bruxellois dit dans une réunion : « Nos collègues britanniques nous ont dit qu'un certain nombre de mesures ont été prises, en particulier les mesures d'interdiction d'utilisation d'un certain nombre de parties des animaux dans les aliments pour bébés, sont des mesures purement cosmétiques, destinées à l'opinion publique, qui ne reposent sur aucune étude scientifique ».

Je pense que les services vétérinaires français, dans la période 1988-1989 s'interrogent, se posent des questions, tentent de vérifier, de comprendre ce qui se passe et de voir si les mesures britanniques sont justifiées.

J'ai retrouvé -je le mets à votre disposition- un compte rendu de ce qui me semble être la première grande réunion qui s'est tenue au ministère de l'Agriculture sur l'ESB, avec l'ensemble des personnalités concernées, qui datent de septembre 1989. Vous verrez que l'on s'y interroge sur les farines animales mais sans leur attribuer de manière certaine le rôle de vecteur de la maladie qu'on leur attribue aujourd'hui. Dans cette réunion tout le monde est présent, y compris M. Blandin, et vous verrez les échanges des uns et des autres. Au fond, ils s'interrogent beaucoup.

En revanche, en mai 1990, il se passe un événement notable et important et, dès lors, la maladie de l'ESB cesse d'être une maladie animale limitée au Royaume-Uni et devient potentiellement un risque, un danger, pour la consommation humaine.

Je réfléchis pendant quelques jours à cette question qui m'a été posée par l'attaché agricole à Londres. Nous avons une série de réunions, et celles que mes collaborateurs organisent pour éclairer ma décision ne m'avancent pas beaucoup. Je ne peux pas attendre grand-chose à l'époque des scientifiques, car ils sont divisés et ceux qui pensent qu'il existe un risque de zoonose, représentent une extrême minorité en France. Une équipe à Lyon, que je n'ai pas rencontrée à l'époque, se pose cette question.

Les services vétérinaires pensent que c'est une hypothèse que rien ne permet d'établir et je me rappelle une réflexion (j'ai un souvenir précis et je peux décrire le lieu et le type de lumière qui prévalait à ce moment) d'un responsable vétérinaire en qui j'ai confiance, à qui j'ai posé la question et qui m'a répondu : « C'est la tremblante du mouton, restez tranquille, on connaît cela depuis 2 siècles et c'est répertorié, cela ne s'est jamais transmis à l'homme. Aucune chance, c'est la presse, les médias.... »

Je reste avec ma question. Je n'ai pas grand chose à attendre des responsables britanniques de l'époque.

Monsieur le Président, j'assume et j'essaie d'assumer toutes mes responsabilités, mais je crois pouvoir dire aujourd'hui (peut-être plus que je ne l'ai dit en 1996, et peut-être avais-je encore une attitude trop retenue) que je pense que les autorités publiques britanniques en 1989-1990 n'ont pas joué le jeu pour plusieurs raisons.

Elles ont retenu l'information. On ne m'a pas prévenu. Mon collègue ministre ne m'a pas dit : « Je te signale que l'on vient d'interdire l'utilisation des farines ». J'ai regardé dans mes notes et j'ai demandé à mes collaborateurs de l'époque d'essayer de retrouver certains éléments.

Leur attitude, que j'ai reconstituée depuis, me paraît inadmissible, parce que je crois que les autorités britanniques ont interdit l'utilisation des farines animales dangereuses dans leur espace national, mais qu'elles n'ont rien fait pour empêcher leur exportation et, du point de vue de la responsabilité publique, une telle attitude est injustifiable.

Rappelez-vous ce qui s'est décidé il y a quelques mois quand la France a interdit toute utilisation de farines animales : les autorités communautaires ont bien veillé que ce soit la même décision partout ou, dans tous les cas, à ce qu'elles n'exportent jamais ces farines animales. Quand j'ai affronté à la fin du mois de mai 1990 les autorités britanniques, il m'a été répondu que tout était sous contrôle et que l'attitude de la France n'était pas dictée par des considérations de santé humaine, mais de protection du marché intérieur.

Je crois qu'un point très net est à marquer. Je savais en 1990 que je n'avais pas grand-chose à attendre de mes collègues britanniques (même si j'avais de bonnes relations personnelles avec eux) car, je dois le dire, ils étaient très « Thatcheriens », totalement et uniquement soucieux d'assurer les relations commerciales les plus fluides, les plus ouvertes et les plus faciles possible et bien loin de tous nos systèmes de contrôle qui leur paraissaient totalement déraisonnables.

Un exemple : j'ai eu un affrontement violent avec mon collègue britannique quand, en 1989, j'ai changé la position de la France sur la question des hormones.

En 1986, la France avait adopté une loi sur l'utilisation des hormones qui autorisait les hormones naturelles et interdisaient les hormones de synthèse. Cela posait problème aux consommateurs. Le fondement scientifique de la position française était parfait : « On peut utiliser des hormones naturelles. Cela n'a aucune conséquence sur la santé humaine », mais les consommateurs pensaient le contraire et, pour cette raison, j'ai changé de position. Les Britanniques ont été d'une violence à notre égard : « Ce n'est pas scientifique, vous vous conduisez.... »

J'ai donc le souvenir qu'en 1990 j'aurais, face à moi, une attitude très négative à l'égard des positions que l'on pouvait prendre pour protéger la santé humaine.

Monsieur le Président, mais vous le savez aussi bien que moi, je savais en 1990 que je ne pouvais pas compter sur le soutien du commissaire à l'agriculture Ray Mac Sharry un homme qui avait de grandes qualités mais extraordinairement soucieux des intérêts commerciaux de l'élevage bovin irlandais ; l'affrontement a été très dur à cette période.

J'ai essayé d'obtenir la réunion d'un conseil des ministres au début du mois de mai, lors de plusieurs conversations téléphoniques avec lui et c'était à chaque fois une fin de non recevoir extrêmement dure et violente : « Tout est sous contrôle. La commission a fait ce qu'elle devait faire. Les Britanniques ont pris des engagements, n'y revenez pas ». Il n'y avait pour lui aucune raison de réouvrir le dossier à moins d'avoir des éléments scientifiques nouveaux apportés par le comité vétérinaire permanent.

Dans cette situation, j'ai considéré -je le dis avec beaucoup de simplicité en mon âme et conscience- que l'on ne pouvait pas se satisfaire de cela et qu'il fallait forcer la porte. Je n'ai découvert qu'une seule façon d'inventer de toute pièce une crise à l'intérieur de l'Union pour obtenir une réunion du Conseil des ministres et je l'ai proposé au Premier ministre de l'époque, Michel Rocard, qui m'a suivi.

Nous avons décidé unilatéralement de fermer les frontières à toute importation de viande britannique à la fin du mois de mai, d'où crise violente qui a provoqué un Conseil des ministres très dur et dramatique (nous l'avons assumé) et l'obtention d'un certain nombre de mesures que j'ai fait valider par le comité vétérinaire permanent à Bruxelles et, fort de cet engagement et de ce qui m'avait été dit, à savoir que l'ensemble des mesures décidées par les autorités communautaires étaient de nature à maîtriser l'épizootie, ou dans tous les cas à la limiter strictement au Royaume-Uni, nous avons accepté que les frontières soient réouvertes au début de juin 1990.

Monsieur le Président, quand je réfléchis à cette période, je me dis qu'il est difficile aujourd'hui de juger ce qui a été fait 10 ans après. J'en sais beaucoup plus sur ce qui s'est passé quand j'étais ministre de l'Agriculture. Quand j'ai pris des décisions que je croyais adaptées, je n'avais aucune espèce de certitude et les savants, les vétérinaires, ne m'avaient pas été d'un grand recours ; ils avaient simplement éclairé ma réflexion. Je crois donc que le système de décision a été ce que je vous ai décrit. A-t-il bien fonctionné ? Ce n'est pas à moi de le dire, mais à vous.

En revanche, le système de contrôle de ces décisions est à mon sens une question bien différente sur laquelle j'ai beaucoup découvert par la suite car, concernant toutes ces décisions prises en 1989-1990, je n'ai su leur efficacité pratique que des mois et des années plus tard, quand je n'étais plus ministre. Les premières indications que nous avons pu avoir étaient très vagues et très floues.

Je crois qu'il faut distinguer -c'est ce que j'ai retenu de cette crise- ce qui relève du système de décision publique de ce qui relève du système de contrôle, et autant je pense que le système de décisions publiques a cherché à s'adapter, autant je pense que notre système de contrôle qui heureusement me semble-t-il s'est bien amélioré depuis, s'est révélé incapable ou peu capable de vérifier que les décisions étaient appliquées.

Quand je dis « notre système de contrôle » je ne vise pas notre système de contrôle national mais surtout le système de contrôle communautaire, car il est manifeste qu'une partie des décisions prises en mai-juin 1990 n'a pas été suivie d'effet et tout particulièrement au Royaume-Uni.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le ministre, je reviendrai sur la période 1988-1989, à propos de laquelle vous nous avez dit -et nous partageons ce sentiment dont nous bien pris conscience lors de notre déplacement à Londres jeudi et vendredi dernier- que les Anglais ne vous avaient pas spécialement transmis d'information.

Or, quand nous avons questionné Lord Phillips (c'est notifié dans son rapport), il dit l'avoir fait, mais nous n'avons pas ressenti un sentiment de grande franchise. Il a fini par avouer qu'il l'avait dit sans trop élever la voix et que peut-être au niveau de la Commission européenne, on n'avait pas spécialement voulu entendre. Vous avez également souligné qu'à cette époque, Ray Mac Sharry, avec la sensibilité et les origines qui sont les siennes, n'a pas voulu transmettre l'information.

Des télégrammes diplomatiques en provenance de l'ambassade de France seraient-ils arrivés sur votre bureau ou celui de vos collaborateurs ?

M. Henri Nallet - Je me suis posé cette question Monsieur le rapporteur car elle préoccupe. J'ai demandé à tous mes collaborateurs s'il n'existerait pas une note.

J'ai retrouvé un télégramme du 1er mars 1990 rédigé par l'attaché agricole, mais signée par l'ambassadeur, M. de Nanteuil, sur l'ESB, qui est, à ma connaissance le premier télégramme officiel, car je n'ai rien retrouvé d'antérieur et il est rédigé comme s'il en parlait pour la première fois : « L'ESB est une maladie qui frappe les bovins.... ».

C'était un cours sur l'ESB et une description de ce qu'ont entrepris les Britanniques. Peut-être y a-t-il eu d'autres télégrammes et, de la part de l'attaché agricole d'autres informations, mais qui étaient destinées aux services et y ont circulé. Je mets à votre disposition, Monsieur le rapporteur, le compte rendu de la réunion de septembre 1989.

Elle est très intéressante, car tout le monde est présent et les informations mises en commun démontrent que nous savons à peu près tout ce qu'il faut savoir à cette époque, mais je n'ai pas le souvenir qu'à aucun moment les autorités britanniques elles-mêmes nous aient avertis comme cela se faisait dans d'autres cas.

Je donnerai un exemple de ce que je vise.

Je me souviens de discussions à cette même époque avec mon collègue hollandais et mon collègue belge, en raison de l'existence d'une épizootie de peste porcine dans ces deux pays et qu'il fallait s'en protéger. En marge du conseil, mon collègue belge Demersmaeker venait me dire : « Il faut que je te vois et que nous discutions parce que c'est une catastrophe chez moi. On ferme les frontières et on a un échange : Que peux-tu faire ? Combien de temps cela durera-t-il ; je vais avoir des drames et des manifestations ... ».

Nous en parlions directement et nous avions un sentiment de connivence et de solidarité : « Qu'est-ce que je peux faire pour t'aider ? Mais ne me mets pas tes saletés chez moi. ». De même avec le Hollandais Brax qui était un rude négociateur. Nous avions ensemble un sentiment de responsabilité commune. Nous étions responsables à la fois du bon fonctionnement du marché commun agricole (nous n'étions pas encore en marché unique) et nous avions le sentiment d'être responsables de ce bon fonctionnement. Entraver le moins possible mais, en même temps, dès lors qu'il y avait un problème de santé animale, nous devions prendre des mesures et nous cherchions à les prendre non seulement en commun, mais de manière bilatérale.

Avec les Britanniques, jamais. Ni avec John Mac Gregor ni avec John Gamma, même pas en marge du conseil où nous discutions de tout entre des personnes qui passent des journées et des nuits ensemble, car cela crée des liens. Comme disait Claude Cheysson : « Le Conseil des ministres de l'Agriculture est redoutable car ce sont des voyous et des marchands de tapis » .

Je n'ai aucun souvenir.

J'ai même demandé à certains de mes collaborateurs, la D.P.E. dans, l'immédiat : « En as-tu parlé avec ton homologue ? » en l'occurrence Michael Franklin, un francophile avec qui nous avions de bons contacts. « Jamais » m'a-t-il été répondu.

Ils ont pu faire courir des bruits dans certaines commissions et dans des réunions de travail à Bruxelles. Ils l'ont sûrement fait mais je n'en ai pas le souvenir -pas même d'une note ou d'un coût de téléphone. Voilà Monsieur le rapporteur. Je suis, sur ce point, extrêmement sûr.

M. Paul Blanc - Vous avez insisté sur le fait que vous avez été sensibilisé à ce problème au mois d'avril-mai 1990 avec, en particulier, cette histoire des deux chats et l'hypothèse émise par certains membres de votre cabinet. Il semble qu'un rapport de l'Académie de Médecine en 1990, déclarait disait que l'on ne pouvait pas exclure la possibilité de transmission de cette maladie à l'espèce humaine. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ?

M. Henri Nallet - Non. Ni de ce rapport ni de l'article de Mme Brugère-Picoux. Concernant cette dernière, qui était en avance dans ses recherches en France, vous pouvez le vérifier facilement auprès d'elle, j'ai fait sa connaissance il y a quelques mois sur un plateau de télévision. Je ne l'avais jamais rencontrée.

M. le Rapporteur - Au niveau de cette période clé, M. Blandin, à l'époque Président national des Groupements de Défense sanitaire dit vous avoir alerté au travers d'un courrier mi -1989. Ce courrier a été précisément suffisamment explicite ou pas ?

M. Henri Nallet - J'ai vu cette déclaration du Président Blandin. J'ai fait rechercher cette lettre, il semble qu'elle existe. Je ne suis pas sûr qu'elle ait reçu une réponse écrite, mais il n'est pas impossible qu'elle en ait eu une. J'ai demandé aux archives du ministère de l'Agriculture de rechercher la correspondance de mes collaborateurs. J'étais préoccupé de cette déclaration, j'ai regardé et j'ai tenté d'en savoir plus. Sur le fond, la déclaration du Président Blandin n'apportait pas grand-chose de nouveau, sinon qu'il déclarait que l'épizootie au Royaume-Uni se développait très rapidement.

Il dit également par ailleurs, ce qui à la fois me trouble ou me rassure, qu'il considère que toutes les décisions que j'ai prises en 1990 étaient celles qu'il fallait prendre.

Cela nous aurait-il échappé (et non pas été caché, mes collaborateurs étant loyaux) ? Je crois que je peux rassurer votre commission : le ministère de l'Agriculture -à cette époque- n'a pas été autiste. Il n'a pas fermé l'oreille à des informations qui lui auraient été données, car vous le retrouverez dans le compte rendu de la réunion qui s'est tenue en septembre 1989 au ministère, où se retrouvent tous les partenaires concernés par cette question, depuis les services vétérinaires, jusqu'à l'ENV avec Mme Brugère-Picoux, la Fédération Nationale Bovine, le Syndicat National des Vétérinaires Praticiens, le Service Vétérinaire de la D.G.A.L. et les différents services de la D.P.E. le CNEVA, et autres et la représentante de la Fédération des Groupements de Défense sanitaire du bétail, Mme Dufour, qui représente M. Blandin excusé. J'ai retrouvé dans les déclarations des uns et des autres les informations. Je suis assuré que les informations de M. Blandin ont été prises en considération puisqu'au cours de cette réunion sa représentante a pu faire part des observations de M. Blandin.

Je souhaite que la lettre de M. Blandin ait reçu une réponse, mais je n'ai pas le souvenir qu'à une occasion ou à une autre M. Blandin m'ait parlé de cet situation. Il est possible qu'il m'en ait parlé, mais quand je regroupe mes souvenirs, c'est une chambre complètement obscure jusqu'au mois d'avril 1990.

M. le Rapporteur - Je reviendrai sur l'embargo de mai-juin 1990 qui a duré 15 jours, 3 semaines pendant lesquelles vous avez subi des pressions de la Commission européenne. La France a levé cet embargo sous réserve de pouvoir récupérer des viandes désossées (de mémoire) provenant de cheptels indemnes.

Or, n'avez-vous pas été troublé de savoir qu'à cette époque il n'existait pas d'identification du cheptel bovin anglais ? L'assurance que voulaient bien vous donner les Anglo-saxons devait être relativement légère.

M. Henri Nallet - C'est même plus compliqué encore, puisque nous avions demandé que non seulement les Anglo-saxons donnent l'assurance mais que le comité vétérinaire vérifie la faisabilité des décisions prises et que la commission nous assure que des contrôles seraient opérés auprès des autorités britanniques.

Peut-être de manière naïve et sûrement avec une information incomplète nous avons accepté ces garanties et les avons considérées comme fiables.

A l'époque, je n'avais pas la conscience que j'ai aujourd'hui de l'état de déliquescence ou de quasi disparition des services vétérinaires britanniques.

M. le Rapporteur - Nous l'avons constaté, il y a 48 heures.

M. Henri Nallet - Je me suis posé la question et interrogé. Aujourd'hui, nous en savons tellement. Si j'avais su en 1990 que les Britanniques étaient en fait incapables d'assurer l'ensemble des contrôles, qu'aurais-je fait ?

Peut-être aurais-je maintenu une position totalement fermée, parce que dans cette période qui a été très difficile pour moi (c'est sûrement la crise la plus violente que j'ai eu à assumer même si elle a été brève), à côté de ce que j'ai vu, les « engueulades » classiques avec la F.N.S.E.A. et M. Souplet n'étaient rien du tout.

Nous avions renforcé notre position à partir du moment où à la moitié du Conseil, quand la situation devenait très difficile en raison de notre isolement, j'ai été rejoint par le ministre allemand de l'Agriculture. Je suis devant des responsables politiques je veux témoigner que là encore, si la relation particulière, privilégiée entre la France et l'Allemagne n'avait pas fonctionné, nous n'aurions pas tenu. Tous les Etats membres étaient hostiles aux décisions, y compris les amis traditionnels.

M. le Rapporteur - Etait-ce une approche personnelle de chaque Etat membre ou du lobbying très fort des Anglo-saxons ?

M. Henri Nallet - Monsieur le rapporteur, à cette époque, le vent souffle dans un sens : il faut libéraliser, ouvrir, qu'est-ce que ces Français .... c'est tout juste si l'on ne nous demandait pas de supprimer les services vétérinaires. Nous étions des personnes qui avions toujours trop de bureaucratie et trop de contrôle. On préparait le marché unique et il fallait faire tomber toutes les barrières ; ce n'était pas la mode.

Le grand objectif était de produire le moins cher possible dans les plus grandes quantités possible, y compris vers l'exportation, le grand large. Et nos amis britanniques de l'époque étaient, sur cette ligne, totalement acharnés. Derrière eux venaient immédiatement la Hollande, et nous étions considérés comme les derniers des étatistes.

Sur ces questions comme sur d'autres, nous étions isolés politiquement à l'intérieur du conseil. Fort heureusement, la relation avec les Allemands et le fait que les Allemands avaient une conception plus réservée sur le développement de l'agriculture, ont fait que nous avons pu résister aux déchaînements des Britanniques et des Irlandais.

M. le Rapporteur - Lors de l'interdiction des farines animales dans l'alimentation des bovins en 1990, cela s'est-il accompagné de mesures de renforcement et de contrôle à l'adresse des industries d'aliments de bétail ? Avez-vous imaginé dès cette époque la possibilité de contaminations croisées ?

M. Henri Nallet - Nous avons procédé sur les farines en deux temps. Fin 1988, début 1989 : beaucoup d'interrogations. Ensuite nos vétérinaires français se convainquent que très vraisemblablement les farines britanniques, insuffisamment chauffées, sont porteuses de l'agent de transmission et qu'il faut les interdire, et les services vétérinaires français, dans le cadre de leur pouvoir propre, préparent cet avis aux exportateurs d'août 1989 : interdiction d'acheter des farines britanniques (sauf dérogation pour des monogastriques ou d'autres usages mais, pour les ruminants, c'est interdit.

Peu de temps après -la réunion de septembre 1989 ans en témoigne- les importations de farines en provenance du Royaume-Uni augmentent. Les services vétérinaires redonnent donc l'information aux différents services vétérinaires départementaux et j'ai reconstitué que la manière de travailler à l'époque, mais qui prévaut encore, associait largement les opérateurs. Les services vétérinaires parlaient avec les fabricants de farines. Ils mettaient l'information à leur disposition, leur signalaient l'existence d'un avis aux importateurs, leur disaient qu'ils étaient prêts à discuter d'une dérogation éventuelle.

Cela se faisait dans un tissu de coopération qui a bien fonctionné jusque là. Peut-être n'avons-nous pas été suffisamment informés et suffisamment alertés que l'on enregistrait déjà, en 1989, des volumes d'importation non conformes à l'habitude.

Je n'ai jamais été prévenu.

M. le Rapporteur - Vous n'avez jamais été informé ?

M. Henri Nallet - Jamais personne n'est venu me dire : Monsieur le ministre, il existe un avis aux importateurs interdisant l'importation des farines animales.

Quelques informations ont été données à mes collaborateurs, en particulier une lettre a été envoyée au Directeur de cabinet lui faisant part (le Syndicat des Industries de récupération animale avait signalé cette situation), et l'un de mes collaborateurs (qui possède cette lettre que je peux mettre à votre disposition) a répondu qu'il était demandé aux services vétérinaires d'y veiller particulièrement.

Mais je crois qu'à partir de ce moment, un certain nombre d'irrégularités ont eu lieu, voire de détournements de trafics, et je pense que nous aurions dû nous préoccuper de la contamination croisée, car l'arrêté pris en juillet 1990 interdisait toute utilisation de farine pour les ruminants. On laisse, malheureusement, la porte ouverte à l'utilisation des farines pour les porcs et les volailles.

Malheureusement, ceux qui préparaient l'aliment du bétail mais peut-être aussi les utilisateurs, ont mis des farines contaminées à disposition des animaux qui ne devaient pas les consommer.

M. le Rapporteur - Etes-vous allé, vous-même ou votre ministère, jusqu'à imaginer de prévenir les éleveurs (et dans ce cas par quel canaux spécifiques) en les tenant informés, juste avant la prise de décision de l'interdiction de l'importation de farines animales ?

M. Henri Nallet - Non. Il n'y a pas eu de travail spécifique sur cette question. Tout le monde était informé et au courant. Et, là encore, vous trouverez la liste des participants. Le Président de la Fédération Nationale Bovine était présent à cette réunion.

Je crois que nous avons été assez long, en France, à penser que notre troupeau pouvait être concerné rapidement.

Peut-être tous, collectivement, avons-nous fait preuve de trop de certitude. Il me semble que ce n'est qu'à partir de la crise d'avril-mai 1990 que nous suivons la situation de beaucoup plus près avec beaucoup plus de rapidité de réaction. Jusque là, je pense que tout le monde croit que cette maladie nous sera épargnée et que les mesures prises étaient suffisantes.

Ce n'est qu'avec le recul que l'on constate que les contrôles n'ont pas fonctionné correctement et que la traçabilité, même si nous avions obtenu ce que nous pensions être un début de traçabilité dans les décisions de mai 1990, n'était pas rentrée dans les pratiques administratives et commerciales.

Je ne sais pas, Monsieur le Président et Monsieur le rapporteur, si vous parviendrez à reconstituer à titre d'exemple quelques mouvements, mais quand je réfléchis à ce qui s'est certainement passé à l'époque : des farines animales britanniques qui ont quitté le Royaume-Uni dans des navires, qui se sont promenées dans la Manche et la Mer du Nord, ne sont pas toutes allées à Roscoff ou à Brest, mais à Rotterdam et ailleurs ou à Anvers et qui ensuite passent dans des camions avec une plaque minéralogique belge vers les Vosges ou le Maine-et-Loire.

Le marché unique est déjà là pour partie, les camions circulent facilement et pas toujours avec des pièces d'origine. De plus, des pratiques industrielles et commerciales (dont on me dit qu'elles existent encore mais je n'en suis pas sûr) n'indiquaient pas la provenance des produits figurant dans les sacs vendus aux éleveurs. Ceci n'explique pas cela, Monsieur le rapporteur, mais je crois que ces produits dangereux ont dû circuler dans toutes les directions dans l'espace européen.

M. Georges Gruillot - Monsieur le ministre, je voudrais deux précisions d'ordre différent. La première concerne les importations en France de cervelles anglaises.

Pouvez-vous nous donner la date d'interdiction d'importation de ces cervelles, car nous avons tout entendu dans cette commission, des dates qui, dans la majorité d'entre elles citent 1992. On nous a également cité 1990. Etes-vous capable de nous donner votre sentiment sur ce point si vous le savez ?

Jeudi, nous étions reçus à l'ambassade de France à Londres et nous avons interrogé l'ambassadeur pour savoir comment se transmettaient les informations anglaises au Gouvernement.

Nous appris que cela se passait par télégramme signé de l'ambassadeur mais que ce télégramme était toujours systématiquement envoyé au ministère des Affaires étrangères. En 1988-1989, quand a lieu ce problème, est-ce que le ministère de l'Agriculture a bien été informé de ce que l'on devait logiquement apprendre aux Affaires étrangères, de notre ambassadeur ?

M. Henri Nallet - Je pourrais répondre plus précisément à ces deux questions mais je crois que c'est en février 1990 que l'on étend l'interdiction de consommation à un certain nombre de matériels à risques, dont les cervelles, et à ce moment, que nous collons aux décisions britanniques. Nous les prenons directement après eux. Il y a eu interdiction d'utilisation à partir de ce moment.

M. Georges Gruillot - Nous avons appris qu'à Rungis, pendant cette période 1990-1992, des montagnes de cervelles ont été importées.

M. Henri Nallet - Je ne peux pas répondre à cette question. Je me réfère seulement -et ce n'est sans doute pas le côté le plus positif de notre réflexion- au rapport de l'inspecteur général Villain, de l'inspection des finances, sur la manière dont ont fonctionné les contrôles et vous avez la réponse. Son jugement est sévère. Je ne veux surtout pas en rajouter, car je ne voudrais pas donner le sentiment... je renvoie aux propos de Claude Vilain qui peuvent expliquer un certain nombre de dérapages.

Si je poursuis un peu plus, et certains d'entre vous connaissent ma position sur ce point, car je me suis entretenu avec eux dans d'autres temps, ce que révèlent ces dysfonctionnements : essentiellement l'absence de système de contrôle efficace au niveau communautaire, parce que toutes ces décisions, à partir de 1990, sont communautaires. Elles auraient dû être vérifiées. C'est un système de contrôle communautaire qui aurait dû être vérifié. Tant qu'ils sont laissés à des systèmes nationaux... les Britanniques avaient un intérêt commercial à vendre leurs produits. Nous ne sommes pas toujours en état de vérifier correctement.

Je crois que cette situation que vous décrivez, que je connais et que j'ai appris à connaître, pointe cette insuffisance. Tant que nous n'aurons pas un système de contrôle communautaire de qualité avec des possibilités d'intervention, nous pourrons nous attendre à des situations de ce type.

Sur le système d'information entre nos pays et nos ambassades (je vous ai dit que je le mettais à votre disposition), j'ai retrouvé un premier télégramme général sur l'ESB, datant de mars 1990. Y en a-t-il eu d'autres ? C'est tout à fait possible, mais je ne les connais pas.

Le système du télégramme diplomatique fait que lorsqu'un télégramme est envoyé par l'une de nos ambassades à l'Administration centrale, à savoir l'Administration du Quai d'Orsay, il est automatiquement réparti dans les ministères techniques concernés par la question dont il traite.

Si l'ambassadeur de France à Londres a envoyé à sa centrale un télégramme préparé par l'attaché agricole sur n'importe quel aspect de l'agriculture britannique, à un moment ou à un autre, il a été expédié quasiment en même temps à la Direction de la Production et des Echanges du ministère de l'Agriculture. Il ne peut y avoir, par construction, d'informations qui auraient été retenues ministère des Affaires étrangères et n'auraient pas été signalées au ministère de l'Agriculture.

M. le Président - Ce qui voudrait peut-être dire que ce serait à l'intérieur de votre propre ministère que des informations auraient pu être retenues.

M. Henri Nallet - Non. Nous pouvons le retrouver très facilement. Il faut demander les télégrammes.

M. le Président - Nous avons fait la demande. Cela étant, il est vrai qu'à l'époque la maladie n'était pas considérée comme un élément aussi important. Peut-être la situation est-elle restée en l'état.

M. le Rapporteur - De la prospective : il est évident que, dans ce rapport, nous devrons écrire un chapitre concernant la réorientation de la Politique Agricole Commune.

Je pense qu'il serait intéressant -vous connaissant, vous devez déjà y réfléchir- que vous nous fassiez passer une note sur l'état de vos réflexions et de la prospective en matière de réorientation de la politique agricole commune. La question est simple et la réponse est difficile.

M. Henri Nallet - Je suis heureux de cette demande. Elle me fait plaisir, si elle ne me flatte bas. Je vous promets de vous envoyer mes réflexions simples. Je suis très préoccupé de cette situation.

M. le Rapporteur - Pour aller plus loin, forts de ce que nous avons retenu en 48 heures de passage à Londres, nous ne voudrions pas voir notre agriculture française et la ruralité française dans l'état de déliquescence où se trouvent l'agriculture et la ruralité anglo-saxonnes.

M. Henri Nallet - C'est une réflexion encourageante.

M. le Président - Monsieur le ministre, merci.

Audition de M. Jean-Philippe DESLYS,
Responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Monsieur Jean-Philippe Deslys, merci d'avoir répondu à notre convocation. Je rappelle que vous êtes ici en tant que responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA.

Vous êtes auditionné dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème des farines animales et leurs conséquences sur le développement de l'ESB et la santé des consommateurs.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Deslys.

M. le Président - Si vous le voulez bien, nous allons dans un premier temps vous laisser la parole pour que vous puissiez nous donner votre position et votre opinion sur les problèmes de l'ESB.

M. Jean-Philippe Deslys - Merci Monsieur le Président. Je vous rappelle que les maladies concernées, jusqu'à l'apparition de l'ESB, ne posaient pas de problème particulier, la maladie la plus fréquente chez l'homme étant celle de Creutzfeldt-Jakob, sous forme sporadique, à raison d'un cas par an et par million d'habitants, soit environ 80 cas par an en France.

Elle est dix fois plus rare sous sa forme familiale, et à chaque fois liée à une mutation du gène du prion, et les formes iatrogènes le sont encore plus, sauf en France, avec le problème lié à l'hormone de croissance.

Sur environ 980 patients traités entre janvier 1984 et juin 1985 avec des hormones de croissance d'origine extractive (qui étaient extraites d'hypophyses de cadavres), 76 ont développé cette maladie, soit près de 8 % de la population exposée.

Le Kuru est une maladie qui a disparu aujourd'hui. Elle a été découverte à la fin des années 1950 dans des tribus de Papouasie-Nouvelle Guinée -vivant à l'âge de pierre- qui pratiquaient des rites cannibales.

Aujourd'hui, avec le recul, cette expérience permet de dire que la période d'incubation de ces maladies chez l'homme, qui est silencieuse, peut aller de 4 ans -c'est l'âge le plus jeune qui ait été retrouvé- jusqu'à plus de 40 ans.

Nous trouvons parmi les maladies animales la tremblante naturelle du mouton et de la chèvre, maladie endémique décrite depuis environ 1700, qui ravageait les troupeaux de moutons au 18ème siècle, mais qui ne posait pas de problèmes à l'homme, les bergers, les vétérinaires et les bouchers ne développant pas plus de maladie de Creutzfeldt-Jakob que les autres catégories socioprofessionnelles.

Par ailleurs, dans des pays indemnes de tremblante, comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le taux de maladie de Creutzfeldt-Jakob est le même qu'ailleurs. Par conséquent, jusqu'à preuve du contraire, les maladies animales telles qu'on les connaissait n'étaient pas transmissibles à l'homme, ou en tout cas pas dans des proportions décelables avec les moyens épidémiologiques.

La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages (la « chronic wasting disease ») a été décrite dans les années 1960 aux Etats-Unis, dans le Wyoming et dans le Colorado. C'est une sorte de tremblante qui touche les ruminants sauvages (daims, wapitis, etc.), qui a tendance à s'étendre.

On estime aujourd'hui qu'elle double tous les ans et qu'elle touche environ 10 % des animaux abattus. Une étude a montré récemment que, sur 133 animaux diagnostiqués positifs parce que cette maladie était recherchée chez eux par des tests, seuls trois présentaient des signes cliniques. C'est vous dire à quel point l'on peut passer à côté de ces maladies quand on ne les recherche pas.

Par ailleurs, l'attention du CDC a été attirée, car aux Etats-Unis trois chasseurs anormalement jeunes -ces maladies sont très rares chez les individus de moins de 40 ans-, de moins de 40 ans, qui chassaient ou qui étaient en relation avec ces contrées, ont développé une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cela a attiré l'attention sur le risque de transmissibilité de cette nouvelle maladie qui s'étend à l'homme, sans qu'aucun lien épidémiologique ait été retrouvé. Il s'agit simplement d'un signal d'alerte.

Reste bien entendu l'encéphalopathie spongiforme bovine, que vous connaissez tous.

Le début de la crise, en 1996, a correspondu à la démonstration épidémiologique que l'ESB était transmissible à l'homme. Ensuite, nous avons apporté au laboratoire la première preuve expérimentale de sa transmission, puisque les singes inoculés avec l'agent de l'ESB développaient exactement les mêmes lésions, tout à fait caractéristiques, que les patients atteints cette maladie. Vous pouvez voir ce que l'on appelle une « plaque floride ». Il s'agit d'une accumulation de la protéine de prion sous forme amyloïde entourée de légions de spongioses, d'où un aspect en fleur.

La seconde preuve expérimentale a été apportée en septembre 1997, tous ces travaux ayant été publiés successivement dans « Nature ». L'on s'est rendu compte que la signature biochimique était tout à fait particulière, elle a été baptisée de type 4.

Nous avons retrouvé exactement la même signature chez le premier patient français qui a développé cette maladie, qui n'est retrouvée dans aucune autre forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob en dehors du nouveau variant.

La troisième preuve expérimentale est la signature lésionnelle, c'est-à-dire la transmission à la souris. Nous sommes extrêmement démunis face à ces maladies, car nous n'en connaissons toujours pas l'agent de façon précise et parce que sérologiquement nous n'avons aucune possibilité puisqu'il n'existe pas de réactions immunitaires.

Nous ne décelons aucun micro-organisme au microscope, ni aucune protéine étrangère ou aucun acide nucléique spécifique, mais nous avons la chance dans notre malheur d'avoir des modèles expérimentaux extrêmement reproductibles.

Si une souris est inoculée à J zéro avec une souche donnée, six mois après, à une semaine près, tous les animaux de la boîte mourront en une semaine. Ce sont, sur ce plan, de véritables horloges biologiques. Cela peut servir notamment pour étudier les différentes souches qui existent ainsi que la répartition des lésions dans le cerveau.

Il s'agit de maladies dites spongiformes -donc qui créent des trous- qui peuvent être quantifiées, chacune des souches ayant sa signature, c'est-à-dire qu'elle s'attaquera préférentiellement à telle ou telle zone du cerveau, d'où des signes cliniques plus particuliers. Vous avez ici la démonstration qu'au niveau du bulbe la tremblante n'entraîne aucune lésion alors que l'agent de l'ESB crée des trous partout.

La démonstration a très clairement été faite que la même souche est responsable de la contamination des bovins en Grande-Bretagne et en France, de différents animaux de zoo, de chats, et d'hommes développant une variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Le problème supplémentaire rencontré chez l'homme réside non seulement dans cette transmission primaire du bovin à l'homme, mais aussi dans les risques de transmission secondaires.

On pensait jusqu'à présent que la maladie de Creutzfeldt-Jakob ne posait pas de problèmes particuliers en dehors de ceux que je vous ai décrits pour l'hormone de croissance et les instruments neurochirurgicaux, directement en contact avec le système nerveux central.

Par exemple, les études épidémiologiques n'ont jamais révélé de corrélation entre la transfusion sanguine et le risque de développer une maladie de Creutzfeldt-Jakob. Cependant, cela risque d'être différent avec la nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob.

En effet, on retrouve la protéine anormale du prion non seulement dans les amygdales, mais aussi dans la rate, les ganglions lymphatiques et au niveau de l'intestin, tout le système réticulo-endothélial étant contaminé. Cela signifie en d'autres termes que le niveau de contamination du sang, surtout avec une souche nettement plus virulente, n'est pas le même que celui qui était précédemment connu et que, par conséquent, l'on ignore le risque encouru.

Vous pouvez voir sur la diapositive l'amygdale du deuxième patient français et du troisième, qui est toujours vivant à ce jour.

Un article va vous être distribué dans lequel il a été démontré que chez le singe la souche gardait ses propriétés en passage secondaire, avec toujours exactement la même signature, et gagnait en virulence, la période d'incubation étant raccourcie de moitié. Enfin, elle se transmet remarquablement bien par voie intraveineuse, ce qui attire l'attention sur les risques de transmission secondaire.

Concernant les risques liés à l'agent de l'ESB, plus de 180 000 bovins ont développé cette maladie au Royaume-Uni et l'on approche les 300 en France. De plus, l'on estime à environ 900 000 les bovins affectés censés être rentrés dans la chaîne alimentaire humaine. Ils y sont rentrés, car la période économique moyenne en Angleterre est d'environ deux ans et demi et parce que la période moyenne d'incubation de cette maladie est de cinq ans, aucun diagnostic n'étant possible avant l'apparition des signes cliniques.

Le problème réside dans le fait que plus de la moitié des bovins affectés sont rentrés dans la chaîne alimentaire avant l'interdiction des abats à risque. Cependant, cela ne pose pas de problème s'ils y sont rentrés suffisamment jeunes, car cet agent n'a pas eu le temps de s'accumuler à des taux détectables. Ce sont la cervelle et la moelle épinière qui sont dangereuses dans ces maladies.

Il faut se souvenir que les expériences qui ont été menées ont montré très clairement que, lorsqu'une souris est inoculée à partir d'une vache développant naturellement une maladie, cet agent n'est retrouvé que dans le système nerveux central et périphérique, ainsi que dans les ganglions para-vertébraux apparentés eux aussi au système nerveux, et pas ailleurs.

On en trouve dans l'iléon et notamment au niveau des plaques de Peyer uniquement dans un cas : quand l'animal a été contaminé avec de très fortes doses par voie orale.

On le retrouve aussi, dans les contaminations naturelles, dans les ganglions lymphatiques et ailleurs, mais à des taux tellement bas qu'il est indétectable, sachant qu'il faut traquer ce qui est dangereux.

Par ailleurs, le nombre de cas naïfs (nés après l'interdiction des farines) ne décroît pas comme prévu. L'on imaginait il y a quelques années que le problème serait résolu en 2000 puis en 2001, mais nous voyons bien qu'il n'en est rien.

L'agent de l'ESB est transmissible aux moutons par voie orale à faible dose (0,5 gramme suffit) et il se répartit comme la tremblante, ce qui signifie qu'on le retrouve dans tous les tissus périphériques à des taux importants et, en d'autres termes, qu'il peut potentiellement devenir endémique chez le mouton, comme l'agent de la tremblante.

Or, le problème réside dans le fait -on a déjà dû vous l'indiquer- que l'on ne peut pas faire cliniquement la différence entre la tremblante et l'agent de l'ESB. Par ailleurs, si co-infection il y a, on peut imaginer si l'on est optimiste que, par un phénomène de compétition de souche, la tremblante, qui est endémique, occupe la niche écologique et donc va éviter le développement de ce nouvel agent, ce qui est classique en infectiologie. En revanche, on peut également envisager un maintien des deux souches en même temps, que l'on ne saurait pas différencier de façon simple.

L'agent de l'ESB est certainement transmissible à l'homme par voie orale. 96 cas ont été enregistrés au Royaume-Uni. A également été détecté en Irlande le cas d'une personne qui avait vécu très longtemps au Royaume-Uni auparavant. Enfin, 3 cas ont été enregistrés en France.

Le futur nombre de cas humains est extrêmement difficile à modéliser. Les premières modélisations en prévoyaient entre 80 et plus de 500 000, mais elles ont été affinées et l'on en prévoit désormais entre 63 et 136 000, sachant qu'il s'agit d'extrêmes, les hypothèses les plus raisonnables allant de quelques centaines à quelques milliers de cas.

Dans la mesure où la période moyenne d'incubation n'est pas connue, nous ne savons pas si les cas que nous enregistrons actuellement correspondent au pic de l'épidémie, auquel cas ce serait malheureux pour les patients qui ont développé la maladie, mais très rassurant pour le reste de la population. En revanche, si la période d'incubation est très longue, cela signifie que ce que nous constatons actuellement correspond à des cas anormalement courts qui annoncent une énorme vague. C'est le fond du problème.

Vous pouvez voir l'évolution de la maladie chez l'homme au Royaume-Uni à partir de 1995, mais des variations de la durée de la phase clinique sont liées au fait que plus les personnes sont jeunes, mieux elles résistent, sachant que l'âge moyen du décès est de 29 ans, même si le plus jeune patient décédé avait 14 ans. Grosso modo, plus le patient est jeune, mieux il se défend contre la multiplication de l'agent, mais vous pouvez constater par année d'apparition une progression importante, même si nous n'avons pour le moment aucune idée de l'allure que prendra cette évolution dans les années à venir.

Par ailleurs, il semblerait d'après le Professeur Robert Will, responsable du groupe de surveillance de ces maladies chez l'homme au Royaume-Uni -c'est simplement une impression pour le moment-, que la maladie touche davantage les classes défavorisées, qui sont les plus à même de consommer des préparations de mauvaise qualité contenant notamment de la cervelle et de la moelle épinière, qui sont à l'origine des problèmes.

L'apparition de ces nouveaux cas amène à se poser des questions ainsi qu'à confondre les cas humains liés à des contaminations anciennes et à les mélanger avec les cas bovins qui sont en train d'apparaître, mais ce sont des éléments complètement différents, d'autant que toute une série de mesures de précaution ont été prises dans l'intervalle.

Quand on fait figurer sur un même graphique les cas britanniques et les cas français, on ne voit pas apparaître les cas français à cause de la différence d'échelle (180 000 contre 300) ; ils sont complètement écrasés. Par conséquent, le risque provient bien, aussi bien au Royaume-Uni qu'en France, des cas britanniques.

La France est surtout concernée, car nous étions malheureusement le principal importateur de viande britannique ou de produits bovins d'origine britannique. Nous savons que 5 à 10 % de notre consommation provenait de Grande-Bretagne et qu'il s'agissait apparemment non pas des meilleures vaches, mais plutôt de vaches laitières de réforme, qui sont les plus dangereuses. Même si l'embargo a été très efficace en 1996, le risque est lié aux importations de produits britanniques.

Quant aux abats à risques, nous ne parvenons pas à obtenir des chiffres précis, ce qui est très ennuyeux. Ils diffèrent à chaque fois que nous nous adressons à une source différente et il est à ma connaissance impossible d'avoir des chiffres précis concernant le cerveau et la moelle épinière. Nous ne disposons donc que de chiffres généraux sur les exportations d'abats britanniques.

Or, nous constatons malheureusement qu'entre 1987 et 1988 ces exportations ont été multipliées par 20, les abats à risque ayant été interdits en 1989 au Royaume-Uni et en 1990 en France, des transferts massifs ayant pu avoir lieu, comme cela a été observé avec les farines contaminées pour les bovins.

C'est une période particulièrement dangereuse, puisque la cervelle et la moelle épinière étaient incorporées de façon parfaitement légale dans la nourriture.

Cela dépend des habitudes des pays, mais en Angleterre, d'après ce qui m'a été expliqué, la cervelle et la moelle épinière n'étaient pas consommées en tant que telles. En revanche, elles pouvaient être utilisées dans les viandes séparées mécaniquement, dans les viandes hachées, dans les hamburgers ainsi que dans certaines saucisses et pâtés et jusqu'à 10 % dans certaines saucisses, soit 10 grammes de cervelle dans une saucisse de 100 grammes.

Cela recouvre en termes de risque la notion de dilution, d'où l'intérêt de l'analyse du Cluster de Keniborough (Leicestershire). Il nous est rapporté que cinq cas anormaux ont été détectés dans un village particulier.

Il s'est avéré après analyse -avec tous les biais pouvant exister quand on essaie de reconstituer des cas témoins avec 20 ans de retard- que le point commun était un boucher qui avait des pratiques particulières, interdites en France depuis 1965, mais qui étaient encore légales en Angleterre et qui existaient encore dans de très rares endroits, à savoir qu'il procédait lui-même à l'abattage et à la découpe des animaux, ce qui a généré un phénomène de concentration.

En cas d'animal contaminé, ce n'était pas redistribué sur des centaines de personnes, comme avec les produits industriels, mais c'était au contraire localisé et concentré, les chiffres étant significatifs.

D'après l'explication donnée, ce sont les couteaux qui servaient à découper le bifteck qui étaient contaminés, mais j'ai une analyse complètement différente. En effet, seuls quelques milligrammes restent sur la lame d'un couteau puis se retrouvent sur la viande. Or, si quelques milligrammes suffisent à contaminer un homme, qu'en est-il de la moelle épinière qui pèse 200 grammes et de la cervelle, qui en pèse 500 ?

Je veux bien que l'on m'explique que la cervelle n'était peut-être pas retirée, car cela obligeait à casser la tête, mais le boucher était obligé d'extraire la moelle épinière puisqu'il découpait les carcasses. Par conséquent, il faut se demander à mon sens ce qu'il faisait exactement de la moelle épinière, sachant que dans la profession de boucher l'on ne jette pas grand-chose et qu'il était légal de la réutiliser.

M. Paul Blanc - Il avait une spécialité qui incorporait la moelle.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Au cours de notre voyage de 48 heures en Angleterre, c'est le seul endroit où il nous a été clairement indiqué que des abats étaient incorporés dans la fabrication des steaks hachés et que cette pratique s'était éteinte avec le temps, mais l'on ne nous a évidemment pas donné de date claire.

M. Jean-Philippe Deslys - Je suis content que vous me l'indiquiez, car c'est par déduction que je suis arrivé à cette conclusion. J'ai été incapable de trouver quelqu'un pour me répondre.

M. le Rapporteur - Dieu sait si les personnes auxquelles nous nous sommes adressés ont été avares d'informations, mais nous avons au moins eu celle-ci.

M. Jean-Philippe Deslys - J'ai procédé à deux représentations de la situation (au 9 mai et au 16 octobre 2000) pour essayer de comprendre ce qui s'est passé, car j'ai été très frappé par l'évolution des cas.

Il s'agit de représentations par année de naissance et d'apparition pour établir une sorte de moyenne, sachant que des animaux ont été contaminés tôt et que quand en France un cas est décelé tout le troupeau est abattu. Cela fait apparaître en 1988 et en 1989 le phénomène qui correspond à l'importation massive des farines britanniques.

Au moment où elles ont été interdites au Royaume-Uni, l'Irlande a divisé par 3 ou 4 ses importations, en passant de 700 à 200 tonnes, la France les a doublées, en passant de 7 000 à 15 000 tonnes, la Belgique et la Hollande les ont multipliées par 4 ou 5, etc.

Paradoxalement, la Suisse n'a importé aucune farine britannique, mais c'est elle qui a enregistré le plus grande nombre de cas. Ceci dit, elle a importé des farines d'ailleurs, notamment de Belgique, et j'ai cru comprendre qu'une farine qui revenait dans un autre pays et était remélangée prenait l'étiquette du nouveau pays, et ce indépendamment de la fraude.

De plus, incontestablement, l'on ne parvenait à obtenir aucun détail sur ce qui se passait en Angleterre. J'ai demandé pendant des années ce que devenaient ces farines : cela relevait plus du secret défense que d'autre chose.

J'ai été très étonné, car il m'avait été indiqué au départ que ces farines ne voyageaient pas, parce que cela coûtait cher en raison des tonnages, et qu'elles n'allaient pas très loin. Or, 20 000 tonnes ont été importées en Indonésie en 1996. En fait, les notions de diffusion limitée sont complètement fausses et ces farines ont pu voyager très loin. De plus, il faut tenir compte des périodes d'incubation, raison pour laquelle le phénomène se poursuit.

Par année d'apparition en France, la subdivision en fonction de l'âge est intéressante. En effet, toutes les tranches sont touchées au départ, car les farines rentrent et l'on en donne à tout le monde mais, à partir de 1996, la proportion correspondant aux bovins de quatre ans augmente jusqu'à atteindre 40 % en 1998, ce qui est complètement anormal. Le fait que des bovins de 4 ans développent la maladie anormalement tôt signifie qu'ils ont été contaminés tôt avec des doses importantes, à un moment où ils n'auraient jamais dû recevoir la moindre farine. En fait, ils ont développé la maladie plus rapidement à un moment où tout était censé être verrouillé.

Comment expliquer que, quand les farines animales pouvaient rentrer légalement et massivement, les cas étaient relativement peu nombreux -même si je veux bien admettre qu'il y ait des trous dans l'épidémio-surveillance, mais pas à ce point-, alors que leur nombre a augmenté ensuite ? Nous avons l'impression que les farines sont rentrées et ont été recyclées.

Nous savons aujourd'hui que les systèmes de traitement des farines ne suffisaient pas. Il faut raisonner en seuils. Quand un système est moyennement efficace et que la charge infectieuse est faible, le taux infectieux est suffisamment diminué pour ne plus contaminer personne. En revanche, si le système est alimenté avec des doses importantes, l'on passe au-dessus du seuil fatidique et l'on peut amplifier l'agent infectieux. C'est en tout cas ma lecture de la situation.

Vous me répondrez que les farines, même françaises, n'auraient pas dû rentrer dans l'alimentation des bovins, sachant qu'elles avaient été interdites, mais ils ont été contaminés anormalement jeunes.

J'ai posé des questions pour comprendre ce qui se passait, car cela annonçait un phénomène extrêmement désagréable, qui est à suivre. En effet, si un bovin de 4 ans est contaminé, cela signifie que son petit frère, qui a mangé des produits un peu moins contaminés, développera la maladie à cinq ans, son autre petit frère à six ans, etc.

Il m'a été répondu que les paysans qui ont des porcs ou des volailles pour lesquelles ces farines étaient autorisées -y compris les farines britanniques, si j'ai bien compris-, ne décident pas du moment de sacrifier les animaux. Ce choix revient à la coopérative et ils ne sont pas maîtres du système. C'est la raison pour laquelle leurs silos étaient de temps à autre à moitié pleins.

De plus, dans la mesure où cet aliment n'est pas en fin d'engraissement utilisable pour les animaux en début d'engraissement, il était repris par les usines.

Enfin, il était impropre à la consommation par les vaches laitières parce qu'il contenait des antibiotiques et toute une série d'éléments incompatibles, mais il pouvait être utilisé pour les veaux. C'est une explication qui me semble logique s'agissant de ce qui m'a été décrit comme des « silos hôpital ».

Il faut par ailleurs tenir compte du phénomène des lacto-remplaceurs. Des animaux jeunes buvaient autre chose que du lait et l'on a découvert que les lacto-remplaceurs contenaient des graisses animales. Or, il semblerait que certaines d'entre elles servaient à cuire les farines et pouvaient ensuite rentrer dans l'alimentation. Je vous livre pour le moment les pistes que j'ai pu trouver afin d'essayer de comprendre, uniquement à partir de l'analyse des courbes.

Le phénomène a été augmenté en 2000 de façon artificielle pour deux raisons : la mise en place des tests, qui correspondent à une augmentation d'environ un tiers des cas et, comme en Suisse, un processus d'attention accrue. Par exemple, un vétérinaire qui n'aurait pas fait son travail en laissant passer une vache qui présentait des signes cliniques qui a ensuite été repérée lors des tests a des retours de ce manque d'efficacité. En tout cas, le résultat est là, le nombre de bovins de cinq et six ans contaminés commençant à augmenter, sachant qu'en 2001, surtout de par les tests réalisés à très grande échelle, de nombreux faits seront démasqués.

Ces fameux tests sont tous basés sur la détection d'une protéine anormale, celle du prion expliquant la résistance de ses agents ; elle forme une coque résistante.

Dans l'hypothèse du prion, la protéine anormale est l'agent, alors que dans d'autres des éléments supplémentaires viennent s'ajouter mais, dans tous les cas, cette coque est indispensable pour expliquer la résistance à la dégradation. Elle résiste à la chaleur, notamment sèche. Par exemple, un bout de cerveau que l'on a eu le malheur de laisser sécher même avant de l'autoclaver devient résistant, de même s'il est traité au formol ou à l'éthanol. Elle résiste également aux ultrasons, aux rayonnements ultraviolets, aux radiations ionisantes et à quasiment tous les processus chimiques d'inactivation, ce qui signifie clairement que les méthodes culinaires ne servent strictement à rien.

La protéine anormale du prion existe sous une forme normale chez tous les mammifères, mais elle est dégradée si l'on fait agir une protéase.

Elle a sous sa forme anormale tendance à s'accumuler, ce qui est normal car, dans la mesure où elle résiste à la dégradation, la cellule n'arrive pas à s'en débarrasser, tout au moins pas très efficacement. En effet, si elle était complètement résistante, les animaux ne mettraient pas des mois à mourir. L'incubation serait très rapide, de même que la mort.

Le problème réside dans le fait qu'aucun anticorps ne reconnaît actuellement spécifiquement la forme anormale de la PrP, ce qui implique que dans toutes les techniques l'on doive se débarrasser soigneusement de la forme anormale qui très souvent chez le bovin présente la majorité de PrP.

Il s'agit d'un changement de conformation. La protéine normale comporte une partie non structurée et une partie globulaire (c'est-à-dire structurée) composée principalement d'hélices alpha -on en retrouve par exemple dans la laine- consistant en enroulements torsadés. C'est d'ailleurs ce qui permet à la laine d'être étirée.

En revanche, elle acquiert sous sa forme anormale une structure en feuillets beta. Il s'agit de feuillets parallèles ou anti-parallèles qui donnent la rigidité, comme dans la soie, raison pour laquelle elle résiste autant à la traction.

Quatre tests ont été évalués. Je m'étais attendu en Europe à ce que l'agriculture s'en préoccupe, car, d'après moi, la meilleure méthode était un test sensible, en mettant ainsi en place un verrou naturel à l'abattoir, ce qui permet de ne plus laisser passer de bovins dangereux.

Or, c'est la DG XXIV qui a développé ce test dans le cadre de la protection du consommateur. Cela a mis du temps à se mettre en place, en particulier pour trouver des échantillons négatifs, car personne ne voulait en fournir, ce que la Nouvelle Zélande a finalement fait.

En fait, sur les dix tests initialement soumis aux experts européens, quatre ont été sélectionnés :

Le test britannique, développé par la Société Wallac, basé sur une technique de Delfia avec de l'immuno-fluorescence ;

Le test suisse, développé par la Société Prionics, basé sur un western blot ;

Le test irlandais, développé par la Société Enfer. Il s'agissait d'un test Elisa simple, l'antigène étant placé directement sur une plaque en plastique ;

Le test français, développé par notre laboratoire, qui était plus compliqué dans la mesure où nous voulions qu'il soit très sensible, avec une étape de purification et un système Elisa de type sandwich très classique.

Le test A a été recalé, car c'était le moins sensible des quatre. En l'occurrence, parmi des bovins cliniquement atteints, l'on a retrouvé des faux positifs et des faux négatifs, ce qui signifie que certains cas positifs n'étaient pas détectés alors que certains cas négatifs étaient considérés comme positifs.

Les trois autres tests ont été sélectionnés sur le plan européen, tous les bovins cliniquement positifs ayant été bien identifiés, sans aucune erreur sur les cas négatifs.

Ce qui nous a surtout intéressés est la deuxième partie, c'est-à-dire le test de sensibilité sur les dilutions successives.

Le test suisse s'est révélé le moins sensible des trois, le test irlandais trois fois plus sensible que ce dernier et le test français trente fois plus. Par conséquent, comparé au test A (le test anglais), le test français était trois cents fois plus sensible.

Nous pouvons dire « Cocorico », mais cela ne résout pas tous les problèmes, et ce n'était pas cela le plus intéressant, la question étant de savoir si le consommateur est réellement protégé.

Je vous rappelle le principe du test. Il comporte deux étapes et part d'un morceau de tronc cérébral, sachant qu'il est très important de partir de l'obex, zone du cerveau dans laquelle s'accumule en premier lieu cette protéine anormale.

Le nerf vague innerve tout le tube digestif, ce qui signifie que n'importe quel endroit du tube digestif contaminé finira par contaminer l'une des petites fibres du nerf vague, ce qui remontera tout le long de celui-ci jusqu'à son noyau, qui se situe au niveau de l'obex.

Dans d'autres zones du cerveau -nous en avons fait l'expérience-, les protéines anormales sont cent fois moins nombreuses, voire mille fois moins ; c'est arrivé dans un cas. C'est la raison pour laquelle il faut prendre garde à tenir compte de la bonne zone, sachant qu'au départ elle était placée dans le formol pour l'immunohistochimie, donc non disponible pour ce genre de technique.

Une homogénéisation est nécessaire afin de travailler sur un produit solubilisé ou en suspension. Il s'en suit un traitement de dix minutes par la protéinase K et une centrifugation de cinq minutes, ce qui permet un résultat très rapide, puis on resolubilise et l'on pratique un test de type ELISA, qui demande moins de quatre heures.

Un premier anticorps placé sur une plaque en plastique piège la protéine, tandis qu'un second anticorps détecte une autre partie de celle-ci et donne un signal.

Toute cette étude a été réalisée sous la surveillance de personnes de la DG XXIV, qui allaient jusqu'à cadenasser nos congélateurs à la fin de la journée pour s'assurer que nous ne faisions pas autre chose. C'est inhabituel dans le domaine de la recherche, mais cela permet que les résultats ne puissent pas être contestés.

Ce qui à mon sens va vous intéresser le plus est un article que nous avons publié dans « Nature », en janvier dernier, afin de montrer l'intérêt d'un test sensible pour protéger le consommateur.

Théoriquement, il nous a été expliqué que ce n'était pas possible et, déjà avant les études, il nous avait été signalé que les tests ne fonctionneraient pas. Par conséquent, tout le monde a été surpris de voir que c'était possible.

Cependant, ce n'est pas le fait d'effectuer un test plus sensible que les autres qui est intéressant pour protéger les personnes ; il est intéressant de ne pas laisser passer un élément dangereux. Or, la dose minimale infectieuse par voie orale chez l'homme n'est pas connue, ce qui est un premier obstacle.

Par ailleurs, deuxième obstacle, l'on sait parfaitement que le système nerveux central est contaminé tardivement, ce qui signifie que l'on ne peut rien faire pendant toute une période. Il n'existait donc théoriquement aucun moyen de s'en sortir, mais c'est un raisonnement fallacieux, ce que je vais vous démontrer.

Si vous prenez un échantillon et que vous procédez à des dilutions, vous pouvez comparer un test biochimique comme celui que nous avons développé -nous avons en l'occurrence tenu compte de la version industrielle du test, car nous ne sommes qu'un institut de recherche ; il ne nous appartenait pas de le développer et il a été transféré à un industriel- à l'inoculation à la souris par voie intra-cérébrale.

Lors d'une dilution au millième, on détecte tout avec le test biochimique et l'on ne tue plus qu'une souris sur 14 par voie intracérébrale, ce qui est au-dessous de la DL50 (dose létale 50 %), qui est le gold standard dans le cadre de ces maladies. L'on s'est basé sur cet élément pour annoncer que seuls le cerveau et la moelle épinière étaient concernés, que la viande n'était pas dangereuse, que le lait ne posait pas de problème, etc.

Une fois ce type de résultat obtenu, on peut avoir un raisonnement extrêmement simple. L'on sait de façon expérimentale que les souris inoculées par voie intra-cérébrale sont cent fois plus sensibles que les bovins contaminés par voie orale.

Vous entendrez dire parfois que les bovins sont mille fois plus sensibles que les souris : c'est exact s'ils sont contaminés par voie intracérébrale, car il est existe une barrière d'espèce, mais c'est une situation peu courante.

Ce sont les bovins contaminés par voie orale qui nous préoccupent. Or, l'on sait expérimentalement qu'ils sont cent fois moins sensibles. Par exemple, avec 100 milligrammes d'homogénat que nous avions utilisée précédemment, nous avions de quoi tuer 200 souris contre seulement deux bovins.

Par ailleurs, un homme contaminé par voie orale -sachant qu'il existe a priori une barrière d'espèce- sera moins sensible qu'un bovin dans le même cas, ou au pire aussi sensible, étant entendu que tous les scientifiques ne sont pas d'accord sur cette analyse, qui me semble pourtant être du bon sens.

J'en ai parlé avec Stanley Prusiner. Il estime que nous n'avons aucune preuve. Ceci dit, il considérait également, jusqu'à fin 1999, que le nouveau variant n'était pas lié à l'agent de l'ESB, car cela ne correspondait pas à sa théorie et parce qu'il n'en avait pas la preuve expérimentale entre les mains. Or, il a changé d'avis depuis 1999.

Si un test du type souris était systématiquement utilisé à l'abattoir, cela permettrait d'éliminer tout ce qui est dangereux pour la souris et donc tout ce qui l'est pour le bovin et pour l'homme, le seul problème étant qu'il faut un à deux ans pour obtenir une réponse dans le cadre du test de la souris.

Dans la mesure où il est désormais techniquement possible d'avoir une réponse en quelques heures et où les abattoirs ont la chance d'avoir ce qu'ils appellent une phase de ressuyage -une nuit s'écoule avant que la bête soit découpée-, si vous utilisez un test de ce type, vous donnez la réponse avant que la bête soit découpée en petits morceaux et vous pouvez donc la retirer de l'alimentation.

Une fois cette démonstration faite, je me suis dit que le problème était réglé et que tout le monde sauterait de joie en pensant que la filière était sauvée puisque l'on avait les moyens de protéger le consommateur. Or, je ne sais pas si vous avez eu la même impression que moi, mais je n'ai noté aucune réaction nulle part. Pour le moment, alors que ce type de test est utilisé, personne n'explique qu'il permet de protéger les personnes, ce qui me surprend énormément.

M. Michel Souplet - Nous allons l'expliquer.

M. Jean-Philippe Deslys - Merci, mais je n'ai pas entendu de débat scientifique à ce sujet et, quand j'en ai parlé aux Britanniques, ils m'ont répondu que ce n'était pas sûr. Cela semble pourtant très logique, mais apparemment il existe un frein.

M. le Président - C'est uniquement une question de seuil de sensibilité, ce dernier n'étant pas très élevé. C'est la raison pour laquelle tout le monde est méfiant s'agissant de ce test.

M. Jean-Philippe Deslys - Le problème est que les personnes raisonnent en voulant rechercher la particule infectieuse, sachant que l'on se situe au-dessous d'un seuil dangereux.

M. le Rapporteur - A mon avis, si le test le plus sensible avait été choisi, cela aurait participé à un état de psychose de l'opinion publique parce que de plus en plus d'animaux contaminés auraient été détectés.

M. Jean-Philippe Deslys - Si vous raisonnez par rapport aux animaux détectés, alors qu'il faut le faire par rapport à ceux que l'on laisse passer et qui ne présentent pas de danger.

M. le Rapporteur - Nous sommes bien d'accord.

M. Jean-Philippe Deslys - Dans un cas l'on raisonne en termes d'épidémiologie, pour essayer de trouver le plus possible de cas, et dans l'autre en termes de protection du consommateur, sachant que ce qu'on laisse passer, quoi qu'il arrive, (même si nous nous battons entre nous sur l'origine du prion ou sur d'autres sujets) n'est plus son problème puisqu'il a la garantie que ce qui arrive dans son assiette n'est pas dangereux.

Un autre raisonnement faux qui a cours consiste à se poser la question de savoir combien de temps avant l'apparition des signes cliniques les cas sont détectés, mais j'aurais tendance à vous dire que nous nous en moquons. Ce qui compte est non pas de savoir que la vache va développer la maladie dans trois jours, six mois ou trois ans, mais de s'assurer que ce qui arrive dans l'assiette n'est pas dangereux, la courbe de réplication de l'agent étant un autre problème, qui est posé aux scientifiques.

M. le Rapporteur - Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de passer maintenant à une deuxième phase en utilisant un test beaucoup plus sensible et très clair comme celui-ci ? Je souhaite en tout cas que nous y arrivions à travers notre rapport, en le démontrant grâce à vos travaux.

M. Jean-Philippe Deslys - Cela me semblerait logique.

M. le Président - Oui, mais ce n'est pas ce qui est fait pour l'instant.

M. Jean-Philippe Deslys - Je ne sais pas pourquoi le message ne passe pas.

M. le Rapporteur - Nous sommes en train de faire un distinguo entre le test de Biorad et celui de Prionics.

M. Jean-Philippe Deslys - Nous pourrions aussi parler du test d'Enfer, qui est également bon.

M. le Rapporteur - La presse s'est déjà émue, il y a quelque temps, en indiquant qu'il existait en effet une première approche du problème, mais qu'elle était loin d'être totalement sécuritaire, et je pense que nous ne pourrons pas nous en satisfaire très longtemps.

M. Jean-Philippe Deslys - Il existe un ensemble de mesures complémentaires, celles qui sont prises étant bonnes. L'élimination des abats à risque, de la cervelle et de la moelle épinière s'inscrit dans une logique absolue. Cependant, il faudrait que le système soit cohérent, notamment s'agissant des farines, certaines situations étant pour moi complètement incohérentes. La majorité des farines correspondent à des animaux déclarés bons pour la santé humaine dont les abats à risque ont été supprimés et qui de plus subissent un traitement qui n'existe pas chez l'homme (134 degrés-3 bars). Or, l'on considère cela comme dangereux.

M. le Président - C'est un problème d'image. Vous avez raison : les farines sont devenues parfaitement sécurisées.

M. Jean-Philippe Deslys - Je vous ai parlé de la majorité des farines, mais pas de la cervelle et de la moelle épinière ou de la partie des bovins contaminée, qui eux doivent être considérés comme à risque, prendre une filière différente et faire l'objet d'un traitement spécifique.

Si l'on mélange tout, l'on arrive à des tonnages tels que les résultats sont moyens pour tout le monde. Il est beaucoup plus rentable de cibler ce qui est dangereux et de vérifier que ce qui ne l'est vraiment pas ne fait l'objet d'aucune fraude, en le traitant comme un déchet et non plus comme un produit à risque.

M. le Président - De toute façon, on sépare bien les matériaux à risque aujourd'hui, les farines devenant tout à fait utilisables.

M. Jean-Philippe Deslys - Tout à fait, d'autant plus que les bovins de plus de 30 mois sont testés, ce qui à mon sens devrait également être le cas de ceux de plus de 24 mois. D'ailleurs, l'Allemagne a changé sa politique justement à la suite de l'utilisation du test français, car elle trouvé 2 bovins de 28 mois contaminés qu'elle n'aurait jamais détectés autrement.

Des personnes déclarent que c'est dangereux, mais sinon ces bovins n'auraient pas été détectés, car ils ne présentaient pas de signes cliniques, et seraient passés dans l'alimentation.

En effet, plus les tests seront sensibles, plus l'on descendra bas, mais cela devrait au contraire être une garantie de travail bien fait au lieu d'affoler les personnes, sachant qu'un contrôle à partir de 24 mois serait à mon sens plus logique qu'à partir de 30 mois.

M. le Rapporteur - Quelques départements utilisent le test Biorad à travers leurs laboratoires d'analyse, mais ils sont marginaux.

M. Jean-Philippe Deslys - Cela se passe de façon curieuse en France. Au départ, tel que nous avions conçu le test -sachant que nous sommes des scientifiques et que nous considérons la situation à l'échelon de notre laboratoire-, nous calculions le seuil de sensibilité très simplement. Nous ajoutions des négatifs dans la plaque et nous en faisions la moyenne. Le seuil était fixé à deux fois et demi la moyenne des négatifs et cela fonctionnait à chaque fois.

Cependant, les industriels nous ont indiqué que c'était compliqué pour eux et que ce ne serait pas accepté s'ils devaient envoyer des homogénats, etc., raison pour laquelle ils ont voulu utiliser un incrément fixe.

Ils ont en l'occurrence ajouté 90 milli DO, ce qui ne change rien pour nous dans la mesure où les négatifs se trouvent au niveau du tampon.

Cependant, quand ils ont mis cela en place sur le terrain avec des personnes qui n'avaient peut-être pas la même façon de travailler -certaines d'entre elles ne savaient apparemment même pas utiliser une pipette au départ-, ils ont obtenu des négatifs beaucoup plus hauts, l'ajout d'un incrément fixe dans ces conditions par rapport à un tampon qui lui ne bouge pas faisant que certains négatifs sont au-dessus du seuil.

Ma position est de dire en tant que scientifique qu'il faut revenir à notre méthode, qui permet d'éviter ces variations, mais celle retenue par les industriels est d'ajouter un autre incrément fixe pour tenir compte des négatifs trouvés sur le terrain.

C'est ce qu'ils ont fait dans tous les pays d'Europe et notamment en Allemagne et en Belgique, où cela a été accepté par la Commission européenne, sachant que leurs tests sont un peu moins sensibles que les nôtres mais qu'ils continuent à l'être dix fois plus que celui de Prionics. Cela se passe très bien, mais cela n'a pas été accepté en France. La DGAL veut maintenir l'incrément précédent, puis faire des calculs entre celui-ci et le nouveau. Ils ont à mon sens une approche très curieuse du problème.

Enfin, d'autres tests sont en cours d'évaluation. L'un d'entre eux permet de détecter la maladie dans le sang -il a été décrit comme tel- des moutons et des hamsters, mais il n'est pas tellement reproductible pour le moment, et il est très loin d'être utilisable.

Le laboratoire de Stanley Prusiner a développé un DO aux Etats-Unis, sachant qu'il avait déjà tenté d'en déposer un précédemment, mais qu'il n'était pas au point. Il le fait évaluer par la Commission européenne et espère le commercialiser.

Les Anglais représentent deux tests. De même, les Hollandais sont concernés, mais je n'ai pas de précision à ce sujet.

Prionics développe un test Elisa -le western blot étant très lourd et peu pratique pour les séries importantes-, mais j'en ignore la sensibilité.

Enfin, nous poursuivons pour aller un peu plus loin, notamment pour les moutons, ce test fonctionnant également pour ces derniers, pour lesquels il est beaucoup plus sensible. Cela permettrait de disposer d'un outil afin d'éliminer systématiquement à l'abattoir, si on le souhaite, tous les animaux atteints de tremblante. Il ne reste qu'à le valider.

De manière plus générale, en ce qui concerne notre groupe et son sujet de recherche, je suis moi-même médecin de formation. J'ai mis en place le groupe et me suis intéressé plus particulièrement, au début, à la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène, à la mise à place de modèles expérimentaux, puis au développement du test.

Corinne Lasmezas, qui est vétérinaire, a procédé pour sa part à toutes les expériences de transmission à l'animal, aussi bien chez les souris que chez les primates. Elle s'oriente aujourd'hui vers d'autres approches, avec des optamères et la recherche de récepteurs.

Jean-Guy Fournier et Nicole Sales sont des spécialistes de la morphologie. Nous voulons désormais utiliser tous nos outils pour étudier ce qui se passe réellement au niveau des cellules.

Karim Adjou est vétérinaire et spécialiste de la thérapeutique, étant entendu que nous recherchons de nouvelles approches thérapeutiques dans la mesure où nous sommes confrontés à un très important problème.

Emmanuel Comoy qui travaillait avec moi, a rejoint Biorad et a assuré le transfert du test chez les industriels.

Des étudiants se sont occupés de la transmission par voie orale ainsi que de la recherche de récepteurs et de nouvelles approches pour rechercher des gènes dérégulés qui pourraient servir de nouveaux marqueurs.

Enfin, nous avons des techniciens pour nous aider.

M. le Rapporteur - J'ai noté dans votre exposé quelques points qui correspondent à autant de questions. Avez-vous une approche des tests ante-mortem ?

M. Jean-Philippe Deslys - Les tests qui existent actuellement dans ce domaine sont effectués sur les tissus accessibles que sont les amygdales, la troisième paupière et les ganglions, qui sont limités au mouton.

A cet égard, je ne vous ai pas précisé que, s'agissant des tests auxquels nous avons procédé sur les dilutions, nous avons effectué des vérifications chez les animaux au stade pré-clinique, en trouvant la même corrélation entre la souris et le test biochimique.

Le test ante-mortem est possible chez le mouton. Quant au sang, c'est une question de sensibilité. Nous avons de premiers indices grâce à l'approche de Marie-Jo Schmerr et nous devrions être capables de détecter la protéine anormale chez le mouton dans le sang.

La seconde cible sera l'homme, sachant que ce sera plus difficile, que les tests devront être encore plus sensibles et que si nous parvenons à un résultat ce sera mauvais signe pour la transfusion sanguine. Cela posera également des problèmes d'éthique, la question étant de savoir comment procéder pour les patients dont il aura été démontré qu'ils sont en période d'incubation de la maladie et pour lesquels il n'existe pas de traitement pour le moment. C'est la raison pour laquelle nous essayons avec acharnement de trouver de nouvelles voies thérapeutiques.

En revanche, nous ne voyons pas comment faire pour les bovins dans la mesure où nous ne trouvons pas de protéines anormales dans leur sang. Cependant, un article est récemment paru dans « Nature médecine » qui indique qu'en cas de maladie un gène est dérégulé, le marqueur qui stimule normalement la différenciation des érythrocytes étant abaissé. C'est très curieux, car cela signifie que c'est un mécanisme complètement indirect.

Personne ne comprend quel est le mécanisme, raison pour laquelle nous avons recherché d'autres approches -par PCR- pour trouver de nouvelles cibles. Cela modifierait le problème si elles étaient applicables pour le sang,.

En tout cas, à court terme, aucun test ne sera utilisable avant au moins un an -c'est un grand minimum- différemment de ce qui est fait actuellement.

M. le Rapporteur - Concernant la problématique de la transfusion sanguine, les Américains, dans le cadre des dons du sang, ont pris la précaution d'écarter certaines personnes.

M. Jean-Philippe Deslys - Celles qui ont séjourné plus de six mois en Grande-Bretagne et dix ans en France, mais je pense que le Canada a été encore plus restrictif. C'est un principe de précaution. A partir du moment où le nombre de cas est impossible à prévoir, avec des patients en incubation potentiellement porteurs, c'est relativement logique si cela ne perturbe pas l'équilibre transfusionnel du pays. Il est tellement plus simple de procéder de la sorte ! Cela fait partie des mesures globales en termes de précaution.

Il existe également des mesures techniques qui consistent en la déleucocytation, le sang contenant grosso modo des globules rouges et des produits stables. Les produits labiles peuvent être déleucocytés, c'est-à-dire être débarrassés des globules blancs en passant dans des filtres qui vont les retenir, avec une grande efficacité, 90 % de l'infectiosité étant considérés comme liés aux globules blancs. Ceci dit, que l'efficacité de déleucocytation soit égale à un facteur de 10, 100 ou 10 000, cela ne changera pas grand-chose ; il restera toujours 10 % que vous ne pourrez pas toucher.

De plus, ces agents ont la propriété de se coller partout sur les membranes et si l'on vous indique que les globules rouges n'en contiennent pas on ne peut pas oublier que l'on n'est pas capable de concentrer ces derniers suffisamment pour les injecter.

C'est facile pour les globules blancs, car les cellules sont peu nombreuses, mais les globules rouges représentent un volume important, un cerveau de souris pesant 400 milligrammes. L'on ne peut pas y injecter plus de 20 microlitres, ce qui montre les limites du système.

Concernant les produits labiles, il est également possible de procéder à des nanofiltrations. Le LFB (laboratoire de fractionnement du sang) a développé ce genre de technique sur les facteurs anti-hémophiliques, mais j'ignore où il en est exactement. En tout cas, ce sont là aussi des techniques reconnues comme efficaces, qui diminueront énormément le risque. Cela semble raisonnable ajouté au facteur de dilution.

M. le Rapporteur - Qu'en est-il de la contamination éventuelle du lait ?

M. Jean-Philippe Deslys - Je ne vous ai pas parlé de la contamination de l'environnement, qui est également un problème.

L'on n'a jamais rien trouvé pour le lait, mais là encore le facteur de dilution est énorme et l'on est limité dans ce que l'on peut inoculer. Par ailleurs, l'on ne s'est pas spécifiquement intéressé, à mon sens, au lait d'animaux atteints de mammite, etc., qui contient des cellules, d'autant plus quand il provient d'une vache infectée. J'ai appris à cet égard que les vaches développaient d'autant plus de mammites qu'elles sont traitées avec des hormones de croissance, qui elles-mêmes sont théoriquement interdites en France, mais pas aux Etats-Unis, où elles sont utilisées à très grande échelle.

Concernant l'environnement, nous observons une contamination de tout le tube digestif. Cela commence par les plaques de Peyer, qui sont les premiers relais et -nous l'avons noté chez les souris que nous avons étudiées- dans les endroits faisant l'objet d'une concentration anatomique de cellules du système immunitaire, mais les cellules qui sont dispersées dans la paroi sont contaminées et c'est à la fin de la maladie le cas de tout le tube digestif, sachant que chez la souris la répartition n'est pas la même en fonction des souches.

Dans le cas de la tremblante, tout le tube digestif est contaminé, alors que pour l'ESB c'est uniquement le cas des plaques de Peyer, toutes les souches ne se comportant pas de la même façon. Il est important de le retenir.

Qu'en est-il chez les moutons ? Il a toujours été indiqué officiellement que les fèces n'étaient pas dangereux. Cependant, j'ai effectué des calculs pour voir s'ils étaient dangereux ou pas, sachant qu'une souris produit par jour 1 gramme de crottes pour un poids de 20 grammes, ce qui est représente un volume de dilution énorme. Je vous déconseille d'ailleurs d'injecter des matières fécales concentrées dans le cerveau d'un animal, car en général cela se passe mal.

Tous ces phénomènes mis bout à bout vous expliquent pourquoi nous ne parvenons pas à nous y retrouver, mais il faut également tenir compte d'un phénomène de logique. Par exemple, un pays comme l'Islande n'arrivait pas à se débarrasser de la tremblante malgré des campagnes très dures d'éradication, sachant qu'il a pour caractéristique des hivers très rudes, les animaux étant confinés dans des étables pendant tout ce temps.

A l'inverse, l'Australie et la Nouvelle Zélande, qui ont importé des moutons très contaminés de Grande-Bretagne du temps du Roi George III, s'en sont débarrassés naturellement, sans campagne. J'ai donc l'impression qu'un facteur de transmission horizontal pourrait être lié aux fèces et pas seulement au placenta, comme certains l'ont dit.

J'en ai discuté notamment avec les spécialistes américains avec lesquels nous collaborons justement pour explorer ce phénomène dans le cadre du « Chronic Wasting Disease ».

Quand les animaux sont maintenus en captivité, la maladie se répand beaucoup plus rapidement. Ce sera par exemple le cas de 100 % des cerfs mulets (« mule deer ») maintenus dans cet état, ce qui n'est pas lié au placenta, (la placentophagie étant un système classique de défense contre les prédateurs, afin de pas laisser traîner un tissu sanguinolent dans l'environnement).

M. le Rapporteur - Cela voudrait dire que la concentration de fèces dans un environnement relativement limité peut entraîner une pollution tellurique importante.

M. Jean-Philippe Deslys - Les champs à tremblante sont connus. L'on sait que certains champs ont été contaminés pendant des années. Paul Brown a mené « l'expérience du pot de fleurs », en mélangeant de la cervelle infectée à de la terre dans un pot de fleurs qu'il a enterré dans son jardin pendant trois ans. Quand il l'a déterré puis a récupéré la terre, cela avait perdu moins d'un facteur 60, alors qu'il avait mis plusieurs millions d'unités infectieuses.

Cela pose également des problèmes pour les instruments. L'on raisonnait par rapport à ce que l'on savait desorber mais, quand on inocule la souris directement par une tige en acier qui a été contaminée, puis lavée et rincée, même si l'on ne détecte plus rien sur celle-ci, elle se révèle infectieuse pour la souris, ce qui pose problème.

M. le Rapporteur - Par conséquent, on ne peut pas exclure la contamination environnementale, loin de là.

M. Jean-Philippe Deslys - Non.

Je ne suis pas trop inquiet pour les bovins dans la mesure où l'on ne trouve pas ces agents à des niveaux détectables dans le tube digestif, ce qui signifie que les maladies seront peu nombreuses. En revanche, les données changent pour le mouton et la chèvre, de même qu'il faut se poser des questions sur les stations d'équarrissage. Que font-elles de leurs effluents liquides ? Que se passe-t-il dans les stations d'épuration ? Que deviennent les boues d'épuration ensuite ? etc.

Nous parvenons en laboratoire à diluer d'un facteur 1 000 à 10 000 un cerveau infectieux avant de perdre le signal. Par conséquent, si le seuil diminue d'un facteur semblable, on se rend bien compte, en plus des autres arguments que j'ai développés, que cela apporte une sécurité, mais il faut vérifier qu'il n'existe pas de maillon faible. Il faut savoir comment nettoyer et décontaminer l'abattoir, quoi faire des effluents, etc.

Il m'a été demandé au moment de la mise en place des tests s'il fallait les réaliser en P3, alors que paradoxalement les ouvriers retiraient la moelle épinière à main nue dans les abattoirs, ce qui était totalement incohérent.

Si l'on commence à dire qu'il faut absolument des P3 pour analyser des bouts de cervelle, il faut mettre tous les abattoirs en P3, en étant logique jusqu'au bout.

A l'inverse, s'agissant des tests, les bonnes pratiques de laboratoire suffisent, étant entendu qu'il ne faut pas s'amuser à jeter à l'égout certains éléments. Il suffit que les laborantins portent des blouses, des masques et des gants pour travailler proprement, dans une pièce qui ne soit pas ouverte aux quatre vents et qui ferme avec une porte, ce qui n'est pas extraordinaire, les effluents devant être décontaminés proprement. En appliquant ces mesures simples, qui ne coûtent pas cher, le résultat est une propreté cent ou mille fois supérieure à celle que l'on trouve dans les abattoirs. Il faut une gradation ; sinon cela ne sert à rien.

M. le Rapporteur - Les USA nourrissent aussi leurs animaux avec des farines animales et utilisent le même process : comment se fait-il qu'ils n'aient enregistré aucun cas avéré de maladie ?

M. Jean-Philippe Deslys - Le phénomène actuel est dû à la conjonction de deux facteurs : une dose suffisamment infectieuse au départ et une amplification. Les USA ont apparemment réussi à verrouiller suffisamment leurs frontières pour éviter des importations trop importantes d'Angleterre.

D'ailleurs, si nous suivons ce qui s'est passé à partir de l'Angleterre, nous nous rendons compte que les pays géographiquement les plus proches se sont retrouvés en première ligne, en dehors de la Suisse, pour des raisons commerciales tout à fait particulières.

Nous savons que les USA ont rencontré des problèmes dans le Vermont, avec des troupeaux de moutons qu'ils ont importés en 1996, juste avant les mesures d'embargo, et qu'ils viennent seulement de les sacrifier, après une bataille juridique effarante.

Si j'ai bien compris, d'après les informations en ma possession, les moutons qu'ils ont importés ont développé des signes de tremblante quelque temps après. Ils ont été mis en quarantaine mais, du fait des particularités juridiques en vigueur aux USA, ils n'ont pas pu être sacrifiés et ont donc été maintenus.

Un scientifique a procédé à un essai et a trouvé un western blot positif, avec un profil un peu bizarre, ce qui a été ensuite amplifié et bloqué par les avocats. Les prélèvements n'étaient pas disponibles et cela a été une procédure extraordinaire. Je n'arrive pas à titre personnel à comprendre comment, à partir du moment où l'on sait qu'un problème de santé publique se pose, un troupeau touché n'est pas abattu. C'est l'avantage des services vétérinaires, mais c'est plus compliqué aux USA.

Quant aux farines, j'ignore si les USA en ont importé ou non. Ils ont en effet la possibilité d'amplifier le risque de par leur système, mais ils ont sur nous un avantage avec les tourteaux de soja. Ils n'avaient pas le même besoin de supplémenter, ce qui renvoie à la notion de dose. Si l'on en reste à des doses suffisamment basses, cela ne pose pas de problème.

M. Paul Blanc - Vous avez indiqué qu'à votre connaissance l'importation des abats a été multipliée par 20.

M. Jean-Philippe Deslys - Ce sont les chiffres que m'a fournis Mme Brugère-Picoux.

M. Paul Blanc - Il y a là une discordance avec ce qui nous a été indiqué ce matin.

Vous pensez donc que les tests tels qu'ils sont pratiqués aujourd'hui peuvent être qualifiés de sécuritaires. Cela signifie que, s'ils sont négatifs, il n'y a pas de raison d'avoir suffisamment de concentration de prion qui puisse contaminer.

M. Jean-Philippe Deslys - Je considère à titre personnel que c'est en cela qu'il manque une phase. Il faudrait qu'un débat contradictoire ait lieu entre scientifiques, sur cette base, pour savoir s'ils considèrent que le niveau de sécurité apporté par le niveau de sensibilité d'un test utilisé dans telle et telle conditions est garanti. En effet, mon raisonnement a été validé sur le plan scientifique -il a été publié dans une revue du type « Nature »-, mais cela s'est arrêté là.

M. Paul Blanc - Si tel est le cas, il n'est pas la peine de développer des tests plus sensibles.

M. Jean-Philippe Deslys - Plus les tests seront sensibles, plus vous aurez une garantie, ce qui est toujours préférable. Si je pouvais effectuer un test encore plus sensible, je serais encore plus content. Ceci dit, le fait d'en être arrivé là avec la souris...

M. Paul Blanc - Nous avons atteint un seuil de sécurité.

M. Jean-Philippe Deslys - Nous atteignons un seuil qui semble extrêmement satisfaisant.

M. Jean Bernard - Quand nous sommes allés dans le Doubs, on nous a parlé de la repopulation des élevages qui avaient été supprimés sans qu'aucune mesure de désinfection ait été prise.

M. Jean-Philippe Deslys - S'il s'agit d'élevages bovins, cela me gêne peu, car la transmission n'est pas horizontale parmi ceux-ci.

M. Jean Bernard - Je le sais, mais cela pose problème aux yeux des ressortissants qui ont eu à subir cela. Ils se sont interrogés sur le fait de remettre des animaux dans un milieu suspecté d'être infectieux.

M. Jean-Philippe Deslys - C'est la tremblante qui pose problème, l'Islande ayant mis en place des mesures drastiques. Elle a enlevé la couche superficielle de terre, en traitant largement le sol à la chaux vive.

Ce qui se dit s'agissant des élevages est que, dès qu'un cas positif est détecté, il faut que le troupeau ait été éliminé dans les six mois. L'on ne s'en sort pas en attendant deux ou trois ans.

Cependant, cela dépend des modèles. Je vous décris le modèle le plus extrême, la chronic wasting disease, qui a un comportement anormal et peut toucher 100 % des animaux, ce qui est très spectaculaire, mais le taux est estimé à 2 % chez les moutons, qui sont pourtant parqués, et l'on considère que chez le bovin il n'existe pas de transmission horizontale et que tout a été transmis via les aliments contaminés.

Quant à la transmission materno-foetale, elle est estimée dans 10 % des cas au cours des derniers mois de gestation, sachant que l'expérience n'était pas parfaite puisqu'elle avait été menée sur des animaux qui avaient été partiellement nourris avec des farines contaminées.

M. Jean Bernard - Il nous a été indiqué qu'en Australie la tremblante a été éliminée quasiment naturellement.

M. Jean-Philippe Deslys - En effet. C'est apparemment la concentration des animaux qui augmente le risque.

M. Georges Gruillot - Le délai d'incubation semble avoir une relation directe avec la dose. Plus elle augmente, plus il est réduit.

M. Jean-Philippe Deslys - Jusqu'à une certaine limite. Je vais prendre l'exemple de la souris, car c'est le plus simple. Si je me prends un homogénat à 25 %, 10 % ou 1 %, cela ne changera rien à trois jours près. En revanche, si je dilue d'un facteur 10 supplémentaire, les souris mourront une semaine plus tard, si je le fais à nouveau un mois plus tard, etc. La mortalité sera au début toujours de 100 %, mais à la fin quelques animaux survivront, puis 50 %, puis 99 % et en définitive plus aucun d'entre eux ne mourra.

M. Jean Bernard - Avez-vous des échanges avec les laboratoires qui travaillent dans le même domaine de recherche que vous ?

M. le Président - Notre collègue veut savoir si vous avez des contacts avec des laboratoires tels que le vôtre qui travaillent sur le même problème et si vous échangez vos connaissances.

M. Jean-Philippe Deslys - Enormément de collaborations ont été favorisées par les programmes de recherche initiés en France. Les premiers ont commencé en 1994 et les plus importants en 1996. Il s'agissait de programmes faits pour fédérer les personnes et pour obliger de nouvelles équipes à s'impliquer.

Dans la mesure où nous avions le savoir-faire et les installations, nous avons collaboré avec beaucoup de personnes, le même phénomène s'étant produit sur le plan européen. Je pense que notre laboratoire est aujourd'hui celui qui a développé le plus grand nombre de collaborations européennes et françaises, ce qui a été très efficace.

Les PRR (Projets de Recherche en Réseau) ont été le second phénomène efficace, à travers des actions coordonnées ou assez libres, mais de façon plus incitative. L'un des buts était par exemple de développer les anticorps.

M. le Président - Nous avons reçu la semaine dernière, en Angleterre, le Pr Will. Partagez-vous sa façon de concevoir l'évolution de la recherche sur cette maladie ?

M. Jean-Philippe Deslys - Le Pr Will est très ouvert -nous avons en revanche, des difficultés à obtenir des informations d'autres collègues- sachant que sa spécialité est l'épidémiologie chez l'homme.

M. le Rapporteur - Nous croyons savoir que depuis une dizaine d'années, quand les enfants anglais subissent une extraction des amygdales, cela donne lieu à des coupes histologiques, ce qui permet de commencer à avoir une photographie de la quantité de prions qui existe chez ceux ayant fait l'objet de ce type d'opération. Avez-vous des échos sur les interprétations aujourd'hui possibles ? Un document m'a été promis.

M. Jean-Philippe Deslys - Vous aurez donc plus d'informations que nous.

M. le Rapporteur - Il m'a été promis, mais je ne suis pas certain que nous l'aurons ; c'est le problème.

M. Jean-Philippe Deslys - Il est très difficile d'avoir des informations, sachant que ce sont au début les équipes de Cellenge qui s'étaient attelées à cela.

Je ne sais pas si les techniques utilisées à l'époque étaient les plus sensibles, car les prélèvements étaient formolés, donc inutilisables pour les autres techniques ensuite.

Par ailleurs, les collectes ont commencé après la période la plus à risque, étant entendu qu'avant 1996 il n'existait officiellement aucun risque pour l'homme, raison pour laquelle personne ne se préoccupait de ce genre de sujet.

Théoriquement, les individus n'ont plus été du tout exposés à partir de 1996. Il faut voir à partir de quel âge les enfants se font enlever les amygdales mais, le temps que cela se mette en place, il est très probable que l'on ait affaire à une population située au-delà de la période la plus dangereuse. Il sera difficile, à l'intérieur de celle-ci, qui ne sera plus assez représentative, de rechercher un événement que l'on espère être rare, surtout en n'utilisant pas la technique la plus efficace.

M. Michel Souplet - Depuis que notre commission travaille, je me suis aperçu que nous sommes en France relativement en avance sur le plan de la recherche, des tests, etc. Cependant, je suis surpris : on nous parle de 98 cas d'humains atteints en Grande-Bretagne -après qu'il ait été question de 85 personnes-, d'un cas en Irlande et de trois en France, dont le troisième date déjà de plusieurs années.

On ne semble entendre parler de cas dans aucun autre pays du monde. Nous camoufle-t-on la vérité, notamment s'agissant des pays traditionnellement exportateurs, ou fait-on en sorte que cela ne transpire pas ?

En effet, cela devient très grave. Nous parlons de traçabilité pour satisfaire les consommateurs français ou européens et nous allons consentir des efforts énormes, mais nous serons concurrencés par les importations d'animaux provenant d'autres pays qui nous diront n'avoir jamais détecté aucun cas. J'aimerais que nous parvenions à savoir si des personnes meurent et sont malades ailleurs.

M. Jean-Philippe Deslys - Tout le monde a pu constater que, tant qu'aucun test n'a été effectué, aucun cas n'a été détecté chez les bovins dans plusieurs pays d' Europe, cette certitude de l'absence de cas ayant même conduit à une absence totale de mesures de précaution. Par exemple, l'Allemagne a continué à incorporer de la cervelle et de la moelle épinière jusqu'en novembre, sachant que les produits pouvaient parfaitement revenir chez nous dans le cadre du libre commerce.

Par ailleurs, les cas sont encore très peu nombreux chez l'homme, tout le monde espérant que nous en resterons là. De toute façon, quand bien même beaucoup de cas feraient leur apparition, nous serions toujours dans la situation où il s'agirait des personnes qui ont été contaminées le plus tôt et avec les doses les plus fortes, dans le pays qui totalise 98 ou 99 % des cas et chez le principal importateur, à savoir la France. Quant à l'Irlande, la personne touchée vivait auparavant en Angleterre. Par conséquent, la situation est complètement logique pour le moment. En revanche, nous devrions voir apparaître des cas ailleurs si le nombre de ceux qui existent en Grande-Bretagne et en France croît de façon importante. Nous sommes pour le moment dans une période d'incubation courte.

M. le Président - Nous avons pu vous poser toutes les questions que nous souhaitions. Merci beaucoup pour la quantité et surtout la qualité des renseignements que vous nous avez fournis. Vous nous avez fait comprendre un certain nombre de choses.

Audition de M. Bernard KOUCHNER, Ministre délégué à la Santé

(4 avril 2001)

M. Gérard Dériot, Président - Tout d'abord, merci, Monsieur le Ministre, d'avoir répondu à notre convocation. Vous êtes auditionné cet après-midi en tant que Ministre chargé de la santé dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire mise en place par le Sénat sur le problème de l'utilisation des farines animales et les conséquences que cela a entraîné avec le développement de l'ESB ainsi que celles qui en résultent pour la santé des consommateurs. C'est bien sûr plus à ce titre que nous vous auditionnons.

Je ne vous apprendrai rien en vous indiquant que dans les commissions parlementaires les témoignages doivent avoir lieu après avoir prêté serment. C'est la raison pour laquelle je vais vous rappeler les conditions dans lesquelles fonctionne une audition. Je vous demanderai à la fin de bien vouloir prêter serment.

Le président rappelle le protocole de publicité des travaux de la commission d'enquête et fait prêter serment à M. Kouchner.

M. le Président - Je dois également demander à vos collaborateurs de bien vouloir prêter serment, car nous devons respecter les règles s'ils ont à s'exprimer à un moment ou un autre.

M. Salomon - Je le jure.

M. Brucker - Je le jure.

M. Voiturier - Je le jure.

M. le Président - Je vais dans un premier temps, si vous le voulez bien, vous passer la parole pour que vous puissiez nous donner votre sentiment sur cette affaire et ses conséquences sur la santé publique. Ensuite, si vous le permettez, nos collègues pourront vous poser les questions qu'ils souhaitent.

M. Bernard Kouchner - Merci, Monsieur le Président. Je suis très heureux d'être devant vous et de répondre avec le plus de précisions possible aux questions des sénateurs qui sont avec vous.

Ce sera peut-être un peu fastidieux pour vous qui connaissez le sujet -vous venez de plus d'entendre des spécialistes-, mais je me dois du point de vue du Ministre de la Santé de vous indiquer assez sommairement comment je vois la situation, comment nous l'avons vue et comment éventuellement nous la verrons.

Les maladies à prions sont devenues -elles ne l'étaient pas auparavant car nous ne les connaissions pas- une priorité pour le Ministère de la Santé à partir des descriptions des premiers cas iatrogènes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Je vous rappelle qu'il existe plusieurs formes de celle-ci :

La maladie de Creutzfeldt-Jakob sporadique, que l'on connaît depuis le début du siècle (avec 80 à 90 cas par an) et dont l'incidence est stable.

Les formes familiales, d'origine génétique, qui sont extrêmement rares. Nous avons répertorié 62 cas depuis 1992.

Les formes iatrogènes. Nous déplorons aujourd'hui 84 cas, dont hélas 78 décès, sur les 1 000 enfants potentiellement contaminés qui avaient été traités par l'hormone de croissance extractive entre 1983 et 1985 en France, la première description de ces cas datant des années 1990.

On note plusieurs dizaines de cas mondiaux après utilisation de la dure-mère, c'est-à-dire en neurochirurgie, en stomatologie, en oto-rhino-laryngologie et en radiologie interventionnelle.

On note également quelques cas mondiaux après utilisation d'instruments neuro-chirurgicaux contaminés ou d'électrodes de stéréo-électroencéphalogramme.

2 à 3 cas mondiaux ont été détectés après des greffes de cornée.

En revanche, aucune transmission verticale (mère-enfant) ou par transfusion n'a été démontrée, ce qui résulte d'une étude européenne.

Nous avons concernant les premiers cas de maladie de Creutzfeldt-Jakob pris rapidement des mesures de santé publique en France en renforçant la surveillance, à travers :

Depuis 1992 -j'étais Ministre de la Santé à l'époque-, le réseau de surveillance multidisciplinaire, l'INSERM, des neurologues et des biologistes.

Le centre national de référence de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène, qui siége à la Pitié, avec déclaration obligatoire des encéphalopathies spongiformes subaiguës depuis 1996.

Le réseau coordonné par l'Institut national de veille sanitaire, depuis l'an 2000, c'est-à-dire l'INSERM (avec l'unité 360), les DDASS, les neurologues et le CEA.

Le réseau français est intégré dans une action concertée européenne, Biomed.

Nous avons également tenté de prévenir le risque iatrogène, des mesures ayant été prises et au fur et à mesure de l'évolution des connaissances scientifiques, car je vous rappelle que nous n'y connaissions pas grand-chose.

Elles ont concerné tous les risques connus, avérés ou théoriques, et se sont appuyées à chaque fois sur les avis d'instances comme le Conseil supérieur d'hygiène publique de France, le Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes, dirigé par le Dr Dormont, ou les agences que nous avons créées au fur et mesure depuis 1992.

L'hormone de croissance extractive a été traitée dès 1987 puis remplacée par une hormone de synthèse dès 1988.

Nous avons décidé en 1992 que la maladie de Creutzfeldt-Jakob était une contre-indication aux dons d'organes et de sang et nous avons interdit l'utilisation de la dure-mère dès 1994, celle-ci ayant été remplacée par du tissu de synthèse. Je vous rappelle que la dure-mère était avec d'autres tissus ce qui était conservé de façon assez curieuse dans les frigidaires autour des salles d'opération, etc.

Enfin, des mesures spécifiques de prévention ont été prises contre la transmission par les instruments en milieu hospitalier dès 1995. D'ailleurs, nous poursuivons et nous modifions les consignes données aux établissements hospitaliers au fur et à mesure des connaissances, car bien entendu la situation évolue.

Concernant la sécurité sanitaire du médicament, nous avons évalué à partir de 1991 au cas par cas le risque le risque d'encéphalopathie spongiforme bovine avec la Direction de la pharmacie puis l'Agence du médicament.

Nous avons commencé par retirer les lyophilisats de foie de bovins, de testicules de taureaux, d'extraits d'hypophyses et de surrénales, etc., qui représentaient des fortifiants dont certains étaient utilisés par voie injectable.

Nous avons interdit les matériaux à risques spécifiés en 1992, 1996 et 1997 et l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique date de 1991, alors que j'étais déjà Ministre de la Santé.

Nous avons en 1996 substitué progressivement des dérivés végétaux aux dérivés animaux et nous sommes partenaires d'une certification européenne pour les médicaments contenant des gélatines d'origine bovine depuis mars 2001, sachant que la revue de tous les dossiers d'AMM prend beaucoup de temps, mais qu'il faudrait savoir remplacer au mieux les gélatines, ce que nous ne savons pas faire actuellement.

Concernant les mesures de sécurité sanitaire et de précaution vis-à-vis des produits sanguins, nous avons dès 1992 exclu du don du sang les malades atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Nous avons en 1993 rappelé systématiquement les dérivés du sang issus d'un donneur ayant développé ultérieurement la maladie.

Nous avons en 1997 exclu les donneurs à risque (antécédents familiaux, traitement par hormones extractives, neurochirurgie, transfusés et greffés).

Nous avons en 1998 déleucocyté -l'on dit aujourd'hui « leuco-réduit », car le déleucocytage n'est jamais effectué complètement- les produits sanguins labiles, avec l'interdiction du plasma d'origine britannique.

Nous avons en décembre 2000 exclu du don du sang les personnes ayant séjourné plus d'un an en Grande-Bretagne entre 1980 et 1996.

La leuco-réduction des plasmas destinés au fractionnement a été rendue opérationnelle en avril 2001.

Nous avons procédé à la nanofiltration des médicaments dérivés du sang et à l'information des prescripteurs pour le respect strict des indications relatives aux produits sanguins.

Concernant la sécurité sanitaire des greffes, nous avons exclu du don les donneurs dits à risque, entre 1992 et 1996, et interdit les greffes de dure-mère, tympans, rochers.

S'agissant de la sécurité des dispositifs médicaux, nous évaluons le risque -j'aimerais en parler avec vous, car il est difficilement évaluable- en appliquant le principe de précaution depuis 1996.

Nous procédons à la vérification des procédures de désinfection, mais cela évolue, et nous prônons le développement du matériel à usage unique, ce qui est facile à dire, mais très difficile à mettre en place.

Enfin, nous avons mis en oeuvre le marquage CE et la traçabilité.

Pour revenir sur le matériel à usage unique, les premières tentatives faites pour les endoscopes ont été couronnées d'échecs, sachant que c'est horriblement difficile et que cela coûte très cher.

De plus, un certain nombre d'oto-rhinos nous font remarquer -même si nous devrons passer sur cela- que le prix de la consultation équivaut à peu près au tiers de celui de l'enveloppe de plastique destinée à protéger l'endoscope.

Pour les matériels à usage unique, par exemple en endoscopie digestive, nous entrons dans des domaines inimaginables. La désinfection des instruments et les mesures de stérilisation -nous avons envoyé la dernière circulaire il y a un mois- coûte plus de 650 MF, et nous ne sommes pas vraiment certains du résultat. C'est ce qu'indique en particulier le Comité du Dr Dormont.

Nous avons considéré pendant très longtemps -c'était une culture commune- l'encéphalopathie spongiforme bovine comme une maladie animale facile à éradiquer et qui concernait essentiellement la Grande-Bretagne.

En tout cas, l'encéphalopathie a probablement toujours existé, avec des cas sporadiques et rares, une tremblante ayant été décrite chez le boeuf en 1882, l'incubation moyenne étant à notre connaissance pour le moment -mais cela évolue- d'environ cinq ans.

Nous avons considéré initialement l'encéphalopathie comme une maladie animale fort proche de la tremblante du mouton, connue depuis des siècles et qui à notre connaissance n'a jamais présenté de danger pour l'espèce humaine.

Quant au suivi des épizooties et à la sécurité des denrées animales et alimentaires, ils sont juridiquement du ressort exclusif du Ministère de l'Agriculture, même si nous entretenons avec ce dernier des rapports excellents et une consultation permanente, ce qui n'était pas évident il y a dix ans.

Cette situation de connaissance partielle de la maladie a prévalu jusqu'au début 1996, quand nous avons eu connaissance de la description du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et de son lien avec l'encéphalopathie spongiforme bovine.

Nous avions auparavant pris des mesures à titre de précaution, dont certaines à mon initiative. Par exemple, nous avons retiré les petits pots des pharmacies qui contenaient des cervelles ou des ingrédients animaux à risque, en particulier quand ils venaient d'Angleterre. Nous l'avons fait à notre initiative, en 1991 et 1992, pour éviter la contamination humaine.

L'encéphalopathie a toujours été considérée comme un problème transitoire dès lors que son origine était identifiée. Non seulement elle nous semblait beaucoup plus frapper les animaux et donc être du ressort du Ministère de l'Agriculture, mais elle nous paraissait également poser un problème transitoire.

Les farines animales de viande et d'os, qui ont permis le passage d'agents infectieux lors d'une modification des procédés de fabrication des farines en Grande-Bretagne, en 1982, la délipidation à l'hexane ayant été supprimée, nous semblaient encore une fois concerner les animaux.

Les animaux malades ont été initialement recyclés -ce qui est une autre faute- après l'arrêt de la délipidation, dans le circuit des farines, à un stade où l'épizootie n'était pas encore reconnue, ce recyclage n'ayant fait que l'amplifier.

Enfin, l'importation des farines britanniques a été interdite dès 1989 et l'utilisation des farines de viande et d'os pour les bovins dès 1990, par un arrêté que vous connaissez.

Voilà pourquoi la situation nous semblait à cette époque non pas maîtrisée, mais en voie de l'être. Par ailleurs, l'encéphalopathie spongiforme bovine nous a semblé pendant très longtemps être un problème qui ne concernait que le Royaume-Uni puisqu'il n'existait en France aucun signe d'épizootie, au début des années 1990, après la mise en place de la Brigade nationale d'enquête vétérinaire, sachant que la décision avait été prise d'abattre tout le troupeau lorsqu'un animal était atteint.

Enfin arrive la description d'un lien entre le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob et l'encéphalopathie spongiforme bovine, en 1996, ce qui représente une nouvelle menace pour la santé publique.

Le premier cas est détecté en Grande-Bretagne, en 1994, et la description officielle arrive en mars 1996, sachant que depuis, hélas, 97 cas ont été répertoriés en Grande-Bretagne, 1 en Irlande et 3 en France, dont 2 décès.

La présentation clinique est très particulière : troubles neuropsychiatriques, pas d'élément pour une origine iatrogène, dépression, anxiété, etc. Il s'agit en fait d'un syndrome au départ relativement banal, mais il est aggravé par un syndrome démentiel, des douleurs très fortes, etc.

L'attention portée à partir de 1996 témoignait d'une infectiosité très différente de la maladie de Creutzfeldt-Jakob classique. En effet, l'agent semblait beaucoup plus virulent et la distribution de la maladie d'abord périphérique (organes lymphoïdes, rate, puis système nerveux, liquide céphalo-rachidien).

Quelle en est l'origine ? A moins que vous ayez des éclairages à ce sujet, nous n'avons que des hypothèses. S'agit-il de viandes broyées mécaniquement ? L'infectiosité est-elle due aux couteaux de boucherie contaminés par la cervelle dans les années 1980 ? S'agit-il en outre d'une prédisposition ou d'une susceptibilité génétique ?

Personne n'en sait rien. J'ai assisté pendant deux jours à une réunion à l'Académie des sciences, avec les meilleurs du monde et en particulier le Prix Nobel M. Prusiner : il existe en effet des hypothèses sur la distribution génétique, mais ce ne sont que des hypothèses.

On pense que l'incubation est très longue (au moins 10 à 15 ans), certains parlant d'une plus longue durée, sachant qu'il n'existe pas de traitement et que la moyenne d'âge des personnes atteintes est de 30 ans.

Nous avons réagi en terme de sécurité sanitaire, c'est-à-dire que nous avons tenté, par des circulaires, de prévenir la transmission de ce nouveau variant en milieu de soins.

Le risque réside dans une infectiosité supérieure, la distribution plus large de l'agent infectieux dans les tissus et le postulat d'une exposition large de la population à l'agent du nouveau variant, en général par voie alimentaire.

Concernant les mesures prises, nous avons garanti un haut niveau de sécurité et d'efficacité des soins, à travers une stérilisation des dispositifs médicaux, les meilleures techniques reconnues comme inactivantes, l'amélioration des conditions de désinfection des endoscopes -mais là aussi nous sommes imparfaits dans ce domaine- et le renforcement de l'utilisation du matériel à usage unique lors des contacts avec des tissus à risque.

Ces mesures ont bien sûr été prises après avoir été validées scientifiquement, en particulier par l'OMS et le Comité Dormont.

Nous avons mis en place une politique d'assurance qualité en stérilisation, en dépensant 652 MF. Je ne vous donne pas le détail, mais je le tiens à votre disposition.

Nous avons pris les mesures d'accompagnement des malades suivantes :

Information des professionnels de santé, qui n'avaient pas ce syndrome présent à l'esprit au début. De plus, il est multiforme. Il fallait donc les aider à établir leur diagnostic et à orienter les malades.

Création d'une cellule nationale de référence pour les professionnels afin de renforcer la connaissance des équipes soignantes et la prise en charge.

Recommandations pour assurer des soins de qualité, améliorer la vie quotidienne des malades et des familles (filières de soins, hospitalisation à domicile et soins palliatifs).

Prise en charge médico-sociale avec des aides financières d'urgence, des aides sociales et fiscales et une relation particulière entretenue avec les services sanitaires et sociaux.

Un véritable accompagnement -autant que faire se peut, car nous n'avons pas assez de personnel- psychologique de l'entourage.

Nous avons suivi avec une extrême attention tous les dossiers dépendant de l'agriculture, des douanes, de la consommation et de l'environnement et relatifs à l'encéphalopathie spongiforme bovine.

Je voudrais enfin attirer votre attention sur les problèmes qui demeurent. Concernant l'encéphalopathie, nous avons observé une forte contamination dans les années 1993-1995. Pourquoi ? Nous pensons que l'interdiction n'était pas respectée, que des fraudes massives avaient lieu et que les aliments étaient contaminés, y compris par les matériaux à risques spécifiés.

De plus, dans la mesure où le délai d'incubation est de 5 ans, nous avons besoin de recul pour connaître l'efficacité des mesures prises en 1996 et 1998 et surveiller les cas super naïfs, c'est-à-dire ceux qui concernent les animaux nés après les interdictions et particulièrement après les mesures de sécurité renforcées en 1996, 1997 et 1998.

L'agent peut-il passer à d'autres espèces ? Personne n'en sait rien. Nous avons s'agissant du porc (peut-être) quelques indications provenant d'Allemagne, mais elles sont peu recoupées. C'est simplement une conversation avec le Ministre de la Santé allemand qui a attiré notre attention sur ce point, mais rien n'a été confirmé.

L'agent ne pourrait apparemment pas s'attaquer aux volailles et aux poissons, tout d'abord parce qu'ils ne vivent pas assez longtemps et sans doute aussi parce que les volailles et en tout cas les poissons ont été très rapidement nourris avec des farines spécifiques, mais pas les mêmes.

Quant aux ovins et caprins -vous avez entendu à ce sujet une personne du Comité Dormont-, le risque est non négligeable que l'agent de l'encéphalopathie spongiforme bovine puisse passer chez ces espèces, masqué par une tremblante.

Nous sommes très vigilants sur ce point. L'Agence de sécurité des produits alimentaires ayant diffusé un avis dont nous avons tenu largement compte avec le Ministère de l'Agriculture, étant entendu que tout ce que je vous indique a été rendu public. En effet, depuis que j'ai été Ministre de la Santé en 1991 et 1992, aucun document n'a été conservé secret, ma règle absolue étant de tout rendre public.

Enfin, je suis inquiet devant les problèmes environnementaux, sachant qu'il existe un risque de persistance de l'agent prion dans le sol, apparemment pendant jusqu'à trois ans. Faut-il faire un rapport entre le sol et la tremblante du mouton ? En tout cas, il faut sans doute régler au plus vite le problème du traitement des boues, de l'épandage des déchets liquides et de l'utilisation d'eau potentiellement à risque en agriculture, y compris dans les cultures maraîchères. Je suis très attentif à la qualité de l'eau de boisson, puisque c'est mon domaine, avec le Ministre de l'Environnement. Nous devons avancer vite dans ce domaine.

Nous devons également réfléchir au problème de la substitution, ce qui concerne 400 000 tonnes de farines animales et 270 000 tonnes de graisse. Cela demande un stockage complexe, leur destruction présentant des risques de pollution, y compris dans le sol et les eaux.

Nous devons nous interroger sur le remplacement par des farines végétales. Quelles seraient les conséquences pour la santé ? Les risques sont les suivants :

Risque chimique : contaminants, mycotoxines.

Risque biologique : OGM -ils ne me font pas très peur, mais il faut les surveiller-, bactéries, allergénicité.

Baisse de la qualité de la viande.

Conservation de moins bonne qualité, avec une oxydation.

Rejets de phosphore, de métaux et d'ammoniaque.

Il reste des mesures importantes à prendre : s'assurer de la mise en oeuvre effective et complète de celles déjà prises étant l'essentiel.

Si nous n'avons pas de suivi -c'est souvent le cas-, il faut auditer les installations et les circuits et assurer la transparence de ces contrôles, mettre en place des indicateurs de suivi et aboutir -je le demande depuis des années- à une harmonisation communautaire.

Il faut maintenir l'interdiction des farines et des graisses, réfléchir aux phosphates bicalciques et aux gélatines. La saisine du Comité Dormont est en cours mais, comme je vous l'ai indiqué, nous ne savons pas remplacer les enveloppes des médicaments très rapidement et nous ne pouvons pas supprimer immédiatement la majorité de ceux concernés, même si nous y travaillons.

Nous devons procéder à la sécurisation des rejets liquides et penser à la qualité de l'eau (épandages à proximité de stations de traitement) ainsi qu'à la surveillance stricte du risque ovin, ce à quoi nous travaillons avec le Ministère de l'Agriculture, la question étant de savoir si l'agent de l'ESB est passé aux ovins et aux caprins.

Nous devons aussi éviter au maximum la transmission inter-humaine, ce qui est mon rôle. Nous l'assumons au maximum à travers les activités de soins (pour la chirurgie et l'endoscopie), les dispositifs médicaux et les produits dérivés du sang et des greffes.

Voilà, trop brutalement et trop sommairement, ce que je voulais vous dire quant au rôle du Ministère de la Santé. Je vous ai présenté la chronologie des mesures prises, mais je serais ravi de répondre à vos éventuelles questions.

M. le Président - Merci Monsieur le Ministre. Vous avez évoqué dans votre discours des fraudes massives : vouliez-vous parler d'importations de farines animales ?

M. Bernard Kouchner - Oui.

M. le Président - Je pense que vous avez des preuves, parce que nous n'en avons pas forcément eues à travers les auditions que nous avons effectuées et auprès des personnes qui normalement sont concernées et auxquelles nous avons posé des questions.

Si vous avez des preuves réelles et formelles, cela nous apporterait des renseignements supplémentaires, ce qui serait parfait. Par conséquent, si c'est effectivement le cas, nous vous demandons les documents sur lesquels vous vous appuyez.

M. Bernard Kouchner - Je ne m'appuie que sur des hypothèses, mais je ne vois pas comment la maladie aurait pu persister dans nos troupeaux sans une utilisation probablement massive des farines animales après les interdictions.

Je n'ai aucune preuve de cela, mais j'ai hélas la conviction que, au-delà de notre pays, des ventes ont massivement eu lieu, en Europe Centrale et dans le Tiers Monde, ce qu'il est assez facile de savoir.

Cependant, pour ce qui concerne la France, puisque c'était interdit, je n'ai pas de preuve et je n'en ai pas recherché de façon policière. Hélas, les conséquences -en tout cas sur les troupeaux- ont été telles que, en dehors d'autres hypothèses qui sont toujours évocables -transmission par le sol ou verticale-, cela me paraît difficile à prouver.

Il apparaît, quand nous parlons avec des utilisateurs, que certains paquets ne portaient même pas la mention « produit protéinés d'origine animale ». Cependant, encore une fois, hélas, je n'ai pas de certitude à vous apporter dans ce domaine.

M. le Président - Merci. Je vais maintenant passer la parole à notre rapporteur, qui va vous poser des questions.

M. Jean Bizet, Rapporteur - Monsieur le Ministre, j'ai relevé un certain nombre de points dans vos propos. Le premier concerne les pots pour bébés. Vous nous avez indiqué avoir en 1991-1992 procédé à leur retrait dans les pharmacies, notamment s'agissant de ceux dans lesquels étaient incorporées des cervelles en provenance de Grande-Bretagne.

J'en suis ravi. Ceci étant, nous avons noté, notamment en auditionnant M. Gérard Pascal, le Directeur du Comité vétérinaire permanent, que la demande de retrait a été annoncée officiellement en août 1992. Cela voudrait dire que, antérieurement, vous aviez déjà le sentiment qu'il fallait agir. Est-ce bien le cas ?

M. Bernard Kouchner - Honnêtement, je ne me souviens plus si c'était en août, mais en tout c'était en 1992. Je me souviens très bien que nous avions été alertés après les rapports Dormont sur les maladies à prions et l'hormone de croissance extractive. C'est à ce moment-là que la maladie de Creutzfeldt-Jakob est devenue une contre-indication aux dons du sang et d'organes, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France ayant rendu son avis.

Nous avons alors agi avec la Direction de la sécurité sanitaire de l'alimentation et nous avons en effet retiré des pharmacies des aliments pour bébés, dont des petits pots qui comportaient des abats et des cervelles.

M. le Rapporteur - Vous avez en fait anticipé la décision du Comité vétérinaire permanent, qui date d'août 1992.

M. Bernard Kouchner - Je ne me souviens plus du mois. Nous avons réagi en 1992, les médicaments ayant été en 1991 réévalués au regard du risque ESB, à travers l'embargo sur les produits bovins d'origine britannique dans les médicaments.

Je me souviens en particulier que cela concernait des extraits injectables avec des doubles ampoules, sachant que la suppression des petits pots a été un parcours difficile.

M. le Rapporteur - Quand vous dites que cela a été un parcours difficile, sous-entendez-vous que vous avez été confronté à certaines réticences ?

M. Bernard Kouchner - Oui, il fallait convaincre. Il est très difficile de dire à des personnes -cela fait référence à toute la pédagogie du risque que nous n'avons tenté de mettre sur pied que plus tard- que des petits pots, qui sont nécessairement l'aliment le plus évident pour les bébés, afin qu'ils croissent et embellissent, sont dangereux.

M. le Rapporteur - L'annonce de la transmission à l'homme a officiellement été faite en 1996. Ceci étant, on savait de par le décès d'un chat siamois anglais qu'il existait un passage de la barrière d'espèce.

M. Bernard Kouchner - Encore une fois, replacez-vous dans l'atmosphère de 1991-1992 : la maladie de Creutzfeldt-Jakob, avec l'hormone de croissance d'origine extractive, provenait de matériaux spécifiés et en particulier des cervelles. C'est ce qui nous a fait réagir pour les petits pots, sachant que nous n'avions pas de certitude et que c'était une mesure de précaution, comme l'on doit toujours en prendre.

J'ai reçu les familles et cela a été très difficile, car l'angoisse était très grande pour les enfants qui avaient été traités. C'est seulement longtemps après que nous avons fait le rapprochement avec une autre infection, le nouveau variant.

M. le Rapporteur - Vous nous avez indiqué que vous aviez des rapports réguliers avec vos homologues, et notamment avec les Allemands à propos du porc. Vous pourriez d'ailleurs peut-être nous en parler si vous avez quelques informations supplémentaires.

Vous devez également avoir sans doute des échanges de vues avec votre homologue anglais. Or, lors de notre séjour en Angleterre la semaine dernière, on nous a laissé entendre qu'une étude épidémiologique était basée sur l'analyse des coupes histologiques des amygdales des jeunes anglais depuis une dizaine d'années. Serait-il difficile pour votre Ministère de récupérer ces informations ? En effet, il serait important de voir, sur dix années, si effectivement les prions sont de plus en plus présents dans les amygdales de ces enfants. Il serait intéressant que nous puissions faire figurer cette information dans notre rapport.

M. Bernard Kouchner - Je ne pense pas que ce soit impossible. Nous pouvons très bien tenter d'obtenir ces informations auprès de mon homologue.

J'ai parlé des endoscopes, en tous cas chez les oto-rhinos, et de la nécessité de se méfier d'un trajet qui touche les amygdales, parce qu'une alerte a été donnée et parce que le test se fait en particulier au niveau de celles-ci : nous sommes là devant un problème de santé publique considérable, la question étant de savoir s'il faut utiliser un endoscope à usage unique ou des procédés plus anciens qui permettaient de ne voir qu'imparfaitement, sans endoscopie à fibre de verre, ou s'il faut consacrer suffisamment d'argent à la protection de l'endoscope à chaque fois. Il serait en tout cas en effet intéressant de disposer de cette publication anglaise.

M. le Président - Nous vous demandons officiellement de faire une démarche auprès de votre homologue anglais. Nous jugerons du résultat de votre efficacité, dont bien sûr nous ne doutons pas, Monsieur le Ministre.

M. Bernard Kouchner - Je vais essayer.

M. le Rapporteur - Nous ne doutons pas de votre efficacité, mais nous craignons la rétention de votre homologue. Nous sommes interrogatifs.

Ma troisième question fait suite à l'audition de M. Deslys, qui est intervenu dans l'heure précédente.

Concernant les tests de détection, il apparaît maintenant très clairement que le test Biorad est beaucoup plus précis et sensible que le test Prionics. En avez-vous eu confirmation vous-même au sein de votre ministère ? Cela semble assez patent de la part du spécialiste qu'est M. Dormont. Si c'est le cas, pourquoi n'est-il pas mis beaucoup plus couramment en oeuvre sur le territoire national ?

M. Bernard Kouchner - Le CEA et les chercheurs suisses étaient présents lors des deux journées à l'Académie des sciences. Je me trompe peut-être -il faudrait que mes collaborateurs me démentent-, mais la comparaison n'a pas été faite en ma présence.

M. le Rapporteur - Pouvons-nous dans les jours qui viennent attendre de votre part une recherche sur ce point confirmant ou infirmant la qualité supérieure du test Biorad par rapport au test Prionics ?

M. Bernard Kouchner - Oui, si la comparaison existe.

M. le Rapporteur - Il serait important que le Ministère de la Santé puisse nous donner son avis à ce sujet.

M. Bernard Kouchner - Nous allons essayer.

M. le Président - Cela ne doit pas dépendre du Ministère de la Santé dans la mesure où ces tests sont exclusivement réservés aux animaux. C'est la raison pour laquelle vous ne disposez pas nécessairement d'une étude sur la qualité et la capacité de ces tests, qui doivent être rapportés uniquement au Ministère de l'Agriculture.

M. Bernard Kouchner - Nous avons avec Jean Glavany la co-tutelle de l'AFSSA. J'ai vu son Directeur hier et nous avons fait un tour d'horizon des nouveautés, car je voulais vous présenter mes dernières connaissances, qui sont imparfaites, mais je lui poserai la question.

Nous en avons parlé s'agissant d'une publication qui a défrayé la chronique dans les jours qui ont suivi à partir d'un test sanguin éventuel, mais je crois qu'il y a beaucoup de bruit pour pas grand-chose pour le moment car, en revanche, j'ai parlé très directement avec le responsable du Commissariat à l'énergie atomique, qui était le chercheur en charge de ce problème.

En tout cas, c'est une piste très importante, et nous avons, avec le Ministre de la recherche dépensé beaucoup d'argent dans ce cadre, ce qui débouchera peut-être sur des développements, mais pour le moment c'est un peu prématuré. Après tout, cela signifie non pas forcément que le champ serait contaminant, mais qu'il existerait un marqueur.

M. le Rapporteur - Vous avez à juste titre parlé de la substitution des protéines animales par des protéines végétales, qui préoccupe également M. Glavany et M. Moscovici. Cependant, nous nous heurtons à la Commission européenne et notamment à M. Fischler, et il n'existe aucune ouverture sur ce point, à travers une éventuelle renégociation des fameux accords de Blair House.

Or -cela fera partie d'une des recommandations de notre rapport-, il serait important que nous puissions aller au-delà des demandes aimables à l'adresse de M. Fischler, car nous ne pouvons pas accepter cela.

Enfin, je comprends mal le « silence » du Ministère de la Santé face à ce problème, qui est depuis 1996 devenu un problème de santé publique, par rapport aux propos de Mme Gillot, il y a quelques mois, sur le nombre de cas futurs de nouveaux variants.

Est-ce à dire que vous ne confirmez pas les modélisations de M. Anderson ou de Mme Alpérovitch ? Quelle est votre analyse du degré de contamination éventuel de la population française ?

M. Bernard Kouchner - Concernant votre avant-dernière question, Monsieur le rapporteur, je n'ai pas peur des OGM. En revanche, je crains terriblement la dictature de l'incompétence.

Je pense que nous allons vers une grave crise de société si d'une part nous ne pouvons plus manger de viande alors que d'autre part nous nous méfions du progrès scientifique.

Je suis presque l'auteur de l'application à l'espèce humaine et à la santé du principe de précaution et je sais qu'il faut toujours l'appliquer, mais je sais aussi qu'il faut savoir raison garder.

La détresse paysanne est très grande, mais je n'aime pas les sociétés sans risques, ces derniers devant être connus, choisis et éventuellement assumés. Dans ce cadre, dire que nous nous protégerons de tout me paraît très dommageable pour la pensée en général et la pensée honnête en particulier.

Je pense personnellement qu'il faudrait en effet faire pression sur M. Fischler, que je connais puisque j'étais Président de la commission du développement et de la coopération du Parlement européen alors que ce digne homme était déjà Commissaire à l'agriculture et que je lui parlais déjà de la santé, en essayant d'éveiller son attention sans y parvenir.

Il appartient aux politiques de décider, non aux commissaires. En tout cas, je sais qu'il faudra un jour développer les cultures de substitution pour les protéines végétales et en général pour les céréales.

On ne parle pas du vrai sujet dans tout cela, à savoir la démographie mondiale. Si d'une part les individus sont beaucoup plus nombreux et que d'autre part l'on n'arrive pas à produire, je me demande comment ils seront nourris. En tout cas, le vieux dogme consistant à dire qu'il y a assez à manger sur la terre pour tout le monde est faux, d'autant plus que nous devons aujourd'hui, très légitimement, prendre des précautions, car nous avons été assez fous pour nourrir des ruminants avec de la viande. Nous l'avons tous accepté et nous n'avons pas protesté, moi non plus. Peut-être ne nous en sommes-nous pas rendu compte. De plus, c'était tellement facile, mais nous l'avons fait et cela ne fonctionne pas, ou en tout cas moins bien qu'avant.

Il faut avoir un vrai débat à ce sujet et, si votre rapport peut aller dans ce sens ou éveiller l'attention, vous aurez fait un travail formidable. J'appelle cela la pédagogie du risque.

Je reviens du Kosovo, qui est un endroit différent : la maladie concerne trois personnes, sachant que je déplore qu'elles soient atteintes et que j'ai développé des agences pour que le principe de précaution soit employé, ce que je ferai toujours, mais il faut savoir raison garder.

Voyons les conséquences et les difficultés qui sont devant nous. Quand je vois qu'en France il existe 750 000 cancéreux dont le système de santé ne tient pas assez compte et que l'on ne peut pas faire de prévention et de recherche suffisamment en amont, sans attendre que les personnes soient malades, je pense qu'il faut agir dans ce domaine et pour le reste, comme pour la maladie de Creutzfeldt-Jakob. De plus, je trouve un peu difficile de brûler les cultures.

M. le Rapporteur - Me permettez-vous, Monsieur le Ministre, d'être provocateur ?

M. Bernard Kouchner - Oui, je vous le demande.

M. le Rapporteur - Au sein de vos collègues et du gouvernement, j'essaie désespérément d'aborder ce sujet, qui est fondamental, avec Mme Voynet. Comme vous l'avez souligné -nous avons reçu l'an passé le Président de la FAO-, il existe 80 millions d'habitants et de consommateurs supplémentaires sur cette terre chaque année. Ce n'est pas à vous, qui revenez du Kosovo, que nous l'apprendrons. Or, il faudra bien trouver des solutions, non pas modernes, mais équitables, rationnelles et sécurisantes pour nourrir toutes ces personnes.

M. Bernard Kouchner - Vous avez raison, sachant que Mme Voynet est beaucoup plus souple que la moyenne des militants du parti Vert. Je crois qu'elle évolue et qu'elle évoluera. Ils se méfient terriblement, la meilleure façon de leur faire admettre l'évolution scientifique étant d'accepter les contrôles, le regard scientifique ainsi que l'audit et la révision permanents de nos notions. Je pense qu'ils l'accepteraient.

M. le Rapporteur - La loi sur la bio-vigilance, qui faisait d'ailleurs partie de la loi d'orientation agricole, avait formidablement encadré la problématique en question.

M. Bernard Kouchner - C'est ce que je crois personnellement, mais je comprends aussi que nous sommes dans une période où les dangers qui menacent la planète sont très présents au coeur des jeunes militants et des jeunes générations politiques. C'est sans doute un élément dont il faut absolument tenir compte.

Je voudrais également vous parler du nucléaire. Je pense que les risques sont dans ce domaine mal maîtrisés, mais qu'il faut continuer.

Concernant le Kosovo, l'uranium appauvri et la crise mondiale, j'ai dit à tout le monde de venir -y compris aux membres de Greenpeace, même si les militaires n'étaient pas contents car ils sont leur ennemis- pour que nous mettions nos compteurs de radiations les uns à côté des autres afin de comptabiliser les rayons alpha.

Je ne dis pas que tout est parfait, mais aujourd'hui tous les résultats crédibles et scientifiques à propos de l'uranium appauvri vont dans le sens de l'absence de conséquences. C'est ainsi : il faut contrôler et être transparent en permanence, ce que nous avons fait, sachant qu'il n'était pas facile au début, étant donné la culture d'un ministère et surtout celle du celui de la Santé, de rendre publics tous les rapports. C'était absolument révolutionnaire.

Concernant les modélisations, je sais ce que Mme Alpérovitch a dit. Il s'agit d'une double modélisation, à savoir de celle, éventuelle, des résultats anglais à partir de l'étude de l'absorption supposée, rapportée au nombre de troupeaux dans le cadre des fameuses fraudes dont je n'ai pas l'évidence ni la certitude en France, et d'une nouvelle modélisation par rapport à la France partant du postulat qu'il existerait -je n'étais pas là, mais je sais à peu près ce qui s'est passé- des dizaines de milliers de cas potentiels en Angleterre et en France. Cependant, cela n'a été contrôlé par personne et n'a absolument pas été validé scientifiquement ; c'est une hypothèse.

M. Prusiner, qui est l'homme de l'art, en répondant aux questions qui lui étaient posées -qui sont d'ailleurs en partie parues dans « Le Monde » et que vous avez sans doute lues-, a indiqué que personne n'était capable d'affirmer quoi que ce soit aujourd'hui dans ce domaine, ni dans un sens ni dans l'autre, c'est-à-dire ni par défaut ni par excès.

J'estime donc qu'il faut pour le moment continuer à appliquer la précaution la plus stricte, en essayant d'obtenir de l'argent pour la recherche.

Franchement, les chiffres du Ministère de la Santé n'étaient que des hypothèses que je ne peux ni infirmer ni confirmer.

Encore une fois, il s'agissait d'une maladie qui, en dehors de la façon dont elle peut potentiellement toucher les hommes depuis 1996 et de quelques cas, heureusement rares dans notre pays, concernait beaucoup les animaux et le Ministère de l'Agriculture.

En Angleterre, d'où vous revenez, l'on dit : « Jusqu'à l'abattoir, c'est le Ministère de l'Agriculture et ensuite celui de la Santé ». Nous pouvons grosso modo dire de même, mais nous sommes allés plus loin, parce que nous avons partagé les agences. L'agence majeure, celle de la sécurité alimentaire, est partagée entre le Ministère de l'Agriculture et celui de la Santé.

Nous nous voyons très fréquemment et, là aussi, nous avons décidé de rendre publics tous les rapports et toutes les publications de l'agence. Nous trouvons parfois que c'est trop tôt, même si elle nous prévient par décence avant, mais elle est libre de le faire, le public devant savoir.

M. Michel Souplet - Monsieur le Ministre, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt et je vous rejoins sur la quasi-totalité de vos propos.

Nous sommes ici en commission non pour juger les personnes ni le passé, mais pour connaître la vérité et pour faire des propositions concrètes et applicables le plus rapidement possible.

Je voudrais revenir un instant sur la fiabilité des tests évoquée par mon collègue M. Bizet. Il nous a semblé comprendre cet après-midi, à travers les propos tenus par votre prédécesseur à cette table, que nous pouvions aujourd'hui disposer d'un test permettant de garantir quasiment à 100 % que la viande qui a été testée est saine, le délai qu'il faut pour permettre de l'affirmer étant d'environ 4 ou 5 heures.

Or, il se trouve que la viande est mise en stock pour réessuyage dans les abattoirs pendant plus de 5 ou 6 heures.

On serait susceptible aujourd'hui, si ces tests pouvaient être appliqués dans chaque abattoir, de dire pour tous les animaux abattus, au moment de les sortir du frigo, s'ils ont sains ou présentent un risque. Il serait formidable de pouvoir déjà apporter cette garantie, sachant que ce serait apparemment possible très rapidement.

Par ailleurs, nous voulons -vous comme nous- que la traçabilité soit la plus précise et la plus fiable possible, mais il faudra pour ce faire être extrêmement exigeant s'agissant de celle des produits français ainsi que de celle de ceux importés. Or, nous allons nous trouver, dans le cadre de la liberté mondiale du commerce, face à des personnes qui voudront nous envoyer, sous prétexte qu'une traçabilité existe, des produits qui seront beaucoup moins garantis que les nôtres. Comment pourrons-nous nous protéger sur ce plan ?

M. Bernard Kouchner - Ce n'est pas de mon ressort ; c'est évidemment le problème des douanes et celui du Ministère de l'Agriculture. Je comprends très bien que la traçabilité, concernant nos produits, soit au mieux, sachant que nous nous enorgueillissons, au Ministère de la Santé, d'avoir commencé à la mettre en place avec nos agences de façon très systématique depuis des années.

Concernant les contrôles aux frontières, le suivi, les certificats, les dispositifs électroniques de lecture, etc., je sais que beaucoup de systèmes sont étudiés, que Jean Glavany est très sensible à la question et que le Ministère l'Agriculture y travaille, mais je ne peux pas vous répondre, en ce qui me concerne, s'agissant de ces contrôles, qui sont manifestement plus douaniers que sanitaires.

Je sais qu'un test français est comparé à un test suisse, et il m'a semblé comprendre- mais là aussi c'est du domaine de l'agriculture, car il s'agit des animaux- que le premier serait apparemment plus sensible.

Il est en cours d'évaluation, mais je suis tout à fait content si cela vous a été affirmé car, si cela diminue la durée de séjour des carcasses au frigo pendant quelques jours, c'est évidemment très important.

M. Michel Souplet - Cela nous permettrait d'apporter très rapidement une garantie aux consommateurs français et de leur redonner confiance.

M. Bernard Kouchner - Tout à fait. Cela permettrait également de redonner confiance aux consommateurs étrangers, puisque nous exportions énormément, ce qui j'espère reprendra très rapidement.

M. Paul Blanc - Monsieur le Ministre, il semblerait qu'un rapport de l'Académie de médecine de 1990 indique qu'une contamination de l'ESB à l'homme ne serait pas à exclure. En avez-vous eu connaissance au ministère ?

M. Bernard Kouchner - Je fouille dans ma mémoire, mon cher confrère. Je ne crois pas, mais je ne connais pas tout. Je n'ai aucune raison de douter, si c'est ce qu'a indiqué l'Académie de médecine, qu'une communication a été faite dans ce sens, mais je ne m'en souviens pas ; je pourrais rechercher. Je suis arrivé au Ministère de la Santé en 1991 ; peut-être ceci explique-t-il cela.

M. Paul Blanc - Vous avez insisté sur les contaminations possibles à partir de fraudes sur les farines animales. Il semble, d'après les enquêtes que nous avons menées, qu'au-delà des fraudes s'est posé le problème des croisements de farines animales de bétail, sachant que celles destinées à l'alimentation des bovins avaient en effet été interdites, mais qu'elles continuaient à être utilisées. Ne pensez-vous pas qu'il aurait fallu interdire les farines animales pour toute alimentation de bétail, quel qu'il soit ?

M. Bernard Kouchner - Oui, mais il était très difficile de le savoir à l'époque, car nous étions dans un domaine extrêmement flou. Je trouvais en tant que médecin un peu excessives les mesures, que je jugeais parfois arbitrairement administratives, que nous prenions, en particulier pour retirer des produits médicamenteux du circuit.

Il aurait fallu le faire -je l'ai demandé quand je suis revenu au Ministère de la Santé- et il est évident que cela nous a effleurés à propos des volailles, des poissons et des porcs, mais ce n'est qu'à partir de 1996 que nous avons compris comment cela fonctionnait. Nous étions en 1991 et 1992, hélas, un peu bloqués dans notre raisonnement, car il n'était question que de l'hormone extractive.

J'ai officiellement demandé en 1998 au Comité national de sécurité sanitaire de le faire, mais nous aurions pu en effet y penser plus tôt.

Il m'a été indiqué -je crois me répéter- que pour les poissons cela avait très vite disparu, mais de toute façon les farines animales ont continué à nourrir les bovins. Sinon, il n'y a pas d'explications pour les animaux que l'on appelle naïfs -ceux nés après l'interdiction- et super naïfs, nés après 1996. Peut-être faut-il rechercher une autre hypothèse, mais je pense que nous pouvons nous satisfaire partiellement de l'explication de la consommation illicite de farines animales.

M. Paul Blanc - Vous avez demandé l'interdiction des produits d'origine animale dans les produits médicamenteux (extraits de foie, etc.). Est-ce surtout par apport aux conséquences des extraits d'hypophyse qui avaient été administrés et qui avaient provoqué des maladies de Creutzfeldt-Jakob ou pensiez-vous déjà à l'ESB à ce moment-là ?

M. Bernard Kouchner - Pour être honnête, il est tout à fait certain que c'était en rapport avec les terribles cas qui frappaient les enfants qui étaient traités par l'hormone extractive. Je me vanterais en indiquant que j'avais pensé à autre chose.

M. Paul Blanc - Oui, mais cette hormone était d'origine humaine.

M. Bernard Kouchner - Oui. Nous pensions même à ce moment-là qu'il s'agissait probablement également de la façon dont les hypophyses étaient extraites et conservées et qu'il existait un vrai trafic dont nous bénéficiions. N'oubliez pas qu'un contrôle était exercé par un pédiatre très fameux, etc. Nous pensions que les conditions d'extraction (en particulier dans les pays de l'est) étaient probablement responsables de la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène et nous avons, en allant un peu loin, retiré les petits pots des pharmacies.

Par rapport à la gélatine qui constitue l'enveloppe de bien des gélules, je continue à penser qu'il faut certainement agir en fonction du principe de précaution, mais il serait étonnant que l'agent infectieux se retrouve, après les traitements qu'elle a subis, dans la gélule qui entoure un antibiotique, même si c'est aujourd'hui une règle et qu'il n'est pas question d'y déroger.

A cette époque, honnêtement, je ne me souviens pas d'avoir pensé à un nouveau variant, puisque pour nous la maladie de Creutzfeldt-Jakob était à incubation très longue. Or, voilà qu'arrivent des enfants faisant l'objet d'une période d'incubation différente, ce qui est terrible.

M. Paul Blanc - Je suis tout à fait d'accord avec vous, de la même façon que j'ai été choqué, lors de nos différentes visites, par le nombre de carcasses parties à l'équarrissage pour deux cas et demi de maladies de Creutzfeldt-Jakob par rapport au nombre d'enfants qui meurent de faim dans le monde entier.

M. Bernard Kouchner - Un certain nombre de pays ont demandé à récupérer les carcasses, mais cela pose des questions considérables.

M. le Président - Il est vrai que quand on voit -comme cela a été notre cas au cours de nos différentes visites dans tous les abattoirs- des séries d'animaux manifestement sains abattus et la viande dépecée, puis traitée avant d'être envoyée directement à l'équarrissage, cela fait très mal, non seulement à ceux qui les ont élevés, mais aussi aux simples citoyens que nous sommes tous, ainsi que, comme le disait notre collègue M. Blanc -vous le savez mieux que quiconque-, par rapport à tous ceux qui meurent de faim dans le monde. Cependant, il est vrai que le principe de précaution fait que si nous l'appliquons chez nous, il doit être appliqué pour tous dans le monde entier.

M. Bernard Kouchner - Vous avez raison, mais un de vos collègues a posé une question sur le test qui pourrait nous permettre de savoir rapidement si les carcasses sont saines ou pas et peut-être de les consommer et des les exporter de façon presque complètement sûre.

M. le Président - Je reviens sur le problème des petits pots. Etait-ce à l'époque une décision purement française ou européenne ?

M. Bernard Kouchner - A ma connaissance, cette décision a été purement française.

M. le Président - En fait, aucune décision européenne n'a été prise.

M. Bernard Kouchner - Nous étions des précurseurs.

M. le Président - C'était bien surtout et avant tout par rapport au problème d'hormones de croissance, plutôt que par rapport à la maladie de Creutzfeldt-Jakob ?

M. Bernard Kouchner - Oui.

M. le Président - Monsieur le Ministre, merci.

M. Bernard Kouchner - Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je vais tenter de retrouver pour vous les documents que vous nous avez signalés.



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