k) M. Jacques LAGRANGE, Vice-président du groupement professionnel « Innovation et propriété industrielle », de l'Association des anciens élèves de l'Ecole centrale - Mercredi 4 avril 2001

M. Jacques Lagrange - J'ai répondu par écrit à votre questionnaire, mais permettez-moi de développer certains points particuliers.

Le coût du brevet européen est mis en avant par nombre de personnes pour expliquer la faiblesse du nombre de dépôts de brevets d'origine française. Je pense quant à moi que c'est une fausse raison. En effet, toutes les entreprises, quelle que soit leur nationalité sont dans la même situation juridique et financière vis à vis du brevet européen. En outre, les déposants commencent toujours par une demande de protection nationale, avant de solliciter éventuellement, un brevet européen. Or, la procédure française est spécialement peu onéreuse (les taxes de dépôt à l'INPI se montent à 2.350 francs et permettent d'obtenir un rapport de recherche, puis à 180 francs par an pour la deuxième à la cinquième annuité), alors que la procédure allemande, par exemple, est plus chère. Le coût n'explique donc absolument pas la différence entre le nombre de dépôts français et allemands, qui est très en faveur de l'Allemagne.

M. Francis Grignon - Vous ne faites référence qu'aux taxes, mais il faut leur ajouter le coût des conseils.

M. Jacques Lagrange - Pour la rédaction de la demande de brevets, un conseil français demandera de 12 à 25.000 francs.

Je souligne que pour une demande de brevet européen, la procédure se déroule en français jusqu'aux passages aux phases nationales, qui intervient à la délivrance du brevet, moment où les traductions sont requises. Or, il existe un délai de neuf mois pour faire opposition à cette délivrance, éventuellement suivie par une procédure d'opposition d'environ une année. Pourquoi ne pas repousser l'obligation du dépôt des traductions à l'expiration de la procédure d'opposition ?

Il me semble absurde de raisonner en coût total du brevet européen, compte tenu de l'échelonnement du versement des sommes, le montant des traductions, en particulier, n'étant déboursé qu'à la délivrance, lorsque le déposant a une bonne visibilité de la rentabilité potentielle de son brevet.

Les dépôts par les voies américaines et japonaises occasionnent des frais de conseil très importants, qui me semblent sous-estimés dans les calculs de la Commission européenne, qui fait mention d'une dépense moyenne de 12.600 euros pour les traductions de brevet européen, ce qui représente, compte tenu du fait que les brevets sont en moyenne traduits en cinq langues, une dépense moyenne de 16.000 francs par traduction, chiffre sensiblement supérieur aux frais généralement engagés par les industriels. Les chiffres de la Commission résulteraient d'une enquête européenne de l'UNICE. Ils sont à mon avis exagérés en matière de coût européen et sous-estimés en matière de coût américain.

Les entreprises allemandes ont un système national plus compliqué et plus cher que le système français, mais déposent plus de brevets, et ont connu, ces dernières années, une croissance plus importante de leurs dépôts, à l'instar des entreprises américaines, mais contrairement aux entreprises françaises. Les chiffres montrent que la mise en place du brevet européen en 1978 a favorisé la pénétration des entreprises étrangères en France. Ils montrent aussi que les entreprises européennes considèrent leur marché naturel comme étant l'Europe et les Etats-Unis, alors que les entreprises américaines et japonaises sont davantage centrées sur leurs marchés domestiques. La propriété industrielle est, pour une entreprise, un outil stratégique de structuration de sa recherche. Elle peut être un outil d'orientation de l'ensemble de la stratégie de l'entreprise.

M. Francis Grignon - Estimez-vous que les systèmes japonais et américains sont protectionnistes ?

M. Jacques Lagrange - La pratique le montre, en particulier pour le système américain. J'ajoute que le monde des conseils et avocats américains en propriété industrielle bénéficie d'une très grande influence auprès de l'administration américaine.

M. Francis Grignon - Que pensez-vous du nombre de spécialistes français en propriété industrielle ?

M. Jacques Lagrange - Il est insuffisant, au regard des ambitions qu'on pourrait avoir. La France n'a que 590 mandataires en brevets européens (soit 9,5 % du total), contre 1.443 en Grande-Bretagne (soit 23,3 % du total) et 2.273 en Allemagne (36,7 % du total). Il n'y a pas en France, en tout, plus de 1.000 spécialistes en propriété industrielle (spécialistes brevets et marques confondus). La culture de la propriété industrielle y est peu développée. La mondialisation de l'économie rend pourtant nécessaire des stratégies de brevets offensives.

Vous trouverez dans mes documents écrits une analyse économique précise des avantages et inconvénients de la signature du protocole de Londres, qui démontre que la France n'a pas intérêt, économiquement, à y souscrire.

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