Santé animale : la lutte contre la fièvre aphteuse, du risque sanitaire à l'enjeu économique - Tome II - Auditions

EMORINE (Jean-Paul)

RAPPORT D'INFORMATION 405 (2000-2001) - Tome II - COMMISSION DES AFFAIRES ECONOMIQUES

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Table des matières




N° 405

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 juin 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) par la mission d'information (2) sur la lutte contre l'épizootie de fièvre aphteuse ,

Par M. Jean-Paul ÉMORINE,

Sénateur.

Tome II : Auditions

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Philippe François, Jean Huchon, Jean-François Le Grand, Jean-Paul Émorine, Jean-Marc Pastor, Pierre Lefebvre, vice-présidents ; Georges Berchet, Léon Fatous, Louis Moinard, Jean-Pierre Raffarin, secrétaires ; Louis Althapé, Pierre André, Philippe Arnaud, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Jacques Bellanger, Jean Besson, Jean Bizet, Marcel Bony, Jean Boyer, Mme Yolande Boyer, MM. Dominique Braye, Gérard César, Marcel-Pierre Cleach, Gérard Cornu, Roland Courteau, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Christian Demuynck, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Michel Doublet, Paul Dubrule, Bernard Dussaut , Jean-Paul Emin, André Ferrand, Hilaire Flandre, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Serge Godard, Francis Grignon, Louis Grillot, Georges Gruillot, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Joly, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Gérard Larcher, Patrick Lassourd, Gérard Le Cam, André Lejeune, Guy Lemaire, Kléber Malécot, Louis Mercier, Aymeri de Montesquiou, Paul Natali, Jean Pépin, Daniel Percheron, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Ladislas Poniatowski, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Henri Revol, Roger Rinchet, Josselin de Rohan, Michel Souplet, Mme Odette Terrade, MM. Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, Jean-Pierre Vial.

(2) Cette mission d'information est composée de : MM. Philippe Arnaud, président ; Gérard César, Paul Raoult, vice-présidents ; Bernard Joly, Gérard Le Cam, secrétaires ; Dominique Braye, Mme Yolande Boyer, MM. Gérard Cornu, Roland Courteau, Michel Doublet, Jean-Paul Émorine, Louis Grillot, Louis Moinard, Bernard Piras.


Agriculture.

1. Audition de Madame Isabelle Chmitelin, Directeur général adjoint de l'Alimentation, accompagnée d'une délégation composée de Mmes Véronique Bellemain, adjointe au sous-Directeur chargé de la santé et de la protection des animaux à la Direction générale de l'Alimentation, Brigitte Arbelot, chargée de mission à la sous-Direction de la santé et de la protection des animaux, MM. Benjamin Le Chatelier, responsable de la mise en oeuvre des mesures relatives aux produits au sein de la sous-Direction chargée de l'hygiène des aliments, Gérard Coustel, responsable de la cellule de crise fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - Je donne la parole à Madame Chmitelin, qui est Directrice générale adjointe de l'alimentation. Madame, je vous demanderai de nous présenter les personnes qui vous accompagnent. Vous avez eu l'obligeance de nous transmettre un rapport exhaustif, qui serait susceptible d'être complété à l'avenir. Vous pourriez nous faire part d'une synthèse de vos premières analyses en nous exposant votre position face à la fièvre aphteuse, la manière dont vous appréhendez ce problème ainsi que les réponses que vous y avez apportées.

Mme Isabelle Chmitelin - Monsieur le Président, je vous remercie. Je vous présente la délégation qui m'accompagne.

Véronique Bellemain est l'adjointe au sous-Directeur chargé de la santé et de la protection des animaux à la Délégation générale de l'alimentation.

Brigitte Arbelot est chargée de mission à la même sous-Direction, et plus spécifiquement en charge des plans de lutte contre les épizooties au sein de la sous-Direction.

Benjamin Le Chatelier appartient à la sous-Direction chargée de l'hygiène et des aliments et a été responsable de la mise en oeuvre des mesures relatives aux produits. En effet, vous avez probablement connaissance de la transmission de la fièvre aphteuse par le biais des produits. Par conséquent, nous avons élaboré un certain nombre de mesures qui ont été appliquées aux produits.

Enfin, Gérard Coustel est le chef du bureau de la santé animale.

Les quatre représentants de l'Administration ainsi que moi-même sommes vétérinaires inspecteurs du Ministère de l'agriculture.

Je souhaiterais vous rappeler les différentes étapes du dispositif français de lutte contre la fièvre aphteuse. Ce dispositif a été mis en place au moment de la crise que nous avons eue à vivre depuis la fin du mois de février. Mon exposé distinguera, très schématiquement, quatre étapes. Les grandes lignes de ces étapes vous seront proposées, sans pour autant rentrer dans le détail des chiffres, qui vous seront transmis si vous le souhaitez. Je tiens à vous signaler que les données sont présentées dans le document qui vous a été remis.

La première phase correspond au début de la crise. Il s'agit de constater comment nous avons appréhendé cette crise et d'analyser les mesures que nous avons mises en place afin de nous organiser.

La deuxième étape coïncide avec l'application de mesures de prévention.

La troisième phase s'est enclenchée lorsque deux foyers ont été décelés en France, se traduisant par l'apparition de la maladie sur notre territoire. Par conséquent, des mesures de lutte ont été mises en place.

La quatrième étape est relative à la sortie de la crise, et correspond à la levée progressive des mesures. Toutefois, la vigilance reste de mise dans la mesure où la maladie continue à sévir de l'autre côté de la Manche, d'une manière relativement aiguë.

Le début de la crise correspond à une période d'une semaine s'étant écoulée entre le 20 février et le 27 février. Nous avons été informés par les autorités du Royaume-Uni, un fax nous étant parvenu dans la nuit du 20 au 21 février. Cette information nous a été confirmée par un représentant à Rome de la Commission Européenne de lutte contre la fièvre aphteuse, qui nous a téléphoné le 21 février au matin. Les mesures immédiates qui ont été prises ont consisté à fermer la frontière avec le Royaume-Uni. Cette mesure a très rapidement été entérinée par une clause de sauvegarde de la Commission Européenne, qui a isolé le Royaume-Uni du reste de l'Union Européenne. Nous avons procédé immédiatement à une réactivation des plans de luttes nationaux et départementaux qui devaient être en place depuis 1991, date à laquelle nous nous étions engagés sur un programme de lutte contre la fièvre aphteuse basé sur le non-recours à la vaccination. Ces plans de luttes ont donc été réactivés tant au niveau national que dans l'ensemble des départements français, l'information ayant été envoyée à chaque département.

Cette crise s'est également traduite par la mise en place de mesures spécifiques tant au niveau national qu'au niveau local afin de répondre aux interrogations engendrées par cette situation, en particulier aux demandes d'informations émanant non seulement de nos services mais également des opérateurs privés, de la presse et des citoyens. Une cellule fièvre aphteuse a été mise en place au niveau national. Elle regroupait 15 à 20 équivalents emplois, issus d'un redéploiement des structures de notre Administration centrale. Par conséquent, il faut noter que certaines tâches ont été mises entre parenthèses au cours de cette situation de crise. Fort heureusement, nous n'avons pas vécu plusieurs crises simultanées. Ces 15 équivalents emplois ont travaillé d'arrache-pied, quasiment jour et nuit, pendant un mois. Des lignes téléphoniques ont été installées, une salle et des ordinateurs ont été dédiés à cette cellule afin de répondre au mieux aux demandes d'information émanant des services et des opérateurs.

Au plan départemental, des cellules de crises ont été mises en place, sous l'égide du Préfet. Enfin, au niveau supranational, la Commission s'est organisée de la même manière puisque sa cellule de crise était joignable près de 24 heures sur 24. Je souhaiterais vous faire part d'une anecdote. Le matin de l'annonce du premier foyer de fièvre aphteuse en France, j'ai personnellement joint le chef de l'unité chargé de la santé animale à la Commission Européenne à 6 heures du matin, ce qui a permis de mettre en place l'ensemble des mesures dans un laps de temps réduit. La communication communautaire est organisée de manière à faciliter l'échange rapide d'informations. Il faut noter que face à une maladie aussi contagieuse que la fièvre aphteuse, plus les délais sont courts dans la transmission de l'information, plus les mesures sont susceptibles d'être mises en place rapidement et plus le résultat escompté peut être bénéfique.

Un Comité national de lutte contre la fièvre aphteuse s'est réuni, son existence ayant été instaurée par arrêté ministériel en 1994. Ce Comité rassemble non seulement les représentants des différentes Administrations, qu'il s'agisse notamment du Ministère de l'Agriculture, du Budget, de l'Equipement, de l'Intérieur, de la Défense mais également des organisations professionnelles agricoles, les représentants de la profession vétérinaire, des laboratoires et l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Le Comité national de lutte contre la fièvre aphteuse, qui est un lieu de dialogue, d'échange et d'informations, s'est réuni à quatre reprises depuis le début de cette crise.

La première mesure prise au début de la crise correspond à la fermeture de la frontière avec le Royaume-Uni. En outre, nous avons immédiatement procédé au recensement des animaux des espèces sensibles, qui avaient pu être introduit sur le territoire français en provenance du Royaume-Uni au cours de la période dite à risque, soit la période s'étant déroulée entre le 15 janvier et le 21 février. Par ailleurs, il faut signaler que l'ensemble des animaux dont l'origine anglaise ne pouvait être écartée a également été recensé. Nous reviendrons probablement sur le problème d'identification et de suivi des animaux de l'espèce ovine, qui s'est avéré être une difficulté importante. Nous avons frappé large. Pour procéder à ce recensement, nous avons utilisé le réseau européen dit « ANIMO », qui permet un suivi des échanges intra-communautaires légaux d'animaux. De plus, nous avons demandé à nos services vétérinaires départementaux de mettre sous surveillance l'ensemble des cheptels et des lieux dans lesquels des animaux originaires du Royaume-Uni ou susceptibles de provenir de ce pays étaient détenus. Ils ont procédé à un suivi clinique des animaux pour, éventuellement, identifier des signes de la fièvre aphteuse.

Cette première étape a duré une semaine approximativement.

La deuxième étape consistait à mettre en place des mesures de prévention. Nous avons réagi pour faire face aux incertitudes concernant la situation du Royaume-Uni, la fièvre aphteuse se répandant rapidement. Nous avons également tenu compte de l'hyper-contagiosité de cette maladie animale qui n'est pas transmissible à l'homme mais qui est plutôt une zoonose mineure. En effet, la maladie peut transmettre des aphtes aux personnes qui sont au contact des animaux, mais les symptômes rétrocèdent spontanément.

M. Philippe Arnaud, président - Je souhaiterais connaître votre position concernant les informations alimentant la presse et les radios sur un individu qui serait atteint de la fièvre aphteuse.

Mme Isabelle Chmitelin -Il se peut qu'un individu soit atteint. L'ensemble des écrits sur cette maladie, qui est connue depuis des siècles, affirme que la fièvre aphteuse est susceptible de se transmettre à l'homme, mais apparaît sous des formes d'aphtes bénins qui rétrocèdent spontanément.

M. Philippe Arnaud, président - Le cas est tout de même préoccupant.

Mme Isabelle Chmitelin - Certes. Toutefois, il faut noter que la fièvre aphteuse sévit dans de nombreux pays, en particulier dans les pays en voie de développement. S'il existait des formes graves de fièvre aphteuse humaine, j'estime que ces maladies auraient d'ores et déjà fait l'objet de publications. L'information à laquelle vous faites référence est récente et nous souhaitons bénéficier de plus de recul afin de l'analyser finement. En outre, dans le contexte actuel d'hyper-émotionalité des populations face à ce qui touche à la santé animale et publique, le recul est d'autant plus nécessaire.

M. Philippe Arnaud, président - Lorsque vous disposerez d'informations supplémentaires issues de l'analyse de cette situation, pourriez-vous les communiquer à la mission chargée de l'épizootie de fièvre aphteuse ?

Mme Isabelle Chmitelin - Bien entendu.

La deuxième étape s'est enclenchée dans un climat d'incertitudes et a dû tenir compte de l'hyper-contagionalité de la maladie et de la faible expression chez les moutons. Un très grand nombre d'animaux ont été introduits en France en provenance du Royaume-Uni au cours de la période à risque. En effet, je rappelle à la Commission que nous nous trouvions à un mois de la fête de l'Aid El Kebir qui avait engendré des flux importants de moutons en provenance du Royaume-Uni. Ces flux n'étaient pas des flux traditionnels et impliquaient des opérateurs qui travaillaient durant cette période pour cette opération particulière. Face à cette situation, nous avons conseillé au Ministre de prendre des mesures de prévention qui passaient par l'abattage et la destruction des animaux britanniques ou supposés britanniques ainsi que des cheptels qui avaient été en contact. Cela représentait approximativement 50.000 animaux, dont 20.000 étaient originaires ou supposés originaires du Royaume-Uni et 30.000 avaient été au contact. De plus, 10.000 carcasses ont été détruites. Il s'agissait soit de carcasses d'animaux importés vivants et transformés au cours d'un abattage en France soit de carcasses importées du Royaume-Uni.

Parallèlement à ces décisions, nous avons procédé à une enquête sérologique sur un pourcentage représentatif de chaque lot d'animaux importés du Royaume-Uni ayant été abattu. Cette décision avait pour but de mieux appréhender la situation épidémiologique réelle à laquelle nous avions été confrontés. Nous aurions pu procéder à l'abattage des animaux sans pour autant effectuer de contrôle sérologique dans la mesure où aucun texte communautaire ne nous y contraignait. Toutefois, dans un souci de recherche de la vérité et de connaissance de l'exposition réelle au risque, nous avons procédé à ces contrôles sérologiques. Nous avons mis en évidence un certain nombre de résultats positifs. En conséquence, nous avons décidé de prendre des mesures de précaution autour des sites dans lesquels avaient été détenus des animaux dont le test s'est révélé positif. Nous n'avons pas adopté de mesures similaires à celles que nous prendrions en cas de foyer. Cependant, des mesures très proches ont été décidées, un périmètre de trois kilomètres ayant été déterminé autour des exploitations dans lesquelles des cheptels avaient été détenus ou en contact avec des animaux britanniques. Nous avons également mis en place un contrôle du mouvement des animaux et des personnes autour de ces lieux afin d'essayer d'enrayer une diffusion de la maladie.

En parallèle, le 6 mars, une décision générale d'interdiction des mouvements des animaux d'espèce sensible sur l'ensemble du territoire français a été prise. L'objectif du blocage des animaux consistait à essayer d'enrayer le développement éventuel de la maladie dans l'hypothèse d'une introduction sur notre territoire. Au niveau communautaire, une mesure identique a été instaurée le 8 mars.

Au cours de cette deuxième phase, nous avons abattu 50.000 animaux au total, principalement des ovins. Nous avons déterminé 22 périmètres de surveillance dans 12 départements français, autour des exploitations dans lesquelles des sérologies positives étaient apparues. En outre, nous avons enregistré 102 suspicions cliniques sur une période d'un mois et demi puisque le renforcement de notre réseau d'alerte en matière de fièvre aphteuse a engendré une vigilance supplémentaire non seulement des éleveurs mais également des vétérinaires. En année normale, moins d'une dizaine de cas sont décelés sur notre territoire.

Nous sommes alors rentrés dans une troisième étape, que nous aurions bien évidemment souhaité éviter. Cette étape coïncide avec la découverte de deux foyers de fièvre aphteuse sur le sol français. Fort heureusement, nous avons connu deux foyers seulement et espérons que l'ensemble des mesures prises permettra d'éviter l'émergence de nouveaux foyers. Chaque jour qui s'écoule nous conforte dans cette espérance mais nous restons extrêmement vigilants.

Le premier foyer a été déclaré dans la nuit du 12 au 13 mars. L'éleveur était basé à moins de 500 mètres d'un lieu dans lequel avaient été détenus des animaux d'origine britannique et pour lesquels des sérologies positives avaient été enregistrées. L'élevage se situait donc d'ores et déjà dans un périmètre de protection. Le propriétaire a décelé des signes cliniques sur deux de ses animaux. Le temps que le vétérinaire arrive, six animaux avaient été infectés. Très rapidement, les animaux concernés ont été abattus et un prélèvement a été effectué. Ce dernier a été conduit dans les plus brefs délais dans le laboratoire national de référence de Maisons-Alfort pour analyse. Quelques heures plus tard, dans la nuit, nous disposions des résultats. Toutefois, il a été décidé de procéder à l'abattage total du cheptel sans attendre les résultats pour diverses raisons. Nous avons considéré le contexte épidémiologique très particulier, le troupeau étant très proche d'un lieu ayant accueilli des moutons britanniques, ainsi que la symptomatologie rencontrée sur ces animaux et l'explosion du nombre d'animaux touchés en l'espace de quelques heures. En relation avec les experts, et en particulier avec le Professeur Gouraud de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, il a été décidé de procéder à l'abattage immédiat de la totalité du cheptel. Très rapidement, nous disposions d'une forte suspicion clinique. Le matin même, le foyer a été déclaré simultanément au Comité vétérinaire permanent dans lequel je siégeais, à l'Office internationale des épizooties, et à la population par communiqué de presse. En définitive, les animaux concernés ont été abattus, de même que les deux élevages de porcs situés dans la proximité immédiate du nuage de diffusion du virus ainsi qu'un certain nombre d'animaux ayant été au contact du cheptel.

M. Philippe Arnaud, Président - La première réaction consiste en l'abattage pour motif de précaution. Existe-t-il un fondement juridique permettant cette décision ?

Mme Isabelle Chmitelin - L'article L. 221 du code rural nous permet de prendre un certain nombre de mesures d'urgence en cas de risque grave pour la santé animale. Toutefois, il faut reconnaître que ces actes auraient normalement dû être fondés sur un arrêté conjoint du Ministre de l'Agriculture et du Ministre du Budget, conformément à la loi actuelle. Face à la situation dans laquelle nous nous trouvions, si nous avions dû attendre un arrêté conjoint des deux Ministres, la maladie se serait diffusée beaucoup plus largement et se serait traduite par les conséquences que l'on peut imaginer. Quoi qu'il en soit, il peut m'être reproché de ne pas avoir tenu compte du fondement juridique, mais l'éleveur était totalement conscient et consentant lorsqu'il a constaté l'apparition des symptômes sur ses animaux.

M. Dominique Braye - Nous pouvons également vous féliciter.

Mme Isabelle Chmitelin - J'estime qu'il s'agit d'une des leçons que nous pourrons tirer de cette crise à la lumière de l'expérience à laquelle nous avons été confrontés, y compris au plan du dispositif juridique.

M. Gérard Cornu - Les porcs ont-ils été abattus ?

Mme Isabelle Chmitelin - Les porcs ont effectivement été abattus lorsque le foyer a été confirmé. Le cheptel a été supprimé dans la nuit, en raison du contexte épidémiologique, de l'explosion de la maladie et de la forte suspicion. L'analyse a simplement corroboré une suspicion extrêmement forte. En revanche, l'abattage des porcs environnants s'est effectué dans les jours qui ont suivi, lorsque nous avons eu connaissance par l'AFSSA du nuage de diffusion possible du virus compte tenu des conditions climatiques.

Le deuxième foyer a été déclaré le 22 mars. Il a fait suite à une information qui nous a été transmise par la gendarmerie de la Mayenne. L'enquête conduite sur le négociant à bestiaux qui avait importé des ovins britanniques s'était révélée positive. Ce cheptel se trouvait à 500 mètres du premier foyer. L'enquête de gendarmerie a fait apparaître, à la lecture du facturier, une livraison d'animaux au cours de la période à risque à un dénommé Monsieur Pochon, qui se situe dans la Seine et Marne. Dès le 22 mars, les services vétérinaires de la Mayenne ont prévenu leurs collègues de Seine et Marne, qui, immédiatement, ont dépêché une délégation de deux vétérinaires sur place. Un des animaux du cheptel présentait des symptômes caractéristiques de la fièvre aphteuse. On peut s'étonner que l'éleveur n'ait pas lui-même signalé ces symptômes. Toutefois, l'élevage s'avérait être quelque peu cosmopolite. En effet, il comprenait 114 ovins, 118 bovins, 4 sangliers et 6 porcs. Des prélèvements ont immédiatement été effectués et ont été amenés l'après-midi même à l'Agence française de sécurité des aliments. L'intégralité des mesures a été prise : l'abattage de tous les animaux des espèces sensibles et mise en place des périmètres de 3 et 10 kilomètres prévus dans la réglementation communautaire et nationale.

Parallèlement à ces deux foyers et à la mise en place des mesures françaises qui sont, je vous le rappelle, fondées sur le droit communautaire, il faut également signaler que la Communauté Européenne a imposé à la France des mesures supplémentaires dites de sauvegarde, qui se sont appliquées à l'ensemble des départements français. Ces mesures permettaient, en fait, de distinguer deux zones : les départements autour desquels s'étaient constitués des foyers et le reste de la France. Dans un premier temps, le transport des animaux vivants sur l'ensemble du territoire français ainsi que le mouvement des animaux et des produits au sein des départements concernés étaient bloqués. Dans un second temps, ces mesures ont progressivement été levées. Je rentrerai dans les détails de ces opérations si vous le souhaitez mais je considère que la presse a relativement bien relaté le phénomène.

Je souhaiterais aborder la troisième phase de la crise, qui correspond à la levée progressive des mesures, même si la vigilance reste de mise. Cette étape se scinde en quatre volets.

Tout d'abord, je vous rappelle que nous avions mis en place des périmètres de restriction autour des endroits où étaient détenus des animaux britanniques s'étant révélés positifs à l'analyse. Ces mesures ont touché 22 exploitations dans une dizaine de départements. Très rapidement, nous avons levé un certain nombre de ces restrictions parce que les résultats se sont révélés négatifs. Vous savez que les analyses portant sur la fièvre aphteuse peuvent être de différents ordres. Il y a d'abord la recherche du virus en tant que tel, puis des recherches sérologiques au cours desquelles des anticorps sont recherchés. Pour ce faire, plusieurs techniques sont possibles, notamment deux, mais aucune n'est infaillible. Dans la première phase de la crise, nous avions recours à un test uniquement, l'AFSSA ne pouvant développer le second. Le fait de n'utiliser qu'un seul test s'est traduit par de nombreux cas positifs, qui se sont été ensuite révélés négatifs lorsque nous avons demandé à l'AFSSA d'effectuer un test différent sur ces sérums. De 22 exploitations, seules six sont demeurées positives aux deux tests.

En outre, lorsque la période d'observation de 30 jours des zones déterminées autour des foyers séropositifs, dans un périmètre de trois kilomètres, ne laissait pas apparaître de signe clinique de la maladie, les mesures ont été progressivement levées.

Par ailleurs, d'autres mesures traditionnelles prévues par le droit communautaire ont également été levées. A l'issue de 15 jours, la zone de trois kilomètres se fond dans la zone des dix kilomètres et 30 jours après l'abattage et la désinfection de l'exploitation affectée, la zone des dix kilomètres peut être levée. Il faut préciser, à ce stade, que des mesures additionnelles nous avaient été demandées par la Communauté Européenne. Il s'agissait de contrôles sérologiques dans la zone des dix kilomètres sur les animaux des espèces sensibles afin de vérifier que la maladie ne se soit pas diffusée. Nous avons procédé à ces contrôles. Compte tenu de l'expiration du délai et des résultats négatifs, nous avons été en mesure de lever l'ensemble des mesures autour du foyer de la Mayenne dès hier. Cette décision devrait être prise en décalé pour le foyer situé dans le département de la Seine et Marne.

Enfin, il est important de signaler que des mesures additionnelles persistent dans les départements voisins des foyers. Ces mesures sont également imposées par la Communauté Européenne, et prévoient des restrictions au mouvement des animaux dans les départements de l'Orne, de la Mayenne, et des trois départements de la région parisienne jouxtant la Seine et Marne. Ces mesures continueront à s'appliquer pour une période de 20 jours après la levée des périmètres de restriction.

Le troisième volet de la gestion de la crise s'est alors enclenché. Dès le 3 mars, l'Union Européenne a imposé des restrictions très importantes au mouvement d'animaux des espèces sensibles sur l'intégralité du territoire communautaire, y compris dans les régions qui n'avaient pas eu à connaître de foyer de fièvre aphteuse. Cette décision a été mal perçue par certains éleveurs, mais je tenais à rappeler qu'elle a été imposée à l'ensemble des pays de l'Union Européenne. Le 8 mars, une disposition très restrictive a été décidée, dans la mesure où seul était permis le transport direct des animaux à destination d'un abattoir ou d'un élevage sous réserve d'accord de l'élevage destinataire et des autorités sanitaires. Au fur et à mesure que la situation épidémiologique était plus maîtrisée, les règles communautaires se sont progressivement assouplies. Ainsi, le 26 mars, la collecte des animaux à destination des abattoirs a été autorisée, ces derniers ne pouvant plus fonctionner. Le 2 avril, nous avons dû instaurer l'obligation de résidence des animaux dans les élevages et l'obligation relative à la non-introduction des animaux pendant une certaine période avant tout mouvement d'animaux au sortir d'une exploitation. Cette restriction forte accompagnait l'assouplissement des mesures de collecte, qui ont été introduites le 11 avril, avec la collecte possible des animaux à destination d'un élevage. Il s'agissait d'une mesure très importante, notamment pour nos exportations d'animaux en direction de l'Italie, l'organisation de ce marché reposant sur un centre de rassemblement. Compte tenu de la décision communautaire et malgré la levée des mesures qui frappaient la France au 12 avril, si nous n'avions pas obtenu, au niveau du Comité vétérinaire permanent, un assouplissement de cette mesure, il n'aurait pas été possible d'ouvrir à nouveau nos marchés à l'exportation en raison d'un problème d'organisation matérielle.

D'autres mesures ont également permis de desserrer le dispositif. Notre but, au sein des discussions communautaires du Comité vétérinaire permanent, consistait à faire preuve d'une extrême transparence vis-à-vis de nos collègues européens. Ainsi, nous avons, systématiquement, non seulement divulgué l'ensemble des données concernant la situation épidémiologique sur notre territoire mais également présenté les mesures dont nous disposions. Un travail important de préparation des réunions a été fourni, en collaboration avec les services de la Commission européenne. Il visait à donner l'information directe aux comités vétérinaires permanents ainsi qu'à nos collègues des autres Etats membres. J'estime que cette collaboration et cette transparence totale nous ont permis d'une part de gagner la confiance de nos partenaires et d'autre part d'assouplir progressivement le dispositif mis en place. J'ai conscience des reproches de certains sur le manque de rapidité, mais il faut comprendre que nous étions dans une situation relativement difficile au niveau communautaire. En effet, nous comptions parmi les Etats membres les plus exposés au risque puisque nous avions reçu un lot très important d'animaux en provenance du Royaume-Uni pendant la période à risque. Par ailleurs, nous avions connu deux foyers sur notre territoire. Par conséquent, il nous était très difficile de demander la levée de mesures s'appliquant à l'ensemble des Etats membres. Nous avons essayé de procéder au mieux, compte tenu de ces contraintes.

Le quatrième volet est relatif aux restrictions des échanges intra-communautaires et à l'exportation des animaux vivants. Il s'agit de notre quatrième cheval de bataille car nous nous engageons maintenant, compte tenu de l'évolution favorable de notre situation sanitaire, à nouer des négociations non seulement avec nos collègues européens qui, parfois, adoptent des mesures plus restrictives que celles permises par le droit communautaire, mais également avec nos collègues des pays tiers. Ces discussions visent à leur démontrer que nous maîtrisons la situation sanitaire et que nous pourrons leur donner de réelles garanties sanitaires afin que reprennent les échanges d'animaux et des produits. Je ne vous cache pas que nous faisons face à une situation extrêmement difficile sur les marchés internationaux.

En guise de conclusion, je tiens à rappeler que nous ne sommes pas sortis de cette crise. La vigilance reste de mise. La situation n'est pas maîtrisée au Royaume-Uni et celle des Pays-Bas suscite de grandes incertitudes. Nous souhaitons que l'ensemble des acteurs reste vigilant. En effet, les opérateurs et les éleveurs sont en première ligne et doivent sonner l'alarme. S'il s'avère que cet épisode est derrière nous, ce que nous souhaitons tous, nous estimons que nous serons tenus de tirer l'ensemble des leçons de cette crise. A cet effet, nous avons d'ores et déjà, et peut-être prématurément, organisé un retour d'information de la part de nos services qui ont été fort mis à contribution au cours de cette crise. Je vous rappelle qu'ils avaient déjà été exposés au début de l'année 2001 à la mise en place des tests systématiques dans les abattoirs pour la recherche de l'ESB. La crise de la fièvre aphteuse vient s'ajouter à une crise quasiment permanente gérée par nos services. Nous avons soumis un questionnaire à chaque service, dont l'objectif est d'essayer d'organiser le retour d'expérience et tirer les leçons de l'expérience que nous avons vécue. S'il s'avère que des modifications d'ordre législatif, réglementaire ou organisationnel s'imposent, nous en tirerons les conséquences. Nous interviendrons afin d'améliorer le dispositif à venir, en matière de lutte contre la fièvre aphteuse et contre d'autres maladies animales qui peuvent s'introduire sur notre territoire national. Nous espérons tirer profit de cet épisode qui a durement mis à l'épreuve nos services. J'espère que l'avenir nous démontrera que nous avons géré correctement cette crise.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie. Ce rappel historique fut très précis et nous a indiqué quelles avaient été les premières mesures ainsi que celles qui sont entrées en vigueur et ont été diligentées par vos services. Je vous propose d'ouvrir les questions.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Votre exposé a clairement montré que, durant la période à risque, des animaux en provenance du Royaume-Uni, des ovins en l'occurrence, ont été introduits. Comment ces ovins étaient-ils identifiés ? Nous vivons une période sensible. Dans le cadre de l'Union européenne, il n'est pas envisageable de considérer que des animaux circulent sans disposer d'identification individuelle. En outre, les négociants important ces animaux disposaient-ils de toutes les compétences requises et de l'environnement susceptible d'assurer des conditions de sécurité ? L'affaire de la fièvre aphteuse fait clairement apparaître que l'absence de vaccination fait courir des risques permanents, compte tenu de l'importance des échanges d'animaux. Je vous rappelle ma première question. Comment les animaux étaient-ils identifiés ? Vous nous avez déclaré que des prélèvements sanguins ont été effectués, mais ils ne donnent pas nécessairement les meilleurs renseignements sur la provenance des animaux.

Mme Isabelle Chmitelin - Monsieur le Sénateur, je vous remercie. Votre question a de multiples facettes.

Je souhaiterais tout d'abord apporter une précision concernant la découverte du premier foyer dans la Mayenne. J'ai omis de préciser un élément épidémiologique : le négociant en bestiaux se trouvant à 500 mètres du foyer avait importé sept lots d'animaux en provenance d'un foyer du Royaume-Uni. Ces mouvements nous ont été notifiés par le système « ANIMO », et les autorités britanniques nous ont signalé plus tard que la maladie s'est déclarée a posteriori dans ce cheptel. Par conséquent, un suivi du mouvement des animaux existe. Il s'agit certes d'un suivi par lot, et non individuel. Il n'en demeure pas moins que le système communautaire nous a permis d'avoir connaissance des premiers endroits dans lesquels se trouvaient les animaux.

Cela étant dit, vous posez, Monsieur le Sénateur, une vraie question concernant l'identification des animaux, en particulier des ovins. Il est clair que ce système n'est pas aussi développé que le système d'identification et de traçabilité des bovins. Cela tient très certainement en partie à la faible durée de vie économique de ces animaux ainsi qu'aux coûts de la mise en place d'un système de traçabilité individuelle des ovins. Le système existant dans le cadre communautaire, qui est transposé au niveau français, ne repose pas sur un numéro d'identification individuel qui fait l'objet d'un enregistrement dans une base de donnée nationale, comme tel est le cas pour les bovins, mais sur une identification des ovins et un enregistrement au niveau des registres d'élevage. Les mouvements sont donc consignés uniquement dans les registres de chaque élevage et il n'existe pas de système nous permettant de connaître les mouvements d'animaux d'un élevage à un autre. Par ailleurs, étant considérées les failles du dispositif, qui concerne uniquement les éleveurs, les négociants ne sont pas inclus dans le système. Notre service ainsi que le Ministère sont conscients des problèmes qui peuvent être consécutifs à l'absence de traçabilité parfaite des animaux en question.

Je suis en mesure de vous déclarer, Monsieur le Sénateur, qu'un projet de décret sur l'identification des ovins est en cours. Il sera présenté à la Commission nationale d'identification le 9 mai et devrait ensuite être proposé au Conseil d'Etat. Le gouvernement a donc conscience des failles du dispositif actuel. Il ne faut pas pour autant conclure que ce défaut d'identification nous a empêché de réagir. En effet, nous avons été en mesure non seulement d'effectuer un certain nombre de contrôles du mouvement des cheptels mais également de procéder à une localisation des animaux importés.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je souhaiterais vous soumettre une deuxième interrogation. En 1991, une décision de non-vaccination a été prise. Au regard des articles parus dans la presse à l'époque, je constate que, même au niveau européen, les communautés scientifiques avaient à peine été consultées, cette décision s'appuyant sur des motifs économiques favorisant l'exportation. Tout au long de l'épidémie, l'argument économique était évoqué. L'examen des données concernant les exportations des animaux en provenance de l'Union Européenne permet de constater que trois pays sont concernés : la Nouvelle-Zélande, l'Amérique du Nord et l'Australie. Le bilan révèle que les échanges vers ces zones ont été très faibles. Je considère que la question qui va être posée aujourd'hui consiste à se demander si l'on perpétue ce principe de non-vaccination afin de répondre à des problèmes d'exportations qui sont, peut-être, imaginaires. Ne serait-il pas opportun de rétablir la vaccination ?

D'après les documents que j'ai pu étudier, il serait possible de mettre au point, d'ici peu, un vaccin qui permettrait de protéger soit l'ensemble des espèces dominantes, soit les bovins par exemple, dans la mesure où il a été constaté qu'une vaccination de ces animaux se traduit par une protection des autres races, qu'il s'agisse des porcins ou des ovins. Aujourd'hui, vous allez être confrontée, au niveau français mais également européen, à un nouveau choix et je souhaiterais connaître votre sentiment sur cette éventualité. Vous avez souligné qu'après la crise de l'ESB, qui avait plongé le consommateur dans un manque de confiance et dans l'incertitude, est apparue la fièvre aphteuse, qui s'est accompagnée de tous les clichés, notamment liés à la destruction des animaux. Si nous ne nous engageons pas par la suite dans la vaccination et que de tels épisodes sont amenés à se reproduire, je ne vois pas comment nous pourrions encourager nos concitoyens à manger de la viande bovine.

Je souhaiterais donc savoir quelle est la position du Ministère de l'Agriculture vis-à-vis d'une éventuelle vaccination. En outre, quel est votre sentiment par rapport aux exportations ?

Mme Isabelle Chmitelin - Monsieur le Sénateur, votre question porte essentiellement sur la vaccination et la politique instaurée en 1991. Je vous rappelle que cette décision a été prise dans la perspective de l'ouverture du marché unique en 1993. Dans ce contexte, il était indispensable que les Etats membres s'accordent sur une politique sanitaire commune vis-à-vis d'un certain nombre de risques sanitaires et, en premier lieu, face à la fièvre aphteuse. En effet, l'Union Européenne regroupait deux politiques différentes. Trois Etats membres basaient leur politique sanitaire uniquement sur l'abattage : le Royaume-Uni, l'Irlande et le Danemark. Les autres Etats membres avaient quant à eux recours à une vaccination systématique et annuelle de l'ensemble du cheptel bovin. En 1991, cette décision a fait l'objet de débats importants pour des raisons non seulement sanitaires, les maîtrises de fabrication des vaccins étant moins développées qu'aujourd'hui, mais également pour des raisons économiques et commerciales. Le choix de recours à une politique sanitaire au niveau européen a été préconisé, en estimant que le nombre de foyers avait été limité. Il faut reconnaître que le foyer que nous connaissons actuellement en Europe est exceptionnel tant par son ampleur que par le fait qu'il touche un pays qui n'a jamais vacciné et qui reste un fervent opposant à la politique vaccinale. La crise que nous venons de vivre est donc en tout point exceptionnelle et appelle à une réflexion. C'est la raison pour laquelle nous sommes très ouverts à débattre de nouveau de cette politique. J'estime qu'une politique, quelle qu'elle soit, doit périodiquement faire l'objet d'une réévaluation à la lumière des évolutions des connaissances scientifiques, d'un certain nombre de données économiques et de l'évolution de l'opinion publique. Vous avez fort justement fait état de ce dernier point, l'opinion publique de 2001 est différente de celle de 1991. Les préoccupations sociales de nos concitoyens doivent nécessairement être prises en considération. Nous sommes ouverts, et je puis vous assurer qu'une réflexion aura effectivement lieu au niveau non seulement national mais également communautaire, voire international.

Je souhaiterais vous apporter une précision quant à l'absence d'effet commercial positif de l'arrêt de la vaccination. De nombreux éléments ont circulé dans la presse, considérant que nous n'avons jamais exporté un plus grand nombre d'animaux ou de viande du fait de l'arrêt de la vaccination. Cette réflexion n'est pas totalement fondée. Mais le problème réside dans le fait que cela ne concernait pas la filière bovine mais essentiellement la filière porcine. Ainsi, le chiffre d'affaires à l'exportation vers trois pays d'Asie (le Japon, la Corée et Singapour) s'est établi à 250.000 francs pour l'année 1990 et s'est élevé à plus d'un milliard de francs en 2000. La mesure adoptée en 1991 s'est donc traduite par un effet très fort. Le secteur porcin est pleinement conscient de cet effet positif. Il est vrai que la filière bovine n'a pas bénéficié de l'ouverture des marchés escomptés, très certainement en raison de l'apparition de l'ESB. J'ai souvenir d'une délégation américaine qui s'est rendue en France en 1991 pour la reconnaissance du statut indemne de fièvre aphteuse, sans vaccination, de notre pays. Cette délégation était pleinement satisfaite de l'ensemble des éléments que nous leur avions présentés. Toutefois, à l'issue de la visite, l'expert américain nous a déclaré, sur un ton quelque peu ironique, que nous allions être reconnu indemnes de fièvre aphteuse mais que nous ne pourrions toujours pas exporter en raison de l'ESB.

M. Bernard Joly - Madame, j'aurais souhaité vous poser deux questions. Vous nous avez fait un exposé très rassurant, mais votre conclusion a suscité mon inquiétude. Il est possible que je n'aie pas saisi l'intégralité de vos propos. Il me semble que vous avez déclaré que les éleveurs maîtrisaient la situation mais que tel n'était pas le cas des négociants. Si c'est effectivement le cas, j'estime que la situation est extrêmement préoccupante dans la mesure où les négociants sont l'endroit où le contact entre les animaux est le plus important en France. Si nous ne les surveillons pas, j'estime que cela pourrait se traduire par des surprises de taille. Ma deuxième question est relative à la détérioration de l'image de marque des éleveurs français vis-à-vis des consommateurs. Après l'ESB, la fièvre aphteuse fait son apparition. Tenez-vous des discours rassurants à la presse, en annonçant les mesures prises telles que vous l'avez fait aujourd'hui ?

Mme Isabelle Chmitelin - S'agissant de mon intervention faisant suite à l'intervention de Monsieur le Sénateur Emorine sur l'absence de traçabilité parfaite des ovins, la question avait trait à l'identification. En ce qui concerne la situation sanitaire, j'ai déclaré qu'il fallait rester vigilant pour deux raisons. D'une part parce que la menace persiste de l'autre coté de la Manche, et qu'il existe des mouvements possibles de personnes et de produits. D'autre part, du fait de l'absence de traçabilité parfaite, nous avons identifié (au sens de « localisé ») la quasi-totalité des animaux qui avaient fait l'objet d'une introduction au cours de la période à risque. Toutefois, je tiens à être particulièrement claire, nous ne sommes pas certains d'avoir répertorié l'ensemble des animaux. En effet, nous avons été confrontés à une période particulièrement agitée en raison de la fête de l'Aid El Kebir, les animaux étant passés par des négociants qui ne sont pas traditionnels. En conséquence, nous pouvons espérer qu'une partie importante de ces animaux a été consommée à l'occasion de la fête musulmane mais nous n'en sommes pas persuadés. Compte tenu de la faible manifestation clinique de la maladie sur ces animaux, nous appelons à la vigilance. Nous continuerons à procéder à un certain nombre de contrôles sérologiques afin de nous assurer de l'absence de circulation du virus sur notre territoire.

Deux éléments doivent être différenciés. Le problème des négociants est d'ordre général. Dans le domaine sanitaire, nous suivons ces négociants. En ce qui concerne l'identification bovine, les négociants sont inclus dans le système général de traçabilité. S'agissant des ovins, de nombreuses mesures doivent être adoptées, nous y procéderons et traiterons de la question des intermédiaires. Toutefois, nous rencontrerons de grandes difficultés. Qui, dans sa propre famille, n'a pas quatre brebis qui tondent le gazon du jardin ? L'identification des ovins est un vaste problème.

M. Bernard Joly - Qu'en est-il de la diffusion de l'information auprès des consommateurs et des journalistes ?

Mme Isabelle Chmitelin - En ce qui concerne les consommateurs et les journalistes, quatre points presse ont été organisés depuis le début de la crise, le 21 février. Nous avons également mis en ligne un site Internet que nous tenons régulièrement à jour en diffusant l'ensemble des informations, par souci de recherche de la transparence. 19 communiqués de presse ont été diffusés par le Ministère sur cette question de la fièvre aphteuse. Des dossiers techniques ont été distribués par le cabinet du Ministre. La Directrice générale de l'alimentation, qui regrette d'ailleurs de ne pouvoir assister aujourd'hui à vos travaux, et moi-même avons participé à de nombreuses interviews télévisées sur le sujet. Par conséquent, j'estime que nous avons beaucoup communiqué sur la fièvre aphteuse. Toutefois, nous nous demandons si le fait de parler ne finit pas par générer une crainte plus importante de la part des consommateurs. Le manque d'information se traduit par une inquiétude des citoyens, qui craignent qu'on leur cache quelque chose. Si nous divulguons un trop grand nombre d'informations, ils considèrent que nous tentons de les rassurer mais que la situation est plus grave. En définitive, je pense que notre travail est assez difficile.

M. Philippe Arnaud, président - Je souhaiterais prolonger la question de Monsieur Joly. Existe-t-il des conditions particulières d'agrément pour être négociant ? Un quidam peut-il se déclarer négociant ?

M. Bernard Joly - Les propriétaires de moutons tondeurs de gazon sont-ils considérés comme des négociants ?

Mme Isabelle Chmitelin - Il est clair que ces personnes ne sont pas des négociants. Les négociants qui accueillent des animaux dans le cadre d'échanges intra-communautaires doivent faire l'objet d'un agrément. Au niveau des mouvements nationaux, tel n'est pas le cas.

M. Dominique Braye - Je souhaiterais vous remercier, Madame, pour votre exposé. Je tiens à signaler qu'en tant que vétérinaire et sénateur, j'ai particulièrement apprécié votre intervention, et ce même si j'appartiens à la majorité sénatoriale, qui ne désire pas forcément donner des gages au gouvernement. En dépit de cela, j'ai, pour ma part, particulièrement apprécié la manière dont la crise de la fièvre aphteuse a été traitée par notre pays. J'ai exercé la profession de vétérinaire durant 25 ans et fus responsable d'un abattoir.

Un point de votre exposé a suscité mon étonnement. Vous avez déclaré que l'avenir nous dira si nous avons eu raison. Je m'inscris en faux contre cette remarque. Le présent nous a confirmé que, jusqu'à ce jour, vous avez eu raison d'agir de la sorte. La situation actuelle est ce qu'elle est, personne ne peut préjuger de quoi demain sera fait. Il serait nécessaire de prendre d'autres dispositions si la situation évoluait d'une façon que nous ne souhaitons pas.

Je tiens à rappeler à mes collègues que, manifestement, le débat sur la vaccination engagé par Monsieur le Rapporteur Emorine est un sujet d'actualité. Nous allons procéder à des auditions de personnes prônant la vaccination, et je pense notamment à Monsieur Bailly, le Président du syndicat national des vétérinaires. En qualité de sénateurs, nous disposons d'une vision extérieure. Il sera difficile de nous faire une opinion si chacun défend sa vision parcellaire du problème. Il serait opportun qu'au sein de cette Commission, nous puissions avoir une vision globale de ce problème et non des avis émis au titre des éleveurs de bovins, de porcs, de moutons et des vétérinaires, ce qui nous empêcherait d'avoir une vision globale de la situation. Dans un tel contexte, nous ne remplirions pas notre rôle.

En outre, le gouvernement a, jusqu'à ce jour, su résister à l'émotionnel et trouver une position issue des connaissances scientifiques et d'une véritable réflexion sur le sujet.

Je souhaiterais poser une question concernant la vaccination. Dans l'état actuel des choses, est-il possible d'envisager au niveau mondial l'éradication à terme de la fièvre aphteuse ? Par ailleurs, j'estime que la position de 1991 consistant à interdire la vaccination a été adéquate, même si elle se heurtait aux positions des vétérinaires, notamment Monsieur Bailly, qui avait pris une position contraire au nom du SNVEL. Les dix années qui se sont écoulées ont confirmé la justesse de la position qui avait été prise contre l'avis d'un certain nombre de personnes, qui n'étaient pas forcément les mieux placées pour prendre les bonnes décisions. En effet, nul ne peut être à la fois juge et partie. Je tiens à rappeler que l'Europe a donné, me semble-t-il, l'autorisation à la Grande Bretagne de vacciner ses animaux compte tenu de la propagation de la maladie mais que ce pays membre s'y refuse toujours. Cela devrait nous interpeller d'autant plus que nous avons seulement connu, à ce jour, deux foyers de fièvre aphteuse.

Les relations entre le Ministère et la profession vétérinaire posent un véritable problème. A mon sens, la profession vétérinaire défend parfois certaines positions afin d'assurer sa survie matérielle. N'oubliez-pas, mes chers collègues, que le gouvernement bénéficie actuellement d'un véritable réseau d'épidémio-surveillance gratuit sur le territoire français qui est constitué de vétérinaires libéraux. Il leur est demandé de délivrer des laissez-passer sans pour autant ausculter les animaux pour qu'ils ne soient pas payés, ce qui est dramatique. Des vétérinaires doivent se lever à 4 heures 30 du matin pour aller faire des inspections ante-mortem dans les abattoirs et sont rémunérés 85 francs de l'heure. Il est normal qu'ils soient désappointés. J'interpellerai le Ministre sur ce sujet, et souhaite qu'un nouveau contrat social, moral et économique entre l'Etat et la profession vétérinaire soit instauré.

Enfin, il faut garder en mémoire que la quasi-totalité des vétérinaires ruraux survit actuellement par le biais de leur activité canine. Pour autant, nous les mettons à rude épreuve à travers ce réseau d'épidémio-surveillance. En parallèle, il est important de rappeler que l'Etat ne fait absolument pas respecter la législation sur la pharmacie vétérinaire, ce qui porte un lourd préjudice aux vétérinaires ci-nommés. On ne peut demander aux vétérinaires d'effectuer un certain nombre de tâches pour lesquelles on les paie de façon indécente et compter sur eux de manière permanente pour assurer ce rôle d'épidémio-surveillance, qui a été, me semble-t-il, déterminant au moment de cette crise, comme lors des précédentes.

Mme Isabelle Chmitelin - Concernant votre dernière question, qui est certes collatérale mais néanmoins importante, je souhaiterais rappeler que la propagation de la maladie en France a été maîtrisée (nous n'avons eu à déplorer que deux foyers) grâce à l'intervention de tous, non seulement des agents des services vétérinaires, mais également des vétérinaires sanitaires et des GDS. Nous ne sommes rien les uns sans les autres. Le système sanitaire français fonctionne parce qu'il repose sur ce réseau, qui implique différents acteurs de terrain. Je puis vous assurer, pour avoir travaillé à l'international, que ce type d'organisation nous est envié. Au niveau du Ministère de l'Agriculture, nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour tenter de maintenir ce réseau de relations. Il faut reconnaître que ces dernières ne sont pas toujours aisées mais les acteurs se parlent entre eux, tant au niveau des départements qu'au niveau central. En effet, nous avons des réunions régulières avec la FNDS, le SNVEL ou la SNGTV. Le futur réseau sanitaire bovin, en cours de constitution, formalisera ce réseau d'épidémio-surveillance. Nous espérons qu'il sera opérationnel à l'occasion de la prochaine campagne de prophylaxie. Je tiens à ce que vous sachiez, Monsieur le Sénateur, que vos préoccupations sont également les nôtres. Le maillage national en matière vétérinaire sanitaire est une préoccupation quotidienne de nos services. Nous savons pertinemment que la suppression de la présence sur le territoire nous rendrait faibles. Dès lors, la situation rencontrée aujourd'hui par le Royaume-Uni pourrait exister en France si nous ne parvenons pas à maintenir ce réseau actif. Vos préoccupations coïncident avec les nôtres et nous travaillons en ce sens. Je puis vous affirmer qu'un certain nombre de décisions dans le domaine sanitaire, autant au niveau de l'ESB que pour la fièvre aphteuse, est pris de manière à maintenir le réseau actif. Nous avons adopté de nombreuses mesures afin de maintenir ce réseau. En outre, je me suis personnellement rendue à l'Assemblée générale de la SNVEL il y a un mois et j'ai tenu le même discours. Nous allons tenter de maintenir les relations avec la profession vétérinaire.

En tant que membre de la profession vétérinaire, comme tel est également mon cas, vous avez connaissance de la difficulté de gestion de cette profession dans la mesure où elle est composée d'individus éprouvant des difficultés à travailler ensemble car il s'agit d'une profession libérale. Le fait de disposer d'un retour actif de l'ensemble des actions sanitaires globales est un défi pour la profession vétérinaire, mais également pour nos services. Le contact avec ce corps de métier est maintenu.

Concernant la politique vaccinale dont vous faisiez état, je me félicite de constater que vous avez supporté la politique mise en place à l'occasion de cet épisode. Je souhaiterais ajouter un point que je n'ai pas abordé lors de mon exposé. Si nous nous étions trouvés en 2001 dans la situation d'avant 1991, nous aurions tout de même été confrontés à un problème. En effet, les ovins, qui n'étaient pas vaccinés en 1991, auraient dû être abattus. En outre, les bovins ont révélé la maladie. S'ils avaient été vaccinés, nous n'aurions pas pu découvrir l'apparition de la maladie. Par ailleurs, ces animaux auraient éventuellement pu participer à la circulation du virus.

M. Dominique Braye - Pourriez-vous indiquer à la Commission les avantages économiques découlant de l'attribution de pays indemne ?

Mme Isabelle Chmitelin - Il existe différents statuts au regard du droit international et en particulier au niveau du code zoosanitaire de l'OIE. Un pays peut être soit infecté par la fièvre aphteuse, soit indemne avec vaccination, soit indemne sans vaccination. Il existe donc une gradation dans les possibilités d'échange entre les pays. Un état appartenant à la catégorie indemne sans vaccination est en droit de n'importer que des animaux et des produits originaires d'un pays présentant la même caractéristique. Comme le monde est divisé entre ces différentes catégories, l'accès à un certain nombre de marchés est limité pour un pays indemne avec vaccination ou infecté. Cette différenciation est établie par le code zoosanitaire de l'OIE mais est susceptible d'évoluer. J'espère que votre Commission accueillera son Directeur général basé à Paris, qui vous expliquera, avec force de détails et avec le franc parler qui le caractérise, les conséquences de cette graduation. S'agissant des chiffres et de l'impact économique, Monsieur Gueudard, le Directeur de l'OFIVAL, fera preuve de compétence pour vous exposer les raisons pour lesquelles certains marchés se sont fermés.

Je puis toutefois vous indiquer que le fait de déclarer un foyer se traduit par une fermeture des marchés, non seulement sur les produits des espèces sensibles mais également pour d'autres produits, tels que la volaille ou la pêche dans la mesure où certains pays ont du mal à intégrer un certain nombre de règles internationales.

Vous aviez également une autre question portant sur la possibilité d'éradication de la maladie au niveau mondial. Cet objectif est certes très ambitieux, mais il est envisageable sur le long terme sous réserve de dégager les moyens économiques qui s'imposent. En qualité de vétérinaire, vous avez connaissance de l'existence des plans d'éradication qui passent par l'application d'une politique vaccinale puis qui s'engagent dans une politique sanitaire, qui correspond à l'absence de vaccination et l'élimination des animaux positifs. Toutefois, cette politique a un coût. La fièvre aphteuse sévit malheureusement dans de nombreux Etats, principalement dans les pays en développement, qui auront du mal à s'engager dans cette voie sans disposer d'un soutien fort de la part des pays industrialisés. L'Union Européenne contribue à ce projet par souci d'assistance technique et de protection. En effet, la Commission européenne de lutte européenne contre la fièvre aphteuse, siégeant à la FAO à Rome, a développé des programmes pour éradiquer la fièvre aphteuse au sein de l'Europe et aider les pays à lutter contre la maladie. Grâce à des fonds communautaires, la Commission met en place des programmes de vaccins dans les régions périphériques de l'Europe. Je souhaiterais néanmoins ajouter un bémol à cette possibilité d'éradication au niveau mondial de la maladie. L'existence de réservoir sauvage dans certaines espèces est possible. En définitive, tout est envisageable, mais il s'agit de s'en donner les moyens sur le long terme.

M. Philippe Arnaud, président - Votre conclusion me permet de revenir sur le sujet des porcins. En effet, nous avons traité des bovins et des ovins, et non des porcins. Cette espèce est sensible et je souhaitais vous demander quelles étaient les mesures qui pourraient éventuellement être envisagées si un plan d'éradication était mis en oeuvre pour traiter les espèces sauvages qui, par définition, sont des vecteurs incontrôlables.

Mme Isabelle Chmitelin - J'estime qu'il faut avant tout éviter que la maladie ne se transmette à la population sauvage. Dans un tel cas de figure, la situation serait catastrophique. Afin de ne pas faire face à cette éventualité, il s'agit de mettre en oeuvre des mesures de précaution ou des battues. De nombreuses solutions sont envisageables.

M. Philippe Arnaud, président - Qu'en est-il de la traçabilité des porcins ?

Mme Isabelle Chmitelin - Le porcin est très sensible et extrêmement excréteur, ce qui nous incite à porter une attention particulière à l'évolution de la situation au Royaume-Uni. Le fait que le virus n'ait pas atteint la filière porcine dans ce pays est une source de soulagement dans la mesure où cette espèce participe activement à la diffusion des virus. Je tiens à relativiser le problème en indiquant que l'organisation actuelle de l'élevage porcin se traduit par une faible liberté de mouvement des animaux, l'élevage étant intégré et hors sol.

M. Gérard Cornu - Les sangliers sont toutefois en liberté.

Mme Isabelle Chmitelin - Les échanges commerciaux de sangliers sont faibles. Les porcins circulent, mais l'atmosphère des élevages est relativement confinée, au sein d'exploitations hors sol. Il faut noter que nous devrons adapter notre politique de lutte aux nouveaux modes d'élevage qui se développent, comme les élevages en plein air ou bio.

M. Gérard Cornu - Je ferai preuve de candeur. La fièvre aphteuse n'est apparemment pas dangereuse pour l'homme. Dès lors, pourquoi l'être humain ne consomme-t-il pas de la viande infectée ? Pour quelle raison des mesures draconiennes sont-elles prises ? En outre, le virus est très contagieux mais est-il également résistant ? Vous aurez constaté que je me place du côté du consommateur.

Mme Isabelle Chmitelin - En ce qui concerne le consommateur, vous avez clairement résumé le problème. La fièvre aphteuse n'est pas un problème de santé publique mais de santé animale. La maladie pourrait être véhiculée par les produits. La commercialisation de viande d'animaux infectés de fièvre aphteuse se traduirait d'une part par une certaine réticence des consommateurs ; d'autre part, cela conduirait également à la multiplication des foyers potentiels si des déchets de cuisine sont, par inadvertance, donnés à un cochon ou jetés dans un champ dans lequel passe un sanglier. Le risque vis à vis de la santé animale limite les possibilités de commercialisation des produits non traités.

En ce qui concerne votre seconde question, le virus est connu depuis de nombreuses années. Il n'est pas résistant aux traitements thermiques et chimiques, mais persiste dans les cadavres. Par conséquent, les animaux sont détruits.

M. Gérard César - Votre exposé me paraît assez complet. Je m'interroge sur l'Europe. J'ai lu que les Länder allemands envisageaient de procéder à la vaccination. Quel est leur statut exact ? Si une région d'Espagne, comme la Catalogne, qui dispose d'une puissance financière colossale et qui est très indépendante vis-à-vis de son gouvernement, décide de recourir à la vaccination, qu'en est-il des autres pays européens ? Quels seraient les moyens utilisés pour mettre en oeuvre une politique vaccinale, au regard du principe d'harmonisation ? Par ailleurs, pensez-vous possible qu'un nouveau foyer soit décelé en France ?

Mme Isabelle Chmitelin - S'agissant de la politique vaccinale, la presse a effectivement indiqué que certains Länder allemands, notamment ceux qui sont situés à la frontière avec les Pays-Bas, avaient demandé la possibilité d'un recours à la vaccination. Cette requête a fait l'objet d'un débat important, y compris au sein même de l'Allemagne. Un débat assez houleux s'est instauré entre les deux Ministres de l'Agriculture, celle au niveau fédéral et celle au niveau du Land de Westphalie, ainsi qu'avec les autres Länder. Le niveau fédéral et les autres Länder avaient conscience que le fait que certaines régions aient recours à la vaccination serait susceptible de remettre en cause la totalité du statut du pays et de poser des problèmes à des exportateurs de porcs situés en Bavière par exemple. Le débat n'est pas tranché. Les Allemands devaient, théoriquement, soumettre leur requête au Comité vétérinaire permanent. Toutefois, la situation était assez insolite dans la mesure où le délégué allemand au Comité vétérinaire permanent était contre la vaccination mais devait demander au Comité la possibilité pour ce Land de vacciner. Le débat a été si intense en Allemagne que la question a été retirée de l'ordre du jour du Comité vétérinaire permanent.

S'agissant de l'Espagne, la Catalogne ne suscite, à mon sens, aucune inquiétude. J'estime que cette province a développé de grands élevages porcins destinés à l'exportation. Par conséquent, je ne pense pas qu'ils demandent que la possibilité de vacciner leur soit accordée.

Pour conclure sur ce sujet, je tiens à signaler qu'un pays membre de l'Union Européenne ne peut décider de lui-même de recourir à la vaccination. Il doit nécessairement engager une procédure communautaire. A l'heure actuelle, l'ensemble des Etats membres ont réaffirmé dans les conclusions du dernier Conseil agricole qu'il n'y avait pas de dogme face à la vaccination mais qu'un temps de réflexion était nécessaire. Elle sera menée au niveau communautaire à la lumière des résultats de la crise et de l'évolution des connaissances scientifiques. Il faut également souligner que l'Europe a un certain poids dans le domaine de l'agriculture.

Concernant votre deuxième question, je vous confie que l'apparition d'un nouveau foyer est mon angoisse quotidienne ainsi que celle de mes collègues. Pour cette raison, nous ne pouvons pas plaider à l'heure actuelle en faveur d'une levée de l'intégralité des mesures, en particulier de la libéralisation totale des mouvements des animaux. Nous souhaitons continuer à maintenir un système relativement directif, administratif selon certains, permettant de réagir dans les plus brefs délais en cas d'apparition d'un foyer pour retracer l'ensemble des mouvements et agir de manière chirurgicale et non pas de manière large. Cela permet d'éviter les abatages massifs.

M. Gérard César - Les mesures n'ont-elles pas de délais ?

Mme Isabelle Chmitelin - Les moutons importés qui sont susceptibles d'avoir échappé à notre vigilance sont guéris. En revanche, ils ont été en contact avec d'autres animaux et sont susceptibles d'avoir transmis la maladie à d'autres animaux en particulier dans la population ovine, ce qui est notre crainte. Je céderai la parole à Monsieur Coustel, qui maîtrise davantage ce sujet.

M. Gérard Coustel - Je tiens à nuancer vos propos. Le temps qui passe nous rassure quelque peu. Depuis fin février, aucun mouton d'origine britannique n'a été introduit sur notre territoire. Nous pouvons supposer que le relais qui aurait permis d'extérioriser la maladie aurait d'ores et déjà été décelé. Nous faisons donc preuve d'une sérénité relative. En revanche, nous pouvons nous inquiéter de l'évolution de la fièvre aphteuse en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas. Il serait envisageable qu'une réelle augmentation de la contamination provienne des vecteurs de mouvements de marchandises ou de personnes en direction de notre pays, qui seraient porteurs passifs du virus.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Comment les éleveurs sont-ils indemnisés dans le cadre d'un abattage des troupeaux ? De quelle manière l'immobilisation des animaux est-elle prise en compte pour les élevages qui sont à la périphérie des foyers ? L'indemnisation des éleveurs porte sur les cheptels. Le manque à gagner au cours de la période de reconstitution des cheptels est-il pris en compte dans l'indemnisation ?

Mme Isabelle Chmitelin - L'Etat indemnise les pertes directes liées à l'application de l'ensemble des mesures de police sanitaire dans les foyers. Ainsi, les mesures d'abattage, de désinfection, de destruction, les frais d'analyse, les frais vétérinaires, la rémunération des experts procédant à l'évaluation du coût des animaux ainsi que le dédommagement des éleveurs pour la perte des animaux sont pris en charge par l'Etat. L'indemnisation des pertes directes des différents acteurs a été définie dans le cadre d'un arrêté ministériel et se concrétise sous forme de délégation de crédit par le biais de nos services.

M. Gérard César - Ces indemnisations sont-elles effectives ?

Mme Isabelle Chmitelin - Les indemnisations ont d'ores et déjà commencé. Il faut également préciser que la Communauté Européenne participe à hauteur de 60 % à l'indemnisation des pertes directes.

Pour ce qui concerne les pertes indirectes liées aux foyers, soit les pertes de production ou de commercialisation liées à l'immobilisation des animaux dans les périmètres de surveillance, les éleveurs étaient conscients de cette difficulté lors de la mise en place de la politique sanitaire en 1991. Par conséquent, ils ont constitué une caisse de péréquation qu'ils ont abondé pendant trois ans. Cette caisse est gérée par la FNGDS au niveau national et par les GDS au niveau de chaque département. Les éleveurs s'organisent et font appel à cette caisse pour l'indemnisation liée à l'immobilisation autour des foyers.

S'agissant des abattages et des mesures préventives prises autour des lieux dans lesquels des animaux ont été importés en provenance du Royaume-Uni, nous n'avions pas défini cette mesure d'abattage préventif dans le cadre d'un texte. Nous nous attèlerons à cette tâche afin de formaliser la situation. Toutefois, nous disposons d'ores et déjà d'un arrêté ministériel en date du 7 mars, qui a fixé les conditions d'indemnisation pour les pertes directes liées à l'abattage de ces animaux. Cet arrêté fixe un certain nombre de critères en fonction de la valeur des animaux et détermine un plafonnement pour les ovins. Cela pose un certain nombre de problèmes dans la mesure où les moutons importés et destinés à la fête de l'Aid El Kebir n'étaient pas onéreux à l'achat au Royaume-Uni. En outre, leur qualité sanitaire était également réduite, nos collègues s'étant rendu sur le terrain ont observé des animaux dans un piètre état au niveau physiologique mais qui, à la revente au destinataire final, valaient très cher.

M. Louis Grillot - Je vous remercie, Madame, de nous avoir présenté cet exposé. Je souhaiterais vous soumettre une interrogation. Les animaux sauvages sont-ils aussi sensibles à la fièvre que les animaux domestiques ? J'avais 20 ans en 1952, date à laquelle l'épizootie de fièvre aphteuse touchait la quasi-totalité des élevages. A l'époque, notre territoire contenait une forte population de sangliers que nous chassions. Il ne me semble pas avoir eu connaissance d'informations selon lesquelles des chiens rattrapaient les sangliers affaiblis par la fièvre aphteuse. Nous n'avions pas réalisé que les animaux sauvages pouvaient développer la maladie aussi aisément que les animaux domestiques.

Mme Isabelle Chmitelin - Vous avez tout à fait raison. Il semblerait, jusqu'à présent, que les espèces sauvages soient beaucoup moins sensibles et relaient très peu l'infection.

Mme Brigitte Arbelot - Concernant les animaux sauvages, l'ONC (Office national de la chasse) nous a communiqué un document. Depuis le début du siècle et malgré les grandes épizooties en France, nous n'avons jamais observé de cas dans les réservoirs sauvages. Les espèces concernées sont les buffles africains et asiatiques. En fait, depuis le début des années 80, une enquête sérologique de l'ONC sur les animaux sauvages français a été menée. La contamination de la fièvre aphteuse par le biais de ces espèces n'a pas été mise en évidence. Il semble que ce mode de transmission de la maladie puisse a priori être écarté en Europe.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez rappelé que certaines mesures étaient prises en charge, par exemple pour les éleveurs, au niveau de leur groupement secondaire. Une mutualisation existe. Les négociants bénéficient-ils de ces dispositifs ?

Mme Isabelle Chmitelin - A ma connaissance, tel n'est pas le cas. Seuls les adhérents bénéficient de la caisse de péréquation.

M. Philippe Arnaud, président - Les négociants ne sont pas adhérents des GDS et ne font donc l'objet d'aucune mesure.

Mme Isabelle Chmitelin - Il est clair qu'un certain nombre d'opérateurs économiques ont subi des pertes d'exploitation très importantes en raison de l'épisode que nous venons de vivre. Nous pouvons évoquer les négociants mais également les transporteurs d'animaux, les abattoirs etc... Ces conséquences économiques font l'objet d'une analyse au sein des services du Ministère de l'Agriculture afin de déterminer dans quelle mesure un dispositif approprié de dédommagement pourrait être mis en place. J'estime que d'autres intervenants s'exprimant à cette tribune seront plus à aptes à répondre à cette question, qui est davantage d'ordre économique que sanitaire.

M. Philippe Arnaud, président - Il est évident qu'une telle épizootie a des effets non seulement sur les éleveurs mais également sur l'ensemble de la filière économique (abattoirs, négociants...). Aujourd'hui, une partie de la filière n'est pas prise en compte dans les perspectives d'indemnisation.

Mme Isabelle Chmitelin - La Direction à laquelle j'appartiens décide des mesures sanitaires appropriées afin d'endiguer au plus tôt une maladie et éviter qu'elle ne se développe. En ce qui concerne les conséquences directes des mesures que nous prenons, les modalités d'indemnisation sont prévues par les textes sanitaires. Toutefois, s'agissant des pertes indirectes, les textes n'apportent pas d'élément de réponse.

M. Louis Moinard - A titre d'exemple, concernant la fabrication des fromages, des pertes de clientèle durables sont imaginables, car il est possible de s'approvisionner ailleurs. Ce type de situation n'est actuellement pas pris en compte.

Mme Isabelle Chmitelin - Nos textes et dispositions sanitaires ne tiennent effectivement pas compte de ces conséquences indirectes. Toutefois, j'ai connaissance d'un certain nombre de demandes qui sont remontées auprès des services du Ministère de l'Agriculture, et qui sont actuellement à l'étude.

M. Philippe Arnaud, président - A combien d'années estimez-vous la reconstitution d'un cheptel, dans l'hypothèse d'une recrudescence de l'épizootie au Royaume-Uni et de propagation en France ? Si nous ne disposons pas d'actions préventives par le biais de la vaccination, le cheptel sera fortement détruit. Quel est le laps de temps nécessaire pour reconstituer ce cheptel ?

Mme Isabelle Chmitelin - Cette question est très difficile car cela dépendrait de l'étendue de la destruction dudit cheptel ainsi que d'autres éléments. Vous savez que nous abattons des troupeaux en raison de l'ESB. Si la moitié du cheptel français venait à disparaître, la perte serait durable car un certain nombre d'éleveurs abandonneraient leur activité.

M. Dominique Braye - J'estime que l'on peut considérer que la situation actuelle et les réactions des pouvoirs publics sont susceptibles d'évoluer du jour au lendemain. Des auditions porteront sur la vaccination, notamment « en anneau ». Il sera éventuellement nécessaire de nous fournir un éclairage sur ces positions. Il faudrait que nos collègues soient informés de ces questions et de leurs répercussions. Si nous souhaitons demeurer dans un statut de pays indemne, la vaccination « en anneau » devra entraîner un abattage massif des animaux.

Mme Isabelle Chmitelin - La vaccination en anneau s'effectue lorsque les capacités de destruction rapide dans les foyers sont jugées insuffisantes. Cette vaccination permet d'enrayer la diffusion du virus en faisant un écran de feu autour de la zone dans laquelle les animaux seront abattus. Au final, l'ensemble des animaux sera abattu, y compris de ceux qui ont été vaccinés. Il s'agit donc d'une vaccination suppressive.

M. Louis Moinard - Je considère que les orientations et les objectifs doivent s'adapter à la situation. Vu la densité de l'élevage en France, si nous étions confrontés à la situation de l'Angleterre, d'autres méthodes devraient être organisées.

Mme Isabelle Chmitelin - L'épizootie est véhiculée, au Royaume-Uni, par les moutons. Il faut noter que l'élevage moutonnier anglais est très spécifique. Je pense qu'il serait intéressant que votre Commission recueille les informations des contrôleurs généraux du Ministère de l'Agriculture qui se sont rendus au Royaume-Uni et ont constaté un certain nombre d'éléments sur le terrain. L'élevage des bovins au Royaume-Uni correspond à un élevage cueillette, les moutons étant clairsemés sur l'ensemble du territoire. La structure de l'élevage dans ce pays a peu de points communs avec la nôtre. Les structures de populations animales sont très différentes. Par conséquent, je ne pense pas que nous aurions été confrontés à un problème similaire à celui du Royaume-Uni.

M. Philippe Arnaud, président - Face à cette explication, et Monsieur Braye l'a très clairement exprimé, le problème du recours à la vaccination se pose dans les esprits. Il convient de disposer de l'ensemble des éclairages nécessaires afin d'y répondre. Nous entendrons de plus en plus d'interventions sur les vaccins marqués. Nous disposons d'ores et déjà de littérature sur ce sujet. Avez-vous un avis et quelques réflexions à nous soumettre sur les vaccinations marquées, qui seraient susceptibles d'éviter les confusions ? Je rappelle que l'épizootie de fièvre aphteuse ne se traduit pas par des problèmes de santé humaine.

Mme Isabelle Chmitelin - Les vaccins marqués, tout comme les tests qui y sont associés et qui permettent de distinguer les anticorps vaccinaux des anticorps infectieux, sont une perspective particulièrement intéressante pour l'avenir. Cet élément devra être pris en considération à l'occasion de la réévaluation du dispositif de lutte contre la fièvre aphteuse, qui devra être engagé à l'issue de cet épisode. Ceci étant dit, pour l'heure, ces vaccins sont en cours de développement. Ils n'ont pas, à ma connaissance, fait l'objet de reconnaissance au niveau international. Monsieur le Directeur général de l'OIE vous indiquera que les laboratoires développant ces vaccins n'ont toujours pas déposé de dossier de reconnaissance. Pour qu'ils puissent être utilisés et qu'ils présentent un bénéfice par rapport aux vaccins utilisés actuellement, leur reconnaissance internationale est indispensable. Il est également important que l'on soit en mesure de faire évoluer les conditions du commerce mondial en disposant d'une reconnaissance particulière pour les pays utilisant ce type de vaccin. Les perspectives sont donc intéressantes, mais la reconnaissance internationale est nécessaire.

M. Dominique Braye - Les vaccins marqués permettent aux animaux de ne pas être des porteurs sains de la fièvre aphteuse et donc les empêchent de diffuser la maladie.

Mme Isabelle Chmitelin - Cette question devra être abordée à l'occasion de l'évaluation scientifique des vaccins.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - J'ai lu que l'Union Européenne a décidé par le biais d'un vote du Parlement européen de demander la vaccination massive. Madame, en qualité de conseiller du Ministre, si un vaccin fabriquant des anticorps différents était susceptible d'être détecté, conseilleriez-vous au Ministre de s'engager sur la voie de la vaccination ou souhaiteriez-vous maintenir la situation actuelle ? La question se pose au niveau non seulement européen mais également national.

Mme Isabelle Chmitelin - La question se pose au niveau national, communautaire et international. Ces trois stades doivent être considérés. Nous ne pouvons pas changer de politique sans avoir, au préalable, évalué les conséquences du changement. Je peux vous répondre en vous indiquant que nous nous engagerons à réévaluer l'ensemble du dispositif, y compris en tenant compte de cette nouveauté scientifique qui nous permettrait éventuellement de revoir notre politique et de réintroduire la vaccination. Vous rappeliez fort justement que l'ensemble des espèces sensibles n'avait pas été vacciné. En effet, les porcins et les ovins n'étaient pas concernés. Dans le département du Finistère, aucune vaccination n'était appliquée. Tous ces éléments devront être réévalués.

La position de notre service, tout comme celle du Ministre, est ouverte. Nous voudrions réaffirmer notre crainte au début de la crise, la polémique sur la vaccination lorsque nous avons appliqué des mesures sanitaires nous ayant mis dans une situation fort délicate. J'avais déclaré que je ne souhaitais pas que cette polémique induise une non-application ou une mauvaise application de la politique sanitaire. Face à la situation à laquelle nous étions confrontés en France, nous estimions que les mesures de police sanitaire étaient pleinement justifiées et nous voulions qu'elles soient appliquées. Nous avions le sentiment que le débat sur la vaccination n'était pas opportun à ce moment précis et qu'il était susceptible d'engendrer un certain nombre de comportements qui auraient été contre-productifs en terme de maîtrise de la maladie.

M. Dominique Braye - Je suis tout à fait d'accord avec votre analyse, et ce même si je suis souvent assailli par les vétérinaires, qui sont soumis à la détresse psychologique et matérielle des éleveurs sur le terrain, ce qui a des conséquences très fortes sur leur situation personnelle. C'est la raison pour laquelle je déclare que l'Etat, qu'il soit de droite ou de gauche, ne rémunère pas cette profession à sa juste valeur. Un contrat moral a été élaboré en 1991, le Ministre de l'époque avait signifié qu'il donnerait aux vétérinaires des objectifs plus nobles. Aucun de ces engagements n'a été tenu. Vous savez aussi bien que moi que la profession vétérinaire est dans une situation, à mon sens légitime, de non-reconnaissance.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous constatons que les souches de la fièvre aphteuse sont différentes. Pensez-vous qu'une souche évolue d'une année sur l'autre ? Plusieurs années sont-elles nécessaires pour qu'une nouvelle souche apparaisse ?

Mme Isabelle Chmitelin - Je pense que vous pourrez poser cette question aux représentants de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, en particulier au Docteur Moutou qui est le scientifique compétent dans ce domaine. A ma connaissance, plusieurs souches de virus circulent au niveau mondial. Elles sont répertoriées au sein du laboratoire britannique de Pirbright, car les souches doivent être envoyées dans ce centre. Cela crée un certain nombre de difficultés dans la mesure où ce laboratoire est non seulement le laboratoire mondial de référence mais également le laboratoire national du Royaume-Uni. Actuellement, ses actions sont davantage tournées sur le Royaume-Uni que sur le reste du monde. Il a du mal à répondre, notamment lorsque nous lui demandons de nous fournir un certain nombre de réactifs pour procéder à nos propres analyses. Je pense que cette question sera abordée par d'autres intervenants au sein de votre Commission. Il s'agit d'une difficulté que nous avons rencontrée et qui a retardé l'obtention de résultats fiables, qui ont conduit à la mise sous surveillance de zones qui se sont avérées être négatives. Le laboratoire britannique recense l'intégralité des souches qui circulent dans le monde et nous remet un descriptif de l'ensemble de ces souches. Il faut signaler que ces dernières ne sont pas assimilables au virus de la grippe, par exemple, qui sévit sur l'ensemble du territoire mondial au cours d'une année puis change de forme l'année suivante. Les virus de la fièvre aphteuse, rencontrés en Afrique du Sud ou en Asie, sont clairement établis.

M. Philippe Arnaud, président - Au nom de mes collègues, il me reste à vous remercier, Madame, de votre contribution. Nous avons beaucoup apprécié la franchise de vos réponses concernant le dispositif qui a été mis en oeuvre. Nous vous sommes également reconnaissant d'avoir soulevé quelques points.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Pourrions-nous disposer de notes émanant de vos services, qui seraient mises à disposition au sein de notre secrétariat ?

Mme Isabelle Chmitelin - Vous m'aviez demandé une liste des personnalités ayant été en contact direct avec la problématique de la fièvre aphteuse. Je m'étais engagée à vous diffuser ce document. Vous trouverez sur cette liste l'ensemble des membres du Comité national de lutte contre les épizooties, ainsi que les personnalités au niveau communautaire.

M. Philippe Arnaud, président - Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre participation.

2. Audition de M. Frédéric Gueudar Delahaye, Directeur de l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL)

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons d'abord MM. Gueudar Delahaye et Angot qui représentent l'OFIVAL. Je vais maintenant laisser la parole à M. Gueudar Delahaye afin qu'il nous expose son opinion sur l'épizootie de fièvre aphteuse qui frappe la France. Quelles sont les incidences de cette maladie sur l'agriculture française pour l'OFIVAL ? Comment les percevez-vous ? Estimez-vous que nous avons pris les mesures appropriées pour lutter contre cette épizootie ? Faut-il prendre des mesures complémentaires, pour gérer la fin de la crise et empêcher qu'elle ne sévisse à nouveau ?

M. Gueudar Delahaye - Je suis accompagné de M. Angot, Directeur-adjoint de l'OFIVAL, en charge de la Mission d'Assistance à l'Exportation. Je vous rappelle que l'OFIVAL est chargée d'assurer le suivi économique des filières des viandes. Depuis le début de la crise de la fièvre aphteuse, c'est-à-dire depuis la fin du mois de février 2001, nous avons observé, en partenariat avec les organismes professionnels, l'impact de la crise sur le marché des viandes et l'incidence des mesures prises par le gouvernement. Je précise que nous avons mené cette analyse économique dans le cadre d'une cellule de crise, qui avait été mise en place à partir du mois de novembre 2000 afin de suivre la crise bovine liée à l'ESB. Nous avons jugé utile de confier le suivi des deux crises à une cellule unique, car les effets de la crise de la fièvre aphteuse se sont cumulés avec ceux de la crise de l'ESB, pour la filière bovine. En outre, pour les filières ovines et porcines, la fièvre aphteuse est apparue dans un contexte différent.

Je vous propose de dresser un bilan de la situation économique des différentes filières et des impacts économiques de la fièvre aphteuse sur le marché des viandes.

Les conséquences de la fièvre aphteuse sur les abattages :

Les abattages de bovins

Je vous rappelle que le premier cas de fièvre aphteuse est apparu, en France, durant la 11ème semaine de l'année 2001, c'est-à-dire entre le 12 et le 18 mars. L'apparition de l'épizootie s'est immédiatement accompagnée d'une baisse des abattages de bovins, alors que, durant les semaines précédentes, l'abattage des bovins était en très forte hausse, malgré la crise de l'ESB. Après le 18 mars 2001, nous avons constaté que les abattages de bovins augmentaient de nouveau. Actuellement, le niveau d'abattage est supérieur à celui du mois d'avril 2000.

La baisse des abattages de bovins enregistrée durant la 11ème semaine de l'année 2001 résulte des difficultés d'approvisionnement des abattoirs. Ces derniers ont dû mettre en place des circuits spécifiques d'approvisionnement, car les rassemblements d'animaux étaient interdits dès que le premier cas de fièvre aphteuse a été découvert sur le territoire national.

Les abattages de porcs et d'ovins

Force est de constater que l'apparition de l'épizootie a eu un effet direct sur l'abattage des porcins et des ovins. En effet, l'abattage des porcs a régressé de 14 % au mois de mars 2001 par rapport au mois de mars 2000. En effet, les animaux sont restés plus longtemps dans les élevages en attendant de pouvoir être abattus. Quant aux ovins, le niveau d'abattage a baissé de 6 % par rapport au mois de mars 2000.

Les conséquences de l'épizootie sur la consommation

Nous avons constaté une baisse de la consommation de viande de mouton particulièrement importante, dès le mois de février 2001, c'est-à-dire dès l'apparition de la fièvre aphteuse en Europe. Cette évolution ne résulte pas d'une désaffection des consommateurs pour la viande ovine, mais d'une carence en viande de mouton sur le marché français. En effet, la moitié de la viande ovine consommée en France provenant de Grande-Bretagne, l'interdiction d'importation de viande ovine britannique a induit une raréfaction de l'offre sur le marché français, provoquant une hausse des prix et une chute de la consommation.

Les cours de la viande ovine ont considérablement augmenté entre l'apparition de l'épizootie en Grande-Bretagne et le premier cas de fièvre aphteuse en France. Ensuite, les cours ont légèrement baissé, car les images des bûchers de mouton, en Grande-Bretagne, ont dévalorisé l'image de cette viande auprès des consommateurs français. Par ailleurs, les cours des viandes des autres espèces n'ont pas été influencés par la crise de la fièvre aphteuse, y compris pour la viande de boeuf, dont la fluctuation du cours est imputable à la crise de l'ESB.

Les conséquences de la fièvre aphteuse sur les échanges

Les exportations d'animaux vivants

Si l'apparition de l'épizootie n'a pas eu d'impact significatif sur la consommation, hormis de viande de mouton, elle a eu des conséquences non-négligeables sur les exportations d'animaux français vers les marchés européens. Je vous rappelle qu'entre le 14 mars et le 12 avril 2001, toutes exportations de boeufs et de moutons vivants ont été suspendues par les autorités européennes. Je vous signale d'ailleurs que l'Italie et l'Espagne n'ont toujours pas réouverts leur marché aux importations de viandes françaises. Les échanges entre ces deux pays et la France sont suspendus jusqu'au 18 mai 2001. Le marché italien étant le principal débouché pour nos exportations de viande bovine, nos échanges sont encore fortement pénalisés par l'épizootie. En outre, les échanges de porcs vivants entre la France et les pays européens ont légèrement baissé.

Les exportations de viande

Les exportations de viandes françaises ont également été suspendues entre le 23 mars et le 12 avril 2001. En mars 2000, les exportations de viandes bovine s'élevaient à 24 500 tonnes. Ensuite, elles ont été affectées par la crise de l'ESB. Bien que celle-ci ait atténué les effets de la fièvre aphteuse sur les exportations, nous estimons que la baisse des exportations de viande bovine induite par l'épizootie est de 6 000 tonnes.

Par ailleurs, les entreprises de transformation ont été obligées de modifier leurs approvisionnements, pour s'adapter aux perturbations des échanges de viande entre les états membres de l'Union européenne. Les entreprises de transformation de viande de porc ont, par exemple, recentré leur politique d'approvisionnement sur la production nationale. Ainsi, les effets négatifs de la crise de la fièvre aphteuse sur les exportations de veaux et de porcs ont été en partie compensées par l'accroissement de la demande intérieure. La baisse du cours du veau, survenue durant les mois de février et de mars 2001, a été enrayée à la fin du mois de mars, avant de s'orienter à la hausse lorsque les autorités françaises ont interdit les importations de veaux néerlandais, à la suite de la découverte de cas de fièvre aphteuse au Pays-Bas. En définitive, nous avons constaté l'existence d'une renationalisation du marché français de la viande plus ou moins marquée en fonction du niveau de dépendance des filières à l'égard des importations et des exportations.

Enfin, la fermeture des marchés des pays tiers, toujours en vigueur, a des conséquences significatives sur les exportations de porcs, dont le niveau était particulièrement élevé avant la crise de la fièvre aphteuse.

J'ai achevé de dresser le panorama des conséquences macroéconomiques de l'épizootie sur l'ensemble des filières nationales. Je vais maintenant laisser la parole à M. Angot, qui va revenir sur les conséquences de la crise de la fièvre aphteuse sur les échanges.

M. Angot - Les exportations de viande bovine

Force est de constater qu'il existe une grande interdépendance entre la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse. Lorsque cette dernière a éclaté, les Etats membres de l'Union européenne et les pays tiers ayant déjà décrété des embargos totaux ou partiels sur les exportations de viande, nous rencontrons davantage de difficultés pour évaluer l'impact direct de l'épizootie sur la consommation et sur les exportations.

Après l'apparition du premier cas de fièvre aphteuse en France, le 13 mars 2001, les exportations de viandes ont faiblement baissé, car l'épizootie n'a touché que les départements de l'Orne et de la Mayenne. Par ailleurs, les échanges d'animaux vivants étant déjà limités par la crise de l'ESB, l'impact de la fièvre aphteuse sur ces derniers a été faible. Je vous signale, par exemple, que l'Italie, la Grèce et l'Espagne avaient restreint leurs importations en fonction de l'âge des animaux importés de France.

Le second cas de fièvre aphteuse, survenu le 23 mars, en Seine-et-Marne, a été suivi de l'interdiction nationale d'exportation des viandes françaises dans la Communauté européenne.

Après la fin des embargos relatifs à l'ESB, conformément aux dispositions communautaires relatives à la fièvre aphteuse, les exportations de viande bovine française ont repris, notamment vers l'Italie et vers la Grèce. Néanmoins, de nouvelles mesures communautaires imposant le retrait des colonnes vertébrales afin de prévenir tout risque lié à l'ESB limitent la reprise des échanges de viande bovine entre la France et l'Italie, la Grèce et l'Espagne. J'insiste sur le fait que nos exportations de viandes pâtissent d'une interdépendance étroite entre la crise de l'ESB et celle de la fièvre aphteuse.

Enfin, les Italiens, les Espagnols et les Grecs ont annoncé que les importations de bovins vivants français reprendraient à partir du 18 mai 2001. Je vous rappelle que les autorités européennes avaient autorisé la reprise des échanges à partir du 12 avril 2001. Toutefois, cette date étant indicative, les pays importateurs de viande bovine française peuvent choisir librement la date de reprise des échanges d'animaux vivants avec la France.

L'impact de la fièvre aphteuse sur les exportations de viande bovine vers les pays tiers est faible, car ces derniers étaient déjà fermés à nos exportations dans le cadre des mesures préventives liées à l'ESB. Je vous signale que le principal pays importateur de viande bovine française est la Russie.

2. Les échanges de viande de porc

Les échanges de viande porcine ont été fortement pénalisés par l'interdiction du 23 mars 2001 d'exporter des viandes françaises. Cette mesure a eu un impact significatif sur nos exportations de viande porcine vers l'Italie et l'Allemagne, qui sont nos deux principaux états clients au sein de l'Union européenne, ainsi que vers le Japon, la Corée et la Russie qui sont nos principaux débouchés dans les pays tiers. La crise de la fièvre aphteuse a, en effet, arrêté brutalement le développement des échanges de viande porcine avec le Japon et la Corée amorcés depuis déjà deux ou trois ans. Les exportations vers le Japon et la Corée, par exemple, représentaient (en cumulé) environ 2 milliards de francs. Celles-ci portaient essentiellement sur la poitrine de porc (Corée) et le coeur de longe (Japon).

Si la France respecte scrupuleusement les règles édictées par l'Office International des Epizooties (OIE), le statut « indemne de fièvre aphteuse », qui conditionne la reprise des exportations de viande de porc, sera retrouvé, au plus tôt, trois mois après le dernier cas de fièvre aphteuse sur le territoire. Par conséquent, nous devrons attendre le 23 juin 2001 pour envisager la reprise de nos exportations de viande porcine vers les marchés russe, japonais et coréen. Néanmoins, la mission coréenne que nous avons reçue au début de la semaine envisageait d'attendre la réunion de la Commission Fièvre Aphteuse de l'OIE, qui se tiendra au mois de septembre 2001, pour autoriser la reprise des importations de viande porcine française. Si les exportations reprennent à partir du 23 juin 2001, nous évaluons le manque à gagner à 320 millions de francs. Or la reprise des échanges interviendra vraisemblablement plus tard.

Par ailleurs, je vous signale que si nous avions vacciné les animaux, nous aurions retrouvé le statut « indemne de fièvre aphteuse » seulement deux ans après le dernier cas. J'ajouterais enfin que l'interdiction d'exporter la viande porcine au sein de l'Union européenne n'ayant duré que 15 jours, son incidence commerciale a été faible.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie. Nous allons maintenant vous posez quelques questions complémentaires.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez établi que les conséquences économiques de la fièvre aphteuse se conjuguaient à celles de l'ESB. Néanmoins, l'OFIVAL a-t-il dressé une estimation précise des conséquences économiques uniquement induites par la fièvre aphteuse ? Je pense qu'il est possible d'évaluer les ventes qui auraient pu être réalisées depuis le mois d'octobre ou de novembre 2000 en l'absence d'ESB et de fièvre aphteuse et de les comparer aux ventes réelles. Vous pourriez ainsi apprécier la chute des ventes entraînée par l'apparition de l'ESB et par les restrictions relatives à l'épizootie. Je pense qu'il est impératif d'évaluer l'incidence économique de ces deux maladies sur le monde l'élevage, afin de soutenir les éleveurs, qui se trouvent actuellement dans une profonde détresse. En effet, les jeunes agriculteurs qui se sont endettés ne disposent plus de trésorerie suffisante pour assurer le fonctionnement de leur exploitation. La mission d'information sur l'épizootie de fièvre aphteuse doit donc connaître les conséquences économiques de cette épizootie sur notre agriculture.

Par ailleurs, M. Angot, qui s'occupe plus particulièrement des exportations, a indiqué que si nous avions vacciné nos animaux, la France n'aurait pas eu le droit d'exporter ses animaux durant deux ans. Je ne vais pas vous demander immédiatement votre opinion sur la vaccination des animaux contre la fièvre aphteuse. Toutefois, pourriez-vous vous me confirmiez que seuls les pays d'Amérique du Nord, l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont interdit les importations d'animaux vaccinés, notamment des bovins ? Par conséquent, si nous disposions d'un vaccin traçable, pourrions-nous autoriser la vaccination des animaux d'élevage contre la fièvre aphteuse ?

M. Frédéric Gueudar Delahaye - Je vais répondre à votre première question. Vous avez effectivement rappelé que l'évaluation des conséquences économiques de la fièvre aphteuse sur le monde de l'élevage français n'est pas aisée à dresser, car la crise de la fièvre aphteuse s'est superposée à celle de l'ESB. Par conséquent, les conséquences de ces deux crises se sont cumulées.

En outre, les filières porcine et ovine, qui n'étaient pas affectées par la crise de l'ESB, ont enregistré une baisse de 14 % des abattages. Je précise néanmoins que cette baisse ne réduit pas les revenus des éleveurs, car leurs animaux seront abattus après la crise. En revanche, nous avons constaté que les prix ont baissé de 2 francs par kilo sur le marché au Cadran de Plévin, qui sert de référence au marché national du porc. Les prix du porc y sont effectivement passés de 12,6 francs le kilo, avant les mesures de prévention contre la fièvre aphteuse, à 10,5 francs. Aujourd'hui, le prix du kilo de porc est stabilisé autour de 10,5 francs. Je vous rappelle que le cours du porc était tombé à 5 francs en 1999. Par conséquent, une baisse de recette de 15 % est peu significative, car le cours du porc avait fortement augmenté lorsque les échanges de viande bovine ont été perturbés par la crise de l'ESB. Enfin, pour répondre à votre première question, la crise de la fièvre aphteuse a induit une baisse de 15 % des cours de la viande de porc.

Pour les ovins, le contexte est différent. Malgré une légère baisse du nombre d'abattages induite par les problèmes de collecte d'animaux vivants, les cours de la viande ovine ont fortement augmenté à cause de l'interdiction d'importer des moutons britanniques. La Grande-Bretagne étant le principal concurrent de la France sur le marché européen des ovins, l'arrêt des exportations de moutons britanniques a induit une hausse des prix de cette denrée, notamment à l'approche des fêtes pascales qui ont provoqué une forte augmentation de la demande. Par conséquent, l'impact macroéconomique de la crise de la fièvre aphteuse sur le marché de la viande ovine est globalement positif. Je précise néanmoins que cette analyse ne permet pas d'appréhender l'impact de l'épizootie sur la situation individuelle de chaque éleveur, en fonction de leur localisation géographique et des difficultés particulières auxquelles ils sont confrontés. En effet, les négociants ont plus ou moins hésité à collecter les animaux en fonction de la distance qui sépare l'exploitation de l'abattoir et en fonction de la taille de l'élevage. Ainsi, un élevage disposant d'un important cheptel n'a pas été aussi affecté qu'un petit élevage par les mesures de restriction de rassemblement et de collecte des animaux.

Par ailleurs, l'analyse macroéconomique des conséquences de la crise de la fièvre aphteuse est plus difficile à mener sur la filière bovine. Nous avons enregistré une baisse de 7 % des abattages par rapport à l'année précédente, durant la première semaine qui a suivi le premier cas de fièvre aphteuse sur le territoire national, de 10 % la deuxième semaine et de 7 % la troisième semaine. Or durant cette période, certaines interventions utilisées dans la gestion du marché ayant été suspendues, nous ne pouvons pas déterminer si ces baisses résultent de la crise de la fièvre aphteuse ou de la crise bovine. Nous constatons une baisse des abattages de bovins de 10 % par semaine, par rapport à l'an 2000, durant les trois semaines qui ont suivi l'apparition du premier cas de fièvre aphteuse en France, sans pouvoir en déterminer les causes exactes. Je vous rappelle que durant les deux semaines précédant l'apparition de l'épizootie, le taux d'abattage des bovins avait progressé respectivement de + 7 % et de + 17 %. Après trois semaines consécutives de baisse du niveau d'abattage, ce dernier a enregistré une nouvelle croissance oscillant entre +5 % et + 10 % par semaine.

En outre, nous avons essayé d'évaluer les pertes supportées, d'une part, par les éleveurs et, d'autre part, par l'ensemble de la filière, notamment par les négociants et par les entreprises d'abattage. Nous avons chiffré les pertes d'activité des marchés directement liées à l'épizootie à environ 560 000 francs par semaine, car ces derniers ont été fermés. Nous avons également enregistré une perte de chiffre d'affaires sur les exportations, car celles-ci ont été interdites durant la crise. Pour évaluer les répercussions de l'interdiction totale d'exporter des viandes bovines françaises, nous avons préalablement déterminé un chiffre d'affaires annuel moyen, qui s'élève à environ 4,9 milliards de francs. Par conséquent, l'arrêt total des exportations correspond à 1/52ème du chiffre d'affaires annuel moyen, auquel nous devons ajouter les frais fixes pesant sur les négociants. Néanmoins, nous émettons quelques réserves sur la valeur des chiffres que nous obtenons par cette méthode de calcul, car nous comparons une situation de crise à une période d'activité normale et nous ne pouvons donc pas isoler la part de la perte liée à la fièvre aphteuse de celle liée à la crise préexistante de l'ESB.

Enfin, les répercussions économiques de la fièvre aphteuse sur les abatteurs sont plus difficiles à estimer, car certaines entreprises d'abattage bénéficiaient d'un environnement plus favorable que leurs concurrentes pour collecter des animaux, ou étaient spécialisées sur des produits facilement collectables. Plus les acteurs se trouvent en aval de la filière bovine, plus nous rencontrons de difficultés pour estimer les pertes induites par la crise de la fièvre aphteuse, car celles-ci sont diluées dans d'autres paramètres.

J'ajouterais que nous ne pouvons pas chiffrer l'impact de cette épizootie sur le ramassage, car il est très variable, en fonction de la situation économique antérieure de l'entreprise, de sa situation géographique et des modes d'organisation retenus.

En définitive, l'approche macroéconomique globale des conséquences de la fièvre aphteuse sur la filière bovine est imprécise, car la situation est très variable en fonction des entreprises et des opérateurs.

M. Angot - Votre deuxième question concernait la vaccination. Je vous rappelle que la principale raison qui a poussé l'Union européenne à l'interdire est la conquête de la zone dite « propre », c'est-à-dire la possibilité d'exporter de la viande vers les pays qui ne sont pas touchés par la fièvre aphteuse et qui ne vaccinent pas leurs animaux, comme les pays d'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Japon et la Corée.

En outre, grâce à l'arrêt de la vaccination, la filière bovine française a gagné des parts de marchés dans les domaines de la génétique animale et de la viande bovine. Malheureusement, la crise de l'ESB a pénalisé les exportations de viande bovine. Ainsi, les pays que nous avions conquis entre 1992 et 1996 ont été perdus à cause de l'ESB. En revanche, nous avons poursuivi nos exportations de semences bovines et d'embryons bovins, car l'ESB ne se transmet pas par ces produits. Nous évaluons les exportations annuelles de semences et d'embryons à 120 millions de francs. Bien que le chiffre d'affaires réalisé par ces exportations ne soit pas très élevé, celles-ci ont incité les éleveurs français à développer la sélection des bovins. La France est ainsi l'un des pays les plus avancés dans ce domaine. D'ailleurs, de nombreux taureaux français figurent dans les premiers rangs du classement international des taureaux. Ce résultat est le fruit de nombreuses années de sélections qui ont été financées, en partie, par les exportations de semences, d'embryons et de reproducteurs.

De plus, l'arrêt de la vaccination a permis de conquérir les marchés japonais et coréen, qui rapportent 1 milliard de francs par an à la France. Je ne parlerais pas du marché russe que nous avons également conquis, mais qui ne se trouve pas dans la zone indemne de fièvre aphteuse. En outre, je vous signale que les gains générés par les exportations sont plus importants pour le secteur porcin que pour le secteur bovin.

Par ailleurs, la France n'ayant recensé que deux cas de fièvre aphteuse sur son territoire, nous ne pouvions pas envisager de mettre en place une vaccination répressive, comme les autorités britanniques et néerlandaises l'ont envisagé. La France ayant maîtrisé la propagation de l'épizootie, nous ne souhaitons pas vacciner nos cheptels. En outre, je vous rappelle que si nous recourions à la vaccination répressive, la législation nous obligerait également à abattre les animaux vaccinés pour retrouver le statut de territoire indemne de fièvre aphteuse. Par conséquent, la vaccination répressive ne résoudrait pas le problème de l'abattage des animaux.

En revanche, le débat sur la vaccination préventive va se rouvrir, notamment lorsque nous disposerons d'un vaccin marqué qui nous permettra de faire la différence entre les anticorps développés suite à la vaccination et les anticorps développés par l'animal atteint de la fièvre aphteuse. La semaine dernière, une commission de la fièvre aphteuse s'est réunie à l'OIE pour aborder le problème de la vaccination préventive. Il semblerait que lorsque nous disposerons d'un vaccin marqué, dans trois ans, nous pourrons modifier les normes internationales, car nous saurons différencier les anticorps générés par le vaccin et ceux qui seront produits par les animaux atteints de la maladie.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie pour les précisions que vous venez de nous apporter. Je voudrais revenir sur quelques points. L'Union européenne a interdit la vaccination des animaux d'élevage afin de rivaliser avec les pays qui sont indemnes de fièvre aphteuse. Disposons-nous des moyens nécessaires pour certifier que les Etats d'Amérique du Nord, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont réellement indemnes de fièvre aphteuse ? Par ailleurs, les textes législatifs, les règlements et les directives européennes imposent aux autorités sanitaires d'abattre les animaux qui ont été vaccinés. C'est pourquoi la vaccination ne résoudrait pas le problème de l'abattage des animaux. Or cette disposition est-elle pertinente ? Je vous rappelle que si elle n'était pas fondée, nous aurions le devoir de la modifier. En d'autres termes, comment justifiez-vous scientifiquement l'abattage des animaux vaccinés ? Ces questions sont cruciales pour lutter contre l'apparition d'une éventuelle épizootie.

M. Angot - Je précise que ces questions s'adressent plus aux services vétérinaires qu'à l'OFIVAL. Néanmoins, pour répondre à votre première question, je pense qu'il est facile de dissimuler des cas d'ESB, notamment en Amérique du Nord où la maladie circule parmi les cervidés, mais qu'il est difficile de cacher des cas de fièvre aphteuse, car cette épizootie est très contagieuse. En outre, le réseau d'informations et les missions mis en place par l'Office International des Epizooties, ainsi que les missions diligentées par les services sanitaires de l'Union européenne permettent de vérifier les déclarations des pays qui se prétendent indemnes de fièvre aphteuse. Il me semble donc difficile de cacher des cas de fièvre aphteuse à la communauté internationale.

Quant à votre seconde question, je vous rappelle que l'abattage des animaux vaccinés est une mesure de précaution, car nous ne sommes pas en mesure de distinguer les anticorps d'origine vaccinale et les anticorps liés à la maladie. Cependant, lorsque les évolutions scientifiques permettront de produire des vaccins marqués, la réglementation pourra évoluer afin de ne plus abattre les animaux vaccinés. Au préalable, nous devons être sûr de la qualité de ces vaccins et de leur efficacité à plus ou moins long terme.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie. Avant de donner la parole à M. Cornu, je souhaiterais apporter mon point de vue sur la vaccination des bovins. Nous savons que la fièvre aphteuse ne présente aucun risque pour la santé humaine. Par conséquent, la vaccination des animaux contre cette épizootie n'aurait aucun impact sur l'Homme. Par ailleurs, la vaccination permettrait de ne pas recourir à l'abattage systématique des troupeaux porteurs de la maladie, dont les images de charniers nuisent à la consommation de viande. D'ailleurs, avez-vous mené des études sur l'impact de la vaccination sur le comportement des consommateurs à l'égard de la viande ?

M. Gueudar Delahaye - Nous n'avons pas mené d'études comparatives pour tester la réaction du consommateur à l'égard des images de charniers et à vis-à-vis de la consommation de viande malade. L'expérience acquise durant les précédentes crises sanitaires montre que le consommateur est plus sensible aux risques perçus en matière de sécurité sanitaire qu'aux risques réels. Par conséquent, l'hypothèse de commercialiser la viande d'animaux potentiellement malades effrayera plus les consommateurs que les images de charniers, même si nous certifions que la fièvre aphteuse ne présente aucun risque pour l'Homme. Néanmoins, nous devons renforcer les campagnes d'information sur la mise en place des politiques de prévention de l'épizootie afin de rassurer les consommateurs.

M. Philippe Arnaud, président - En brûlant la sorcière, nous avons calmé les esprits !

M. Dominique Braye - Force est de constater qu'avant de parvenir au consommateur, la viande subit de nombreuses opérations de transformations, et les animaux circulent beaucoup sur le territoire, favorisant la dissémination du virus et l'extension de la maladie. Vous avez d'ailleurs rappelé que le virus de la fièvre aphteuse était particulièrement contagieux. Je pense que cet élément est également déterminant pour lutter contre la propagation de l'épizootie sur le territoire.

M. Gérard Cornu - Vous avez dit que l'Amérique du Nord était indemne de fièvre aphteuse, mais vous n'avez pas parlé de l'Amérique du Sud, notamment de l'Argentine, qui est un gros pays producteur et exportateur de viande. Bien que je me méfie des rumeurs, car ces dernières sont facilement colportées, il semblerait l'Argentine vaccinerait ses boeufs contre la fièvre aphteuse. Si cette rumeur est avérée, pourquoi de nombreux pays, dont l'Europe, continueraient-ils d'importer de la viande de ce pays ? Pourquoi ne décrétons-nous pas d'embargo contre la viande argentine vaccinée ? Enfin, cette rumeur est-elle fondée ?

M. Angot - Effectivement, l'Argentine ayant été touchée par l'épizootie de fièvre aphteuse, comme le sud du Brésil, elle a recouru à la vaccination de son cheptel. Toutefois, il me semble que la France a interdit les importations de viandes en provenance d'Argentine. Cette information devrait être vérifiée, mais je crois que le gouvernement a interdit les importations de viande argentine.

M. Dominique Braye - Il me semble que la France a effectivement interdit les importations de viande bovine en provenance d'Argentine, mais pas des produits transformés.

M. Angot - En effet, l'Office International des Epizooties autorise les exportations de produits ayant subi un traitement susceptible de détruire le virus de la fièvre aphteuse, comme les traitements par la chaleur.

M. Gérard Cornu - J'ai effectué récemment un voyage en Malaisie et à Singapour, pendant la crise affectant la viande européenne. J'ai alors constaté que les autorités locales recommandaient d'importer de la viande bovine argentine pour remplacer la viande bovine européenne. Nous pourrions peut-être informer nos partenaires commerciaux que les exportations des pays producteurs de viande qui vaccinent leurs animaux ne sont pas pénalisées. Nous devrions notamment informer le monde entier que la viande exportée par l'Argentine est vaccinée contre la fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous demanderais d'effectuer, d'une part, une analyse des répercussions économiques de la fièvre aphteuse sur les exportations françaises intracommunautaires et, d'autre part, une analyse des répercussions économiques de la fièvre aphteuse sur les exportations françaises en-dehors de l'Union européenne.

M. Gueudar Delahaye - Nous pouvons effectivement faire un bilan des exportations, mais nous n'avons pas suffisamment de recul pour que ce bilan porte sur la période concernée par la crise de la fièvre aphteuse. En revanche, nous dresserons un panorama des exportations en période normale.

M. Philippe Arnaud, président - Il serait, par exemple, injustifié que certains pays réduisent leurs importations de viandes européennes pour importer de la viande vaccinée en provenance d'Argentine.

M. Gueudar Delahaye - Je vous rappelle néanmoins que l'engouement des pays tiers pour la viande argentine succède à la crise de l'ESB en Europe. En effet, ces pays préfèrent importer de la viande de cheptels vaccinés plutôt que de la viande de cheptels susceptibles d'être contaminés par l'ESB, car ils considèrent que le problème de l'ESB est plus grave que celui de la fièvre aphteuse pour la santé humaine.

M. Dominique Braye - Je souhaite vous rappeler qu'il existe trois catégories de pays :

- les pays atteints par l'épizootie de fièvre aphteuse ;

- les pays indemnes qui vaccinent leurs animaux ;

- les pays indemnes qui ne vaccinent pas leurs animaux.

Nous pouvons ainsi répertorier tous les pays du monde dans ces trois catégories.

En outre, Monsieur le Président, pourrions-nous demander à l'OFIVAL de dresser un tableau récapitulatif des échanges commerciaux de viandes, en volumes et en chiffres d'affaires. Certes nous sommes confrontés à un problème sanitaire, mais nous rencontrons également un problème économique. Cet outil permettrait d'informer tous les membres de la Commission sur les conséquences engendrées par les décisions prises par les pouvoirs publics, comme la mise en place d'une éventuelle vaccination dans notre pays qui empêcherait alors toute exportation vers les pays indemnes ne procédant pas à la vaccination.

Enfin, je vous signale que l'Union européenne a autorisé le gouvernement britannique à vacciner ses animaux contre la fièvre aphteuse pour éradiquer l'épizootie de son territoire, mais que ce dernier n'y a pas encore eu recours. Je pense que cette situation devrait tous nous faire réfléchir.

M. Philippe Arnaud, président - Il serait effectivement souhaitable d'affiner le tableau récapitulatif dressé par l'OFIVAL afin de faire apparaître le volume et la valeur des exportations françaises de viandes en fonction des pays importateurs. Vous pourriez également dresser un bilan des importations françaises de viandes.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Que pensez-vous de l'afflux massif d'ovins en provenance de Grande-Bretagne avant les fêtes musulmanes ? Quels contrôles avez-vous mis en place pour vérifier l'état sanitaire d'animaux importés par des négociants plus ou moins agréés ?

M. Gueudar Delahaye - Bien que je ne sois pas directement compétent pour contrôler les importations d'animaux, force est de constater que les importations d'animaux anglais sont une réalité. La France importe, en effet, 58 % de sa consommation de viande ovine. Par ailleurs, nous avons enregistré un accroissement des importations de viande ovine et de moutons vivants durant les fêtes pascales et durant l'Aïd el Kebir.

En outre, les circuits de commercialisations étant complexes, l'origine de ces animaux peut parfois échapper aux contrôles. Depuis la crise de la viande bovine, survenue en 1996, nous avons déployé des efforts considérables en matière de traçabilité. La crise de la fièvre aphteuse a incité la filière ovine à prendre conscience qu'elle devait mettre en place les mêmes méthodes de traçabilité que la filière bovine.

M. Dominique Braye - Je vous rappelle que les boeufs britanniques ont quelquefois été importés dans l'Union européenne, par l'intermédiaire de la Belgique où leur origine était modifiée. Ainsi de la viande bovine britannique était « naturalisée » en viande bovine belge. Dans le cadre de mes fonctions de vétérinaire, j'ai pu constater un cas de fraude sur des animaux d'origine britannique qui avaient été « continentalisés ». J'ai alors signalé ce cas aux autorités compétentes.

M. Philippe Arnaud, président - Pourrions-nous avoir une liste des pays qui ont fait l'objet d'une interdiction d'exporter leurs animaux, suite à des problèmes sanitaires survenus durant les cinq dernières années ? Nous pourrions ainsi savoir s'il existe des distorsions entre les règlements et leur application.

M. Gueudar Delahaye - Vous souhaiteriez obtenir une liste des pays qui ont été interdits d'exporter leurs animaux sur le marché communautaire ?

M. Philippe Arnaud, président - Nous souhaiterions effectivement disposer de cette liste.

M. Gueudar Delahaye - Nous nous rapprocherons de la DGAl pour vous fournir ces informations, car cet organisme est chargé de suivre les échanges commerciaux d'animaux.

M. Philippe Arnaud, président - Nous souhaiterions obtenir un tableau récapitulatif des flux commerciaux d'animaux entre la France et les autres pays du monde, ainsi qu'une analyse économique des mesures d'interdiction d'exporter les animaux sur les pays concernés.

3. Audition de François Dufour, responsable de la commission sanitaire de la Confédération paysanne

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons maintenant M. Dufour, qui est responsable de la Commission sanitaire de la Confédération paysanne. Vous disposez d'une heure pour nous exposer la position de cet organisme à l'égard des problèmes économiques engendrés par la fièvre aphteuse pour les éleveurs français. En outre, quelles sont vos propositions pour surmonter ces problèmes ? Ensuite, les membres de la Mission d'information sur la fièvre aphteuse vous poseront quelques questions.

M. François Dufour - Je vous remercie, Monsieur le Président, de permettre à un représentant de la Confédération paysanne de s'exprimer dans cette instance. En outre, je souhaiterais vous rappeler quelques principes fondamentaux que nous avons relevés lors de nos rencontres avec les représentants du Ministre de l'Agriculture, dans le cadre de la gestion de cette épizootie.

J'insiste sur le fait que la fièvre aphteuse n'a pas d'incidence sur la santé humaine. Par ailleurs, le virus agit différemment selon les espèces animales qu'il affecte. Ce dernier est très contagieux pour les moutons, mais il l'est moins pour les bovins. En outre, le délai d'incubation du virus étant de cinq jours, la maladie se répand très rapidement. Par conséquent, les services sanitaires doivent être vigilants afin de réagir dès que le premier cas d'épizootie apparaît sur le territoire.

1. Les causes de la propagation de l'épizootie de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne

Des services sanitaires inexistants

La gestion libérale de la crise de la fièvre aphteuse par la Grande-Bretagne a été catastrophique. Les informations que nous avons pu obtenir sur le fonctionnement des services sanitaires britanniques dès le début de la crise nous ont conduit à adopter une position très critique à l'égard de la politique menée par ce pays pour lutter contre l'épizootie. En effet, les services sanitaires britanniques ne comptent que 220 vétérinaires sanitaires. Or ces derniers ont dû traiter une centaine de foyers dès les premiers jours de la maladie. Aujourd'hui, l'épizootie touche environ 1450 foyers. L'épidémie risque de se poursuivre durant tout l'été dans ce pays à cause de la faillite du service public. Cet exemple démontre que la France ne doit pas démanteler le service public sanitaire comme la Grande-Bretagne.

L'extension des transports d'animaux sur le territoire

La fermeture des abattoirs de proximité et les concentrations intervenues dans le secteur des entreprises d'abattage oblige les négociants à transporter les animaux sur des distances de plus en plus longues. Or la fièvre aphteuse est une maladie du transport, car la contagion provient de la circulation d'animaux malades sur le territoire. Je pense que la virulence de l'épizootie en Grande-Bretagne est également liée à la concentration des entreprises d'abattage. Je vous signale, en effet, que ce pays compte moins d'abattoirs que la Suisse.

Le refus d'appliquer la vaccination répressive

Nous nous étonnons que les organisations syndicales britanniques refusent d'appliquer la vaccination périfocale pour des motifs commerciaux alors que l'épizootie continue de sévir. Bien que le gouvernement britannique affirme que la progression de la maladie ait ralenti, nous considérons que l'apparition d'un nouveau cas de fièvre aphteuse par jour serait encore un cas de trop.

De plus, il semblerait que le gouvernement anglais ait révélé l'existence de la maladie plusieurs jours après le début de l'épidémie sur le sol britannique. Cette information nous a été confirmée par des éleveurs anglais, par des journalistes de la BBC et par la DGAL. L'absence de services sanitaires efficaces, en Grande-Bretagne, ne permet pas de venir en aide aux éleveurs. Tant que les éleveurs travailleront sur du vivant, la Confédération paysanne considère qu'ils devront être soutenus par des services sanitaires performants.

Les mesures de prévention appliquées en France

Les contrôles à la frontière

Je me suis rendu, avec d'autres membres de la Confédération paysanne, dans les points de contrôle des personnes ayant séjourné en Grande-Bretagne. Je vous rappelle que, durant l'été, des milliers de touristes britanniques viennent passer les vacances sur le territoire français. Résidant dans le département de la Manche, je me suis rendu à Cherbourg, où j'ai constaté que les moyens de prévention sont insuffisants. Certes, les autorités ont installé des pédiluves dans les ports pour nettoyer les pneus des voitures et les chaussures des piétons qui descendent des ferries, mais personne ne désinfecte, par exemple, les chaussures qui se trouvent dans les sacs de voyage. Après avoir constaté cette défaillance le 20 avril 2001, je l'ai signalé à trois reprises au Ministère de l'Agriculture, c'est-à-dire à l'occasion des deux réunions sur la fièvre aphteuse auxquelles j'ai participé, ainsi qu'à la DGAL.

En outre, la Confédération paysanne redoute la propagation de l'épizootie dans les campagnes françaises avec le début de la saison touristique. Etant propriétaire d'un petit camping à la ferme, j'ai installé un pédiluve à l'entrée de mon exploitation pour nettoyer les pneus du camion laitier qui vient deux fois par jour, ainsi que les pneus des voitures de touristes. J'ai également invité mes voisins qui reçoivent des touristes britanniques dans leurs gîtes de prendre des mesures de précaution similaires. Les agriculteurs doivent rester vigilants dans leurs exploitations afin de pallier les défaillances des mesures de prévention mises en place par l'Etat. Je souhaiterais, par exemple, que les agents des douanes ouvrent les sacs pour passer les chaussures qui s'y trouvent dans le pédiluve. Nous demandons également que la SNCF prenne des mesures de prévention dans l'Eurostar.

En outre, l'Angleterre, l'Irlande et même la Belgique devraient mettre en place des politiques de veille sanitaire aussi efficaces que la France. La DGAL reconnaît qu'il existe toujours un risque de propagation de l'épizootie de fièvre aphteuse en France. En outre, elle rappelle que son objectif consiste à atteindre le risque zéro. La Confédération paysanne partage entièrement son avis et elle insiste auprès des instances gouvernementales pour qu'elles renforcent leur vigilance.

La suspension des concours de pigeons voyageurs

J'ajouterais que les représentants de la Confédération paysanne sont intervenus lors des deux réunions ministérielles sur la fièvre aphteuse pour exiger l'arrêt des concours de pigeons voyageurs. Des colombophiles nous ont effectivement informés au mois de mars 2001 que ces concours reprendraient au milieu du mois d'avril. Ils nous ont expliqué que tous les week-ends des organisateurs envoyaient des pigeons de France en Grande-Bretagne pour préparer les concours. J'insiste sur ce point, car ces animaux pourraient véhiculer la maladie au-dessus de la Manche. J'ajouterais également que nous pourrions étendre les mesures de prévention aux animaux de compagnie que les touristes britanniques transportent dans leur véhicule. En France, la gendarmerie avait des consignes très strictes concernant le transport des animaux de compagnie dans les périmètres de sécurité. Je connais des personnes qui ont été réprimandées pour n'avoir pas observé ces strictes décisions. Je pense que la Grande-Bretagne devrait appliquer des mesures identiques.

Les conditions de mise en place de la vaccination périfocale

En outre, nous partageons les objectifs des autorités françaises qui veulent revenir rapidement au statut de territoire indemne pour ne plus pénaliser les exportations. Bien que les problèmes sanitaires soient utilisés dans la guerre commerciale qui oppose l'Union européenne aux pays d'Amérique du Nord, la Confédération paysanne a accepté la vaccination périfocale des animaux, si l'épizootie se propageait sur le territoire.

En revanche, les producteurs de lait et les éleveurs de bovins déplorent que les autorités sanitaires ne cherchent pas à renforcer immunité naturelle des animaux. Lorsque j'ai étudié cette question, en tant que responsable de la Commission sanitaire de la Confédération paysanne, en collaboration avec des nutritionnistes et avec des vétérinaires, j'ai constaté que les soins préventifs alimentaires, comme le chlorure de magnésium, permettaient aux animaux de mieux résister à l'épidémie. La prévention de la fièvre aphteuse est d'autant plus importante que la taille des troupeaux s'est considérablement accrue durant les cinquante dernières années, passant d'une dizaine de têtes à plusieurs centaines, voire à plusieurs milliers d'animaux.

Par conséquent, nous ne devons pas nous résigner à abattre et à brûler nos animaux pour lutter contre les épidémies de fièvre aphteuse. Bien que les animaux constituent une source de revenus pour les paysans, nous entretenons avec eux des liens affectueux. Nous ne nous contenterons pas de voir décimer des troupeaux que nous avons soignés durant 20 ou 30 ans. Nous espérons trouver d'autres moyens de lutte contre cette épizootie.

De plus, les mesures de prévention de la maladie nécessitent de maintenir des services sanitaires de qualité, en France. J'ajouterais que la gestion de l'épidémie dépend du civisme de tous les citoyens.

L'abattage systématique des animaux

Les membres de la Confédération paysanne s'interrogent sur l'abattage systématique des troupeaux qui vivent autour des périmètres de sécurité. Dans le cas de l'ESB, par exemple, nous pensons que l'abattage systématique n'est plus justifié. C'est pourquoi nous demandons aux autorités de procéder à l'abattage sélectif des animaux malades. Dans le cadre de la fièvre aphteuse, l'abattage systématique des troupeaux sains qui se trouvent autour du périmètre de sécurité ne viserait-il pas à réduire les excédents de viande rouge ? Or nous pourrions peut-être envisager de gérer ce problème différemment, car l'abattage des troupeaux sains nourrit la désaffection des consommateurs à l'égard de la viande. Ces derniers pensent que nous tuons les troupeaux, car ces derniers sont tous atteints de la maladie et que les animaux sont porteurs d'un virus dangereux pour l'Homme. En définitive, ces mesures préventives profitent à l'élevage hors sol, alors que nous cherchons à préserver un élevage respectueux de l'environnement où les animaux sont élevés en pâture. Nous avons donc informé le Ministère de l'Agriculture et les instances qui nous ont auditionné que nous étions hostiles à l'abattage systématique des troupeaux sains vivant autour du périmètre de sécurité.

La restriction de la circulation des animaux

En outre, la circulation des animaux vivants engendrée par l'ouverture des marchés constitue un facteur de propagation des épidémies sur la planète, comme la brucellose, la tuberculose. Pourquoi faire voyager des animaux à travers le monde alors qu'il faut réduire les coûts de production ? Je ne comprends pas que les négociants achètent les animaux à 30 % ou 40 % en dessous de leur prix de revient aux éleveurs, alors que les animaux effectuent parfois des centaines ou des milliers de kilomètres pour se faire abattre, avant de repartir vers une autre destination où ils seront commercialisés. Je pense que ces opérations ne sont pas fondées économiquement.

De plus, nous insistons sur la nécessité d'harmoniser les politiques sanitaires nationales au sein de l'Union européenne. Lorsque nous organisons des visites de fermes dans les pays de la Communauté, nous constatons qu'il existe des différences de traitement entre les agriculteurs et que les législations ne sont pas systématiquement appliquées. Par exemple, en Grande-Bretagne n'a pas mis en place de mesures de traçabilité du cheptel ovin et que les contrôles PAC étaient inefficaces, car les services sanitaires et de contrôle ont disparu. Lorsque l'épidémie de fièvre aphteuse sera terminée, le commerce ovin reprendra entre la Grande-Bretagne et le continent européen, car ce pays commercialise les moutons provenant d'Australie et de Nouvelle-Zélande. De plus, la France ayant perdu environ 60 % de sa production ovine durant les quinze dernières années, nous importerons de nouveau des moutons dont nous ignorerons l'origine réelle. Si l'Europe n'organise pas les échanges communautaires, nous devrons envisager de fermer nos frontières afin de préserver le consommateur. Néanmoins, avant de mettre en place des mesures aussi radicales, je pense que nous devons organiser les échanges européens de manière transparente.

Enfin, nous constatons que les négociants anglais ne s'émeuvent pas de la disparition du cheptel ovin national, car ils poursuivent leur commerce avec les moutons d'origine australienne et néo-zélandaise.

Les propositions de la Confédération paysanne pour sortir de la crise de la fièvre aphteuse

Nous avons fait des propositions pour sortir de la crise.

La France doit renforcer davantage ses services sanitaires et le dispositif de traçabilité des animaux, afin de ne pas prendre exemple sur la Grande-Bretagne.

Nous refusons l'abattage total et préventif des troupeaux, qui est insupportable tant sur le plan éthique que sur le plan économique, social et psychologique.

Bien que dans la situation actuelle, la vaccination curative ne se justifie pas, nous pourrions y recourir si l'épizootie se propageait sur le territoire.

L'Etat doit promouvoir les soins alimentaires, car nous ne pouvons plus gérer ce type de crise uniquement en abattant les animaux. Enfin, les pouvoirs publics doivent impliquer les paysans dans la gestion des crises.

Nous avons rédigé deux communiqués de presse sur la gestion de cette crise. Le premier rappelle que la vaccination avait été interdite dans l'Union européenne, en 1991, pour des motifs sanitaires, budgétaires et commerciaux. Nous y réclamons une harmonisation des pratiques entre les pays de l'Union, car la France ne devrait pas être la seule à réintroduire la vaccination. Le refus des autres pays de la Communauté européenne de vacciner leurs animaux pour des raisons commerciales, serait alors perçu par les paysans français comme une distorsion de concurrence. Bien que les animaux vaccinés développent des anticorps dans les mois qui suivent la vaccination, nous refuserions qu'ils soient abattus. La législation devrait prendre en compte que des animaux vaccinés ne peuvent plus être indemnes d'anticorps contre la fièvre aphteuse.

En outre, nous souhaiterions que la France mène des études sur la toxicité des fumées rejetées dans l'atmosphère par les charniers britanniques. Les autorités européennes devraient veiller à uniformiser les pratiques d'incinération des animaux sur le territoire communautaire.

L'indemnisation des éleveurs

Je souhaiterais maintenant intervenir sur les indemnisations des éleveurs fixées par les arrêtés du 30 mars et du 11 avril 2001. Dès le début de la crise de la fièvre aphteuse, la Confédération paysanne avait demandé aux autorités que les indemnisations des éleveurs tiennent compte de l'ensemble des pertes, c'est-à-dire de la valeur du cheptel abattu et des pertes d'exploitation. En outre, nous avions demandé à aboutir, dans les meilleurs délais, à un traitement équitable des éleveurs, quelle que soit la maladie réputée contagieuse. En effet, nous constatons des écarts d'indemnisation intolérables entre l'ESB, la brucellose ou la salmonelose.

L'arrêté du 30 mars 2001 précise les conditions d'indemnisation des éleveurs en cas d'abattage total de leur troupeau sur l'ordre de l'Administration. Cet arrêté stipule que l'éleveur peut choisir deux experts sur une liste départementale établie par le préfet, pour établir le montant de son indemnisation. L'arrêté du 30 mars 2001 prévoit également une procédure de contre-expertise et de recours auprès de la DGAl en cas de dépassement des maxima fixés en annexe pour le cheptel bovin. Nous constatons que cet arrêté offre un cadre national pour l'indemnisation des agriculteurs, quelles que soient les espèces animales concernées. En effet, ce dernier fixe le montant maximal des indemnisations versées aux éleveurs, non seulement pour les bovins, afin de pallier les dérives relatives à l'indemnisation de l'ESB, mais aussi sur les autres espèces animales. Nous avions effectivement demandé au gouvernement d'harmoniser le montant des indemnisations accordées aux éleveurs, car nous assistions, depuis quelques mois, à une discrimination de traitement entre les exploitants, en fonction des qualités de reproduction des bovins. De plus, certains éleveurs considéraient que l'indemnisation de l'ESB permettrait de compenser le marasme actuel induit par la crise bovine.

Néanmoins, cet arrêté induit des effets négatifs, car l'indemnisation est établie en fonction de la valeur de remplacement des animaux abattus en cas d'abattage total du troupeau. Bien que l'arrêté du 11 avril 2001 concernant l'abattage partiel du troupeau, résolve en partie les imperfections du précédent arrêté, ce dernier ne prend pas suffisamment en compte toutes les conséquences de l'abattage d'un troupeau sur un élevage. L'indemnisation doit, par exemple, prendre en compte les pertes relatives à l'arrêt de la vente de lait pendant les deux ou trois mois nécessaires à la réhabilitation du troupeau, ainsi que les frais d'élevage, comme les frais sanitaires. L'éleveur qui reconstitue un troupeau doit, d'une part, acheter des bêtes dans différentes exploitations et, d'autre part, investir dans un contrôle sanitaire très pointu des animaux qu'il a achetés. Or l'éleveur est souvent contraint de renvoyer certaines bêtes qui ne présentent pas de garanties sanitaires suffisantes pour la réhabilitation de l'élevage.

En outre, nous devons harmoniser les méthodes d'indemnisation des éleveurs en fonction des départements, car certains, par exemple, remboursent trois mois de perte de production de lait, alors que d'autre ne remboursent que deux mois. De plus, la valeur de remplacement des animaux est trop basse et ne respecte pas le travail de l'agriculteur qui a passé quinze ans de sa vie à constituer un troupeau. Enfin, l'Etat doit laisser une marge de négociation aux agriculteurs pour fixer la durée du report fiscal relatif à l'indemnisation, car certains éleveurs doivent poursuivre leur activité au-delà de leur départ en retraite pour supporter la charge supplémentaire qui pèse sur leurs revenus.

Par ailleurs, nous constatons que les experts sont choisis par l'éleveur, mais qu'ils agissent pour le compte de l'Etat. Or nous pensons que les experts doivent aussi agir pour le compte de l'agriculteur et pas seulement pour l'Administration afin de faire évoluer les méthodes d'indemnisation en fonction des besoins des éleveurs.

Enfin, nous espérons que l'Etat indemnisera l'ensemble des pertes relatives à l'embargo sur les produits alimentaires. La Confédération paysanne estime que ce dernier a été maintenu trop longtemps, car la fermeture des commerces de produits alimentaires dans les départements concernés engendre une suspicion des consommateurs à l'égard de ces produits. Ces derniers s'interrogent, en effet, sur les raisons qui ont conduit les autorités à maintenir si longtemps un embargo sur des produits alimentaires alors qu'ils étaient prétendus sains. Les autorités ne se rendent pas toujours compte de l'impact sur les consommateurs des mesures draconiennes de prévention. De même, il est désormais inutile de d'abattre un troupeau dont un animal est atteint de l'ESB, car la nourriture à base de farines animales est interdite, des tests sont effectués sur les animaux de plus de 30 mois et les parties à risques sont retirées du commerce depuis plusieurs mois. Si malgré ces mesures préventives, nous continuons à abattre de jeunes animaux, le consommateur doute de la qualité de la viande.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie de cet exposé. Monsieur le rapporteur, souhaitez-vous réagir ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Comment pouvons-nous identifier les ovins qui circulent dans l'Union européenne afin de prévenir une nouvelle épizootie ? Par ailleurs, la fièvre aphteuse peut-elle être perçue comme un élément de concurrence dans le cadre de l'internationalisation des marchés ?

M. François Dufour - Pour répondre à votre première question, je vous informe que nous avons indiqué à la DGAL que nous souhaitions mettre en place une identification totale des animaux. En outre, j'ai constaté, que dans le secteur équin, par exemple, la traçabilité des chevaux permettait aux autorités françaises de renvoyer des maquignons belges qui présentaient, sur une foire, des animaux non-identifiés et en mauvais état de santé. Or j'ai toujours vu mon père déclarer aux Haras nationaux les chevaux qui naissaient dans son exploitation. Je pense que les mesures d'identification devraient être étendues à tous les pays de l'Union européenne.

En outre, nous devons appliquer aux troupeaux ovins, dans tous les Etats de la Communauté européenne, des mesures d'identification similaires à celles que la France a instaurées pour les chevaux, sans charge de travail supplémentaire. Je suis, en effet, interloqué lorsque j'entends des négociants en bestiaux prétendre que l'identification des animaux nécessiterait une charge de travail supplémentaire. Il est facile d'identifier et de tracer les animaux dans leurs élevages.

Par ailleurs, nous proposons d'interdire tout transport d'animaux provenant de Grande-Bretagne qui ne serait pas bagué, afin de nous prémunir contre l'irresponsabilité de ce pays. Force est de constater qu'un arrêté du mois de décembre 1999, sur l'ESB, stipulant que les veaux de huit jours importés de Grande-Bretagne devaient être abattus dans un délai de six mois, n'est pas appliqué correctement. Bien que tous ces animaux auraient du figurer sur les bordereaux des abattoirs et des équarrissages dans les six mois qui suivirent leur importation, certains animaux n'ont été abattus qu'à l'âge de 5 ans. En effet, le 3 et le 4 juillet 2001, le Tribunal de Coutances organisera un procès sur le trafic des veaux de huit jours, car 7 000 animaux provenant de Grande-Bretagne ont été naturalisés français, espagnol ou italien pour contourner l'obligation de les abattre. Certains ont seulement été tués en 1995, à l'âge de cinq ans. D'autres sont peut-être encore vivants. Lorsque nous avions contrôlés les camions qui transportaient des veaux de huit jours, en 1996, nous avions constaté qu'environ 30 % d'animaux provenaient de Grande-Bretagne et n'étaient pas bagués. Je préconise donc de renforcer la législation européenne pour prévenir ces trafics. Si les maquignons acceptent d'acheter des animaux non identifiés, ils doivent être sanctionnés. Si l'Angleterre refuse d'identifier ses animaux, elle ne doit plus pouvoir les exporter sur le continent.

Pourriez-vous préciser le contenu de votre seconde question ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - La fièvre aphteuse est-elle utilisée comme une arme par les pays producteurs pour remporter des parts de marchés au détriment de leurs concurrents ?

M. François Dufour - L'épizootie de fièvre aphteuse est effectivement utilisée comme une arme économique par les pays producteurs pour conquérir des parts de marché. Par exemple, une journaliste de la BBC nous a confié que les autorités britanniques avaient étrangement réquisitionné le bois, dans les zones ravagées par la tempête, pour dresser des bûchers, 15 jours avant qu'elles ne déclarent officiellement la présence de l'épizootie sur leur territoire. L'Union européenne doit trouver des moyens de rétorsion pour punir les pays qui dissimulent l'apparition d'une épidémie sur leur territoire afin de poursuivre leur commerce.

En outre, les partisans du productivisme effréné se livrent une guerre sans précédent dans l'histoire de l'agriculture, qui est apparue durant l'épidémie de peste porcine survenue en 1995-1997 aux Pays-Bas. Les pays producteurs de viande compensent les baisses de prix par une hausse de 5 à 10 % des volumes échangés sur le marché. Non seulement cette situation nuit à la qualité de l'élevage, mais elle incite les agriculteurs à parier sur les épidémies qui pourraient survenir dans les pays voisins pour conquérir leurs parts de marchés. Lors de l'épidémie de peste porcine survenue aux Pays-Bas en 1995-1997, par exemple, les éleveurs bretons espéraient récupérer les parts de marché perdues par ce pays dans le secteur porcin, alors que l'environnement, en Bretagne est déjà menacé par l'excès de matière fécale.

Nous assistons actuellement à des guerres qui conduisent à déplacer un même système de développement d'un territoire à un autre, au gré des épidémies. Ce modèle nous paraît inquiétant, car il attise les rivalités entre les pays de l'Union européenne alors que ces derniers devraient harmoniser leurs pratiques agricoles.

M. Dominique Braye - Après avoir écouté attentivement l'exposé de M. Dufour, je ne partage pas toujours son analyse de la gestion de la crise. Par ailleurs, j'ai relevé quelques contradictions dans ses propos que je souhaiterais éclairer.

Je partage l'analyse de M. Dufour sur les déficiences de l'immunosurveillance en Grande-Bretagne, faute de services sanitaires suffisants, alors que la France bénéficie d'un système d'immunosurveillance animé par l'ensemble des vétérinaires sanitaires installés sur le territoire national. Je pense que nous devons prendre toutes les dispositions nécessaires pour conserver ce système de très grande qualité et qui a depuis longtemps prouvé son efficacité. En outre, même si la France doit figurer parmi les pays les plus avancés en matière d'immunosurveillance, elle ne doit pas succomber à l'excès de zèle.

Parce que je suis un ardent défenseur de l'agriculture française, je ne partage pas votre proposition de fermer nos frontières aux importations, car cette mesure nuirait plus à l'agriculture française qu'elle ne la protégerait. Par ailleurs, je désapprouve votre condamnation de l'abattage systématique des animaux atteints de fièvre aphteuse. Je vous rappelle que les plans d'abattage, qui ont été établis en-dehors des périodes d'épidémie, sont enseignés dans les écoles vétérinaires pour prévenir la propagation des épizooties. De plus, j'estime que, jusqu'à présent, le gouvernement a très bien géré la crise engendrée par l'épizootie de la fièvre aphteuse. Nous devons expliquer les plans d'abattage des animaux aux citoyens au lieu de faire appel à leur émotivité pour contester des mesures scientifiquement justifiées. Je comprends que les citoyens soient choqués par les scènes d'abattages qui sont diffusées à la télévision, mais notre devoir est de leur en expliquer l'utilité.

Par ailleurs, le renforcement de l'immunité naturelle des animaux par le chlorure de magnésium ne les préservera pas de la maladie. Je pense que nous devons effectivement pallier l'immunodéficience des animaux. Néanmoins, les recherches scientifiques démontrent que des animaux particulièrement immunocompétents ne sont pas pour autant protégés contre la fièvre aphteuse. Si vous disposez d'informations que les scientifiques n'ont pas, je serais ravi que vous nous les communiquiez !

En outre, la décision de revaccination des animaux contre la fièvre aphteuse n'incombe pas aux autorités françaises, mais à la Commission européenne. Or ces dernières imposent aux pays de l'Union européenne des mesures communes.

Enfin, vous prétendez que l'abattage systématique heurte les citoyens et les incite à ne pas consommer de viande. Au contraire, j'ai constaté que l'abattage systématique des troupeaux affectés par l'ESB ou par la fièvre aphteuse rassure les citoyens plus qu'il ne les inquiète. Ces derniers sont, en effet, conscients que les autorités doivent appliquer le principe de précaution dans le cadre des crises sanitaires. En outre, bien que nous soyons conscients de la toxicité des bûchers, nous sommes moins idéalistes que vous, car les décisions visent à limiter les conséquences les plus désastreuses d'une crise. Nous avons abondamment débattu pour déterminer s'il était préférable d'enterrer ou d'incinérer les animaux. Il ressort de ces débats que les animaux doivent être traités le plus près possible de l'endroit où ils ont été abattus pour limiter la propagation de la maladie. Nous rencontrons effectivement des difficultés pour faire admettre aux citoyens qu'ils n'ont pas le droit de brûler leurs branches et leurs herbes le dimanche pour ne pas incommoder leurs voisins, alors que les autorités dressent des bûchers dans la campagne.

Je pense que nous ne pouvons pas nous féliciter de tout et de son contraire comme cela nous arrange. Nous devons avoir une vision globale et responsable de la situation. En définitive, je partage bon nombre de vos positions, notamment lorsque vous affirmez que l'agriculture productiviste est dangereuse. Je pense que les agriculteurs devront revenir progressivement à des modes de production plus respectueux de l'environnement. Je vous remercie de nous avoir fait part de votre avis sur les problèmes inhérents à l'épizootie de fièvre aphteuse.

M. François Dufour - J'ai effectivement indiqué que l'abattage total des troupeaux inquiétait les membres de la Confédération paysanne et que nous préférions la mise en place d'un abattage sélectif dans le cadre de l'ESB. Néanmoins, dans le cas de la fièvre aphteuse, nous cautionnons l'abattage total des animaux dans le périmètre de sécurité, mais nous contestons l'abattage des troupeaux dans la zone périfocale, car cette mesure nous paraît excessive.

Les éleveurs considèrent que nous devons effectivement abattre le troupeau où un animal est atteint de la fièvre aphteuse, mais qu'il faut protéger ceux qui se trouvent dans la zone périfocale. Nous nous sommes aperçus que le renforcement des oligoéléments dans l'alimentation animale permettait de lutter contre l'IBR. Les témoignages des éleveurs qui ont subi les précédentes épidémies de fièvre aphteuse démontrent qu'ils ont pu lutter contre l'épizootie dans leurs élevages sans abattre systématiquement les troupeaux.

M. Dominique Braye - Je pense que les éleveurs ne sont pas les mieux placés pour parler des mesures à prendre pour lutter contre l'épizootie de fièvre aphteuse, car on ne peut pas être à la fois juge et partie. Par ailleurs, les vétérinaires qui ont connu les précédentes épidémies de fièvre aphteuse m'ont expliqué que lorsqu'ils soignaient les animaux malades, la morbidité animale augmentait énormément dans les cinq années suivant l'épidémie et que la production de lait chutait considérablement. Par conséquent, dans le contexte de l'agriculture moderne, les éleveurs n'ont pas intérêt à conserver des troupeaux qui ont été contaminés par l'épizootie, car ils ne leur permettraient plus d'assurer une rentabilité économique.

M. Paul Raoult - J'ai été sensible aux propos que M. Dufour a tenus sur l'insuffisance des contrôles entre la France et la Grande-Bretagne. Après avoir séjourné à Boulogne-sur-Mer, j'ai malheureusement constaté que les contrôles des voyageurs étaient légers. Or nous ne devrions pas relâcher nos efforts pour éviter que la maladie ne gagne de nouveau notre territoire.

En revanche, je ne comprends pas que la Confédération paysanne tienne un discours contradictoire sur l'abattage systématique des troupeaux atteints par la fièvre aphteuse. En situation de crise, nous devons prendre des mesures draconiennes et brutales pour éradiquer la maladie. Or je constate que votre discours est irresponsable. Nous avons réussi à enrayer la propagation de l'épizootie en France, car nous avons mis en place des mesures très dures.

Je vous citerai le cas d'un pseudo-éleveur de Maubeuge qui importait des moutons anglais en toute illégalité pour engranger de substantiels bénéfices. Ce dernier s'exclame désormais qu'il a perdu son bétail et qu'il n'a toujours pas été indemnisé alors qu'il a adopté une attitude criminelle. Je pense que la Confédération paysanne doit adopter une attitude responsable vis-à-vis de l'opinion publique afin de ne pas jeter le doute sur les mesures de précautions prises par les autorités. Vous ne devez pas toujours contenter l'opinion publique pour vous attirer sa sympathie. Je ne supporte pas cette attitude. Je me souviens que dans les années 1950, la fièvre aphteuse mettait en péril la santé des troupeaux à long terme, d'autant plus que cette maladie est extrêmement contagieuse.

M. Dominique Braye - Pourquoi M. Dufour dit-il que nous pourrions limiter le nombre de bêtes abattues ?

M. Paul Raoult - J'ajouterais que si nous n'avions pas procédé à l'abattage des animaux atteints de la brucellose, nos troupeaux seraient décimés.

M. François Dufour - Vous me faites un procès d'intention. J'ai indiqué que nous acceptions d'abattre les troupeaux infectés par la fièvre aphteuse, ainsi que les troupeaux où vivent des animaux britanniques, mais que nous devions soigner les animaux qui se trouvent dans le périmètre de protection et qui ne sont pas affectés par la maladie afin qu'ils ne soient pas contaminés. Par ailleurs, j'ai précisé que je n'acceptais pas de tuer tous les jeunes animaux vivants autour d'une bête atteinte par la maladie, car cette mesure incite l'opinion publique à penser que cette maladie serait transmise par d'autres voies que par les farines carnées.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie, M. Dufour, de votre intervention.

M. Gérard César - Je constate que le discours de M. Dufour ne correspond pas à celui que tiennent ces collègues de la Confédération paysanne. Ces derniers affirment, en effet, qu'il est scandaleux d'abattre tous les animaux d'un troupeau lorsqu'une bête est atteinte de l'ESB.

M. François Dufour - Tous les membres de la Confédération paysanne ne partagent pas les mêmes opinions sur les mesures à prendre pour lutter contre l'ESB. Les organisations départementales ont effectivement des avis partagés sur les mesures mises en place pour lutter contre la fièvre aphteuse. Les agriculteurs des zones d'élevage sensibles, qui élèvent des races locales, n'ont pas le même point de vue que les éleveurs qui se trouvent dans des zones d'échanges avec la Grande-Bretagne. Bien que les divergences d'opinion constituent, à mon sens, la richesse d'une organisation, le discours que nous tenons sur la gestion de la crise de la fièvre aphteuse a toujours été cohérent.

M. Dominique Braye - Vous ne devriez pas affirmer qu'il est possible de soigner les animaux malades, car si la fièvre aphteuse est une maladie qui souvent n'est pas mortelle, elle entraîne une morbidité élevée qui empêche toute rentabilité de cette activité agricole.

M. François Dufour - Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit ! J'ai précisé que nous devions abattre les troupeaux affectés par l'épizootie de fièvre aphteuse, mais que nous devions renforcer l'immunité des animaux qui vivent dans les zones périfocales.

M. Philippe Arnaud, président - Nous sommes arrivés au terme de cette audition. Je vous prie de nous excuser d'avoir eu des échanges mouvementés. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

4. Audition de MM. Jean-Jacques Rosaye, Président Henri Cassagne, Directeur, Thibault Delcroix, vétérinaire-conseil, de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail (FNGDS)

M. Philippe Arnaud, président - Nous allons auditionner M. Rosaye, qui est le Président de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire du bétail, ainsi que M. Cassagne, qui est le Directeur de la FNDGS, et M. Delcroix, qui est vétérinaire-conseil au sein de cet organisme. Je vous propose, Messieurs, de nous présenter votre analyse des problèmes et des conséquences de la fièvre aphteuse sur l'agriculture française. Je vous demanderais de synthétiser vos propos afin que les membres de la Mission puissent vous poser leurs questions après votre exposé.

M. Jean-Jacques Rosaye - Je vous remercie Monsieur le Président de nous recevoir. Je ne présenterais pas les Groupements de Défense Sanitaire (GDS), qui sont présents dans tous les départements et que tous les agriculteurs connaissent.

L'évolution de la crise de la fièvre aphteuse

Les épidémies de fièvre aphteuse jusqu'en 1981

Avant l'arrêt de la vaccination, survenu en 1992, la fièvre aphteuse frappait l'ensemble du pays par vagues successives. Les autorités sanitaires ont parfois relevé plus de 300 000 foyers en France. La dernière épidémie importante date de 1957. De 1961 à 1990, les autorités françaises ont mis en place la vaccination des bovins sur l'ensemble du territoire national. Néanmoins, la vaccination n'a pas empêché la France d'être touchée par l'épizootie de fièvre aphteuse en 1974 en Bretagne, en 1979 en Normandie et en 1981 en Bretagne. L'épidémie de 1974 a affecté une centaine de foyers et elle a nécessité d'abattre 35 000 animaux. Cette crise avait coûté environ 60 millions de francs. En 1979, nous avions recensé 21 foyers et 3 000 animaux abattus. Cette crise avait coûté 20 millions de francs. Enfin, en 1981, nous avions relevé 15 foyers et 10 000 animaux abattus. Le coût de la crise s'était élevé à 19 millions de francs.

Pourquoi avoir supprimer la vaccination des animaux ?

Un coût élevé

La vaccination coûtait, en effet, 200 millions de francs par an à la France. Néanmoins, d'autres raisons ont conduit les autorités françaises à supprimer cette mesure.

Les raisons sanitaires

La vaccination n'interdit ni le portage du virus ni sa circulation. Cette pratique engendrait un sentiment de sécurité sanitaire chez les éleveurs, alors qu'un animal vacciné peut porter le virus. De plus, nous ne vaccinions que les bovins, alors que ce ne sont pas les animaux les plus sensibles à la fièvre aphteuse. Un porc, par exemple, rejette dix fois plus de virus dans l'air qu'un boeuf. Or nous n'avons jamais vacciné les ovins et les porcins alors que ces animaux sont particulièrement sensibles à la maladie. Seuls 45 % des animaux potentiellement contaminables par l'épizootie étaient vaccinés, alors qu'une campagne de vaccination n'est efficace que si au moins 80 % des animaux sont traités.

En outre, les autorités sanitaires avaient découvert, hors de France, des foyers primaires de fièvre aphteuse provoqués par des vaccins qui avaient été mal activés.

En 1990-1991, lorsque la France a ouvert le débat sur l'opportunité de la vaccination, les éleveurs ont abondamment discuté sur l'arrêt de la vaccination. Une majorité d'éleveurs étaient opposés à cette mesure. Malgré le fait que certains d'entre eux ne vaccinaient pas leurs animaux, ils bénéficiaient de la couverture vaccinale des autres cheptels. D'autres pensaient que la vaccination constituait une assurance contre le retour de la maladie en France. En définitive, la Communauté européenne a décidé d'arrêter la vaccination.

La caisse d'indemnisation de la fièvre aphteuse

La Fédération nationale des groupements de défense sanitaire a alors pris des mesures d'accompagnement, exposées dans un document édité le 13 juin 1990, pour apporter la meilleure sécurité possible aux éleveurs contre le retour de la fièvre aphteuse. Nous avons ensuite créé un fonds d'indemnisation de la fièvre aphteuse, qui a été mis en place en 1992, pour aider les éleveurs bloqués lors de l'apparition d'un foyer. La caisse d'indemnisation a permis de faire acter que toutes les pertes directes et indirectes subies par les éleveurs dans les foyers de fièvre aphteuse soient prises en charge totalement par l'Etat. Malheureusement, l'arrêté du 30 mars 2001 remet en cause le principe de l'indemnisation totale des éleveurs.

En outre, la caisse d'indemnisation est unique en France et en Europe, car il s'agit d'un fonds privé qui indemnise les éleveurs. La quasi-totalité des GDS ont souscrit à cette caisse, hormis trois départements de l'Ouest de la France, la Corse et les Bouches-du-Rhône. Par ailleurs, une large majorité d'éleveurs cotise au fonds d'indemnisation. La caisse d'indemnisation fonctionne sur le principe de la mutualisation des fonds dont les caisses départementales restent propriétaires. La caisse nationale ne prélève que 10 % des fonds perçus par les caisses départementales afin de verser une indemnisation rapide en cas d'apparition de la maladie.

En outre, l'indemnisation correspond à un forfait versé par en fonction du nombre de jours de blocage des animaux dans les élevages. De plus, nous présentons, lors de notre assemblée nationale annuelle, un rapport sur l'état de la caisse d'indemnisation afin que sa gestion soit transparente. Une commission nationale, composée de cinq membres de la Fédération nationale des groupements de défense sanitaire, d'un membre de l'Association permanente des Chambres d'Agriculture et de deux membres de la Confédération nationale de l'élevage, est chargée de contrôler le dispositif. Le montant de l'indemnisation, fixé à 120 millions de francs, soit 6,20 francs par bovin, a été établi en fonction des dernières épizooties de fièvre aphteuse survenues en 1979 et en 1981. De plus, les ovins et les porcins sont indemnisés de selon la même méthode.

Les épidémies de fièvre aphteuse depuis l'arrêt de la vaccination

Depuis l'interdiction de vacciner les animaux contre la fièvre aphteuse, l'Europe n'a subi que trois épidémies, une en Italie et deux en Grèce, qui ont toutes trois été enrayées sans recourir à la vaccination. Le nombre d'épidémies est inférieur aux prévisions de la Commission européenne, qui s'attendait à subir 13 foyers primaires en 10 ans. Le coût de ces 13 foyers avait alors été estimé à 13 millions d'écus, alors que le coût de la vaccination, sur 10 ans, aurait été de 1,135 million d'écus. Par conséquent, le coût de cette dernière aurait été plus élevé que le traitement de la maladie.

En outre, les GDS ont continué à se mobiliser autour de la fièvre aphteuse durant les 10 dernières années, bien que les communications se soient progressivement estompées faute de cas d'épizootie sur notre territoire. Force est de constater que les réunions départementales et régionales se sont peu à peu espacées. Lorsque l'épizootie est apparue en Grande-Bretagne, nous avons constaté que les plans départementaux et nationaux de lutte contre la maladie n'avaient pas été mis à jour. Nous avons donc mis en place des plans d'urgence pour organiser les abattages, si l'épizootie gagnait la France. De plus, nous avons remarqué que les services vétérinaires manquaient de moyens pour travailler dans l'urgence.

Je ne reviendrais pas sur le déroulement événementiel de la crise de la fièvre aphteuse en France, car il a été abondamment relaté par les média. Néanmoins, il est important de souligner que les pouvoirs publics français n'ont pas attendu que la fièvre aphteuse ne touche le territoire national pour mettre en place un dispositif de lutte contre l'épizootie. Nous pourrions cependant nous interroger sur la pertinence des mesures prises dans l'urgence, afin de mettre en place un nouveau dispositif officiel de lutte contre la fièvre aphteuse. En outre, le dispositif mis en place au début des années 1990 n'a heureusement pas été appliqué. En effet, le Ministère de l'Agriculture a décidé d'abattre tous les animaux en provenance de la Grande-Bretagne, ainsi que les animaux qui avaient été en contact avec ceux-ci. Cette politique de prévention a permis d'enrayer rapidement la propagation de l'épizootie sur le territoire national, grâce à la collaboration efficace entre les vétérinaires libéraux, l'Administration sanitaire et les Groupements de défense sanitaire. Ces derniers ont notamment mis en place les pédiluves et informé les éleveurs des mesures à prendre pour prévenir l'épizootie.

Le GDS de la Mayenne a, par exemple, dépensé plus de 2 millions de francs en quelques semaines pour prévenir l'expansion de la maladie, en achetant des tonnes de soude, en installant les pédiluves, en préparant les dossiers d'indemnisation. Ces activités ont mobilisé le personnel du GDS nuit et jour, y compris les week-ends. En outre, les départements du Cher, de l'Allier, et de l'Oise ont procédé à des abattages préventifs. Néanmoins, nous avons constaté que l'AFSA avait pris trop de temps pour communiquer les résultats d'analyse des animaux. Je saluerais enfin le comportement responsable des éleveurs, notamment des agriculteurs du bassin allaitant, qui a été particulièrement touché par la crise de l'ESB et par les restrictions imposées pour la circulation des animaux dans le cadre de la crise de la fièvre aphteuse.

Crise européenne ou crise de l'Europe ?

Nous avons relevé des dysfonctionnements au sein des institutions européennes, car les dispositions prises par la Commission européenne ne sont pas toujours appliquées par tous les pays. Une meilleure coordination des politiques de prévention et de lutte contre l'épizootie permettrait de gérer plus efficacement la crise.

En outre, nous déplorons la faiblesse des services sanitaires et des services de contrôle vétérinaire européens. Ces derniers ne disposent pas, en effet, de moyens d'investigations suffisants.

Je vous signale que la FNGDS envisage de rédiger une analyse pointue de la crise de la fièvre aphteuse, dans le cadre d'un livre blanc. Nous y proposerons notamment des idées pour modifier le plan de lutte contre la fièvre aphteuse.

M. Henri Cassagne - J'ajouterais que nous avons tiré trois leçons de la crise de la fièvre aphteuse :

- l'insuffisance des moyens des services vétérinaires ;

- l'adaptation les dispositifs de lutte contre l'épizootie ;

- le renforcement de la surveillance épidémiologique, notamment en appliquant la loi votée au mois de janvier 2001 sur le réseau sanitaire bovin ;

- le renforcement de la traçabilité sanitaire, notamment en utilisant le logiciel Marcassin en rapport avec le registre d'élevage et en renforçant l'identification des ovins, des caprins et des porcins.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie. Monsieur le rapporteur, avez-vous des questions à poser aux représentants de la FNGDS ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez cherché à déterminer si l'épizootie de la fièvre aphteuse a révélé une crise européenne ou une crise de l'Europe. En outre, vous indiquez que le Ministère de l'Agriculture a rapproché les contrôles des animaux provenant de Grande-Bretagne. Je pense que le Ministère aurait dû prendre cette mesure plus tôt. Les 15 Ministres de l'Agriculture auraient notamment pu s'interroger avant la crise sur le renforcement de la traçabilité des ovins. Nous aurions ainsi évité que des animaux atteints du virus de la fièvre aphteuse ne circulent dans l'Union européenne. Comment envisagez-vous la nouvelle mission qui a été confiée aux GDS par le législateur ? Le gouvernement ne doit pas se décharger de ses responsabilités en matière d'épidémiosurveillance sur les GDS. Vous avez d'ailleurs souligné l'insuffisance du nombre de vétérinaires dans le réseau d'épidémiosurveillance français. En outre, vous avez en partie répondu à ma question en préconisant le renforcement de la sécurité alimentaire et l'identification des animaux au sein de l'Union européenne. A défaut, ce type de crise risque de renforcer un sentiment anti-européen chez certains Français.

Par ailleurs, nous avons constaté que l'opinion publique a été émue devant les images de charniers. Quelle est votre position sur la mise en place d'un vaccin dont les antigènes seraient marqués ? Bien que les pays d'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande et l'Australie refusent d'importer des animaux vaccinés, l'OIE précise que ces derniers peuvent être exportés, car ils ne présentent aucun risque pour la santé humaine et ils ne véhiculent pas la maladie.

M. Jean-Jacques Rosaye - Bien que le législateur nous ait confié de nouvelles attributions dans le réseau d'épidémiosurveillance, nous sommes toujours placés sous la tutelle des autorités sanitaires. Par ailleurs, nous ne pourrons pas mener des actions de prévention sanitaire sans mettre en place une identification efficace des animaux. Je pense que la traçabilité des bovins est effective, mais que nous devons encore faire de gros efforts pour améliorer l'identification d'autres espèces animales, comme les moutons. Bien que la France apparaisse comme un pays précurseur en matière de traçabilité des animaux, notre système ne sera parfaitement efficace qu'en harmonisant les pratiques d'identification au sein de l'Union européenne. En effet, actuellement, lorsque nous importons des animaux étrangers qui ne sont pas correctement identifiés, nous les baguons en France. Or cette méthode conduit les services sanitaires à « nationaliser » des animaux étrangers dont la provenance demeure inconnue.

Par ailleurs, l'Etat ne doit pas se décharger sur les GDS pour prévenir les épidémies de fièvre aphteuse et pour mettre en place le dispositif de lutte. Nous avions déjà demandé à l'Etat de mettre en place des contrôles réguliers des animaux, dans le cadre de la crise de l'ESB. J'espère que notre demande sera entendue.

Enfin, l'opinion publique et les éleveurs se sont souvent interrogés durant la crise de la fièvre aphteuse sur l'absence de vaccination des animaux. Je vous rappelle que cette décision incombe aux autorités européennes. En outre, si ces dernières décident de revacciner les troupeaux, nous devrons préparer des arguments solides pour convaincre nos partenaires commerciaux d'importer nos animaux. Nous devrions également faire valider par l'OIE la possibilité de vendre des animaux vaccinés avec des antigènes marqués. Je pense que nous nous engagerons alors dans une longue bataille pour convaincre nos partenaires commerciaux de revenir sur leur décision de ne pas importer des animaux vaccinés. Je vous signale enfin que le coût de la vaccination est significatif.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez attiré notre attention sur les carences de notre système d'identification des animaux. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour renforcer la traçabilité des cheptels en France et en Europe ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Lorsqu'un animal est importé, nous devons être en mesure de retrouver facilement son lieu de naissance, ainsi que son cheminement avant de parvenir en France. Pour mettre en place cette mesure simple, nous devons utiliser des moyens techniques différents en fonction des espèces. En effet, nous ne pouvons pas utiliser les mêmes méthodes d'identification pour les ovins que pour les bovins, car la valeur de ces animaux est différente.

M. Philippe Arnaud, président - Quelles mesures préconisez-vous concrètement pour identifier les ovins ?

M. Jean-Jacques Rosaye - Nous envisageons de mettre en place un système complet d'identification élaboré avec le Ministère de l'Agriculture. Je vous signale que l'identification ne consiste pas seulement à poser un identifiant sur l'animal, mais aussi de créer une base de données nationale recensant tous les animaux vivant en France, intégrée dans une base de données européenne. En outre, cette base sera bientôt achevée pour les moutons, mais n'existe pas encore pour les autres espèces.

Par ailleurs, notre objectif est de tracer les déplacements de l'animal en les notifiant auprès des services sanitaires français. C'est pourquoi nous envisageons d'étendre l'utilisation du logiciel Marcassin, qui ne gère actuellement que l'identification des bovins, à celle des caprins, des porcins et des ovins. Nous prévoyons également de compléter la base d'identification d'une base de données sanitaires afin que les services vétérinaires puissent retracer rapidement le cheminement d'un lot d'animaux ou d'un animal, en cas d'épidémie.

Alors que la traçabilité des animaux nécessite une harmonisation des procédures d'identification en Europe, la Grande-Bretagne ne développer ces procédures sur son territoire. Force est de constater que les éleveurs français sont toujours les premiers à supporter la mise en place de nouvelles dispositions en Europe.

Par ailleurs, les obligations relatives à l'identification des animaux ne concernent que les éleveurs, alors que les dispositions de la directive européenne 64-432 et du règlement 1760-2000, concernant les intermédiaires, ne sont toujours pas appliquées en France. Nous imposons encore des sticks sur les passeports, mais nous n'appliquons pas ces mesures.

M. Philippe Arnaud, président - Vous affirmez que la prévention des épizooties de fièvre aphteuse repose sur une politique d'identification européenne des animaux qui soit fiable. Pensez-vous que le système qui est appliqué pour les bovins puisse être transposé aux ovins ?

M. Jean-Jacques Rosaye - La France dispose d'un système d'identification des ovins nés et vivant sur le territoire national, qui est assez performant. Malheureusement, ce système n'intègre pas les ovins qui sont importés en France pour y être abattus. Nous sommes confrontés au problème de l'identification des animaux nés à l'étranger.

M. Philippe Arnaud, président - Vous affirmez que la France dispose d'un système de traçabilité des ovins qui est assez performant, mais que vous rencontrez des difficultés pour identifier les animaux qui proviennent de l'étranger.

M. Henri Cassagne - J'ajouterais que l'identification des ovins porte également sur les contrôles de l'origine des animaux. Or ces contrôles sont insuffisants dans notre pays.

M. Philippe Arnaud, président - Je donne la parole à M. Braye.

M. Dominique Braye - Estimez-vous que le gouvernement a agi efficacement pour lutter contre la fièvre aphteuse ?

M. Henri Cassagne - Oui, je considère que le gouvernement a mis en place rapidement tous les moyens nécessaires pour prévenir la propagation de l'épizootie dès que l'annonce du premier foyer de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne. Si le gouvernement n'avait pas pris aussi rapidement des mesures de prévention, nous aurions certainement enregistré davantage de foyers en France.

M. Dominique Braye - J'ai également noté que vous aviez prévu de publier un livre blanc analysant le déroulement de la crise de fièvre aphteuse. Je considère que la rédaction de cet ouvrage est plus instructive pour les éleveurs, qui considèrent trop souvent que la vaccination protège leurs troupeaux contre la fièvre aphteuse. Ce type d'ouvrage permettra d'améliorer l'information des éleveurs sur cette épizootie et sur le fonctionnement du dispositif de prévention.

En outre, je considère, comme vous, que la France dispose d'un réseau d'épidémiosurveillance performant, reposant outre les services vétérinaires, sur les très nombreux vétérinaires sanitaires libéraux répartis sur la totalité de notre territoire national, alors que la Grande-Bretagne ne possède pas de réseau équivalent. Néanmoins, j'attire votre attention sur le manque de moyens humains des services vétérinaires français, qui sont souvent palliés par ces vétérinaires libéraux spécialisés dans le domaine sanitaire. Malheureusement, ces vétérinaires sanitaires sont aujourd'hui découragés, car leur travail n'est pas rémunéré à sa juste valeur. Je vous rappelle qu'un vétérinaire perçoit 85 francs pour pratiquer à l'abattoir une inspection ante-mortem. Partagez-vous cette analyse de la situation ? Que proposerez-vous dans votre livre blanc pour conserver ce réseau d'épidémiosurveillance français particulièrement performant et qui a fait ses preuves depuis très longtemps ?

M. Philippe Arnaud, président - Je vous propose de répondre à la question de M. Braye par une note adressée à la Mission afin de libérer la salle. J'invite également les sénateurs à formuler leurs questions par écrit afin que nous vous les transmettions. Enfin, si vous souhaitez nous communiquer de plus amples informations, je vous propose de nous les adresser par écrit.

Je vous remercie de votre intervention.

5. Audition de M. Pierre Chevalier, Président de la Fédération Nationale Bovine, Vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Chevalier, Président de la Fédération Nationale Bovine et Vice-Président de la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), qui va nous présenter son point de vue sur les conséquences de l'épizootie de fièvre aphteuse et nous faire part de ses éventuelles propositions.

M. Pierre Chevalier - Monsieur le Président, je vous remercie de m'avoir invité à participer à vos travaux sur la fièvre aphteuse. Toutes les personnes qui composent votre Commission me donnent le sentiment d'être des experts qui ont une parfaite connaissance de la fièvre aphteuse. En conséquence, je pense que nous devrons nous livrer à une réflexion commune sur ce problème.

Comme vous le savez, la fièvre aphteuse est une maladie animale très contagieuse qui affecte les ruminants (bovins, ovins et caprins) ainsi que les porcs et les sangliers. Elle ne présente pas de danger pour l'homme mais génère des pertes économiques importantes pour les filières animales touchées.

L'épisode aphteux que la France a traversé s'est déroulé dans un contexte particulier. En effet, à quelques jours de la fête musulmane de l'Aïd-el-Kébir, les expéditions d'ovins britanniques étaient évaluées à environ 20.000 têtes. Différentes personnes qui sont déjà intervenues devant votre Commission vous ont sans doute informé de pratiques d'abattage clandestin, dans des lieux surprenants comme des centres de traitement des métaux ferreux, et sans couverture vaccinale. Je voudrais donc commencer mon audition en saluant l'esprit de grande responsabilité des autorités religieuses musulmanes qui ont contribué, grâce aux messages qu'elles ont diffusés, à la maîtrise des risques.

Dans ce contexte, à la fin du mois de février, aucune alternative crédible à une politique d'abattage préventive ne s'offrait aux autorités sanitaires françaises : il fallait aller plus vite que le virus et éviter la contagion. Les organisations professionnelles de l'élevage de notre pays estiment que la mobilisation des services de l'Etat a été exemplaire. La Grande-Bretagne, qui a supprimé ses services de sécurité de santé animale, a quant à elle rencontré des grandes difficultés pour gérer l'épizootie de fièvre aphteuse.

Malgré les diverses prises de position qui ont été exprimées, et le grand désarroi des éleveurs, les organisations professionnelles de l'élevage (la FNSEA, le CNJA, la Fédération Nationale Bovine) ont soutenu la stratégie de la DGAL et du Ministère de l'Agriculture. Les résultats obtenus, au regard de l'extrême contagiosité de la maladie, confirment que les moyens mis en oeuvre ont été efficaces. Ce satisfecit ne saurait cependant pas nous faire oublier la nécessité de tirer les enseignements de cette crise, traumatisante moralement et terriblement éprouvante financièrement pour les éleveurs et l'ensemble des opérateurs de la filière des viandes, d'autant plus que l'épisode aphteux est survenu alors que la filière subissait les effets de la crise de l'encéphalite spongiforme bovine.

Les enseignements à tirer de l'épizootie de fièvre aphteuse

La protection vaccinale

Pour comprendre la problématique de la protection vaccinale, il convient de se replacer dans le contexte de la fin des années 80. La construction d'un marché unique exigeait une harmonisation communautaire des politiques sanitaires. Il a alors été décidé de cesser la vaccination, parce que les caractéristiques du vaccin anti-aphteux ne répondaient plus à la situation épidémiologique. Le vaccin vise en effet à réduire la circulation virale : il était donc parfaitement adapté lorsque la France enregistrait des dizaines de milliers de foyers par an. Il faut ajouter que seuls les bovins étaient vaccinés, ce qui représentait un taux de couverture vaccinale de seulement 45 % des animaux sensibles, alors que ce taux devrait avoisiner 75 % pour une totale efficacité. Les études épidémiologiques conduites par les autorités communautaires en coordination avec l'Office International des Epizooties (OIE) avaient par ailleurs mis en évidence le fait que sur les dix dernières années de vaccination, près du tiers des foyers avaient pour origine des vaccins mal inactivés voire des fuites de virus en laboratoire.

Ces aspects purement techniques, associés aux études économiques et aux problématiques commerciales internationales, avaient donc conduit l'Union Européenne à opter pour la non-vaccination. Le premier enseignement que nous en tirons est qu'il faut favoriser la recherche pour mettre au point une nouvelle technique de protection des espèces sensibles à la fièvre aphteuse. L'Office National des Epizooties devrait coordonner ces efforts de recherche.

Les abattages préventifs

L'épisode aphteux de l'année 2001 a démontré que les méthodes de lutte prévues dans les textes réglementaires des années 90 ne répondent pas à la problématique dans le cadre d'une politique de non-vaccination. L'abattage préventif des troupeaux, avec un financement communautaire, n'est pas prévu dans les textes. L'instauration de zones de surveillance autour des élevages dont les cheptels sont abattus préventivement pour cause d'introduction d'animaux potentiellement contaminés (sérologie confirmée positive), conduit à des restrictions draconiennes du commerce et de la circulation des animaux : aucun dispositif d'accompagnement financier n'est pourtant prévu pour ces périmètres protégés. Il y a donc lieu de procéder à une réévaluation des textes réglementaires français et communautaires, mais aussi des dispositions du Code zoo-sanitaire de l'Office National des Epizooties.

L'acceptation sociale

L'opinion publique participe de plus en plus aux débats techniques, en privilégiant une approche morale. Euthanasier des animaux sains pour des raisons préventives est jugé scandaleux, voire immoral. Les pouvoirs publics doivent prendre en compte l'acceptation sociale pour la définition des politiques sanitaires. Les images des brasiers, qui ont été largement diffusées à la télévision, ont profondément affecté l'opinion publique, ce qui a eu des répercussions sur la consommation. La consommation de viande bovine était en effet remontée à - 25 % par rapport au 20 novembre 2000, mais la diffusion des images de brasiers nous a fait perdre à nouveau entre 5 et 10 points de consommation pendant plusieurs semaines.

Les modalités de production et de circulation des animaux

Il convient de réévaluer les modalités de production et de circulation des animaux et de mettre en place une harmonisation. L'épizootie britannique aurait en effet pour origine l'emploi des restes des plateaux-repas non stérilisés. De telles pratiques en France conduiraient à la fermeture de l'élevage incriminé. En effet, la sécurité sanitaire et l'utilisation des déchets sont extrêmement réglementées dans notre pays.

Outre les distorsions de concurrence qu'induit l'absence d'harmonisation communautaire des pratiques de production, la Grande-Bretagne fait peser des risques considérables sur des secteurs économiques entiers. Les conditions d'apparition et de diffusion de l'ESB conduisent au même constat. En France, lorsqu'un plateau-repas arrive en provenance d'Afrique du Sud, par exemple, il est incinéré comme les déchets ménagers : il n'entre pas dans l'alimentation des animaux. Nous disposons de services de santé animale et de sécurité alimentaire qui sont extrêmement vigilants à ce sujet.

La libre circulation des animaux vivants et des marchandises ne doit pas s'accompagner d'une libre circulation des maladies. En matière de traçabilité des mouvements, le système informatique européen ANIMO a fait preuve de son efficacité. Il convient de renforcer encore au niveau national cette traçabilité, notamment dans le secteur ovin pour lequel nous avons pu constater un déficit d'identification des animaux en provenance de Grande-Bretagne.

Le point de vue d'un éleveur

Je souhaiterais vous présenter ma situation en tant qu'éleveur de Charolais dont 100 % du chiffre d'affaires provient de la viande bovine charolaise et qui exporte vers l'Italie 70 % de sa production : je suis aujourd'hui dans une situation dramatique, comme tous les éleveurs spécialisés en races à viande (Charolaise, Limousine, Salers, Aubrac, Blonde d'Aquitaine) qui exportent la majorité de leur production vers l'Italie. Sur les 4,5 millions bovins produits en France chaque année, nous exportons 1,5 million bovins, du broutard jusqu'au jeune bovin : 1,2 million de bovins vers l'Italie et 300.000 bovins vers l'Espagne et l'Allemagne.

Alors que la France a été exemplaire en matière de traitement de l'épizootie de fièvre aphteuse, il est anormal que pour des raisons électorales l'Italie nous empêche aujourd'hui d'exporter nos animaux, d'autant plus que les engraisseurs italiens souhaitent venir acheter leurs animaux en France. Les broutards, c'est-à-dire les jeunes veaux de 8 à 12 mois (jusqu'à 15 mois pour le Charolais), sont majoritairement exportés vers l'Italie. Le sort des 350.000 broutards dont nous disposons aujourd'hui est suspendu à la décision des pouvoirs publics italiens de rouvrir leur frontière. Nous souhaitons reprendre cette exportation même nous devions vendre ces broutards moitié prix par rapport à la situation antérieure à la crise de l'ESB. J'ai vendu mes premiers Charolais entre16 et 17 francs alors que je ne pourrais les vendre, si la frontière italienne était rouverte, qu'entre 8 et 10 francs. Je ne sais que faire de mes broutards : dois-je les mettre dans le pré, les castrer ou les enterrer ? La situation est vraiment dramatique.

Dans les régions de mono-production, de zone herbagère inconvertible, il existe peu de diversification, peu d'ateliers hors sol, de volailles ou de porcs : nous sommes donc contraints à l'exportation. Le marché italien a besoin de nos animaux, l'Italie n'étant autosuffisante qu'à 50 % pour la viande bovine. Je ne vois pas comment ces exploitations en mono-production vont pouvoir survivre.

La consommation française de viande bovine avait augmenté de 1,6 % par rapport au 20 mars 1996, c'est-à-dire avant la crise de la vache folle : nous avions donc réussi à reconquérir la totale confiance des consommateurs. Nous avions su gérer la crise de l'ESB et le développement raisonné de la production de viande bovine en France et en Europe : en effet, les frigorifiques de la Communauté Economique Européenne ne contenaient plus un seul kilogramme de viande bovine. La situation était donc saine et favorable : pas d'excédent communautaire, pas d'excédent français, 1,5 million de tonnes de viande bovine consommées en France, en augmentation de 1,6 % par rapport à 1996, 7 à 8 millions de tonnes de viande bovine consommées en Europe. En raison de l'épizootie de fièvre aphteuse et de la crise ESB, l'excédent structurel sera compris entre 350.000 et 500.000 tonnes en 2001. Ces chiffres sont faciles à calculer : 1,5 million de tonnes étaient consommées avant la crise, mais nous avons subi une baisse de consommation comprise entre 20 et 30 %. En Europe, la consommation a chuté de 40 à 50 % en Italie et de 40 % en Allemagne. Sur 7 à 8 millions de tonnes de viande bovine consommées en Europe, une baisse de la consommation européenne de 30 % aurait pour conséquence un excédent structurel de 2 à 3 millions de tonnes de viande bovine sur l'année 2001.

M. Philippe Arnaud, président - Avant de donner la parole à notre rapporteur, je souhaiterais revenir sur votre dernière réflexion. Vos propos permettraient-ils d'accréditer la thèse de certains selon laquelle les abattages massifs réalisés préventivement participeraient à la réduction d'excédents structurels ?

M. Pierre Chevalier - Vous voulez insinuer que la Grande-Bretagne aurait contribué à la propagation de l'épizootie de fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - Je n'ai pas dit cela.

M. Pierre Chevalier - Ces propos ne sont pas si déplacés : je les entends sur l'ensemble du territoire français depuis de nombreuses semaines.

Le plan qui a été appliqué en France pour traiter l'épizootie de fièvre aphteuse me semble avoir été efficace, même s'il a pu paraître excessif aux Français. Il est évident qu'un tel plan a été difficile à expliquer dans le département de la Mayenne et les trois départements qui l'entourent. Je ne peux pas croire que les décisions des pouvoirs publics français, les mesures prises en Grande-Bretagne et les orientations données par Bruxelles, par le Comité Scientifique Européen, aient eu pour objectif, à travers l'abattage des animaux dans les périmètres proches des foyers à sérologie positive, de gérer les excédents structurels de production de viande bovine. Ce serait aller un peu trop loin. Je vous rappelle que certains avaient insinué que les Etats-Unis, ayant des comptes à régler avec l'Europe à propos des hormones, avaient fait en sorte que l'ESB se développe... Ce n'est donc pas la première fois que ce genre d'allégations circule.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez insisté sur la gravité de l'épizootie de fièvre aphteuse qui est survenue à la suite de la crise de l'ESB. Vous avez évoqué les problèmes d'exportation ou, pour être plus exact, les problèmes d'échanges intra-communautaires. Nous avons bien compris par ailleurs que l'abandon de la vaccination a été décidé au niveau européen, en fonction de plusieurs éléments que vous nous avez présentés. Selon une récente publication, il semble que le Docteur Claude Murier, qui était Président du Comité Scientifique Vétérinaire de l'Union Européenne, n'ait pas été consulté pour la décision d'abandonner la vaccination. Je suis un européen convaincu, mais nous ressentons tous aujourd'hui les faiblesses de l'Europe. Je ne voudrais pas que cette crise continue à « fabriquer » des anti-européens.

S'agissant de la libre circulation des animaux, nous constatons qu'il suffit de l'afflux d'animaux, destinés à être consommés pour une fête musulmane et d'échanges intra-communautaires pour perturber complètement l'état sanitaire des cheptels. En tant que professionnel, que pensez-vous de l'identification des ovins ? Un système d'identification existe en France, mais d'autres pays ont des identifications plutôt « légères » : on se demande même si les cheptels y sont référencés... Comment percevez-vous une évolution de l'identification des ovins ?

Pour revenir à la protection vaccinale, je vous ai entendu dire que le Gouvernement n'a pas trop mal géré l'épizootie. Je pense cependant que cette bonne gestion est due au fait qu'il n'y a eu que deux cas en France : si nous avions été dans la situation de la Grande-Bretagne, je ne sais pas si un gouvernement français, quel qu'il soit, aurait pu s'honorer d'avoir bien géré la crise. Il existe en France des races bovines dont les effectifs sont très faibles. Si l'épizootie avait eu la même ampleur qu'en Grande-Bretagne, des races entières auraient ainsi pu disparaître.

Comme vous l'avez souligné, l'opinion publique se manifeste de plus en plus, à travers les médias. L'incinération des carcasses d'animaux est apparue comme une pratique insupportable. Je pense que l'on ne pourrait pas faire accepter à la population l'idée d'abattre un tiers du cheptel français pour lutter contre la fièvre aphteuse. Face à cette situation, quelle solution pourriez-vous préconiser à notre Ministre de l'Agriculture ? Pensez-vous que ce qui a été mis en place est suffisant pour l'avenir ou faut-il approfondir la recherche au niveau européen ? Faut-il créer une agence européenne ? Les chercheurs européens doivent-ils orienter leurs efforts vers un nouveau vaccin qui serait « tracé », c'est-à-dire différencié de la maladie ?

En résumé, je souhaiterais que vous vous exprimiez sur l'identification des ovins et que vous nous donniez votre point de vue sur ce qui a été décidé en 1991 et ce qui pourrait être la solution de l'avenir dans le cadre des échanges européens et mondiaux. J'évoque les échanges mondiaux, mais je vous rappelle que ces derniers, hors Union Européenne, sont très faibles.

M. Pierre Chevalier - La France est le seul Etat membre qui a fait des efforts en matière d'identification bovine, même si tout n'est pas encore parfait dans notre pays. Vous savez tous que nous rencontrons deux difficultés. La première est que les moutons qui servent de « tondeuses à gazon » sont complètement inconnus des services vétérinaires et ne sont donc pas recensés. Pour illustrer la deuxième difficulté à laquelle nous devons faire face, je vais vous raconter une anecdote. Je me suis rendu dans les Alpes-de-Haute-Provence pour connaître la production ovine de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur dans laquelle le mouton joue un rôle très important en matière de politique d'aménagement du territoire, de politique d'entretien de l'espace et de politique de soutien du tourisme. J'ai découvert que 30 % de la commercialisation de la production de cette région était effectuée en dehors des circuits traditionnels. Les ovins ne transitaient ni par les groupements de producteurs ni par les coopératives et ne passaient pas par les abattoirs agréés CEE. J'ai constaté que les pouvoirs publics français avaient rouvert l'abattoir de Marseille qui était entièrement désaffecté pour éviter de voir des peaux de moutons et d'abattage dans les baignoires marseillaises...

M. Gérard Larcher - Nous connaissons bien ce phénomène. Dans le département des Yvelines, il existe à Mantes-La-Jolie un haut lieu d'abattage au moment des fêtes traditionnelles de la deuxième communauté religieuse de France. A cette période, nous ne sommes pas certains que le commerce des moutons respecte l'ensemble de la traçabilité sanitaire. Les services vétérinaires ne font pas preuve alors de la même observance dans leurs contrôles que ce qu'ils feraient dans le Cantal à une autre période... La question est donc de savoir si l'on ne prend pas des risques sanitaires parce que l'on ne veut pas aborder cette question de manière claire, comme on a pu le faire avec d'autres communautés, notamment de tradition israélite. A l'occasion de l'Aïd-El-Kébir, nous constatons des flux trans-Manche qui sont erratiques, qui s'effectuent dans des conditions de contrôle sanitaire non-satisfaisants. Je pense qu'il faut vraiment se pencher sur la réalité de ces flux parallèles. On ne veut pas parler de ces sujets avec la transparence républicaine qu'il conviendrait d'avoir !

S'agissant des races de faibles effectifs, que devrons-nous faire si les quelques exploitations qui maintiennent la diversité génétique se trouvent dans un périmètre de fièvre aphteuse ? Le sujet n'a pas été abordé. Devons-nous fabriquer et utiliser des vaccins pour les populations inférieures à 200 têtes ? Il s'agit d'une véritable question.

M. Pierre Chevalier - Vous avez tout à fait raison. Nous pourrions assister en quelques heures à la disparition de certaines races.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Larcher, je sais que vous êtes un spécialiste des équidés. Quelle est la sensibilité de ces animaux à la fièvre aphteuse ? Le suivi sanitaire des équidés étant beaucoup plus difficile, ne peuvent-ils pas être vecteurs de la maladie ?

M. Gérard Larcher - Les équidés peuvent être porteurs de la maladie, mais ils ne souffrent d'aucune traduction de la maladie. Le problème est que ces animaux se déplacent beaucoup, ce qui peut être un facteur de diffusion importante de la maladie. Des mesures temporaires d'immobilisation ayant été prises, le problème posé a été celui de la nécessité pour l'Etat de compenser les pertes dans le domaine des courses. Les mesures d'immobilisation ont rapidement été levées. Nous avons alors pris des mesures sanitaires sur les champs de course, mais il faut reconnaître que ces mesures correspondaient davantage au rituel du lavement des pieds du Jeudi Saint qu'à la réalité de la lutte contre la fièvre aphteuse !

M. Pierre Chevalier - Cela a d'ailleurs généré des tensions parmi les éleveurs...

Je crois que nous avons largement évoqué le problème de l'identification ovine. S'agissant de la vaccination, je vous ai expliqué dans mon propos introductif la position que nous avons arrêtée. Je me suis exprimé sur le secteur de la production de la viande bovine. Lorsque le deuxième cas de fièvre aphteuse est apparu dans notre pays, le communiqué du Ministère de l'Agriculture et de la DGAL a été publié à 22 heures. Une heure plus tard, Europe 1 m'a téléphoné pour connaître ma réaction. J'ai alors indiqué que si notre pays devait connaître un développement de la fièvre aphteuse dans les mêmes proportions qu'en Grande-Bretagne, il est évident qu'il ne faudrait pas écarter l'hypothèse d'une vaccination des 21 millions de bovins français ainsi que des ovins et des porcins. J'ai précisé cependant que cette mesure ne pourrait être que communautaire. Si la France procédait à des vaccinations de manière isolée, un tiers de sa production de viande bovine ne pourrait plus faire l'objet d'échanges intra-communautaires : la décision de reprise de la vaccination ne pouvait donc être que communautaire. Dès ce soir-là, j'ai par ailleurs considéré que le Ministre de l'Agriculture devait attirer l'attention du Comité Scientifique Vétérinaire et que toutes les dispositions devaient être prises à Bruxelles pour que nous puissions bénéficier des vaccins nécessaires pour l'ensemble des espèces sensibles en Europe.

Il est vrai que les échanges extra-communautaires dans le secteur de la production de viande bovine ne représente pas des tonnages qui pourraient déséquilibrer la production de viande bovine européenne. Nous devrions toutefois être attentifs quant aux conséquences que la crise pourrait avoir sur les produits laitiers, qui représentent de fortes exportations. Nous devrions expertiser également les exportations des produits porcins, qui s'effectuent vers des pays qui sont solvables ou des pays en voie de développement : nous exportons par exemple vers le Japon et la Chine.

Je suis irrité de constater que l'Office International des Epizooties nous oblige à ne pas vacciner pour que la France soit considérée comme une zone propre, tout pays qui procède à des vaccinations étant considéré comme une zone sale. Je me suis rendu récemment au Brésil et en Argentine : je sais que la moitié du territoire argentin, par exemple, est encore soumise à des campagnes de vaccination en raison d'épizooties de fièvre aphteuse. Or ces pays sont considérés comme des zones propres ! Ils exportent vers l'Europe de la viande qui est soi-disant de qualité, produite dans de grands espaces verts ! Il faut une totale transparence !

M. Philippe Arnaud, président - Qui a la responsabilité du contrôle ?

M. Pierre Chevalier - C'est dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, au travers de l'Office International des Epizooties, que l'Europe doit se faire entendre en faisant en sorte qu'une totale transparence soit faite. Nous avons découvert récemment que des vaccinations étaient encore pratiquées en Amérique du Sud, alors que cela nous était jusqu'à présent caché.

M. Jean-Paul Emorine , rapporteur - Je dispose d'une note de l'Office International des Epizooties : il est avéré que la fièvre aphteuse était présente le 30 mars 2001 en Argentine, mais aussi au Royaume-Uni, bien sûr, au Japon et au Brésil le 19 janvier 2001. Or les viandes de ces pays ont continué à être exportées : c'est tout de même incroyable !

M. Pierre Chevalier - Cela fait partie du grand débat au sein de l'OMC, qui a commencé à Seattle et qui va se poursuivre dans les mois qui viennent. Je serai vendredi à Genève : même si la médiatisation n'est pas aussi importante qu'à Seattle, nous continuons à négocier. Je crois que la Commission doit intervenir pour exprimer une position forte à ce sujet.

M. Gérard Larcher - Cela me paraît en effet essentiel. En Argentine, nous savons qu'il existe des foyers permanents. Nous sommes confrontés à une sorte d'hypocrisie collective. Nous ne pourrons pas continuer à tenir ce débat sous le boisseau. L'OMC n'a de sens que si les conditions sanitaires et vétérinaires sont partagées : dans le cas contraire, la concurrence serait biaisée et nous prendrions des risques. Nous appliquerions une politique de non vaccination alors même que nous vivrions dangereusement ! Cela pourrait être comparé à l'attitude que nous aurions vis-à-vis du Sida si nous continuions à considérer que 8 % de la population de l'Afrique du Sud n'est pas porteuse du virus ! Je crois qu'il faut que nous puissions affirmer haut et fort notre point de vue. C'est l'un des rôles de notre Commission. Nous ne pouvons pas pratiquer l'omertà collective !

M. Philippe Arnaud, président - Nous sommes bien d'accord. Avez-vous d'autres questions à poser au Président Chevalier ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur Chevalier, vous avez évoqué les indemnités qui pourraient être prévues pour les éleveurs dont les cheptels ont été incinérés. L'indemnisation des éleveurs des cheptels « périphériques » semble poser des difficultés.

M. Pierre Chevalier - Il faut en effet réévaluer les modalités d'indemnisation. Dans le cadre de l'ESB, c'est une Commission départementale sous la tutelle du préfet, composée d'experts professionnels, d'experts administratifs, du Directeur des Services Vétérinaires, de représentants des éleveurs, de commerçants et de coopératives, qui effectue une estimation du préjudice lié à l'abattage total d'un cheptel. Je n'ai jamais eu de retour négatif de ces indemnisations. En revanche, la fièvre aphteuse est soumise à l'abattage traditionnel prévu dans les textes législatifs, avec une indemnisation qui n'est pas à la hauteur de la valeur génétique des animaux. Je pense que les pouvoirs publics doivent donc prendre des mesures d'adaptation. L'Europe doit également prendre ses responsabilités : la Commission ne doit pas se défausser sur ce dossier.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Faut-il créer une agence européenne compétente en matière de santé animale ? Si l'on veut que toutes les décisions soient coordonnées, il faut s'appuyer sur l'Europe.

M. Pierre Chevalier - Dès l'affaire de l'encéphalite spongiforme bovine et les distorsions de concurrence qui sont apparues avec les positions de l'AFSSA en France et celles du Comité Scientifique Vétérinaire Européen, nous n'avons pas cessé de dire qu'il faudrait mettre en place une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments ainsi qu'une harmonisation communautaire en matière de sécurité sanitaire des aliments. La fièvre aphteuse ne serait peut-être pas apparue si une telle agence avait existé, si elle avait appliqué à la Grande-Bretagne la même rigueur que dans notre pays. De la même façon, il n'existerait peut-être pas de telles distorsions de concurrence si les Etats européens étaient soumis aux mêmes conditions d'élevage. Vous connaissez sans doute les problèmes que nous rencontrons avec les différences de conditions d'élevage et de coûts des bâtiments pour la production porcine dans les Etats membres.

Il est donc absolument nécessaire de mettre en place une agence européenne de sécurité sanitaire des aliments, à l'image de l'AFSSA en France. Il faut également que les positions des différents ministères qui sont représentés à l'AFSSA soient concordantes et qu'il n'y ait pas de surenchère médiatique, comme cela a été le cas pour la vache folle, entre la DGAL et l'AFSSA...

M. Louis Moinard - Je pense que nous sommes tous d'accord pour la mise en place d'une agence européenne sur la sécurité alimentaire. Le problème est plutôt de savoir comment les règles qui seraient définies pourraient être effectivement appliquées dans les différents pays. Les fabricants de foies gras doivent respecter des règles strictes en France, alors que nous importons de Hongrie ou de Roumanie des foies gras dans les conditions d'hygiène que je vous laisse deviner... Comment faire en sorte qu'il n'y ait pas des pays qui appliquent strictement la réglementation alors que d'autres sont plus laxistes ? Comment pourra-t-on harmoniser l'application des règles mises en place ?

M. Pierre Chevalier - L'harmonisation des règles sera peut-être difficile à réaliser : lorsque 15 pays sont représentés autour d'une table à Bruxelles, les discussions ne sont pas toujours faciles. Je le constate au sein du Comité des Organisations Professionnelles Agricoles (COPA).

S'agissant de l'application de ces règles, je suis convaincu que les dispositions environnementales relatives à la production porcine, par exemple, doivent être identiques dans l'ensemble des Etats membres : elles sont aujourd'hui définies par des textes, mais elles ne sont pas appliquées. Les productions porcines espagnoles ne disposent pas de plan d'épandage et ne répondent à aucune préoccupation en matière de stockage du lisier. La porcherie se situe souvent sur une butte, le lisier s'écoulant naturellement sur ses flancs ! Ces pratiques irritent les éleveurs français !

Je remarque que vous avez bien travaillé puisque le Ministre des Finances a conseillé au Premier Ministre d'attendre un peu avant d'appliquer la taxe sur les activités polluantes (TGAP). J'espère qu'à l'occasion de l'application de cette taxe, qui concernera l'agriculture, nous n'allons pas encore connaître une distorsion de concurrence intra-communautaire Il ne faudrait pas qu'il existe en France une taxe qui ne serait appliquée dans aucun autre pays européen ! Nous ne serons plus compétitifs ! Je vous assure que je suis favorable à la construction européenne et à l'euro : cela me sera plus pratique pour mes déplacements dans les Etats membres... Mais si l'on met en place une taxe, elle doit s'appliquer sur l'ensemble de l'Europe pour que les coûts de production soient identiques pour tous les éleveurs !

M. Jean-Paul Emorine , rapporteur - Vous avez parlé des exportations de produits laitiers vers le Japon et la Chine. Je ne pense pas que des problèmes d'environnement surviennent : l'élevage laitier, même s'il est quelque peu concentré, est accepté par l'opinion publique. En revanche, en matière de production porcine, doit-on continuer à laisser construire des porcheries ? Si nous voulons développer des politiques de qualité, toutes ces productions hors sol seront remises en cause.

M. Pierre Chevalier - La France est le deuxième pays exportateur de denrées agricoles, ce qui génère un excédent de 60 milliards de francs pour la balance agroalimentaire française. Je crois que la France doit rester forte. Nous détenons 40 à 50 % du troupeau européen. Sur 11 millions de vaches allaitantes en Europe, de races à viande, 4,2 millions sont élevées en France. Le consommateur demande aujourd'hui en priorité des races à viande. Le troupeau français est équilibré : nous avons 4 millions de vaches laitières (21 millions de vaches laitières en Europe) et à peu près autant de races à viande.

Il faut que la France reste forte. Nous sommes le pays le plus agricole d'Europe, et nous devons le rester. J'admets pourtant que nous sommes allés trop loin : on concentre par exemple 60 % de la production porcine sur 4 départements ! Je ne dis pas qu'il faut produire moins de porcs, mais qu'il faut mieux répartir les élevages sur l'ensemble du territoire. Je pense que nous sommes allés trop loin. 2.000 personnes ont défilé dans les rues de Rennes avec une bouteille à la main pour dire que l'eau contient trop de nitrates. Dans mon département, on apporte en moyenne pondérée 40 ou 50 unités d'azote à l'hectare, contre 400 ou 500 unités d'azote à l'hectare dans le département du Finistère : nous sommes clairement allés trop loin. Je n'ai pas honte à le dire, même si je fais partie des personnes qui ont peut-être cautionné cet état de fait. Mais lorsque je vois dans mon département de la Corrèze, où la production porcine est quasi inexistante, que le projet de construction d'une porcherie sur le plateau des Millevaches, qui ne compte que 3 habitants au kilomètre carré, provoque des manifestations d'écologistes, je ne comprends plus. Si nous ne voulons pas que 60 % de la production porcine soit située dans 4 départements, il faut que l'on nous donne les moyens de répartir les exploitations. Cela fait partie de la politique d'aménagement du territoire : l'élevage est le pilier de l'économie rurale.

Si la France n'assure pas la production porcine, d'autres Etats de l'Union Européenne, comme la Hollande, prendront notre place. Ce sera au détriment de notre économie nationale.

Je vais arrêter là mon intervention. Je vous remercie sincèrement de m'avoir invité. Au-delà de l'aspect scientifique des questions que vous m'avez posées sur la fièvre aphteuse, je voudrais attirer votre attention sur le fait que l'élevage traditionnel français des races à viande bovine est en danger de mort. Cet élevage est le pilier de l'économie rurale : s'il disparaît, dans l'Allier, en Saône et Loire, en Bourgogne, en Auvergne, dans l'Aveyron, en Lozère, dans l'Indre et en Vendée, les artisans, les commerçants, les professions libérales disparaîtront également dans les communes. Vous connaissez bien ces communes rurales où l'on ne trouve plus aucun artisan ou commerçant : seuls les agriculteurs contribuent au financement du budget de la commune. S'ils disparaissent, le tourisme sera affecté puisque le territoire ne sera plus entretenu. Nous nous dirigeons vers une situation vraiment dramatique.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, je vous remercie. Nous vous remercions de nous communiquer toute information, documentation, analyse ou étude que vous pourriez obtenir dans vos différentes fonctions.

6. Audition de Thierry Geslain, Chef du Service Scientifique et Réglementaire de l'ANIA

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Geslain, nous souhaiterions connaître votre point de vue de scientifique notamment sur les conséquences de l'épizootie de fièvre aphteuse.

M. Thierry Geslain - L'Association Nationale des Industries Agroalimentaires (ANIA) a vécu cette crise avec du recul. En revanche, je peux vous faire part du point de vue des syndicats des produits laitiers, de la charcuterie, de la viande et des produits surgelés qui sont représentés à l'ANIA, ainsi que celui de d'une alliance regroupant 7 syndicats de produits animaux dans les secteurs de la biscuiterie, de la confiserie, de la chocolaterie, de la biscotterie et des baby food.

L'ANIA a été touchée par les conséquences économiques de la fièvre aphteuse. J'ai rencontré ce matin toutes les professions que je viens de vous citer les unes après les autres. On m'a expliqué que la fièvre aphteuse ne représente pas un danger comparable aux risques de Listéria dans la charcuterie. En effet, les entreprises n'ont pas dû mettre en place des mesures de traitement des produits adaptées à la fièvre aphteuse.

Toutes les mesures de prévention qui ont été mises en place au mois de février pour éviter la dissémination du virus ont été globalement bien ressenties par les professions adhérentes de l'ANIA. Comme dans toute crise, ce sont surtout les premiers jours, et notamment les premières 24 heures, qui ont posé des difficultés. Mais par rapport aux crises précédentes (dioxine, ESB), les 5 professions que je vous ai citées ont globalement retenu un net progrès dans leurs rapports avec les pouvoirs publics en ce qui concerne les échanges d'informations. Au moment des problèmes de dioxine, l'ANIA avait exprimé son souhait d'une meilleure gestion quotidienne de l'information en cas de crise. Pour la fièvre aphteuse, les 5 professions concernées, ainsi que l'ANIA, ont reçu systématiquement les circulaires et lettres d'information. Entre la mi-février et la fin du mois d'avril, nous avons reçu 24 notes par courrier électronique ou par fax. Les fédérations, et donc les industriels, étaient ainsi parfaitement informés des décisions de gestion de crise qui avaient été prises, ce qui leur permettait de réagir rapidement.

L'ANIA est très peu intervenue en tant que telle, si ce n'est pour signaler des problèmes sur le terrain que certaines fédérations nous ont remontés. Dans les heures qui ont suivi le cas de fièvre aphteuse en Mayenne, l'Allemagne a par exemple appliqué à tous les départements français les mêmes contraintes que pour le département de la Mayenne : il a fallu que nous alertions rapidement les services centraux de ce problème pour qu'ils le résolvent avec les autorités allemandes.

En tant qu'industriels, nous étions concernés par l'importation de matières premières et par la nature des traitements subis par les denrées pour pouvoir circuler, les critères applicables étant issus de règlements communautaires. Nous avons rencontré un problème d'adaptation, qui a été résolu au cas par cas avec les services vétérinaires. En ce qui concerne la charcuterie, les textes permettaient de faire circuler des jambons ayant subi une cuisson de 70 degrés pendant un certain temps. Or dans la pratique, de nombreux sites avaient recours à une température légèrement inférieure, à 68 ou 69 degrés, mais pendant un temps beaucoup plus long. Si l'on appliquait les textes de manière stricte, ces produits ne pouvaient plus sortir du département concerné. Cette situation n'avait pas été prévue parce que ce type de danger n'était pas celui sur lequel avaient été établis les barèmes de cuisson. Les règlements communautaires étaient par ailleurs très rigides et n'avaient peut-être pas suivi les évolutions technologiques, comme le pense la fédération de la charcuterie. La profession a dû changer rapidement ses méthodes de cuisson pour pouvoir répondre à ce texte qu'elle trouvait pourtant artificiel : on pouvait en effet penser que le fait de diminuer légèrement la température en laissant cuire le jambon un peu plus longtemps était équivalent aux exigences du texte. Des solutions ont cependant dû être trouvées au cas par cas pour tous les produits de la charcuterie.

Même si un chiffrage est difficile à réaliser, il semble que le secteur de la charcuterie n'ait pas rencontré d'importantes difficultés économiques, contrairement au secteur des produits laitiers. En Mayenne, Célia a par exemple dû faire face à la fermeture du marché algérien. Dans l'Orne, un établissement a dû faire fondre 400.000 camemberts au lait cru. Les bries de Meaux en Seine et Marne ont également été affectés par la crise, même si les opérateurs ont réussi à trouver un écoulement sur le marché français. Globalement, le secteur des produits laitiers attend donc davantage des pouvoirs publics en matière d'indemnisation.

Le secteur de la viande est quant à lui en train de recenser toutes les conséquences économiques par site. 3 établissements sont notamment concernés en Mayenne. Ce secteur a mal ressenti l'arrêté du 3 mars 2001 prévoyant une indemnisation pour les animaux importés. Si ma mémoire est bonne, cet arrêté prévoit une indemnisation pour les ovins de 500 francs pour les animaux vivants et de 300 francs pour les carcasses. Le secteur a assez mal compris qu'une distinction soit faite entre l'animal vivant et la carcasse. Je crois qu'il va falloir plaider la cause de ce secteur auprès des pouvoirs publics.

Globalement, c'est donc le secteur laitier qui a été le plus touché. Le secteur charcutier a dû faire face à des problèmes d'approvisionnement mais a réussi à « survivre » : la fièvre aphteuse a peut-être été vécue comme une « mini-crise » par rapport aux crises précédentes. Pour tous les secteurs, le problème le plus crucial, parce qu'il n'est pas chiffrable, est relatif aux exportations qui sont encore bloquées pour certains pays comme le Japon, la Corée et la Russie. Il apparaît des problèmes très difficiles au quotidien puisque les positions des pays étrangers sont très différentes : des pays acceptent certains produits mais pas d'autres, exigent des certificats, etc... Le secteur laitier se demande si un système de certification au niveau européen ne devrait pas être mis en place. Nous n'avons pas vraiment réfléchi à ce sujet au sein de l'ANIA, mais cette piste méritera peut-être d'être suivie dans l'avenir. Une autre conclusion commune à tous les secteurs concerne la bonne communication avec les services centraux qui a permis de prévoir la manière de gérer la crise. Cela n'a pas forcément toujours été le cas avec les DSV locales qui étaient assez débordées. Plusieurs entreprises ont joué un rôle d'information vis-à-vis des DSV en leur signalant par exemple qu'elles allaient recevoir une circulaire leur permettant de libérer un produit déterminé. Cette situation n'est pas très bien vécue par les DSV, mais il faut passer par là pour pallier les écarts d'interprétation d'une DSV à l'autre. Ces problèmes ont globalement été solutionnés, grâce à l'information qui existait au niveau des entreprises et qui provenait des décisions prises en central. Il était possible de convaincre les DSV de vérifier leurs informations auprès des services centraux.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Pendant cette période, vos entreprises ont-elles continué dans le cadre de leurs relations commerciales à importer des viandes en provenance d'Argentine ou du Brésil ?

M. Thierry Geslain - Il n'y a pas eu à ma connaissance d'obstacles à ces importations.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Une note de l'Office International des Epizooties évoque une déclaration de fièvre aphteuse au Brésil en date du 19 janvier 2001 et une déclaration pour l'Argentine datée du 30 mars 2001. Je n'ai pourtant jamais entendu les médias dire que ces viandes étaient interdites à l'importation. Avez-vous des informations à ce sujet ?

M. Thierry Geslain - Je préférerais que ce soit le secteur des viandes qui s'exprime devant vous. Je n'ai pour ma part pas eu connaissance d'un arrêt des importations, sauf pendant une courte période pour les pays que vous avez cités. Je ne connais pas les mesures qui ont été prises vis-à-vis de ces pays. Il est vrai que tous les secteurs ont remarqué une prévention extrême de la part des pays européens, et notamment la France, par rapport à ce qui se passe dans les pays tiers. Je ne peux cependant pas porter de jugement sur les cas particuliers du Brésil et de l'Argentine parce que je ne dispose pas de suffisamment d'éléments d'information.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Pourriez-vous disposer de ces informations ?

M. Thierry Geslain - Bien évidemment. Je peux tout à fait me tourner vers les trois fédérations que sont la viande, les produits laitiers et la charcuterie pour obtenir des renseignements supplémentaires.

M. Philippe Arnaud, président - Vous comprendrez que des informations de cette nature sont d'autant plus importantes, que la santé humaine n'est pas concernée par cette crise.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez évoqué la cuisson des jambons : quel serait le risque que pourrait faire courir un jambon moins cuit sur la santé humaine ?

M. Thierry Geslain - Le problème n'a jamais concerné la santé humaine. C'était parfaitement clair au niveau des services centraux français. Les entreprises, préoccupées par leurs produits finis, ont rencontré des difficultés vis-à-vis des services départementaux qui cherchaient, pour la préservation de la santé animale, à éviter que la maladie se dissémine. Le problème n'était pas celui de la santé humaine mais plutôt de savoir si un jambon cuit à une température légèrement inférieure pouvait véhiculer le virus non inactivé. De nombreux travaux ont été réalisés sur les barèmes à appliquer pour éviter les risques bactériens, mais peu d'études ont porté sur les virus. Les syndicats se sont appuyés sur une information de l'AFSSA selon laquelle le virus pouvait être considéré comme inactivé au dessus de 56 degrés. Les industriels qui cuisaient les jambons à 68 degrés n'ont alors pas compris qu'on exige une cuisson à 70 degrés.

Il n'existait pas de risque pour la santé humaine, ce qui explique le fait que l'ANIA soit restée quelque peu en retrait, mais plutôt une crainte qu'un jambon moins cuit puisse véhiculer le virus lors de son transport en infectant non pas l'homme mais les animaux de manière indirecte. L'épizootie de fièvre aphteuse ayant probablement trouvé son origine dans la restauration, il ne fallait pas qu'un produit de nos usines puisse en bout de chaîne contaminer un élevage. Voilà le seul danger que nous avons perçu.

M. Jean-Paul Emorine , rapporteur - Vous avez parlé de certification de l'Union Européenne. Pensez-vous à une AOC, une indication géographique protégée ou une marque de produits ?

M. Thierry Geslain - Il existe toujours des problèmes administratifs pendant les crises. Pour pouvoir continuer à exporter, il faut demander un certificat attestant que le produit a subi les traitements recommandés. Face aux « encombrements » locaux qui peuvent apparaître, le secteur laitier s'est demandé s'il n'était pas possible que la Commission fournisse ces certificats sanitaires et vétérinaires pour résoudre les problèmes d'exportation, les barèmes étant les mêmes dans tous les pays de l'Union Européenne. Je ne sais cependant pas si cette solution est réalisable compte tenu de l'éloignement géographique de la Commission et de l'absence de contrôleurs de la Commission (contrôleurs que nous n'attendons pas particulièrement...)

M. Gérard César - Vous êtes Chef du Service Scientifique et Réglementaire de l'ANIA. Quel est votre rôle par rapport aux différentes branches qui composent l'ANIA ? Quel a été votre rôle dans la crise ?

M. Thierry Geslain - Mon rôle a finalement été assez minime dans cette crise. Au sein de l'ANIA, je suis chargé des problèmes scientifiques et techniques qui seraient communs à au moins deux branches. Mon travail ne concerne pas directement les crises et leur prévention mais consiste plutôt à jouer un rôle d'interface auprès des pouvoirs publics. Il s'agit d'éviter que 15 ou 20 syndicats posent le même type de questions aux pouvoirs publics. Dans cette crise l'ANIA a donc eu davantage un rôle d'observateur et de vigie qu'un rôle d'acteur.

M. Gérard César - Quel a été le rôle de l'ANIA dans la crise en ce qui concerne la restauration collective ? Dans la restauration collective, scolaire ou hospitalière, remarquez-vous une reprise de la consommation, en particulier pour les produits surgelés ?

M. Thierry Geslain - Le secteur des produits surgelés a effectivement été particulièrement touché. Selon les dernières informations dont je dispose, le marché ne s'est pas vraiment rouvert. Je crois que des précautions sont toujours prises au niveau de la restauration scolaire, même si elles vont parfois au-delà de ce qui serait raisonnable. Je pourrai vous transmettre des informations plus précises sur l'évolution de la restauration de manière générale.

M. Louis Moinard - Les problèmes dans la restauration collective sont-ils dus à la fièvre aphteuse ou à l'ESB ?

M. Thierry Geslain - Les problèmes datent de l'apparition de l'ESB.

M. Louis Moinard - Ont-ils été aggravés par la fièvre aphteuse ?

M. Thierry Geslain - A ma connaissance, ces problèmes ne sont dus qu'à l'ESB. Mais il faudrait effectivement étudier si la fièvre aphteuse n'a pas aggravé la situation. Cela fera partie des réponses que je vous transmettrai ultérieurement.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez évoqué votre rôle de vigie. Cela signifie que vous travaillez en amont et que vous participez sans doute à l'évolution des réglementations par vos préconisations. J'imagine que vous êtes très attentifs à la bonne application de ces textes, dans l'intérêt des industries agroalimentaires françaises. Missionné par les industries agroalimentaires, vous évoluez dans un monde économique. Disposez-vous d'une cellule de suivi de la réglementation applicable dans les pays tiers ? Pouvez-vous vérifier que les industries agroalimentaires qui importent soumettent leurs importations aux mêmes règles, avec la même vigilance ? Si l'on ne peut pas commercialiser ou traiter les produits français mais que l'on importe des animaux vaccinés que l'on traite en France, il est certain qu'il existe un problème ! Disposez-vous d'une cellule de cette nature ?

M. Thierry Geslain - La veille de la réglementation et des pratiques des pays tiers est essentiellement assurée profession par profession. Il ne s'agit pas d'une mission de l'ANIA, excepté pour quelques pays comme les Etats-Unis et le Japon où nous nous appuyons sur les ambassades locales. Pour les autres pays, le suivi n'est pas effectué par l'ANIA mais filière par filière. Il n'existe pas d'entité globale qui assurerait une veille sur l'ensemble des pays d'importations.

S'agissant de l'évolution des réglementations, nous effectuons un suivi, notamment grâce à la Confédération des Industries Agroalimentaires de l'Union Européenne, mais ce suivi n'est pas systématique. Nous travaillons beaucoup en réseau : lorsqu'une information parvient à un syndicat, elle est rediffusée très rapidement aux autres organisations syndicales. Il ne s'agit cependant pas d'un réseau réellement formalisé, aucune personne n'étant missionnée pour effectuer un suivi permanent.

La situation est très différente au niveau des secteurs : celui des produits laitiers suit par exemple de très près les évolutions réglementaires des marchés du Proche et Moyen-Orient.

M. Philippe Arnaud , président - Avez-vous le sentiment qu'il existe une relation et une solidarité très fortes entre les industries agroalimentaires et les producteurs ?

M. Thierry Geslain - On ne peut parler ni de relations difficiles ni de solidarité. Disons plutôt que chacun a traité les problèmes à son niveau. Dans cette crise, les relations entre les producteurs et les transformateurs n'ont pas révélé des difficultés particulières. La première réaction des transformateurs que je représente a été de me dire qu'il ne faut pas que j'oublie de signaler qu'il s'agit à nouveau d'une crise qui vient de l'élevage : ils doivent faire face à des problèmes économiques importants mais savent qu'ils n'en seront pas indemnisés une fois de plus. Ils ont pensé que l'indemnisation aurait pu être partagée entre les éleveurs et les transformateurs. Imaginez que l'on annonce aux éleveurs que leurs troupeaux ont été abattus mais que seule une moitié leur sera remboursée... La solidarité s'arrête là !

M. Philippe Arnaud, président - Certaines industries n'ont-elles pas eu l'opportunité de recourir à l'importation de viandes à des coûts plus bas alors même que ces produits, en provenance d'Argentine par exemple, ne bénéficiaient pas de toutes les garanties nécessaires ?

M. Thierry Geslain - Je dispose de peu d'informations sur les cas argentins et brésiliens.

M. Philippe Arnaud, rapporteur - Il existe un véritable problème, qui n'est pas seulement économique.

M. Thierry Geslain - S'agissant d'un éventuel problème sanitaire, les opérateurs des filières s'appuient avant tout sur les décisions prises par les pouvoirs publics, qui sont davantage informés Des risques d'importation que les entreprises elles-mêmes. Si aucune restriction n'a été préconisée, c'est alors le cours qui joue, les problèmes de santé publique étant du ressort des services vétérinaires.

Je suis quelque peu gêné pour répondre à votre question. A ma connaissance, les échanges avec l'Argentine ont été interrompus pendant une période qui m'a semblé assez courte. Mais je préfère ne pas me prononcer sur un sujet que je ne maîtrise pas suffisamment.

M. Louis Moinard - La réaction des consommateurs n'est-elle pas due à une amplification des médias ? Dans d'autres pays, le problème de la fièvre aphteuse pourrait en effet être comparable voire plus important. Je pense par exemple à l'Argentine, pays qui procède à des vaccinations et dans lequel plusieurs cas de fièvre aphteuse ont été découverts.

M. Thierry Geslain - Je suis embarrassé pour vous répondre. Je me heurte à nouveau à la situation épidémiologique de ces pays-là. Les approvisionnements français n'ont pas connu de modifications pendant la crise, à l'exception des animaux qui venaient des départements de la Mayenne, de l'Orne ou de Seine-et-Marne. Les opérateurs français ne se sont pas rabattus sur des produits importés pour compenser le manque de produits français : c'est plutôt l'inverse qui s'est produit. Les charcutiers, comme les abattoirs, recevant moins de produits importés d'autres Etats membres, ont dû se rabattre sur des approvisionnements français. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait eu des approvisionnements auprès des pays tiers au détriment des productions françaises. Quoi qu'il en soit, les importations en provenance du Brésil et de l'Argentine n'ont jamais représenté des volumes très importants, même si l'on en parle beaucoup.

M. Philippe Arnaud, président - Avez-vous effectué des estimations de pertes dans vos industries ?

M. Thierry Geslain - Le chiffrage est en cours. Pour le secteur de la viande, l'estimation devrait être prête à la fin de la semaine. Les 4 établissements les plus touchés dans l'Orne et la Mayenne ne disposaient jusqu'à présent que de données partielles. J'aurai rapidement les données du secteur laitier, je pourrai vous les communiquer. L'entreprise Célia, qui a été très touchée dans la Mayenne, a dû effectuer un chiffrage.

Je reprendrai contact avec ces deux principaux secteurs pour vous fournir des renseignements. Le secteur de la charcuterie n'aura pas à mon avis de chiffrage à me communiquer, ce secteur n'ayant pas subi de pertes importantes, que ce soit pour les matières premières ou les produits finis.

Pour être plus rapide, je demanderai même au secteur laitier et au secteur de la viande de vous transmettre directement leurs estimations.

M. Philippe Arnaud, président - Des mesures d'indemnisation ont-elles été prévues ou êtes-vous actuellement en négociation ?

M. Thierry Geslain - Les indemnisations sont encore en cours de négociation pour le secteur laitier et le secteur de la viande. Pour les pertes commerciales, les opérateurs savent très bien qu'ils n'obtiendront rien des pouvoirs publics. Les discussions portent en fait sur l'ensemble des produits consignés. Ces produits n'ont pas forcément été détruits puisque les produits au lait cru ont pu être fondus et incorporés dans des fromages fondus. Cette incorporation dans des fromages fondus représente une perte qui doit être chiffrée par les entreprises.

M. Gérard César - Des pertes directement liées à la production sont donc survenues. Mais les entreprises concernées ont-elles dû recourir au chômage technique ?

M. Thierry Geslain - Il faudra que je demande des précisions aux différents secteurs. Je sais que l'entreprise Célia a dû se résoudre à du chômage technique pendant plusieurs jours.

M. Gérard César - Qu'entendez-vous par « plusieurs jours » ?

M. Thierry Geslain - Il me semble que le chômage technique a duré une semaine.

M. Gérard César - Ce chômage technique est dû à la crise de la fièvre aphteuse, est-ce bien cela ?

M. Thierry Geslain - Effectivement. Il s'agit de poudre de lait produite dans le Maine-et-Loire et conditionnée dans la Mayenne. Le marché algérien ayant cessé ces commandes dès l'annonce du cas mayennais, le site de l'entreprise Célia, qui travaillait surtout pour l'Algérie, a dû arrêter son usine pendant plusieurs jours.

M. Gérard César - Le travail a-t-il repris dans cette usine ?

M. Thierry Geslain - Le travail a repris, mais je ne crois pas que les volumes aient retrouvé leur niveau antérieur. Il est très difficile de dire que l'on est définitivement sorti de la crise. Nous avions cru par exemple que les exportations vers la Russie pourraient reprendre vendredi, mais l'information a été infirmée. Les marchés japonais et coréens nous sont toujours fermés, comme la Chine si je ne m'abuse. Même si ces marchés ne représentent pas des volumes très importants, le fait qu'ils soient fermés en même temps nous pénalise fortement.

M. Philippe Arnaud, président - Avez-vous un avis sur la façon dont cette affaire a été gérée, non sur le plan sanitaire, mais au niveau médiatique ?

M. Thierry Geslain - L'ANIA n'a pas ressenti la nécessité de communiquer sur le fait que la fièvre aphteuse représente un risque pour la santé animale et non humaine. Le CIV a publié de tels communiqués dans les médias, mais je ne pense pas que c'était nécessaire : c'était même peut-être contre-productif. En effet, les pouvoirs publics ont bien présenté la fièvre aphteuse comme une épizootie, sans risque pour l'homme. A l'occasion de micro-trottoirs, on a pu constater que la population avait très bien compris ce message. En reparler à l'aide de publicités dans différents quotidiens présente selon moi un risque de confusion : il est dangereux de reparler d'un sujet alors que tout était clair dans les esprits. Nous avons donc préféré ne pas communiquer, les interventions publiques ayant été efficaces.

Même si les mesures de gestion de la crise ont pu paraître extrêmes et ont été mal vécues par les producteurs, ce que nous comprenons, nous estimons que les pouvoirs publics ont assuré une bonne communication auprès du public.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie et vous invite à nous transmettre ultérieurement les informations complémentaires que vous pourriez obtenir.

7. Audition de Bernard M artin, Président de la Fédération Nationale Ovine

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Martin, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous souhaiterions que vous nous présentiez vos réflexions, vos analyses, vos commentaires sur la façon dont l'épizootie de fièvre aphteuse a été gérée. Nous voudrions savoir si vous pensez que des améliorations pourraient être apportées aux dispositifs mis en place, en vous projetant éventuellement dans l'avenir. Vous pourrez bien sûr nous parler plus particulièrement du secteur ovin, pour lequel un chantier est semble-t-il ouvert sur la traçabilité et l'identification.

M. Bernard Martin - Je vous remercie de m'accueillir et de m'auditionner sur la situation générale de la fièvre aphteuse et ses aspects annexes comme l'identification.

De manière générale, l'épizootie a été bien gérée. Les éleveurs et les responsables professionnels que nous sommes, avons été tenus en permanence informés de la situation, de son évolution, des mesures prises et des raisons de ces mesures. Cette information s'est effectuée en étroite liaison avec nos organismes départementaux et les services vétérinaires. Nous avons été informés au niveau national grâce aux réunions officielles du comité de suivi de l'épizootie, mais aussi au travers de rencontres hebdomadaires sous l'égide du Ministre ou de son Directeur de cabinet pour dresser un état des lieux. Nous avons été par ailleurs de manière normale en relation avec les services de la DGAL qui ont toujours été disponibles.

Nous avons donc pu apprécier l'efficacité du dispositif. Cela a permis de répondre aux préoccupations de personnes qui faisaient remarquer que l'épizootie s'est déclarée à partir de moutons issus d'échanges communautaires. Les éleveurs ovins se sont d'abord sentis accusés, mais les explications qui ont été données leur ont permis de mieux gérer la situation.

Je pense que nous devons retenir que la coordination a été efficace, avec une bonne contribution des uns et des autres et de nombreux échanges. La leçon que j'en tire est qu'il faut « dire et tenir les gens informés ».

M. Gérard César - Où en êtes-vous avec le Ministère de l'Agriculture au sujet de l'identification des ovins ? L'établissement d'une banque de données est-il prévu, comme pour les bovins ? Cette banque de données sera-t-elle fondée sur un traçabilité individuelle ou sur une traçabilité par lot ? Enfin, des registres sanitaires vont-ils être mis en place ?

M. Bernard Martin - S'agissant de l'identification ovine, il convient de rappeler que deux directives communautaires nous demandent d'assurer un suivi sanitaire au travers d'une identification (directives 91/108 et 92/102). La directive 92/102 a été transposée uniquement en France en 1996 ou 1997, les pouvoirs publics mais aussi la profession ovine ayant souhaité mettre en place cette identification pour atteindre deux objectifs :

- assurer un suivi sanitaire, par rapport au réseau d'épidémio-surveillance mis en place pour la tremblante (première crise d'ESB au mois de mars 1996) ;

- permettre la traçabilité et l'étiquetage de la viande ovine dans les magasins.

Nous n'avons cependant pas réussi à obtenir que l'identification soit mise en oeuvre dans tous les Etats membres. En France, nous disposons désormais d'un système d'identification officiel, avec une boucle qui est distribuée par l'EDE et qui mentionne le numéro de l'exploitation, le numéro du département, le numéro de la commune et les lettres FR. Nous avions la possibilité d'utiliser deux supports pour l'identification officielle : une boucle orange ou ce que l'on appelle un « tip-tag », c'est-à-dire une petite boucle, qui se perd beaucoup plus facilement. L'identification a donc été mise en place avec une gestion par les EDE de la diffusion de ces boucles à la demande. Dans le même temps, il était prévu que les animaux issus d'échanges intra-communautaires disposent d'une boucle de transit, disponible à l'EDE. Cette boucle n'a cependant pas été utilisée, ou si elle l'a été, cela a été très rare. Les animaux britanniques qui entrent en France portent seulement une boucle métallique qui leur est apposée au moment de l'embarquement.

Un registre d'élevage a été mis en place parallèlement et nous a permis de gérer la notion de « mère à enfant ». Lorsqu'une brebis met bas, une boucle est apposée sur l'agneau : cette opération est mentionnée sur le registre d'élevage. Vous m'avez posé une question relative au registre sanitaire : ce dernier est obligatoire depuis le 1er juillet 1999. Il faut savoir que ces deux registres sont moyennement tenus. Les faits marquants de l'exploitation sont notés, mais les éléments concernant l'identification et les aspects sanitaires font souvent défaut.

Le deuxième objectif que s'était fixé la FNO concernait l'étiquetage. Nous avons réussi à obtenir dans ce domaine un accord interprofessionnel, c'est-à-dire un accord réunissant l'ensemble de la filière ovine. La liaison a donc été faite entre la barquette ou la carcasse (les agneaux sont généralement traités par carcasse avant d'être découpés, à la différence du boeuf) et les animaux. Les pouvoirs publics devaient élargir cet accord avec l'autorisation de Bruxelles, mais la Commission n'a pas accepté.

Pour répondre à une autre de vos questions, notre traçabilité ne s'effectue que par lot. Nous suivons seulement le numéro d'exploitation. L'objectif était qu'en cas de problème sanitaire on puisse au moins remonter à l'exploitation. Alors que les bovins ont deux boucles, les ovins n'en disposent que d'une seule : si elle se perd, l'identification est impossible. C'est le reproche qui nous est fait et qui est à l'origine du projet de décret. Mais les troupeaux d'agneaux étaient jusqu'à présent gérés par lot. Lorsqu'un problème survenait, on pouvait retrouver sans difficulté le numéro d'exploitation et remonter jusqu'à la bête grâce au numéro d'ordre figurant sur la boucle.

M. Gérard César - A combien de têtes correspond un lot ?

M. Bernard Martin - Le lot correspond au troupeau dans sa totalité, mais chaque boucle mentionne un numéro d'ordre spécifique.

M. Gérard César - Quel est le coût de la boucle ?

M. Bernard Martin - La boucle qui est utilisée le plus fréquemment coûte 1,30 francs si elle est achetée en gros.

M. Gérard César - Est-ce l'EDE qui fournit ces boucles ?

M. Bernard Martin - C'est l'EDE qui est le seul habilité à commander des boucles aux fabricants avec le numéro d'exploitation et le numéro d'ordre qui a été demandé par l'éleveur.

Il convient de se rappeler que cette directive, ou ce décret, concerne les ovins mais aussi les caprins.

On nous propose aujourd'hui de transposer la directive en recourant à un décret. Il en résultera une obligation pour tout le monde de respecter le texte. J'estime qu'il s'agit d'une avancée très positive. Comme nous l'avions souhaité, il est proposé que l'animal qui n'est pas identifié à son arrivée à l'abattoir soit saisi : l'éleveur concerné recevra ainsi une bonne leçon et veillera à l'identification pour les fois suivantes. Actuellement, ni le Directeur de l'abattoir ni un service vétérinaire ne peut en effet exiger que l'animal soit éliminé. Il est envisagé d'apposer deux boucles sur l'animal moins de 7 jours après la naissance, alors que le délai était auparavant d'un mois. Les bergers de Salon-de-Provence qui font transhumer leurs bêtes ont des agneaux qui naissent à la montagne et qu'ils ne revoient qu'à l'automne lorsque les animaux redescendent. Ces bergers devront désormais veiller sur leur troupeau pour attraper les agneaux en montagne dans les 7 jours de leur naissance. Tout le monde devra donc respecter la règle d'identification, même pour les animaux issus d'échanges intra-communautaire, ce qui est très important à noter. En toute bonne foi, je ne vois cependant pas ce qui va obliger un commerçant à déclarer les animaux qu'il fait venir de Grande-Bretagne ou de Belgique et à leur apposer une deuxième boucle. Cela est préoccupant. Les services vétérinaires nous expliquent que grâce à leur programme informatique ANIMO ils pourront gérer les transferts d'animaux : j'en suis d'accord, mais à la condition que les animaux soient déclarés...

Une banque de données nationale est envisagée pour enregistrer les mouvements. Nous avons demandé à la DGAL si le principe de gestion serait identique à celui des bovins. En effet, on ne gère pas de la même façon un bovin et un ovin qui a une durée de vie moyenne limitée à 5 ou 6 mois. La DGAL nous a répondu qu'il ne s'agit que d'enregistrer les mouvements extérieurs, les animaux français étant uniquement soumis à une gestion des boucles. Ce qui est proposé correspond donc à une superposition des données départementales plutôt qu'à une grande banque de données nationale.

M. Gérard César - Quel est le délai de mise en place de cette banque de données ?

M. Bernard Martin - Je ne peux pas vous répondre dans l'immédiat parce qu'un autre élément entre en ligne de compte. Vous n'êtes pas sans savoir que dans une notification parue à la mi-février et qui concerne les ovins, l'AFSSA a suggéré d'écarter la cervelle, la moelle épinière et l'intestin notamment, non plus à partir de 12 mois mais à partir de 6 mois. Or le Comité Vétérinaire permanent de la Communauté estime qu'aucun élément nouveau n'impose d'appliquer cette mesure supplémentaire. La France souhaite pourtant qu'elle soit mise en place immédiatement. Je ne vous cache pas que nous sommes très réservés quant à cette mesure. Pourquoi choisir un âge de 6 mois au lieu de 12 mois ? Pour mettre en place une telle mesure, il faut par ailleurs que l'identification soit fiable. Pour un bovin de 3 ans, ce n'est en effet pas grave si l'on perd une semaine. Mais les moutons sont traditionnellement abattus à 120 jours, c'est-à-dire 4 mois : un écart d'une semaine est donc important. Nous ne sommes même pas certains qu'une identification à double boucle puisse résoudre le problème. La DGAL a en plus indiqué que si l'âge de 6 mois ne peut pas être assuré, ce sera le poids de la carcasse qui sera pris en compte ! On n'enlèvera pas les intestins et la moelle épinière des carcasses de moins de 14 kilogrammes, mais on retirera ces produits pour les carcasses dont le poids est supérieur ! Cela signifie qu'une brebis britannique de 5 ans dont le poids de carcasse est inférieur à 14 kilogrammes sera favorisée par rapport à mon agneau Label rouge de moins de 90 jours et de 17 kilogrammes de carcasse ! Il me semble que l'objectif est complètement manqué... La DGAL veut cependant faire passer cette mesure très rapidement, contre l'avis de Bruxelles, et uniquement en France.

L'identification et la notification AFSSA avec application en France sont donc prises en compte dans un décret qui doit passer devant le Conseil d'Etat en procédure d'urgence, pour une parution à la fin du mois de juin au plus tard. J'ai essayé de faire valoir mes arguments, mais on en a conclu que je ne suis pas favorable à l'identification : ce n'est pas du tout le cas. Je veux que nous allions vers l'identification, mais il faut que ce soit tous ensemble, sans tout confondre. On met en évidence l'effet miroir de la Communauté : j'attends de voir le jour où les moutons anglais seront identifiés comme les miens... Nous sommes favorables à une amélioration de l'identification, mais il faut que tous les pays européens appliquent les mêmes règles. Le Ministre de l'Agriculture a signalé à deux Conseils des Ministres que des mesures européennes devront impérativement être prises. Mais nous connaissons suffisamment nos collègues anglais, hollandais ou espagnol : aujourd'hui, leur seule marque est un coup de crayon bleu, un coup de crayon rouge ou un coup de crayon noir sur les marchés... La seule attestation que l'animal a moins d'un an, pour se conformer aux normes actuelles, résulte du Directeur de l'abattoir ou du Directeur du marché qui appose les boucles métalliques en vue de l'export !

Nous importons environ 60 % des 275.000 tonnes de viande ovine consommées en France. Ce sont donc 170.000 tonnes de viande ovine qui se répartissent de la façon suivante selon leur pays d'origine :

- Royaume-Uni : 79.000 tonnes ;

- Irlande : 39.000 tonnes ;

- Nouvelle-Zélande : 21.000 tonnes (congelées) et 16 500 tonnes de produit frais (viande conditionnée sous vide qui est en pleine croissance sur le marché français) ;

- Espagne : 4.500 tonnes.

Notre préoccupation n'est pas de faire de la résistance mais de signaler aux pouvoirs publics le problème des 80.000 tonnes de carcasse qui viennent du Royaume-Uni sans que personne ne sache si l'animal avait moins de 6 mois...

Environ 760.000 animaux vivants entrent en France. Contrairement à certaines idées reçues, seulement 170.000 de ces animaux viennent directement du Royaume-Uni alors que 410.000 viennent des Pays-Bas. Avez-vous vu de nombreuses productions ovines en Hollande ? Il est clair que les animaux passent de la Grande-Bretagne aux Pays-Bas pour pouvoir entrer plus facilement en France ! C'est ce qui explique que les animaux ont été difficilement retrouvés dans la crise la fièvre aphteuse. Heureusement que c'est un veau qui a contracté la maladie en Seine-et-Marne : les ovins peuvent en effet être porteurs de la maladie, mais ils la développent beaucoup plus difficilement. Si la maladie s'était abattue sur un ovin, nous n'aurions peut-être pas su où se situait le foyer et la maladie se serait diffusée sans difficulté...

M. Gérard César - Les éleveurs français ont-ils acheté des ovins anglais pour les élever ?

M. Bernard Martin - Les éleveurs français (disons plutôt ceux que je considère comme des éleveurs) utilisent pour la reproduction des animaux essentiellement français ou éventuellement des animaux anglais mais après le respect d'une quarantaine.

En revanche, on découvre certaines pratiques à l'occasion de la fête de l'Aïd-El-Kébir. Un animal qui a une valeur marchande normale de 500 ou 600 francs a pu être commercialisé cette année 1.200 francs, et même jusqu'à 1.800 francs à Paris. Vous imaginez bien qu'à ce niveau de prix certains se découvrent des vocations... D'autant plus que le commerce est facile : le mouton peut être transporté dans la malle d'une voiture et il peut être payé en cash ! Il existe des organisations à Paris qui utilisent des circuits étrangers. Nous sommes sollicités chaque année par le Ministère de l'Intérieur un mois avant la fête de l'Aïd-El-Kébir, avec les services du Ministère de l'Agriculture et les responsables musulmans : nous rappelons sans cesse qu'il faut que les animaux passent dans des circuits normaux, qu'ils soient abattus dans des abattoirs agréés. C'est à chaque fois le Ministère de l'Intérieur qui nous dit qu'il faut laisser faire et comprendre les traditions ! Nous nous trouvons à chaque fois face à un mur.

M. Gérard César - Ces problèmes sont-ils spécifiques à la région parisienne ?

M. Bernard Martin - Ils sont très connus en région parisienne. Certains de mes collègues connaissent bien les circuits et les bergeries qui existent à Paris. Des hangars servent de bergeries dans plusieurs quartiers à l'occasion de la fête musulmane.

Le même phénomène existe dans le Midi, mais il présente une moindre ampleur. Le Marocain qui a monté ma bergerie vient chaque année pour me demander que je lui vende un mouton, ce que j'accepte. Cette personne travaille dans une propriété viticole du Sud. Chaque année, parce qu'il amène des gâteaux, parce que nous avons tissé des liens, je lui fournis un mouton. Le Midi est donc concerné, avec notamment la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur, mais aussi les Vosges et le Jura, régions où habitent plusieurs familles turques.

Je ne me permettrais pas de porter un jugement sur une tradition musulmane, qui d'ailleurs ne me pose aucun problème personnel. Le seul ennui est que du jour au lendemain n'importe qui peut détenir des moutons. Vous pouvez avoir des moutons dans votre garage, personne ne vous dit rien, personne ne vous demande rien : vous pouvez vendre vos moutons, la TVA ne vous est pas appliquée, etc... Il faut qu'il y ait eu un événement comme l'épizootie pour que l'on prenne conscience de cet état de fait.

M. Louis Moinard - Les clients ne connaissent même pas la qualité du mouton qu'ils achètent. Pour eux, le plus important est qu'il s'agisse d'un mouton : ils ne cherchent pas plus loin...

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, quel est votre correspondant au Ministère de l'Intérieur ?

M. Bernard Martin - Je ne me souviens pas de son nom. Je pourrai vous communiquer cette information ultérieurement.

M. Philippe Arnaud, président - Vous pourrez également nous donner le nom de votre correspondant à la Mosquée de Paris.

M. Bernard Martin - Je vous le dirai.

M. Gérard César - Monsieur le Président, cette crise que nous venons de traverser aura-t-elle une incidence sur le futur, sur la consommation française ? Voyez-vous des obstacles au développement de cette tradition française d'élevage de moutons ? La crise ne va-t-elle pas pénaliser ce développement ?

M. Bernard Martin - L'élevage du mouton est affecté depuis longtemps par un problème de revenus. Vous avez tous soutenu à vos différents niveaux les éleveurs pendant l'opération des « moutons de l'espoir », lorsque nous avons monté une bergerie dans les Jardins du Luxembourg au mois de septembre. Vous n'êtes donc pas sans savoir qu'il existe un problème de revenus.

Le secteur ovin est soumis à une OCM datant de 1980. Je vous rappelle que nous étions à cette époque autosuffisants à 80 % alors que nous ne le sommes plus aujourd'hui qu'à 40 %. Nous avons sollicité le Gouvernement pour qu'il nous soutienne dans des actions de développement, de reconstruction, etc... Jean Glavany a annoncé un plan au mois de février 2000. Ce plan a cependant du mal à être mis en oeuvre parce qu'il est lié à la mise en place des contrats de plan. Il prévoit des aides à l'investissement, mais aussi une démarche qualité. En France, on consomme l'équivalent d'environ 15 millions de carcasses d'agneau alors que nous n'en abattons dans nos abattoirs que 5,5 millions. Sur ces 5,5 millions d'animaux français, 3 millions environ proviennent de groupements de producteurs, c'est-à-dire d'éleveurs qui se sont groupés pour les parties techniques ou de commercialisation. Parmi ces 3 millions d'agneaux, 1,5 million répondent aux appellations « agneaux de nos bergers », « agneaux de qualité bouchère », selon les actions soutenues par l'Office des Viandes. Sur ces 1,5 million d'animaux, 500.000 bénéficient du Label Rouge. Le plan Glavany prône le renforcement de ce genre de démarches. Si nous y mettons les moyens, avec 40 % d'autosuffisance, nous pouvons parfaitement parvenir à segmenter le marché. Je reconnais que je copie ce qui est fait avec les AOC pour les vins : j'utilise l'appellation « Pays d'Oc » en Label Rouge.

L'image des ovins a été affectée par les diffusions télévisées de bûchers. Je vous rappelle ce qui s'est passé durant la semaine du Salon :

- le lundi, notification AFSSA, avec un niveau normal de prix et de consommation ;

- le mercredi, début de baisse ;

- le jeudi, annonce de fièvre aphteuse, augmentation des prix et de la demande d'agneaux français.

Deux ou trois semaines plus tard, la consommation a baissé de 60 %. La seule explication est les images qui ont été diffusées. Les démarches qualité ont toujours eu du succès : j'ai vendu encore ce matin mes produits labellisés. Mais tout le reste est en difficulté. Les ventes continuent, le prix est satisfaisant, mais la consommation est insuffisante. Heureusement que nous n'avons pas les Anglais dans les GMS... Pour faire face à cette situation, nous avons mis en place plusieurs opérations. Nous avons ainsi lancé une opération de réassurance avec les communications CIV. Nous allons également mener une grande campagne d'affichage, financée par les fonds de l'interprofession, pour réassurer la notion d'éleveur. Pour améliorer notre image auprès de la clientèle, nous devons rebondir sur une identification sérieuse, une traçabilité et un étiquetage. Avec des démarches qualité à l'appui, nous pourrons continuer à avoir de l'espoir pour l'élevage du mouton.

Enfin, la Communauté proposera le 8 mai au collège des commissaires une évolution de l'OCM ovine. Des discussions auront lieu par la suite. Nous espérons que la Communauté engagera un budget conséquent pour réussir à rebondir sur la politique ovine. Nous pensons mettre en place dès l'été, dans chaque département ou région, un Comité de développement ovin qui regroupera l'ensemble de la filière. Il s'agira d'une démarche de reconquête de l'élevage ovin, en nous appuyant sur des démarches de qualité. Comme pour vendre des paquets de lessive, nous devons impérativement faire du marketing. J'ai l'espoir que l'élevage ovin rebondisse. Observons ce qui se passe dans les autres secteurs :

- le secteur bovin est soumis à une OCM dont l'objectif est de maîtriser la production ;

- il existe des quotas laitiers, mais je ne suis pas devin : je ne sais pas quelles en seront les conséquences ;

- pour les céréales, on parle de plus en plus du fait que le budget communautaire s'oriente vers une réduction des « acquis ».

Pour les personnes qui veulent se battre, l'élevage du mouton reste donc l'un des moyens de travailler et de vivre. Je pense que l'on peut vivre normalement de l'élevage ovin, même si la situation est très différente à celle qui existait il y a 40 ans. Il faut que l'OCM et les plans d'accompagnement nationaux réussissent : je pense que nous pourrons alors mettre en place un plan de reconquête.

M. Philippe Arnaud - Merci Monsieur le Président. Nous sommes parvenus au terme de notre rencontre. Ce serait très aimable à vous de bien vouloir nous transmettre toute documentation ou analyse qui nous serait utile.

M. Bernard Martin - Je vous communiquerai les chiffres de la consommation et de l'importation des produits ovins, les principales dispositions de la directive sur l'identification, les contacts dont nous disposons au Ministère de l'Intérieur et à la Mosquée.

M. Gérard César - Vous avez parlé de votre rôle en tant que Président de la Fédération ovine. Avez-vous des relations avec des fédérations homologues, en Angleterre ou en Allemagne par exemple ? Je pense que le Ministre de l'Agriculture français doit pouvoir s'appuyer sur les professionnels européens.

M. Bernard Martin - J'ai omis de vous dire que pour que les discussions sur l'OCM ovine soient réengagées, nous avons organisé un colloque le 20 novembre à Bruxelles. Ce colloque a été une réussite grâce à l'appui de Jean Glavany. Pour répondre à votre question, nous avons des contacts permanents FNOE, avec nos collègues britanniques, irlandais et espagnols. Pour mener à bien notre colloque, nous avons pris des contacts, en accord avec l'équipe de Jean Glavany, avec les cabinets des Ministres européens : quatre Ministres étaient donc présents au colloque : Jean Glavany ainsi que ses homologues irlandais, espagnol et anglais. J'ai rencontré le Directeur de cabinet du Ministre espagnol à Madrid quelques jours auparavant, le 30 octobre, pour le convaincre de la nécessité d'apporter son soutien au Ministre français.

Ce devrait être une parlementaire européenne irlandaise qui présentera l'évolution de l'OCM.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, nous vous remercions.

8. Audition du Docteur François Moutou, Chef de l'Unité épidémiologique de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons le Docteur Moutou, de l'AFSSA, qui devrait nous faire part de nombreux éléments intéressants sur le problème de l'épizootie de fièvre aphteuse, du point de vue scientifique.

Docteur François Moutou - Je vais tout d'abord vous présenter comment l'AFSSA suit le problème de la fièvre aphteuse, de façon générale et dans le contexte actuel. Auprès de la DGAL, l'AFSSA est l'organe technique et scientifique chargé du laboratoire national de référence pour cette maladie. Le laboratoire de Maisons-Alfort où je travaille actuellement a été créé il y a maintenant un siècle grâce ou à cause de la fièvre aphteuse. Cette spécificité se remarque encore aujourd'hui, même si le laboratoire abrite désormais le siège de l'AFSSA : nous avons depuis toujours une certaine compétence en matière de fièvre aphteuse. Du point de vue épidémiologique, nous essayons de comprendre les sources de la maladie, son évolution et ses modes de transmission : il s'agit d'être capables de mieux réagir par rapport aux menaces que pose la maladie. Notre compétence concerne également la virologie c'est-à-dire le virus lui-même, la façon de l'isoler, le diagnostic direct ou indirect, viral ou sérologique. Nous avons récemment (pour cet épisode) travaillé en plus grande collaboration que d'habitude avec la DGAL. Nous avons en effet été fréquemment conviés à participer à des réunions techniques. Nous avons élaboré un certain nombre de plans en commun. Il est arrivé que je me rende à la demande de la DGAL dans des départements qui faisaient face à des problèmes particuliers pour essayer d'aider les services vétérinaires départementaux à mieux réagir.

Voilà le contexte dans lequel nous nous situons. Nous sommes au service du Ministère, appelés à réagir à sa demande en fonction des circonstances. Il existe parallèlement un réseau européen de laboratoires de référence, au niveau de l'Union européenne mais également de l'Europe au sens géographique. Nous avons par ce biais des contacts réguliers avec nos collègues d'autres pays, ce qui nous permet de mieux connaître la situation dans d'autres régions pour pouvoir mieux anticiper, échanger des expériences et confronter des résultats.

M. Philipe Arnaud, président - Quelle a été la position de l'AFSSA, ou votre position personnelle, sur la façon dont le problème a été géré en France et en Grande-Bretagne ?

Docteur François Moutou - Je ne parlerai qu'en mon nom, sans engager personne d'autre. Je serai sans doute plus à l'aise pour parler de ce qui s'est passé en France. Je ne pourrai évoquer la Grande-Bretagne qu'en tant que témoin extérieur, sans vouloir juger qui ou quoi que ce soit.

Je pense qu'il n'existait pas beaucoup d'autres solutions que ce qui a été mis en place en France. Nous avons appris la situation en Grande-Bretagne le matin du 21 février. Tous les départements ont été informés le jour même et ont reçu pour consigne de recenser tous les animaux en provenance de Grande-Bretagne arrivés au cours du mois de février. Pour les animaux vivants, les services vétérinaires départementaux devaient prévoir des méthodes de destruction le plus rapidement possible. Le 26 février, nous connaissions déjà le nombre d'animaux issus de Grande-Bretagne. Dans les départements, les vétérinaires ont vérifié que ces animaux étaient bien présents à l'endroit où ils étaient localisés officiellement. Il était en effet possible que certains aient été vendus et aient encore circulé. Nous avons remarqué que seuls des moutons étaient concernés : seulement un cochon a circulé. Le reste correspondait à 30.000 moutons entrés directement en France, ou via d'autres pays de l'Union Européenne.

Je pense personnellement que les mesures qui ont été appliquées et la manière avec laquelle elles ont été mises en oeuvre étaient les seules qui pouvaient être prises. Il me semble que l'abattage préventif des animaux était la seule chose à faire pour éviter une circulation du virus en France. Cet épisode nous a permis de confirmer que la fièvre aphteuse est extrêmement difficile à identifier cliniquement chez les moutons. Selon les chiffres de nos collègues de Grande-Bretagne, seulement 5 % des moutons malades ont des signes cliniques repérables. Il donc possible de ne pas voir en toute honnêteté les symptômes de la fièvre aphteuse sur un mouton qui est porteur du virus. Pour obéir à la consigne, tous les moutons abattus ont été examinés. Personne ne prétend avoir passé une heure par mouton, mais il est certain qu'ils ont tous été examinés au niveau de la bouche et des pattes. Personne, dans aucun département, n'a repéré un mouton présentant des signes de fièvre aphteuse.

M. Gérard César - Etes-vous vétérinaire ou docteur en médecine ?

Docteur François Moutou - Je suis vétérinaire.

M. Gérard César - Cette précision est importante. Pourriez-vous nous présenter rapidement l'historique de la maladie ? Comment cette maladie se caractérise-t-elle ? Présente-t-elle des risques pour l'homme ?

La fièvre aphteuse est une maladie que les éleveurs et les vétérinaires connaissent bien. Plusieurs textes anciens y font référence, même si l'on peut les discuter. On a de bonnes raisons de penser que la fièvre aphteuse est apparue à l'époque de la domestication des ruminants. Il a toujours été difficile d'y faire face.

Il s'agit du premier virus pour lequel on a mis en évidence la notion de « type sérologique ». Il existe en effet sept séro-types différents de virus de la fièvre aphteuse, sachant qu'au niveau immunitaire, un type ne peut protéger que contre lui-même : c'est le premier exemple de virus pour lequel cette particularité a été mise en évidence. Le virus de la fièvre aphteuse évolue par ailleurs au cours du temps au sein même des différents types : cette notion d'instabilité ou de « quasi-espèce » est apparue en partie grâce à ce virus. Les virologues ont toujours apprécié la fièvre aphteuse pour la richesse des études qu'elle permet.

Comme son nom français l'indique, la maladie s'exprime par de la fièvre et des aphtes. En anglais ou en allemand, elle est appelée « la bouche et les pieds », ce qui localise les aphtes. La fièvre aphteuse est la plus contagieuse des maladies animales connues. Elle se transmet en particulier par voie respiratoire. Il faut noter que les porcs sont beaucoup plus excréteurs au niveau respiratoire que les ruminants. L'expérience nous permet de dire que tant que seuls des ruminants sont touchés par la maladie, la marge de sécurité est plus importante pour agir. En Grande-Bretagne, ce sont ainsi des porcs qui ont été à l'origine de la diffusion du virus, alors que par la suite seuls des ruminants ont été touchés. C'est donc par contact que la transmission du virus d'un troupeau à un autre s'est effectuée pour l'essentiel en Grande-Bretagne.

S'agissant des aspects médicaux, un animal en bonne santé qui contracte le maladie récupère correctement dans un délai de huit ou dix jours. Les jeunes animaux peuvent cependant mourir en raison de problèmes cardiaques. Dans les conditions actuelles d'élevage, il faut noter par ailleurs qu'un animal qui est resté huit jours sans se nourrir, ce qui est le cas, ne récupèrera jamais son niveau antérieur. L'élevage devant être source de produits et de rentabilisation des investissements de l'éleveur, ces animaux ne sont plus viables économiquement. Dans ces conditions, la seule solution est de s'en débarrasser, d'autant plus que les animaux qui guérissent peuvent devenir porteurs sains et être ainsi en permanence des sources de virus.

M. Gérard César - Vous avez peut-être lu la presse d'aujourd'hui qui évoque le cas d'une personne en Angleterre qui serait atteinte de fièvre aphteuse.

Docteur François Moutou - Jusqu'à présent, les allégations de ce type ont toutes été démenties.

M. Gérard César - L'article dont je vous parle est paru aujourd'hui.

M. Louis Moinard - Lors des précédentes épizooties, notamment celles qui se sont déclarés pendant les années 50, il était arrivé que l'on annonce qu'une personne avait contracté la maladie.

Docteur François Moutou - Jusqu'à ce jour, toutes ces affirmations ont été démenties. Il ne reste à ma connaissance que deux cas qui font l'objet de tests au laboratoire ultérieurement démentis eux-aussi. A ce jour, aucun cas humain n'a été recensé au Royaume-Uni. On n'a recensé pour l'instant que 46 cas humains, dans toute l'histoire de l'humanité, que l'on peut rapporter de façon certaine à la fièvre aphteuse. Les derniers datent de 1966. En 1967, 2.000 foyers ont été dénombrés en Grande-Bretagne, sans qu'aucun cas humain n'apparaisse. Des dizaines de foyers se sont développés en Europe depuis lors, mais personne n'a été affecté.

Le problème est que les aphtes sont banals chez l'homme. Il convient de ne pas faire l'amalgame entre un simple aphte et la fièvre aphteuse. Le virus doit donc être mis en évidence pour que l'on soit certain d'être en présence d'un cas de fièvre aphteuse. Les noix ou certains fromages peuvent provoquer des aphtes. Certains virus sont par ailleurs à l'origine d'une maladie tout à fait comparable, mais il s'agit de virus humains différents de celui de la fièvre aphteuse.

Jusqu'à présent, je n'ai pas reçu confirmation pour un seul des cas évoqués que les aphtes ou les lésions quelles qu'elles soient, sont liées à la fièvre aphteuse. Les cas anciens s'expliquent en général par la consommation de lait cru, plus rare actuellement. Il faut noter par ailleurs qu'une vache en pic de maladie ne produit plus de lait. Le risque semble donc limité.

J'estime que la fièvre aphteuse est une maladie anecdotique et bénigne pour l'homme, même si elle reste citée dans les manuels de zoonose.

M. Philippe Arnaud, président - D'un point de vue scientifique de sécurité sanitaire animale, que pensez-vous de la vaccination ou de la non-vaccination ?

Docteur François Moutou - La prophylaxie contre la maladie inclut un certain nombre de paramètres, dont la vaccination : on ne peut pas résumer la prophylaxie à la vaccination. La vaccination a été obligatoire en France pendant 30 ans, de 1961 à 1991. Il existait déjà auparavant un vaccin, d'efficacité correcte, mais il n'était utilisé que sur la base du volontariat. On procédait à des vaccinations que lorsque des risques apparaissaient, lorsqu'une vague de fièvre aphteuse venait par exemple de l'Est. Ce système étant assez protecteur, on arrêtait alors de vacciner. Quelques années après, lorsque la maladie revenait, les animaux étaient donc à nouveau sans protection immunitaire.

La vaccination est alors devenue obligatoire, d'abord prise en charge par l'Etat, puis par les éleveurs dans les années 70. L'Etat se contentait d'assurer le remboursement des dégâts en cas de foyer. L'objectif était d'atteindre l'éradication de la maladie et du virus. Cela allait de pair avec l'abattage de tous les animaux d'un foyer, la désinfection du foyer avant repeuplement (avec un délai d'un mois entre la désinfection et le repeuplement) et le contrôle de tous les mouvements d'animaux. Comme la médecine n'a pas pour but de vacciner indéfiniment tout le monde contre tout, on a réfléchi au bout d'un certain temps à l'adéquation entre le risque tel qu'on le connaissait et les outils utilisés pour s'en protéger. Bien évidemment, le contexte de cette époque, à la fin années 80, était particulier avec la perspective du marché unique européen. Trois Etats, l'Irlande, la Royaume-Uni et le Danemark, ne pratiquaient pas la vaccination, contrairement aux neuf autres membres de la Communauté. Il fallait donc résoudre ces divergences pour le marché unique de 1993.

Il convient de noter par ailleurs qu'il arrive toujours un moment où l'on n'a plus que les inconvénients du protocole préventif : puisque la maladie a disparu, on est alors seulement confronté aux incidents ou accidents qui peuvent survenir. Il existait entre 20 et 50 dossiers contentieux par an sur des accidents liés à l'avortement, à des allergies, etc... Toutes les espèces, même la nôtre, peuvent avoir en effet des réactions à des produits médicamenteux ou à des vaccins. Ces réactions peuvent parfois être extrêmement dramatiques.

Entre 1975 et 1990, une quinzaine de foyers dans l'Union Européenne ont été clairement associés au vaccin. Certains de ces cas étaient liés à la fuite du virus du laboratoire où il était manipulé avant son inactivation. D'autres étaient dus au vaccin lui-même : c'est sans doute ce qui s'est passé en 1981 pour le dernier foyer français. On avait vacciné des bovins dans un élevage et trois jours après les porcs du même exploitant avaient contracté la maladie. Aucun autre facteur de risque que le passage du vaccinateur n'a jamais été mis en évidence.

A partir du moment où la maladie n'est pas présente mais que l'on doit faire face aux accidents de la vaccination, il est certain que des réflexions approfondies doivent être conduites. Il est amusant de constater que certaines personnes qui étaient défavorables à la vaccination dans le passé, tiennent aujourd'hui le discours inverse ! En fonction du contexte, la situation est en effet perçue différemment.

Le fait qu'un pays n'ait pas de cas de fièvre aphteuse tout en n'utilisant pas de vaccin, ce qui est l'un des critères internationaux reconnus notamment par l'OIE (Office international des épizooties), permet par ailleurs d'avoir des échanges commerciaux beaucoup plus importants que si le pays évite la fièvre aphteuse grâce à un vaccin.

M. Gérard César - Les Anglais procèdent-ils à des vaccinations actuellement ?

Docteur François Moutou - Non, les éleveurs anglais ont refusé le recours à la vaccination. Les conséquences économiques auraient été selon eux si importantes qu'ils ont préféré assumer les mesures actuelles, avec des abattages d'animaux.

M. Philippe Arnaud, président - Pourrait-on envisager de reprendre la vaccination si des progrès étaient effectués dans les vaccins ?

Docteur François Moutou - On commence déjà à se poser la question. Le laboratoire privé qui produisait le vaccin en France n'a pas réinvesti dans ce domaine puisque le marché de l'Europe n'existait plus. Il lui faudrait aujourd'hui deux ou trois ans pour pouvoir mettre sur le marché un produit qui permettrait par exemple de distinguer de manière précise un animal ayant des anticorps liés au vaccin et un animal ayant des anticorps liés à la maladie.

Le problème est que la France est un pays exportateur. Au sein même de l'Union Européenne, notre position n'est pas partagée par tous. Or le pays qui exporte est forcément dépendant du pays qui achète. Si nous souhaitons continuer à exporter dans les domaines des productions liées aux bovins, aux petits ruminants et aux porcs, il faut que nous prenions en compte les conséquences de nos décisions par rapport aux acheteurs potentiels de nos produits. Cela nous met par exemple dans une position particulière avec l'Italie, pays avec lequel nous avons de nombreuses relations : l'Italie nous achète 80 % de nos broutards. Le marché italien nous étant actuellement fermé, 80 % des exportations de bovins vivants français sont bloquées. Si l'Italie décide de n'acheter que les animaux sans anticorps, quels que soient les anticorps, nous serons obligés de réfléchir avant de prendre une décision. Il faut intégrer le fait que la France est un pays exportateur et que le client a une partie de la réponse.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Dans le cadre de la prophylaxie, l'incinération des animaux semble insupportable. Un article dans un journal anglais a annoncé que la pollution engendrée par les incinérations a peut-être été supérieure à la pollution industrielle annuelle de toute l'Angleterre ! L'opinion publique n'est pas prête à accepter la solution de l'incinération, même si elle peut être justifiée, notamment par les exportations. Vous nous avez déjà apporté une réponse en nous disant que certains laboratoires sont peut-être prêts à fabriquer un nouveau vaccin.

Certains pays sont touchés par la fièvre aphteuse mais continuent à exporter. L'OIE a publié récemment un document indiquant que l'Argentine est atteinte par cette maladie. Lorsque l'on pose la question à certains organismes professionnels, il semblerait qu'il y ait eu des importations de viande d'Argentine et du Brésil malgré la présence de foyers de fièvre aphteuse. Les déclarations de fièvre aphteuse dans ces deux pays datent des mois de janvier et mars 2001. Vous nous avez parlé des échanges internationaux et de l'intérêt de ne pas vacciner, mais il est insupportable de constater que des pays qui ne procèdent pas à des vaccinations mais qui sont atteints par la maladie continuent à exporter dans le monde entier ! En tant que scientifique, pensez-vous pouvoir orienter nos décideurs, qu'ils soient français ou européens, vers une vaccination ?

Docteur François Moutou - Lorsque la France a cessé les vaccinations en 1991, un calcul intégrant un certain nombre de paramètres, dont les conséquences économiques, a été effectué. Il était bien évident qu'une partie de l'économie simplement liée à l'achat du vaccin devait être réinvestie dans la surveillance. On a donc renforcé tout ce qui concernait la formation et l'information sur la fièvre aphteuse. Tous les éleveurs de France ont reçu un courrier les informant du changement de prophylaxie. Des réunions d'information ont été organisées dans tous les cantons. Depuis 1992, nous mettons en place deux ou trois fois par an avec nos collègues de Maisons-Alfort à la demande de la DGAl, des stages de formation pour les personnes des services vétérinaires afin de remettre à jour leurs connaissances.

Lorsque nous avons commencé à réfléchir au problème de la vaccination par rapport à l'ouverture des frontières intra-européennes, nous n'avions pas du tout imaginé que le Mur de Berlin allait s'effondrer en 1989. La conséquence immédiate a été que tous les flux commerciaux, y compris d'animaux, qui partaient d'Europe centrale vers l'URSS, se sont aussitôt retournés vers l'Europe de l'Ouest. Ces pays de l'Est ont vidé leur cheptel, avec des conséquences économiques pour eux et des conséquences sanitaires pour nous, qui ont été extrêmement discutables. Je crois que certaines personnes ont profité du système. Il est certain que nous avions de bonnes raisons d'être plus vigilants sur les achats : ce n'est pas parce que les produits ne sont pas chers qu'ils sont forcément excellents. Certaines personnes ont parfois des comportements que j'estime irresponsables.

La vigilance que nous essayons de mettre en place concerne non seulement les pays immédiatement voisins de la France, mais aussi tous les pays de la planète, et surtout ceux avec lesquels nous commerçons. S'agissant de l'Argentine, je pense qu'il faut se méfier des rumeurs, sans pour autant fermer les yeux. Si nous commençons à être méfiants avec tout le monde, il est certain que nos partenaires seront également méfiants à notre égard. Il faudrait qu'une certaine transparence et une certaine confiance puissent s'installer. Je pense que l'Union Européenne dispose d'informations assez fiables sur tous les pays avec lesquels nous échangeons. Ce serait dommage de ne pas être capables d'infirmer ou de confirmer des rumeurs...

Je rappelle qu'en Europe de l'Ouest nous n'avons vacciné que les bovins. Je pense que si le virus était arrivé en Grande-Bretagne en 1990, par exemple, le schéma aurait été pratiquement comparable à ce qui s'est passé en 2001. Les moutons n'étaient pas davantage identifiés à l'époque qu'aujourd'hui. C'est un point que nous devrons certainement améliorer. Les mouvements étaient à peu près les mêmes et nous ne vaccinions que les bovins. Pour avoir personnellement vacciné des bovins il y a quelques années, je peux vous assurer que dans les exploitations, même si on ne le dit pas toujours, tous les bovins ne pouvaient pas vaccinés : il ne fallait pas trop « embêter » la vache qui venait de vêler parce que cela faisait chuter le lait, celle qui était à terme de gestation et qui risquait d'avorter, celle qui était un peu nerveuse et qui pouvait donner un coup de corne si on la vaccinait, etc... Ce n'était donc pas 100 % des animaux qui étaient vaccinés. La proportion était plutôt de 80 %, peut-être moins dans certaines régions. Il convient de rester réaliste et de se rappeler ce qui se faisait dans le passé. J'ai été quelque peu surpris d'entendre les éleveurs de race camarguaise faire beaucoup de bruit pour que l'on vaccine leur race. Lorsque mes confrères venaient procéder à la vaccination de leurs troupeaux, je vous assure que la démarche était relativement symbolique...

L'effet pervers de la vaccination est d'oublier les gestes de base de prévention. On oublie le bon sens, on oublie de ne pas acheter n'importe quoi n'importe où sous prétexte que le prix n'est pas très élevé, on oublie de vérifier que l'animal est bien identifié et que l'on sait d'où il vient, etc... Dans cette affaire, deux professions sont très liées mais devraient mieux s'organiser : je veux parler des éleveurs et des commerçants. Si l'on ne prend pas conscience que le commerce ne peut pas se faire sans veiller au sanitaire, il subsistera toujours des problèmes. Le pire serait d'arriver à une situation où l'on vaccinerait sans savoir ce qui se passe réellement chez nous. Nous avons voulu jusqu'à présent éliminer la maladie et le virus. Mais si l'on encourageait la vaccination sans être capable de faire attention au commerce, on nivellerait par le bas. Je pense qu'à terme l'élevage n'en sortirait pas gagnant.

M. Jean-Paul Emorine - J'ai été attentif à ce que vous avez dit sur la vaccination dans les élevages. Il se trouve que je suis propriétaire d'un élevage. Lorsque la vaccination était obligatoire, aucun de mes animaux n'y a échappé. Je crois que vous nous avez présenté une caricature. De l'avis de certains experts, à partir du moment où le matelas vaccinal représentait entre 80 et 90 %, il existait une certaine protection. Pendant ces 30 années, des cas de fièvre aphteuse sont survenus en Italie ou dans d'autres pays, mais pas en France. Certains reconnaissent que d'avoir vacciné les bovins a permis de préserver l'ensemble des autres espèces. Le problème vient plutôt des échanges. Je regrette beaucoup qu'on laisse circuler n'importe comment des moutons au sein de l'Union Européenne. On ne sait même pas où ces moutons sont abattus ! 25 ou 30 % sont abattus dans des conditions que l'on ignore ! Cela me choque ! En tout cas, je vous assure que dans mon département, tous les animaux, sauf peut-être les rares bêtes qui n'avaient pas pu être rentrées, ont été vaccinés. Votre argument ne tient pas.

Docteur François Moutou - J'ai le souvenir de l'épizootie de 1974 en Ille-et-Vilaine et dans les Côtes-d'Armor. 80 foyers se sont déclarés peu après la vaccination annuelle. Nous avons procédé à de nouvelles vaccinations dans plusieurs exploitations en périphérie (vaccination périfocale en annexe), et nous avons constaté 30 % de bovins supplémentaires !

Il est sûr que l'on ne vaccinera jamais les moutons parce que le coût serait trop important. Les cochons ont quant à eux une vie économique de 6 mois : ils n'auront donc pas le temps de bénéficier d'une immunité durable. Les bovins ne représentent que 50 % du cheptel sensible en France. Il est sûr que l'on n'atteindra jamais une vaccination de 100 % des bovins. Dans les analyses que nous avons effectuées en 1990, nous avons simplement mis en évidence le fait que sans vaccination on augmente le risque d'un premier foyer seulement d'un facteur 2. L'avantage de la vaccination est plutôt d'éviter l'extension d'un foyer.

Je serai très modeste par rapport à ce que nos collègues de Grande-Bretagne ont vécu. Je ne sais pas ce qui ce serait passé chez nous. La Grande-Bretagne a en effet cumulé trois malchances (avec une faible probabilité qu'elles se reproduisent) :

- de la viande en provenance d'Extrême-Orient qui n'a pas été contrôlée ou qui est entrée en fraude ;

- des restes de cuisine (eaux grasses) donnés à des cochons alors qu'ils n'avaient pas été traités thermiquement parce que la machine de l'éleveur était en panne ;

- un délai de trois semaines avant que la maladie ne soit repérée dans le foyer primaire (l'éleveur n'a jamais rien signalé. C'est l'enquête épidémiologique qui a permis de le repérer).

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez évoqué une étude conduite en 1990. Pourriez-vous nous la transmettre ?

Docteur François Moutou - Nous disposons d'un rapport interne que nous pourrons vous communiquer.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Le laboratoire international de référence est situé en Grande-Bretagne. Est-ce une preuve d'objectivité, de viabilité, ou pouvons-nous nous interroger à ce sujet ? On peut en effet se demander si l'apparition de la fièvre aphteuse, sans vouloir accuser personne, serait apparue dans le cadre d'une guerre économique.

Docteur François Moutou - Venir en France avec un tube contenant le virus nous semble être tellement facile que nous sommes même étonnés que personne ne l'ait jamais fait ! Un tube en verre peut passer n'importe quelle frontière. Il serait possible, sans menacer la vie de la population, de désorganiser l'économie d'un pays. Je crois qu'il s'agit d'un exemple de terrorisme biologique sans risque pour la santé publique qui est utilisé comme modèle d'exercice (pas en réalité !) par l'armée.

Lorsque l'on a réfléchi à la situation du laboratoire de référence mondial, on a mis en avant le fait que la position insulaire de la Grande-Bretagne la protégeait depuis toujours des vagues de virus qui venaient de l'Est. Ce raisonnement était valable au début du siècle, alors que les moyens de transport, leur rythme et leur rapidité, étaient très différents. Lorsque le premier pays touché par la maladie est celui qui héberge le laboratoire mondial de référence, il est certain que cela pose un véritable problème aux pays qui en dépendent. Nous avons contacté plusieurs fois nos collègues de Grande-Bretagne pour obtenir les réactifs qu'ils sont chargés de distribuer. Mais ils étaient tellement submergés par leur propre travail quotidien qu'un véritable problème d'approvisionnement du continent est apparu.

Les représentants des laboratoires de référence nationaux se sont réunis le 26 mars à Bruxelles : nous avons remarqué que la plupart des laboratoires utilisent désormais leur propre méthode. Il est difficile de prétendre ensuite que les résultats sont directement comparables !

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ne faudrait-il pas créer un laboratoire européen de référence ? L'agriculture est l'un des premiers éléments de la construction européenne. Il semblerait naturel, pour éviter des approches particulières dans chaque pays, que l'on puisse avoir une vision européenne. De nouveaux élargissements vont survenir, avec peut-être des pays où la fièvre aphteuse est présente. Ce que vous venez d'évoquer ne correspond plus à de la construction européenne puisque chacun se replie sur son analyse personnelle ! Lorsqu'il faudra définir une prophylaxie, il y aura des divergences d'appréciation...

Docteur François Moutou - Il est vrai que la fièvre aphteuse, comme l'ESB, a fait apparaître des comportements individualistes. Le paradoxe est cependant que la Grande-Bretagne, qui est laboratoire mondial de référence, était également dans le passé laboratoire européen de référence. Le contrat n'a toutefois pas été reconduit en 1995, notamment en raison de divergences avec Bruxelles et la FAO. Je pense que le contrat devrait être signé en 2001 : l'Angleterre serait alors à nouveau laboratoire européen de référence.

Lorsque l'on a dû décider à partir de 1993 quel pays serait laboratoire européen de référence, il y a eu une certaine concurrence entre les Pays-bas, la France et la Grande-Bretagne. Cela s'est finalement soldé par un « non-lieu » : aucun état n'a été nommé.

M. Philippe Arnaud, président - S'agissant de la résistance du virus, les mesures prises par le Gouvernement, notamment les bûchers, la pasteurisation du lait, et la maturation de la viande étaient-elles justifiées ?

Docteur François Moutou - Le virus de la fièvre aphteuse est réputé être résistant : il a tout de même des limites de survie. Il est fait mention de fortes résistances dans les cours des écoles vétérinaires, mais il s'agit d'exceptions, qui ne correspondent pas vraiment à l'image qu'il convient de retenir. La pasteurisation élimine le virus. La maturation lactique de la viande après abattage, si elle faite pendant 48 heures à la réfrigération, et non à la congélation, élimine également le virus du muscle. Il est ensuite possible de congeler les carcasses. Il faut cependant noter que la matière grasse et la moelle osseuse ne sont pas touchées par cette maturation lactique qui fait descendre le pH à 6 environ. C'est pour cela que l'Afrique Australe, par exemple le Botswana, qui exporte beaucoup de viande vers l'Union Européenne, utilise la forme désossée : dans ces conditions, le muscle n'est pas dangereux, il ne peut pas transmettre le virus. La chaîne serait bouclée si les restes de cuisine non cuits se retrouvaient dans l'auge de cochons. On recycle des produits organiques de forte valeur nutritive, mais le risque est que des virus puissent s'y trouver et se développer ensuite.

Y a-t-il un lien direct avec les bûchers ? Dans le plan d'urgence français, et européen, il était prévu que les animaux morts soient détruits le plus rapidement possible et le plus proprement possible. Il se trouve que pour des raisons qui n'ont rien à voir avec notre problème, les équarrissages, qui sont la destination habituelle des cadavres, sont complètement saturés. Ces équarrissages n'étant pas très nombreux en France, cela aurait pu imposer des déplacements d'animaux assez importants à travers le pays. Ces déplacements font toujours peur. Les Préfets ont parfois du mal à admettre que des camions même étanches, puissent traverser leur département jusqu'à l'équarrissage. Ce problème, qui est peut-être psychologique, est encore plus aigu lorsqu'il faut agir très rapidement.

Une enquête hydro-géologique a été menée à l'échelle du pays par département pour savoir où l'on pourrait creuser et enfouir, où cela serait impossible et où il conviendrait d'aller étudier sur place la situation. Dix ans après cette enquête, on se rend compte que plusieurs éléments ont évolué, notamment la perception de l'environnement par le public et les autorités. L'enfouissement est a priori mal perçu : les gens n'en veulent pas, pour des raisons qui sont sans doute excellentes mais qui étaient différentes il y a dix ans. Pour éliminer les cadavres, il ne reste donc qu'une solution : les bûchers. J'avoue que j'ai été étonné lorsque j'ai vu ces images de bûchers britanniques à la télévision : je pensais qu'il s'agissait d'images de 1967 ou 1968 !

Je n'ai aucun élément qui me permettrait de me positionner par rapport à cette solution. Je sais que de nombreuses personnes cherchent des arguments contre ces bûchers. Sont-ils justifiés ? Je ne peux répondre à cette question. Je n'ai pas la possibilité d'apprécier par exemple la pollution dont certains parlent.

Le paramètre nouveau depuis 1981 est le renforcement des médias. Honnêtement, je n'ai pas trouvé qu'ils ont apporté une information toujours adaptée aux circonstances.

M. Philippe Arnaud, président - S'agissant des aspects hygiénique et sanitaire, le fait d'enfouir des carcasses ne pose-t-il pas des problèmes ? Existe-t-il des protocoles à ce sujet ?

Docteur François Moutou - Il existe en effet des protocoles.

M. Philippe Arnaud, président - L'enfouissement des carcasses ne présenterait-il pas certains risques ?

Docteur François Moutou - Il existe un plan d'urgence en dix points qui correspondent à des circulaires du Ministère. S'agissant de l'enfouissement, les éléments suivants sont prévus :

- la profondeur de la tranchée ;

- la façon de creuser la tranchée ;

- le volume de tranchée à prévoir par nombre d'animaux à enfouir ;

- le volume de chaux à mettre en dessus et au-dessous avant de recouvrir de terre ;

- la hauteur minimale de terre à mettre au-dessus de l'animal le plus haut ;

- le devenir du terrain pendant les années qui suivent (période sans pâturage, période sans culture, période sans construction).

Je pourrai vous fournir ces éléments d'information. Certaines fiches sont régulièrement mises à jour par la DGAL.

L'enfouissement se heurte à des problèmes d'ordre psychologique. La France est un pays qui reste relativement grand, même si sa superficie n'a rien à voir avec celle des Etats-Unis ou de la Russie : nous disposons donc de suffisamment d'espace pour réaliser les enfouissements. En revanche, les Pays-Bas, par exemple, sont dans une situation difficile puisqu'ils ne peuvent ni creuser ni brûler, ne serait-ce que parce que la population est trop importante sur tout leur territoire.

M. Philippe Arnaud, président - Souhaitez-vous nous apporter d'autres éléments d'information ?

Docteur François Moutou - Je note en particulier le décalage qui a existé entre ce qui se faisait soi-disant et ce qui était fait en réalité. J'ai trouvé que les éleveurs avaient été très courageux face à cette crise, d'autant plus qu'ils venaient de traverser la période difficile de l'ESB. Je pense que mes confrères ont également effectué un travail efficace. Il me semble qu'il faut que nous arrivions à parler de la vaccination de manière sereine, comme un élément parmi d'autres. Certains disent : « On vous avez prévenu ! C'est parce que nous avons arrêté la vaccination que nous connaissons les difficultés actuelles ». Je pense qu'il est malhonnête d'oser faire de telles affirmations. Il est cependant vrai qu'il faudra surmonter un jour le paradoxe qui existe entre le libre-échange et le sanitaire.

M. Philippe Arnaud, président - Avez-vous des propositions concrètes ou avez-vous ouvert des réflexions au sein de l'AFSSA pour que soit appliquée de la même façon, avec la même rigueur, une réglementation au niveau européen ? Il ressort en effet des auditions que nous avons déjà effectuées que les différences de réglementations ou les divergences d'application de réglementations identiques posent de sérieux problèmes.

Docteur François Moutou - Je suis parfaitement d'accord. Pour pouvoir lancer la discussion au niveau européen, je crois qu'il faut déjà que nous soyons irréprochables à notre niveau.

M. Philippe Arnaud, président - La France est déjà le meilleur élève...

Docteur François Moutou - Je ne sais pas. Je ne pense pas en effet que nous soyons le plus mauvais... Mais il est difficile de dire à nos partenaires que nous sommes les meilleurs: ce serait perçu comme de l'arrogance. Il faut veiller à la manière avec laquelle on présente les choses pour pouvoir être entendu. Avec les éléments techniques et objectifs dont nous disposons, nous avons peut-être quelques raisons de demander à la Commission que tous les Etats membres appliquent la même réglementation. Notre position est cependant rendue difficile par le fait que notre pays est exportateur, à la différence de nos partenaires européens.

M. Philippe Arnaud - Docteur, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

9. Audition de M. Benoît Assemat, président du Syndicat national des vétérinaires inspecteurs de l'administration (SNVIA)

M. Philippe Arnaud, président - M. Assemat, vous êtes Président du Syndicat National des Vétérinaires Inspecteurs de l'Administration. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Notre mission cherche à obtenir des éclairages sur la problématique de la fièvre aphteuse, d'un point de vue scientifique, sanitaire et économique. Nous souhaiterions que vous nous donniez votre sentiment sur cette épizootie, sur la façon dont elle a été gérée et que vous en tiriez peut-être certaines conséquences en mettant en perspective ce qui pourrait se passer demain.

M. Benoît Assemat - Je vous remercie Monsieur le Président. Je vais débuter mon intervention en rappelant quel est le rôle des vétérinaires inspecteurs au sein de l'administration. Il s'agit d'un corps de vétérinaires de formation, qui ont de plus reçu une formation spécifique en matière administrative et en matière juridique pour assurer la direction et l'encadrement des services vétérinaires français. Le Syndicat National des Vétérinaires Inspecteurs de l'Administration (SNVIA), que je représente, est fortement majoritaire au sein de ce corps puisqu'il représente plus de 80 % des voix aux élections.

J'aimerais, lors de cette présentation, effectuer tout d'abord un rappel sur l'organisation de l'administration vétérinaire face à l'épizootie de fièvre aphteuse puis évoquer les difficultés qui sont à surmonter dans la mise en oeuvre des mesures de lutte et enfin étudier les évolutions des modalités de prévention et de lutte face à la fièvre aphteuse.

I - L'organisation de l'administration vétérinaire face à l'épizootie

Je souhaite souligner que l'organisation de l'administration vétérinaire bénéficie d'atouts indéniables, mais souffre également de certaines faiblesses structurelles.

1. Les atouts de l'administration vétérinaire

a) Une administration unifiée

Le premier atout qui singularise l'organisation vétérinaire en France est l'unification des services vétérinaires : de la surveillance des animaux vivants dans les élevages jusqu'à la remise des denrées d'origine animale aux consommateurs, une organisation vétérinaire unique existe, et prend en charge, tant au niveau central qu'au niveau déconcentré sous l'autorité des préfets, l'ensemble du contrôle sanitaire. Il s'agit d'une singularité française : dans de nombreux pays, il existe une coupure entre les services s'intéressant aux animaux vivants, qui relèvent le plus souvent du Ministère de l'Agriculture, et les services s'occupant du contrôle sanitaire des denrées alimentaires, qui relèvent du Ministère de la Santé.

Pour la fièvre aphteuse, le fait que les services soient unifiés entraîne un effet direct : en période de crise, nous bénéficions d'un « effet de masse » (même si les effectifs sont loin d'être pléthoriques). En effet, une telle crise exige à la fois une importante présence sur le terrain et dans les services. Il est alors possible, en France, de faire appel aux personnels qui travaillent dans le domaine de l'hygiène alimentaire pour aider les services de santé animale. Cet effet de masse est un atout indéniable de notre organisation.

b) Le maillage de l'ensemble du territoire par les vétérinaires sanitaires

Les vétérinaires sanitaires sont des vétérinaires praticiens, et non fonctionnaires, qui sont, sur le terrain, placés sous l'autorité du Directeur des Services Vétérinaires pour leurs fonctions d'épidémio-vigilance et de surveillance sanitaire. Il existe plus de 8.000 vétérinaires qui disposent de ce mandat, et il s'agit là aussi d'un atout très important, car ces vétérinaires sont les vigies sanitaires de notre dispositif, et leur action est relayée, d'un point de vue professionnel, par les Groupements de défense sanitaire. Cette habitude de travailler ensemble existant entre l'administration vétérinaire, les vétérinaires praticiens et les représentants des éleveurs dans leurs organisations sanitaires permet au dispositif français d'être particulièrement efficace.

2. Les faiblesses structurelles de l'administration vétérinaire

Notre syndicat, le SNVIA, dénonce depuis 16 ans les faiblesses structurelles de l'administration vétérinaire, et considère qu'il existe un certain manque de vision concernant ce que devraient être les services vétérinaires.

l Les ambiguïtés permanentes dans l'organisation des services déconcentrés

Le rattachement des Directions des Services Vétérinaires (DSV) aux Directions Départementales de l'Agriculture (DDA) est une question sur laquelle de nombreuses commissions parlementaires, la Cour des comptes et la Commission européenne se sont exprimées : il est nécessaire que soit mise en place une véritable identification du contrôle sanitaire, lequel doit être clairement séparé du rôle d'appui économique et de contrôle de l'économie.

2 Des effectifs très insuffisants

Il n'est plus possible, nous pouvons le dire sans excès, de demander aux mêmes services en plus de leur mission de contrôle permanent de la chaîne alimentaire, de gérer des crises sanitaires à répétition : la fièvre aphteuse est ainsi venue après deux grandes crises d'ESB. Ces crises exigent une forte mobilisation des personnels au-delà du seul contrôle sanitaire. Le Gouvernement a annoncé des mesures : 300 personnes, actuellement en formation, vont rejoindre les services vétérinaires. Cet effort devra être poursuivi et amplifié si nous souhaitons que notre pays dispose de services vétérinaires à la hauteur de son élevage et de sa filière alimentaire.

3. L'absence d'un échelon intermédiaire entre l'administration centrale et les services départementaux

Nous disposons en effet d'un échelon central, la Direction Générale de l'Alimentation qui conçoit la politique sanitaire, et un échelon départemental qui la met en oeuvre sous l'autorité des préfets. L'absence d'un échelon intermédiaire fait défaut, notamment pour la gestion des crises : il existe ainsi un défaut de pilotage de l'activité des services. Des réflexions sont menées depuis plusieurs années en vue de créer cet échelon intermédiaire. La crise de la fièvre aphteuse a clairement démontré qu'il s'agissait d'une véritable nécessité.

II - Les difficultés à surmonter dans la mise en oeuvre des mesures de lutte

1. La difficulté croissante de faire accepter les abattages totaux préventifs

Les éleveurs, qui connaissent pourtant depuis très longtemps cette pratique de la prophylaxie sanitaire, sont désormais très sensibles à leur environnement. Or l'opinion publique a fortement dénoncé la mise en oeuvre des abattages totaux préventifs. Ces derniers ne sont pourtant pas une nouveauté, puisque la pratique de l'abattage total est un des principes de base de l'organisation sanitaire. Celui-ci n'est pas forcément bien compris et bien connu, et nous devons en tirer les conséquences. Nous devons en particulier consentir d'importants efforts pour expliquer ce principe de la prophylaxie sanitaire en matière vétérinaire, et expliquer à l'opinion publique que ces principes de police sanitaire vétérinaire n'ont bien évidemment aucun rapport avec les principes relatifs à la médecine humaine.

2. La difficulté de mise en oeuvre des plans d'intervention départementaux

Ces plans d'intervention existent depuis très longtemps et ont été réactivés il y a dix ans, au moment de l'arrêt de la vaccination de la fièvre aphteuse. Ils s'appuient sur des services de l'Etat (la DDE, la gendarmerie, l'armée, les services d'incendie et de secours), lesquels ont montré qu'ils atteignaient eux aussi les limites de leurs moyens. Si une épizootie de fièvre aphteuse se développait actuellement dans un département, ce dernier serait certainement très vite débordé pour la mise en oeuvre, très lourde, de ces mesures.

Nous faisons donc la suggestion suivante : il faudrait pouvoir faire appel au Préfet de zone, qui a lui la capacité de faire appel aux moyens de l'Etat sur l'ensemble de la zone de défense, et dont le rôle est justement, lorsqu'il faut faire face à des situations de crise ou à des événements qui dépassent le cadre d'un département, de coordonner les moyens de l'Etat. Cette suggestion rejoint le constat que nous effectuions tout à l'heure concernant le défaut de pilotage et de lien entre l'échelon central et l'échelon déconcentré.

III - L'évolution des modalités de prévention et de lutte contre la fièvre aphteuse

Depuis 1991, date d'arrêt de la vaccination préventive, le monde a considérablement changé : les échanges entre pays, en Europe et dans le monde, se sont considérablement accrus, et augmentent dans la même proportion les risques d'introduction dans notre pays de cette maladie particulièrement contagieuse.

Je crois que le débat sur la reprise de la vaccination préventive de tous les animaux dépasse le cadre national et même communautaire. En effet, s'il faut réévaluer les règles sanitaires, notamment en raison des progrès de la recherche en matière de vaccins annoncés pour les années prochaines, il faudra tenir compte de ce contexte. Il ne faudra notamment pas oublier le rôle de l'Office International des Epizooties, qui a son siège à Paris et a justement pour mission de fixer ces règles sanitaires.

En guise de conclusion, je voudrais profiter de ma présence devant vous pour insister très fortement sur le fait suivant : les crises sanitaires à répétition que nous traversons, et la manière dont les services vétérinaires, et les vétérinaires inspecteurs qui sont à leur tête (mais qui ne sont pas les seuls à y travailler : à côté des 500 vétérinaires fonctionnaires, 3.000 agents interviennent) y font face, doivent conduire la collectivité nationale à prendre en compte l'impérieuse nécessité de renforcer les services vétérinaires de notre pays. Ce renforcement doit à la fois se situer sur le plan quantitatif (en renforçant les différents échelons existant actuellement) et qualitatif, car il convient de doter cette administration de l'autonomie dont elle a besoin, sous l'autorité du Préfet, pour mettre en oeuvre le contrôle sanitaire dont l'économie agroalimentaire et la culture alimentaire de notre pays ont besoin. Il faut que ces crises servent à faire évoluer notre organisation. C'est ce que nous réclamons de façon continue depuis 16 ans.

M. Philippe Arnaud, président - M. Assemat, nous vous remercions pour cette intervention. Je laisse la parole à M. Emorine, qui est notre rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Merci Monsieur le Président. M. Assemat nous a parlé du rôle des vétérinaires inspecteurs et nous a dit qu'ils n'étaient pas assez nombreux pour assurer leur mission. Toutefois, si nous ramenons leur nombre, qui est de 500, au territoire français, nous nous rendons compte qu'ils sont cinq par département, ce qui semble permettre un encadrement sérieux. Vous avez de plus parlé, dans les faiblesses structurelles, de l'unification des services sanitaires. Il s'agit d'un débat que je connais depuis fort longtemps. Dans les départements où les relations sont bonnes entre DDA et DSV, il n'existe pas toutefois de problèmes majeurs.

Nous sommes, après l'ESB et avec la fièvre aphteuse, dans un contexte particulièrement tendu. Nous sentons bien que la France a été fragilisée, en ce qui concerne la fièvre aphteuse, par l'introduction de moutons provenant d'Angleterre. En particulier, une fête musulmane a entraîné l'importation d'animaux qui ne sont pas toujours abattus dans des abattoirs reconnus. Ma question est la suivante : comment contrôlez-vous, dans le contexte européen de libre circulation, les importations ? Comment êtes-vous intervenus dans le cadre de cette importation massive d'animaux pendant la période de la fête musulmane, puisqu'il semble qu'il y ait eu une faiblesse à ce moment-là ?

M. Benoît Assemat - En ce qui concerne l'organisation du contrôle des mouvements d'animaux, des changements très importants ont eu lieu depuis le 1er janvier 1993 puisque nous sommes entrés dans le Marché unique européen. La règle générale est la suivante : les contrôles sanitaires se réalisent au point de départ des marchandises, et ensuite de manière aléatoire et non-discriminatoire sur les lieux de destination des produits.

Il existe toutefois une exception à ce principe général de la confiance mutuelle entre Etats membres, qui s'applique notamment en matière de mouvements d'animaux vivants. Il s'agit d'un dispositif qui s'appuie sur un système d'échange d'informations entre tous les Etats membres et chaque point à l'intérieur des Etats membres. Ce système se nomme ANIMO. Lorsqu'un certificat sanitaire est établi pour des animaux vivants (les certificats sanitaires ont été supprimés depuis le 1er janvier 1993 pour les denrées alimentaires mais ont été conservés pour les animaux vivants), notamment au Royaume-Uni, les services qui établissent ce certificat doivent également remplir un certain nombre d'informations qui vont parvenir aux services vétérinaires de destination par un système de réseau, avec un serveur basé en Irlande. Concrètement, chaque jour, le Directeur des Services Vétérinaires du département, quand il consulte sa messagerie ANIMO, dispose de l'ensemble des messages qui lui ont été adressés. C'est à partir de ces informations qu'il organise des contrôles aléatoires et non-discriminatoires. Ces contrôles ne sont systématiques que lorsque des anomalies sont rencontrées.

En ce qui concerne les moutons, une difficulté spécifique existe : il s'agit du défaut d'identification et de traçabilité existant dans cette filière. Des efforts sont faits en la matière, et nous avons d'ailleurs réussi à retrouver bon nombre des moutons importés pour réaliser un abattage préventif. Il reste toutefois des progrès à accomplir en matière d'identification.

Il est évident que tout système peut avoir des failles. En particulier, si le système ANIMO n'est pas utilisé, en raison d'un dysfonctionnement ou d'une panne informatique, il peut exister une période pendant laquelle des certificats sanitaires sont établis sans que les autorités sanitaires du pays d'accueil puissent en avoir connaissance. Toutes sortes de dysfonctionnements, telles des erreurs d'adressage, sont bien sûr possibles.

En ce qui concerne les effectifs, j'aimerais préciser que je ne parle pas uniquement de ceux des vétérinaires inspecteurs : ces derniers sont environ quatre par département, puisque certains travaillent au niveau central, et ils ont en charge l'ensemble du contrôle sanitaire. Au-delà, et surtout, les effectifs sont avant tout constitués par des techniciens et des agents administratifs. Le 1er janvier 1968 a été mis en place le service d'Etat d'hygiène alimentaire et les services vétérinaires tels que nous les connaissons aujourd'hui.

Les parlementaires ayant voté à cette époque la loi de modernisation du marché de la viande ont exprimé une très grande ambition pour ce service public : il s'agissait de créer un véritable service de contrôle de la chaîne alimentaire, de l'animal vivant au consommateur, et ceci pour toutes les catégories animales (et donc pour tous les types de produits : produits carnés, produits laitiers et produits de la pêche), le contrôle concernant tant la transformation, le transport que la distribution. Alors que l'ambition était donc grande, les effectifs sont restés très faibles par rapport aux autres pays d'Europe, et surtout aucun service unifié ayant en charge toute la chaîne alimentaire n'a été mis en place : les pouvoirs publics se sont contenté d'organiser des contrôles dans les abattoirs et ont donné compétence à plusieurs administrations, qui doivent s'entendre pour bien faire fonctionner le dispositif. Or les rapports parlementaires ainsi que celui de l'ENA ont clairement montré qu'il était très positif de faire collaborer des services, à condition qu'il soit possible de bien identifier leurs objectifs. Lorsqu'une telle collaboration se fait dans la confusion et dans un total enchevêtrement des compétences, la coopération n'est pas efficace, même si les hommes s'entendent.

Il nous faut donc imaginer le service public sanitaire dont la France a besoin. Nous avons trente années de retard dans cette prise de conscience : il est nécessaire de disposer d'un contrôle sanitaire clairement identifié. Lorsque le Ministère de l'Agriculture aura réalisé cela, nous aurons accompli un grand pas pour moderniser le service public.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - La seconde question que je souhaite vous poser est relative à l'abattage. Vous nous avez dit que celui-ci à toujours été couramment pratiqué. Il faut toutefois signaler que les abattages consécutifs à la Brucellose aboutissent à l'équarrissage. Or ce sont les bûchers qui ont particulièrement choqué l'opinion publique. Ce sont des prophylaxies, vous le voyez bien, qui ont aujourd'hui atteint leurs limites. La question qui se pose désormais est donc la suivante : pouvons-nous envisager de d'instaurer de nouveau, en Europe ou dans le monde, la vaccination ? Quel est votre point de vue sur la vaccination des différentes espèces ?

M. Benoît Assemat - Toute politique publique doit être acceptée par l'opinion. Nous en avons parfaitement conscience. Il faut toutefois souligner que l'alternative n'est pas entre abattage et vaccination : les deux mesures ne s'opposent pas. La véritable alternative est celle existante entre une vaccination préventive, et l'abattage en cas de développement de foyers infectés d'une part, et des mesures sanitaires strictes d'abattage. En 1970, 1974, 1979 et 1981, alors que la vaccination était pratiquée, nous avons connu en France des épizooties de fièvre aphteuse : les moutons et les porcs n'étant pas vaccinés, la maladie pouvait partiellement être introduite. De plus, les moutons et les porcs porteurs du virus pouvaient, lorsque la vaccination des bovins était assurée, ne pas révéler aussi vite la maladie qu'ils ne l'ont révélée cette fois ci. Il faut de plus ajouter qu'un porc atteint excrète 1.000 fois plus de particules virales qu'un bovin. Le fait que des élevages de porcs soient atteints (et cela s'est produit en Bretagne et en Normandie), justifie la mise en oeuvre de mesures d'abattages drastiques, la vaccination venant s'ajouter comme outil de lutte supplémentaire.

Pour nous, il n'existe aucun dogme en la matière : s'il apparaît que l'évolution des techniques permet de faire évoluer les mesures de prévention et de lutte, les vétérinaires inspecteurs n'y verront bien évidemment aucun inconvénient. Ce n'est bien sûr pas un plaisir pour les vétérinaires de travailler dans les conditions dans lesquelles nous avons travaillé. Il semble toutefois nécessaire d'analyser la situation de façon raisonnable, en s'abstenant de réagir à chaud. Les mesures prises en France depuis 10 ans ont été d'une efficacité certaine. S'il existe des outils nouveaux, il faudra les étudier et les utiliser. Je constate toutefois que les professeurs des écoles vétérinaires les plus réputés, comme Bernard Toma de l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort, ont défendu le système existant. En effet, le passage d'une prophylaxie médicale, qui utilise des vaccins pour maîtriser une maladie, à une prophylaxie médico-sanitaire, qui associe la vaccination et l'abattage, puis à une prophylaxie sanitaire, qui privilégie les mesures sanitaires pour supprimer toute circulation du virus, est une évolution qui a été enseignée dans les écoles vétérinaires du monde entier. Il faut garder cela à l'esprit, tout en ajoutant que s'il existe des outils nouveaux permettant d'utiliser un vaccin pour améliorer les choses, il nous faudra bien évidemment les utiliser.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez beaucoup insisté tout à l'heure sur la nécessité d'améliorer l'organisation en France des services vétérinaires et sur les intérêts résultants de l'existence d'une administration unifiée. Vous représentez l'administration. Que pensez-vous des réglementations nationales et des moyens mis en oeuvre sur le territoire national et de leur articulation avec un éventuel dispositif européen ? Quels sont vos moyens pour que nos partenaires européens appliquent les mêmes règles que nous ? Vous avez ainsi parlé d'ANIMO, mais en soulignant que le système reposait sur la confiance mutuelle (avec un contrôle a priori strict au départ et des contrôles aléatoires à l'arrivée). Lorsque des arrivages d'animaux proviennent d'autres pays européens, il me semble que vous êtes particulièrement confiant. Ne faudrait-il pas accroître les contrôles existants avant de réfléchir à toute mesure nouvelle de prophylaxie ?

M. Benoît Assemat -. Monsieur le Président, j'ai parlé de confiance mutuelle car il s'agit des termes utilisés par les Directives, lesquelles précisent qu'il revient aux Etats membres d'organiser les contrôles.

Ceci étant, il faut tout d'abord préciser qu'il existe un Office alimentaire et vétérinaire, qui a justement pour fonction de contrôler et de vérifier que les autorités de contrôle des Etats membres, qui sont des autorités décentralisées, respectent les règles sanitaires fixées au niveau communautaire. Il peut certes exister des dysfonctionnements, dont la presse ne manque pas de se faire l'écho.

Ensuite, en ce qui concerne l'organisation du contrôle sanitaire en France, une distinction très forte est faite entre les produits provenant de pays tiers et ceux qui proviennent des échanges intracommunautaires.

Pour les produits provenant des pays tiers, un contrôle systématique est organisé dans les postes d'inspection frontaliers, qui sont au nombre de 27 dans notre pays. Tous les lots de marchandises y sont systématiquement contrôlés, sur les plans physique et documentaire, pour veiller au strict respect des règles sanitaires. Depuis le 1er janvier 1993, l'accent a d'ailleurs été mis sur l'existence d'un tel contrôle pour protéger les frontières de l'Union européenne, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Au sein de l'Union européenne, les échanges sont particulièrement importants. La disparition des frontières physiques signifie bien évidemment qu'il existe une libre circulation des marchandises. Il se trouve qu'il existe, pour les animaux vivants, un dispositif supplémentaire qui consiste en l'échange d'informations entre les autorités des Etats membres. Les services, dans les départements, organisent le contrôle sanitaire dans la limite de leurs moyens qui, je le répète, sont insuffisants. Les contrôles s'effectuent alors par sondages. Il serait d'ailleurs totalement impossible de contrôler de façon systématique tous les animaux provenant de pays de l'Union européenne : le dispositif serait alors totalement paralysé.

En revanche, ma profonde conviction, forgée lors des difficultés concernant l'ESB, est la suivante : vouloir prendre des mesures nationales dans un cadre européen est une piste très difficilement praticable. Ainsi, les mesures mises en oeuvre dès juillet 1996 dans le cadre de l'ESB, étaient uniquement des mesures nationales. Ce n'est qu'en octobre 2000 que ces mesures ont été étendues à l'ensemble de l'Europe. Prendre des mesures nationales dans un tel contexte ne peut donc être qu'un pis-aller. Il est nécessaire, en matière sanitaire, que la construction communautaire s'approfondisse en la matière, étant précisé qu'il est nécessaire de laisser la liberté au niveau local de s'organiser et de mettre en oeuvre le dispositif : il ne faudrait pas décider qu'une immense administration, à Bruxelles, gère tout dans le détail, car cela manquerait totalement d'efficacité.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Rapporteur a tout à l'heure insisté sur le cas des ovins. Nous savons tous qu'il existe, à l'heure actuelle, un problème d'identification des ovins, et il semble que nous soyons les seuls, en France, à disposer d'un système d'identification à peu près efficace en la matière. Si nous observons les chiffres, nous constatons que sur 760.000 ovins vivants en France, 130.000 proviennent de Grande-Bretagne et 410.000 des Pays-Bas, alors que dans ces deux pays il n'existe pas de système d'identification efficace. Comment cette situation est-elle gérée ?

M. Benoît Assemat - J'aimerais tout d'abord indiquer que je ne possède aucun élément pour dire que nous sommes les seuls, en France, à disposer d'un système d'identification des ovins. Ensuite, il est incontestable que le commerce triangulaire représente un véritable problème, tant pour les moutons que pour d'autres espèces. Nous savons en effet que, parmi les ovins de boucherie, et peut-être les ovins d'engraissement, bénéficiant de certificats sanitaires établis par les Pays-Bas, il est possible que des ovins britanniques se soient glissés. D'ailleurs, la seule mention portée sur les certificats est que ces ovins proviennent de l'Union européenne. Il y a deux ou trois ans, des démarches avaient été faites auprès des autorités des Pays-Bas pour qu'il soit indiqué sur les certificats que les ovins proviennent du Royaume-Uni. Des engagements avaient d'ailleurs été pris, mais n'ont pas été tenus. Nous n'y pouvons pas grand-chose. Par exemple, si nous décidons qu'il est nécessaire, pour les ovins provenant du Royaume-Uni, de retirer le système nerveux central, il faudra, pour que cette mesure soit efficace, l'appliquer à tous les ovins provenant des Pays-Bas.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous devons parvenir à une véritable traçabilité des produits, car cette évolution est inéluctable. Il est donc nécessaire que la législation européenne évolue, et exige que soit mentionné non le pays de provenance mais le pays d'origine du produit. Seule une telle mesure permettrait de parvenir à une véritable confiance mutuelle.

En ce qui concerne les pays tiers, il faut remarquer que l'Argentine comme le Brésil ont également été touchés par l'épizootie de fièvre aphteuse. Nous n'en avons jamais entendu parler, alors que l'OIE a déclaré que l'Argentine est touchée depuis le 30 mars 2001 et le Brésil depuis le 19 janvier 2001. Depuis ces dates, des viandes ont pu continuer à être importées en Europe par l'intermédiaire de pays moins rigoureux que la France. Nous aimerions savoir ce qui s'est passé pendant cette période.

M. Benoît Assemat - J'imagine qu'au niveau européen, dès que des événements d'une telle importance apparaissent, des mesures sont immédiatement prises et répercutées aux quinze pays et à tous les points de contrôle. Il faudrait bien sûr le vérifier.

M. Dominique Braye - Dès qu'un pays est touché par la fièvre aphteuse, il a l'obligation de le déclarer dans les 24 heures à l'OIE. Son statut de pays indemne lui est alors retiré, ce qui entraîne un embargo de fait.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Encore faut-il que le pays lui-même sache qu'il existe chez lui un ou plusieurs cas de fièvre aphteuse.

M. Louis Moinard - La gestion des troupeaux est en effet très différente en Argentine...

M. Benoît Assemat - Il est de plus incontestable que l'OIE ne dispose pas de pouvoirs très importants.

M. Philippe Arnaud, président - Tout le problème se situe à ce niveau. Nous évoquons de grands principes, tels les notions de pays indemne et d'embargo. Pourtant, il semble se confirmer que les importations continuent, et nous aimerions y voir clair. Pouvez-nous dire où nous pouvons nous procurer des chiffres fiables concernant les entrées d'animaux dans notre pays entre janvier et mars 2001. Pouvez-vous également nous dire de quels outils les services vétérinaires disposent pour que les éventuels embargos décidés pour des raisons sanitaires soient effectivement respectés ?

M. Benoît Assemat - Le contexte est totalement différent pour les importations provenant des pays tiers que pour celles provenant de pays de l'Union européenne. En ce qui concerne les importations provenant des pays tiers, des relations très étroites existent entre les douanes et les services vétérinaires : pour un certain nombre de produits, les douanes doivent, avant de permettre l'entrée de ceux-ci sur le territoire, obtenir un certificat établi par les services vétérinaires dans le poste d'inspection frontalier. Le contrôle sanitaire est donc un préalable à toute opération de dédouanement. Peut-être faut-il encore mieux croiser les informations détenues par les douanes et celles détenues par les services vétérinaires, pour éviter toute fraude. En effet, une fraude (par exemple la falsification des certificats vétérinaires) est toujours imaginable. Des liens étroits existent donc, mais il faut peut-être les renforcer. Il est également nécessaire de souligner l'existence du problème des moyens humains : si vous allez visiter un grand centre d'inspection frontalier comme celui de Roissy, vous verrez que des dizaines de milliers d'opérations de contrôle doivent être effectuées, alors que peu d'agents sont présents. Un problème de moyens existe donc également.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Les postes d'inspection frontaliers sont-ils placés sous l'autorité de l'Union européenne ?

M. Benoît Assemat - Non, cela avait été proposé par les Etats membres et la Commission avait refusé de piloter l'ensemble des postes d'inspection frontaliers. Ces postes sont donc placés sous l'autorité des Etats membres. En France, ils relèvent, au niveau administratif, de la Direction des Services Vétérinaires du département sous l'autorité du préfet mais, au niveau fonctionnel, directement de la Mission de Coordination Sanitaire Internationale, c'est-à-dire de la Direction Générale de l'Alimentation qui a des relations directes avec chacun des 27 points.

J'aimerais rappeler que la confiance mutuelle est un principe sans lequel le marché européen ne pourrait pas fonctionner. Il s'agit d'un principe qui se construit : c'est en travaillant sur les éventuelles défaillances constatées que nous instituerons peu à peu une véritable confiance mutuelle.

M. Philippe Arnaud, président - Nous vous remercions de votre contribution ainsi que d'avoir bien voulu répondre très précisément à nos questions. Nous sommes intéressés par tous les éléments statistiques ou d'information sur le système ANIMO dont vous pourriez disposer.

M. Benoît Assemat - Je vous les communiquerai. La Direction Générale de l'Alimentation pourrait également vous fournir de nombreuses informations.

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons maintenant M. René Bailly Président du Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice Libéral (SNVEL). Merci Monsieur d'avoir répondu à notre invitation. Nous aimerions entendre vos appréciations sur l'épizootie de fièvre aphteuse, sur ce qui a fonctionné et sur ce qui n'a pas fonctionné, ainsi que sur les enseignements à en tirer.

10. Audition de M. René Bailly, président du Syndicat national des Vétérinaires d'Exercice Libéral

M. René Bailly - Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de me permettre d'être entendu par cette mission d'information du Sénat. Vous me permettrez de m'exprimer à cette occasion à la fois en tant que Président du Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice Libéral et en tant que praticien, puisque j'ai exercé ma profession dans des régions d'élevage et que j'ai pu connaître, en tant que praticien en clientèle rurale, l'affection qui est toujours appelée la « cocotte ».

Je ne suis pas un spécialiste de la virologie, et je ne m'étendrai donc pas sur les notions techniques et biologiques concernant les sept souches virales à l'origine de la fièvre aphteuse, pas plus que sur l'évolution clinique de cette maladie, dont les effets sont connus depuis fort longtemps sur les espèces bovines, ovines, porcines, caprines, domestiques et sauvages. Je m'attacherai donc uniquement aux effets sur le cheptel de cette terrible maladie contagieuse.

I - L'arrêt de la vaccination

1. La décision

Il faut savoir que les vaccinations pratiquées de 1958 à 1991 sur les bovins ont eu pour conséquence de faire disparaître totalement cette maladie pour ces animaux, et par conséquence, d'empêcher sa propagation sur tout le territoire. Pour des raisons essentiellement économiques, la Commission des Communautés européennes a décidé d'inciter les Etats membres a cesser cette vaccination à compter du 1er janvier 1992. La Directive, qui s'inscrivait dans le cadre de la Politique Agricole Commune, avait en effet pour objectif d'améliorer les échanges internationaux vers les pays importateurs indemnes de cette maladie. Devançant l'appel, le Gouvernement français a pris la décision d'arrêter la vaccination dès le 1er janvier 1991.

2. Les modifications intervenues depuis l'arrêt de la vaccination

Nous sommes passés à une politique exclusivement sanitaire fondée sur les abattages massifs d'animaux lors d'épizooties. Or plusieurs modifications de la situation ont eu lieu.

l Les modifications géopolitiques

L'intensification des échanges internationaux ainsi que des transits de passagers dans le cadre de l'espace Schengen et l'augmentation des flux de réfugiés ont rendu difficile le contrôle des maladies animales.

l Les modifications des échanges commerciaux

L'apparition de l'ESB en Europe a empêché les exportations vers des pays tiers, tels les Etats-Unis, alors que de telles exportations étaient le but visé lors de la suppression de la vaccination.

l Les modifications scientifiques

Depuis la décision prise d'arrêter la vaccination, le génie génétique s'est développé. Ce dernier permet de développer de nouveaux vaccins dans des secteurs où il existe une demande solvable. Ces vaccins ont la spécificité de susciter l'apparition d'anticorps vaccinaux reconnaissables lors des examens sérologiques.

l Les modifications sociologiques et juridiques

Le statut de l'animal a considérablement évolué, tant dans l'opinion publique que dans les textes communautaires. D'objet, l'animal est devenu un sujet, et un statut d'être sensible lui est désormais conféré. De plus, les contraintes environnementales sont désormais prises en compte par l'opinion et par les textes communautaires et nationaux. Les zones d'enfouissement des cadavres lors des épizooties, telles qu'elles ont été définies en 1991 par les plans départementaux « fièvre aphteuse », n'ont pas été revues et sont donc aujourd'hui inadaptées. L'incinération sur place, quant à elle, pourrait dégager des émanations toxiques. Enfin, les capacités d'équarrissage sont, en France, saturées en raison des euthanasies de l'ESB et de la destruction des matières à risque.

3. L'absence de toute action depuis 1991

Depuis 1991, rien n'a été fait en matière de fièvre aphteuse. Aucune recherche sur la vaccination n'a été effectuée, faute d'espoir de retour sur investissement pour les industriels de la pharmacie, puisque le dogme est que la vaccination ne reprendra jamais en Europe occidentale. Aucune actualisation de la formation des vétérinaires praticiens en matière de fièvre aphteuse n'a, de plus, été effectuée depuis 1991 : les vétérinaires installés depuis cette date ne disposent que de la formation dispensée par les écoles vétérinaires, laquelle ne porte que sur la maladie elle-même et non sur les modalités pratiques à observer en cas d'épizootie. Enfin, le matériel d'intervention, qui est contenu dans la « mallette fièvre aphteuse », distribuée en 1991 aux vétérinaires sanitaires, n'a pas été renouvelé. De nombreux éléments sont d'ailleurs périmés dans cette mallette. Les exercices d'alerte qui devaient être régulièrement organisés aux termes du décret du 27 décembre 1991 n'ont jamais eu lieu dans de nombreuses régions.

En raison d'une confiance excessive, la résurgence de la fièvre aphteuse était considérée comme improbable en Europe occidentale et, en tout état de cause, aisée à juguler. Il faut toutefois souligner que l'épizootie française, survenue trois semaines après le début de l'épizootie au Royaume-Uni, n'a eu à déplorer que deux foyer infectieux. Les services vétérinaires centraux et départementaux ont fait preuve d'une extrême efficacité, et les vétérinaires sanitaires de terrain ont incontestablement rempli leur rôle. Il faut néanmoins reconnaître que l'alerte a été déclenchée avant même que le virus n'apparaisse sur le territoire, et que l'espèce infectée a été l'espèce ovine, chez laquelle la maladie est peu excrétrice de virus et chez laquelle la maladie est plus longue à apparaître que chez les ovins et les porcins. La vigilance et la chance ont donc été les facteurs décisifs de l'arrêt du développement de l'épizootie.

II - Les enseignements à tirer de l'épizootie et les mesures qu'il conviendrait de prendre

1. Les enseignements à tirer de l'épizootie au Royaume-Uni

Une épizootie peut apparaître n'importe où en Europe occidentale, et le Royaume-Uni présentait d'ailleurs a priori un risque moindre en raison de son insularité. Le développement a été très vite impossible à contrôler et n'a pas été seulement la conséquence, contrairement à ce qu'ont affirmé les autorités françaises, de la mauvaise organisation britannique en matière sanitaire. La France a eu la chance d'être mise en alerte par la naissance de la maladie au Royaume-Uni : les élevages de porcs mal tenus qui ne sont jamais visités par les autorités sanitaires, comme celui étant à l'origine de l'épizootie britannique, abondent en effet également en France. Le non-recours immédiat à la vaccination au Royaume-Uni s'explique par la tradition britannique, les éleveurs de ce pays n'ayant jamais vacciné leurs bêtes.

Avec 100 foyers en France, la pression eût été telle que le Ministère de l'Agriculture aurait été obligé de rétablir la vaccination. La place accordée à la protection animale par les citoyens européens et le pouvoir des images relayées par les médias condamnent sûrement les abattages systématiques de bovins et le choix d'une politique exclusivement sanitaire, tout comme l'irruption de la guerre dans les foyers américains, par le biais de la télévision, avait condamné la guerre du Vietnam. Un excellent article publié dans Le Monde du 26 avril, et co-écrit par un vétérinaire expert reconnu en matière de protection animale, illustre parfaitement cette thèse.

2. Les actions à entreprendre

De nombreuses mesures doivent être prises d'urgence. Il convient tout d'abord de réétudier l'ensemble des données dont l'analyse conjuguée a conduit à l'arrêt de la vaccination en 1991. Il faut ensuite reprendre d'urgence, si nécessaire à l'aide de fonds publics, les recherches concernant la mise au point de vaccins marqués contre la fièvre aphteuse. Il convient également de rétablir des modalités de contrôle plus strictes des mouvements d'animaux sensibles, en maintenant quand elles existent et en les instaurant dans le cas contraire, les visites vétérinaires des animaux ou des lots d'animaux introduits dans les élevages. Il faut, de plus, revenir sur les mesures d'abandon du contrôle de l'Etat en matière de surveillance sanitaire, au profit d'organismes à vocation sanitaire dont la possibilité est instaurée par l'article 5 de la loi du 4 janvier 2001. Il faut également conforter, y compris par des mesures économiques adaptées, le rôle assumé sous l'autorité directe de l'Etat par des vétérinaires titulaires du mandat sanitaire en épidémio-surveillance. Il est, de plus, nécessaire de renégocier au niveau des organismes internationaux compétents le statut et la capacité exportatrice des pays détenteurs d'animaux porteurs d'anticorps marqués d'origine nécessairement vaccinale, avant d'envisager à nouveau la possibilité d'une éradication mondiale et définitive de la fièvre aphteuse, car de trop nombreux foyers existent aujourd'hui dans le monde. Il convient enfin de prendre en considération le concept de patrimoine génétique animal français (animaux d'élite, races à faible effectif, races en voie de disparition), qu'il convient de protéger car il sera impossible à reconstituer.

Voici, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, les éléments que je voulais exposer. Je n'avais l'ambition que de vous convaincre que les vétérinaires praticiens resteront, sur le terrain, et à condition que la possibilité leur en soit offerte, le premier rempart contre développement des grandes maladies contagieuses de notre secteur, ainsi que les protecteurs tant des animaux que des consommateurs.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Bailly, nous vous remercions pour cette intervention. Je laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Merci Monsieur le Président. Je remercie Monsieur Bailly de nous avoir tenu un discours différent de tous ceux que nous avons entendus jusqu'à présent. Dans la plupart des cas, il nous a en effet été expliqué que la décision de 1991 était formidable, et que la situation sanitaire française était parfaite. Or étant donné les informations que vous nous avez communiquées, nous imaginons que si nous avions eu à faire face à une épizootie du niveau de celle atteinte au Royaume-Uni, la situation aurait dépassé les services vétérinaires. En tant qu'éleveur et élu au Conseil Général de mon département, je n'ai jamais entendu parler d'exercice d'alerte ! Les organisations départementales auraient bien sûr été impuissantes dans un cas de grave épizootie.

Je voudrais que vous nous éclairiez, en tant que praticien, sur la question suivante : devons-nous instaurer de nouveau la vaccination ? La profession serait-elle prête dans une telle éventualité ?

M. René Bailly -. Bien entendu. Nous l'avons d'ailleurs réclamé dès les premières heures, en rappelant toutefois que la vaccination en anneau a pour seul but d'éviter le développement du virus sur tout le territoire. Lorsqu'une épizootie est déclarée, la vaccination n'empêche pas l'abattage. Si nous revenons dans une période de calme, la vaccination généralisée doit être envisagée car nous sommes en relation avec des pays infectés. Je me rendrai dans 15 jours au Congrès de la Fédération vétérinaire européenne à Budapest, et j'ai déjà des retours de nos confrères anglais qui ont été sidérés par le manque de réaction du Gouvernement anglais devant cette épizootie, ce qui a permis au virus de se propager sur le territoire anglais pendant trois semaines. Si 100 foyers, au lieu de deux, s'étaient simultanément déclarés en France, cela aurait été une catastrophe, et les éleveurs le savent.

J'ai d'ailleurs apporté avec moi une pétition des éleveurs de la Creuse, qui réclament la vaccination. La profession vétérinaire demande et réclame également cette vaccination moderne. Nous pensons qu'il s'agit du seul moyen pour les éleveurs de se prémunir contre la catastrophe que représente un abattage massif. Je vous lis le texte de la pétition : « Si vous estimez que les problèmes sanitaires ne se résolvent pas uniquement par l'euthanasie des animaux ; si vous trouvez inadmissible pour les éleveurs la destruction de leur cheptel, leur interdisant toute solution de remplacement ; si vous êtes choqués par la destruction d'animaux sains en vertu du principe de précaution ; si vous trouvez anormal de ne pas utiliser un vaccin qui est produit et stocké ; si vous pensez que l'utilisation raisonnée de la vaccination permettrait de limiter l'épizootie de fièvre aphteuse, nous vous remercions de signer cette pétition ».

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Au cours des auditions précédentes, certains scientifiques nous ont affirmé que l'une des raisons ayant motivé l'arrêt de la vaccination en 1991 était que celle-ci, telle qu'elle était pratiquée avant cette date, ne couvrait même pas la totalité de l'espèce bovine. Ils affirment que les praticiens ne pouvaient pas vacciner certains animaux, et qu'une enquête réalisée démontrait que seuls 70 % des bovins avaient été vaccinés. Ce n'est pas mon avis car, dans mon département, je pense que les vétérinaires s'acquittaient fort bien de leur tâche. Nous aimerions avoir votre sentiment sur cet argument avancé par certains scientifiques.

M. René Bailly - Je vous ai apporté un document établi en 1990, et contredisant cette affirmation. J'ai moi-même pratiqué cette vaccination. Simplement, nous ne vaccinions que les animaux âgés de plus de 6 mois. La vaccination concernait donc beaucoup plus de 70 % des bovins.

Il me faut toutefois vous dire quelques mots sur le nombre de vétérinaires. Il existe un problème : nos jeunes confrères ne se destinent plus à la médecine rurale, et une désertification des campagnes s'amorce. Il faut signaler que les effectifs féminins sont en forte augmentation, et que nos consoeurs préfèrent exercer en ville. Il faudra donc fixer les jeunes générations sur le terrain et leur rendre leurs titres de noblesse de véritables protecteurs de l'élevage.

Si nous repensons aujourd'hui la vaccination, avec l'aide de toutes les organisations concernées, nous mobiliserons sans aucune doute 100 % des effectifs, et nous n'aurons pas de difficulté pour vacciner les 23 millions de bovins existant en France.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, vous parlez des bovins. Les ovins, les caprins et les porcins, qui sont pourtant des vecteurs de la maladie, n'auraient en effet pas vocation à être vaccinés. La vaccination ne trouve-t-elle pas ici sa limite ?

M. René Bailly - Les vaccins constituent un matelas de protection qui évite le rebond du virus vers d'autres espèces. La seule ombre au tableau est constituée par l'espèce porcine. En effet, le porc est fortement excréteur de virus, avec une incubation relativement courte. En contrepartie, un contrôle très strict est aisé à organiser, en raison de la très importante concentration de la production. Je pense ici tout particulièrement aux départements bretons. Les éleveurs, les groupements de défense sanitaires et les vétérinaires sont prêts. D'ailleurs, en 1981, une épizootie était partie de l'Ile de Wight et était parvenue en Bretagne. Elle a été jugulée très rapidement, grâce à l'abattage des animaux malades et à la vaccination d'urgence.

Au Royaume-Uni, l'épizootie est apparue chez un éleveur de porcs, de moutons et de bovins. Cet éleveur utilisait des déchets de cuisine. Les porcs ont été atteints et le virus a été transmis aux moutons. Personne ne s'étant aperçu de rien, les moutons sont ensuite partis dans tout le pays et ont contaminé les bovins. Si une vaccination obligatoire avait eu lieu, seuls les moutons auraient été atteints : les bovins auraient été épargnés et l'épidémie porcine aurait été très rapidement jugulée. Il n'est pas question de vacciner les moutons, car cela n'en vaut économiquement pas la peine.

Une autre question à évoquer est celle du coût de la vaccination. Lorsqu'elle a été arrêtée, elle coûtait 200 millions de francs pour tout le territoire, et représentait un coût par bovin de 10,65 francs. En mars 2001, le coût, direct et indirect, de l'épizootie de fièvre aphteuse pour le Royaume-Uni a été évalué à 97 milliards de francs... En France, il est estimé que le développement de la maladie dans notre pays aurait coûté environ 200 millions par département. Le coût de la vaccination n'est donc absolument pas un problème, et les éleveurs sont d'ailleurs prêts à payer.

Enfin, d'un point de vue technique, les grands laboratoires sont prêts à développer des vaccins marqués, mais ils ne le font pas faute de marché : l'annonce d'une reprise de la vaccination entraînerait donc de forts investissements dans la recherche et le développement, et aboutirait très vite, comme cela a été le cas pour d'autres maladies animales.

M. Philippe Arnaud, président -. Monsieur le Président, vous avez dit que la vigilance et la chance ont donc été les facteurs décisifs dans l'arrêt du développement de l'épizootie. Quelle a été la part de vigilance et quelle a été la part de chance ?

M. René Bailly - Nous avons certes une bonne connaissance des mouvements d'animaux à travers l'Europe, mais il existe toutefois des mouvements clandestins. Ainsi, dans le second foyer répertorié, en Seine-et-Marne, il s'agissait d'animaux achetés et non déclarés. Nous avons eu la chance que dix ou quinze affaires de ce type n'aient pas eu lieu, surtout que nous étions dans la période de l'Aïd-el-Kebir, et qu'un mouton acheté 400 francs pouvait se revendre 1.200 francs... Il faut d'ailleurs souligner que ce n'est pas un hasard si l'épizootie s'est développée à ce moment-là : les mouvements de moutons étaient très nombreux, et nous avons importé des moutons et des agneaux anglais en grande quantité. Les éleveurs français s'en sont d'ailleurs étonnés...Le cas du morceau de carcasse importé en Angleterre pourrait arriver en France de la même façon. Dans ces conditions, pourquoi serions-nous épargnés ?

M. Philippe Arnaud, président - En dehors de la question fiscale, sur quels fondements juridiques pourrions-nous poursuivre et condamner les fraudeurs ? L'administration agit-elle ?

M. René Bailly - La question du fondement juridique est une question complexe. Une chose est claire : il est impossible de cacher longtemps un foyer infecté. Les services vétérinaires trouvent rapidement de tels foyers, avec l'aide de la gendarmerie. Il faut impérativement contrôler et sanctionner les importateurs qui ne respectent pas les règles sanitaires.

M. Philippe Arnaud, président - En pratique, l'administration agit-elle et des condamnations sont-elles prononcées ?

M. René Bailly - Oui, je le pense, et c'est ce que souhaitent les éleveurs.

M. Philippe Arnaud, président - Vous pensez donc que c'est à l'échelon du commerce et du négoce que se situent les défaillances ? Le contrôle sanitaire et le suivi seraient donc déficients à ce niveau ?

M. René Bailly -. Je vais essayer d'être quelque peu normand dans ma réponse. Il est clair que nous disposons d'un bon système de contrôle et de surveillance, qui s'est modernisé et s'est adapté à l'intensification des échanges commerciaux. Il me semble toutefois que nous nous sommes endormis sur nos lauriers : les autorités pensaient que nous ne pouvions plus être touchés par une épizootie de fièvre aphteuse. Le non-renouvellement du matériel dans la mallette « fièvre aphteuse », distribuée en 1991 à tous les vétérinaires sanitaires, démontre cet état d'esprit : tout y est périmé... Nous avons donc eu de la chance que l'épizootie ne se développe pas plus.

M. Philippe Arnaud, président - Quel est le nombre de médecins vétérinaires sous mandat sanitaire ?

M. René Bailly - Une légère divergence concernant ces chiffres existe entre l'administration et nous. Il existe 8 000 vétérinaires praticiens en exercice, et tous les vétérinaires praticiens ont le mandat sanitaire. Toutefois, tous les vétérinaires n'exercent pas en milieu rural. Dans les départements ruraux, le nombre de vétérinaires sous mandat sanitaire est donc compris entre 4.500 et 5.000. J'exerce pour ma part en banlieue, et mon mandat sanitaire couvre trois départements. Le chiffre de 4.500 à 5.000 est d'ailleurs satisfaisant. Lors de la crise, les vétérinaires ont fait leur travail, sans être rémunérés, ainsi que la Direction des Services Vétérinaires et que nos collègues vétérinaires inspecteurs. Je regrette d'avoir dû aller demander au Ministre qu'il remercie les vétérinaires sanitaires. Cela a finalement été fait.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, nous vous remercions pour votre intervention. Nous sommes preneurs de toute documentation. Pourrons-nous vous contacter à nouveau ?

M. René Bailly - Je reste bien évidemment à votre disposition, comme le sont également mes confrères exerçant en zone rurale.

M. Philippe Arnaud, président - Le sénateur Larcher, qui aurait été heureux de vous rencontrer, vient de nous faire parvenir un message : il est hélas bloqué dans les embouteillages, et ne pourra arriver à temps. Il vous prie de l'excuser.

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons maintenant Bernard Toma, professeur des maladies contagieuses à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort. Merci Monsieur d'avoir répondu à notre invitation. Ce que vous avez à nous dire est d'importance pour notre mission d'information : je vous propose de nous livrer votre analyse sur l'épizootie de fièvre aphteuse et sur les leçons qu'il convient d'en tirer.

11. Audition de M. Bernard Toma, professeur de maladies contagieuses à l'Ecole vétérinaire d'Alfort.

M. Bernard Toma - Merci Monsieur le Président. Je vous remets deux documents susceptibles de vous intéresser : le premier est un document d'information générale sur la fièvre aphteuse et le second s'intitule « les leçons d'une épizootie » et est en cours de publication dans une revue professionnelle vétérinaire.

J'aimerais, avant de commencer, vous demander sur quels points vous souhaitez que j'axe plus particulièrement mon exposé, afin d'éviter de vous dire des choses que vous savez déjà ou de passer à côté d'éléments qui vous intéressent. En particulier, vous intéressez-vous exclusivement à la situation française ou désirez-vous que je traite également de la situation telle qu'elle se présente à l'étranger ?

M. Philippe Arnaud, président - Nous sommes bien évidemment conscients, s'agissant d'une maladie extrêmement contagieuse, qu'il ne serait pas sérieux de limiter notre réflexion à la situation hexagonale ou européenne. Notre mission souhaite en particulier savoir si les mesures mises en oeuvre en France ont été efficaces (par exemple, l'abattage, les charniers et l'enfouissement représentent-ils la seule solution, scientifiquement parlant ?), si les mesures existantes dans d'autres pays sont différentes ou meilleures et si la situation européenne est cohérente. Nous aimerions également savoir quelles sont les leçons à tirer de ce qui s'est passé et en particulier s'il est pertinent d'envisager à nouveau le recours à la vaccination, et quelles sont, derrière le problème sanitaire posé, les dimensions économiques à envisager.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ainsi, la décision d'arrêter la vaccination a été prise au niveau européen en 1991. La situation actuelle suscite des interrogations. Dans le cadre actuel des échanges internationaux, que pouvons-nous faire pour l'avenir ? Devons-nous revenir sur la décision de 1991 ou non ?

M. Bernard Toma - Je vous remercie pour ces précisions. Je vous parlerai donc de la situation en France, des mesures prises à l'heure actuelle en Europe et, enfin, de la question de la vaccination.

I - La situation en France

Mon sentiment est que les mesures qui ont été appliquées ces trois derniers mois ont été excellentes, dans la mesure où elles ont permis de limiter considérablement l'extension de la maladie. Grâce aux abattages préventifs, qui constituent sans conteste la mesure la plus efficace du point de vue épidémiologique, il a ainsi été possible d'éviter ce qui se passe à l'heure actuelle aux Pays-Bas, et a fortiori en Grande-Bretagne, c'est-à-dire le développement d'un nombre non négligeable de foyers.

Le fait que nous n'ayons eu que deux foyers infectés constitue un véritable tour de force, alors que le risque potentiel était d'en compter plusieurs dizaines, voire davantage. En résumé et globalement, nous pouvons donc être satisfaits des mesures prises en France : les choses ont été vite faites et bien faites. Nous sommes d'ailleurs allés au-delà de ce qui était prévu par la réglementation nationale et européenne, ce qui nous a permis d'effectuer cet abattage préventif, qui est la seule façon de lutter de manière efficace contre les épizooties les plus graves : il convient en effet de ne pas attendre que les foyers se déclarent pour intervenir, et de faire en sorte, chaque fois qu'un foyer se déclare, de déterminer quels élevages ont pu être contaminés et d'agir avant que cette contamination ne se déclare pour abattre les animaux dont on pense qu'ils ont été contaminés. En agissant ainsi, on ne permet pas à la production de virus de s'effectuer, et on bloque ainsi sa propagation. C'est ce qui a été fait en France et est désormais effectué dans les autres pays européens.

II - Les mesures prises à l'heure actuelle en Europe

Les mesures actuellement prises en Europe sont celles qui sont prévues par la réglementation européenne. Cette application est plus ou moins rapide, étant entendu que les anglo-saxons se sont aperçus à leurs dépens que la notion de rapidité d'intervention était capitale, alors qu'ils ont été surpris au départ, comme l'aurait été tout pays européen, et qu'ils ont mis un certain temps à réagir et à appliquer les mesures nécessaires.

Dans le document que je vous ai distribué, je rappelle les délais s'étant écoulés entre le moment où les éleveurs ont donné l'alerte et le moment de la fin de l'abattage lors des deux petites épizooties s'étant parallèlement déclarées en 1981 en France (c'est-à-dire dans un pays qui vaccinait) et au Danemark (c'est-à-dire dans un pays qui ne vaccinait pas).

Au Danemark, ce délai a été de 1,25 jours.

En France, le délai a été de 3,5 jours. Fort heureusement, à l'époque, la vaccination était obligatoire pour tous les bovins de plus de 6 mois, ce qui a rendu moins grave ce long délai de réaction, qui aurait été dramatique au Danemark comme dans tous pays où les bêtes ne sont pas immunisées.

Depuis cette date, des travaux ont démontré que la rapidité d'intervention est une donnée capitale : tout retard est un facteur considérable d'augmentation du nombre de foyers infectés qui peuvent apparaître. Il s'agit d'un des facteurs qui a été mal maîtrisé au départ au Royaume-Uni et qui est aujourd'hui en train d'être réglé, grâce aux efforts effectués par les Anglais pour abattre les animaux le plus tôt possible après la constatation de leur infection.

Actuellement, le nombre de cas de foyers de fièvre aphteuse apparus quotidiennement est en baisse : le pire est derrière nous au Royaume-Uni, sans que le moindre recours à la vaccination n'ait eu lieu, malgré le nombre de foyers infectés (il en existe aujourd'hui 1 540).

M. Philippe Arnaud, président - Pouvons-nous dire que le risque est désormais écarté ?

M. Bernard Toma - Nous pouvons dire, pour cette épizootie, que l'évolution de la situation depuis la fin du mois de mars démontre que l'épizootie est désormais maîtrisée, et que le pic est passé grâce à l'ensemble des mesures prises. Il faut rappeler que ces mesures ont été particulièrement drastiques : 2,5 millions d'animaux ont été abattus, ce qui représente 5 % du cheptel anglais, ce qui est considérable, surtout qu'il reste de nombreux animaux à abattre, en particulier dans le cadre d'opérations de « bien-être », c'est-à-dire destinés à empêcher certains animaux de souffrir.

La situation est donc maintenant en cours de contrôle et de maîtrise. Il faudra encore attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois, avant de constater la disparition du dernier foyer. Les mesures appliquées à l'heure actuelle sont incontestablement beaucoup plus efficaces que celles qui avaient été appliquées il y a un mois et demi.

III - La vaccination

Les Anglais n'ont pas recours à la vaccination, bien qu'ils aient obtenu l'autorisation de la Commission européenne de le faire. Les Pays-Bas, eux, recourent à la vaccination en anneaux.

1. Le virus de la fièvre aphteuse et les vaccins existants

a) Les facteurs de complication

Il faut tout d'abord souligner qu'il existe sept types antigéniques différents (O, A, C, Asia I, etc.), et que chacun des types ne protège absolument pas contre les autres. Cela signifie que pour qu'un animal soit protégé contre la fièvre aphteuse, il ne suffit pas qu'il soit vacciné contre l'un de ces types, mais contre l'ensemble des types qui peuvent survenir dans un pays. A l'heure actuelle, en Europe de l'Ouest, c'est le type O qui est présent, mais cela aurait très bien pu être un autre type. Il est d'ailleurs impossible de prévoir lequel des sept types débarquera dans une région géographique soit par l'intermédiaire d'un animal, soit par l'intermédiaire d'un produit alimentaire introduit par un voyageur. Cela complique très fortement les aspects de la vaccination : si on souhaite mettre en place une protection préventive, il faudrait pouvoir protéger les animaux contre plusieurs types. La situation est encore compliquée par le fait qu'il existe plusieurs sous-types à l'intérieur de chaque type. Cela signifie qu'il existe, au sein d'un même type, des différences qui peuvent rendre la protection inefficace...

M. Gérard César - Quelle est la couverture des vaccins ?

M. Bernard Toma - La couverture est nulle d'un type à l'autre. En revanche, elle est comprise entre 30 et 70 % entre les sous-types, au sein d'un type déterminé. Cela signifie qu'il ne s'agit que d'une couverture partielle, ce qui explique l'importance d'avoir, dans le vaccin, une souche du type de la souche qui circule sur le terrain, et une souche qui soit la plus proche possible.

Une autre complication existe : le virus de la fièvre aphteuse connaît une évolution antigénique permanente. Il possède donc la particularité de se modifier au cours du temps. Il faut donc s'adapter : il est impossible de conserver le même vaccin, à la différence de maladies comme la rage, où il existe une unicité et une stabilité antigénique. Cette propriété du virus de la fièvre aphteuse complique singulièrement les choses.

M. Gérard César - Quelles solutions adoptent les pays qui vaccinent ?

M. Bernard Toma - Ces pays qui vaccinent préventivement le font, comme nous le faisions en France avant 1991, avec un vaccin constitué des souches probablement dangereuses (en France, il s'agissait des trois souches universelles O, A et C). Il s'agit d'une combinaison plurivalente et adaptée au cours du temps, en fonction des souches circulant sur leur territoire.

b) Les différents vaccins qui existent dans le monde

Les différents vaccins qui existent dans le monde sont tous des vaccins à virus inactivé, auquel est ajouté un adjuvant d'immunité, qui varie selon les animaux à vacciner. Il n'existe pas, pour l'instant, de vaccin « délété », c'est-à-dire de vaccin dont les caractéristiques sont telles qu'il permet de bien distinguer un animal vacciné ne portant pas le virus sauvage d'un animal vacciné puis infecté. C'est un point important : de tels vaccins ont été développés pour d'autres maladies animales, mais n'existent pas pour l'instant pour la fièvre aphteuse. Il s'agit d'un handicap majeur, sur lequel nous reviendrons, pour la vaccination.

c) Les résultats de la vaccination

L'immunité résultant de la vaccination s'installe, donc devient réellement efficace, en une quinzaine de jours (même si elle commence souvent plus tôt). Cette immunité dure de 6 à 9 mois après la première injection, puis environ un an, ce qui signifie qu'elle nécessite une injection annuelle pour les espèces qui vivent plusieurs années.

La vaccination, lorsque le vaccin correspond bien sûr à la souche qui existe sur le terrain, fournit une excellente protection clinique (les animaux ne tombent pas malades s'ils entrent en contact avec le virus sauvage) mais n'empêche pas, comme pour beaucoup de maladies virales, l'infection de l'animal, c'est-à-dire le fait que l'animal puisse multiplier les virus sur certaines de ses muqueuses, puisse l'excréter pendant quelques semaines ou quelques mois, et puisse donc être un porteur sain, vacciné, qui n'est pas malade mais est tout de même dangereux pour les animaux non vaccinés. Il s'agit du problème central : les animaux vaccinés sont protégés (ils ne tomberont pas malades), mais ils peuvent multiplier et excréter le virus sauvage, et demeurent donc dangereux sur le plan de la transmission du virus.

Comme nous ne disposons pas d'un vaccin « délété », les animaux sont marqués sérologiquement : à l'heure actuelle, il est impossible de distinguer des animaux vaccinés et sains (c'est-à-dire non infectés) d'animaux non vaccinés et porteurs du virus sauvage. C'est le problème fondamental soulevé par la vaccination : celle-ci apporte une garantie clinique, mais pas de garantie vis-à-vis de la possibilité de transmission du virus par des animaux vaccinés.

En résumé, nous pouvons tracer un bilan avantages / inconvénients de la vaccination.

- Les avantages de la vaccination

L'avantage majeur de la vaccination est de conférer une protection clinique aux animaux qui les empêche de tomber malades et réduit les pertes dues à l'abattage ainsi que la transmission du virus (un animal vacciné et infecté excrète moins de virus qu'un animal non-vacciné).

- Les inconvénients de la vaccination

Tout d'abord, la vaccination et son administration ont évidemment un coût. Ensuite, les animaux sont marqués sérologiquement. Enfin, ce marquage empêche les exportations. Il s'agit évidemment de l'inconvénient le plus important d'un point de vue économique et financier. C'est cet inconvénient qui a justifié la décision de l'Union européenne de 1991.

2. Les quatre stratégies possibles de vaccination

La vaccination peut être l'objet de quatre types de stratégies.

a) La vaccination peut être interdite

Il est logique que la vaccination soit interdite dans les pays indemnes, surtout s'ils le sont depuis longtemps. C'est le cas du Japon, des Etats-Unis et du Canada. Cette stratégie implique que soit mise en oeuvre, parallèlement à cette interdiction, une application scrupuleuse de mesures sanitaires, c'est-à-dire de précautions consistant d'une part à interdire l'importation d'animaux ou de produits d'origine animale provenant de pays infectés (ou de pays considérés comme tels parce qu'ils pratiquent la vaccination) et d'autre part à mettre en place un système d'épidémio-vigilance, c'est-à-dire de surveillance, de façon à détecter la moindre alerte.

b) La vaccination peut être libre et facultative

Certains proposent qu'une certaine latitude existe pour permettre aux éleveurs qui souhaitent vacciner de le faire et à ceux qui ne le souhaitent pas de s'abstenir. Il s'agit à l'évidence de la pire solution envisageable : elle ne permet pas une protection suffisante du pays qui applique cette stratégie, mais elle entraîne tout de même le classement de ce dernier parmi les pays infectés, et empêche donc ses exportations. Il est par conséquent impossible de choisir cette stratégie.

c) La vaccination peut être systématique et obligatoire

La vaccination obligatoire est la stratégie actuellement recommandée par un certain nombre de personnes ou de structures, sans préciser un certain nombre de points. En effet, plusieurs questions se posent.

- quelle(s) espèce(s) faudrait-il vacciner ?

Faudrait-il limiter, comme jusqu'en 1991 en France, la vaccination aux bovins ? Si tel était le cas, cette stratégie serait peu efficace. Ainsi, si une telle stratégie avait été appliquée en Grande-Bretagne, la situation aurait été quasiment la même qu'aujourd'hui : le premier foyer a en effet concerné des porcs et le deuxième des moutons... Faut-il alors envisager la vaccination obligatoire de toutes les espèces sensibles (bovins, ovins, caprins et porcins) ? Cela concernerait donc, pour l'Europe, plus de 300 millions d'animaux, ce qui aurait un coût considérable...

- contre quel(s) type(s) de virus faudrait-il vacciner ?

Devrait-on uniquement vacciner contre le type O, qui est actuellement présent ? Mais alors, dans six mois ou dans deux ans, un virus de type A ou Asia I peut apparaître... Faut-il vacciner contre tous les types ou contre une majorité d'entre eux ? Le coût de la campagne de vaccination et ses implications dépendent de la réponse à cette question...

- pendant combien de temps faut-il vacciner ?

Faut-il décider d'une vaccination pendant deux ou trois années, puisque nous avons connu une alerte, ou faut-il opter pour une vaccination permanente ? Dans ce dernier cas, le coût est important et, surtout, les exportations vers les pays indemnes sont alors bloquées...

En conclusion, cette stratégie de vaccination obligatoire paraît très difficilement concevable. Des réflexions vont se dérouler sur ce thème en France et au sein l'Union européenne, mais il me paraît très peu probable que les autorités finissent par choisir cette stratégie.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Professeur, vous avez fort bien expliqué que la vaccination fournit une protection clinique mais n'empêche pas la maladie d'être portée par un animal sain. Iriez-vous jusqu'à dire que la vaccination pourrait être un facteur de développement de la maladie ?

M. Bernard Toma - Bien sûr. Des statistiques ont été publiées sur ce point. Ainsi, en vingt ans, sur une trentaine de foyers primaires apparus, un tiers ont apparemment été déclenchés soit par des vaccins mal inactivés (c'est-à-dire des vaccins qui contenaient encore du virus vivant) soit par des fuites de virus à partir de laboratoires ou d'instituts travaillant sur les milliards de particules virales nécessaires à la fabrication de millions de vaccins.

M. Philippe Arnaud, président - Les cas que vous citez relèvent d'accidents. Ma question portait plutôt sur l'usage normal du vaccin : celui-ci peut-il être facteur du développement de la maladie, tout simplement par le fait que les animaux peuvent être atteints, porteurs et donc vecteurs de son développement ?

M. Bernard Toma - Le vaccin peut en effet, dans certains cas, déclencher l'apparition de la maladie dans un pays indemne. Cela a été clairement démontré par plusieurs études : il existe un risque potentiel et non négligeable. Ceci étant dit, il faut préciser que le fait que les animaux soient vaccinés n'est pas en soi dangereux. Ce qui est dangereux, en revanche, est la situation suivante : si de tels animaux entrent en contact avec du virus sauvage, ils peuvent s'infecter sans être malades, multiplier ce virus et l'excréter. Il faut tout de même savoir que le niveau d'excrétion d'un animal vacciné est sans commune mesure avec celui d'un animal non-vacciné (le facteur est de 1.000 ou de 10.000). Cela signifie qu'un animal vacciné puis infecté est infiniment moins contagieux qu'un animal non-vacciné et infecté. Ainsi, si un animal non-vacciné est infecté, il va produire du virus en quantité 10.000, alors qu'un animal vacciné puis contaminé ne sera pas malade et n'excrètera que 10, au lieu de 10.000... Un animal vacciné puis infecté est donc infiniment moins dangereux qu'un animal non-vacciné, mais le danger existe, et est plus insidieux : l'animal vacciné n'ayant aucun symptôme, il est impossible de savoir qu'il a été infecté.

La vaccination peut être pratiquée en anneau et être associée à l'abattage

La vaccination en anneau associée à l'abattage est la solution qui a été choisie par les Pays-Bas. Son avantage est bien sûr la protection clinique qu'elle entraîne. Cette stratégie n'est toutefois pas exempte d'inconvénients. Tout d'abord, le délai d'installation est d'une quinzaine de jours, ce qui signifie que les animaux déjà infectés ne sont pas protégés avant cette période par le vaccin qui est appliqué autour du foyer identifié. Ensuite, ces opérations de vaccination, par les mouvements qu'elles entraînent, risquent d'accroître la propagation du virus. Enfin, la vaccination, une fois de plus, entraîne l'apparition chez les animaux vaccinés d'anticorps qui les marquent sérologiquement et interdit la distinction entre ceux qui sont vaccinés et ceux qui sont vaccinés et infectés.

L'objectif étant d'obtenir le label de pays indemne sans vaccination, la règle de l'Union européenne est donc la suivante : tous les cheptels vaccinés doivent être abattus avant la fin de l'épizootie, puisque le pays ne retrouvera son label indemne sans vaccination que s'il n'existe plus de foyers et si les animaux vaccinés ont tous été abattus. Le fait d'avoir ainsi à abattre les animaux vaccinés est un facteur qui conduit à limiter la taille de l'anneau de vaccination, pour en limiter le nombre. Toutefois, si cette zone de vaccination est trop faible, cette vaccination en anneau risque de ne pas être très utile.

Ce type de vaccination peut donc contribuer à réduire le nombre de foyers, mais elle contribue également, à l'inverse, à augmenter le nombre d'animaux abattus.

C'est la raison pour laquelle cette vaccination en anneau n'est pas, contrairement à ce que certains imaginent, la solution à appliquer automatiquement. Ce n'est une solution à envisager que si les mesures sanitaires sont dépassées et si la maîtrise par les simples mesures d'abattage et de désinfection ne suffisent pas pour contenir le développement de l'épizootie. Cette décision de mettre en place une vaccination en anneau est donc fonction d'un certain nombre de facteurs :

- le nombre de foyers à partir duquel on considère que les mesures sanitaires sont dépassées ;

- l'espèce atteinte, étant précisé que l'espèce porcine est la plus dangereuse car elle excrète par voie aérienne la plus grande partie des virus ;

- la densité des élevages dans la zone où se situent les foyers.

Il s'agit donc d'une décision difficile à prendre.

En conclusion, nous constatons qu'il est facile de recommander de recourir, sans autre précision, à la vaccination. Or il est impossible de se lancer dans une politique de vaccination sans avoir au préalable répondu à toute une série de questions. Il faut de plus souhaiter que les différentes études effectuées vers 1985 sur le plan économique, qui comparaient le coût et les bénéfices escomptés des différents scénarios de lutte contre la maladie, soient actualisées. En effet, la situation a profondément changé en 15 ans : la taille des élevages a continué à évoluer et les échanges, qui sont autant de facteurs de risques, se sont intensifiés. L'actualisation de ces études permettrait de démontrer à nouveau que la politique sanitaire exclusive demeure bien celle qui est la meilleure sur le plan économique, y compris en cas de scénario catastrophe, comme c'est le cas en Angleterre. Voilà l'essentiel de ce que je voulais vous dire aujourd'hui.

M. Gérard César - Qui pourrait mener de telles études ?

M. Bernard Toma - Il s'agit pour l'instant d'une recommandation. Certains travaux ont toutefois déjà été publiés, dont deux récemment. Ces derniers comparent, en cas d'apparition de foyers, la politique d'abattage dans le seul foyer infecté avec la politique d'abattage dans le foyer infecté et les abattages se situant autour de celui-ci, c'est-à-dire la politique d'abattage préventif, ainsi qu'avec la politique d'abattage associé à une vaccination en anneau. Ces études ont donc comparé ces différentes politiques en prenant en compte l'ensemble des éléments d'information disponibles, pour juger quelle est la solution la plus rentable économiquement. Dans les différentes simulations effectuées, c'est à chaque fois la politique d'abattage dans le foyer infecté et les abattages se situant autour de celui-ci qui a été jugée la meilleure.

Il est certain que la décision sera prise dans le cadre de l'Union européenne. Dans cette optique, il est nécessaire que la France, pour appuyer la position qu'elle défendra, puisse disposer d'études actualisées. C'est la confrontation de ces différentes études qui permettra à l'Union européenne d'arrêter sa politique.

En France, l'abattage préventif, appliqué depuis le mois de mars, a été officialisé par un texte du 5 avril, paru au Journal Officiel le 26 avril. Nous ne disposons donc pas d'une grande expérience en la matière. Le point délicat, qui mériterait d'être étudié et précisé, avec l'indication de critères, est celui de savoir jusqu'où aller dans cet abattage. Indépendamment du cas des élevages ayant reçu des animaux en provenance du foyer infecté, faut-il se limiter aux élevages en contact avec ce dernier ou faut-il délimiter un rayon ? Dans ce cas, quelle doit être la longueur de ce rayon ? Il s'agit d'un problème complexe car, dans certains pays, de très nombreuses exploitations se trouvent dans un rayon très faible. Ainsi, aux Pays-Bas, il y avait 60 exploitations dans un rayon d'un kilomètre autour d'un foyer... Cela signifie que l'application de cet abattage préventif dans un tel rayon entraîne l'abattage dans 60 exploitations... De tels cas prouvent la nécessité de préciser sur le plan technique les critères, les principes et les modalités de cet abattage préventif, qui est une nouveauté dans nos pays.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Professeur, nous vous remercions pour cet exposé très complet. Je passe la parole à notre rapporteur, puis à Monsieur Larcher.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Professeur, votre exposé nous a beaucoup éclairé sur la vaccination et ses conséquences, et nous avons compris que votre inclination allait plutôt vers la non-vaccination, principalement pour des raisons d'exportation. Imaginons toutefois que la France ait été atteinte comme l'a été la Grande-Bretagne. Selon vous, l'opinion publique française aurait-elle aussi facilement accepté que l'opinion publique britannique la destruction massive d'animaux ? J'aimerais avoir votre opinion sur cet aspect. Ensuite, j'ai devant moi la liste de l'OIE des déclarations de fièvre aphteuse de certains pays. Dans ces pays, comme l'Argentine ou le Brésil, quelles sont les dispositifs qui sont mis en place lorsqu'une épizootie se déclenche ?

M. Bernard Toma - Chaque pays ou groupe de pays (comme l'Union européenne) est amené à décider de la politique de prévention ou de lutte contre la fièvre aphteuse en fonction d'une certain nombre de facteurs (sociaux, économiques et autres) qui lui sont spécifiques et ne permettent pas d'extrapoler d'une région à une autre. Il est ainsi certain que la même politique de prévention ou de lutte contre la fièvre aphteuse ne peut être menée dans un pays en voie de développement et dans ceux d'Europe occidentale ou d'Amérique du Nord. De plus, certains facteurs géographiques font que le type d'élevage, les difficultés liées aux distances, aux transports et aux contrôles, notamment en Amérique du Sud, entraînent de fortes spécificités. Il est par exemple patent que les distances sont beaucoup plus courtes, et les structures sanitaires sont beaucoup plus fortes, dans les pays d'Europe occidentale que dans ceux d'Amérique du Sud. L'Argentine, qui vient d'être réinfectée, a d'ailleurs choisi comme solution, non pas l'abattage, mais le recours à une vaccination très large, parce que les conditions correspondant à ce pays ne sont pas les mêmes que dans un pays très organisé, avec des structures vétérinaires efficaces et un maillage complet du territoire. Il me semble donc impossible de prendre modèle sur un pays, car nous continuerons à voir dans le monde des politiques et des attitudes face à la fièvre aphteuse qui seront différentes d'un pays ou d'un continent à l'autre. Toute extrapolation serait donc illusoire.

M. Jean-Paul Emorine, rapp orteur - Je partage votre point de vue sur cette analyse. Il semble toutefois clair qu'un pays comme l'Argentine souhaite exporter de la viande... L'OIE, dans un document que je possède, énonce que les exportations ne sont pas forcément interdites, à condition que le pays concerné puisse prouver qu'il a recours à la vaccination et qu'il existe un suivi.

M. Bernard Toma - Une nuance doit être apportée : chaque acheteur demeure libre de ses achats, et je doute fortement que des pays indemnes, et qui souhaitent le demeurer (Amérique du Nord, Japon, Australie, Europe occidentale dans quelques mois, etc.) prennent le risque d'importer des animaux ou des produits d'origine animale à partir de pays où la vaccination est effectuée. En effet, le risque de contamination est alors faible, mais n'est pas nul. L'exemple de la Grande-Bretagne démontre les conséquences considérables pouvant découler de l'introduction du virus dans un pays : les Anglais ont pour l'instant abattu 2,5 millions d'animaux, et évaluent à 4 ou à 5 millions d'animaux abattus le nombre final qui sera atteint à la fin de l'épizootie. Il suffit, pour arriver à ces conséquences, qu'une carcasse ou qu'un produit infecté soit introduit sur le territoire, et qu'il soit en contact avec un animal réceptif. Je crois donc que la position enviée de pays réellement indemnes de fièvre aphteuse entraîne l'accomplissement justifié, par ces derniers, de mesures extrêmement sévères de contrôle des importations.

Il me faut d'ailleurs préciser que peuvent seuls être considérés comme véritablement indemnes de fièvre aphteuse les pays n'ayant pas besoin de vaccination : tant qu'un pays continue de recourir à la vaccination, cela signifie qu'il existe un danger potentiel ou réel de circulation du virus sauvage dans ce pays. Cette analyse se retrouve pour bien d'autres maladies virales, comme la peste porcine.

En ce qui concerne la question de l'acceptabilité des bûchers, il me faut vous donner une précision. Pendant des décennies, en France, nous avons recouru à l'enfouissement, car il est certain que l'enfouissement de cadavres est, pour l'opinion publique, beaucoup moins spectaculaire, frappant et inquiétant que l'image des bûchers. La question qui se pose est de savoir s'il ne serait pas possible dans l'avenir, si de telles situations se reproduisaient, de privilégier, comme par le passé, des mesures d'enfouissement. Les risques de l'enfouissement, soulignés par les Anglais, sont au nombre de deux.

- Le premier risque concerne la dissémination de l'ESB : le prion est détruit par le feu, mais résiste à tout le reste (à la différence du virus de la fièvre aphteuse, qui, lui, ne présente aucune résistance particulière). Les Anglais évitent donc, dans le cadre de la fièvre aphteuse, d'enfouir les bovins car ils savent qu'il existe dans leur pays de nombreux bovins infectés par le prion de la vache folle. En France, le risque d'ESB est beaucoup plus faible qu'au Royaume-Uni, et ne justifierait donc pas le recours aux bûchers.

- Le second risque est relatif à la pollution des nappes phréatiques. C'est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan « fièvre aphteuse » mis en place lors de l'arrêt de vaccination en France, chaque département a eu à étudier un plan d'urgence pour déterminer les zones permettant l'enfouissement sans danger.

Il est donc clair que, vis-à-vis de l'opinion publique, le bûcher n'est pas la solution la plus appropriée pour la destruction des cadavres, surtout dans notre pays.

M. Gérard Larcher - Monsieur le Professeur, je crois que la question posée par le rapporteur est une question fondamentale : un pays peut-il choisir sa politique sanitaire alors que l'Organisation Mondiale du Commerce ne prend pas en compte celle-ci ? Quand, en 1991, nous avons arrêté la vaccination, j'avais interrogé le Ministère sur les justifications de cette décision. La réponse qui m'avait été donnée était essentiellement économique. Il est aujourd'hui important de bénéficier du statut de pays indemne, mais nous savons bien que, dans la décennie qui s'annonce, les mouvements du commerce, venant en particulier d'Amérique du Sud, se poursuivront. Cela amène les praticiens à dire que l'idéal serait bien sûr de bénéficier du statut de pays indemne, mais à prôner tout de même le retour à la vaccination pour éviter les dangers créés par les mouvements erratiques d'animaux, comme nous les avons récemment connus lors de la fête de l'Aït-el-Kebir... Est-il crédible d'avoir une politique sanitaire telle que vous l'avez décrite alors que cette dernière n'est pas prise en compte dans le commerce international ? L'OMC sans mesure sanitaire est-elle crédible ? Cette question ne devrait-elle pas faire partie des négociations ? Il s'agit de ma première question.

Ma deuxième question concerne les vaccins marqués permettant une traçabilité des animaux vaccinés. Le même phénomène de porteurs sains existe-t-il également ? Je crois savoir que la réponse est positive, mais j'aimerais avoir votre avis sur cette question.

Ma dernière question consiste à vous interroger sur le point suivant : ne devrions-nous pas mener des stratégies différentes selon les régions ? Ainsi, en Bretagne, dans les Côtes d'Armor, nous sommes dans une situation, en cas de problème touchant les élevages porcins, qui est proche de la situation néerlandaise. En revanche, dans les Alpes-de-Haute-Provence, l'élevage est extensif... De plus, quel sera l'avenir des races à très faible effectif ? Ne faudrait-il pas leur donner un statut vaccinal particulier pour les protéger ?

M. Bernard Toma - En ce qui concerne, tout d'abord, la question de la différence de stratégies en fonction des régions, la réponse est évidente dans le cas d'apparition de foyers infectés : lorsque la maladie est présente, les modalités de lutte doivent être adaptées en fonction des régions et des situations. Ainsi, si deux foyers apparaissent dans deux grandes porcheries situées du côté de Lamballe, les modalités d'organisation de la lutte ne seraient pas les mêmes que dans une bergerie infectée sur un causse semi-désertique : le risque de diffusion, le nombre d'exploitations et la nature des espèces animales menacées doivent évidemment être pris en compte. Il est en particulier possible de recourir à la vaccination en anneau dans une zone à forte densité d'élevage. Les mesures décidées doivent être adaptées à la situation, et les responsables français, dont le Ministre de l'Agriculture, ont d'ailleurs affirmé qu'il n'existe pas de dogme du refus de la vaccination, et que cette dernière serait utilisée si elle s'avérait nécessaire. La position prise par le Comité d'experts de Santé animale de l'AFSSA, auquel j'appartiens, intègre parfaitement cette idée, en affirmant qu'il n'y a pas de raison de refuser d'une manière systématique le recours à la vaccination en anneau, mais que ce recours ne doit être conçu, retenu et décidé que dans des conditions particulières (forte densité d'élevages et présence d'élevages porcins), c'est-à-dire dans des conditions dans lesquelles l'abattage et la désinfection risquent d'être des mesures insuffisantes pour empêcher la circulation et l'extension de la maladie.

Ensuite, la question que vous posez peut également concerner la situation dans laquelle il n'existe aucun foyer infecté. Dans ce cas, la régionalisation des stratégies au sein d'un pays comme la France ne me paraît pas concevable. En effet, si certaines régions de France avaient le droit de choisir un recours à la vaccination, cela donnerait l'impression que la France est un pays qui vaccine. Cela causerait alors un problème pour les autres pays de l'Union européenne. De plus, cette formule serait alors d'une efficacité limitée (car on ne peut pas prévoir dans quelle partie de France pourrait apparaître, dans quelques années, un nouveau foyer de fièvre aphteuse) et entraînerait des conséquences fâcheuses pour l'ensemble du pays (en particulier pour les exportations). De la même façon, au niveau de l'Union européenne, il ne serait pas acceptable que certains pays optent pour la vaccination alors que d'autres ne la pratiquent pas. Il me semble que seule une solution globale est donc possible, malgré les pressions qu'exerceront certains groupes (en particulier les écologistes ou les protecteurs des animaux).

Il existe toutefois un cas particulier qui pourrait permettre d'envisager une exception à ce principe : il s'agit des espèces menacées, qui pourraient faire l'objet de mesures vaccinales à des conditions strictes qui restent à déterminer. Il s'agirait alors d'une exception très limitée.

En ce qui concerne les vaccins marqués, il me faut souligner que ces derniers ne sont pas plus efficaces que les autres : ils n'empêcheront pas davantage le phénomène de porteurs sains. Lorsque nous disposerons de tels vaccins, nous aurons en partie réglé le problème consistant à distinguer les animaux vaccinés des animaux vaccinés et infectés, mais nous n'aurons pas réglé le problème résultant du fait qu'un animal vacciné pourra devenir porteur du virus. Nous pourrons toutefois déceler plus facilement qu'il est porteur de ce virus. De plus, une précision doit être donnée. Les vaccins marqués, accompagnés de leur coffret de détection des animaux qui réagissent et qui sont donc infectés, ne nous empêcheront pas de commettre certaines erreurs par défaut, que nous connaissons dans d'autres maladies virales : certains animaux vaccinés avec un vaccin marqué vont multiplier le virus de façon limitée et de façon suffisamment faible pour ne pas être repérés à l'aide d'un test de dépistage. Il n'existe donc pas de garantie absolue en la matière, et ce risque de « faux négatifs » est quasiment inéluctable. Les vaccins marqueurs seraient donc un progrès indéniable dans ce domaine, et nous pouvons souhaiter que les recherches reprennent en la matière. Si elles l'étaient, il ne s'agirait néanmoins que d'une solution partielle, car elle n'empêcherait pas les pays indemnes sans vaccination à continuer de ne faire confiance qu'aux autres pays indemnes sans vaccination, et de considérer avec une certaine méfiance les pays indemnes vaccinant avec des vaccins, même « délétés ».

Vous avez enfin, Monsieur le Sénateur, mentionné la question de la compatibilité de la politique sanitaire avec les règles et les pratiques du commerce international. Il est clair que l'intensification des échanges crée des risques importants et qu'il est difficile d'empêcher la circulation de produits et d'animaux. Je ne suis toutefois pas sûr que cette réalité suffise à faire totalement basculer la politique de vaccination, car je crois qu'aucun moyen terme n'est envisageable en ce domaine, et qu'il n'existe donc qu'une seule alternative.

- L'Europe peut continuer d'appliquer, comme en Amérique du Nord, et après une analyse des risques, une politique fondée sur des mesures exclusivement sanitaires, avec des précautions vis-à-vis des importations. Le risque qu'il existe de temps en temps des alertes et des accidents est alors connu, et il faut mettre en place les systèmes les plus efficaces possibles.

- L'Europe peut choisir de mettre en place une vaccination. Celle-ci devrait alors concerner tous les animaux sensibles (soit 300 millions), devrait également porter sur plusieurs types viraux et non seulement l'un d'entre eux (ce serait un non-sens de mobiliser des « armées » de vétérinaires pour vacciner régulièrement tous les animaux contre un seul type).

Ces deux solutions totalement opposées sont envisageables, mais toute voie médiane semble peu crédible. J'ai l'impression que, malgré la pression grandissante qui est née avec cette catastrophe sanitaire en Europe occidentale, l'Union européenne poursuivra probablement dans les années qui viennent une politique de lutte contre la fièvre aphteuse sous forme de prévention uniquement sanitaire. En revanche, il serait particulièrement efficace pour l'Union européenne et pour l'Amérique du Nord de participer financièrement à la vaccination des animaux dans les pays qui, dans le monde, sont de véritables réservoirs de virus aphteux (en Asie, au Proche-Orient, en Afrique et en Amérique du Sud). Cela permettrait de réellement diminuer le risque pour l'Union européenne et pour l'Amérique du Nord... Nous assistons en effet aujourd'hui à une « panzootie » de fièvre aphteuse de type O dans le monde, et il est impossible de lutter contre une telle maladie dans sa seule région. L'OMS a organisé la lutte sur le plan mondial pour éradiquer la variole ; il faudrait agir de la même façon en médecine vétérinaire. C'est actuellement le cas pour la peste bovine, et cela devrait l'être également pour la fièvre aphteuse, dont l'éradication sera toutefois beaucoup plus difficile pour les raisons que nous avons déjà mentionnées.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Professeur, pouvez-vous, pour conclure, nous confirmer que la fièvre aphteuse n'est pas transmissible à l'homme ?

M. Bernard Toma - Ma réponse sera quelque peu différente, car il n'est pas possible de dire que la fièvre aphteuse n'est pas transmissible à l'homme. Ainsi, en Grande-Bretagne, il a existé 13 suspicions de cas de fièvre aphteuse, qui ont toutefois toutes été infirmées. L'homme est sensible à la fièvre aphteuse. Cela a été démontré de façon irréfutable, notamment dans des cas où la concentration du virus dans des lésions chez l'homme était telle qu'il ne pouvait s'agir de contamination cutanée. Il faut néanmoins immédiatement apporter la nuance suivante : l'homme est certes sensible, mais exceptionnellement atteint. Cela signifie que l'homme est globalement résistant et qu'il ne peut présenter des symptômes de fièvre aphteuse que de façon tout à fait rarissime. Signalons d'ailleurs qu'il n'est possible d'affirmer que quelqu'un est touché par la fièvre aphteuse, même s'il a été en contact avec des animaux infectés, que si des tests de laboratoire l'ont démontré : il existe en effet un grand nombre de syndromes et de symptômes ressemblant à la fièvre aphteuse humaine (apparition d'aphtes dans la bouche, sur les mains et sur les pieds).

L'homme est donc sensible à la fièvre aphteuse, mais est très exceptionnellement atteint. Lorsqu'il l'est, c'est de façon relativement bénigne. La fièvre aphteuse n'est donc ni un danger pour le consommateur, ni un danger pour l'homme en général.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Professeur, nous vous remercions pour votre intervention, qui nous a permis d'avoir accès à la meilleure information scientifique disponible aujourd'hui.

12. Audition de Marc Savey, Directeur de la santé animale à l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire

M. Philippe Arnaud, président - Je remercie Monsieur Marc Savey, Directeur de la santé animale à l'AFSSA, d'avoir répondu à notre invitation. Je vous donne la parole afin que vous nous fassiez part de vos réflexions, de votre analyse de ce qui s'est passé et peut-être des leçons que vous en avez déjà tirées.

M. Marc Savey - I. Caractéristiques de la fièvre aphteuse

Je vous remercie. Je vais d'abord tenter de replacer le dispositif des laboratoires de santé animale de l'AFSSA vis-à-vis de la fièvre aphteuse dans son contexte. Ensuite nous verrons comment celui-ci peut évoluer. Vous avez déjà entendu de nombreux spécialistes. Je ne vous dirais donc pas ce qu'est la fièvre aphteuse. Simplement, du point de vue des laboratoires, il s'agit d'une maladie très particulière, d'une part par sa durée d'incubation extrêmement courte. En effet, un animal infecté montre les signes de maladie en trois à huit jours en moyenne. La conséquence immédiate est que toute action de détection des cas et de confirmation en laboratoire doit être extrêmement rapide. Nous pourrions dire que cette maladie est le contraire de l'ESB, la maladie de la « vache folle », dont je me suis également beaucoup occupé. La fièvre aphteuse est, d'autre part, une maladie pour laquelle la connaissance scientifique est extrêmement abondante et assurée. C'est le premier virus animal caractérisé en tant que virus en 1897, donc depuis plus d'un siècle. C'est certainement le mieux connu des virus animaux.

Il y a cependant une sorte de paradoxe. En effet, les recherches et études scientifiques menées sur ce virus se sont beaucoup ralenties depuis le début des années 80, particulièrement en Europe. La raison est relativement simple à comprendre puisque, dès cette époque, l'Europe est devenue pratiquement indemne de fièvre aphteuse. Je parle surtout de l'Union européenne continentale puisque les cas apparus çà et là étaient soit extrêmement sporadiques, soit aux marges de l'Europe, sur les îles grecques situées à quelques kilomètres des côtes turques. Ces îles, en termes de géoépidémiologie, appartiennent en fait à l'ensemble moyen oriental.

Cette maladie est, par ailleurs, extraordinairement contagieuse et ce entre trois grandes espèces domestiques de ruminants, les bovins, les ovins et les caprins mais aussi les suidés, c'est-à-dire essentiellement les porcs et les sangliers. Cette maladie concerne des animaux domestiques mais peut se transmettre à des ruminants ou des suidés de la faune sauvage. Une partie de la problématique britannique, au cours des prochains mois, sera certainement alimentée par le rôle des animaux sauvages dans la contagion, ces derniers pouvant jouer le rôle de « porteurs sains » ; ils portent le virus et le disséminent sans être eux-mêmes atteints.

La fièvre aphteuse une maladie extrêmement variable. A ce propos, de nombreux contresens ont été entendus. La vérité scientifique est que le taux d'atteinte des animaux, donc le taux de morbidité, et le taux de mortalité sont extrêmement variables, tout simplement parce que les souches de virus sont extrêmement variables. A l'heure actuelle, nous sommes face à une souche relativement virulente. En particulier, dans les cas décelés en Mayenne, l'éleveur a constaté deux cas en début de matinée, deux autres en fin de matinée et encore deux autres dans l'après-midi. L'extrême contagion de cette maladie n'est donc pas un mythe mais une réalité scientifiquement établie et parfaitement vérifiée dans le cas qui nous occupe. Il faut toujours garder à l'esprit ces caractéristiques pour éviter de faire des contresens dans les débats qui nous agitent, en particulier en matière de vaccination.

Comme vous le savez, la France et la plupart des pays de l'Union européenne sauf l'Irlande, le Royaume-Uni et le Danemark, ont beaucoup vacciné entre 1961 et 1991. Cette vaccination nous a permis d'éradiquer la maladie et le virus sur la partie continentale de l'Europe. Le Royaume-Uni bénéficiait de son insularité au cours des années précédentes mais nous avons vu que cette insularité a été brisée. Il y a donc eu trente ans de vaccination systématique mais aussi de surveillance systématique et de contrôle d'un certain nombre d'épisodes, de moins en moins nombreux, par des mesures d'abattage des troupeaux atteints et des troupeaux à risques (abattage périfocal) et des mesures de désinfection. Le contrôle préventif (quand la maladie n'existe pas) et curatif (lorsqu'un foyer est observé) s'est toujours appuyé sur un ensemble de méthodes dont la combinaison et la rapidité de mise en oeuvre ont abouti au succès ou à l'échec. Je rappelle qu'en France, comme dans la plupart des pays européens, n'étaient vaccinés que les bovins. Or j'ai dit qu'il existait de nombreuses espèces sensibles, en particulier une dizaine de millions d'ovins qu'il faut comparer aux vingt millions de bovins, mais aussi les porcs, les chèvres, etc. La vaccination occupait donc une place mais n'occupait pas toute la place.

II. Le dispositif des laboratoires de l'AFSSA

1. L'importance de la recherche appliquée ou recherche finalisée

Comment le système des laboratoires a-t-il été construit ? La fièvre aphteuse fait partie des maladies dont le diagnostic ne peut être assuré que par des laboratoires hautement spécialisés mais aussi hautement sécurisés. Dans les années 70 et 80, lorsque le nombre de cas a dramatiquement chuté en Europe, un certain nombre de cas résiduels étaient liés soit à des vaccins défaillants qui transmettaient la fièvre aphteuse car ils n'étaient pas suffisamment inactivés, soit à des fuites de laboratoires. Par construction, ces laboratoires sont de niveau P3 ou BSL4, donc très isolés à la fois de l'extérieur et à l'intérieur, avec des systèmes de ventilation très particuliers. Depuis une trentaine d'années, les cas de fièvre aphteuse étaient très rares. L'expérience du diagnostic était donc de plus en plus restreinte, ce qui explique la spécialisation de celui-ci.

Ces laboratoires ont été coordonnés au niveau européen par une série d'inspections et d'épreuves. L'Europe s'est ainsi assurée que les laboratoires nationaux de référence effectuaient convenablement leur travail. Cependant, un laboratoire de référence ne peut avoir d'activité de diagnostic sans une activité de recherche associée. Le diagnostic du laboratoire de référence est appelé « activité d'appui scientifique et technique ». C'est l'activité des laboratoires de santé animale de l'AFSSA, qui est d'ailleurs clairement prévue par un article de la loi du 1er juillet 1998.

Ces laboratoires doivent impérativement développer une activité de recherche. En effet, même dans le cas d'un virus aussi bien connu, il existe toujours diverses incertitudes et difficultés. Par exemple, l'une de nos équipes avait travaillé sur la difficulté des méthodes de sérologie. En pratique, il suffit d'effectuer une prise de sang et de rechercher la présence d'anticorps. Nous le faisons pour des dizaines de maladies animales et nous avons beaucoup progressé sur la fiabilité des diagnostics. Or il se trouve que pour la fièvre aphteuse, paradoxalement, la fiabilité des techniques de sérologie était relativement faible. Nous savons qu'elle l'est depuis une vingtaine d'années et les épisodes grecs de 1996 l'ont largement démontré. J'ai ici les résultats d'une enquête réalisée en 1997 qui démontre que, dans un pays exempt de fièvre aphteuse depuis plus de quinze ans, un certain nombre d'animaux étaient sérologiquement positifs. Nous ne savons toujours pas pourquoi ils l'étaient. Il y a donc toujours un effort de recherche à effectuer, notamment de recherche finalisée, ce qui est le travail de nos laboratoires, au contraire des laboratoires dits de recherche fondamentale ou académique. Cette activité de recherche est absolument essentielle pour que les laboratoires de référence soient toujours au niveau adéquat pour faire face à une menace qui, il y a encore six mois, paraissait extraordinairement éloignée. Quand je plaidais la cause de ces laboratoires, je voyais bien que mes interlocuteurs considéraient la fièvre aphteuse comme une menace ancienne et révolue.

Or l'épidémiologie nous dit que cette menace est permanente et qu'elle s'est beaucoup intensifiée à partir du milieu des années 90. C'est donc une menace devant laquelle il ne faut absolument jamais lever le pied. Il est prévisible qu'elle restera une menace permanente. En effet, trois continents constituent des réservoirs permanents de la maladie : le continent asiatique et sa zone tampon moyen orientale avec l'Europe, l'Amérique du Sud dont on a dit qu'elle était pratiquement indemne mais où l'on a redécouvert, quelles que soient les déclarations des autorités officielles, qu'elle était atteinte de façon endémique, et enfin l'Afrique qui constitue un vaste réservoir du virus de la fièvre aphteuse, comme malheureusement de bien d'autres maladies exotiques qui constituent autant de menaces permanentes.

2. Deux laboratoires de référence

Le dispositif comprend donc les laboratoires de l'AFSSA qui sont donc des laboratoires de référence, d'appui scientifique et technique et de recherche ainsi qu'un Comité d'experts pour la santé animale. Ce Comité d'experts s'est réuni quatre fois, dont deux fois de façon exceptionnelle, pour remettre un certain nombre d'avis, en particulier sur la vaccination. Le débat sur la vaccination a beaucoup agité les médias et l'ensemble des décideurs au début du mois de mars. Nous y reviendrons peut-être.

Le système actuel comprend deux laboratoires. Le premier se trouve à Maisons-Alfort. Il comporte une unité de virologie qui effectue des recherches, en particulier en immunologie et en sérologie et qui constitue le principal laboratoire de référence français. Il s'occupe à la fois de la fièvre aphteuse et des maladies dites vésiculo-aphteuses qui ressemblent beaucoup à la fièvre aphteuse, en particulier la maladie vésiculeuse du porc qui constitue un facteur de confusion maximal avec la fièvre aphteuse. Ce laboratoire comporte également une unité d'épidémiologie qui a réalisé des travaux remarquables, en particulier en termes de réflexion sur les stratégies de prévention, de contrôle et de modélisation. C'est cette unité qui a mis au point un modèle permettant, à partir de données géographiques et météorologiques, de prévoir ce qui arrivera autour d'un foyer. Ce modèle est essentiel pour la politique d'abattage préventif. Il a été activé durant cette période mais aussi en 1994, lors des foyers italiens, avec d'excellents résultats. L'unité épidémiologique compte quatre personnes et le secteur de virologie aphteuse cinq.

Il existe un deuxième laboratoire, conformément à la politique du Centre National d'Etudes Vétérinaires et Alimentaires (CNEVA) que la loi du 1 er juillet 1998 a incorporé à l'AFSSA. Ce laboratoire se trouve à Lyon et j'ai eu l'honneur de le diriger pendant trois ans. Il contribue également à la veille diagnostique mais son effort de recherche a été entièrement aspiré par un autre thème, dont vous avez souvent débattu, celui de la maladie de la « vache folle ».

3. Le dispositif stratégique

Le dispositif stratégique français distingue deux périodes. En « temps de paix », la veille est permanente. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, cette maladie étant reconnue contagieuse au sens du code rural, tout éleveur qui a un soupçon de fièvre aphteuse doit le déclarer au vétérinaire sanitaire et au Directeur des services vétérinaires. Des prélèvements sont effectués et examinés dans l'un des deux laboratoires. Nous avons choisi d'avoir deux laboratoires pour nous assurer qu'il y en ait toujours un fonctionnel. Etant en partie responsable de ce choix, puisque j'avais beaucoup insisté pour que les installations de Lyon soient rénovées, je l'assume complètement. Il vaut mieux avoir bretelles et ceinture si l'on veut que le pantalon tienne. Cependant, le laboratoire de Lyon a vu ses forces, relativement limitées, complètement aspirées par l'ESB pour des raisons que vous comprenez aisément. L'essentiel des efforts a donc été reporté sur le laboratoire de Maisons-Alfort qu'il convient donc de protéger et de préserver, en particulier en termes de recherche.

En « temps de guerre », lorsqu'un foyer de fièvre aphteuse éclate dans un pays qui n'est pas la France, il y a des échanges commerciaux, donc des animaux qui ont quitté le pays avant que le foyer ne soit identifié. Ils peuvent être en incubation et donc transmettre la maladie. Il s'agit alors de combiner l'effort de diagnostic à partir de cas suspects cliniques à l'effort d'identification des risques par la pratique de la sérologie. Cela a été fait dans des conditions très difficiles car nous n'avions jamais eu, depuis que la maladie existe et depuis la création dans ce but, en 1901, du laboratoire de Maisons-Alfort, à réaliser près de dix mille examens sérologiques en moins de cinq semaines. C'est un effort considérable et je rends hommage aux équipes qui ont travaillé jour et nuit. Ces personnes sont des fonctionnaires animés par une conscience très élevée du service public qui n'étaient pas forcément dans des conditions optimales lorsque l'épizootie s'est déclarée.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Directeur, j'ai bien écouté votre exposé. Lorsque vous évoquez un paradoxe entre la bonne connaissance du virus de la fièvre aphteuse et le ralentissement de la recherche de 1980 à 1991, date à laquelle la décision d'arrêter la vaccination a été prise, comment avez-vous été consulté, en tant que scientifique, à cette époque et pour cette décision ? Nous voyons bien, à la lecture de la documentation que nous possédons, que les décisions prises au niveau européen étaient davantage politiques que scientifiques, le docteur Meurier, Président du Comité scientifique européen, n'ayant même pas été consulté. Je voudrais savoir comment vous avez été consulté par les autorités françaises et quel avis vous avez donné pour l'arrêt de la vaccination.

Vous parlez tous librement de cette nouvelle prophylaxie en évoquant les abattages systématiques. Je ne les conteste pas mais la limite de ceux-ci est bien évidente. Je suis moi-même éleveur. Le choc psychologique est tout de même considérable pour les éleveurs ; nous en avons rencontré en Seine-et-Marne. En France, nous avons quelques cas. Imaginons un seul instant que nous ayons une situation similaire à celle que connaît le Royaume-Uni, quelle aurait été la réaction des éleveurs français qui ont peut-être une autre culture de l'élevage ? Enfin, il est évident que ces prophylaxies apparaissent comme insupportables aux yeux du public.

M. Marc Savey - J'ai pris mes fonctions de Directeur du laboratoire de Lyon en septembre 1990. La décision était déjà prise. Je n'ai donc eu qu'à faire en sorte que le dispositif français puisse y faire face. Je me souviens néanmoins qu'un certain nombre d'inquiétudes avaient été exprimées à l'époque et qu'elles ont alimenté la décision prise par Monsieur Meurier, à l'époque Directeur Général du CNEVA, d'avoir deux laboratoires. J'étais auparavant professeur à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort mais je ne m'occupais pas de fièvre aphteuse. Je ne peux donc vous donner qu'une vision externe de la situation et vous parler de ce qu'ont ressenti mes collaborateurs, en particulier François Moutou que vous avez entendu. Je sais que les discussions se sont multipliées à partir de 1985/1986 et que, comme souvent pour de telles décisions finalement assez stratégiques, il existe des arguments scientifiques, sur lesquels je peux revenir, mais aussi des arguments sanitaires, économiques ou politiques. Nous préparions le grand marché européen mais trois pays ne vaccinaient pas. Tous ces arguments se sont mélangés à un niveau qui dépasse mes responsabilités.

Du point de vue scientifique, les arguments échangés tenaient d'une part à la logique de l'évolution du contrôle de la maladie. La France était un pays d'enzootie de la fièvre aphteuse. Nous « vivions avec la fièvre aphteuse », certainement depuis que l'élevage existe. Cependant, nous avons des statistiques à partir des années 20 qui montrent que, chaque année en France, jusqu'en 1952, il y avait environ cinq cents foyers annuels et des pics, dont celui de 1952/1953 qui monta, il me semble, à trois cent cinquante mille foyers. Beaucoup de pays « vivaient avec la fièvre aphteuse », d'abord parce que nous n'avions pas de vaccin efficace avant la fin des années 40. Des savants y travaillaient mais nous n'avions pas de vaccin industriel. C'est l'Institut Mérieux qui fabriqua au début des années cinquante les premiers vaccins fiables, stabilisés, efficaces pour protéger les animaux et suffisamment inactivés pour ne pas transmettre la maladie. Le travail réalisé a été considérable.

Dès 1961, la généralisation de la vaccination entraîne, en quelques années, une chute dramatique du nombre de cas. La vaccination se poursuit et le nombre de cas devient de plus en plus faible. Le dernier foyer date de 1981. Ainsi, comme nous l'avions fait pour d'autres maladies comme la brucellose, la logique sanitaire conduisait à arrêter la vaccination qui représente, tout de même, un certain nombre de contraintes. Nous l'avons fait pour les bovins avec la brucellose, il y a très longtemps. L'arrêt de la vaccination ne signifie pas l'arrêt des contrôles sérologiques ou de l'abattage des troupeaux infectés. Cette logique suppose, bien entendu en compensation, de renforcer les mesures de contrôle, en particulier les mesures permettant de diagnostiquer, le plus rapidement possible, un cas émergent. En effet, le diagnostic rapide et précoce constitue l'une des clés du contrôle de cette maladie. Nous savons aujourd'hui que les ennuis britanniques sont essentiellement liés à deux facteurs. Premièrement, la découverte du premier cas a été très tardive puisqu'il faut parler de plusieurs semaines de retard et qu'il s'agissait en fait du deuxième cas. Quinze jours de retard pour une maladie dont la période d'incubation est de trois à huit jours, c'est considérable. C'est comme si nous faisions un diagnostic de l'ESB dix ans après son émergence. Deuxièmement, il faut que les mesures d'abattage des troupeaux atteints soient mises en oeuvre moins de trente-six heures après le diagnostic. Or au début de l'épizootie britannique, il a fallu pratiquement une semaine car les services vétérinaires n'étaient pas prêts.

Vous connaissez les autres arguments, notamment économiques : tout pays qui vaccine est sanctionné dans son commerce extérieur. En effet, nous n'avons toujours pas les moyens, mais j'espère que nous les aurons un jour, de distinguer, dans les animaux vaccinés, ceux qui sont infectés et ceux qui sont sains. Je pense qu'un ensemble d'arguments scientifiques et sanitaires justifiait, à l'époque, ces mesures. La décision in fine n'était pas d'ordre scientifique mais d'ordre politique et stratégique. J'insiste sur le fait qu'un grand nombre d'arguments allaient dans ce sens. C'est pourquoi en 1997, avec mes collègues, nous avons publié un document que je vous ai fourni, qui résumait les règles de base pour le contrôle de la fièvre aphteuse pour cette nouvelle période. Cette époque était très calme pour la maladie. Nous avions jugulé l'épisode italien de 1994 et les épisodes des Balkans de 1996. Il faut toujours profiter des époques de réflexion sereine pour rappeler les règles de base, c'est-à-dire rappeler que le danger restait permanent et que le dispositif de détection précoce et rapide était essentiel et qu'il fallait préparer, en aval, une série de plans ORSEC, qui ont été préparés et ont fonctionné.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous ne nous désintéressons pas des arguments économiques mais je trouve très intéressant que, en tant que scientifique, vous n'étiez pas favorable à l'arrêt de la vaccination. Tous les scientifiques que nous avons auditionnés nous ont dit que la vaccination ne constituait pas la panacée. Or dans la période où la couverture était maximale, ne serait-ce qu'au niveau des bovins, les foyers étaient tout de même très limités. Nous n'assistions pas aux explosions qui sont constatées aujourd'hui. Pourtant, selon les scientifiques, la vaccination n'est pas parfaite. Les vaccins ne sont pas suffisamment inactivés et peuvent, de temps en temps, déclencher la maladie. Toutefois, depuis 1961 et jusqu'en 1991, à part quelques cas en Italie, quelle était la situation dans le reste du monde ? Je me suis rendu à plusieurs reprises en Argentine où j'ai toujours entendu dire que la fièvre aphteuse y était endémique. Ce pays s'étendant sur près de quatre mille kilomètres du nord au sud, il peut y avoir des cas à un endroit et pas à un autre. Au cours de cette période, les importations de viande ont-elles été interdites depuis ces pays, susceptibles de présenter la fièvre aphteuse ?

M. Philippe Arnaud, président - J'aimerais insister sur cette question. Nous avons effectivement entendu des personnalités scientifiques qui nous ont démontré que la vaccination ne constituait en aucun cas une solution scientifique fiable. Dans certains cas, la vaccination, en générant des porteurs sains, pouvait même constituer un facteur très pernicieux de diffusion de la maladie. Par conséquent, la méthode ne doit pas être retenue, d'autant plus qu'il existe différentes souches et une évolution du virus. Or d'autres personnalités nous ont dit que la vaccination avait éradiqué la maladie et entraîné, à l'évidence, une chute radicale du nombre de cas de fièvre aphteuse. En conclusion, la vaccination a bien éradiqué la maladie. Le Béotien que je suis souhaiterait avoir une explication.

M. Marc Savey - Je comprends votre trouble et j'expliquerai pourquoi en répondant à la deuxième question. D'un point de vue scientifique, lorsque vous vous trouvez dans un pays où existent, en permanence, des centaines de foyers, la seule façon de contrôler cette maladie, lorsque vous disposez d'un vaccin, ce qui n'est pas toujours le cas, c'est effectivement de pratiquer la vaccination. C'est une position de principe mais il faut ensuite examiner la situation plus en détail. La situation de l'élevage français dans les années 40 et 50 n'est pas du tout comparable à la situation actuelle. L'élevage de porcs était encore largement artisanal et, finalement, c'était les bovins qui payaient le plus lourd tribut à la maladie. Il se trouve que nous avions un excellent vaccin très bien adapté à l'espèce bovine. Nous avons donc vacciné les bovins. Cependant, cette vaccination a toujours été associée à d'autres mesures, parmi lesquelles les abattages des élevages comportant des cas. Nous avons donc mené, parallèlement, une politique de vaccination et une politique d'abattage, de destruction et d'éradication. C'est cette politique globale qui a permis d'éradiquer pratiquement la maladie en ce qui concerne les foyers autochtones. Le pays restait toujours sous la menace des foyers externes qui étaient à l'époque, compte tenu des limites du commerce européen, concentrés sur quelques pays des frontières orientale et méridionale. La politique vaccinale, à un moment donné de l'histoire de la maladie, où celle-ci était endémique, a donné d'excellents résultats.

Le vrai problème survient lors de l'étape durant laquelle un pays n'a plus de cas, donc depuis 1981 en France. Après cinq ou dix ans, la question se pose naturellement de savoir s'il faut continuer à vacciner. A l'époque, si je me souviens bien, la vaccination coûtait deux cents millions de francs par an. Comme tous les jeunes vétérinaires, j'ai procédé à des vaccinations contre la fièvre aphteuse. Je le sais d'autant mieux que je suis fils d'éleveur, cette vaccination était vécue comme une contrainte. Les animaux n'étaient pas toujours très dociles. Je me rappelle avoir vacciné un troupeau de limousines, attachées pour l'occasion. Je ne le ferais plus aujourd'hui car c'était assez sportif. J'entendais que les éleveurs jugeaient la vaccination extrêmement contraignante. Finalement, à quoi bon continuer à vacciner ? Le problème a été posé logiquement au milieu des années 80 où l'Europe était pratiquement débarrassée de la maladie.

Ce qui n'a pas été pris en compte et qui, manifestement, pouvait difficilement l'être mais qui devrait l'être à l'avenir puisque nous allons en rediscuter, concerne deux éléments majeurs qui ne sont pas d'ordre scientifique. Premièrement, l'Europe de l'Est s'est dissoute et cette barrière fantastique que constituait le rideau de fer est tombée. Deuxièmement, nous n'avons pas pris en compte le formidable développement du transport aérien et des échanges rapides d'animaux. Dans les années 70, pour expédier cinquante génisses aux antipodes, il fallait les mettre dans un bateau, ce qui laissait suffisamment de temps pour réagir en cas de problème. A présent, les meilleurs reproducteurs prennent l'avion et voyagent en quelques heures. Nous avons assisté à une accélération fantastique, non seulement du transport des animaux qui demeure toutefois relativement marginal, mais surtout du transport des denrées alimentaires, qu'il s'agisse de denrées brutes ou de restes de repas. Or vous savez que ce sont des déchets de cuisines issus des aéroports, par exemple, qui exposent la terre entière aux virus de la terre entière.

Enfin, il est un troisième fait dont nous tiendrons compte à l'avenir mais qui n'est encore guère étayé, c'est celui de disposer un jour d'un vaccin qui permette de distinguer les animaux vaccinés infectés des animaux vaccinés sains. Le débat est très largement ouvert et sera forcément relancé mais il ne faut pas oublier que nous n'avons jamais vacciné toutes les espèces sensibles, ce qui aurait multiplié les coûts par deux ou trois, et que le virus est extrêmement variable. De plus, la vaccination n'empêche pas d'être soumis à une pression extérieure de contamination. Le débat sur la vaccination est donc un vrai débat. Même si nous vaccinions toutes les espèces, nous aurions quand même à abattre des troupeaux. Enfin, ce n'est pas parce qu'un pays vaccine qu'il ne doit pas surveiller la maladie. Ce que craignent les scientifiques qui connaissent le sujet est l'absence d'équilibre entre vaccination et contrôle. Je ne parle pas des conséquences économiques. Je rappelle que l'Amérique du Nord ne vaccine plus depuis une cinquantaine d'années et que la vaccination inclut un enjeu économique essentiel.

Ainsi des efforts considérables ont été effectués pour la brucellose et ont associé vaccination et abattage, dans un premier temps puis uniquement l'abattage. A l'époque, les vétérinaires praticiens informaient les éleveurs par le biais de conférences dans lesquelles ils donnaient des explications. Ainsi, lorsque nous avons commencé à détecter la tuberculose, ce fut une véritable révolution dans mon village. Sur vingt-cinq fermes, trois n'avaient plus de bovins du jour au lendemain. Une campagne d'explication avait permis aux éleveurs de comprendre. Aujourd'hui, dans une société très urbaine qui ne connaît plus que les animaux de compagnie, je vois mal faire abattre trois mille chiens en cas d'épidémie de rage. J'ai redécouvert cela lors des abattages pratiqués pour l'ESB.

Evidemment, toute politique est discutable mais il est inutile de diaboliser l'abattage comme cela a été fait avec des images de bûchers ; l'opinion ne peut que réagir en jugeant cette pratique affreuse et moyenâgeuse. Je viens de répondre à une lettre adressée au Directeur Général de l'AFSSA d'une dame qui trouvait affreuses ces images de souffrance en lui précisant les conditions d'euthanasie des animaux. Il y a eu un cas, en Angleterre, qui n'était pas conforme aux règles communautaires dans ce domaine. Si l'on transcrit, dans les médias, l'exception comme étant la règle et sans expliquer, en outre, les raisons pour lesquelles la règle a été édictée, je crains que les réveils ne soient vraiment très douloureux. Ne pas abattre sera une mesure très populaire dans un premier temps, au moins au journal télévisé. Dans un second temps, des gens s'interrogeront peut-être sur ce qui n'aura pas été, fait. Je crois que l'expérience du Royaume-Uni, qui n'a pas vacciné mais qui est en voie de contrôler la maladie, devrait être comparée à la situation des Pays-Bas qui vaccinent, qui comptent aujourd'hui vingt-six cas et qui continuent à découvrir, de façon sporadique, un cas de temps en temps. Il me semble intéressant de verser l'exemple des Pays-Bas, dans six mois, au dossier du débat sur la vaccination, sur l'abattage, sur la précocité du diagnostic et la déclaration des cas aussitôt constatés.

L'abattage est une solution collective, de même que la vaccination. Entre 1954 et 1961, nous avons procédé à des vaccinations individuelles qui n'ont pas fait chuter le nombre de cas. Un certain nombre de maladies, comme la fièvre aphteuse, par leur rapidité, leur diffusion et leur contagion font l'objet de prophylaxie forcément collective. C'est la collectivité nationale qui doit s'en charger. L'abattage n'est que l'un des moyens de cette prophylaxie collective. Cela suppose une parfaite entente et une parfaite explication. Plusieurs moyens de sauvegarde collective impliquent en effet de nombreuses contraintes. Nous le voyons en matière de sécurité aérienne ou de sécurité publique, etc. Je pense que cette dimension collective de la santé animale est essentielle. Après trente ans de calme, certains problèmes vont réémerger. Nous avons eu un premier avertissement avec la peste porcine, aux Pays-Bas, entre 1997 et 1998. Il a fallu abattre tout de même quinze millions de porcs.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Cela suppose un abattage rapide qui n'est pas évident pour les bovins.

M. Marc Savey - C'est vrai. Néanmoins, quelle que soit la politique retenue, elle devra d'abord être fondée scientifiquement, ce qui signifie qu'il faudra examiner l'ensemble du problème et qu'il faudra, en tout état de cause, qu'elle soit expliquée, en particulier aux médias et à des populations qui n'ont plus de contact avec l'élevage. J'ai constaté de façon terrible avec l'ESB, que les gens réagissent souvent au travers d'éléments qui laissent le scientifique pantois.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez dit qu'il y avait eu des abattages durant la période de vaccination. Nous souhaiterions connaître, durant cette période qui s'étend sur une trentaine d'année, le nombre d'abattages annuels. Je partage votre sentiment mais il y a une différence entre l'abattage de quelques dizaines de troupeaux et les chiffres évoqués aujourd'hui pour le Royaume-Uni. On parle de deux millions cinq cent mille animaux. Nous allons peut-être même arriver à quatre millions. Il faut donc connaître les proportions.

Par ailleurs, si la recherche, dont vous avez dit qu'elle s'était pratiquement arrêtée depuis 1981, avait continué, ne disposerions-nous pas de vaccins traçables et adaptables en fonction de l'évolution du virus ? Je ne vous demande pas d'exprimer une certitude mais nous avons tout de même perdu vingt ans de recherche. Pensez-vous que la recherche doit être française ou prendre place dans le cadre de l'Union européenne, l'agriculture comme plusieurs autres facettes de l'économie se situant, aujourd'hui par définition, dans le cadre communautaire ? Enfin, l'OIE peut-elle avoir une influence sur un laboratoire anglais ?

M. Marc Savey - Je peux vous fournir sans problème les données statistiques historiques relatives à l'abattage. Je voudrais simplement insister sur un point. La situation britannique est tout à fait exceptionnelle et les abattages ne sont que des conséquences d'une mauvaise maîtrise au départ. Il ne s'agit pas d'accabler qui que ce soit puisque nous ne savons pas quel sera l'avenir. En France, le nombre d'abattage de troupeaux est demeuré extrêmement limité. Nous avons abattu essentiellement des ovins importés du Royaume-Uni dont nous savons qu'un certain nombre d'entre eux constituaient de véritables menaces. Il ne faut pas se laisser impressionner par l'exemple britannique qui est tout à fait exceptionnel, l'abattage n'étant qu'une conséquence.

Concernant le caractère national ou communautaire de la recherche, la même question m'a été posée, il y a cinq ans, à l'Assemblée nationale, pour l'ESB. Personnellement, du fait de mon expérience, je pense que l'Europe a montré qu'elle pouvait aider et financer largement la recherche dans des fédérations de laboratoires européens. En effet, il faut réunir des laboratoires d'au moins trois pays européens pour mettre en place un projet européen. La suite n'est qu'une question de détermination des axes. Par expérience, face à une crise de cette ampleur, qu'il s'agisse d'ESB ou de fièvre aphteuse, qui sont différentes mais caractérisées par leur ampleur, le pays qui n'a pas une certaine forme d'autonomie, dans un contexte où l'opinion scientifique est très importante, perd de sa capacité d'action et d'influence. Je ne suis pas souverainiste mais réaliste. Pour suivre la recherche, il faut y participer. La recherche nécessite des bras et des cerveaux. Elle est tellement complexe que le pays qui n'y participe pas est marginalisé. Il faut donc conserver une capacité de recherche autonome.

Pour la fièvre aphteuse, il faut distinguer deux aspects. Premièrement, la recherche sur les vaccins s'est poursuivie dans des laboratoires privés disposant d'une capacité et d'un capital scientifique. Fallait-il que les pouvoirs publics s'engagent dans la recherche sur leurs vaccins ? Je suis incapable de répondre et je pense qu'il faudra en rediscuter. Le deuxième aspect sur lequel la recherche publique doit continuer à renforcer ses moyens concerne, globalement, la technologie des diagnostics, c'est-à-dire la compréhension des phénomènes, dont la sérologie atypique, qui ne sont pas encore compris. Le CNEVA, aujourd'hui l'AFSSA, faute d'autres combattants, est resté le seul organisme à développer une modeste recherche dans ce domaine. Je plaide pour le renforcement de ses équipes qui ont été tout de même menacées, à diverses reprises, de disparition ou de non-renouvellement.

M. Philippe Arnaud, président - Je souhaite revenir de nouveau et rapidement sur une question que vous a posée le Rapporteur. Vous pourrez probablement, au travers des données historiques et statistiques que vous allez nous transmettre, alimenter notre réflexion. Vous avez insisté sur le fait que les mesures prophylactiques devaient être de nature collective. La question de notre rapporteur avait pour but de signifier qu'une mesure nationale, sur un tel sujet, ne représentait aucun intérêt et qu'il fallait au moins des mesures au niveau européen. En outre, vous l'avez dit, il s'agit d'une maladie que d'aucuns ont appelée une maladie du transport ou du déplacement. Or les frontières s'ouvrent, nous sommes donc à la veille de grands drames.

Avant de vous libérer, je souhaiterais connaître votre avis sur les décisions scientifiques qui ont été prises relativement aux produits laitiers, par exemple les fromages. Des mesures draconiennes ont été prises sur des produits dont il n'est pas scientifiquement démontré qu'ils puissent être porteurs. Vous avez utilisé l'image de la ceinture et de la bretelle pour tenir un pantalon. N'aurions-nous pas associé la ceinture et la bretelle pour tenir un pantalon qui ne risquait pas de tomber ?

M. Marc Savey - Un grand nombre de connaissances relatives à la fièvre aphteuse sont codifiées depuis fort longtemps. J'ai apporté le code zoosanitaire de l'OIE qui contient des prescriptions techniques très claires qui ont été reprises dans des directives européennes, en particulier la directive 2001-145 qui a lancé l'action communautaire à ce sujet. Toutes ces directives mentionnent un certain nombre de mesures qui tendent à faire en sorte que les produits laitiers, au sens le plus large, ne puissent pas disséminer la maladie. Nous savons qu'il s'agit d'une éventualité possible. C'est un point de vue scientifique. Si vous ne chauffez pas le lait à soixante-douze degrés pendant quinze minutes, si vous ne traitez pas la viande de façon à faire descendre le pH en dessous de 5,7, le virus est présent et risque de contaminer. Sur cette base scientifique, il faut considérer la traduction dans la législation des mesures qu'il convient de prendre ou non.

En France, le cadre des opérations est le département. La législation française, selon moi avec bon sens et efficacité, a prévu que ces problèmes ne soient pas traités au niveau du canton mais au niveau du département, que ce soit pour la réglementation ou la législation (Code rural, décrets, arrêtés...). Ainsi, les plans de lutte contre la fièvre aphteuse sont pensés au niveau départemental. Cela me paraît scientifiquement justifié, compte tenu de la rapidité de la contagion et du fait que celle-ci peut être massive. Lorsqu'un foyer se déclare dans un département, celui-ci rejoint le plan d'action. Evidemment, si nous ne trouvons qu'un seul foyer, vous penserez que nous aurions pu restreindre les mesures mais nous ne savons jamais si, derrière ce premier foyer, il ne se cache pas un deuxième foyer, un troisième, un dixième, un cinquantième...

M. Philippe Arnaud, président - La mise en température et la fermentation sont censées détruire le virus.

M. Marc Savey - Le virus n'est pas très fragile. Le Professeur Toma a dû vous dire que ce virus était relativement résistant. Il y a des virus bien plus résistants et d'autres bien plus fragiles. Il peut persister, de façon passive, par exemple sur les roues d'un camion, pendant deux à trois semaines. Je sais que le fromage entraîne de vraies préoccupations. Pour la viande, nous savons scientifiquement que le passage d'un pH neutre de 7, à un pH inférieur à 6,2 ou 6,3 a pour effet d'inactiver pratiquement le virus. Il se trouve que ce virus possède une courbe d'inactivation particulière que nous connaissons grâce aux vaccins. En fait, nous parvenons très facilement à inactiver 99,9 % mais il reste parfois 0,01 %. Or ce diable de virus étant très contagieux et diffusible, il vaut mieux un pH de 5,1. Cela signifie qu'une viande qui mature pendant trois jours atteint, par maturation lactique, un pH de 5,6 ou 5,7 et ne présente donc aucun danger scientifiquement. Toutefois, en pratique, les viandes maturent moins longtemps. Nous avons donc pris de telles mesures pour se protéger de tout risque de diffusion.

M. Philippe Arnaud, président - Ne serait-ce pas la recherche du risque zéro ? N'y a-t-il pas excès de précaution ?

M. Marc Savey - Il revient au pouvoir de contrôle, au pouvoir réglementaire, d'interpréter les données scientifiques dont nous disposons et de prendre les mesures qui conviennent. Cette législation est très ancienne. Ainsi, la législation européenne repose sur une directive de 1989. Toutes les bases réglementaires, comme le Code zoosanitaire, ont été réfléchies en termes de gestion du risque collectif et non du danger. Le problème est le même que les limitations de vitesse sur l'autoroute. Je possède une bonne voiture et je pense être bon conducteur, je pourrais donc rouler à cent cinquante kilomètres par heure mais la vitesse est limitée pour réduire le risque collectif.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous nous avez dit que le cadre était celui du département. Nous nous sommes rendus en Seine-et-Marne et nous avons constaté tout de même une anomalie. En effet, le foyer principal se trouvait à la limite du département. Le département voisin était bien plus sensible à une exposition au virus que le sud du département concerné. Les agriculteurs du sud se sont sentis pénalisés par cette limite par rapport à leurs voisins. Les plans sont départementaux mais une approche plus fine est tout de même nécessaire.

M. Marc Savey - Il faut en parler avec le Ministère de l'Agriculture et les services de contrôles. J'attire simplement votre attention. Selon mon point de vue d'épidémiologiste qui s'occupe des questions sanitaires à un niveau global, le pire n'est pas d'être bloqué pendant trois semaines mais d'avoir dix foyers. Je ne connais pas la situation géographique en détail. Je peux dire que la fièvre aphteuse, après avoir été éradiquée en France, a donné lieu à des mesures de contrôle très dures qui ne me choquent pas.

M. Philippe Arnaud, président - Vous n'êtes pas obligé de répondre à ma dernière question. Vous avez insisté sur le fait que cette maladie était bien connue mais qu'elle avait souffert d'une absence de recherche. La réglementation actuelle a montré sa pertinence mais elle a peut-être besoin d'être réadaptée puisqu'elle a été mise en oeuvre, à une certaine époque et en l'état de certaines connaissances. Pensez-vous que la communauté scientifique, à la lumière des connaissances scientifiques actuelles, serait favorable à faire évoluer la réglementation et la législation ?

M. Marc Savey - Très franchement, je ne pense pas que ce soit à la communauté scientifique de répondre.

M. Philippe Arnaud, président - Bien entendu, il revient aux politiques de répondre mais la décision politique doit se fonder sur un certain nombre d'éléments objectifs, comme vous l'avez très bien rappelé tout à l'heure. Parmi ces éléments se trouvent des éléments scientifiques que les politiques ne maîtrisent pas. Ensuite, il y a des éléments économiques ou sociologiques et c'est la synthèse de tous ces éléments qui fonde la décision politique. S'ils étaient questionnés, par exemple au sujet des produits laitiers, les scientifiques pourraient-ils aujourd'hui considérer qu'il y a excès et que nous pourrions peut-être adapter la réglementation ?

M. Marc Savey - C'est un peu le travail qui a été réalisé par le Comité d'experts. Mon expérience de ces débats est qu'ils nécessitent véritablement une expertise collective. Cela signifie que n'importe quel aspect que nous pourrions soulever provoquera inévitablement une discussion et des échanges. Rien n'est clair et net mais les scientifiques peuvent certainement nourrir cette discussion. J'ajouterai en outre qu'il ne faut pas dire qu'il n'y a pas eu de recherche en France durant vingt ans. La recherche était limitée mais de bonne qualité. J'ai justement apporté divers documents rédigés par mes collaborateurs qui prouvent que nous avons continué à nous en préoccuper. Ces équipes sont bien seules alors qu'elles y travaillent depuis dix ans. Il faudrait les aider à continuer et je serais heureux qu'on leur rende hommage.

M. Gérard César - Vous parlez probablement d'une aide financière. Avez-vous les moyens de continuer cette recherche ?

M. Marc Savey - Aucun Directeur d'un établissement public ne vous répondra qu'il dispose de moyens suffisants. Je veux dire qu'il faut d'abord conforter les équipes existantes et les renouveler car elles vieillissent. Elles n'ont pas été renouvelées depuis vingt ans. Certains de mes collaborateurs, qui sont âgés de cinquante-six ans, connaissent bien la fièvre aphteuse mais il faut penser à leur remplacement et reconnaître qu'ils ont eu raison de persister.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie, Monsieur le Directeur. Nous sommes preneurs de toute documentation statistique, historique et scientifique.

M. Marc Savey - Je ne les ai pas sur moi mais des travaux statistiques très pertinents ont été réalisés.

13. Audition du Général Edouard Talieu, Vétérinaire biologiste, Chef des services de la Direction centrale du service de santé des armées du Ministère de la Défense

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons le Général Talieu, chef des services de la Direction centrale du service de santé des armées. Mon Général, je vous remercie d'avoir répondu à notre demande. Notre préoccupation est de faire le point sur l'épizootie et d'en tirer des leçons pour l'avenir.

Général Talieu - Je vais vous présenter la façon dont nous avons renforcé les équipes vétérinaires en Angleterre qui se sont retrouvées face à des problèmes relativement aigus dus, en partie, au sous effectif de leurs structures. En effet, le territoire comptait au départ environ deux cent vingt vétérinaires sur le territoire assurant les missions habituelles de santé animale et d'hygiène des aliments. Ce nombre était largement insuffisant pour faire face à une crise de cette ampleur.

I. Le corps des vétérinaires biologistes

1. Organisation du corps

Le corps des vétérinaires biologistes des armées dépend de la Direction centrale du service de santé depuis 1977. Auparavant il était totalement autonome. Nous avons subi des aléas d'effectifs. En 1996, nous n'étions plus que quarante-huit militaires d'active. Suite à la professionnalisation des armées et à la perte de la ressource des vétérinaires biologistes aspirants qui effectuaient leur service militaire, il a été décidé d'augmenter notre nombre de manière significative. Nous sommes aujourd'hui soixante-cinq et notre objectif est de passer à quatre-vingt-trois pour 2003. Malgré cette augmentation, la perte des vétérinaires aspirants, pour assurer un travail égal, nous a contraints à procéder d'une part au recrutement de personnels civils TSEF (techniciens supérieurs d'études et de fabrication) que nous avons formés aux techniques vétérinaires, notamment avec un stage à l'INFOMA de Lyon qui forme les techniciens du Ministère de l'Agriculture, et d'autre part à la formation de quelques sous-officiers du service de santé. En effet, nous avons, parmi nos missions, des opérations extérieures, ce qui exige de pouvoir envoyer à l'étranger une grande partie de nos effectifs. Sans cela, il serait inutile d'avoir un corps particulier de militaires.

L'organisation actuelle comprend cinq structures régionales dont une correspond à l'Ile-de-France. Notre corps est à vocation interarmées ; nous assurons donc le soutien de toute unité des armées, quelle que soit son appartenance (Marine, DGA, Gendarmerie, Armée de terre ou Armée de l'air). Ces cinq groupes de secteurs vétérinaires (GSVI) sont associés à dix-huit secteurs vétérinaires qui couvrent l'ensemble du territoire national. Nos effectifs seront pratiquement au complet d'ici 2002/2003. En effet, il n'est pas évident de recruter. C'est un problème courant dans la fonction publique et nous ne parvenons pas toujours à recruter parmi un nombre de candidats suffisant.

2. Les missions du corps

Nos missions s'articulent essentiellement autour de trois pôles : l'hygiène des aliments et de la restauration collective représente 80 % de nos activités, la santé animale représente 18 % en raison des effectifs canins et équins présents dans les armées. Enfin la recherche représente 2 %. Des vétérinaires sont présents dans les différents centres de recherche des armées et travaillent dans des disciplines comme la physiologie, la microbiologie ou la radioprotection.

Parallèlement à la Métropole, nous avons également une organisation outremer. Il existe en effet des Directions Interarmées du service de santé dans les DOM TOM ainsi qu'à Dakar et Djibouti. Autrefois, ces postes étaient essentiellement occupés par des aspirants. Nous avons commencé à professionnaliser et nous y affectons aujourd'hui des vétérinaires d'active. Enfin, nous menons des opérations extérieures. Ainsi, des vétérinaires sont présents en permanence en Bosnie, au Kosovo et au Tchad. Ces activités représentent une lourde tâche. Les séjours durent quatre mois, il faut donc assurer une relève tous les quatre mois. Cependant, ces séjours nous permettent d'avoir des personnels disponibles ayant une bonne pratique de l'anglais, pratiquement obligatoire pour ces opérations extérieures, et qui, parfois, ont déjà été confrontés à la fièvre aphteuse. Ce fut le cas en Bosnie en 1996. Une épidémie importante nous avait contraints à prendre des dispositions, non seulement pour éviter de disséminer la maladie en Métropole mais aussi sur place, alors que nous étions en période de conflit.

II. L'épizootie en Angleterre

La demande de renforts par l'Angleterre nous est parvenue fin mars, au moment où les autorités anglaises se sont senties dépassées. Je ne sais pas si la diffusion de l'épidémie en Angleterre vous a été présentée en détail.

M. Philippe Arnaud, président - En tant qu'intervenant opérationnel au Royaume-Uni, vous avez peut-être pu repérer quelques éléments qui n'auraient pas été relayés.

Général Talieu - La contamination s'est répandue à partir de l'importation, depuis Carlyle, de denrées contaminées. Depuis cet endroit, les exportations en direction des autres marchés de Grande-Bretagne sont importantes et, à partir de la Grande Bretagne, nous avons retrouvé des traces de contamination en Mayenne. Nous savons aussi que le virus est passé de la Mayenne aux Pays-Bas.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je pensais que la contamination en Mayenne provenait, au contraire, des Pays-Bas.

Général Talieu - Non, il semble que le virus venant d'Angleterre soit reparti vers les Pays-Bas après un passage en Mayenne.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - C'est la souche de la Mayenne qui a également contaminé la Seine-et-Marne.

Général Talieu - Au 23 avril, les cas se répartissaient sur les deux foyers français, les Pays-Bas, la République d'Irlande (l'Irlande du Nord n'avait qu'un cas au départ mais a brusquement connu une expansion) et bien sûr le Royaume-Uni avec 1.441 foyers. Nous verrons que ce chiffre est largement dépassé. Le pôle important est celui de Carlyle. C'est là que nous avons été conduits à intervenir.

M. Philippe Arnaud, président - Etes-vous intervenus avant ou après le dépassement des 1 400 foyers ?

Général Talieu - Nous sommes arrivés le 27 mars. Nous avions envoyé quatre vétérinaires et le Ministère de l'Agriculture une dizaine, dont deux sont arrivés en même temps que les nôtres.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - D'autres pays européens ont-ils envoyé des renforts ?

Général Talieu - Diverses nationalités étaient représentées, surtout des anglophones : Américains, Canadiens, Australiens et Néo-zélandais. Des pays comme la Finlande ont envoyé de l'aide mais se sont rapidement découragés en raison des difficultés de communication. D'autres n'ont pas supporté l'action, c'est-à-dire le sacrifice de ces animaux, et même l'environnement de travail.

Nous avons été contactés le 23 mars par l'intermédiaire du cabinet du Premier Ministre qui demandait la participation du Ministère de l'Agriculture et de vétérinaires militaires, en renfort. En effet, les vétérinaires du Ministère de l'Agriculture étaient déjà confrontés à des problèmes relatifs à l'ESB. Dès le 27, nos équipes étaient en place et le renfort a été installé au niveau de Carlisle, dans le comté de Cumbria, à la frontière entre l'Ecosse et l'Angleterre. L'évolution des cas, depuis le début de l'enzootie est visible sur la carte. Nous avons oeuvré dans un climat proche de la panique.

Les personnes envoyées ont été sélectionnées selon leurs antécédents. Toutes étaient déjà parties en opération extérieure. Le détachement était commandé par le vétérinaire en chef Polvèche, déjà intervenu à Sarajevo et au Kosovo. Les Anglais ont demandé de fournir le diplôme de docteur vétérinaire et nos vétérinaires ont été inscrits à l'ordre des vétérinaires britanniques et sont devenus des fonctionnaires de la Reine, investis de tous les pouvoirs de police ou même financiers. Ils ont été accueillis à l'Aéroport de Newcastle, logés mais non nourris. Heureusement, grâce à notre propre structure que nous appelons « bioforce », nous avons obtenu une avance de quarante mille francs sans laquelle nos hommes auraient eu quelques difficultés. Le contrat est que les Anglais nous rembourseront sur la base de vingt et une livres par jour pour les frais de nourriture. Nous avons fourni une copie du permis de conduire, chaque officier ayant reçu un véhicule ainsi qu'un téléphone portable. Tous ont été logés.

Ils ont reçu une formation accélérée d'une journée, commune à l'ensemble des vétérinaires étrangers mais aussi aux professionnels anglais venus en renfort. En effet, les effectifs du Ministère anglais de l'Agriculture étant faibles, il a fallu faire appel aux praticiens et aux vétérinaires des écoles. Les élèves vétérinaires ont également été réquisitionnés pour servir de mentors aux extérieurs car il n'est pas évident de se retrouver dans un milieu totalement étranger. Cette formation avait pour objet de présenter des films sur la pathologie de la fièvre aphteuse mais surtout de fournir aux arrivants tous les éléments nécessaires du point de vue administratif. En effet, ayant été investis de tous les pouvoirs, les vétérinaires devaient pouvoir remplir les documents administratifs nécessaires.

Dès le lendemain, ils sont partis sur le terrain. Au début de l'action, jusqu'à quarante nouveaux foyers étaient signalés chaque jour. Sur un coup de téléphone, ils partaient en direction des fermes suspectes pour procéder au dépistage dans un premier temps. Le planning était élaboré par l'autorité locale dépendant du Ministère de l'Agriculture. Si un cas de fièvre aphteuse était constaté, ils rendaient immédiatement compte au Ministère à Londres, puis à l'instance locale de Carlisle. Ensuite, ils recevaient l'ordre de faire abattre le troupeau mais, tant que la ferme était suspecte, ce sont eux qui surveillaient la mise en quarantaine de l'exploitation. Ils devaient également accueillir les abatteurs. Evidemment, il a fallu faire appel aux professionnels des abattoirs mais aussi, très rapidement, aux chasseurs et au corps des bouchers militaires. En effet, il semble que l'armée anglaise dispose encore de bouchers professionnels tandis qu'ils ont disparus depuis fort longtemps en France, l'armée française ne s'approvisionnant plus qu'en produits désossés sous pellicule plastique sous vide.

M. Philippe Arnaud, président - Concrètement, comment se passait l'abattage ?

Général Talieu - L'abattage se faisait soit au merlin soit au pistolet. Pour les agneaux, ils utilisaient le T61 qui est un produit euthanasiant injectable. Le week-end de Pâques, le chef de mission m'a indiqué qu'il y avait pratiquement trois conteneurs de vingt pieds remplis de cadavres d'agneaux. Nous sommes aujourd'hui à deux millions quatre cent mille bêtes abattues. Nous arriverons vraisemblablement à deux millions cinq cent mille sur un cheptel global de cinquante-cinq millions. En valeur absolue, le chiffre semble considérable mais il ne représente en fait que quelques pour-cent du total.

La surprise des vétérinaires présents et de ceux qui les ont relevés fin avril vint du fait que la population était anxieuse et même bouleversée, l'abattage représentant un certain traumatisme, mais gardait cependant un comportement très civique. Une fois l'abattage décidé, la population l'acceptait. Je dirais que le travail des vétérinaires étrangers était même plus facile que celui des vétérinaires anglais auxquels la population ne manquait pas de faire part de récriminations internes, politiques ou économiques. Vis-à-vis des étrangers, ce ne fut jamais le cas. Je peux citer l'exemple d'un vétérinaire qui fut invité à dîner le soir chez des éleveurs, après avoir décidé d'abattre l'ensemble du troupeau, ce qui est plutôt surprenant.

Outre le dépistage, la mission concernait également les indemnisations. Ce sont eux qui confirmaient le montant des indemnisations que les éleveurs allaient recevoir. Le fait que celles-ci soient relativement correctes a probablement aidé à faire passer la pilule. Les autorités envisagent actuellement de les diminuer pour les animaux au potentiel moindre, par exemple âgés.

M. Philippe Arnaud, président - Connaissez-vous le montant de ces indemnisations ?

Général Talieu - L'indemnisation peut être supérieure à mille livres pour un boeuf et d'environ cinq à sept cents francs pour un mouton.

M. Philippe Arnaud, président - Les autorités ont-elles prévu des indemnisations pour les pertes d'exploitation ?

Général Talieu - Je ne le pense pas. Pour l'instant, les montants sont forfaitaires. Je sais qu'ils ont déjà versé environ six milliards de francs, ce qui est tout de même considérable. Ce sont encore les vétérinaires qui autorisaient les mouvements d'animaux ou de personnes. Lorsqu'ils découvraient un cas de fièvre aphteuse, la zone était déclarée « dirty » (par distinction avec les zones « clean »). Les inspecteurs ayant été en contact avec le virus étaient mis en repos pendant deux jours après désinfection afin d'éviter tout risque de contamination ultérieur pour d'autres exploitations.

La zone de départ se trouve donc à la frontière écossaise, près des villes de Carlisle et Newcastle. La frontière est matérialisée par le mur d'Hadrien. Nos vétérinaires sont d'abord intervenus essentiellement dans ce secteur. La zone montagneuse du Cumbria présentait apparemment moins de problèmes. Nous avons à présent deux vétérinaires à Carlisle et deux autres à Newcastle, en raison de problèmes dans ce secteur correspondant au Northumberland. Nous avons donc maintenant deux pôles d'exercice.

A l'ouest, le nombre de cas a diminué ; nous n'en comptons plus que trois ou quatre par jour. La diminution est encore plus marquée à l'est où nous n'en comptons plus que deux ou trois. Après la phase d'abattage systématique de tous les animaux, dans une zone de trois kilomètres autour des fermes infectées, les autorités commencent à assouplir les mesures. Ainsi, les bovins ne seront plus abattus. En revanche, l'abattage des ovins et des porcins reste systématique. De toute façon, il ne reste pratiquement plus de porcins puisqu'ils ont été abattus les premiers. En effet, ce sont les porcins qui transmettent surtout la maladie.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Quel est le pourcentage de bovins et de porcins dans les deux millions cinq cent milles animaux ?

Général Talieu - Je l'ignore. Ce sont en majorité des moutons et ensuite des bovins. Le nombre de porcins était moins important, l'Angleterre n'étant pas un grand producteur de porcins. L'équipe poursuit ses activités de dépistage et de conseil auprès des éleveurs de l'ouest. A l'est, elle a entamé les procédures de dépistage sérologique. En effet, nous sommes maintenant dans une phase où l'Angleterre prépare son retour à l'état « indemne ». Pour ce faire, il faut dépister tous les animaux éventuellement positifs sérologiquement afin de les éliminer.

La vaccination a été envisagée à plusieurs reprises et même autorisée par l'Union européenne. Nous aurions pu vacciner les bovins sans aucun problème mais il y a toujours eu un consensus pour ne pas recourir à la vaccination, même au niveau local, les syndicats agricoles préférant un abattage systématique et massif. Cela serait de toute façon revenu à reculer pour mieux sauter puisque tous les animaux immunisés auraient dû être abattu à un moment donné. L'aspect économique a donc été primordial dans les mesures prises par le gouvernement.

Du fait de leur intégration dans les services britanniques, nos vétérinaires ont dû signer un document intitulé Official secrets act . Ils se sont donc engagés à ne pas divulguer en détail ce qu'ils auraient vu ou fait.

M. Philippe Arnaud, président - Cela me pose un problème puisque j'avais l'intention de vous demander si nous pouvions disposer du rapport de mission.

Général Talieu - Nous étudierons la question. Nous y sommes allés dans un esprit de collaboration et d'aide immédiate. Nous étions là-bas pour travailler et non pour critiquer. Il y a pu avoir des hiatus dans le système mais les autorités britanniques ont fait un effort extraordinaire. Nous avons un bel exemple du pragmatisme anglais. Ils n'hésitent pas à faire appel à l'extérieur et à donner des pouvoirs. J'ignore si, en France, nous aurions donné le même blanc-seing à des vétérinaires étrangers. Il faut souhaiter n'être jamais confrontés, à notre tour, à un tel problème.

Effectivement, nous en sommes arrivés là en raison d'un retard initial. Les Anglais n'ont pas mesuré à sa juste valeur le problème lors des premiers cas. En outre, il s'agit d'une population animale essentiellement constituée d'ovins pour lesquels le dépistage n'est pas évident. La maladie peut passer tout à fait inaperçue. Il faut examiner les moutons un à un pour déterminer la présence de lésions. En revanche, l'examen des porcins ou des bovins est bien plus aisé.

Au 6 mai, la courbe du nombre de cas cumulés et des cas quotidiens montre que nous sommes en phase descendante. L'épidémie pourrait se raviver du côté de l'Irlande. Dans l'immédiat, les autorités tiennent le bon bout. Malgré le fait qu'ils ont été débordés, les Anglais se sont montrés fort sympathiques. Le Ministère de l'Agriculture nous a officiellement demandé de poursuivre cette collaboration jusqu'à la fin du mois de juin. Dans leur courrier, ils saluent la qualité de notre travail. La relève a été difficile à mettre en place, compte tenu de nos effectifs déjà en place à l'étranger. Nous trouvons toujours quelques bonnes volontés et de telles missions justifient notre rôle opérationnel.

M. Philippe Arnaud, président - Pourrions-nous avoir des copies de ces cartes ?

Général Talieu - Je vous les fournirai. Fin mars, environ cent vingt vétérinaires étrangers soutenaient l'action anglaise. Ils étaient deux cent cinquante début mai. Le Royaume-Uni compte normalement deux cent vingt vétérinaires. En avril, le total des renforts représentait mille cinq cent vingt-deux vétérinaires. Le secteur de Carlisle compte normalement onze vétérinaires et quarante techniciens. Avec les renforts, le secteur a compté jusqu'à trois cents vétérinaires. Nos personnels ont surveillé l'abattage de quatre mille ovins, huit cents bovins et vingt porcins. Les abattages étaient organisés sur une ancienne base aérienne. Nous avons compté jusqu'à quarante cas identifiés par jour et treize mille ovins abattus par jour. Deux millions quatre cent soixante-quatorze mille bêtes ont été abattues au 8 mai, soit 4 à 5 % du cheptel, pour un total de mille cinq cent soixante-trois foyers. Plus de six milliards d'indemnités ont déjà été accordées.

Au début de la crise, environ quatre mille examens sérologiques ont été pratiqués. A ce jour, environ quarante mille ont été réalisés. Un nouveau laboratoire doit être mis en service pour traiter vingt mille prélèvements par semaine. Après l'éradication, nous sommes donc déjà dans la deuxième phase de contrôle de l'état du cheptel.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez bien décrit votre intervention au Royaume-Uni. Dans le cadre du territoire français, à l'occasion d'une visite en Seine-et-Marne, nous avons constaté que tous les services de l'Etat avaient été mobilisés pour un seul cas. Ils auraient été dépassés s'il y avait eu d'autres cas. Comment auriez-vous pu apporter votre concours et comment auriez-vous pu être sollicités en cas d'évolution de l'épizootie en France ?

Vous répondrez à ma deuxième question si vous pensez que vous le pouvez. Vous qui suivez l'épizootie pour le compte des armées, pensez-vous que la fièvre aphteuse peut être considérée comme une arme bactériologique ou économique ?

Général Talieu - Notre participation avait déjà été sollicitée pour l'épizootie d'ESB pour le stockage des farines, sur le choix des sites de stockages notamment. La participation des armées était envisagée. Les vétérinaires militaires, dans le cadre de l'exercice courant de leurs activités, ont donc été sollicités. Nous devions éventuellement intervenir pour les abattages d'urgence durant les week-ends mais, finalement, le Ministère de l'Agriculture est parvenu à faire face avec ses propres moyens et nous n'avons donc pas été sollicités. Ce n'est pas la première fois que nous participons à des mesures prophylactiques. Nous l'avons fait pour la rage pendant des années ou, il y a trois ou quatre ans, pour un foyer de brucellose dans les Alpes, mais c'était le temps où nous avions des vétérinaires aspirants. A présent, chaque personne que nous détachons crée un trou dans nos structures. Certes, nous pouvons reporter nos missions relatives à l'hygiène des aliments. Ce n'est pas un drame si nous effectuons une visite d'organisme de restauration avec un mois de retard.

Nous avons un renfort en Seine-et-Marne. Un vétérinaire militaire a été mis à disposition de la DSV avec son véhicule, il s'agit du chef du secteur vétérinaire de Palaiseau. Son action s'est essentiellement concentrée sur le volet épidémiologique et sur le suivi des examens sérologiques. La demande émanait du préfet du département et a été répercutée auprès de l'Etat-major de la RTIDF par le préfet de Zone de Défense.

Votre deuxième question me permet d'aborder un sujet que je n'ai pas eu le temps d'évoquer. A l'origine de l'épizootie, l'importation de déchets de repas d'avions en provenance d'Orient ou d'Extrême-Orient pour l'alimentation de certains porcs a été incriminée. Ensuite, ce fut le cas d'un restaurant asiatique de Carlisle qui aurait importé de la viande avariée. Le problème est que la viande avariée est potentiellement moins dangereuse que la viande parfaitement saine, le pH de la viande avariée n'étant pas favorable au développement du virus. C'est donc de la viande vraisemblablement importée qui serait à l'origine de la contamination. C'est le point le plus fiable sur le plan épidémiologique. Récemment, les armées britanniques ont été suspectées d'avoir importé de la viande d'Argentine. Toutefois, le virus argentin n'étant pas du même sérotype que celui à l'origine de l'épizootie en Angleterre ou en France, elles ont donc été rapidement disculpées.

Des rumeurs ont également couru, accusant les Iraqiens d'avoir introduit le virus. Il est vrai que le virus de la fièvre aphteuse pourrait faire partie des virus qui pourraient être utilisés comme une arme, essentiellement économique. Nous avons considérablement renforcé les consignes nationales ainsi que les études biologiques. Autrefois, on parlait de risque NBC : nucléaire, biologique et chimique. La priorité est aujourd'hui au BCN. Des vétérinaires biologistes ont donc été affectés, en renfort, aux structures de recherche des armées pour étudier ces aspects de la guerre biologique. Certains ont évoqué l'utilisation de l'ESB comme arme biologique. Compte tenu des délais d'incubation, cette hypothèse est peu probable, même sur le plan économique. En revanche, la fièvre aphteuse est une zoonose dont l'extension est suffisamment rapide pour présenter un danger très important sur le plan économique. Il y a un parallèle en médecine humaine avec la variole pour laquelle nous avons aussi arrêté la vaccination.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - De jeunes parents s'interrogent à ce propos.

Général Talieu - En effet, il faudrait peut-être consentir un effort de vigilance dans ce domaine.

M. Philippe Arnaud, président - Mon Général, je vous remercie de votre contribution. Je vous remercie de nous transmettre le rapport de votre mission, si vous en avez la possibilité, ainsi que les documents que vous nous avez montrés.

14. Audition du Docteur Bernard Vallat, Directeur général de l'Office international des épizooties (OIE)

M. Philippe Arnaud, président - Je pense que nous avons beaucoup à apprendre de la part du Docteur Vallat, notamment concernant l'analyse de ce que nous venons de vivre chez nous mais aussi dans le monde. Enfin, nous souhaitons connaître, selon vous, les leçons que nous pouvons tirer de cet épisode.

M. Bernard Vallat - I. L'Office international des épizooties

Je dirige l'Office international des épizooties depuis janvier 2001. Auparavant, j'ai travaillé cinq ans à la Direction Générale de l'Alimentation en tant que Directeur général adjoint et chef des services vétérinaires français. J'ai tenu à m'impliquer, tant au niveau national que communautaire, dans la prévention de la fièvre aphteuse mais aussi, dans les discussions sanitaires relatives aux importations et exportations de produits animaux et à gérer le risque lié à la fièvre aphteuse.

Je voudrais rappeler en quelques mots l'histoire et les objectifs de l'organisation que je dirige. Elle a été créée en 1924, à l'époque où la peste bovine causait la mort d'environ dix mille bovins par jour en Europe. A l'époque, cette épizootie avait incité vingt-huit pays à mettre sur pied cet office. La France l'a emporté, devant l'Allemagne et l'Italie, dans la négociation concernant la localisation du siège de l'organisation. La date de la signature du traité (1924) explique que l'OIE ne fasse pas partie de l'Organisation des Nations Unies. Elle fait en effet partie des organisations internationales nées après la première guerre mondiale. Son statut est donc parfaitement autonome par rapport à l'ONU.

Son premier objectif concerne l'information sanitaire mondiale, les pays membres tenant absolument à obtenir des informations sur les maladies animales. En adhérant, les pays membres s'obligent à déclarer les maladies animales présentes chez eux et figurant sur une première liste élaborée à l'époque. L'OIE était chargée de collecter et diffuser immédiatement l'information aux autres pays. Cette mission a rapidement évolué. Aujourd'hui, cent cinquante-sept pays sont officiellement membres et quatre sont en voie d'adhésion. L'objectif premier est toujours l'information sanitaire et s'y est ajoutée l'information scientifique. L'OIE est donc reliée à cent trente-sept laboratoires de référence mondiaux qui effectuent des recherches et étudient notamment les méthodes de lutte contre les maladies animales. Ils fournissent l'information scientifique à l'OIE qui l'analyse, la résume et la transmet aux pays membres en constituant ainsi un outil de conseil auprès de la communauté mondiale pour lutter contre les principales maladies animales.

Le troisième objectif découle des accords de l'Organisation Mondiale du Commerce signés à Marrakech en 1994. Ceux-ci reconnaissent l'OIE comme référence mondiale quant aux préconisations relatives aux importations d'animaux vivants et de produits animaux. Ils permettent d'éviter non seulement d'importer des pathogènes animaux susceptibles de se développer sur les territoires de certains pays mais aussi des pathogènes humains transmissibles par les animaux (zoonoses). Les accords ont également pour but d'éviter des mesures protectionnistes abusives liées à des préoccupations sanitaires qui iraient au delà des préconisations de bon sens, préoccupations désignées selon des codes établis par l'OIE. Un code regroupe les préconisations générales pour les services vétérinaires chargés de lutter contre les maladies. Il permet d'établir des certifications à l'exportation fiables et fondées sur une organisation fiable et crédible. Ce code édicte également le détail des précautions à suivre, pour chaque maladie animale, à l'exportation.

Enfin, le dernier objectif est un objectif de solidarité internationale. En effet, la communauté mondiale a intérêt à éradiquer les maladies animales. Or celles-ci sont surtout endémiques dans les pays pauvres qui n'ont pas les moyens de financer des programmes de contrôle ou d'éradication. L'OIE joue donc un rôle d'expertise et de conseil auprès de ces pays et sert également de référence aux organisations de solidarité internationale spécialisées en aidant à définir des projets d'éradication.

L'organe suprême de l'OIE est le Comité International qui regroupe les délégués des pays membres et se réunit une fois par an à Paris. La prochaine réunion aura lieu à la fin du mois. Contrairement à d'autres organisations, ces délégués ne sont pas des diplomates. Nous avons la chance d'avoir comme délégués les responsables des services vétérinaires des pays membres. Ceux-ci ont généralement le pouvoir de proposer des législations à leur hiérarchie et aux élus et de la mettre en oeuvre. Cette double fonction permet à l'OIE de travailler avec des personnes qui sont autonomes en matière de prise de décision et qui n'ont pas besoin de se référer systématiquement à des structures nationales qui pourraient retarder les prises de décision. Elles sont mandatées, bien entendu, par le pouvoir politique, mais peuvent donner leur opinion immédiatement, sans en référer à d'autres instances. Cela donne à notre organisation son caractère opérationnel.

L'OIE dispose de cinq commissions régionales, une par continent, et de collaborateurs régionaux permanents. Des commissions spécialisées élues préparent les décisions du Comité International. L'ensemble de l'organisation repose sur les délégués et les décisions se prennent souvent dans un consensus très large, ce qui a l'avantage d'impliquer toujours la majorité de la communauté internationale qui s'approprie ensuite les décisions. Nous avons donc moins de mal que d'autres à concrétiser ces décisions. Enfin, le Directeur Général est élu par l'assemblée générale, ce qui me donne une légitimité pour prendre des décisions en principe peu contestées.

II. Le rôle de l'OIE face à l'épizootie de fièvre aphteuse

1. L'objectif d'éradication de la maladie

La fièvre aphteuse est une maladie bien connue, contrairement à l'ESB pour laquelle il demeure des zones d'ombre scientifiques. Ainsi, nous sommes en mesure d'affirmer que la fièvre aphteuse n'est pas transmissible à l'homme. Lorsque c'est le cas, ces transmissions sont exceptionnelles et n'ont jamais revêtu un caractère de gravité. Nous pouvons l'affirmer sans le moindre doute. La fièvre aphteuse a longtemps été considérée comme une maladie bénigne, au regard des dégâts qu'elle provoquait sur les animaux. Son caractère dramatique est apparu après la guerre.

Il y a un lien entre la rusticité des races animales et la gravité de la maladie. En effet, les effets de la maladie sont relativement bénins lorsqu'elle s'attaque à des races rustiques. Cela explique que certains pays en développement qui n'utilisent pas les races génétiquement améliorées qu'utilisent les pays riches, ne considèrent pas la fièvre aphteuse comme prioritaire dans les programmes de lutte qu'ils mettent en oeuvre. Cela explique partiellement le fait qu'elle soit encore endémique dans environ deux pays sur trois. La gravité de la fièvre aphteuse sur les races améliorées revêt un caractère économique en raison des baisses de production que la maladie entraîne, qu'il s'agisse de bovins ou de porcins. Ce n'est pas le cas pour les ovins et les caprins qui, certes, diffusent le virus et sont donc contagieux pour les autres races. Cependant, les dommages provoqués sur ces deux espèces sont relativement peu importants. En revanche, nous pouvons affirmer que les conséquences économiques sur les races améliorées de bovins et de porcins sont importantes. Les marges bénéficiaires d'un éleveur dont le troupeau est atteint par la maladie sont réduites à néant. Les baisses de production laitière, par exemple, sont non seulement considérables mais, dans la plupart des cas, irréversibles. Un animal atteint ne récupère donc jamais sa production initiale, ce qui explique le degré de gravité attribué aujourd'hui à la maladie par les pays développés.

Ce caractère de gravité entraîne naturellement des mesures de protection à l'importation par ces mêmes pays. L'OIE a donc inclus dans le code zoosanitaire international des mesures reconnues par l'OMC et utilisables en cas de litiges entre un exportateur et un importateur. Ces mesures très contraignantes pénalisent lourdement l'économie agricole d'un pays atteint. Lorsqu'un pays est considéré comme infecté, les conditions à l'exportation sont extrêmement graves si son économie agricole comporte une part de revenus à l'exportation. Elles pénalisent également les pays qui ont recours à la vaccination parce qu'il est établi que les animaux vaccinés peuvent être faussement sains, donc susceptibles de disséminer le virus sans en présenter les symptômes et donc de faire peser un danger, surtout si les animaux sont exportés vivants, sur un pays exempt de fièvre aphteuse. Celui-ci pourrait importer un virus qui se communiquerait à ses troupeaux.

Il est certain que la vaccination a été et demeure un outil essentiel pour contrôler la maladie et espérer un jour son éradication. Ainsi, la première phase incontournable, pour des pays qui présentent la maladie de façon endémique, consiste à vacciner l'ensemble des espèces sensibles jusqu'à ce que le nombre de foyers devienne si faible que l'on peut arrêter la vaccination et éliminer les derniers porteurs qui expriment alors la maladie. Après quelques mois sans cas, il est possible de dire que le virus ne circule plus dans un pays.

Certains pays n'ont jamais vacciné. Ils sont très rares. Ainsi, la position insulaire du Royaume-Uni, en facilitant les contrôles des animaux importés, lui a permis depuis quelques décennies d'éviter des introductions de virus, sauf à deux reprises. Le Royaume-Uni, qui n'a jamais vacciné, a connu une épizootie en 1967. A l'époque, il a fallu abattre plus de cinq cent mille têtes pour éradiquer le virus. Le deuxième incident a eu lieu récemment mais dans des conditions bien plus dramatiques puisque le virus semble avoir circulé longtemps avant que les services vétérinaires ne commencent à mettre en place des mesures d'élimination. Avant la crise actuelle, cinquante pays, soit environ un pays membre de l'OIE sur trois, s'étaient débarrassés de la maladie et avaient arrêté de vacciner. Cette liste s'allongeant, nous allions vers un abandon progressif des vaccinations et nous espérions ainsi, notamment à l'égard des pays qui n'avaient pas les moyens humains et financiers d'adopter cette politique, arriver un jour à faire disparaître le virus.

Nous avons le précédent intéressant de la peste bovine qui constituait un véritable fléau, en Europe, depuis le Moyen Age et jusqu'à la création de l'OIE dans les années 20. Nous espérions éliminer toute présence du virus sur la planète, comme cela avait été fait pour la variole humaine. Aujourd'hui, seuls deux pays, le Kenya et le Pakistan, hébergent la peste bovine et vaccinent encore mais ils ne déclarent plus de foyers depuis plusieurs mois. Les autres pays ont abandonné la vaccination contre la peste bovine et la maladie a disparu. Il reste peut-être un foyer au sud du Soudan, à cause de la guerre, mais nous manquons d'information. L'Union européenne finance une campagne onéreuse qui devrait aboutir à l'éradication totale d'ici 2005.

2. Les foyers européens de fièvre aphteuse depuis l'arrêt de la vaccination

Nous tendions vers cette évolution favorable pour la fièvre aphteuse, en prenant le temps nécessaire. Puis il y eut ce rappel à l'ordre et la crise qui suivit en Europe avec l'introduction du virus au Royaume-Uni. Depuis l'arrêt de la vaccination en Europe, la fièvre aphteuse est apparue en Italie en 1993 en provenance des Balkans, suite à une importation frauduleuse d'animaux. A l'époque, il fallut trois mois aux autorités pour éliminer le virus sans recourir à la vaccination mais en utilisant la méthode classique d'abattage sanitaire. Bien sûr, l'Union soutient financièrement les Etats membres lorsqu'un foyer est déclaré, à conditions qu'il figure sur la liste des maladies permettant d'obtenir cette aide.

La maladie est apparue en 1996, en Grèce, à la frontière turque. Là encore, l'abattage sanitaire a permis d'éliminer le virus. L'Union européenne a même consenti des appuis financiers importants à la Turquie pour vacciner et protéger ainsi sa frontière orientale d'une introduction de la maladie par la Grèce. La dernière apparition eut lieu en mai 2000, également en Grèce, à partir de la frontière turque. Il est probable que les Turcs n'ont pas utilisé convenablement la vaccination. Avec l'appui financier de l'Union, la Grèce est de nouveau parvenue à éliminer la maladie sans vacciner. Enfin, vous connaissez le cataclysme survenu récemment au Royaume-Uni, à la grande surprise de nombreux experts. Parallèlement, un double phénomène est survenu dans le reste du monde. En 2000, l'Argentine a stoppé la vaccination est s'est déclarée indemne sans vaccination sur son territoire. La même politique a été suivie par l'Uruguay et deux grands états du Brésil. En revanche, le Chili s'était déclaré indemne sans vaccination trois ans auparavant. Ces pays vont devoir revenir à une vaccination généralisée avant d'espérer un jour être à nouveau indemne sans vaccination. L'Argentine fut de nouveau infectée, peu avant la crise européenne. Malheureusement, l'Uruguay et un état frontalier du Brésil font face au même phénomène. De cette immense région productrice de bovins, devenue indemne de la maladie sans vaccination, ne subsiste aujourd'hui que le Chili. Sont toujours indemnes sans vaccination les Etats-Unis, le Canada, le Mexique et le reste de l'Amérique centrale.

Nous expliquons l'explosion de la maladie, dans la liste des pays libres de vaccination, premièrement par l'augmentation des échanges mondiaux, tous échanges confondus notamment le tourisme, et deuxièmement par l'insuffisance des investissements des pouvoirs publics dans les systèmes de contrôle aux frontières et de surveillance de la maladie sur le territoire. Certains pays souffrent d'un manque de services officiels publics de surveillance. Enfin, nous avons en même temps constaté une explosion de déclarations de fièvre aphteuse qui tient à un effet de mode. Certains pays ayant la maladie de façon endémique se sont mis à la déclarer en estimant qu'il valait mieux être transparent, le fait étant connu de tous.

M. Philippe Arnaud, président - Pourriez-vous nous transmettre un document de présentation de l'OIE ?

M. Bernard Vallat - Je vais vous fournir ce document. Toutes les informations institutionnelles figurent sur notre site www.oie.int.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez évoqué un accord de l'OMC qui réglemente les importations des pays indemnes, avec ou sans vaccination. Pourriez-vous nous transmettre les références de ce texte ?

M. Bernard Vallat - Il existe une commission de l'OIE qui, sur demande d'un pays qui le souhaite, peut donner l'avis de l'OIE sur les conditions sanitaires d'un pays, au regard d'une liste de quatre maladies. En effet, l'OIE n'a pas de structure d'inspection puisque cette fonction n'entre pas dans ses attributions. L'OIE a restreint le nombre de maladies susceptibles de faire l'objet d'un avis officiel, opposable à un tiers, à quatre maladies : la fièvre aphteuse, la peste bovine, la péripneumonie bovine et la peste équine. Nous ajouterons certainement très bientôt l'ESB. Il s'agit d'une démarche volontaire de pays qui souhaitent, le cas échéant, bénéficier d'un label officiel par rapport à leur statut. Ces pays adressent une demande qui est examinée par cette commission spécialisée de l'OIE qui se prononce sur la base du dossier préparé par ces pays mais aussi d'investigations réalisées sur le terrain qu'elle pourrait demander. Elle propose ensuite au Comité International de voter le statut sanitaire de ces pays. Ainsi, la plupart des pays du monde ont demandé à l'OIE un avis officiel sur leur statut en matière de fièvre aphteuse. Un tel avis revêt par nature un caractère normatif et l'OMC peut utiliser cet avis en cas de litige entre un exportateur et un importateur.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez dit que l'OIE ne disposait pas d'outils de contrôle. S'agissant d'un organe de décision et de mise en oeuvre des réglementations, l'absence de moyens de contrôle ne constitue-t-elle pas une faille majeure ?

M. Bernard Vallat - Je confirme que l'OIE ne dispose pas de tribunal international susceptible de condamner un pays membre qui ne respecterait pas les décisions qu'il a lui-même votées, la plupart du temps. Toutefois, les normes de l'OIE revêtent un caractère de référence vis-à-vis de l'OMC et un pays qui ne les respecterait pas et qui, de ce fait, ferait l'objet d'un contentieux avec un autre pays ou groupe de pays, encourt des sanctions économiques graves du fait de l'OMC. Le problème est qu'un certain nombre de pays ne sont pas membres de l'OMC. Cependant, la Chine et la Russie négocient actuellement leur entrée. Par conséquent, ce caractère de référence, reconnu par l'OMC, peut renforcer le côté contraignant des normes de l'OIE mais l'OIE n'a pas les moyens de conduire une action contraignante par ses propres instances. Cela dit, le forum informel que constitue l'OIE repose très largement sur la confiance. L'expérience prouve que lorsqu'un pays a failli aux règles de transparence auxquelles il s'est engagé en adhérant, il est lourdement pénalisé sur le plan économique. Lorsqu'un pays perd la confiance des autres, cela entraîne des mesures de fermeture. En outre, il a bien du mal à retrouver la confiance perdue. Bien que nous ne disposions pas d'instances contraignantes, le souci de transparence est primordial.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Qui est à l'origine du rapprochement entre l'OIE et l'OMC ? Vous venez de dire que toutes ces informations partent d'un principe de confiance entre les pays. Vous avez souligné que certains pays ont déclaré la maladie alors qu'ils avaient déjà des cas. Nous pensons évidemment à l'Argentine. Or durant la période où ces pays se déclaraient exempts, les échanges commerciaux entre l'Amérique du sud et l'Union européenne ont continué. Enfin, comment pouvons-nous intervenir au niveau des échanges commerciaux ? Ces pays sont reconnus comme ayant la maladie. Nous souhaiterions savoir s'ils ont continué à exporter de la viande en direction de l'Union.

M. Bernard Vallat - Lorsque le GATT, après le sommet de Marrakech, est devenu l'OMC, la technostructure du GATT cherchait à développer les accords relatifs au commerce mondial et notamment à déterminer la manière la plus appropriée de traiter les barrières sanitaires, en particulier les barrières sanitaires injustifiées qui sont encore très largement utilisées par certains pays pour protéger leur compétitivité. Ces barrières sont courantes par rapport aux maladies animales mais aussi à d'autres critères sanitaires ou techniques. Le GATT a cherché le concours d'organisation de référence, lui-même étant bien entendu incapable de disposer, en son sein, de groupes d'expertise technique capables de faire ce travail. Il a donc cherché diverses organisations sur lesquelles il pouvait s'appuyer pour en faire des organismes de référence. C'est ainsi qu'il a adopté, pour les végétaux la Convention internationale pour la protection des végétaux, pour les aliments prêts à consommer le Codex alimentarius et pour les maladies animales l'OIE. Ces trois organisations ont longuement négocié avec le GATT. Des accords ont été signés mais c'est la communauté internationale entière, au travers de l'accord sanitaire et phytosanitaire (SPS), qui sert de référence à ces organisations pour décharger l'OMC de ce travail.

Concernant les pays qui ont soudainement décidé de déclarer la maladie, tous les pays concernés, excepté l'Argentine, n'étaient pas considérés comme indemnes de fièvre aphteuse par l'OIE. De fait, aucun de ces pays ne pouvait vendre et exporter vers l'Union européenne des animaux vivants, à moins de répondre à des exigences très importantes de quarantaine et de contrôles sérologiques au départ et à l'arrivée et qui représentaient une garantie solide pour l'importateur.

Vous soulignez, à juste titre, le cas de l'Argentine. L'Argentine a consenti de lourds efforts pour se déclarer indemne sans vaccination. Ils ont procédé à toutes les mesures nécessaires en vaccinant leur cheptel pendant très longtemps. A l'issue de ce processus, ils ont stoppé la vaccination et réduit les foyers subsistant. Il est exact, et cela a été vérifié, sur leur demande, par des experts de l'OIE, que, durant un certain temps, l'Argentine a été indemne du virus. A ce moment-là, l'OIE et l'Union européenne ont reconnu cette situation et ont desserré les conditions d'importation de produits animaux depuis l'Argentine. Cependant, le pays a changé de gouvernement et donc d'administration. Une souche a été trouvée mais nous savons que le virus présent en Europe n'est pas le virus argentin. Nous avons la carte génétique des virus et nous sommes capables de les distinguer. Nous sommes parfaitement sûrs qu'il ne s'agit pas du même virus. Il y a eu un risque mais il ne s'est pas exprimé.

M. Philippe Arnaud, président - Que pourriez-vous nous conseiller pour obtenir des précisions ? En effet, il doit bien exister des éléments d'information et notre travail consiste à rechercher ce qui s'est passé et ce qui peut se passer. Nous aimerions, dans le cadre de cette mission, disposer d'éléments nous permettant de mettre le doigt sur un certain nombre de dysfonctionnements dans les autres pays. Qui pourrait nous renseigner ?

M. Bernard Vallat - Le site Internet des éleveurs argentins était très transparent sur la situation avant qu'elle ne devienne officielle.

M. Philippe Arnaud, président - Il y a une contradiction que je souhaite soulever et j'aimerais connaître votre avis pour la réduire. La fièvre aphteuse est une maladie extrêmement contagieuse. Tout le monde l'a dit et tout le monde le sait. Elle est présente, de façon endémique, dans deux tiers des pays du monde, vous l'avez rappelé. Vous avez par ailleurs indiqué que la reprise de la maladie, en 2001 en Europe, avait eu lieu à la surprise de la plupart des experts au Royaume-Uni ou en France. La plupart ont été surpris de retrouver, sur notre continent, la fièvre aphteuse alors que chacun sait que cette maladie occupe les deux tiers de la planète et qu'elle est extrêmement contagieuse et que, dans le même temps, les échanges se multiplient tandis que les vecteurs ne sont pas seulement les animaux vivants mais aussi les denrées animales. Il y a une contradiction sur laquelle je souhaiterais avoir votre avis.

M. Bernard Vallat - J'ai parlé de surprise concernant la réapparition au Royaume-Uni. En effet, les risques de réintroduction sont plus importants sur le continent. Nous avons notamment des réservoirs dans les Balkans qui font peser une menace permanente. C'est pourquoi l'Union européenne finance des programmes de vaccination périphériques, y compris en Russie et dans certaines anciennes républiques soviétiques limitrophes. L'Union conduit des opérations de vaccination, en concertation avec la Russie, en Géorgie, en Arménie et en Azerbaïdjan. D'autres ont également lieu en Turquie. Le risque est bien connu et les services vétérinaires nationaux et communautaires mènent des actions pour le juguler.

La surprise vient de l'introduction de la maladie dans un pays insulaire, donc par voies non-terrestres. Jusqu'à présent, nous pensions que les contrôles dans les ports et les aéroports permettaient d'éviter tout type d'introduction. En outre, le risque d'introduction par les ports ou les aéroports est lié au fait que les produits contaminés doivent être ingérés par des animaux pour exprimer le virus lorsqu'il est introduit. Lorsqu'ils sont ingérés par des consommateurs dans un restaurant, le risque est nul. En revanche, lorsqu'un produit alimentaire contaminé introduit dans la chaîne alimentaire humaine se retrouve dans la chaîne alimentaire des animaux sensibles, alors le virus s'exprime. Normalement, la voie d'introduction est le recyclage d'aliments destinés aux hommes dans l'alimentation destinée aux porcs, et cela arrive très souvent, ce qui provoque la maladie. Toutefois, nous ne pouvons pas affirmer aujourd'hui que c'est ce qui s'est passé. Les enquêtes sont en cours mais c'est peut-être ce qui est arrivé au Royaume-Uni. En tout cas, c'est arrivé récemment en Afrique du Sud. Un bateau originaire d'Asie a éliminé ses déchets alimentaires dans le port de Durban. Quelqu'un les a récupérés pour nourrir des porcs qui ont contracté la maladie. Alors qu'une partie du pays était indemne et exportait vers l'Europe, ils ont été infectés par cette voie.

Ce qui est anormal est que l'Europe a interdit le recyclage de ces aliments dans l'alimentation des porcins. Quelques dérogations ont échu, il me semble, en avril de cette année. Néanmoins, la condition était de thermiser les produits, ce qui réduit le risque à zéro. Si tel est le cas, il faut être prudent car il y aurait fraude à la législation communautaire et britannique.

M. Philippe Arnaud, président - D'où vient la contradiction entre cette haute contagiosité et le fait que l'arrêt de la vaccination en Europe depuis 1990 est un succès ? En effet, il ne s'est pratiquement rien passé pendant dix ans. Les Etats-Unis sont exempts de fièvre aphteuse depuis soixante-dix ans. En sommes-nous sûrs ?

M. Bernard Vallat - C'est une maladie très difficile à dissimuler, en pratique, lorsqu'elle survient sur des porcins ou des bovins. La dissimulation est peut-être plus aisée sur des ovins mais ceux-ci finissent, de toute façon, par la transmettre aux autres animaux. Si la fièvre aphteuse arrivait aux Etats-Unis, compte tenu de la sensibilité des races animales qu'ils élèvent, qui sont très améliorées, je suis certain que nous le saurions. En outre, si le virus a été introduit et que les autorités américaines l'ont dissimulé, elles ont réussi à l'éliminer. Sinon il se serait répandu dans le pays et cela aurait été impossible à dissimuler. Nous avons l'exemple du Canada qui fut déclaré indemne plus tardivement mais a su préserver son statut. Nous avons aujourd'hui l'exemple du Mexique et de l'Amérique centrale. Ils ont pourtant le virus à leur porte.

Ces exemples tendent à prouver que, lorsque les pouvoirs publics mettent en place les bons moyens pour contrôler les introductions, pour surveiller la maladie et pour l'éliminer immédiatement en cas d'une introduction du virus, cela suffit. La politique actuelle de l'Union européenne peut être poursuivie mais il ne faut surtout pas baisser la garde sur tous les facteurs d'introduction et mettre les moyens publics nécessaires, c'est-à-dire d'abord une législation adaptée. Ainsi, il est fondamental de vérifier que les élevages qui dérogent à la règle de thermisation des aliments destinés aux porcs n'ont pas été tentés de tricher en économisant quelques calories. Le problème sera réglé quand l'usage de tels déchets en alimentation animale sera totalement interdit. Toutefois, rien ne dit qu'il n'y a pas de fraude de la part de certains éleveurs qui continueront d'acquérir des déchets de restaurants. Ces mesures nécessitent une véritable pression de contrôle qui est onéreuse mais indispensable pour poursuivre notre politique.

M. Philippe Arnaud, président - Le respect des règles que vous évoquez appelle une observation de ma part. Sur le territoire national, en ce qui concerne le ovins par exemple, nous savons que certaines périodes sont très propices à la consommation. Durant ces périodes, la région parisienne devient une vaste zone d'élevage non contrôlé ou mal contrôlé. N'y a-t-il pas là un risque majeur ? N'avons-nous pas frôlé la catastrophe ?

M. Bernard Vallat - Nous avons très clairement frôlé la catastrophe. Je m'étonne que la filière ovine française ne se soit pas encore organisée pour fournir une demande aussi importante que celle de l'Aïd el kebir qui constitue pourtant du pain béni pour cette filière. Son organisation est insuffisante pour concurrencer les importations massives d'ovins en provenance d'autres pays, notamment le Royaume-Uni qui est le plus grand pays producteur. J'ai peine à comprendre, compte tenu des difficultés de cette filière qu'aucune organisation ne permette de répondre plus efficacement à cette demande temporaire, centrée sur le bassin francilien. Je m'étonne que les professionnels n'aient pas encore prévu des dispositifs permettant des générer des revenus supplémentaires du fait de cette demande. C'est une première question.

Dans tous les cas, nous aurons recours aux importations à cette période. Il est clair que les autorités françaises devront déployer tous les moyens nécessaires pour s'assurer que les ovins ne proviennent pas d'un pays infecté ou dans lequel le virus pourrait circuler. Je ne peux prédire, tant que le Royaume-Uni déclare des foyers, ce qu'il adviendra des échanges communautaires d'animaux vivants. Il faudra un certain temps avant que le Royaume-Uni ne retrouve le statut qui lui permette de nouveau d'exporter des animaux vivants.

M. Philippe Arnaud, président - Des animaux peuvent entrer par les Pays-Bas.

M. Bernard Vallat - Si l'Europe ferme le Royaume-Uni parce qu'il est infecté, ce sont toutes les importations qui sont interdites, y compris via d'autres Etats membres.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Les laboratoires qui fabriqueraient des vaccins marqués pourraient-ils obtenir une forme de reconnaissance par l'OIE ? Pourrions-nous avoir le nom du site argentin que vous avez évoqué ?

M. Bernard Vallat - Ce site se nomme www.megagro.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez parlé du statut économique et des restrictions commerciales. Pourrions-nous imaginer que la fièvre aphteuse soit une arme bactériologique ou économique ?

M. Bernard Vallat - La vaccination ne constitue pas une assurance qu'un pays ne connaît pas la maladie. Un pays qui a recours à la vaccination peut exporter des viandes désossées s'il n'a pas de foyer sur aucune espèce. Par exemple, un pays qui vaccinerait des bovins et aurait un foyer sur des porcins serait considéré comme infecté et n'exporterait plus rien. En revanche, un pays qui serait indemne avec vaccination mais n'aurait pas de foyer peut exporter des viandes désossées sous certaines conditions. Il est certes pénalisé mais il peut tout de même exporter. Certains pays peuvent être tentés de revenir au statut indemne avec vaccination. Il faut savoir que ce statut implique, pour être sans risque, de vacciner toutes les espèces animales sensibles et d'utiliser toutes les souches de virus existantes. Nous connaissons aujourd'hui sept souches qui n'ont pas d'immunité croisée, il faut donc un vaccin qui comporte ces sept souches, ce qui n'est pas le cas des vaccins courants. Un tel vaccin serait très onéreux. Il faut enfin vacciner régulièrement, l'immunité conférée par la vaccination étant très courte, d'environ six à douze mois.

Un tel statut implique donc un coût extrêmement élevé. Les économistes spécialistes de l'élevage, dans une étude de l'INRA, ont estimé que, en pariant sur un retour régulier de la maladie selon un cycle d'environ dix ans, l'absence de vaccination est économiquement intéressante. Du point de vue économique donc, l'Europe a eu raison de choisir cette politique. La nouveauté concerne la réaction des citoyens face à des abattages massifs, à des images de bûchers, etc. Il s'agit d'un aspect politique que l'OIE est forcé de prendre en compte. C'est ainsi que, suite à cette crise, nous avons organisé une conférence internationale, il y a deux semaines, dont les conclusions figurent sur notre site Internet. Nous avons évoqué le problème du vaccin marqué mais aussi celui des animaux rares, c'est-à-dire les espèces sauvages sensibles en captivité. Ainsi, les éléphants sont une espèce sensible et peuvent être abattus, dans le cas d'un foyer qui toucherait un zoo par exemple. Nous avons imaginé un dispositif nouveau pour protéger de tels animaux, des animaux en voie de disparition ou encore des animaux faisant l'objet de recherches scientifiques à long terme sur lesquels nous pourrions perdre un vaste acquis scientifique. Nous allons soumettre un nouveau concept, la compartimentalisation, qui imposerait aux pays d'isoler ces sites, voire autoriserait la vaccination sous certaines conditions. Toutefois, nous ne connaissons pas les vaccins pour les éléphants, il faut donc lancer des recherches.

Dans certains cas, effectivement, les vaccins marqués peuvent, dans les pays qui ont recours à la vaccination, faciliter le dialogue avec les pays importateurs. Ils permettraient en effet de reconnaître les anticorps liés aux animaux vaccinés et les différencier de ceux des animaux sauvages. Cependant, les difficultés techniques sont considérables. Il faut d'abord déterminer des marqueurs spécifiques à chaque souche virale et les tests, nécessaires à la détection des anticorps dans un prélèvement, doivent être également spécifiques à la souche. Or à ce jour, des laboratoires sont en train de mettre au point des tests mais ils ne sont pas dans le domaine public et leur validation officielle par la communauté internationale demandera du temps. Il est donc encore trop tôt pour nous fonder sur les vaccins marqués pour définir des politiques nouvelles en matière de vaccination.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez bien distingué les aspects scientifiques et économiques. Vous avez fait référence à des études économiques. Pourrions-nous avoir connaissance de ces études qui permettent de comparer le coût d'un programme de vaccination avec celui d'un programme de non-vaccination ? Ces études qui ont fondé les politiques qui s'appliquent actuellement nous permettrait de confirmer le bien-fondé de ces décisions.

M. Bernard Vallat - A ma connaissance il y a eu deux études : l'une conduite récemment par l'INRA fondée sur des simulations dont je vous communiquerai les références et l'autre réalisée par la Commission européenne dont je vous communiquerai également les références.

M. Paul Raoult - Avez-vous le sentiment que le commerce des animaux progresse ou qu'il est plutôt stagnant ? L'optique est bien celle du commerce, la tentation étant tout de même de vacciner. Quand nous rencontrons un éleveur, il nous demande pourquoi avoir supprimé la vaccination. Vous tentez de le convaincre qu'il ne faut pas vacciner mais, au delà des arguments scientifiques qui sont avancés, l'argument important est bien la commercialisation des produits. Pouvons-nous maîtriser la situation en décidant, par exemple, de vacciner les animaux qui demeurent sur le territoire mais de ne pas vacciner ceux destinés à l'exportation ? Telles sont les questions que nous nous posons. Nous entendons les arguments scientifiques mais ils nous laissent perplexes.

M. Bernard Vallat - Le commerce mondial des animaux vivants concernant les espèces sensibles à la fièvre aphteuse n'est pas en augmentation. Il concerne essentiellement des animaux à haute valeur génétique comme les reproducteurs. Cependant, la France constitue un cas particulier car elle est l'un des premiers exportateurs de bovins vivants du monde. Cela s'explique par la présence de zones montagneuses comme le Massif Central qui ont un avantage économique à produire des bovins maigres. En effet dans ces bassins, les sous-produits nécessaires pour engraisser les bovins ne sont pas accessibles aux mêmes conditions que dans les bassins céréaliers. Nos campagnes se sont donc spécialisées dans la production de bovins maigres avec deux clients principaux : l'Espagne et l'Italie. La France exporte plus d'un million de têtes de broutants et elle ne peut les exporter que vivants. Le contraire est impensable. En outre, les plaines importatrices de l'Italie, notamment la plaine du Pô, disposent d'excédents céréaliers et sont spécialisées dans l'engraissement de ces animaux. Il y a une complémentarité économique.

La France est donc particulièrement concernée par un usage éventuel de la vaccination qui lui interdirait sans aucun doute ces exportations. Le fait de vacciner une partie des animaux en France ferait courir le risque que le virus circule sans être visible sur les animaux vaccinés. Les pays importateurs refuseraient immédiatement de courir ce risque. D'ailleurs malgré la pression de Bruxelles, les broutards français ne partent toujours pas vers l'Espagne ou l'Italie. Ces derniers appliquent en effet le code de l'OIE qui n'autorise les exportations que trois mois après l'abattage du dernier animal malade. La France est actuellement en cours de négociation et on me demande d'intervenir pour débloquer une situation devenue dramatique pour les éleveurs du Massif Central. Aujourd'hui, les animaux qui n'ont pu être vendu ont acquis un poids qui les rend totalement invendables sur ces marchés. J'ignore comment se réglera ce véritable drame.

Le problème est donc bien plus aigu pour la France que pour d'autres pays qui n'ont pas fondé une partie de leur économie agricole sur l'exportation de bovins vivants. Les mêmes questions concernent les ventes d'agneaux vers l'Espagne. L'Espagne achète des agneaux pour les engraisser, notamment aux producteurs qui élèvent des brebis laitières pour fabriquer le fromage de Roquefort. Ceux-ci vendent les agneaux mâles.

M. Philippe Arnaud, président - Pourriez-vous nous fournir une copie du code de l'OIE ?

M. Bernard Vallat - Le plus simple est de vous rendre sur notre site Web qui contient un chapitre sur le Code zoosanitaire international et un chapitre sur la fièvre aphteuse.

Concernant la procédure de régionalisation, un chapitre du Code traite des conditions d'obtention de la régionalisation. Les décisions officielles de régionalisation sous l'égide de l'OIE nécessitent un examen par la Commission spécialisée et une confirmation par un vote du Comité international. Deux pays peuvent aussi s'entendre librement sur un mode de régionalisation sans recourir à une décision officielle de l'OIE. Un accord entre un importateur et un exportateur est tout à fait possible, à condition que les deux parties acceptent la procédure.

M. Monsieur Raoult - Comment la situation en Argentine peut-elle évoluer ?

M. Bernard Vallat - L'Argentine va être contrainte de reprendre une politique de vaccination générale et connue, compte tenu de l'ampleur de la maladie. Il est impensable, au stade où l'Argentine est arrivée, qu'elle abatte tous les animaux des foyers comme le fait le Royaume-Uni. Je pense que si le Royaume-Uni le fait, c'est parce qu'il a accès aux aides communautaires. L'Argentine n'est plus en mesure de pratiquer une politique sanitaire. Elle doit donc revenir à une politique médicale. Lors d'une réunion au Brésil, la semaine dernière, des interlocuteurs argentins m'ont indiqué qu'ils allaient revenir à leur politique d'il y a dix ans, c'est-à-dire qu'ils allaient de nouveau vacciner. Ils m'ont demander d'établir une zone tampon avant de demander, dans quelques années, le statut indemne sans vaccination pour le reste du pays. L'erreur qu'ils ont faite est peut-être de ne pas avoir défini plus tôt une zone tampon qui les protège des pays voisins. L'Uruguay est sérieusement indemne. Le risque provient surtout du Paraguay qui se déclare, par ailleurs, libre avec vaccination actuellement. La situation n'était pas claire dans cette région. L'Argentine renoue avec une politique plus réaliste et il faut les encourager.

M. Paul Raoult - Cela signifie qu'un grand pays exportateur de viande comme l'Argentine maintient la vaccination. Lorsqu'ils entendent cela, les éleveurs français se demandent pourquoi ils ne pourraient pas faire de même.

M. Bernard Vallat - Ils peuvent le faire parce qu'ils exportent uniquement des viandes désossées. Il leur est interdit d'exporter des carcasses. Il est absolument clair qu'un pays indemne avec vaccination ne peut exporter que des viandes désossées.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons largement évoqué les problèmes alimentaires et sanitaires ainsi que leurs effets. Que pensez-vous des effets indirects sur le reste de la filière, sur les produits agro-alimentaires comme les produits laitiers, par exemple les fromages, et des interdictions de commercialisation très ciblées ?

M. Bernard Vallat - Il est compréhensible qu'un pays importateur, lorsqu'il apprend qu'un pays libre devient infecté, avant de se mettre en ordre de bataille et de décider ce qu'il convient d'arrêter ou de poursuivre comme importations, dans un premier temps décide de tout bloquer. Cela peut se comprendre dans un premier temps et pour une brève période. Il n'y a jamais eu de contentieux international lié au blocage général des exportations suite à l'apparition d'une maladie. Ce n'est pas considéré comme anormal pour une période courte. En général, le pays importateur envoie une mission dans le pays exportateur, recherche des informations sur la gravité de la situation, sur les mesures prises et sur les perspectives d'évolution.

Il procède ensuite à une analyse du risque pour chaque espèce d'animal et chaque produit et affine, dans un second temps, les mesures de blocage qu'il a prises. C'est au cours de cette deuxième phase, si un pays importateur introduit des blocages injustifiés sur le plan scientifique, notamment pour certains fromages dont on sait que le processus de fabrication détruit le virus de la fièvre aphteuse, que le pays exportateur est en mesure de se plaindre et d'indiquer que la barrière est injustifiée. En Europe et aux Etats-Unis, nous avons ainsi assisté à des interdictions d'importation de céréales, suite à des cas de fièvre aphteuse, l'argument étant qu'un animal a pu se promener dans un champ de blé destiné à l'exportation. L'OIE est actuellement sollicitée par des pays d'Amérique Latine qui ont perdu leur commerce de céréales. La France a été victime de telles mesures à deux reprises et il nous a été demandé d'intervenir à Genève pour clarifier la situation. Nous l'avons fait récemment. Il y a donc des critères techniques qui interviennent mais aussi, à chaque fois, une surenchère difficile à expliquer.

M. Philippe Arnaud, président - Disposez-vous de données scientifiques ou d'éléments de jurisprudence permettant d'étayer les mesures qui ont été prises pour les fromages au lait cru ?

M. Bernard Vallat - Selon le Code de l'OIE, la France est aujourd'hui un pays infecté. Trois mois ne se sont pas encore écoulés depuis l'abattage du dernier animal exprimant la fièvre aphteuse. Les pays tiers peuvent donc légitimement empêcher la France d'exporter vers leur territoire un certain nombre de produits, dont les produits à base de lait cru. En effet, le lait non-thermisé est susceptible de contenir le virus de la fièvre aphteuse. En revanche, le lait pasteurisé et tous les fromages issus du lait pasteurisé ne devraient pas faire l'objet de restrictions à l'importation. C'est également le cas des produits à base de lait fermenté, le virus étant très sensible aux variations de pH. En revanche, en ce qui concerne les fromages, il existe une liste des fromages dont le procédé détruit le virus et une liste de ceux dont le procédé ne détruit pas le virus. Les listes sont normalement disponibles à l'AFSSA. Marc Savey pourrait vous renseigner.

M. Philippe Arnaud, président - Il semble qu'il y ait là un abus de restriction. Nul n'est en mesure de dire s'il existe un risque, au contraire. La plupart des scientifiques sont plutôt partisans de dire qu'il n'y a pas de risque.

M. Bernard Vallat - Nous pouvons dire que tout fromage fabriqué selon un procédé qui ne fait pas varier le pH est dangereux puisque c'est la variation de pH qui détruit le virus. Un fromage dont le procédé de fabrication ne détruit pas le pH est susceptible de contenir ou de préserver le virus de la fièvre aphteuse. En outre, le virus apprécie les conditions humides.

M. Philippe Arnaud, président - Nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre à notre invitation et surtout à toutes nos questions. Nous vous remercions d'accepter de nous transmettre tous documents utiles.

15. Audition de M. Dominique Grange, Directeur de la Fédération Française des Commerçants en Bestiaux

M. Philippe Arnaud, président - Si vous le voulez bien, nous allons entendre sans tarder M. le Directeur de la Fédération Française des Commerçants en Bestiaux. Que pensez-vous de la crise de la fièvre aphteuse que nous venons de vivre et que nous vivons encore sur le plan économique. Quels enseignements en tirez-vous ? Avez-vous personnellement des propositions à faire ?

M. Dominique Grange - Je vous remercie. Je dois tout de suite excuser le Président, Jean Mazet, ses engagements ne lui permettant pas de se libérer aujourd'hui. Il m'a demandé de le remplacer et je tenterai modestement de le faire. Afin de resituer correctement les choses, je me propose de vous présenter rapidement le commerce du bétail, qui n'est pas toujours très bien connu et souffre souvent d'une mauvaise image.

I. Le commerce du bétail

Les échanges d'animaux vivants existent depuis l'origine de l'homme. En effet, la possession d'animaux domestiques a longtemps été considérée comme un signe de richesse et les animaux ont toujours constitué une monnaie d'échange. Certains, par goût ou par compétence, en sont alors venus à se spécialiser dans cet échange : ainsi sont apparus les commerçants en bestiaux.

1. Evolution sectorielle

Il va sans dire que cette profession a dû s'adapter pour traverser les âges. La nécessaire adaptation a visé à satisfaire un certain nombre de nécessités économiques incontournables, qui peuvent être synthétisées en trois points :

• regrouper une production animale hétérogène et dispersée ;

• trier les animaux pour en faire des lots homogènes ;

• réexpédier les animaux vers des circuits de valorisation, où ils trouveront leur meilleur prix.

• Pour utiliser une image, la filière bétail viande, pendant un certain temps, a pu se trouver représentée sous la forme d'un sablier. Elle constituait un système relativement équilibré, comprenant les éleveurs en haut du sablier, les négociants juste en dessous et les abatteurs au niveau du goulot d'étranglement ; dans la partie inférieure résidaient ensuite les grossistes, les bouchers puis, tout en bas, les consommateurs. Or il se trouve qu'en une quinzaine d'années, cette physionomie a totalement changé puisque nous sommes passés d'un sablier à un verre à pied. Dans ce dernier, les éleveurs occupent toujours le niveau supérieur, tout en s'étant concentrés et spécialisés, et les négociants la strate juste en dessous ; l'on trouve ensuite les abatteurs mais ceux-ci ne constituent plus le goulot d'étranglement, qui se trouve occupé, lui, par la grande distribution -- or il faut savoir que c'est la profession qui gère ce niveau du goulot d'étranglement qui maîtrise, en quelque sorte, l'ensemble de la filière -- ; ensuite viennent les bouchers, qui sont nettement moins nombreux qu'auparavant, puis, tout en bas, les consommateurs. Telle est donc l'évolution physionomique du secteur dans lequel nous travaillons...

M. Philippe Arnaud, président - Pourrions-nous disposer des croquis que vous venez de réaliser ?

M. Dominique Grange - Je vous les remets volontiers.

2. Cadre fiscal et administratif

J'ajoute que le commerçant en bestiaux est tout de même, quoi qu'on en dise, un professionnel transparent. Sur le plan fiscal, effectivement, il est assujetti à la TVA depuis 1971 et remplit donc régulièrement des déclarations de chiffre d'affaires. Ses comptes sont d'autant plus fréquemment contrôlés qu'il doit tenir une comptabilité matière, qui l'oblige à suivre toutes les transactions animal par animal en ce qui concerne les bovins et par lot pour ce qui touche aux ovins (puisqu'il n'y a pas d'identification individuelle suffisamment poussée à ce niveau). En outre, cette comptabilité matière doit être tenue quotidiennement et pour l'ensemble de l'activité, qu'il s'agisse de négoce ou, le cas échéant, d'élevage. Dans ce cadre, néanmoins, il n'est pas rare que le commerçant en bestiaux fasse application de l'article 155 du code général des impôts, qui lui permet de regrouper ces deux activités en une comptabilité unique. Par ailleurs, s'il est exportateur ou s'il remplit une activité d'exportation, il peut être autorisé à acheter en suspension de TVA, sous contrôle de l'administration fiscale. Enfin, le commerçant en bestiaux doit délivrer aux douanes des déclarations d'échange de biens mensuelles ainsi qu'une déclaration récapitulative annuelle.

L'encadrement fiscal et douanier apparaît donc important. Quant au plan vétérinaire, il y a obligation d'avoir un centre de rassemblement agréé par la DSV pour le tri et l'allotement des animaux expédiés vers un autre Etat membre ; pour ceux qui travaillent uniquement sur le marché national, une simple déclaration d'existence auprès des services vétérinaires est nécessaire, ce qui induit la nécessité de se faire enregistrer auprès des services vétérinaires.

3. Structure économique et activité

Le commerce du bétail concerne de petites structures. Il s'agit souvent d'entreprises familiales, très bien implantées dans le milieu rural et proches des éleveurs. Il est même fréquent que les commerçants soient eux-mêmes éleveurs. Globalement, l'on en recense 1 500 sur la France, qui représentent environ 40 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel pour un chiffre d'affaires unitaire moyen de 26 millions de francs. Elles représentent quelques 13 000 emplois, parmi lesquels -- c'est une particularité -- 3 000 emplois non salariés. Le chiffre d'affaires moyen, relativement élevé, ne doit pas occulter le fait qu'il tient compte du prix unitaire élevé de la marchandise. Quant à la marge, elle est très faible puisqu'elle oscille entre 7 % et 8 % en brut et 2 % en net.

Le commerçant en bestiaux est un grossiste. Sa fonction demeure peu ou mal perçue, dans la mesure où pour le commun des mortels, rien ne ressemble plus à un bovin qu'un autre bovin. Pourtant, constituer des lots ne se limite pas à regrouper les animaux par taille ou par couleur. Il s'agit surtout de « scanner » ou d'analyser un animal, afin de déterminer son potentiel en vue d'une orientation vers la filière adéquate. A ce sujet, dans un contexte d'accroissement du nombre de filières dites qualité (dont les cahiers des charges s'avèrent toujours plus exigeants), les abatteurs reconnaissent, dans la plupart des cas, que les commerçants en bestiaux répondent pour 95 % correctement à ces cahiers des charges. Cela prouve qu'ils ont l'oeil bien affûté !

Plus précisément, il existe des cycles de formation. Vous en trouverez deux dans le dossier que je joins, qui dispensent une formation d'acheteur-estimateur de bestiaux (l'un à côté de Rennes, dans le CFPPA du Rheu ; l'autre à Figac). Ceux qui suivent ces formations n'ont, jusqu'à présent, jamais rencontré de difficulté pour trouver un emploi. Au contraire, ils sont recherchés, les formateurs se trouvant régulièrement contactés en ce sens aussi bien par des entreprises privées que par des coopératives...

M. Gérard César - Quel est le cycle de formation ? S'agit-il d'une formation en alternance ?

M. Dominique Grange - Un CFPPA s'étale sur six mois en continu. Il s'agit d'une formation à la fois pratique et théorique .

Pour ce qui est de son activité, le commerçant en bestiaux travaille essentiellement au niveau national. Ses partenaires sont les éleveurs, les abatteurs et les exportateurs -catégorie que le langage communautaire qualifie plutôt d'expéditeurs. Même si l'on ne parle pas réellement d'exportations à ce niveau, il faut savoir que nous exportons, annuellement, environ 1,6 million de bovins vivants -- dont 1 million vers l'Italie (qui s'avère notre principal débouché), 300 000 têtes vers l'Espagne puis, à des niveaux nettement inférieurs, vers d'autres pays de la Communauté (Grèce, Allemagne, etc.). Dans l'ensemble, la Communauté représente 95 % de nos débouchés mais aussi de notre marché (dans la mesure où nous importons également des pays communautaires). Pour l'anecdote, nous sommes actuellement, en France, en période creuse de vêlage, ce qui justifie que nous importons les veaux dont nous avons besoin d'Italie ou d'Allemagne (autrefois de Grande-Bretagne). Cela concerne essentiellement les bovins et les moutons. Les porcs, eux, sont tellement standardisés que les quelques marchés au cadran qui perdurent procèdent davantage à des ventes sur catalogue que sur présentation physique d'animaux vivants.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - En d'autres termes, tout est intégré.

M. Dominique Grange - Oui. Du moins, c'est tellement spécialisé ou centralisé que les ventes sur catalogue sont, aujourd'hui, monnaie courante. Cependant, la production n'est pas suffisamment standardisée au niveau des bovins. Il existe encore une diversité importante entre le cheptel laitier et le cheptel allaitant. Les demandes et les besoins demeurent différents .

Après cette rapide présentation de notre secteur, j'en viens aux incidences des crises.

II. LES CRISES RÉCEMMENT TRAVERSÉES

Il ne faut pas oublier, effectivement, que notre profession a été confrontée à deux crises : la crise de l'ESB, d'une part ; la crise de la fièvre aphteuse, d'autre part.

1. Crise de l'ESB

La crise de l'ESB, fin 2000, a profondément ébranlé les secteurs de l'élevage, de la commercialisation mais aussi de la consommation. Les effets d'annonce sur le retrait de tel ou tel produit au nom du principe de précaution ont induit des doutes chez les consommateurs. En outre, un certain nombre d'états membres ont alors fermé leurs frontières et pris des mesures d'embargo vis-à-vis du cheptel ou de la viande française (notamment l'Espagne, l'Italie et l'Autriche). Tout cela a alourdi notre marché, sans compter qu'une campagne médiatique quelque peu exacerbée s'est développée. La population des consommateurs, de plus en plus urbaine, a tendance à perdre contact avec la campagne et les problèmes de l'élevage et à assimiler le mauvais traitement aux animaux à un mauvais traitement à un être vivant (notamment dans le cadre du transport). Pourtant, les animaux vivants n'en demeurent pas moins une marchandise !

Par ailleurs, la mise en place des tests dans tous les pays de la Communauté à partir du 1 er janvier et la découverte de cas d'ESB dans un certain nombre d'états membres qui se vantaient, jusque là, d'être totalement protégés ont induit une réaction de peur de la part des consommateurs de ces pays : nous avons assisté à des chutes de consommation de l'ordre de 50 % à 70 % en Allemagne, Italie et Espagne, ce qui a provoqué un nouveau coup d'arrêt dans les échanges avec nos partenaires.

2. Crise de la fièvre aphteuse

C'est dans ce contexte déjà fortement perturbé qu'est arrivée la crise de la fièvre aphteuse. Malgré une légère embellie début janvier, pendant laquelle nous avons pu recommencer à exporter un peu, toutes les frontières ont été fermées fin janvier pour les raisons exposées précédemment et la fièvre aphteuse est apparue en février en Grande-Bretagne, induisant toutes les mesures de restriction aux échanges prises tant au niveau communautaire qu'au niveau français. De mémoire de négociants comme d'éleveurs, nous n'avions jamais connu un tel panel de mesures d'interdiction ! Auparavant, en effet, lorsque des cas de fièvre aphteuse apparaissaient dans un pays de la Communauté, des zones de surveillance et de protection de trois et dix kilomètres étaient créées, autour desquelles la libre circulation était maintenue. Cette année, pour prendre le cas de la France, deux foyers sont apparus, qui ont suffi à interdire tout mouvement d'animaux sur l'ensemble du territoire (interdiction des marchés, des centres de rassemblement, des collectes de ferme en ferme...). Cela a totalement perturbé nos activités.

3. Mesures mises en place

Le nouveau train de mesures mis en place par Bruxelles a exigé que les échanges intracommunautaires, jusqu'alors totalement libres, soient soumis à l'autorisation des services vétérinaires du pays destinataire de la marchandise, en accord avec le pays expéditeur. Autant dire que rien n'a circulé pendant deux mois ! Ce n'est qu'aujourd'hui que les animaux commencent à pouvoir quitter le territoire français en direction de l'Italie. Nous sommes toujours, au moment où je vous parle, soumis à des mesures de dérogation lourdes. Les mesures ont donc revêtu un caractère indubitablement exceptionnel.

En tant que professionnels du bétail, nous n'avons jamais contesté ces mesures. Notre objectif n'est pas de le faire. Simplement, si nous convenons de la nécessité d'une protection, nous souhaitons demeurer dans un cadre raisonnable. Nous savons maîtriser les choses. Nous pouvons rendre hommage, à ce sujet, au travail des services vétérinaires. Compte tenu de la quantité d'ovins importés en prévision de la fête de l'Aïd el Kébir du 6 mars -- l'interdiction de tout mouvement étant survenue le 7 mars --, les risques potentiels étaient énormes ; or nous n'avons connu que deux foyers. Il faut reconnaître que les services vétérinaires comme les négociants ont parfaitement joué le jeu, la comptabilité matière dont je vous parlais tout à l'heure ayant permis de remonter les filières pour retrouver certains cheptels et procéder à des abattages d'urgence ou de précaution.

M. Gérard César - A propos de l'Aïd el Kébir, nous avons appris que certains entrepôts, autour de Paris, recevaient des moutons. Est-ce que vous y êtes pour quelque chose ou s'agissait-il de commerces parallèles ou sauvages ?

M. Dominique Grange - Le problème est complexe. Nous avons à faire à une tradition religieuse qu'il faut satisfaire. En effet, si elle ne correspond pas aux principes sanitaires d'abattage en vigueur -ce qui induit des critiques au niveau de la Communauté Européenne-, cette demande n'en touche pas moins à un rite et à une tradition.

Il est besoin, pour un jour donné, d'une très grande quantité de bêtes. Malgré des tentatives d'accords avec des services vétérinaires (visant à faire rouvrir des abattoirs), la pression est telle, compte tenu de l'importance de la population musulmane sur notre territoire, que les lieux d'abattage s'avèrent insuffisants. Peut-être n'en agréons-nous pas suffisamment car du côté de nos professionnels, les demandes d'ouverture d'abattoirs -même non agréés- sont nombreuses. De telles ouvertures permettraient au moins de disposer de lieux de rassemblement pouvant accueillir un vétérinaire mandaté pour vérifier l'état sanitaire de l'animal avant le sacrifice. Il est certain que suite à un relatif laisser-faire, certains animaux ont été vendus à des personnes s'avérant être non pas des éleveurs de moutons mais de véritables commerçants. Quelques-uns uns d'entre eux s'en sont défendus, prétextant disposer d'animaux en dépôt-vente. Ceci ne correspond pourtant pas aux pratiques professionnelles en vigueur. C'est là un dossier qu'il nous faudra absolument revoir, dans l'idée de tirer les enseignements de cette crise.

Se pose également la question de savoir pourquoi importer des moutons de Grande-Bretagne. Certes, notre production nationale de moutons s'avère nettement insuffisante, avec 140 000 tonnes produites face à une consommation nationale de 305 000 tonnes. En effet, la France est pratiquement le plus grand consommateur européen de viande ovine. Nous comblons ce déficit de 165 000 tonnes par un commerce avec les Pays-Bas (404 000 têtes importées chaque année), le Royaume-Uni (260 000 tonnes), l'Espagne (130 000 tonnes) puis le Royaume-Uni (83 000 tonnes), l'Irlande (44 000 tonnes) et la Nouvelle Zélande (31 000 tonnes).

Suite à l'arrêté qui a été pris, en France, pour interdire tous les mouvements, l'activité du négoce s'est trouvée paralysée pendant quasiment deux mois (deux mois et demi pour ce qui concerne l'exportation) -- mars et avril. Comme je l'ai dit, nous commençons à peine à exporter de nouveau des animaux et ce uniquement vers l'Italie. Les données chiffrées que nous avons recueillies auprès d'un certain nombre de nos adhérents indiquent que les entreprises spécialisées en commerce national ont enregistré de 35 % à 40 % de baisse d'activité sur six mois. Dans l'Aveyron, par exemple, la comparaison des chiffres d'affaire de novembre à mars entre les années 1999 et 2000 fournit les taux suivants : -33 % en novembre (en lien à la crise de l'ESB), -25 % en décembre, -17 % en janvier suite à une légère reprise d'activité puis -36 % en février et -65 % en mars. En moyenne, le syndicat de l'Aveyron, qui représente une quarantaine d'entreprises, a donc subi une chute de 36 % de son chiffre d'affaires ! (Je vous laisse quelques tableaux reflétant l'action logistique du négociant dans la répartition sur le territoire national.)

Les enseignements de la crise, eux, sont les suivants.

III. LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS

La fête de l'Aïd el Kébir constitue le premier enseignement.

Le second enseignement touche au risque de renationalisation du marché, que nous avons pu connaître, sous prétextes vétérinaires, à travers la décision du Comité Vétérinaire Permanent (CVP) de n'autoriser les échanges qu'en accord avec les services vétérinaires du pays destinataire. Nous en revenons là à une sorte de renationalisation du marché et à un manque de fluidité dans les échanges. Il conviendrait, en revanche, de mieux régionaliser les zones autour des foyers : si nous prenons le cas de l'Orne et de la Mayenne, par exemple, la zone pourrait consister en ces deux départements complétés, peut-être, des deux départements limitrophes. Or l'Italie, en rouvrant ses frontières, a imposé des conditions drastiques, en interdisant toute expédition d'animaux depuis une zone couvrant les pays de Loire, la Bretagne, les Haute et Basse-Normandie, le Pas-de-Calais, le Nord, la Région parisienne et deux départements du Centre. C'est tout de même une zone de protection extrême par rapport aux deux départements effectivement touchés !

Un autre problème concerne la procédure administrative. Une décision prise au niveau du CVP tel jour ne se trouve publiée au Journal Officiel communautaire que huit jours plus tard. Plus avant, la France a besoin de huit jours supplémentaires pour publier l'arrêté correspondant. Il y a donc un effet d'annonce immédiat par la presse, qui contraste avec la quinzaine de jours nécessaires à l'entrée en vigueur de la décision concernée.

Un autre enseignement tient dans la nécessité d'une bonne harmonisation dans l'identification des animaux, surtout pour ce qui touche aux ovins (qui constituent une part importante de nos échanges). S'il existe une identification ovine en France, il n'existe pas, actuellement, d'identification harmonisée au niveau communautaire. Certains pays se contentent donc simplement, le jour de l'expédition, de mettre une boucle aux animaux partants sans traçabilité aucune. C'est pourquoi nous sommes demandeurs d'une harmonisation communautaire à la fois de l'identification ovine et de son application. Ceci éviterait que les pratiques de certains mauvais élèves ne se trouvent reconduites (je pense, notamment, au Royaume-Uni et à l'Allemagne, qui paraît pourtant si rigoureuse sur son marché intérieur).

Tels sont donc les enseignements à tirer. Quant aux aides aux entreprises, il s'agit d'une démarche que notre Fédération a entreprise avec le Ministère de l'Agriculture.

M. Philippe Arnaud, président - Merci, Monsieur le Directeur. Avant d'en venir aux questions puis de donner la parole à notre rapporteur, je voudrais revenir sur deux points. Tout d'abord, vous avez évoqué les élevages concentrés en région parisienne à la veille des fêtes musulmanes. Que fait le Ministère de l'Intérieur sur ce point ? Quelle est la surveillance mise en place ? Enfin, quelles sont vos relations en tant que négociants ?

M. Dominique Grange - Le problème est que le Ministre de l'Intérieur, qui est également le Ministre des cultes, ne dispose pas en face de lui, dans le cadre du culte musulman, d'un interlocuteur représentatif tel qu'il peut l'avoir avec la religion catholique comme avec la religion juive. En effet, il se trouve confronté, ici, à une multitude d'organisations en conflit les unes avec les autres. Il doit donc négocier avec une multitude de structures. En outre, au niveau du terrain, ces diverses organisations ont vite compris que cette fête de l'Aïd el Kébir constituait un moyen d'obtenir des subsides en négociant leur reconnaissance de tel ou tel opérateur spécialisé disposant d'un centre agréé.

M. Philippe Arnaud, président - Cela expliquerait-il que l'on trouve des agneaux à 1 700 francs ?

M. Dominique Grange - 1.700 francs, je ne sais pas. J'ai entendu parler de 1.200 francs.

Vous avez besoin, un jour donné, d'un animal. Cette année et pour la première fois, me semble-t-il, le Recteur de la Mosquée de Paris a annoncé que le mouton n'était pas obligatoire mais que l'on pouvait sacrifier ou partager un poulet, par exemple. Le problème de ce contrôle sanitaire relève du Ministère de l'Agriculture, de la DGM et, souvent, des préfectures. Or malheureusement, les préfectures se trouvent tiraillées entre une communauté qui peut être très importante aux abords de certains centres urbains et un manque d'abattoirs. Que faire ?

M. Philippe Arnaud, président - Par ailleurs, vous avez évoqué la nécessité d'une meilleure définition des zones à exclure temporairement des mouvements en cas de crise de ce type. J'ai cru comprendre, dans votre exemple, que l'Italie avait décidé d'exclure toute la partie nord de la Loire. L'Italie est-elle maîtresse de sa décision ?

M. Dominique Grange - Les choses se sont passées comme suit. L'Italie a pris une ordonnance interdisant l'importation de tout agneau d'origine française jusqu'au 18 mai. Nous sommes alors intervenus auprès de nos collègues importateurs italiens, en leur demandant d'intercéder auprès de leurs services pour faire ouvrir les frontières. Parallèlement, nous avons demandé à Jean Glavany et à Lionel Jospin d'agir en ce sens auprès de leurs homologues italiens, dans la mesure où les deux pays s'avèrent des partenaires privilégiés dans ce secteur. Les Italiens ont convenu de faire un effort sous leurs conditions et ils ont ainsi pris une nouvelle ordonnance, par laquelle ils ont eux-mêmes défini la régionalisation en question. Par la, suite, un protocole bilatéral a été conclu entre les services vétérinaires français et italiens, par lequel les services vétérinaires italiens ont demandé, en supplément, des tests sérologiques de recherche d'anticorps sur un certain pourcentage d'animaux expédiés vers leur pays. Or il n'est qu'un seul laboratoire agréé pour faire ces analyses, en France (celui de Maisons-Alfort), alors qu'il existe presque 300 centres de rassemblement agréés pour l'expédition.

M. Philippe Arnaud, président - Est-ce que vous avez les ordonnances italiennes ?

M. Dominique Grange - Je ne les ai pas ici mais je peux vous les faire passer.

M. Philippe Arnaud, président - Merci. Monsieur le Rapporteur...

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - La première question que je souhaite poser consiste à savoir quelles sont les conditions à remplir pour être négociant en bestiaux. Y a-t-il un diplôme à obtenir ou peut-on s'installer comme tel facilement (dans le cadre français, tout d'abord, puis aux niveaux communautaire et mondial) ? Par ailleurs et sans chercher à faire le procès de quiconque, il apparaît que la fièvre aphteuse est arrivée en France par le biais d'un négociant. Or vous avez évoqué le problème de l'identification des animaux. L'on sent bien que dans le contexte de l'Union Européenne, une évolution semble nécessaire -surtout au niveau des ovins. D'autre part, en termes d'activité, quel est le pourcentage que vous réalisez sur les marchés ou en fermes et quel est, à votre avis, l'avenir de ces marchés ?

Une autre question concerne les centres de transit pour les animaux en provenance de l'Union Européenne : faut-il qu'ils soient placés dans une région d'élevage ? Chacun attend avec impatience que l'Italie rouvre ses frontières. Or vous connaissez comme moi les fluctuations des cours. Comment bâtir l'avenir d'un élevage, en France, à partir de fluctuations telles ? Enfin, il semble qu'il faut mettre en place une traçabilité efficace et importante. Comment votre profession réagit-elle par rapport aux labels, aux AOC ou aux indications géographiques protégées ?

M. Dominique Grange - Pour ce qui concerne la qualification ou l'installation des négociants en bestiaux, il n'existe pas de numerus clausus ni de diplôme obligatoire. Cependant, une véritable compétence professionnelle me paraît indispensable dès lors qu'il est question de durer dans le temps.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ne faudrait-il pas aller vers une certaine qualification ?

M. Dominique Grange - Des centres de formation existent et nous poussons à leur fréquentation mais il n'y a pas d'obligation de diplôme.

M. Gérard César - N'est-ce pas l'intérêt de la profession ?

M. Dominique Grange - C'est tout à fait son intérêt. Néanmoins, comme je vous le disais, on ne s'installe pas dans cette profession du jour au lendemain, compte tenu des déclarations fiscales ou sanitaires à remplir auprès des services départementaux. En conséquence, je ne pense pas que l'administration fiscale ou sanitaire puisse dire qu'elle ne connaît pas les commerçants en bestiaux de son département.

Cela fait de nombreuses années que je travaille dans cette Fédération. Je me souviens de la mise en place de la TVA et de la révolution que cela a induit. Lorsque les négociants ont dû adopter une comptabilité en réel, certains ont cessé leur activité ! L'euro constituera déjà une nouvelle révolution pour eux. Au niveau des échanges intracommunautaires, vous êtes obligés d'avoir un centre de rassemblement agréé. Les conditions demandées en vue de pouvoir effectuer des échanges incitent à avoir la liste des centres agréés. Pour reprendre l'exemple des échanges avec l'Italie, il a fallu dresser cette liste et nous l'avons communiquée aux services vétérinaires : on y recense plus de 300 centres sur l'ensemble de la France. Cela, c'est donc une première chose.

D'autre part, vous relevez que chacun se tourne vers l'Italie. Il ne faut pas oublier que nous exportions de nombreux veaux vers l'Italie, pays quelque peu atypique en Europe puisqu'il se révèle grand consommateur de viande mais très faible producteur. Surtout, l'Italie ne dispose pas de surface en herbe qui lui permette d'avoir de l'élevage allaitant alors que c'est précisément le type de viande qui y est demandé. Ceci explique que tout le massif central, en tant que zone spécialisée en élevage allaitant, adopte l'Italie comme débouché prioritaire. Si l'Espagne, par exemple, constitue un autre pays acheteur pour nous, elle ne demande pas la qualité qu'exige l'Italie mais se fonde sur le prix. L'Italie, elle, se concentre sur la qualité de la viande. Par ailleurs, le marché italien représente tout de même, pour nous, un million de têtes chaque année, ce qui est extrêmement important.

Au niveau des pays tiers, nous n'avons quasiment pas de marchés, à l'exception du Liban, pour des animaux tout venant ou destinés à l'abattage, et le Maghreb (essentiellement le Maroc, l'Algérie et, dans une moindre mesure, la Tunisie) pour des génisses pleines. Or ces pays ont fermé leurs frontières depuis le mois d'octobre et ne semblent pas prêts de les rouvrir, ayant subi les mêmes campagnes médiatiques que nous contre la viande bovine.

En ce qui concerne les centres de transit, vous vous demandez pourquoi les situer dans des zones d'élevage. Les commerçants en bestiaux, en France, se répartissent dans les zones d'élevage parce que ce sont des zones d'approvisionnement...

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ce n'est que dans le cadre des accords, pour éviter la contamination.

M. Dominique Grange - Les problèmes sanitaires apparaissent toujours lors d'un déplacement -n'importe quel vétérinaire vous le confirmera. Un animal est toujours porteur sain de quelque chose. Lors d'un déplacement, moment de stress, l'animal se révèle plus fragile. C'est pourquoi nous avons parfois du mal à faire passer certaines choses, même aux services vétérinaires français lorsque ceux-ci nous demandent, par exemple, de rassembler les animaux 24 heures à l'avance pour effectuer une prise de sang puis d'attendre patiemment les résultats. Ceci s'avère impossible à faire économiquement ! Nous ne pouvons concevoir que de faire des prélèvements dans tel élevage, d'attendre les résultats puis de rassembler les animaux pour les expédier. Il faut que les animaux aillent directement du point de rassemblement à leur destination.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - A ce sujet, comment voyez-vous les choses pour les animaux qui vont à la boucherie ? Est-ce qu'on ne va pas vers un transport de carcasses plutôt que d'animaux vivants ?

M. Dominique Grange - Il y a deux choses.

Le bien-être, à mon sens, est un problème de pays riche. Pendant la guerre, il n'y avait pas de transport : les animaux se déplaçaient « à pied » et cela fonctionnait très bien. Les animaux voyagent parfaitement. Parmi le million de bêtes que nous expédions en Italie, certaines sont grasses et vont s'y faire abattre. Pourquoi des pays achètent-ils des animaux gras pour les faire abattre chez eux ? Pour faire tourner leurs outils d'abattage et disposer des sous-produits ainsi que d'une certaine souplesse. En effet, il est fréquent d'envoyer un camion plein de veaux d'Aveyron prêts à être abattus, par exemple. Néanmoins, les abatteurs, disposant de circuits de distribution des carcasses relativement limités, mettent souvent ces veaux en attente dans une étable, pour les abattre au fur et à mesure de leurs besoins. Cela assure une certaine fluidité et une certaine régularité dans l'approvisionnement.

Par ailleurs, il faut être certain qu'il n'y a pas de problème au niveau de la chaîne du froid. Dans certains cas, les carcasses qui doivent sortir de l'abattoir à une certaine température en sortent à une température nettement plus élevée, le temps du transport en camion étant censé la faire baisser. Ceci ne constitue pas une solution sanitairement bonne. Il peut s'ensuivre des problèmes de listériose, etc.

Les centres de transit seront sans doute de plus en plus contrôlés et normalisés. Quoi qu'il en soit, depuis dix années que nous avons stoppé la vaccination contre la fièvre aphteuse et dans un contexte d'amplification constante des mouvements d'animaux, c'est la première fois que nous rencontrons deux cas de fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud - Merci beaucoup, Monsieur le Directeur, d'avoir répondu à nos questions.

16. Audition de M. Georges Bedes, président de la première section du Conseil Général Vétérinaire

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons, à présent, le Président de la première section du Conseil Général Vétérinaire.

Si vous le voulez bien, pouvez-vous nous faire part de votre analyse en ce qui concerne la crise de fièvre aphteuse que nous venons de traverser et, notamment, les perspectives qui s'en dégagent ? Auparavant, il serait toutefois utile que vous rappeliez, en quelques mots, quelle est la fonction du Conseil Général Vétérinaire.

M. Georges Bedes - Le Conseil Général Vétérinaire est une instance consultative de veille qui peut s'auto-saisir ou être saisie à la demande du cabinet du Ministre ou de certains directeurs généraux. Elle constitue, de ce fait, une très grande force de proposition. C'est, du moins, ce que nous avons recherché en changeant sa structuration l'an dernier. Ceci explique la légère confusion qui existe puisque du fait de ce changement de structuration, c'est le Président de la troisième section -- technique -- que vous auriez dû interroger. Néanmoins, je pense pouvoir répondre à vos questions de par mes fonctions antérieures. En effet, j'ai été inspecteur territorial pendant cinq années et, auparavant, Chef des services vétérinaires français et Sous-Directeur santé animale, hygiène alimentaire et DSV. En outre, c'est lorsque j'étais aux affaires que j'ai mis en oeuvre l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse. Enfin, j'ai participé, très récemment, à la mission d'aide aux services britanniques mise en place par le Ministère de l'Agriculture à la demande du Premier Ministre.

M. Philippe Arnaud, président - En tant que spécialiste, quelles leçons tirez-vous de la crise que nous venons de vivre -- qui n'est sans doute pas totalement terminée ?

M. Georges Bedes - La leçon que j'en tire est qu'une fois encore, il y a un grave problème de maladie contagieuse. La première raison tient dans l'existence, à l'origine, d'un circuit que nous ne connaissions pas en matière de BSE (pouvons-nous parler de fraude à ce sujet ?) ; la deuxième raison touche au fait qu'il y a mouvement d'animaux. Sur ce dernier point, il faut, effectivement, que des mouvements d'animaux aient lieu. Néanmoins, il convient de se demander, comme je le disais déjà il y a dix ans de cela au niveau de la FAO, si nous pourrons continuer longtemps à transporter des animaux vivants comme nous le faisons.

En effet, compte tenu des rendements bouchers, nous transportons quantité d'animaux vivants dans des conditions parfois difficiles. Or ce sont bien les animaux vivants -- et non réellement les aliments -- qui se révèlent agents de transmission des maladies. Certains prétendent que les cas de fièvre aphteuse, en Grande-Bretagne, seraient dus à des déchets de plateaux-repas. Je n'y crois pas. Le fait est que nous étions en période de préparation de l'Aïd el Kébir et qu'il y avait donc un commerce important de moutons. Or vous savez comme moi ce qui se passe lorsque certains animaux sont bradés : un trafic frauduleux se met en place.

M. Philippe Arnaud, président - Vous identifiez donc deux raisons : le mouvement des animaux, d'une part (qui pose la question de savoir si nous pouvons continuer à transporter des animaux vivants comme nous le faisons) ; la fraude, d'autre part.

Pour ce qui concerne la fraude, les relations intracommunautaires sont fondées sur la confiance réciproque. Les services vétérinaires des différents pays membres doivent être en situation d'exercer un contrôle interne et une surveillance étroite. Cependant, il semble que dans les relations avec la Grande-Bretagne, notamment, le marquage des animaux se fasse uniquement au moment du départ, ce qui empêche toute traçabilité. Le cadre étant celui de la confiance réciproque, les pays de la Communauté n'effectuent pas de contrôle systématique à l'arrivée. Est-ce que ceci relève de la fraude ou plutôt d'une insuffisance ?

M. Georges Bedes - Cela ne relève pas de la fraude mais d'une insuffisance dans le niveau de qualité des services de contrôle. Des services vétérinaires efficaces devraient être capables de contrôler leurs mouvements d'animaux, ce qui induit la nécessité d'un recensement puis d'une identification fiable de ces animaux.

Comme je vous le disais, j'ai participé à la mission d'aide en Grande-Bretagne. Il a fallu 48 heures pour que les Britanniques se décident à me conférer une relative autonomie sur leur territoire, en me confiant quotidiennement une liste de cheptels à visiter. Sans doute ne leur tardait-il pas que je perçoive la situation exacte. Figurez-vous que dans certains cas, c'est nous qui leur avons appris de quel type de cheptel il s'agissait ou, au contraire, que l'élevage en question n'existait plus depuis plusieurs années ! Nous avons même découvert, près de Gloucester, un élevage de quelques mille porcs non recensé. J'en conclu donc qu'il n'existe pas de recensement, en Grande-Bretagne, et que l'identification s'y trouve limitée -- à mon sens en vue de profiter des fonds du FEOGA.

J'irai plus loin. Lorsque Henry Nallet a négocié l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse, il a fixé un certain nombre de préalables à cet accord : s'assurer de la valeur des services vétérinaires ; mettre au point des plans d'urgence ; constituer en réserve des banques de vaccins ; enfin, monter le niveau de contrôle au niveau des frontières de la Communauté. Ces quatre dispositions ont été mises en oeuvre au nom de la subsidiarité et selon des vitesses d'application tout à fait différentes.

Permettez-moi, néanmoins, de préciser la chose suivante, dont j'ai souffert pendant cinq ans et qui se répète en matière de BSE : les postes techniques de la commission en place -- c'est-à-dire les services vétérinaires -- étaient principalement tenus par des Anglo-Saxons, lesquels n'avaient de cesse de brandir la prétendue performance de leur système d'épidémiosurveillance. Or le Danemark est un petit pays et la Grande-Bretagne une île. Le système de surveillance en question, pour adapté qu'il ait pu paraître à une île, s'est avéré insuffisant. En outre, ce qui me désole le plus est que l'Office d'Inspection Vétérinaire, situé à Dublin, se serait rendu en Grande-Bretagne au début de la crise et aurait conclu que ce qui s'y trouvait mis en oeuvre s'avérait nettement suffisant.

Pour notre part, nous avons discrètement rédigé un rapport, qui relève des points curieux...

M. Philippe Arnaud, président - Pourrions-nous prendre connaissance de ce rapport ?

M. Georges Bedes - Il appartient, pour le moment, au Ministre.

Personnellement, les points qui m'inquiètent sont les suivants. La fièvre aphteuse est très contagieuse et difficilement décelable. Or la Grande-Bretagne dénombre une quantité importante de moutons. Le problème peut donc perdurer longtemps. D'autre part, dans un contexte de non-recensement et d'insuffisance d'identification, il convient de s'interroger sur la valeur de la certification des animaux vivants. Il se trouve qu'un mois avant le cas de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne, je délivrais une conférence à de très hauts fonctionnaires et leur expliquais que notre travail n'était pas terminé et que nous pouvions vivre, d'un jour à l'autre, une catastrophe de type fièvre aphteuse.

Etant donné ce qui s'est passé, nous ne sommes raisonnablement pas à l'abri d'un autre foyer. Il suffit qu'un commerçant indélicat s'achalande en moutons bradés pour que cela recommence. Il nous faut porter attention au noyau européen de la fièvre aphteuse, lequel est constitué des républiques du sud de l'ex-URSS et du Moyen-Orient. A un moment, les événements kurdes faisaient qu'on ne pouvait pas lutter contre la fièvre aphteuse, en dépit des moyens de la FAO ou des plans de lutte mis en place.

M. Philippe Arnaud, président - Disposez-vous d'éléments -- documents, cartographies -- sur ces points-là ?

M. Georges Bedes - La Commission de lutte contre la fièvre aphteuse en Europe, au niveau de la FAO, dispose de ces documents. Messieurs Cheneau et Le Forban, respectivement Chef de la santé animale au niveau de la Direction de l'Agriculture de la FAO et Directeur de la Commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse, pourraient vous en dire plus.

Quant à la situation française, mon point de vue est que notre plan, finalement, a fonctionné, même s'il s'est avéré quelque peu difficile, au début (en 1991), de mobiliser les préfets sur cette affaire. Le plan a été appliqué à la lettre, malgré la gêne qu'il a induite auprès de nombreuses personnes, notamment les opérateurs du monde de la viande, les marchands de bestiaux et les agriculteurs. Les raisons de son succès tiennent, à mon sens, d'une part dans le fait que les services vétérinaires français disposent de moyens supérieurs à ceux de leurs homologues britanniques, d'autre part dans la tradition de coopération entre le monde agricole, le monde de l'élevage et la fonction publique. En effet, il y a, en France, un dispositif ou maillage fondé sur les professionnels (Groupement de Défense Sanitaire, Chambre de l'Agriculture, etc.), les vétérinaires sanitaires et l'Etat, qui s'avère efficace.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez dit, Monsieur le Président, que vous étiez au Comité Vétérinaire au moment de l'arrêt de la vaccination. D'après ce que nous avons pu entendre, l'arrêt de la vaccination semble devoir être rapporté davantage à des questions économiques qu'à des décisions scientifiques puisque au moment de la décision européenne, le Docteur Meurier, Président du Comité scientifique vétérinaire au niveau européen, n'a même pas été consulté. Nous percevons bien que du point de vue économique, cette décision a consisté à ne pas gêner les exportations vis-à-vis de l'Amérique du Nord, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et des pays d'Asie. Cependant, à regarder les niveaux d'exportation vis-à-vis de ces pays de plus près, il apparaît que ces exportations concernent principalement la production porcine et non la production bovine. Dès lors, je voudrais avoir votre sentiment par rapport à cette décision, qui remonte à une dizaine d'années.

Par ailleurs, vous affirmez que la lutte contre la crise a bien fonctionné, en France, tout en concédant qu' un effet de chance a joué en notre faveur. La situation aurait pu être bien plus grave et le choc psychologique ressenti par les éleveurs de bovins bien plus ardu. Pouvons-nous toujours admettre que la meilleure prophylaxie soit d'abattre une quantité considérable d'animaux le cas échéant (confèrent les 2,5 millions de têtes abattues en Grande-Bretagne) ? Nos concitoyens accepteraient-ils, d'ailleurs, de voir apparaître de tels bûchers et fosses communes ?

M. Georges Bedes - Il me semble que le point de départ de l'arrêt de la vaccination anti-aphteuse a été un congrès de la viande, il y a très longtemps, au cours duquel un exportateur a souligné qu'un arrêt de cette vaccination nous ouvrirait un certain nombre de marchés importants. Puis s'est mis en place le Marché Unique, qui a accéléré l'arrêt de la vaccination anti-aphteuse.

J'ai mis en place cet arrêt. Dans ce cadre, il nous a été demandé, en tant que fonctionnaires soumis à un devoir de réserve, d'insister sur le fait qu'un institut manipulant des vaccins court des accidents de par la volatilité des virus manipulés -- d'où le fameux classement des laboratoires selon leur niveau de sécurité. En outre, la vaccination anti-aphteuse marque définitivement les animaux (du moins pendant un certain temps), ce qui induit qu'en cas de problème conduisant à des prises de sang, la distinction entre période de maladie avérée et maladie avérée demeure délicate. Par ailleurs, il se trouve que nous ne vaccinons pas les porcs, par exemple, qui se révèlent de véritables foyers, ni les moutons (sauf en zone frontalière). Vous voyez, ici, l'argumentaire scientifique élaboré par l'INRA pour arrêter cette vaccination. --je vous passe un certain nombre de détails. Il n'en demeure pas moins vrai que la vaccination généralisée du cheptel bovin et de quelques autres espèces avait induit un silence complet en matière de fièvre aphteuse.

En outre, vous savez comme moi qu'il existe, à l'échelon mondial, une zone propre (où l'on ne vaccine pas) et une zone sale (où l'on vaccine). Or je me pose la question de savoir ce que signifie réellement cette distinction, dans la mesure où certains cas de fièvre aphteuse se sont déclarés en zone propre. Il me semble, personnellement, qu'il serait urgent de renégocier tout cela, ce d'autant plus qu'il semblerait qu'il y ait, actuellement, un vaccin permettant de distinguer entre période de maladie avérée et maladie avérée.

M. Philippe Arnaud, président - Cette définition de zone « propre » ou « sale » relève-t-elle de l'OIE ?

M. Georges Bedes - Oui. Elle relève de l'OIE mais ne me semble pas moins à revoir. Je ne veux pas sous-entendre qu'elle est caduque : simplement, il est peut-être temps de la reconsidérer, de même qu'il est peut-être temps de reconsidérer la question du transport des animaux vivants (qui était déjà d'actualité, au niveau de la FAO, il y a une dizaine d'années). En particulier, je suis très préoccupé par l'instrument de mesure de la Commission, c'est-à-dire l'Office Alimentaire et Vétérinaire de Dublin (OAV), avec lequel nous avons de plus en plus de mal à nous entendre.

Puisque vous êtes éleveur, je vais vous dire quelque chose. Ce qui m'a le plus surpris, en Grande-Bretagne, est le mépris avec lequel on traite les éleveurs. Je suis allé voir des éleveurs dans une zone où il y avait des cas de fièvre aphteuse depuis au moins quinze jours et j'étais le premier vétérinaire à leur rendre visite ! Ils m'ont accueilli à bras ouverts et ont demandé à ce que j'effectue moi-même la deuxième visite réglementaire. Un autre exemple concerne une brebis, sur laquelle, soupçonnant un cas de fièvre aphteuse, j'ai effectué une prise de sang et un prélèvement d'aphte pour confirmation. Ceux-ci ont été directement mis à la poubelle ! Il a fallu que je la déclare porteuse de la maladie, après quoi je me suis trouvé moi-même mis en repos 48 heures pour éviter toute contamination...

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - En France, il faut qu'une suspicion se trouve confirmée par une analyse pour que l'animal soit abattu. Or cela n'est pas toujours le cas puisque nous avons vu que des ovins ont été abattus cinq jours avant les résultats d'analyse. Comment justifiez-vous que l'on abatte des animaux avant d'avoir confirmation de la maladie ?

M. Georges Bedes - Je ne suis pas certain, techniquement, de ma réponse. Je sais qu'une première analyse peut être faite très rapidement pour déterminer s'il s'agit de la fièvre aphteuse ou non et qu'une seconde analyse permet de typer le virus. L'explication tient peut-être là. Quoi qu'il en soit, en principe, l'AFSA garantit des résultats relativement fiables dans les heures qui suivent la prise de sang -- c'est, du moins, ce que stipule la convention qui la lie au Ministre de l'Agriculture. Le fait que l'on ait abattu des moutons avant d'avoir confirmation des résultats d'analyse en réfère davantage, me semble-t-il, à l'application du principe de précaution.

M. Michel Doublet - La vaccination a été stoppée en 1991. Certains scientifiques ou vétérinaires prétendent que la protection perdure une dizaine d'années. Est-ce là votre point de vue ? Plus avant, faut-il reprendre, à votre sens, la vaccination ?

M. Georges Bedes - Personnellement, je ne pense pas que l'immunité puisse être maintenue aussi longtemps. Cela ne correspond pas à ce que j'ai lu. Néanmoins, je vous rappelle que je suis détaché des aspects scientifiques du problème depuis quatre ou cinq ans. Peut-être y a-t-il eu des évolutions dans ce domaine.

Deuxièmement, je ne suis pas certain qu'il faille généraliser la vaccination à nouveau mais je pense que nous devrions pouvoir l'utiliser de façon bien plus souple. Nous devons être conscients qu'il existe plusieurs méthodes de lutte. La méthode de lutte de type extrémiste appliquée en Grande-Bretagne en est une mais il en existe d'autres, à caractère intermédiaire. Parmi celles-ci, nous pouvons imaginer des vaccinations périfocales, quittes, dans les conditions actuelles de définition des zones propre et sale, à abattre des animaux le cas échéant. En d'autres termes, nous pouvons prendre toutes les mesures possibles pour éviter une éventuelle diffusion, ce qui induit l'utilisation de toutes les mesures sanitaires au point (non-mobilité, désinfection voire vaccination sécurisée). Cela demande, néanmoins, une renégociation des conditions d'échange entre zones propre et sale.

Permettez-moi, enfin, de faire appel à vous pour une dernière idée. Lorsque j'étais Sous-Directeur santé animale, j'avais rêvé de pouvoir réaliser un exercice en grandeur nature. Certes, cela semble difficile car il y a le risque d'ameuter les populations. Pourtant, nous devrions pouvoir faire quelque chose en ce sens. En effet, le plan préfectoral me paraît insuffisant en l'état. Il mériterait d'évoluer en un véritable plan ORSEC, plus structuré et confié à la Sécurité Civile. Il serait même envisageable qu'en cas de fièvre aphteuse, le DSV soit nommé sous-préfet, en vue d'une mise en place rapide et efficace. A ce sujet, j'attends avec impatience le retour d'expérience des deux DSV qui ont été confrontés au problème. Il semble évident que dans certains départements -- et notamment ceux de la couronne parisienne --, un statut ORSEC s'avère indispensable pour pouvoir monter un plan efficace. Je vous rappelle que nous avons eu beaucoup de chance en Seine-et-Marne...

M. Philippe Arnaud, président - Précisément, qu'est-ce qui pourrait expliquer le délai de trois semaines constaté entre la Mayenne et la Seine-et-Marne ?

M. Georges Bedes - Il me semble que nous avons oublié que les moutons se déplacent aussi « à pied ». Ce n'est qu'à partir de l'enquête épidémiologique de la Mayenne que nous avons pensé qu'il pourrait y en avoir un là-bas et que nous avons initié l'enquête en Seine-et-Marne. Le problème apparaît lié au commerce des animaux. Trois voire quatre semaines sont un délai trop long. Notre système de surveillance des mouvements d'animaux doit être nourri de tous les renseignements disponibles.

M. Gérard Cornu - En ce qui concerne la vaccination, il est vrai que les scientifiques nous disent qu'il est exclu de vacciner entièrement. Certains peuvent s'interroger sur la vaccination en cordon sanitaire mais tout le monde s'accorde à dire que pour demeurer zone propre, les bêtes vaccinées doivent être abattues à terme. Or n'est-il pas psychologiquement difficile, pour un éleveur, de comprendre que ses bêtes vaccinées doivent être abattues ?

D'autre part, notre caractère de zone propre nous protège économiquement vis-à-vis de viandes caractéristiques telles celles en provenance d'Argentine, notamment -- qui n'est pas une zone propre --, et nous autorise à exporter. Ce sont là des conséquences favorables non négligeables, qu'il convient de garder à l'esprit. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Pour rebondir sur la question que Jean-Paul Emorine vous a posée, serait-il possible (tout en gardant une zone propre à l'exportation) de ne vacciner que les bovins, en prétextant une durée de vie inférieure pour ce qui concerne les porcs et les moutons et une non-transmission de la fièvre aphteuse de ces animaux-là à l'homme ?

Enfin, vous avez soulevé la problématique du transport des animaux vivants. Vous savez qu'il existe des zones de transit, au niveau des animaux vivants. Est-il judicieux d'opérer les transits dans des zones d'élevage, dans la mesure où ces zones de transit sont peut-être des facteurs aggravants de maladies contagieuses ? Pour mieux cerner les choses en cas de dérapages et d'apparition de maladies contagieuses, ne conviendrait-il pas de faire en sorte de distinguer ces zones de transit des zones d'élevage ?

M. Louis Moinard - Dans le même sens, vous faisiez allusion au fait que l'on ne vaccinait pas tous les animaux. Comment peut-on expliquer que le fait de vacciner uniquement les bovins ait pratiquement contribué, à l'époque, à éliminer la fièvre aphteuse ?

M. Georges Bedes - Ces questions sont difficiles .

Les porcins vivent peu de temps et sont généralement enfermés. La question touche donc davantage aux ovins et bovins. J'avoue que je ne sais trop quoi vous répondre, sinon que le mouton est peut-être plus résistant et moins sensible à la maladie, comme vous le savez.

En revanche, en ce qui concerne le transport d'animaux vivants et les zones de transit, je peux vous répondre plus précisément. Je vous rappelle qu'en matière de transport d'animaux, un débat quelque peu houleux a eu lieu, en 1994-1995, pour mettre au point la fameuse directive transport des animaux. Ce débat a induit certaines conséquences dans le droit français, notamment en termes de confort et de bien-être des animaux, en lien à des zones d'arrêt pour qu'ils puissent se reposer. Ces zones sont tout de même agréées, c'est-à-dire contrôlées. L'intérêt, pour le commerçant, consiste à disposer d'un centre ou d'une zone agréée exportation, sans quoi il se trouve dans l'obligation de subir à nouveau des contrôles par un vétérinaire sanitaire, un agent DSV, etc. Ceci explique que les professionnels du transport d'animaux ont, pour la plupart, contracté avec des établissements agréés. Ainsi, les risques me paraissent faibles à ce niveau.

La réflexion sur le transport des animaux vivants -- animaux d'abattage et non d'élevage, bien entendu --me semble inévitable et urgente. Quant à la question afférente aux vaccinations, qui s'est déjà trouvée abordée par le passé, elle nécessite, là encore, de renégocier les limites entre zones propre et sale, sans quoi un certain nombre de marchés se trouveront fermés à nos exportations.

Pour ce qui a trait à la psychologie des éleveurs en matière de fièvre aphteuse, il faut être prudent. Vous savez que lorsque la vaccination était obligatoire, environ 15 % des animaux en réchappaient pour motifs divers (ne pas réduire la production laitière, etc.). D'une manière générale, il s'agit d'un problème d'éducation, qui relève des Chambres d'agriculture et surtout des GDS plutôt que d'un quelconque fonctionnaire administratif.

M. Gérard Cornu - J'aimerais avoir une précision en ce qui concerne cette dimension psychologique. Il me semble qu'il s'agit parfois davantage d'un manque d'information. Certains éleveurs considèrent la vaccination comme un moyen de protection à part entière mais ne sont pas au fait de la nécessité d'un abattage à terme, en vue de demeurer zone propre.

M. Georges Bedes - Pourtant, les GDS, les vétérinaires sanitaires, les DSV voire les EDE offrent tous des moyens d'information sur ce sujet. Un cabinet conseil nous a même aidé dans notre communication, par un mailing de plaquettes afférentes à la fièvre aphteuse envoyées dans toutes les fermes. Si les dernières réunions cantonales de GDS organisées par des DSV n'ont attiré que peu de personnes, je pense que l'audience, cette année, sera bien plus importante. Nous pourrons alors délivrer l'information à nouveau.

M. Philippe Arnaud, président - Il paraît clair que la réflexion de Gérard Cornu se situe dans le cadre d'échanges économiques selon la définition actuelle de l'OIE pour les zones propre et sale. L'abattage qui suit une vaccination n'a rien à voir avec un problème sanitaire mais relève bien d'un problème d'échanges internationaux...

M. Georges Bedes - C'est un problème de définition.

M. Philippe Arnaud, président - Par voie de conséquence, si une redéfinition des zones propre et sale -- que vous appelez de vos voeux -- était opérée, elle permettrait de ne pas abattre les animaux...

M.  Georges Bedes - Je ne sais pas.

M. Gérard Cornu - En étant en zone propre, les France est protégée contre les exportations de viande argentine. En effet, cette viande est deux fois moins chère et son commerce aurait des conséquences économiques très négatives pour nos éleveurs et nos exportations.

M. Philippe Arnaud, président - A moins que l'OIE et l'OMC ne modifient leurs réglementations. Lors de nos déplacements, nous avons constaté que les problèmes concernaient le lait, la crème et le fromage. Or l'avis des scientifiques est que les problèmes sont inexistants à ce niveau.

M. Georges Bedes - Je ne sais pas quoi vous dire. Je pense que nous avons détruit les marchandises dans les zones où des animaux avaient été abattus. En fait, le consommateur ne comprendrait pas que l'on abatte tous les animaux et que l'on commercialise le lait.

M. Philippe Arnaud, président - Il s'agit donc bien uniquement d'un problème psychologique.

M. Georges Bedes - Oui. A partir du moment où il est thermisé, il ne peut plus y avoir de problème avec le lait.

M. Gérard Cornu - Est-ce également le cas pour le fromage au lait cru ?

M. Georges Bedes - Il me semble que oui. La fermentation permet d'éviter les problèmes éventuels.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - En fait, en termes de vaccination, nous pensons aux possibles évolutions futures, qui permettraient notamment d'utiliser un vaccin dont les anticorps seraient différents de ceux de la fièvre aphteuse. En effet, il n'est pas possible de dire à un éleveur que l'on va vacciner ses bêtes pour protéger le cheptel du voisin, avant d'abattre finalement son troupeau. Vous avez dit qu'un nouveau vaccin était en préparation avec des anticorps différents. Quel est le nom de l'institut qui travaille sur ce thème ?

M. Georges Bedes - Il me semble que cela est étudié chez Mérial. Toutefois, je n'ai pas de certitude dans ce domaine. Je sais simplement que ce vaccin serait efficace et qu'il pourrait distinguer les animaux vaccinés des animaux porteurs du virus.

M. Philippe Arnaud, président - Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

M. Georges Bedes - Je pense que vous devez rencontrer Monsieur Le Forban de la FAO et des responsables de chez Mérial. Globalement, je tiens simplement à vous dire que le système a bien fonctionné cette fois-ci. Toutefois, il serait possible que cela ne soit pas toujours le cas. En termes d'organisation, il faudrait au moins ramener le plan fièvre aphteuse à l'échelon régional, alors qu'il est actuellement départemental, sans pour autant tomber dans des configurations du même type que le plan ORSEC. En effet, au niveau régional, nous disposons des moyens pour lancer efficacement des actions d'urgence. Il est toujours positif de d'installer un rotoluve. Toutefois, il faut aussi s'assurer que les gens ne passent pas à côté.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous avons été perturbés par le fait de choisir les périmètres départementaux pour définir les zones à isoler. Je pense que cela n'était pas nécessaire et que la solution pourrait être moins excessive si le traitement était effectué au niveau régional.

M. Gérard Cornu - Il faut plutôt fixer une limite en nombre de kilomètres. En effet, dans le cas contraire, des problèmes se poseraient si le foyer était situé à la limite entre deux régions.

M. Paul Raoult - La région d'élevage de l'Avesnois est très proche de la région picarde et de la Champagne Ardennes. Cela ne permettrait donc pas de résoudre le problème dans tous les cas.

M. Georges Bedes - C'est l'approche régionale qui nous intéresse.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Il s'agirait de favoriser l'approche régionale et non la mise en oeuvre de mesures au niveau de la région.

M. Philippe Arnaud - L'objectif est de ne pas s'appuyer sur une approche purement administrative.

M. Georges Bedes - Du côté de Troyes ou en Haute-Marne, les effectifs des services vétérinaires sont proportionnels aux élevages qui sont situés dans la région, soit environ seulement 20 ETP. Comment est-il possible de surveiller efficacement la zone avec aussi peu de personnel ? Il faut absolument bénéficier d'une aide régionale.

M. Gérard Cornu - Il s'agirait du recours à une aide régionale, parallèlement à la fixation d'un périmètre kilométrique de sécurité par rapport au foyer d'infection.

M. Georges Bedes - Oui. Le niveau régional offrirait l'efficacité de ses moyens d'action.

M. Paul Raoult - La dimension départementale au niveau des GDS reste une force de contrôle sanitaire fantastique. En effet, il existe une longue expérience de dialogue entre l'administration et les éleveurs.

M. Georges Bedes - Nous devons absolument conserver cette dimension. En effet, c'est la raison pour laquelle le système fonctionne en France.

M. Paul Raoult - Ce sont les GDS qui sont parvenus à convaincre les paysans qu'il fallait lutter contre la brucellose. Dans l'Avesnois, il nous a fallu des années pour y parvenir.

M. Georges Bedes - Tout à fait.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons évoqué à plusieurs reprises le rapport Mac Sharry, qui a recommandé l'arrêt de la vaccination en 1990. Savez-vous où nous pouvons le trouver ?

M. Georges Bedes - Je pense que ce rapport est disponible dans les archives de la DGAL.

M. Philippe Arnaud, président - J'ai noté votre perplexité, notamment à propos de la contradiction de certaines données. Je dois vous avouer que les auditions que nous avons effectuées jusqu'à présent nous conduisent également à des impressions contradictoires.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Plus nous avançons et plus nous sommes perplexes... !

M. Philippe Arnaud, président - Il est vrai que plus nous avançons et plus nous sommes perplexes. Cette perplexité concerne d'ailleurs également, et très curieusement, les approches scientifiques. En effet, les scientifiques disent et écrivent parfois que les données du problème et que la méthodologie étaient fausses mais que la décision prise était la bonne ! Nous sommes donc réellement perplexes. Si vous disposez d'éléments rassurants, nous sommes donc preneurs, notamment d'informations présentant des arguments objectifs (questions économiques, zones propres et sales, OIE, problèmes sanitaires, problèmes psychologiques, sociologiques et politiques, vaccination...).

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Lorsque nous évoquons la reprise de la vaccination, nous pensons évidemment à la mise au point d'un nouveau vaccin.

M. Philippe Arnaud, président - Evidemment. Et pas seulement en France.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - On nous a dit que la recherche avait été arrêtée depuis 1981 en matière de vaccination.

M. Georges Bedes - Nous avons arrêté les vaccinations contre la fièvre aphteuse, en prévoyant en contrepartie des plans d'urgence et la constitution de banques de vaccin. Pour ma part, j'ai toujours été partisan de la mise en place de ces banques de vaccins, même s'ils ne servent qu'à vacciner en périfocale, avant l'abattage des animaux. En effet, il faut toujours disposer de milliers de vaccins immédiatement. De plus, il faut au moins avoir des banques d'antigènes pour fabriquer les vaccins. Enfin, si la fabrication était arrêtée, il faudrait du temps pour la relancer par la suite, alors qu'il faut pouvoir répondre aux problèmes qui se posent de toute urgence.

J'avais donc discuté avec les services concernés au Maroc (pays classé en zone sale), afin d'y installer un institut et de poursuivre la fabrication du vaccin. Toutefois, je n'ai jamais obtenu de réponse à cette proposition. En effet, il ne sert à rien de disposer des antigènes à Lyon s'il faut encore du temps par la suite pour que le vaccin soit effectivement fabriqué. Dans ce domaine, les estimations vont de 24 heures à une semaine.

M. Gérard Cornu - Visiblement, il existe sept variantes de la maladie. Nous ne pouvons donc pas être certains que la vaccination choisie est la bonne : il est possible de vacciner contre l'une des variantes sans que cela ne soit efficace. En plus, il semble qu'une bête vaccinée puisse porter la maladie, ce qui ne permet pas d'empêcher sa diffusion. La vaccination ne permettrait donc pas de résoudre tous les problèmes ?

M. Georges Bedes - La vaccination ne permet pas de résoudre tous les problèmes, notamment du fait des limites biologiques que vous évoquez. Toutefois, nous pouvons facilement, et pour un coût très limité, mettre en réserve tous les antigènes, matière première nécessaire pour fabriquer les vaccins, listés par le laboratoire de Pirbright, qui fait référence au niveau mondial. En revanche, nous ne savons pas combien de temps il faut pour fabriquer le vaccin par la suite. Toutefois, je n'ai personnellement jamais obtenu de réponse précise dans ce domaine.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je pense que nous pourrions auditionner un représentant de Mérial.

M. Georges Bedes - Je pense que vous pourriez rencontre Monsieur Lombard, qui travaillait chez Mérial et qui est très compétent en matière de fièvre aphteuse. Il dirige aujourd'hui le laboratoire Pirbright.

Il est vrai qu'il faut un certain temps de réaction avant que la vaccination ne soit efficace. Toutefois, l'organisme fabrique des anticorps assez rapidement. La vaccination des animaux protège donc tout de même contre la diffusion de la maladie, même s'il s'agit d'une autre variante.

M. Gérard Cornu - La vaccination immunise au moins partiellement.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - A 70 % ou 80 %.

M. Georges Bedes - Oui.

M. Philippe Arnaud, président - On nous a dit que la vaccination produisait des porteurs sains mais qu'elle réduisait le risque de 80 %.

M. Louis Moinard - Dans nos pays, nous considérions que la fièvre aphteuse avait été éradiquée. Dans ces conditions, la recherche s'est-elle poursuivie ? En effet, la recherche est habituellement effectuée sur des produits pouvant être commercialisés par la suite. Sinon, cela suscite des difficultés de financement.

M. Georges Bedes - Je suis un peu inquiet dans ce domaine. En effet, les chaînes de fabrication ont peut-être été fermées. J'espère que cela n'est pas le cas. D'ailleurs, si nous entendons actuellement parler d'un vaccin marqué, c'est que les chaînes ont sans doute été maintenues et que des compléments de recherche ont été effectués.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, nous vous remercions de votre participation, qui alimentera notre réflexion. Accepteriez-vous que nous puissions éventuellement reprendre contact avec vous au fur et à mesure de l'avancement de nos travaux ?

M. Georges Bedes - Tous les membres du Conseil général des vétérinaires sont à votre disposition. En effet, certains de mes collègues sont plus compétents que moi sur certaines questions scientifiques.

M. Philippe Arnaud, président - Nous vous remercions.

17. Audition de Mme Marie-José Nicoli, Présidente de l'Union fédérale des Consommateurs Que Choisir

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons Marie-José Nicoli, présidente de l'Union fédérale des Consommateurs Que Choisir. Nous aimerions dès maintenant connaître votre opinion sur la crise que nous venons de traverser, suite à une épidémie de fièvre aphteuse. Plus particulièrement, pourriez-vous nous préciser les enseignements que vous en tirez et les solutions que vous proposeriez pour en sortir ?

Mme Marie-José Nicoli - En tant qu'association de consommateurs, nous établissons une différence entre la fièvre aphteuse et l'ESB. Notre époque est caractérisée par une certaine insécurité alimentaire, due à une abondance d'informations ainsi qu'à plusieurs scandales ou fraudes. La fièvre aphteuse ne s'est donc pas manifestée à un moment opportun pour le monde agricole. Les consommateurs ont compris que cette épidémie était animale et qu'elle ne posait aucun problème de santé publique. Cependant, ils ne se sont pas sentis encouragés à acheter de la viande, en particulier de la viande ovine.

Nous avons donc assisté à une baisse de consommation de toutes les viandes pendant cette période, à un effondrement des prix à la production et à une augmentation des prix à la consommation. En particulier, les prix à la consommation de la viande ovine ont augmenté de 30 %. Nous n'avons pas été surpris par le fait que la fièvre aphteuse se soit déclarée en Grande-Bretagne. M'étant rendue en Ecosse, j'ai pu observer le fonctionnement des systèmes de contrôle et des systèmes sanitaires. Nous constatons une absence totale de système de contrôle en Angleterre, liée à l'absence d'une culture sanitaire comparable à celle qui existe en France. Ces éléments expliquent tout d'abord pourquoi l'Angleterre fut surprise par le nombre de foyers qui se déclarèrent simultanément, mais aussi pourquoi le pays s'est trouvé dans l'incapacité de les éradiquer. L'Angleterre compta plus d'un millier de foyers.

La fièvre aphteuse est une maladie animale qui a été récurrente au cours des derniers siècles. Elle n'est donc pas la conséquence d'un productivisme ou d'une agriculture intensive propre à notre époque récente. Or nous avons été étonnés de remarquer que l'Angleterre n'avait pas les moyens d'éradiquer rapidement une maladie qui faisait autrefois des ravages. Par le passé, de tels ravages pouvaient se concevoir compte tenu de la faiblesse de la circulation des informations et des connaissances vétérinaires et pratiques.

Je reconnais que la gestion de la crise a été satisfaisante en France, même si quelques cas sporadiques peuvent encore être découverts. Nous avons, en France, connu deux foyers. Les mesures qui ont été prises furent très critiquées. En tant qu'association de consommateurs, nous ne disposions pas des compétences permettant de juger de leur efficacité. Avec le recul, nous reconnaissons cependant que ces mesures se sont avérées efficaces. L'épidémie ne s'est pas beaucoup propagée en raison de bonnes mesures. Nos voisins, en revanche, furent lourdement contaminés. Ils entretiennent avec la France des échanges importants, tant en animaux qu'en hommes. Nous aurions donc pu rencontrer plus de problèmes.

N'ayant aucune compétence particulière, je ne me prononcerai pas sur la vaccination. Par ailleurs, les scientifiques et les agriculteurs ont des avis divergents. Certains sont favorables à une vaccination systématique tandis que d'autres ne jugent pas cette mesure nécessaire.

M. Philippe Arnaud, président - Il me semble cependant que le fait d'opter pour la vaccination pourrait engendrer une réaction forte des consommateurs. Consommeraient-ils en effet aussi facilement de la viande vaccinée ? La vaccination n'engendrerait-elle pas des risques, ou, tout au moins, des craintes ? Imaginez que le monde économique et les scientifiques considèrent que la vaccination soit la bonne méthode pour lutter contre la fièvre aphteuse, mais que les consommateurs le perçoivent de façon négative. Ainsi, certains produits génétiquement modifiés sont parfaitement neutres, et ne présentent aucun danger. Pensez-vous que des produits identifiés comme étant vaccinés seraient perçus par les consommateurs comme des produits à risque ?

Mme Marie-José Nicoli - Je dois, pour vous répondre, consulter les scientifiques.

M. Philippe Arnaud, président - Nous savons que parmi les appréhensions des consommateurs, certaines sont fondées scientifiquement, mais que d'autres ne le sont pas. Le facteur psychologique joue donc un rôle primordial.

Mme Marie-José Nicoli - La question de la vaccination n'a jamais été abordée par les consommateurs qui nous ont adressé des courriers ou des appels téléphoniques. Ce débat est resté très professionnel. Nous ne nous sommes d'ailleurs pas penchés sur ce problème, dans la mesure où nous pensions que la vaccination ne pouvait être instaurée. En pleine épidémie de fièvre aphteuse, le recours à la vaccination est inutile. Ce débat aura certes lieu, mais il n'est pas à l'ordre du jour.

M. Philippe Arnaud, président - Je me permets d'insister pour savoir si vous avez la possibilité de consulter les consommateurs d'ici au 15 juin. Vous n'ignorez pas que ce problème était un problème de santé animale. Néanmoins, toutes les mesures qui ont été prises, et notamment la vaccination, reposent sur un dispositif fondé sur des critères économiques dans le cadre de l'organisation du commerce. L'élaboration des conventions et règlements aboutit cependant à l'interdiction de la commercialisation à l'exportation des viandes vaccinées.

Mme Marie-José Nicoli - En effet, je connais bien les principes économiques d'exportation.

M. Philippe Arnaud, président - Si ce problème de l'impossibilité d'exporter se pose à l'échelon du commerce international, il illustre bien l'existence de consommateurs ou de réseaux refusant d'importer pour consommation de la viande vaccinée.

Mme Marie-José Nicoli - Nous pouvons effectivement nous interroger sur ce fait.

M. Philippe Arnaud, président - Si nous vaccinons, n'allons-nous pas nous fermer le marché des consommateurs français et européens ?

Mme Marie-José Nicoli - Vous ne nierez pas cependant que, par le passé, alors que nous pratiquions la vaccination, nous mangions de la viande. Cette pratique est-elle de nature à engendrer des problèmes de santé pour les consommateurs ?

M. Philippe Arnaud, président - Je n'évoque pas un problème de santé, mais bien celui d'une psychose.

Mme Marie-José Nicoli - Je vous comprends, mais encore faut-il se trouver en situation de psychose.

M. Philippe Arnaud, président - Vous représentez toutefois les consommateurs. Pouvez-vous affirmer l'existence d'un problème ou, au contraire, l'absence de toute psychose ?

Mme Marie-José Nicoli - Dans la mesure où, jusqu'à présent, la question ne nous a pas été posée, je pourrais affirmer qu'il n'existe aucun problème. Cependant, nous ne maîtrisons jamais toute l'information. Si je représente les consommateurs, je ne partage pas leurs psychoses éventuelles.

Bien au contraire, face à ces événements, nous nous sommes efforcés de rester pragmatiques et de fournir aux consommateurs un maximum d'informations, en tâchant, contrairement à certains médias, de ne pas susciter de panique. Tel n'est pas le rôle d'une organisation de consommateurs. Lorsqu'un danger réel existe, nous savons le faire savoir.

En matière d'alimentation, les consommateurs ont montré à plusieurs reprises au cours de ces dernières années qu'ils ne sombraient pas systématiquement dans la psychose. La consommation de viande a commencé à reprendre. Le monde des professionnels et les médias, qui se sont lancés dans une véritable course à l'information, semblent avoir été plus choqués par les événements que les consommateurs.

M. Philippe Arnaud, président - Une baisse très sensible de la consommation a cependant été enregistrée.

Mme Marie-José Nicoli - Certes. Vous conviendrez cependant que, face à un danger réel, un individu cesse totalement sa consommation du produit devenu dangereux. Une telle réaction a d'ailleurs été observée par le passé lors du boycott de la viande de veau aux hormones. La consommation de viande de veau n'a pas alors baissé de 20 à 30 %, mais plutôt de 60 à 80 %. Or, en France, si la consommation de viande a connu une baisse pendant une certaine période, les consommateurs ont continué à en consommer. La baisse fut d'ailleurs largement supérieure en Allemagne, où suite à la découverte des premiers cas d'ESB, elle a atteint 80 %. Je reconnais qu'une baisse de 40 % de la consommation représente un coût économique considérable. 60 % des consommateurs français ont toutefois continué à acheter de la viande. Le constat n'apparaît donc pas aussi dramatique que l'on veut le laisser entendre.

Je me renseignerai cependant sur la vaccination et vous communiquerai mes informations.

Concernant la période de fièvre aphteuse, qui s'est caractérisée par d'importants abattages, et la destruction de nombreuses carcasses d'animaux a ralenti le programme de 48 000 tests, voire arrêté pendant quelques semaines. Par conséquent, nous n'aurons les résultats de ces tests que fin mai, au lieu de fin avril. Jusqu'à présent, nous sommes restés favorables à l'abattage total. Si, demain, un programme nous fournissait des éléments démontrant que l'abattage total n'est plus nécessaire, nous ne nous opposerions pas aux mesures d'abattage sélectif. Nous souhaiterions cependant disposer de ces résultats, dont la publication a été retardée en raison de l'épidémie de fièvre aphteuse.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Le seuil des 48 000 tests ne pouvait être atteint puisque les animaux n'étaient pas abattus.

Mme Marie-José Nicoli - Quelles qu'en soient les raisons, vous conviendrez d'un retard sur ce programme. Lorsque j'ai posé cette question au Ministre de l'Agriculture, il m'a été répondu que la destruction des animaux était prioritaire et que les effectifs des services vétérinaires étaient limités.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - A l'heure actuelle, les tests portent sur des animaux abattus de plus de trente mois.

Mme Marie-José Nicoli - Je vous parle du programme de 48 000 tests bovins portant sur des bêtes à risque. Ces animaux appartiennent à des troupeaux au sein desquels des cas d'ESB ont été découverts. Les résultats des tests nous permettraient d'évaluer l'opportunité d'un abattage sélectif.

Par ailleurs, il est heureux pour les consommateurs que l'épidémie de fièvre aphteuse n'ait pas, en France, été plus longue. De nombreux animaux furent brûlés, dont des bovins potentiellement porteurs de la maladie de l'ESB, auxquels les matériaux à risque ne furent pas retirés. Le choix de brûler ces bêtes s'avère-t-il plus efficace que celui d'enlever les matériaux à risque et d'incinérer à 133 degrés, 3 bars et durant 20 minutes ? La question mérite d'être posée, dans la mesure où aucun élément ne permet de connaître les effets des prions sur l'environnement aux endroits où les bûchers ont été mis en place et où les transferts de bêtes ont été effectués. Nous étions d'ailleurs prêts à exiger la mise en oeuvre de mesures supplémentaires en cas d'épidémie durable. Nous avons tout de même alerté la DGAL. Sa directrice a d'ailleurs reconnu l'existence d'un problème.

Cette affaire a également montré la nécessité de mieux tracer et de mieux identifier les ovins. Beaucoup de consommateurs ont appris que la France constituait une plate-forme et un lieu de passage de moutons provenant d'Irlande et d'Angleterre. Ces animaux restent en France ou ne font qu'y transiter. Environ 40 % des moutons que nous mangeons sont français, le reste provenant notamment d'Irlande, d'Angleterre ou de Nouvelle-Zélande. Les consommateurs ont pris conscience du fait que la production nationale est loin de satisfaire la consommation française et qu'en outre, de nombreux passages et transferts d'animaux sont effectués. Ceci implique que dans de nombreux cas, les animaux étrangers sont « rebaptisés » en animaux français.

J'ai par ailleurs été rapporteur sur l'étiquetage et la traçabilité des ovins, et malgré les efforts énormes fournis par les agriculteurs pour identifier leurs bêtes, je dois constater une dégradation de la situation. Ces irrégularités sont nombreuses en milieu de filière, au moment où les bêtes partent de chez les éleveurs. L'origine et la catégorie des bêtes peuvent en effet facilement être modifiées lors des transferts ou des regroupements. Le consommateur est en droit, lorsqu'il achète de la viande bovine, de connaître son origine. Il doit également savoir s'il achète du mouton ou de l'agneau, de manière à consommer la viande la plus adaptée à ses usages. La viande d'agneau est de plus toujours plus chère que la viande de mouton ; il est donc anormal qu'un consommateur croie acheter de l'agneau ayant moins de douze mois si la viande provient d'une bête de plus de douze mois.

En conclusion, la fièvre aphteuse s'est traduite par un supplément de catastrophes pour les éleveurs. Notre association de consommateurs a évité, durant cette période, d'envenimer le débat. Nous étions en effet pleinement conscients de l'angoisse et de la panique des éleveurs. J'espère que la fièvre aphteuse se trouve désormais derrière nous et que, de plus, l'ESB est en voie d'extinction en France. Même si quelques cas peuvent encore être découverts, les chances d'éradication de cette épidémie sont nombreuses.

M. Philippe Arnaud, président - Merci Madame la Présidente.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Madame la Présidente, pensez-vous que l'information selon laquelle la fièvre aphteuse n'avait aucune conséquence sur la santé a été bien reçue par les consommateurs ? Bien que vous ayez déjà évoqué ce sujet, je souhaiterais que vous nous précisiez votre perception. Vous nous avez également rappelé qu'en France, l'épidémie de fièvre aphteuse avait été bien maîtrisée. Deux cas seulement furent décelés. Si, comme l'estimaient certains experts, la France avait connu un dérapage avec une centaine de cas, quel aurait été le comportement de votre union et des consommateurs devant des bûchers, devant des enfouissements et face aux inquiétudes ressenties ? La culture française aurait-elle permis d'accepter ce genre de catastrophe ? Que pensez-vous des différentes productions de viande rouge et de viande blanche ? Aujourd'hui, deux élevages se dessinent en France. D'une part, l'élevage extensif des races bovines et ovines. D'autre part, l'élevage porcin et agricole, complètement industrialisé. Comment ces différences d'élevage sont-elles perçues par l'opinion ?

Mme Marie-José Nicoli - Je crois que l'information est passée auprès des consommateurs. Ils ont en effet assez rapidement repris leurs achats de viande.

En outre, dans la période la plus forte de l'épidémie, la baisse de la consommation de viande ovine constatée nous paraît justifiée. D'ailleurs, la demande était plus importante que l'offre. En raison de l'absence d'ovins anglais à mettre sur le marché, les prix ont augmenté de 40 %. De plus, nous nous situons en période de fête musulmane, de sorte que le moment n'était absolument pas opportun. Les consommateurs ont bien perçu le message, par ailleurs largement diffusé par les médias. Dans la mesure où notre fréquence de publication est mensuelle, et bien qu'ayant diffusé l'information, nous n'étions pas au plus près des consommateurs. Ces derniers ont bien compris que l'épidémie ne relevait pas d'un problème de santé publique.

En revanche, les images des bûchers sont apparues plus choquantes. Elles font appel à notre culture ainsi qu'à des faits antérieurs. Si les bûchers avaient été plus nombreux, nous aurions vraisemblablement demandé qu'un autre moyen d'éradiquer la fièvre aphteuse soit trouvé. Ces images étaient choquantes, et les bûchers suscitaient, en outre, les inquiétudes environnementales que j'ai évoquées. En présence d'un millier de foyers, nous aurions exigé que les bovins soient traités en prenant toutes les précautions nécessaires quant aux risques de pollution de l'environnement par les prions. Ceci nous semble évident. Nous avions d'ailleurs communiqué nos craintes au Ministère de l'Agriculture.

Je souhaite rappeler que la non-vaccination fut une mesure européenne. Elle le devint sous la pression de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, lors de leur entrée dans le marché commun. Quel que soit le sujet, les mesures sanitaires doivent être européennes. Si nous avions adopté cette règle pour l'ESB, nous n'aurions pas connu tous les ennuis et rebondissements auxquels nous avons été confrontés ces dernières années. Si les mesures prises au niveau national avaient pu être les mêmes au niveau communautaire, nous aurions disposé de garanties supplémentaires, évitant ainsi de sérieuses difficultés à certains de nos voisins, notamment à l'Allemagne et à l'Espagne.

Je suis tout à fait d'accord pour considérer que les mesures sanitaires doivent être européennes, et qu'elles doivent se doubler d'une volonté politique et de moyens pour les imposer aux pays tiers. Lorsque nous importons certains produits, il n'est en effet pas fondé d'imposer des mesures draconiennes intracommunautaires tout en laissant toute liberté à des produits alimentaires n'offrant pas les mêmes garanties que les produits communautaires.

La question de la viande constitue un moyen détourné d'aborder la question des modes de production. Les consommateurs français et européens se sont bien exprimés à ce sujet. Ils veulent des produits répondant aux normes de sécurité sanitaire, qu'ils proviennent ou non de la production intensive.

Quant à la qualité des produits, certains animaux peuvent en effet être élevés en extensif. Plus particulièrement, l'élevage ovin répond à un mode de production fortement extensif, et pourrait enrichir le débat sur l'aménagement du territoire. En revanche, l'élevage porcin et de volailles s'apparenterait à des systèmes intensifs. Par exemple, la Bretagne recense encore beaucoup d'élevages familiaux. Ces derniers croissent cependant dans des proportions telles que la définition de l'élevage intensif mériterait une nouvelle réflexion. Les productions intensives posent d'abord de graves problèmes environnementaux, puis des questions relatives à la qualité du produit.

La Hollande et le Danemark présentent des élevages de porcs regroupant chacun cent mille bêtes sur plusieurs étages. Dans la mesure où toutes les activités sont concentrées au même endroit, des stations d'épuration sont également construites. Les problèmes environnementaux sont plus aisément maîtrisés qu'en Bretagne, où une multitude d'élevages de procs sont disséminés et individualisés. Une même structure ne pourrait donc pas gérer les problèmes environnementaux. L'élevage de volailles et l'élevage porcin s'insèrent donc dans des systèmes intensifs, pour lesquels la recherche de solutions environnementales est nécessaire. Nous ne pourrons en effet empêcher les consommateurs français et européens d'aimer la charcuterie. Il est donc normal de lier la très forte consommation de charcuterie aux élevages de porcs. Nous devons trouver une solution compatible avec l'environnement. Les préfets doivent ainsi se montrer moins complaisants pour les mises à norme.

Par contre, je refuse la délocalisation de l'élevage au titre de la préservation de l'environnement. Nous disposons des moyens de contrôle à l'échelle du territoire français alors qu'une production venant de l'autre bout du monde n'est ni contrôlable ni identifiable. Nous avons en outre surtout tendance, en France, à nous méfier des activités nationales et non des activités à l'extérieur. Nous devons garder nos productions, tout en nous efforçant de préserver l'environnement. Il est donc nécessaire de modifier les pratiques et le recours aux implants et engrais chimiques ainsi qu'aux produits phytosanitaires. Il s'avère également important de réorienter certains mécanismes de la PAC, sans pour autant les supprimer.

Après la découverte de cas de fièvre aphteuse, l'Allemagne a manifesté sa volonté de réforme profonde. Alors qu'elle s'opposait autrefois à la France sur de nombreuses questions agricoles, elle permettrait de voir le débat évoluer de manière positive. Cette évolution ne doit cependant pas s'accompagner d'un phénomène d'exagération. Il est par exemple faux de laisser croire que les consommateurs pourront tous, demain, acheter bio. Au contraire, pour les rassurer en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, il est primordial de s'adresser à l'ensemble du monde agricole de manière à modifier de nombreuses pratiques. Si le monde agricole a compris cette nécessité, les modifications devront être accomplies progressivement. Nous nous refusons, dans ce domaine, à procéder à toute annonce démagogique.

M. Philippe Arnaud, président - Je suis bien d'accord avec vous. En matière de viande ovine, nous sommes aujourd'hui dépendants à 60 %, alors que nous étions autosuffisants à 60 % il y a quinze ans. Sans lancer la moindre provocation, vous avez appelé les éleveurs à prendre leurs responsabilités et à assurer une mutation de la production. Les consommateurs seraient-ils prêts à permettre cette évolution, donc à payer les produits à leur juste valeur ? De cette manière, les éleveurs obtiendraient la juste rémunération de leurs produits. Surtout, nous ne serions pas confrontés à l'invasion de produits originaires de pays communautaires et de pays tiers, soutenus par leur prix attractif.

Mme Marie-José Nicoli - Le consommateur n'est pas le seul acteur concerné par cette question. Nous ne pouvons intervenir lors des négociations à l'origine des échanges internationaux. Certains accords internationaux ne répondent d'ailleurs à aucune logique. En particulier, ils ne prennent pas forcément en compte l'intérêt d'une activité nationale. Il serait faux de croire que l'intérêt du consommateur pour des prix plus bas a poussé la filière bovine dans un état déficitaire et de régression. Le producteur se situe en début de chaîne tandis que le consommateur se positionne en fin de chaîne.

M. Philippe Arnaud, président - Entre les deux, n'omettez cependant pas le maillon essentiel qu'est la distribution.

Mme Marie-José Nicoli - J'allais l'évoquer. En vingt-cinq ans de mise en place, la grande distribution a parlé au nom des consommateurs, ce qui ne correspondait pas forcément à ce que nous demandions. En outre, si elle a permis la baisse générale des prix, elle a également contribué à cette politique générale nationale. Celle-ci exigeait que la reconstruction économique s'accompagne, pour les agriculteurs, d'un accroissement de leur production, mais aussi d'un système de distribution mettant ces produits de masse à disposition des consommateurs. La production de masse n'aurait jamais vu le jour sans cette logique. Elle répondait à des besoins physiques de concentration des lieux de vente et d'achat des produits.

M. Philippe Arnaud, président - La France occupe une position de tête dans la grande distribution. D'autres pays fonctionnent cependant parfaitement bien grâce à une offre de services et à une palette de produits comparables à la France sans pour autant être dotés d'un système de grande distribution.

Mme Marie-José Nicoli - Vous avez raison. La grande distribution française est une grande réussite économique mondiale. La réussite d'enseignes nationales est souvent prise en exemple dans le monde économique. Ces succès sont incontestables, même s'ils ne constituent pas des réussites sociales ou politiques.

Le consommateur paie aujourd'hui un certain nombre de produits relativement cher, parmi lesquels les produits bio ou les labels rouge qui proviennent d'ailleurs de l'agriculture productive. Je suis convaincue qu'il accepterait de payer plus cher des produits standards s'il est informé que cette hausse des prix est utile à l'autre maillon de la chaîne qu'est le producteur. Par exemple, la viande de boeuf coûte jusqu'à 120 ou 150 francs le kilo, ce qui reste un prix élevé. Je suis prête à la payer 90 ou 100 francs à condition que je n'enrichisse pas les maillons intermédiaires. Nous sommes en effet actuellement confrontés à un problème de répartition des marges sur les viandes. Lorsque les prix s'effondrent à la production, les prix à la consommation ne sont pas pour autant affectés, et augmentent même parfois.

Il est donc trop simple d'affirmer qu'une hausse du prix payé par le consommateur soutient l'amélioration des bénéfices du producteur. Il est en effet nécessaire de prendre également en compte les intervenants intermédiaires, qu'ils soient industriels ou qu'ils proviennent de la grande distribution. Une meilleure répartition des marges peut tout autant impliquer une augmentation très faible des prix à la consommation.

M. Philippe Arnaud, président - Nous ne devons pas adopter une position manichéenne. Les intermédiaires agissent effectivement entre le producteur et le consommateur. Bien que je ne représente aucun de ces corps professionnels, et si nous prenons l'exemple du pain, les laboratoires ont remplacé le four traditionnel. Les investissements désormais demandés au moindre boulanger de campagne pour mettre sa boulangerie aux normes représentent bien souvent une somme considérable. Des augmentations de coûts s'opèrent donc à tous les échelons de la production, chacun de ces derniers devant y trouver son compte.

Mme Marie-José Nicoli - Je comprends que les activités intermédiaires puissent engendrer leurs propres frais. Regardez cependant les résultats de la grande distribution. Les bénéfices enregistrés sont colossaux. Ils ne correspondent pas pour autant à la recherche d'enrichissement personnel, mais ils répondent à des pratiques et des filières spécifiques. J'ai ainsi eu l'occasion de travailler avec des agriculteurs dans un cas de figure reposant sur l'hypothèse de suppression de toutes les subventions. La survie économique du producteur serait donc uniquement assurée par sa production. Nous avons observé qu'en augmentant de 40 % dans différents secteurs les prix pour le producteur, la répercussion sur les prix pour le consommateur était de l'ordre de 5 à 10 %. Une hausse de cet ordre serait envisageable aujourd'hui, mais elle ne résoudrait pas les obstacles intermédiaires. En particulier, si nous persistons à refuser aux agriculteurs la possibilité de vivre correctement, il est inutile que les consommateurs paient plus cher. Une telle mesure n'enrichirait que les maillons intermédiaires, parmi lesquels les abattoirs, les industries et la grande distribution.

J'ai déjà rencontré le débat sur les coûts dans le monde industriel lorsque le Japon acheva sa phase de production de produits bon marché pour inonder le marché international de produits de qualité. Cette modification a suscité des regroupements. Les industriels français s'insurgeaient contre cette concurrence qui, selon eux, signifiait leur propre mort. Or, en quelques années, ils ont su opérer une modification des mentalités. Le monde de l'industrie s'est ainsi adapté, s'est converti à la production de qualité en s'organisant différemment. Les prix n'ont pas pour autant augmenté. Les secteurs de l'électroménager ont au contraire connu des baisses continues de leurs prix sur les quinze dernières années.

M. Louis Grillot - Dans quelle mesure cette logique de consommation est-elle responsable des différents tarifs administratifs imposés suivant les différentes qualités ? Autrefois, le label rouge ne se distinguait aucunement du reste des produits pour la simple raison que toute la viande répondait à la qualité de label rouge. Aujourd'hui, le consommateur refuse de payer de meilleurs produits à un prix plus élevé.

Mme Marie-José Nicoli - Je vous approuve totalement. Au cours des années, nous avons modifié les goûts des consommateurs. Face à certains produits, mes enfants adoptent des réactions bien différentes des miennes. Nous avons façonné la culture des nouvelles générations. Je suis cependant convaincue qu'aujourd'hui, les consommateurs paient les produits de qualité. Mais encore doivent-ils être en mesure de les identifier.

Le marketing fausse aisément les perceptions des consommateurs. Par exemple, un poulet qui sera présenté comme du poulet fermier sera acheté cher par un consommateur qui, une fois son produit consommé, s'estimera insatisfait par la qualité de la viande. Notre alimentation est de toute évidence très diversifiée. Nous devons impérativement concentrer nos efforts sur le respect sanitaire face à l'industrialisation des produits. Vous ne pourrez cependant contester que le consommateur dispose de produits à tous les prix, de même que les produits très chers sont des denrées appréciées. Dans le monde de l'élevage, quelques niches se distinguent. Les agriculteurs y sont peu nombreux, mais ils se satisfont des revenus issus de leur activité. Leurs filières de production bénéficient d'une excellente organisation leur permettant d'assurer une production de qualité. Ils disposent en effet de consommateurs et d'intermédiaires prêts à acheter leurs produits. Je suis convaincue de la nécessité pour les agriculteurs de penser en termes de qualité plutôt qu'en termes de masse, tout en ayant la quantité. Les consommateurs veulent en effet continuer à pouvoir disposer d'une offre abondante. La production industrielle soulève indéniablement un problème majeur. Je tiens d'ailleurs à rappeler que seuls 10 % des produits de notre alimentation correspondent aux produits simples. Les 90 % restants constituent des produits transformés, issus de l'assemblage, et provenant de l'industrie.

M. Philippe Arnaud, président - Madame la Présidente, je vous remercie pour votre contribution.

Mme Marie-José NICOLI - J'effectuerai des recherches précises sur la vaccination.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie. La vaccination relève d'un enjeu majeur, pour lequel nous disposons d'éléments de réponse scientifiques ainsi que d'éléments de réglementation internationale. Dans une telle perspective, nous souhaiterions particulièrement savoir si les réponses des consommateurs seraient favorables.

Mme Marie-José NICOLI - Vous avez raison. Nos abonnés sont des consommateurs raisonnables, qui ne cèdent pas facilement face à la pression d'organismes. J'accepte volontiers de consulter ces consommateurs, mais je ne peux aucunement vous assurer que la réponse apportée sera la réponse qui se manifesterait si la situation se produisait.

18. Audition de M. François Toulis, Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Bétail et Viande, membre du Bureau de la Confédération Française de la Coopération Agricole

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Toulis, vous êtes Président de la Fédération Nationale des Coopératives de Bétail et Viande, et membre du Bureau de la Confédération Française de la Coopération Agricole. Quelle est votre analyse de la crise de fièvre aphteuse que nous venons de traverser ? Comment jugez-vous la gestion du problème ? Quelles en sont les conséquences économiques, quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

M. François Toulis - Nous espérons bien que cette épidémie de fièvre aphteuse est désormais finie en France. Bien que cette crise ait engendré beaucoup de difficultés et soit difficile pour leur profession, les éleveurs sont contents que l'épidémie se soit limitée, en France, aux événements que nous venons de connaître. Nous devons en effet nous satisfaire de la faible ampleur du cas français, qui aurait pu évoluer de manière comparable à la catastrophe qu'a connue l'Angleterre.

L'épidémie pose la question du sérieux de notre police sanitaire et de nos contrôles. A plusieurs reprises, nous avons en effet subi les conséquences de crises survenues en Angleterre. Il serait donc utile de s'interroger sur les pratiques de travail sauvages imposées par le libéralisme anglais, en particulier pour le suivi du cheptel, pour l'identification et les mouvements d'animaux. Sans notre maîtrise des mouvements d'animaux et la rigueur de nos services vétérinaires, nous aurions très certainement été confrontés à une crise beaucoup plus dramatique. J'entends donc souligner les difficultés posées par les mouvements d'animaux et leurs opérateurs. La crise de l'ESB et la crise de la fièvre aphteuse ont soulevé des problèmes liés aux mouvements d'animaux et aux opérateurs douteux. Le cas de l'ESB a permis l'ouverture d'une procédure révélant l'ampleur des problèmes. En revanche, le cas de la fièvre aphteuse soulève des questions différentes.

Si nous ne pouvons jeter la pierre à l'importateur qui avait importé des animaux en règle, et ignorait que ces animaux étaient malades, nous pouvons nous interroger sur les informations transmises aux services lors de la découverte du premier cas chez nos voisins. En particulier, il serait utile de connaître les informations relatives à la provenance des animaux et aux itinéraires par lesquels ils avaient circulé, notamment dans le cas des ovins répandus sur le territoire. Les difficultés se sont fort heureusement limitées à la Seine-et-Marne. Les autorités françaises ont en effet pris les mesures nécessaires. Il fut cependant difficile de retrouver l'ensemble des ovins circulant sur le territoire.

L'identification et la traçabilité sont certes très avancées et très efficaces pour les bovins, bien que la banque de données nationale fonctionne encore imparfaitement. La réglementation relative aux ovins et porcs reste cependant inachevée. En particulier, cette période de l'année fut critique pour les ovins : en raison de fêtes religieuses au cours desquelles des ovins sont sacrifiés, certains circulaient dans des conditions peu officielles et leur traçabilité était insatisfaisante. Au-delà de la question du marché parallèle et de l'illégalité de ce commerce, cette situation n'est pas acceptable sur un plan sanitaire. Nous avons donc intérêt à ce que les pratiques se régularisent le plus vite possible.

La gestion fut menée par les autorités dans un contexte positif. Les fédérations du commerce ou des coopératives ont entretenu de bonnes relations avec la DGAL et les services du Ministère de manière à faire face le plus rapidement possible aux problèmes.

En pleine période crise, la circulation des animaux a été interdite puis nous avons assisté à la réouverture progressive de la circulation d'un élevage vers un abattoir, puis de plusieurs élevages vers l'abattoir, puis d'un élevage vers un autre élevage. J'insiste cependant sur l'impact néfaste des marchés publics. Ce mode de commercialisation me semble obsolète à deux titres. Sur le plan sanitaire, l'époque où l'ensemble des animaux d'un même département étaient rassemblés sur un seul marché est révolue. Les animaux circulent désormais sur les marchés publics à l'échelle de toute la France, si ce n'est de toute l'Europe. Une source de contamination peut donc être envoyé des uns aux autres. Ensuite, ce système n'est plus lié au bien-être animal. Les animaux sont maintenant manipulés hors de leur milieu naturel, chargés dans des camions, déchargés et stockés toute une journée sur le pavé.

Vous pourriez tout à fait me répondre qu'en tant que Président de la Fédération des coopérations, je ne suis pas particulièrement attaché au marché. En tant qu'organisation de producteurs, nous estimons en effet que la commercialisation doit être organisée à l'échelon des producteurs et de manière directe. Nous sommes cependant conscients du fait qu'un équilibre exige la coexistence du commerce privé et du commerce coopératif. Nous sommes actuellement capables d'organiser des marchés virtuels reprenant les cotations du marché entre les abattoirs, plus particulièrement pour les animaux de boucherie. L'élevage porcin présente d'ailleurs des avancées plus importantes en la matière que le marché des bovins. Notre organisation ne favorise pas le bien-être animal. Les animaux ne sont aucunement vecteurs des uns vers les autres. Ce sujet nous préoccupe fortement.

Un autre problème résulte de la non-conformité entre certaines décisions nationales et les décisions européennes. La non-cohérence entre les différents pays communautaires soulève d'autres difficultés. Par exemple, la position italienne gêne les éleveurs français. L'Italie prend en effet des décisions unilatérales non conformes aux décisions européennes. Serait-il donc possible d'intervenir à l'échelle communautaire ?

En définitive, nous devons faire preuve d'une grande rigueur quant à la circulation des animaux. La conséquence économique s'avère de toute évidence catastrophique pour nous. Alors que nous étions confrontés, depuis le mois d'octobre, à des difficultés conjoncturelles liées à la crise de l'ESB, nous avons été contraints d'arrêter complètement l'activité économique à l'export suite au premier cas de fièvre aphteuse. La complexité des circuits d'approvisionnement et de commercialisation des animaux ont sans aucun doute un facteur de risques. A cet égard, les coopératives qui travaillent avec leurs adhérents sont plus sécurisantes que les commerçants en bestiaux qui travaillent sur des marchés ouverts à tous et avec une population d'éleveurs changeante. Les activités des coopératives comme celles des commerçants sont arrêtées depuis deux mois sans aucune alternative possible. Nous avons certes continué de traiter le bétail à destination des abattoirs, mais le bétail est vivant et reste dans les exploitations.

Vous n'ignorez pas l'initiative prise par le gouvernement d'un plan de 1,4 milliards de francs à destination des éleveurs pour compenser l'ensemble de ces pertes. S'il est en cours d'application, et malgré les recommandations formulées par le Ministre, il fut décidé au niveau national de laisser une relative latitude quant à la décision de répartition des aides à l'échelon départemental. Malheureusement, cette aide fut bien souvent traitée en saupoudrage alors que le Ministre demandait qu'elle cible efficacement les agriculteurs touchés.

Prenons l'exemple théorique de deux agriculteurs possédant un troupeau de cinquante vaches allaitantes. L'un a pu vendre ses bovins de boucherie avant l'arrêt d'activité du 23 octobre, tandis que l'autre s'est vu interdire la vente de ses bêtes en raison de ce même arrêt du 23 octobre. Or l'aide fut attribuée par le département à ces deux éleveurs de la même manière. Je n'accuse aucunement le gouvernement car les recommandations du Ministre et l'envoi dans les départements furent correctement effectués.

J'affirme en revanche que les décisions professionnelles ont leurs limites et que le poids syndical joue fortement. Ces pratiques sont désastreuses car elles laissent certains agriculteurs dans une situation injuste et dramatique. J'ai ainsi directement signalé au préfet de mon département les pratiques de répartition des aides. Plus particulièrement, les mâles ont perdu de la valeur de manière flagrante, de même que les vaches laitières. Les vaches allaitantes se sont vendues au même prix, voire plus cher qu'à la même période de l'année précédente. Bien qu'ayant baissé, toute la consommation s'est en effet reportée sur les animaux des troupeaux allaitants et non sur le cheptel laitier. Je pourrais vous fournir de plus amples informations sur ce point.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous reconnaîtrez que la fièvre aphteuse a plutôt empêché de vendre des mâles dans les dernières semaines.

M. François Toulis - Vous avez raison. Et même, toute la filière de vente à l'exportation des animaux vivants fut affectée. Alors que le reste nous avait certes pénalisés, la fièvre aphteuse a entraîné un arrêt brutal. Les entreprises ont certes bénéficié de deux plans successifs. Le premier concernait les entreprises d'abattage et de découpe de viande et a permis l'accord de prêts au taux de 1,5 %. S'il fut accordé en octobre, au début de la crise, il ne se met en place qu'actuellement. Le second plan concerne les opérateurs d'animaux vivants. Il est important de souligner que le premier plan répond à la crise de l'ESB alors que le second résulte de la réaction du commerce des animaux vivants. Il est donc intervenu parce que la fièvre aphteuse aggravait la situation. La baisse d'activité résulte de l'ESB, tandis qu'un arrêt d'activité a été imposé en raison de la fièvre aphteuse. Nous avons été doublement affectés. Ces deux éléments séparés sont donc étroitement mélangés car la crise de la fièvre aphteuse s'est ajoutée à la crise de l'ESB.

Les dossiers relatifs aux conséquences des crises sont fortement mélangés. En revanche, l'analyse de la fièvre aphteuse constitue un élément distinct.

M. Philippe Arnaud, président - Merci beaucoup. Notre rapporteur va maintenant vous poser ses questions.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Comment envisagez-vous l'évolution des pratiques d'identification des ovins ? Comment pourrions-nous généraliser et unifier au niveau communautaire des systèmes parfois très différents ?

M. François Toulis - Cette question fut déjà posée lors de la crise des bovins en 1996. La France s'est sortie de l'ornière grâce à notre système d'identification. Le reste de la communauté a depuis décidé de progresser selon la même orientation. Elle s'efforce donc de généraliser l'identification bovine. Le même chemin doit donc être suivi pour les ovins.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Formuleriez-vous la même recommandation pour les porcins ?

M. François Toulis - L'identification des porcins s'avère plus délicate. Nous devons néanmoins progresser en matière d'identification et de circulation des animaux.

M. Philippe Arnaud, président - En tant qu'organisation professionnelle à l'échelon national, vous avez des lieux de rencontre et de débat, voire des instances où sont définies certaines orientations européennes pour une industrie de gros. Ces sujets sont-ils abordés avec vos homologues européens ?

M. François Toulis - Ils sont en effet abordés.

M. Philippe Arnaud, président - Sont-ils abordés de manière suffisamment concrète pour déboucher sur des propositions aux pouvoirs publics ?

M. François Toulis - Oui, ils sont abordés de façon concrète, mais non pour déboucher sur des propositions aux pouvoirs publics. Nous sommes incapables de dégager, au niveau professionnel, l'unanimité entre homologues européens. Nous ne soumettons par ailleurs des propositions à la Commission qu'à partir du moment où elles font l'objet d'un consensus. Nous sommes toujours réunis autour du plus petit dénominateur commun. Si nous abordons les mêmes débats sur la PAC en dehors des questions sanitaires, certains pays s'opposent entre eux. Par exemple, l'engorgement des animaux engendré par la fièvre aphteuse nécessite une solution de moyen terme. Si le problème a été résolu à court terme, nous n'arrivons pas à obtenir l'accord de tous les partenaires européens quant aux solutions de moyen terme. Celles-ci soulèvent de trop nombreuses difficultés tant pour le bien-être animal que pour les intérêts des lobbies.

M. Philippe Arnaud, président - Il serait intéressant de nous communiquer les références, des normes et textes qui fonderaient des différences d'appréciation entre les partenaires communautaires. Sauf erreur de ma part, les décisions en réponse à la fièvre aphteuse relèvent de la compétence européenne. Les modalités à mettre en oeuvre ont été définies à cette occasion, de même que des dispositions sanitaires s'imposent à l'ensemble de l'Union Européenne. En revanche, si les Etats membres discutent sur le terrain de l'application des décisions qui ont fondé les pratiques en cours, des améliorations pourraient être apportées au cadre communautaire.

M. François Toulis - Une fois que la décision est entérinée par Bruxelles, nous sommes dans l'obligation de l'appliquer. Je souligne pour ma part les difficultés soulevées par l'évolution de cette réglementation communautaire. Par exemple, l'identification généralisée des bovins ou la traçabilité sur les viandes relèvent de domaines où les efforts doivent être menés de façon progressive et continue dans la discussion. Une fois acquis, les éléments sont définitivement établis. Les règles émises en réponse à la fièvre aphteuse ont été appliquées. Les modalités d'application sont toutefois grandement facilitées à partir du moment où les pratiques d'identification généralisée et de circulation des animaux fonctionnent selon la même logique. Il reste donc à étudier les modalités d'application des décisions communautaires.

M. Philippe Arnaud, président - Seriez-vous prêt à affirmer que les dispositions communautaires en réaction à l'épidémie de fièvre aphteuse sont appliquées uniformément dans tous les Etats membres ?

M. François Toulis - Je me refuse à toute affirmation dans la mesure où je suis dans l'incapacité d'évaluer la situation, à moins d'étudier sur le terrain les pratiques dans chaque pays. Au contraire, je pencherais pour la réponse inverse.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ce problème constitue de toute évidence une faiblesse du système communautaire. Alors qu'en réponse à l'ESB, l'échelon européen avait engagé un programme évitant le recours à l'abattage systématique des troupeaux entiers, la France s'est engagée dans des dispositions différentes. Cette décision paraît-elle justifiée dans le cadre du respect du principe de précaution ?

M. François Toulis - Nous avons cependant été critiqués alors même que nos mesures allaient plus loin. Nous avons joué le rôle de précurseurs européens en matière de mesures sur la traçabilité. Nous avons par ailleurs instauré un système d'étiquetage fondé sur l'origine, la catégorie et le type d'animal, tandis que Bruxelles nous impose un système reposant sur une numérotation complexe et incompréhensible pour le consommateur.

Nous avons donc demandé au gouvernement français ainsi qu'à Bruxelles la possibilité de garder notre propre identification beaucoup plus claire aux yeux du consommateur, tout en insérant cette numération utile pour nos listings informatiques.

Si je vous présente une bête dotée d'un matricule, votre réaction sera toute autre que face à une bête dont je vous précise l'origine et l'espèce. Vous saurez ce que vous achetez. Nous devons actuellement faire preuve d'une détermination soutenue pour défendre ces acquis au niveau communautaire. Je vous rappelle que la traçabilité résulte d'un accord interprofessionnel français que les pouvoirs publics ont soutenu mais qui se trouve désormais hors-la-loi face à Bruxelles.

La construction européenne progresse cependant chaque jour un peu plus. La crise de 1996 fut d'ailleurs salutaire car elle a permis d'accélérer les avancées communautaires dans nos filières. Les récentes crises, aussi terribles soient-elles, nous feront une nouvelle fois progresser.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Les problèmes de santé animale sont incontestablement liés aux difficultés soulevées par les déplacements d'animaux. Vous avez également évoqué le bien-être animal, qui viendra inévitablement à l'ordre du jour. Quelle est votre position sur l'abattage des animaux sur les lieux de production ? Vaut-il mieux transporter des carcasses plutôt que des animaux vivants ?

M. François Toulis - Votre question soulève deux éléments. Dans le cas de l'ESB, aucun problème de transport des animaux ne s'est présenté, de même que l'abattage dans de bonnes conditions des bêtes à l'abattoir ne s'est heurté à aucune difficulté. La ferme n'est en effet aucunement le lieu adéquat pour effectuer des abattages. En revanche, la fièvre aphteuse présente de graves dangers de contamination. Il est donc normal de ne pas transporter les animaux. La décision d'abattre les bêtes et de les brûler sur place s'est imposée par nécessité.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ma question concerne les maladies contagieuses mais aussi le bien-être animal. A partir du moment où les animaux sont abattus sur les lieux de production, et non plus dans les abattoirs, le transport des carcasses ne porte désormais plus que sur 50 à 60 % du poids. Cette solution minimise en outre les risques de propagation de certaines maladies. Comment votre fédération envisage-t-elle le recours à cette mesure ? Comment prévoit-elle son avancée au niveau européen ?

M. François Toulis - Il est certain que moins l'animal est manipulé, plus son bien-être est préservé. Il reste dans son milieu naturel, il vit. Le trajet entre son étable et le lieu d'abattage doit être aussi court que possible. Nous évoquons cependant ici le cas des animaux partant à la boucherie. Nous possédons également une masse d'animaux destinés à l'élevage qu'il est nécessaire de déplacer d'un lieu vers un autre. Nous évitons donc les déplacements dans la mesure du possible. Nous devons en outre disposer d'outils suffisants à l'échelon communautaire, alors que nous possédons plutôt le double des outils d'abattage en France.

Un effort de restructuration viserait à privilégier des outils opérationnels, conformes aux normes et compétitifs. Or, chaque fois que nous incitons le producteur français à mettre de la valeur ajoutée sur ses animaux, ceux-ci injecteront de la valeur ajoutée à la base chez l'exploitant. Les difficultés que nous venons de connaître et la pénalisation des mâles risquent cependant d'infléchir les avancées en sens inverse.

Les exploitants travaillant dans l'engraissement animal ont vu leur activité bloquée. Ils ne sont donc plus incités à continuer dans cette voie, ce qui nous préoccupe énormément. Nous nous efforçons donc d'empêcher que les engraisseurs cessent leur activité en France. Il est primordial de continuer à injecter de la valeur ajoutée dans notre cheptel car cette politique soutient nos outils d'abattage et de transformation. Je vous invite à consulter les dossiers que la France a instruits pour tenter d'aider les producteurs à rester en production malgré la crise.

M. Philippe Arnaud, président - Parleriez-vous d'un manque d'abattoirs pour sacrifier les moutons lors des fêtes religieuses ?

M. François Toulis - Sans pour autant maîtriser ce sujet, la situation s'expliquerait d'abord par la volonté de ne pas passer par des abattoirs plutôt que par le manque d'abattoirs. Cette idée se fonde sur l'habitude des pratiquants d'abattre eux-mêmes les bêtes, amis aussi très certainement sur l'intérêt pour un commerce spécifique.

M. Philippe Arnaud, président - Au cours des missions antérieures, nous avons repéré une insuffisance du nombre des abattoirs. Disposez-vous d'éléments qui vous permettraient de démontrer que le nombre d'abattoirs est, comme vous l'affirmez, suffisant ?

M. François Toulis - J'estime que cette question mérite une expertise, mais je ne peux pas non plus répondre de manière certaine. Je sais cependant que les pratiques rituelles et le commerce illégal entraînent de telles dérives. S'il s'avère que nous manquons véritablement de capacités, comme les résultats des missions antérieures l'affirment, ces éléments ne devraient pas être occultés. Sur le secteur ovin, l'abattage clandestin nous handicape considérablement.

M. Philippe Arnaud, président - Pourquoi n'arrivez-vous pas à vous organiser, au sein de votre profession ou avec les pouvoirs publics, pour répondre à la demande forte suscitée chaque année par ces fêtes musulmanes ?

M. François Toulis - Dans le secteur oovin, la France est déficitaire. Nous approvisionnons 40 à 50 % de notre propre marché. Le reste provient de l'importation. La seule solution permettant à nos éleveurs de ne pas cesser toute production fut le recours aux labels. 95 % de la production d'agneaux français sous label ou CCP, donc sous signe officiel de qualité, est faite par la coopération française. Nous poussons nos membres à suivre cette orientation car elle offre l'unique garantie d'un revenu aux exploitants. En face de nous, ce système clandestin de marché noir incite cependant les éleveurs à rester dans des circuits parallèles.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Quel pourcentage passe actuellement dans les abattoirs ?

M. François Toulis - Je ne saurais vous répondre. Ceci rejoint cependant votre question précédente. Si, sur les ovins, nous disposions de la même traçabilité et de la même identification des animaux, l'impact serait tout autre. Par exemple, je suis tenu d'inscrire sur mon cahier d'étable l'identité des acheteurs de mes bovins, de même qu'une vente est authentifiée par un certificat d'équarrissage. L'animal ne peut s'échapper de la filière, à moins de ne pas le déclarer à sa naissance. Si un système comparable était instauré sur les ovins, nous n'observerions plus aucun dysfonctionnement au niveau fiscal, au niveau sanitaire, dans les conditions d'abattage comme pour le marché noir.

M. Philippe Arnaud, président - Tout le monde reconnaît donc l'existence de dysfonctionnements, mais apparemment personne ne bouge.

M. François Toulis - Nous réagissons, puisque nous demandons que l'identification ovine fonctionne comme sur les bovins.

M. Philippe Arnaud, président - Ces mesures seront mises en place sur le moyen terme, nous en convenons. D'autres mesures sont cependant nécessaires.

M. Paul Raoult - Les acheteurs de moutons vivants ont l'habitude de discuter du prix des produits. Les négociations durent relativement longtemps. Il faut comprendre que ces pratiques font partie des habitudes de vie et de commerce. Certains éleveurs entrent dans ce système. Ils disposent en effet de certains clients habitués. L'agneau est alors chargé dans le coffre de manière presque clandestine.

M. François Toulis - Il faut préciser que l'agriculteur a le droit de vendre ainsi, mais il doit déclarer la vente de l'animal dans ses recettes.

M. Philippe Arnaud, président - Si cette pratique existe de nos jours, comment se fait-il qu'elle perdure ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous avons connu le même problème, il y a plusieurs années, avec le cas des organisations juives. Or le problème a été résolu. Il faut que le Ministre de l'Agriculture et le Ministre de l'Intérieur indiquent que tous les abattages doivent être effectués dans les abattoirs officiels. La communauté musulmane viendra alors chercher les moutons dans ces abattoirs officiels et pourra assister à des abattages rituels. Elle pourra éventuellement participer à ces derniers.

M. François Toulis - Si l'on ne peut plus effectuer d'opérations commerciales, tous les autres problèmes seront réglés. Parfois, certains bovins sont abattus à la ferme.

M. Louis Grillot - Il arrive également qu'un animal accidenté soit envoyé à l'équarrissage.

M. François Toulis - Un éleveur qui abat un animal à la ferme rencontrera obligatoirement certaines difficultés. Comment procédera-t-il ? Il ne remettra que la tête de l'animal à l'équarrisseur...

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Cette pratique doit être replacée dans le contexte des nouvelles dispositions prises dans le cadre de l'affaire de l'ESB. Il est en effet indiqué qu'un animal accidenté doit aller directement à l'équarrissage.

M. François Toulis - Il s'agit d'une mesure absurde, d'un excès de précaution non fondé qui risque d'entraîner des fraudes.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Certains scientifiques mal informés ou malintentionnés ont considéré qu'un animal accidenté était plus enclin à contracter la maladie de l'ESB. Ce constat est ridicule. Il est nécessaire de préciser clairement, au niveau ministériel, que l'animal accidenté doit être conduit à l'abattoir pour subir le test de l'ESB mais qu'il ne doit pas être pour autant livré à l'équarrissage.

M. François Toulis - En effet, les crises ont conduit certaines personnes à perdre toute rationalité. Les recommandations de l'APSA ont contribué à affoler certaines personnes qui ont eu des comportements irrationnels.

De même, il n'est pas normal de refuser que des farines animales fassent partie de l'alimentation des porcs et des volailles. Nous devons suivre la nature. Ainsi, à l'état naturel, si l'on dispose une carcasse d'animal dans le foin d'une vache ou d'un mouton, ces derniers ne mangeront pas le foin et le contourneront d'au moins vingt centimètres. Ceci ne s'applique pas à la poule et au cochon, qui s'alimenteront normalement. Il n'est pas normal que nous ne soyons pas capables de faire manger aux porcs et aux poules les déchets de la viande saine mangée par les humains.

Je vais vous citer un exemple que je trouve forte représentatif. Dans un lycée agricole, le directeur de l'établissement donnait tous les déchets de la cantine aux cochons. Cela lui permettait d'éviter de mettre tonnes de déchets à la poubelle. Pourtant, le vétérinaire inspecteur a refusé que cette pratique soit poursuivie et le directeur de l'établissement a été contraint d'obtempérer. Je pense que cet exemple est caractéristique d'une réelle absurdité. C'est de la folie.

Les farines animales saines peuvent pourtant être données en pâture aux animaux si les circuits des différentes farines sont clairement séparés.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Comment envisagez-vous la maîtrise de la production en France ? Qu'envisagez-vous par rapport aux positions qui sont prises par les organisations professionnelles, notamment en ce qui concerne l'élevage laitier ?

M. François Toulis - Nous ne maîtriserons pas le nombre de vaches mais la production de lait. Par ailleurs, les vaches allaitantes recoupent l'important thème de l'occupation du territoire. Elles se révèlent en effet indispensables dans les zones difficiles. Sans vaches allaitantes, ces zones difficiles seraient totalement démunies. J'estime que la maîtrise doit être effectuée au niveau de l'abattage des petits veaux de huit jours.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Parmi les départements du Nord, le cas de mon département est emblématique, avec 220 000 vaches allaitantes et 22 000 vaches laitières. Les producteurs de lait doivent respecter des quotas. Parfois, ils augmentent leur production sans nécessairement diminuer leur nombre de vaches. Ils disposent alors d'excédents laitiers. Afin de trouver une solution, ils engraissent les mâles. Ceci contribue à mettre sur le marché une importante quantité de viande, dans la mesure où, dans l'élevage laitier, une vache sur deux accouche d'un mâle.

M. Paul Raoult - Si je tenais ce discours aux éleveurs de l'Indre-et-Loire, ils réagiraient très négativement. Dans la mesure où ils ne peuvent pas augmenter leur production de lait, ils disposent d'un complément de revenu grâce à la vente de la viande.

M. François Toulis - Nous sommes contingentés tant au niveau de la production de lait que des vaches allaitantes. Il existe notamment une gestion par les primes. Nous pouvons surtout maîtriser la production de viande au niveau des petits veaux. Ces derniers, en grandissant, pèsent 350 kilos de carcasse. Nous pouvons dès lors exercer une maîtrise au niveau des vaches allaitantes, pour les vaches hors quota. Je vous rappelle que le nombre de vaches hors quota est passé de 3,8 millions à 4,2 millions, ce qui signifie que la maîtrise est possible.

Nous pouvons en priorité maîtriser les petits veaux laitiers, qui sont vendus par les éleveurs lorsqu'ils sont âgés de huit ou dix jours, dans la plupart des cas. Les petits veaux partent ensuite dans le circuit commercial pour être replacés dans un autre élevage. A ce niveau, nous intervenons et nous les éliminons.

C'est ce que nous avons fait en 1993, dans le circuit normal de l'abattage. Il est évident que si nous produisons 100 unités et que nous n'en consommons que 80, nous devons absolument réagir sous peine de nous écrouler.

Par ailleurs, une autre mesure peut être envisagée. Nous pouvons travailler à la diminution du poids de carcasse. Si nous réduisons le poids du veau de boucherie de 20 kilos, nous maîtrisons grandement la production sur un groupe de 120 ou de 240 bêtes. Cette deuxième mesure permet de ne pas tuer les animaux et d'exercer une maîtrise sur le poids carcasse. Cette mesure s'applique également aux jeunes bovins. En outre, il est aisé de limiter le poids carcasse grâce à la gestion des primes.

Enfin, mes collègues et moi-même nous étonnons qu'aucune décision de maîtrise à moyen terme n'ait été prise après six mois de crise. A court terme, des milliards de francs ont été dépensés au niveau européen dans le but d'abattre et de brûler les animaux, tandis qu'aucune mesure n'a été prise à moyen terme. Il faut tout de même rappeler que certaines mesures sont toutefois faciles à prendre. Monsieur de Winne reconnaît que la décision d'abattage des petits veaux est celle qui a coûté le moins cher à la Communauté européenne, tout en étant assez efficace. Tout le monde s'accorde sur ce point, mais Monsieur Fichler ne veut pas envisager cette mesure. Il y a trois mois, lorsque Monsieur de Win a mis en avant cette possibilité, Monsieur Fichler lui a demandé de ranger son dossier et lui a rétorqué que la Communauté européenne n'était pas gérée uniquement en fonction de contingences économiques. J'estime que cette attitude est dramatique et que le problème n'est absolument pas réglé.

M. Paul Raoult - Il ne faut pas oublier que la pression pour la suppression des quotas laitiers se fait de plus en plus forte. Je suis persuadé que nous n'y échapperons pas d'ici trois ou quatre ans.

M. François Toulis - Vous m'avez demandé précédemment si les Anglais n'étaient pas quelque peu manipulateurs. Je vous réponds que je ne le pense pas. Par contre, je me demande si la situation que je viens de décrire ne résulte pas d'une pratique volontaire.

Aujourd'hui, plusieurs pays de la Communauté européenne souhaitent amener les prix au niveau du prix mondial. Il est évident que la compétition sera très forte. Au-delà de la crise importante que nous connaissons, il s'agit de faire face à l'intégration prochaine de dix pays d'Europe de l'Est. Je vous prédis que nous rencontrerons d'importantes difficultés, dans la mesure notamment où ces pays disposent d'une agriculture qui applique les prix pratiqués au niveau mondial et dans un contexte où la Communauté européenne ne souhaite pas augmenter le budget agricole. Si aucune mesure n'est prise, le problème sera vite réglé, mais la moitié des producteurs de notre pays sera éliminée.

M. Philippe Arnaud, président - Pouvez-vous m'indiquer quel est l'argument qui plaide en faveur de l'interdiction de l'abattage des petits veaux ?

M. François Toulis - La seule raison est la sensibilité et je dirais la sensiblerie de nos sociétés, qui sont loin des réalités de la nature et de l'élevage.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Le problème est posé par le fait que les races allaitantes ne disposent pas d'autres produits que le veau.

M. François Toulis - Si cette pratique est une orientation de fond, je constate qu'elle est en totale contradiction avec la politique française et le discours européen qui visent à maintenir le tissu rural.

Dans les faits, tout est mis en oeuvre pour faire disparaître notre type d'agriculture et nos élevages. Vous constaterez vous-mêmes que dans dix ans, les chiffres auront été divisés par deux. Il s'agit d'une déduction mathématique !

L'année dernière, j'ai vendu 70 vaches blondes d'Aquitaine E, soit la qualité supérieure, pour une somme de 24,50, gras fini. Cette année, j'en ai vendues 70 à 14,50, ce qui représente 10 francs le kilo pour 450 kilos. Effectuez vous-même le calcul !

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Seriez-vous favorables à la vaccination, dès lors qu'une distinction serait établie entre animaux vaccinés et animaux malades ? Quelle est la position de la profession sur la question ?

M. François Toulis - Nous ne sommes pas vétérinaires, mais les explications qui nous ont été fournies et nos propres analyses ne vont pas dans le sens de la vaccination. Nous sommes opposés à la vaccination car nous ne souhaitons pas nous isoler de certains marchés. De surcroît, avec la vaccination, nous ne pourrions plus savoir si l'animal est malade ou simplement s'il a été vacciné.

Depuis ce matin, les exportations vers l'Italie sont à nouveau autorisées à condition que des analyses sanguines soient effectuées sur les animaux. Imaginez-vous ce qui pourrait se passer si une bête se révélait positive après qu'un éleveur ait procédé à une vaccination non contrôlée ? Ceci aboutirait à refermer les frontières françaises. Le risque économique est trop important.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président, cette réponse est avant tout déterminée par des raisons économiques. Toutefois, la question du rapporteur présupposait l'utilisation d'un vaccin de nouvelle génération, qui serait un vaccin marqueur. En outre, il était supposé que cette disposition serait européenne et intégrée aux dispositions réglementaires de l'OIE.

M. François Toulis - Si, lors d'une analyse, il était clairement indiqué que le résultat est fonction d'une vaccination et si la vaccination n'interférerait pas négativement dans la recherche de la maladie ou au niveau du commerce international, il est clair que nous n'y serions pas opposés.

M. Philippe Arnaud, président - Cette précision est très importante. Nous constatons que la question de la vaccination donne lieu à des réactions très tranchées. Certaines réactions sont liées à une importante prise de conscience face aux abattages massifs, d'autres sont davantage liées à des éléments économiques et plus particulièrement aux possibilités d'exportation. Il est important de rappeler que la réflexion doit s'inscrire dans une appréhension globale du problème. Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir participé à cette réunion.

19. Audition de M. Régis Chevalier, Secrétaire général de la Fédération des producteurs de lait

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons M. Régis Chevalier, Secrétaire général de la Fédération des producteurs de lait. Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Quel est le point de vue de la Fédération des producteurs de lait sur la crise de la fièvre aphteuse ? Je vous précise que notre mission travaille sur cette crise, qui surgit après la crise de l'ESB. Nous aimerions connaître les enseignements que vous tirez de cette nouvelle crise et éventuellement les propositions que vous pourriez mettre en avant, afin d'adopter à l'avenir une approche différente.

M. Régis Chevalier - Avant toute chose, je tiens à vous remercier d'être ainsi à l'écoute de la profession. Cette attitude est très importante, en particulier dans l'étude d'un dossier comme celui qui nous intéresse aujourd'hui.

En tant qu'agriculteur dans le département de l'Orne, j'ai été particulièrement concerné par la crise de la fièvre aphteuse. En outre, étant le Président de la Chambre d'Agriculture de l'Orne, j'ai été amené à travailler sur la question de l'embargo qui a frappé les départements de l'Orne et de la Mayenne.

Je vous rappelle que la propagation de la maladie s'est effectuée par des ovins importés de Grande-Bretagne, lors d'une fête musulmane. Cet événement nous a interpellé, tant au niveau de l'application de la réglementation que de l'identification et de la traçabilité des animaux. En termes d'identification, je pense qu'il nous faut redoubler de vigilance, au niveau européen et national, tant pour les ovins que pour le cheptel porcin. En outre, la définition de la traçabilité doit être améliorée. Il faut préciser que l'absence totale de couverture vaccinale n'a pas été sans conséquence.

Je tiens à préciser que nous ne remettons pas en cause les décisions qui ont été prises par les pouvoirs publics, notamment la DGAL. Nous avons d'ailleurs organisé plusieurs réunions d'information pour les agriculteurs, afin d'évoquer les contraintes imposées par les autorités. En fait, nous avons rencontré de grandes difficultés à informer les agriculteurs de manière permanente. En effet, la réglementation communautaire était modifiée chaque semaine : il existait toujours un décalage entre la nouvelle réglementation et l'information que nous diffusions aux agriculteurs. Nous avons tenté de pallier ces problèmes, mais nous avons tout de même rencontré de nombreuses difficultés.

Par ailleurs, nous restons partisans de la non-vaccination. Les mesures prises ont été efficaces, même si elles causent certains préjudices d'un point de vue économique. En effet, si la vaccination avait été effectuée, les problèmes auraient été encore plus importants. Nous estimons que les décisions prises par la DGAL ont été pertinentes, même si elles ont été durement ressenties sur le terrain.

En outre, les abattages préventifs qui ont été effectués en raison de la non-vaccination ne sont pas contestés par les éleveurs. En revanche, ils posent certains problèmes en termes d'éthique. Cet aspect a été très vite compris par l'opinion publique, qui a été choquée par les images montrées à la télévision. De surcroît, ces images ont contribué à la baisse de la consommation de viande.

Si les indemnisations se révèlent suffisantes, les éleveurs acceptent les abattages préventifs. Je tiens toutefois à mettre l'accent sur un point important. Il concerne un nouvel arrêté qui vient d'être publié le 30 mars. Ce dernier intervient à un moment critique et pose de sérieux problèmes. En effet, il est important de préciser que si une nouvelle épidémie était enregistrée, un tel arrêté serait totalement inapplicable. Les mesures qu'il prévoit sont autant de lourdeurs administratives. En premier lieu, deux experts fixent des plafonds. Or ces plafonds ne sont pas réalistes car ils ne tiennent pas compte des pertes d'exploitation. Dans un second temps, l'éleveur a le droit de contester le montant de l'expertise. Le dossier remonte alors à la DGAL et fait l'objet d'une contre-expertise. La décision ultime revient au préfet. Cet arrêté s'applique tant pour l'ESB que pour la fièvre aphteuse. Dans tous les cas, les délais ne pourraient pas être respectés, dans la mesure où les abattages doivent avoir lieu dans les heures qui suivent la déclaration de l'épidémie. Cet arrêté est donc totalement inapplicable.

En outre, je voudrais mettre en avant le rôle des DSV. Il me semble qu'il faut laisser un peu plus d'initiative aux DSV qui ont bien géré le dossier, notamment avec les personnes qui se trouvent sur le terrain. Nous avons connu de très graves difficultés pour faire circuler les animaux, et nous savons tous qu'il fallait prendre toutes les précautions nécessaires. Au nom du principe de précaution, plus personne ne consent à prendre une part de responsabilité. Je pense toutefois qu'à un moment donné, les responsabilités doivent incomber à certaines personnes.

Par ailleurs, au niveau des indemnisations, dans le cas de la Baroche Beaudoin, les organisations agricoles ont pris toutes les mesures et précautions nécessaires en vue de maîtriser la situation. Nous avons rencontré par le Ministre de l'Agriculture, qui nous a reçus avec un ensemble de parlementaires et nous a fait de grandes promesses, notamment celle d'une première enveloppe de 30 millions de francs. Les propos du ministre de l'Agriculture se voulaient rassurants, notamment en matière de solidarité avec toutes les filières. Les départements de l'Orne et de la Mayenne étaient alors présentés comme des boucliers, d'un point de vue européen. Au niveau national, le discours se voulait bien plus rassurant et solidaire. L'après-midi, le Président de la République a tenu des propos tout aussi rassurants pour les éleveurs. Son discours allait dans le sens de l'indemnisation des stocks.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Le représentant de la mission s'est rendu sur le terrain et a enregistré toutes les doléances. Toutefois, nous n'avons encore eu aucun retour, alors que le rapport a pourtant été déposé. Cela commence donc à poser de sérieux problèmes. Ainsi, si une autre épidémie apparaissait, nous rencontrerions de graves difficultés pour faire appliquer les directives.

En outre, j'ai demandé que la répartition des 30 millions de francs soit effectuée de manière transparente. Or le processus n'est pas transparent. Je n'ai obtenu aucune réponse. Je précise que je siège au Conseil de direction de l'Office du blé. Dans ce cadre, il m'a été demandé de voter une enveloppe de 5 millions de francs pour les agriculteurs. Il s'agit en fait d'un redéploiement des crédits qui étaient destinés à l'agriculture. Or nous ne nous situons plus dans le cadre de la solidarité nationale. Ceci pose un problème de fond.

J'ai rencontré hier Madame la Directrice de l'ONILAIT et je pense que nous allons trouver une solution en ce qui concerne les producteurs fermiers. L'entreprise Gilo a fait l'objet d'une discussion. Cette entreprise qui produit des fromages au lait cru s'est vu proposer une somme représentant 50 % des dommages qu'elle a subis. Les autres entreprises n'ont bénéficié d'aucune aide. Il est pourtant nécessaire de tenir compte des surcoûts de collecte, cette dernière ayant été organisée, en deux heures, par la profession laitière. Plusieurs réunions téléphoniques ont eu lieu, grâce à une interprofession qui fonctionne de manière satisfaisante. Je tiens à souligner que les pouvoirs publics ne sont pas à l'origine des actions qui ont été menées.

Nous mettons ainsi en exergue un véritable problème. Le président du NEL, Jean-Michel Lemétayer, a écrit aujourd'hui au ministre de l'Agriculture pour soulever le véritable problème qui se pose au niveau de la filière laitière. Je vais vous citer un exemple. L'entreprise Sodial, qui fabrique le Camembert « Le Rustique », a vu son préjudice absorbé par le groupe agro-alimentaire, malgré d'importantes pertes au niveau commercial. De nombreux camemberts ont été retirés du marché et les pertes s'élèvent à 2 millions de francs. A celles-ci s'ajoutent de nombreuses répercussions sur le plan commercial.

D'une manière générale, nous pensions pouvoir sortir correctement de cette crise, qui a été bien gérée, malgré certains moments difficiles. Or nous constatons actuellement le désarroi de nombreux éleveurs.

Par ailleurs, concernant l'avenir des fromages au lait cru, les scientifiques indiquent que lorsque le PH descend en dessous de 6, plus aucun problème ne se pose. Quelle considération faut-il accorder à ce type d'information ? Il me semble que cette crise doit également permettre d'effectuer un bilan sur les plans technique et scientifique.

Pour conclure, nous regrettons encore une fois que Monsieur Pouri n'ait pas bénéficié d'une délégation de pouvoir pour le dossier qui nous concerne.

M. Philippe Arnaud, président - Merci, Monsieur Chevalier. Vous avez émis le souhait que la crise prenne fin. N'avez-vous pas le sentiment que nous sommes passés à côté d'une catastrophe de grande ampleur ?

M. Régis Chevalier - En effet, je pense que nous sommes sans doute passés à côté d'une catastrophe de grande ampleur. Ainsi, pour avoir vécu la crise de très près, je peux vous affirmer que la mise en place des rotoluves n'a véritablement porté ses fruits qu'au bout de trois jours. Personne n'était prêt suffisamment tôt. Pourtant, chacun a fait de son mieux, avec l'appui des maires, des élus locaux et de la gendarmerie. Il est toutefois très difficile d'intervenir en 48 heures. Ceci nous interpelle, par rapport à la question de la vaccination.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez indiqué que vous êtes partisan de la non-vaccination. Sur quoi fondez-vous votre point de vue ? Je me permets de vous poser de nouveau la question, en m'adressant particulièrement au Président de la Fédération des Producteurs de Lait. Quels sont les arguments qui étayent votre position en matière de vaccination ?

M. Régis Chevalier - Je tiens à préciser que si les bêtes avaient été vaccinées, il aurait tout de même fallu prendre les mêmes dispositions. En effet, le virus est apparu chez les ovins, qui n'ont jamais été vaccinés. De plus, nous aurions pris moins de précautions si les bêtes avaient été vaccinées, et le virus aurait peut-être pu être propagé par les ovins ou par l'homme. Le véritable problème qui se pose est celui de l'exportation puisque la France est un pays dans lequel les bêtes circulent en grand nombre. Avant de reprendre la vaccination, il faudrait d'abord adapter les vaccins. De plus, cette décision ne pourrait être prise qu'au niveau européen ou mondial, ce qui paraît impossible dans la pratique. Par ailleurs, je tiens à vous rappeler qu'un animal vacciné peut tout de même propager le virus.

M. Philippe Arnaud, président - Toutefois, tout le monde s'accorde à reconnaître que les programmes de vaccination éradiquent effectivement la fièvre aphteuse.

M. Régis Chevalier - Oui, mais cela est vrai uniquement si tous les animaux sont vaccinés, y compris les ovins et les porcins.

M. Philippe Arnaud, président - Ce cas ne s'est jamais présenté. Tous les animaux n'ont jamais été vaccinés en totalité. Toutefois, lorsque les bovins seuls ont été vaccinés, la maladie a disparu.

M. Régis Chevalier - Les animaux et les produits circulent de manière de plus en plus importante. Les risques sont donc majeurs. En cas de reprise de la vaccination, notamment des cheptels ovins et porcins, il faudrait que la procédure soit généralisée au minimum à l'ensemble des pays de l'Union européenne. Cette mesure est-elle envisageable ? Au sein de notre Fédération, un débat s'est tenu sur ce point. Aujourd'hui, tout le monde reconnaît que le système français a été efficace, contrairement au système anglais. Nous considérons que nous devons être beaucoup plus vigilants sur l'identification des ovins, dans la mesure où ces derniers ne sont pas tous identifiés actuellement.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - A vous entendre, tout s'est fort bien déroulé et, en France, la situation est bien meilleure qu'en Angleterre. Or, en Seine-et-Marne, dans la Mayenne et dans l'Orne, les directeurs des services vétérinaires et les préfets ont reconnu que le facteur chance a été important et qu'un dérapage aurait pu intervenir. Dans cette perspective, une centaine de cas de fièvre aphteuse auraient pu se manifester dans certains départements. Personne n'aurait été préparé à un problème d'une telle ampleur. Le jugement que vous portez en matière de vaccination est un jugement d'opportunité. Quelle aurait été votre position s'il avait fallu gérer une cinquantaine de cas ? Il faut prendre en compte les aspects liés à la gestion de la crise. Ainsi, l'intervention de la DDE et la mobilisation de l'armée demandent un certain temps. Quelle aurait été votre position si l'épidémie avait été beaucoup plus importante ? Par ailleurs, quelle a été l'incidence financière de la crise pour les producteurs de lait ? Nous avons rencontré les directeurs des entreprises Gilot et Sodial. Ces derniers nous ont exposé leurs pertes. Toutefois, nous aimerions connaître les incidences financières de la crise pour les producteurs eux-mêmes. Enfin, comment avez-vous réagi à l'abattage du troupeau, qui a été entrepris sans que les résultats de la prise de sang n'aient été préalablement obtenus ? Nous constatons en effet que l'abattage du cheptel laitier a débuté vers 22 heures tandis que le résultat des analyses n'est parvenu qu'à 3 heures du matin.

M. Philippe Arnaud, président - Je voudrais insister sur l'importance de la deuxième et surtout de la première question qui viennent d'être posées. Je crois que l'un des constats que nous pouvons faire aujourd'hui est que, en effet, d'un point de vue scientifique et statistique, nous sommes passés à côté d'une grande catastrophe. Je pense que nous aurions pu connaître, en France, une situation identique à celle de la Grande-Bretagne. La question du rapporteur est donc à mon sens très importante.

M. Régis Chevalier - Je ne suis pas du même avis. Si la réaction officielle a sans doute été trop tardive, les producteurs ont tout mis en oeuvre pour se protéger immédiatement. En effet, les producteurs connaissaient d'ores et déjà la maladie. Cette connaissance leur a d'ailleurs parfois été transmise par leurs parents. La bonne résolution de la crise a été permise par la prise de conscience des éleveurs, qui ont parfois réagi avant d'être officiellement informés des mesures à prendre.

Par ailleurs, si l'épizootie s'était développée, il aurait peut-être été nécessaire de mettre en place un anneau sanitaire afin d'éviter la propagation de la maladie.

Enfin, au niveau des producteurs de lait, de nombreuses mesures ont été prises, en étroite relation avec les entreprises laitières, pour éviter la propagation de la maladie d'une exploitation à l'autre. Même si la réglementation ne l'imposait pas, des rotoluves ont été mises en place spontanément à chaque entrée de ferme. De même, le nettoyage systématique a été entrepris spontanément. Chacun a fait preuve de bon sens pour éviter la propagation de la maladie. Ceci étant dit, je ne peux pas nier que nous avons peut-être eu de la chance. Je ne veux pas être catégorique.

M. Philippe Arnaud, président - Je tiens à préciser que les statisticiens avaient annoncé que la maladie reviendrait inévitablement.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous devons également tenir compte du fait que les animaux ne se trouvaient pas dans les herbages mais dans les exploitations, ce qui a permis de mieux suivre l'évolution de l'épidémie.

M. Régis Chevalier - Nous sommes plutôt favorables à la non-vaccination. Toutefois, notre position n'est pas catégorique.

Par ailleurs, je constate que les producteurs de lait des départements de l'Orne et de la Mayenne ont été payés de la vente de leur production. C'est pourquoi je demande fermement que la filière soit indemnisée. Si l'entreprise Gilo n'est pas indemnisée correctement, les éleveurs en paieront les conséquences. Je vous rappelle qu'il existe une forte solidarité au niveau de l'interprofession. Je demande que les entreprises soient indemnisées à hauteur du montant du préjudice, qui a été défini par les expertises. Ces dernières ont été effectuées très sérieusement.

Je tiens à souligner qu'en tant qu'organisation syndicale, nous ne fléchirons pas dans ce domaine. La crise a eu une incidence financière pour des producteurs fermiers qui sont identifiés dans chacun des départements. La procédure est désormais lancée au niveau de l'OMID qui attendait l'autorisation d'agir officiellement, mais qui était prêt à nous aider bien auparavant.

M. Paul Raoult - Je suis un peu surpris par votre position sur le problème de la vaccination. Je m'attendais à une position contraire. En effet, les producteurs de lait de ma région sont en faveur de la vaccination, dans la mesure notamment où ils n'exportent pas de viande. Ils souhaitent avant toute protéger leurs troupeaux de la fièvre aphteuse. Leur seul souci est de protéger leurs troupeaux afin de produire correctement leur lait. Je m'attendais donc à ce que vous ayez la même position. J'ai d'ailleurs reçu une pétition des producteurs de lait demandant la mise en place de la vaccination. Pour ma part, je suis plutôt opposé à la vaccination car je pense qu'il faut protéger les importants intérêts financiers de la filière viande. Pouvez-vous m'expliquer votre position ?

M. Régis Chevalier - Je ne sais pas de quelle région vous venez...

M. Paul Raoult - Je viens du département du Nord. Je suis de la région de l'Avesnois .

M. Régis Chevalier - Il faut savoir que les producteurs de lait produisent également de la viande. Or 50 % de la production de viande bovine en France proviennent des « femelles de réforme » productrices de lait. La France est un grand pays exportateur de viande. Dès lors, toute politique de vaccination devrait être mise en place au niveau européen. En outre, la France exporte également de nombreux produits laitiers.

M. Paul Raoult - Il paraît que l'exportation de produits laitiers ne comporte aucun danger.

M. Régis Chevalier - Vous savez bien que, parfois, les prétextes sanitaires peuvent servir à fermer les frontières. Ainsi, je peux vous citer le cas d'une entreprise de Mayenne qui n'a pas pu exporter vers les marchés des pays du Maghreb. Par ailleurs, je tiens à rappeler que nous sommes également des producteurs de viande et de veaux. Quoi qu'il en soit, il est vrai que la question de la vaccination doit être approfondie. Notre position n'est vraisemblablement pas figée.

M. Paul Raoult - La première réaction de l'éleveur qui possède 150 vaches laitières et qui pratique l'élevage intensif est de se protéger afin de poursuivre son activité. Nous connaissons actuellement certaines difficultés à leur expliquer qu'il n'est pas opportun de vacciner. Ils sont en faveur de la vaccination.

M. Régis Chevalier - Nous avons également connu des discussions difficiles sur le sujet. En effet, individuellement, il est parfois tout à fait possible de prendre des décisions qui se révèlent contraires à l'intérêt collectif.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Président et Monsieur le Secrétaire général, l'intérêt collectif doit être fondé sur l'intérêt économique. Or je tiens à souligner qu'aucun élément chiffré ne démontre l'existence d'un quelconque intérêt économique collectif. Nous vous demandons donc de bien vouloir nous fournir de plus amples informations dans ce domaine. L'argument de l'intérêt économique collectif est toujours employé, mais aucun chiffre ne nous est jamais fourni. Pouvez-vous nous démontrer l'existence de cet intérêt collectif ? Pouvez-vous nous fournir les éléments chiffrés nous permettant de prouver l'intérêt économique d'une politique de prophylaxie avec ou sans vaccination ? Aujourd'hui, la mission ne dispose toujours pas d'éléments permettant d'étayer de tels raisonnements. A chaque fois que nous posons de telles questions, nous rencontrons des difficultés à obtenir des réponses. Lorsque certains rapports nous fournissent quelques éléments de réponse, ceux-ci sont malheureusement contradictoires.

M. Régis Chevalier - Nous pourrons vous communiquer les chiffres ultérieurement. Nous disposons en effet de certains éléments dans ce domaine.

M. Philippe Arnaud, président - Il a été scientifiquement démontré qu'aucun problème ne se posait en ce qui concerne le fromage, y compris le fromage au lait cru. Les explications se rapportent à la question du PH. En revanche, il apparaît que la viande, le lait et la crème sont cités dans le code en vigueur. Le fait que le fromage ne soit pas expressément cité doit-il constituer un sujet de préoccupation ? Estimez-vous, au contraire, qu'il s'agit d'un élément favorable dans la mesure où les aliments qui ne sont pas cités ne font pas l'objet d'une recommandation particulière ?

M. Régis Chevalier - Il existe trois sortes de camemberts : les camemberts au lait cru, les camemberts thermisés et les pasteurisés. Certains camemberts thermisés ont été détruits. Si la preuve qu'aucun risque n'existe en matière de transport des fromages, je ne comprends pas pour quelle raison le principe de précaution a tout de même été appliqué à ces aliments. D'une manière générale et sur l'ensemble des dossiers, nous prenons actuellement des précautions qui vont au-delà de ce qu'il serait normal d'envisager. Nous sommes surtout préoccupés par la question de la collecte. Il s'agit notamment d'éviter que le virus ne se propage d'une exploitation à l'autre. De ce point de vue, le risque existe réellement pour les éleveurs. En revanche, la question des fromages concerne davantage les industriels.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Secrétaire général, nous vous remercions. Nous vous demandons de bien vouloir nous transmettre tout élément d'ordre économique qui se rapporte à cette question.

20. Audition de M. Daniel Gremillet, membre du Bureau de l'APCA

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons M. Daniel Gremillet, qui est membre du Bureau de l'APCA. Nous recevons également Madame Marlin, du Conseil permanent des Chambres d'Agriculture. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur la crise de la fièvre aphteuse. Quels sont les enseignements que vous pouvez en tirer ? Quelles sont vos éventuelles propositions pour anticiper toute nouvelle crise ?

M. Daniel Gremillet - Monsieur le Président, il est en effet intéressant de se projeter dans le futur mais aussi d'analyser sur le vif ce que nous venons de vivre. Dans notre société, tout évolue très vite. Ceci s'applique à la fois aux hommes, aux biens et aux animaux. Leur circulation rapide a des conséquences tant communautaires qu'internationales. Dans un tel contexte, les décisions prises en France pour gérer la crise ont été tout à fait efficaces. Elles sont le fruit du sérieux et de la rapidité avec lesquels les services du Ministère de l'Agriculture ont réagi, par le truchement des services vétérinaires et des organisations d'élevage au niveau des départements. Il faut souligner l'action réussie de l'ensemble des organisations syndicales qui ont joué le rôle de relais auprès des agriculteurs. Enfin, nous pouvons également nous réjouir du sérieux et de la responsabilité des éleveurs français. D'une manière générale, notre pays a ainsi fait preuve d'un comportement citoyen face à cette crise.

Toutefois, ces comportements très responsables n'ont pas évité l'abattage de 60 000 animaux en France. Ce chiffre est considérable dans la mesure où d'autres animaux avaient d'ores et déjà été abattus lors de la crise de l'ESB. Cet abattage massif a fragilisé la situation économique des cinq départements touchés par la maladie et de l'ensemble des éleveurs dans le périmètre de ces départements. En outre, d'une manière générale, l'ensemble des activités agroalimentaires françaises a été touché. Les décisions qui ont été prises ont ralenti l'exportation de produits alimentaires. En effet, certains acheteurs européens ont été plus prudents encore que ne le suggéraient les recommandations du Comité vétérinaire permanent européen sur les importations des produits agricoles d'origine française. La France était le deuxième pays européen, après l'Angleterre, à compter un cas de fièvre aphteuse et les pays voisins acheteurs ont été plus durs que les recommandations communautaires.

Par ailleurs, certains produits ont cessé d'être fabriqués durant cette période, notamment les produits agroalimentaires au lait cru. Ceci a eu de significatives conséquences économiques, tant pour les éleveurs que pour la filière agroalimentaire.

Il est important de souligner qu'aujourd'hui, le recours aux charniers et aux brûlots choque à la fois l'opinion publique et les éleveurs. Nous ne remettons pas en cause l'abattage nécessaire au titre de la prévention, mais nous déplorons les moyens mis en oeuvre. Nous devons tirer des enseignements de cette expérience. Aujourd'hui, l'opinion publique est très attentive à l'aspect sanitaire de l'agriculture, ainsi qu'aux méthodes et aux moyens mis en oeuvre en France et au sein de l'Union européenne. Ceci doit nous interpeller et nous devons traiter de nouveaux aspects de l'élevage, comme l'abattage et la disparition des animaux morts.

En outre, nous devons faire preuve de transparence. Dans notre société, les consommateurs citoyens doivent comprendre pourquoi nous prenons certaines initiatives.

En outre, nous pouvons tirer un autre enseignement de cette crise. Il s'agit d'une hypothèse d'école. Il est vrai que nous n'avons fait face qu'à un nombre de cas limité. Si les moyens de prévention avaient dû être généralisés à d'autres départements dans des proportions beaucoup plus importantes que celles que nous avons connues, il aurait fallu que les moyens de prévention aient pu être expérimentés dans les entreprises, en situation réelle. Par exemple, il ne suffit pas d'écrire qu'avant d'entrer dans une exploitation ou dans une entreprise agroalimentaire le matériel doit être désinfecté. Il faut également mettre en place et vérifier les matériels et les procédés. Il est également indispensable de veiller à ce que les salariés des entreprises agroalimentaires adoptent des comportements adéquats. A l'avenir, il sera peut-être nécessaire de prévoir des entraînements, qui devront largement dépasser le cadre des recommandations.

Par ailleurs, je souhaite insister sur le nécessaire renforcement des contrôles aux frontières, à l'intérieur de l'Union européenne. La libre circulation des produits à travers l'ensemble des pays de l'Union européenne doit tenir compte du risque sanitaire. Dès qu'un risque est identifié dans un pays, il est nécessaire que tous les produits qui proviennent ou qui transitent par ce pays puissent avoir une bonne traçabilité. Ainsi, il ne doit pas être possible de transférer des animaux vers ou provenant des Pays-Bas en passant par la France ou inversement sans connaître totalement le circuit. Le circuit des marchandises doit être clairement identifié dès qu'un cas d'animal malade est signalé dans un pays de l'Union européenne. Il ne s'agit pas d'effectuer un contrôle systématique aux frontières, mais de s'assurer de la possibilité de remonter la filière en cas d'identification d'un animal malade.

Le sérieux avec lequel la traçabilité a été mise en place pour les bovins a permis de mieux connaître les itinéraires de transit. La mise en place de l'identification des animaux (IPG) dans l'ensemble des pays de l'Union européenne est un élément essentiel. A l'avenir, la préférence communautaire devra intégrer le risque sanitaire. Aujourd'hui, plus personne ne conteste le fait que la société européenne s'impose des règles permettant au citoyen d'exiger de la part des fournisseurs, des agriculteurs et des entreprises agroalimentaires un certain nombre d'exigences. Dans ce contexte, ces nouvelles considérations d'ordre sanitaire doivent être intégrées au titre de la préférence communautaire, par rapport aux produits extérieurs à l'Union européenne. Ces mesures se justifient non seulement en termes de distorsion de la concurrence mais aussi en termes de risques sanitaires encourus à l'intérieur de l'Union européenne.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur le débat concernant la vaccination. Lorsqu'il a été décidé au niveau européen de supprimer toute vaccination, les bovins étaient les seuls à être vaccinés. Or, pour assurer une bonne protection des animaux, les ovins, les porcins et les caprins doivent également être vaccinés. Au cours du débat, certains ont évoqué la nécessaire protection de l'ensemble des espèces, qui peuvent propager la maladie. De surcroît, nous connaissons l'existence de plusieurs variantes de fièvre aphteuse, ce qui ne permet pas au vaccin d'être efficace dans tous les cas, comme l'expérience l'a montré. Ainsi, il se pourrait que tout en décidant de vacciner nous n'ayons pas la certitude que cette vaccination soit entièrement efficace.

Depuis que nous avons arrêté de vacciner les animaux, nous avons réussi à maîtriser la fièvre aphteuse durant près de dix ans. En France, la dernière grande épizootie remonte à 1968. Près de 220 000 foyers avaient alors été recensés.

Le débat sur la vaccination est souvent réduit à une question économique. Cela me semble un peu réducteur. L'arrêt de la vaccination s'explique par plusieurs raisons. La première, que j'ai déjà évoquée, est que le vaccin ne peut pas protéger l'animal de toutes les variantes de la maladie. La deuxième raison est que qu'un animal vacciné peut transmettre malgré tout la maladie à un animal sain. La vaccination n'apporte donc pas toutes les garanties de non-transmission de la maladie d'un animal vacciné à un autre. Enfin, il est important de tenir compte du fait que l'OMC considère aujourd'hui qu'un pays qui vaccine son bétail est un pays contaminé. Si l'Union européenne devait demain choisir de vacciner ses bêtes contre la fièvre aphteuse, elle devrait parvenir à faire partager ce choix à l'OMC.

Je pense que nous avons pris du retard depuis dix ans et l'arrêt de la vaccination au niveau européen. Nous n'avons pas entrepris de recherches pour la mise au point des vaccins marqués, qui permettraient d'assurer la distinction entre un animal malade et un animal vacciné. Toutefois, il semblerait que les marqueurs aient déjà été expérimentés. De plus, nous n'avons pas consacré de moyens suffisants aux études visant à établir avec certitude que l'animal vacciné ne peut contaminer un autre animal.

Les scientifiques estiment qu'une vaccination contre la fièvre aphteuse n'est efficace que si elle concerne 75 % du cheptel « sensible » d'un Etat ou d'une région.

Selon une estimation établie par les services de l'APCA, le coût annuel d'une vaccination de 75 % du cheptel sensible s'élèverait à :

- 610 à 790 millions de francs en utilisant un vaccin trivalent (équivalent à celui utilisé en France avant 1991) ;

- ou 1,4 à 2 milliards de francs pour un vaccin heptavalent (actif sur les sept souches de virus de fièvre aphteuse connues à ce jour).

Ainsi, en 10 ans, ce sont entre 6 et 15 milliards de francs, selon le type de vaccin employé, qui ont été « économisés » sur la vaccination en France.

Ce chiffre est à rapprocher du coût de la crise bovine actuelle (ESB et fièvre aphteuse confondues) estimé par l'APCA à 4,5 à 5 milliards de francs de pertes de trésorerie pour les éleveurs qui devrait se traduire en fin d'année 2001 par une perte nette comprise entre 1,4 et 2,5 milliards de francs.

M. Philippe Arnaud, président - Pouvez-vous nous apporter des précisions sur deux points particuliers ? J'ai bien noté que la gestion de la crise avait été effectuée de manière satisfaisante en France. Toutefois, il a été dit que nous étions passés à côté d'une crise très grave, dont l'étendue aurait pu être comparable à celle qui s'est produite en Grande-Bretagne. Le facteur chance a été jugé déterminant. Quel est votre point de vue sur la question ? J'aimerais également que vous précisiez votre point de vue sur la vaccination. Vos arguments se fondent-ils sur des éléments du passé ou sur les possibles progrès qui pourraient être enregistrés à l'avenir dans ce domaine ? Que serait votre position en matière de vaccination si un vaccin marqueur et multi-souches était élaboré, sous réserve d'une modification de la réglementation ?

M. Daniel Gremillet - Je ne pense pas que nous ayons réellement risqué de connaître une situation comparable à celle de l'Angleterre. Le nombre limité de cas en France résulte peut-être d'un facteur chance, mais l'identification, la traçabilité et la connaissance de la migration des animaux sur le territoire français ont permis de maîtriser efficacement et immédiatement la maladie. N'oublions pas qu'en France, les vétérinaires sont présents aux côtés des éleveurs et travaillent avec eux. Ils jouent de ce point de vue un rôle très important sur le terrain. D'ailleurs, il me semble que le rapport entre le nombre de vétérinaires et le nombre d'animaux est largement plus favorable en France qu'en Grande-Bretagne, notamment parce qu'en Grande-Bretagne, les vétérinaires s'occupent plus souvent des seuls animaux de compagnie.

De plus, en France, nous disposons globalement d'une organisation paysanne très efficace. Ainsi, lors de la crise, les organisations et les responsables agricoles (Chambre d'agricultures...), les élus, les techniciens, les syndicalistes agricoles ont joué un rôle très important aux côtés des pouvoirs publics, en matière d'information, de conseil et de prise de précautions. A cette époque, les agriculteurs ont limité leurs déplacements et leurs rassemblements en faisant preuve d'une très grande volonté pour prendre le maximum de précautions. En fait, nous avons pris la mesure du danger que pouvait présenter la fièvre aphteuse avec un plus grand sérieux que les Anglais. Je pense donc que nous ne risquions donc pas un embrasement aussi important que celui qui a été constaté en Grande-Bretagne.

Par ailleurs, je rappelle qu'il n'est pas possible de vacciner en période de crise. Ces questions doivent donc être posées à froid, après que l'on a eu à gérer le phénomène que nous avons connu au sein de l'Union européenne. La question est d'actualité. De plus, je pense qu'il faut apporter la modernité à la vaccination contre la fièvre aphteuse. Il faut aussi la partager : l'Union ne peut pas décider de lancer seule la vaccination sur son territoire si cette vaccination ne concerne pas tous les animaux à risques (bovins, ovins, porcins, caprins). Enfin, la durée de vie d'un porcin et d'un ovin est beaucoup plus courte que celle des bovins. Pour les espèces bovines, il suffit de faire une vaccination par an dans chaque exploitation ; pour les porcins, c'est largement insuffisant.

Parallèlement, nous ne pouvons pas prendre le risque de relancer la vaccination si nous ne la sécurisons pas. En effet, nous savons que la mise en oeuvre de la vaccination peut être génératrice de trois dangers. Le premier est celui des fuites éventuelles sur les lieux de fabrication des vaccins, ces derniers devant donc être sécurisés. Il faut aussi sécuriser la mise en oeuvre du vaccin. Or la multiplication des passages des vétérinaires d'exploitation en exploitation peut être aussi un facteur de propagation. Enfin, si nous décidons de vacciner de façon moderne - ce que l'APCA souhaite, même si les conditions ne sont pas réunies actuellement - il faut que l'Union européenne sache faire reconnaître son choix par l'OMC. Si toutes ces conditions sont réunies, nous pourrons reprendre la vaccination. Si cela n'est pas le cas, nous ne pouvons courir le risque de piéger l'économie agricole européenne par rapport au commerce mondial.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je rappelle que nous parlons évidemment du lancement d'une nouvelle génération de vaccin, mais aussi d'un nouvel environnement européen et mondial (au niveau de l'OMC). Vous avez dit que la prophylaxie mise en place en France suite à l'arrêt de la vaccination ne pouvait que permettre de limiter le nombre de cas à quelques-uns. Toutefois, selon les scientifiques et les vétérinaires, il semble que l'épidémie aurait pu être nettement plus importante.

De fait, aujourd'hui, tout le monde semble satisfait car chacun a fait son travail correctement (Ministère, éleveurs...). Pour autant, les témoignages que nous avons recueillis en Seine-et-Marne et en Mayenne montrent qu'il n'a été possible de limiter l'épizootie que parce que le nombre de cas était très réduit. La prophylaxie actuelle a donc des limites. En France, le nombre d'animaux abattus a été très réduit par rapport à la Grande-Bretagne. Toutefois, cela constitue un choc psychologique pour les éleveurs. La durée de vie des ovins et des porcins est limitée ; de plus, les productions porcines sont industrielles, ce qui ne permet pas à l'éleveur d'être attaché à ses animaux comme c'est le cas pour les bovins. Si 100 ou 150 élevages avaient été touchés dans un département, on peut se demander quelle aurait été la réaction de l'APCA . Vous avez évoqué les bûchers d'animaux. Pour ma part, je crois qu'aucun éleveur n'a envie de voir ses animaux enfouis près des bâtiments de sa ferme : en effet, au choc psychologique initial s'ajoute la vision des bêtes enterrées sur le lieu de l'exploitation.

Les scientifiques nous disent que nous ne sommes pas à l'abri d'un problème plus important en matière de fièvre aphteuse. Nous nous interrogeons donc sur la nécessité d'un vaccin ayant des anticorps différents de la maladie, et adapté aux différents types d'animaux. Dans ce domaine, on entend dire parfois que la vaccination des bovins permet de protéger une partie des autres populations. En France, malgré le réseau efficace des vétérinaires, les GDS et le bon fonctionnement des organisations professionnelles, auriez-vous pu convaincre les éleveurs et les citoyens qu'il s'agissait de la meilleure prophylaxie dans le cadre d'une crise plus importante ?

M. Daniel Gremillet - De but en blanc, un éleveur vous répondra dans 95 % des cas qu'il faut vacciner, quelle que soit la région. Toutefois, la proportion se réduit dès lors que vous expliquez le principe plus précisément. Le problème ne concerne donc pas seulement les paysans ; il porte sur l'intérêt général au niveau français et de l'Union européenne.

L'aménagement rural, la concentration des animaux, la dimension des abattoirs, les lieux de rassemblement, les conditions de circulation des animaux sont des aspects très importants à prendre en compte. Je ne souhaite pas que vous reteniez de mon intervention que l'APCA considère que le risque de propagation était limité et qu'il était impossible que nous enregistrions un nombre de cas plus important.

J'ai dit que le risque d'une non-maîtrise de l'épizootie, comme en Angleterre lors des premiers jours, était pratiquement exclu en France, du fait du système de sécurité, du comportement des éleveurs, de la dimension des exploitations, de la taille des abattoirs... Cela pose donc la question du nombre d'abattoirs en France, de leur dimension et de la circulation des animaux pour aller à l'abattage, qui multiplie les risques de propagation de la maladie. D'ailleurs, lors de la dernière épizootie en France, la propagation de la maladie suivait les voies de chemin de fer. En Angleterre, la concentration importante des lieux d'abattage, qui se développe d'ailleurs aussi en France actuellement, est l'un des éléments de risque à prendre en considération aujourd'hui.

Enfin, depuis dix ans, nous avons abandonné le secteur de la vaccination.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - On nous a confirmé que la recherche avait baissé la garde.

M. Daniel Gremillet - Oui. Je pense que nous n'avons pas mis ces dix années à profit pour nous mettre à l'abri grâce à un vaccin moderne, marqueur. Par ailleurs, je serai plus prudent sur le fait que les bovins vaccinés protègent les autres animaux. En effet, le porcin est un élément de propagation largement plus multiplicateur que le bovin.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Son élevage se fait dans des bâtiments fermés.

M. Daniel Gremillet - Oui mais la circulation des porcins se fait dans des camions où l'air passe, heureusement d'ailleurs... Le risque de propagation est donc aussi important. Dans ces conditions, je considère que le fait de ne pas vacciner les porcins revient à ne pas cerner totalement le risque.

M. Gérard César - Quelle est la position de l'APCA sur le choix entre le transport d'animaux vivants ou de carcasses ? Il n'est pas anodin en termes de propagation de la maladie.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Cela rejoint la question du bien-être animal.

M. Daniel Gremillet - Il est vrai que les deux questions sont liées. J'ai d'ailleurs participé au groupe européen de la Commission sur le bien-être animal. Avec la même lucidité, et hors situation de crise, il faut reconsidérer la question de l'abattage, des lieux de concentration des animaux pour l'abattage. Le choix politique effectué par le Ministère de privilégier les abattoirs de grande dimension ne peut qu'accroître logiquement les risques de diffusion de la maladie, du fait de la multiplication des déplacements nécessaires. La réponse est donc négative sur le plan sanitaire mais aussi pour le bien-être des animaux. L'APCA est favorable à ce que l'on privilégie la dimension territoriale au niveau de l'abattage.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez dit que nos concitoyens souhaitaient la transparence des filières, des productions animales et de la distribution. Pour cela, il faut prévoir une identification européenne des ovins. Que comptez-vous faire pour faire avancer les choses dans ce domaine ?

M. Daniel Gremillet - Une réglementation européenne devrait être publiée à la fin de l'année 2001, sachant qu'il existe déjà une identification ovine, même si elle n'apporte pas toutes les garanties en matière de traçabilité. C'est pourquoi l'APCA avait souhaité dès la mise en place de l'IPG ovine que le système soit calqué sur celui des bovins. Toutefois, cela pose un problème puisque les quantités d'animaux à manipuler dans les élevages ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Il faut donc expérimenter le plus vite possible un système, basé sur des puces installées sur les boucles, permettant de vérifier automatiquement l'origine des bêtes. Cette problématique doit être abordée par ce biais, à la fois chez l'éleveur, le négociant et à l'abattoir. L'APCA travaille dans cette optique avec le Ministère de l'Agriculture, afin que la France expérimente une amélioration de la traçabilité des ovins, avant que l'Union européenne n'ait décidé quoi que ce soit dans ce domaine. Nous pourrons ainsi influencer les choix qui pourraient être effectués par la suite.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous constatons actuellement une sous-consommation de la viande bovine. Or nous sommes dans une situation de surproduction. Quels sont les moyens que vous pouvez proposer pour maîtriser la production ?

M. Daniel Gremillet - Le meilleur moyen, le moins choquant, le plus respectueux de l'animal et le plus efficace, serait de gérer le marché de la viande bovine de deux façons. Il faudrait produire en France uniquement ce que le consommateur français ou européen est prêt à acheter. La question posée actuellement est donc celle des JB (Jeunes Bovins), que les Français ne souhaitent pas consommer. Comme nous ne pouvons plus les exporter, nous devons nous interroger dans ce domaine : si les marchés ne s'ouvrent pas de nouveau à cette catégorie, nous devrons modifier notre système de production. Lorsqu'un veau naît, il pèse environ 50 kilogrammes. Nous avons le choix entre abattre un veau de ce poids ou attendre et abattre un veau de boucherie qui représente 120 kilogrammes de carcasse ou enfin un animal de 300 à 400 kilogrammes. La première solution est la plus efficace. Son intérêt a d'ailleurs été démontré depuis 1996, lorsque la Communauté européenne l'a mise en oeuvre. Dans tous les cas, il faut que la décision soit européenne, même si un pays décide par la suite de ne pas l'appliquer. En 1996, les Allemands venaient faire abattre les veaux de huit jours en France, ce qui a permis d'assainir le marché.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous êtes éleveur laitier. Pensez-vous que la charge de maîtrise de la production doive être plutôt supportée par le secteur laitier ou par le secteur allaitant ?

M. Daniel Gremillet - A titre personnel, je vends tous mes veaux mâles, à un intervenant. Lorsque la prime Erode existait, il est donc fort probable que mes veaux sont, en grande majorité, partis en abattage de huit jours. En fait, le traitement des veaux laitiers, allaitants, de Montbéliard, ou de n'importe quelle race, dépend de la demande du consommateur. C'est la meilleure méthode de gestion car elle permet à un éleveur de vendre ses animaux de façon classique. Pour ma part, lorsque je vends mes veaux, je ne sais pas s'ils vont être abattus, s'ils deviendront des JB ou des boeufs. C'est pour cela que cette mesure est intéressante : elle atténue totalement le conflit entre laitier et allaitant, qui n'a pas lieu d'exister. Le marché de la viande a besoin d'une meilleure organisation, sachant que la viande est destinée en partie à la restauration et en partie à des mélanges pour faire des steaks hachés. Les éléments de la crise actuelle doivent donc militer pour que nous mettions en place un étiquetage et pour que le prix ne soit plus le seul élément permettant de déterminer s'il existe un marché pour tel ou tel produit. Le choix du consommateur doit pouvoir se porter sur un steak haché composé à 100 % de muscle, et non sur une viande comprenant 50 % de muscle et 50 % de graisse ou de sous-produits qui coûtent moins cher que le muscle.

M. Gérard César - Disposez-vous d'un chiffrage précis des pertes enregistrées par les éleveurs ? Où en est le Ministère de l'Agriculture concernant les aides qui peuvent être apportées ? Par ailleurs, des divergences semblent apparaître entre les producteurs laitiers et les éleveurs de bovins sur le thème de la vaccination. En fait, il semble que toutes les organisations professionnelles ne parlent pas le même langage dans ce domaine. La profession a-t-elle adopté une position commune sur ce point ? Enfin, ce matin, un négociant en bestiaux nous a dit qu'il avait repris les ventes vers l'Italie. Quels sont les délais prévus pour la réouverture des exportations vers les autres pays, notamment l'Allemagne et l'Espagne ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je pense que vous pourriez nous transmettre un dossier reprenant les principaux chiffres.

M. Daniel Gremillet - Les pertes dues à la fièvre aphteuse ont été compensées par des aides provenant soit des pouvoirs publics, soit des fonds professionnels. En effet, il a été créé un fonds de solidarité alimenté à 100 % par les éleveurs de façon volontaire, pour compenser les pertes indirectes enregistrées dans les zones de protection. Parallèlement, des fonds de collectivités territoriales (département, région...) ont été mis à contribution. En ce qui concerne les pertes plus précisément, je ne dispose ici que d'un chiffrage groupant les pertes de l'ESB et de la fièvre aphteuse.

Mme Christine Marlin - Je crains qu'il ne soit pas possible de faire la distinction entre les deux.

M. Daniel Gremillet - Je vous propose de vous faire parvenir la réponse ultérieurement. Concernant la vaccination, les organisations professionnelles agricoles étaient unanimes (en dehors de la Confédération paysanne) pour dire qu'il n'était pas question de vacciner durant la crise. Aujourd'hui, le débat peut donc avoir lieu sereinement. En ce qui concerne la reprise des ventes vers les pays de l'Union européenne, je rappelle que certains pays étaient allés au-delà des décisions du Comité permanent vétérinaire. Les acheteurs de ces pays s'étaient imposé des règles supplémentaires en termes de sécurité, par rapport aux demandes du Comité. Or nous ne pouvons pas obliger un consommateur à acheter un produit s'il ne le souhaite pas. Aujourd'hui, les décisions du Comité permanent vétérinaire autorisent légalement la reprise des ventes des animaux, ainsi que leur circulation. Pour autant, elles ne peuvent pas obliger les acheteurs potentiels à reprendre leur consommation. Il faut cependant rester optimiste. En effet, on ne peut pas imaginer que l'Europe se referme sur elle-même, même s'il est évident que rien ne pourra plus être comme avant. Des comportements nouveaux vont apparaître, ainsi que des exigences nouvelles en matière de circulation des animaux et dans le domaine sanitaire. Ces exigences seront le fait de tous les acteurs de la filière.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je vous demande de bien vouloir nous fournir tous les documents pouvant nous aider à la rédaction de notre rapport. Nous vous remercions pour votre participation.

21. Audition de M. Bernard Godard, adjoint au conseiller technique au ministère de l'Intérieur

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons Bernard Godard adjoint au conseiller technique au Ministère de l'Intérieur. Les autorités françaises sont préoccupées par la nécessité de prémunir le cheptel français de la fièvre aphteuse qui s'est déclarée en Grande-Bretagne. Cette année les conséquences de la célébration de l'Aïd el Kébir constituent l'une des facettes du risque de contamination des moutons français. Monsieur Godard quelle est la position du ministère de l'Intérieur sur ces questions ? Sur quels axes de réflexion entend-il fonder son action ?

M. Bernard Godard - Ma position d'adjoint au conseiller technique du ministre de l'Intérieur m'amène à m'occuper des problèmes relatifs aux conditions d'abattage rituel le jour de l'Aïd el Kébir afin de concilier les pratiques des musulmans de France avec la réglementation nationale et européenne. C'est dans cet esprit qu'un groupe de travail a été créé composé des représentants de mosquées d'organisations musulmanes du ministère de l'Intérieur et des représentants de la Direction générale de l'Alimentation du ministère de l'Agriculture.

M. Philippe Arnaud, président - Je tiens à préciser que c'est bien à ce titre que nous avons convié. A l'évidence plusieurs personnes ont fait un lien entre la fête de l'Aïd el Kébir et la propagation de l'épizootie de fièvre aphteuse. L'aspect coutumier a également été mis en avant dans les différentes réflexions. Pour éclairer notre débat il nous semble important de connaître précisément ces coutumes et pratiques afin de mieux les intégrer à notre compréhension de la question qui nous préoccupe aujourd'hui.

M. Bernard Godard - Quel est le contexte ? Je souhaite rappeler qu'une directive européenne laisse toute latitude aux Etats membres pour organiser l'abattage rituel sur leur territoire à la condition que celui-ci se fasse en abattoir. Il y a une dizaine d'années en France nous avons autorisé des sites d'abattage hors des lieux classiques c'est-à-dire des sites dérogatoires. Leur tolérance s'est ensuite progressivement généralisée. Cela partait d'une bonne intention. Mais en agissant ainsi nous avons pour ainsi dire « incommodé » les autorités de Bruxelles qui exercent aujourd'hui une forte pression pour contraindre la France à respecter les règles communautaires en matière d'abattage rituel notamment en imposant que celui-ci n'ait plus lieu qu'en abattoirs agréés. Je tiens à préciser que les sites dérogatoires relèvent d'une pratique et n'ont à ce titre jamais été institutionnalisés. Leur autorisation répondait à des raisons culturelles et s'explique à mon sens par les tolérances qui avaient été accordées aux musulmans rapatriés d'Alégérie. C'est ainsi que des sites dérogatoires avaient été institués en Ile-de-France dans le département du Val d'Oise notamment ainsi que dans d'autres régions du territoire.

M. Philippe Arnaud, président - Pourrions-nous avoir connaissance des décrets et textes auxquels vous vous référez ?

M. Bernard Godard - Je mettrai progressivement à votre disposition les pièces auxquelles je me réfère au cours de mon exposé.

La question de la répartition géographique est importante : plus d'un tiers de la population musulmane vit en région parisienne. L'angle d'approche des problèmes sanitaires et vétérinaires induits par l'abattage rituel dans cette région est donc d'autant plus complexe que la population musulmane y est importante.

Par ailleurs il convient de savoir que l'abattage du mouton n'est pas une obligation mais une tradition ou Sunna. Aujourd'hui les organisations cultuelles n'ont pas encore suffisamment d'influence pour faire évoluer les mentalités et limiter l'abattage systématique du mouton. Aujourd'hui l'on s'accorde sur la difficulté à inciter les musulmans à s'orienter progressivement vers l'abattage des seuls abattoirs le jours de l'Aïd el Kébir mais aussi à changer des pratiques qui tiennent plus à la tradition qu'à la stricte obligation religieuse ou rituelle.

M. Philippe Arnaud, président - Quelle est la cartographie des abattoirs et des sites dérogatoires ?

M. Bernard Godard - Il existe une grande inégalité selon les régions. De surcroît il convient de prendre en compte deux autres éléments :

- une inadéquation manifeste entre la répartition des sites et la distribution géographique des communautés musulmanes ;

- une inadéquation entre le nombre de musulmans et par voie de conséquence entre les besoins et le nombre d'abattoirs disponibles.

Par exemple les abattoirs d'ovins se situent près des zones d'élevage, alors que les populations d'origine musulmane sont concentrées dans de grands centres urbains. Ainsi, en région Ile-de-France, qui regroupe plus d'un tiers des musulmans de France seuls 3 abattoirs sont à disposition.

Il est à noter que la pratique de l'abattage du mouton est profondément ancrée dans la communauté musulmane y compris pour ceux qui ne sont pas pratiquants. C'est une donne qui doit être intégrée dans notre démarche car on prend alors la pleine mesure du poids culturel de la célébration de l'Aïd el Kébir. Par ailleurs il est intéressant de noter que la plupart des musulmans qui procèdent à l'abattage rituel du mouton ce jour sont originaires de régions montagneuses de zones rurales etc. En France ce sont ainsi majoritairement des populations originaires du rif ou du Haut Atlas marocains pour ne citer que cette région.

Quels sont nos axes de réflexion ? Depuis trois ans notre réflexion s'inscrit dans une logique nouvelle : si l'abattage du mouton est une pratique rituelle il importe d'impliquer au mieux les responsables religieux et les associations musulmanes. Il faut leur permettre de jouer pleinement leur rôle de médiation entre nos autorités et les communautés musulmanes ce dans le respect des conditions d'hygiène et de sécurité sanitaire en vigueur dans notre pays. Nous nous sommes clairement inscrits dans cette approche en créant le Groupe de travail sur l'Aïd el Kébir composé notamment de hauts dignitaires de la religion musulmane.

Sur quels axes de progression travaillons-nous ? Bien que l'abattage soit admis sur trois ou quatre jours les responsables des préfectures se heurtent au poids des traditions : celle profondément enracinée selon laquelle le sacrifice du mouton doit être accompli le premier jour de l'Aïd et plus particulièrement le matin même après la prière où officie l'imam. Là encore on prend la pleine mesure de la différence entre ce qui relève d'une pratique culturelle d'une part et une pratique religieuse d'autre part. Aucun religieux ne vous dira que vous pouvez vous passer de l'abattage du mouton. Il dira plutôt que vous ne serez pas en contradiction avec votre foi islamique si vous ne pouvez pas abattre le mouton. Cette nuance est fondamentale.

Par ailleurs l'hygiène est une question majeure dans la religion musulmane. C'est d'ailleurs un argument sur lequel nous fondons notre argumentation. Il est évident que la bête qui doit être consommée le jour de la fête doit être saine. Notre communication se fonde donc sur cet argument du risque sanitaire et les résultats ont été au-delà de nos espérances.

Je dirai un mot sur les pressions exercées par les autorités de Bruxelles. Depuis trois ans Bruxelles opère des pressions très fortes sur le Gouvernement ce qui nous a conduit à répondre à des injonctions successives. Nos réponses n'ont d'ailleurs pas semblé satisfaire le commissaire européen chargé de ce dossier jusqu'à récemment. Cela a l'air d'évoluer plus favorablement aujourd'hui. Au départ les arguments reposaient essentiellement sur le non-respect du bien-être animal. Ils sont à présent renforcés par des risques sanitaires qui deviennent d'une brûlante actualité avec l'encéphalite spongiforme transmissible et la fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - La fièvre aphteuse ne menaçant pas la santé humaine je ne vois pas sur quelle base les autorités de Bruxelles pourraient valablement fonder leurs injonctions...

M. Bernard Godard - Certes mais on peut cependant avancer l'argument de la transmission de la maladie même de manière indirecte par la voie de la consommation alimentaire. Je ne suis pas au fait des aspects techniques mais je peux vous assurer qu'il est possible aux autorités de Bruxelles de trouver un lien plus ou moins direct pour fonder leurs injonctions.

En 2000 on a enregistré 100 sites dérogatoires ce nombre étant en diminution par rapport à 1999. Cette année il est tombé à une quarantaine de sites. En deux ans nous avons donc réussi à baisser significativement le nombre de sites dérogatoires. A cet égard les pressions exercées par la Commission européenne pour contraindre la France à respecter les règles communautaires en matière d'abattage rituel impliquent la disparition rapide des sites dérogatoires. Pour ma part je ne pense pas que nous puissions aller en deçà d'une vingtaine de sites. C'est d'ailleurs le bémol à mes affirmations : il existe un seuil incompressible notamment en région parisienne en deçà duquel on ne peut valablement aller à court ou à moyen terme.

M. Philippe Arnaud, président - Pouvez-vous nous assurer aujourd'hui que les sites dérogatoires font l'objet d'un contrôle étroit des services vétérinaires ?

M. Gérard César - Qu'en est-il des abattages illégaux dans des lieux inappropriés ?

M. Dominique Braye - L'apparition de la fièvre aphteuse dans notre pays a eu au moins un côté positif, celui de nous obliger à nous pencher de manière plus approfondie sur la question des sites dérogatoires. Pour ma part je crois indispensable le maintien des sites dérogatoires car leur attrait provient de leur proximité. Mais à l'inverse de l'abattage classique en abattoir, l'abattage en site dérogatoire permet aux musulmans d'être « associés »» de beaucoup plus près au sacrifice. Cependant il faut savoir que les moutons abattus dans les sites dérogatoires ne sont pas estampillés par les instances vétérinaires. Il n'existe donc aucune garantie officielle sur leur qualité.

Par ailleurs un autre problème se pose : la disparition progressive des abattoirs municipaux qui réduit la possibilité pour les musulmans d'avoir recours à des lieux autorisés a conduit ceux-ci à recourir à des lieux de proximité pour procéder à l'abattage rituel. Or ces sites sont très souvent inappropriés.

Il faudrait obtenir Monsieur Godard -et battez-vous sur ce point avec la Commission européenne- que les sites dérogatoires soient maintenus à un nombre raisonnable. Dans ma région nous gérons les problèmes de l'abattage rituel de manière pragmatique afin de faciliter la vie des gens sur le terrain. Nous avons mis en place un site dérogatoire contre l'avis de tous mais il vaut mieux cela que les baignoires, ascenseurs et autres cages d'escalier.

M. Gérard César - Il est important de connaître la position des autorités de Bruxelles sur les pratiques d'abattage dans les autres Etats membres de l'Union européenne. Nous savons qu'en Allemagne par exemple la communauté turque est importante. Quelle est la position de Bruxelles sur les pratiques dans ce pays ? Par ailleurs avez-vous sollicité les avis des services fiscaux dans votre démarche ? Il me semble en effet anormal qu'un mouton acheté à 300 francs en Angleterre soit vendu à 1.300 francs en France...

M. Jean-Paul Emorine - Ce prix peut même friser les 1.750 francs par tête de bétail ! Pour ma part je présume qu'une réflexion est engagée au niveau du ministère sur ce courant commercial sous-terrain ainsi que sur le marquage des animaux vendus par ce biais...

M. Bernard Godard - Il a fallu faire preuve de rigueur pour qualifier un site dérogatoire. Il faut pour cela prendre en compte divers facteurs dont l'analyse est souvent complexe. De manière générale les sites dérogatoires n'offrent pas les garanties sanitaires suffisantes. En outre l'inspection vétérinaire y est souvent aléatoire...

Concernant les flux commerciaux de vente de moutons le site des Muraux fait partie des sites où le problème se pose avec une acuité particulière. On peut aussi citer la gare de Chanteloup les Vignes. D'autres endroits plus clos sont également concernés. De manière générale moins le site est « correct » moins il y de vérification vétérinaire. Par ailleurs il convient de mentionner une certaine inadéquation entre la vente de moutons d'une part et les possibilités d'abattage sur sites dérogatoires et en abattoirs d'autre part. Cette possibilité des ventes de moutons génère une importation et un abattage clandestins dont les conséquences (traçabilité incertaine) sont importantes. En effet le jour de l'Aïd qui peut jurer de l'origine du mouton mis à disposition ? Le problème se pose avec une plus grande acuité lorsque ces moutons proviennent d'autres pays notamment du Royaume-Uni.

Il est à noter que l'existence de ces flux résulte en amont d'une situation de pénurie par rapport à la demande des musulmans pour le sacrifice rituel le jour de l'Aïd el Kébir. Cela entraîne mécaniquement une inflation des prix de vente. Il faudrait à ce propos réguler l'offre en impliquant toutes les parties prenantes.

Il importe de soulever un autre problème : le repérage du site. La coutume consistait à aller vérifier les sites d'abattage afin de les répertorier. Il s'agit donc d'un repérage stricto sensu. Dans la pratique les interprétations de la notion de « site » ont souvent différé ce qui a constitué une limite à une approche harmonisée.

S'agissant des sites dérogatoires je pense que même si l'on épuise tous les moyens d'éradiquer ces lieux il restera toujours un seuil incompressible.

M. Philippe Arnaud, président - Vous avez répondu sur un plan sanitaire. Mais dans un rapport administratif il est indiqué en substance qu'il existe un flux commercial parallèle sur lequel travailleraient des opérateurs qui interviendraient exclusivement sur ce circuit de vente spécifique.

M. Dominique Braye - Pour rebondir sur ce point il importe de savoir que les musulmans recherchent des races et surtout des types particuliers de moutons qui présentent certaines caractéristiques précises. Or ces moutons n'existent pas sur le marché français.

M. Philippe Arnaud, président - Je conçois aisément que l'on puisse importer des moutons présentant des caractéristiques particulières mais l'on doit pouvoir suivre ce flux commercial atypique par le biais des factures. Une telle réflexion a-t-elle été initiée au niveau du ministère de l'Intérieur ?

M. Bernard Godard - Face à la menace d'extension de la fièvre aphteuse en Europe continentale et compte tenu de l'importation en France quantités importantes de moutons en prévision du sacrifice des mesures de protection ont dû être prises pour prévenir le danger de contamination. Environ 9.500 bêtes ont été abattues préventivement dans le département du Nord. En Seine-Saint-Denis 4.600 animaux ont été abattus préventivement. Concernant le nombre de bêtes abattues normalement pour l'Aïd en l'an 2000, il y en a eu 110.000 environ sites dérogatoires et sites légaux confondus.

Concernant la prise en compte des aspects fiscaux de la vente de moutons notamment dans les circuits parallèles très peu de département sont en train de mettre en oeuvre une politique de contrôle.

M. Gérard César - Je comprends bien que les autorités de Bruxelles nous fassent des recommandations en matière sanitaire mais qu'en est-il de leurs réflexions sur les autres pays ?

M. Bernard Godard - Nous savons très bien qu'en Espagne en Allemagne ou en Belgique la question des conditions de l'abattage rituel le jour de l'Aïd el Kébir se posent. En ce qui nous concerne les autorités de Bruxelles nous reprochent de manière générale d'avoir légalisé les sites dérogatoires.

M. Dominique Braye - La question de l'abattage rituel ne concerne pas que la célébration de l'Aïd el Kébir car toute l'année il faut bien alimenter les boucheries « Hallal»...Il est donc important de connaître le traitement infligé aux animaux. Sur certains sites où l'on retrouve majoritairement une population musulmane originaire de l'Afrique noire certaines règles du bien-être animal ne sont pas respectées. Je fais notamment allusion à la pratique qui consiste à égorger le mouton sans l'avoir préalablement étourdi.

M. Bernard Godard - Je ne veux pas minimiser le traitement des animaux mais certaines pratiques peuvent en effet paraître rédhibitoires. Concernant les abattages d'animaux destinés à alimenter les boucheries « Hallal » il faut savoir que certains bouchers mettent à la vente des bêtes abattues la veille de l'Aïd el Kebir. Il en résulte une certaine réticence du côté des musulmans qui sont profondément attachés à la tradition d'abattage du mouton le matin même de l'Aïd el Kébir après la prière.

Dans le Nord-Pas-de-Calais où la population musulmane est importante il n'existe pas de sites dérogatoires. Il est en de même à Perpignan.

M. Gérard César - Les musulmans vivant à Perpignan peuvent se rendre en Catalogne...

M. Louis Moinard - Je pense que nous ne devons pas sous-estimer la question de la transmission potentielle de la fièvre aphteuse par le biais de l'alimentation. Aujourd'hui nous tentons de clarifier la situation en recensant les abattoirs et en encadrant au mieux les abattages. Mais, demain continuera-t-on toujours à exiger des contrôles dans ce domaine ? Cette année nous sommes arrivés à circonscrire l'épizootie de fièvre aphteuse dans deux foyers. Qu'en sera-t-il demain ?

M. Louis Moinard - On pensait aussi que la fièvre aphteuse était éradiquée à notre niveau...

M. Bernard Godard - Pour citer cet exemple le préfet de la Seine-Saint-Denis ne peut pas descendre en deçà d'un certain nombre de sites dérogatoires. Par ailleurs à Argenteuil nous avons appris que certaines personnes se rendaient sur la place de la cité pour vendre des animaux. Les pratiques parallèles ne doivent donc pas être négligées dans notre démarche.

M. Dominique Braye - En ce qui nous concerne, nous avons eu affaire à un utilisateur d'abattoir qui était un véritable mafieux. Il employait des salariés qu'il ne déclarait pas ; ces derniers n'étaient pas payés régulièrement etc. Des méthodes peu scrupuleuses étaient employées par cet individu pour s'affranchir du contrôle de l'inspection vétérinaire des tentatives de corruption aux tentatives d'intimidation en passant par les menaces de mort. Il a même tenté de me corrompre puis voyant que cela n'avait aucun effet a tenté de me menacer. Mis sur la touche il a racheté un autre abattoir et poursuit aujourd'hui son activité en narguant autorités vétérinaires et administratives. Pour notre part nous n'avons jamais cessé d'alerter les pouvoirs publics mais cet individu gère aujourd'hui une autre affaire en toute impunité. C'est l'illustration que ce milieu des professionnels chargé de fournir cette clientèle très particulière d'Afrique du Nord de la filière d'abattage est parfois sombre. Il serait souhaitable de faire preuve de plus de volonté pour moraliser ce milieu qui, s'il s'adresse à des couches défavorisées de la population, fait souvent de très gros profits.

M. Jean-Paul Emorine - Le ministère de l'Intérieur ou de l'Agriculture ne pourrait-il pas réquisitionner les abattoirs privés ? Comment convaincre l'ensemble de la filière de se mobiliser pour instaurer de meilleures pratiques ?

M. Bernard Godard - Il convient de distinguer entre la tradition des « anciens » services vétérinaires d'une part et les pratiques d'autre part. Par ailleurs dans les services compétents les points de vue diffèrent voire sont diamétralement opposés. De surcroît il peut exister une contradiction entre la manière dont les services vétérinaires traitent la question et la manière dont ceux qui s'occupent du bien-être animal abordent le sujet. C'est une contradiction qu'il importe de prendre en compte.

Notre réflexion s'est également portée sur une autre croyance profondément ancrée dans la pratique musulmane : celle selon laquelle le chef de famille doit tuer le mouton. A ce propos je pense que les musulmans immigrés en France sont quelque peu en retard sur les musulmans dans leur pays d'origine. De notre côté cela se traduit par des modes de relations biaisés. Nous sommes en effet habitués à interagir avec ces populations musulmanes immigrées sur des modèles que nous croyons immuables depuis une cinquantaine d'années. Aujourd'hui dans les pays musulmans notamment en milieu urbain les familles ne tuent plus elles-mêmes le mouton. Nous devons intégrer ces changements dans notre démarche car des sacrificateurs agréés existent en France. Une limite cependant : leur nombre est insuffisant notamment lors de la célébration de l'Aïd el Kébir. En outre notre système d'accréditation de sacrificateurs n'est pas satisfaisant. Un nouveau système de nomination devrait être donc mis à l'étude. Le contrôle sanitaire est ainsi renforcé parce que non seulement il est effectué par un sacrificateur professionnel mais l'animal est abattu dans un lieu agréé conforme aux règles sanitaires et vétérinaires.

C'est le département des Hauts-de-Seine qui a été l'initiateur d'une expérience particulière. La famille réserve son mouton la veille. Il est envoyé le matin même à l'abattage dans un abattoir qui n'est pas trop éloigné du domicile de la famille. La carcasse leur est ensuite retournée. Cette pratique constitue un axe de progression certain car les familles ont toujours hâte de récupérer la carcasse pour la célébration de la fête en famille.

Le Rapport d'étape du Groupe Aïd el Kébir liste différentes actions musulmanes dans ce domaine qui sont tout à fait intéressantes et qui s'inscrivent dans cet esprit.

Nous avons travaillé avec le ministère de l'Agriculture. Nous avons insisté sur la nécessité d'inscrire les dimensions départementale régionale, voire interrégionale dans les approches de terrain. Nous savons par exemple que cette année il a eu des échanges entre la Franche-Comté et l'Alsace visant à répartir l'abattage des moutons sur un abattoir commun. Cela a donné de bons résultats. Cela étant il faut savoir que ce sont des circuits très particuliers. A cet égard nous avons fourni une listes des abattoirs disponibles sur le territoire afin que les musulmans puissent se rendre dans ceux participant à la procédure décrite précédemment. Nombre d'entre eux sont revenus bredouilles car les professionnels ne leur faisaient pas confiance. A ce niveau c'est la relation de proximité qui est au coeur de la démarche et qui explique la difficile mise en oeuvre d'une telle approche. En effet la confiance entre un abattoir de province en zone rurale et un opérateur musulman d'une zone urbaine suppose une connaissance mutuelle établie depuis longtemps.

Nous nous sommes attentivement penchés sur la question des abattoirs privés. D'emblée je tiens à préciser qu'aucune base juridique ne permet d'avoir recours à la procédure de réquisition des abattoirs privés. Nous avons tenté de prendre contact avec les responsables de ces abattoirs afin de les inciter à adhérer à notre démarche mais cela n'est guère aisé. Cette année le premier jour de l'Aïd est tombé un lundi et c'est justement le jour d'abattage des professionnels de la viande. Les abattoirs privés ne sont donc pas disposés à demander à leurs clients de passer le lendemain. Cet aspect commercial ne doit pas être négligé dans notre réflexion.

Nous travaillons sur tous les obstacles que je viens de soulever. A mon sens il serait souhaitable, que la Mosquée de Paris qui a des rapports privilégiés avec ces différents professionnels de l'abattage les mette à profit pour le bénéfice de l'ensemble de la communauté musulmane. C'est ainsi que nous pourrons créer les conditions d'une organisation moderne de l'Aïd el Kébir intégrée à la société française dans un cadre satisfaisant pour tous.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Godard peut-être souhaitez-vous apporter en guise de conclusion d'autres éléments d'information ?

M. Bernard Godard - Je n'ai pas d'autres commentaires à ajouter. Je laisserai à votre disposition le Rapport d'étape du Groupe Aïd el Kébir qui résume de manière assez complète les différents enjeux et diverses initiatives dans le domaine de l'abattage rituel.

M. Philippe Arnaud, président - Je crois que vous mettrez aussi à notre disposition les décrets et textes édictés sur le sujet de l'abattage. Monsieur Godard je vous remercie pour votre contribution à nos réflexions.

22. Audition de M. Douzain, Directeur de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes (FNICGV)

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons Monsieur Douzain, Directeur de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes. Monsieur Douzain, vous allez nous donner votre point de vue sur la gestion de la crise de la fièvre aphteuse et les conséquences sur votre secteur d'activité.

M. Douzain - Monsieur le Président, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité. Je représente la Fédération nationale de l'industrie et du commerce en gros des viandes, qui comprend 400 entreprises. Nous avons été touchés de plein fouet par la crise de la fièvre aphteuse, qui est venue se superposer à la crise de la vache folle, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui. Selon moi, cette crise a été correctement gérée. Néanmoins, je note quelques points négatifs, notamment au niveau économique.

I. EXPOSÉ DES POINTS POSITIFS

Tout d'abord, nous avons constaté que les Services vétérinaires ont fait preuve d'une disponibilité totale. Leur excellente réactivité a sans aucun doute permis de limiter les dégâts. Par ailleurs, nous nous félicitons de la forte implication de la Communauté européenne qui a pris en charge, dès le départ, l'établissement des règles sanitaires. Des comités vétérinaires se sont réunis au niveau communautaire jusqu'à deux à trois fois certaines semaines. La coordination des quinze Etats membres a eu un effet extrêmement positif.

II. EXPOSÉ DES POINTS NÉGATIFS

Lorsque les règles sanitaires sont édictées, elles doivent redescendre sur le terrain. Le temps de nous fournir les analyses des conséquences sur l'activité d'une entreprise, un laps de temps peut s'écouler. Les marchandises ayant des délais de conservation extrêmement courts, une partie est détruite ou réorientée vers d'autres utilisations. Je peux vous donner des estimations de ces préjudices au niveau national. Ces préjudices sont notamment liés aux marchandises originaires du Royaume-Uni qui ont été abattues pour commercialisation sur le territoire national. On a recensé environ 350 tonnes de viande ovine qui ont été consignées : la moitié, environ, est retournée au Royaume-Uni, et l'autre moitié a été détruite sur le territoire national. Je tiens à souligner que pour l'instant les entreprises n'ont rien reçu pour ces marchandises, et qu'elles ont dû payer elles-mêmes la destruction et l'incinération, soit un préjudice d'environ six à sept millions de francs pour ce seul pays. Connaissant la taille et la surface financière d'une entreprise impliquée dans le secteur ovin, de très petits abattoirs avec des moyens financiers extrêmement limités, cela pose un problème qui pour l'instant n'est pas résolu. Dans un arrêté publié au Journal officiel, L'Etat propose une indemnisation de 500 francs pour les ovins vivants, alors que certains en ont acheté qui coûtaient 1 000 ou 1 200 francs - pas forcément destinés à l' Aïd-el-Kébir -, et une indemnisation de 300 francs pour les carcasses, alors qu'une carcasse vaut en général le double d'un animal vivant. Pour des viandes qui ont été achetées trente francs le kilo, on nous propose une indemnisation de quinze francs soit 50 % de leur valeur.

M. Philippe Arnaud, président - Pouvez-vous compléter vos indications sur les coûts ? Lorsque vous avez dit que des ovins ont été achetés au circuit industriel entre 1 200 et 1 300 francs, je suis sûr que tout le monde ici a dû réagir, car nous n'avons pas du tout les mêmes bases. Pouvez-vous justifier ces éléments ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - La question est très simple. En dehors de la fête musulmane, je ne vois pas quel type de mouton vous pouvez valoriser au-dessus de 600 francs. Pouvez-vous m'expliquez quel est ce type de mouton ? Ces prix sont surtout liés à la fête.

M. Douzain - La fête interfère sur le cours général de l'agneau et de la brebis.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - De 250 à 350 francs quand même !

M. Douzain
- J'ai les factures d'achat.

M. Jean-Paul Emorine - On vous demandera de nous donner les factures des moutons dont la valeur est supérieure à 600 francs, qui ne sont pas destinés à cette fête musulmane, et qui entrent dans le circuit de la boucherie.

M. Douzain - Il n'y a pas de problème.

M. Philippe Arnaud, président - Dans le cadre de la Fédération, si les industries et les commerces de gros achètent à ce prix-là, à quel prix cela est-il ensuite revendu à travers la France entière ?

M. Douzain - La majorité de nos entreprises achètent directement les carcasses en provenance du Royaume-Uni. Cinq ou six cas de figure ont été décelés en matière d'ovins vivants. Dans la majorité des stocks dont je vous parle, il s'agit de carcasses achetées dans les abattoirs anglais selon des relations quasiment contractuelles. Certains acheteurs sont même implantés dans le pays. Dans les stocks consignés dans nos entreprises, on trouve de la viande ovine originaire du Royaume-Uni, et des marchandises originaires de Hollande, dont 450 tonnes ont été détruites ou dépréciées. La destruction n'a représenté que 5 % dans ce cas de figure. 210 tonnes, soit 50 % des marchandises, ont été réorientées vers des usines de transformation permettant un traitement thermique, et 100 tonnes, donc 25 %, ont été retournées en Hollande, qui au départ avait refusé ce retour. Environ 25 % sont stockés dans les entreprises ou dans les frigos, attendant l'instruction définitive de la Direction Générale de l'Alimentation et leur destination finale. Elles sont sous consigne. Le préjudice pour ces marchandises est de l'ordre de trois millions de francs.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Quel était le type de marchandises ?

M. Douzain - Du veau et du boeuf.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -
Pas de porc ?

M. Douzain - Un peu de porc pour quelques entreprises. Le montant total de ce que je viens de vous indiquer est de l'ordre de quinze millions de francs pour l'ensemble de notre secteur. Cela peut paraître une somme relativement faible par rapport à l'ensemble des préjudices qui ont été subis, mais quand vous êtes une entreprise qui a un impayé de un ou deux millions de francs, c'est difficile à supporter, sachant que vous venez de subir précédemment des baisses de consommation et des hausses de coût de production conséquentes. Il s'agit là uniquement des préjudices directs : je ne parle pas des préjudices liés aux méventes, aux problèmes de personnel, et aux problèmes d'approvisionnement des abattoirs pendant ces crises.

Il y a un deuxième volet beaucoup plus difficile à cerner : il s'agit de toutes les marchandises qui étaient en partance pour des pays tiers, et pour lesquelles les pays tiers ont pris des clauses de sauvegarde, refusant les marchandises. Je pense que Monsieur Rouche, Président du Syndicat national du commerce du porc, a dû vous en faire état hier. Ce sont les marchandises qui étaient à destination de la Corée, du Japon, de Hongkong, des Philippines, de la Russie, de la Chine, de l'Afrique, et de Singapour.

Je vous donnerai tout le détail de ce que je viens de vous indiquer. Il s'agit principalement de produits du secteur porcin. A ce jour, nous avons encore un préjudice de l'ordre de cent millions de francs, sachant que ce préjudice pourrait diminuer avec la réouverture des frontières de la Russie. Certaines marchandises pourraient être réorientées, avec bien sûr un préjudice, mais qui laisse une valeur résiduelle au produit. Cela permettrait au moins de leur trouver un débouché et de ne pas de les détruire. Le montant d'impayés directs pour les entreprises est donc de l'ordre de 100 à 150 millions de francs.

M. Philippe Arnaud, président - Lorsque vous parlez d'impayés, les marchandises n'ont pas été livrées ?

M. Douzain - Les marchandises sont arrivées dans les abattoirs ou ateliers de découpe, et les entreprises ont reçu comme instruction la mise en consigne, en attente d'instruction complémentaire. La première option est de les envoyer dans une usine avec un traitement thermique. Concernant les carcasses ovines, c'était des viandes fraîches, qui arrivaient par camions entiers dans les entreprises, afin d'être découpées sur le territoire national : dans ce cas vous avez entre 24 et 48 heures pour réagir. La deuxième option est soit la mise sous-vide - du frais qui peut avoir une période de quinze jours à trois semaines de conservation -, soit la congélation. C'est ce qui a été fait pour les marchandises hollandaises : elles ont été congelées, en attente d'instruction. Nous sommes toujours en attente d'instructions définitives vis-à-vis de ces viandes. Nous sommes le seul pays d'Europe à avoir procédé à des consignes sur des viandes.

M. Philippe Arnaud, président - Comment l'expliquez-vous ?

M. Douzain - Cela vient d'une différence de lecture de la réglementation communautaire. La France s'abstient d'expédier des produits vers les autres Etats membres, sachant que les 50 % de carcasses ovines qui sont retournées en Angleterre, impropres à la consommation en France, ont été consommées en Angleterre.

M. Gérard César -Et sur la Russie, quel est le tonnage ?

M. Douzain - Sur la Russie, le commerce est rouvert. Avant la crise, on passait 220 camions par semaine. Puis on est tombé quasiment à zéro pour les porcs et les bovins. Maintenant le commerce reprend tout doucement, plutôt sur le secteur bovin. Ce qui explique d'ailleurs que cela va un peu mieux dans le secteur bovin. Le cas de la Russie est spécial. Les Allemands ont été obligés de payer un laboratoire de détection des tests ESB aux Russes, pour ouvrir les frontières. On est obligé d'accepter des vétérinaires que l'on paye deux mille francs par camion, pour l'inspection vétérinaire russe.

Je voudrais insister sur les préjudices indirects qui ont été subis par les entreprises. Les restrictions au transport des animaux sont des surcoûts énormes qui ont été pris en charge par les entreprises. Dans le secteur porcin, on les avait estimés à vingt centimes par kilo, et à peu près la même chose dans le secteur bovin. Cela donne des sommes colossales quand vous les additionnez chaque semaine. Je pense que vous avez les chiffres concernant l'évolution de l'activité.

La crise a eu un impact extrêmement fort sur la gestion quotidienne des entreprises, avec des conséquences sociales évidentes, notamment pour les entreprises spécialisées dans la découpe de carcasses ovines originaires du Royaume-Uni ou d'Irlande. Je pense en particulier à une entreprise du Nord de 250 salariés, qui en une semaine a été obligée de procéder au licenciement de 70 salariés, suite à cette coupure d'approvisionnement. A ce jour, elle n'a pu réembaucher qu'une dizaine de personnes. Cela signifie qu'il y a aussi un impact à moyen et long terme sur le type de produits que l'on vend sur le marché national.

III. L'ORGANISATION DE LA FÊTE DE L'AÏD-EL-KÉBIR

Je voudrais également évoquer la difficulté que l'on a à organiser la fête de l' Aïd-el-Kébir sur le territoire national. Les conditions se sont améliorées ces dernières années, mais la situation n'est pas maîtrisée dans certains départements, en particulier dans la région parisienne et autour des grandes métropoles. Tous les abattages devraient normalement se faire dans des abattoirs. A une époque, on avait envisagé la création de sites spécialisés.

M. Dominique Braye - Je ne vois pas où l'on pourrait construire des abattoirs en région parisienne Le problème est également de savoir si cela est maîtrisable.

M. Douzain - Si vous prenez l'adéquation entre la capacité des abattoirs nationaux en matière d'abattage sous prescription religieuse, et la demande des communautés musulmanes, on a une surcapacité.

M. Dominique Braye - Il faut rester pragmatique et concret. Je vois mal les gens de Mantes-La-Jolie aller abattre leurs animaux à Rennes. Les gens vont à l'abattoir le plus proche.

M. Douzain - Cela est spécifique à la région parisienne.

M. Dominique Braye - La communauté musulmane de la région parisienne est la plus importante de France. C'est bien là qu'est le problème.

Monsieur Douzain - Ceci dit, on a monté à une certaine époque des projets de construction d'abattoirs qui nous ont été refusés.

M. Dominique Braye - Nous n'en sommes plus là. Dans quelques mois, on risque de fermer les abattoirs de Mantes La Jolie, dont j'ai été responsable pendant longtemps. Il reste deux abattoirs en région parisienne, et bientôt il n'y en aura plus. Et on nous dit qu'il faut construire des abattoirs pour l' Aïd-el-Kébir. Soyons raisonnables ! Que pensez-vous de ce problème structurel ?

M. Douzain - Concernant la période de fête, il n'y a pas de raison de donner des dérogations au niveau des abattoirs en dehors de la région parisienne, sauf exception. Dans la région de Lyon, vous avez un abattoir industriel ; à Saint-Etienne ou à Marseille, vous avez des capacités, voire des surcapacités.

M. Dominique Braye - Vous incluez les abattoirs privés dans votre raisonnement ?

M. Douzain -
Bien sûr. Je représente les abattoirs privés.

M. Dominique Braye - Légalement, il est actuellement impossible de réquisitionner les abattoirs privés pour l' Aïd-el-Kébir .

M. Douzain - Ce n'est pas une histoire de réquisition. Tous les abattoirs privés, à partir du moment où ils exercent une activité commerciale rentable, font l' Aïd-el-Kébir.

M. Dominique Braye - Comment allez-vous faire avec vos clients ? Si l' Aïd-el-Kébir est un lundi, vous donnez la priorité aux musulmans, et vous dites à vos clients habituels qui font vivre l'abattoir toute l'année de revenir le mardi ou le mercredi si vous avez fini ?

M. Douzain - Il faut également revoir avec les communautés religieuses la façon d'organiser les abattages. Nous sommes partis sur un certain nombre de prérogatives en matière de prescription religieuse, dont on n'est pas sûr.

M. Dominique Braye - C'est ce que disaient leurs représentants. Les Imams ont beau leur dire que le Coran peut être entendu différemment, que l'Islam n'exige pas cela, ils y restent fidèles. Même si les Imams ont répété comme les autres années qu'il y avait trois jours pour abattre les moutons, la majorité des musulmans veulent que leur mouton soit abattu le premier matin de l' Aïd-el-Kébir .

M. Douzain - Il y a des pays où l' Aïd-el-Kébir et l'abattage sous prescription religieuse sont interdits, comme en Allemagne. C'est une dérogation à la législation sanitaire .

M. Dominique Braye -
D'après ce que nous a dit le représentant du Ministère de l'Intérieur, si j'ai bien compris, l'abattage se pratique partout en Allemagne dans les fermes périphériques aux agglomérations mais de façon officieuse.

M. Douzain - C'est ce qu'il nous a dit hier. Entre l'abattage à la ferme, dans un centre agréé, et dans un abattoir, il y a des différences. Le Ministère de l'Intérieur ne fait pas grand-chose en la matière, et contribue parfois a compliquer la situation.

M. Dominique Braye - Hier, ici, le représentant du Ministère de l'Intérieur nous a justement dit que l'Europe estimait qu'il en faisait trop, que s'il laissait faire les choses sans officialiser les sites dérogatoires, sans que les Préfets se prononcent par une circulaire sur les sites dérogatoires, la France serait beaucoup moins ennuyée.

M. Douzain - Le problème est qu'en face de chaque communauté musulmane, vous avez un pays différent, par exemple la Mosquée de Paris avec l'Algérie. Il n'existe pas de représentant unique de la communauté musulmane. Il faut aussi savoir que chaque communauté musulmane cherche, par les abattages, à se financer : il faut dire les choses telles qu'elles sont.

M. Gérard César - Comme pour les produits casher ?

M. Douzain - Oui, mais le kascher est différent. Nous l'acceptons parce que c'est le consommateur qui paye. Dans les communautés musulmanes, le consommateur ne veut pas payer ou n'a pas les moyens de payer. Donc les communautés musulmanes demandent à l'abattoir d'être les percepteurs de cet argent, et le Ministère de l'Intérieur appuie les communautés pour organiser la collecte de ces fonds. On a toujours refusé cela.

Mais une chose est certaine : lorsque le Ministère de l'Intérieur a donné l'instruction de limiter les abattages lors des fêtes de l' Aïd-el-Kébir , cela a eu un effet pervers important vis-à-vis de la fièvre aphteuse. Cette année, il y a en effet eu beaucoup d'invendus lors de la fête de l' Aïd-el-Kébir , qui ont été achetés par des agriculteurs ou des négociants de la région parisienne, qui les ont revendus ensuite dans différentes zones. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'il a été difficile dans l'Oise ou le 77 de bien cerner où était parti l'ensemble des animaux.

M. Philippe Arnaud, président - Il est évident qu'il y a un lien entre la crise que nous venons de vivre et l' Aïd-el-Kébir , concernant les ovins, et qu'il faut trouver des solutions. Revenons à des sujets plus proches de notre préoccupation. J'aimerais que vous précisiez un certain nombre de points sur les pertes économiques de vos entreprises. S'il est indiscutable que vous avez des chutes sur certains produits, sur certaines viandes, nous savons que cela a, à l'inverse, bénéficié à d'autres viandes. N'y a-t-il pas eu de compensations, avec l'augmentation des cours sur certaines viandes ?

M. Douzain - Pour la première fois, nous ne pouvions pas avoir de compensations, puisque le boeuf, l'agneau et le porc étaient touchés. Les entreprises de viande de boucherie multi-produits ont été touchées sur les trois produits. Seul le secteur de la volaille a pu faire des bénéfices, mais cela reste à démontrer. Un cours élevé au niveau de la production ne signifie pas, pour une entreprise, un niveau de rentabilité supérieur. C'est même le contraire. Quand les cours sont extrêmement élevés, le prix relatif du porc dans l'univers des viandes est tel qu'il nuit au volume de consommation. Les prix que l'on a atteints dans le secteur du porc, aux alentours de douze à treize francs, freinent maintenant le développement du secteur parce que les prix proposés aux consommateurs sont élevés. Il n'y a donc pas eu de compensations.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous avez évoqué les pertes au niveau de vos entreprises. Quel espoir laisse le Ministère de l'Agriculture par rapport aux viandes qui sont encore en stock, dans les frigos ? Je ne sais pas si ces viandes peuvent rester longtemps dans les frigos sans être congelées. Quand nous nous sommes déplacés en Mayenne, on nous a dit que M. Porry, chargé par le Ministère de l'Agriculture de rédiger un rapport, avait dit que l'on ne pouvait pas tout indemniser, puisqu'une partie des produits est encore en stock. Par rapport aux indemnités, que vous promet le Ministère ? L'Union européenne pourra-t-elle vous aider à financer ces pertes d'exploitation ? Puisque les pouvoirs publics français vous ont imposé des règles plus draconiennes que l'Union européenne, ne pouvez-vous pas obtenir un recours en droit européen ?

M. Douzain - Il est toujours plus facile de trouver des solutions à l'amiable que d'attaquer l'Etat français devant la justice .

La mission de M. Pory concerne les cinq départements qui ont été touchés par la fièvre aphteuse. Je prends le cas des viandes. Il y a des abattoirs qui sont à quinze kilomètres de la Mayenne, qui ont subi exactement les mêmes préjudices que ceux qui sont dans la Mayenne, et pour lesquels l'Etat ne propose strictement rien. J'ai donné copie des courriers que nous avons transmis au Ministre de l'Agriculture, il y a trois mois. Chaque fois que nous le voyons, nous lui redemandons quelles solutions il propose pour ces préjudices. Pour l'instant, nous n'avons aucun espoir d'obtenir satisfaction en matière d'indemnisation, à l'exception du secteur ovin, où, sur les sept millions de francs de préjudices, deux millions sont programmés dans un des arrêtés qui ont été publiés au Journal officiel. Mais il reste cinq millions à notre charge.

M. Philippe Arnaud, président - Ces abattoirs ne sont pas sur le département d'un point de vue administratif.

M. Douzain - Dans les trente millions qui ont été programmés pour les cinq départements, la priorité du gouvernement est l'indemnisation des producteurs. Sur ce point, nous n'avons pas de commentaires à formuler. Par contre, il y a des préjudices qui ont été subis par les entreprises d'abattage de ces départements et d'autres départements, pour lesquels, pour l'instant, on ne nous propose rien. Je crois que le sentiment d'injustice est le plus dur à vivre. Je vous indiquais précédemment que l'arrêté proposait 500 francs d'indemnisation pour un animal vivant. Quand on sait qu'une fois abattu, sa valeur rapportée au poids de viande double, c'est-à-dire qu'il vaut mille francs, et que l'on vous propose trois cents francs, le secteur économique qui a assumé sa responsabilité dans la crise de la fièvre aphteuse ne comprend plus. Au niveau communautaire, pour l'instant rien n'est prévu, en dehors de l'abattage des animaux dans les zones où des cas de fièvre aphteuse ont été détectés. Effectivement, si nous n'arrivons pas à trouver de solution avec les pouvoirs publics, un certain nombre d'entreprises déposeront des recours à titre individuel, soit au Tribunal administratif, soit au niveau communautaire, mais les procédures judiciaires sont longues, coûteuses et incertaines. Je répète que les demandes que nous avons formulées au départ sont limitées aux préjudices directs, aux marchandises détruites ou qui ont été retournées dans le pays. Nous n'avons pas demandé d'indemnisation pour les problèmes de personnel, de baisse d'activité, de pertes de marge.

M. Dominique Braye - Je voudrais poser une question de prospective à Monsieur Douzain. Dans l'hypothèse où la France déciderait de recourir à la vaccination anti-aphteuse, estimez-vous, en tant que professionnel, qu'il peut y avoir un sentiment de défiance à l'égard des viandes qui proviennent d'animaux vaccinés, ou qu'au contraire les gens y sont complètement indifférents ?

M. Douzain - Il faut dissocier le marché national du marché à l'exportation pour les pays tiers. Sur le marché national, avec une communication correcte, il n'y a pas de raison que les consommateurs prennent mal le fait que les animaux soient vaccinés. Le terme vaccination est plutôt reconnu comme positif, comme une protection. De ce côté-là, il n'a pas de souci. Le problème concernerait la fermeture d'un certain nombre de pays. Dans le secteur porcin, il est clair que vous auriez des conséquences désastreuses, car environ 20 % de la production des exploitations françaises est exportée. Il s'agit d'un problème d'équilibre. En Asie, on exporte des oreilles, des groins, des queues de cochon, c'est ce qui fait l'équilibre du prix de revient, et ce qui nous permet d'avoir un prix de vente de la côtelette relativement bas en France.

M. Dominique Braye - Dans l'état actuel, pour des raisons économiques, vous êtes plutôt opposé à la vaccination

M. Douzain - S'il n'y a pas d'harmonisation internationale, on ne peut pas aller dans cette direction, puisqu'elle va à l'encontre du développement de nos activités, dans des proportions importantes. Maintenant, la question est posée. Le Brésil, l'Argentine et le Paraguay n'arrivent pas à endiguer les problèmes de fièvre aphteuse, et ces problèmes sont récurrents en Asie. Il me semble qu'il devrait y avoir une discussion qui dépasse le cadre de la France et de l'Europe.

M. Dominique Braye - Comment expliquez-vous que la France, qui a jusqu'à ce jour été un pays indemne sans vaccination contre la fièvre aphteuse, autorise, si vous le confirmez, l'importation de viande argentine ?

M. Douzain - La viande argentine est interdite aujourd'hui.

M. Dominique Braye - La France n'en importe pas ?

M. Douzain - Non, elle est interdite .

M. Dominique Braye -
Depuis combien de temps ?

M. Douzain -L'interdiction est entrée en vigueur lors de la crise de la fièvre aphteuse, en mars.

M. Dominique Braye - Mais avant, il y avait la fièvre aphteuse aussi ?

M. Douzain - La fièvre aphteuse, d'un point de vue vétérinaire, est un sujet extrêmement complexe. Tous les cas de figure sont codifiés par l'OIE. L'Argentine était autorisée à exporter vers l'Union européenne, mais seulement des viandes sous-vide, car il y a un abaissement du pH qui permet d'inhiber la fièvre aphteuse. Cela a suscité un certain nombre d'interrogations, dans la mesure où, sur le territoire national, nous n'étions pas autorisés à mettre les viandes sous-vide pendant le laps de temps nécessaire à leur commercialisation.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - C'était autorisé pour l'Argentine mais pas pour la France ?

M. Douzain - C'était autorisé. Mais certains bateaux en provenance de l'Argentine ont été arrêtés avant d'arriver en France.

M. Dominique Braye - A partir du moment où l'on sait qu'en-dessous d'un certain pH le virus de la fièvre aphteuse est inhibé, donc ne présente plus de risque, pourquoi notre pays ne traite-t-il pas les viandes suspectes ou à risque de la même façon en les mettant sous-vide ? Cela permettrait de réduire le pH et de détruire le virus, et les viandes seraient consommables grâce à cette opération relativement simple.

M. Douzain - Si nous avions eu cette autorisation, nous n'aurions pas quinze à vingt millions de préjudices.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Pourquoi vous a-t-elle été refusée, sous quels critères scientifiques ? En vertu du principe de précaution ?

M. Douzain - Principalement.

M. Jean-Paul Emorine , rapporteur - Les principes de précaution pour la crise ovine n'étaient pas justifiés pour les animaux argentins atteints de fièvre aphteuse, et que l'on importait en France.

M. Bernard Joly - Psychologiquement, cela était justifié.

M. Douzain - Si cela était codifié et harmonisé, cela serait plus simple.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur -Les contrôles aux frontières sont-ils bien réalisés sur les pays tiers dont nous sommes importateurs ?

M. Douzain - Un contrôle systématique est effectué à la réception des marchandises. Depuis la mise en place du Marché unique, on est obligé de passer par un certain nombre de ports ou d'aéroports. La viande ovine qui vient d'Australie, de Nouvelle-Zélande, du Chili, ou d'Uruguay, nous est livrée sous-vide, par avion, à Roissy. Là, il n'y a qu'un poste. La partie qui arrive par avion s'appelle le child. Cette viande est vendue fraîche sur le territoire national. La différence n'est pas visible. Le deuxième mode de transport concerne la viande congelée. Elle arrive par bateaux entiers qui sont annoncés à l'avance, puisque le temps de transport est parfois de quinze jours à trois semaines quand elle vient du Brésil ou de Nouvelle-Zélande. Les ports sont pratiquement toujours les mêmes. Des contrôles systématiques sont effectués.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Ces contrôles vous paraissent-ils efficaces ?

M. Douzain - L'important en matière sanitaire n'est pas le contrôle à l'arrivée des produits, mais le contrôle au départ. Ce sont des contrôles sanitaires qui sont effectués au quotidien dans les établissements d'abattage de ces pays.

M. Philippe Arnaud, président - Votre dernière observation me paraît très importante. Mais lorsque nous importons des viandes du Chili, d'Argentine, ou de Nouvelle-Zélande, sommes-nous sûrs de la qualité des contrôles au départ ? Vous avez évoqué tout à l'heure la nécessité d'avoir des règlements qui soient clairs, et surtout harmonisés. Comment vos industriels font-ils pour s'assurer de la qualité sanitaire des viandes qu'ils importent, venant de pays dont les vastes étendues ne permettent sans doute pas d'assurer des contrôles sanitaires tels qu'ils sont pratiqués en France ?

M. Douzain - J'ai visité les établissements dans quasiment chacun de ces pays. Chacun de ces abattoirs est agréé directement par la Commission européenne : des missions vétérinaires se rendent dans ces pays. Ils sont agréés selon les mêmes normes de construction que les établissements nationaux et des Etats membres. Les niveaux d'installation de ces pays sont plus élevés que ceux dont disposent certains Etats membres, à l'exception de la France, dont le niveau d'équipement est assez élevé. En matière d'abattage, il y a au Brésil des établissements dont il n'exsite pratiquement pas d'équivalent en Europe. La Nouvelle-Zélande a les établissements dont les niveaux sanitaires sont les plus élevés au monde pour l'abattage des ovins.

M. Philippe Arnaud, président - Et pour la traçabilité ?

M. Douzain
- La traçabilité est assurée par la Nouvelle-Zélande et le Brésil. Je pense qu'il peut y avoir des failles dans le dispositif pour les contrôles effectués dans les élevages, mais pas au niveau de l'établissement industriel. C'est le stade suivant de la réflexion communautaire. La même question se pose au niveau national pour l'organisation des contrôles pendant les crises. Une majorité d'éleveurs travaille très bien, mais un certain nombre n'honore pas la profession. Les contrôles en élevage sont l'avenir du sanitaire : responsabiliser l'industriel sur ses engagements vis-à-vis des questions sanitaires, concentrer les contrôles sur les animaux vivants et dans les exploitations. C'est la réforme indispensable à mettre en place si l'on veut encore augmenter les standards en matière de sécurité sanitaire.

M. Philippe Arnaud, président - Nous sommes arrivés au terme du temps qui nous était imparti. Il nous reste, Monsieur Douzain, à vous remercier. N'hésitez pas à nous communiquer tout document qui pourrait alimenter notre réflexion.

23. Audition de Mme Chmitelin, directrice générale adjointe de l'alimentation du Ministère de l'Agriculture et de la Pêche

M. Philippe Arnaud, président - Madame Chmitelin, c'est un grand plaisir de vous accueillir. Vous êtes accompagnée de Madame Rossat-Mignod, chargée des contrôles vétérinaires aux frontières avec les pays tiers au sein de la Direction de l'Alimentation du Ministère de l'Agriculture, ainsi que de Madame Catherine Rogy, chargée des contrôles vétérinaires aux frontières intra-européennes, au sein de cette même direction. Nous allons vous demander de nous exposer comment se pratiquent les contrôles aux frontières intra-communautaires et avec les pays tiers, et quelles sont les difficultés que vous rencontrez.

Mme Chmitelin - Mesdames et Messieurs, je vous propose de dresser le contexte général dans lequel sont réalisés les contrôles.

I. L'ORGANISATION DES CONTRÔLES INTRA-COMMUNAUTAIRES

Depuis le premier janvier 1993, les contrôles vétérinaires aux frontières internes à l'Union européenne ont été supprimés.

Auparavant, il y avait des postes d'inspection frontaliers tout autour de la France, et tous les produits ou animaux qui étaient échangés, par exemple de l'Allemagne à la France, subissaient un contrôle aux mouvements internes. Dans la période qui a précédé l'ouverture du Marché unique, les pays de l'Union européenne se sont employés à harmoniser les règles de mise sur le marché communautaire pour chaque catégorie de produits et d'animaux., de manière à ce qu'ils puissent circuler librement, tout en garantissant la sécurité des produits et en s'assurant que les animaux ne diffusent pas des épizooties par l'intermédiaire des mouvements intra-communautaires.

Les contrôles à l'origine étaient renforcés. Les pays membres qui mettaient un produit sur le marché ou qui destinaient des animaux aux échanges intra-communautaires étaient responsables de la vérification à l'origine, et du respect des dispositions qui avaient été arrêtées au niveau du Conseil des ministres pour la catégorie des produits ou animaux concernée. Parallèlement, il était possible de mettre en place des contrôles aléatoires à destination, pour que l'Etat membre de destination puisse vérifier par sondage que les produits ou animaux correspondaient bien aux prescriptions qui avaient été arrêtées au niveau communautaire. S'agissant des animaux qui constituent déjà une préoccupation majeure des Etats membres, une différence de statut sanitaire existait au sein de l'Union européenne : certaines maladies menaçaient plus certains Etats membres, en particulier la fièvre aphteuse, qui était aux portes de la Communauté avec la Turquie et la Grèce.

Les Etats membres se sont mis d'accord avec la Commission pour établir un système de contrôle du mouvement des animaux vivants qu'on appelle « Système Animo », qui permet de suivre les mouvements d'animaux déclarés, mais pas les fraudes. Dès que les animaux sont destinés à l'exportation, les services vétérinaires du département français concerné établissent un certificat sanitaire correspondant aux normes communautaires et vérifient le respect des différentes prescriptions : tests à effectuer, garanties par rapport au cheptel d'origine... Parallèlement, ils rentrent dans le Système Animo un message à destination de l'unité sanitaire locale de l'Etat membre de destination, informée en temps réel de l'arrivée de ces animaux. Cet Etat peut, s'il le désire, procéder à des contrôles à destination, pour vérifier si ces animaux respectent bien un certain nombre de prescriptions.

II. LES IMPORTATIONS EN PROVENANCE DE PAYS TIERS

N'ayant plus de frontières internes, il fallait parallèlement renforcer le dispositif de contrôle pour l'importation dans l'Union européenne. Il fallut établir des règles communes pour l'importation dans l'Union européenne, se mettre d'accord sur la liste des pays et des établissements d'où l'on pouvait importer, exiger que ces produits soient accompagnés d'un certificat sanitaire qui apporte un certain nombre de garanties. Ces conditions ont été harmonisées dans la période qui a précédé l'ouverture du Marché unique. S'agissant de l'organisation des contrôles, on a établi des points d'entrée obligés, qu'on appelle des postes d'inspection frontaliers, principalement des ports et des aéroports, dispersés dans la communauté européenne. Tous les produits ou animaux vivants introduits dans l'Union européenne doivent nécessairement passer par ces points d'introduction obligés, agréés par l'Union européenne, et inspectés très régulièrement par la Commission européenne. Une fois ces contrôles réalisés, les produits sont mis en libre circulation sur le Marché unique : il faut donc absolument que ces postes fonctionnement correctement. Il y a environ 283 postes d'inspection frontaliers dispersés dans l'Union européenne, dont 27 en France.

III. LA FIÈVRE APHTEUSE

Depuis 1972, les conditions d'importation dans la Communauté européenne des animaux vivants sensibles à la fièvre aphteuse et des produits qui en sont issus (viande bovine, porcine...) ont été harmonisées. Cette harmonisation a été plus tardive pour les volailles ou les fromages, et pour les produits laitiers en général.. Un certain nombre de conditions générales sont établies pour garantir que la fièvre aphteuse ne sera pas introduite dans l'Union européenne via l'importation d'animaux vivants ou de produits.

Cette directive de 1972, qui a été modifiée par la suite, prévoit aussi des conditions pour l'importation des produits qui accompagnent les voyageurs, permettant de déroger au système communautaire d'inspection systématique dans la limite d'un kilo de marchandises par passager. Jusqu'à un kilo, il est possible d'introduire avec vos bagages personnels des denrées animales sans certificat sanitaire, mais ces produits doivent respecter les prescriptions en matière de santé animale. Cependant, comme il n'y a pas de certification sanitaire, cela est très difficile à vérifier. Au niveau français - cela n'a pas été étendu aux autre pays communautaires -, nous avons rapidement pris conscience de la difficulté de ces contrôles de passagers, et nous organisons assez régulièrement avec les services des douanes des opérations « coup de poing » sur des vols ciblés, en provenance de certains pays à risque. Mais le dispositif n'est pas parfait. Suite à la crise de la fièvre aphteuse, on a renforcé le dispositif d'information des passagers. Mais les années précédentes on avait beaucoup de mal à organiser l'information des passagers comme le font les pays anglo-saxons, en particulier les Etats-Unis, l'Australie, et la Nouvelle-Zélande. Pour que ces mesures soient efficaces, il faudrait les appliquer au niveau communautaire. Je ne sais pas si Monsieur Van Goethem vous l'a dit hier, mais la Commission réfléchit très sérieusement à renforcer le dispositif d'information, voire de sanction, pour les personnes qui tentent d'introduire frauduleusement ces produits.

Voilà ce que je peux vous dire, de manière certainement incomplète.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous nous dites que le Système Animo ne permet pas de contrôler les fraudes. Mais votre mission consiste justement à découvrir les fraudes : il semble en effet que les cas de fièvre aphteuse dépistés au Royaume-Uni viendraient de produits qui seraient arrivés en fraude. Concernant les voyageurs, on voit bien qu'aux Etats-Unis les mesures sont plus rigoureuses que dans l'Union européenne. J'ai bien compris qu'à votre niveau vous insistiez dans ce sens, mais quand on sait qu'il faut très peu de virus aphteux pour contaminer tout un pays, il y aurait de nouvelles dispositions à prendre. Comment pouvez-vous contrôler au départ ces produits, puisque l'on nous dit que la meilleure sécurité que l'on pourrait trouver est le contrôle au départ ?

M. Philippe Arnaud, président - Je voudrais que vous reveniez sur des mesures qui avaient été prescrites, figurant en page 46 du Rapport Mac Sharry, et qui prévoyaient, notamment pour les personnes qui franchissent régulièrement les frontières, le renforcement de mesures d'information sur les risques de transmission du virus par des denrées alimentaires, en posant par exemple des panneaux très lisibles. Ces mesures ont-elles déjà été mises en oeuvre ?

Mme Chmitelin - Je vais distinguer trois types d'importation.

Les importations commerciales, déclarées, rentrent dans le schéma général des contrôles, passent par les douanes, qui, s'agissant de produits d'origine animale, demandent systématiquement une visite vétérinaire. Si elles arrivent dans un port qui n'est pas un poste d'inspection frontalier, les douanes refusent d'effectuer le contrôle et de dédouaner les produits, et renvoient la marchandise.

Pour les importations frauduleuses à grande échelle, par exemple faire passer un conteneur de viande pour un conteneur de jouets, nos services ne sont pas en première ligne : ce sont les services des douanes qui contrôlent ces importations illégales. Ce ne sont pas des contrôles systématiques. Je sais qu'ils ont un certain nombre de dispositifs qui permettent maintenant de passer aux rayons X les conteneurs, pour savoir ce qu'il y a dedans, mais ce n'est pas une garantie à 100 %.

S'agissant des passagers, il est clair que tout n'a pas été fait, et qu'il reste beaucoup à faire. Des dispositifs de protection exceptionnels ont été mis en place compte tenu de la situation sanitaire due à la fièvre aphteuse. Je pense qu'il faut profiter de cet incident pour renforcer le dispositif général d'information des passagers dans les aérogares.

Les moyens de transport internationaux, avion ou bateau, bénéficient d'un régime particulier au niveau du droit communautaire, pour pouvoir s'approvisionner en marchandises qui ne sont pas conformes au droit communautaire : c'est ce qu'on appelle l'avitaillement. Cela a été l'une de nos grandes préoccupations lors de la discussion sur la directive qui modifiait les systèmes d'inspection aux frontières intra-communautaires, en 1997. La France, en particulier, voulait mieux contrôler ces avitailleurs. Parmi eux se trouvent de grosses sociétés, notamment néerlandaises, situées à Amsterdam comme la Société Bosman, qui importent d'énormes quantités de viandes qui proviennent de pays touchés par la fièvre aphteuse. Ces produits sont importés en dérogation au système communautaire, et peuvent circuler sur le territoire communautaire sous certaines conditions. Avec Catherine Rogy, qui a pris ma suite sur le dossier, nous avons eu beaucoup de mal à encadrer ce dispositif qui n'est pas parfait. L'avitaillement des moyens de transport internationaux est donc une source possible de diffusion de la fièvre aphteuse. Quand on a essayé de dire qu'il faudrait avitailler les moyens de transport uniquement avec des marchandises qui répondent au statut communautaire en termes de santé publique, pour que les voyageurs ne soient pas malades, et qu'il y avait un risque pour la santé animale à partir du moment où l'on n'était pas sûr de la qualité sanitaire des produits, on a eu affaire à une très forte pression des Hollandais et des Allemands qui étaient opposés à cela. Ils répondaient que si ces bateaux et ces avions ne s'avitaillaient pas sur le territoire communautaire, ils s'avitailleraient en Pologne ou de l'autre côté de la Méditerranée, et que les effets seraient les mêmes.

M. Gérard César - Savez-vous quel est, aujourd'hui, le pourcentage d'animaux non déclarés qui circulent ? Monsieur Douzain nous a dit qu'en Argentine et au Brésil les abattoirs étaient aux normes européennes, voire supérieurs à certains abattoirs de notre territoire : qu'en pensez-vous ? Sommes-nous vraiment sûrs des viandes importées de ces pays ?

Mme Chmitelin - Quand je parlais d'animaux non déclarés, il s'agissait des échanges intra-communautaires. Pour les échanges intra-communautaires d'animaux, différents dispositifs de contrôle existent à l'origine, à destination, à la circulation, mis en place avec l'aide des services de gendarmerie. On a très peu de mouvements d'animaux non déclarés sur lesquels on a pu identifier des fraudes, surtout pour les gros animaux. Peut-être en a-t-on un peu plus pour les carnivores, car ils passent plus inaperçus dans les mouvements. On organise des contrôles également pour des raisons de protection animale, pour vérifier les conditions de bien-être des animaux transportés, puisqu'il existe une directive communautaire sur ce point.

S'agissant de vote deuxième question, je suis allée deux fois en Argentine. Je n'ai pas eu l'occasion de visiter les abattoirs, mais j'ai visité les marchés. On nous rapporte que les abattoirs agréés pour exporter vers la communauté européenne sont superbes. Mais il n'y a pas que ces abattoirs. Depuis les directives communautaires de 1972, des inspecteurs communautaires se rendent dans les pays tiers. Ils avaient tendance à pousser les règles au maximum vis-à-vis des importations en provenance de ces pays, s'agissant de l'hygiène des abattages et indépendamment du problème de traçabilité.

Hier j'ai eu l'occasion, en marge de la section générale de l'OIE (Office International des Epizooties), de déjeuner avec le nouveau chef des services vétérinaires argentins. Il occupait ce poste il y a six ou sept ans, et fut à l'origine de l'éradication de la fièvre aphteuse en Argentine. Une nouvelle équipe dirigeante a été appelée aux commandes, l'équipe en place a été limogée et traînée devant les tribunaux pour avoir occulté un certain nombre de faits concernant la situation sanitaire de l'Argentine au regard de la fièvre aphteuse. On nous a expliqué que la situation était extrêmement tendue, que le Gouvernement essayait de remettre les choses en place, qu'il voulait faire preuve de transparence, et qu'il avait conscience des difficultés auxquelles il était confronté. Il est clair qu'il n'existe pas de système de contrôle du mouvement des animaux. Le docteur Cane me disait que la régionalisation, dont on parle si souvent, est très difficile à mettre en place. Je pense que l'on parlera de notre expérience française, parce que l'on a connu une mesure de « régionalisation » autour des deux foyers. La régionalisation signifie la mort de la région qui est bloquée, dans des pays où les échanges sont très nombreux, et a fortiori dans un groupe de pays. On ne peut pas vivre en vase clos. Il s'en rend compte aussi, à l'échelle de son pays. Il nous a demandé de participer à ces réflexions en désignant un correspondant sur la question de la réorganisation de leurs services vétérinaires. Nous avons répondu favorablement.

Il y a plusieurs catégories d'abattoirs en Argentine, comme c'était le cas en France avant l'harmonisation communautaire. Ils ont un marché à plusieurs vitesses, certains abattoirs sont agréés pour exporter vers l'Union européenne, d'autres pour exporter vers les Etats-Unis, et ils ont un certain nombre de petits abattoirs pour leur consommation interne ou pour les exportations vers les pays de la zone, qui ne répondent ni aux normes communautaires, ni aux normes américaines.

M. Philippe Arnaud, président - L'Argentine a remis en oeuvre la vaccination : cela a-t-il pour conséquence l'autorisation d'importer en France ?

Mme Chmitelin - Pour l'instant, on attend d'y voir plus clair. Il y a une interdiction totale d'importer de l'Argentine. Pour inscrire un pays sur la liste des pays autorisés à exporter vers l'Union européenne, il faut avoir confiance dans les services vétérinaires. Cela ne sert à rien d'établir un certain nombre de conditions sanitaires, de certifications, si la signature du vétérinaire au bas du certificat n'a aucune valeur parce qu'il n'appartient pas à une organisation suffisamment développée pour garantir que les conditions figurant sur le certificat sont remplies. Pour l'instant, il y a un tel manque au niveau de l'Argentine, que l'on attend de voir comment vont être organisés les services, et quelle garantie ils pourront nous donner pour les produits qui seront éventuellement exportés vers l'Union européenne.

S'agissant de la situation sanitaire, ils se sont lancés dans une vaste campagne de vaccination. Au regard du droit communautaire, un pays qui vaccine contre la fièvre aphteuse peut exporter un certain nombre de produits vers l'Union européenne, à certaines conditions. On établira cela au niveau communautaire quand la situation sera plus claire, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ce n'est pas parce que l'Argentine a vacciné que l'on va arrêter d'importer. Mais on n'importera que des produits désossés, et selon des conditions assez restrictives.

M. Dominique Braye - Nous avons importé d'Argentine des viandes qui étaient soumises à désossement : par conséquent, ces viandes étaient sans risque. Pourquoi avoir consigné ces viandes et ne pas avoir plutôt préconisé un traitement comme l'emballage sous-vide ? Monsieur Douzain nous a dit que non seulement ils n'étaient pas indemnisés, mais qu'en plus ils étaient en attente d'une décision du Gouvernement français sur le sort des viandes qui pour l'instant sont immobilisées. C'est une profession qui est apparemment sinistrée.

Mme Chmitelin - Il n'y a plus de viande consignée en attente de dédouanement dans les ports français.

M. Dominique Braye - Comme M. Van Goethem le disait hier, il me semble que la France a été au-delà de certaines préconisations de l'Europe.

Mme Chmitelin - J'apprécie beaucoup Monsieur Van Goethem, avec qui j'ai collaboré. Mais il ne vous a pas dit comment cela s'était passé au départ de la crise, quand, très rapidement, on a annoncé la décision d'abattre les agneaux britanniques. Je me rappelle plusieurs conversations avec Monsieur Van Goethem qui me disait : « Non, il ne faut pas les abattre, il n'y a que deux foyers ! ».

M. Dominique Braye - Monsieur Van Goethem nous a dit exactement le contraire, et que vous aviez obéi aux prescriptions personnelles qui étaient d'abattre les troupeaux et tout ce qui était autour.

Mme Chmitelin - C'est faux. Il m'a dit : « Non, ne les abattez pas, nous n'en sommes qu'aux premiers jours de la crise ! ». J'ai dit que nous entendions procéder à l'abattage, et il a répondu : « Nous allons avoir des complications, cela va faire tache d'huile, ne faites pas cela ! ». Une semaine après, il me téléphonait en me disant : « Abats tout, abats tout, vite, vite ! ». Nous avons pris la décision. Et d'ailleurs vous pouvez demander les minutes du comité vétérinaire permanent, puisque c'est la France qui a demandé, au cours d'un comité, que les abattages préventifs puissent bénéficier d'une prise en charge financière par l'Union européenne. Nous nous inquiétions pour l'indemnisation de ces animaux. La Commission a dit qu'elle étudierait la question. Il n'y avait aucune disposition communautaire.

M. Dominique Braye -Pourquoi la France est-elle le seul pays à consigner les viandes ?

Mme Chmitelin -Il est vrai que nous avons pris des mesures de prévention un peu en avance par rapport à ce qui avait été décidé au niveau communautaire, pour essayer de limiter la diffusion du virus, dans l'attente de renseignements sur la situation épidémiologique réelle.

Je n'ai pas une connaissance très précise de ces viandes consignées. S'agissant des viandes qui étaient en Mayenne ou dans la zone de restriction, nous avions dès le début affirmé qu'elles pourraient être libérées sous réserve qu'elles subissent un traitement thermique. C'est vrai qu'il aurait fallu prendre des mesures de pH, mais cela étant très compliqué, nous avions pris l'option de les stocker sous-vide. On sait que la maladie s'est limitée aux deux foyers et que dans les zones concernées aucun autre foyer ne s'est déclaré. Nous devons donc pouvoir reconsidérer cette décision et relâcher ces viandes. A mon avis, elles sont congelées ou sous-vide. Je n'ai pas encore connaissance de produits qui ont été débloqués.

M. Dominique Braye - Si vous pouviez vous mettre en relation avec Monsieur Douzain...

Mme Chmitelin -Il faut que je fasse le point avec lui. Je ne peux pas vous répondre précisément dans la mesure où je ne sais pas exactement de quels produits il s'agit. Est-ce que c'est vraiment pour des raisons sanitaires ? Il y a des moments où l'on mélange différents aspects. Je vais vous tenir informés...

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je voulais réagir au sujet de l'Argentine, qui est aujourd'hui en train de vacciner, pour essayer d'assainir le pays au niveau de la fièvre aphteuse. Vous avez dit que nous verrions alors comment l'on pourra reprendre les importations en direction de l'Union européenne. On sent bien que notre agriculture est impliquée dans une véritable guerre économique, et je ne vois pas pourquoi, au niveau européen, on pourrait importer de la viande sous-vide avec l'abaissement du pH. Dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, moi, Français, Européen convaincu, je n'accepterais pas de telles possibilités, si on ne peut pas vacciner nos animaux. Il faut qu'il y ait une discussion au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce. Je ne vois pas pourquoi l'Union européenne serait plus à même de dire que l'on peut les importer, alors que l'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande, qui d'un autre côté nous envoient des moutons, nous demandent des conditions impossibles. Imaginons que la situation de l'Argentine s'assainisse, qu'ils continuent à vacciner, et que nous, au niveau européen, nous puissions autoriser les importations. Je voudrais connaître votre sentiment sur cette perspective d'avenir. Pourquoi certains pays, dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce, refuseraient d'importer des produits qui ont été vaccinés, alors que l'Union européenne l'accepterait ? Les relations dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce doivent être équilibrées : nous n'avons pas à accepter des produits que les autres pays refusent.

Mme Chmitelin - Nous sommes un Etat membre, dans une Communauté européenne de quinze Etats membres. Les relations avec l'OMC sont gérées par la Commission, et c'est la Commission qui parle. Je suis allée de nombreuses fois au comité sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires : c'est une expérience relativement frustrante, parce que c'est la Commission européenne qui parle, même si vous n'êtes pas forcément d'accord avec ce qui est dit. Nous harmonisons nos positions avant les comités, mais c'est finalement la Commission qui s'exprime et qui négocie, y compris sur ces dossiers-là.

En ce qui concerne les conditions sanitaires à l'exportation, c'est la même chose. La Commission propose des mesures. En France, vous avez raison, on est les premiers à chaque fois à monter au créneau. A l'exportation, personne ne nous défend, la Commission européenne qui se dit compétente pour négocier à l'exportation ne fait rien.

S'agissant des mesures de santé animale, comme Monsieur Douzain l'a dit, c'est l'Office International des Epizooties qui établit un certain nombre de règles. Elles prévoient aussi qu'un pays puisse importer en provenance d'un pays qui vaccine -ce sont des recommandations aux pays importateurs-, sous réserve que la viande soit désossée, qu'il y ait des mesures de pH. Les pays membres de l'Organisation Mondiale du Commerce s'engagent normalement à appliquer les règles de l'OIE et, s'ils vont au-delà, doivent justifier scientifiquement ces mesures. On ne peut pas attaquer les Etats-Unis en disant : « Vous refusez l'importation des viandes en provenance d'Argentine ». En revanche, on pourrait aider les Argentins à attaquer les Américains, mais cela ne se fera jamais, pour des raisons commerciales et historico-politiques.

M. Philippe Arnaud, président - Nous nous appliquons des règles contraignantes, mais nous sommes relativement souples avec les pays tiers. Vous avez rappelé que l'Union européenne devait prendre des mesures communes, mais aujourd'hui on a le sentiment que l'on se crée des entraves à l'exportation, alors que l'on va rapidement, pour des raisons économiques, rechercher les importations.

M. Dominique Braye - C'est impossible à expliquer à un certain nombre d'éleveurs. Alors qu'actuellement plusieurs personnes préconisent la vaccination, le seul moyen de leur expliquer qu'il ne faut pas y avoir recours est de dire : « Restons un pays sans vaccination pour pouvoir exporter sur les marchés ».

Mme Chmitelin - S'agissant des importations, pour l'instant, l'Argentine est frappée d'un embargo total. Quand la situation aura évolué, peut-être pourra-t-on reconsidérer la situation au niveau européen. La Commission va certainement le faire dans le cadre des relations qu'elle entretient avec ces pays-là. L'Union Européenne va rouvrir l'Argentine avant les Américains. Les Argentins n'exporteront plus vers le Japon, ni vers la Corée, ni vers d'autres pays qui ne respectent pas les règles de l'OIE mais qui ne seront pas attaqués pour autant par les Argentins au niveau de l'Organisation Mondiale du Commerce. Il est vrai que cela est difficile à comprendre pour un éleveur français. On nous dit de ne pas vacciner pour que l'on puisse exporter. L'éleveur de bovins dit : « Mais pourquoi dois-je m'exposer à une maladie alors que je pourrais très bien vacciner ? ».

M. Philippe Arnaud, président - Pourquoi ne pas attaquer le Japon et la Corée, par exemple, sous prétexte de discrimination ? Il y a un problème de fond. On ne peut pas expliquer en France qu'il ne faut pas vacciner pour l'exportation, et dans le même temps importer des viandes vaccinées.

Mme Chmitelin - Nous exportons des viandes porcines vers le Japon ou la Corée, alors que les Argentins exportent de la viande bovine. Peut-être que les viandes bovines auraient eu un meilleur sort à l'exportation vers les pays tiers s'il n'y avait pas eu le problème de l'ESB. Pour l'instant, le Japon, qui pratique la vaccination, a fermé durablement ses portes à l'Argentine.

M. Dominique Braye Le Japon ne respecte pas les règles de l'OIE : selon elles, ces produits, s'ils sont désossés, auraient pu être importés. Mais on ne va pas attaquer nos clients.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Malheureusement, devant ce genre de situations, on est en train de fabriquer des anti-Européens. L'éleveur de bovins ne saisit pas cela. Ce qu'il retient, c'est qu'on pourrait importer des viandes vaccinées et que lui n'est pas autorisé à vacciner.

M. Philippe Arnaud, président - Nous nous sommes inquiétés, après des visites sur le terrain, d'un certain nombre de dispositions prises pour les produits laitiers, comme les fromages au lait cru. Nous avons entendu un certain nombre de scientifiques et de chercheurs, et nous venons de recevoir aujourd'hui une confirmation écrite de Monsieur Maubois, Directeur de recherche à l'INRA, qui indique des résultats fondés sur les échanges épistolaires qu'il avait eus dans les années 70 avec des responsables américains : les recherches sur la fièvre aphteuse nous permettent d'affirmer avec une grande certitude que le virus de la fièvre aphteuse ne survit pas à un pH de 4,6 pendant une semaine, quelle que soit la contamination initiale. Ces conditions de pH correspondent à l'affinage du camembert.

Il nous a été indiqué à plusieurs reprises que la fermentation de fromages au lait cru permettait de traiter le problème. Or nous avons constaté un embargo sur ces produits, qui se justifie pour éviter certains moyens de transmission. Mais il n'y a pas aujourd'hui de mesures d'indemnités ni d'aides financières prévues pour les entreprises, qui connaissent encore un séisme économique.

Sur quoi ces mesures ont-elles été fondées ? N'y a-t-il pas lieu, à la lumière de ces expériences, de revoir un certain nombre de dispositions, pour qu'à l'avenir il n'y ait pas un excès de précautions ?

Mme Chmitelin - Les mesures qui ont été prises en France par rapport aux produits au lait cru ont concerné les zones autour des foyers. C'étaient des mesures particulièrement difficiles à supporter, d'autant plus que l'embargo momentané s'est traduit pour un certain nombre de produits par une destruction, du fait de leur faible conservation et des risques vis-à-vis de la santé publique. Les considérations données actuellement par l'INRA, qui font état du résultat des années 70, sont remises en cause par les Américains, suite à de nouvelles recherches.

M. Dominique Braye - Le virus de la fièvre aphteuse serait devenu plus résistant ?

Mme Chmitelin - Peut-être. Cela dépend des types de fromages : il y a plusieurs considérations à prendre en compte. Concernant les débats communautaires, ce fut fâcheux, puisque le deuxième cas est tombé dans la région de Meaux, en Seine-et-Marne, et j'imagine les conséquences dramatiques pour certaines entreprises. Peut-être a-t-on pris trop de précautions et peut-être essaierons-nous de sortir un certain nombre de recommandations pour mieux doser les mesures qui ont été prises. Il faut se souvenir qu'au milieu de la crise, nous avons dû prendre des décisions très rapides, et que nous n'avions pas le temps d'aller consulter la bibliographie. Au niveau communautaire, les mesures ont été prises quels que soient les fromages au lait cru et quel que soit le pH. Nous avons peut-être pris trop de précautions, mais au niveau communautaire des précautions identiques ont été prônées.

M. Philippe Arnaud, président - Personne ne saurait faire la moindre critique sur des mesures qui ont été prises en état de crise, à un moment où il fallait frapper fort et vite, mais aujourd'hui se pose la question des indemnités.

Mme Chmitelin - Je pense que d'autres interlocuteurs vous ont parlé des systèmes qui ont été mis en place. Je ne suis pas compétente pour évoquer pour cette question. A notre faible niveau, nous allons essayer de tirer les enseignements techniques des mesures qui ont été prises, pour pouvoir doser au plus juste les actions qui seront mises en place si un problème similaire survenait.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - La critique concerne le zonage départemental. Lorsqu'un problème apparaissait dans le nord d'un département, il est évident que le département voisin était plus sensible à une contamination que le sud du département dans lequel l'épizootie était présente.

Mme Chmitelin - Vous savez sans doute que nous sommes en train d'organiser un retour d'expérience. Nous avons largement diffusé un questionnaire assez fourni à tous nos services vétérinaires et à tous nos partenaires. Nous sommes en train de l'éplucher, et nous ferons un premier rendu de cette expérience lors d'une réunion avec les directeurs des Services vétérinaires, qui se tiendra à Lyon à la mi-juin. Ce retour d'expérience sera accompagné d'un certain nombre de propositions concrètes permettant une amélioration du dispositif pour l'avenir.

M. Philippe Arnaud, président - Hier soir, nous avons appris que le rétablissement des contrôles sur les mouvements d'animaux a fait partie des mesures qui ont été prises pendant la crise.

Mme Chmitelin - Ce n'est pas vraiment un contrôle. Une autorisation de transports d'animaux était délivrée après information.

M. Philippe Arnaud - En-dehors des situations de crise, les échanges se fondent sur la confiance réciproque. En outre, il appartient aux pays d'origine d'effectuer la certification. A la lumière de cette crise, n'y a-t-il pas lieu de mettre en place des contrôles plus stricts à l'arrivée, à partir du moment où l'on sait que les mesures et le suivi sanitaires ne sont pas totalement efficaces dans certains pays ?

Mme Chmitelin - Si on rétablit un contrôle systématique à l'arrivée, nous ne respectons pas les règles communautaires. Si ce contrôle est effectué au niveau communautaire, il vaut encore mieux rétablir les contrôles aux frontières. Il est plus facile de faire les contrôles aux points de passage obligés que dans plusieurs milliers de points de chute du bétail.

M. Philippe Arnaud, président - Je partage totalement votre point de vue, mais nous devons néanmoins trouver une solution. Au cours de nos auditions, nous nous sommes aperçus que l'application des directives et des règlements communautaires n'étaient pas effectuée de manière similaire dans tous les états. N'y a-t-il pas lieu d'intervenir pour que les mesures que nous appliquons chez nous le soient aussi chez nos voisins ?

Mme Chmitelin - C'est un sujet politiquement sensible. Nous pouvons renforcer les contrôles à destination, mais vous imaginez bien que les moyens nécessaires à cette entreprise sont énormes. Il faut en effet se rendre dans des élevages et des points de destination particulièrement nombreux. Néanmoins, cette possibilité est envisageable.

Vous parlez en outre de la légèreté des contrôles à l'origine chez certains de nos voisins. Il appartient à la Commission de faire respecter l'application des textes communautaires. Elle doit le faire par le biais de son Office alimentaire et vétérinaire.

Vous savez que les organisations administratives des différents pays membres sont très variées. En France, nous avons une organisation assez atypique, dans la mesure où les services de contrôle sont très centralisés. Pour l'application des mesures sanitaires, je pense que cela représente un plus. Chez certains de nos voisins, l'Allemagne par exemple, la situation est plus complexe : les contrôles à l'origine sont réalisés par les Länder, sur lesquels le pouvoir fédéral n'a pas de réel pouvoir. Il faudrait réussir à démontrer que la manière dont les contrôles sont effectués est susceptible de présenter un danger pour les états membres destinataires.

M. Gérard César - N'est-il pas possible de profiter de cette crise pour améliorer le système dans tous les pays de l'Union européenne ?

Mme Chmitelin - Une amélioration du système passe par un renforcement du système vétérinaire général. Je suis persuadée qu'un message politique fort est nécessaire. Cela a été dit au niveau du Conseil des Ministres, mais ce message doit se traduire désormais dans les faits. Il faut donc donner des moyens supplémentaires aux services de contrôle pour réaliser correctement leurs missions.

M. Gérard César - Vous avez du travail devant vous...

Mme Chmitelin - Si nous ne connaissons pas d'autres crises, nous pourrons peut-être prendre le temps d'apporter des améliorations.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie de votre contribution. La conviction que vous exprimez montre indiscutablement que votre Service a pris cette affaire très au sérieux. Nous ne pouvons que vous féliciter pour tout le travail réalisé par votre Direction.

24. Audition de Jean-Luc Duval , Président du Centre national des jeunes agriculteurs

M. Philippe ARNAUD, président - Nous allons poursuivre nos auditions avec Jean-Luc Duval, qui est le Président du Centre national des jeunes agriculteurs. Monsieur le Président, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous allez pouvoir nous donner le point de vue du CNJA sur l'épizootie de fièvre aphteuse. En outre, vous nous ferez part de votre appréciation sur la gestion de cette crise et de votre analyse sur ce problème.

M. Jean-Luc Duval - Je vais commencer par me présenter. Je suis éleveur laitier et producteur de viande bovine dans le département de l'Orne, en Normandie. Je produis également des fruits.

J'ai vécu la crise de la fièvre aphteuse à travers mon implication nationale, et j'ai pu ainsi me rendre compte de toutes les craintes suscitées sur le terrain par l'épizootie. En outre, je suis éleveur dans l'Orne, département limitrophe de la Mayenne. Ce dernier ayant connu des cas de fièvre aphteuse, je faisais partie des deux zones qui ont été mises en simili quarantaine. 600 élevages et 800 agriculteurs ont été concernés.

I. L'ÉPIZOOTIE EN GRANDE-BRETAGNE

Une fois de plus, nous avons été surpris, au niveau agricole, de subir la non-prise en compte de l'origine britannique de cette épidémie. Cela nous pose un certain nombre de questions, puisque l'ESB et la fièvre aphteuse ont la même provenance. En outre, nous avons été particulièrement surpris par l'ampleur de ce phénomène sur le territoire anglais. Dans un pays aussi développé que l'Angleterre, il est en effet étrange que l'épizootie se soit propagée de manière si anarchique. Depuis l'arrêt de la vaccination en 1991, nous avons connu des cas de fièvre aphteuse en Grèce et en Italie, qui ne sont pas réputés pour faire preuve d'un sérieux complet dans l'application des règles sanitaires. Pour autant, l'épidémie était sans aucune mesure avec l'épizootie anglaise. Si je me souviens bien, seuls quelques cas de fièvre aphteuse étaient apparus, des mesures avaient été prises et l'épidémie a été rapidement éradiquée. Nous nous posons donc de réelles questions concernant l'épizootie en Angleterre.

Au niveau européen, il est nécessaire d'entamer une discussion sérieuse entre tous les partenaires. Dans le même ordre d'idées, il est surprenant que l'Angleterre face appel à l'Europe pour obtenir des vétérinaires. Ce genre de demande provient en général des pays du sud, et il est étonnant que l'Angleterre en soit aujourd'hui l'origine. La sécurité sanitaire est devenue aujourd'hui un aspect déterminant de la chaîne agroalimentaire, et nous nous devons donc d'y réfléchir avec tous nos partenaires.

II. LA GESTION DE LA CRISE EN FRANCE

A mon avis, je crois que la France a su prendre les mesures qui s'imposaient. Elles ont pu choquer de nombreuses personnes, tant dans la population que dans le monde agricole, mais nous avons su prendre le taureau par les cornes. Lorsque l'on connaît la taille de la population bovine française, j'estime qu'il est très rassurant de constater que nous avons seulement connu deux cas de fièvre aphteuse. Evidemment, se pose le problème de tous les troupeaux qui ont été abattus préventivement. La question de l'indemnisation se pose. En outre, il est clair que la fête de l'Aïd El Khebir, qui s'est déroulée en pleine crise de fièvre aphteuse, n'a pas facilité le traitement du dossier.

Cette crise a parfaitement montré à l'opinion publique que la France était très dépendante de la production ovine du Royaume-Uni. Un tel constat devrait appeler un certain nombre de réflexions. La réforme de l'organisation commune de marché ne nous a pas permis de conserver notre potentiel ovin, et il est dommage que nous soyons si dépendants de nos partenaires. A mon sens, cette dépendance est d'autant plus grave qu'il existe en France des zones traditionnelles d'élevage de moutons, y compris en plaine.

III. L'ATTITUDE DES AGRICULTEURS AU COURS DE LA CRISE

Les abattages préventifs ont été importants. Tout particulièrement, des dispositions très sérieuses ont été prises autour des foyers de fièvre aphteuse. Evidemment, les agriculteurs ont perçu ces abattages comme une contrainte. Autant les paysans se sont posé des questions concernant les abattages dans le cadre de l'éradication de l'ESB, autant ils ont accepté les abattages pour la fièvre aphteuse. En effet, nous sommes tous conscients des dégâts que peuvent causer cette maladie, qui est connue de longue date. Personnellement, je n'ai pas de recul suffisant, mais j'appartiens à une famille qui travaille dans l'agriculture depuis de nombreuses générations. Mon père m'a rappelé que son troupeau avait été touché par la fièvre aphteuse dans les années 30. Sur un troupeau d'une quarantaine de bêtes, quinze sont mortes. Les dommages peuvent donc être importants, et cette maladie doit être traitée très sérieusement.

Les agriculteurs ont donc accepté les contraintes avenantes à cette crise. Nous avons tous été surpris, au niveau des organisations professionnelles, du sérieux dont les agriculteurs ont fait preuve. Ils ont parfaitement respecté les consignes passées. Tout particulièrement, lors de la venue du Président de la République dans l'Orne, nous avons constaté que les paysans ne faisaient pas du tout preuve d'un esprit revanchard. Au contraire, ils ont été très dignes et ont parfaitement accepté que certains troupeaux soient abattus.

Nous avons également remarqué que notre excellente organisation au niveau de nos groupes professionnels a permis d'amoindrir les effets de cette crise. Nous nous sommes aperçus que la décentralisation par communes ou par cantons des organisations syndicales a permis de faire passer facilement le message auprès des agriculteurs. J'insiste lourdement sur ce sujet : nous avons pu démontrer qu'un excellent travail de collaboration avait été effectué entre les organisations agricoles et l'administration. Lorsque tout le monde poursuit des objectifs communs, le message passe bien mieux. Tout particulièrement, la non-propagation de la fièvre aphteuse est de toute évidence due à la mise en place très rapide d'un périmètre de protection.

Autant les agriculteurs ont totalement accepté de servir de bouclier pour le reste du territoire, autant ils attendent aujourd'hui de la part de l'Etat un retour. Suite à des pressions venant du terrain, des rencontres se sont déroulées au Ministère. Des promesses ont été faites, et il faudra que cet épisode de la fièvre aphteuse soit soldé de manière correcte. Les décisions prises ont en effet entraîné de réelles contraintes sur les exploitations : personnellement, je suis producteur de jeunes bovins. A cause de l'ESB, j'avais décalé la vente de mes animaux car les cours n'étaient pas très intéressants. Ces ventes ont encore été retardées suite à la fièvre aphteuse. Mes bêtes avaient plus de 24 mois, et elles n'étaient donc plus considérées comme des jeunes bovins. J'ai perdu, en moyenne, entre deux à trois francs par kilo. Nous ne pouvons pas nous permettre de telles pertes en ce moment, et nous devrons donc être indemnisés.

Sans l'ESB, la situation aurait été plus facile. L'addition des deux crises a créé un contexte difficile à supporter, et les conséquences en sont encore plus dommageables.

IV. LES CONSÉQUENCES SUR L'INDUSTRIE AGROALIMENTAIRE

Cette crise a entraîné des conséquences non-négligeables sur l'industrie agroalimentaire et sur quelques producteurs effectuant de la vente directe. Par exemple, à Camembert, un producteur de lait fabrique des camemberts au lait cru. En raison des dispositions prises, il a été obligé de détruire tous ses fromages qui étaient en affinage et d'arrêter ses livraisons. Nous sommes près de Paris, qui constitue la principale zone de vente. Les pertes en trésorerie ont été particulièrement importantes pour ce producteur.

Je vous donne un autre exemple. Près de chez moi, un producteur de fromage au lait cru, qui s'appelle Gillot, a dû détruire 400 000 camemberts. Pour une petite entreprise familiale, le manque à gagner est important. Cette entreprise aura forcément besoin d'une aide. Dans le cas contraire, elle sera rachetée par Lactalis, ce qui encouragera encore plus la concentration de la collecte laitière dans l'Orne. Pour votre information, Lactalis collecte plus de 80 % du lait dans mon département. Je ne crois pas qu'il faille renforcer encore plus la mainmise de ce groupe.

L'indemnisation doit concerner les éleveurs et les industries agroalimentaires. Ce n'est pas parce que d'autres cas de fièvre aphteuse ne se sont pas déclarés que nous ne devons pas être indemnisés. Nous demandons fortement que toutes les pertes engendrées par la mise en quarantaine de notre département soient expertisées. Par ailleurs, nous demandons qu'un audit soit effectué sur toutes les conséquences de l'épizootie.

Au niveau national, nous nous satisfaisons complètement que le nombre de cas ait été si limité. En outre, cette crise a mis en avant le manque de transparence dans la filière viande, ovine ou bovine. Il est rassurant que les deux cas de Seine-et-Marne et de Mayenne soient liés ; mais, au départ, nous n'avions aucune précision sur les échanges d'animaux. Nous ne savions pas quels avaient été les lieux de transit du bétail. A mon sens, je crois que nous devons être plus sérieux et plus transparents sur les transactions. Auparavant, celles-ci étaient effectuées à un échelon local ; aujourd'hui, les animaux parcourent parfois de longues distances. Nous pourrions réclamer de la part des éleveurs de faire preuve de plus de transparence, mais je crois que tous les intervenants de la filière doivent entrer dans cette démarche.

V. LA QUESTION DE LA VACCINATION

La crise de la fièvre aphteuse a provoqué un profond désarroi chez les éleveurs. En outre, le débat sur la vaccination a été relancé. Le CNJA a considéré que certains intervenants auraient eu raison de se taire au moment de la crise. En effet, ce n'est pas au moment de la crise que nous devons nous poser des questions sur la pertinence de la vaccination. Je suis peut-être un peu dur, mais il est évident que certains propos ont été exagérés, tout particulièrement de la part des vétérinaires. Quoi qu'il en soit, je ne crois pas qu'une campagne de vaccination, entamée en plein milieu de la crise, constitue une solution prophylactique efficace. Mes propos vis-à-vis des vétérinaires peuvent vous sembler agressifs, mais j'ai rencontré quelques problèmes avec eux au début des années 90. S'ils n'avaient pas d'avis sur la prophylaxie concernant la fièvre aphteuse, ils considéraient que l'arrêt des campagnes de vaccination leur enlèverait une réelle part de l'activité. Leurs arguments étaient essentiellement guidés par des motifs économiques.

Par contre, nous avons dit que nous devions nous préparer à faire des vaccinations si l'épizootie prenait une réelle ampleur. Pour cela, il est important de posséder des stocks de vaccin suffisants. Nous avons également dit que la vaccination devait s'accompagner d'un cycle de destruction : il faut vacciner les animaux présents autour des zones à risques pour éviter la propagation de l'épizootie, pour ensuite supprimer les animaux.

Quoi qu'il en soit, le débat sur la vaccination contre la fièvre aphteuse doit être relancé. Nous devons bien peser toutes les conséquences engendrées par cette opération sur l'élevage français. Au plus fort de la crise, nous avons appris qu'un certain nombre de structures pharmaceutiques travaillent sur les vaccins traceurs. Je crois que nous devons les encourager dans leurs recherches.

Le CNJA n'a pas d'avis tranché sur la vaccination. Les opinions sont en effet divergentes au sein de notre structure. Certains y sont favorables, alors que d'autres estiment qu'une vaccination entraînera des répercussions sur l'exportation de nos produits en Europe et dans le monde. Nous pouvons peut-être nous passer des exportations extra communautaires, mais nous ne pouvons pas faire l'économie des exportations à l'intérieur de l'Union.

Quelques actions ont été menées dans les ports pour éviter la propagation de la fièvre aphteuse. Je rappelle que nous serons bientôt en pleine période estivale. Or de nombreux Anglais viennent passer leurs vacances en France. Nous espérons que cette circulation importante des Britanniques sur notre territoire n'entraînera pas une recrudescence de l'épizootie. Nous demandons donc fortement que le maximum de précautions soit pris pour que cette hypothèse ne se réalise pas. Après s'être débarrasé de ce problème, nous espérons que l'été ne sera pas marqué par la réapparition de la fièvre aphteuse sur notre territoire.

VI. QUESTIONS DE LA MISSION

M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président, je vous remercie. Je laisse la parole à Jean-Paul Emorine, notre rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Président, je voudrais vous poser deux questions. Vous avez dit que la crise a été bien gérée. Mais, à un moment donné, avez-vous émis l'hypothèse que l'épidémie atteigne l'ampleur que la Grande-Bretagne a connue ? Dans cette hypothèse, le monde agricole aurait-il réagi de la même manière ? Aurait-il accepté les mêmes contraintes ? En outre, j'aimerais connaître votre point de vue sur une éventuelle campagne de vaccination.

M. Jean-Luc Duval - Au coeur de la crise, nous n'étions pas particulièrement à l'aise : en effet, nous avons émis l'hypothèse que cette épizootie atteigne une grande ampleur. A mon avis, si nous avions connu un nombre de cas de fièvre aphteuse plus important, il est évident que nous aurions rapidement déclenché une campagne de vaccination.

Nous avons été soulagés de voir que les cas de fièvre aphteuse étaient présents dans l'ouest du pays. En effet, nous avons le souvenir, dans ces régions, de cas de fièvre aphteuse. Les Côtes d'Armor ont connu une telle situation en 1981, et les agriculteurs se souvenaient que l'application de mesures strictes permettait d'éradiquer l'épidémie. Si la fièvre aphteuse était apparue dans le Massif Central, je ne crois que les éleveurs auraient réagi de la même manière. Les tempéraments sont différents d'une région à l'autre. Par exemple, une manifestation s'est déroulée dans l'Allier, alors que la Normandie n'a pas connu de mouvements de ce genre. Par ailleurs, je rappelle que l'ESB panique tout le monde. L'addition des deux crises est en effet catastrophique : le marché est déprimé depuis l'ESB, et, avec la fièvre aphteuse, les transactions et le transport ont été interdits. Le débat sur l'abattage ne fait qu'alourdir le climat.

Ainsi, je ne crois pas que nous aurions pu tenir comme cela a été le cas de l'autre côté de la Manche. A mon avis, c'était impossible d'un point de vue politique, et il est clair que les organisations syndicales n'auraient pas du tout eu la même attitude. Au-delà de la vingtaine de cas, nous aurions craqué. Par ailleurs, les médias se sont fait l'écho de la campagne de vaccination menée par les Hollandais. Mais ils ont oublié de préciser que la vaccination était suivie de la destruction des troupeaux soupçonnés.

Concernant la vaccination, on nous a expliqué à une certaine époque qu'il fallait l'arrêter car elle engendrait des coûts importants et fermait certains marchés à l'export. Il était plus pertinent de mettre en place des systèmes sanitaires performants qui permettraient de n'avoir qu'un risque calculé. En fait, nous nous apercevons que nous ne pouvons pas nous appuyer sur certains de nos partenaires. La vaccination permettrait vraisemblablement de rassurer l'opinion publique, mais nous devons réfléchir à toutes les conséquences de telles campagnes.

En outre, il ne faut pas oublier que les producteurs de porc sont peu favorables à une campagne de vaccination. En effet, ils exportent de grandes quantités de produits en Asie, et il est clair que la vaccination du cheptel porcin marquerait la mort de ces exportations.

M. Philippe Arnaud, président - Vous nous avez dit que la stratégie hollandaise consistait à vacciner, puis à détruire les troupeaux. Je dois vous avouer que nous avons eu d'autres échos, qui faisaient état d'une stratégie de vaccination visant à maintenir les troupeaux pendant un an. Les acheteurs ayant indiqué qu'ils n'acquérraient pas cette viande, les Hollandais ont décidé d'abattre les moutons.

M. Jean-Luc Duval - Vous avez sûrement plus d'informations que moi. Je peux juste vous dire que nous nous sommes renseignés sur le cas hollandais, et je vous rapporte ici les informations qui nous ont été transmises.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas cédé à la panique et des mesures ont été prises en préalable. Par exemple, dans l'Orne, un arrêté préfectoral a été pris huit jours avant qu'un cas ne se déclare en Mayenne. A ce moment, tout était en place sur le terrain. Si nous avions attendu la déclaration du cas, nous n'aurions pas été opérationnels immédiatement.

L'esprit de responsabilité des agriculteurs sur le terrain a considérablement amoindri les risques de propagation de l'épizootie. J'ai pu l'observer dans mon département, où les agriculteurs ont parfaitement respecté les mesures prophylactiques prises. Les exploitants sont parfaitement conscients qu'une épizootie de fièvre aphteuse peut se propager comme un feu de brousse. Nous bénéficions en effet d'une transmission orale de la connaissance de cette maladie, qui a conduit à une réelle responsabilisation de la part des éleveurs.

M. Dominique Braye - Je vous avoue que j'ai été étonné par certains de vos propos. Concernant l'épizootie en Grande-Bretagne, je dois dire que je ne partage pas complètement votre étonnement. En effet, le cheptel ovin de ce pays est plus important que le nôtre, et surtout, la structuration du marché est très différente. En effet, les marchés aux bestiaux sont de très grande taille, et le sort a voulu que les animaux étant à l'origine de l'épizootie de fièvre aphteuse aient transité par deux des plus importants marchés de Grande-Bretagne. En outre, je ne trouve pas choquant qu'un pays fasse appel à des vétérinaires étrangers. Aucun état ne dispose des structures vétérinaires lui permettant de faire face à une crise de cette ampleur. Quant à la position des vétérinaires sur la vaccination, je vous rappelle que certains d'entre eux se sont toujours prononcés contre l'arrêt de la vaccination. Par conséquent, je trouve tout à fait légitime et normal que des vétérinaires demandent aujourd'hui que les campagnes de vaccination reprennent, d'autant plus que souvent ils étaient les relais des agriculteurs qui souhaitaient que les vaccinations se poursuivent. En outre, je rappelle que cette Mission doit étudier la question de la fièvre aphteuse dans sa globalité. J'espère que les intérêts de chacun laisseront la place à des considérations plus hexagonales. Il serait intéressant que le monde agricole soit perçu dans sa totalité. Monsieur Duval, vous avez dit que nous aurions cédé à l'émotivité si le nombre de cas avait été supérieur à 20. Je tiens néanmoins à rappeler que la Grande-Bretagne connaît aujourd'hui 1 700 foyers de fièvre aphteuse, et elle refuse toujours la vaccination. Cette dimension devrait nous amener à réfléchir et à nous demander pourquoi les Britanniques adoptent une telle politique.

M. Philippe Arnaud, président - Avant de donner la parole à Monsieur César, je voudrais dire que nous réfléchissons bien dans une optique globale. Nous nous penchons sur la situation de l'ensemble du monde agricole, sans nous focaliser sur des intérêts particuliers. Concernant la vaccination, il est évident que des solutions doivent être étudiées, au minimum, à un niveau européen. Cela permettrait, le cas échéant, de faire évoluer les réglementations internationales de l'OIE. Il ne s'agit donc pas de poser de façon abrupte la question de la vaccination si on ne l'intègre pas à une réflexion globale. Quoi qu'il en soit, nous devons nous y intéresser en regardant, par exemple, les évolutions scientifiques pour les vaccins ou des alternatives permettant d'anticiper d'éventuelles crises futures dont l'ampleur atteindrait celle que les Anglais ont connue.

M. Gérard César - Monsieur le Président, vous avez évoqué tout à l'heure les pertes induites par l'épizootie de fièvre aphteuse. Avez-vous une idée du montant de ces pertes ? En outre, j'aimerais connaître votre point de vue sur la traçabilité, les labels, les IGP et les AOC. Que deviennent ces signes de qualité suite à la crise que nous avons connue ? Ne pensez-vous pas que nous devrions les mettre en avant afin d'éviter ce que nous venons de connaître ?

M. Louis Moinard - En 1991, nous sommes passés d'une obligation de vaccination à un interdit pur et simple. D'autre part, je voudrais savoir si les Britanniques effectuent une solution aussi poussée que nous pour les bovins. Je tiens en outre à rappeler qu'auparavant les agriculteurs n'étaient pas aussi spécialisés qu'aujourd'hui. Maintenant, les élevages sont très sélectionnés et les éleveurs ont adopté la voie de la spécialisation. Dès qu'une épizootie survient, l'exploitation elle-même est mise en danger. On nous a dit qu'en Grande-Bretagne, certains agriculteurs n'avaient pas su faire leur sélection. L'épizootie de fièvre aphteuse a représenté pour eux l'occasion de le faire. Certains ont abattu leur cheptel, mais n'ont pas été traumatisés.

M. Jean-Luc Duval - Il existe en France une forte structuration administrative et agricole que l'on ne retrouve pas en Angleterre. Il n'y a pas d'organisations professionnelles dans ce pays. En ce sens, je ne suis pas étonné outre mesure que la crise de fièvre aphteuse ait pris de telles proportions dans ce pays. Par exemple, un producteur de plats cuisinés de Manchester possédait des bêtes atteintes de fièvre aphteuse, et les autorités ne s'en sont rendu compte qu'au bout de trois semaines. Sincèrement, je ne crois pas que de telles situations soient possibles en France.

M. Dominique Braye - Ce n'est pas ce qui nous a été dit hier. Monsieur Van Goethem nous a dit qu'il n'était pas possible de déterminer de manière exacte l'origine de la fièvre aphteuse. En outre, il nous a précisé que les autorités britanniques avaient découvert le cas auquel vous faites référence avant trois semaines.

M. Jean-Luc Duval - Je côtoie de temps en temps les fonctionnaires communautaires. J'espère que la transparence est totale sur ce dossier. Quoi qu'il en soit, je ne comprends pas comment l'épidémie de fièvre aphteuse a pu concerner 1 500 cas en Grande-Bretagne. Pour moi, une telle hypothèse est plausible en Argentine, dans la mesure où il existe de très grands rassemblements de bétail.

M. Dominique Braye - N'oubliez pas que 1 500 cas ne représentent que 3 % du cheptel anglais.

M. Jean-Luc Duval - Je suis d'accord. Mais les épizooties de fièvre aphteuse que nous avons connues au cours des précédentes années n'ont pas du tout eu cette ampleur. Les Italiens et les Grecs ont réussi à éradiquer facilement l'épidémie. En Grande-Bretagne, celle-ci a rapidement pris des proportions dramatiques.

Par ailleurs, je crois que la Grande-Bretagne est allée trop loin dans la déstructuration des organismes d'état. Par exemple, les Britanniques sont incapables d'effectuer une identification de chaque animal, alors que nous sommes tout à fait aptes à le faire.

M. Dominique Braye - Monsieur Duval, n'oubliez jamais que la France a été forte dans cette crise car elle dispose d'un réseau d'épidémio-surveillance constitué par les vétérinaires sanitaires. Pour l'instant, la grande majorité d'entre eux ne peut plus vivre de leur seule activité rurale, et sont obligés de se rabattre sur la clientèle canine. La Nation profite donc de ce réseau de surveillance qui est payé par des personnes qui font soigner leurs chiens et leurs chats par ces vétérinaires.

M. Jean-Luc Duval - Le CNJA s'est battu pour que nous bénéficiions de formations de plus en plus poussées. J'appelle le vétérinaire lorsque je ne peux pas faire autrement. Si je le fais, c'est bien parce que j'ai épuisé un certain nombre de solutions.

M. Dominique Braye - C'est vrai. Souvent, le vétérinaire ne peut plus rien faire, dans la mesure où l'éleveur a déjà fait tout ce qui était possible. Mais pas forcément de la meilleure façon. Par ailleurs, chaque agriculteur détient aujourd'hui de nombreux médicaments, mais ils ne sont pas toujours utilisés à bon escient. Si les médicaments étaient toujours correctement utilisés par les éleveurs, le vétérinaire ne servirait plus à rien ou les éleveurs seraient les vétérinaires !

M. Jean-Luc Duval - C'est juste, et le métier de vétérinaire devient moins intéressant qu'auparavant. Personnellement, j'arrive à soigner seul mes bêtes.

Vous avez signalé que vous n'étiez pas surpris que la Grande-Bretagne fasse appel à nos vétérinaires. Très franchement, j'ai l'impression que des erreurs ont été commises en Angleterre. En France, nous disposons de services de proximité, les DSV ou les GDS par exemple. Si l'Angleterre avait bénéficié de ces structures, l'épizootie ne se serait peut-être pas propagée à cette vitesse.

Nous avons montré du doigt depuis longtemps l'état de dépendance de notre production ovine. Par ailleurs, il est évident que la récente crise a permis à l'opinion publique d'en prendre conscience également. Les associations de défense de consommateurs le savent, et ont compris que la logique du moindre coût avait des limites. Par conséquent, elles se prononcent aujourd'hui pour une relance de la production ovine sur le territoire français. Même si l'épizootie n'a pas de conséquence sur l'homme, les consommateurs se posent logiquement des questions.

M. Dominique Braye - En l'occurrence, ne croyez-vous pas que c'est le marché qui commande ?

M. Jean-Luc Duval - Lorsque je vois comment l'organisation commune de marché sur la production ovine est élaborée, je me dis parfois que le but est de rayer complètement de la carte cette production. La politique du plus bas prix et son ajustement au marché mondial montre effectivement que le marché commande. Si nous voulons conserver des paysans sur l'ensemble de notre territoire, il faudra modifier cette politique.

Les prises de position par rapport à la vaccination sont avant tout guidées par le degré de connexion et de connaissance du marché. En effet, certains agriculteurs sont soumis plus que d'autres au marché. Par exemple, les producteurs de porc le comprennent parfaitement : lorsque le kilo de porc est vendu cinq francs, les producteurs perçoivent en effet toute la réalité du marché. En outre, les producteurs porcins sont très bien organisés : ils disposent de relais qui les informent de l'état du marché du porc. Par contre, la production ovine ne bénéficie pas de ce degré d'organisation. J'espère sincèrement que la crise que nous vivons actuellement nous permettra de rebondir. En effet, il est essentiel que les éleveurs ovins bénéficient d'une meilleure connaissance de leur marché. Ils doivent apprendre que l'on produit pour le consommateur. Celui-ci n'a plus à se mettre au niveau de la production.

Par ailleurs, il est apparu que les comportements par rapport à la vaccination n'étaient pas les mêmes sur tout le territoire. Si le Morvan avait connu des cas de fièvre aphteuse, je suis persuadé que le climat aurait été beaucoup moins serein, et les réactions du monde agricole auraient vraisemblablement été plus violentes.

Concernant les pertes, nous avons estimé que nous avions besoin de 1,8 million de francs pour le département de l'Orne. Je n'ai pas les chiffres pour l'Eure et la Mayenne. En outre, il faudra également indemniser les industries agroalimentaires. Si certaines d'entre elles déposent le bilan, l'Etat en portera la responsabilité.

Je voudrais revenir sur la question de la structuration de l'agriculture britannique. Il est évident qu'ils sont plus pragmatiques que nous, et éprouvent vraisemblablement un attachement moindre à leurs troupeaux. Effectivement, il est envisageable que certains aient profité de la fièvre aphteuse pour renouveler leurs troupeaux grâce aux indemnités qui seront versées. Quoi qu'il en soit, je ne peux apporter aucune certitude sur cette question.

Enfin, nous sommes conscients que les exportations françaises de biens alimentaires représentent une ressource importante pour la nation. Par conséquent, nous devons faire très attention aux décisions que nous prendrons. Cependant, si la dimension économique est essentielle, nous devons absolument prendre en compte d'autres aspects.

M. Paul Raoult - Il existe dans nos régions quelques éleveurs, très minoritaires, qui laissent mourir leurs bêtes dans les pâtures. Ils sont complètement déconnectés de la vie locale et, a fortiori , des réseaux existants. Ils représentent des dangers permanents de contamination, mais nous ne disposons pas aujourd'hui de procédures légales d'élimination de ces troupeaux qui sont dans une situation d'abandon. Ces agriculteurs mettent en péril tous les exploitants qui sont à proximité, qui travaillent correctement et intelligemment. Par conséquent, nous devons réfléchir, au niveau législatif, sur notre capacité à mettre fin à de telles situations. De tels cas sont isolés, mais ils existent. Je crois qu'ils seraient suffisants pour assurer le développement de l'épidémie.

M. Jean-Luc Duval - Il existe à côté de chez moi une exploitation qui se trouve exactement dans la situation que vous décrivez. Nous avons insisté lourdement au niveau de la DSV pour que le troupeau soit saisi. Souvent, ces agriculteurs n'ont aucun contact avec l'extérieur. Le risque est amoindri, mais il existe néanmoins. Il est évident que nous nous devons d'intervenir.

M. Dominique Braye - Hier, Monsieur Van Goethem nous a dit que l'épizootie de fièvre aphteuse en Grande-Bretagne était peut-être partie d'un élevage porcin qui se trouvait sous surveillance pour mauvais traitement à animaux. En France, il existe une procédure permettant de saisir un troupeau pour mauvais traitement.

M. Paul Raoult - Cela suppose cependant que le préfet et le sous-préfet prennent leurs responsabilités.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Duval, je vous remercie pour votre intervention. Si vous souhaitez nous faire parvenir des documents complémentaires, ou si vous voulez nous faire part de nouvelles réflexions, nous sommes à votre entière disposition.

25. Audition de François Lucas, Président national de la coordination rurale

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons maintenant M. François Lucas, Président national de la coordination rurale. Monsieur le Président, vous allez nous présenter la position de la coordination rurale sur la récente épizootie de fièvre aphteuse. Vous nous livrerez également vos appréciations sur la manière dont cette crise a été gérée en France et au niveau européen. Si vous avez des propositions permettant d'anticiper une éventuelle future crise, nous serons heureux de les connaître. Je vous laisse la parole.

M. François Lucas - C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai noté que vous aviez constitué une Mission d'information sur la fièvre aphteuse. Cet épisode mérite en effet que nous nous posions des questions sur la manière dont nous avons conçu, depuis quelque temps, la sécurisation vis-à-vis des épizooties. Il permettra peut-être de tirer des leçons pour l'avenir.

J'ai décomposé mon intervention sur trois points : la gestion de la crise, l'indemnisation des éleveurs et la vaccination.

I. LA GESTION DE LA CRISE

Nous pouvons considérer que cette crise a été globalement bien gérée. Néanmoins, il a fallu attendre une semaine pour que des mesures énergiques soient prises. La présence de fièvre aphteuse en Angleterre a été révélée de manière officielle le 21 février, et des mesures ont été prises en France le 28. Cette période correspond à la tenue du Salon de l'agriculture à Paris, où des moutons reproducteurs anglais étaient présents. Ils ont côtoyé le fleuron de la génétique française, et ce salon a été fréquenté par de nombreux visiteurs. Je dois vous avouer que nous avons été très étonnés qu'un tel risque soit couru.

Sur un plan technique, les décisions prises correspondent aux mesures réglementaires qui ont été décidées quelques jours avant l'interdiction de la vaccination, en 1992. Nous pouvons noter que le Ministère de l'agriculture est allé au-delà de ces dispositions, qui prévoyaient que les animaux seraient mis en quarantaine s'il existait une simple suspicion de fièvre aphteuse. L'abattage des animaux ne serait décidé que si l'existence de la maladie devenait avérée.

Nous avons assisté à un abattage de tous les animaux identifiés comme venant d'Angleterre, sans même que des analyses et des sérologies aient été effectuées : à partir du moment où les animaux étaient anglais, ils étaient considérés comme étant infectés.

Cette manière de procéder a été corrigée lorsqu'un agriculteur de Maubeuge a menacé d'attaquer le préfet de son département : il estimait que la procédure réglementaire n'était pas respectée et demandait que des analyses soient effectuées avant tout abattage. C'est à partir de ce moment que les dispositions réglementaires ont été appliquées strictement.

Au niveau des services techniques, le dispositif a parfaitement fonctionné. Nous avons en effet constaté que la prévision des actions à mener a été très bonne.

II. L'INDEMNISATION DES ÉLEVEURS

Concernant l'indemnisation des éleveurs, je crois que nous devons distinguer plusieurs catégories. Tous les éleveurs ont été touchés par cette crise, mais nous devons opérer une distinction entre ceux dont les animaux ont été abattus, ceux vivant dans les départements où des cas ont été décelés et l'ensemble des éleveurs qui ont souffert de la situation.

Les éleveurs qui détenaient des moutons venant d'Angleterre ont vu leurs troupeaux abattus rapidement. Les premiers abattages ont été effectués le 1 er mars. Ces éleveurs pensaient qu'ils seraient indemnisés à hauteur du prix d'achat des animaux, ce qui n'a pas été le cas. Ils ont appris le 7 mars que les moutons seraient payés 500 francs, et les bovins 5 000 francs. Ce montant pouvait être modulé en fonction des expertises.

Aujourd'hui, ces éleveurs n'ont toujours pas été indemnisés, et un doute subsiste sur le montant qu'ils percevront. S'ils sont certains de recevoir au moins 500 francs, ils n'ont obtenu aucun engagement pour le remboursement du complément.

Pour les animaux français ayant été en contact avec les moutons anglais, la règle précédente a été appliquée. Lorsque cela concernait les éleveurs de moutons, le montant de l'indemnisation a une valeur relative. En effet, nous nous situions, au moment de la fièvre aphteuse, dans une période d'agnelage. Une brebis et un agneau étant indemnisés pour l'ensemble à 1000 francs, cela représentait un montant correct.

Pour les bovins français, les indemnisations ont également été correctes. L'annonce des niveaux d'indemnisation a priori bas aurait pu entraîner un danger si nous étions entrés dans une phase d'abattage massif. En effet, le montant annoncé aurait eu un effet dissuasif et aurait vraisemblablement conduit certains éleveurs à ne pas déclarer les cas de fièvre aphteuse.

Des mesures très sévères ont été prises dans les départements ayant connu des contaminations. Deux niveaux d'indemnisation ont été décidés : les éleveurs se trouvant dans les périmètres de sécurité ont bénéficié d'un dispositif d'aides publiques complémentaires au montant prévu pour les abattages. Ce montant permettait de prendre en charge les frais liés à la rétention des animaux. Par ailleurs, des indemnités ont été versées par la FNGDS. La mutualisation de ces fonds, collectés depuis l'arrêt de la vaccination, a permis d'apporter un complément substantiel aux aides publiques.

Les éleveurs vivant dans les départements touchés, mais en-dehors des zones de sécurité, ont perçu une aide publique tenant compte des frais inhérents à la rétention des animaux. Par contre, il semble qu'une dépréciation soit survenue, en particulier pour les jeunes bovins. Les éleveurs n'ont pas pu négocier leurs animaux à leur réelle valeur.

Tous les autres éleveurs ont été victimes de l'épizootie à travers les répercussions qui ont touché le marché des animaux. Ceux-ci n'ont pu prétendre à aucune indemnité au titre de l'épizootie de fièvre aphteuse.

III. LE DÉBAT SUR LA VACCINATION

Nous avons été les premiers à demander la reprise de la vaccination à Monsieur Glavany. Nous conservons encore cette analyse aujourd'hui, dans la mesure où cette position relève du simple bon sens. Nous sommes toujours persuadés que l'interdiction de la vaccination, sous la pression anglaise, a constitué une régression.

L'arrêt de la vaccination a en effet été demandé par les Britanniques. Ceux-ci ne vaccinaient pas leurs animaux, et ils ont réussi à convaincre l'ensemble de leurs partenaires communautaires de l'inutilité de cette opération. Mais, la mondialisation multiplie les échanges d'animaux et le développement des transports favorise la propagation des virus.

En 1991, la fièvre aphteuse était en passe d'être éradiquée en Europe. C'était bien grâce à la politique de vaccination préventive, mise en place en 1962, que la fièvre aphteuse a pu régresser. Elle était en passe d'être éradiquée au début des années 90, et il était relativement logique d'arrêter les vaccinations systématiques.

En 1996, suite à l'épizootie qui s'était déroulée en Grèce et dans les Balkans, nous avions rappelé le risque d'une non-vaccination. L'Observatoire international des épizooties a rappelé récemment que si le nombre de pays touchés par la fièvre aphteuse est à peu près stable, l'ampleur des épizooties augmente fortement. Le virus de la fièvre aphteuse demeure donc présent.

En Europe, le risque s'accroît d'autant plus que la protection résiduelle due à une longue politique de vaccination diminue progressivement. En outre, nous pensons que la fragilité et la sensibilité des troupeaux s'accroissent à cause de leur concentration. Sans parler des conséquences économiques et sociales, nous pensons qu'il est possible d'éradiquer cette maladie par la simple destruction des animaux. En effet, la durée de vie du virus est longue, et tous les animaux sauvages constituent des porteurs potentiels. Nous ne pouvons pas prétendre les éliminer totalement.

Evidemment, les conséquences économiques dépassent largement le simple coût de l'abattage des animaux. En effet, il faudrait également évaluer les conséquences en cascade qui ont touché la filière viande et la filière lait. Par ailleurs, le capital génétique des troupeaux, les perturbations sur les marchés et les incidences sur les prix à la consommation doivent également être pris en compte. Enfin, l'état psychologique des acteurs, directement exposés à l'épizootie, est impossible à indemniser.

Les arguments lancés contre la vaccination sont très souvent empreints de mauvaise foi et font parfois preuve d'une absence totale de rigueur. Par exemple, Monsieur Byrne a dit que la vaccination devrait être effectuée deux fois par an, ce qui entraînerait des coûts exorbitants. En France, nous pratiquions cette vaccination une fois par an, ce qui s'avérait largement suffisant : c'est ce que nous pouvons lire dans « Les dossiers du ministre de l'agriculture ».

En outre, certains ont dit qu'il était impossible de distinguer les animaux malades des animaux vaccinés. Cet inconvénient ne tient que vis-à-vis des exportations et, à notre sens, la question de la vaccination doit concerner l'Union européenne et non la France. Dans ce cas, ce problème ne concerne plus que les exportations vers les pays tiers, qui restent très marginales. Par ailleurs, des techniques permettent d'identifier la nature des anticorps et, a fortiori, les animaux vaccinés.

Il a également été dit que la vaccination peut provoquer le développement de la maladie. C'est vrai, mais ce risque existe pour tous les vaccins. Si cet argument est utilisé, il rend caduques toutes les vaccinations humaines qui ont été reconnues comme un réel progrès pour l'humanité. En outre, cet inconvénient est bien faible au regard de la sécurité que nous gagnerions en vaccinant tout le cheptel.

Certains estiment qu'il est difficile d'identifier les souches qui sont à l'origine des maladies. Ce travail appartient aux laboratoires, qui adaptent les vaccins aux souches. Cette question ne se posait pas lorsque nous pratiquions la vaccination.

Par conséquent, nous estimons que la gestion de cette crise a été relativement bonne au niveau français. Par ailleurs, je crois que le traitement de la question de la vaccination relève d'un niveau européen, et non de la France. L'examen de la situation britannique devrait nous inciter à revenir à une politique préventive de vaccination. En outre, le traitement médiatique de cette crise, où des images très traumatisantes ont été diffusées, pose la question de la crédibilité des hommes politiques français et européens. En effet, nous ne pouvons pas nous permettre de connaître à nouveau ces images de massacres gigantesques d'animaux, marquantes tant pour les éleveurs que pour la population toute entière.

IV. QUESTIONS DE LA MISSION

M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Lucas, je vous remercie. Je laisse la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous n'avez pas évoqué la question de l'identification des ovins. Qu'en pensez-vous ?

Je voudrais connaître également votre position par rapport aux acheteurs de moutons qui, comme vous l'avez dit, ne seront indemnisés qu'à hauteur de 500 francs par animal. Pour la fête de l'Aïd, qui a eu lieu en pleine crise de fièvre aphteuse, certains négociants ont vendu des moutons d'importation, peu chers à la base, à un prix supérieur à 500 francs.

Vous avez parlé des aides publiques qui ont été versées aux éleveurs présents dans les zones étant en-dehors des périmètres infectés. Jusqu'à présent, personne ne nous a dit que ces agriculteurs avaient été indemnisés. Pouvez-vous nous dire quelle est l'origine de ces financements ?

M. François Lucas - Concernant la traçabilité, il a été mis en évidence que l'identification des moutons restait approximative. Il est vrai qu'elle devrait être améliorée. Mettre en place une traçabilité efficace s'avère en outre nécessaire au niveau européen. En effet, lorsque je vois les prix des moutons anglais, je me dis parfois que certains sont peut-être importés. Une bonne traçabilité permettrait ainsi de faire le tri entre les moutons réellement élevés sur le sol britannique et les bêtes qui ne font que transiter par cet état.

Il est évident que les importateurs ont été montrés du doigt. Mais ils sont souvent à la fois acheteurs et éleveurs. Ceci montre tout le problème du double marché du mouton français de qualité. Celui-ci ne représente qu'une faible part de la consommation française, et les éleveurs sont obligés de devenir négociants de moutons anglais. Ces derniers transitent parfois par des exploitations où sont élevés des moutons français. Je crois que nous devons considérer cette situation comme un des avatars de la distorsion qui marquent la politique agricole de l'UE.

Concernant les indemnités, je sais que certains éleveurs de Mayenne pensent en recevoir suite aux lourdes mesures d'interdiction de sortie des animaux. J'ai parlé de dépréciation car ces éleveurs de Mayenne ont été sous les feux des projecteurs, et ont donc logiquement rencontré des difficultés pour vendre ensuite leurs bêtes. Cette dimension n'a pas été prise en considération. Par ailleurs, des éleveurs possédaient des broutards qu'ils souhaitaient vendre. En raison des mesures prises, les éleveurs n'ont pas pu les vendre. Lorsque les ventes ont été à nouveau possibles, ils n'étaient plus des jeunes bovins, et leur valeur était logiquement moindre.

L'indemnisation a donc été correcte dans les périmètres de sécurité. Cela n'a pas été le cas dans les zones périphériques, où tous les aspects du problème n'ont pas été pris en compte. Concernant les fonds, je crois savoir que ce sont des mesures prises spécifiquement pour les départements concernés. En outre, je vous rappelle que cette crise est venue s'ajouter, pour l'ensemble des éleveurs, à la crise de l'ESB. Mais aucune mesure n'a été prise pour cette population.

M. Dominique Braye - Manifestement, vous constatez que la crise a été bien gérée par les services vétérinaires et les autorités françaises. Néanmoins, vous y mettez un bémol : vous rappelez qu'aucune mesure n'a été prise entre le 21 et le 28 février, et vous sous-entendez que cette absence de décisions devait permettre un bon déroulement du Salon de l'agriculture. Personnellement, je crois que cette décision a été bonne, étant donné que le risque zéro n'existe pas. Les autorités françaises ont pris des risques calculés, estimant que l'annulation du Salon de l'agriculture aurait été particulièrement préjudiciable.

En outre, vous avez mis un second bémol en évoquant les dispositions réglementaires, qui n'ont pas été complètement respectées. Il faut en effet se demander si la décision d'abattre rapidement les animaux est bonne. Si c'est le cas, les dispositions réglementaires ne sont pas adaptées à la crise et elles méritent d'être revues. Je crois personnellement que les services qui ont pris cette décision ont été d'autant plus courageux qu'ils ne respectaient pas totalement les dispositions réglementaires en vigueur. Aujourd'hui, nous devons peut-être faire pression pour une modification de ces dispositions, permettant d'arriver à une bonne gestion de la crise. Si les dispositions réglementaires ne sont pas parfaitement adaptées, nous devons en période de crise en faire abstraction afin d'éviter le pire et les modifier après la crise de façon à pouvoir gérer les évènements futurs d'une meilleure façon.

Nous avons déjà beaucoup débattu sur la question de la vaccination au sein de notre mission d'enquête. J'ai été très étonné que vous compariez la vaccination humaine et la vaccination animale. Je vous rappelle que la vaccination humaine doit permettre de préserver des vies, alors que la vaccination animale a pour but d'obtenir des animaux sains dont la mort est de toute façon programmée. A mon avis, il faut éviter de mettre en parallèle ces deux dimensions, sans quoi nous courons le risque d'affoler inutilement les populations.

On m'a toujours appris que la prophylaxie médicale était bien supérieure à la prophylaxie vaccinale. Cette dernière ne doit constituer qu'un passage permettant d'atteindre une prophylaxie médicale. La variole humaine constitue à cet égard un exemple flagrant. Je trouve qu'il est encourageant de constater que l'état sanitaire de notre pays nous permet de nous passer de la vaccination.

Vous prônez le maintien de la vaccination. Mais vous ne prenez pas en compte la dimension économique du problème, dans la mesure où une reprise de la vaccination poserait de réelles difficultés pour l'exportation de certains animaux et de certains produits. Vous évoquez le stress dont souffrent les éleveurs face à une éventuelle épidémie, mais je crois que le stress du dépôt de bilan est autrement plus important et beaucoup plus rapide.

Par ailleurs, nous ne devons pas oublier que les souches de la fièvre aphteuse que nous connaissons aujourd'hui ne sont plus les mêmes que celles que nous connaissions en 1991. Aujourd'hui, aucun fabricant n'est capable de certifier que les vaccins qu'il produit pourront permettre une protection contre une souche donnée. Je crois qu'il faut être prudent quant à la vaccination, et éviter de tenir des propos trop catégoriques. En outre, les Anglais connaissent aujourd'hui 1 700 cas de fièvre aphteuse, mais ils n'ont toujours pas décidé de lancer des campagnes de vaccination. Il doit forcément y avoir une raison.

Vous avez dit que la faune sauvage constituait un réservoir important de fièvre aphteuse. Je crois que ce cas est essentiellement théorique, dans la mesure où nous n'avons jamais connu dans les pays occidentaux d'épizootie de fièvre aphteuse dont l'origine se situait dans le monde sauvage. J'en veux pour preuve que les Pays-Bas, qui avaient pourtant demandé de vacciner les animaux sauvages contre la fièvre aphteuse, ne l'ont toujours pas fait à ce jour.

M. François Lucas - Peut-être le risque a-t-il été effectivement dosé pour le Salon de l'agriculture. Pour autant, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'un risque réel a été pris.

En outre, nous pouvons éventuellement considérer que la réglementation n'est pas adaptée. Mais les agriculteurs sont habitués à respecter la réglementation, et il est surprenant de voir que les garants de la loi ne la respectent pas. Il n'empêche que deux traitements ont été effectués, dans la mesure où le recours de l'agriculteur de Maubeuge a permis une application de la loi. Cela n'a pas été le cas avant cet épisode. Je peux comprendre que les abattages aient été effectués en vertu du principe de précaution, mais il est gênant de constater une distorsion dans l'application de la réglementation.

Concernant la comparaison entre la vaccination humaine et la vaccination animale, je vous dirais que les agriculteurs vivent avec leurs animaux, pour lesquels ils ont une réelle affection et un certain respect. C'est vrai, leur destination finale est l'abattoir ; mais nous nous battons, jusqu'à ce moment, pour assurer leur bien-être. Nous n'avons peut-être pas la même sensibilité que vous sur ce point.

M. Dominique Braye - Je ne vous permets pas de dire cela : on vit pour ses enfants, mais on vit de ses animaux, même si l'on doit naturellement veiller à leur bien être pendant toute leur vie.

M. François Lucas - Je suis agriculteur, et j'assume mon affection pour les animaux. Ceci étant dit, il est évident que les enfants passent en priorité.

Je crois que les éleveurs ont vécu un double stress : ils craignaient d'être confrontés à la fièvre aphteuse, et avaient peur des répercussions économiques, qui ont d'ailleurs été instantanées.

Vous avez évoqué la prévention médicale, qui serait meilleure que la prévention vaccinale. Mais nous pouvons, dans ce cas, nous demander pourquoi nous avons lancé une campagne de vaccination en 1962 : le but était bien d'arriver à l'éradication.

Concernant les souches, je reconnais qu'il existe une difficulté pour savoir si les vaccins sont adéquats. Il n'empêche que les laboratoires ont toujours trouvé des solutions lorsqu'on le leur demandait. Il est vrai que la réglementation actuelle ne les encourage pas à produire de nouveaux vaccins contre la fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Lucas, je vous remercie de votre contribution. Si vous souhaitez nous faire part de réflexions complémentaires susceptibles d'alimenter notre débat, vous pouvez nous les transmettre par écrit.

M. François Lucas - Je vous remercie de m'avoir reçu.

26. Audition de M. Rousseau et de Mme Pascale Poiron, Président et Secrétaire générale de la Fédération française des marchés de bétail à vif

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons maintenant Monsieur Rousseau, Président de la Fédération française des marchés de bétail à vif, et Pascale Poiron, qui est Secrétaire de cette Fédération. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation, et je vous propose de rentrer immédiatement dans le vif du sujet. Vous nous donnerez votre analyse de la gestion de la crise de la fièvre aphteuse aux niveaux français et européen, ainsi que votre point de vue sur la réglementation en vigueur. Evidemment, vous nous ferez part des difficultés dont a souffert votre secteur économique.

M. Rousseau - Monsieur le Président, je vous remercie de recevoir la Fédération des marchés de bestiaux. Je suppose que vous connaissez tous ces marchés, dans la mesure où tout élu est allé, au moins une fois, sur un marché aux bestiaux.

I. LA GESTION DE LA CRISE

Lorsque cette crise a débuté, je me trouvais sur le marché à bestiaux d'Ashford, en Angleterre. Or je n'ai été informé de l'épizootie qu'à mon retour en France, le soir même. Je dois vous dire que j'ai été particulièrement surpris, et je me demande même si les Anglais savaient que la fièvre aphteuse était présente sur leur territoire.

Je crois par ailleurs que la fête de l'Aïd constitue un aspect non-négligeable de cette crise. En effet, de nombreux moutons ont été importés d'Angleterre pour pouvoir satisfaire la demande inhérente à cet événement. Un réel trafic s'est donc constitué, sans que le moindre contrôle ne soit effectué.

Lorsque les premiers cas suspects ont été découverts, des mesures drastiques ont été prises, à travers, par exemple, les premiers abattages. Je reconnais que ces décisions ont sans aucun doute permis de réduire les risques de propagation de la maladie, mais je ne suis pas certain en revanche qu'il était nécessaire d'abattre tous ces animaux. Surtout, ces abattages ont été effectués dans un certain désordre, et les autorités ne se sont parfois même pas posé la question de savoir si les troupeaux étaient sains.

Par ailleurs, les mesures n'ont pas du tout été appliquées de la même manière d'un département à l'autre. Quoi qu'il en soit, l'impact de celles-ci a été fort, puisque tous les circuits commerciaux se sont arrêtés.

Par la suite, nous avons observé une reprise progressive de l'activité. D'un point de vue fédéral, j'estime que la situation n'est pas redevenue totalement normale. En effet, les marchés aux bestiaux ont réouvert difficilement, à travers une logique progressive. Je dois dire que cette situation a été particulièrement pénalisante pour les emboucheurs. Par ailleurs, le marché ovin n'est pas encore complètement réouvert, ce qui est totalement illogique. En effet, je ne crois pas que les éleveurs et les marchands de moutons français soient responsables de cette épizootie. Il est maintenant urgent que le Ministère autorise la réouverture totale de ce marché.

Globalement, la crise a été correctement gérée en France. Au niveau européen, les marchés belges ont réouvert la semaine dernière. Evidemment, les marchés anglais et irlandais sont toujours fermés. Les marchés espagnols fonctionnent également. Ce commerce est donc en train de repartir, mais il existe toujours des difficultés pour que les marchés fonctionnent de manière optimale. En outre, les références et les cotations sont données à partir du marché. L'ensemble de la filière a donc été pénalisée, dans la mesure où les cours se sont effondrés et où nous ne disposions plus de références. Ces cours se reconstruisent néanmoins peu à peu.

Par ailleurs, vous savez que les marchés doivent recevoir un agrément. J'aimerais vraiment que tous les marchés français soient soumis aux mêmes normes : les grands marchés se doivent de se soumettre à des normes particulièrement drastiques, et tous les petits marchés, les foires par exemple, se trouvent dans une situation de vide juridique et peuvent parfois presque faire ce qu'ils veulent. Il serait intéressant que le Ministère intervienne et définisse un consensus, permettant à tous les marchés de fonctionner sur les mêmes règles. Il est inacceptable que la vente de bestiaux ne soit pas soumise à des règles communes.

II. QUESTIONS DE LA MISSION

M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur le Président, je vous remercie. Nous allons donner la parole à notre rapporteur, qui souhaite vous poser quelques questions. Auparavant, je souhaiterais savoir quelles sont les règles qui régissent les marchés aux bestiaux. Ces règles sont-elles différentes en fonction des catégories d'animaux ? En outre, ces règles sont-elles uniformisées à l'échelle européenne ? Dans le cas contraire, chaque Etat fixe-t-il ses propres règles ? Enfin, je voudrais savoir s'il existe des directives européennes concernant la dimension sanitaire du problème.

M. Rousseau - Les règles françaises en matière d'agrément des marchés aux bestiaux découlent d'une directive européenne.

Mme Pascale Poiron - Les règles communautaires sont extrêmement claires concernant le marché des bovins. Une directive européenne et un règlement définissent les agréments pour les centres de rassemblement. Tous les marchés aux bovins doivent se plier à ces règles. Nous avons visité de nombreux marchés en Europe, et j'ai vraiment eu l'impression que les textes étaient appliqués.

En revanche, les textes européens sur l'identification des ovins ne semblent pas être appliqués. Nous l'avons constaté sur les marchés d'Ashford par exemple. En outre, il n'existe pas de règles communautaires concernant les marchés aux ovins. Ces marchés ont donc adopté les règles de fonctionnement des marchés aux bovins.

M. Rousseau - En d'autres termes, les marchés ovins ne fonctionnent pas tous de la même manière en Europe. Nous avons vu le marché d'Ashford, et nous avons constaté que l'organisation était différente de celle que nous connaissions en France.

Mme Pascale Poiron - En France, nous disposons de procédures pour que les animaux soient identifiés systématiquement. Les animaux sont également identifiés en Grande-Bretagne, mais cette identification est beaucoup moins rigoureuse.

M. Rousseau - En France, les animaux sont enregistrés à l'entrée du marché et à la sortie. Nous savons donc précisément quels animaux ont été vendus, quels sont les acheteurs et les vendeurs. Nous sommes donc particulièrement clairs en France.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Président, vous êtes responsables des marchés de bétail à vif, et je me limiterai donc à ceux-ci. Pendant la crise, les gérants des marchés aux bestiaux ont logiquement vu leurs recettes disparaître, dans la mesure où les marchés ont été fermés. Pouvez-vous nous dire si une indemnisation est prévue ? Une estimation a-t-elle été effectuée ? Le Ministère vous a-t-il donné des perspectives de remboursement ? Par ailleurs, une telle crise révèle parfaitement les dysfonctionnements des marchés anglais. Selon vous la récente épizootie peut-elle provoquer un ralentissement de l'activité des marchés français de bétail vif ?

M. Rousseau - Nous avons reçu au départ une proposition - très minime, je tiens à le signaler - d'indemnisation pour les gestionnaires privés. Cette indemnisation s'élèverait à 25 % des pertes subies en termes de chiffre d'affaires.

Mme Pascale Poiron - Par ailleurs, rien n'est prévu pour les gestionnaires publics.

M. Rousseau - En effet, l'Etat n'a pas prévu d'indemniser les communes qui possèdent des marchés aux bestiaux. Cette situation est d'autant plus dramatique que ces marchés ne sont pas l'apanage des grandes villes. La plupart des marchés aux bestiaux sont localisés dans des zones rurales. Par exemple, la municipalité de Saint-Christophe est déjà confrontée à d'importantes difficultés pour mettre son marché aux normes. Si elle ne reçoit pas une aide, il est probable que le marché fermera. Une telle hypothèse aurait en outre des conséquences sur les éleveurs, qui seraient obligés de se déplacer sur un marché plus éloigné.

Actuellement, l'activité des marchés repart. En ce sens, il est évident que nous parviendrons, en France, à limiter les dégâts. Quoi qu'il en soit, il est évident que d'autres pays européens doivent absolument revoir leur système de marchés aux bestiaux. Personnellement, j'ai été profondément choqué de constater que les Anglais ne savaient peut-être pas qu'une épizootie de fièvre aphteuse était présente sur leur territoire. En revanche, les Belges ont pris des mesures drastiques.

M. Dominique Braye - Vous pensez que l'apparition de fièvre aphteuse en France est due à une certaine dose de malchance, dans la mesure où elle est survenue au moment de la fête de l'Aïd, qui s'est accompagnée d'une importation massive de moutons en provenance d'Angleterre.

M. Rousseau - Je ne sais pas si nous pouvons parler de malchance. Parfois, j'ai tendance à penser que cette épidémie n'est pas due au hasard.

J'étais au Brésil en septembre dernier, et j'ai remarqué qu'il existait des cas de fièvre aphteuse dans ce pays.

Jean-Paul Emorine - Le rapport de l'OIE, daté du 19 janvier 2001, dit pourtant très clairement qu'il n'y avait pas de fièvre aphteuse au Brésil...

M. Rousseau - Je suis formel : il y avait des cas de fièvre aphteuse au Brésil au mois de septembre 2000. Même les journaux brésiliens en faisaient état.

M. Dominique Braye - Vous dites que l'épizootie de fièvre aphteuse n'est pas le fruit du hasard. Vous supposez donc que cette épidémie ferait partie d'une guerre économique menée dans le but d'amoindrir la capacité d'exportation des éleveurs européens ?

M. Rousseau - C'est mon sentiment, en effet.

Mme Pascale Poiron - Les pouvoirs publics ont pris des mesures de fermeture le mardi qui a suivi la fête de l'Aïd, alors qu'elles auraient pu être prises le lundi, jour de la fête.

M. Dominique Braye - Les abattoirs de ma région ont reçu l'ordre d'abattre les moutons avant le mardi.

Mme Pascale Poiron - Certes, mais les décisions de fermeture des abattoirs ont été prises après la fête de l'Aïd.

M. Rousseau - Les moutons sont des porteurs anonymes. Ils peuvent être porteurs de la fièvre aphteuse sans que cela ne soit visible.

M. Louis Grillot - Que faites-vous des bêtes de renvoi sur vos marchés ?

M. Rousseau - Légalement, pour les bovins, il n'y a aucun problème pour classer ces animaux en bêtes de renvoi. Pour les moutons, nous n'avons pas le droit de les classer dans cette catégorie. En fait, la pratique est différente.

Mme Pascale Poiron - En effet, il n'y a pas de renvoi pour les moutons de boucherie. J'observe que les agneaux se vendaient très bien pendant la crise car il y avait peu d'agneaux sur le marché à vendre et, de surcroît, il n'y avait pas d'importations du Royaume-Uni. Les cours ont donc vraiment augmenté. En outre, le texte n'était pas appliqué en l'état, car chaque DSV décidait de sa propre interprétation. Par exemple, dans certains départements, les invendus étaient regroupés après le marché dans un centre agréé, en attendant d'être amenés à l'abattoir. Chaque DSV a réalisé une adaptation.

M. Rousseau - Aujourd'hui, je crois que le marché de l'agneau doit être réouvert complètement. Je conçois tout fait que ces marchés restent fermés en Angleterre, mais ils doivent être totalement réouverts en France. Par ailleurs, le prix de l'agneau est relativement élevé en ce moment, et je crois qu'il faudrait laisser fonctionner librement le marché. Les éleveurs de moutons ont subi des crises importantes au cours des dernières années. Il serait bon, maintenant que les cours sont élevés, que nous les laissions gagner un peu d'argent.

Actuellement, les agneaux sont de bonne qualité, et ils se vendent très bien. Il n'empêche que des mesures prophylactiques sont toujours en vigueur dans les abattoirs. Ce n'est pas un mal, bien au contraire. Mais de telles opérations, entre autres au niveau des stations de lavage, engendrent des coûts très importants, qui pèsent sur les marchés aux bestiaux. Je l'ai déjà dit, mais je vous rappelle que certains sont situés dans des petites communes rurales, dont les budgets ne permettent pas ce genre de dépassement.

M. Philippe Arnaud - Je vous remercie pour votre collaboration. Monsieur Rousseau, avez-vous quelque chose à ajouter ?

M. Rousseau - Je souhaiterais que les pouvoirs publics étudient une éventuelle indemnisation des communes qui possèdent des marchés à bestiaux, dans la mesure où certaines d'entre elles ont beaucoup souffert de cette crise. Par ailleurs, je tiens à rappeler qu'il est nécessaire de laisser fonctionner le marché librement.

M. Philippe Arnaud - Je vous remercie. Si vous souhaitez nous faire parvenir des documents ou nous faire de nouveaux points de vue, n'hésitez pas à nous les transmettre.

27. Audition de Jean-Pierre Tillon, Directeur scientifique et technique de l'Union des coopératives agricoles

M. Philippe Arnaud, président - Nous accueillons maintenant Jean-Pierre Tillon, qui est Directeur scientifique et technique à l'Union des coopératives agricoles. Pouvez-vous présenter votre point de vue sur la récente crise de fièvre aphteuse et vos conclusions sur la gestion de cette épizootie ?

M. Jean-Pierre Tillon - Je suis ici dans une démarche volontaire, que je tiens à rappeler en quelques mots. Je suis docteur vétérinaire de formation, et j'ai passé la première partie de ma carrière dans la fonction publique comme directeur de recherche. Je m'occupais à ce moment de la production porcine. Je fais partie de ces gens qui ont contribué à mettre en place un outil qui traverse aujourd'hui une crise, comme tout notre élevage. J'ai donc considéré qu'il était bon que je vous apporte, dans le cadre de cette mission, le témoignage d'une personne qui ne renie en rien ce qui a été fait auparavant.

Par la suite, j'ai renoncé à ma carrière au Ministère de l'agriculture et je suis entré dans le secteur privé. En effet, j'étais convaincu que celui-ci allait jouer un rôle croissant. J'ai choisi de rejoindre l'Union nationale des coopératives agricoles, qui regroupe 300 coopératives. Aujourd'hui, nous représentons entre 20 % et 30 % de la production française.

Actuellement, je dirige la partie scientifique et technique de ce groupe, en particulier dans le domaine très controversé de l'alimentation animale. En outre, j'effectue des opérations de prospectives au sein de ce même groupe. Nous essayons de réfléchir à l'agriculture de demain, dans la mesure où il nous appartient de dessiner les contours de celle-ci. Par ailleurs, j'effectue des interventions orales dans diverses instances, et l'on me pose souvent des questions quant au futur de notre élevage. Je voudrais donc vous entretenir de toutes ces questions.

Trois mots sous-tendront mon intervention : amalgame, filière et atout.

I. UN AMALGAME RÉDUCTEUR

Face à la crise de la fièvre aphteuse, qui est venue s'ajouter à la crise de la vache folle, l'opinion publique est devenue particulièrement suspecte quant aux méthodes utilisées par les agriculteurs français. Nous avons senti poindre une critique relative à un productivisme effréné qui serait la cause des dérives que nous connaissons aujourd'hui. Je voudrais simplement rappeler que l'amalgame effectué entre la fièvre aphteuse et la vache folle est totalement arbitraire. En effet, la fièvre aphteuse est une maladie du passé, qui a été éradiquée. Cette éradication a été rendue possible car nous nous sommes dotés de règles strictes. Il faut bien se rappeler que l'apparition de la fièvre aphteuse a été due à la transgression de règles élémentaires, notamment en matière de commerce des animaux. Cette maladie de la fièvre aphteuse est une maladie du passé, qui a disparu grâce à la mise en place d'un certain nombre de règles dont nous pouvons être fiers. En effet, nous nous rendons compte que les Britanniques payent aujourd'hui le démantèlement de leurs services sanitaires et l'absence de règles strictes. Je tiens à rappeler que la Grande-Bretagne a pendant longtemps fait figure de modèle en matière de médecine vétérinaire. Or nous prêtons aujourd'hui nos vétérinaires aux Anglais pour lutter contre la fièvre aphteuse.

Il est vrai que le spectre des bûchers a marqué l'opinion. Notre société n'a peut-être pas pris la peine de comprendre comment les règles mises en place doivent être gérées. L'abattage des animaux doit de toute façon se passer autrement, dans la mesure où les scènes que nous avons vues sont trop faciles à photographier. Nous sommes en présence d'une situation que le consommateur ne peut pas comprendre, ce qui représente un réel danger. Si nous continuons à effectuer de tels amalgames, nous ne pourrons plus rien faire à l'avenir.

En outre, il faut bien rappeler que le pourcentage d'animaux abattus demeure très faible. En effet, les Anglais ont abattu moins de 3 % de leur cheptel ovin, et moins de 1 % de leur cheptel bovin. Il faut donc relativiser cette crise. A mon avis, le problème se situe plus au niveau de la communication et de l'explication, qu'au niveau du bannissement de certaines pratiques d'élevage.

II. UNE FILIÈRE NÉCESSAIRE POUR LA PRODUCTION OVINE

Le deuxième mot que j'utiliserais est celui de filière. Il est clair que les réponses que nous apporterons à ces problèmes sanitaires passeront forcément par une organisation renforcée et par une responsabilisation importante des éleveurs. Si nous voulons relancer la filière ovine, qui se trouve aujourd'hui dans une situation catastrophique, nous devrons avoir recours à une organisation. En effet, il est nécessaire de définir le produit que nous voulons vendre. Lorsque cette action sera effectuée, nous devrons mettre en place une production organisée et planifiée, qui utilisera les progrès de la science et de la technique. Quoi qu'il en soit, la solution ne résidera jamais dans l'irrationalité ou dans l'improvisation. Autrement dit, nous ne pouvons produire des moutons que si certains éléments sont réunis, permettant ensuite de garantir un revenu aux éleveurs et une réelle organisation de la production. Cette dernière se traduira automatiquement par un label rouge.

III. LES ATOUTS DE L'AGRICULTURE FRANÇAISE

Le dernier terme que je soumets à votre réflexion est celui d'atout. Je suis fier de dire que le domaine de l'élevage a énormément progressé au cours des dernières décennies. Lorsque je me suis lancé dans l'élevage porcin, dans les années 70, nous étions importateurs de 400 000 tonnes de porc. Aujourd'hui, les flux sont en notre faveur : en étant plus indépendant, notre pays peut mener une réelle politique pour son alimentation. Nous ne sommes forts que pour les marchés sur lesquels nous sommes exportateurs. Nous devons donc nous mettre en position de force, en nous positionnant sur le terrain de nos concurrents. C'est bien dans cette direction que les coopératives se placent.

Quoi qu'il en soit, il existe une dynamique globale de production que nous ne devons pas décourager, d'autant plus que nous sentons poindre chez les éleveurs une réelle lassitude. En ce sens, je crois que les pouvoirs publics doivent envoyer un message fort en direction de cette population qui en a vraiment besoin.

Par ailleurs, je crois que nous devons rendre hommage aux services vétérinaires français qui ont fait preuve de la plus grande compétence et d'une anticipation parfaite au cours de la crise de la fièvre aphteuse.

Aujourd'hui, la pratique de la coopération s'accompagne du respect d'un certain nombre de règles. Il est intéressant de constater que celles-ci ont été peu transgressées au cours de la crise de la fièvre aphteuse. Cette discipline constitue un capital fort, nous rendant compétitifs par rapport à l'étranger.

En outre, l'agriculture française sortira de l'ornière dans laquelle elle se situe si toutes ses composantes sont fortes. En ce sens, nous avons besoin d'une production ovine puissante. Pour le moment, nous ne la dominons pas et nous ne répondons pas à la demande du consommateur. En effet, le consommateur souhaite un produit naturel et qui soit marqué par une forte dose de typicité. Nous devons absolument répondre à ses attentes, tout en lui offrant les garanties de sécurité qu'il exige.

Ainsi, il nous faut créer aujourd'hui les conditions d'un redéploiement de notre élevage ovin. Cette relance ne sera pas possible si nous adoptons une politique marquée par l'approximation. Au contraire, nous aurons besoin de professionnalisme, d'innovation et de compétence.

IV. QUESTIONS DE LA MISSION

M. Philippe Arnaud, président
- Monsieur Tillon, je vous remercie. Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Directeur, vous tenez un discours très optimiste face à une situation qui est marquée par une réelle complexité. Vous dites que la fièvre aphteuse est une maladie du passé, mais de nombreux pays sont encore atteints par cette maladie. Par ailleurs, je vous trouve très optimiste à propos de l'avenir de l'élevage. J'aimerais en connaître les raisons.

Concernant l'élevage ovin, vous savez que toutes les productions sont contingentées. En ce sens, nous ne pourrions rendre la production ovine totalement indépendante. Au mieux, nous atteindrons une autosuffisance s'élevant à 60 %.

Je partage votre point de vue sur une organisation de la filière ovine. Par contre, je crois que nous pouvons formuler quelques interrogations quant à l'avenir de l'élevage français. En effet, je ne vois pas comment nous pouvons développer cette filière alors que les prix baissent continuellement. Si cette baisse se poursuit, il est clair que l'élevage aura disparu du sol français dans une quarantaine d'années. De toute façon, nous ne pourrons maintenir une production si une partie substantielle des revenus des éleveurs est constituée par des subventions. J'aimerais donc connaître votre point de vue sur l'avenir de l'élevage par rapport à la Politique agricole commune. En outre, j'aimerais que vous me donniez votre avis sur les méthodes à employer pour maintenir une activité d'élevage en France.

M. Jean-Pierre Tillon - La fièvre aphteuse est effectivement présente dans de nombreux pays du monde, et elle le restera. Ce danger restera permanent. Si nous avons voulu nous débarrasser de la fièvre aphteuse, c'est parce que cette maladie, si elle devient endémique, annihile toute possibilité d'élevage. En éradiquant cette maladie, nous avons atteint un niveau de qualité qui, aujourd'hui, répond aux standards internationaux.

Je considère que les batailles ne sont jamais perdues dans le domaine de l'alimentation, pour une raison simple : les gens ne s'arrêteront pas de manger. Surtout, ils mangent ce que leur mental leur donne envie de manger. Je vais prendre l'exemple d'une groupement coopératif qui s'est spécialisé dans la production de tomates Savéol. Ces tomates étaient très décriées quelques années auparavant : peu chères, elles étaient invendables au cours de l'hiver, malgré de réelles qualités gustatives. Ce groupement de coopératives a inventé un système de production et créé une marque pour relancer la production de ces tomates. Aujourd'hui, de nombreuses personnes achètent des tomates en branches : elles les payent 25 francs, alors qu'elles ne coûtaient que neuf francs auparavant. En changeant la nature du produit, ces coopératives l'ont rendu attractif car il répond aux attentes des consommateurs. La tomate en branches a du goût et de l'odeur, et c'est bien ce que recherche le consommateur.

L'élevage doit opérer la même démarche, en créant un produit répondant aux attentes de la population. En effet, les produits vides n'ont plus leur place sur le marché, dans la mesure où ils n'ont pas de valeur. Un produit commence à avoir de la valeur lorsqu'il devient un produit service, un produit porteur ou un produit communicant. Autrement dit, le mot produit doit forcément s'accompagner d'une autre donnée. La viande bouchère doit absolument entrer dans cette démarche.

Le mouvement coopératif auquel j'appartiens est prêt à faire ce qu'il faut. Mais il faut arrêter de raisonner en termes de subventions, dans la mesure où l'éleveur se sent dépossédé de son travail et a l'impression d'être assisté. En outre, il est nécessaire d'adopter une démarche s'appuyant sur les labels et, évidemment, sur la notion d'agriculture raisonnée. Pendant longtemps, le consommateur a demandé des produits peu chers, et nous avons réussi à répondre à son attente. Aujourd'hui, il demande des produits du terroir et des produits biologiques. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas aujourd'hui répondre à ces nouvelles attentes, dans la mesure où nous avons parfaitement effectué ce travail par le passé.

Ainsi, nous avons besoin de nous repositionner par rapport à l'aval, autrement dit par rapport au marché. Le mouvement coopératif peut adopter cette démarche, en prenant l'exemple de coopératives espagnoles qui ont développé des produits services. Des magasins ont en effet été créés en aval des coopératives, et des produits d'appel phares ont été lancés. Cette démarche a parfaitement fonctionné, mais il a été nécessaire, à un moment donné, de filialiser ces magasins.

En outre, je crois qu'il est aujourd'hui nécessaire d'adopter une démarche de séduction vis-à-vis des consommateurs. En effet, si vous ne séduisez pas, vous ne pouvez pas vendre. Par exemple, si la volaille connaît un grand succès aujourd'hui, c'est bien parce qu'une politique de séduction a été mise en place. Malheureusement, les producteurs sont peu habitués à des démarches de ce type.

Autrement dit, je pense qu'il est nécessaire d'effectuer une bonne répartition des métiers. L'agriculture réussira si elle laisse la place à d'autres compétences, la communication et le marketing tout particulièrement. Je suis persuadé que le mouvement coopératif est entré dans cette démarche. Mais il faut du temps, dans la mesure où nous devons convaincre et rassurer les producteurs. En effet, certains d'entre eux souffrent énormément des critiques dont l'agriculture fait l'objet actuellement. Il faut dépasser cette dimension, ce qui n'est pas toujours facile.

Ainsi, je ne peux pas répondre précisément à votre question, mais je suis persuadé qu'une solution existe. Tout particulièrement, je reste persuadé que la création d'un label pour l'agneau représente une solution pertinente. Quoi qu'il en soit, nous devons faire preuve d'innovation pour créer un produit nouveau et, surtout, pour pouvoir approvisionner le marché toute l'année. Je reprendrai l'exemple des tomates Savéol : celles-ci ne poussent plus dans de la terre, mais sur de la laine de verre. La production se fait selon des critères biologiques, mais les tomates poussent dans des lieux clos. Cette agriculture est donc hyperrationnelle, mais elle répond aux attentes du consommateur. C'est bien pour cela que je crois qu'il ne faut pas opposer systématiquement le progrès à ces mêmes attentes. Dans le cas contraire, nous partons dans des discours totalement choquants. Je suis vétérinaire, et je sais qu'il faut soigner les bêtes lorsqu'elles sont malades.

M. Dominique Braye - J'ai écouté avec intérêt votre intervention, Monsieur le Directeur. Elle a suscité chez moi un certain nombre de questions. Vous tenez des propos particulièrement innovants, qui suscitent plusieurs remarques.

Vous dites que l'agriculture a énormément progressé au cours des dernières décennies. Je ne peux que partager votre point de vue. Néanmoins, lorsque je vois les problèmes posés par l'élevage de porc en Bretagne, je me dis que ce développement de l'agriculture n'a pas été effectué de manière optimale.

Vous dites en outre que l'agriculture doit désormais être capable de proposer au consommateur un certain nombre de produits qui répondent à ses attentes. Vous dites aussi que ce consommateur est attentif à la caractéristique du produit fini. Je vous fais remarquer que l'opinion publique est également de plus en plus attentive aux modes de production qui existent en amont. Les solutions que vous nous proposez, sous le terme d'hyperrationalité, constituent des méthodes éminemment artificielles, et je ne suis pas certain qu'elles séduiront le consommateur. Celui-ci est en effet attiré par des produits naturels, et il demande de plus en plus que des critères de production authentiques soient garantis. Or votre proposition se situe exactement à l'opposé de ces attentes.

Par ailleurs, je voudrais vous poser deux questions en rapport avec la récente épizootie de fièvre aphteuse. A votre avis, si l'épizootie avait été plus importante en France, quelles auraient été les réactions de l'opinion publique et des éleveurs par rapport aux mesures qui n'auraient pas manqué d'être prises ? D'autre part, quelle est votre position par rapport à la vaccination du cheptel ? En effet plusieurs de nos interlocuteurs nous ont dit que cette fièvre aphteuse pourrait faire partie d'une guerre économique mondiale menée par les Etats-Unis : l'ESB n'ayant pas produit les effets escomptés, la propagation de la fièvre aphteuse aurait provoqué une campagne de vaccination qui fermerait les portes des exportations dans des nombreux pays.

En outre, pouvez-vous nous dire si les risques de propagation de la tremblante du mouton à l'homme sont plus importants qu'auparavant ? En effet, nous importons de plus en plus de moutons de Nouvelle-Zélande, où cette maladie existe encore.

M. Jean-Pierre Tillon - Nous avons appris de nombreuses choses sur le comportement du consommateur au cours des dernières années. Par exemple, nous nous sommes rendu compte qu'il existait un réel déphasage entre le discours du consommateur par rapport à ses achats et ce qu'il achète réellement. Cela a un nom, cela s'appelle du marketing. A un moment donné, nous mettons en avant les points que le consommateur juge importants, et nous mettons les autres de côté. Les coopérateurs de Savéol par exemple ont l'intelligence de faire visiter aux enfants leurs plantations, et leur montrent comment la fécondation des tomates est effectuée. Cela permet de faire passer de nombreux messages et de faire oublier les mauvais aspects.

Il faut savoir aussi que nous appartenons à une génération qui a connu la terre et les valeurs traditionnelles de l'élevage. Notre imaginaire se nourrit à cette source, ce qui n'est pas le cas pour les nouvelles générations. Autrement dit, le jeu se renouvelle périodiquement. C'est bien pour cela que je nourris de réelles inquiétudes sur l'avenir du label rouge. Ce label s'appuie sur la notion de territoire et de terroir. Je ne suis pas certain que de tels arguments fassent recette chez des jeunes qui regardent Loft Story. Autrement dit, des mutations fortes se sont opérées dans notre société au cours des dernières années, et nous devons les prendre en compte. Par exemple, certaines personnes ne savent plus que le jambon provient du cochon, ce qui montre parfaitement qu'elles déconnectent les aliments de leur origine première. Je suis persuadé que cette mutation influencera considérablement les produits alimentaires de demain.

M. Dominique Braye - Si je comprends bien, vous cultivez l'ignorance des gens.

M. Jean-Pierre Tillon - Non, nous ne cultivons pas l'ignorance. Mais nous devons adopter une approche de séduction par rapport aux attentes des consommateurs. A titre personnel, je suis très proche de vos positions. Mais je suis seul de ma famille, et je suis obligé de reconnaître que Mc Donald's est une réussite, que nous devons l'étudier.

Quoi qu'il en soit, je crois que nous ne devons pas présenter nos produits en fonction d'une appropriation globale d'une image du passé. Je reconnais que certains trouvent cette image positive. En tant que vétérinaire, je ne la trouve pas du tout positive.

Concernant la fièvre aphteuse, j'étais récemment en visite dans une université. Un professeur, que je connais bien, m'a demandé mon point de vue sur l'épizootie de fièvre aphteuse. Je lui ai rappelé que nous avions connu, en 1983, plus de 100 foyers de fièvre aphteuse. Il ne m'avait posé aucune question à ce moment. Autrement dit, les questions que nous devons résoudre aujourd'hui sont relativement récentes pour le consommateur. Cela induit une très forte responsabilisation des médias et de la communication en général. C'est pour cela que je crois que les pouvoirs publics doivent avant tout apprendre aux éleveurs à communiquer et non à lutter contre la fièvre aphteuse, d'autant plus qu'ils connaissent très bien cette maladie.

Concernant la vaccination, je vous donnerai un exemple. Dans ma carrière de vétérinaire et de chercheur, j'ai dû me rendre à Haïti pour contribuer à la reconstitution du cheptel porcin qui avait été abattu sur ordre des Américains. En effet, les porcs haïtiens étaient atteints par la peste porcine africaine. Les paysans de ce pays se trouvaient dans un état de pauvreté totale, et il fallait absolument reconstituer le cheptel. Nous nous sommes rendus en Guadeloupe pour chercher des cochons créoles, et nous avons reconstitué une race pour Haïti. Cette opération n'aurait pas été possible aujourd'hui : si les animaux avaient été vaccinés contre la fièvre aphteuse, nous n'aurions pas pu les réintroduire à Haïti.

Je crois que cet exemple illustre bien les enjeux actuels. Si nous vaccinons notre bétail, nous ne pourrons plus réaliser d'exportations au Japon ou à Singapour. D'un autre côté, d'autres enjeux existent : si, demain, nous voulons développer l'élevage dans les pays du Tiers-Monde, nous devrons exporter des animaux. Il faut en fait savoir ce que nous voulons pour la France. Soit nous voulons qu'elle exerce une influence au niveau mondial, soit nous rentrons dans le rang. Je n'ai aucun intérêt dans ce dossier, mais je souhaite sincèrement que la France ait de grandes ambitions. En ce sens, avoir un cheptel débarrassé de la fièvre aphteuse fait partie de ces ambitions.

Ma position sur la fièvre aphteuse est très claire : il ne faut pas vacciner, d'autant plus que le système de vaccins n'est pas fiable à 100 %. Il existe en effet de multiples souches de vaccins : si vous n'avez pas la souche adéquate, il ne sert à rien de vacciner. Néanmoins, la non-vaccination doit maintenant s'accompagner d'un respect absolu des normes sanitaires. En ce sens, les personnes ou les pays qui ne les respectent pas doivent être punis.

Concernant la tremblante, il est clair que cette maladie n'est pas présente dans toutes les régions de France. Je crois que nous devons aujourd'hui commencer par recenser les zones où elle existe. La présomption de la non-présence du microbe devrait s'appuyer sur un historique, montrant que la maladie a disparu d'une zone donnée depuis plusieurs années. A ma connaissance, la Nouvelle-Zélande n'a jamais déclaré de cas de tremblante. Mais je ne suis pas en mesure de dire si cette maladie existe ou non dans ce pays.

M. Louis Moinard - Nous avons évoqué tout à l'heure l'ignorance du consommateur. Ne doit-on pas plutôt parler d'un manque d'information ? Je vous donnerai un simple exemple : lors d'un dîner, il y a deux ans, j'ai rencontré une personne qui était persuadée que le dessèchement des tournesols était dû à la sécheresse. Or cette étape fait partie du cycle de vie de cette plante, et n'a aucun lien avec une quelconque sécheresse. Seulement, tout le monde est habitué à voir des images de tournesols jaunes. Tout le monde s'alarme de la situation actuelle des animaux. Or, entre les années 60 et les années 80, n'oublions pas que nous consommions des animaux qui étaient atteints par la fièvre aphteuse ou par la tuberculose. Toutes les actions menées ont permis d'arriver à la situation actuelle. Pour nombre de gens, un cas de fièvre aphteuse entraîne une réelle panique, alors que d'énormes efforts ont été accomplis pour garantir un niveau de sécurité sanitaire très élevé. Nous rencontrons la même situation pour le lait. De nombreuses personnes dénoncent le système de traite, alors que celui-ci garantit une qualité optimale du lait.

M. Jean-Pierre Tillon - Vous avez totalement raison. Nous sommes aujourd'hui confrontés à une réelle difficulté qui tient au comportement paradoxal du consommateur, qui est une des principales caractéristiques de nos sociétés modernes. Je reprendrai l'exemple de l'émission à scandale à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure : personne n'ose avouer qu'elle la regarde, mais tout le monde le fait. Nous sortons donc de la rationalité. Par conséquent, nous devons acquérir le pouvoir de séduire et d'influencer les consommateurs. Le but n'est pas de les tromper, mais au contraire de leur donner de vraies informations.

M. Philippe Arnaud - Monsieur le Directeur, merci beaucoup de votre contribution. Je réitère ma demande : si vous souhaitez nous faire part de contributions complémentaires susceptibles d'alimenter notre réflexion, vous pouvez nous les transmettre par écrit.

M. Jean-Pierre Tillon - Si vous souhaitez faire une visite d'une exploitation ou d'une coopérative, je me tiens à votre entière disposition. Nous serons ravis de vous montrer notre manière de travailler.

28. Audition de MM. Michel L ombard et Max G auphichon, Directeurs des entreprises « Grandes Prophylaxies » et « Animaux de production »

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons MM. Max Gauphichon, Directeur de l'entreprise « Animaux de production » et Michel Lombard, Directeur de l'entreprise « Grandes Prophylaxies », tous les deux de la firme Merial.

M. Michel Lombard - Monsieur le Président, messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie d'avoir invité les représentants de Merial à venir exposer leur point de vue sur l'épizootie de fièvre aphteuse. Nous vous avons adressé un document présentant notre position. Je vais vous le commenter. Je travaille sur le problème de la fièvre aphteuse depuis 1973. J'ai donc connu plusieurs épisodes dans la lutte contre cette maladie. Le document que vous avez entre les mains contient plusieurs parties. Monsieur Gauphichon et moi-même avons pensé que l'avis d'un producteur de vaccin pouvait vous intéresser, dans le cas où un vaccin serait utilisé. La première partie du document contient donc une présentation des vaccins modernes et de leurs qualités. La seconde partie s'intitule « Une politique de vaccination pour la France ». La dernière partie de ce document propose une comparaison entre une politique avec vaccination et une politique sans vaccination.

I. LES VACCINS CONTRE LA FIÈVRE APHTEUSE

Je commencerai mon exposé par une présentation des vaccins de la fièvre aphteuse. Il est indispensable de définir quels sont ces types de vaccins. Depuis l'arrêt de la vaccination obligatoire en Europe, un certain nombre de producteurs de vaccins ont cessé d'investir dans la recherche. Ils ont sans doute pensé que la fièvre aphteuse était un mal éliminé à jamais dans cette partie du globe. En 1989, l'Europe ne comptait que huit producteurs. La lutte contre cette maladie représentant un grand risque industriel, un certain nombre d'industriels avaient refusé de tenter l'aventure. Les gouvernements avaient alors décidé de créer leurs propres instituts gouvernementaux de production de vaccins. L'Italie en comptait trois, la Belgique un, la Hollande un, le Danemark un, la Suisse un, etc. Seules la France, puis la Grande-Bretagne et l'Allemagne, avaient osé risquer l'aventure au niveau industriel. En France, Charles Mérieux s'est lancé dans la production de vaccins en 1947. Après l'arrêt, en 1991, de l'obligation de vaccination, il ne restait que trois fabricants privés de vaccins en Europe : un Français, un Allemand et un Hollandais. Lorsque la vaccination a cessé d'être obligatoire, les fabricants allemand et hollandais ont interrompu leurs recherches. Elles n'auraient permis aucun retour sur investissement.

II. LES RECHERCHES DE MERIAL

De par sa dimension mondiale, sa présence sur tous les continents et les transferts de technologie qu'elle a réalisés, Merial jouissait d'une position privilégiée et d'une vue globale du problème de la vaccination contre la fièvre aphteuse. Merial a poursuivi ses recherches dans ce domaine. Notre entreprise s'est donné les moyens d'aider les chefs de services vétérinaires dans la lutte contre cette maladie. L'arrêt de la vaccination obligatoire en Europe avait été justifié par un argument « choc » : les animaux vaccinés ne pouvant être distingués des animaux infectés, la vaccination devait être supprimée. Selon les autorités européennes, l'arrêt de la vaccination,, et donc l'existence d'animaux « sentinelles » réceptifs à la maladie, permettait de mieux mesurer l'étendue de celle-ci. Merial a donc copié, dans les années 90, les méthodes de production de vaccins de l'enfance de l'institut Mérieux. Cet institut avait mis au point la chromatographie industrielle des antigènes. Après plusieurs années de travail, Merial a mis au point un procédé de chromatographie permettant de récolter, sur plusieurs centaines de milliers de litres, des antigènes si purifiés qu'il ne restait que des particules virales. Les protéines non structurelles du virus, c'est-à-dire les marqueurs de l'infection, étaient éliminées. Merial a ainsi été en mesure de mettre au point un vaccin permettant de faire la différence entre les animaux vaccinés et les animaux infectés. Ce vaccin existe depuis 1995.

Merial a également effectué des recherches pour rendre l'utilisation de ces vaccins plus facile pour les chefs des services vétérinaires, quand ceux-ci font face à la propagation de la fièvre aphteuse. Lorsque la maladie prend des proportions importantes et que les animaux ne sont pas vaccinés, le vaccin doit pouvoir être disponible en très peu de jours. Il est impossible de commander un vaccin dont le cycle de production est de cinq mois. Dans ce laps de temps l'épizootie de fièvre aphteuse a le temps de provoquer des dommages importants.

Pour résoudre ce problème, Merial a développé la technologie des banques d'antigènes. L'antigène étant la substance active du vaccin, il est congelé et conservé dans des cryo-conservateurs, couramment utilisés dans les centres d'insémination. Le vaccin peut donc être rapidement reconstitué en cas d'urgence. Je prends l'exemple, trivial, de la pizza congelée. Elle est bien utile lorsqu'un invité arrive trop tard pour lui préparer un repas. Il en est de même avec les antigènes congelés quand une épizootie arrive.

En quatre jours, Merial, dans ses deux établissements d'Angleterre et de France, est capable de mettre sur le marché cinq millions de doses de vaccins d'urgence. Ces doses de vaccin sont contrôlées. Merial a effectué auparavant des vaccins expérimentaux avec ces antigènes congelés. Elle en connaît parfaitement la puissance. Je vous renvoie au document remis. Les drapeaux indiquent les organisations internationales avec qui Merial a passé des contrats d'exclusivité. Merial a par exemple vendu 44 millions de doses de vaccins à la Communauté Européenne. Merial a également vendu des antigènes à l'Arabie Saoudite, à la Corée, à Taiwan et au Maroc. Merial a aussi passé un contrat avec la Banque Nord-Américaine, regroupant les départements américain, canadien et mexicain pour l'Agriculture. Merial est donc en charge de l'intervention d'urgence au Canada, aux USA et au Mexique. La Grande-Bretagne a par ailleurs multiplié par trois ses commandes. Merial participe cette semaine à une réunion à l'Organisation Mondiale de la Santé Animale, à Paris. Tous les chefs des services vétérinaires y sont présents. Les Etats-Unis ne suivront pas l'exemple britannique et vaccineront immédiatement. Merial a également en charge l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon.

Merial a travaillé à la réalisation d'un vaccin contre la fièvre aphteuse commun aux porcs et aux ruminants (bovins et ovins). Deux formules existaient jusque-là, ce qui gênait autant les commanditaires que les producteurs. Merial a réussi à mettre au point une émulsion commune pour les différentes espèces.

Merial a donc simplifié au maximum le vaccin. La purification n'entraîne plus ni avortement, ni réaction allergique. Des millions de doses de vaccin sont à présent disponibles en quatre jours grâce aux antigènes congelés. Le vaccin est unique pour toutes les espèces. Enfin, grâce aux recherches effectuées pendant la période où la vaccination n'était plus obligatoire, Merial a mis au point un outil unique et très performant : la possibilité de repérer les animaux vaccinés et les animaux infectés. Dans un océan d'animaux vaccinés, Merial est capable de repérer les quelques îlots d'animaux infectés. Cette avancée est considérable. La Communauté Européenne étudiera très sérieusement ce procédé dans les six mois à venir, sous la présidence belge.

Je souhaiterais à présent commenter la page du document relative à la séropositivité et à la séronégativité chez les individus infectés et chez les individus vaccinés.

III. QUESTIONS DE LA COMMISSION

M. Philippe Arnaud, président
- Combien de millions de doses de vaccin pouvez-vous réaliser, en quatre jours, à partir des antigènes congelés ?

M. Michel Lombard - Au maximum, Merial a la capacité de produire 5 000 litres en Angleterre et 5 000 litres en France, soit cinq millions de doses de vaccin tous les quatre jours, avec un jour de nettoyage entre. Notre entreprise produit deux millions de doses depuis 1992, et cinq millions (grâce au site français de Lyon) depuis qu'elle a remporté l'appel d'offres de la Communauté Européenne en 1999.

M. Dominique Braye - Vous êtes en train de nous dire que Merial dispose du vaccin Pasteur qui permet de différencier chez un sujet les anticorps vaccinaux de ceux développés lors de la maladie. Vous devriez davantage promouvoir votre produit. La Commission a auditionné depuis hier un certain nombre de scientifiques. Ceux-ci espéraient disposer du vaccin marqueur d'ici trois ans. Vous nous dites, quant à vous, que vous le possédez. Votre vaccin dispose-t-il de l'AMM ?

M. Michel Lombard - Notre vaccin a l'AMM, mais pas la « revendication ». Il est nécessaire de distinguer le point de vue scientifique du point de vue réglementaire. Du point de vue scientifique, le vaccin mis au point par les producteurs ne contient pas de protéines non structurales, marqueurs de l'infection. Son injection permet donc de faire la différence entre les animaux vaccinés et les animaux infectés. Des articles ont été publiés sur ce sujet.

M. Dominique Braye - Nous comprenons bien qu'il faille distinguer le problème scientifique du problème réglementaire. Pour l'instant, la réglementation est figée. On nous l'explique par le peu d'avancées scientifiques dans la production de vaccins « traceurs » distinguant les animaux vaccinés des animaux malades.

M. Michel Lombard - Du point de vue scientifique, deux questions se posent. La première a trait à la fabrication de ces vaccins marqueurs. Cette question a trouvé une réponse puisque nous produisons des vaccins qui, au bout de quarante doses, n'induisent toujours pas d'anticorps contre les protéines non structurales. Or quarante doses représentent beaucoup plus que ce qu'un animal pourra recevoir dans sa vie.

Le second problème se posant aux scientifiques est d'analyser les caractéristiques du vaccin avec des méthodes reconnues. Actuellement, cinq méthodes ont été publiées. Elles visent à reconnaître la présence de ces anticorps, témoins indirects de l'infection. Aucune de ces méthodes n'a été adoptée au niveau réglementaire. Il est indispensable que ces méthodes de sérologie soient officiellement reconnues, pour que notre vaccin le soit, au niveau réglementaire.

En 1976, l'Albanie et la Macédoine ont connu une épizootie de fièvre aphteuse. La Communauté Européenne en a profité pour tester une banque d'antigènes congelés. Merial a fabriqué les vaccins en quatre jours puis les a envoyés sur le terrain. Les animaux ont été vaccinés deux fois, à un mois d'intervalle. La Communauté Européenne a ensuite demandé qu'une évaluation soit effectuée. Des études sérologiques ont donc été menées. Les conclusions de ces études sont très bonnes : elles ont décelé des anticorps contre les particules virales, témoins de la vaccination, sur tous les animaux vaccinés et aucun sur les animaux non vaccinés ; à l'inverse elles n'ont décelé aucun anticorps contre les témoins directs de l'infection sur les animaux vaccinés, sauf dans les villages où la maladie est apparue et dans quelques villages voisins. Néanmoins, ces diagnostics ne sont pas individuels. Ils concernent des troupeaux. Certains animaux réagissent moins bien que d'autres aux témoins directs de l'infection. Sur une population, une sérologie doit être effectuée tous les 100 ou 250 vaccinés. Quand un animal est infecté, le troupeau entier et tous les troupeaux du hameau doivent être considérés comme infectés.

M. Philippe Arnaud, président - Lors des précédentes auditions, nous avons entendu dire que les tests de sérologie pour les ovins n'étaient pas fiables.. Certains ovins seraient des faux négatifs.

M. Michel Lombard - Cette sérologie doit être considérée comme une sérologie de troupeaux. Nous n'effectuons pas de tri au sein d'un troupeau entre les animaux séronégatifs et les animaux séropositifs. Lorsque nous décelons un animal séropositif, le troupeau dans son ensemble est considéré comme positif.

M. Dominique Braye - Cependant, si vous effectuez un test sur un ovin et qu'il semble être négatif, vous allez considérer les 250 autres bêtes du troupeau comme négatives. Or l'ovin sur lequel vous aurez effectué le test pourrait s'avérer être un faux négatif, c'est-à-dire un positif.

M. Michel Lombard - Vous comparez des situations très différentes. La première est celle d'un pays qui ne vaccine pas et qui effectue des recherches d'anticorps contre le virus. La seconde situation est celle où des tests sont effectués sur une population vaccinée. Il est possible d'effectuer un test sur le mauvais répondeur immunologique. Cependant, l'échantillonnage pouvant être réalisé deux fois par an, vous pouvez changer d'animal testé la deuxième fois. De plus, le troupeau étant vacciné, même si vous effectuez un test sur un faux négatif et que vous déclarez l'ensemble du troupeau comme négatif, il n'y a pas de risque de propagation de l'épidémie, à l'image de ce qu'a connu l'Angleterre.

M. Dominique Braye - Des interrogations subsistent tout de même. Un virus très différent de la souche vaccinale servant au protocole de vaccination peut apparaître. Monsieur Tillon nous faisait remarquer que le problème de la vaccination était celui de la multiplicité des souches. Un vaccin non conçu à partir de la souche infectante ne peut pas protéger de la maladie.

M. Michel Lombard - Je regrette de ne pas avoir amené le transparent sur les propriétés des virus plus ou moins éloignés les uns des autres à l'intérieur d'un même type. Ces propriétés ne sont établies qu'en utilisant des sérums de référence. Ces sérums sont des sérums de bovins ou de porcs qui sont primo-vaccinés. Cela signifie qu'ils n'ont reçu qu'une injection. Ces sérums sont les plus pointus pour distinguer des virus qui sont très proches. Plus vous vaccinez vos animaux, plus les virus qui les touchent sont difficiles à distinguer les uns des autres. Nous avons réalisé des expériences...

M. Dominique Braye - Ces sérums sont réalisés la première ou la deuxième année.

M. Michel Lombard - La première année, le vaccin en question étant inactivé, l'animal doit recevoir deux injections à deux ou trois mois d'intervalle. C'est le même problème que pour la vaccination des enfants. L'immunité des animaux étant insuffisante, il est nécessaire d'effectuer des rappels. Il faut faire attention à ne pas tomber dans le piège consistant à dire que le vaccin ne protège que six mois, que les injections doivent être répétées deux fois par an, etc. Un tel programme de vaccination serait contraire à ce que nous conseillons en tant que fabricants. Un bon programme de vaccination dure un an, avec deux injections à deux ou trois mois d'intervalle et un rappel tous les ans. Ce programme a bien fonctionné, en France comme ailleurs. Des animaux ont déjà reçu deux injections. Sur eux, les différences sérologiques sont amoindries, sans être pour autant effacées. Elles n'auront disparu que chez les animaux d'au moins cinq ou six ans ayant reçu une injection par an en plus des deux injections de la première année. Pour ces animaux, des virus très différents finissent par paraître très similaires.

Je souhaiterais revenir sur un concept d'immunologie important. La maladie de la fièvre aphteuse est causée par sept types différents. Un animal atteint d'un des virus sera convalescent mais protégé. Il pourra cependant déclencher six autres cas de fièvre aphteuse. Ces sept virus appartiennent à un même genre. Nous avons toujours utilisé des vaccins multivalents, qui protégeaient contre plusieurs types. Quand un des variants d'un de ces types apparaît, nous augmentons ainsi les chances d'une protection croisée. Personne, y compris nous, ne conseillera de vacciner en France avec sept souches de types.

Par ailleurs, certains font remarquer que le virus a de nombreuses souches et qu'il est donc impossible de fabriquer un vaccin à partir de toutes ces souches. Je ferais toutefois remarquer que le virus apparu en Angleterre provient de la souche Panasia . Cette souche est également à l'origine des cas de fièvre aphteuse en Russie, à Vladivostok puis à Moscou, au Japon, en Corée, en Europe et actuellement au Kazakhstan, etc. L'épidémiologie révèle que ces virus sont des virus traceurs. Ils apparaissent dans des pays qui exportent de la viande et des animaux sur pied. Le nombre de virus potentiellement dangereux se réduit à une dizaine ou une douzaine de souches. Un virus particulier peut toujours apparaître. Mais si vous possédez une banque d'antigènes congelés, en quatre jours, vous pouvez fabriquer le vaccin du même type. Vous effectuez ensuite un rappel. Par exemple, vous disposez d'un vaccin O,A,Asia1 le plus souvent proposé pour les vaccinations en France. Si un virus SAT ( South African Territories ) apparaît sur le territoire, vous utiliserez alors vos antigènes congelés et en quatre jours vous disposez d'un vaccin contre ce virus SAT. Dix jours après, tout le bétail est vacciné.

M. Dominique Braye - Vous êtes les premiers à nous parler de ces vaccins marqueurs, disponibles mais en attente d'autorisation officielle.

M. Michel Lombard - J'ai amené avec moi des articles scientifiques sur la question ainsi qu'un article paru dans Le Monde du jeudi 24 mai 2001.

M. Philippe Arnaud, président - Quelles sont les étapes à franchir pour obtenir une autorisation officielle ?

M. Michel Lombard - L'administration anglaise s'est déclarée prête à reconnaître officiellement ce vaccin. Cependant, tant que les méthodes sérologiques ne seront pas adoptées par l'Organisation Mondiale de la Santé Animale, elles resteront sujet à discussions. L'administration anglaise pourra ensuite déclarer que la méthode est parfaitement valable. Les antigènes de la Communauté Européenne seront testés dans les deux mois qui viennent. Personne ne s'est intéressé au problème de la fièvre aphteuse pendant de nombreuses années, car on n'imaginait pas que l'Europe serait touchée, à ce stade de développement, par un mal moyenâgeux. La méthode utilisée pour fabriquer ces sérologies paraîtra dans la prochaine édition du manuel des normes de l'OIE (l'Organisation Mondiale de la Santé Animale) au mois de juin 2001. Je me ferai un plaisir de vous transmettre cette parution. Mes propos sont scientifiquement prouvés.

M. Philippe Arnaud, président - Que pensez-vous des positions actuelles de l'OIE ? Dans la dernière édition de son manuel, il est écrit que la fièvre aphteuse n'est qu'un problème de santé animale et que les conséquences de la vaccination ne sont qu'économiques. Les choix seraient donc opérés en fonction de données économiques, parmi lesquels les échanges commerciaux.

M. Michel Lombard - L'OIE édicte effectivement des règles. Celles-ci sont l'émanation du vote du Comité International, c'est-à-dire de l'Assemblée Générale des directeurs des services vétérinaires de tous les pays. L'OIE n'émet pas des recommandations mais des règlements. Ces règles internationales, reconnues par un agrément avec l'OMC, sont conçues pour régler les différents entre pays concernant l'exportation de produits animaux. Néanmoins, elles ne constituent qu'un cadre général et minimaliste. Les Etats conservent leur souveraineté pour effectuer des choix : vacciner ou non, dépenser comme l'Angleterre jusqu'à cinquante milliards de livres, etc. Les Etats ne sont pas obligés de suivre les règles adoptées en commun.

Je ne suis pas sûr que nous sortions du domaine de la médecine pour entrer dans celui de l'économie. Tous les vétérinaires ont fait le serment de soigner les animaux. Or quand il s'agit de fièvre aphteuse, ils en massacrent des millions. Cela pose des problèmes éthiques au niveau vétérinaire, et de compassion au niveau des opinions publiques. Celles-ci refusent que le bétail soit abattu de cette manière. Au Mexique, en 1953, un vétérinaire a été tué après que la maladie de la fièvre aphteuse a été éradiquée par des massacres d'animaux. En Angleterre, des fermiers ont même caché des moutons dans leur chambre. Plus de trois millions d'animaux ont été abattus. Le chiffre final pourrait atteindre cinq millions. Cette décision d'abattre est une décision souveraine de l'Etat. Si la France avait voulu vacciner, elle aurait vacciné. Même le Comité vétérinaire permanent de l'Union Européenne aurait pu déconseiller ces massacres.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Vous êtes les premiers à nous dire officiellement qu'il existe un vaccin. Le Ministère ou le responsable européen de la Fièvre aphteuse ne nous l'ont jamais mentionné. Je peux concevoir que ce vaccin ne soit pas encore entré dans la réglementation. Cependant, je m'étonne que personne ne nous ait indiqué que ce vaccin existait. Les Etats-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande s'interrogent aujourd'hui sur la vaccination. Dans les échanges commerciaux, la problématique des pays sains vis-à-vis de ces pays est-elle modifiée ? Pensez-vous que ces pays ont évolué en matière d'importations ?

M. Michel Lombard - Monsieur le Rapporteur, je vous remercie pour vos commentaires. Je vous renvoie à la page du document intitulée « Obtenir une adaptation de la réglementation internationale ». L'OIE distinguait autrefois deux catégories : le concept anglais de « libre de fièvre aphteuse sans vaccination » ; et celui de « pays infectés ou pays avec vaccination ». Cependant, les pays n'arrivant jamais à sauter le pas pour atteindre l'état de « libre sans vaccination », l'OIE a décidé de créer un état intermédiaire, malgré l'opposition d'une majorité anglo-saxonne. L'état de « libre de fièvre aphteuse » avec vaccination » a été créé il y a environ huit ans. Les pays ont ainsi eu la possibilité de s'élever graduellement. A présent, dans la mesure où une surveillance des animaux pourrait être effectuée dans nos pays, nous pourrions à nouveau ne distinguer que deux états : les animaux libres sans virus avec ou sans vaccination ; et les autres (infectés ou vaccinés, avec présence du virus). J'en ai discuté avec les personnes compétentes à l'OIE et à la Commission Européenne.

M. Dominique Braye - Vous ne pouvez pas mettre sur la même ligne « libre de fièvre aphteuse sans vaccination » et « libre de fièvre aphteuse avec vaccination ».

M. Michel Lombard - Ce sont deux approches du constat de la maladie. Lorsque l'OIE écrit « libre de fièvre aphteuse sans vaccination », cela signifie que le pays ne vaccine pas et qu'il déclare la maladie au moment où il la constate. Cependant, l'exemple de l'Angleterre a montré que la maladie ne se déclare pas immédiatement sur certains animaux et qu'elle peut donc se propager librement pendant trois semaines. Ne pas vacciner pour aider à déceler le virus correspond à la même démarche qu'effectuer de la sérologie. Néanmoins, cette dernière est plus efficace. Si les anglais avaient effectué des échantillonnages sérologiques, ils se seraient aperçus que certains de leurs animaux possédaient des anticorps des protéines non structurales. Une fois l'alerte donnée, ils auraient pu vacciner l'ensemble de leurs animaux. Cette méthode a été utilisée en Albanie... sur le conseil des Anglais. Les Anglais ne l'ont pas appliquée pour eux-mêmes car en 1968-1970 ; ils étaient parvenus à éradiquer la maladie sans vaccination par la méthode du « stamping out ». Mais en 1968-1970, ils avaient observé la maladie quelques jours après son apparition, alors que cette année ils ne l'ont observée que des semaines après. Les animaux infectés en avaient déjà contaminé d'autres. La France a vu le même schéma.

M. Gauphichon - C'est d'ailleurs tout l'intérêt de la reconnaissance «  libre de fièvre aphteuse avec vaccination avec marqueurs ».

M. Philippe ARNAUD, président - Vous nous parlez des nouveaux vaccins traceurs. Or jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons jamais entendu dire que ces vaccins existaient. Nous avons pourtant auditionné d'éminents chercheurs. Ils n'envisageaient la fabrication de ces vaccins que dans l'avenir. Vous êtes les seuls à affirmer que ces vaccins traceurs sont une réalité. Pourriez-vous engager très rapidement des actions d'information à destination des pouvoirs publics pour mettre en valeur la réalité de vos recherches ? Les personnes compétentes pour apprécier la fiabilité de vos propositions pourraient ensuite venir nous confirmer l'existence de ces vaccins.

M. Gauphichon - Merial a déjà engagé une action à destination des pouvoirs publics. Mais il nous est impossible d'engager une action médiatique. Nos propres règles d'éthique nous l'interdisent. De plus, une telle action risquerait d'interférer avec la réponse des pouvoirs publics.

M. Michel Lombard - Merial est au service des gouvernements et ne souhaite pas les placer dans des situations inconfortables. Notre entreprise leur propose des outils, leur apporte des preuves scientifiques et leur apportera bientôt des preuves réglementaires. Le rôle de Merial est de fournir les produits qui lui sont demandés. Elle ne peut pas faire la promotion de ses produits si les gouvernements ne souhaitent pas les utiliser.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Voyez-vous un inconvénient à ce que nous inscrivions dans notre rapport d'information que ce vaccin existe ?

M. Michel Lombard - Nous n'y voyons aucun inconvénient.

M. Philippe Arnaud, président - Je souhaiterais revenir sur un élément fondamental. Les choix politiques opérés jusqu'à maintenant ont répondu à une approche économique. Vous avez pris soin de mener une comparaison entre une politique de vaccination et une politique sans vaccination. Les chiffres avancés peuvent-ils être repris ? Sont-ils contestés ou contestables ?

M. Michel Lombard - En Grande-Bretagne, le chef des services vétérinaires a avoué que le coût se chiffrait à un milliard de livres pour les animaux, remboursé à 70 % environ. Il est maintenant bien connu que le coût bénéfice de l'opération n'est plus en faveur de la non-vaccination. Les chiffres sont toujours contestables, sauf en ce qui concerne le coût du vaccin. J'ai inscrit les coûts des actes vaccinaux tels qu'ils apparaissaient dans l'étude publiée sur la fièvre aphteuse en 1989. Celle-ci montrait que le coût bénéfice était en faveur de la non-vaccination. Les pouvoirs publics français avaient annoncé en 1989 que la non-vaccination permettrait d'économiser 240 millions de francs.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et à nos questions.

29. Audition du docteur Henry Gilbert et du docteur Yves Moreau , vétérinaires ; Directeur des projets spéciaux et Vice-Président assurance qualité de Me rial

M. Philippe Arnaud, président - Nous recevons à présent le docteur Henry Gilbert et le docteur Yves Moreau.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Je remercie le docteur Henry Gilbert et le docteur Yves Moreau d'être présents au Sénat pour être auditionnés.

M. Moreau - Le docteur Gilbert a dirigé des missions en Iran sur la fièvre aphteuse de 1962 à 1967. De 1968 à 1977, il a été adjoint des relations extérieures d'IFAA Mérieux. Il a notamment effectué des missions à l'étranger : en URSS, en Irak, en Arabie saoudite, au Maroc, au Japon, en Malaisie, en Israël, au Liban, en Afghanistan, à Singapour, en Syrie, en République Arabe Unie, en Turquie, en Roumanie, en Yougoslavie et en Grèce. En 1978, il est devenu Directeur de la coopération technique internationale d'IFAA Mérieux. Il a également été responsable des relations avec l'URSS de 1965 à 1999. Il a ensuite été nommé Directeur des projets spéciaux à la création de Merial en 1997.

M. Gilbert - Le docteur Moreau a également travaillé à l'IFAA Mérieux. Il est devenu Vice-Président assurance qualité de Merial en août 1997.

M. Gilbert - Nous avons vécu le problème de la fièvre aphteuse de façon pratique, c'est-à-dire sur le terrain. Nous avons effectué des prélèvements de souches dans des pays lointains mais aussi en France. Nous avons réalisé des expériences en laboratoire. Quand l'épizootie est apparue, nous avons proposé aux pouvoirs publics de leur faire part de nos recherches. Je fais partie d'une association, baptisée l'OTCI employant des cadres retraités et non retraités. Au moment de l'épizootie, le Président de l'OTCI a écrit au Premier ministre. Celui-ci lui a répondu, par l'intermédiaire de son directeur de cabinet, qu'il transmettrait cette proposition au Ministre de l'Agriculture. Monsieur Glavany ne nous a toujours pas répondu.

MM. Gilbert et Moreau remettent les conclusions suivantes à la mission d'information

1. La situation en France et dans l'Union Européenne

1-1. Rappel de la situation en France par rapport à la vaccination anti-aphteuse

La vaccination systématique annuelle de tous les bovins âgés de plus de 6 mois contre les virus aphteux O, A et C avait été décidée en 1962 par le Gouvernement français. Elle a été arrêtée en 1991 par le Conseil des Ministres de l'Agriculture de la CEE, sous la pression de l'Angleterre et du Danemark et malgré les réticences de la France (cf. Annexe 1. Extrait de la Dépêche Vétérinaire n° 676 du 31/03/2001 au 6/04/2001 « Vacciner ou ne pas vacciner : la réponse appartient à la recherche » par Claude MEURIER, ancien Président du Comité Scientifique de l'Union Européenne, Contrôleur Général Honoraire des Services Vétérinaires). L'absence de vaccination rend les cheptels français sensibles (bovins, ovins, caprins et porcins) très réceptifs à une contamination par les virus aphteux. Actuellement, l'Europe Occidentale est essentiellement menacée par les virus O et A répandus dans le monde entier à l'exception de l'Amérique du Nord et par le virus Asia 1 présent au Proche Orient et ayant fait une incursion en Grèce en 1998 laquelle fut rapidement maîtrisée.

1-2. Evolution de l'épizootie dans l'Union Européenne

La partie occidentale de l'Union Européenne est concerné depuis le 19/02/2001 par une grave épizootie de fièvre aphteuse qui a été combattue essentiellement par une politique d'abattage des animaux atteints et/ou contaminés et suspects. Le nombre de foyers :

- a été très élevé en Grande-Bretagne atteignant 1625 au 22/05/2001 (cf. Annexe 2 Yahoo Actualités en date du 22/05/2001 « Les Britanniques craignent un redémarrage de la fièvre aphteuse »). Bien que l'épizootie soit annoncée comme déclinant par le Gouvernement, 18 nouveaux cas ont été recensés depuis le 10 Mai 2001 dans la région de Seattle (370 km au Nord-Ouest de Londres). A l'occasion de la campagne électorale l'opposition conservatrice accuse le Gouvernement de dissimuler la vérité sur l'étendue de l'épizootie (cf. Annexe 3 Yahoo Actualités en date du 23/05/2001 « Fièvre Aphteuse : inquiétude après l'apparition de nouveaux cas dans le Yorkshire »).

Le nombre d'animaux abattus et détruits ou en attente de destruction était au 3/05/2001 de 2 430 000 se décomposant en 423.000 bovins, 1.893.000 ovins, 2.000 caprins et 112.000 porcins. (cf. Annexe 4. Document OIE intitulé Informations sanitaires - 11 Mai 2001 - Vol. 14 - n° 19). A été de 26 aux Pays Bas au 8 Mai 2001 ayant entraîné l'abattage de 260 000 animaux sensibles. La situation dans ce pays a amené ses autorités à recourir à la vaccination des animaux sains présentant un risque de contamination, d'abord à titre suppressif (pour étaler les abattages) ensuite à titre protecteur (pour conserver les animaux) et ce en accord avec le C.V.P. (Comité Vétérinaire Permanent de l'Union Européenne) réuni le 3/4/2001. 115 000 animaux des 1 500 cheptels situés autour des foyers recensés étaient vaccinés (cf. Annexe 5. Extrait de la Dépêche Vétérinaire n° 678 du 14/4/2001 au 204/2001). A été de 4 en Ulster (cf. Annexe 6 Yahoo Actualités en date du 22/4/2001). A été de 2 en France (le 13/3/2001 en Mayenne et le 23/3/2001 en Seine et Marne). Les abattages en France ont concerné 62.701 animaux dont :

- en rapport avec l'épizootie en Angleterre, 49.315 moutons anglais et moutons français ayant été en contact avec les moutons anglais ;

- 4.733 animaux abattus autour des foyers en Mayenne et en Seine et Marne se décomposent en 233 bovins, 3 111 porcins et 1 389 ovins.

De plus, 10.000 carcasses ovines ont été renvoyées en Angleterre.

- en rapport avec l'épizootie aux Pays Bas 8 653 animaux abattus.

En l'absence de nouveaux foyers, l'ensemble des zones de protection et de surveillance mises en place autour des 2 foyers apparus en Mars 2001 ont été levées (cf. Annexe 7 - Document OIE intitulé Informations sanitaires 18 Mai 2001 - Vol. 14 n° 20).

1-3. Le virus responsable O PANASIA

Le virus responsable de l'épizootie appartient au type O et a été dénommé souche O PANASIA. Il aurait été introduit en Grande-Bretagne à la faveur d'importations illégales de viande en provenance de Chine. (cf. Annenxe 8 - Yahoo Actualités en date du 27-3/2001). Présentée au début de l'épizootie comme un virus nouveau, elle s'est avérée immunologiquement identique à la souche O MANISA isolée en Turquie en 1969. La souche O MANISA avait été étudiée dès 1969 d'abord dans des laboratoires régionaux Institut RAZI à Téhéran avec le concours d'une équipe française : (Services Vétérinaires et Institut Français de la Fièvre Aphteuse (filiale de l'Institut Mérieux) à l' Institut de la Fièvre Aphteuse d'ANKARA et ensuite dans le Laboratoire Mondial de PIRBRIGHT. Compte-tenu du danger que représentait cette souche O MANISA pour la Communauté Européenne et de l'existence d'un vaccin spécifique, la France a obtenu de Bruxelles en 1991 que le vaccin O MANISA soit l'un des vaccins stockés sous forme d'antigène congelé dans les 3 Banques de Vaccins constituées à titre de sécurité par l'Union Européenne, l'une d'entre elles se trouvant au LNPB (Laboratoire Nationale de Pathologie Bovine dépendant de l'AFSSA (Agence Française de Sécurité Sanitaire Alimentaire) situé à LYON. Le vaccin O MANISA produit actuellement par MERIAL dans sa filiale anglaise s'est révélé pleinement actif contre la souche O PANASIA (cf. Récents Développements concernant les vaccins de la Fièvre Aphteuse-publications MERIAL présentées en Mai 2001 à l'Académie de Médecine par les Docteurs M. LOMBARD et Ph. DUBOURGET). La souche O PANASIA est également identique à la souche O 194 isolée en URSS en 1965 et elle-même reconnue identique à la souche O MANISA suite aux travaux menés conjointement d'abord en Iran et ensuite en URSS par des experts français et soviétiques entre 1969 et 1974. Le vaccin O 194 fabriqué industriellement en Russie à partir de 1974 a été inclus dans le vaccin trivalent AOC fabriqué à CHOLKOVO avec les procédés IFFA MERIEUX et dont l'utilisation à large échelle a conduit à la quasi éradication de la fièvre aphteuse en URSS entre 1976 et 1980.

1-4. Conclusions

L'épizootie de fièvre aphteuse au Royaume Uni n'est pas finie. Quatre nouveaux cas sont encore apparus le 21/5/2001 portant le nombre total des foyers à 1.625. Son ampleur fait planer l'éventualité d'une « catastrophe aphteuse » pouvant entraîner des pertes économiques très importantes en France et dans les pays voisins de l'Union Européenne (Bénélux, Allemagne, Italie). De nombreux professionnels de l'élevage (éleveurs, négociants en bestiaux, chevillards, responsables des abattoirs, vétérinaires, etc...) ont demandé le retour à la vaccination par voie de pétitions. Reflétant leur détresse le Parlement Européen s'est prononcé le 5/4/2001 à une écrasante majorité eu faveur de la reprise de vaccinations massives (cf. annexe n° 9 Yahoo Actualités en date du 5/4/2001 : Fièvre Aphteuse le Parlement Européen appelle à la reprise de vaccinations massives).

2. La situation dans les autres parties du Monde

Tous les continents autres que l'Amérique du Nord et certains pays de l'Hémisphère Sud (Australie et Nouvelle Zélande) sont concernés actuellement par la Fièvre Aphteuse. En Février 2001, l'OIE indiquait que seuls 53 pays sur les 157 membres de l'OIE sont considérés comme indemnes de fièvre aphteuse (cf. Annexe 10 - Extrait de la « Dépêche Vétérinaire n° 674 du 17 au 23 Mars 2001). En Afrique du Sud, le virus O PANASIA a été récemment isolé, les virus SAT1, SAT2 et SAT3 sont présents en Afrique Australe et les virus O ont été isolés au Maghreb. En Asie, le virus O sévit depuis de longues années dans la partie asiatique de la Russie, dans les républiques méridionales de l'ancienne U.R.S.S., en Inde, à Taiwan, au Moyen Orient (Arabie Séoudite, Koweit notamment). Sans doute la fièvre aphteuse est-elle également présente en Chine, qui a reconnu une épizootie en 1999. Il est de notoriété publique qu'elle y est très répandue (cf. Annexe 11 - Yahoo : Actualités en date du 27/3/2001 « La Chine affirme être exempte de fièvre aphteuse, les experts doutent »).En Amérique du Sud, les pays traditionnellement exportateurs de viande faisant partie du MERCOSUR sont durement touchés par la réapparition du virus aphteux de type A et n'abattent pas ou plus les animaux malades et/ou contaminés :

- L'Argentine annonçait dès le 27/3/2001 :

. d'une part l'existence de 78 foyers sur son territoire ;

. d'autre part le maintien de sa décision de ne pas abattre les animaux atteints pour s'opposer à la progression de la maladie ;

. enfin, sa décision de vacciner une grande partie du cheptel bovin (13 millions sur un total national de 50 millions (cf. Annexe 12 Yahoo - Actualités en date du 27/3/2001 « Argentine : progression de la fièvre aphteuse mais pas de sacrifice d'animaux »)

- Le Brésil annonçait le 7 Mai 2001 :

. d'une part 200 foyers à sa frontière méridionale avec l'Uruguay,

. d'autre part l'abattage des seules bêtes malades,

. enfin la vaccination de tous les bovins de l'Etat de RIO GRANDE DO SUL soit 13 millions de têtes de bétail (cf. Yahoo Actualités en date du 7/5/2001 (Annexe 13) et en date du 9/5/2001 (Annexe 14).

- L'Uruguay annonçait :

. le retour de la fièvre aphteuse sur son territoire le 26/4/2001 et le sacrifice de 5000 bêtes (Annexe 15) (Yahoo Actualités du 26/04/2001 « Mesure d'urgence contre la Fièvre aphteuse en Uruguay ») ;

. l'arrêt de l'abattage du bétail face au mécontentement des éleveurs et le lancement d'une campagne de vaccination de son cheptel bovin (Annexe 16) - Yahoo Actualités en date du 1er Mai 2001. « L'Uruguay mobilisée contre la Fièvre Aphteuse »).

. la présence de 190 foyers et la vaccination de tous les bovins du pays (10,5 millions) le 5/5/2001 (Annexe 17 - Yahoo Actualités en date du 5/5/2001 Fièvre Aphteuse, 190 foyers confirmés en Uruguay - « Le Gouvernement lance une vaste campagne de vaccination »).

La Dépêche Vétérinaire n° 684 du 26 Mai au Ier Juin 2001 délivre deux informations de première importance s'agissant de l'épizootie de fièvre aphteuse en Amérique du Sud.

- d'une part, selon l'OIE, 914 foyers de fièvre aphteuse ont été répertoriés en Argentine et en Uruguay (cf. Annexe 18) :

. en Argentine 566 cas ont été répertoriés sur le territoire argentin dont 87 au cours de la semaine du 29 Avril au 5 Mai ;

. en Uruguay, 348 foyers ont été répertoriés dans 17 des 19 départements ;

- d'autre part, la Commission Européenne a décidé le 15 Mai de suspendre les importations communautaires de viandes fraîches en provenance de l'Etat brésilien de RIO GRANDE DO SUL suite à la réapparition de la fièvre aphteuse et envisage de les reprendre à partir de ce même état après la fin de la campagne de vaccination (cf. annexe 19). Il y a donc « de facto » une entorse de fait en faveur du Brésil (l'article 2-1-1-5 du Code zoosanitaire de l'OIE traitant des zones indemnes de fièvre aphteuse où est pratiquée la vaccination imposant au pays exportateurs d'attester l'absence de tout foyer de fièvre aphteuse dans ce pays au cours des 2 dernières années (cf. annexe 20 - Document OIE chapitre 2-1-1 du Code Zoosanitaire traitant de la fièvre aphteuse).

Il serait difficilement compréhensible de refuser la possibilité d'exporter des animaux et des produits d'origine animale à des pays membres de l'Union Européenne décidant de revenir à la vaccination. Les faits rappelés précédemment soulignent la détermination des pays d'Amérique du Sud faisant partie du MERCOSUR et adhérents à l'OMC de continuer leurs exportations de viande. La Fièvre Aphteuse dans les pays précités est-elle une réelle résurgence ou est-elle avouée du fait que l'Union Européenne (à l'origine de la politique d'abandon de la vaccination avec les Etats Unis, et quelques autres pays) déclare de façon transparente, l'épizootie la frappant ? Les Nations évoquées ci-avant dans leur grande majorité font partie de l'OMC notamment les pays du MERCOSUR, qui veulent continuer à exporter de la viande et de ce fait représentent une menace potentielle, tous les pays ne vaccinant pas contre la fièvre aphteuse.

3. La position des organisations internationales OIE et FAO

La politique de prophylaxie sanitaire basée sur l'abattage des animaux atteints et /ou contaminés et sur le contrôle des mouvements des animaux sensibles montre ses limites et son coût (cf. paragraphe 5-1-7 du présent rapport). La mise au point de vaccins « ciblés » entraînent des anticorps différents de ceux de l'infection naturelle (MERIAL) et d'un test diagnostic instantané par le M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) aux USA et utilisant le génie génétique (cf. Annexe 21 - Yahoo Actualités en date du 23/5/2001). Le MIT a développé un test instantané de détection de la fièvre aphteuse alors que les travaux de recherche très avancés menés par la Société INTERVET (Pays Bas) permettent la différenciation sérologique des animaux vaccinés de ceux ayant été en contact avec le virus pathogène. Le développement de l'épizootie O PANASIA ainsi que les possibilités de vaccination offertes par les travaux scientifiques évoqués ci-avant ont été abordés lors de la Conférence Internationale OIE-FAO tenue à Paris les 17 et 18/04/2001 (cf. Annexe 22). Les recommandations les plus importantes de cette conférence sont les suivantes :

- recommandation N° 2-b (Extrait) « La conférence recommande que l'utilisation des vaccins contre la fièvre aphteuse, conformes aux critères définis dans le « Manuel des normes pour les tests de diagnostic et les vaccins » soit vivement encouragée ».

- recommandation N° 2-c (Extrait) « Considérant que certains animaux et certaines ressources génétiques rares et / ou précieux sont aussi sensibles à la fièvre aphteuse ».

La conférence recommande :

1 - Que les pays membres assurent que leurs plans d'urgence nationaux contre la fièvre aphteuse comportent des dispositions spécifiques pour protéger ces animaux et ce matériels.

2 - Que l'article 2-1-1-6 du chapitre 2-1-1 du Code soit modifié si nécessaire, pour permettre la vaccination en urgence de certains animaux rares ou précieux, sans porter atteinte au statut de pays ou de zone indemne de fièvre aphteuse sans vaccination.

- Recommandation n° 4 :

La conférence recommande que les recherches soient encouragées dans les domaines suivants :

. Système de surveillance :

. Développement et validation de tests sérologiques applicables à une grande diversité d'espèces d'élevage et sauvages sensibles au virus aphteux. Des tests sérologiques permettant de différencier l'infection de l'immunité vaccinale, de confirmer que les troupeaux sont indemnes d'infection par la fièvre aphteuse et de mettre au point des systèmes de dosage fiables pour la certification individuelle des animaux seraient tout particulièrement nécessaires dans l'immédiat. L'acquisition de sérums de référence est une étape critique dans l'accomplissement de cette tâche.

. Vaccins qui, dans les conditions idéales, présentent tout ou partie des améliorations ci-dessous par rapport aux vaccins actuellement disponibles :

. Disponibilité immédiate, facilité d'utilisation, induction d'une couverture antigénique à large spectre (croisement du sérotype de la souche), induction d'une immunité rapide et de longue durée, protection de la sphère oropharyngée contre une infection persistante.

. Induction de réponse(s) immunitaire(s) vaccinale(s) facile(s) à distinguer de celle(s ) induite(s) par une infection.

4. Les conséquences de la fièvre aphteuse

Elles sont de plusieurs ordres concernant :

4-1 Les animaux atteints (ruminants et porcins s'agissant des animaux de rente)

Contrairement à ce qui a été écrit récemment, la fièvre aphteuse n'est pas une maladie bénigne et elle doit être considérée comme une maladie d'autant plus grave qu'elle atteint des animaux de races sélectionnées à haut potentiel génétique. Elle entraîne :

- de la mortalité chez les jeunes ;

- des avortements chez les femelles gestantes ;

- des diminutions de poids des animaux atteints ;

- des diminutions de la production laitière ;

- des complications secondaires : myocardite, infections secondaires au niveau des pieds.

Parmi les animaux sensibles les ovins sont un facteur de contagion important, du fait que chez eux l'infection aphteuse entraîne soit des symptômes discrets difficilement décelables soit même une infection infraclinique (cf. Annexe 22 Document OIE. Conférence scientifique internationale OIE/FAO sur la Fièvre Aphteuse Paris (17-18/4/2001). Il en est de même des cervidés, animaux sauvages sensibles devant être considérés comme des vecteurs de contamination (cf. Annexe 30 Yahoo - Actualités en date du 2 Mai 2001 « Fièvre Aphteuse : cervidés, bûchers, vecteurs de contamination au Royaume-Uni).

4-2. L'économie de l'élevage avec :

- des pertes directes liées à l'abattage des animaux atteints et/ou contaminés et suspects ;

- des pertes indirectes résultant :

. de l'interdiction d'exporter des animaux ou des produits d'origine animale à partir des pays atteints ;

. de la diminution du tourisme, les voyageurs décommandent leurs visites en raison de la fièvre aphteuse.

L'annexe 31 (document Rhône-Mérieux en date de Mai 87 intitulée « Pertes causées par la fièvre aphteuse et incidences économiques » recense les pertes économiques résultant des épizooties de fièvre aphteuse entre 1951 et 1982 dans différents pays du monde. Le document Rhône MERIEUX rappelle dans son préambule que :

- la fièvre aphteuse demeure un danger permanent du fait des échanges entre les pays, d'animaux et de produits d'origine animale qui constituent une part importante du commerce international pour tous les pays du monde ;

- de nouvelles souches apparaissent ainsi dans des pays où les moyens de lutte contre la maladie, sanitaires (réglementation de l'introduction et de la circulation des animaux et des produits d'origine animale) et médicaux (vaccination avec des vaccins ne répondant pas aux normes de l'OIE) sont plus faibles que dans les pays développés voire inexistants ;

- par exemple au Botswana en 1978 une grave épizootie de fièvre aphteuse due au virus de type SAT 1 n'avait pu être endiguée parce que le vaccin contre le type type SAT 1 d'origine anglaise, de faible qualité n'avait pas conféré une protection suffisante et qu'ensuite la maladie a été éradiquée par des vaccins produits sur place avec les techniques de l'Institut MERIEUX.

Ce document rappelle dans son annexe 1 que :

- en France entre les années 1950 et 1960, avant la vaccination généralisée décrétée en 1962 le coût de la Fièvre aphteuse pour l'économie française était estimée annuellement à 200 Millions de francs (Bulletin de l'Académie Vétérinaire de France (Tome XXXVII de Juin 1964) ;

- en 1974, les frais supportés par l'Etat à l'occasion d'un foyer de fièvre aphteuse apparu en Bretagne et ayant nécessité l'abattage de 35 000 animaux avait représenté 50,5 Millions de Francs (Bulletin d'Informations - Chaire de Maladies Contagieuses ENV Alfort (2) (1979) ;

- en 1979 à l'occasion d'un foyer apparu en Normandie après l'abattage de 2773 animaux et de 761 porcins, les frais avaient représenté pour l'Etat 16,1 Millions de Francs (d'après le Ministère de l'Agriculture - Rapport général d'activité 1979) ;

- à partir de 1973 l'Etat a cessé de subventionner la vaccination sur la base de 1 F par animal vacciné et que les dépenses qu'il a consacrées à la fièvre aphteuse ont été en moyenne jusqu'en 1979 de 12,52 Millions de Francs par an.


Années

1972

1973

1974

1975

1976

1977

1978

1979

Coût en MF

20,2

6

55,2

3

1,9

2,1

3,4

16,1

Les coûts supportés par l'Etat sont exprimés en Francs courants. Ils excluent les pertes économiques indirectes (fermeture des marchés, restriction à la circulation etc...)En Grande-Bretagne, les pertes dues à l'épizootie de 1967-1968 ont été estimées par la Commission Royale d'enquête à :

- pertes directes (indemnités, désinfection, etc..) 35,1 millions de livres sterling ;

- pertes économiques totales (directes et indirectes). 70 à 150 millions de livres sterling soit 1,26 à 2,7 milliards de francs.

En 1996 à Taiwan une épizootie fièvre aphteuse très grave à entraîné des pertes économiques très lourdes. Elles ont été analysées et comparées dans la revue américaine Newsweek en date du 7/4/1997 à celles résultant de l'ESB au Royaume-Uni et sont supérieures à ces dernières (cf. Annexe 32 - Extrait de Newsweek du 7/4/1997, intitulé The Mad Pig Disease a foot and month virus rattles the nation).


 

Porcs Taiwanais
Fièvre Aphteuse

Bovins britanniquesESB

Total population

11 millions

12 millions

Animaux abattus

1,6 millions

1,2 millions

Pertes à l'exportation

1,55 milliard d'USD

11,625 milliards de Francs

0,96 milliard d'USD

720 millions de Francs

Humains morts ou malades

0

10

En 1996 la fièvre aphteuse a coûté 11,62 milliards de Francs à Taiwan et l'ESB 720 millions de francs au Royaume-Uni. Du fait de l'épizootie O PANASIA 2001, l'Union Européenne en général et les pays membres en faisant partie et touchés par la fièvre aphteuse subissent des pertes économiques directes et indirectes très importantes. Les pertes économiques directes sont celles résultant des abattages d'animaux malades contaminés et /ou suspects et de l'indemnisation de leurs propriétaires. Elles sont supportées à 60 % par l'Union Européenne et à 40 % pour les pays concernés. L'Union Européenne estime le coût potentiel de la fièvre aphteuse entre 500 Millions d'Euros (3,28 Milliards de francs) et 700 Millions d'Euros (4,59 Milliards de Francs). Or la ligne budgétaire actuelle pour ce type de dépenses est de 47 millions d'Euros (308,32 Millions de Francs) (cf. Annexe n° 33 Yahoo - Actualités en date du 22 Mai 2001 « Union Européenne le coût potentiel de la Fièvre Aphteuse estimé entre 500 et 700 millions d'Euros »). Un fonctionnaire bruxellois contacté le 23/5/2001 et ayant demandé à garder l'anonymat, estimait que le coût de l'épizootie se situerait plutôt entre 1 et 1,5 Milliards d'Euros. La lourdeur des prises de décision de l'Union Européenne dans les domaines tant technique que budgétaire est inadaptée aux problèmes très immédiats que pose la gestion d'une épizootie de fièvre aphteuse. En cette matière, une prophylaxie par la vaccination serait plus facile à gérer par la Commission dans la mesure où chaque année un poste serait budgété pour les campagnes de vaccination. Il convient de rappeler que la crise de l'ESB avait nécessité une rallonge budgétaire de 971 millions d'Euros (6,36 Milliards de Francs). Le budget rectificatif supplémentaire avait été voté le 12/2/2001 par les Ministres des Finances des 15 (cf. Annexe n° 34 Le Monde fr. en date du 1/02/2001 « A court d'argent la PAC devra être réformée »).

- Le Royaume-Uni estimait que les indemnisations pour les abattages représentaient le 22/5/2001, 705 Millions de Livres Sterling soit 7,66 Milliards de Francs dont 304 Millions de Livres Sterling soit 3,30 Milliards de Francs ont déjà été payés aux éleveurs (cf. Annexe n° 35 Document en date du 22 Mai 2001 issu du Ministère de l'Agriculture de la Pêche et de l'Alimentation du Royaume-Uni).

- Les Pays Bas estiment le coût de la fièvre aphteuse à 3 Milliards de Florins soit environ 9 Milliards de Francs pour les éleveurs et les industriels et une baisse de 0,3 % du PNB en résultant (cf. Annexe n° 36 - Yahoo Actualités en date du 22/05/2001 « La crise de la Fièvre Aphteuse a coûté trois milliards de florins aux Pays Bas »).

- La France estime actuellement le coût des abattages à 65 Millions de Francs. Les niveaux des indemnisations des éleveurs touchés par les abattages ont été plafonnés par un décret du 30 Mars 2001 alors qu'auparavant les animaux étaient payés à leur valeur réelle, avant la fièvre aphteuse (cf. Annexe n° 37 France Agricole en date du 6/04/2001 « Fièvre Aphteuse et ESB - L'Etat encadre les indemnités « abattage »).

Par ailleurs, les éleveurs qui ne pouvaient vendre leurs animaux pendant l'épizootie n'ont touché jusqu'à maintenant des Pouvoirs Publics que des indemnités symboliques. En Saône et Loire, un éleveur ayant un troupeau de 300 bovins avait touché en Mai seulement 15.000 Francs. Manquant de trésorerie, ils ont été contraints de vendre des animaux il y a 3 ou 4 semaines à des prix inférieurs de 1.500 à 2.000 F au prix actuel :

- d'une part, à la Grande Distribution (chez qui les clients n'ont pas profité d'une baisse du prix de vente) ;

- d'autre part, à des marchands spéculant sur la réouverture à la mi-avril des frontières avec l'Italie.

Les pertes économiques indirectes sont représentées par le coût social de l'épizootie et ses effets en cascade qui peuvent toucher les pans les plus divers de l'économie, en premier lieu les activités en aval de la filière agricole (cuir peaux) mais aussi les activités périphériques du monde rural (Tourisme, voyages, loisirs) (cf. Annexe n° 38 - Yahoo Actualités en date du 9/5/2001 - « L'Europe bradée sur les vols Transatlantiques »).L'Union Européenne a enregistré depuis le début de l'année 2001, un manque à gagner sur les exportations d'animaux et de produits d'origine animale. Au 30/03/2001, 94 % des exportations européennes de viande de boeuf et 73 % de celles de porc étaient bloquées : du 26/3/2001 au 27/4/2001 la Russie avait interdit les importations de bétail sur pied, de viande et produits carnés, de lait de produits laitiers, de poissons et de produits dérivés, de volailles et d'autres produits d'origine animale en provenance de tous les pays européens. La Russie avait acheté 402.345 tonnes de viande bovine en 1999 (42 % des exportations de l'Union) (cf. Annexe n° 39 Yahoo Actualités en date du 30/3/2001 L'U.E. commence à mesurer les retombées économiques de la Fièvre aphteuse). Après le 27/4/2001 la Russie a maintenu son embargo pour 6 pays de l'Union Européenne : le Royaume Uni, l'Ulster, les 3 pays du Bénélux et la France (cf. Annexe 40 Yahoo Actualités en date du 28/4/2001 Fièvre Aphteuse : Moscou lève son embargo sur les produits d'origine animale de certains pays de l'Union Européenne). Du fait de la position russe les exportations de viande de volailles de l'Union Européenne ont baissé de 31 % depuis le 1/1/2001 jusqu'au 24/4/2001. D'une part, la baisse de la consommation de viande de boeuf en Allemagne, en Italie, en France et en Espagne, d'autre part celle des exportations ont entraîné un accroissement des stocks communautaires. Au 24/4/2001, 190.000 tonnes étaient entreposées dans des frigos. 481.00 animaux de plus de 30 mois avaient été incinérés dont 155.000 en France et 189.000 en Irlande (cf. Annexe 41 - Yahoo Actualités en date du 24/4/2001. L'UE entrevoit le bout du tunnel concernant les épizooties). La France a vu diminuer l'excédent de ses échanges agro alimentaires au cours du premier trimestre 2001 de 4 milliards de francs par rapport à la même époque en 2000 (cf. Annexe 42 La France Agricole du 25 Mai 2001 Commerce Extérieur L'ESB et la Fièvre Aphteuse pèsent sur les exportations). De plus les négociants en bestiaux soit à l'échelle nationale, soit à l'échelle internationale ont été durement pénalisés. Une PME bourguignonne CFI (Charollais France Internationale) vendant à l'étranger des reproducteurs ovins, caprins et bovins indique le 22/5/2001 que le total des marchés annulés ou ajournés depuis le début de l'année a représenté 2 701 000 Francs soit 40 % de son chiffre d'affaires (cf. annexe 43 Fax en date du 22 Mai 2001 adressé au Docteur H. GILBERT par Monsieur F. de LAUNAY Président de C.F.I.). Les abattoirs sont lourdement pénalisés. Certains ont cessé leurs activités comme l'abattoir d'Arrow-Lapalisse qui exportait avant l'épizootie 1.500 carcasses de porcs par semaine à destination de la Corée et de la Chine (cf. Extrait de la Dépêche Vétérinaire n° 684 du 26/5/2001 au 1/6/2001 Annexe n° 44).

4-3 Conclusions

Les faits rapportés précédemment appellent 2 réflexions :

4-3-1 Le Royaume-Uni applique en matière de fièvre aphteuse une prophylaxie sanitaire qui s'est révélée très coûteuse en 2 occasions

En 1967, les pertes économiques totales se sont situées entre 70 et 150 millions de livres sterling soit 1,26 à 2,7 milliards de francs qu'il a supporté seul n'appartenant pas encore à la Communauté Européenne. En 2001, alors que l'épizootie O PANASIA n'est pas finie, le Ministère de l'Agriculture de la Pêche et de l'Alimentation estime le seul coût de l'indemnisation des éleveurs touchés à 705 millions de livre sterling soit 7,66 milliards de francs (soit 2,8 fois plus) dont une partie importante sera prise en charge par l'Union Européenne.

4-3-2 Le coût total de l'épizootie O PANASIA sera très élevé pour l'Union Européenne, comme celui de l'épizootie de type A en Amérique du Sud. Les 4 pays exportateurs traditionnels de viande (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) qui font partie de l'OMC, ont décidé de recourir à la vaccination et continueront à exporter. Y-a-t-il des éléments techniques et économiques qui empêchent l'Union Européenne de suivre leurs exemples. ?

5. Aspects Techniques de la vaccination :

5-1 Conséquences négatives de l'utilisation des vaccins évoquées à tort

5-1-1 La vaccination induit la formation d'anticorps

5-1-1-1 Un certain nombre de pays exigent l'absence d'anticorps dans le sérum des animaux achetés . Il s'agit de l'Amérique du Nord (USA, Canada, Mexique) de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Ces pays ont importé très peu d'animaux au cours des dernières années, depuis l'interdiction de la vaccination dans l'UE (1991), situation amplifiée par le problème de la vache folle.La vaccination n'empêcherait pas l'Union Européenne d'exporter 80 % des viandes qu'elle commercialisait avant l'épizootie actuelle et ce dans les pays suivants :

- La Russie représentant à elle seule 40 % des exportations de l'Union Européenne ;

- Les pays du Moyen Orient et d'Afrique du Nord 40 % ;

- Les autres pays dont ceux d'Extrème Orient (20 %).

Tous ces pays sont dans des régions historiquement mais aussi actuellement infectées de FA à l'état endémique. Ils utilisent par ailleurs épisodiquement des vaccins importés pour protéger les animaux de valeur. Il faut noter que le « code zoosanitaire mondial » réactualisé en 2000 par l'Office International des Epizooties (OIE) précise qu'il est possible pour un pays de bénéficier du « statut de pays indemne où la vaccination est pratiquée » (article 2-1-1-3) et de ce fait d'exporter des animaux d'espèces sensibles vaccinés, à condition de pouvoir présenter un certain nombre de certificats vétérinaires. Dans le passé, des animaux français issus des troupeaux vaccinés ont été exportés dans de nombreux pays y compris dans ceux qui ne pratiquaient pas la vaccination. La technique du PROBANG test réalisée sur ces animaux dans le but de rechercher du virus vivant virulent n'a jamais permis de déceler d'animaux « porteurs » de virus virulent.

5-1-1-2 Les anticorps induits par la vaccination ne peuvent être distingués de ceux induits par une infection

Cette affirmation est aujourd'hui fausse puisque plusieurs équipes scientifiques et notamment celle de PLUM ISLAND (USA) depuis 1995 ont montré qu'il existe des anticorps vis à vis de « protéines non structurales » du virus aphteux (notamment protéines 2C et 3 AB), uniquement chez les animaux infectés. Le ou les virus aphteux entrant dans la composition du vaccin subissent des étapes de purification et de ce fait les protéines non structurales ne sont pas présentes dans le vaccin. Les anticorps correspondants, même après multiples vaccinations ne sont jamais retrouvés chez les animaux vaccinés. Ce test permet de reconnaître les animaux infectés et les animaux asymptomatiques, réputés transmetteurs de virus (animaux dits porteurs de virus, asymptomatiques). Ce test doit être manipulé par des laboratoires officiels compétents.

5-1-2 Les vaccins incomplètement inactivés peuvent provoquer la maladie

Cette affirmation est inexacte car la technologie dite de double inactivation du virus est parfaitement validée et est aujourd'hui pratiquée par tous les laboratoires sérieux. Tous les lots de vaccins subissent par ailleurs un double contrôle d'abord chez le producteur, ensuite dans un laboratoire officiel.En France, aucun lot de vaccin (sur plusieurs milliers) n'a provoqué de maladie (source Laboratoire National de Pathologie bovine AFSSA ex CNEVA).

5-1-3 Les vaccins homologues ne protègent pas contre les sous-types qui apparaissent sur le terrain

Cette affirmation est également inexacte. Les animaux sont vaccinés et rappelés la plupart du temps avec des vaccins trivalents (comportant donc trois types - OAC le plus couramment) Il a été démontré à plusieurs reprises que si un nouveau sous-type correspondant à l'un des types du vaccin, survient, les animaux plurivaccinés résistent à ce nouveau sous-type. (Bulletin de l'OIE, MOREAU et col. 1971). En conclusion, on peut affirmer que le fait de vacciner régulièrement protège les cheptels contre l'apparition de nouveaux sous-types ( à l'intérieur d'un type).

5-1-4 Les animaux vaccinés confrontés à une infection ne montrent pas de symptômes mais restent « porteurs » de virus

- Des travaux récents (1999) réalisés par une équipe allemande (PAUL ERHLICH-INSTITUTE), ont montré par deux techniques performantes (PROBANG : écouvillonnage naso-pharyngé et PCR : amplification génique) que seulement 1 à 5 % des animaux vaccinés, confrontés à une infection ou à une épreuve virulente restent porteurs de virus pendant 10 jours et environ 50 % des animaux sont porteurs pendant 4 jours.

- Le portage de virus dépend de l'espèce. Les moutons qui expriment des signes cliniques frustres sont réputés être les « meilleurs » porteurs lorsqu'ils ne sont pas vaccinés.

- Le portage de virus dépend aussi du statut immunitaire conféré par les vaccins. Si les vaccins sont de bonne qualité et répondent aux normes de l'OIE, la vaccination régulière diminue singulièrement le nombre de porteurs et la durée du portage.

5-1-5 La vaccination d'urgence ne permet pas d'obtenir une protection rapide des animaux

Une publication de 1994 concernant un travail réalisé par le Laboratoire Officiel de PIRBRIGHT (UK) montre que l'immunité avec les vaccins aqueux ou huileux qui répondent aux normes OIE est obtenue en 4 jours. Plus le délai entre la primo vaccination et l'infection est long, moins les animaux sont porteurs. En conséquence, une décision de vaccination ou de revaccination d'urgence doit être prise très tôt lorsque l'épidémie menace un pays ou une région. La vaccination régulière suivie d'une injection de rappel en cas d'épidémie est une pratique très performante. Il est donc inexact de laisser penser qu'il faut 15 jours à 3 semaines pour obtenir une bonne immunité.

5-1-6 La vaccination doit être réalisée tous les 6 à 9 mois

Cela est inexact. Là encore lorsque des vaccins de qualité répondant aux normes de l'OIE sont utilisés, leur performance ne nécessite qu'une administration annuelle. La prophylaxie officielle qui a existé pendant 30 ans reposait sur ces bases et a montré son efficacité.

5-1-7 La vaccination est très onéreuse

Elle coûterait environ 12 francs par bête et garantirait l'absence de maladie. Elle serait d'autant plus rentable pour les éleveurs à un moment, où l'estimation des bovins abattus sur ordre de l'administration vient d'être plafonnée à des niveaux faibles pour des animaux sélectionnés et cela par un décret en date du 30/03/2001. La vaccination permettrait d'éliminer :

- d'une part les pertes directes découlant des abattages des animaux qui auraient été infectés en son absence et dont l'indemnisation aurait été insuffisante ;

- d'autre part, les pertes indirectes des professions touchées par la fièvre aphteuse et d'ont l'indemnisation n'est pas prévue.

En ce qui concerne le calcul du coût de l'élimination des animaux non vaccinés atteints, contaminés ou suspects, à la base de la politique actuelle de non vaccination, il a été fait sur une hypothèse de 13 foyers primaires tous les 10 ans représentant un coût de 35 millions d'Euros soit 229,58 millions de Francs (alors que l'Union Européenne a déjà déboursé depuis le 19 Février 250 millions d'Euros soit 1.11 milliards de francs).

5-2 - Conséquences reconnues positives dans le passé à la pratique régulière de la vaccination

5-2-1 La vaccination annuelle, en France, des bovins de plus de 6 mois permettait l'accès régulier des vétérinaires dans les élevages et les fermes dans le cadre des prophylaxies officielles.

5-2-2 Cette vaccination, protégeant les cheptels, a permis de réaliser des progrès génétiques conséquents sur les espèces à cycle long (bovins, ovins, porcins), leur situation sanitaire étant stable et satisfaisante sur des périodes suffisamment larges.

5-2-3 La vaccination systématique a permis d'atteindre le stade de l'éradication sur le territoire français. Le tapis immunitaire ainsi atteint s'est montré très efficace, assurant la protection indirecte des ovins et porcins, qui eux n'étaient pas vaccinés.

5-2-4 En cas de menace, la vaccination d'urgence, en anneaux autour des foyers a permis, avant que la vaccination ne soit obligatoire, de limiter la diffusion du virus, ceci en complément bien entendu des mesures sanitaires.

5-2-5 La vaccination de zones dites « tampons » a été pratiquée avec succès, à plusieurs reprises aux marches de l'Europe pour empêcher la pénétration de virus asiatiques.

5-2-6 Des pays devenus indemnes grâce à la vaccination, comme l'URUGUAY et l'ARGENTINE, ont arrêté cette précaution, fermé les laboratoires producteurs de vaccins, et voient aujourd'hui à nouveaux de graves épidémies (plusieurs centaines de foyers) déferler sur leurs territoires, en provenance vraisemblablement du BRESIL (virus O et A). Ces pays ont tenté de juguler l'épidémie par des abattages mais devant les protestations des éleveurs et le coût de ces opérations, ils reviennent à la vaccination avec du vaccin fabriqué au BRESIL.

6. Les défenseurs des animaux dénoncent le massacre d'animaux abattus et demandent la vaccination

A un moment où aux niveaux tant français qu'européen, des textes législatifs et réglementaires ont été élaborés pour l'amélioration du bien-être animal, des associations de défense animale dénoncent le massacre d'animaux abattus par centaines de milliers et réclament pour l'éviter la reprise de la vaccination (cf. annexe 30 : Yahoo Actualités, fièvre aphteuse : les défenseurs des animaux). Il s'agit entre autres de :

- la fondation Brigitte BARDOT ;

- la SPA (Société Protectrice ces animaux) ;

- la Ligue Française des Droits de l'Animal ;

- la Fondation « 30 millions d'amis »

Cette mesure de vaccination a été acceptée par les autorités pour les animaux des zoos. Ils conviendrait qu'elle s'applique aussi aux animaux de rente. De plus, l'Organisation « Robin des bois » appelle l'attention sur les incinérations en masse d'animaux, où le feu est mis avec des pneus, des sacs plastiques, des traverses de chemin de fer, etc... sources de pollution de l'air et des nappes phréatiques. L'incinération d'animaux vaccinés et ne contractant pas la maladie est une aberration économique car ces animaux sont consommables.

7. La situation géo-politique a considérablement évolué depuis 1991

- L'Union Européenne s'est élargie à 15 membres donnant naissance à un marché unique très important. La disparition du « Rideau de fer » a autorisé aussi une augmentation singulière des échanges d'individus et de marchandises entre pays d'Europe occidentale, et orientale. La mondialisation en route ne fait qu'augmenter tout cela et les mouvements de population dus aux voyages d'affaires ou de tourisme, ainsi que l'immigration contrôlée et non contrôlée font que les douanes avouent leur impuissance à tout contrôler (voir plus loin chap. 8).

8. L'exclusivement « sanitaire » n'est plus possible

Les autorités françaises elles-mêmes reconnaissant que l'on est passé près de la catastrophe. Les mêmes autorités, bien que satisfaites de la manière dont l'épizootie a été jugulée ont l'honnêteté d'affirmer que si la maladie était intervenue d'abord en France, la situation aurait été identique à celle intervenue au Royaume uni.Un rapport des douanes pour l'année 2000 publié le 10 avril 2001 constate une forte hausse des fraudes, y compris dans le secteur agricole et révèle des faiblesses dans le domaine sanitaire, notamment dans le nombre des contrôles réalisés pour faire respecter les embargos - Les autorités françaises, enfin, pensent sans doute à tort, qu'une augmentation des effectifs de fonctionnaires sanitaires permettraient d'être plus performantes. Des interventions plus fréquentes sur les élevages des vétérinaires praticiens possédant le mandat sanitaire seraient plus efficaces.Toutes les affirmations erronées ou désuètes concernant les vaccins sont aujourd'hui contredites par les progrès scientifiques. De ce fait, l'association des mesures sanitaires et médicales (vaccin) qui avait donné dans le passé d' excellents résultats, garde toute sa justification.Attention : tous les vaccins ne sont pas de qualité égale (innocuité - activité). Seuls quelques laboratoires très performants sont, au niveau mondial, capables de fournir des produits de grande qualité, répondant aux normes de l'OIE.

9. Les virus aphteux font partie de la liste des agents utilisables pour des opérations de terrorisme ou/et de guerre biologique

L'introduction volontaire de ces agents sur un territoire indemne peut permettre en quelques jours de porter un coup fatal à un / ou des cheptels totalement sensibles parce que non vaccinés. Ces virus sévissent à l'état endémique dans un certain nombre de pays « politiquement sensibles », ils sont donc à disposition pour utilisation à des fins malfaisantes. Tibor TOTH, diplomate hongrois, chargé à l'ONU des pourparlers pour la mise en place d'un protocole d'application de la Convention de 1972 sur les armements biologiques, a souligné la facilité qu'il y aurait à propager une telle maladie avec des intentions hostiles.

10. Faiblesse de l'équipement français en matière de Laboratoire spécialisé dans la Fièvre Aphteuse

Autrefois, il y avait quatre établissements, deux publics (ALFORT et LYON) et deux privés (MERIEUX et Roger BELLON) qui pratiquaient régulièrement des études épidémiologiques de la Fièvre Aphteuse. Depuis 1991, cette expertise a pratiquement disparu parce que les spécialistes ne sont plus là où s'intéressent à d'autres sujets. Il serait souhaitable que les autorités françaises réfléchissent à ce problème et à l'éventualité d'y impliquer le Ministère de la défense comme aux USA.. NB : La Fondation MERIEUX dispose à LYON d'un Laboratoire P4 susceptible d'accueillir des souches de virus de très haute virulence.

11. Proposition d'une stratégie

Elles découlent des enseignements à tirer des épizooties de fièvre aphteuse sévissant actuellement dans le Monde.

- d'abord l'épizootie O PANASIA touchant l'Union Européenne ;

- ensuite l'épizootie en Amérique du Sud affectant l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay et le Brésil.

Elles comportent des mesures générales d'une part et des mesures spécifiques quant à l'utilisation des vaccins d'autre part.

11-1 Mesures générales

11-1-1 Révision du code zoo-sanitaire de l'OIE en ce qui concerne les paragraphes relatifs à la fièvre aphteuse (cf. Annexe 20)

Le code élaboré par la Commission du Code zoo-sanitaire « international » de l'OIE (antérieurement présidée par le Docteur B. Vallat devenu maintenant Directeur) est l'ouvrage normatif du commerce international.Il convient de réécrire le chapitre 2-1-1 traitant de la fièvre aphteuse et notamment l'article 2-1-1-5 intitulé « zone indemne de fièvre aphteuse ou est pratiquée la vaccination » et l'article 2-1-1-6 « Pays infecté de fièvre aphteuse ».Actuellement l'exportation de bovins provenant d'une zone indemne de fièvre aphteuse ou est pratiquée la vaccination n'est possible que deux ans après l'apparition du dernier foyer de fièvre aphteuse.Compte tenu de l'innocuité des vaccins répondant aux normes de l'OIE, des anticorps différents de ceux de l'infection naturelle induits par les vaccins ciblés et des tests diagnostics différenciant anticorps naturels et anticorps vaccinaux, il faut permettre l'exportation d'animaux à partir d'une zone indemne de fièvre aphteuse où est pratiquée la vaccination, trois mois après le dernier cas de fièvre aphteuse.La Commission Européenne s'engage dans cette voie puisqu'elle accepte d'importer à nouveau des viandes de l'Etat Brésilien de RIO GRANDE DO SUL actuellement infecté par le virus aphteux A et vaccinant contre cette souche à la fin des campagnes de vaccination (confère annexe 19).

11-1-2 Identification « inviolable » des animaux

Afin d'éviter des fraudes éventuelles amenant à faire passer comme animaux vaccinés des animaux qui ne le sont pas et de suivre de manière générale les déplacements d'animaux, il faut mettre en place une identification fiable et inviolable des animaux européens sensibles à la fièvre aphteuse selon les modalités suivantes :

- Bovins : dans les 15 jours qui suivent leur naissance ;

- Ovins, Caprins reproducteurs : selon les mêmes modalités.

Il existe déjà des procédés de type « puce électronique injectable » utilisées dans de nombreuses espèces et qui assurent une traçabilité sans faille des mouvements d'animaux.

11-1-3 Développement d'un test de diagnostic précoce de l'infection aphteuse

Comme l'écrit très justement le Contrôleur Général Meurier, après l'arrêt de la vaccination décrété par la Commission Européenne en 1991, les recherches sur la fièvre aphteuse ont cessé de susciter l'intérêt des autorités de l'Union Européenne et de ses Etats membres.Ni la DG XII (Direction Générale de la recherche de la Commission) ni les pouvoirs publics des Etats membres, ni leurs laboratoires privés n'y ont affecté des crédits significatifs (confère Annexe 1). Cette situation est très critiquable du fait des conséquences néfastes des épizooties de fièvre aphteuse pour l'économie animale et de l'utilisation des virus aphteux comme arme bactériologique. Les travaux du MIT (Massachuseth Institute of Technology), financé par la DARPA (Agence du département américain de la Défense spécialisée dans les nouvelles technologies) et ayant abouti à la mise au point d'un test instantané de détection de la fièvre aphteuse, méritent d'être étudiées par les chercheurs français.

Ceux-ci doivent initier des travaux avec le même objectif qui pourraient être eux aussi financés, au moins en partie, par le Ministère de la Défense.

11-1-4 Développement des test de différenciation des anticorps naturels, des anticorps vaccinaux

Dès 1995 une équipe de recherche américaine, du laboratoire de LUBROTH ( Plum Island) travaillant avec un financement du Ministère de l'Agriculture Américain (USDA), a mis au point un test différenciant les anticorps aphteux naturels des anticorps aphteux vaccinaux.Par ailleurs la société hollandaise INTERVET a mis au point un test identique mais de réalisation plus simple (test Elisa) en cours de validation (confère publications scientifiques jointes)

11-1-5 Suivi épizootologique des virus aphteux

Contrairement à ce qui était la règle jusqu'en 1991 le suivi en France des souches de virus aphteux dans le monde qui se faisait dans le cadre d'une collaboration « public/privé » n'est plus assuré. Il convient pour des raisons tenant autant à l'élevage qu'à la défense nationale de réactiver les travaux en la matière.

11-2 Mesures spécifiques concernant la vaccination antiaphteuse à mettre en oeuvre pour la protection de l'Union Européenne

La prophylaxie sanitaire devra être complétée par une prophylaxie médicale utilisant les vaccins antiaphteux et à mettre en oeuvre. D'une part dans certains pays de l'Union Européenne et en Suisse fréquemment concernés dans le passé par des épizooties de fièvres aphteuses et/ou exposés à des contagions venant des pays voisins du fait de relations touristiques et commerciales intenses.

D'autre part dans les pays de l'Europe Centrale et du Sud Est de l'Europe où un manque d'organisation et de moyens entraînent des situations sanitaires incertaines, avec la création de « zones tampons » d'animaux vaccinés comme ce fut le cas sur la rive nord du Bosphore de 1964 à 1985 avec des financements FAO et CEE.

11-2-1 Vaccination dans certains pays de l'Union Européenne (dont la France) et la Suisse .

11-2-2 Généralités

Les animaux vaccinés annuellement seraient les suivants :

Bovins âgés de plus de 6 mois.

Ovins caprins: les reproducteurs à haut potentiel génétique.

[...]

11-2-2 Mesures spécifiques concernant la vaccination antiaphteuse à mettre en oeuvre dans les pays limitrophes de l'Union Européenne et exposés à la fièvre aphteuse du fait de leur situation géographique

Une estimation a été réalisée concernant la vaccination des ruminants et figure dans le tableau ci-après. Compte tenu de leur situation géographique, un vaccin bivalent O A est recommandé dans les pays suivants : Bosnie Herzégovine, Croatie, République Tchèque, Hongrie, Slovaquie, Slovénie, Yougoslavie. Un vaccin trivalent O A Asia 1 est préconisé dans les pays : Bulgarie, Macédoine, Roumanie, Turquie d'Europe. Le coût annuel de la vaccination de ces pays se situerait entre 109,54 millions de francs soit 16,70 millions d'euros et 136,25 millions de francs soit 20,77 millions d'euros.

[...]

11.2.3. Commentaires sur le coût total annuel des vaccinations antiaphteuse où serait impliquée l'Union Européenne financièrement et pour partie

En résumé :

dans les 10 pays de l'Union Européenne ou serait réinstaurée une prophylaxie antiaphteuse comportant à la fois un volet sanitaire et un volet médical avec la vaccination annuelle des ruminants impliquant à la fois l'achat des vaccins et l'administration par les vétérinaires se situerait entre 410 et 513 millions de francs.

en France le coût se situerait entre 134 et 168 millions de francs

Deux remarques sont à faire :

a) beaucoup d'éleveurs sont prêts à prendre à leur charge la vaccination de leurs animaux ;

b) l'Union Européenne finance habituellement la lutte contre les grandes épizooties (comme la rage etc..) à hauteur de 60 %

De ce fait la part restant à la charge de la partie française serait entre

134 x 40 = 53,6 MF et 168 x 40 = 67,2 MF
100 100

dans les pays limitrophes de l'Union Européenne la même politique antiaphteuse coûterait annuellement entre 109,54 et 136,25 millions de francs.

L'ensemble de la nouvelle politique antiaphteuse proposée coûterait annuellement entre 410 + 134 = 544 MF soit 82,93 millions d'Euros et 513,09 + 136,25 = 649,34 MF soit 98,99 millions d'Euros.

Ces montants sont à rapprocher des estimations du coût actuel de l'épizootie O PANASIA pour l'Union Européenne qui se situera entre 700 millions et milliard d'Euros compte tenu des nouveaux cas qui continuent à apparaître au Royaume Uni.

12. Conclusions

1°) La fièvre aphteuse demeure un problème actuel (confère Annexe 50 document OIE en date de Mai 2001) elle est présente en :

* Afrique (virus O, SAT 1 et SAT 2) ;

* Amérique du sud (virus O et A) ;

* Asie (Moyen-Orient et Extrême orient) (virus O, A, Asia 1) ;

* Europe (virus O).

2°) Les probabilités de contamination des cheptels par le virus aphteux augmentent. Aux modes naturels (vents, animaux domestiques et sauvages, etc..) se surajoutent, ceux liés aux opérations commerciales découlant de la mondialisation de l'économie. Par exemple l'admission de la Chine à l'OMC fera courir des risques nouveaux à l'Europe étant donnée la présence de la fièvre aphteuse en Chine, la plupart du temps non déclarée par les autorités de ce pays.

3°) En France, il faut remédier à la « perte de mémoire » de la fièvre aphteuse et de ses conséquences dans le monde vétérinaire français. L'enseignement sur la fièvre aphteuse dispensé actuellement dans les Ecoles Nationales Vétérinaires est incomplet. La récente publication intitulée « La fièvre aphteuse maladie de la bouche et du pied » et faite en Mars/Avril 2001dans le bulletin de la Société Vétérinaire Pratique de France par le Professeur Jean Chantal de l'Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse, ne mentionne ni les « vaccins ciblés » (donnant des anticorps différents de ceux de l'infection par un virus pathogène) ni les tests de détection de ces anticorps, ni ceux « ultra-rapides » de la maladie ( test M.I.T. mis au point aux USA) (Confère Annexe 51).

Le corps enseignant des Ecoles Nationale Vétérinaire doit informer ses étudiants :

- des avancées scientifiques concernant les vaccins antiaphteux produits par des sociétés ayant un budget de recherche important. Il s'agit principalement de :

* l'innocuité totale des vaccins ;

* leur activité leur permettant de développer une immunité significative au bout de quatre jours et empêchent que les animaux porteurs du virus avant la vaccination le restent longtemps après ;

* leur capacité à induire chez l'animal des anticorps spécifiques différents de ceux résultant d'un contact avec le virus pathogène ;

* de l'intérêt d'une prophylaxie mixte sanitaire et médicale qui a fait la preuve de son efficacité dans le passé et qui est plus facile à mettre en oeuvre avec les nouveaux vaccins évoqués ci-avant.

4°) En France il faut également développer des travaux de recherches concernant :

* le suivi épidémiologique des virus aphteux ;

* la mise à jour de test de diagnostic rapides comme celui découvert par le MIT (Massachusetts Institute Technology aux USA).

Ces travaux devraient être mis en oeuvre dans le cadre d'une collaboration entre :

* Ministères : Ministère de l'Agriculture et de la Pêche et Ministère de la Défense, concernés par le virus aphteux utilisé en tant qu'armes bactériologiques ;.

* Organisations étatiques et privées impliquées dans le travail du virus aphteux ( production de vaccins et de réactifs diagnostic ) :

Des contacts pourraient être pris à ce sujet avec la Fondation Mérieux qui dispose du laboratoire haute sécurité P4 Jean Mérieux agréé par l'OMS, l'Union Européenne et les USA (annexe N° 48 plaquette sur ce laboratoire).La France doit également s'associer aux travaux d'autres pays de l'Union Européenne en utilisant avec eux les crédits de la DG XII (Direction de la Recherche) de la Commission Européenne.

5°) Un élément devant éclairer la position des autorités françaises quant au mode de prophylaxie à choisir dans l'avenir est le coût de l'épizootie actuelle pour l'Etat Français du fait :

* d'une part, des abattages en France 65 millions de francs ;

* d'autre part, de ceux faits au Royaume-Uni.

La comparaison du coût des abattages au Royaume-Uni lors de l'épizootie actuelle de fièvre aphteuse et lors de celle de 1967-1968 est édifiante .

5-1- Epizootie actuelle

Le total des compensations pour abattage versées aux éleveurs représentait du 21-5-2001, 705 millions de livres sterling soit :

705 X 10,80 = 7,614 milliards de francs (annexe 35 de notre rapport déposé en sénat )

L'Union Européenne en prendra à sa charge 60 % soit :

7,614 X 60 = 4,568 milliards de francs français
100

La participation française aux dépenses communautaires étant de l'ordre de 15%, la contribution française à l'indemnisation des éleveurs du Royaume-Uni sera de :

4,568 X 15 = 0,6852 milliards de francs
100

= 685,20 millions de francs français.

Le coût de la vaccination annuelle des ruminants en France étant de l'ordre de 150 millions de francs français, la contribution française à l'indemnisation des éleveurs du Royaume-Uni représente :

685,2 = 4,56 arrondi à 4,6
100

4,6 fois le coût annuel de la vaccination des ruminants en France.

5-2- Epizootie 1967-1968

Le coût des abattages réalisés en Grande Bretagne en 1967-1968 s'élève à 35,1 millions de livres (de l'époque) soit 20 fois moins que celui de la présente épizootie estimée au 20 mai 2001 (annexe 31 du rapport remis au Sénat le 31 mai 2001 document Rhône-Mérieux du 14-5-87 intitulé « pertes causées par la fièvre aphteuse et incidences économiques ».Il n'avait rien coûté aux contribuables français puisqu'à cette époque, la Grande Bretagne ne faisait pas partie de la Communauté Européenne. Depuis plusieurs années déjà la Commission des Communautés Européennes et les Pays du Nord de l'Union Européenne exercent de fortes pressions sur les autres pays de l'Union Européenne pour que le budget de la P.A.C.( politique agricole commune) soit diminué. Face à cette situation, les Autorités Françaises doivent empêcher la poursuite d'une politique de lutte contre la fièvre aphteuse dont le coût risque de compromettre la P.A.C. et est insupportable tant pour les finances publiques françaises que pour les contribuables de notre pays.

M. Philippe Arnaud, président - Messieurs, je vous remercie pour ces interventions. Je laisse la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Lorsqu'un nouveau virus surgit, comment pouvons-nous réagir en matière de vaccination ?

M. Moreau - La vaccination de routine, effectuée annuellement, permet de bénéficier chez les animaux d'une immunité très satisfaisante. Autrement dit, l'animal résiste face à l'apparition de sous-types de virus.

Si un virus d'un type nouveau apparaît, les animaux ne résisteront pas. Il faut donc se protéger face à ces virus qui sont susceptibles d'apparaître en Afrique ou en Asie.

M. Gilbert - Nous pouvons prendre l'exemple de la grippe. Certains laboratoires suivent l'apparition des différents virus de la grippe dans le monde, et essaient de prévoir les souches qui seront utilisées pour une campagne. Autrefois, nous disposions d'un système qui permettait de suivre de très près les apparitions de virus. Nous pouvions ainsi anticiper les campagnes de vaccination. Incontestablement, nous devrions revoir notre dispositif épidémiologique.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - On nous a dit qu'il ne servait à rien de ne vacciner que les bovins, dans la mesure où les porcins sont les plus grands porteurs du virus. Or vous nous dites que la vaccination des bovins permet d'atteindre une certaine sécurité immunitaire. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Moreau - Je vous parle par expérience. Lorsque nous ne vaccinions que les bovins en France, le nombre de cas de fièvre aphteuse était pour le moins limité dans les autres espèces. En ce sens, la vaccination des bovins permet de limiter considérablement la circulation virale.

M. Gilbert - Monsieur le Sénateur, nous vous enverrons la fin de notre rapport dans quelques jours.

Personnellement, je peux vous raconter l'expérience que j'ai vécue en Union soviétique, dont la taille est 42 fois supérieure à la France. A partir du moment où nous avons vacciné les bovins, la fièvre aphteuse s'est effondrée. Les porcins constituent évidemment des sujets sensibles à cette maladie, mais ils voyagent beaucoup moins que les bovins.

Il est clair que nous ne pouvons pas vacciner tous les animaux d'un pays. Mais l'expérience montre que la vaccination de 80 % des sujets d'une population sensible entraîne un effondrement de l'épidémie. Cela est vrai tant pour les animaux que pour les humains. Nous avons eu l'exemple de la rage : à partir du moment où les renards ont été vacciné contre la rage, l'épidémie a été éradiquée.

M. Philippe Arnaud, président - Avant de donner la parole à Monsieur Braye, je souhaiterais vous poser une question. Les vaccins des laboratoires Mérial sont-ils ou non « délétés » ?

M. Moreau - Ils ne sont pas marqués. Ce sont des vaccins dits hyperpurifiés, où l'on a fait disparaître les fameuses protéines non-structurales grâce à la chromatographie. Leur efficacité est aussi bonne que celle des vaccins « délétés ».

M. Philippe Arnaud, président - Si je comprends bien, ils ne sont pas porteurs de marques, mais ils sont décelables ou détectables.

M. Moreau - C'est tout à fait cela.

M. Gilbert - Une société hollandaise « INTERNET » va prochainement sortir un nouveau test qui permettra de différencier les anticorps des animaux vaccinés et les anticorps des animaux qui sont en contact avec le virus de la fièvre aphteuse.

M. Moreau - Je comprends pourquoi vous faites allusion à cette question, Monsieur le Président. En effet, pour d'autres maladies, il existe aujourd'hui des vaccins dits « délétés ». Cela permet de faire la différence entre l'infection et le vaccin. Pour effectuer la délétion, on travaille directement sur le génome du virus. On code une protéine qui est susceptible ensuite de produire les anticorps. Les laboratoires Mérial, quant à eux, purifient le virus en éliminant les protéines non-structurales qui, chez l'animal, font la maladie. Au bout du compte, le résultat est le même.

M. Dominique Braye - Lorsque je vous écoute, je remarque que toute votre vie professionnelle a été consacrée à la vaccination contre la fièvre aphteuse. Vous n'êtes donc pas forcément les mieux placés pour dire s'il faut promouvoir ou non cette vaccination. Franchement, j'ai l'impression de revivre la discussion que nous avons eue en 1991 au sein de la profession vétérinaire. A mon avis, les deux cas que nous avons connus récemment ne sont pas déterminants par rapport à la décision qui a été prise en 1991. Ceux qui étaient opposés à l'arrêt de la vaccination en 1991 trouvent dans la récente épizootie les arguments optimums qui appuient leur position. En outre, à l'époque, les laboratoires Mérieux disposaient d'un formidable réseau de surveillance épidémiologique au niveau mondial permettant de détecter, en amont, les éventuelles épidémies susceptibles de se propager en Europe et en France.

M. Moreau - La situation géopolitique a été énormément modifiée depuis 1991. Vis-à-vis d'une maladie qui est la plus contagieuse du règne animal, j'estime que la situation est beaucoup plus fragile aujourd'hui que dix ans auparavant. En outre, il est évident que la surveillance souffre d'un réel sous-équipement. Enfin, je vous rappelle que les autorités françaises elles-mêmes estiment que nous avons eu de la chance : en effet, nous aurions parfaitement pu connaître une situation similaire à celle qui a concerné la Grande-Bretagne.

M. Dominique Braye - Je ne peux pas vous laisser dire cela. L'importance du troupeau anglais, avec 50 millions de moutons répartis de manière diffuse, et les modes de commercialisation constituent des éléments permettant de dire de manière claire que nous ne pouvions pas connaître une situation similaire. Certes, elle aurait pu être pire, mais toutes les personnes que nous avons entendues nous ont dit que cette épizootie n'aurait de toute façon pas pu être comparable. Par exemple, nos marchés à bestiaux ne sont pas de la même taille, et peu d'animaux repartent dans les exploitations.

Si nous sommes d'accord pour dire que la vaccination présente peu d'inconvénients, il est néanmoins évident que certains de nos partenaires économiques attendent que nous vaccinions pour nous annoncer qu'ils ne veulent plus de nos produits. En ce sens, vacciner 80 % des animaux qui partent à l'exportation peut constituer une décision dramatique. Certaines productions, le poulet et le cochon tout particulièrement, pourraient souffrir d'une campagne de vaccination contre la fièvre aphteuse qui concernerait d'autres espèces.

Je suis persuadé que certains pays s'intéressent peu aux aspects scientifiques de la vaccination. Même s'il est avéré que la vaccination ne comporte aucune nocivité, ces pays ne voudront plus de nos produits si certains animaux sont vaccinés. C'est bien pourquoi je crois que nous devons nous interroger sur les conséquences économiques pour notre pays de relancer une campagne de vaccination massive par rapport aux échanges internationaux.

M. Gilbert - Monsieur le Sénateur, vous êtes comme moi lecteur des Dépêches vétérinaires. Récemment, ce journal a annoncé que le marché des produits vétérinaires a représenté plus de cinq milliards de francs en 2000 en France. Les vaccins représentent environ 18 % de ce chiffre d'affaires, et leur part va en augmentant. Vous avez évoqué, tout à l'heure, les vaccins délétés. Entre nous, parmi les 35 ou les 40 vaccins utilisés pour les animaux domestiques, seuls cinq ou six sont « délétés ». Et les autres ? Pour les autres vaccins non délétés, le problème des anticorps n'est pas soulevé. Je crois que le problème réside dans la question de la vulgarisation des connaissances. En effet, nos partenaires ne sont pas stupides, et ils peuvent comprendre que la situation a évolué. Mais nous devons leur expliquer les enjeux d'une campagne de vaccination.

M. Dominique Braye - Je ne crois pas que le problème se situe sur ce plan. Les vaccins « délétés » permettent de dire aux pays qui sont rétifs à l'idée même de vaccination que les animaux que nous exportons sont vaccinés, mais ils n'ont jamais été en contact avec le virus. Ils ne peuvent donc pas le transporter et être à l'origine de l'apparition de la maladie chez eux.

M. Gilbert - Effectivement, nous pouvons avancer de tels arguments.

M. Dominique Braye - Encore faut-il ensuite savoir pourquoi nous n'arrivons pas à faire admettre ces notions au niveau international. C'est bien ce que nous a demandé Monsieur Lombard tout à l'heure. Nous devrions en effet créer des catégories différentes :

- les pays indemnes sans vaccination ;

- les pays indemnes avec vaccination et pratique de la sérologie ;

- les pays infectés.

M. Gilbert - C'est pour cela que nous mettons, dans notre proposition de stratégie, une discussion au niveau de la Commission du Code. Lorsque nous avons préparé le dossier que nous vous avons soumis aujourd'hui, nous avons fait attention à bien argumenter nos idées. Vous pouvez vous référer aux annexes de ce dossier, qui étayent largement notre démonstration.

M. Dominique Braye - A ce sujet, je tiens à dire que je suis surpris et admiratif devant l'ampleur du travail que vous avez accompli pour notre mission.

M. Gilbert - Si vous ne nous découragez pas, nous pourrons encore vous transmettre quatre ou cinq pages, consacrée à l'Union européenne.

M. Dominique Braye - Loin de vous décourager, nous vous encourageons tous au contraire dans votre travail.

M. Gilbert - Monsieur le Sénateur, la plupart de nos confrères ont perdu la mémoire de la fièvre aphteuse. Demandez à nos jeunes collègues du Ministère de l'agriculture de ressortir des articles vieux de 30 ans. Vous risquez vraiment de les mettre dans une situation difficile.

M. Philippe Arnaud, président - Messieurs, merci de votre contribution.

30. Audition de Jacques Lemaitre, Président de la Fédération Nationale Porcine

M. Philippe Arnaud, président - Je vous propose de nous présenter votre analyse de l'épizootie que nous venons de traverser, de nous indiquer, pour ce qui vous concerne et qui concerne votre Fédération, ce qui a été positif et négatif, tant dans les mesures nationales qu'européennes. Nous pourrons par la suite en tirer des conclusions et des propositions. La maladie de la fièvre aphteuse est hautement contagieuse et, par les échanges et les déplacements des personnes, des biens et des animaux qui se multiplient, nous sommes en permanence à la veille d'autres crises.

M. Jacques Lemaitre - Dressons un bilan de notre secteur durant cette période de crise. A l'origine, le secteur porcin n'était pas concerné par cette maladie, à la différence du secteur ovin, avant que la maladie ne vienne frapper toutes les espèces animales confondues. Nous avons été interpellés par l'embargo instauré et par ses conséquences. Nos services ont envoyé, à cet égard, au Sénat, quatre pages qui sont une estimation des surcoûts liés à la fièvre aphteuse pour nos producteurs et qui énumèrent les conséquences indirectes occasionnées par l'embargo.

Nous avons incité les pouvoirs publics français à prendre des mesures de restriction concernant les mouvements des animaux. Lorsque les foyers ont été détectés et que les périmètres de circulation ont été dessinés, tout animal s'est trouvé concerné par ces mesures à partir du moment où il entrait dans ledit périmètre. Ainsi, nous avons tout d'abord estimé les surcoûts liés au transport des animaux. En effet, les pouvoirs publics ont en premier lieu interdit le déplacement des porcelets entre exploitations, puisque les mouvements d'animaux de fermes à fermes étaient interdits. N'étaient autorisés que les mouvements d'animaux de ferme vers l'abattoir, sous certaines conditions et dans les départements qui n'entraient pas dans les périmètres dessinés autour de foyers détectés. Dans les autres départements, la circulation des animaux était interdite. Dans notre secteur, les conduites d'élevage actuelles ne permettent pas de stocker des animaux plus de quelques jours. Lorsque les animaux sont prêts à se rendre à l'abattoir et qu'ils sont arrivés au terme de leur engraissement, ils doivent être remplacés par d'autres animaux. Leurs places doivent être libérées. L'obligation d'envoyer nos animaux à l'abattoir a donc généré des surcoûts. Un camion qui peut transporter 250 porcs, soit l'équivalent de trois ou quatre élevages, ne pouvait plus transporter qu'une quarantaine de porcs environ. Un semi-remorque effectue environ deux tours au cours de la nuit, commençant à 17 heures son travail et le terminant à minuit à l'abattoir. Le chauffeur désinfecte alors son camion et repart pour effectuer un nouveau chargement, qu'il emmène à l'abattoir vers 6 heures du matin. Une telle méthode de travail lui permet de transporter 500 porcs dans la nuit. Or, par l'intermédiaire des mesures édictées par les pouvoirs publics, il n'avait le droit de transporter que 40 porcs par lot, ce qui représentait, au cours d'une nuit, un total de 80 porcs.

En ce qui concerne les porcelets, les transactions sont nombreuses entre les naisseurs, qui produisent les animaux, et les engraisseurs. Or les mesures prises durant l'embargo ont interdit le déplacement des porcelets vers les abattoirs, ce qui signifie que les porcelets restaient sur place. Je vous rappelle que, dans notre système de production actuel, nous ne pouvons pas garder les animaux dans une exploitation au-delà d'un certain temps.

Pour ce qui a trait aux reproducteurs, 95 % de l'organisation porcine française induit un renouvellement du cheptel de 40 à 50 % par an. Les animaux sont renouvelés par de nouveaux animaux. Cette organisation pyramidale se fonde sur les sélectionneurs, les multiplicateurs et les producteurs. Par conséquent, nos producteurs ont besoin d'un renouvellement de leur cheptel. Durant l'embargo, les multiplicateurs ne pouvaient plus vendre leurs animaux alors que ces derniers étaient prêts à se rendre dans d'autres élevages. Suite à la déclaration des cas de fièvre aphteuse et du jour au lendemain, un multiplicateur s'est vu interdire de commercialiser ces bêtes, dont une partie a été, par voie de conséquence, envoyée à l'abattoir.

Vous en tirez aussi bien la conclusion que moi. Si nous n'étions pas directement concernés par l'épidémie de fièvre aphteuse, nous nous sommes vus impliqués par ces contraintes issues essentiellement au transport de ferme à ferme. Ce premier volet a été estimé à un surcoût de 9 millions de francs environ. L'enquête a été menée avec suffisamment de sérieux pour que l'estimation soit très précise. En outre, la particularité du secteur génétique et l'interdiction de commercialiser des animaux de reproduction a porté de surcoût à un total de 21 millions de francs au global.

Il n'en demeure pas moins que le bilan que je vous présente aujourd'hui ne prend pas en considération un certain nombre de paramètres, que sont par exemple les abattages préventifs effectués dans le département de la Mayenne ou dans le couloir rhodanien à l'égard de porcelets, ces abattages ayant pourtant été expertisés. Ces abattages ont été réalisés par précaution, car le porc est un animal qui sécrète lorsqu'il se trouve atteint de fièvre aphteuse. Une telle mesure était par conséquent nécessaire. Les 21 millions de francs ne tiennent pas compte de ces mesures draconiennes d'abattage préventif. A titre d'exemple, l'abattage des animaux de Monsieur Marie, dans la Mayenne, soit 180 truies abattues au nom du principe de précaution, a été expertisé par les centres de gestion et validé par les services vétérinaires pour un montant de 3,5 millions de francs de dommages.

Les éleveurs ont tous touché des indemnités. Je profite de ce point pour marquer notre inquiétude auprès de votre commission d'information. L'indemnisation reçue a été effectuée à hauteur de leur préjudice. Néanmoins, les éleveurs vont se trouver confrontés à un problème fiscal l'année prochaine, comme nous l'avons indiqué au bureau de la Fédération. Les sommes allouées aux éleveurs sont destinées à indemniser la perte d'exploitation. Néanmoins, les éleveurs doivent recomposer leurs cheptels et rembourser les divers emprunts qu'ils ont pu contracter auprès des établissements bancaires. L'année prochaine, un jeune éleveur se retrouvera à déclarer au fisc une somme de 3,5 millions de francs, ce qui nous embarrasse réellement. En outre, le revenu agricole sert de base au calcul pour la MSA. Les conséquences ne sont par conséquent pas des moindres. Un jeune éleveur que j'ai rencontré m'a indiqué qu'il s'est retrouvé dans un périmètre impliqué dans l'embargo et qu'il a joué le jeu, au nom de la solidarité nationale, de l'abattage préventif pour éviter la propagation de la maladie. Or il se retrouve du jour au lendemain avec des problèmes qu'il n'aurait pas soupçonnés auparavant par rapport au fisc et à la MSA.

De plus, les restrictions de diffusion de semences n'ont pas été prises en considération durant toute la période d'embargo. Ces restrictions n'ont pas fait l'objet d'expertise en matière de surcoût. Par ailleurs, des porcelets ont été abattus dans le couloir rhodanien, au sein duquel 2,5 millions de porcs sont produits chaque année, grâce aux porcelets qui viennent de Hollande et d'Allemagne. Les pertes d'exploitation ont été considérables, sachant que les producteurs doivent parallèlement à l'embargo, assumer les charges de leurs bâtiments.

Enfin, mais les auditions que vous avez déjà organisées ou que vous allez organiser auprès des personnes qui travaillent en aval de la filière, nous sommes directement concernés par les conséquences de l'embargo sur nos exportations. N'oublions pas que le secteur porcin s'organise pour qu'une partie de sa production (environ 15 % de la production nationale) puisse s'exporter sur trois marchés principaux : les longes, la poitrine et la saucisserie. La Russie représente, pour certaines entreprises de saucisserie, jusqu'à 40 % du chiffre d'affaires. La Corée apprécie, quant à elle, la poitrine tandis que le Japon préfère les carrés de porcs, donc la longe. Or il a trop souvent été considéré qu'il s'agissait de marchés de dégagement. Je réaffirme que, pour un grand nombre d'entreprises et pour la production française, l'exportation est surtout un marché de valeur ajoutée. Une privation d'exportation présente donc des conséquences sur le prix de la carcasse. Lors de la courbe optimale de l'embargo, le kilo a vu son prix baisser rapidement d'1,74 franc. D'aucuns auraient pu croire que nous pouvions en profiter par rapport à nos concurrents, mais tel n'a pas été le cas, puisque les marchés étrangers se sont fermés et nos concurrents en ont profité pour accentuer leur « protectionnisme ». Les pays étrangers cités n'avaient pourtant aucune raison de craindre une augmentation de la maladie. Danemark exporte 4 porcs sur 5 de son pays, puisque sa production est excédentaire de 500 %. Ce qui revient à dire que lorsqu'il n'exporte plus, il se voit dans l'obligation de dépoter sa marchandise sur l'Europe. Je reviens à nos trois marchés stratégiques. Nous sommes excédentaires depuis une dizaine d'années et les grandes entreprises d'abattage et de salaison ont réussi à s'y implanter en prenant des parts de marché sur leurs concurrents danois et canadiens. Nos plus-values sont extrêmement intéressantes.

Or des containers de marchandise étaient déjà rendus sur place, des containers étaient encore flottants et des containers se trouvaient en préparation lors de l'embargo. Je suis président du secteur porcin à l'OFIVAL et j'ai organisé une réunion du club des quinze exportateurs français. Nous y avions expertisé, en pleine crise, une moins-value considérable, les pays importateurs refusant l'entrée de nos containers sur leur territoire. Les pertes se sont chiffrées à 100 millions de francs pour 200 containers. Je tenais à le signaler et m'engage à vous transmettre les chiffres de Monsieur Rouche, professionnel de l'aval de la filière. Ses chiffres seront sans doute plus fiables que les miens en la matière.

Vous vous apercevez, par mes propos, que l'embargo a entraîné des conséquences directes sur nos marchés. Lorsque les exportations ont été réduites, voire supprimés, le marché français s'est brutalement vu engorgé et le prix du kilo a diminué, au mois de mars, d'1,74 franc, baisse que nous ne parvenons toujours pas à rattraper.

Ainsi, le secteur porcin n'était pas directement concerné par l'épizootie de fièvre aphteuse et s'est néanmoins retrouvé ultérieurement impliqué dans la crise. Sortant avec peine d'une crise de deux années consécutives, il n'en avait vraiment pas besoin !

M. Philippe Arnaud, président - Votre intervention s'est centrée sur les effets économiques de la crise dans votre secteur ainsi que sur les indemnités reçues par les éleveurs. Estimez-vous que les mesures sanitaires qui ont été prononcées et appliquées ont été efficaces ?

M. Jacques Lemaitre - Nous devions partir d'un constat et nous pouvons maintenant aborder des considérations de tous ordres et revenir sur les discussions qui ont eu lieu durant la crise, par rapport au rôle des services sanitaires français et par rapport à la vaccination.

Pour tirer un bilan de l'efficacité montrée par les pouvoirs publics pour gérer la crise, toute la profession porcine et, de manière plus générale, toute l'agriculture, estiment qu'ils ont mis en oeuvre des moyens à la hauteur des enjeux. Le Gouvernement, au nom du principe de précaution et pour éviter propagation, a fait preuve d'une organisation et d'une rigueur exemplaires. Nous en avions déjà conscience. Aujourd'hui, il n'est de secret pour personne que l'organisation sanitaire et vétérinaire française est la mieux organisée en Europe et peut-être au niveau mondial, ce qui n'est pas le cas en Angleterre ou dans d'autres pays. Elle assure en effet un véritable maillage sur le terrain. Il est vrai que les mesures d'abattage préventif et leurs « victimes », c'est-à-dire les éleveurs dans les périmètres concernés, peuvent choquer les consciences. Certaines images ont en effet été très fortes. J'ai fait partie de la commission fièvre aphteuse organisée par au Ministère de l'Agriculture tous les jeudis après-midi. L'interdiction par les préfets du survol médiatique des fermes était un point qui est souvent revenu à l'ordre du jour de ces réunions, pour faire disparaître toute tentation de voyeurisme et de diffusion d'images spectaculaires. Il fallait surtout respecter l'honneur et la douleur des éleveurs concernés par les abattages.

M. Philippe Arnaud, président - Vous considérez par conséquent que les moyens mis en oeuvre ont été à la hauteur des enjeux et que les mesures prises ont permis d'éviter le pire. Si la crise française avait été de même ampleur qu'en Grande-Bretagne, nécessitant des abattages intensifs, la constitution de charniers, sous les feux des médias, votre réponse serait-elle identique ?

M. Jacques Lemaitre - Si nous n'avons pas connu la même situation que les Anglais, c'est parce que leur situation était autre que la nôtre. Nous avons quant à nous pris conscience de l'existence de la maladie lorsque l'on nous a annoncé, lors du Salon de l'Agriculture et en présence des médias et de notre Ministre de l'Agriculture, qu'un foyer avait été découvert en Grande-Bretagne. Trois jours après, nous avons appris que ces foyers étaient au nombre de 20 à 50 foyers. Ce n'est pas par hasard, à mon avis, que leur développement et leur multiplication a connu une telle rapidité. Les autorités de Bruxelles pourront nous le confirmer lorsque leur enquête sera achevée. En effet, un certain délai s'est écoulé entre le premier cas décelé et sa déclaration au comité permanent. Par l'inorganisation et démantèlement des services vétérinaires de proximité dans ce pays, le temps de réponse à élaborer des mesures réactives et leur manque de moyens ont permis de propager la maladie. En France, lorsque deux cas ont été déclarés, des mesures ont été immédiatement prises pour instaurer des périmètres et effectuer des abattages préventifs.

Je reste donc persuadé que la gestion de la crise n'a pas été effectuée dans le même esprit et avec les mêmes moyens. Au nom du principe de précaution, les mesures prises ont certes pu paraître un peu excessives. En tous les cas, elles ont permis d'éviter le pire.

M. Philippe Arnaud, président - Nous savons que la maladie est extrêmement contagieuse. Nous savons par ailleurs que les échanges internationaux entre personnes, biens alimentaires ou animaux se multiplient, ce qui est un vecteur de propagation de la fièvre aphteuse. Nous savons que le dispositif de prévention de la maladie repose sur des mesures sanitaires et sur un suivi. Qui dit développement d'échanges économiques et des réglementations dit développement des fraudes, même si ces dernières se trouvent limitées. Imaginons le cas d'importations frauduleuses porteuses du virus. Quelle que soit la qualité du maillage français, les foyers se seraient révélés partout en France. Quel est le seuil de tolérance ?

M. Jacques Lemaitre - Prenons l'exemple des moutons. Leur problème est complexe car il correspond à un moment précis où la France présente un réel besoin de moutons. Ces derniers sont par conséquent importés de pays dont nous ignorons les méthodes de contrôle sanitaire. J'en conclus à la nécessaire harmonisation des règles communautaires en la matière. Ce sujet mériterait de plus amples débats.

Dès que les moutons sont parvenus sur le sol français, l'importateur doit les déclarer au service vétérinaire de son département. Le fraudeur ne les déclare pas, par définition. C'est ce qui s'est passé par rapport aux importations anglaises. Or la consommation foraine du mouton est très forte, particulièrement au cours de certaines fêtes religieuses. Même si une telle consommation ne présente aucun danger de contamination de l'homme, les risques de propagation de la maladie sont évidents.

Une des leçons à en tirer, c'est qu'il faut, en France, reprendre de l'assurance en instaurant une procédure précise et claire d'introduction et d'identification des animaux. Tel est déjà le cas pour les secteurs bovin et porcin. Le système est fiable, même s'il demande encore à être amélioré. Un effort doit être fourni dans le secteur ovin pour élaborer un système équivalent d'identification. En effet, ne nous leurrons pas : la crise que nous venons de traverser se reproduira un jour, parce que les commandes de communautés religieuses sont importantes, etc. Quoi qu'il en soit et quel que soit le système qui sera mis en place, les fraudes ne seront jamais évitées. La notion de risque-zéro n'existe pas.

M. Philippe Arnaud, président - Quel est le seuil de tolérance, aujourd'hui ?

M. Jacques Lemaitre - Nous sommes prêts à jouer le jeu et nous l'acceptons. Vous aurez remarqué que nos éleveurs n'ont jamais manifesté, estimant qu'il fallait respecter le principe de précaution et accepter les mesures rigoureuses mises en place pour éviter la propagation de la maladie. Nous avons participé à la cellule fièvre aphteuse constituée au sein du Ministère, avons participé à ses travaux et avons informé des évènements, au jour le jour, tous les professionnels des raisons qu'avaient les pouvoirs publics de mettre en place de telles mesures.

M. Philippe Arnaud, président - Votre réponse est-elle uniquement liée à l'intérêt économique de la filière porc par rapport à la réglementation actuelle ? Votre attitude serait-elle aussi tranchée si de nouvelles modalités vaccinales étaient mises en oeuvre et si la réglementation sanitaire et vétérinaire internationale intégrait des mesures européennes et n'affectait pas l'exportation des porcs ?

M. Jacques Lemaitre - Lorsque nous sommes victimes d'une épizootie, la question de la pertinence des vaccins est récurrente. Deux aspects sont à considérer. Au niveau des mesures réglementaires, il ne faut pas oublier qu'instaurer un vaccin obligatoire de la fièvre aphteuse reviendrait, pour la France et pour l'Europe, à se priver de leurs marchés à l'exportation. Or la France ne peut s'en priver.

M. Philippe Arnaud, président - La France se priverait de marchés à l'exportation. Que pensez-vous, dans ces conditions, de l'importation en Europe de viandes bovines vaccinées issues de pays dans lesquels la fièvre aphteuse est endémique ?

M. Jacques Lemaitre - Il s'agit de l'importation de carcasses d'animaux, qui ne sécrètent pas.

M. Philippe Arnaud, président - Le porc exporté sur vos marchés est, par définition, mort.

M. Jacques Lemaitre - Je reviens au cadre réglementaire. Les protocoles d'accords sanitaires conclus entre les pays comportent une partie scientifique et objective ainsi qu'une partie subjective qui permet aux pays, de manière plus ou moins détournée, de revigorer un certain esprit protectionniste. La France n'y fait, de son côté, pas appel, ce qui est à son honneur. Aujourd'hui, une vaccination obligatoire et générale nous empêcherait d'exporter sur certains pays qui nous sont pourtant indispensables dans le maintien de notre activité économique.

Je trouve anormal que certains pays puissent exporter en France de la viande vaccinée. Si ce point est confirmé par les enquêtes en cours, les pouvoirs publics devront prendre leurs dispositions et leurs responsabilités pour mettre fin à cette pratique. J'en profite pour signaler que certaines anomalies du même ordre ont été constatées durant l'embargo. Nous n'avions plus le droit d'envoyer les animaux de certains élevages vers les abattoirs de leur département, sans suivre une procédure administrative extrêmement lourde. Or, parallèlement, ces abattoirs, privés des animaux français, recevaient des animaux en provenance de l'Allemagne, ce qui n'est pas non plus normal.

Pour revenir à la vaccination, cette dernière nous ferait perdre des marchés indispensables au niveau économique. En outre, sur un plan scientifique, la vaccination ne nous permet pas de distinguer, par la suite, l'animal sain de l'animal contaminé mais protégé par le vaccin. Ainsi, faire circuler des animaux vaccinés considérés comme sains revient aussi à faire circuler, sans que nous le sachions avec précision, la maladie.

Vacciner le cheptel est une mesure louable destinée à protéger le cheptel. Néanmoins, nous traversons une période dans laquelle l'opinion publique donne sa faveur à un plus grand respect des animaux et de l'agriculture. Une vaccination totale serait considérée comme une mesure allant à l'encontre du consommateur.

M. Philippe Arnaud, président - Disposez-vous d'une analyse concrète, dans votre secteur du moins, de l'attente des consommateurs ?

Il est vrai que le consommateur cherche à consommer les produits les plus sains possible. Pourtant, la vaccination n'a rien de malsain. Nous serons d'ailleurs en mesure de démontrer que l'idée permettant d'indiquer que les vaccins ne permettent pas de distinguer un animal sain d'un animal atteint par la maladie est inexacte. Les laboratoires disposent d'éléments scientifiques permettant de prouver le contraire.

Imaginons la situation dans laquelle les consommateurs ne peuvent supporter les charniers et les abattages massifs et dans laquelle les réglementations internationales du commerce font l'objet d'évolutions et de modifications permettant aux problèmes d'exportation de disparaître. La profession porcine évoluerait-elle en conséquence ? Votre proposition se fonde sur un élément économique et sur la fermeture des frontières.

M. Jacques Lemaitre - Je vous signale que nous insistons énormément, aujourd'hui, sur la nécessité des vaccinations pour de nombreuses maladies d'élevage, comme la grippe. Que demain, un vaccin supplémentaire soit rendu obligatoire (son coût et l'organisation de la vaccination étant alors à étudier au sein de la filière) n'est pas gênant à partir du moment où il ne perturbe nos échanges commerciaux et où il apporte une réponse au consommateur qui s'irrite des images qu'il a vues.

M. Philippe Arnaud, président - La prévention se fonde sur un intérêt économique.

M. Jacques Lemaitre - Je connais les éleveurs victimes d'un abattage massif de leur cheptel en quelques heures. Ils auraient préféré la mise en oeuvre d'une autre solution, en tous les cas moins traumatisante sur un plan psychologique. Ce traumatisme n'a jamais été évalué. Certains éleveurs ne s'en remettront jamais, car ils aiment leur cheptel et n'aiment pas le voir être décimé en quelques heures. Nous sommes favorables à l'instauration de systèmes qui ne perturbent pas les échanges commerciaux et protègent le cheptel. La vaccination est un sujet qui n'a eu de cesse d'être discuté au comité vétérinaire permanent. Or ce sont les Anglais eux-mêmes qui ont refusé cette vaccination généralisée car ils avaient conscience de ses conséquences négatives sur un plan économique.

Si vous êtes en mesure de faire évoluer la législation européenne et internationale, nous y serons favorables.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie et vous invite à nous communiquer les données chiffrées de Monsieur Rouche.

31. Audition de Vincent Perrot, Directeur Scientifique de la Consommation, du Logement et du Cadre de Vie

M. Vincent Perrot - Le sentiment ressenti chez les consommateurs et les citoyens exprime plus un dégoût par rapport à la nourriture produite pour rien et les images fortes diffusées à la télévision, assez insupportables. Tel a été le premier sentiment exprimé par les consommateurs. En discutant, par la suite, avec des éleveurs expérimentés, nous nous sommes rendus comte que la maladie de la fièvre aphteuse est une maladie ancienne, qui ne donnait pas lieu à des abattages massifs. Une telle différence a incité les citoyens consommateurs à réfléchir sur la manière dont la crise récente a été gérée. Un vaccin a été trouvé puis généralisé, puis sa production a été arrêtée parce que les professionnels ont considéré que l'Union Européenne avait réussi à éradiquer la maladie et que la vaccination était coûteuse, notamment pour les porcs et les ovins. En outre, sur un plan scientifique, existait un problème d'anticorps communs à la maladie et au vaccin. Lorsqu'un animal est vacciné, il n'est plus possible de savoir s'il a été au contact de la maladie ou si ses anticorps sont le fait du vaccin. Enfin, la vaccination a rendu impossible l'exportation vers des pays tiers des carcasses et des animaux.

Payer pour une Politique Agricole Commune (PAC) qui se préoccupe avant tout de sa production à destination du marché extérieur ne paraît pas normal au contribuable que je suis. La PAC doit s'occuper, en priorité, de produire pour le marché intérieur pour répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens à l'intérieur de l'Union, avant de répondre à celles du marché extérieur à l'Union.

M. Philippe Arnaud, président - La production agricole et alimentaire européenne doit-elle se limiter aux besoins de l'Union ?

M. Vincent Perrot - Non. Nous sommes d'accord pour qu'il soit instauré une gestion du territoire de l'Union équilibrée, pour que des subventions soient allouées aux producteurs, mais dans des conditions qui ne négligent pas le consommateur européen et l'environnement. L'exportation des surplus n'est pas notre problème. Néanmoins, nous considérons que la PAC ne répond pas à toutes les attentes du consommateur européen, tant en matière de sécurité alimentaire et de qualité des produits qu'en matière de défense de l'environnement (problème des pesticides, des insecticides, des nitrates, etc.). Je vous rappelle qu'à cet égard, les consommateurs paient une contribution beaucoup plus élevée que celle des éleveurs pour lutter contre la pollution de l'eau notamment et subissent également les conséquences des mesures prises pour endiguer la maladie de fièvre aphteuse. Le prix de l'agneau a augmenté en raison de l'interdiction des exportations, de l'insuffisance de la production nationale et de l'absence de vaccination.

La CLCV pense qu'à partir du moment où la mondialisation existe, où les transports aériens existent et permettent de faciliter le franchissement des frontières, il est illusoire de considérer qu'une région telle que l'Union Européenne restera indemne de toute maladie infectieuse. Tant que la fièvre aphteuse subsistera dans certains pays qui commerce avec l'Union, le risque d'épizootie persistera.

Nous nous prononcerions par conséquent pour une vaccination de tous les animaux, en commençant par établir une vaccination des bovins, avant de réfléchir à celle des porcins et des ovins, pour un coût comparable et payé par la PAC. En effet, le coût d'une vaccination générale sera, de toutes les façons, inférieur au coût de la destruction préventive de milliers d'animaux. Il est également nécessaire de reprendre les recherches afin de trouver un vaccin qui permette de faire la distinction entre les animaux vaccinés et sains, et ceux qui ont été au contact de la maladie. A ce propos, il semblerait que certains vaccins existeraient et seraient capables de faire cette distinction. L'écueil constitué par une absence différentiation disparaîtrait donc. La commercialisation de tels vaccins permettrait de ne pas recourir aux abattages massifs.

Il ne faut pas négliger, par ailleurs, le problème posé par le redéploiement des élevages. Certaines régions de l'Union se sont spécialisées dans l'élevage. C'est notamment le cas de la Bretagne. En cas d'épidémie ou de germe, la propagation de l'épidémie s'intensifie rapidement à l'intérieur de la région, du fait de la densité des élevages dans la région. A titre d'exemple, la mortalité des jeunes poussins en Bretagne est plus forte qu'en Auvergne ou dans une autre région dont les élevages sont moins denses. Réfléchissons sur ce point. Le redéploiement des élevages ne doit, bien entendu, par nuire à l'environnement. Diminuer la densité à l'intérieur même des élevages est une autre mesure à prendre, pour ralentir la propagation des maladies et faciliter leur prévention et/ou leur traitement.

Un autre problème nous paraît important. Un grand nombre d'abattoirs ont disparu et c'est sans doute l'une des causes de la propagation rapide de la maladie de fièvre aphteuse en Angleterre. Réfléchissons par conséquent sur le nombre d'abattoirs à construire où à réhabiliter. Moins les abattoirs sont nombreux, plus les distances à parcourir pour y emmener les animaux sont importantes et plus le risque de propagation de la maladie est grand. Est-il possible de rajouter des unités qui soient conformes à la réglementation européenne, qui seraient viables et qui permettraient de limiter les transports ? Nous pourrions imaginer une telle solution pour empêcher la propagation des épidémies et parce que la préoccupation du bien-être animal devient de plus en plus présente dans l'opinion publique. En effet, le transport des animaux sur les longues distances est de moins en moins bien perçu.

Le système d'épidémio-surveillance n'est, par ailleurs, pas efficace ni dans l'Union Européenne ni dans le monde. Ainsi, entre le moment où l'animal tombe malade et l'instant où l'alerte est donnée, du temps s'est écoulé, qui a permis la propagation de la maladie. Interrogeons-nous sur l'efficacité du système à mettre en place notamment aux frontières de l'Union, tout en exigeant l'instauration d'un tel système au sein de tous les pays exportateurs d'animaux vers l'Union européenne.

Enfin, tous les animaux destinés à voyager doivent être munis d'un passeport. Les consommateurs sont en effet particulièrement attachés à leur traçabilité et à leur identification, depuis la crise de la vache folle. Cette identification devrait être instaurée chez tous les animaux. En effet, les efforts faits en France pour la traçabilité des ovins et des porcins bloquent à l'échelon de l'Union européenne.

Sur le plan des exportations et puisque la vaccination des animaux reste interdite par l'Union, le contribuable doit-il payer pour compenser les pertes relatives à l'exportation ? Nous pensons nécessaire d'instaurer une mutualisation des risques à l'exportation, qui permettrait de dissocier le marché intérieur et la demande des consommateurs des produits qui sont exportés et qui ne relèvent pas du contribuable et du consommateur européen.

L'impact sanitaire et environnemental de l'épidémie de fièvre aphteuse est encore difficile à évaluer. La France n'a pas été véritablement touchée mais nous pourrions fort bien imaginer que tel sera le cas demain. Que faire des carcasses incinérées à l'air libre et sans précautions véritables ? Qu'advient-il de des animaux atteints d'ESB lorsqu'ils sont brûlés et que le prion passe dans l'eau ou les sols ? Il ne s'agit pas d'une grande cause d'inquiétude pour nous, à la différence du stockage des farines animales. Pourtant, c'est une question de santé publique qui pose problème.

M. Philippe Arnaud, président - Les consommateurs seraient par conséquent prêts à acheter et à consommer de la viande vaccinée ?

M. Vincent Perrot - Nous pensons que les consommateurs ne sont pas inquiets pour leur santé du fait de la vaccination des animaux.

M. Philippe Arnaud, président - Les consommateurs cherchent depuis plusieurs années à s'alimenter de façon plus saine. Ainsi, des confusions sont souvent réalisées entre ce comportement et des produits qui seraient « aseptisés ». Ce qui explique ma question. Une politique de vaccination systématique ferait-elle fuir les consommateurs ?

M. Vincent Perrot - Nous ne le pensons pas. La fièvre aphteuse n'est pas véritablement dangereuse pour les êtres humains et les consommateurs ne font que réagir aux images choquantes dont ils ont été abreuvés durant la crise.

M. Philippe Arnaud, président - Je relève une contradiction dans vos propos et dans votre document. Vous indiquez que le contribuable européen ne doit pas payer pour les exportations et que le contribuable français n'a pas non plus à payer pour les pertes d'exploitation qui résulteraient d'une vaccination systématique. Le consommateur européen est-il prêt à payer le surcoût des matières des produits qu'il achètera, afin de réinstaurer un équilibre ? Nous savons qu'en matière économique, sauf à abandonner telle ou telle production, tout produit présente une valeur réelle. Soit le contribuable intervient pour faire diminuer le prix de vente, soit il achète le produit à un prix de vente supérieur.

M. Vincent Perrot - A quoi servent les aides ?

M. Philippe Arnaud, président - A faire diminuer le prix payé par le consommateur.

M. Vincent Perrot - Fort bien. Mais pour quelle qualité de produit ? Les demandes des consommateurs, portant à la fois sur les animaux et sur l'environnement, sont-elles prises en compte par les agriculteurs ? Nous considérons quant à nous que la PAC et que les subventions allouées ne profitent pas à tout le monde.

M. Philippe Arnaud, président - Attachons-nous à la crise de la fièvre aphteuse. Je vous signale une autre contradiction. Vous semblez indiquer que cette crise est une conséquence des élevages intensifs et productivistes ainsi que des exportations. Je crois que l'on peut, au contraire, rappeler que la maladie est ancienne, qu'il s'agit d'une maladie qui était endémique à l'époque où aucune concentration n'était réalisée. Nous reconnaissons aujourd'hui que cette concentration d'élevages permet de limiter la propagation du virus et d'intervenir plus efficacement si le virus est décelé. Telle est la différence entre la France et la Grande-Bretagne, au sein de laquelle les élevages sont extensifs et se développent sur de grandes étendues géographiques. Le seul problème que nous pourrions avoir dépend des zones de montagne, où il serait difficile d'identifier les animaux malades.

M. Vincent Perrot - Autrefois, la fièvre aphteuse était effectivement une maladie endémique, ce qui ne nous empêchait pas de consommer les animaux. Aucun problème n'existait pour les cnsommateurs. En ce qui concerne la densité et la concentration des élevages, une telle situation permet peut-être de limiter la propagation du virus. Néanmoins, elle oblige parallèlement à abattre beaucoup plus d'animaux et toute une région peut par conséquent se voir touchée en peu de temps.

M. Philippe Arnaud, président - Néanmoins, je persiste à indiquer que vos propres propos sont contradictoires.

M. Vincent Perrot - Je ne suis pas certains que nos raisonnements respectifs soient contradictoires.

Avons-nous besoin d'augmenter notre production de porcs, connaissant la concurrence qui fait rage entre la France, la Hollande et les Belges, ce qui entraîne à chaque fois des crises au sein de nos élevages porcins ? Une telle question est totalement liée à la crise d'épizootie de fièvre aphteuse. Plus les animaux sont nombreux, plus les bûchers sont importants. Les consommateurs s'interrogent alors sur la pertinence de produire et de développer des élevages qui soient aussi denses, d'autant plus que ces élevages ne correspondent nullement à leur exigence en matière de qualité.

Nous ne sommes pas contre le fait que les éleveurs gagnent leur vie en se fondant notamment sur les exportations de leurs animaux, à partir du moment où ils satisfont, en interne, la demande des consommateurs.

M. Philippe Arnaud, président - Les consommateurs seront-ils prêts à bannir les achats de produits importés fabriqués dans des pays dans lesquels les conditions de production, d'hygiène et de sécurité alimentaire ne correspondent pas à nos propres normes, ces produits étant néanmoins moins chers que les nôtres ? Les consommateurs sont-ils prêts à aider la production française et européenne à s'améliorer constamment ?

M. Vincent Perrot - Il existe une réglementation européenne relative à l'hygiène sanitaire des élevages. Nous souhaitons qu'elle soit appliquée quel que soit le produit et quelle que soit son origine. Quant aux conditions de production, la transparence et une politique d'étiquetage sont des demandes formulées par les associations de défense des consommateurs, pour que ces derniers puissent choisir en connaissance de cause. Je pense que ces demandes sont justes. Plus le consommateur est informé, plus il peut choisir en connaissance de cause son alimentation. Néanmoins, nous pensons qu'il est également nécessaire de ne pas faire augmenter le prix de la viande, même si le consommateur a désormais compris que les prix affichés ne peuvent descendre plus bas.

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie de votre contribution.

32. Audition d'Yves Cheneau, Chef du Service de la Santé Animale à la Food & Alimentation Organisation (FAO), et d'Yves Le Forban, Secrétaire à la commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse

M. Philippe Arnaud, président - Pouvez-nous nous décrire l'analyse que vous avez tirée de la crise de fièvre aphteuse que nous venons de connaître, en insistant sur la façon dont elle a été appréhendée au niveau national et européen. Pouvez-vous nous dire comment les réglementations en vigueur doivent évoluer, et être harmonisées? Des nouvelles mesures prophylactiques doivent-elles être élaborées? Quel est l'intérêt d'une vaccination généralisée ? Nous aimerions vous écouter sur ces différents points.

M Yves Cheneau - L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, dans son Département Agriculture, dispose d'un service de santé animale qui doit mettre en oeuvre des stratégies transfrontalières. A cet égard, nous suivons au jour le jour l'état de la situation de la maladie fièvre aphteuse dans le monde mais également en Europe. Elle s'est dotée en 1953 d'une commission de lutte contre la fièvre aphteuse et bénéficie de la contribution de la FAO.

La fièvre aphteuse doit être traitée comme un problème global et mondial, à l'image des déclarations qui ont été diffusées sur ce sujet par les médias. Si l'épizootie récente née en Grande-Bretagne et qui s'est ensuite propagée en France a attiré l'attention des médias sur ce problème, il n'en demeure pas moins que la fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde, qui n'est pas toujours traitée de manière adéquate dans certains pays.

Les stratégies à mettre en oeuvre sont différentes, selon que les pays touchés sont des pays développés ou des pays en voie de développement. Il a été, pour les premiers et dans l'Union Européenne, décidé d'arrêter la vaccination annuelle depuis 1990, décision fondée sur des études économiques et opérationnelles. En dehors de cette justification, la décision s'est fondée sur le principe de liberté du commerce et d'accès au commerce international, les vaccins induisant la possibilité que les animaux porteurs du virus ne puissent être identifiés et rendant alors impossible toute exportation. Le problème n'est pas seulement d'ordre économique, mais aussi d'ordre technologique.

Notre commission, qui aide ses 33 Etats membres a pu démontrer, par les faits, que les trois réintroductions du virus en Bulgarie, les deux réintroductions du virus en Grèce, la réintroduction massive en Italie en 1993 et l'infection dont ont souffert l'Albanie et d'autres pays d'Europe centrale, n'ont pas été dramatiques sur un plan économique. En d'autres termes, la politique d'abattage systématique organisée dès 1990 se justifiait. J'estime que nous pouvons même tirer la conclusion de la validité économique des choix effectués, sauf pour ce qui concerne la Grande-Bretagne. Ce pays supporte aujourd'hui des coûts intolérables en raison de l'épizootie dont elle a été frappée. La crise a ruiné, dans ce pays, tous les calculs économiques qui avaient été réalisés. Ainsi, faut-il revenir sur une stratégie qui, jusqu'à présent, s'était avérée être le bon choix économique (dans le fait de vacciner ou non et dans la possibilité d'exporter) ? Cette stratégie était la bonne, sauf pour la Grande-Bretagne. Sauf ce cas particulier, la carte de la distribution mondiale de la fièvre aphteuse montre une corrélation étroite entre le PNB et l'état sanitaire des pays : plus les pays sont riches, moins ils connaissent de foyers de fièvre aphteuse.

Qu'en est-il des pays en voie de développement? Le virus qui vient d'affecter l'Europe s'est développé dans le sous-continent indien en 1990, a contaminé la Turquie en 1996, avant d'affecter l'Europe ; cependant, il a également envahi l'autre côté de la planète en pénétrant au Japon et en Corée. Ces deux derniers pays ont bien maîtrisé la situation, alors que d'autres pays asiatiques ont éprouvé beaucoup de difficultés à endiguer la contagion. La nouvelle souche n'est pas extraordinaire en soi, puisque la fièvre aphteuse présente toujours des sous-types différents, ce qui rend d'ailleurs sa vaccination difficile. Si j'en réfère à la peste bovine, un seul vaccin suffit, ce qui n'est pas le cas pour la fièvre aphteuse. Ainsi, l'Asie du Sud Est connaît une situation d'endémie de la maladie, malgré les efforts fournis pour lutter contre sa propagation. La Chine est très largement contaminée par le virus aphteux. La FAO a réussi à y organiser une mission d'expert, il y a trois ans, ce qui a permit d'observer, d'analyser et de faire état de la situation de la maladie dans ce pays. C'est une première ouverture positive dans le sens de la lutte contre la maladie dans cette partie du monde, même si une seule personne ne suffit pas, avec une seule visite, pour couvrir tout le pays. Pourtant, les services vétérinaires de Chine semblent bien organisés puisque des documents de formation qui leur sont envoyés sont largement diffusés dans le pays. De manière générale, les projets actuellement mis en oeuvre en Asie pour lutter contre la maladie sont suspendus à l'état de la situation sanitaire de la Chine. Enfin, l'Amérique du Sud vient également de subir une recontamination.

La commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse que nous abritons, au sein de la FAO, a pour mission d'éviter l'introduction du virus venu du continent asiatique à travers la Turquie vers le continent européen. Nous disposons d'un fonds européen mis à disposition de la FAO il y a quelques années, qui porte sur un montant d'environ un million de dollars et qui sert à établir une zone tampon en Turquie. La commission européenne de lutte contre la fièvre aphteuse s'intéresse également à la situation de la fièvre aphteuse dans les pays mitoyens de l'Europe ainsi qu'à la région du Caucase.

M. Yves Leforban - Comme vient de l'indiquer Yves Cheneau, La Turquie a toujours été considérée, comme la porte d'entrée du virus en Europe, ce qui a été le cas à plusieurs reprises dans le passé. La Commission Européenne de Lutte contre la Fièvre Aphteuse a depuis toujours focalisé son activité dans cette zone, en mettant en place des zones tampons en particulier en Thrace, puisque le risque d'introduction du virus en Europe provient essentiellement de cette région. Nous continuons par conséquent de soutenir les efforts faits par la Turquie en la matière. En amont de la Turquie, la FAO intervient également en Iran. La France a aussi conclu un programme de coopération vétérinaire qui nous semble capital en la matière, l'Iran étant la plaque tournante du virus venant de l'Asie. Nous sommes par ailleurs intervenus à plusieurs reprises dans la région du Caucase, porte d'entrée possible du virus issu d'Asie centrale. Les Russes nous ont poussé à intervenir dans cette région car il n'avait plus les moyens d'y maintenir une zone tampon. Nous avons donc financé un programme de vaccination pour les pays de la région (Géorgie, Azerbaïdjan, Arménie) en 1999 et 2000. Ce programme n'a pas eu tous les résultats escomptés en l'absence d'organisation rigoureuse des Services Vétérinaires.

Ainsi, lorsque la maladie s'est déclarée en Angleterre notre Commission était déjà en état d'alerte, mais elle a en revanche été prise au dépourvu dans la mesure où la maladie se déclarait là où elle n'était pas vraiment attendue.

M. Philippe Arnaud, président - La FAO a-t-elle pu identifier les causes de cette apparition en Angleterre ?

M. Yves Leforban - Effectivement ces causes ont été analysées et sont désormais comprises. Je voudrais simplement dire que nous avons été très surpris de son apparition dans ce pays, notre Commission ayant orienté son action sur d'autres zones à risque. La Grande-Bretagne a toujours été considérée comme le modèle européen par la lutte contre la fièvre aphteuse, puisque le laboratoire de recherche FA le plus connu (Pirbright) se trouve situés sur son territoire et emploie les experts les plus réputés.

Pourquoi la maladie a-t-elle fait son apparition en Angleterre ? La presse a fait état, de l'intensification de l'élevage et du développement de nouvelles techniques d'élevage en les dénonçant. Je ne pense pas que cela en soient les raisons; la maladie existe depuis le Moyen- Age et je suis persuadé que l'introduction du virus et sa diffusion ne sont pas liées à l'intensification de l'élevage. En revanche les mouvements internationaux et l'intensification du commerce international ont certainement joué un rôle important en la matière. En effet les eaux grasses seraient vraisemblablement l'une des origines possibles de l'introduction du virus. La diffusion de la maladie sur l'ensemble du territoire du Royaume-Uni puis en Europe ont ensuite été facilités par les transports d'animaux vivants sur de longues distances. Les moutons sont particulièrement impliqués dans cette circulation du virus. Ce qui signifie qu'à tout point de vue, le scénario qui s'est déroulé en Grande-Bretagne était imprévisible. En outre la diffusion de la maladie en Angleterre est essentiellement due au délai qui a couru entre l'introduction du virus et le diagnostic de la maladie. Durant cette période des animaux ont été transportés et les mesures de contrôle ont été mises en place de manière tardive. Quand les premières mesures ont été prises, le virus avait déjà largement diffusé. La est la différence essentielle entre la situation en Angleterre et la situation en France. En France les Services Vétérinaires étaient déjà en alerte et les premiers cas ont été immédiatement déclarés.

Nous pouvons éventuellement nous demander pourquoi les Britanniques ont mis autant de temps pour réagir ? En premier lieu le virus est apparu sur les moutons ce qui a rendu son diagnostic extrêmement difficile. En second lieu les Services Vétérinaires anglais ont fait l'objet de réductions budgétaires drastiques depuis quelques années, et manquaient de moyens humains et matériels. 200 vétérinaires officiels sont actuellement recensés et ils n'étaient pas assez nombreux pour couvrir tous les territoires ce qui explique qu'ils aient dû faire appel à des vétérinaires étrangers lorsque la crise la fièvre aphteuse est survenue. Cette carence explique aussi pourquoi ces vétérinaires ne peuvent pas réellement contrôler de manière systématique les élevages comme c'est le cas en France.

Aurait-il été possible d'améliorer et d'optimiser les mesures de lutte en Angleterre ? Je reste persuadé que cela aurait été possible. Les Anglais ont pratiqué la méthode de l'abattage qui a été toujours traditionnelle chez eux. La vaccination aurait sans doute pu être considérée comme un moyen de contrôle en étant combinée avec l'abattage, ce qui aurait permis de réduire le nombre d'animaux à abattre. Ainsi vacciner tous les moutons du pays auraient permis d'éviter certains abattages massifs. Les Anglais avaient un moment envisagé la possibilité de recourir à la vaccination d'une partie de leur cheptel et ils ont obtenu l'autorisation de Bruxelles mais ne l'ont finalement jamais fait, estimant que cette vaccination n'aurait pas contribué à faire évoluer positivement la situation.

En ce qui concerne la France, je pense que des mesures très énergiques ont été prises dès le départ pour abattre les animaux importés d'Angleterre alors que la maladie n'avait pas encore fait son apparition et que seuls les moutons étaient considérés comme suspects. On s'est a posteriori rendu compte que ces moutons étaient extrêmement dangereux puisqu'ils ont fait naître des foyers d'infection malgré les abattages intensifs pratiqués dès le début. Du coup, nous sommes en droit de nous demander ce qui se serait passé si ces mesures n'avaient pas été prises très précocement.

Les mesures prises ont été énergiques et elles ont permis d'endiguer la diffusion du virus. Pour revenir à la pertinence de la vaccination en France, cette dernière n'aurait de toute façon pas fait évoluer le nombre de foyers - limité à 2 il faut le rappeler - ni modifier le contrôle de la maladie. En revanche une vaccination aurait fait augmenter les délais de reconnaissance du statut indemne après la fin de l'épisode. Les dernières mesures d'abattage sont intervenues à la fin du mois d'avril et il faut maintenant attendre seulement trois mois pour recouvrer le statut indemne. Les hollandais ont pris des mesures mixtes en vaccinant les animaux et en envisageant leur abattage par la suite car ils pourraient être porteurs de virus. Une telle démarche, si elle est efficace, est difficile à faire admettre par les éleveurs qui ne la comprennent pas.

Une vaccination préventive serait-elle une mesure efficace ? Je doute de toute façon de la faisabilité d'un retour à une vaccination préventive en Europe. En effet il serait alors nécessaire de scinder l'Europe en deux parties entre les pays qui instaureraient une vaccination obligatoire et les autres. Une telle situation entraînerait une interdiction des échanges entre les deux zones compte tenu des règles de l'OIE.

M Philippe Arnaud, président - La réflexion que nous menons ne concerne pas la reprise de vaccination éventuelle en France, mais s'inscrit dans le cadre d'une vaccination à l'échelle européenne, vaccination s'accompagnant d'une évolution des règles du commerce international. Elle supposerait de prendre en compte les connaissances scientifiques et l'état de la recherche sur un éventuel vaccin de nouvelle génération.

M. Yves Leforban - Au niveau de l'Europe, le Danemark, la Suède et d'autres pays du Nord, qui ne vaccinaient pas avant 1990 ne prendront pas la décision de vacciner aujourd'hui, même si le risque de diffusion du virus s'élève. La décision prise par l'Union en 1990 avait pour but d'instaurer une politique unique en matière de lutte contre la fièvre aphteuse c'est-à-dire vacciner partout où arrêter de vacciner partout. Le choix à effectuer aujourd'hui est identique.

M. Philippe Arnaud, président - La fièvre aphteuse est une maladie vieille comme le monde et extrêmement contagieuse. Telles sont les données de base. Personne ne nous a jamais indiqué qu'il était possible de l'éradiquer de la surface de la terre.

M. Yves Cheneau - Nous pouvons en discuter. Une telle éradication sera difficile à obtenir, mais elle semble tout à fait envisageable. L'important, dans l'immédiat, est de réduire les risques de contamination des pays indemnes en réduisant autant que possible l'importance des zones d'endémie dans les pays infectés et en empêchant la diffusion du virus à partir de ces zones. A partir de là, l'action d'éradication deviendra possible.

M. Philippe Arnaud, président - Il nous a été dit, au cours des auditions déjà effectuées, que la contagion s'établissait sur la base des mouvements et des déplacements de personnes, de biens et d'animaux. Or notre société continue de multiplier les échanges. Nous sommes par conséquent face à des conditions favorables pour faire face à de prochaines épizooties, qui naîtraient dans des pays qui croient pourtant à l'éradication. En outre, nous avons longtemps cru que la décision d'effectuer une vaccination généralisée et annuelle permettrait d'éradiquer la maladie. L'arrêt de la vaccination a pourtant été décidé pour des raisons de coûts et pour permettre la continuation des échanges commerciaux entre les pays.

Tous ces éléments me conduisent à affirmer que nous sommes à la veille d'une nouvelle crise. S'il est parfaitement logique et efficace de créer un système fondé sur la prévention, la surveillance et le traitement sanitaire, nous savons également que les échanges se multiplient et que nous ne pouvons empêcher les fraudes. Or il suffit d'une importation frauduleuse d'un élevage, contaminé et qui ne serait pas déclaré, pour que la maladie renaisse, sachant que notre système repose sur l'honnêteté et la déclaration officielle des éleveurs. Il faut s'interroger sur les risques majeurs que notre continent doit assumer sur ce plan.

M. Yves Leforban . Je suis bien votre raisonnement mais je pense qu'en matière de fièvre aphteuse ou de façon peu plus globale en matière de maladies animales, le vaccin n'est pas toujours une solution pertinente. Les gens ont du mal à comprendre parce que la vaccination humaine est une mesure courante. Devant les maladies animales il faut raisonner au niveau d'une population. Au départ, les méthodes de lutte contre les maladies passent effectivement, le plus souvent par la vaccination de cette population. A partir de moment où la maladie est sous contrôle, la vaccination est arrêtée. L'exemple de la peste porcine en témoigne. Aujourd'hui, si nous retournons à une politique de vaccination généralisée nous irons à contre-courant de notre objectif d'éradication puisque nous couvrirons la circulation du virus, sachant que la vaccination ne protège absolument pas contre l'infection fièvre aphteuse mais seulement contre la maladie.

M. Philippe Arnaud, président - J'ai bien compris qu'une politique de vaccination a pour contrepartie une non identification des animaux porteurs du virus et de ceux qui sont sains. Néanmoins, je vous rappelle qu'à chaque fois que la France a mis sur pied des mesures de vaccination, nous avons toujours eu le sentiment d'éradiquer la maladie au bout de quelques mois. Il faut par conséquent en conclure que la vaccination a au moins permis de réduire la maladie.

M. Yves Cheneau - L'Europe continentale est à nouveau indemne. Néanmoins, je ne pense pas que pratiquer la méthode du « plus petit dénominateur commun « au niveau du commerce international soit la meilleure manière de progresser.

La FAO et l'OIE ont pris la décision, lors de la dernière conférence qui a été organisée à Paris, de proposer une alternative un peu différente, celle d'organiser une conférence internationale de niveau ministériel, dont l'objectif sera de comprendre la situation et de prendre des décisions. En ce qui concerne les pays indemnes, il n'est pas possible d'envisager de les protéger à 100 % sur le long terme. Plus la forteresse dans laquelle nous les enfermerions sera attaquée, plus elle sera vulnérable. Plus la lutte engagée à l'extérieur contre la maladie sera efficace, moins les chances de contamination du cheptel indemne seront nombreuses. Nous espérons donc que cette conférence fera comprendre au monde que des efforts peuvent être effectués en vue de réduire les zones d'endémie dans des proportions qui permettent ensuite de les contrôler facilement, et à un moindre coût.

L'illustration de mon raisonnement, que je vais vous présenter est, à ce titre, frappante. Certains pays d'Amérique du Sud ont réalisé depuis de nombreuses années des efforts coûteux pour que leurs élevages soient considérés comme indemnes. Or, aujourd'hui, ces efforts sont voués à un échec retentissant puisque ces mêmes pays connaissent à nouveau de nombreux foyers. Pourquoi les pays sud américains et pourquoi les Etats-Unis ne sont-ils pas intervenus antérieurement pour assurer l'éradication des foyers résiduels et pour aider la Bolivie, le Pérou et le Paraguay? Tout le monde paie désormais le prix de cette inaction.

Il est évident qu'aucune mesure prise ne peut être efficace du jour au lendemain. Toutefois, si rien n'est engagé dans les pays d'endémie, toutes les autres mesures sont vouées, un jour où l'autre, à être mises à mal. Maintenant, il existe une différence énorme entre les coûts dus à l'échec des mesures de prévention [au Royaume Uni] et les coûts des programmes d'intervention éventuels dans les pays d'endémie. Rendons donc hommage aux Services vétérinaires français qui s'en sont bien sortis parce qu'ils avaient préparé et mis en place depuis des années des plans d'urgence destinés à parer à toute ré-introduction du virus de la fièvre aphteuse. Leur état de préparation leur a permis de traverser la crise sans drame et à un coût supportable.

M. Philippe Arnaud, président - La maladie n'intéresse pas la santé publique, ce qui signifie que le problème ne peut se traiter que par l'intermédiaire de mesures politiques. C'est un problème qui a des racines économiques. Je me demande si la fièvre aphteuse n'est pas parfois utilisée comme une arme économique au sein de la guerre concurrentielle que vit notre monde. Nous ne parviendrons jamais à éradiquer les fraudes. Pourtant, si nous fondons tout notre système sur les réglementations, la loyauté et la confiance réciproque entre pays, nous nous placerons dans une situation de possible agression, d'autant plus, par exemple, que les Pays-Bas échappent à un certain nombre de contraintes imposées par l'Europe. Par ailleurs, les problèmes intracommunautaires ne sont pas des moindres.

M. Yves Leforban - La décision d'arrêter la vaccination a été prise sur les bases d'une étude économique démontrant que, dans le pire des cas, le coût de cette vaccination sur une période de dix ans serait plus élevé que le coût de l'élimination des foyers par abattage.

M Philippe Arnaud, président - Ce coût en Grande Bretagne correspond en effet à 1300 années environ de vaccination....

M. Yves Cheneau . - Vers la fin des années 80, trois scénarios différents avaient été évalués et les trois avaient conclu qu'il était préférable d'engager une démarche d'abattage systématique en cas de foyers plutôt que d'entreprendre une vaccination généralisée tous les ans. De toutes les façons, ce n'est pas parce que la Grande-Bretagne met à bas toutes les prévisions statistiques qu'il en est de même dans les autres pays. La contamination décelée et traitée en Italie n'a coûté que 12 millions d'écus, montant dérisoire. Il en va de même pour l'Albanie et pour la Grèce, qui n'ont en fait souffert que d'une perturbation de leur commerce. Dans de telles conditions et pour user d'une image frappante, devons-nous détruire tous les avions qui fonctionnent parce que le Concorde explose ?

Regardez les pays les mieux organisés, qui ont mis en place des plans d'urgence et qui ont réalisé des investissements durables pour les rendre efficaces et renforcer les services vétérinaires nationaux, comme la France! Il est tout à fait possible de stopper une catastrophe si on s'y prend à temps, où mieux, si on anticipe. Utilisons la vaccination pour aider les pays endémiques, de manière à réduire le risque de contagion. Les pays indemnes doivent, de leur côté, renforcer leurs systèmes de prévention (alerte précoce et réaction rapide).

Ces politiques de prévention sont justifiées par des considérations économiques. Quoi qu'il en soit, il ne faut pas laisser les choses dériver comme elles l'ont fait au cours des derniers mois.

M. Philippe Arnaud, président - J'aimerais vous questionner sur l'évolution des mentalités. Notre société se trouve totalement médiatisée. Quel est, selon vous, le seuil de tolérance de l'opinion publique face aux images qui ont été diffusées et qui illustrent parfois mal la politique engagée pour lutter contre l'épizootie?

M. Yves Leforban - Il est clair que les abattages massifs auxquels on a assisté en Angleterre sont difficilement envisageables dans les autres pays d'Europe. Il convient de trouver une solution médiane entre ces abattages massifs et une vaccination préventive. L'utilisation plus large de la vaccination stratégique devrait par exemple être rendue possible sans que les pays adoptant cette vaccination se trouvent pénalisés par les règles de l'OIE. Cette vaccination pourrait intervenir à partir d'un certain nombre de foyers d'infection. On a parlé de 300 foyers en France dans une étude entreprise par l'INRA. Ce type d'études est important pour apporter des repères aux professionnels, au monde politique et aux médias.

Enfin la gestion de la crise par les médias est très contestable et regrettable car l'image des bûchers en Angleterre a créé une panique non justifiée et a desservi l'image des éleveurs en général.

M. Philippe Arnaud, président . - En cas de problème, une vaccination d'urgence ne serait-elle pas une solution?

M. Yves Leforban - Oui, mais il faudrait alors définir ce qu'on entend par situation d'urgence. Différents scénarios ont déjà été prévus par l'INRA. Il est certain que les abattages massifs tels que pratiqués ne seront désormais plus acceptés par les populations.

M Philippe Arnaud, président . Vais-je trop loin dans mes propos Si j'affirme qu'il existe un écart entre la théorie, constituée par l'ensemble des dispositions réglementaires en vigueur, et la pratique ? La liste des pays indemne est régulièrement réactualisée. Un pays qui connaît un problème va-t-il le déclarer immédiatement et spontanément ? Un système de lutte reposant sur l'intégrité des Etats ne présente-il pas, en l'occurrence, un point faible ? Quels sont les moyens de contrôle des organismes que vous représentez et les sanctions envisageables contre les Etats contrevenants?

M. Yves Leforban - Aucune sanction n'est envisageable puisqu'il n'existe pas de système de pénalisation. Pour répondre à votre première question, le système fonctionne dans la pratique: la catégorisation des pays a permis des échanges sans risque. Néanmoins ce système présente certains inconvénients. En effet un pays qui déclare la maladie est pénalisé pour son commerce de manière très importante. La tendance de ce pays sera donc de ne rien déclarer. Assouplir les conséquences de ces déclarations de manière à ce que les pays ne soient pas dissuadés de déclarer leurs foyers de maladie serait une piste de réflexion à suivre. Le recours à la vaccination pour contrôler la maladie devrait aussi être moins pénalisant. Il convient d'instaurer un équilibre entre les règles trop strictes actuelles qui dissuadent les pays de déclarer la maladie (ou de vacciner) et la nécessité de protéger les pays importateurs. Nous sommes trop sévères en matière de commerce sachant que le risque zéro n'existe pas.

M. Yves Cheneau L'Afrique du Sud a vécu l'année dernière le même incident que celui connu par l'Europe. Il s'agissait du même virus! survenu dans des conditions identiques. Je pense que les importations frauduleuses découvertes en Grande-Bretagne ne remettent pas en cause le développement des échanges internationaux. Les fraudes ne s'arrêteront jamais. La solution ne se situe pas sur ce point, mais sur le fait de faire disparaître au maximum le virus.

33. Audition de Gérard Coustel, Chef du Bureau de la Santé Animale au Ministère de l'Agriculture et de la Pêche

M. Philippe Arnaud, président - Que pensez-vous des dispositions qui ont été prises concernant les produits issus du lait, comme le fromage au lait cru par exemple ? Ma question ne remet absolument pas en cause les décisions mises en oeuvre, mais s'interroge sur leurs conséquences. Aujourd'hui, pouvons-nous affirmer que le virus de la fièvre aphteuse est neutralisé au cours de la fermentation de ces produits, notamment lorsque le PH se maintient à un niveau inférieur à celui prescrit par les scientifiques ?

M. Gérard Coustel - Je ne suis pas un scientifique spécialiste de la fièvre aphteuse. Néanmoins, je puis affirmer que votre question est une question récurrente qui revient en permanence dans la doctrine. Une grande majorité de la littérature affirme en effet que le virus doit être inactivé lorsqu'il atteint un certain niveau de PH. Cela dit, cette notion de traitement assainissant doit être validée par un comité scientifique auprès de la commission européenne. Quoi qu'il en soit, cette question est d'importance : le traitement acidifiant admis par la commission européenne pour les viandes peut-il être admis pour les produits au lait cru ? Les deux milieux et les deux types de produits sont, en effet, différents l'un de l'autre. Si des écrits scientifiques ont été rédigés en la matière, il faut savoir s'ils l'ont été par des personnes suffisamment compétentes et crédibles, parce qu'elles ont déjà émis des déclarations reconnues dans ce domaine, pour que les écrits puissent être admis.

Je regrette qu'une question aussi fondamentale que celle que vous posez ne l'ait pas été auparavant. Dans les circonstances, nous avons appliqué les décisions communautaires. Le retour d'expérience voudrait que nous nous interrogions sur la nature du traitement assainissant et sur les avantages potentiels d'autres techniques. La question est également valable pour les autres types de produits, comme les produits carnés, pour lesquels des traitements précis sont appliqués. La pasteurisation en l'est d'un des exemples. Elle correspond à l'application au produit d'une température durant un certain temps.

M. Philippe Arnaud, président - Lorsque les mesures relatives aux produits carnés au lait cru ont été prises, elles ont été comprises et acceptées par l'ensemble des partenaires et des acteurs de la filière, du fait qu'il était nécessaire de réagir aussi vite que possible et avec efficacité pour endiguer la propagation de la maladie. Je constate que personne ne remet en cause cette stratégie.

Il n'en demeure pas moins que ces décisions ont entraîné certaines conséquences et se sont essentiellement fondées sur des préoccupations d'ordre économique sans se baser sur des préoccupations de santé publique. Ainsi, la fièvre aphteuse n'a pas été considérée comme relevant de la santé publique. Les décisions prises ont été imposées par les pouvoirs publics pour éviter la propagation de la maladie. Elles présentent des conséquences économiques directes et indirectes sur les animaux et sur les êtres humains. Or les indemnisations relatives à certaines de ces conséquences ne semblent pas prises en compte par les autorités concernées, alors même que 60 % de ces indemnisations sont financés par l'Union Européenne sur présentation de leur estimation par les Etats.

Nous avons pu repérer le point C, qui apparaît sous l'expression « ainsi que toute mesure » dans sa rédaction. Or, pour les fromages, nous avons pu vérifier que la décision prise par l'Etat français avait préalablement été accordée par Bruxelles. Il s'agit donc d'une mesure d'opportunité pour faire financer des redressements pour tel ou tel fromage.

Je conclus donc par le fait que les mesures prises ont été approuvées, même si elles ont semblé draconiennes et excessives a posteriori. En revanche, ces mesures impératives ont été imposées non pour la santé publique mais sur des fondements économiques, ce qui nous paraît gênant.

M. Gérard Coustel - Je partage votre point de vue.

La destruction des animaux sensibles et de leurs produits potentiellement contaminés n'est pas une mesure de santé publique, en ce qui concerne la fièvre aphteuse. Elle a pour but d'arrêter le développement d'une épizootie majeure, dramatique pour l'économie de l'élevage. Pour être efficace, cette destruction doit intervenir rapidement (dans une situation globalement comparable à celle de la France, les Pays-Bas n'ont peut-être pas réagi de la même façon avec des conséquences sanitaires et économiques plus graves). C'est pour cela qu'il me paraît légitime que cette indemnisation soit juste ; si cela n'était pas le cas, il serait difficile d'intervenir avec la même célérité et la même efficacité lors d'une prochaine épizootie et les incidences économiques induites seraient sans commune mesure avec celles que nous connaissons aujourd'hui.

M. Philippe Arnaud, président - A quelle date les experts scientifiques et la commission scientifique vont-ils se prononcer en ce qui concerne les mesures relatives aux traitements assainissants des produits au lait cru ?

M. Gérard Coustel - Le Gouvernement doit saisir la commission de cette affaire pour que l'assainissement des produits aux laits crus soit considérés comme envisageable.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons étudié certains règlements, dans lesquels les produits laitiers sont cités parmi les produits soumis à restriction, mais seuls le lait et la crème font l'objet de mesures d'inactivation spécifique. Que faut-il en conclure ?

M. Gérard Coustel - La notion de PH est différente en fonction du type de fromage fabriqué. Il ne faut pas l'oublier.

M. Philippe Arnaud, président - Au cours des auditions, nous avons constaté qu'il existe une contradiction apparente entre les deux instructions du 28 mars et du 6 avril. En effet, elles autorisent la commercialisation des produits et, pourtant, la première prescrit la destruction des produits. Pouvez-nous nous apporter des éclaircissements sur ce point ?

M. Gérard Coustel - Reprenons la genèse de ces instructions. Elles ont été élaborées dans le cadre réglementaire des décisions communautaires. L'une de ces décisions prévoyait que les produits au lait cru, originaires de la zone annexe 1 (Orme et Mayenne), devaient se voir consommer sur place ou subir un traitement thermique assainissant sur place avant de pouvoir être expédiés. La première note introduit une dérogation à ce principe de base, en autorisant l'assainissement de ces produits en dehors de leur département d'origine. Il s'agit donc d'une dérogation franco-française à la règle communautaire.

M. Philippe Arnaud, président - L'une de ces instructions introduit par conséquent une dérogation aux dispositions communautaires. Concernant le traitement thermique assainissant, peut-on dire qu'un produit au lait cru qui en fait l'objet est-il encore un produit au lait cru ?

M. Gérard Coustel - Il s'agit d'un problème de sémantique, car un tel produit serait en fait un fromage fondu. Quel est le contenu de la dérogation introduite par la note de service du 6 avril : depuis trois semaines, le département ne connaît plus aucun foyer de fièvre aphteuse et un cas unique a été recensé dans une exploitation. Or une mesure de traçabilité ayant été mise en oeuvre, il est considéré que les matières premières issues de ces départements n'ont pas été en contact avec le virus et ne sont donc pas porteuses du virus. Cette décision résulte d'une évaluation épidémiologique réalisée par la Direction Générale de l'Alimentation. Cette dernière affirme que le risque n'existe plus, au bout de trois semaines, sur des fromages fabriqués dans d'autres exploitations que celle qui a été contaminée par le virus. Il n'existe par conséquent aucun danger de commercialiser les fromages en stock. Une telle décision n'avait pas été prise auparavant par manque de vision claire et de recul sur la situation. N'oublions néanmoins pas que les produits au lait cru qui ont été fabriqués depuis trois semaines au moins ont une durée de vie extrêmement courte. C'est la contrepartie de l'absence de risques.

34. Audition de Guy Malher, Ancien Président de Rhône-Mérieux

M. Philippe Arnaud, président - Je vous remercie de répondre à notre invitation. Nous savons que vous n'exercez plus de responsabilités directes chez Merial.

M. Guy Malher - C'est exact. Je n'exerce plus de fonctions dans la santé animale mais suis toujours le vice-président d'Aventis Pasteur, société spécialisée dans les vaccins humains.

M. Philippe Arnaud, président - Nous profitons de votre expérience pour éclairer notre mission sénatoriale sur l'épizootie de fièvre aphteuse et pour participer à une réflexion pour l'avenir sur ce sujet. La crise que nous venons de traverser a été, avec les éléments et dans les conditions qui étaient les nôtres, convenablement gérée. Les mesures prises ont été radicales. Au fil des auditions, il est apparu que ces mesures se sont fondées sur une approche d'ordre économique. Cette dernière a entraîné l'abandon, en 1991, de la vaccination, qui était auparavant obligatoire. Les considérations économiques ont été de deux ordres : le rapport, d'une part, entre le coût des vaccinations annuelles et l'amortissement théorique des charges de l'épizootie sur un certain nombre d'années ; permettre, d'autre part, au marché européen de bénéficier d'une ouverture sur les pays qui n'acceptent que des viandes en provenance de pays indemnes. Ainsi, des règlements organisent cet ensemble.

Depuis, les mentalités ont évolué et les médias sont très présents. Parmi les questions que nous nous posons figure celle-ci : quel est le seuil de tolérance de la part de l'opinion publique en ce qui concerne l'abattage massif et de destruction par charnier d'animaux vivants ? En outre, les données économiques semblent être mises à mal, en tous les cas pour la Grande-Bretagne, puisque le coût de l'épizootie dans ce pays, par rapport à un coût de vaccination, ferait que cette vaccination ne serait amortie qu'au bout d'un millénaire. Face à un tel ordre de grandeur, nous sommes en droit de nous poser des questions de nature essentiellement économique. Si nous vaccinions, nous nous priverions de marchés à l'exportation alors même que la France et l'Europe continuent et continueront d'importer des produits issus de pays qui pratiquent une vaccination de grande échelle. Nous ne saurions prendre la moindre orientation vers une vaccination si nous ne l'intégrons pas dans un cadre au moins européen et si nous ne l'accompagnons pas de mesures réglementant le commerce international.

Existe-t-il des modalités de vaccination qui soient fiables et qui permettent d'identifier les animaux indemnes des animaux infectés ? Quelle est l'efficacité réelle de la vaccination pour éradiquer la fièvre aphteuse ?

M. Guy Malher - J'ai travaillé toute ma vie durant dans un environnement de fièvre aphteuse. Lorsque j'étais vétérinaire étudiant à Alfort en 1952, nous avons été réquisitionnés par les pouvoirs publics pour aller pratiquer des vaccinations dans le Cantal, car elles étaient refusées par certains vétérinaires d'exercice libéral. Le Cantal était à l'époque un réservoir à virus et la contamination était massive. Je suis entré à l'Institut Mérieux en 1957, au moment où le Docteur Mérieux avait l'idée de lancer les contrats de vaccination. A l'époque, seuls deux laboratoires fabriquaient des vaccins contre la fièvre aphteuse. Les contrats de vaccination permettaient aux éleveurs de se voir livrés de manière prioritaire en vaccins en contrepartie du fait qu'ils s'engageaient à faire vacciner leurs cheptels tous les ans. Telle a été ma première responsabilité dans la société : gérer 3 millions de contrats de vaccination, ces contrats assurant l'équilibre de nos opérations de production. Le succès a été tel dans certaines régions, la fièvre aphteuse disparaissant progressivement, que l'Etat a donc décrété la vaccination obligatoire du cheptel national. Notre Institut a donc fabriqué 18 millions de doses environ par an pour le seul marché français.

Notre avance technique était déjà importante à l'époque. Notre société a créé des filiales en Amérique du Sud notamment, où la fière aphteuse était devenue une maladie endémique. Nos activités n'ont, par la suite, cessé de se développer et nous avons cédé notre technologie car celle-ci était considérée comme la meilleure de par le monde. Sous la pression des Anglais, l'Union Européenne a néanmoins pris la décision de faire arrêter la vaccination obligatoire à la fin de l'année 1991, les Hollandais décidant quant à eux d'anticiper cette décision pour bénéficier d'exportations plus intensives. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation difficile puisque nous n'avions plus à produire 18 millions de doses vaccinales pour la France plus les doses destinées à l'exportation en Europe. Nous ne travaillions plus que pour l'Afrique du Nord et pour l'Asie, ce que nous continuons d'ailleurs de faire. Durant deux années, nous nous sommes interrogés pour savoir si nous arrêtions toutes nos productions. J'ai pris la décision de continuer nos recherches sur cette maladie et de continuer à investir, notamment parle rachat d'une usine anglaise qui fabrique aujourd'hui tous nos vaccins contre cette maladie, à destination de l'exportation hors Europe.

Produire des vaccins est néanmoins, ne l'oublions pas, une victoire à la Pyrrhus. Une maladie peut en effet disparaître sous l'effet du vaccin. C'est ce qui est arrivé pour la variole et qui risquait d'arriver pour la fièvre aphteuse.

L'homme est présomptueux, les Anglo-Saxons le sont encore plus, de croire qu'ils sont suffisamment puissants pour éradiquer un virus de la planète. Le biologiste que je suis s'est vu choqué d'entendre dire qu'il était possible de faire totalement disparaître le virus de la variole de la planète. Le drame serait épouvantable si cette maladie revenait. La politique de l'OMS vise, aujourd'hui, à l'éradication de la polio dans un délai de dix ans ce qui est un programme louable mais ambitieux. En matière de fièvre aphteuse, certains pays d'Amérique du Sud ont pris la décision d'arrêter la vaccination pour développer leurs exportations, alors que la vaccination leur avait permis d'éradiquer la maladie, sauf cas sporadiques et foyers rarissimes. Au bout d'une année, ces pays ont été déclarés indemnes et leurs exportations se sont donc libérées. L'objectif visé par l'arrêt de la vaccination était par conséquent d'ordre économique.

L'épizootie de fièvre aphteuse que nous avons récemment subie était prévisible. Je suis encore surpris qu'elle ne soit pas intervenue plus tôt, ce d'autant plus que les animaux n'étaient plus protégés par vaccin depuis de longues années et que l'Europe se trouve entourée par des pays pour lesquels la fièvre aphteuse reste encore une maladie endémique, comme en Afrique du Nord et en Europe de l'Est , tandis que les échanges transnationaux se multiplient et que la voie aérienne est un vecteur pour la propagation des maladies. La « malédiction » a d'abord frappé les Anglais, dont la politique a toujours été ambiguë quant à la fièvre aphteuse. Le virus n'a touché que les bovins, sachant que cette maladie est extrêmement contagieuse et provoque beaucoup de ravages. 3 millions de bêtes ont déjà été abattues et ce n'est pas fini. J'estime, et je parle en tant qu'homme, que ces bovins auraient pu être protégés par vaccination du virus et que leur abattage est scandaleux.

L'épizootie anglaise peut renaître dans d'autres pays et les résultats être effroyables, tant en termes de nombre d'animaux abattus qu'en termes de conséquences économiques et psychologiques indirectes ou directes. Nos populations n'accepteront plus de vivre une telle situation de crise, surtout en sachant qu'il existe un vaccin dont les caractéristiques sont intéressantes. Les Allemands ont déclaré que la vaccination serait désormais systématique à partir du moment où certains cas étaient recensés.

M. Philippe Arnaud, président - La politique précédemment appliquée permettait de vacciner, ce qui n'empêchait pas d'abattre les animaux contaminés par la suite, pour éviter la propagation de la maladie. Tel est le problème. Si nous acceptons la mise en oeuvre d'une vaccination obligatoire, il convient de lever l'écueil économique et éviter, parallèlement, les abattages massifs.

M. Guy Malher - Je vous rappelle que la vaccination intervenait à l'époque au sein des exploitations susceptibles d'être en contact avec le foyer, les abattages n'intervenant que dans celui-ci. En matière de fièvre aphteuse, je pense que la défaillance principale du système de lutte contre cette maladie se situe au niveau de la surveillance de cette dernière. Les Anglais ont avoué quinze jours de retard dans l'identification de la maladie et nous savons, de source certaine, que ce retard était beaucoup plus important que celui qui nous a été indiqué. Or, une, deux ou trois semaines de retard sont dramatiques face à la propagation de la maladie. Pourquoi le système de surveillance mis en place pour déceler le virus est-il insuffisant ? Parce que le vétérinaire ne se rend plus systématiquement dans les élevages et ne connaît donc plus la fièvre aphteuse et ses réalités.

Le coût économique de la vaccination est difficile à évaluer, notamment lorsque l'on doit faire face à une aussi grande épidémie que celle qui a été subie par la Grande-Bretagne. Le coût estimé d'une vaccination en France se chiffre à 300 millions de francs par an, ce coût étant largement supérieur chez les Anglais.

En ce qui concerne les conséquences sur l'exportation des viandes, je m'étonne de la position contradictoire affichée par l'Europe. Cette dernière a pris la décision d'interdire la vaccination mais accepte les importations issus de pays qui pratiquent une telle vaccination

Je suis enfin convaincu que les pouvoirs publics, la population et les éleveurs n'accepteraient de toutes les manières plus les massacres qui ont été récemment perpétrés alors que la vaccination, interdite, aurait pu prévenir la maladie.

M. Philippe Arnaud, président - Les élevages de montagne posent difficulté car ils ne peuvent être visités et contrôlés de manière régulière. Il en va aujourd'hui de même pour tout autre élevage, par manque de moyens et absence d'organisation des services vétérinaires. Liez-vous cet élément à une évolution normale de la conduite des élevages ou le liez-vous directement à l'arrêt des vaccinations ?

M. Guy Malher - Je pense, à titre personnel, que cette évolution présente un lien direct avec l'arrêt des vaccinations.

M. Philippe Arnaud, président - Il semble que cette évolution entre en contradiction avec les prescriptions des directives européennes, qui imposent une politique fondée sur une surveillance sanitaire interne renforcée. Ainsi, au lieu de parvenir, grâce à l'arrêt de la vaccination, à un renforcement logique de ce suivi sanitaire, nous parvenons à l'inverse.

M. Guy Malher - Lorsque la vaccination a été interrompue, en 1992, j'ai, quant à moi, refusé d'arrêter les recherches sur le terrain, malgré les pressions externes et internes qui se sont exercées. J'étais en effet persuadé que nous parviendrions à mettre au point un système permettant de distinguer les animaux malades des animaux vaccinés, le principal reproche fait à la vaccination. Nous avons poursuivi nos recherches et nous sommes aperçus qu'il était possible, par l'intermédiaire d'un vaccin très purifié, de distinguer les animaux indemnes des animaux contaminés. Un système de diagnostic ne détecte que les anticorps vaccinaux et non les anticorps globaux générés par la maladie.

M. Philippe Arnaud, président - L'arrêt de la vaccination et l'abandon a eu comme effet négatif l'abandon de la recherche scientifique sur l'amélioration des vaccins. Par conséquent, si nous envisagions un retour à la voie de la vaccination, il conviendrait, dans un premier temps, de redonner des moyens à la recherche pour aboutir à l'élaboration de vaccins plus performants.

M. Guy Malher - Nous n'avons jamais arrêté nos recherches et le vaccin existe. Nous sommes certains de sa fiabilité.

M. Philippe Arnaud, président - Quelle est la différence, à l'heure actuelle, entre un vaccin identifiable et un autre vaccin ?

M. Guy Malher - Cette différence tient à la purification du virus pour n'y conserver que la partie antigénique.

M. Philippe Arnaud, président - De nombreux spécialistes répètent qu'il n'existe pas de vaccins permettant la distinction.

M. Guy Malher - C'est faux. Nos vaccins ne déclenchent que les anti-corps dus à la vaccination.

Avez-vous auditionné Monsieur Eric Plateau, grand spécialiste du diagnostic de la fièvre aphteuse et travaillant à Alfort ? C'est lui le plus compétent car il effectue le plus grand nombre de tests et de prélèvements sanguins pour diagnostic.

Les vaccins sont opérationnels et vendus. Pour fabriquer un vaccin bactérien ou viral, il est indispensable d'utiliser une bactérie ou un virus. Notre technologie nous permet de modifier le virus par purification en ne conservant que la partie anti-génique. Nous sommes le seul laboratoire à fabriquer un tel vaccin, parce que nous avons maintenu intégralement notre budget de recherche dans ce domaine.

Si l'on reprenait la vaccination généralisée, il faudrait l'accompagner d'une surveillance sanitaire sérieuse. Depuis que la vaccination a été possible et jusqu'à son arrêt en Europe, la fièvre aphteuse est la maladie qui se trouve au coeur de l'activité Mérieux. Le laboratoire a acquis sa notoriété sur ce fondement, puisqu'il est le premier laboratoire de vaccins à virus. L'Institut Français Fièvre Aphteuse a pu produire le premier le vaccin anti-poliomyélitique ou anti-grippal grâce à l'expérience acquise par la production des vaccins antiaphteux. Le virus aphteux est très difficile à manier car il comporte trois variantes principales et des sous-variantes.

M. Philippe Arnaud, président - Des mesures de vaccination généralisée seraient-elles de nature à éradiquer la fièvre aphteuse ?

M. Guy Malher - Oui, bien sûr. Elle aurait en plus l'avantage d'être accompagnée d'une veille sanitaire destinée à contrôler la non-circulation du virus. La situation s'améliorerait donc.

M. Philippe Arnaud, président - La vaccination doit-elle être ciblée sur les bovins ou estimez-vous qu'il faut aussi vacciner les ovins et, le cas échéant, les porcins ?

M. Guy Malher - L'expérience montre que la vaccination des bovins suffit à éviter la propagation de la maladie à d'autres espèces, en tous les pas pour les pays occidentaux et l'Amérique du Sud. Je serai néanmoins moins affirmatif dans mes propos en ce qui concerne les pays asiatiques. Selon l'expérience que nous avons acquise, l'extension d'un virus se trouve bloquée dès lors que 60 % à 80 % d'une population se trouve vaccinée. Le virus ne trouve plus à se dupliquer sur d'autres animaux, pour peu, en outre, que ces derniers soient éloignés des premiers foyers décelés. La maladie s'arrête donc. Heureusement, car une vaccination à 100 % de tout le cheptel est sans doute difficile à réaliser.

M. Philippe Arnaud, président - A quoi attribuer la persistance de la résistance de principe à une vaccination généralisée ? Il semblerait que, par principe, un retour à la vaccination n'est pas envisageable. C'est un comportement qui me frappe.

M. Guy Malher - Je suis, quant à moi convaincu, que si les Anglais avaient prévu l'épizootie, ils n'auraient pas effectué cette politique d'abattage massif, sachant que ce sont eux qui ont imposé à l'Europe l'arrêt de la vaccination. Les pays d'Amérique Latine qui avaient arrêté la vaccination l'ont tous repris lorsque quelques foyers ont été déclarés. Les Etats-Unis constituent, de leur côté, un stock de sécurité de vaccins, parce qu'ils gardent un souvenir épouvantable d'une épidémie survenue à leur frontière mexicaine. Les reportages de l'époque sont effectivement affreux.

Quelle est l'évolution actuelle ? A mon sens, en cas de détection de foyers contaminés, personne n'hésitera plus à vacciner les animaux pour éviter une politique d'abattage massif. En revanche, le retour à une vaccination obligatoire, préventive et généralisée est un autre point à étudier et dépend aussi des caractéristiques des nouveaux vaccins disponibles.

M. Philippe Arnaud, président - Ces nouveaux vaccins sont-ils facilement adaptables à toutes les souches de virus ?

M. Guy Malher - Il n'existe aucune difficulté technique à adapter les vaccins aux souches du virus. Il n'en demeure pas moins qu'en cas d'apparition d'une nouvelle variante du virus, un certain délai est nécessaire pour lui adapter le vaccin homologue.

M. Philippe Arnaud, président - Existe-t-il des problèmes pour réaliser ces tests spécifiques de dépistage ?

M. Guy Malher - La production de ces tests ne pose aucun problème.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons entendu à plusieurs reprises, par ailleurs, qu'il y avait, en Grande-Bretagne notamment, des incertitudes quant à la fiabilité des tests, en raison « des faux positifs et des faux négatifs » en fièvre aphteuse. Ces tests étaient, semble-t-il, ambigus.

M. Guy Malher - Je ne peux vous répondre. Dans mon esprit, nous disposons de diagnostics fiables mais il faut le confirmer auprès de spécialistes. Yves Moreau, de la société Merial, doit pouvoir répondre à cette question.

M. Philippe Arnaud, président - Pour lui, il n'existe aucune difficulté à ce sujet. Existe-t-il un fondement scientifique pour un pays indemne à refuser l'importation de viandes ou d'animaux issus de pays qui vaccinent ?

M. Guy Malher - A mon avis, le risque n'existe que lorsque les animaux sont vivants et porteurs de virus. Si la vaccination permet la distinction entre les animaux sains et les autres, cette difficulté ne se pose plus.

M. Philippe Arnaud, président - Une politique d'éradication ou de réduction de la maladie devrait, par conséquent, être conduite de façon harmonisée sur l'Europe et le monde. La coexistence de politiques sanitaires et de politiques de vaccination n'est pas pertinente sur un plan strictement scientifique.

M. Guy Malher - Le débat doit être de toutes les façons élargi. La Chine est un réservoir permanent de virus et il en va de même de l'Inde. Or, compte tenu de leurs organisations et de leurs infrastructures, il n'est pas possible d'y effectuer des contrôles réguliers et systématiques. Je pense donc qu'il convient d'organiser une politique harmonisée pour l'ensemble de l'Europe et une autre politique pour le continent américain. Importer des animaux d'autres pays que des pays indemnes, c'est prendre des risques.

M. Philippe Arnaud, président - Souhaitez-vous nous livrer d'autres réflexions ? Je relève que vous n'avez jamais cessé vos recherches en ce qui concerne la fièvre aphteuse.

M. Guy Malher - Nous avons effectivement continué d'investir dans ce domaine car nous avons considéré qu'il fallait maintenir notre marché d'exportation et que la maladie reviendrait inéluctablement, puisqu'elle n'était pas éradiquée. Nous avons développé nos technologies, avons vendu certaines d'entre elles à l'extérieur, tout en continuant de la maîtriser et de conserver notre avance technologique.

M. Philippe Arnaud, président - Les Etats-Unis ont constitué des stocks importants. L'Argentine utilise-t-elle également ce type de vaccins ?

M. Guy Malher - Elle utilise des vaccins locaux qui ne relèvent pas de la même technologie de purification, même si elle se trouve voisine de la nôtre, et aboutit aux mêmes résultats. Nous sommes certains qu'avec la purification par chromatographie, les vaccins que nous livrons ne font jamais apparaître d'anti-corps correspondant à ceux de la maladie.

M. Philippe Arnaud, président - Certaines personnalités affirment qu'on s'oriente vers la mise à disposition ou de production de vaccins « délétés ». Or ceux-ci ne sont pas encore au point et n'ont reçu aucune autorisation commerciale. Une telle validation serait-elle envisageable pour les cinq ou six années qui viennent ?

M. Guy Malher - Les autorisations de commercialisation sont acquises dans les pays en dehors de l'Europe, puisque aucune vente n'est possible en Europe. Le Japon comme les Etats-Unis ont constitué des stocks de sécurité avec nos antigènes ou nos vaccins.

M. Philippe Arnaud, président - Certains pays sont intransigeants et refusent toute viande vaccinée.

M. Guy Malher - Il ne faut pas oublier que les motifs sanitaires masquent souvent des raisons économiques.

M. Philippe Arnaud, président - Vos éclairages sont intéressants car ils vont à l'encontre des opinions qui ont, au cours de nos auditions, été exprimées à l'encontre d'une vaccination généralisée. Je vous remercie de votre participation.

35. Audition de Madame Guittard, directrice adjointe à la Direction des Politiques Economiques Internationales du Ministère de l'Agriculture et de la pêche

M. Philippe Arnaud, président - Madame, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre favorablement à notre invitation. Notre travail se concentre sur la fièvre aphteuse et les problèmes qui en découlent. Ces derniers sont essentiellement d'ordre économique puisque nous savons tous que la fièvre aphteuse n'a que peu de conséquences sanitaires sur les troupeaux et n'a aucune incidence sur la santé des êtres humains.

Je rappelle que les règlements de l'Union Européenne conditionnent l'approche nationale de cette question. Certains pays européens, comme le Royaume-Uni, n'appliquent pas des règles sanitaires aussi strictes que celles qui prévalent dans notre pays. Dès lors, la France peut-elle continuer à jouer le rôle du chevalier blanc de l'Europe et à fermer les yeux sur les pratiques de ses plus proches voisins ? Par exemple, doit-on admettre que nous ne pourrions plus exporter nos ovins au prétexte qu'ils ont été vaccinés mais que l'on importe des animaux porteurs de la fièvre aphteuse ?

Mme Guitard - Au sein de la DPEI, nous avons vécu la crise de la fièvre aphteuse au travers de ses conséquences économiques, tant pour les éleveurs que pour les abatteurs, les filières de commercialisation et les exportateurs.

Sur le plan du respect par l'ensemble des pays membres de l'Office International des Epizootie (OIE) de la charte de cet organisme, nous ne pouvons pas faire de procès d'intention, à moins que les experts de l'OIE ne se rendent compte que, dans certains pays, la réalité est différente du statut affiché, ce qui peut se produire. En termes d'échange, tant au sein du marché unique qu'avec les pays tiers, nous sommes contraints de prendre acte des statuts dans lesquels s'inscrivent les différents pays avec lesquels nos opérateurs commercent. Contrairement à la DGAl, la DPEI n'est pas en charge des relations avec les autres pays du monde en matière de statut sanitaire. Notre rôle consiste simplement à prendre acte du statut sanitaire de chacun de ces pays. Dès lors, nos opérateurs commercent avec leurs collègues étrangers dans le respect des différentes réglementations.

M. Philippe Arnaud, président - Précisément, est-il acceptable que des règles économiques qui nous sont imposées ne prévalent pas également dans les autres pays ? Ma question se pose en termes économiques dans la mesure où la fièvre aphteuse ne constitue pas un problème en matière de santé humaine.

Mme Guitard - Effectivement, toute cela se ramène à une question économique puisque nous voyons clairement qu'il existe des possibilités de distorsion de concurrence. Or il nous semble absolument inacceptable que tous les pays n'appliquent pas des règles similaires. Selon que l'on se situe d'un côté ou de l'autre d'une frontière, on est soumis à des règlements différents. Cette situation a des conséquences directes et immédiates en matière de distorsion de concurrence entre les différents opérateurs.

M. Philippe Arnaud, président - Ce sujet ne relève-t-il pas d'une guerre économique ?

Mme Guitard - Dans le domaine agricole, la France est un pays exportateur. Elle lui est donc difficile, vis-à-vis des autres pays exportateurs, de faire état de protectionnisme. Par exemple, dans le secteur du vin, nous tentons d'imposer aux autres états les règles oenologiques qui sont les nôtres. Or nous avons la plus grande difficulté à leur faire comprendre qu'un pays exportateur de produits agricoles, comme la France, soit le premier à souhaiter ériger des règles. En effet, nombre de nos partenaires qui souhaitent se lancer dans une dynamique d'exportation auraient tendance à comprendre plus facilement que la France se situe parmi les pays les plus favorables à une position très libérale en la matière.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons appris que l'Europe et la France avaient importé du boeuf « Hilton », certes de très haute qualité, mais qui provient d'Argentine. Seriez-vous en mesure de nous apporter des précisions sur ce sujet ? En effet, nous sommes très intéressés par cette question puisque l'Argentine est un pays atteint par la fièvre aphteuse. Or il serait tout de même paradoxal qu'un produit -même de très grande qualité- ait été importé d'un pays touché par ce virus.

Mme Guitard - Je ne suis pas en mesure d'évoquer aujourd'hui les pratiques en vigueur dans le passé. En revanche, je vous indiquerais que nous avons très récemment pris des dispositions pour interdire l'introduction sur notre territoire de viandes argentines. En outre, je m'engage à vous fournir ultérieurement les données relatives à ces importations durant les derniers mois. A priori, je n'ai aucune raison d'exclure l'hypothèse que vous avez formulée.

M. Philippe Arnaud, président - Cette interdiction de l'importation de viandes en provenance d'Argentine émane-t-elle de la France ou de l'Europe ?

Mme Guitard - Cette disposition a été prise au niveau national.

M. Philippe Arnaud, président - Je cède maintenant la parole à M. le Rapporteur.

Jean-Paul Emorine, rapporteur - Dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les Etats-Unis imposent un certain nombre de règles auxquelles l'Union Européenne se plie, comme les aides aux restitutions ou à l'agriculture. Dans le même temps, nous constatons que les Américains ont versé trois fois plus d'aides à leurs agriculteurs que les Européens. Par ailleurs, il s'avère que les Etats qui refusent d'importer des denrées alimentaires issues d'animaux européens sont ceux d'Amérique du Nord, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Or nous savons que ces Etats commercent par ailleurs avec l'Union Européenne. Des quantités conséquentes d'ovins sont importées d'Australie par l'Europe. Il semble que les exportations de la France vers ces pays se situent essentiellement dans le secteur de la production porcine, qui est organisé de manière industrielle. Il s'agit même de la filière qui pose le plus de difficultés en matière d'environnement. Dès lors, n'est-il pas légitime de s'interroger sur l'avenir de cette production et de son extension dans notre pays ? En effet, ces types d'élevages sont souvent ceux qui remettent en cause toute possibilité de vaccination. Serait possible, selon vous, d'initier une réflexion au niveau national sur ce sujet ? Il s'agirait de considérer que les exportations en direction de l'Amérique du Nord, de la Nouvelle-Zélande et, peut-être, de l'Asie représentent environ 1,1 milliard de francs pour la France, ce qui est relativement négligeable lorsqu'on sait que l'excédent de notre balance commerciale en matière agricole se situe aux alentours de 60 milliards de francs.

Etant un Européen convaincu, je ne crains pas que l'on me prête des arrières pensées protectionnistes. Je considère que lorsque l'on souhaite disposer d'une agriculture de qualité qui occupe l'espace, il est légitime de s'interroger sur l'extension de la production porcine sur notre territoire.

Mme Guitard - Je crois que votre interrogation s'articule en deux axes. La première question a trait au comportement de certains pays membres de l'OMC en matière d'aides à l'agriculture. Il est vrai que lorsque a été introduite, durant le cycle de l'Uruguay, l'agriculture, qui avait jusque-là été écartée des négociations de l'OMC, les Américains ont développé une vision très différente de l'agriculture telle que nous l'envisageons en Europe. Sur le vieux continent, cette agriculture a réussi, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, à passer d'un stade de non suffisance à un niveau d'exportation. En outre, l'agriculture joue un rôle important dans l'aménagement du territoire européen. Vous savez que lors du dernier cycle, à Marrakech, s'est imposée la conception de trois boîtes (orange, bleue et verte), avec des conditions d'évolution de chacune d'entre elles. A cette occasion, les Américains ont protégé un certain nombre de modalités de financement de leur agriculture qui ressemblent, de près ou de loin, à des règles très « distortives » par rapport aux dispositions du commerce international. D'ailleurs, le gouvernement français est très attaché à ce que, lors du prochain cycle qui débute actuellement, soient évoquées l'ensemble des aides aux exportations, et non pas seulement des dispositifs relatifs aux restitutions. Par conséquent, lors de la Présidence française de l'Union européenne, qui s'est terminée le 31 décembre 2000, nous avons fait adopter par le Conseil des Ministres de Bruxelles une feuille de route qui sera utilisée par la Commission dans le cadre de la négociation des conditions du nouveau cycle. Nous avons notamment veillé, sur le volet des aides à l'exportation, à ce que l'ensemble des outils soit effectivement discuté. En effet, il ne saurait être question de négocier seulement sur les restitutions alors que nous savons parfaitement que les Américains, en particulier, ont mis en place des systèmes très proches de ceux de deficency paiement leur permettant de répondre très rapidement à des chutes de cours qui pénaliseraient leurs producteurs. En outre, même si cela touche aussi à des questions éthiques, nous n'ignorons pas que les Américains utilisent l'aide alimentaire comme une arme économique. Dans ce domaine, nous réclamons que désormais cette aide s'inscrive dans le cadre de programmes et ne se limitent plus à des opérations de « marchés de surplus » visant à décharger des secteurs en situation d'engorgement. Nous ne souhaitons pas que soit instaurée une pratique de pénétration de marché à vil prix et que ces pratiques viennent remplacer les flux traditionnels.

J'aborderais maintenant le deuxième volet de votre question : l'avenir de la production porcine et de nos exportations dans ce secteur. La DPEI considère que l'acceptabilité pour les Français et les Bretons, en particulier, d'un mode de production extrêmement intensif, qui entraîne des conséquences environnementales très lourdes, devrait constituer un facteur significatif d'évolution des systèmes de production avant que le barrage de la baisse des aides à l'exportation n'intervienne. Il est vrai que si l'on considère les aspects quantitatifs et qualitatifs, il est légitime de mettre en évidence, d'une part, la portion congrue que représentent les exportations de porc mobilisant des restitutions et, d'autre part, les dommages qui peuvent être causés à l'environnement par ce type de production. Or il nous semble, notamment à travers les dernières manifestations de l'ensemble de la société françaises sur ce sujet et les conclusions de la mission Gérondeau, que les producteurs bretons sont également en train d'évoluer et de prendre conscience du fait que ce mode d'élevage intensif est condamné à plus brève échéance que nous ne pouvions l'imaginer voici seulement quelques années. J'ajouterais d'ailleurs que l'ensemble de la production agricole me paraît intégrée dans ce mouvement de fond. A l'occasion du débat sur le projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques, nous avons ainsi constaté l'importance que le monde agricole attache au fait que l'agriculture raisonnée apparaisse désormais comme un objectif, en tant que tel, de l'agriculture française. Les différents acteurs de ce secteur souhaitent que l'agriculture raisonnée soit définie par les pouvoirs publics. Il faut savoir qu'aujourd'hui, des entreprises de la grande distribution, au nom de leur conception du sujet, érigent leur propre cahier des charges et se prévalent de vendre des produits issus de l'agriculture raisonnée. Par conséquent, je considère que nous assistons à la convergence d'un certain nombre d'éléments qui va nous conduire vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement, même si cela suppose de renoncer à certains flux commerciaux traditionnels.

M. Philippe Arnaud, président - Madame, à la suite de la crise de la fièvre aphteuse, qui n'est d'ailleurs pas terminée d'un point de vue économique même si les difficultés sanitaires ont été surmontées, la DPEI a-t-elle tiré des enseignements qui nous permettraient éventuellement d'appréhender les problèmes différemment dans l'avenir ? Cela constituerait, à mon sens, un facteur de progression tout à fait significatif.

Mme Guitard - Lorsqu'est apparu le premier foyer de fièvre aphteuse, dès le 13 mars, nous sommes entrés en contact avec l'OFIVAL et les Directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) concernées. Nous avons alors établi que les interdictions de mouvement des animaux, telles que celles qui sévissaient dans l'Orne et la Mayenne, puis la Seine et Marne, pouvaient avoir des conséquences particulièrement négatives. En effet, nous savons que l'extrême spécialisation des exploitations crée des fragilités au regard des aléas climatiques, mais également dans le cas de problèmes liés à la santé animale. A cet égard, j'avoue avoir découvert que la Mayenne était un département se caractérisant par une présence très forte d'éleveurs de porcelets qui sont engraissés en Bretagne. Dans ce département se trouvent également beaucoup de multiplicateurs, qui fournissent de jeunes truies reproductrices aux élevages de la Mayenne et des départements bretons. La très grande fragilité engendrée par cette extrême spécialisation des élevages a pour conséquence que l'impact des mesures sanitaires est d'une dimension différente de ce qui pouvait exister voici quelques décennies. Ainsi, l'organisation du séjour prolongé de ces animaux qui ne pouvaient quitter l'exploitation ou de la collecte laitière se sont avérés problématiques, compte tenu de la spécialisation des outils de transformation et du fait, notamment dans le secteur laitier des départements de l'Orne et de la Seine-et-Marne du développement de produits sous des signes officiels de qualité. Du jour au lendemain, nous avons mis des entreprises qui s'étaient spécialisées dans la fabrication de Brie de Meaux et de Brie de Melun dans l'incapacité de continuer à fonctionner.

M. Philippe Arnaud, président - Intervenez-vous directement sur les questions d'indemnisation ?

Mme Guitard - Cela a constitué le sujet majeur des travaux de la DPEI. En effet, l'ensemble des questions sanitaires a été traité par la DGAL. Pour notre part, nous avons eu à nous occuper des éleveurs ayant sur leurs exploitations des animaux qui allaient devoir y rester plus longtemps que prévu. Dès lors se sont présentés deux cas de figure : les animaux pour lesquels cela était techniquement possible parce qu'il n'étaient pas « finis » et ceux pour lesquels chaque jour qui passait entraînait une diminution de la valorisation commerciale. Je pense, en particulier au cas des porcs charcutiers : lorsqu'ils sont « finis », leur valeur marchande cesse de croître. En outre, les exploitations ne sont pas équipées pour garder des animaux au-delà d'un certain poids et ne disposent plus des produits qui conviennent à leur alimentation. Par ailleurs, nous avons été amenés à examiner le cas des abattoirs, des ateliers de découpe ou de transformation et des industries laitières. Du jour au lendemain, ces entreprises se sont subitement trouvées dans une situation où, soit elles ne pouvaient plus abattre, soit elles ne disposaient plus de bassins de consommation. Ainsi, il leur est devenu impossible de commercialiser des animaux dans la mesure où nous avions en quelque sorte balkanisé, théoriquement, cinq départements. En réalité, ces mesures se sont appliquées à trois départements puisque le problème a essentiellement concerné l'Orne, la Mayenne et la Seine et Marne. Par conséquent, les effets indirects sont très complexes à mesurer et la spécialisation des exploitations et des ateliers de transformation font que les pertes indirectes liées à une crise peuvent engendrer des conséquences très lourdes sur certaines exploitations et entreprises agro-alimentaires.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Madame, avez-vous évalué l'ensemble de ces pertes indirectes ?

Mme Guitard - Dans ce domaine, une première évaluation a été réalisée rapidement parce qu'elle était simple à effectuer par l'Administration. Nous nous sommes rapprochés des DDAF qui nous ont fourni une configuration précise des cheptels de l'Orne, de la Mayenne et de la Seine et Marne. Ainsi, nous avons évalué le nombre de porcs charcutiers, de jeunes bovins et de jeunes truies qui ne pourraient être déplacés. Nous avons prévu une indemnité de 23 millions de francs afin que les opérateurs acceptent d'abattre les porcs et les jeunes bovins des départements concernés, en rétribuant les éleveurs en fonction du cours normal de la viande. Bien entendu, nous avons intégré le fait que cette viande subirait une dévalorisation commerciale, soit parce qu'elle porterait la mention « abattue en période de fièvre aphteuse dans un département touché », soit parce qu'elle devrait être désossée, congelée et déstockée. Pour les industries qui ont localement accepté de décharger les exploitations des animaux « finis », nous avons donc prévu un montant de 23 millions de francs.

Ensuite se pose le problème de l'ensemble des répercussions commerciales. En effet, un certain nombre d'entreprises sont entrées dans l'épizootie de fièvre aphteuse alors qu'elles étaient affaiblies par la crise de l'ESB. Par conséquent, il est parfois difficile de distinguer les éléments imputables, d'une part, à l'ESB et, d'autre part, à la fièvre aphteuse. En outre, il s'agit de se demander jusqu'où doit aller l'indemnisation. Elle devrait se situer, selon nous, à un niveau compris entre 15 et 20 millions de francs pour des entreprises ayant réellement été menacées. En revanche certains professionnels estiment que les dommages subis sont incommensurables. Ainsi, il nous est réclamé des indemnisations pour perte d'image, ce qui est très difficilement mesurable, tant en termes de durée que de zone géographique concernée. Dès lors existe le risque de sombrer dans le plus grand pessimisme ou dans des effets d'aubaine très complexes à traiter d'une manière équitable.

M. Philippe Arnaud, président - Lorsqu'elle traite ces problèmes d'indemnités, la DPEI tient-elle compte de la situation qui aurait été la nôtre si nous avions connu une épizootie comparable à celle qui touche la Grande-Bretagne ? En outre, considère-t-elle le fait que la réponse immédiate et probablement brutale de la France à cette crise a permis de limiter les dégâts ? Si la DPEI ne prend pas en compte ces éléments pour indemniser les différentes parties concernées, sachant que nous sommes toujours à la veille d'une nouvelle épizootie, les pouvoirs publics ne trouveront probablement pas, dans l'avenir, le même échos favorable auprès des éleveurs et de tous les acteurs de la filière. En effet, le dispositif français de réponse à cette crise repose sur un ensemble de mesures rapides qui ne doivent pas être discutées. Je vous précise que je poserai la même question au Ministre de l'agriculture.

Mme Guitard - Au sein de la DPEI, nous avons tenté de faire la part des choses entre deux cas de figure. D'une part, il existe des exploitations et des opérateurs qui peuvent, de manière objective, se prévaloir de préjudices liés à la fièvre aphteuse, pour lesquels les approvisionnements, les débouchés ou la capacité de fonctionnement ont été réduits à néant. D'autre part, un certain nombre d'entreprises ont fait valoir des arguments discutables. Il existera toujours des personnes qui entrent dans une course effrénée aux subventions, tandis que d'autres essaient de minimiser leurs demandes auprès des pouvoirs publics.

Nous disposons à la DPEI d'un partenaire de poids, le Secrétariat d'Etat au budget, qui a une vision encore plus restreinte, en termes qualitatifs et quantitatifs, de ce que sont les relations de cause à effet entre la fièvre aphteuse et les besoins d'indemnisation des entreprises. Vous avez probablement constaté que la DGAL a procédé à des abattages massifs et à la mise en place, dans l'urgence, de mesures draconiennes qui ont mis à mal le fonctionnement de certaines entreprises. Par conséquent, nous avons, à mon sens, le devoir de procéder à certaines indemnisations. Par ailleurs, je souhaite préciser, de manière très objective, que la solidarité et la réactivité des différentes filières se sont exprimées de manière très diverse en fonction des départements et des types de production. Je tiens, en particulier, à signaler la rapidité et l'efficacité avec laquelle toutes les entreprises de collecte de lait de l'Orne et de la Mayenne, puis de la Seine et Marne, ont réorganisé l'ensemble de la collecte de manière à ce qu'aucun agriculteur ne conserve des stocks de lait dans son exploitation. A l'inverse, dans le secteur de la viande, nous n'avons pas ressenti la même dynamique interprofessionnelle.

M. Philippe Arnaud, président - Il nous a été soumis un certain nombre de questions concernant des animaux ou des produits finis exportés par des entreprises françaises et qui auraient subi un embargo par la suite. Dans ce domaine semblent se poser des difficultés pour faire valoir le droit à l'indemnisation. En effet, il s'agit de se demander à qui appartiennent ces marchandises. La facture étant établie, le client devrait payer, mais il ne le fait pas parce qu'il doit détruire ou rapatrier les produits qu'il a reçus. Ces problèmes ont-ils été portés à votre connaissance et pourriez-vous nous communiquer des éléments sur ce sujet ?

Mme Guitard - J'imagine que vous faites allusion, notamment, à des cargaisons exportées vers le Japon. D'abord, il existe un certain nombre de risques commerciaux qui sont assurables et d'autres qui ne le sont pas. Il s'agit donc d'établir une première distinction entre ces deux catégories de risque. Ensuite, nous devons constater que certaines entreprises font preuve de beaucoup d'imagination après avoir constaté que certains débouchés sont fermés pour trouver des débouchés de substitution.

Si la facture globale devait être prise en considération de la manière souhaitée par les opérateurs, le budget du Ministère de l'agriculture n'y suffirait probablement pas. En revanche, dès lors qu'un opérateur a effectivement connu des difficultés commerciales, dans le cadre d'un risque non assurable, puis a cherché en vain des débouchés alternatifs, nous plaiderons auprès du Secrétariat d'Etat au budget pour qu'il soit indemnisé en fonction de son préjudice objectif. Nous allons étudier de manière ciblée chaque cas. Ainsi, nous allons prendre en considération le fait que, par exemple, certains grands groupes, aient pu compenser les difficultés passagères et locales que subissait une de leurs entreprises implantée dans l'Orne, la Mayenne ou la Seine et Marne.

M. Philippe Arnaud, président - Nous reviendrons sur ces questions avec le Ministre de l'agriculture. Je souligne toutefois que nous devons envisager le risque, dans le cas d'une nouvelle épizootie, que certaines petites entreprises, estimant avoir été lésées, ne prennent pas toutes les précautions de rigueur ou puissent éventuellement décider de contourner les dispositions réglementaires. Or nous savons que cela serait très grave en matière de développement de la fièvre aphteuse puisqu'il nous a été clairement expliqué, lors des différentes auditions, que si tous les règlements existants étaient scrupuleusement appliqués, la fièvre aphteuse serait totalement éradiquée. Par conséquent, nous sommes encore à la veille d'une nouvelle épizootie parce qu'il existera toujours des fraudes et des personnes peu scrupuleuses.

Mme Guitard - Dès le 19 mars, le Ministre de l'agriculture a annoncé qu'une enveloppe de 30 millions de francs serait constituée pour indemniser les opérateurs. Il est prévu de verser sept millions aux agriculteurs qui ont du conserver leur cheptel sur leur exploitation et 23 millions aux entreprises qui ont bien accepté de débarrasser les exploitations de leurs produits finis. En outre, nous envisageons d'indemniser à hauteur de 15 à 20 millions de francs les sociétés qui feront état de préjudices avérés. Ces sommes seront allouées à des petites entreprises qui n'ont pas eu d'alternative.

Je faisais allusion précédemment à certaines entreprises qui, bien que portant un nom particulier, font en réalité partie d'un grand groupe qui, par ailleurs, peut fort bien avoir amorti cette situation difficile. Nous veillerons systématiquement à disposer des comptes consolidés des entreprises. Nous ferons donc clairement une différence entre les PME qui n'ont aucune possibilité de substitution et d'autres qui se situent également dans d'autres départements français ou pays de l'Union Européenne. Nous nous attacherons donc à attribuer ces 15 à 20 millions de francs, avec l'accord du Ministère du budget, à des PME identifiées et qui sont en mesure de démontrer que leurs approvisionnements, leurs débouchés ou leur capacité à produire ont été totalement remis en question par le dispositif réglementaire que nous avons mis en oeuvre avec la DGAL.

M. Philippe Arnaud, président - Pourriez-vous nous décrire plus précisément la répartition de cette enveloppe de 30 millions de francs par nature d'activité ? En outre, quelle est l'origine de ces fonds ?

Mme Guitard - L'origine des fonds est claire : il s'agit de crédits qui vont être ouverts à l'OFIVAL pour ce qui concerne, d'une part, les 23 millions et, d'autre part les 15 à 20 millions de francs supplémentaires que je viens d'évoquer. Les sept millions de francs restants seront des crédits issus directement du Ministère de l'agriculture et qui seront gérés par la Direction des affaires financières. Je vous ferais parvenir la liste complète de ces différents fonds. Bien entendu, ces chiffres ne tiennent pas compte de l'indemnisation des troupeaux abattus préventivement et des cheptels se situant dans les zones de foyers déclarés qui font l'objet d'une indemnisation de la part de la DGAL. Pour notre part, nous gérons uniquement la partie aval de la crise et traitons de l'indemnisation liée aux pertes indirectes qui ne sont prises en charge ni par la DGAL ni par la Commission Européenne.

M. Philippe Arnaud, président - Il est prévu que l'Union Européenne participe à hauteur de 60 % à ces indemnisations. Cela est-il effectivement le cas ou bien avez-vous rencontré des difficultés ?

Mme Guitard - Je crois qu'il est possible d'envisager que la Commission européenne fasse preuve d'ouverture d'esprit en ce qui concerne les aspects strictement sanitaires et établisse une distinction entre les foyers avérés et ceux pour lesquels des animaux ont été abattus sans que le virus ne se déclare. D'ailleurs, une démarche dans ce sens a déjà été entreprise en direction de la Commission qui s'est déclarée disposée à élargir son champ d'intervention, aujourd'hui limité aux cas de foyers avérés. Actuellement, elle n'intervient pas lorsque des cheptels font l'objet de suspicions sans que le virus ne se déclare. Dans l'avenir, nous pouvons espérer que la Commission puisse envisager d'étendre ce cofinancement de 60 % à ce dernier cas. En revanche, nous n'avons pas soulevé la question des pertes indirectes en aval de la filière et je crois que nous n'évoquerons pas ce sujet.

M. Philippe Arnaud, président - Cette question fait pourtant l'objet d'un point particulier dans les dispositions européennes. Il est indiqué que doit être mise en oeuvre « toute mesure qui serait jugée indispensable pour enrayer le développement de l'épizootie ». Nous savons que les autorités de Bruxelles ont décrété un embargo qui concernait, entre autre, les fromages au lait cru, à la suite du questionnement de la France sur ce sujet. Or cette mesure qui s'applique, non l'élevage, mais à la filière alimentaire, était indispensable dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse.

Mme Guitard - Je m'engage à poser la question à la Commission. Toutefois, je crains de connaître la réponse. J'imagine qu'il nous sera répondu que les consommateurs français et ceux des autres pays européens n'auraient pas souffert outre mesure de la disparition temporaire des fromages au lait cru et que la disposition adéquate aurait été de pasteuriser le lait.

M. Philippe Arnaud, président - Or nous aurions ainsi fait disparaître le fromage au lait cru.

Mme Guitard - Vous avez parfaitement raison. C'est d'ailleurs ce que nous avons absolument voulu éviter.

M. Philippe Arnaud, président - Je rappelle que nous savons désormais que ce type de fromages ayant subi, lors de leur fermentation, une variation de pH, ne présentent aucune possibilité de transport du virus.

Mme Guitard - Il semblerait que cela soit effectivement le cas. Toutefois, vous me permettrez de ne pas me prononcer sur ce sujet dans la mesure où ces données sont très récentes.

M. Philippe Arnaud, président - Nous disposons cependant d'attestations et d'avis convergents dans ce sens. Il conviendrait que ce point soit désormais indiqué clairement dans les règlements en vue d'une prochaine épizootie.

M. Louis Grillot - Madame, disposez-vous, sur le terrain, du personnel suffisant pour évaluer l'ensemble des pertes indirectes, y compris dans les départements voisins des foyers d'infection ? A cet égard, je vous citerais l'exemple d'un éleveur qui n'a pu vendre trois taureaux de reproduction en temps voulu. Il s'agit d'une perte, certes indirecte, mais tout à fait conséquente pour cet éleveur.

Mme Guitard - Je pense que nous allons être amenés à étudier ce type de cas particuliers. Par ailleurs, je considère que les DDAF disposent d'un personnel suffisamment compétent et présent sur le terrain pour réaliser des évaluations correctes. Toutefois, il est évident que nous serons obligés d'examiner le poids relatif du dommage subi par rapport au chiffre d'affaires de l'exploitation. L'exemple que vous avez cité est à considérer différemment selon que la vente de ces trois taureaux représente une part significative du chiffre d'affaires de l'exploitant agricole ou qu'il s'agit d'une activité très marginale. Vous n'êtes pas sans savoir que toutes nos mesures s'accompagnent, d'une part, de seuils minimums et, d'autre part, de pondérations. Ainsi, selon qu'il s'agit d'une activité dominante ou marginale, l'indemnisation sera différente.

M. Philippe Arnaud, président - Madame, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation et de nous avoir apporté votre contribution.

Mme Guitard - Je vous remercie pour votre accueil. Comme convenu, je vous fournirai une information relative à l'importation de boeuf argentin et à l'évaluation des pertes indirectes en aval de la filière.

36. Audition du Docteur Dalil Boubakeur, Recteur de la Mosquée de Paris

M. Philippe Arnaud, président - Docteur, nous vous remercions d'avoir accepté de répondre à notre invitation. Vous savez que nos travaux portent sur l'épizootie aphteuse. Cette crise s'est située durant la période des fêtes de l'Aïd El Kébir qui ont engendré des mouvements importants de moutons. Nous souhaiterions connaître, de manière plus détaillée, les rites qui doivent accompagner ces fêtes et la façon dont ils sont pratiqués. Pourriez-vous nous dire si les autorités nationales mettent à la disposition de la communauté musulmane des équipements sanitaires en nombre suffisant ? D'une manière générale, quels problèmes rencontrez-vous et quels types de solutions pouvons-nous rechercher pour les résoudre ? Je précise que mon propos ne suggère en rien que l'Aïd El Kébir puisse être la cause de l'épizootie de fièvre aphteuse en France. En effet, nous savons que le virus nous est parvenu de Grande-Bretagne. J'ajoute que, selon les scientifiques, nous sommes toujours à la veille d'une nouvelle épizootie si nous nous maintenons dans notre décision de ne pas vacciner le cheptel. Nous devons donc réfléchir à l'ensemble des risques liés à la fièvre aphteuse.

Docteur Dalil Boubakeur - Monsieur le Président, je vous remercie de m'avoir convié à cet échange sur un problème commun à la société française et à la communauté musulmane, même si j'utilise ce terme de communauté avec précaution. Il s'agirait plutôt de la famille religieuse de l'Islam, la deuxième de France par le nombre de ses pratiquants. Vous avez souligné, Monsieur le Président, la coïncidence malheureuse de l'Aïd El Kébir et de cette crise. La famille religieuse à laquelle j'appartiens a donc été amenée à pratiquer un rite important de l'Islam, qui est celui du sacrifice des ovins, en particulier, durant cette épizootie. Bien entendu, il ne m'appartient pas de juger des aspects vétérinaires de la fièvre aphteuse ni de ses conséquences médicales sur la santé des consommateurs.

D'abord, il convient de situer le rite du sacrifice dans son contexte religieux. De ce point de vue, l'Aïd El Kébir, fête du sacrifice, fait partie intégrante du cinquième pilier de l'Islam. Il s'agit du pèlerinage à La Mecque, que chaque musulman doit effectuer une fois dans sa vie.

A l'issue de cette visite pieuse, échelonnée de différents rites, se situe le sacrifice du mouton, comme il le fut à un lieu nommé Mineh , qui est l'endroit consacré pour ce rituel en rappel à Abraham. En fonction de cet acte effectué à La Mecque, l'ensemble des musulmans du monde sacrifie un animal ce même jour ou les deux jours suivants.

Il s'agit de se poser la question de l'origine de ce sacrifice. Vous savez que l'Islam se réfère au prophète commun aux trois religions monothéistes, qui est lui-même le père du monothéisme : Ibrahim (Abraham). Pour notre part, nous le considérons comme un habitant de la Mésopotamie dont l'appartenance à la communauté juive n'est pas avérée, du point de vue musulman. Ayant rompu avec les traditions astrologiques de la Mésopotamie, il a entendu l'appel du Dieu unique. Au cours de ses périples en Egypte, en Palestine et à La Mecque, il a d'abord eu pour épouse Sarah, dont il a eu un fils nommé Isaac, puis Hagar avec laquelle il a également eu un fils dénommé Ismaël. Dans notre tradition, Isaac est le père du judaïsme tandis qu'Ismaël est le père des Arabes, qui deviendront plus tard les Musulmans. Lors de son retour d'Egypte, alors qu'il abordait l'Arabie où il avait laissé Hagar et son fils Ismaël, ont été consacrés les premiers rites du pèlerinage à La Mecque. En effet, alors qu'Agar allait sur le site de la future ville sainte, son tout jeune fils a fait surgir une source dont l'eau est sacrée.

Selon notre tradition, Abraham et son fils Ismaël ont reconstruit le temple de la Kaaba. A l'issue de cela, Abraham a reçu l'ordre de Dieu d'immoler son fils aîné, qui est Ismaël pour le Coran. Je signale que le judaïsme considère que l'aîné est Isaac. Il existe donc un différent entre Juifs et Musulmans sur la personne de celui qui devait être immolé. Obéissant à cet ordre, Abraham s'apprêtait à égorger l'enfant consentant sur ce site de Mina lorsqu'un bélier est venu se substituer à Ismaël. Cet animal venait donc remplacer et sauver Ismaël, mais aussi incarner l'obéissance d'Abraham au Dieu unique. Par conséquent, le sacrifice du mouton n'est nullement, comme le croient beaucoup de musulmans, l'offrande d'un animal à Dieu, ce qui serait contraire à l'Islam. En réalité, il représente le signe de satisfaction de Dieu, en réponse à l'obéissance d'Abraham. Cette acceptation de se soumettre à Dieu est considéré dans l'Islam comme un signe d'appartenance religieuse. En ce sens, Abraham est considéré comme le premier des musulmans.

Le sacrifice est reconnu par les trois religions monothéistes, mais ne fait pas l'objet, dans l'Islam, d'un ordre coranique qui aurait été donné à la communauté. En revanche, le prophète de l'Islam, dans le cadre d'une tradition bien établie, a initié lui-même ce rite en sacrifiant, dit-on, deux moutons. Ainsi, ce rituel a été établi en l'an deux de l'Hégire, qui correspond à l'an 624 du calendrier chrétien. Dès lors, les Musulmans ont adopté cette règle communautaire qui consiste à sacrifier un mouton en souvenir du geste que le prophète avait accompli en référence à Abraham.

Ce sacrifice a lieu à un moment précis du pèlerinage à La Mecque, le dixième jour, qui se situe durant le dernier des mois de l'année lunaire musulmane Dhu-Al-Hijja. Au neuvième jour de ce mois se situe un moment très important qui est la station au mont Arafat. Il s'agit d'un grand rassemblement des pèlerins dans ce lieu. Le lendemain est pratiqué le sacrifice par les musulmans du monde entier. Je souhaiterais faire deux remarques. D'une part, ce rituel peut être effectué avec un ovin, mais aussi avec un caprin, un chameau ou un boeuf. D'autre part, chaque pèlerin de La Mecque n'est pas tenu de faire ce sacrifice rituel. Par contre, il doit faire un sacrifice expiatoire (Had'Ye) pour le non-respect de certaines obligations rituelles. Il existe donc actuellement à La Mecque un sacrifice par délégation où plusieurs musulmans se cotisent et délèguent le rituel à un sacrificateur commun.

J'ajouterais enfin un élément qui est peu pratiqué et relativement méconnu en France : le sacrifice peut durer pendant trois jours, du lever au coucher du soleil. Le premier jour, il peut être pratiqué uniquement après la prière rituelle de l'Aïd, par un sacrificateur en état de purification. Ces trois jours se situent le dixième, le onzième et le douzième jour du douzième mois de l'année lunaire. Durant cette période, le rituel peut-être pratiqué de manière parfaitement légale et admise par l'Islam.

L'animal sacrifié, qui n'est pas une offrande à Dieu, a une fonction de partage pour la famille, les voisins et les pauvres à qui est réservée une part. Cette année, étant donné le problème de la fièvre aphteuse, nous avons demandé à la communauté musulmane de France de respecter un certain nombre de points. D'abord, nous avons demandé qu'avant chaque sacrifice les moutons soient contrôlés par des services vétérinaires. Cela pose, bien entendu, des difficultés pour les achats qui ne se font pas de manière réglementée : les animaux ne passent alors pas par des services vétérinaires et encore moins par des abattoirs. Ensuite, nous avons veillé à limiter au maximum les abus concernant les achats et les ventes de moutons, qui se traduisent par des stockages massifs. En effet, les négociants importent de grandes quantités de moutons de Grande-Bretagne, entre autres, introduisant ainsi la maladie en France.

En outre, un animal malade, selon le rite de l'Islam, ne doit pas être sacrifié. En effet, le rituel impose des règles de validité, tant dans le choix de l'animal qu'en termes de procédé sacrificiel qui doit être le moins barbare possible. Ainsi l'animal doit répondre à des critères sanitaires et morphologiques précis : il ne doit pas être malade, écorné, boiteux, trop vieux ou trop jeune, par exemple. Il doit donc se trouver dans les meilleures conditions sanitaires possibles afin d'être valable du point de vue du sacrifice. J'ajoute qu'il existe également une condition économique : la famille qui procède à ce rite doit être apte à assumer cette pratique. Le rituel ne doit pas mettre en difficulté cette famille. Par ailleurs, je rappelle que des personnes peuvent s'unir pour pratiquer ensemble un sacrifice d'un animal qui sera ensuite partagé.

M. Philippe Arnaud, président - Docteur, nous vous remercions pour cet exposé préalable à nos questions. Vous avez indiqué que le rite était ouvert en termes de pratiques. Estimez-vous qu'en France pourrait facilement être développée une pratique du sacrifice par délégation ? Si le procédé s'avérait culturellement acceptable dans notre pays, il pourrait permettre de pratiquer ce rite dans des conditions sanitaires meilleures que celles qui prévalent parfois aujourd'hui. A votre sens, existe-t-il une réelle prise de conscience des dangers de la fièvre aphteuse de la part de la communauté musulmane dans son ensemble ?

Docteur Dalil Boubakeur - Cette année, à la suite des prises de position des religieux et de l'administration, je considère que nous avons davantage assisté à un effet lié à la peur qu'à une véritable prise de conscience. En effet, l'Islam en Europe regroupe des communautés d'origine très diverse. Ainsi, il est représenté par des Indiens et Pakistanais en Grande-Bretagne et par des Turcs en Allemagne. En France, il est associé à la tradition du Maghreb, région dans laquelle l'élevage du mouton est très répandu. Par conséquent, cet animal a une valeur symbolique forte. Je dirai même qu'il est traditionnellement indissociable de ce rituel pour nous alors que dans la tradition indienne il pourra s'agir d'un autre animal. Le Maghreb a fondamentalement une culture du mouton.

Certes, nous pouvons expliquer à la communauté que ce rituel provient d'Arabie et est issu de l'Islam, et non du Maghreb. D'ailleurs, nous avons été, à la Mosquée de Paris, les premiers à développer un travail dans ce sens, que j'ai communiqué au Ministère de l'intérieur et dont, Monsieur le Président, je vous remets une copie. En toute modestie, ce document reprend, d'une manière officielle, l'ensemble des propos que je viens de tenir. Certains musulmans connaissent déjà ces différents points, mais nombreux sont ceux qui les ignorent. Ainsi, le sacrifice sur une durée de trois jours est très peu pratiqué au sein de la communauté. De même, la possibilité d'égorger un autre animal que le mouton est méconnue. J'ajouterais que la plupart des musulmans de France penseraient faire une entorse à la loi canonique en ne pratiquant pas ce rite. Pourtant, il ne s'agit absolument pas d'une loi canonique. Cela consiste simplement en une tradition qui doit être respectée dans la mesure où cela est possible. Par conséquent, nous devons réaliser un travail d'information religieuse afin d'expliquer précisément le rite. Ainsi, la communauté pourra intégrer les raisons de cette pratique.

M. Philippe Arnaud, président - Docteur, je vous remercie et je cède la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Monsieur le Recteur, comme vous l'avez indiqué, les animaux sacrifiés dans le cadre de la fête musulmane sont, dans la plupart des cas, issus de l'importation. A l'avenir, pourrions-nous envisager d'établir des relations entre votre communauté et les groupements de producteurs français afin de tenter d'élaborer un mouton qui serait apte au sacrifice ? Serait-il possible d'organiser, en collaboration avec la filière ovine française, l'élevage de moutons qui ne sont pas de type traditionnel ? Par ailleurs, nous connaissons tous la difficulté que cela représente de trouver des abattoirs sur une seule journée, dans la mesure où le message concernant les trois jours est encore très peu passé dans la communauté. Il semblerait que dans les régions de Lyon et de Marseille, les abattoirs soient largement utilisés. En revanche, ce n'est pas le cas en région parisienne. Dès lors, pourrions-nous envisager l'élaboration de projets d'abattoirs autour de Paris ?

Docteur Dalil Boubakeur - Votre première question est capitale dans la mesure où les premières perspectives qui se dégagent de nos discussions avec les éleveurs sont relativement négatives. Je vous ai indiqué que le calendrier musulman est fondé sur l'année lunaire qui avance chaque année de dix jours par rapport au calendrier chrétien. Cette année, l'Aïd a eu lieu aux alentour du 15 mars et se situera dans deux ans au mois de février. Or, selon les éleveurs, il semblerait que les prochaines années se caractériseront par une mauvaise natalité au sein du cheptel ovin. Par conséquent, nous devons nous attendre à des réductions encore plus fortes de l'offre d'animaux aptes au sacrifice. Il s'agit là d'un problème saisonnier sur lequel nous n'avons aucune prise.

Cependant, un certain nombre d'aspects doivent être moralisés du point de vue de la commercialisation des animaux. Les éleveurs et les négociants en bétail savent parfaitement à quel moment aura lieu notre fête et poussent souvent les musulmans à acheter un mouton, dont ils ne sauront finalement que faire. En outre, il est envisageable que nous soyons désormais très attentifs aux importations massives de moutons en France. Par conséquent, la communauté devra réduire le nombre d'animaux sacrifiés pour trois raisons.

L'offre de moutons va diminuer.

La natalité sera faible dans le cheptel durant les prochaines années.

Nous devrions assister à une réduction des sites d'abattage.

Sur ce dernier point, nous sommes très intéressés de voir comment il sera tenu compte des souhaits des communautés musulmanes britannique et allemande. Jusqu'à ce jour, les musulmans de France ont été largement privilégiés par rapport aux autres communautés européennes. Je dirai presque que nous nous trouvions quasiment dans une situation de non-droit. Monsieur le Président, vous savez parfaitement qu'un certain nombre de passe-droit et de sites dérogatoires ont permis des abattages importants sur le territoire français. Avant la crise de la fièvre aphteuse, nous étions dans une situation relativement stable. Vous avez évoqué les abattages en province. J'ai assisté à certains qui étaient parfaitement organisés et correctement préparés. Par conséquent, la situation était correcte jusqu'à la catastrophe que nous venons de vivre. Aujourd'hui, tout est remis en cause, à commencer par le nombre d'animaux à conduire aux abattoirs.

M. Gérard Larcher - Monsieur le Recteur, dispose-t-on d'une estimation précise des besoins du marché ? Par ailleurs, nous savons aujourd'hui régler les problèmes de saisonnalité grâce à la technique des éponges qui nous permet de donner naissance à des jeunes ovins lorsqu'on le souhaite. Enfin, ne pensez-vous pas que le moment est venu d'organiser cette tradition, qui se traduit chez les chrétiens par le rituel de la fête pascale ? Ainsi, nous pourrions donner une réponse technique à une tradition qui a une importance notable dans notre pays.

Je reviens de Grande-Bretagne où le désert animal est clairement visible. En effet, la disparition d'un tiers des ovins et d'un quart des bovins a forcément des conséquences lourdes sur le paysage agricole d'un pays. A la suite de l'épizootie que nous avons connue, il me semble que le temps est venu pour la communauté musulmane d'établir un constat clair sur le sujet. En effet, il existait, à mon sens, un marché parallèle très développé. Or nous ne pouvons plus nous satisfaire d'une telle situation. En outre, il s'agit de se demander quels seront les fournisseurs désaisonnalisés. Il s'agira inévitablement des pays de l'hémisphère sud, dont certains ne sont pas indemnes de la fièvre aphteuse, comme l'Argentine. En effet, il semble que la demande britannique absorbe à elle seule les exportations australiennes et néo-zélandaises. Dans ces conditions, notre rapport ne constitue-t-il pas l'occasion d'évoquer le sujet, dans le respect des traditions, d'une sorte de charte globale régissant cette pratique ?

Docteur Dalil Boubakeur - Je considère que vous avez parfaitement cerné le problème. La communauté musulmane de France dénombre près de cinq millions de personnes qui peuvent avoir des traditions différentes. Je vous ai expliqué que les orientaux pratiquent le rituel sur des camélidés, faute d'ovins. Toutefois, des différences existent également au sein des occidentaux. Les musulmans originaires d'Afrique centrale optent plus volontiers pour des brebis, pour des raisons que j'ignore, tandis que ceux du nord du continent préfèrent les moutons ou les béliers. Dans ce domaine, comme dans tout ce qui touche à la tradition, la religion n'est pas nécessairement en adéquation avec les pratiques.

En France, je considère que chaque année 100 000 ovins, voire davantage, sont mis sur le marché et sacrifiés. Environ un tiers seraient des animaux français, le reste étant issu de l'importation. Toutefois, ces chiffres ne sont que des estimations effectuées au sein de notre communauté. Il est certain que les importations de moutons seront moindres l'année prochaine, compte tenu des difficultés actuelles. Dès lors, nous disposerons au maximum des deux tiers du nombre actuel d'animaux. En effet, nous savons que les moutons sont importés entre deux et quatre semaines avant la fête. Par conséquent, nous allons être conduits à réduire de fait le nombre de sacrifices. En outre, les conditions d'abattage seront probablement plus draconiennes l'année prochaine dans la mesure où nous ne bénéficierons plus des sites dérogatoires dont nous disposions encore lors de la dernière fête. Enfin, compte tenu des divers mouvements d'opinion, le sacrifice risque de subir un certain nombre d'impératifs. En effet, la France pourrait être contrainte de faire appliquer les directives européennes en la matière.

Tous ces éléments nous conduisent à réfléchir à la manière dont on peut informer une communauté qui, je tiens à le souligner, a réagi de manière intelligente à la crise que nous venons de connaître. Toutefois, elle a certainement été prise au dépourvu et il serait probablement souhaitable aujourd'hui de mettre en place une action plus pédagogique. Il s'agit d'expliquer que le sacrifice ne constitue nullement une obligation canonique et qu'il est possible de déléguer ce rituel. Nous souhaitons même aller plus loin, Messieurs les Sénateurs en cas de force majeure. En effet, nous désirons trouver une fatwa, c'est-à-dire un avis juridique, permettant la substitution du sacrifice par une autre pratique, comme une distribution à des pauvres, ce qui constituerait une manière d'exonérer la communauté musulmane de ce rite. Les solutions existent. Il faut maintenant les faire connaître et les enseigner. Pour cela, des dignitaires religieux doivent s'associer à l'effort national afin d'éviter que des difficultés ne se fassent jour l'année prochaine. En effet, il est essentiel de comprendre qu'il s'agit véritablement d'un rituel très ancré dans la culture musulmane, qui constitue presque une tradition canonique. Néanmoins, je considère que la maturité de la communauté, qui a été prouvée cette année, nous laisse espérer une réaction intelligente dans l'avenir.

M. Dominique Braye - Monsieur le recteur, vous avez répondu à la quasi-totalité de nos questions. Ainsi, vous avez confirmé ce que de nombreuses personnes nous avaient déjà indiqué : l'abattage des moutons au moment de la fête de l'Aid El Kebir est davantage une question culturelle qu'un problème cultuel. Je suis Sénateur, élu de la région de Mantes-la-Jolie, dans laquelle réside une importante communauté musulmane originaire d'Afrique du Nord. Je suis donc bien placé pour savoir que ce rite est susceptible de poser d'importantes difficultés en matière d'ordre public. Vous savez que les élus doivent prendre en compte le ressentiment qui se fait jour dans la population lorsque sont organisés des abattages clandestins. Il conviendrait donc de faire évoluer les choses afin de faire comprendre que cette pratique n'est pas une obligation de l'Islam. Pourtant, ceux que je rencontre sont très attachés à cette tradition. La France est un pays relativement tolérant et je fais partie de ces élus qui désirent qu'elle le reste. Nous souhaitons en effet que la prise de conscience de la communauté musulmane puisse faire évoluer la situation. Par exemple, si nous supprimons les sites dérogatoires, vos chefs spirituels nous ont indiqué que nous assisterions à une reprise des abattages clandestins. Or nous ne pouvons pas accepter de telles pratiques. Dès lors, si vous prônez l'arrêt des sites dérogatoires, vous devez vous assurer de la maîtrise des abattages. Vous devrez donc préalablement avoir fait évoluer la Communauté musulmane pour qu'elle acquière l'habitude de pratiquer un rite de remplacement. Quoi qu'il en soit, il n'est pas envisageable que nous soyons à nouveau confrontés à une situation d'abattage clandestin massif. En ce sens, il existe une réelle responsabilité des responsables de votre communauté qui doivent intégrer le fait que nous pouvons envisager la suppression des sites dérogatoires uniquement à la condition que les mentalités, et donc les comportements, de cette communauté évoluent. En effet, je crains que la reprise des abattages clandestins n'entraînent un phénomène de rejet grandissant de la communauté musulmane.

Docteur Dalil Boubakeur - Monsieur le Sénateur, toute la difficulté est là. Malheureusement, ma communauté n'est pas constituée de médecins et de vétérinaires. Je dois vous dire que les personnes qui viennent du Maghreb ne comprennent pas les dispositions que nous avons prises lors de la crise de la fièvre aphteuse. En effet, une telle épizootie ne les empêche pas, chez eux, d'abattre l'animal et de le partager. Je vous prie de m'excuser pour la brutalité de mes propos, mais ils ne font que traduire une réalité. Les notions sanitaires en deçà de la Méditerranée sont très différentes de celles qui prévalent sur notre continent. Il m'a même été signalé des animaux souffrant de la tremblante qui avaient été sacrifiés et partagés. Par conséquent, l'argument strictement sanitaire agira, mais il ne sera pas fondamental. Ainsi, lorsque j'étais médecin près de Mantes la Jolie, j'ai reçu des personnes porteuses de kystes hépatiques authentiques. Ces patients avaient développé cette pathologie après avoir consommé des ovins en Afrique du Nord.

La culture et la tradition font que les musulmans souhaitent procéder à ce sacrifice. Il est vrai que la très forte couverture médiatique qui a suivi l'apparition sur notre territoire du virus de la fièvre aphteuse a tout de même incité chacun à sacrifier uniquement des moutons dûment examinés par les services vétérinaires. A mon sens, le sacrifice clandestin commence à être associé à la notion de dangerosité. Il m'a par exemple été signalé des personnes qui avaient acheté des moutons qu'ils n'ont finalement pas sacrifiés. Toutefois, cette situation demeure un cas exceptionnel et je ne sais si nous ne pouvons extrapoler la situation d'urgence que nous avons vécue.

Vous nous avez indiqué craindre que la suppression des sites dérogatoires n'entraîne une recrudescence des abattages clandestins. Je suis d'accord avec votre opinion, en ce sens que le risque existe effectivement. Il est nécessaire de comprendre qu'une tradition de cette importance ne peut être remise en cause. En outre, il est relativement complexe de faire passer l'information dans cette communauté composée essentiellement de petites gens qui n'ont pas une conscience sociétale très développée.

Pour ma part, je considère que nous avons le devoir d'analyser les problèmes qui se posent et d'agir afin d'aplanir les difficultés. Nous devons toutefois garder à l'esprit qu'il sera probablement nécessaire d'aménager la loi actuelle qui, par ailleurs, devra être longuement expliquée, étant donnée la taille très importante de la communauté musulmane de France. Nous devrons alors être en mesure de déterminer « jusqu'à quel point nous ne pourrons aller trop loin ».

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Recteur, je vous remercie d'avoir bien voulu répondre à notre invitation et de nous avoir apporté votre contribution. Effectivement, si je peux me permettre de rependre votre conclusion, la situation doit évoluer, mais il s'agit de se demander « jusqu'à quel point nous ne pourrons aller trop loin ».

Docteur Dalil Boubakeur - Monsieur le Président, j'ajoute que nous sommes déterminés à trouver ensemble une solution acceptable et qui, d'un point de vue médical, sanitaire et vétérinaire, ne présente aucune faille.

M. Philippe Arnaud, président - Comme le disait Monsieur Braye, nous devrons veiller à ce que toute évolution soit acceptée par la communauté musulmane afin d'éviter que cela ne crée à nouveau les conditions d'une recrudescence des abattages clandestins.

Docteur Dalil Boubakeur - Nous serons à vos côtés pour lutter contre ce fléau.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Recteur, nous vous remercions.

37. Audition de Jean Glavany, Ministre de l'agriculture

M. Jean Francois-Poncet, président de la commission des Affaires économiques - Monsieur le ministre, nous vous recevons en compagnie de MM. Philippe Arnaud qui est le Président de la mission d'information sur la fièvre aphteuse et Jean-Paul Emorine, Rapporteur de cette Mission.

M. Jean Glavany - Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous propose de vous présenter de manière aussi précise et concise que possible les différents aspects de la crise que nous venons de connaître. Cette crise a démarré le 21 février 2001, date à laquelle nous avons reçu une alerte émanant des autorités britanniques. C'est également ce jour qu'a été décidée, au niveau européen, la mise en place d'un embargo sur le Royaume-Uni. Dès lors, nous avons décidé de frapper vite et fort, selon la formule que j'ai employée. En effet, nous avons innové en procédant à des abattages préventifs qui n'existaient pas stricto sensu dans la Directive communautaire 90-423 qui, par ailleurs, interdit la vaccination en Europe depuis le 1° janvier 1992. Je ne regrette pas cette décision puisque nous avons découvert, a posteriori, nombre de moutons séropositifs parmi ceux qui avaient été importés de Grande-Bretagne avant l'embargo. Nous avons également mis en oeuvre une autre innovation qui a été couronnée de succès puisque nous avons fait « comme si » les zones dans lesquelles avaient été repérés les moutons séropositifs constituaient de véritables foyers, ce qui nous a conduit à adopter une attitude très rigoureuse. Nous avons pris les mêmes précautions à l'égard des 4 000 animaux importés des Pays-Bas.

I. LE DÉBUT DE LA CRISE DANS SON CONTEXTE

Nous nous trouvions alors dans une situation particulière puisque l'alerte s'est située peu de temps avant la fête de l'Aïd el Kébir qui entraîne une importation diffuse de moutons mal ou pas identifiés. En outre, la symptomatologie de la fièvre aphteuse chez les ovins est relativement sommaire, le diagnostic se révélait donc tout à fait aléatoire. Par conséquent, nous étions dans une situation où des ovins étaient vendus, partout en France, parfois sans contrôle ni facture, et donc, sans possibilité de traçabilité. Ainsi, ce fut une gageure de retrouver la trace de ces ovins afin de les récupérer. En revanche, nous devons reconnaître que l'Aïd et Kébir nous a également aidés. En effet, comme le disent les scientifiques, dans leur langage très poétique, l'abattage des moutons dans le cadre de cette fête a constitué une impasse épidémiologique. De ce point de vue, je considère donc que nous avons eu raison de ne pas interdire cette fête, comme beaucoup nous pressaient de le faire. Pour ma part, j'affirme que cette célébration a contribué à la lutte contre la fièvre aphteuse, compte tenu de l'absence de risque pour la santé humaine, sur laquelle je ne reviens pas.

Dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse, nous avons eu des difficultés liées au retard qu'ont connu les résultats des analyses sérologiques pratiquées par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA). Ce retard tient probablement au fait que l'AFSSA, depuis sa création, s'est concentrée sur un certain nombre de sujets, comme l'ESB. Ainsi, elle a été quelque peu prise au dépourvu par cette crise de la fièvre aphteuse à laquelle elle n'était pas préparée. Cela ne constitue toutefois pas la seule raison de ce retard. En effet, il faut savoir que, paradoxalement, alors que le virus de la fièvre aphteuse est bien connu, la sérologie de cette maladie est plus aléatoire.

Plus généralement, cet épisode nous a rappelé combien il est important pour les gestionnaires du risque, et donc pour le Ministère de l'agriculture de la pêche, de disposer d'un soutien scientifique et technique infaillible dans le domaine de la santé animale. Je vous signale d'ailleurs qu'une discussion est en cours dans ce domaine avec l'AFSSA. Je tiens à cette occasion à rendre hommage à cette agence et, en particulier, à ses techniciens et ses laborantins, qui ont travaillé sans relâche durant la crise, effectuant plus de 6 000 prélèvements sanguins.

II. LA GESTION DE LA CRISE

Je souhaiterais maintenant évoquer la gestion des deux foyers qui se sont déclarés et des restrictions des mouvements qui ont été prises au niveau national. Au début du mois de mars, nous avons pris l'initiative de bloquer les mouvements et d'interdire tous les rassemblements d'animaux des espèces sensibles. Je précise que les déplacements des chevaux demeuraient possibles sous certaines conditions. Nos décisions ont rapidement été relayées par Bruxelles. Les mesures de restrictions dans les foyers consistent en des zones de protection de trois kilomètres, complétées par une ceinture de surveillance de dix kilomètres. Ces dispositions ont été prises immédiatement sous l'autorité des préfets et se sont avérées efficaces.

Compte tenu de votre connaissance du dossier, vous savez que l'un des foyers s'est situé dans la Mayenne, à la limite de l'Orne, tandis que l'autre a touché la Seine et Marne. Comme je l'ai publiquement déclaré, ce second foyer aurait pu être évité si le civisme d'un négociant de la Mayenne avait été plus spontané et plus prompt à se manifester. Le préfet de la Mayenne, que vous avez rencontré, vous a démontré à quel point l'administration a été implacable à l'égard de cet individu. Les services vétérinaires, la Direction de la concurrence et de la répression des fraudes et l'Inspection du travail ont décelé de nombreux dysfonctionnements dans l'activité de cette personne. Pour autant, comme vous le savez probablement, elle a repris son activité de négoce.

Les services de l'Etat ont été actifs et réactifs, tant à Paris que dans les départements. Les Directions des Services Vétérinaires (DSV) ont été assistées par celles de l'équipement, en collaboration avec la Gendarmerie, qui ont mis en place rotoluves et pédiluves. Je voudrais souligner l'efficacité du triptyque composé des DSV, des vétérinaires sanitaires, assurant le maillage territorial, et les Groupements de Défense Sanitaire (GDS). Cette efficacité a été manifeste, tant dans les domaines de la surveillance et de la prévention, que pour ce qui concerne la lutte contre les maladies animales.

Plus généralement, nous avons veillé à assurer, tout au long de cette crise, une concertation permanente entre les différents acteurs au niveau national. Je les ai moi-même réunis à plusieurs reprises au Ministère, mais ils se sont également rencontrés au niveau local, au sein des Comités départementaux de lutte contre la fièvre aphteuse, dirigés par les préfets. Nous devions sans cesse expliquer les mesures que nous prenions afin d'emporter l'adhésion des éleveurs et des autres professionnels de la filière et, ainsi, de vaincre l'épizootie. Je tiens à souligner que tous les professionnels ont fait preuve d'un grand sens des responsabilités, en dépit des contraintes économiques très fortes qui pesaient sur eux, et je souhaite leur rendre hommage.

Enfin, j'ajoute que la Commission Européenne est venue contrôler sur place les actions de l'Etat français au début du mois d'avril. Son rapport est encore à l'état de projet. Toutefois, nous pouvons d'ores et déjà constater que les mesures françaises sont jugées globalement pertinentes et efficaces. Or une telle appréciation est suffisamment rare dans les rapports de l'OAV, l'organisme chargé de ces contrôles, qu'elle mérite d'être souligné. Par conséquent, j'estime que nous devons tous tirer une certaine fierté de constater que ce rapport est favorable à la France.

Pour ma part, je suis très satisfait de l'attitude de Bruxelles et de la Commission européenne dans cette affaire. La mobilisation et la réactivité des services de la Commission ont été parfaites. Ainsi, la décision de mettre en place l'embargo a été prise le jour même de l'alerte britannique, ce qui constitue probablement un record dans l'existence de la Commission qui, dans d'autres circonstances, n'a pas toujours fait preuve d'une telle promptitude. Le Comité vétérinaire permanent s'est réuni à 16 reprises depuis le 27 février et a voté 43 décisions. En outre, le Conseil a fait régulièrement un point sur la situation. Je considère que le Comité vétérinaire permanent n'a jamais aussi bien porté son nom et a géré cette crise dans une continuité remarquable. Les décisions ont été efficaces, compte tenu du faible nombre de foyers sur le continent. La Commission n'a pas hésité à négocier avec le droit, en encourageant les états membres à procéder à un abattage préventif. Si nous devions faire preuve de sens critique, nous pourrions peut-être reprocher à la Commission un certain manque d'enthousiasme à convaincre les pays tiers de lever les barrières injustifiées qu'ils avaient érigées à la suite de cette crise.

III. LA VACCINATION

J'en viens maintenant au problème central posé par la gestion de cette crise : la vaccination. Au total, nous avons abattu, me semble-t-il, plus de 58 000 animaux, dont 20 000 ovins et porcins originaires du Royaume-Uni, ainsi que 27 537 bovins, 364 porcins, et 197 caprins qui s'étaient trouvés en contact avec ces animaux britanniques et 8 653 animaux originaires ou ayant été en contact avec ceux des Pays-Bas. Je considère que ces images d'animaux abattus et de bûchers ont créé un traumatisme qui s'est étendu au-delà du monde agricole. En effet, cela représente simultanément l'expression d'un gaspillage ahurissant et d'une violence sociétale hors du commun. Toutefois, nul ne peut nier l'efficacité de ces pratiques. Pour ma part, je considère que la vaccination ne constitue pas un sujet tabou. Cette question doit être évoquée dans le cadre du Conseil de l'agriculture, mais aussi au sein de l'OIE. En effet, il nous est posé là un problème de restriction commerciale. La fièvre aphteuse et la possible vaccination ne sont en rien des problèmes relatifs à la santé humaine puisque cela n'a aucune conséquence pour l'être humain. C'est également un problème très relatif en matière de santé animale puisque nous avons vécu avec ce virus durant des siècles. Les troupeaux finissaient par en guérir, voire par être immunisés. Il s'agit donc uniquement d'une question économique, relative au statut de pays indemne de fièvre aphteuse dont il faut faire la preuve pour pouvoir exporter. Or les exportations de viande française représentent entre 40 et 45 milliards de francs chaque année. C'est à cette aune seulement que nous devons examiner le problème de la vaccination.

La vaccination consistant en l'inoculation de virus inactivé vivant, nous ne savons pas déterminer aujourd'hui si la présence d'anticorps chez un animal est due à la maladie ou au vaccin. Actuellement, tout pays qui vaccine avoue aussitôt qu'il est touché par la maladie et perd, pour au moins deux ans, sa capacité à exporter. En revanche, l'abattage permet de récupérer le statut de pays indemne de fièvre aphteuse en trois mois.

Lors de chaque crise, des intérêts économiques, financier et commerciaux se font jour. Durant la crise de l'ESB, les laboratoires sont entrés en concurrence pour créer le test le plus performant. De même, lors de cette crise de la fièvre aphteuse ont été inventés des vaccins traçables, permettant, en cas de test, de différencier la maladie de la vaccination. Le problème tient à ce qu'aucun de ce vaccin n'est aujourd'hui validé par les organismes internationaux. Dès lors que nous disposerons d'un tel outil, les décisions en matière de vaccination seront plus faciles à prendre au niveau communautaire. Des travaux sont donc en cours sur des tests permettant de différencier les deux types d'anticorps. Toutefois, nous pouvons affirmer que, d'un point de vue strictement sanitaire, il est préférable de ne pas vacciner dans la mesure où cela constitue le signe de l'éradication du virus. Néanmoins, je répète que ce sujet n'est pas tabou et mérite d'être analysé sereinement.

IV. LA SITUATION ACTUELLE

Aujourd'hui, la situation est à nouveau quasiment normale dans notre pays. Une seule restriction est apportée en ce qui concerne les rassemblements d'ovins et de caprins, autorisés à la seule condition que les animaux soient destinés à l'abattoir ou répartis dans dix élevages au maximum. Cette disposition demeurera théoriquement valable jusqu'au 29 juin, mais pourrait éventuellement être levée avant. Quoi qu'il en soit, la transhumance s'effectuera sans difficulté, contrairement à ce que certains semblaient craindre. Cette levée des restrictions s'est opérée de manière relativement rapide, ce qui témoigne de la reconnaissance par nos partenaires de la qualité de notre dispositif de surveillance et de contrôle. Pourtant, il faut garder à l'esprit que nous n'avons pas encore atteint le seuil fatidique des trois mois à l'issue du dernier foyer, puisqu'il se situe le 23 juin.

Pour les pays tiers, la situation est très différente. Nous avons connu des situations très diverses dont certaines étaient totalement infondées, comme un embargo sur l'importation de céréales françaises, décidé par le Maroc. Il semble toutefois que les contacts bilatéraux établis la semaine dernière en marge de la session de l'OIE, nous aient permis de lever certains obstacles. Ainsi, la Russie, l'Australie et la Nouvelle-Zélande s'apprêtent à rouvrir leurs frontières. Les Etats-Unis et le Canada, quant à eux, devraient envoyer une mission dans les dix jours. Demeure donc la question du Japon et de la Corée qui représentent des débouchés à haute valeur ajoutée pour la viande porcine et qui ne semblent pas pressés de lever leurs restrictions, ce qui permet incidemment à la concurrence danoise de se repositionner. Il faut tout de même savoir qu'au-delà du 23 juin, ces pays seront dans l'illégalité du point de vue des normes internationales.

V. LES ENSEIGNEMENTS DE CETTE CRISE

Je souhaiterais aborder enfin les enseignements que j'ai retirés de cette crise. D'abord, je rappelle que l'épizootie n'est toujours pas maîtrisée Outre-Manche, même si elle décroît. Hier encore étaient dénombrés 1 670 foyers. Les dispositifs de contrôle (pédiluves notamment) sont d'ailleurs toujours actifs dans les ports de Brest à Calais et nous ne sommes pas particulièrement pressés de lever l'embargo qui touche le Royaume-Uni. Nous souhaitons d'abord nous assurer de l'extinction complète des foyers.

Au-delà de la vigilance dont nous faisons preuve à l'égard du Royaume-Uni, le deuxième enseignement que je retire de cette crise est la nécessité de disposer dans chaque pays d'un service vétérinaire efficace, doté d'une organisation et de moyens appropriés. Ce service public doit, en outre, coopérer avec le réseau des vétérinaires de campagne afin d'assurer la surveillance épidémiologique. A ce propos, je déplore que de trop nombreux vétérinaires se limitent aujourd'hui à soigner les animaux de compagnie, au détriment de la pratique rurale. En revanche, je tiens à souligner le rôle éminent des éleveurs qui sont les premiers témoins et acteurs de la santé de leur cheptel. Dans ce domaine, la mission des GDS consiste à les sensibiliser et à les former et ils le font plutôt bien.

En outre, nous devons adapter la législation communautaire en introduisant les abattages préventifs et le financement de la Commission européenne qui doit les accompagner. Il s'agira également d'améliorer l'identification et la traçabilité en matière ovine. Nous devons ainsi étendre aux ovins les progrès qui ont été faits dans le domaine de la traçabilité bovine, à la suite de la crise de l'ESB. Il sera en outre indispensable d'interdire le recyclage de certains déchets, comme ceux de la cuisine, dans l'alimentation animale. Il conviendrait aussi de revoir la liste des produits dits à risque. Il semblerait en effet que les fromages au lait cru soient suffisamment acides pour inactiver le virus. Or les exportations de ces produits ont été bloquées dans l'Orne et la Mayenne alors que cela n'était probablement pas nécessaire. Enfin, il sera indispensable d'ouvrir un débat sur la question de la vaccination, à laquelle je faisais allusion précédemment.

Par ailleurs, nous avons dû compter, lors de cette crise, avec ce nouvel acteur qu'est le citoyen consommateur téléspectateur. Les pouvoirs publics doivent sans cesse expliquer que la santé publique n'est pas en cause. Cependant, le pouvoir de l'image se révèle toujours le plus fort et le spectacle de ces charniers a assurément été traumatisant. La science et l'économie nous conseillent d'abattre des animaux. Il s'agit peut-être d'une erreur dès lors qu'il que nous sommes face à une maladie sans gravité pour l'animal et sans danger pour l'homme. D'une manière plus générale, il s'agit de considérer la place de l'animal dans notre société. Néanmoins, si les images des bûchers sont impressionnantes, nous pouvons tout de même considérer que la destinée de l'animal est de terminer sa vie à l'abattoir. Finalement, l'éthique et la philosophie ont probablement, elles aussi, leur place dans ce débat. Nous avons d'ailleurs constaté que nombre de tribunes libres sur ce sujet s'étendent au-delà de la simple question de la fièvre aphteuse.

M. Jean François-Poncet, président de la Commission des Affaires économiques - Je souhaiterais vous interroger sur le cofinancement de l'Union européenne. En effet, il semblerait que l'Allemagne se soit élevée contre l'augmentation de cette contribution. Voudriez-vous nous dire quelques mots, d'une manière générale, sur les perspectives de la Politique Agricole Commune (PAC) ? Vers quel système nous dirigeons-nous ? La PAC risque-t-elle de se trouver menacée de l'intérieur, par les difficultés financières que l'élargissement de l'Union va engendrer, et de l'extérieur, du fait de la reprise probable des négociations internationales dans le cadre de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ces deux mouvements pourraient-ils influer de manière négative sur la PAC ?

VI. LA PAC

Monsieur le Président, je conclurais en évoquant le sujet de la PAC, que vous avez évoqué. On peut d'ailleurs se demander dans quelle mesure il est légitime d'établir un lien entre cette crise et la PAC. En effet, les virus et les bactéries ignorent bien souvent les conditions de la production animale. Certes, il existe, dans la PAC, des facteurs favorisant la propagation d'une épizootie, comme la concentration de l'élevage dans certaines zones géographiques et la libre circulation des animaux. Par ailleurs, il existe probablement des défaillances dans les contrôles. Cependant, nous n'avons aucune prise sur la contamination aérienne. Enfin, demeurent des interrogations relatives à la situation de l'élevage dans la PAC. Pour répondre plus directement à votre question, Monsieur le Président, j'évoquerais la situation de la PAC dans le contexte des crises de l'ESB et de la fièvre aphteuse. Un double problème se pose à nous. D'un point de vue budgétaire, les Allemands prennent tous les prétextes qui passent à leur portée pour rappeler qu'ils sont contributeurs nets et ne souhaitent pas payer davantage. Ainsi, nous sommes bloqués, en matière budgétaire, par les décisions qui sont prises à Berlin. Bien entendu, c'est dans ce cadre que la Commission gère le traitement de la crise bovine. Au-delà de ces questions budgétaires se fait jour la problématique de la maîtrise de la production. Comment sortirons-nous de ces deux crises ? Aujourd'hui, la consommation de viande bovine est inférieure de 10 % au niveau d'avant la crise de l'ESB. Nous ne sommes donc pas encore revenus au niveau antérieur et la question est de savoir si nous retrouverons ce niveau. Si nous ne revenons pas à la consommation antérieure à la crise, nous serons alors dans une situation de surproduction structurelle. Nous commençons d'ailleurs à examiner très attentivement cette question. Aujourd'hui, nous pouvons uniquement agir de manière à ce que les consommateurs aient à nouveau confiance en ces produits. Ensuite, nous devrons probablement tirer des leçons au niveau européen si le dérèglement persiste. Toutefois, l'heure n'est pas encore venue de mettre en oeuvre ce chantier puisque nous ne sommes pas, à ce jour, sortis de la crise. Je signale tout de même que la France est le pays dans lequel la reprise de la consommation est la plus manifeste parmi ceux qui ont subi une chute des achats de viande bovine. Nous devrons probablement attendre que cette consommation se stabilise avant de dire que la crise est terminée. Nous pourrons alors tirer des enseignements structurels. Toutefois, cela ne devrait pas se produire avant plusieurs mois.

M. Jean François-Poncet, président - Monsieur le Ministre, nous vous remercions. Je constate que votre réponse sur le sujet de la PAC s'est limitée au sujet de l'élevage, même si je reconnais volontiers que cela constitue le sujet même de cet entretien. Je cède tout de suite la parole à Philippe Arnaud.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur le Ministre, je m'associe aux remerciements du Président François-Poncet. Je tiens à souligner la compétence de vos services et la coopération qu'ils ont bien voulu nous apporter en se prêtant à nos auditions. Je citerais particulièrement Madame Chmitelin, que nous avons largement mise à contribution. Vous avez, dans votre exposé, abordé quasiment la totalité des points dont nous souhaitons discuter. Vous avez particulièrement insisté sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un problème de santé publique. Nous sommes donc uniquement confrontés à une question économique. Par conséquent, toutes les mesures qui sont prises dans le domaine de la prévention de la fièvre aphteuse relèvent d'un traitement économique. La vaccination a fait l'objet en 1992 d'une décision d'abandon accompagnée d'une interdiction. Ces dispositions devaient s'accompagner de mesures sanitaires draconiennes. Ma première question sera donc la suivante : pensez-vous que la Grande-Bretagne a été un bon exemple dans ce domaine et comment jugez-vous les mesures de prévention sanitaire qui ont été mises en oeuvre dans ce pays ?

Vous avez indiqué également que pour éviter le développement de cette épizootie, vous avez frappé vite et fort, comme le reconnaît aujourd'hui notre mission. A titre personnel, j'ajouterais que ces mesures se sont révélées pertinentes puisque nous n'avons pas connu sur le territoire français de développement de cette épizootie. Il n'en demeure pas moins que cette crise a des conséquences financières et économiques pour les entreprises. Dès lors, sur quel fondement juridique a-t-on procédé à l'abattage des animaux ayant été en contact avec le virus ? Ce point est important dans la mesure où les conditions d'indemnisation en dépendent. En outre, il s'agit d'examiner les indemnisations de l'ensemble de la filière qui a subi des effets indirects de cette crise. Par exemple, les entreprises produisant des fromages au lait cru ont fait l'objet de mesures de précaution qui ne sauraient être contestées. Toutefois, il est évident que l'Etat devrait compenser financièrement les pertes de ces entreprises qui ont participé, grâce à la destruction de leurs produits, à l'éradication de l'épizootie. En outre, nous savons aujourd'hui que la fermentation des fromages au lait cru permet d'inactiver le virus.

Une autre de nos préoccupations concerne les épizooties que nous pourrions connaître à l'avenir. Monsieur le Ministre, vous avez évoqué le cas de ce citoyen négociant dont le civisme quelque peu léger avait contribué à la naissance d'un foyer supplémentaire. Il est évident que la fièvre aphteuse est une maladie extrêmement contagieuse. Par conséquent, dans notre monde actuel, où se développent les échanges commerciaux et les transports, nous sommes chaque jour à la veille d'une nouvelle épizootie. Vous savez parfaitement que l'accroissement de la réglementation ne règlera pas le problème puisque cela entraînera une recrudescence de la fraude. Il est d'ailleurs légitime de considérer que la fièvre aphteuse est également une maladie liée à la fraude. Par conséquent, ce risque permanent, auquel sont exposés tous les pays d'élevage, ne peut-il entraîner comme seule perspective que des abattages et des charniers ?

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Nous savons tous que la fièvre aphteuse n'a pas d'incidence sur la santé humaine. Elle a cependant quelques conséquences en matière de santé animale. Aujourd'hui, nous ne mesurons pas les proportions qu'aurait pu prendre cette épizootie en France si vos services et les GDS n'avaient pas pris les décisions adéquates. Par conséquent, nous sommes tout de même relativement inquiets. Aujourd'hui, le seul point dont nous soyons certains, quant à l'origine de ce virus, est qu'il nous est parvenu de Grande-Bretagne. Nous disposons d'une hypothèse selon laquelle il pourrait être issu des eaux grasses. Néanmoins, il n'existe pas d'origine affirmée de cette épizootie. Par ailleurs, les bovins sont encore à ce jour extrêmement mal identifiés en Grande-Bretagne. Ma première question est donc la suivante : Monsieur le Ministre, qu'envisagez-vous de proposer à vos collègues de l'Union Européenne en matière d'identification des ovins ?

Dans l'hypothèse où la France aurait connu une situation aussi alarmante que celle qui existe en Grande-Bretagne, quelle aurait été la réaction de nos éleveurs ? Je considère en effet que les cultures françaises et britanniques de l'élevage sont très différentes. Par ailleurs, depuis l'arrêt de la vaccination contre la fièvre aphteuse, la recherche dans ce domaine a été ralentie. Dès lors, quelle sera votre attitude sur ce sujet dans l'avenir ? Il est bien entendu qu'un vaccin éventuel devra pouvoir se différencier, grâce à ses anticorps, de la génération des vaccins actuels. En outre, nous savons que l'OIE et l'OMC devront faire évoluer leurs points de vue sur cette question. Pour votre part, quelle position adopterez-vous quant à une éventuelle vaccination et quels arguments avancerez-vous auprès de nos partenaires de l'Union Européenne, de l'OIE et de l'OMC ?

M. Jean Glavany - Ma première réponse portera sur la responsabilité du Royaume-Uni qui est, selon les propos des Britanniques « objectivement considérable ». En effet, ils ont mal maîtrisé, contrôlé et jugulé l'épizootie. Force est de constater qu'ils ont pris du retard dès le début de cette crise. Une manière plus directe de décrire leur impuissance est de rappeler qu'ils ont appelé à leur secours leurs voisins de l'Union Européenne. Plusieurs pays développés ont ainsi envoyé des vétérinaires au Royaume-Uni. La France leur a ainsi fourni 15 vétérinaires civils et militaires. Mon propos n'est pas de faire un procès au Royaume-Uni. Il s'agit, à mon sens, que nous tirions les conséquences, au niveau européen, de cette crise. Dans une économie ouverte, où les flux commerciaux d'animaux et de personnes sont considérables, une faiblesse qui se fait jour dans un pays se transmet aussitôt à l'ensemble de l'Europe. Par conséquent, il convient d'agir au niveau européen puisque ce constat d'impuissance du Royaume-Uni pose un problème à l'ensemble des pays de l'Union et nous devons y faire face conjointement. Je rappelle d'ailleurs qu'aujourd'hui, comme l'indiquait le Sénateur Emorine, le Royaume-Uni ignore toujours de quelle manière cette épizootie a débuté. Plusieurs hypothèses existent, qui vont de certaines eaux grasses à des déchets de plateaux-repas d'une compagnie aérienne. En réalité, ils n'en savent rien.

Or au sein de l'Europe, au nom de la subsidiarité, il existe une obligation de résultat en matière de contrôle dans le domaine de la santé animale dans chaque pays. Aujourd'hui, cette obligation n'est pas respectée par le Royaume-Uni. N'oublions pas que l'ESB nous est également parvenue d'Outre-Manche. Dès lors, il s'agit de se demander si l'Europe va continuer à accepter d'importer des épizooties dont certaines peuvent être très dangereuses. A mon sens, ceci est le premier enseignement que l'on doit retirer de cette crise et il pose une question qui me paraît centrale.

Monsieur le Président Arnaud, vous m'avez interrogé sur les fondements juridiques de nos actions. Nous nous sommes fondés sur l'article 221.1 du Code rural, qui permet de prendre toutes les mesures visant à prévenir l'apparition ou la diffusion d'une épizootie. En cas de crise de ce type, un arrêté conjoint des Ministres chargés de l'agriculture et du budget doit préciser la nature des mesures mises en oeuvre. Je vous avoue que, dans ce cas précis, entre le 27 février et le 7 mars, nous disposions pour seule base juridique du Code rural. En effet, l'arrêté interministériel est sorti le 7 mars, régularisant la situation. Toutefois, si nous avions attendu cet arrêté pour procéder aux abattages préventifs, le nombre de foyers aurait été multiplié par dix ou vingt. La lenteur dans l'élaboration de tout arrêté interministériel nous a conduit, afin d'être efficaces, à devancer ces nouvelles dispositions. Cet épisode de relatif vide juridique devrait nous amener à réfléchir à des procédures d'urgence qui pourraient, dans des cas similaires, nous permettrent d'agir dans une plus grande légalité et dans l'intérêt de tous.

Vous avez également posé une question sur la différence, en matière d'indemnisation, entre les abattages préventifs et ceux qui ont été mis en oeuvre dans les foyers. Cette différenciation étant difficilement explicable, j'ai demandé un réexamen du dispositif d'indemnisation au niveau interministériel. Néanmoins, il est évident que l'Etat ne va pas compenser au franc près l'ensemble des pertes. Toutefois, nous pouvons intervenir pour indemniser les producteurs de lait qui n'ont pu vendre leur produit dans les filières biologiques ou AOC et ont dû le commercialiser à des prix standard. Il en est de même pour les producteurs de fromages et les entreprises de transformation dont la pérennité serait menacée. Pour le secteur laitier, nous avons d'ores et déjà dégagé un budget de cinq millions de francs pour ce type d'actions.

Vous m'avez également interrogé sur la fermentation lactique des fromages au lait cru. Nous disposons effectivement de données nouvelles qui ne sont pas validées à ce jour, ce à quoi nous allons nous employer auprès de la Commission européenne et de l'OIE.

Il a, par ailleurs été évoqué la possibilité qu'un renforcement de la réglementation pourrait entraîner une recrudescence de la fraude. Pour ma part, je considère qu'en matière d'identification et de traçabilité et des bovins et des ovins, nous avons encore une belle marge de progression. Si nous appliquions aux ovins les mêmes règles que celles qui prévalent pour les bovins, nous devrions théoriquement déplorer moins de fraudes. Cependant, nous ne pouvons mettre un gendarme derrière chaque éleveur, négociant et exportateur. Dès lors que le risque de fraude serait avéré et permanent, il serait effectivement légitime de s'interroger sur la pertinence de la seule réponse que constitueraient les bûchers et les charniers. La question est effectivement posée et je considère qu'elle est recevable. A certains égards, il m'apparaît d'ailleurs qu'il sera de plus en plus difficile d'agir de la sorte dans la mesure où la réaction de l'opinion a été brutale. En tant que responsables politiques ou administratifs, nous pouvons légitimement nous féliciter du résultat de nos actions. Toutefois, l'opinion juge très sévèrement ce type de méthodes. Dès lors, nous devrons envisager d'autres modes d'action. Or il en existe uniquement deux. Le premier consiste à apprendre à vivre avec cette maladie. Le deuxième consiste à vacciner en utilisant les vaccins de la nouvelle génération dès qu'ils existeront. Cependant, cette décision de vaccination ne peut être prise qu'au niveau international afin de ne pas nous exposer à des mesures d'embargo. En effet, nous sommes aujourd'hui dans une situation de guerre économique internationale et de concurrence farouche. Par conséquent, nous savons tous que les autres pays vont profiter d'une éventuelle faiblesse de la France, y compris au sein de l'Union européenne. La France, elle-même, en matière de levée de l'embargo sur le boeuf britannique, a pris une décision anti-communautaire qu'elle a assumée. Ce type de choix intègre toujours un certain libre-arbitre au niveau national. Quoi qu'il en soit, les charniers et les bûchers ne constituent pas une solution. La seule réponse possible doit donc être la vaccination, dont la décision doit être impérativement prise au niveau international. Les leçons que nous avons conjointement tirées de cette épizootie de fièvre aphteuse et l'apparition de nouveaux types de vaccins traçables devraient, je l'espère, nous permettre de progresser et d'aborder la question de la vaccination de manière plus sereine.

Sénateur Emorine, nous avons élaboré un décret en matière d'identification des ovins, qui ira au-delà des prescriptions communautaires actuelles figurant dans la Directive 92.102. Cette Directive, qui date de 1992, est très mal appliquée. Je souhaiterais tout de même préciser qu'il ne serait pas facile de faire en sorte qu'aucun mouton non identifié n'entre en France. Toutefois, j'ai déjà évoqué ce sujet dans le cadre du Conseil de l'agriculture afin que mes collègues soient conscients du fait que nous souhaitons faire évoluer les dispositions dans ce domaine. Il s'agit d'une hypothèse sur laquelle nous pouvons réfléchir.

Ensuite, vous m'avez posé la question quelque peu fatale de notre éventuelle décision de procéder à une vaccination curative. Je vous répondrais que nous commencions à nous préparer à cette possibilité et que cela aurait constitué le stade suivant de notre stratégie si nos premières mesures ne s'étaient pas révélées suffisamment efficaces.

M. Jean François-Poncet, président , Monsieur le Ministre, je vous remercie. Monsieur le Sénateur Braye, vous avez la parole.

M. Dominique Braye - Tout d'abord, Monsieur le Ministre, je souhaite vous indiquer que j'ai été de ceux, au sein de la Commission, qui ont dès le départ soutenu la politique mise en place par le Gouvernement. Même si je ne suis pas naturellement enclin à apporter mon soutien à ce gouvernement, je m'y emploie néanmoins chaque fois que cela me semble nécessaire. Par conséquent, j'estime que cette crise a été, dès le début, bien gérée et je crois que tout le monde en convient. En revanche se pose le problème de la situation actuelle. En effet, nous devons dès aujourd'hui tirer les enseignements de cette épizootie. Monsieur le Rapporteur et vous-même avez indiqué qu'une série de décisions avaient été prises au début de l'épizootie et il s'avère aujourd'hui qu'elles n'étaient pas indispensables. Vous avez évoqué les fromages au lait cru, mais nous aurions pu également citer le cas des viandes sous-vide. Dans ce domaine, les membres de la Commission ont été interpellés sur le fait que la France avait accepté d'importer ces produits de pays touchés par la fièvre aphteuse dans la mesure où le conditionnement sous vide entraîne une destruction du virus. Dès lors, pourquoi ne traitons-nous pas de la même façon les viandes françaises ?

Par ailleurs, un certain nombre de personnes que nous avons auditionnées estiment que les dispositions préventives mises en oeuvre lors de l'entrée sur notre territoire de personnes venant du Royaume-Uni sont quelque peu insuffisantes, en particulier à l'approche de la période estivale qui voit une arrivée massive d'Anglais sur notre territoire. Par conséquent, pensez-vous que les mesures existantes permettront véritablement d'éviter un retour de l'épizootie en France ?

En outre, je considère qu'au-delà de la gestion de la crise, se pose le problème de l'indemnisation. Un certain nombre de décisions qui ont été prises au nom de l'intérêt général doivent être assumées par l'Etat. Par conséquent, les éleveurs entendent que la solidarité nationale fonctionne, ce qui n'est pas leur impression actuellement.

Ensuite, tout le monde reconnaît aujourd'hui que le seul traitement sanitaire de cette question n'est pas tenable. De plus, plusieurs d'entre nous ont été relativement surpris d'apprendre qu'il existe aujourd'hui des vaccins permettant de distinguer très facilement l'animal vacciné de l'animal malade. Ces outils ne sont pas commercialisés parce qu'il n'existait pas jusque-là de débouchés, compte tenu du fait de l'interdiction de la vaccination dans notre pays.

Enfin, je souhaiterais évoquer la question des sites dérogatoires. Nous avons reçu le Recteur de la Mosquée de Paris qui nous a confirmé que le problème est davantage culturel que cultuel, mettant ainsi en évidence son impuissance à empêcher les abattages au sein de la communauté musulmane d'Afrique du Nord. En outre, il a reconnu lui-même que la diminution des sites dérogatoires entraînerait, de fait, une recrudescence des abattages clandestins. Je me souviens que de telles pratiques se déroulaient, dans les années 1970, dans les bosquets ou les cages d'escaliers. Or je ne suis pas certain que la communauté non musulmane soit prête à accepter un retour de ce type de comportements. Pour ma part, je considère donc que l'évolution des esprits dans la communauté musulmane doit précéder la suppression des sites dérogatoires. Dès lors, de quelle manière pensez-vous que nous puissions agir dans ce domaine ?

M. Jean Glavany - Plusieurs des questions que vous m'avez posées sont en réalité des réflexions sur lesquelles j'ai quelque difficulté à formuler une réponse différente de celle que j'ai déjà faite sur les vaccins, la guerre économique ou la solidarité. Bien entendu, nous savons que ce type de vaccin existe, mais qu'ils n'ont pas été validés. Certes, il y a probablement eu un relâchement relatif de la surveillance, bien que cela puisse être discutable. En effet, les rapports de la FAO démontrent qu'elle surveille l'évolution de ce virus. J'estime que ce que l'on pourrait considérer comme un relâchement était davantage un pari fait de manière délibérée sur les résultats de l'arrêt de la vaccination en Europe. D'ailleurs, il serait légitime de constater, avec un certain cynisme, que l'absence de vaccination durant les dix dernières années représente une économie bien plus importante que le coût de la crise que nous venons de vivre au niveau communautaire.

D'abord, je confirme qu'a effectivement existé un certain décalage en matière d'exportation des viandes argentines, qui est aujourd'hui régularisé. Il s'agissait donc seulement d'une difficulté marginale.

Ensuite, je souhaite tout de même vous répondre sur deux points précis. D'une part, il s'agit des précautions, jugées insuffisantes par certains, que nous avons prises à l'égard du Royaume-Uni. Il est vrai que nous nous sommes, avec plusieurs Ministres, interrogés sur la pertinence d'un report des matchs du Tournoi des Six Nations. Il s'agissait de considérer le risque que représentait l'arrivée sur notre territoire d'une petite dizaine de milliers de citoyens britanniques. A ma demande, il m'a été indiqué que 75 000 à 85 000 personnes traversaient chaque jour la frontière entre nos deux pays. Face à un tel flux, il est impossible de prendre des précautions absolues. Compte tenu de l'extrême volatilité de ce virus, nous ne disposerons donc jamais d'une précaution absolue.

D'autre part, je désire revenir sur les propos qui ont été tenus par le Recteur de la Mosquée de Paris. Nous nous sommes également interrogés sur la fermeture des sites dérogatoire. En effet, la Commission européenne nous met en demeure, chaque année avec plus de détermination, d'interdire ces abattages qu'elle considère comme sauvages et portant atteint au bien-être des animaux. Chaque année, nous faisons preuve de davantage de bonne volonté, tout en manifestant notre mauvaise humeur en rédigeant une circulaire commune avec le Ministre de l'intérieur. Ma réponse à la Commission consiste en une interrogation sur le rôle de l'Union européenne. L'Europe a-t-elle pour fonction d'éliminer par la contrainte, ou l'interdiction, des fêtes cultuelles de communautés qui ont une place importante dans nos pays ? Au-delà du fait que l'Union donnerait ainsi d'elle-même une image politique qui ne correspondrait pas à celle que j'appelle de mes voeux, je suis convaincu que cela provoquerait une multiplication des fraudes et des pratiques illégales. Ma réponse consiste donc, chaque année, à demander à la Commission de nous laisser la latitude d'encadrer ces pratiques, plutôt que de les interdire. Si vous me permettez de faire un rapprochement relativement audacieux, si l'Europe interdisait un jour les corridas au titre du bien être animal, je considèrerais qu'elle est allée à l'encontre de la diversité culturelle nécessaire à l'Union. Or l'Aïd el Kébir et la corrida procèdent d'une logique commune. Je considère que l'Europe doit reconnaître la diversité culturelle et cultuelle de ses habitants et laisser aux différents Etats les moyens d'encadrer ces usages de manière sereine. Elle ne doit pas faire pression sur nous pour nous obliger à mettre fin à des pratiques qui ont un fondement philosophique et que nous devons encadrer. Cela constitue, à mon sens, un enjeu politique majeur. En l'occurrence, l'Aïd el Kébir nous a certes causé des soucis en provoquant des arrivées massives d'ovins, mais elle a également facilité l'élimination des animaux à une date précise en provoquant une impasse épidémiologique.

M. Jean François-Poncet, président , Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

38. Audition de M. Jean-Louis Porry, ingénieur général du génie rural et des eaux et forêts

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Porry que je remercie d'avoir répondu à notre invitation a été chargé d'une mission par le gouvernement consistant à procéder à l'évaluation des conséquences économiques de l'épizootie. Nous souhaitons dialoguer avec vous, Monsieur Porry, afin que vous nous indiquiez quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées dans l'exercice de votre mission. Nous vous demanderons aussi de répondre à nos questions concernant le versement des indemnités, à la suite des abattages contacts, les effets indirects et l'impact de la maladie sur l'ensemble des filières agroalimentaires. Il s'agit pour nous de véritables sujets de préoccupations. Il nous semble que le chiffre de 30 millions de francs avait été annoncé et confirmé. Or nous croyons savoir que des estimations très nettement supérieures ont été avancées : 31 millions de francs pour le secteur viande et 43 millions de francs pour le secteur laitier. Peut-être avez-vous des réponses à nous fournir à ce sujet. Mais, auparavant, pourriez-vous nous indiquer comment vous avez procédé ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

M. Jean-Louis Porry - Le 19 mars, Monsieur le Ministre m'a demandé d'examiner les conséquences économiques de la fièvre aphteuse et de trouver les solutions techniques adaptées après une étude au cas par cas des problèmes pouvant se poser. Tout d'abord, je me suis occupé des problèmes qui n'étaient pas pris en compte par les méthodes habituelles d'indemnisation. L'indemnisation de l'abattage dans un cadre vétérinaire, de l'abattage contact et des compensations en zone périfocale pour les deux foyers pris en compte par les groupements de défense sanitaire ne faisait pas partie de mon champ d'étude.

1. La situation dans la Mayenne et dans l'Orne

Je me suis rendu une première fois sur le terrain du 20 au 22 mars à Laval et à Alençon. Un premier rapport a été remis au Directeur de Cabinet la semaine suivante.

a. L'engorgement des filières

Les principaux problèmes concernaient d'abord l'engorgement de certaines filières animales travaillant à flux tendus, c'est-à-dire porcine et, dans une moindre mesure, les jeunes bovins. Dans les conditions d'élevage pratiquées, il est en effet impératif de sortir les animaux aux dates prévues sous peine de dévalorisation sérieuse des produits et d'engorgement des élevages qui produisent des porcelets ou des animaux post sevrés. Ainsi, nous avons dû dégager ces filières.

b. L'abattage

Ensuite, il a fallu mettre en place des dispositions permettant d'éviter autant que faire se peut des abattages-destructions non nécessaires car non motivés par des raisons vétérinaires directes. Pour que les éleveurs ne soient pas obligés de dégager leurs animaux dans des conditions désastreuses, il a été décidé de mettre en place des aides compensant les surcoûts de maintien des animaux dans les élevages pendant l'embargo vétérinaire de deux à trois semaines.

c. Les mesures d'accompagnement

Parallèlement, il a fallu constituer avec les préfets les « cellules économiques » qui rassemblent dans les départements les services de l'Etat concernés par la mise en place de mesures d'accompagnement à l'attention des entreprises en difficulté afin d'examiner notamment les questions de reports fiscaux, de dette sociale, ou d'aides au chômage partiel. J'ai pu également me faire une idée des difficultés rencontrées par les entreprises de la filière.

d. La situation des secteurs viande et laitier

Dans l'Orne et la Mayenne, des difficultés immédiates pour des entreprises de la filière viande se posaient. Elles avaient dû cesser leur activité du fait de l'embargo sur les animaux. Les problèmes étaient moins urgents pour la plupart des entreprises laitières. En effet, la réorganisation des circuits de collecte laitière s'était effectuée rapidement. Les problèmes étaient seulement liés à certains surcoûts et à des difficultés de nature commerciale en France et, surtout, à l'exportation. Certains pays étrangers refusaient les produits français. Il est à signaler un problème particulier dans la Mayenne. Pour le secteur laitier, une entreprise est spécialisée dans la production de fromage AOC au lait cru.

e. L'aide au maintien des bêtes dans les exploitations

La semaine suivante, je suis revenu sur le terrain pour examiner les mesures générales de mise en place du dispositif d'aide au maintien des bêtes dans les exploitations. Les crédits de 7 millions de francs estimés nécessaires en première analyse ont été débloqués le 30 mars. Des difficultés sont apparues en raison des discussions avec les exploitants agricoles notamment dans l'Orne. Ils ont demandé des mesures allant au-delà de ce qui avait été agréé la semaine précédente. J'ai consacré cette semaine à des rencontres particulières avec les entreprises pour analyser plus finement les problèmes rencontrés. Un deuxième rapport axé sur les problèmes des entreprises a été remis au début du mois d'avril au Directeur de Cabinet.

f. Les dispositions complémentaires

Par la suite, j'ai examiné avec les services du ministère de l'Agriculture et les offices des dispositions complémentaires, notamment dans le cadre de l'attribution des crédits à hauteur de 5 millions de francs dégagés par l'ONILAIT (Office du lait). Ce financement doit apporter des compensations aux producteurs directs de laits spéciaux, c'est-à-dire de lait cru, du lait comportant un label biologique ou de lait de chèvre qui avait subi une dévalorisation importante du fait de la réorganisation des circuits de collecte. Avec l'OFIVAL (Office des viandes), nous avons examiné la mise en place de mesures spécifiques pour le maintien de veaux de boucherie dans les étables et de compensations pour les producteurs de cochettes (jeunes truies destinées à la reproduction). En effet, ceux-ci n'avaient pas pu vendre leurs bêtes dans la filière reproductrice du fait de son engorgement et avaient dû les livrer à l'abattage.

2. La situation en Seine-et-Marne

La semaine suivante, je me suis occupé du second foyer en Seine-et-Marne. J'ai assisté à Melun à une réunion générale de présentation des dispositions adoptées dans les autres départements, puis à une réunion particulière avec les industriels laitiers. De fait, la situation en Seine-et-Marne n'était pas la même qu'en Mayenne et dans l'Orne du fait des différences de structure de production. Les aides au maintien des animaux dans les fermes, quoique justifiées, devaient être d'un montant inférieur à ceux des départements de l'Ouest.

Le principal problème portait sur des entreprises spécialisées dans la production de fromage AOC au lait cru (brie de Meaux ou de Melun). A la mi-avril, un rapport d'étape sur les premières conclusions a été remis au Directeur de Cabinet. Dès lors, les mesures d'aide aux producteurs se sont mises en place. Les DDA sont en train de payer, si je suis bien informé. Les mesures de dégagement des filières effectuées immédiatement sont en train d'être régularisées sur le plan financier.

Concernant les entreprises, nous sommes dans l'attente de décisions interministérielles sur le principe devant définir les critères de prise en compte au titre des pertes qu'elles ont subies du fait de l'embargo lié à la fièvre aphteuse.

M. Philippe Arnaud, président - Compte tenu de votre recul, j'aimerais savoir si vous confirmez les estimations que vous aviez faites ou, au contraire, si vous comptez les revoir.

M. Jean-Louis Porry -De quelles estimations parlez-vous exactement ? J'en ai donné plusieurs...

M. Philippe Arnaud, président - Je parle de l'ensemble des estimations. Vous aviez estimé les pertes directes et indirectes, ainsi que les pertes dans l'industrie agroalimentaire. Compte tenu du degré d'analyse aujourd'hui, allez-vous revoir ces estimations à la hausse ?

M. Jean-Louis Porry -Concernant les aides au maintien du cheptel dans les exploitations, il y aura sans doute un léger dépassement de 10 à 15 % principalement lié aux demandes présentées a posteriori par les professionnels. Ces demandes visent en fait à étendre la période aidée au-delà de la période de l'embargo vétérinaire au sens strict, ce qui pose problème. Les professionnels estiment qu'il y a eu des troubles avant l'embargo et qu'ils n'ont pas pu écouler après la levée de l'embargo l'ensemble de leurs produits. Je crains que la Commission ne considère qu'il y ait eu une surcompensation, compte tenu de la manière dont les aides ont été apportées.

M. Philippe Arnaud, président - Nous avons eu connaissance de la réaction de la Commission. Ses services considèrent qu'« après un premier examen de la mesure, la portée des aides trouve difficilement un fondement dans les règles de concurrence applicables. En effet, les animaux ciblés par la mesure auraient pu après tout être commercialisés ». Il s'agissait des animaux maintenus sur place qui n'ont pas pu être commercialisés. La Commission estime que ces animaux auraient pu donc « après tout être commercialisés ». « Ainsi, aucun de ces animaux n'aurait dû être abattu pour des raisons sanitaires suite à l'apparition de l'épizootie, aucun manque à gagner du fait de la reconstitution du troupeau n'étant donc passible d'indemnités ». Dans la conclusion, la Commission s'interroge sur d'éventuelles surcompensations. Le soupçon de surcompensation me peine beaucoup. Les mesures d'indemnisation rapide à la hauteur des pertes faisaient partie des moyens de lutte contre une épizootie de fièvre aphteuse sans vaccination. Il était indispensable d'indemniser rapidement et à la hauteur des pertes, sans pour autant être généreux. Le contraire aurait diminué le sens des responsabilités et le civisme des éleveurs.

M. Jean-Louis Porry - Le problème est que le texte sur lequel se fondent les juristes de la Commission pour encadrer les aides d'Etat au secteur agricole est décalé par rapport à la pratique vétérinaire. Parmi les mesures prises dans le cadre d'une épizootie, les seules pour lesquelles les Etats membres peuvent verser des aides compensatoires sont les abattages d'animaux. Ce texte n'envisage pas l'option consistant à éviter par tous les moyens des abattages non nécessaires.

M. Philippe Arnaud, président - Toutes ces mesures ont été prises en accord avec le Comité permanent et sont conformes à la directive européenne selon laquelle les Etats doivent mettre en oeuvre « toute mesure » visant à éviter le développement de la maladie.

M. Dominique Braye - Puisque la Commission européenne préconise certaines mesures en souhaitant qu'elles soient imposées par les pays, il est difficilement explicable qu'elle n'indemnise pas leurs conséquences.

M. Jean-Louis Porry - C'est tout à fait juste dans l'esprit. Mais la lettre du texte sur les aides d'Etat applicable au secteur agricole ne prévoit qu'un seul cas où les Etats membres peuvent donner des aides, à savoir lorsque l'animal est abattu.

M. Dominique Braye -Il aurait fallu abattre tous les animaux du département dans ce cas... Il paraît nécessaire que les textes évoluent, lorsqu'ils ne correspondent pas aux nécessités et aux contraintes indispensables pour enrayer l'épizootie..

M. Michel Doublet - Des mesures exceptionnelles peuvent certainement être prises dans certains cas.

M. Jean-Louis Porry - C'est un autre problème. Je fais seulement état des difficultés que nous aurons avec la Commission.

M. Michel Doublet - Certes. Mais il faut trouver des arguments.

M. Jean-Louis Porry - Le Gouvernement a pris les mesures qui lui ont paru les plus raisonnables. Il convenait d'aider les agriculteurs dont les animaux étaient bloqués. Mais la Commission considère que l'aide n'était pas justifiée lorsqu'il n'y a pas d'abattage. C'est le fond de leur argumentation.

M. Philippe Arnaud, président - Les pertes sur les bovins qui ont dépassé 24 mois ne feront pas non plus l'objet de compensation.

M. Jean-Louis Porry - J'avais recommandé aux services de l'OFIVAL, dans la mesure où les abattages de jeunes bovins étaient une opération purement nationale - qui sera sûrement condamnée par Bruxelles -, de se concentrer sur les animaux de plus de 24 mois afin de ne pas compromettre le bénéfice de l'aide communautaire pour les animaux restants qui pourront aller à l'intervention. Nous avons veillé à ce que ce soit en priorité les animaux les plus âgés et les plus lourds qui se voient appliquer les dispositions nationales.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Lors de votre enquête en Mayenne, vous avez recensé tous les problèmes par rapport aux filières viande et lait. Ainsi, des produits ont été consignés dans ces deux filières. J'aimerais savoir comment les indemnisations auront lieu, puisque vous nous indiquez qu'elles seront mises en place. Des produits ont-ils été déconsignés pour ne pas être commercialisés ? Sinon, quel sera le pourcentage de compensation financière par rapport à la valeur estimative des produits non déconsignés ? Par ailleurs, un problème pour certains éleveurs concernant la gestion de la campagne laitière peut se poser. Quelle solution envisagez-vous ?

M. Jean-Louis Porry -Je vais commencer par répondre au second point qui est le plus simple. L'ONILAIT a pris les dispositions adéquates afin qu'il n'y ait pas de pénalisation due à des dépassements de quotas. En effet, il s'agissait d'éviter que des éleveurs ne se débarrassent de leur lait dans les rivières, ce qui aurait entraîné des risques importants en termes de propagation de la maladie. Sinon, nous sommes dans l'attente d'une décision interministérielle qui définira le principe et les modalités d'une compensation des produits consignés qui ont pu être détruits.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Apparemment, les produits en attente auraient dû être détruits. Mais, en cas de consignation, seront-ils détruits ou commercialisés ?

M. Jean-Louis Porry -La Direction générale de l'Alimentation du ministère de l'agriculture a donné des consignes sur la façon de traiter les viandes. Elles devaient l'être par congélation ou par mise sous vide à pH acide. Cela a dû permettre d'en sauver une bonne partie. Il n'empêche que des viandes en cours de maturation au moment de la mise sous embargo ont dû être saisies deux semaines plus tard. Concernant les produits laitiers, le problème des fromages au lait cru consignés s'est posé. Dans l'Orne, une partie du stock avait dépassé les dates limite de consommation à la sortie de consigne. L'industrie de la distribution a fait preuve de compréhension. Mais cela n'a pas été toujours le cas, si bien qu'une partie du stock a dû être dirigée vers la fonte. En Seine-et-Marne, puisque la durée de conservation sur linéaire est plus conséquente pour les bries que pour les camemberts, la DGAL a pris toutes les dispositions en interprétant largement les instructions de la Commission afin que le stock puisse être écoulé rapidement lors de la levée de l'embargo. A ma connaissance, les pertes sur produits stockés [en Seine-et-Marne] y ont été peu nombreuses. Par contre, dans l'Orne, les stocks importants de l'entreprise Gillot (spécialisée dans le camembert au lait cru) ont été, en particulier, source de difficultés.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Quel sera le niveau des indemnités dans ce cadre ?

M. Jean-Louis Porry - Je suis malheureusement obligé de répéter ce que je viens de dire. Cette question est en cours de discussion, sachant qu'il n'existe aucune base légale vis-à-vis de Bruxelles pour justifier les aides.

M. Philippe Arnaud, président - Je ne serai pas aussi affirmatif que vous. Parmi les mesures à mettre en oeuvre obligatoirement par les Etats membres, figurent toutes mesures nécessaires à la limitation de la diffusion de la maladie. Il faut rappeler que, pour les fromages au lait cru, les mesures d'embargo ont été prises sur instruction de Bruxelles. Ainsi, l'Etat Français et ses représentants sont fondés à faire valoir cette référence nécessaire, sachant que la décision a été prise par Bruxelles. Bruxelles devrait donc pouvoir indemniser les exploitants. Nous avons demandé si la facture présentée par l'Etat français serait honorée par la Communauté. La réponse a été qu'il n'y avait aucune loi allant dans ce sens. Il faut donc continuer de se battre.

M. Jean-Louis Porry - Je suis entièrement d'accord avec vous. Il me semble que les industriels qui ont lancé des contentieux se sont trompés de cible en assignant l'Etat français. La première réaction du tribunal devrait être de faire remonter sous forme de question préjudicielle l'affaire auprès de la Cour de Luxembourg pour mettre en cause la responsabilité de l'Union européenne. En entendant la réponse de Bruxelles aux questions que vous avez posées, j'ai l'impression que la réaction de la Commission n'est pas si favorable. Naturellement, je rencontrerai les services du ministère de l'Agriculture pour examiner la situation et, pour le moins, relancer le processus.

M. Jean-Paul Emorine, rapporteur - Votre travail vous a-t-il conduit à estimer le préjudice du négociant en ovins ? Lors de nos rencontres, celui-ci faisait valoir qu'il était indemnisé dans le cadre général à hauteur de 500 francs par ovin. Or ces ovins coûtaient à l'achat 750 francs.

M. Jean-Louis Porry - Les problèmes d'indemnisations à la suite de l'abattage sont traités par la DGAL. Cela sort de mon domaine d'intervention.

M. Philippe Arnaud, président - Qu'en est-il des GDS qui interviennent en partie dans cette affaire ? J'aimerais savoir comment cela s'est passé et quel en a été le fonctionnement.

M. Jean-Louis Porry - Le dispositif dont les aides des GDS relèvent a été mis en place après l'arrêt de la vaccination obligatoire. Ils ont constitué un système d'assurance avec des cotisations prélevées sur les adhérents pendant plusieurs années. Les systèmes d'indemnisation mis ainsi en place sont cependant limités à la zone périfocale, aux zones de surveillance et aux zones de protection. Cela ressemble à ce qui a été fait (sur fonds public, comme aides au maintien du cheptel) dans les départements concernés, à l'extérieur de la zone périfocale. Mais, dans la mesure où les contraintes sont plus strictes dans cette zone, les aides des GDS sont calculées non sur la base de flux, mais des stocks. L'aide est calculée sur la base du nombre de têtes présentes, alors que nous avons basé notre calcul sur le nombre de bêtes devant sortir de l'exploitation lors de la période. Pour le reste, la concertation (administration/GDS) s'est bien passée dans la mesure où l'instruction des aides dans le reste du département a été sous-traitée aux GDS pour assurer une bonne cohérence entre les deux systèmes et pour s'appuyer sur des avis de professionnels.

M. Philippe Arnaud, président - L'indemnisation a bien été appréhendée en fonction des pertes réelles, conformément à la directive, et non en fonction du dispositif forfaitaire.

M. Jean-Louis Porry -Non. Le dispositif GDS est forfaitaire. Il est quand même très généreux.

M. Philippe Arnaud, président - Quels sont les montants ?

M. Jean-Louis Porry -Je n'ai malheureusement pas emporté le barème officiel. Je ne peux pas vous répondre.

M. Philippe Arnaud, président - Monsieur Porry, nous vous remercions sincèrement de votre venue qui nous a permis de recueillir des informations intéressantes.



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