g) M. Georges BONET, Président de l'Institut de recherche en propriété intellectuelle Henri-Desbois (IRPI) et Mme Michèle BOUYSSI-RUCH, secrétaire générale - Mercredi 28 mars 2001

M. Georges Bonet - La question du régime de traduction du brevet européen a déjà fait l'objet de multiples débats. A la réflexion, puisqu'il est impératif de diminuer le coût du brevet européen, je suis personnellement favorable à la solution consistant à limiter la traduction des revendications aux trois langues de travail de l'OEB, l'obligation de traduction intégrale en cas de litige étant éventuellement maintenue.

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - La Chambre de commerce et d'industrie de Paris a pris position en ce sens, à savoir pour l'une des trois langues de travail de l'OEB.

M. Francis Grignon - Pourquoi la mauvaise place de la France dans les dépôts de brevets ?

M. Georges Bonet - Une certaine indifférence des organismes de recherche publique à l'égard de la propriété industrielle ne semble pas étrangère à cette situation.

Pour assurer une progression favorable de sa carrière, le chercheur appartenant à l'organisme public doit publier ; il n'a pas naturellement le réflexe de faire breveter une invention intéressante. Certaines inventions françaises divulguées dans une publication peuvent ainsi être brevetées à l'étranger par des tiers.

Même lorsque le brevet est déposé, il n'est souvent pas exploité par l'organisme de recherche, mais par une entreprise privée qui lui est contractuellement liée ; et les contrats de licence ne sont pas toujours correctement rédigés. L'exploitation des brevets ne semble pas constituer un souci majeur pour les organismes de recherche.

M. Francis Grignon - La loi sur l'innovation et la recherche, qui incite à la valorisation technologique des inventions, n'a-t-elle pas fait évoluer cette situation ?

M. Georges Bonet - Il faudra du temps pour qu'elle fasse sentir pleinement ses effets et développe le réflexe de la propriété industrielle.

La question se pose, par ailleurs, de l'opportunité d'instaurer un « délai de grâce ». Aux Etats-Unis, par exemple, un chercheur ne peut sous certaines conditions se voir opposer l'absence de nouveauté de son invention du fait d'une publication antérieure, réalisée pendant une période donnée précédant une demande de brevet, alors qu'en France toute publication de recherche ruine la brevetabilité de l'invention. Il semble que l'instauration d'un délai de grâce en France ne serait pas sans intérêt.

M. Francis Grignon - Quelle est votre analyse de l'utilisation de la propriété industrielle par les petites et moyennes entreprises ?

M. Georges Bonet - Les PME sont, avec les chercheurs publics, deux cibles qui paraissent prioritaires pour développer la propriété industrielle. L'ANVAR devrait jouer un rôle actif dans ce domaine.

M. Francis Grignon - Aux Etats-Unis, l'université et l'industrie s'interpénètrent. Je l'ai personnellement constaté, au Massachusetts Institute of Technology (MIT) : recherche et dépôt de brevets sont deux démarches concomitantes.

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - Les universités françaises manquent souvent d'une cellule de valorisation incitant au dépôt de brevet. Il serait utile de favoriser leur création et leur mise en réseau.

M. Georges Bonet - Il existe à mon sens deux autres freins. D'une part, une fiscalité très peu incitative pour le déposant et, d'autre part, le coût de la défense du brevet.

M. Francis Grignon - Pensez-vous qu'il y ait en France assez de conseils en propriété industrielle et de spécialistes pour assister les entreprises ?

M. Georges Bonet - La demande de la part des entreprises augmente très fortement. Au DESS de propriété industrielle de Paris II -le seul de son espèce en France- on recense environ 400 candidatures pour une quarantaine de places. Il s'agit surtout de juristes, alors que le CEIPI s'adresse à des ingénieurs.

M. Francis Grignon - Ne jugez-vous pas qu'en Allemagne la collaboration entre juristes et ingénieurs est meilleure qu'en France ?

M. Georges Bonet - Cette collaboration existe aussi en France. Les étudiants du DESS deviennent en général avocats, conseils en propriété industrielle ou juristes d'entreprise. Ils n'ont actuellement pas de difficulté à se placer.

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - Les initiations à la propriété industrielle sont souvent insuffisamment développées dans le cursus des écoles d'ingénieurs et de gestion. Cette formation est plus développée dans certains pays, en Allemagne notamment.

De même, le rôle du service propriété industrielle est trop peu valorisé dans les entreprises françaises.

La taxation des produits que le déposant de brevet tire de la propriété industrielle n'est plus aussi incitative qu'avant : avec l'augmentation du taux des plus-values à long terme et de la CSG, une forte proportion de la rémunération qu'un salarié peut tirer d'une invention est désormais taxable. Il existe, en revanche, dans d'autres pays des outils fiscaux pour inciter au dépôt de brevets.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous du brevet communautaire ?

M. Georges Bonet - C'est une initiative indispensable. La marque communautaire, qui existe depuis peu, connaît un grand succès, révélateur du besoin de titres communautaires.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous du contentieux de la propriété industrielle ?

M. Georges Bonet - Lorsque les jurisprudences diffèrent d'un Etat à l'autre, les entreprises pratiquent si possible le « forum shopping », qui consiste à choisir la juridiction qu'elles estiment la plus favorable à leur intérêt pour y soumettre leur litige. Une uniformisation est nécessaire ; elle suppose une organisation juridique nouvelle, difficile à concevoir.

On doit cependant remarquer l'uniformisation de l'interprétation des concepts en matière de marques nationales à laquelle la Cour de Justice des Communautés est en train de procéder en interprétant les dispositions de la directive d'harmonisation de 1988, à la demande des juges nationaux. C'est probablement l'une des voies que prendra l'harmonisation des dispositions nationales dans l'avenir chaque fois qu'existera un texte communautaire d'harmonisation dont l'interprétation posera problème.

Le brevet communautaire apportera une réponse partielle, mais laissera subsister des brevets nationaux et la compétence des juridictions nationales.

Pour le brevet communautaire, une juridiction communautaire spécialisée, à deux degrés, doit être organisée. Ne devrait-on pas, mutatis mutandis , adopter aussi un système de ce genre, au moins pour le brevet européen ? La France ne devrait-elle pas prétendre à l'installation sur son territoire de la future juridiction compétente en matière de brevet communautaire ?

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - L'IRPI a établi des statistiques sur le contentieux de la propriété industrielle en France, à la demande du ministère de la justice, qui montrent son extrême concentration sur les juridictions parisiennes.

S'agissant des délais de jugement en matière de brevets, ils sont en moyenne de trois ans pour la première instance et de trois à quatre ans pour l'appel. Les rapports d'expertise allongent souvent les délais.

M. Georges Bonet - La contrefaçon n'est pas assez sanctionnée. La question se pose de savoir s'il ne faudrait pas condamner le contrefacteur au paiement de dommages-intérêts équivalents à ce que la contrefaçon lui a rapporté.

M. Francis Grignon - Avez-vous des éléments sur le système d'indemnisation américain ?

M. Georges Bonet - Il est bien plus dissuasif. Le système français repose sur l'article 1382 du code civil, donc sur la règle de l'indemnisation limitée au seul préjudice subi par la victime de la contrefaçon.

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - Le chiffre moyen des statistiques de l'IRPI est, pour 1998, de 462.000 francs pour 14 affaires de brevets en 1 ère instance.

M. Georges Bonet - La concentration des affaires de propriété industrielle existe déjà en fait. Elle doit être consacrée par le droit. J'ajoute que très peu d'affaires de propriété industrielle débouchent sur des sanctions pénales.

Mme Michèle Bouyssi-Ruch - En 1998, une cinquantaire d'affaires, portant sur tous les droits de propriété intellectuelle, a été jugée au pénal contre environ 900 au civil. Les sanctions pénales prévues par la loi Longuet semblent en fait peu utilisées.

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