C. DES LIGNES DE DÉFENSE SUCCESSIVEMENT ENFONCÉES

Face aux critiques des parlementaires de l'opposition, estimant que le fonds était une opération de débudgétisation de grande ampleur et que le Gouvernement mélangeait financement de la politique de l'emploi et financement de la sécurité sociale, trois arguments ont été avancés par le Gouvernement au cours des débats parlementaires de 1999 (loi de financement pour 2000) et 2000 (loi de financement pour 2001) : la pérennité , le contrôle et la transparence .

L'Assemblée nationale a, quant à elle, introduit l'affirmation d'un principe de neutralité pour la sécurité sociale.

Toutefois, les mérites éminents et nombreux prêtés par le Gouvernement à son fonds sont devenus, au fil des mois, particulièrement fragiles dès lors qu'un retard fâcheux, puis incompréhensible, puis, enfin, franchement inquiétant, était pris dans la publication de ses décrets d'application.

Aujourd'hui, ces « mérites » doivent être appréciés au regard des réalités qui sont cruelles. La pérennité se traduit par un déficit de financement ; le contrôle, par une absence totale de contrôle, notamment de la part des partenaires sociaux ; la transparence, par une suite de manipulations de recettes et la neutralité, par une lourde charge de trésorerie pour la sécurité sociale, qui vient en sus des contributions qu'elle a dû apporter.

1. La pérennité

La relecture du dossier de presse distribué à l'occasion de la réunion de la Commission des comptes de la sécurité sociale du 21 septembre 1999 ne laisse aucun doute ; c'est l'argument de la pérennité qui est tout d'abord mis en avant par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité : « Afin d'assurer la pérennité des allégements de charge, il est créé un « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale », établissement public doté d'un conseil de surveillance comprenant notamment des membres du Parlement et des représentants des partenaires sociaux » 11( * ) .

Le rapport Malinvaud venait en effet de montrer l'importance d'assurer aux entreprises qu'un allégement de charges soit « pérenne » et non susceptible d'être remis en cause d'une année sur l'autre.

2. Le contrôle

Face aux critiques de sa majorité plurielle, dont certaines composantes estimaient que les allégements de charges représentaient des « cadeaux » au « patronat », l'argument du « contrôle » est ensuite mobilisé : le FOREC permettra de contrôler l'utilisation des baisses de charge.

Ce « fonds indépendant » est en quelque sorte le premier gage donné aux auteurs de la proposition de loi relative à la création de la commission de contrôle des fonds publics accordés aux entreprises, déposée le 14 octobre 1999 et devenue la loi n° 2001-7 du 4 Janvier 2001 relative au contrôle des fonds publics accordés aux entreprises.

Mme Martine Aubry (octobre 1999) : « Justement pour pouvoir contrôler... »

Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Pourquoi créer un fonds indépendant ? Puisque vous posez la question sur un ton aussi critique, je vous rappelle que le premier fonds de cette nature, le FSV, c'est vous qui l'avez créé. C'est exactement le même type de fonds, le même établissement public que nous mettons en place en marge du budget de la sécurité sociale.

M. François d'Aubert. Pas du tout !

M. Bernard Accoyer. Le FSV a une vocation sociale : sauver les retraites !

Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Pourquoi ce choix ? Justement pour pouvoir contrôler -et la gauche y tient beaucoup- l'utilisation des baisses de charges.

Nous avons prévu, dans la loi sur la réduction de la durée du travail, que l'Etat, chaque année, ferait un rapport au conseil de surveillance du fonds et au Parlement, pour montrer quelles sont les conséquences de la réduction des charges sociales sur l'emploi. Si c'est cela, monsieur d'Aubert, refuser le contrôle du Parlement, je ne sais pas comment nous pourrions mieux faire !

M. Charles de Courson. Si vous aviez intégré le fonds dans le budget, ce serait encore mieux !

Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Non, car nous souhaitons que ce fonds soit individualisé pour pouvoir en mesurer les effets bénéfiques et pour pouvoir aussi y affecter certaines ressources.

in JO Débats Assemblée nationale, 3 ème séance du 27 octobre 1999, p. 8304.

3. La transparence

Totalement absent de la loi de finances dès 2001 du fait de la disparition de toute dotation budgétaire, présenté de manière pour le moins succincte en loi de financement, puisque le Parlement ne se prononce que de manière implicite sur ses recettes (apparaissant dans les catégories « impôts et taxes » et « contributions publiques » des recettes de la loi de financement), le FOREC présente toutefois, aux yeux du Gouvernement, le mérite essentiel de la « transparence ».

Mme Martine Aubry (28 octobre 1999): « Voilà ce que nous ferons parce que, nous, nous souhaitons la transparence »

Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité . Nous avons choisi la formule de l'établissement public administratif comme vous-mêmes l'aviez fait lorsque vous avez créé le FSV. Pourquoi ? Pour assurer une plus grande transparence. Pour que le nouveau fonds puisse percevoir des recettes fiscales comme le FSV, et Jérôme Cahuzac a rappelé hier combien les recettes fiscales du FSV étaient multiples et variées. Pour qu'il y ait un conseil de surveillance spécifique qui permette de faire toute la clarté sur les conséquences des baisses des charges.

A la demande du groupe communiste, nous avons accepté dans la loi sur la durée du travail, et c'est un gage de démocratie, que le Gouvernement remette chaque année un rapport mesurant les effets de la baisse des charges sur l'emploi. C'est très important, car nous, nous souhaitons qu'il y ait des contreparties en matière d'emploi. Ce rapport sera contradictoire. Il sera en effet présenté au Conseil national de la négociation collective.

Les avis du patronat et des syndicats y seront joints. Il sera ensuite remis au conseil de surveillance qui, représentant lui-même les parlementaires et les partenaires sociaux, pourra formuler son avis. Enfin, il sera déposé au Parlement.

Voilà ce que nous ferons, car nous, nous souhaitons la transparence. C'est une condition de la démocratie que l'on puisse savoir à quoi les fonds publics sont utilisés et surtout s'ils remplissent l'objectif qui leur est assigné, en l'occurrence la création d'emplois.

in JO Débats Assemblée nationale, 1 ère séance du 28 octobre 1999, p. 8330

Un an plus tard, Mme Elisabeth Guigou, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, tiendra un discours similaire :

Mme Elisabeth Guigou (26 octobre 2000): « Dans un souci de clarté et de transparence »

Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'Emploi et de la Solidarité . Sur le principe, si le Gouvernement a décidé, l'année dernière, de créer un établissement public pour assurer le financement de l'ensemble de l'allégement des charges sur les bas et moyens salaires mis en place dans le cadre de la réduction du temps de travail, c'est dans un souci de clarté et de transparence,...

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis . Evidemment !

Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. ... afin d'isoler le coût et le financement de ces dispositifs. De surcroît, le FOREC garantit les modalités de financement puisqu'il est soumis à une obligation d'équilibre entre ses recettes et ses dépenses.

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité. C'est donc bien une logique de clarté, de transparence et d'équilibre qui a conduit à la création d'un établissement public administratif. Je trouve cette logique plutôt saine et je ne comprends vraiment pas qu'on veuille la remettre en cause en proposant la suppression de cet article.

in JO Débats Assemblée nationale, 1 ère séance du 26 octobre 2000, p. 7562.

Mme Dominique Gillot : « Une telle décision paraît plutôt saine... »
(Sénat, 15 novembre 2000)

Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat. Le décret de création est au Conseil d'Etat, et c'est l'ACOSS qui, pour le moment, agit au nom du FOREC ! Ce choix, en permettant d'isoler le coût du dispositif, répond à un objectif de clarté et de transparence. Il en assure également les modalités de financement puisque le fonds est contraint à une obligation d'équilibre entre ses recettes et ses dépenses. C'est cette logique qui a conduit à la création d'un établissement public administratif. Une telle décision paraît plutôt saine, et je ne comprends pas votre volonté de la remettre en cause aujourd'hui en proposant la suppression de l'article 11. Sauf à conclure que vous souhaitez seulement couper les « tuyaux », asphyxier le dispositif et tuer la RTT !

in JO Débats Sénat, séance du 15 novembre 2000, p. 6094.

4. La neutralité

Alors que le texte original du Gouvernement laissait planer l'ambiguïté, l'Assemblée nationale a entendu poser un certain nombre de garde-fous. Ces contraintes tendent à éviter que la sécurité sociale ne fasse les frais d'un abondement insuffisant du FOREC.

Tout d'abord, à la suite d'une intervention de M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des Finances, le Fonds est considéré comme un « organisme concourant au financement des régimes de base ». Il bénéficie d'une annexe, l'annexe f) , qui permet de disposer des comptes prévisionnels de cet organisme, au même titre que le Fonds de solidarité vieillesse. Ses recettes, incluses initialement dans la catégorie « cotisations effectives » (!) se retrouvent dans la catégorie « impôts et taxes » des prévisions de recettes de la loi de financement de la sécurité sociale 12( * ) .

Ensuite, le fonds a une exigence d'équilibre : « Les recettes et les dépenses du fonds doivent être équilibrées dans les conditions prévues par la loi de financement de la sécurité sociale » (nouvel article L. 131-10 du code de la sécurité sociale). Cette phrase, issue d'un amendement de M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des Finances, a été complétée par un sous-amendement de M. Alfred Recours, précisant que « le solde annuel des dépenses et des recettes du Fonds doit être nul ».

L'amendement Cahuzac :
« les dépenses doivent correspondre aux recettes, et inversement »

M. Jérôme Cahuzac, rapporteur pour avis de la commission des Finances, de l'Economie générale et du Plan. L'équilibre futur du fonds est un enjeu important, nous l'avons tous souligné. Nos collègues de l'opposition ont insisté là-dessus, c'est bien normal. Il faut que ce fonds soit abondé régulièrement dans le cadre des lois de financement. C'est la moindre des choses. A partir du moment où nous avons décidé que la transparence et la cohérence seraient les deux règles qui s'imposeraient dans la gestion de ce fonds, les dépenses doivent correspondre aux recettes, et inversement. C'est un amendement de cohérence avec l'esprit même du projet de loi de financement de la sécurité sociale et notamment avec l'article 2, qui institue le fonds.

(...)

M. Alfred Recours, rapporteur de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, pour les recettes et l'équilibre général. Le Parlement doit en effet prendre ses responsabilités en votant l'équilibre du fonds. L'amendement déposé par M. Cahuzac au nom de la commission des Finances me paraît tout à fait légitime. Il a d'ailleurs été adopté par notre commission. Celle-ci a néanmoins tenu à préciser que le solde annuel des dépenses et des recettes du fonds devait être nul. Peut-être est-ce un peu rigoureux ? J'observe que l'amendement de M. Cahuzac donnerait, par lui-même, en grande partie satisfaction à notre commission.

(...)

Mme Martine Aubry, ministre de l'Emploi et de la Solidarité. Le Gouvernement est favorable à l'amendement n° 4 présenté par M. Cahuzac. Cet amendement reprend d'ailleurs les dispositions existant pour le FSV. Il permet de garantir l'équilibre entre les recettes et les dépenses du fonds sur l'ensemble de l'année. Il n'empêche pas ce fonds d'être éventuellement en excédent. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je suis réservée sur le sous-amendement. Je pense que M. Recours et M. Cahuzac veulent éviter l'un et l'autre tout déficit. Mais je crois que l'on peut admettre l'éventualité d'un excédent, et donc s'en tenir à l'amendement de M. Cahuzac.

in JO Débats Assemblée nationale, 2 ème séance du 28 octobre 1999, p. 8358.

Par ailleurs, si les dépenses du fonds connaissent un dérapage, l'Etat est alors tenu -au nom du respect de l'article L. 131-7- de compenser à la sécurité sociale le manque à gagner :

« Les versements mentionnés aux a, b et c du 1° ci-dessus se substituent à la compensation par le budget de l'Etat prévue à l'article L. 131-7 sous réserve que cette compensation soit intégrale. Dans le cas contraire, les dispositions prévues à l'article L. 131-7 s'appliquent ».

Cette disposition, introduite par amendement de M. Alfred Recours en nouvelle lecture, n'a pas fait l'objet de travaux parlementaires étendus.

Elle apparaît cependant d'une clarté limpide.

Enfin, l'article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 a également introduit un article L. 131-11 au code de la sécurité sociale, prévoyant que « les relations financières entre le fonds et les organismes de protection sociale, d'une part, le fonds et l'Etat, d'autre part, font l'objet de conventions destinées notamment à garantir la neutralité en trésorerie des flux financiers pour les organismes de sécurité sociale ».

Non seulement le FOREC doit être neutre comptablement pour les organismes de sécurité sociale, mais selon la loi, il doit être également neutre en trésorerie.

Pour l'ACOSS, le remplacement d'une dotation budgétaire par un versement du Fonds de financement est neutre... à supposer que les recettes du FOREC correspondent aux pertes de recettes des régimes sociaux.

Le contrôle effectué par votre rapporteur a montré que ce n'était absolument pas le cas.