TABLE RONDE N° 2 :

LE MODÈLE AMÉRICAIN D'INFORMATION ÉCONOMIQUE

PEUT-IL ÊTRE TRANSPOSÉ EN FRANCE ?

M. BOURDIN .- Madame la Présidente Marie-Claude BEAUDEAU, mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, permettez-moi tout d'abord de remercier les intervenants de la première table ronde pour la qualité de leurs interventions et aussi pour la franchise avec laquelle ils se sont exprimés.

Comme l'a indiqué M. MABILLE, notre seconde table ronde est consacrée à l'information économique d'une manière générale.

A titre introductif, il peut sembler intéressant de rappeler l'exemple des Etats-Unis qui, ainsi que cela a été souligné à plusieurs reprises, font souvent figure de modèle en la matière et auxquels personnellement j'ai consacré un rapport devant la délégation du Sénat pour la planification.

En particulier, on considère souvent comme des modèles les offices du Congrès comme le « General Accounting Office » (GAO), qui effectue des contrôles et des audits d'administrations publiques à la demande des parlementaires, le « Congressional Budget Office » (CBO) qui réalise des évaluations du coût de toutes les dispositions législatives en discussion.

Les Etats-Unis se caractérisent par la volonté des administrations de rendre des comptes, par la sincérité des données budgétaires, par une grande transparence de l'information, par le pluralisme des analyses dans tous les domaines et par l'importance de la contre-expertise indépendante.

Ces performances s'expliquent par un ensemble d'institutions et de bonnes pratiques qui se renforcent mutuellement.

On peut tout d'abord souligner les garanties apportées à l'exercice de la liberté d'accès aux documents administratifs, à l'information du public sur ses droits, des délais de réponse resserrés pour les administrations, des sanctions disciplinaires et pénales contre les fonctionnaires récalcitrants.

Un autre élément important est l'accessibilité des économistes publics dont les numéros de téléphone sont largement diffusés et à qui il est demandé de répondre systématiquement aux questions méthodologiques émanant d'experts indépendants ou de journalistes.

Il convient également de signaler les modalités de publication des principales statistiques économiques et sociales, diffusées sous la seule autorité des services statistiques compétents et qui ne peuvent être commentées par des responsables politiques dans l'heure qui suit leur publication.

Par contraste, on peut regretter en France le manque de transparence des ministères français et l'absence de contre-expertise indépendante des administrations dans des domaines aussi essentiels que l'éducation, la fiscalité ou l'évaluation des politiques publiques, ce qui nuit à la qualité des débats économiques et sociaux.

J'ai été amené à présenter dans mon rapport sur l'information économique aux Etats-Unis plus de trente propositions. Ces propositions ont pour seul objectif de favoriser l'émergence d'un débat.

L'une d'elles est de compléter la loi du 17 juillet 1978 relative à l'accès aux documents administratifs, par des dispositions prévoyant l'accès aux documents administratifs via le réseau internet. Je me réjouis qu'une telle disposition figure maintenant dans le projet de loi relatif à la société de l'information, récemment présenté par le Gouvernement.

Parmi les autres propositions, j'en retiendrai trois.

Tout d'abord le renforcement des moyens des organismes indépendants conduisant des études économiques appliquées à la décision publique.

Ensuite la diffusion aux chercheurs indépendants des fichiers de données fiscales et sociales anonymes nécessaires à l'évaluation des politiques publiques dont dispose le MINEFI.

Enfin, l'accroissement de la contribution scientifique de la Banque de France au débat public.

Encore une fois, ces propositions ont pour seul objectif de favoriser l'émergence d'un débat.

Monsieur MABILLE, je vous rends la parole.

M. MABILLE .- Merci, Monsieur BOURDIN.

Nous allons démarrer tout de suite. Je passe donc la parole aux uns et autres dans l'ordre prévu.

Monsieur PISANI-FERRY, vous êtes président du Conseil d'analyse économique, qui est quelque part un peu une copie de son équivalent américain bien connu, avec cette caractéristique toujours bien française que l'on est plus nombreux en France qu'aux Etats-Unis quand on anime un conseil de politique économique. Mais vous allez nous expliquer pourquoi la tradition française, de ce point de vue-là, est respectée !

L'expérience du Conseil d'Analyse Economique

M. PISANI-FERRY
.- Si j'appartenais à l'équivalent du Conseil américain, je serais de l'autre côté de la table avec les administrations puisque le « Council economic advice » fait partie du Gouvernement, ce que n'est pas le Conseil d'analyse économique, qui est un organisme pluraliste d'experts indépendants rassemblés par le Premier ministre.

Je voudrais dire quelques mots sur ma vision de l'expérience américaine, puis je parlerai de notre situation, notamment du Conseil d'analyse économique, des progrès que nous pouvons faire et de certaines de vos propositions.

Je trouve évidemment le rapport que vous avez fait très intéressant et enrichissant. Nous continuons à avoir beaucoup à apprendre de l'expérience américaine et même si nous avons fait en France, il me semble, sur une ou deux décennies, des progrès évidents, il nous en reste un certain nombre à faire.

Je me limiterai à ce qui concerne le débat économique en me fondant sur mon expérience au Conseil d'analyse économique, mais aussi sur mes expériences antérieures, notamment comme directeur du CEPII, et au ministère des finances.

On peut avoir beaucoup d'admiration pour la qualité du débat économique américain.

Il est réactif, capable de se saisir de sujets très rapidement. Il est inventif dans la manière de traiter les sujets. Il est vif dans la critique et dans l'échange des points de vue.

Il est rigoureux du fait que, derrière des opinions, ce sont souvent des méthodologies et des analyses très fouillées qui se confrontent. Il est en interaction constante avec la décision.

A l'arrivée, il produit des propositions qui sont souvent opérationnelles, et surtout, une structuration de la discussion.

Je voudrais en prendre deux exemples. D'abord sur un point que j'ai étudié récemment, qui est un peu latéral par rapport au thème d'aujourd'hui : le débat sur l'architecture financière internationale.

La manière dont la communauté des économistes américains s'est saisie de ce sujet, le rythme auquel elle a produit des propositions au fur et à mesure que la crise se développait et que les institutions internationales et les gouvernements du G7 se posaient des questions, ont témoigné d'une capacité absolument sans équivalent dans le monde et notamment en Europe, de participer à la réflexion, d'influencer la décision, de fournir des propositions. A l'évidence, cela a été un facteur d'influence des Etats-Unis, en dehors de toute considération de pouvoir. Cette capacité à nourrir le débat intellectuel sur des sujets d'actualité participe du leadership américain.

Je crois que la France, au sein de l'Union européenne, pour ne pas parler de son influence plus large, aurait des leçons à tirer de cette expérience. La capacité à produire des idées et des analyses est un facteur d'influence internationale important, parfois décisif.

Deuxième exemple qui rejoint un débat français récent : les questions relatives à la fiscalité et à l'équivalent américain de la prime pour l'emploi.

Je me suis amusé à regarder la taille de la bibliographie d'un survey américain sur ce sujet. Il fait six pages de travaux recensés qui ne portent pas tous spécifiquement sur ce point, mais qui indiquent la richesse des évaluations auxquelles donnent lieu des propositions de mesures fiscales. Ces évaluations émanent très largement d'universitaires, de centres indépendants ; elles sont extrêmement fouillées et reposent sur des techniques très fines, notamment des techniques d'expérimentation contrôlée, qui permettent d'avoir sur des sujets de types fiscaux des instruments d'analyse et d'évaluation pointus. Ces analyses contribuent à nourrir la discussion sur l'efficacité de ces politiques et contribuent in fine à la renforcer.

Pourquoi cette situation aux Etats-Unis ? Je crois que vous recensez bien un certain nombre de facteurs dans votre rapport : la qualité de la formation et de la profession des économistes, la demande. Ce point est très important et vous le soulignez aussi dans le rapport : l'existence d'une demande de la part des décideurs à l'égard de cette évaluation externe et leur capacité à intégrer les conclusions de cette recherche, auxquelles parvient la communauté des économistes est un facteur puissant de stimulation de la réflexion pour la décision.

Il y a aussi une question de mobilité des personnes. La culture de l'expertise et de la décision sont deux cultures différentes. Il importe de les réunir. Elles sont réunies ici en la personne de Jean-Philippe COTIS, mais il peut y avoir d'autres formes de réunion qui passent par le fait que des gens vont plus facilement de la recherche vers la décision et, éventuellement, retournent à la recherche nourris de l'expérience de la décision.

C'est un point sur lequel notre tradition est clairement différente de celle des Etats-Unis, et nous avons à apprendre de leur expérience.

Cela ne doit pas nous cacher les défauts du système américain. Les économistes américains ont leur naïveté. Ils ont aussi leur intérêt propre et les débats sont parfois dominés par une économie de la notoriété qui n'est pas toujours la plus efficace du point de vue de la décision. Les sujets auxquels s'intéressent les économistes sont souvent des sujets sur lesquels ils peuvent se faire connaître, formuler des propositions éventuellement provocantes, et cela ne correspond pas toujours exactement à la hiérarchie de l'utilité sociale de la recherche.

Il ne faut donc pas être naïf non plus à l'égard de l'expérience américaine.

En ce qui concerne la situation française, je disais que nous avons fait des progrès sensibles sur la longue durée. Vous rappelez le rapport LENOIR, qui avait donné naissance à l'OFCE, au CEPII, à l'IRES, à REXECODE. La création de ces organismes à été un progrès important.

Nous avons fait des progrès aussi dans le décloisonnement entre la recherche et l'administration. Nous avons fait des progrès en matière de connaissance. J'ai été très frappé, lorsque j'ai récemment fait un travail sur l'emploi, de noter à quel point, en une dizaine d'années (notamment à l'aide de bases de données que l'INSEE a constituées et sur lesquelles un certain nombre de chercheurs ont pu travailler), nous avons fait des progrès considérables dans la connaissance des questions d'emploi, de salaire, de déterminants de l'emploi à partir de l'exploitation de données individuelles. C'est un point sur lequel aujourd'hui on ne peut plus parler de ces questions comme on parlait il y a dix ans, car on était alors dans un certain vide de la connaissance. Il y avait des opinions générales qui s'opposaient, et pas de moyen de trancher par des analyses empiriques. Aujourd'hui, on a beaucoup plus la possibilité de le faire. Des progrès sensibles ont donc été accomplis.

Quelles sont les difficultés qui nous restent ? Je crois d'abord que l'effort qui avait été lancé s'était centré sur la prévision et plus généralement sur l'analyse macro-économique. Il a abouti là-dessus, c'est-à-dire qu'en matière de prévision, nous sommes totalement sortis de la situation de quasi-monopole qui prévalait au moment du rapport LENOIR, en matière d'analyse macroéconomique également.

En revanche, l'accent n'avait pas du tout été mis à l'époque sur des questions comme celles que vous mettez en avant, des questions plus structurelles, d'évaluation de politiques publiques, de réforme structurelle, de politique fiscale, de dépenses publiques.

Il me semble effectivement qu'il y a aujourd'hui un déséquilibre entre les sujets sur lesquels l'accent a été mis, et des résultats ont été obtenus, et d'autres sur lesquels on a moins mis l'accent.

Deuxième facteur : la demande n'est pas toujours très exigeante. La demande d'expertise indépendante est probablement un peu plus faible qu'elle n'est ailleurs, notamment aux Etats-Unis, ou dans les institutions européennes qui sont grandes consommatrices d'études externes dans la mesure même où leurs capacités internes sont faibles. En France, la capacité interne des administrations est grande, les études et les évaluations qu'elles produisent sont de grande qualité. Un peu mécaniquement, cela réduit la demande d'évaluations externes, en tout cas de la part du Gouvernement. De la part du Parlement, il y a eu, notamment dans le cadre de la délégation à la planification, une demande constante mais plutôt centrée aussi sur les aspects macro-économiques. Cela a contribué à nourrir des travaux et des progrès dans les instituts auxquels il a été fait appel.

Mais on pourrait aussi imaginer une intensification de cette demande notamment sur des sujets de types fiscaux.

Enfin, la culture économique reste peu présente dans le débat français et l'anti-économisme reste vif. On a assez facilement une politisation du débat qui ne facilite pas toujours l'intervention des économistes, qui entretiennent entre eux un débat qui ne recouvre souvent pas exactement, voire pas du tout, le débat politique tel qu'il est spontanément posé.

Je dirai quelques mots sur l'expérience du Conseil d'analyse économique. Nous avons eu une production très substantielle en quantité. Sur la qualité, ce n'est peut-être pas à moi d'en juger. Je dirai simplement qu'elle me semble avoir été assez généralement appréciée.

Ce qui est intéressant, c'est de savoir pourquoi l'on a réussi à produire 33 rapports sur des sujets très variés dans une période de quatre ans avec un staff technique très réduit.

Premier facteur, la demande politique a été nette. Cela a été un élément très important de motivation des économistes qui ont travaillé dans le cadre du CAE. L'implication du Premier ministre est personnelle et forte. Il a pris vis-à-vis du Conseil d'analyse économique une posture de recherche, de dialogue, d'interrogation. Cela a fortement stimulé les membres du Conseil que d'avoir un Premier ministre qui les écoutait et qui souhaitait dialoguer avec eux. Je l'ai même trouvé parfois méritant d'écouter des propos qui avaient un certain caractère technique, par rapport auxquels un homme en charge de la gamme des sujets que traite un Premier ministre peut avoir parfois un peu de mal à se situer.

Je crois qu'un deuxième facteur, l'orientation des travaux, a été important. Il y a une volonté d'application, de recommandation ; il y a aussi, me semble-t-il, une volonté dans les travaux du CAE d'une manière générale, d'essayer de poser précisément les termes du débat. Souvent, l'apport en termes de problématique, de clarification du pourquoi d'une question, a été aussi grand, voire éventuellement plus grand, que l'apport plus précis en termes de recommandation, sachant que la recommandation pose toujours la question de savoir quelle est à un moment donné la décision qui doit être prise, quelle est la question exacte qui se pose, en fonction du contexte politique et des contraintes propres à la décision publique.

En revanche, le cadrage des éléments de la problématique sur des grands sujets est un élément qui me semble très utile dans le débat public et auquel le CAE a contribué.

Troisième élément : le débat. Le postulat de départ du Conseil d'analyse économique, c'est que la vérité sort du débat et non pas du consensus. Cela a été à l'évidence influencé par les polémiques qu'il y avait eu sur la pensée unique dans les années 1990. La volonté était que les économistes, qui ont des avis divers, puissent discuter entre eux, que la discussion soit sérieuse, rigoureuse. Mais l'idée était, et est toujours, que c'est du constat de l'existence ou pas d'un débat sur telle ou telle question, de l'existence ou pas d'un accord, plutôt que de la volonté d'aboutir à un consensus, que peut émerger la vérité et l'information du politique. Je crois que cela a été un pari réussi.

Enfin dernier facteur : l'interaction entre la recherche et l'administration. Les rapports sont en général rédigés par des chercheurs très souvent universitaires, en tout cas indépendants, mais avec un appui important de l'administration économique.  Cette collaboration a été fructueuse, c'est-à-dire que les seuls experts, dans un certain nombre de cas, n'auraient pas pu mobiliser toute l'information ou le détail d'analyse qui figure dans les rapports, tandis que l'administration ne pouvait pas, sur un certain nombre de sujets, prendre des positions comme peuvent le faire des experts indépendants.

Il me semble donc qu'il y a là quelques éléments positifs dont on peut tirer des leçons.

Je conclus sur quelques progrès que nous pouvons faire.

Je vous confierai que j'ai un peu de scepticisme à l'égard de l'idée que vous avancez qu'il nous faudrait reproduire l'expérience des institutions de type OFCE, IRES, REXECODE, reproduire le modèle qui a bien réussi il y a vingt ans.

Premièrement parce que ces centres existent. Pour paraphraser François MAURIAC, nous aimons beaucoup Jean-Paul FITOUSSI, mais ce n'est pas pour cela que l'on voudrait en avoir deux ! Les instituts existent et apportent beaucoup tels qu'ils sont.

Deuxièmement et surtout, le risque à multiplier les organismes de ce type serait d'éloigner encore l'université de la politique économique et de la décision publique. Or, il y a toute une recherche importante dans l'université qui peut avoir des applications. Il faut éviter de multiplier les écrans qui renverraient la recherche universitaire du côté de ce qui n'a pas d'application et aboutirait à ce que la recherche susceptible d'application soit le monopole d'un certain type d'organismes. Au contraire, il faut essayer de rapprocher l'université. Cela peut passer par des passerelles, mais plutôt que d'avoir des chercheurs labellisés comme contribuant à la décision, par rapport à des chercheurs universitaires qui n'y contribueraient pas, il faut plus penser en termes de mobilité et de capacité à certains moments de faire venir des universitaires plus près de la décision.

Troisièmement, je crois que le financement privé est moins impossible que vous ne semblez le suggérer. Il est vrai que ce n'est pas dans la tradition française. Il n'y a rien de très fondamental qui interdise que des financements privés puissent progressivement se développer, même si nous restons dans une culture beaucoup plus dominée par le financement public que la culture américaine.

Voila donc quelques éléments de scepticisme par rapport à cette proposition spécifique.

Ce qui peut être utile, c'est de renforcer la demande et d'essayer de structurer une offre par la stabilité de la demande. Un certain nombre de laboratoires universitaires devraient être susceptibles de déboucher sur des travaux plus opérationnels à condition de faire face à une demande suffisamment structurée et permanente.

Pourquoi ne pas faire un petit appel à la discipline des politiques en termes de meilleure explicitation des fondements économiques et des choix qu'ils font ? C'est évidemment difficile. Le marché politique ne s'y prête pas nécessairement, mais ce serait un progrès notable.

Accroître la mobilité entre les milieux de la recherche et les milieux de la décision serait très positif.

Il faut aussi que nous ayons, parallèlement aux débats entre économistes, plus de débats avec les non-économistes puisque la coupure entre les deux mondes est un facteur de risques dans le contexte français où la culture économique est peu répandue.

Dernier point : vous avez -c'est très naturel- centré votre analyse et vos propositions sur la France. Je crois qu'il y a un besoin considérable en matière européenne, notamment dans la zone euro. Nous sommes en phase de constitution d'une zone ayant une certaine identité économique, mais nous souffrons d'un retard considérable à la fois de l'information - y compris statistique, sur certains points - et du débat qui doit nous préoccuper particulièrement, parce que la qualité de l'information et de l'analyse seront des éléments importants du succès qu'aura cette construction.

Je crois donc que, d'une certaine manière, l'expérience américaine mériterait d'être transposée à la problématique « zone euro » pour savoir si précisément, avec les différents institutions, par rapport aux préoccupations de politique économique qui sont celles de la zone euro, nous avons constitué en Europe le réseau d'analyse, d'information, d'expertise nécessaire à la qualité de la politique économique.

M. MABILLE .- Merci, vous avez ouvert une perspective dont on pourra débattre tout à l'heure. Je ne sais pas s'il peut y avoir deux Jean-Paul FITOUSSI, mais il y en a un ici ce matin ! Je lui passe donc la parole.

Les instituts indépendants ont-ils atteint la masse critique ?

M. FITOUSSI
.- Comme toujours, je suis très heureux de participer aux réunions qui sont impulsées par le Sénat et ce pour plusieurs raisons qui ne sont pas étrangères au sujet dont je dois débattre, qui est le sujet de la taille critique des instituts indépendants.

Je voudrais d'abord souligner les qualités du rapport du Sénat sur l'information économique et sur le modèle américain. Ce rapport me semble remarquable à plusieurs égards. S'il souligne les mérites du système américain, il en dit en même temps les conditions de possibilité, conditions qui sont à la fois constitutionnelles, culturelles mais aussi financières. Et il en dit en même temps les particularités et les limites. Le problème, par exemple, que posent les Think Tanks américains, c'est celui de leur indépendance : sont-ils vraiment indépendants ou sont-ils des instruments ? On trouve les deux, de sorte qu'il est difficile de reconnaître ses petits.

Comment aborder la question de la taille critique des instituts indépendants ? Evidemment j'ai à l'esprit le modèle de l'OFCE. Je partirai de l'exigence première, de la raison d'être de ses institutions. La raison d'être, c'est précisément l'indépendance, qui participe de leur mission même, autrement elles ne serviraient pas à l'animation du débat public en économie.

Mais quelles sont les conditions de cette indépendance ? Le rapport LENOIR avait énoncé un certain nombre de conditions qui me semblent toujours valides aujourd'hui, mais qui demandent probablement à être un peu abondées ou en tout cas interprétées dans un contexte de mutations structurelles rapides.

Ces conditions sont d'une façon ou d'une autre, directe ou indirecte, liées à la notion de taille critique. Il n'est d'ailleurs pas étonnant que cette condition fut la première du rapport LENOIR. Ce rapport disait qu'un organisme de prévision doit compter au moins 20 chercheurs et que, s'il doit faire en même temps des analyses économiques, il devrait compter au moins 50 chercheurs. C'est la taille qu'avait définie le rapport LENOIR.

Cette taille critique ne s'apprécie pas seulement par rapport au nombre mais aussi par rapport à d'autres exigences.

La première est celle de la rigueur de l'indépendance, mais aussi de la crédibilité qui impose toute une série de conditions parce que l'indépendance impose de se mettre dans une posture critique, au sens constructif du terme et non pas de critique systématique, et dans un contexte où la posture critique n'est pas tout à fait habituelle, où l'on a l'impression que les experts doivent tous parler d'une même voix, cette exigence de critique implique qu'on s'expose soi-même à la critique, qu'il y a nécessité d'être soi-même critiqué. D'où l'exigence de pluralisme. On ne peut pas critiquer sans être critiqué.

C'est ainsi que cette exposition à la critique impose le contrôle des pairs, donc impose un certain mode de fonctionnement.

Ce mode de fonctionnement implique d'abord d'asseoir la crédibilité sur la rigueur, c'est-à-dire d'avoir une reconnaissance à l'échelle internationale. Par exemple, une des clefs de construction de l'OFCE, c'est cette recherche de reconnaissance internationale, qui se décline en plusieurs points : d'abord ce que j'appelle la double contrainte de production des chercheurs, qui doivent produire pour l'institution, pour l'OFCE, mais doivent aussi produire pour la communauté scientifique. Ils doivent s'exposer à la critique de leurs pairs, ils doivent être incités à se mesurer avec leurs pairs. Et cela implique d'abord un effort considérable qui n'est pas sans lien avec le nombre, la taille critique puisque ces chercheurs doivent, en fait, faire deux versions du même travail, une version suffisamment lisible pour s'adresser à l'ensemble des décideurs, et une version scientifique qui est admise selon les canons de la communauté scientifique.

Il faut aussi favoriser les travaux communs entre les membres des Think Tanks, donc favoriser entre les centres français et étrangers des relations et des recherches communes, ce qui permet d'établir la crédibilité et il faut que l'on fasse venir ces recherches communes dans le pays. L'OFCE avait créé un groupe international de politique économique qui était composée des meilleurs experts dans le domaine de la macro-économie, en particulier un prix Nobel américain et notre espoir de prix Nobel français, M. MALINVAUD.

Nous avons aussi tenté à l'OFCE de créer un réseau de « chercheurs étrangers associés », mais de chercheurs étrangers de grande qualité. Ces chercheurs étrangers associés de grande qualité, c'est un peu faute de ne pas pouvoir attirer, compte tenu des rémunérations que nos institutions peuvent donner, ce que vous soulignez d'ailleurs dans votre rapport, de façon permanente des chercheurs étrangers en France. Mais cela a quand même un effet important de signalisation à l'échelle internationale et de crédibilité à l'échelle nationale.

Voilà donc une première condition qui implique que l'équipe soit suffisamment nombreuse ; cette contrainte de production et de reconnaissance internationale, ce double niveau de travail impliquent un nombre suffisant.

Ensuite, il faut évidemment un ancrage européen qui implique des collaborations très étroites entre différents centres européens. Très vite, l'OFCE a constitué un réseau, et même une association d'instituts européens, parmi les plus réputés d'Europe, qui réalisent des études communes - dont une d'ailleurs a été faite pour le Sénat- pour la Commission et le Parlement européen.

Enfin, sur le point de l'indépendance, l'un des éléments moteurs de cette indépendance fut la politique d'emblée décidée à l'OFCE, de privilégier les relations avec les assemblées parlementaires.

Si je disais que substantiellement, je suis très heureux de me trouver en ce lieu, c'est que le Sénat a joué un rôle majeur dans la crédibilité de l'OFCE. Un rôle majeur parce qu'il lui a confié de nombreuses études. Je me souviens, Jean s'en souvient aussi parce que nous avons réalisé ensemble le modèle Mimosa, le modèle multinational de l'économie mondiale, que ce modèle est né ici, dans cette salle.

Cela montre bien que d'emblée, le Sénat a exprimé le besoin d'études indépendantes et en même temps a crédibilisé ces études indépendantes. C'est essentiel. Je ne saurais trop me féliciter ex post de cette politique qui consiste à privilégier sur toutes les autres études que l'OFCE peut réaliser, les études pour les assemblées parlementaires.

L'indépendance est aussi une question de pluralisme, qui joue aussi sur la taille critique. Le pluralisme doit être organisé à l'intérieur même de l'institution, ce qui implique la pluralité des méthodes utilisées, que l'on abandonne les guerres de religion entre méthodes. Par exemple, il y a eu une guerre de religion qui a fait rage dans les années 1980, modèle ou pas modèle, et nous avons décidé de faire des modèles puis sans modèles. Nous avons donc fait coexister une pluralité d'approches, donc une concurrence entre les différentes approches et une critique réciproque des différentes approches, ce qui a permis la fécondation. Mais là aussi, cela a une implication sur la taille critique.

Enfin, aujourd'hui, la zone euro, est un objet de recherche nouveau à la fois théorique et empirique. Nous manquons de données, comme l'a rappelé Jean PISANI tout à l'heure, mais nous manquons aussi de recul sur les mécanismes de politique économique, qui modifient structurellement les conditions d'exercice des politiques nationales dans la zone. Cela implique que l'on puisse faire des instituts, qui existent aujourd'hui, des lieux européens.

En d'autres termes, je crois que la notion de réseau est dépassée, nous sommes tous dans des réseaux. Il ne suffit plus de faire des réseaux européens, il faut faire des lieux européens, c'est-à-dire des lieux où l'on pense l'Europe, avec une monnaie unique qui pose des problèmes spécifiques à la fois d'information statistique et de conceptualisation. Il faut donc créer ces lieux européens. Cette création a évidemment aussi une implication pour la taille critique car si je disais que la notion de réseau est un peu dépassée, c'est parce que cette notion est une transition. Elle fait perdre beaucoup de temps. Il y a une productivité qui est faible compte tenu des déplacements, des rencontres, des contraintes d'agenda, etc., alors qu'un lieu qui recruterait en Europe, mais pas seulement -il faut créer des lieux européens globalisés- pourrait être beaucoup plus utile pour le débat public français mais aussi européen, qu'un réseau qui serait plus formel que substantiel.

L'implication de cet objet nouveau pour la taille critique est importante. A l'OFCE, nous ne l'avons pas complètement résolue. Nous avons atteint la taille critique du rapport LENOIR, pas tout à fait, nous sommes à 45, mais il faut le dire, le souligner, nous ne pouvons le faire que parce que nous sous-payons les chargés d'étude. C'est reconnu dans votre rapport. Cela a un avantage et un inconvénient. L'inconvénient, c'est que nous sommes en permanence en situation d'embauche. Le taux de rotation est considérable. Comme l'OFCE donne une grande visibilité à ceux qui y travaillent, ils reçoivent au bout d'un, deux ou trois ans des propositions d'embauches importantes. L'OFCE a d'ailleurs essaimé partout. C'est à la fois un avantage et un inconvénient. Il serait utile de réduire le taux de rotation davantage que de le supprimer. J'aimerais que l'ancienneté moyenne à l'OFCE soit supérieure à trois ans, qu'on puisse arriver à cinq ans. Mais en aucun cas je ne souhaiterai que cette rotation ne s'effectue plus parce que c'est aussi une garantie de pluralisme, d'adaptation aux problèmes nouveaux.

Il faudrait pouvoir aujourd'hui créer un institut indépendant qui procède à la fois à des prévisions, à des analyses de politique économique et à des études micro-économiques, comme nous le faisons, avec une taille d'environ 60 personnes. Il faut dire qu'une augmentation de 20 %, ce n'est pas trop compte tenu des mutations qui se sont produites et de la naissance d'un objet de recherche nouveau.

M. MABILLE .- Merci, je ne demanderai pas au Professeur FITOUSSI quel serait le prix d'équilibre pour que le taux de rotation passe de trois à cinq ans, mais je suis sûr qu'il a une idée !

Je passe maintenant la parole à Philippe LEFOURNIER, sur une question à laquelle je ne sais pas très bien comment répondre moi-même.

Les journalistes ont-ils accès à toutes les sources d'information ?

M. LEFOURNIER
.- Merci. Monsieur le Président, je vous avoue que je ne sens pas non plus cette question. J'y ai réfléchi, le sujet de la table ronde est très intéressant et le sujet général de la matinée aussi, mais « les journalistes ont-ils accès à toutes les sources d'information ? », je ne vois pas.

Il me semble que le journaliste moderne, disons la génération qui est née avec l'Expansion il y a plus d'un quart de siècle, ce sont des gens qui n'ont plus du tout ce côté balzacien, qui ont une bonne formation économique et qui se sont normalisés. Je ne vois donc pas là de spécificité, donc je ne sais pas répondre à votre question, sauf si elle insinue que le journalisme a un côté investigateur et doit chercher des informations que le public n'aurait pas. Là, je crois qu'il y a un risque. On a parlé d'indépendance à l'instant. Ce risque, c'est que le journaliste qui recueille ce trésor, puisse être à ce moment-là manipulé. Je ne crois donc pas que ce soit un modèle de comportement. La demande du journaliste est normale, il y a la demande normale d'un économiste banalisé.

Je vais donc parler de l'offre qui se trouve en face, ce qui va nous ramener au sujet principal.

Il y a le modèle américain sur lequel le Sénat a élaboré ce rapport très documenté et le modèle français qui est, ce n'est pas douteux, le modèle étatique. Il faudra peut-être dire un mot du modèle allemand qui a servi d'inspiration au pluralisme recommandé par le rapport LENOIR.

Sur le modèle américain que beaucoup couvrent de fleurs, ce qui me frappe, par exemple, dans les réunions récentes des économistes américains auxquelles j'ai participé, ce sont les critiques sur le système : la dégradation de la qualité des statistiques, le fait qu'elles sont révisées très souvent, qu'elles ne sont pas fiables, tout cela par manque de crédits.

Evidemment, dans le modèle américain, c'est l'initiative privée qui prend le relais.

Pour citer quelques exemples : le « Conference board » qui produit des indicateurs avancés, ou l'indice de la confiance des consommateurs américains qui fait baisser ou monter les marchés. Il est intéressant de voir que le « Conference board » à l'heure actuelle a bâti un réseau d'indicateurs avancés y compris sur la France, l'Euroland, pour nous donner une vue du paysage qui est le nôtre, celui de la zone euro. Evidemment, on a accès à ces données en payant. A travers tout cela, il y a le problème du coût de la statistique, du financement. Il y a bien d'autres instruments que ceux du « Conference board », il y a l'Université de Michigan sur la confiance, il y a le NAPM, qui est l'indice des acheteurs, très précieux pour donner une idée de ce qui se passe au coeur de l'industrie et maintenant dans les services. Récemment le NAPM a fait baisser Wall Street. Là-encore, signalons une tentative qui va dans le sens de la marchandisation : REUTERS a construit un indicateur des achats pour l'ensemble de la zone euro, qui est intéressant, qui donne une vue du paysage conjoncturel en Europe. Mais c'est toujours les mêmes contraintes : pour avoir les chiffres, il faut payer.

Cela m'amène au modèle français qui est tout le contraire, qui est public et gratuit, avec le monopole de l'INSEE. Est-ce mal ? L'idée de transposer le modèle américain en France est-elle valable ? Il ne me semble pas.

Prenons l'exemple des enquêtes de conjoncture. L'INSEE -c'est bien connu- fait tous nos indices, mais concernant les enquêtes de conjoncture, nos collègues américains sont très étonnés que ce soit l'administration française qui dise ce que les entreprises voient en termes de production, de prix, d'investissement, etc. En Angleterre, c'est le patronat qui fait l'enquête de conjoncture. En Italie également. En Allemagne, c'est l'IFO, institut indépendant basé à Munich. En France, c'est donc l'INSEE. Je ne vois pas du tout en quoi c'est gênant et si l'on compare toutes ces enquêtes, les enquêtes de l'INSEE sont les meilleures dans tous les domaines. Si vous prenez, par exemple, les enquêtes européennes faites à Bruxelles, j'avoue que le retravail que fait l'INSEE de ces enquêtes donne satisfaction à l'utilisateur banal que je suis. Donc je ne vois pas a priori de transposition nécessaire du modèle américain.

Je prends un autre exemple : les prix. On a beaucoup fait l'éloge, surtout dans le cas de la nouvelle économie aux Etats-Unis, d'indices de prix dits hédoniques, qui permettaient de tenir compte de l'amélioration extraordinaire des potentiels des machines. Il en résultait donc une baisse de prix encore plus forte que celle qu'on croyait, donc une croissance en volume de la production plus importante. L'Allemagne ne le fait pas, mais la France a choisi d'avancer dans cette voie. Je ne crois donc pas qu'on puisse lui imputer un retard méthodologique par rapport aux Américains. Les Français sont donc parmi les meilleurs, sinon les meilleurs.

Si je prends la combinaison des indicateurs de conjoncture dans les comptes trimestriels, c'est une tâche très intéressante et utile pour le prévisionniste, cela m'amène aux budgets économiques. Là également, il y a un monopole puisque c'est la direction de la prévision (DP) qui fait les budgets économiques pour l'Etat, mais on doit observer une tendance à la concurrence. Il y a une concurrence dans les débats organisés par la DP entre les comptes officiels et ceux qui sont mis sur la table par les différents instituts, donc l'OFCE, et je peux témoigner qu'il y a aussi des journalistes puisque le centre de Prévision de l'Expansion est membre de ce groupe technique de la Commission économique de la Nation où il y a comparaison, voire confrontation. On retrouve donc là une idée de pluralisme.

Cela m'amène au troisième modèle, le modèle allemand. On a beaucoup parlé du rapport LENOIR ce matin. Il faut rappeler que c'était sous Raymond BARRE, en référence au pluralisme des instituts allemands.

On a mis en place en France un certain nombre d'instituts, dont l'OFCE, dont REXECODE présent ici à travers Michel DIDIER. On peut tout de même regretter qu'en ce qui concerne les syndicats et contrairement à ce qui se passe en Allemagne, où il y a des instituts patronaux et l'institut des syndicats à Cologne, l'IRES ne joue pas le rôle souhaité dans le débat français.

Mon voisin a beaucoup parlé du débat. Je voulais en parler aussi puisque vous vous êtes adressé au journaliste. C'est à la base évidemment de la connaissance. Je me demande si en conservant la spécificité française -ce monopole de l'INSEE-, on ne pourrait tout de même pas améliorer sa contribution au débat. Il ne faudrait pas que l'on ait l'impression que l'INSEE ne travaille que pour le gouvernement mais que ce soit aussi la maison de tout le monde, la maison du peuple.

Ne pourrait-on réfléchir à l'idée qu'il puisse y avoir une saisine de l'INSEE par le peuple ? M. PISANI-FERRY a cité des cas de débats récents sur l'emploi, avec les licenciements annoncés. Y a-t-il eu vraiment un débat de qualité à l'échelle nationale sachant que ces mesures annoncées se faisaient sur un fond de création d'emplois absolument record  ? N'aurait-on pas pu avoir quelque chose sur la table pour nous faire réfléchir ?

Je prends un autre exemple sur les conséquences de la mondialisation. Il y a eu un rapport dans cette maison il y a plusieurs années, mais depuis alimente-t-on vraiment ce débat public sur des sujets aussi importants pour le faire mûrir exactement comme M. PISANI-FERRY l'a souhaité en rappelant que la vérité doit sortir du débat ?

C'est donc une proposition que je fais. Serait-il imaginable qu'on fasse travailler l'INSEE sur des contrats, des demandes venant du public, venant aussi des entreprises ? Car c'est peut-être parfois une faiblesse de voir que des études très sophistiquées ne sont pas très utilisables pour les entreprises, pour les secteurs productifs. On pourrait imaginer que des entreprises demandent aux chercheurs et aux statisticiens publics de se pencher sur des problèmes qui les concernent.

Je termine sur les lacunes de ce système, mais l'orateur suivant va évidemment en parler.

Il serait commode d'avoir l'état des recettes fiscales, effet cagnotte mis à part. La TVA, c'est bien commode pour savoir comment va la consommation. Ce matin même, on a parlé de l'impôt sur les sociétés, pour l'investissement, cela nous renseignerait peut-être. Pourrait-on disposer rapidement de ces sources très précieuses pour le diagnostic conjoncturel ? Voilà le souhait que je formule.

Je dirai en terminant que l'on ne s'intéresse pas seulement aux flux, mais évidemment aux stocks, c'est-à-dire aux bilans. Là encore, les entreprises sont très concernées. Quelle est la productivité du secteur des entreprises, sa compétitivité ? Financièrement, sur la dette, ce ne sont pas seulement les flux qui comptent, mais aussi les stocks, y compris de dettes, y compris concernant l'Etat afin que l'on parvienne à des décisions rationnelles et aussi à des choix démocratiques dans la transparence.

M. MABILLE .- Merci beaucoup. Je suis assez d'accord avec Philippe LEFOURNIER, ce n'est pas à nous, journalistes, de répondre à la question, mais finalement à l'administration de dire si l'accès aux sources d'information est disponible. Je vais donc passer maintenant la parole à trois représentants de l'administration en commençant par le directeur général des impôts, sachant que l'information statistique, fiscale, est devenue une donnée importante. Sur la TVA, on a quand même maintenant des données mensuelles, pas forcément suffisamment fiables, mais intéressantes. Sur l'impôt sur les sociétés, on a encore un peu de retard, on pourrait peut-être améliorer les délais. Je poserai aussi la question sur tout ce qui est relatif aux revenus, aux patrimoines car je trouve que la direction générale des impôts manque peut-être un peu de réactivité dans l'analyse des fichiers fiscaux, mais je sais qu'elle va s'améliorer !

La communication d'informations fiscales au Parlement et aux organismes de conjoncture.

M. VILLEROY DE GALHAU
.- Merci, j'ai cru noter que vous m'adressiez plus de questions qu'aux autres orateurs. Je voudrais protester en leur nom contre ce déséquilibre !

M. MABILLE .- C'est le respect que j'ai pour la fonction !

M. VILLEROY DE GALHAU .- En tout cas, je ne voudrais pas répondre aux questions que vous posez aux journalistes ; ce serait une attaque insupportable contre la liberté de la presse...

Je suis heureux de participer à ce débat ce matin au Sénat sur un sujet qui est essentiel -nous sommes tous d'accord là-dessus-, qui est peu traité en France, et qui est fort bien éclairé par le rapport du sénateur BOURDIN ;

Je partage à titre personnel bon nombre des remarques faites par les trois intervenants précédents et en particulier ce que disait Jean PISANI-FERRY sur la faiblesse de la culture économique en France. C'est un arrière-fond complexe, difficile à traiter, mais qui pèse sur notre débat sur la transparence de l'information.

J'ai un peu honte de parler après d'aussi éminents économistes parce que je vais effectivement traiter un sujet de bien moindre portée : l'information publique en matière fiscale. Je le ferai dans une optique assez pratique puisque vous me posez des questions pratiques : quelles sont les informations disponibles ? Il se trouve que le sujet de l'impôt focalise en général un certain nombre de passions et d'interrogations. Les quelques indications pratiques que je peux donner vont donc peut-être vous intéresser.

Je me réfère d'abord à ce que Paul CHAMPSAUR disait ce matin dans la première table ronde sur les responsabilités de chacun à l'intérieur de l'administration. La direction générale des impôts, en tant qu'une des directions du ministère des finances, n'a traditionnellement pas en tant que telle de mission autonome d'information statistique fiscale auprès du public, du Parlement ou des organismes de conjoncture. C'est donc la situation de départ.

Cela dit, il nous a paru important de progresser dans le sens de la transparence. Un certain nombre de choses ont changé ces dernières années, évolutions qui ne sont d'ailleurs pas toujours assez connues, me semble-t-il.

Je commencerai en relevant l'appréciation que le Conseil des impôts portait dans son rapport publié l'an dernier sur l'impôt sur le revenu. Je souligne que le Conseil des impôts, qui est plutôt dans l'orbite de la Cour des comptes, est un organisme à ce titre suffisamment indépendant de l'administration, qui ne passe pas pour être « béni-oui-oui » vis-à-vis de son action. « Depuis plusieurs années, la direction générale des impôts diffuse plus largement qu'auparavant ses données. Initialement, les statistiques dont elle dispose sont des sous-produits de son informatique de gestion, données brutes qui ne sont pas traitées pour une diffusion externe, mais afin de répondre au nombre croissant de demandes portant sur les statistiques communales, des produits de diffusion standards ont été constitués. En outre, afin de toucher un plus large public, des statistiques fiscales agrégées sont aussi diffusées par l'intermédiaire de l'INSEE. »

C'est cette appréciation externe que je voudrais illustrer et concrétiser dans la suite de mon propos. Je dis tout de suite que l'effort de transparence que l'administration fiscale fait a deux limites, qui demeureront.

- La première qui n'est pas nécessairement la plus importante, mais qu'il me paraît quand même utile de rappeler, y compris ici dans l'enceinte du Sénat qui attache un grand prix à cette question, c'est la maîtrise des coûts publics. Elle est liée à la remarque du Conseil des impôts sur le fait que nous avons avant tout une informatique de gestion : les retraitements imposés pour passer de l'informatique de gestion à l'information statistique sont donc lourds et importants.

- D'autant que -et cette deuxième limite est à l'évidence plus importante que la première- la protection de la vie privée doit être absolue. L'information fiscale est évidemment une information ultra sensible du point de vue de nos concitoyens.

Je rappelle les règles du statut statistique et fiscal qui s'appliquent à nous et qui sont très précisément codifiées.

• Première condition : nous ne pouvons, bien sûr, communiquer que des données agrégées, qui ne peuvent être communiquées que si elles comportent plus de trois entités, onze entités en matière de fiscalité des personnes.

• Deuxième condition : il ne faut pas qu'il y ait d'élément dominant dans les données agrégées, un élément dominant étant défini par le fait qu'il représente plus de 85 % du montant agrégé.

Ce sont des règles indispensables pour protéger le secret fiscal, qui est une valeur fondamentale de notre démocratie, mais qui, par rapport aux retraitements dont je parlais, entraîne des conséquences assez lourdes.

Sous réserve de ces deux limites, nous avons deux types d'actions importantes : il y a un certain nombre de publications générales et il y a de plus en plus -c'est un « marché » en forte expansion- un certain nombre de travaux spécifiques que nous faisons à la demande de clients.

I - Sur les publications générales , nous avons d'abord un document qui s'intitule le Répertoire permanent des statistiques, qui est public, dont nous pouvons peut-être améliorer la présentation, mais auquel je renvoie les plus intéressés d'entre vous.

Je voudrais surtout souligner l'existence de quatre documents en publication générale.

Premièrement, nous publions nos principaux résultats. C'est tout à fait important sur le plan de la culture administrative : la vision traditionnelle est celle de l'administration qui n'a de compte à rendre à personne, comme une boîte noire. C'est une vision totalement dépassée. Une administration doit rendre des comptes sur ses principaux résultats.

Cela suppose un certain nombre de conditions, et d'abord qu'elle puisse s'appuyer sur un système de contrôle de gestion y compris au niveau décentralisé, qui suivent ces principaux résultats. Nous l'avons mis en place à la DGI, c'est une petite avance par rapport à d'autres administrations de l'Etat depuis le milieu des années 1990.

Cela suppose ensuite que l'on en rende compte à la presse, et vous savez, Monsieur MABILLE, que cela a lieu tous les ans depuis l'an dernier. C'est donc une forme de présentation des résultats, un peu comme le fait une entreprise à propos de ses comptes annuels.

Enfin, cela suppose que nous ayons un rapport d'activité annuel. J'ai ici l'exemplaire 1999 ; l'exemplaire 2000 devrait être publié le mois prochain. Ce rapport comporte désormais une annexe statistique qui vise non seulement un certain nombre d'informations internes sur nos ressources, nos crédits, etc., mais surtout beaucoup d'informations sur le rendement du contrôle fiscal, le contentieux, y compris par impôt. Ce document est d'ores et déjà en ligne sur le site internet du MINEFI.

Voilà en ce qui concerne nos résultats.

Il y a une deuxième publication qui concerne la « matière première ».

Il est vrai que nous avons plus mis l'accent sur la publication de nos résultats en tant qu'administration ayant une mission et peut-être travaillé un peu trop discrètement sur tout ce que nous savons sur notre matière première, c'est-à-dire le revenu qui entre dans nos « chaînes de production », et l'impôt sur le revenu qui en sort.

Il y a à cet égard un document dont je regrette périodiquement qu'il ne soit pas plus connu, qui s'appelle l'annuaire statistique de la direction générale des impôts, qui est fort peu diffusé à l'extérieur de la DGI. Cette situation doit changer parce que très souvent les questions que l'on nous pose ont leur réponse dans ce document qui est public, mais trop peu connu.

Je ne vais pas vous faire la lecture exhaustive des 265 pages, mais je prends, par exemple, la page 195 sur l'impôt de solidarité sur la fortune, sujet qui intéresse toujours : on y voit le détail, département par département, du nombre de contribuables imposés, du montant des droits payés, donc de la cote moyenne. Vous apprendrez, par exemple - ce qui n'est pas une immense surprise, mais les chiffres sont une confirmation intéressante- que la direction que nous appelons chez nous Paris-Ouest, c'est-à-dire les arrondissements de l'ouest parisien, représente plus de 10 % des contribuables à l'impôt de solidarité sur la fortune, avec 22.000 contribuables. En sens inverse, la malheureuse Lozère n'a que 82 assujettis à l'ISF, juste devant la Guyane !

Vous pourrez apprendre aussi ailleurs -je dois dire que cela a été une de mes surprises en préparant ce colloque- que dans la direction de Paris Centre qui, comme son nom l'indique, est quand même assez loin du paysage rural, il y a 26 assujettis aux bénéfices agricoles. Nous allons creuser ce mystère !

Je cite des anecdotes, mais c'est une mine d'informations.

Nous étudions depuis quelques semaines la mise en ligne de cet annuaire parce que je crois qu'il faut passer la surmultipliée en termes d'utilisation.

Le colloque est l'occasion d'accélérer la décision : je suis heureux d'annoncer ce matin que, d'ici à la fin de cette année, l'annuaire statistique fiscal sera mis en ligne, donc consultable sur le site internet du ministère, y compris avec le rapport 2000 qui devrait sortir cet été.

En ce qui concerne l'impôt sur le revenu, nous avons ce que nous appelons, l'état 1921 qui est aujourd'hui sur CD-Rom. Nous allons aussi voir comment le mettre en ligne. C'est une série d'informations au plan national et local non seulement sur l'impôt, mais sur les tranches de revenus.

Dernier élément que je mentionne à propos des publications générales, en répondant directement à M. LEFOURNIER : la France publie dorénavant une situation mensuelle de toutes les recettes budgétaires y compris impôt par impôt. Par rapport aux questions que vous posiez sur la TVA ou l'IS, on a donc maintenant des informations très précises. D'ailleurs, par comparaison avec les autres pays de l'Union européenne, voire aux Etats-Unis, nous sommes plutôt dans une situation plus favorable que ceux-ci à cet égard.

II - Je voudrais parler ensuite des initiatives à l'égard de clients plus spécifiques . Je ne citerai pas toutes les catégories de clients potentiels, mais trois d'entre elles : le Parlement, les instituts économiques et les chercheurs, et le Conseil des impôts.

Premier client : le Parlement, avec trois exemples :

- La mise en place depuis 1998 d'un observatoire des délocalisations. C'est un sujet très sensible, sur lequel nous n'avons pas de perfection statistique parce qu'il est très difficile à suivre, mais dont les résultats sont dorénavant, année après année, communiqués au Parlement puis publiés.

- Le bureau en charge à la DGI des statistiques dit « Bureau M 2 » dans notre jargon, a fait à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, début 2001, un certain nombre de simulations sur l'impôt sur le revenu. C'est un type de travaux appelé à se développer.

- Enfin, la DGI participe de plus en plus chaque année à l'élaboration des « bleus » budgétaires. Pour chaque mesure fiscale, il y a dorénavant un certain nombre de chiffrages élaborés à partir de ces statistiques.

Le deuxième « client » en forte croissance ce sont les instituts et les chercheurs. Là encore, je vais me contenter de citer des exemples, dont certains sont brillamment représentés ici : le Conseil d'analyse économique : nous avons dans le cadre du rapport récent sur les inégalités, transmis un certain nombre de données qui ont permis de construire le rapport. L'OFCE a un travail en cours sur l'impôt sur le revenu. Et nous avons, à la demande de chercheurs du CNRS, récemment communiqué un certain nombre de données sur le patrimoine.

Le Conseil des impôts en troisième lieu : cela peut apparaître comme un média plus traditionnel mais pour ceux qui étudient attentivement les rapports du Conseil des impôts, vous aurez peut-être noté que dans ses derniers rapports, le Conseil des impôts a beaucoup développé l'annexe statistique. Je cite le rapport de l'an dernier sur l'imposition des revenus ou celui de cette année sur la TVA.

Vous me permettrez ici de faire un lien entre ce qui a été dit précédemment sur le débat économique en France et le sujet de l'information fiscale.

Je crois que le Conseil des impôts a aujourd'hui une visibilité un peu trop faible, sans doute moins forte qu'il y a quelques années. Or, c'est un lieu d'expertise ouverte, dépassionnée, indépendante sur un sujet qui est souvent très difficile à traiter parce que souvent passionnel, qui est le sujet de l'impôt et de la politique fiscale.

Si je dois émettre un souhait, c'est que l'influence des rapports du Conseil des impôts, dans le débat politique et médiatique, puisse croître dans les prochaines années.

*

* *

Je termine par deux remarques brèves.

La première est que je partage tout ce qui a été dit précédemment sur les nombreux avantages du modèle américain. Mais ne l'idéalisons pas à l'excès.

J'en donne deux illustrations :

- Premièrement, la publication mensuelle en France sur la situation budgétaire n'a pas forcément un équivalent aussi précis dans les autres pays. En tous cas, les Etats-Unis n'ont pas d'avance par rapport à nous là-dessus.

- Par ailleurs, dans le débat récent et tout à fait essentiel sur la politique fiscale aux Etats-Unis et la projection à dix ans du plan du Président BUSH, il m'a semblé, comme à vous, qu'il y avait un certain nombre de marges d'incertitude sur les simulations et sur les fondements chiffrés de la décision. L'ampleur en était au moins égale à l'incertitude qui entoure parfois la prévision des mesures de nos lois de finances et de nos choix de politique fiscale. Je le dis par euphémisme.

Ma deuxième remarque de conclusion qui s'applique à nous-mêmes, c'est qu'incontestablement, nous fassions mieux connaître ce que nous faisons déjà. Le cas particulier dont nous traitons ce matin -pardon de le dire comme un fonctionnaire ayant déjà un peu d'ancienneté- est peut-être une illustration d'un problème plus général : l'administration pèche en matière de communication souvent par excès de vertu, de modestie, de rigueur, voire parfois d'auto-flagellation. En général, la communication est en avance sur la réalité. Dans l'administration, c'est parfois le contraire.

Nous avons fait des grands progrès -en tout cas, si je prends le cas de la direction générale des impôts- sur la publication de nos résultats. Je crois beaucoup à cette exigence de rendre des comptes : nous le faisons.

Nous avons fait de grands progrès sur l'affichage de notre stratégie. Nous sommes une des rares administrations à avoir un contrat d'objectif et de moyens. Le sénateur MARINI y sera sensible car c'est une préfiguration de la réforme de l'ordonnance de 1959 et du pilotage par objectif auquel il s'est beaucoup attaché.

Nous avons à mieux faire connaître les chiffres dont nous disposons sur notre matière première et notre processus de production.

Je remercie donc beaucoup le Sénat de m'avoir donné l'occasion de le faire ce matin.

M. MABILLE .- Merci. Je crois que tout le monde aura apprécié le « coming out » de la direction générale des impôts, qui a pris un peu plus de temps que prévu parce qu'effectivement j'avais posé quelques questions subsidiaires et je m'en excuse.

Je vais vous demander, Jean-Philippe COTIS, d'essayer en revanche de tenir vos dix minutes parce que le temps passe.

Le rôle de la direction de la Prévision dans l'information économique : situation actuelle et perspectives d'évolution.

M. COTIS
.- Je suis très honoré de cette invitation à participer à un débat important, sur la base de rapports d'excellente qualité.

La question posée est celle du rôle de la direction de la Prévision dans l'information économique. Mes propos seront modestes parce que nous ne sommes qu'un tout petit rouage dans ce vaste débat.

Avant de parler du rôle de la DP dans l'information économique, il est peut-être utile de revenir brièvement sur son rôle au sein de l'administration économique.

Que fait la direction de la Prévision ?

Elle a deux types de missions : elle fait des prévisions et de l'analyse conjoncturelle, ce qui représente, en gros, un tiers de ses activités. Pour le reste, elle joue un rôle de bureau d'analyse conseil au sein du ministère. Elle apporte son expertise économique sur beaucoup de sujets où le MINEFI est appelé à intervenir ou à donner son avis. Cela va de la réforme de la politique agricole commune à la lutte contre l'effet de serre, en passant par des sujets aussi divers que les choix d'infrastructures publiques, l'ouverture des secteurs à réseau, le marché du travail, les problèmes de politique sociale, fiscale ou budgétaire. La liste n'est pas exhaustive.

Evidemment, la contribution de la DP à l'information économique n'est pas la même selon qu'on considère ses activités de prévision et ses activités de conseil.

La mission de prévision comporte, « par essence », un important élément de publicité et de transparence. Nous apportons là une contribution substantielle à l'information économique, sous des formes diverses, que nous avons cherché à améliorer.

En revanche, notre mission d'expertise-conseil est tournée en priorité vers le ministre des finances, avec tous les impératifs de discrétion qui s'attachent à cet exercice. Dans ces domaines d'expertise économique générale, notre mandat n'est donc pas orienté en priorité vers l'information du public. C'est une différence notable, par exemple, avec l'INSEE.

Cette mission d'expertise-conseil nous amène cependant à entretenir un dialogue nourri avec les milieux universitaires et à avoir avec eux des échanges d'informations très fructueux.

Je vais maintenant revenir successivement sur ces trois domaines : la prévision, l'expertise conseil et les échanges avec la communauté universitaire, pour essayer de voir ce que nous apportons à l'information économique.

En matière de prévision, notre contribution à l'information économique est, je l'espère, relativement bien connue, même si je n'en suis pas tout à fait sûr. Nous publions deux prévisions par an, en mars et en septembre, qui sont accompagnées d'un rapport économique et financier (REF) qui explicite en grand détail le pourquoi et le comment de ces prévisions.

Nous avons ressenti le besoin il y a trois ans de moderniser ce rapport pour le rapprocher de documents à fort contenu analytique tel que le rapport du « Council of economic advisers » américain. Nous l'avons fait modestement.

Et c'est pourquoi je voudrais faire un peu de publicité pour ma maison et pour ce rapport. On y trouve maintenant des annexes statistiques qui rassemblent, sur une petite centaine de pages, des séries longues de vingt, trente ou cinquante ans, sur toute une gamme de sujets touchant à la macroéconomie et aux finances publiques. On a là un ensemble d'informations bien regroupées qui n'est pas disponible ailleurs, à l'heure actuelle, en France. On trouve également dans ce rapport des études thématiques de quinze à vingt pages sur des sujets importants, comme la nouvelle économie, l'analyse économique de la politique budgétaire, les asymétries économiques au sein de la zone euro, et de manière régulière, l'impact redistributif de la politique fiscale en France ainsi que son évolution d'une année sur l'autre. Nous y publions également des post mortem qui analysent les erreurs de prévisions passées et des simulations économétriques qui étayent les points saillants de nos prévisions.

Cette rénovation a suscité une surcroît de travail très important au cours des trois dernières années.

Nonobstant cela, cet effort me semble être passé un peu inaperçu. Je ne suis pas sûr que ce rapport soit très lu par les parlementaires et leurs collaborateurs. En tout cas, nous n'en avons eu que très peu d'échos. En même temps, les évolutions récentes sont encourageantes puisque l'on va nous appeler, dans le cadre de la refonte de l'ordonnance organique, à faire pour le REF ce que nous faisons déjà largement depuis trois ans, mais un peu dans l'anonymat.

En tant que représentant de l'administration économique, il me semble important que nos efforts de modernisation trouvent un écho, sous forme de remarques et de critiques constructives. Elles nous aideront à faire évoluer ces produits.

Parmi nos autres contributions à l'information économique, je signalerai également nos notes de conjoncture internationale qui sont publiées en même temps que la note de conjoncture de l'INSEE, les documents d'orientation budgétaire et les programmes de stabilité que nous élaborons en collaboration avec la direction du budget.

Dans le cadre de la Commission économique nationale, nous confrontons de manière systématique nos prévisions avec l'ensemble de la profession. Les résultats de ces comparaisons et confrontations font l'objet d'une très large publicité et les hypothèses macro-économiques associées au projet de loi de finances font l'objet d'une transparence toute particulière.

Cet effort de transparence, nous avons souhaité le prolonger depuis l'automne dernier en organisant une séance plus spécifiquement consacrée aux prévisions fiscales et aux méthodes qui les sous-tendent. C'est un domaine où l'expertise n'est pas très développée à l'extérieur du ministère. Il est donc important que les économistes extérieurs soient en mesure de mieux déchiffrer et si nécessaire, de mieux critiquer nos prévisions.

S'agissant du domaine des études et de l'expertise, nous publions occasionnellement, sous des formes diverses, les résultats de certains de nos travaux. On les retrouve dans les notes bleues du Ministère, ainsi que sous la forme de documents de travail publics de la direction de la Prévision. On en retrouve aussi beaucoup dans les publications du CAE, qui, de ce point de vue, a joué un rôle très utile pour externaliser un certain nombre de travaux de l'administration économique. On les trouve aussi dans de nombreuses revues économiques, où les membres de la DP sont sollicités souvent à titre individuel, à titre d'expert, mais où ils contribuent à diffuser des travaux faits à la DP.

Je voudrais maintenant dire quelques mots sur les relations que nous entretenons avec le monde universitaire. Nous recrutons beaucoup de jeunes universitaires pour des contrats de trois ou quatre ans. Ces jeunes nous apportent beaucoup. Ils contribuent, avec d'autres, à assurer des liens étroits avec la recherche appliquée en économie. Nous hébergeons de très longue date un séminaire d'économie appliquée qui est ouvert au public. Et nous publions une revue d'économie appliquée, « Economie et Prévision » qui est, je crois, l'une des bonnes revues françaises. Elle fait appel à de nombreuses collaborations avec le monde universitaire et contribue à développer un interface actif entre le monde de la recherche appliquée et l'administration.

Nous recherchons également le contact avec des praticiens ; c'est le cas du séminaire que nous co-animons avec le Conseil de la concurrence, qui rassemble des avocats, des magistrats et des économistes pour essayer de mieux comprendre un certain nombre de problèmes de politique de concurrence compliqués dans lesquels la pluridisciplinarité est utile.

Voilà très brièvement ce que je voulais dire.

Nous essayons d'être présents dans l'information économiques tout en respectant les contraintes de discrétion qui s'attachent à certaines de nos missions. C'est donc un équilibre un peu compliqué à trouver, mais que nous essayons de trouver malgré tout.

M. MABILLE .- Merci, je passe tout de suite la parole à M. PATAT sur le même sujet concernant la Banque de France.

Le rôle de la Banque de France dans l'information économique : situation actuelle et perspectives d'évolution.

M. PATAT
.- Je suis très heureux et je remercie beaucoup les responsables de cette manifestation de m'avoir invité sur un sujet absolument essentiel suite au remarquable rapport qui a été produit et je dis en toute sincérité, même si je ne suis pas entièrement d'accord sur tout, que c'est un travail considérable et tout à fait intéressant.

En ce qui concerne le rôle de la Banque de France dans l'information économique, je ferai d'abord quelques rappels.

La Banque de France est une Banque centrale et, en tant que telle, elle a quand même quelques impératifs de confidentialité dans la préparation de la politique monétaire ou dans les informations dont elle peut disposer dans le cadre de ses missions de contrôle bancaire.

Mais la Banque de France bénéficie d'atouts qui lui permettent d'aller peut-être au-delà de ses consoeurs dans l'information économique : elle est très profondément implantée dans le tissu économique social de la Nation, par son réseau de comptoirs très dense, ce qui, par ailleurs, n'est pas forcément l'optimum en termes de gestion budgétaire, mais qui lui donne un contact très précieux avec la vie économique nationale.

Par ailleurs, la Banque a connu deux très profondes mutations : l'indépendance et la création de l'euro et son insertion dans l'euro-système. Cela a sensiblement élargi son champ d'investigation et d'intervention.

Dans quel cadre la Banque utilise-elle, élabore-t-elle et analyse-t-elle l'information économique et monétaire ? Dans le cadre de trois missions.

Première mission : la préparation des décisions de politique monétaire qui se font maintenant dans le cadre du Conseil des Gouverneurs de la BCE, auquel le Gouverneur de la Banque de France participe pleinement et pour lequel il doit avoir une information statistique, analytique et synthétique extrêmement approfondie non seulement sur la France, mais sur l'Europe et sur le reste du monde également.

Deuxième rôle, c'est ce que j'appellerai le message de la Banque au plan interne comme au plan international.

- Au plan interne, le rôle de la Banque est de veiller à la stabilité des prix et, à ce titre, elle est appelée à intervenir et donner une opinion, qui n'est pas forcément toujours appréciée, sur tous les domaines, qu'ils soient économiques ou structurels, qui lui paraissent de nature à compromettre la stabilité des prix. C'est pour cela qu'on peut l'entendre exprimer ce qu'elle a à dire sur des sujets très divers tels que le potentiel de production, les finances publiques, la productivité, les coûts salariaux, l'investissement ou les marges des entreprises.

- Sur le plan international, la Banque de France est, au titre de Banque centrale de la France, membre d'organismes internationaux très importants. Je suis d'accord avec Jean PISANI-FERRY qui disait que sur le plan international, ce sont les idées qui contribuent à assurer l'efficacité de notre participation à ces instances. Là, également, c'est une mission très importante.

J'ajouterai que la Banque a un rôle un peu plus spécifique qui l'amène à s'intéresser davantage aux pays en développement puisqu'elle assure la comptabilisation des accords de consolidation du Club de Paris et qu'elle a un rôle assez éminent dans la zone franc par ses relations avec les Banques centrales des pays africains de cette zone.

La troisième mission est la contribution au renom scientifique de la Banque, à l'information des acteurs économiques par des travaux de haut niveau ou des documents pédagogiques. Nous pensons toujours également au renom de la Place de Paris dans ce domaine.

On ne fait absolument aucune rétention d'information sur toutes les statistiques et enquêtes que nous élaborons nous-mêmes, qu'il s'agisse de statistiques monétaires, financières, des enquêtes de conjoncture, des enquêtes sur le coût du crédit, ou des travaux sectoriels.

Je voudrais faire quelques remarques.

On s'accorde à reconnaître que nous avons un « know-how » reconnu pour mettre au point des concepts très pertinents. Le biais français consistant à vouloir avoir toujours un cadre bien bouclé est dans ce domaine assez productif. Nous avons été, il me semble, assez bons pour concevoir des concepts financiers donnant un cadre d'analyse très pertinent. Je pense au Tableau des financements et des placements qui donne une vue exhaustive et simplifiée des placements et des financements dont bénéficie l'économie, à tel point que les autres Banques centrales de l'Euro-système vont l'adopter et la Banque centrale européenne envisage d'en construire un au plan européen.

Nous serons un « bien public » assez riche, je pense à nos enquêtes de conjoncture qui paraissent quinze jours environ après la fin du mois, dans lesquelles on donne des informations assez détaillées sur le plan sectoriel.

Je vais citer aussi nos statistiques de balance des paiements, que nous établissons mensuellement. Elles sont trimestrielles aux Etats-Unis et au Royaume Uni. Nous avons récemment également avancé la disponibilité de ces statistiques avec des indicateurs avancés.

Nous publions aussi des données très détaillés sur les placements financiers et les financements et, par ailleurs, nous rendons aux banques un service très particulier avec la centralisation des risques, la cotation des grandes entreprises.

En ce qui concerne les analyses et les études, elles prennent un tour très divers. Je mettrai l'accent sur les prévisions. Nous faisons des prévisions économiques à la Banque de France maintenant dans le cadre des prévisions d'ensemble de l'euro-système. Il y a trois exercices de prévision sur les prix par an, deux sur l'ensemble de l'économie.

Je crois qu'on se compare là assez favorablement à ce que fait la FED. Ces prévisions sont maintenant publiées avec des fourchettes que certains peuvent trouver assez larges, mais il y a là un exercice de transparence intéressant.

S'agissant de la Banque de France, elle a pris la décision de publier des prévisions de croissance trimestrielle du PIB, qu'elle tire de ses enquêtes de conjoncture, c'est-à-dire de ce que lui disent les chefs d'entreprises. Nous les publions en même temps que les enquêtes de conjoncture.

La communication de l'ensemble de ces études peut prendre des formes très variées. Il y a le Bulletin mensuel pour ce qui est de la voix de la Banque et il y a les notes d'études et de recherches pour ce qui est des travaux plus personnels, mais qui sont de plus en plus « policy oriented », c'est-à-dire devant aider à la décision.

J'insiste aussi sur l'éditorial du Bulletin qui est devenu, depuis environ deux ans, vraiment, la voix du message de la Banque.

J'insiste également sur notre site internet auquel nous attachons beaucoup d'importance. Il est d'ailleurs en cours de rénovation.

A cet égard, il y a quelques passages sévères, et pas vraiment justifiés, dans le rapport sur le site internet de la Banque.

Il y a également les conférences et auditions des responsables de la Banque. Vous savez que le Gouverneur vient très fréquemment devant la commission des finances du Sénat, comme devant celle de l'Assemblée nationale.

En ce qui concerne l'euro-système, nous avons fait un compte des comparutions des membres de l'état-major de l'euro-système devant le Parlement européen et des membres de l'état-major de la FED. Pour l'année 2000, nous avons trouvé autant de comparutions du Président, en Europe et aux Etats-Unis, un peu moins de comparutions des membres du board américain que des membres du board de l'Europe mais plus de comparutions de « high officers » en Amérique que pour l'euro-système. Au total, c'est 13 pour la FED et 10 pour l'euro-système. Donc pour l'instant, on n'est donc pas encore dans le cadre d'une comparaison déshonorante.

Nous avons également des supports beaucoup plus informels, que nous diffusons dans les conférences, les réunions, les colloques.

M. MABILLE .- Il ne faut pas oublier les fameux graphiques de M. TRICHET !

M. PATAT .- Les graphiques du Gouverneur ! J'allais évidemment les mentionner !

En conclusion, quels sont les perspectives et les problèmes ?

Nous sommes un Etat centralisé et il n'est pas anormal que sur la réflexion économique et la statistique, l'Etat joue un grand rôle. Ce n'est pas tout à fait la même chose aux Etats-Unis, Etat éminemment décentralisé.

Il y a également des spécificités françaises en matière économique.

La première, c'est la tendance à considérer l'obligation en statistique comme superfétatoire ; nous avons donc toujours beaucoup plus de mal -je crois beaucoup plus en France que dans d'autres pays- à pouvoir obtenir l'information de base qui est malheureusement nécessaire pour faire les statistiques. Les statistiques, tout le monde les attend et les utilise et, naturellement ce sont elles qui font vivre les marchés.

Par ailleurs, je partage entièrement ce qui a été dit sur la culture économique française, qui n'est peut-être pas au même niveau que dans d'autres pays, ce qui n'empêche pas d'avoir souvent des opinions très critiques et très définitives, parfois d'autant plus définitives que la connaissance est superficielle.

Nous sommes bien conscients que la responsabilité de cette situation n'incombe pas uniquement aux agents économiques. C'est partagé. Cela veut dire que du côté de ceux qui offrent l'information, tant sur le plan de la statistique que des études, il y a des efforts supplémentaires de pédagogie à faire.

Mais nous devons d'abord être conscients du fait que l'on ne peut pas tout diffuser. Nous sommes sous l'oeil permanent des marchés et tout ce qui peut être diffusé, et qui n'est pas vraiment étayé, ou dont l'origine est un peu confuse, peut être très contreproductif.

Je vais donner deux exemples.

Il y a eu une réunion qui rassemble des agents de recherche à la Banque des règlements internationaux, et qui portait sur la gestion des banques ; on a évoqué à cette occasion l'incidence du nouvel accord de Bâle sur un certain nombre de comportements bancaires et financiers. L'agent de la Banque de France était présent ; c'était un chercheur -avec donc un papier personnel- qui a évoqué le fait que l'accord de Bâle pouvait peut-être ne pas être dans tous les cas anticyclique, en tout cas qu'il ne pouvait pas forcément toujours remédier aux dommages d'un cycle de crédit ou d'activités défavorables. La BRI a mis cela sur son site internet et cela a été repris par un journaliste qui a fait un encart : « La Banque de France contre le futur accord de Bâle », ce qui était évidemment inexact.

Par ailleurs -c'est moins dommageable-, je disais tous à l'heure que nous publions des prévisions issues de notre enquête de conjoncture et je remarque que, désormais, dans tous les messages, de REUTER ou autres, c'est uniquement la prévision qui est citée, et pas l'enquête. C'est cela qui fait l'intérêt de l'information pour les média.

Par ailleurs, nous avons une rareté de la ressource en économistes. Les chiffres cités dans le rapport du Sénat me paraissent très optimistes, le marché est quand même assez étroit et je vous garantis que la Banque n'est pas un organisme où l'on surpaie les économistes. Par conséquent, nous avons beaucoup de mal à en recruter et nous en avons assez peu, d'autant plus que, si je prends la direction générale des études et des relations internationales, que vous nous avez fait l'honneur de citer dans votre rapport, la moitié du travail des économistes, c'est aussi du travail de statisticien, qui est très lourd. Par conséquent, on est amené à sélectionner et à privilégier les travaux « policy oriented ».

Nous sommes indépendants, nous sommes dans l'euro-système ; il y a donc un corps de doctrine à préserver. Il doit donc y avoir une distinction bien nette entre ce qui est voix de la banque et expression plus libre.

Je pense que nous allons vers plus de diffusions, plus d'avancées vers le public et que dans ce domaine nous sommes capables de ratisser très large. Je donnerai l'exemple de la campagne que nous faisons actuellement pour l'euro-fiduciaire aussi bien à Paris qu'en province avec le relais de nos comptoirs.

M. MABILLE .- Merci beaucoup. Nous n'avons malheureusement plus le temps de nous lancer dans un grand débat sur l'indépendance, le national, l'européen, etc, mais je vais peut-être prendre quelques questions de la salle puis conclure avec Philippe MARINI.

Un intervenant.- Bonjour, Jérôme GUILLEMONT , société ASTEROP. ASTEROP a pour activité de diffuser et d'analyser des données statistiques sur le Net, en particulier. Je voulais revenir sur l'utilisation de l'internet pour la diffusion de l'information publique.

En effet, tout à l'heure, j'ai été très heureux d'entendre les réflexions de M. PATAT et de M. VILLEROY DE GALHAU sur ce sujet puisque vous avez annoncé que vous alliez améliorer vos sites internet ou diffuser une information complémentaire sur le net. Je souhaitais savoir quelle est la position des autres intervenants en matière d'utilisation de l'internet pour diffuser l'information publique. Merci.

M. MABILLE .- C'est une question un peu large...

Y a-t-il une autre question ?

Une intervenante.- Je suis Hélène PERRIN de l' IFRAP . Je voudrais soulever un point qui n'a pas été abordé, qui est l'inégalité face à l'information statistique qui provient notamment de l'INSEE car j'ai entendu que l'information était publique, donc gratuite. En fait, ce n'est pas tout à fait le cas. Si vous provenez d'un ministère ou d'une institution publique, l'information est gratuite, mais pour le secteur privé, cette information est payante et souvent assez chère ; cela limite l'accès à l'information.

M. MABILLE .- Deux réponses : une sur le prix de l'information, peut-être Jean-Paul FITOUSSI ?

M. FITOUSSI .- C'est une vraie question. La question de faire payer les statistiques de l'INSEE doit être débattue. C'est une question de démocratie, surtout lorsque ces statistiques peuvent être disponibles sur un site. On pourrait imaginer que lorsqu'elles sont publiées sur papier, il y a un coût de production supplémentaire.

Un organisme comme l'OCFE met tout ce qu'il produit sur son site, donc finalement fournit gratuitement l'information. On comprend mal que l'INSEE ne le fasse pas ou en tout cas que les règles qui précisent cela ne soient pas très claires.

M. MABILLE .- Malheureusement, on ne peut pas répondre à sa place. On va donc laisser ce débat ouvert.

Sur l'utilisation d'internet, vous avez tous dit les uns et les autres qu'on peut y trouver beaucoup de choses, notamment sur le site du MINEFI. On parlait même de sources d'information pour les journalistes. Internet est aujourd'hui une source où l'on peut trouver beaucoup de choses.

Je passe la parole à Philippe MARINI pour une conclusion de l'ensemble de cette matinée.

M. MARINI .- Je ne voudrais pas que l'auteur de la première question soit frustré et je pense que M. PATAT peut prendre ses coordonnées pour lui répondre directement car j'ai l'impression que cela nécessite quelques développements.

Je voudrais remercier particulièrement notre collègue Joël BOURDIN qui, en sa qualité de président de la délégation pour la planification, nous a saisis d'un travail extrêmement intéressant permettant de se faire enfin une idée globale et cohérente sur le système d'information économique américain.

Lorsque nous faisons de telles comparaisons -un certain nombre d'entre vous l'ont dit ce matin- il ne faut, bien sûr, pas oublier le contexte institutionnel dans lequel on se trouve. Il est très différent en régime présidentiel et en régime parlementaire.

En régime présidentiel, les pouvoirs publics étant indépendants, en quelque sorte, les uns des autres, en tout cas le législatif étant indépendant de l'exécutif, il est normal et légitime que le législatif, pour aller au bout de ses missions, soit doté de l'arsenal le plus complet d'informations économiques sous sa maîtrise exclusive.

Dans le système parlementaire, les choses sont évidemment plus complexes et nécessairement un peu ambiguës, mais dans les exemples qui nous ont été donnés par l'intermédiaire du rapport de Joël BOURDIN, nous voyons bien comment se déroule le dialogue des experts placés d'un côté auprès du Président des Etats-Unis et de son Cabinet et, de l'autre, auprès du Congrès.

Il faut bien réaliser que si les responsabilités sont différentes, le dialogue existe à un large degré et que bien souvent des positions sont élaborées par consensus technique quant à la matière elle-même, quant aux données, même si ces positions redeviennent libres lorsqu'elles sont prises sous la responsabilité soit du Président soit des Commissions du Congrès.

Pour en venir à notre situation spécifique franco-française, cette matinée a montré qu'il y a abondance -peut-être même surabondance- d'informations économiques dans notre pays.

Vous savez que je ne suis pas un thuriféraire de l'actuel Premier ministre -ce n'est un secret pour personne-, mais il est au moins une chose que je trouve intéressante dans l'organisation actuelle, c'est le Conseil d'analyse économique. Je voudrais le dire car même si, bien entendu, un Premier ministre prend ses positions en vertu des options politiques qui sont les siennes, que je ne partage pas en l'occurrence, chacun le sait, le fait de faire dialoguer dans une telle instance des économistes dont chacun a sa stature, ses travaux, son expérience, est une très bonne chose pour éclairer le pouvoir politique. J'espère du point de vue du pouvoir exécutif en France que cette expérience durera.

Par ailleurs, quand on regarde tout ce qui nous a été dit : surabondance, pluralité, pluralisme, oui, cela existe en France, mais ce qui fait sans doute défaut, c'est la commodité d'accès et la réelle mise en concurrence des sources dans l'intérêt du Parlement.

Je vais me situer à présent du point de vue du Parlement dans le cadre qui est en train de s'inscrire dans la loi organique.

Philippe AUBERGER a évoqué ce point. Il est tout à fait essentiel. J'ai bien dit « qui est en train de s'inscrire » car j'ai tout lieu de penser que demain nous allons clore le débat en ce qui concerne la loi organique. Je peux dire sans trop de risque - je l'espère - de me tromper que l'approche de l'Assemblée nationale, l'approche du ministère de l'économie et des finances, l'approche du Sénat, en ce qui concerne la réécriture de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959  sur les lois de finances, ont débouché sur un texte commun qui n'est la propriété de personne, sauf celle de la République, puisque ce texte n'est appelé à s'appliquer véritablement qu'à partir de 2005-2006 dans une configuration que, naturellement, personne ne peut imaginer aujourd'hui de son point de vue partisan ou sectoriel.

Je pense que nous avons fait oeuvre utile, et cela pour plusieurs raisons et l'information économique et son pluralisme sont bien au coeur de cette réforme.

- Première raison : nous allons dans le sens de plus de transparence. Nous visons des décisions prises consciemment dans un processus rationnel et avec une expression susceptible d'être diffusée, popularisée, vulgarisée de telle sorte que l'opinion publique puisse être partie prenante dans le débat des finances publiques.

- En deuxième lieu et pour illustrer mon propos, nous avons tâché d'effectuer une avancée dans le sens de la globalisation des données relatives aux finances publiques, c'est-à-dire les finances de l'Etat, les finances des organismes sociaux et, le cas échéant, les finances consolidées des administrations territoriales. L'un des acquis de cette réforme, parmi d'autres, mais je le cite parce qu'il est à mon sens emblématique et important, ce sera la possibilité, en facteur commun, à l'automne, des deux débats (loi de financement de la sécurité sociale, loi de finances initiale), de tenir en présence du Premier ministre dans chaque assemblée, un débat sur le prélèvement obligatoire, globalement, par l'analyse en grandes masses des impositions de toutes natures et en faisant apparaître l'affectation de ces ressources issues du prélèvement obligatoire. Facteur commun à la discussion de l'un et l'autre document, de la loi de financement de la Sécurité sociale et de la loi de finances initiale, c'est-à-dire des deux lois de finances publiques car aujourd'hui on ne peut plus dire que la loi de finances de l'Etat est le lieu où se globalisent toutes les informations sur les recettes, les dépenses et le solde.

- En troisième lieu, nous avons insisté sur la permanence des méthodes comptables, l'instrument comptable, l'appareil statistique qui y contribue, le choix des méthodes, ce sont des sujets absolument cruciaux. Sujets qui conditionnent la crédibilité internationale de la France, il faut en être conscient Dans le cadre de nos engagements européens dans l'arène internationale, pour bénéficier de la meilleure cotation possible de notre dette sur les marchés financiers, il faut travailler comme le fait aujourd'hui tout groupe d'entreprises dans le cadre de la permanence des méthodes et plus jamais, à partir de 2005-2006 (vous voyez que d'ici là les turpitudes sont encore possibles !), on ne devra voir des épisodes comme celui de 1999-2000 avec, ainsi que la Cour des comptes l'a bien montré, l'arbitraire de l'imputation des recettes, des dépenses et l'arbitraire des méthodes utilisées tant pour estimer les recettes en cours d'année que pour les affecter à l'exercice ou à l'exercice suivant.

Permanence des méthodes, rigueur, exigence, tout cela naturellement sera très difficile à supporter, mais dès lors qu'on le veut, que c'est l'intérêt de la France en Europe et dans le monde, je pense qu'on le fera réellement.

- En quatrième lieu et enfin : revalorisation des moyens de contrôle du Parlement.

Chacune des chambres du Parlement, chacune des commissions des finances disposera d'un arsenal d'informations beaucoup plus large. Le Parlement s'habituera à raisonner en termes de stocks et non plus seulement de flux. L'un d'entre vous l'a dit tout à l'heure. C'est à la vérité l'un des aspects essentiels de la réforme. La comptabilité patrimoniale deviendra une réalité et un élément du débat sur les finances publiques.

Bien sûr, le Parlement, s'il veut exercer tout son rôle, devra s'organiser. Je pense que cela dépend de lui. Il appartient au Parlement de mettre en concurrence les sources d'informations économiques. Pour cela, il faut quelques moyens. Ces moyens, en simplifiant les choses grossièrement, se situent à trois niveaux.

1) Des moyens en expertise, c'est-à-dire avoir de l'argent pour payer les experts et pour mettre à disposition gratuitement leurs travaux parce que j'ai bien entendu la question de tout à l'heure. Si vous abordez les sites des assemblées parlementaires, vous trouvez beaucoup de travaux d'origine INSEE d'accès libre et gratuit. Il suffit donc finalement pour diffuser librement et gratuitement l'information qu'elle soit absorbée par l'appareil parlementaire qui restitue - c'est sa fonction - de façon libre et gratuite. Il est vrai qu'il faut y consacrer de l'argent. Si l'on doit faire travailler des professionnels, cela coûte. Il y aura des questions d'arbitrage à faire au sein de nos assemblées parlementaires, il y a des choses que l'on paye qui sont sans doute moins utiles que cela. Je n'en dirai pas plus, mais je crois que c'est le propre de toute institution que de devoir se remettre en cause en fonction de la réalité des choses. Sinon on est inférieur à sa tâche et on n'exécute pas correctement son mandat.

2) Ensuite, il faut naturellement aux assemblées parlementaires et aux commissions des finances, en particulier, des moyens en personnel. Il est clair que la commission des finances devrait en avoir deux ou trois fois plus. En général, je dis qu'il y a trop de fonctionnaires et trop d'emplois publics, mais il est clair que le rapporteur spécial des crédits de l'éducation nationale, qui a le plus gros budget de dépenses de l'Etat, qui a un tiers d'administrateur, il peut faire ce qu'il peut, mais cela n'ira pas très loin ! Je ne dis pas qu'il lui faut toute la Cour des comptes mais s'il avait déjà un administrateur plein, ce serait pas mal, s'il en avait deux, ce serait raisonnable, s'il y en avait un pour l'enseignement primaire et un pour l'enseignement supérieur, cela permettrait de faire des choses.

La commission des finances, c'est un peu un « commando », mais pour que ce « commando » soit efficace, il faut que ses membres, c'est-à-dire les responsables politiques, les députés ou les sénateurs, prennent cette tâche au sérieux.

Je crois que nous le faisons mais il faut savoir pratiquer l'autocritique. Ce n'est peut-être pas encore tout à fait suffisant.

Donc, dans le cadre de la réforme, avec la nouvelle loi organique, non seulement il faudra plus d'argent pour payer des experts, non seulement il faudra faire des arbitrages internes - après tout, je crois que l'on doit pouvoir le faire à dépense globale inchangée - pour avoir plus d'administrateurs dans les secteurs pertinents et importants, en particulier les commissions des finances.

3) En troisième lieu, il faudra que les parlementaires s'habituent davantage, et en plus grand nombre, à considérer que l'honneur de leur mandat, c'est dans, bien sûr, leur circonscription et leur département que cela se déroule, mais c'est aussi en exerçant leur tâche de contrôle du gouvernement, de proposition et d'action.

Tout cela suppose, bien entendu, de pouvoir travailler sur une matière vive qui, dans nos domaines, est l'information économique.

Voilà, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je ne peux pas citer chacun des contributeurs. Je voudrais les remercier tout particulièrement de ce qu'il nous ont dit.

J'ai isolé un point dans l'intervention de M. COTIS. Je voudrais lui répondre qu'en ce qui concerne le Rapport économique, social et financier, il est lu et très régulièrement cité dans nos rapports budgétaires. Lors de la réforme de l'ordonnance organique, son statut a été revalorisé. C'est une idée que nous, parlementaires, avons imposée. Nous sommes les utilisateurs privilégiés de ce rapport. Nous serions sensibles, lorsque les choses se mettront en place dans le cadre de la nouvelle loi organique, à être associés à sa modernisation, donc à son reformatage et, à la résolution d'un certain nombre de problèmes de méthode. Et peut-être aussi voudrions-nous que dans la diffusion de cette information économique publique, on prenne soin au langage, c'est-à-dire que l'on parle en faisant l'effort de s'adresser à tout le monde, n'est-ce pas ? Parce que le « langage INSEE ou DP » nécessite souvent une traduction, ni plus ni moins que le « langage DATAR » ou d'autres langages administratifs, mais si l'on se place du point de vue du parlementaire moyen et encore plus de l'opinion publique, il y a certainement des progrès à faire. Je suis sûr que nous aurons tous à coeur de les réaliser ensemble.

Merci de votre attention.

M. MABILLE .- La séance est levée.

(Applaudissements.)

(La séance est levée à 13 heures 05.)

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