N° 46

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 octobre 2001

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1), sur la réforme de la coopération,

Par M. Guy PENNE, Mme Paulette BRISEPIERRE
et M. André DULAIT,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Xavier de Villepin, président ; MM. Michel Caldaguès, Guy Penne, André Dulait, Michel Pelchat, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. André Boyer, vice-présidents ; MM. Simon Loueckhote, Daniel Goulet, André Rouvière, Jean-Pierre Masseret, secrétaires ; MM. Jean-Yves Autexier, Jean-Michel Baylet, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Jacques Blanc, Didier Borotra, Didier Boulaud, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Robert Del Picchia, Jean-Paul Delevoye, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe François, Philippe de Gaulle, Mme Jacqueline Gourault, MM. Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Mme Hélène Luc, MM. Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Louis Moinard, Xavier Pintat, Jean-Pierre Plancade, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Henri Torre, André Vallet, Serge Vinçon.

Affaires étrangères et coopération.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 4 février 1998, le gouvernement adoptait une profonde réforme de notre dispositif de coopération.

La principale des dispositions arrêtées, la plus spectaculaire et la plus novatrice, portait sur le regroupement des services du secrétariat d'Etat à la coopération et du Quai d'Orsay afin de permettre la constitution d'un « grand ensemble diplomatique » placé sous l'autorité du ministère des affaires étrangères. Les quatre autres mesures s'inscrivaient davantage dans le prolongement des évolutions progressives de notre politique d'aide au développement au cours de la dernière décennie : création d'un comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) composé des principaux ministres intéressés par ces questions ; promotion de l' Agence française de développement (nouvelle désignation de la Caisse française de développement) comme « opérateur pivot » des projets d'aide au développement ; délimitation d'une « zone de solidarité prioritaire » destinataire de notre aide au développement ; enfin, mise en place d'un Haut conseil de la coopération internationale représentant la société civile.

En dépit des interventions répétées des sénateurs et des députés, le Parlement n'a guère été associé à cette réforme. Il était donc particulièrement nécessaire que notre Haute Assemblée, quatre ans après, puisse en dresser un premier bilan. C'est pourquoi votre commission des affaires étrangères a décidé de confier à ses trois rapporteurs pour avis du budget du ministère des affaires étrangères : MM. Guy Penne (relations culturelles extérieures et francophonie), André Dulait (affaires étrangères), vice-présidents, et Mme Paulette Brisepierre (aide au développement), la mission de s'informer sur les conditions dans lesquelles a été conduit ce vaste chantier ainsi que sur les résultats obtenus. Ces derniers doivent être jugés à l'aune des trois grands objectifs qui les ont inspirés :

- rationaliser un dispositif d'aide souvent complexe et favoriser en particulier une meilleure coordination des services ;

- renforcer l' efficacité de l'aide ainsi que sa « sélectivité » ;

- réaffirmer une véritable priorité pour les pays en développement en maintenant notamment des « flux substantiels » d'aide.

A travers ces trois grandes priorités, la réforme présente un double enjeu essentiel : quelle place occupe le continent africain , principal bénéficiaire de l'aide, au sein de notre diplomatie ? Comment mieux valoriser la somme de compétences et d'expériences qui constitue sans doute l'atout le plus précieux de la coopération française ?

Afin de nourrir sa réflexion, la mission a procédé à un grand nombre d'auditions 1 ( * ) . Elle s'est également rendue dans deux pays de la zone de solidarité prioritaire, Madagascar et le Kenya -le premier, partenaire traditionnel de notre coopération, le second, récemment intégré à la ZSP- afin de prendre la mesure sur le terrain des conséquences de la réforme. Vos trois rapporteurs se sont en outre déplacés à Bruxelles puisque l'aide européenne à laquelle notre pays apporte une large contribution, représente désormais une dimension essentielle de notre politique de coopération.

Vos rapporteurs examineront successivement le nouveau cadre institutionnel mis en place, les grandes orientations de notre aide au développement, nos principaux instruments d'intervention -financiers mais aussi et surtout humains à travers l'assistance technique 2 ( * ) - et enfin les conditions de coordination avec les autres acteurs du développement -organisations non gouvernementales, secteur privé, bailleurs de fonds multilatéraux, principalement l'Union européenne.

La réforme de la coopération répondait à une véritable nécessité. Elle traduit par ailleurs la capacité d'adaptation d'une administration que l'on a parfois taxé, abusivement, d'immobilisme. Cependant, certaines des orientations retenues, à l'épreuve des faits, suscitent de nombreuses réserves. Il en est ainsi de la prise en charge par l'outil diplomatique de missions de coopération technique. En outre, par bien des aspects, la réforme engagée paraît inachevée. Aussi, dans leurs conclusions, vos rapporteurs reviendront-ils sur ces interrogations et présenteront quelques propositions qui tentent de tenir compte des leçons de l'expérience.

I. UNE RÉORGANISATION INSTITUTIONNELLE INACHEVÉE

A. LE DISPOSITIF ANTÉRIEUR À LA RÉFORME

Avant la réforme de 1998, la responsabilité de l'aide au développement se partageait principalement entre le ministère de l'économie et des finances -pour la part la plus importante-, le secrétariat d'Etat à la coopération.

• Le ministère de la coopération

Le ministère de la coopération a été créé par un décret du 10 juin 1961. Cependant, l'administration qui en constituait l'ossature lui préexistait. En effet, elle avait été mise en place dès 1959, dans le prolongement de l'indépendance des colonies françaises d'Afrique subsaharienne, sous l'autorité du Premier ministre. Celui-ci avait alors été chargé de veiller aux relations entre la France, les Etats membres de la Communauté et, en particulier, « l'action d'aide et de coopération dans les domaines économique, financier, culturel et social » (décret du 27 mars 1959).

Dans ce cadre, un « Conseil interministériel pour l'aide et la coopération entre la République et les autres Etats de la Communauté » avait été institué, doté d'un secrétariat réunissant des fonctionnaires de l'ancien ministère de la France d'outre-mer, des administrateurs venus d'autres ministères ainsi que des contractuels. Cet embryon d'administration centrale avait été complété sur le terrain, en Afrique, par des missions d'aide et de coopération (décret du 25 juillet 1959) et la mise en place du Fonds d'aide et de coopération (FAC) -héritier du Fonds d'investissement pour le développement économique des territoires d'outre-mer (FIDES)- destiné à appuyer, sous forme de subventions d'investissements le développement des pays issus de l'ancien empire colonial français. Ce dispositif, installé rue Monsieur, avait d'abord relevé d'un ministre d'Etat auprès du Premier ministre avant de constituer une entité propre, le ministère de la coopération, chargé de « l'action d'aide et de coopération à l'égard des Etats africains situés au sud du Sahara et de la République malgache ». En 1964, la montée en puissance de cette administration se manifestait par la progression de ses effectifs (quelque 165 agents, dont 30 issus de l'ancien ministère de la France d'outre-mer, 27 du ministère de l'intérieur, 23 du ministère des finances, 25 du secteur privé, les autres de différents ministères, notamment l'éducation nationale, l'agriculture, l'industrie). En 1996, le ministère comptait 637 personnes en administration centrale, 366 dans les missions de coopération et d'action culturelle.

Tantôt confiée à un ministre de plein exercice, tantôt à un ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, tantôt à un secrétaire d'Etat, la structure dévolue à la coopération avec l'Afrique conserva sa spécificité jusqu'en 1998. Son principe ne fut jamais vraiment remis en cause même si son champ d'abord rigoureusement limité aux anciennes colonies françaises avait été progressivement étendu à l'ensemble des pays francophones de l'Afrique subsaharienne, puis en 1995, aux Etats africains anglophones ou lusophones et aux pays de la région des Caraïbes.

• Le ministère des affaires étrangères

La coopération avec les autres pays du monde -appelés pays « hors champ »- relevait de la direction de la coopération scientifique et technique du ministère des affaires étrangères. Les interventions conduites dans ce cadre différaient de celles du ministère de la coopération tant par leur nature -axée davantage sur les échanges culturels que sur le développement- que par leur impact. D'un montant modeste et dispersés sur un grand nombre de pays, ces concours pesaient naturellement beaucoup moins dans l'économie des pays bénéficiaires.

• Le ministère de l'économie et des finances

Dans les faits, le rôle principal en matière de développement revenait au ministère de l'économie et des finances à travers les responsabilités qu'il assume dans la coopération avec les pays de la zone franc ainsi que par le biais des prêts accordés aux pays en développement. A cet égard, la crise financière des années 80 a conféré à la direction du Trésor en particulier, une responsabilité éminente dans les opérations de consolidation ou de remise de dettes qui conditionnent dans une large mesure le versement de l'aide au développement. Par ailleurs, cette administration est également l'interlocuteur privilégié des grands acteurs internationaux du développement : Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale. Enfin, le ministère des finances, conjointement avec les ministères de la coopération, des affaires étrangères et de l'outre-mer, exerce la tutelle de la Caisse française de développement, opérateur principal de l'aide au développement.

• La Caisse française de développement

D'abord sous le nom de Caisse centrale de coopération économique de 1958 à 1992, la Caisse française de développement dotée du statut d'établissement public et d'institution financière spécialisée soumise à la loi bancaire de 1974 est devenue l'un des principaux instruments de l'aide publique au développement. En effet, si elle intervient à deux titres assez différents : comme bailleur de fonds sous la forme de prêts privilégiés ou de subventions pour des projets d'investissement producteurs (prêts dits de « premier guichet » comportant une proportion minimale de dons à hauteur de 50 % pour les pays les moins avancés et de 35 % pour les pays à revenu intermédiaire) et comme banquier à travers des prêts accordés aux conditions de marché, ces prêts dits de « deuxième guichet » ont décliné par rapport aux opérations intégrant une forte part de subventions. Enfin, la CFD soutient par le biais de sa filiale Proparco le secteur privé ou les entreprises publiques en voie de privatisation sous la forme de fonds propres au capital ou de prêts participatifs. La caisse dispose de ressources procurées par le budget de l'Etat qu'elle complète par des prêts sur le marché.

*

* *

La principale transformation introduite par les mesures gouvernementales de 1998 s'est traduite par la disparition du secrétariat d'Etat à la coopération et la prise en charge de ses attributions par le ministère des affaires étrangères.

Cette mesure comporte trois implications : l'intégration progressive des quelque 1 150 agents en poste au secrétariat d'Etat à la coopération au sein du ministère des affaires étrangères ; la transformation des 31 missions de coopération et d'action culturelle en services de coopération au sein des ambassades ; la mise en place d'un budget unique du ministère des affaires étrangères regroupant l'ensemble des crédits dévolus aux affaires étrangères et à la coopération.

Compte tenu de son ampleur, ce chantier a été conduit par étapes sous la responsabilité d'une équipe de pilotage conjointe placée auprès du secrétaire général des affaires étrangères :

- la nouvelle organisation des services s'est mise en place au début de l'année 1999 ;

- le budget unique s'est appliqué pour l'exercice 1999 ;

- l'harmonisation des statuts des personnels -l'un des points les plus délicats de la réforme- a avancé même si elle reste inachevée.

* 1 Voir en annexe liste des personnalités auditionnées.

* 2 Le présent rapport n'abordera pas - sinon dans le compte rendu de la mission effectuée à Madagascar- la coopération militaire, sujet dont l'importance justifie une analyse séparée.

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