Rapport d'information n° 275 (2001-2002) de M. Jacques VALADE , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 27 mars 2002

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N° 275

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

Rattaché au procès-verbal de la séance du 21 février 2002

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2002

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur les nouvelles télévisions ,

Par M. Jacques VALADE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernand Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean-Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.

Audiovisuel et communication

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le rapport d'information qui suit présente les actes de la journée thématique sur les nouvelles télévisions organisée le 30 janvier 2002 par la commission des affaires culturelles du Sénat.

• Les objectifs de la journée thématique

En prenant l'initiative de cette rencontre, la commission a d'abord voulu se donner les moyens de mieux cerner les données de l'évolution de la télévision à court et moyen terme, de façon aussi large, aussi objective et aussi documentée que possible.

La commission des affaires culturelles a aussi souhaité inscrire cette journée thématique dans une perspective dynamique et concrète. Il s'agissait pour elle d'identifier autant que faire se peut les changements qui résulteront du caractère aléatoire du progrès technique, des décisions du marché, des prévisions et des stratégies des différentes catégories d'opérateurs et d'entrepreneurs, de la classe politique et de l'Etat. C'est pourquoi, tout en consultant « techniciens » et observateurs du monde de la télévision, la commission a largement centré la journée thématique sur les interventions d'un nombre significatif de « décideurs » dont les analyses et les entreprises transformeront en propositions aux téléspectateurs les virtualités techniques de départ.

En invitant le ministre de la culture et de la communication à s'adresser aux participants avant le déroulement de la dernière table ronde, significativement dénommée « volonté politique et choix stratégiques », en demandant à des sénateurs d'introduire les quatre tables rondes qui ont ponctué la journée du 30 janvier, la commission a par ailleurs souhaité contribuer à l'esquisse d'un panorama des attentes, des réactions et des questions que les nouvelles télévisions suscitent de la part du politique et des citoyens. Au delà de leur diversité, les propos tenus portent un message commun : le politique est pleinement conscient des responsabilités qui lui incombent à l'égard d'une activité dont l'emprise s'étend à la culture, à l'éducation, à la citoyenneté, dont l'orientation doit par conséquent demeurer conforme à l'intérêt général, dont la dimension économique, de plus en plus sensible, implique l'élaboration d'arbitrages difficiles entre la logique de l'efficacité économique, celle de la culture et celle du lien social.

• La puissance publique face aux transformations de la télévision

La complexité croissante de la loi du 30 septembre 1986 au fil de ses modification successives, celle plus remarquable encore des textes d'application de la loi, montrent la difficulté de la démarche publique qui doit accompagner la création d'un nouveau paysage audiovisuel harmonieux et stable.

On peut considérer comme une illustration de cette complexité le fait que, dans le cadre du lancement de la télévision numérique de terre (TNT), le CSA ait décidé de ne fixer le terme du délai de réponse à son appel à candidature pour l'attribution des fréquences qu'après la parution de l'ensemble de la réglementation applicable aux futurs services. C'est d'ailleurs au cours de l'allocution prononcée lors de la journée thématique que le ministre de la culture et de la communication a annoncé la publication du dernier décret attendu, celui prévoyant la distribution obligatoire par les réseaux câblés des chaînes en clair de la TNT, dans le but de consolider leur économie incertaine.

Un point apparemment assez secondaire et ne concernant pas directement le régime juridique de la TNT, est ainsi à l'origine du dernier retard avant le lancement de l'étape cruciale au terme de laquelle l'on constatera le ralliement des opérateurs au défi de la TNT, ou leur réserve. On constate que le pouvoir réglementaire ne néglige rien.

Autre constatation significative de ce point de vue, la disposition législative qui permet au pouvoir réglementaire d'instituer l'obligation de « must carry » au profit des chaînes de la TNT, a été introduite dans la loi du 30 janvier 1986 par la loi du 1 er août 2000 : cette possibilité, qui du reste n'a pas été explicitement prévue en fonction du lancement de la TNT, n'existait pas auparavant. La puissance publique continue de renforcer ses moyens d'action.

Compte tenu du degré croissant de précision atteint dans le réglage par l'Etat de l'environnement réglementaire des nouvelles télévisions, compte tenu aussi du rôle majeur attribué à la télévision publique dans le paysage audiovisuel en formation et de l'importance de ses missions, il importait, il importera toujours, que le politique et le monde de la télévision se connaissent mieux.

La rencontre du 30 janvier fut dans cette optique une utile occasion d'échange, un moyen d'expression et d'information réciproques riche d'enseignements parmi lesquels il est possible de retenir quelques lignes de force.

• L'entrée dans l'âge des nouvelles télévisions, ou la gestion de l'incertitude

Si l'on tentait de résumer ces lignes de force, on recenserait un grand nombre d'incertitudes, pour une seule certitude : la numérisation inéluctable de l'ensemble du transport des signaux, notamment ceux de la télévision . L'échéancier, les opérateurs, les équipements, l'économie, les programmes de la télévision numérique de demain sont en effet sujets à débat, parfois virulent, on l'a constaté à propos du choix de la TNT comme principal vecteur de la numérisation de la diffusion.

Alors que la TNT est en cours de lancement, qu'elle est la référence à partir de laquelle les acteurs prennent position sur l'évolution de la télévision, qu'elle a été l'objet d'une grande partie des interventions lors de la journée du 30 janvier, sa pertinence économique reste contestée. Sa faisabilité technique fait aussi problème, sur des points certes mineurs -la conformité de l'ensemble du parc d'antennes râteaux de réception-, mais on a vu que tout importe, dans l'économie de la télévision.

Certes, au-delà des incertitudes se profile une seconde certitude, d'une qualité particulière, car ne débouchant sur aucune conclusion sûre. Mais il faut l'avoir constamment à l'esprit, sauf à lancer l'Etat et les opérateurs dans de coûteuses aventures, sauf à risquer de reproduire le modèle du plan câble ou celui de la télévision à haute définition : les usagers de la télévision décideront in fine de ce que sera ou ne sera pas le télévision de demain. Inutile certitude ? Un participant aux débats du 30 janvier faisait remarquer à juste titre qu'il est difficile de savoir quel accueil réserveraient les téléspectateurs à des émissions dont ils n'ont pas l'idée jusqu'à présent. Il n'en est pas moins utile de cerner autant que faire se peut le profil de cette incertaine certitude, d'identifier des repères, de les proposer à l'interprétation des participants.

• L'avis du public

C'est pourquoi la commission des affaires culturelles du Sénat avait souhaité faire procéder à un sondage sur les attentes des Français. Ce sondage a révélé de fait quelques perspectives, peut-être quelques sujets de perplexité, dont les intervenants n'ont pas manqué d'esquisser l'interprétation :

- il est intéressant de savoir par exemple que 72 % des personnes interrogées discutent souvent avec leurs proches ou leurs collègues des émissions regardées : au moment où l'offre de services thématiques devrait faire un nouveau bond, on constate la pérennité de la télévision généraliste, celle qui joue un rôle éminent dans la construction permanente du lien social ;

- il est aussi intéressant de noter que 13 % seulement des français ont entendu parler de la TNT et savent ce dont il s'agit : le rythme d'équipement des foyers, donnée cruciale du succès ou de l'échec, s'en ressentira probablement ;

- autre information susceptible d'alimenter la réflexion des opérateurs : 69 % des personnes interrogées n'envisagent pas d'investir dans l'achat de nouveaux équipements nécessaires à la réception de la TNT, mais 71 % de celles qui manifestent leur intérêt sont disposées à payer un abonnement de plus de 15,24 euros aux chaînes payantes : en dépit des analyses confirmées par le tout récent rapport rédigé sur la TNT par M. Jérôme Gallot, directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, en dépit de la priorité donnée par la loi aux services gratuits pour la répartition des fréquences, il est possible que les services payants soient appelés à jouer un rôle au moins aussi important que les gratuits dans le lancement de la TNT.

La consultation par sondage des Français sur les nouvelles télévisions suscite donc, comme souvent, plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. Comment transformer en stratégies des tendances que l'on sait fluctuantes et dont il faut cependant tirer parti, comment interpréter l'ensemble des données livrées au cours de la journée du 30 janvier ?

Mais la synthèse des incertitudes permet au bout du compte d'identifier quelques contrastes majeurs, quelques contradictions vraisemblablement ordonnatrices de la télévision de demain. Quelles sont ces contradictions, que la journée thématique du 30 janvier a contribué à mettre en lumière ?

• Des difficultés à trancher

On peut envisager les contradictions qui intéressent directement le législateur, avant d'aborder le cas des opérateurs et celui des téléspectateurs :

- il existe vraisemblablement un hiatus latent entre d'une part la réglementation assez largement différenciée des vecteurs de diffusion et d'autre part la convergence numérique, l'alignement nécessaire des conditions de concurrence entre services de même nature : les mêmes services seront à terme indifféremment diffusés sur l'ensemble des supports et les supports serviront indifféremment à la diffusion de services de toute nature, audiovisuels comme de télécommunications.

Plusieurs intervenants ont ainsi évoqué les contraintes pesant sur l'exploitation des réseaux câblés face à la grande souplesse de la diffusion satellitaire. Dans une optique plus large, d'autres intervenants ont évoqué l'opportunité d'optimiser la gestion des fréquences en confiant celle-ci à un régulateur unique, ou même l'utilité de confier à un seul régulateur la gestion de l'ensemble de la communication électronique ;

- un hiatus équivalent existe depuis plusieurs années entre le niveau des obligations imposées aux opérateurs nationaux en termes de diffusion et de contribution au financement de la production, pour d'incontournables raisons de politique culturelle et sociale, et l'ouverture croissante du marché de la télévision au niveau européen et mondial.

De ce hiatus résulte un risque de délocalisation des services français.

Le régime d'autorisation institué pour la TNT offre une possibilité jusqu'à présent inexistante de concilier l'augmentation sensible de l'offre télévisuelle avec le maintien d'un cadre réglementaire précis, exigeant et incontournable. Mais ceci au prix d'une implication déterminante des pouvoirs publics dans la constitution de l'offre : c'est le CSA qui joue le rôle de véritable « programmateur » de la TNT, d'assembleur des bouquets, mission dont plusieurs intervenants ont relevé le caractère unique en Europe, pour ne pas mentionner les Etats-Unis ;

- les opérateurs désireux de prendre le virage de la TNT auront de leur côté à gérer la contradiction entre d'une part les conditions nécessairement aléatoires du passage à l'exploitation commerciale et d'autre part une dynamique de succès exigeant une mise en place rapide et globale du nouveau marché.

Il est possible de se demander si les responsabilités confiées au CSA pour la création de cette dynamique sont de nature à faciliter ce passage au marché ;

- il y a aussi contradiction potentielle, on y a fait allusion plus haut, entre le rôle désormais référentiel de la TNT en matière de télévision numérique et la très large gamme des possibilités offertes par d'autres vecteurs, de même qu'entre l'ampleur des moyens dont le lancement de la TNT nécessite la mobilisation et la modestie relative des attentes actuelles des téléspectateurs en ce qui concerne l'évolution de l'offre.

Sur le premier point, des craintes se sont exprimées, au cours de la journée du 30 janvier, sur les possibilités relativement limitées de la TNT en matière d'interactivité en comparaison du vaste potentiel offert prochainement par l'internet à haut débit, en matière de contenus et dans une perspective d'aménagement du territoire ;

- les attentes des téléspectateurs, enfin, ne sont-elles pas elles-mêmes tissées de contradictions, comme le montre la coexistence entre d'une part un goût prononcé pour le libre choix - 54 % des consultés attendent du progrès technique la possibilité de composer leur propre programme - et d'autre part l'attachement persistant à une télévision généraliste qui implique la présence à un moment donné du gros des téléspectateurs devant un nombre limité de programmes « fédérateurs » ?

• Des complémentarités nécessaires

On pourrait aisément poursuivre la liste des contradictions. Amorçons plutôt celle des complémentarités qui permettront de les surmonter.

On peut citer à titre d'exemple :

- la complémentarité souhaitable entre les vecteurs de diffusion, à réaliser en fonction du potentiel de chacun en termes de couverture géographique et de capacité de transport des signaux ;

- la complémentarité possible entre sources de financement, la gratuité des services financés par la publicité agissant comme levier pour le lancement de services payants, selon le pari esquissé pour la TNT dans le rapport déjà cité du directeur général de la DGCCRF ;

- la complémentarité attendue entre l'augmentation de l'offre télévisuelle et le renforcement de la production française, peut-être plus facile à réaliser que les précédentes, encore que les intentions du législateur se heurtent parfois à de sérieux obstacles. Que l'on considère à cet égard la récente décision prise par les diffuseurs de diminuer le taux de leur participation au financement des oeuvres audiovisuelles, réponse à l'instauration, en application de la loi du 1 er août 2000, d'un régime d'acquisition des droits pour une diffusion unique sur 18 mois au lieu des trois diffusions possibles auparavant.

Sans doute la journée thématique du 30 janvier n'a-t-elle pas permis d'identifier des recettes pour surmonter ces contradictions et pour réaliser ces complémentarités : ce n'était d'ailleurs pas son objectif.

Elle aura en revanche joué son rôle, qui était de fournir à la commission des affaires culturelles, comme à l'ensemble des intervenants et participants, d'utiles repères pour l'exercice, dans l'avenir, de leurs responsabilités respectives.

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* *

ACTES
DE LA JOURNÉE THÉMATIQUE
SUR « LES NOUVELLES TÉLÉVISIONS »

organisée par la commission des Affaires culturelles

sous le haut patronage de M. Christian Poncelet, Président du Sénat
et la présidence de M. Jacques Valade,

Président de la commission des Affaires culturelles du Sénat

le mercredi 30 janvier 2001

Les débats ont été animés par M. Jean-Claude Larrivoire, journaliste.

INTRODUCTION

Présentation de la journée thématique, par M. Jacques VALADE, Président de la commission des affaires culturelles

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier le Président Christian Poncelet de bien vouloir nous rejoindre et d'ouvrir cette journée consacrée aux nouvelles télévisions.

Je voudrais saluer, au nom des membres de la commission des affaires culturelles du Sénat et en mon nom personnel, toutes celles et tous ceux qui ont répondu à notre invitation et tout particulièrement remercier les intervenants des différentes tables rondes.

J'aurai plaisir également à accueillir et à remercier, cet après-midi, Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication.

Les professionnels réunis aujourd'hui : industriels, producteurs, diffuseurs et les membres du Parlement, sénateurs et députés, ont en commun la nécessité et la préoccupation permanente d'être informés, d'apprendre, de savoir, de comprendre et enfin de choisir, chacun dans son domaine de compétence et de responsabilité.

C'est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative de ces journées thématiques au-delà de la mission traditionnelle du Parlement et de ses commissions, de légiférer, de préparer le budget et de contrôler l'action gouvernementale.

Vous savez que le Parlement ne légifère pas sans entendre au préalable l'ensemble de points de vue de ceux qui souhaitent s'exprimer. Beaucoup des intervenants de ce colloque connaissent bien la salle de réunion de la commission pour s'y succéder lorsque le pouvoir politique entreprend de modifier la loi, notamment ce qui concerne le système audiovisuel français.

Mais entre deux révisions, nous avons la possibilité et le devoir de nous préparer de façon différente -je suis tenté de dire de façon « interactive »- aux changements à venir.

Peu de temps après l'adoption de la loi du 1 er août 2000 et peu de temps avant l'ère des nouvelles télévisions, qui va peut-être appeler de nouvelles révisions de la loi -et cette évolution a déjà commencé- nous avons donc décidé d'appeler les acteurs de l'audiovisuel non plus à se succéder dans notre salle de réunion, mais à se côtoyer dans un large débat public.

Je ne saurais mieux illustrer le sens de cette initiative qu'en rappelant ce que John Stuart Mill écrivait du débat public : « par la discussion et l'expérience -mais non par la seule expérience- l'homme est capable de corriger ses erreurs : la discussion est nécessaire pour corriger l'expérience ». La seule façon, ajoutait-il, pour l'homme d'accéder à la connaissance objective d'un sujet, est « d'écouter ce qu'en disent des personnes d'opinion variée ».

C'est dans cet esprit que nous allons aujourd'hui confronter les opinions et les expériences, peut-être découvrir la possibilité de rectifier des erreurs, certainement accéder à une meilleure connaissance des tendances actuelles de la télévision.

Pour cela, il nous faudra mesurer les perspectives que le progrès technique et ses mises en oeuvre industrielles ouvrent pour les toutes prochaines années. Il nous faudra ensuite évaluer les réactions du public à l'offre audiovisuelle permise par l'évolution de la technique, car le public donne parfois un coup d'arrêt. A ce sujet, les résultats d'un sondage que nous avons commandé dans la perspective de ce colloque nous aideront à évaluer ses attentes, qui sont certainement à l'heure actuelle le principal facteur d'évolution du système audiovisuel. Il sera intéressant d'avoir aussi un aperçu de la façon dont les opérateurs envisagent de faire le lien entre ce que peut la technique et ce que veut le public. Nous pourrons alors déboucher sur le dernier terme de ma proposition de départ : choisir, après avoir appris et compris.

Mesdames, messieurs, vous aurez reconnu dans cette évocation du déroulement idéal de notre discussion, les thèmes des tables rondes qui vont se succéder maintenant. Que peut la technique ? Que veut le public ? Quel modèle économique ? Je ne doute pas que nous ayons, bien avant l'ouverture de la quatrième table ronde, intitulée « volonté politique et choix stratégiques », une idée de la volonté politique des parlementaires et des choix stratégiques de nos intervenants extérieurs. S'il nous a semblé utile de conclure le colloque sur le thème spécifique de la volonté et du choix, c'est pour éclairer explicitement l'objectif ultime de notre débat, et nous y attarder un peu.

Cependant, nous n'avons pas organisé cette journée dans la seule intention d'apprendre et de comprendre, et vous n'êtes pas venus -je l'espère- avec la seule intention de nous faire bénéficier de vos compétences et de vos analyses. Si c'est le cas, je vous invite à oublier vos notes dans vos serviettes, et à nous dire, sans détour, ce que vous attendez du politique et pourquoi vous l'attendez. Le politique vous dira en retour, par la voix du ministre et par celle des sénateurs qui vont s'exprimer, en fonction de quels critères, de quels objectifs et de quelle vision de l'avenir il entend assumer ses responsabilités.

Télévision analogique, numérique, TNT, diffusion des images sur internet, câble, satellites, haut débit, contraintes techniques, réglementaires, économiques, programmes et publics, interactivité, telles sont les préoccupations, largement partagées.

Merci de contribuer au débat et de contribuer à nous éclairer.

Mais le président Christian Poncelet vient de nous rejoindre et je lui cède immédiatement la parole, en le remerciant d'avoir tenu à venir personnellement ouvrir cette journée thématique.

Allocution de M. Christian PONCELET, Président du Sénat

Monsieur le Président, mes chers collègues, mesdames, messieurs,

Je suis très heureux d'accueillir tous les participants à cet important colloque et de consacrer ainsi ce qui est devenu une tradition sénatoriale : le suivi des questions concernant l'audiovisuel.

Ce fut longtemps la spécialité presque exclusive de la commission des finances, marquée par le dynamisme de Jean Cluzel. C'est aujourd'hui la commission des affaires culturelles qui a organisé cette rencontre, grâce à l'initiative de son président, mon ami Jacques Valade, dont les compétences scientifiques ne sont pas de trop dans un domaine où les enjeux technologiques prennent presque le pas sur les enjeux culturels.

Je me souviens que j'avais moi-même, en décembre 1998, organisé un colloque sur ce thème, pour entendre tous les professionnels sur le projet de loi Trautmann. Ce colloque fut soit un demi-échec, soit un total succès, puisque la veille de sa tenue, le gouvernement décidait de retirer le projet de loi, prouvant ainsi que les sages avis du Sénat peuvent être entendus et craints avant même d'avoir été formulés.

Je me souviens également que lorsque ce projet de loi est enfin venu devant nous, nous avions approuvé le parachèvement de l'édifice de France Télévisions, réclamé depuis longtemps par le Sénat, et regretté que le texte ne contienne rien sur le numérique terrestre, dont il était déjà beaucoup question. Le Sénat a, en cette occasion, fait le travail du gouvernement et il a fait un bon travail. L'Assemblée nationale a défait le travail du Sénat. Elle n'a d'ailleurs apparemment pas eu la main heureuse, puisque nous lisons régulièrement dans la presse que l'attribution des fréquences par canal pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. Reprenant la formule de Turgot qu'aimait à citer Edgar Faure, je serais tenté de dire au gouvernement : « avoir toujours raison est un grand tort »...

Depuis, les rapports sur la télévision numérique terrestre ont été aussi nombreux que ceux sur les retraites, et l'incertitude demeure. Déjà entrés et nouveaux entrants opposent leurs arguments, et se rappellent à cette occasion que c'est le politique qui finalement décidera.

Nul doute que le colloque de ce jour, marqué par la présence des plus éminents acteurs du paysage audiovisuel, nous éclairera.

Je rappelais à l'instant que les enjeux techniques deviennent prééminents. Ils ne doivent pas nous faire oublier l'essentiel : offrir aux Français des programmes de qualité, défendre une certaine idée de la télévision, garantir la vitalité d'une production francophone et européenne prospère, préserver la diversité culturelle par des mécanismes d'exception aux règles commerciales habituelles qui ont une certaine efficacité malgré des effets pervers bien connus.

Nous devons, je crois, manifester notre attachement à ces règles, préserver les acquis d'une entreprise comme Canal Plus, qui joue un rôle central dans le financement de la création, et nous méfier des évolutions mal maîtrisées.

A la veille d'échéances politiques importantes, je suis certain que vos débats d'aujourd'hui permettront d'éclairer les débats de demain, et je vous suis donc particulièrement reconnaissant d'être venus participer à cette journée thématique.

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PREMIÈRE TABLE RONDE : QUE PEUT LA TECHNIQUE ?

M. Pierre LAFFITTE, rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles sur le budget de la recherche

La technique peut beaucoup, et peut-être même beaucoup trop.

Nous sommes, en effet, devant une floraison d'innovations qui envahissent de nombreux champs d'activités et modifieront probablement considérablement beaucoup de structures hiérarchiques, y compris celles de l'Etat.

L'usage des fréquences est au coeur de notre sujet. Nous avons, avec mon collègue René Trégouët, abordé ce point dans un rapport sur l'évolution des techniques dans les secteurs des télécommunications. Du fait de la convergence, télévisions et télécommunications se trouvent réunies et le seront de plus en plus, ceci d'autant qu'arrivent de nouveaux acteurs auxquels nous n'avions pas encore pensé. Par exemple, on ne parle pas encore des fibres optiques, qui se développent pourtant sur l'ensemble du territoire.

Le problème de la télévision numérique n'est donc pas uniquement celui de la télévision numérique hertzienne terrestre. C'est d'ailleurs une donnée largement répandue chez nos voisins, auprès desquels, à l'occasion de ce rapport, je me suis livré à une enquête.

Les Allemands n'ont pas les mêmes problèmes, puisque 50 % des diffusions de télévisions sont faites par le câble, 30 % par satellite. Leur programme de télévision numérique terrestre est établi depuis 4 ans et réunit une cinquantaine d'organismes : l'Etat fédéral, les Länder et les principaux opérateurs. En 2010, il n'y aura plus de télévision analogique en Allemagne ; des fréquences seront donc libérées, et seront utilisables par des opérateurs qui pourront être prioritaires.

Ce problème des fréquences est essentiel.

L'ART et le CSA, par exemple, vont être amenés à coopérer et à réclamer beaucoup plus de moyens, car la gestion des fréquences va demander beaucoup plus de moyens techniques. Il est d'ailleurs anormal que la France ne dispose pas, pour le compte de la puissance publique, d'un grand pouvoir de compétences et d'expertise. Le problème de l'allocation des fréquences va en effet devenir de plus en plus important au plan international : il faut pouvoir en discuter avec des partenaires européens et mondiaux, notamment pour les fréquences qui seront utilisées par le satellite.

Nous ne sommes pas actuellement en mesure de prévoir certaines évolutions, indépendamment d'intérêts particuliers, même honorables, des grands opérateurs de télécoms ou de télévisions. Ericsson ou Nokia nous ont entraînés dans l'idée que l'UMTS allait être la panacée qui permettrait aux Etats, comme l'Allemagne et la Grande-Bretagne, de gagner beaucoup d'argent au détriment d'un secteur économique qui poussait la croissance...

Il ne faudrait pas nous retrouver dans des situations analogues, où les considérables investissements nécessaires conduiraient à une fracture numérique et télévisuelle dans la population française, notamment au niveau des petites agglomérations.

Ceci pourrait être à l'origine d'une nouvelle disparité insupportable au plan de la diffusion du savoir, des multimédias et surtout en matière de localisation des industries.

Cette réflexion n'est pas maîtrisée pour le moment par les pouvoirs publics, simplement parce que les techniques évoluent trop vite. Des problèmes restent à résoudre et cela entraînera forcément des changements ou des évolutions dans les structures actuelles.

Mme Christiane SCHWARTZ, directrice de l'innovation de France Télécom

Je souhaite éclairer, en m'appuyant sur l'analyse des ruptures technologiques, les problématiques que sont les bases technologiques bien maîtrisées, les produits disponibles, les fonctionnalités vraiment possibles.

Je vous proposerai tout d'abord une grille de lecture des conséquences de la numérisation sur la télévision.

Aujourd'hui la télévision est un bloc qui comprend le téléspectateur, puis l'écran et l'image, bien paramétrés, la diffusion, elle aussi bien balisée, la production et le concept éditorial lui-même, parfaitement structurés également du fait de la gestion du temps de programmation.

On va bien sûr poursuivre dans cette voie d'une télévision unique avec les technologies numériques. Il faut toutefois être conscient du fait que cette numérisation, notamment dans son achèvement par le dernier maillon de la diffusion, rend désormais les briques constitutives de la télévision indépendantes les unes des autres. Chacune de ces briques va être soumise à des pressions, à ses propres contraintes d'évolution technique et économique dans le jeu des acteurs anciens et nouveaux. Si une recombinaison de ces briques rencontre un usage et une validation économique, elle sera maintenant possible.

Telle est la grille de lecture.

Quelques questionnements sont alors indispensables.

Commençons par le téléspectateur.

Et si ce téléspectateur n'était plus coincé dans son sofa, mais nomade, c'est-à-dire dans un contexte plus exigeant ? Il faudra alors se demander : quelles images, pour quels débits, pour quels contenus ? Le champ technique nous indique là que plusieurs recombinaisons sont possibles entre tailles d'écran, réseaux, débits, codages...

Et si différents réseaux numériques de diffusion, interactifs, coopéraient pour rendre le meilleur service possible à notre utilisateur nomade ?

Il semble d'une part que la technique le permette, et d'autre part que cette prospective représente une riche perspective d'avenir.

Et si la loi de Moore, qui prédit avec précision la baisse des composants, nous offrait des volumes-mémoires considérables de plusieurs heures vidéo transportables sur un objet que l'on aurait dans la poche, notre consommateur nomade ne les téléchargerait-il pas ? La technique nous dit encore que cela est possible, et l'économie nous dit que cela est prévu à un terme connu.

Intéressons-nous ensuite à l'image et aux programmes.

Les standards DVB ouvrent déjà beaucoup de possibilités pour la créativité, pour l'interactivité, les guides de programmes, etc. Ces standards sont anciens mais continuent d'évoluer heureusement de façon cohérente et compatible. Ils permettent déjà d'utiliser des débits significativement plus bas et des outils d'interactivité plus intéressants, comme la norme MP4, utilisée par l'Internet.

Et si les pratiques actuelles de l'Internet modifiaient suffisamment les attitudes consommatrices de notre téléspectateur, pour le rendre actif dans la création des contenus ? Ainsi il aurait des choses à dire et à partager, tout simplement en rediffusant par exemple des objets audiovisuels vers sa communauté. Ce mouvement est technologiquement possible. Nous l'observons d'ailleurs déjà, en tant qu'opérateur de télécommunications, dans l'usage de nos réseaux haut débit.

Et si la créativité que nous observons par exemple dans le domaine des jeux n'avait pas encore donné sa pleine puissance pour faire émerger de nouvelles applications des nouvelles télévisions ? C'est l'hypothèse que fait le RIAM, le Réseau National pour l'Innovation Audiovisuelle et Multimédia, qui vise à dynamiser une pluri-disciplinarité propre à développer de tels nouveaux contenus.

Ainsi, pour chaque brique de la chaîne de l'image, il faut retenir des éléments comme l'importance de l'ouverture vers d'autres modes de consommation, la prise en compte de la diversité de réseaux, probablement très coopérants, de l'existence d'autres standards dans d'autres mondes, notamment celui de l'Internet, la capacité d'appropriation et de détournement de notre consommateur, son besoin de personnalisation.

Il faut garder tout ceci à l'esprit, car pendant que les nouvelles télévisions s'installent, les évolutions technologiques ne s'arrêtent pas, même si elles ne seront des réalités que lorsqu'elles auront rencontré un usage.

M. Bruno CHETAILLE, président de Télédiffusion de France (TDF)

Je ferai, sur le dossier de la télévision numérique terrestre, quelques commentaires qui ne sont pas tout à fait du domaine technique.

La technique permet de reculer les frontières du possible, mais pour transformer une technologie de laboratoire en produit pour le téléspectateur, il faut un temps assez long qui comporte quelques règles. Il faut en général de 10 à 15 ans pour passer du laboratoire au marché, et environ 10 ans encore pour que plus de 50 % des consommateurs s'approprient un nouveau produit ou un nouveau service. Ainsi le CCETT a été créé à Rennes il y a 25 ans pour justement travailler sur le numérique et explorer les possibilités de convergence entre télécommunication et audiovisuel. Depuis, cette technologie s'est progressivement installée tout au long de la chaîne de l'image, la diffusion hertzienne étant le dernier maillon de la numérisation de l'image.

Le moment est aujourd'hui venu pour que cette idée technique trouve son marché, en valorisant ses atouts.

Il s'agit d'une technologie normalisée et maîtrisée. Elle apporte au téléspectateur et au citoyen, des atouts incontestables. L'universalité tout d'abord : l'hertzien est un moyen accessible au plus grand nombre. Cette universalité est un facteur de développement du marché et un avantage démocratique. Une facilité d'usage ensuite : le numérique terrestre est pratique et ouvre la voie de la portabilité. La richesse enfin : le numérique élargit l'offre de programmes, avec 36 chaînes au lieu de 6. Il propose des services complémentaires, du type Internet diffusé, et donne un nouvel "appel d'air" pour la communication locale.

La question n'est donc pas de savoir si le numérique terrestre va se développer, mais de savoir comment réunir les conditions de son succès.

Une première condition est qu'il y ait un cadre législatif et réglementaire stabilisé. Le dernier décret sur ce sujet devrait sortir dans les prochains jours. On peut s'en réjouir. Le cadre est là même s'il est complexe.

Il faut ensuite mettre en oeuvre une offre de programmes attractive. Le CSA a lancé son appel d'offre pour la constitution du bouquet. La question-clé sera celle de l'équilibre entre chaînes gratuites et chaînes payantes.

J'insisterai sur la troisième condition : la nécessité d'une coordination très étroite entre tous les acteurs concernés. Cette coordination signifie tout d'abord une date de lancement opérationnel connue de tous les acteurs, afin qu'ils puissent faire converger leurs efforts ; ensuite il faut un calendrier de déploiement sur le territoire français.

La télévision numérique terrestre est donc une opportunité sur de nombreux plans, à nous d'y travailler ensemble pour en faire un succès.

M. Michel FENEYROL, membre de l'Autorité de régulation des télécommunications (ART)

La tâche qui attend l'ART est importante, elle en a l'habitude.

Si comme le disait M. Laffitte la technique peut presque tout, comme le disait M. Chetaille, il lui faut du temps. Ce qui s'est produit avec l'UMTS est une belle démonstration du fait qu'un planning ne se décrète pas, et que les choses doivent mûrir.

Il faut d'autre part également prendre en compte le coût de l'opération. Des problèmes économiques, de bilans et de modèles, se posent. En effet, l'Internet gratuit, le renversement du Nasdaq, et la situation de certaines dotcoms permettent de concrétiser cette constatation.

De plus, une fois un modèle adopté, il faut s'assurer que le consommateur suive le mouvement.

Avec l'avènement de la télévision numérique, on arrive à la numérisation généralisée. Ainsi depuis les fêtes de Noël avec l'achat d'appareils de photo numériques, de DVD, de télévision numérique, il faut prendre acte de cette généralisation.

Il faut de la même façon se rendre compte du fait que nous sommes entrés en plein dans le domaine de la convergence. Ainsi, avec toutes les techniques XDSL, le réseau de cuivre va être capable de transmettre de la télévision de bonne qualité. C'est sur les réseaux câblés, et ce malgré la montée de l'ADSL, qu'il y a encore aujourd'hui le plus d'accès Internet haut débit. Nous avons donc deux réseaux d'accès qui sont devenus multimédias et sur lesquels tout converge, et l'on peut dire la même chose du satellite, ce qui fait au moins trois.

Tout cela change complètement la situation des fournisseurs de services. Ils vont pouvoir valoriser leurs contenus sur ces multiples réseaux. C'est ce monde qu'il faut essayer d'organiser.

L'équilibre économique d'un fournisseur de services, Internet ou de télévision, repose sur un monde de multiples services pouvant passer sur de multiples réseaux. Face à ce monde, on doit se demander si notre législation ou notre mode de régulation est adapté pour gérer cela dans un esprit qui permette aux différents acteurs de s'épanouir, au bénéfice des utilisateurs résidentiels ou professionnels. Ce débat doit intervenir dans les prochains mois, d'autant plus qu'au niveau de la Commission européenne, après un long parcours, le paquet télécommunication vient d'être adopté. Les Etats vont disposer d'une quinzaine de mois pour le transposer. Le chantier de remise à jour du domaine législatif et réglementaire dans notre pays va certainement être important.

Il m'apparaît essentiel qu'à cette occasion notre pays prenne des dispositions qui intègrent les constats précédents, et qu'en particulier il prenne des dispositions qui fassent que les règles de gestion des différents réseaux soient harmonisées de telle façon qu'elles permettent aux fournisseurs de services et aux consommateurs d'avoir une neutralité technique réglementaire vis-à-vis des différents supports. Ceci va dans le sens de ce que recommande la Commission : que la communication électronique soit prise en compte dans son ensemble dans le cadre réglementaire et législatif, au-delà des pures télécommunications.

Par ailleurs, il est essentiel, pour relancer le secteur des services, de poser le problème des services en ligne, quel qu'en soit le support. C'est là que se situe le futur grand vecteur de croissance de ce domaine : la consultation de bases de données a un grand avenir.

Je pointerai également le problème de la mobilité, lié aussi à la convergence. Qui dit mobilité dit fréquences.

Nous devons là aussi avoir une organisation de la réglementation et de la gestion des fréquences qui permette d'optimiser l'usage global du spectre. On a traité les besoins de la mobilité en prenant des fréquences de plus en plus directives qui pénètrent de moins en moins dans les immeubles : ce n'est pas ce qu'il faut faire ! Il faut revenir à des fréquences qui diffusent le plus possible.

Enfin, il faut regarder ce qui se passe sur les points hauts, car il n'y a pas de mobilité sans émetteurs sur les points hauts. La aussi, il faut harmoniser le travail des services concurrents ou coopérants à la gestion et l'exploitation des points hauts.

M. Joseph HADDAD, président-directeur général de Netgem

La TNT pose un challenge très intéressant, qui oblige à figer le rêve. Si tout est virtuellement possible, il faut se poser la question de ce qui est véritablement possible économiquement, dans ce cadre extrêmement large.

En effet, il ne s'agit plus ici de technologie élitiste, mais d'une technologie qui doit s'appliquer à un marché très large.

Nous avons réfléchi à une offre technologique répondant aux particularités du marché français. Nous avons ainsi mis en avant trois éléments.

Premièrement, dans un marché que la loi voulait non-concurrentiel avec celui du câble et du satellite, la TNT a pour objectif se s'adresser à environ 2/3 des foyers français.

Deuxièmement, la TNT se définissait en effet comme le passage au numérique de la télévision, c'est-à-dire un élargissement de l'offre gratuite. C'est bien un aspect très particulier par rapport à la façon dont la TNT avait été développée ailleurs.

Enfin, nous avons fait le pari de l'interactivité et de la diminution de la passivité du téléspectateur.

En fonction de ces trois éléments, enrichissement de l'offre gratuite, de la qualité numérique et interactivité, nous avons construit une offre technologique qui ne sera pas monopolistique, que l'on se rassure.

Concrètement, le choix offert au consommateur ne sera plus de savoir s'il paye un abonnement, mais s'il s'achète un équipement qui lui permettra, à vie, de voir les chaînes du bouquet.

Mais cet équipement devra permettre aussi l'accès aux offres payantes. C'est en effet l'équilibre entre gratuit et payant qui est la condition macroscopique du succès de la télévision numérique terrestre. L'interactivité est ici très importante puisqu'elle favorise la transaction pour amener le consommateur vers les offres payantes qui l'intéressent. Le gratuit est ainsi un véhicule de pénétration du payant et crée les bases d'un équilibre et d'un continuum de la clientèle.

M. Yvon LE BARS, membre du Conseil supérieur de l'Audiovisuel (CSA)

La loi du 1 er août 2000, que le CSA doit bien entendu s'attacher à respecter, a fixé le cadre juridique du développement de la TNT, ainsi que son calendrier.

L'évolution technologique amène toute une série d'avantages : augmentation des capacités de diffusion, offre élargie pour le téléspectateur, meilleure image et meilleur son, capacités accrues d'interactivité et liens possibles avec le réseau Internet, ainsi qu'à terme une baisse importante des coûts de diffusion et une libération de fréquences quand on arrêtera la diffusion en analogique.

La loi d'août 2000 a chargé le CSA de deux choses essentielles : planifier les fréquences numériques nécessaires et sélectionner les diffuseurs de services qui en bénéficieront.

Le principe retenu est de planifier ces fréquences dans le cadre de la bande actuellement utilisée en analogique, et d'utiliser les 110 points hauts également utilisés en analogique. Une première phase de planification a été rendue publique au mois de juillet dernier ; elle concerne les 29 premiers sites, 6 multiplex ayant été identifiés sur chacun d'entre eux, qui permettent de couvrir environ 50 % de la population française. La fin de cette planification est prévue pour mars 2003.

C'est dans ce contexte que nous avons lancé l'appel à candidatures au mois de juillet dernier. Il porte sur les fréquences identifiées sur ces 29 premiers sites et vise des services de télévision à vocation nationale, à temps complet ou partiel, thématiques ou généralistes, en clair ou cryptés.

Combien de services de télévision numériques seront possibles ?

La réponse à cette question est techniquement complexe, compte tenu de la variété des besoins en bande passante des différents programmes, de la nécessité d'avoir une qualité excellente de l'image et du son. Sur ces 6 multiplex, nous pensons qu'il est possible d'avoir 33 services de télévision.

Le secteur public dispose de la priorité pour 8 chaînes. Nous réservons d'autre part les capacités nécessaires pour la télévision locale : 3 services locaux par zone considérée. Restent donc 22 services de télévision sur lesquels porte l'appel à candidature.

La date limite de réponse à cet appel n'est pas encore fixée : elle sera fixée 45 jours après la date du dernier décret, concernant les obligations de reprises sur les réseaux câblés, qui doit sortir dans les prochains jours. Quatre mois seront ensuite nécessaires pour dépouiller les dossiers, puis quatre mois supplémentaires pour signer les conventions et autoriser les éditeurs de services, ce qui devrait nous mener en novembre 2002.

Nos procéderons selon la méthode de soumission comparative, au regard des 8 critères qui figurent dans la loi :

- la capacité de répondre aux attentes d'un large public ;

- la nécessité d'assurer une véritable concurrence et la diversité des opérateurs ;

- la sauvegarde du pluralisme ;

- l'expérience acquise par les candidats ;

- les engagements en matière de production et de diffusion d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques ;

- les engagements relatifs à la couverture du territoire ;

- la cohérence des propositions en matière de regroupement et de choix des distributeurs ;

- le financement et les perspectives d'exploitation du service.

Débat avec la salle

M. Joël WIRSTZEL , directeur de la publication de Satellifax :

Le calendrier présenté est selon certains relativement optimiste. C'est notamment ce qu'a dit -dans La Tribune je crois- M. Marc Renard, directeur général de TDF.

Peut-on préciser quelle sera la date de lancement réel des nouvelles chaînes numériques ?

J'aimerais d'autre part que l'on précise le prix des décodeurs. En Grande-Bretagne vont apparaître sur le marché des décodeurs à un prix voisin de 150 €. Qu'en sera-t-il en France, en particulier pour un décodeur permettant uniquement l'accès aux chaînes gratuites ?

M. Yvon LE BARS :

Pour les délais, il faut être précis et tenir compte des responsabilités de chacun. Les choses doivent se faire dans l'ordre.

D'abord il faut que le cadre juridique soit défini, c'est la tâche du gouvernement.

Ensuite vient le travail du CSA, que je viens de décrire et qui a permis au président Dominique Baudis d'annoncer que le cadre serait tracé et finalisé en novembre 2002.

La suite du calendrier dépend du planning des éditeurs de services, des opérateurs techniques et des distributeurs commerciaux. C'est bien pour cela que nous n'avons pas fixé de date de démarrage, mais il est souhaité que celle-ci soit la plus rapprochée possible.

Nous avons demandé que les acteurs nous précisent, dans leur dossier de candidature, leur plan de développement et donc leur date de démarrage.

M. Joseph HADDAD :

Le prix des décodeurs a donné lieu à beaucoup d'informations et de rumeurs contradictoires.

L'équipement de base permettant au téléspectateur de recevoir les chaînes gratuites, de s'abonner s'il le souhaite aux chaînes payantes et d'accéder à l'interactivité, sera disponible entre 150 et 200 €.

Une économie de l'ordre d'une vingtaine d'euros peut être réalisée en n'offrant que l'accès aux chaînes gratuites. Nous ne serons pas forcément sur ce marché, parce que nous pensons que l'ouverture vers le payant est le coeur du marché de la TNT.

M. Serge HIREL, journaliste, la lettre A :

Le contrôle d'accès, selon M. Haddad, coûterait une vingtaine d'euros. Qu'en est-il de l'interactivité ? La loi ne prévoit d'ailleurs pas grand-chose en termes d'interactivité...

Je voudrais savoir d'autre part si M. Chetaille est d'accord avec son directeur général...

Enfin, les prochaines échéances électorales auront-elles un effet sur le calendrier de la TNT ?

M. Bruno CHETAILLE :

Oui, je suis d'accord avec mon directeur général !

Marc Renard a dit que, le cadre législatif réglementaire étant encore en cours de consolidation, et le cadre général étant tracé, comme l'a dit M. Le Bars, en novembre 2002, on est conduit à penser, compte tenu de la nécessité pour les éditeurs et distributeurs commerciaux de se mettre en position opérationnelle sur le marché, que le lancement opérationnel aura lieu en 2003.

J'ajoute qu'il a précisé que nous serions prêts à la date choisie par nos clients.

M. Joseph HADDAD :

Les coûts que j'évoquais intègrent bien la part interactivité.

Les travaux préparatoires de la loi du 1 er août 2000 ont beaucoup insisté sur l'interactivité dans le numérique terrestre. Si la loi ne dit pas l'interactivité, elle ne l'interdit pas ! Nous sommes donc dans le cadre de l'intention, c'est-à-dire de l'esprit de la loi.

M. Pierre LAFFITTE :

A mon sens, il est fondamental que l'interactivité soit très présente dans l'ensemble des chaînes hertziennes numériques terrestres. Il n'y a pas de raison d'affecter ce bien rare que sont les fréquences à des chaînes qui n'apporteraient pas ce "plus" qui est d'une importance fondamentale sur les plans sociologiques et sociaux. Pensons aux domaines de la formation ou de la télémédecine par exemple. Il ne s'agit pas d'avoir uniquement des fonctions de divertissement.

M. Yvon LE BARS :

J'ai bien cité les possibilités de services interactifs comme étant un des avantages de la télévision numérique terrestre !

Dans l'appel à candidature les services interactifs sont expressément prévus. La loi prévoit que les services de télévision peuvent être complétés par des services de communication autres que télévisuels. Le cadre juridique des services interactifs existe donc et nous pourrons les conventionner. C'est un progrès par rapport à ce qui existe sur le câble et le satellite.

M. Gérard GANACIA, cabinet de consultants E-Comedia :

Les huit critères précédemment cités par M. Yvon Le Bars sont-ils hiérarchisés ? Certains sont-ils plus importants que d'autres ? Leur prise en compte fera-t-elle l'objet d'une pondération ? Quelle transparence pour le marché dans la sélection des candidats ? Les pressions exercées aujourd'hui par certains grands acteurs n'auront-elles pas une certaine influence sur les choix ?

M. Yvon LE BARS :

Concernant la dernière question, je dirai simplement que le régulateur n'a nullement l'intention de se laisser influencer par les lobbies ou les pressions : il travaille dans le sens de l'intérêt général.

La loi n'a pas prévu de pondérer les critères. Il est cependant clair que certains d'entre eux sont moins importants que d'autres. Le critère de l'expérience, par exemple, n'est pas négligeable, mais il faut aussi laisser une place aux nouveaux entrants. En revanche, les critères économiques sont évidemment fondamentaux. Tous les dossiers seront examinés au regard des huit critères fixés par la loi et la synthèse sera faite au mieux de l'intérêt général.

M. Thierry GAINIÉ, Her-Bak Production :

Je suis producteur, j'exerce cette activité en Bretagne, et je m'interroge sur le financement des programmes des éditeurs, notamment au niveau local. Qu'en est-il de la libéralisation du marché de la publicité télévisée, de la suppression des secteurs interdits ?

M. Yvon LE BARS :

Cette question relève du gouvernement.

Le CSA, dans ses avis, a eu l'occasion d'exprimer tout d'abord son intérêt pour la télévision locale, domaine dans lequel nous avons pris un retard qu'il est important de rattraper.

Pratiquement toutes les télévisions locales aujourd'hui perdent de l'argent. Il y a donc toute une série d'interrogations sur leur financement. Le gouvernement prépare un rapport au Parlement sur cette question, en analysant les différents éléments de solution.

Pour ce qui nous concerne, nous avons exprimé notre souhait de voir se libéraliser le marché de la publicité, soumis à beaucoup de contraintes, en particulier pour aider au financement des télévisions locales.

M. Serge SURPIN, Satellifax :

Etant en contact régulier avec la clientèle potentielle de la TNT, j'observe que ses critères de satisfaction portent surtout sur la qualité de la réception, sur la portabilité, sur le « nomadisme ». J'ai l'impression qu'elle est moins intéressée par l'interactivité, par la possibilité de demander et de recevoir des informations ponctuelles ou des renseignement pratiques.

Par ailleurs, on dit que si certains grands groupes ne veulent pas aller sur la TNT, c'est parce qu'ils estiment que la diffusion par TDF est trop chère. Qu'en est-il réellement ?

M. Bruno CHETAILLE :

Le législateur a souhaité ouvrir à la concurrence le marché de la diffusion terrestre. Donc, si nos tarifs sont trop chers, d'autres pourront gagner des parts de marché... Cela dit, je ne crois pas que nous soyons trop chers : nos tarifs sont conformes à ceux pratiqués dans les pays européens qui ont déjà développé la TNT.

La compétition est donc ouverte, mais il faut savoir ce que recouvrent les tarifs avancés ici ou là. Ce qu'on peut retenir, c'est que la diffusion d'une chaîne numérique terrestre sera, à couverture identique, 8 à 9 fois moins chère que celle d'une chaîne analogique.

M. Jacques VALADE :

Je voudrais revenir d'un mot sur le sujet de l'interactivité, pour rappeler qu'elle ne se limite pas, comme on l'a dit tout à l'heure, à la possibilité d'obtenir des informations pratiques ou ponctuelles.

L'interactivité permet aussi le développement de services entièrement nouveaux et de nouveaux rapports entre les partenaires concernés ou éventuels et essentiellement avec le public.

C'est pourquoi, au Sénat, nous attendons du numérique de terre qu'il permette à la chaîne Public Sénat de mettre en place des services interactifs destinés bien sûr aux responsables des collectivités territoriales, mais aussi des services intéressant tout « l'espace citoyen » et en particulier le domaine de l'éducation, y compris l'enseignement supérieur au sens large du terme.

Ainsi entendue, l'interactivité peut et doit apporter beaucoup à la vie démocratique.

M. Serge SURPIN :

Si les normes ne sont pas encore définies, comment les industriels peuvent-ils prévoir d'être présents sur le marché, de fournir les équipements en quantité suffisante dès l'année prochaine ?

M. Joseph HADDAD :

L'aspect normatif est réglé. En ce qui concerne la disponibilité industrielle, nous serons quant à nous déjà présents sur le marché britannique dans les prochaines semaines.

M. Yvon LE BARS :

La question des normes est essentielle en matière de moteurs d'interactivité. Au sein du CSA un groupe de travail spécifique a été constitué pour comparer les normes possibles, pour recenser les demandes de fonctionnalités des différents éditeurs de services et donc voir comment l'offre pourra satisfaire la demande, sachant que le choix s'effectuera entre un nombre limité de normes.

Un autre groupe de travail étudie les problèmes de portabilité et un nouveau groupe de travail va être mis en place, à la demande d'ailleurs du Simavelec, pour étudier la question de l'adaptation des antennes.

*

* *

DEUXIÈME TABLE RONDE : QUE VEUT LE PUBLIC ?

M. Roland CAYROL, directeur de recherche à la Fondation nationale des sciences politiques, directeur général de l'Institut CSA

Nous avons réalisé le 16 janvier 2002 une enquête auprès d'un échantillon national représentatif d'un millier de personnes sur la position actuelle du public français vis-à-vis de la télévision et des offres possibles pour la télévision numérique terrestre.

- 74 % des Français nous disent qu'il n'y a pas toujours quelque chose d'intéressant à voir à la télévision et ils aimeraient bien avoir le choix, comme à la radio, entre des télévisions nationales et des télévisions locales par exemple (83 %) ;

- La télévision garde sa fonction de lien social : les émissions vues sont au centre des discussions collectives pour 72 % des personnes interrogées ;

- 32 % seraient d'accord pour payer plus cher la redevance ou un abonnement, à condition qu'il y ait moins de publicité.

Partant du constat de l'insatisfaction de 74 % des Français, nous nous sommes interrogés sur les points négatifs des programmes offerts.

On constate que deux genres, les séries et fictions françaises et les jeux, ne font pas recette. Sans doute est-ce parce que l'offre est suffisante.

En revanche, il semblerait y avoir un public important pour « tout le reste ».

Sur les documentaires et les programmes culturels qui arrivent au premier rang, avec 41 % et 34 % des demandes, ce sondage nous rappelle qu'il n'y a pas des publics, mais un public avec des goûts diversifiés exprimés à des moments divers. Cela ne signifie évidemment pas que les audiences des documentaires atteindront celles des films, cela veut dire qu'une majorité du public souhaite, à un moment ou à un autre, pouvoir regarder un documentaire, et qu'à ce moment là ce choix ne lui est pas proposé.

Précisons que ces demandes sont très « interclassistes » et intergénérationnelles : on peut donc bien parler des demandes du public en général.

- Presque 1 Français sur 2 (43 %) a déjà entendu parler de la TNT, objet qui pourtant n'existe pas encore. Mais seulement 13 % savent réellement ce dont il s'agit. Ces personnes réellement informées se trouvent en plus grand nombre parmi les diplômés, les cadres, mais aussi les plus jeunes, très intéressés par les nouvelles technologies.

Pour avoir accès à une dizaine de chaînes gratuites et à des chaînes payantes, 30 % disent être prêts à dépenser environ 1 300 francs. Cela illustre bien sûr l'appétence pour de nouveaux programmes, mais soyons prudents : seulement 8 % répondent un "oui" assuré, « oui certainement ». Ceux-ci sont d'abord les jeunes, mais aussi ceux qui sont déjà les mieux équipés en matière d'audiovisuel, les abonnés de Canal Plus, du câble ... Ce qui confirme l'adage selon lequel on laboure mieux un terrain déjà connu. Mais cela constitue à l'évidence un problème si la TNT est censée partir à la conquête... des autres.

- Sur les 30 % qui se disent prêts à s'équiper, 71 % d'entre eux (soit 21 % de l'ensemble des Français) seraient prêts à payer plus de 100 francs par mois pour la TNT, la moyenne étant de 185,50 francs - ce qui renforce l'impression d'une forte attente.

Qu'attend-on des progrès techniques à la télévision ?

Si la possibilité de recevoir des programmes sur son ordinateur n'intéresse que 8 % des Français, celle de bénéficier d'une meilleure qualité d'image et de son est citée par 28 % d'entre eux.

Mais le choix permis dans la composition (54 %) et dans les heures de diffusion des programmes (49 %) sont les vraies attentes fortes révélées par le sondage : le vrai progrès, en matière de télévision, ce doit décidément être le choix, enfin permis aux téléspectateurs.

Sur ces nouvelles chaînes, que voudrait-on voir ?

Cela est équitablement partagé entre "plus de chaînes thématiques" (47 %) et plus de "généralistes" (45 %). Il est nouveau que les chaînes thématiques fassent un aussi bon score de demande.

Les chaînes thématiques sont plébiscitées par 79 % des moins de 25 ans, et notamment par ceux qui sont les plus équipés et qui savent donc le mieux de quoi il s'agit techniquement.

Je conclurai en disant que nos données montrent un important appétit pour de nouveaux programmes qui seraient très variés, et offriraient une liberté de choix. Le coeur de cible demande d'abord des chaînes thématiques. Mais la connaissance réelle du phénomène TNT reste encore médiocre. Les communicants ont encore beaucoup de travail devant eux !

M. René TREGOUËT, sénateur, président du groupe de prospective du Sénat

Quelques observations concernant les résultats du sondage effectué par CSA et dont M. Cayrol nous a parlé : un chiffre peut « marquer », c'est quand la question suivante est posée : "Appréciez-vous la possibilité de recevoir les programmes de télévision sur un ordinateur ?". Seulement 8 % des Français sondés ont répondu "oui". Mais on aurait pu poser la question autrement et dire : "sur le même écran et avec la même convivialité qu'aujourd'hui, est-ce que vous vous préoccupez que cela passe par un tuner ou par un ordinateur ?". La réponse eût été certainement différente.

Cela signifie que, ce qui importe le plus aux consommateurs, c'est la finalité : ce qu'ils ne veulent pas, c'est être obligés de se mettre devant une machine qui leur rappelle d'abord beaucoup trop le travail ; ils tiennent avant tout à se détendre et à, si possible, ne pas se retrouver le soir chez eux devant un ordinateur, alors qu'ils y passent déjà une grande partie de leur temps dans le cadre du travail. On ne doit donc pas être surpris qu'il y ait seulement 8 % des Français qui répondent à la question telle que l'institut CSA l'a formulée.

Je crois ne pas me tromper en disant que le personnage le plus important dans toute notre problématique aujourd'hui, l'utilisateur, va faire des choix qui vont tenir compte de toutes les possibilités offertes simultanément par la montée en puissance de toutes les nouvelles technologies, et pas d'une seule parmi elle, la télévision. Nous en parlons depuis très longtemps, et nous y arrivons, il y a aujourd'hui convergence entre trois mondes qui ont marqué celui de nos parents et notre propre monde : celui du téléphone, celui du téléviseur et, plus récemment, celui de l'ordinateur. Ces mondes sont en train de se fondre. Je le vois dans les laboratoires que j'ai l'honneur de visiter un petit peu partout dans le monde.

Depuis quelques semaines arrivent sur le marché français de nouvelles cartes graphiques qui permettent à tout un chacun de voir très facilement la télévision et des films sur son ordinateur. De nombreux jeunes chargent ainsi sur leurs ordinateurs des films trouvés sur des sites américains et les visionnent en DVIX. Ils n'attendent pas leur sortie en DVD (dont nous sommes, à juste titre, si fiers en France ; le problème est que beaucoup de jeunes n'ont pas les moyens de s'en acheter quand bon leur semble).

Des habitudes sont ainsi prises, et notamment, ce qui est nouveau, la possibilité de se déconnecter totalement du temps. Il faut bien voir qu'à l'avenir les gens ne vont plus vouloir qu'on commande leur temps et qu'on en soit les maîtres. Or l'avenir, c'est aujourd'hui car vous pouvez d'ores et déjà, pour un prix modeste, gérer votre temps : je pense par exemple à la fonction « arrêt sur image » d'une émission de télévision en cours d'enregistrement avec la possibilité de regarder un programme en direct avec la souplesse du différé (c'est-à-dire « régler » un retard sur le direct avec sa télécommande, retard que l'on peut ensuite rattraper). De nouvelles libertés de visionnage des émissions annoncent un bouleversement de la façon de regarder la télévision.

Nous sommes donc à un virage. Il ne faut pas oublier que nous n'avons pas la capacité d'imposer au client nos desiderata, mais que c'est lui qui fera le choix. Il faut donc bien réfléchir avant d'agir et notamment en ce qui concerne la TNT. A ma connaissance 35 chaînes environ y seraient programmées alors que dans le même temps nous avons en France des propositions alternatives aux faisceaux hertziens. Je pense en particulier aux propositions satellitaires de qualité et fort concurrentes, sur lesquelles les téléspectateurs peuvent recevoir des centaines de chaînes.

Autre sujet de réflexion : l'équipement du câblage dans lequel nous avons pris un énorme retard par rapport à nos voisins, et particulièrement l'Allemagne où trente-cinq millions d'habitants peuvent accéder au câble contre 3,5 millions d'habitants chez nous. C'est un grave problème quand on sait que l'accès au haut débit sera aussi discriminant pour notre économie du futur que l'est aujourd'hui l'accès à la société consumériste.

Il faut donc que l'on soit bien clair devant les choix qui s'offrent à nous : soit nous choisissons des canaux qui ne vont permettre que l'accès à la télévision. Soit nous choisissons dès maintenant la complémentarité qui, elle aussi, grâce au large débit permettra, et sans limite, de disposer des spectaculaires possibilités offertes par la fusion des trois mondes dont je vous ai parlés. Il faut que les capacités publiques fassent un effort hors du commun dans ce domaine, pour pouvoir faire en sorte d'accéder de façon puissante au câble sur l'ensemble de France. Ce que je vous dis aujourd'hui, je l'ai fait dans mon département du Rhône qui a aujourd'hui la plus grande plaque optique de France et sur laquelle il va y avoir bientôt plus d'un million de personnes qui vont pouvoir se connecter. Même le plus petit village est maintenant alimenté en fibre optique.

Il y a d'un côté ce que l'on est capable de mettre aujourd'hui sur une seule fibre optique, et qui dépasse parfois l'imagination, et, de l'autre, les possibilités offertes par la TNT, et ses inévitables limitations techniques.

C'est du futur de nos concitoyens dont nous parlons et que nous devons préparer dans les meilleures conditions : il faut non seulement faire en sorte que le plus grand nombre d'entre eux puisse accéder aux loisirs, mais aussi qu'ils puissent, aussi et surtout, accéder aux métiers du futur.

M. Francis BALLE, professeur à l'université Panthéon-Assas

La réponse à la question de savoir ce que veut le public n'appartient qu'au public.

Les sondages sont là pour nous éclairer, mais je ne pense pas que M. Cayrol me contredira si j'avance qu'ils sont un peu infirmes, lorsqu'il s'agit de savoir quel accueil réserveraient les téléspectateurs à des émissions dont ils n'ont pas l'idée jusqu'à présent.

Tout le monde sait par ailleurs que c'est un grand risque de ne pas prendre de risques. Suivre l'audimat, c'est renoncer à innover, à surprendre, à dérouter, à étonner, voire à réussir. Conduire au sondage, c'est comme conduire au rétroviseur : on va dans le mur.

J'apporterai deux remarques concernant ce problème.

La première fait presque figure de loi. Le prix de la croissance pour tous les médias, c'est la diversité : la diversification, la spécialisation et la fragmentation du marché. Celle-ci, jamais, nulle part, n'a fait disparaître les généralistes, bien au contraire, ceux-ci ont aujourd'hui une position de navire amiral.

Durant ces dernières décennies, la télévision a brisé le carcan dans lequel on la croyait enfermée. Chaque fois, elle est allée vers plus de diversité, d'abondance et donc de thématisation.

Un premier pas a été franchi lorsqu'aux Etats-Unis la télévision a été en partie soustraite à la logique du marché privé, et que, symétriquement, la télévision en Europe a cessé d'être exclusivement sous monopole public.

Un deuxième pas décisif a été fait lorsque le câble et le satellite ont désenclavé la télévision hertzienne : on entrait soudain dans une ère d'abondance.

Nous assistons aujourd'hui au troisième pas qui conduit la télévision vers un "toujours plus" et un "toujours mieux" avec l'arrivée du numérique, grâce tout d'abord au satellite, puis au câble, et demain via le hertzien terrestre.

Le quinté gagnant est toujours le même : sport, cinéma, information, musique et programmes pour enfants.

Ma deuxième remarque concerne aussi tous les médias et fait aussi presque figure de loi : tous les médias passent par trois âges.

Le premier est celui de la fascination : on regarde tout, sans discrimination. C'est la période idyllique pour les diffuseurs.

Le deuxième est celui de la contestation. Les critiques se multiplient dans les médias et dans les enquêtes d'opinions, mais au fond les comportements changent assez peu, même si les sondages masquent un peu cet état de fait.

Le troisième âge, celui dans lequel nous sommes aujourd'hui, après la fascination et la saturation, est celui de l'accommodation. On établit un modus vivendi. Il reste que les gens regardent toujours globalement les mêmes programmes. Lorsque l'on a 20, 50 ou 500 chaînes, l'observation montre que c'est toujours autour d'une dizaine de chaînes que les choix s'opèrent.

Dans la situation française, quelle est donc l'offre optimale ?

Il y a dix ans, on invoquait des raisons économiques pour nous dire qu'il y avait une chaîne généraliste de trop. Aujourd'hui, on invoque des raisons techniques pour nous dire qu'il n'y en a pas assez. Ces discours extrêmes sont un peu inquiétants...

Le passage de l'analogique au numérique ne doit pas faire question : il est inéluctable et providentiel. On peut déjà deviner ce qu'il va nous offrir, mais il ne faut pas ouvrir un nouveau fossé numérique.

Il n'est pas illégitime de se questionner sur l'opportunité de lancer de nouvelles thématiques. Le législateur a tranché en ce qui concerne le secteur public, dont c'est le rôle d'être présent là où le marché est défaillant ou déficient.

Mais pourquoi à tout prix subordonner au lancement de nouvelles chaînes l'obligation qui doit être faite aux diffuseurs hertziens de migrer progressivement de l'analogique au numérique ? On associe là deux objectifs qu'il aurait fallu maintenir distincts : d'un côté la numérisation souhaitable des réseaux et de l'autre l'ouverture de nouvelles chaînes thématiques. Courir deux lièvres à la fois peut nous exposer à bien des déconvenues, des exemples passés peuvent le prouver, de même que la manière dont les choses se passent en Scandinavie, en Espagne ou en Grande-Bretagne.

En revanche, le numérique hertzien progresse sagement selon un calendrier presque respecté aux Etats-Unis, où il n'y a qu'un pilote : la FCC. En France, il y en a deux, plus Bercy qui tient les cordons de la bourse...

Dissocier les objectifs permettrait donc de clarifier ce que l'on veut : de l'Internet rapide ? de nouvelles chaînes thématiques ? des fréquences pour le téléphone ?

Peut-être donc devrait-on aussi clarifier les responsabilités respectives des diverses administrations dans la concrétisation des différents objectifs.

M. Patrick BALLARIN, directeur associé de Réservoir Prod

Nous sommes bien entendu tout à fait optimistes face à l'arrivée du numérique hertzien, qui nous paraît répondre à des attentes identifiées.

Nous avons la chance de côtoyer le public de près et la chance ou la malchance d'avoir la sanction des audiences tous les matins. Ces postes d'observation nous montrent que le public évolue de deux manières : à la fois vers une maturation et vers une sophistication des besoins ou attentes.

Les téléspectateurs font des choix, la fidélisation verticale depuis l'avant-journal de 20 h jusqu'au film de la soirée n'existe plus, nous devons nous accrocher à leur emploi du temps.

La contrainte éditoriale fait aussi que l'on ne peut plus tricher avec le public : si l'on veut qu'il revienne, il faut lui donner des produits de qualité et satisfaire ses exigences accrues.

Réservoir Prod produit des programmes dits "de société", des émissions très participatives, qui évoquent des problèmes réels de la vie quotidienne de la manière la plus authentique possible. Une émission comme "Ça se discute" a maintenant huit ans d'existence et ses audiences restent toujours aussi élevées.

Que peut apporter la télévision numérique terrestre à ces attentes et au besoin de lien social exprimé par les fortes audiences des émissions de société des chaînes généralistes ?

Elle permettra l'interactivité : on parle de consom-acteur, de télé-acteur, des téléwebbers, etc.

Grâce à elle, les gens pourront satisfaire leur besoin de participation, même si l'on ne sait pas encore à quel point.

Elle permettra la diversité. La télévision est actuellement un marché régi plus par l'offre que par la demande. Il y a bien sûr de fortes contraintes économiques et éditoriales, mais le téléspectateur français n'est pas différent du téléspectateur italien ou allemand, alors que notre offre de programmes est bien moins fragmentée. Le câble et le satellite offrent cette diversité, que ne pourra pas offrir la TNT, mais leur rapport qualité-prix montre clairement ses limites pour satisfaire la majorité de la population.

La TNT apportera gratuitement à tous les téléspectateurs français la diversité à laquelle ils aspirent.

On peut caractériser la naissance de la télévision numérique comme l'étape du passage du train à vapeur au train électrique : ce dernier est resté un bien collectif et n'a pas empêché les avions de voler.

Trois segments de marchés vont répondre à des attentes différentes. Des chaînes généralistes qui ont encore de beaux jours devant elles, des chaînes thématiques qui répondent à des besoins et des centres d'intérêts individualisés, et enfin des chaînes qui, soit seront adossées à des généralistes gratuites, soit seront totalement nouvelles.

Sans synergies avec des chaînes généralistes, ces dernières devront renoncer à l'information générale, au sport et aux fictions lourdes : il leur reste les séries, les documentaires, les reportages, les magazines de services, les spectacles, les arts, la culture, etc. ; il y a largement de quoi faire pour atteindre des objectifs d'audience économiquement satisfaits. Il s'agit d'offrir des programmes à des cibles comportementales qui ont besoin d'horaires décalés et de diversité de choix, qui seront des expansions des lignes éditoriales des chaînes généralistes ou des lignes éditoriales trop segmentantes pour figurer à l'heure actuelle sur les chaînes généralistes, ceci notamment pour les 15-34 ans.

Chez Réservoir-Prod, nous avons choisi de développer un projet dit « de société », d'accompagnement, dans lequel figurera un maximum d'interactivité et de participation des téléspectateurs. Cette chaîne aura une audience qui s'interprétera de manière globale, en incluant systématiquement celle provenant des déclinaisons sur le net ou des services interactifs.

Notre ligne éditoriale tentera de répondre à la fois à des besoins de lien social et de découverte.

Les maisons de production telles que la nôtre sont de moins en moins nombreuses sur le marché qui, comme tous les autres, connaît des phénomènes de concentration et de mondialisation.

Parmi les producteurs indépendants, nous sommes un des rares à exporter des formats originaux à l'étranger. La production indépendante doit pouvoir répondre aux attentes du public, et la télévision numérique de terre constitue une formidable opportunité de croissance pour ce secteur.

M. Claude BERDA, président-directeur général de AB Groupe

La révolution que nous allons vivre est une chance historique que j'assimilerai à celle de 1789... Pourquoi ? Parce qu'elle représente la fin des privilèges. Si l'on compare le paysage audiovisuel français à celui des autres pays européens, on pense au petit village d'Astérix, le côté sympathique en moins. En effet, 80 % de la population ne reçoit que cinq chaînes, dont trois publiques, et deux privées, filiales de groupes qui sont, pour l'un, un groupe étranger qui vit de concessions de service public et, pour l'autre, une société qui vit de travaux publics et de construction d'autoroutes. Nous sommes loin de la télévision...

En 1996, j'ai décidé de créer mes propres services de diffusion. Au bout de 5 ans, notre groupe a maintenant une vingtaine de chaînes, dont presque aucune, excepté RTL9 que nous avons rachetée en avril 1998, n'est dans le service basique. Pourquoi ? Simplement parce que nous n'avons pas de réseau câblé et que nous ne pouvons pas échanger nos chaînes sur le basique contre d'autres sur ce même basique. Ces chaînes, donc, "n'existent pas", mais font tout de même 15 % d'audience, grâce à la volonté de certaines personnes de passer tout de même au numérique.

Le câble est un échec considérable. Sur les 4,5 millions de foyers qui pourraient, sur un simple coup de téléphone, être connectés au câble, il n'y en a que 1,8 million qui sont réellement connectés. Nous avons des ingénieurs formidables, mais les qualités marketing et commerciales semblent insuffisantes, même si, depuis quelque temps, les câblo-opérateurs changent d'attitude et considèrent la distribution des chaînes comme une activité normale, où l'on doit naturellement solliciter le client.

La manière dont AB Sat a démarré illustre bien l'univers kafkaïen que l'on risque de revivre avec le démarrage de la télévision numérique terrestre.

Quand j'ai décidé de démarrer le satellite avec le groupe que je dirige, je suis allé voir France Télécom pour leur demander de louer deux satellites. Sans raison, j'ai essuyé un refus de vente. Je suis donc allé chez Belgacom : je suis aujourd'hui le seul Français à louer des satellites belges. Je verse 50 millions de francs français par an à Belgacom.

Quand j'ai voulu acheter des décodeurs, je suis allé voir Philips, Sagem et Thomson qui m'ont vaguement répondu que cela leur était impossible. La raison de ce refus venait du fait qu'ils fournissaient déjà TPS et Canal Plus. Au lieu de déposer une plainte qui aurait abouti en 2012, j'ai décidé de faire fabriquer moi-même des décodeurs en Chine et de faire abriter mes chaînes sur les autres bouquets. C'est comme cela que nos 20 chaînes existent.

Il se trouve que le hasard de mes pérégrinations m'a conduit à acheter une chaîne en Allemagne. Tout le monde y reçoit 43 chaînes, c'est un bien que l'on propose aux populations. Notre chaîne musicale y compte plus de 11 millions d'abonnés.

Par l'intermédiaire de partenaires locaux, j'ai obtenu en Belgique une concession nationale pour une chaîne qui s'appelle AB3, qui atteint aujourd'hui 6 % de part de marché. Je signale que la totalité des foyers belges est câblée, et que nous y sommes en concurrence avec les chaînes belges et la totalité des chaînes françaises. Notre chaîne est financée par la publicité et sera équilibrée début 2003, parce que la seule question qui nous préoccupe est : "qu'est-ce qui intéresse le public" ? Je suis allé dans un kiosque à journaux et j'ai regardé les plus grosses piles : j'ai remarqué que les gens étaient intéressés par les voyages, par le sport, la chasse, la pêche, la musique, etc. J'ai donc travaillé sur des chaînes thématiques, qui peuvent parfaitement vivre si elles sont correctement distribuées.

On parle aujourd'hui de mettre à la disposition des Français les moyens d'avoir plus d'information, par quelque canal que ce soit. C'est donc un devoir civique de cette haute Assemblée que de mettre à disposition du peuple des moyens de communication disposés de manière égalitaire entre les participants. Les kiosques à journaux ont obligation de faire apparaître tous les journaux de manière égalitaire : cela n'existe pas en télévision.

La TNT est un moyen formidable aujourd'hui de laisser des indépendants présenter au public les services qu'ils veulent lui proposer. Après seulement intervient la sanction du marché, même si cela doit être soutenu par un service public fort.

Il est indispensable que la TNT puisse exister et qu'une large partie soit consacrée à des chaînes gratuites car la télévision est un bien public.

M. Patrick LELEU, président-directeur général de Noos

Il y a différentes manières d'atteindre les objectifs démocratiques soulignés par Claude Berda. Noos s'attache ainsi particulièrement à trois critères de choix fondamentaux relatifs à ce que veut le public : la qualité de l'offre, la clarté de l'offre et le prix.

La qualité de l'offre s'exprime en tant qu'adéquation de celle-ci aux centres d'intérêts des clients. Ceux-ci demandent contenus et diversité. Les thèmes les plus demandés sont, en ordre décroissant, le cinéma (64 %), le documentaire (47 %)-- avec la variété de thèmes que cela recouvre, et qui se consomme différemment au long de la vie, le sport (37 %), l'information (37 %), puis un décrochage vers tous les thèmes auxquels on peut penser, dont la jeunesse.

Nous offrons donc 13 chaînes cinéma, 12 chaînes documentaires, 8 chaînes de sport, 11 chaînes d'information, plus des éléments dérivés. Avec la distribution de plus de 145 chaînes et services interactifs, nous avons la faiblesse de penser que le compte y est. Ce n'est donc pas là que se situe le goulet d'étranglement, si ce n'est que l'observation de la consommation de l'Internet haut débit, tellement différente de la consommation télévisuelle, nous montre que les générations montantes nous réservent des surprises.

La clarté de l'offre, en revanche, pose un problème.

Les clients actuels du câble apprécient la liberté et la souplesse. Noos leur dit qu'ils ont le choix et qu'ils peuvent en changer autant qu'ils le veulent. Cela est fidélisant et valorisant, mais ne correspond qu'au segment de clientèle qui existe déjà aujourd'hui.

Un deuxième segment de clientèle est composé d'un ensemble de personnes qui ne se sentent pas à l'aise dans le choix, qui n'ont pas encore fait le pas vers la télévision payante, parfois parce qu'elle est trop chère. Nous allons mener un certain nombre d'initiatives de façon à guider cette catégorie de clientèle vers la télévision payante, en lui préparant des choix ciblés.

Le troisième critère de sélection est le prix. Nous considérons que le budget prévisionnel mensuel par foyer est de 25 € par foyer parisien et de 20 € par foyer de province, à savoir les grandes villes de province. Ces estimations concernent des revenus de 3 000 €. Aujourd'hui, nos clients dépensent a minima 37 € pour 15 chaînes de qualité qui vivent bien du point de vue économique. Il faut bien entendu choyer ces clients, mais également aller vers les segments suivants, ceux de 20 à 25 €.

Ces constatations pécuniaires peuvent expliquer les tensions qui sont apparues entre les câblo-opérateurs et les éditeurs de chaînes. Il faut se préparer à un univers fondé sur un prix nouveau.

Cela nous rapproche de la TNT : en dispersant les moyens de distribution, va-t-on aboutir à une meilleure efficacité économique, qui demande au contraire de la concentration ?

Comment voyons-nous donc l'évolution de l'offre dans un futur un peu plus lointain ?

La personnalisation de la télévision est une tendance très forte : on veut consommer le programme que l'on veut, quand on veut. Internet fait, de ce point de vue, un travail énorme pour montrer que cela est possible : le monolithisme des chaînes va s'en trouver ébréché, nous devons en tenir compte.

La norme IP qui triomphe sur Internet va finir par avoir ses déclinaisons sur la télévision, ou bien celle-ci va être obligée de s'adapter. Dans cette grande convergence téléphonique, peu importe le support, pourvu que l'on ait l'ivresse.

Dans cet environnement, la TNT va être un concurrent redoutable. Il va y avoir une telle emphase médiatique sur cette révolution que cela va marquer les esprits et les éditeurs vont mettre des budgets publicitaires considérables. Tout cela va formater les repères de nos clients face à la télévision.

Mais c'est aussi un tigre de papier : une offre étroite de 36 chaînes déterminées ne peut aller vers ce besoin de variété des clients.

Il y a, de plus, des choses qu'il ne faut pas faire, comme tuer un paysage au nom d'une nouveauté, qui demeure néanmoins indispensable. Pour assurer le succès de la TNT, on compte beaucoup trop sur le câble ce qui semble une mauvaise inspiration globale. Nous luttons donc techniquement contre un décret « must carry ».

Mais ceci n'est que l'écume des choses : il reste deux principales erreurs à éviter.

La première serait de détruire définitivement la tolérance du public à l'idée de payer la télévision.

La seconde serait de mettre un distributeur déjà puissant, lié à un groupe d'édition, en position dominante de contrôle sur deux des trois réseaux de distribution.

M. Jean DRUCKER, président du Conseil de surveillance de M6

Je commencerai par deux remarques relatives aux résultats du sondage qui vient de vous être commenté par Roland Cayrol. Ce sondage met en évidence le manque d'intérêt a priori du public, ce qui est normal car le sujet est aride et un peu mystérieux pour la plupart des gens.

Cela montre aussi qu'en l'absence de toute pression de l'opinion, on peut aborder tranquillement et sans hâte le dossier du numérique terrestre.

On apprend, d'autre part, que les gens n'ont pas très envie de payer, ce qui semble être une contradiction habituelle. Plus de programmes oui, payer non.

Par ailleurs, je voudrais indiquer clairement qu'à mes yeux, le problème n'est pas celui du numérique, technologie qui s'impose, mais bien celui des conditions du lancement du numérique terrestre.

Un coup d'oeil en arrière nous incite à l'humilité et à la prudence. Notre système de communication et notre télévision ne sont pas si mauvais, mais certaines bévues du passé doivent nous inciter à faire très attention avant de lancer un grand projet. Faut-il rappeler le plan câble, le lancement des satellites TDF1 et TDF2, la mort de la Cinq...

Regardons les expériences étrangères puisque en Europe, trois pays se sont lancés avant nous.

On s'aperçoit que ni en Suède, ni en Espagne, ni en Grande Bretagne, le succès n'est au rendez-vous. Cela ne signifie pas que l'idée n'est pas bonne, mais que les conditions de lancement n'étaient pas optimales.

Tirons donc méticuleusement les enseignements des expériences déjà en cours dont on voit qu'elles sont aujourd'hui des échecs.

N'oublions pas que le paysage audiovisuel français, qui a une histoire houleuse a, au bout de quinze ans, trouvé un équilibre, mais que celui-ci est fragile ; rien ne doit être fait qui conduirait à le compromettre.

Il faut donc être précautionneux.

Il y a trois segments qui sont solidaires.

Celui dont on parle le plus mais qui paradoxalement pose le moins de problèmes : l'attribution des canaux. La loi dresse le cadre, nous connaissons la feuille de route du CSA, il y aura des candidats, des reçus et des recalés.

Mais je ne suis pas sûr que l'amont et l'aval soient balisés.

En amont le numérique soulève des problèmes techniques, en particulier celui de l'initialisation. Or dans ce type de projet l'équipement est un point décisif.

En aval, la grande question est de savoir qui commercialise. Qui va prendre en charge, et dans quelles conditions, le soin de transformer une belle technologie en un grand succès commercial, ceci bien entendu en évitant que les deux bouquets et le câble fassent les frais de cette initiative nouvelle. Cette délicate question n'est pas tranchée.

Débat avec la salle

M. Michel LAMARQUE , président de TVPI

Roland Cayrol indique qu'un des points fondamentaux de l'intérêt du téléspectateur se trouve dans les programmes d'intérêt local, et personne n'en a parlé.

Or, on n'a trouvé en France que dix fréquences hertziennes analogiques pour faire de la télévision locale. Il y en a trois cents en Espagne. Comment peut-on emprisonner l'expression de cinquante millions de non-parisiens dans une technologie qui, d'après M. Chetaille, va mettre dix ans à s'initialiser ?

M. Jean-Claude LARRIVOIRE

Je sais que le Président du Conseil supérieur de l'Audiovisuel est très attaché à la télévision locale et régionale, il en parlera certainement cet après-midi.

M. Philippe BAILLY , cabinet NPA Conseil

On nous dit que sur les 150 chaînes distribuées par câble ou par satellites, beaucoup ont une audience médiocre ou pas d'audience du tout. Mais peut-on dire pour autant qu'avec une trentaine de chaînes on peut répondre aux besoins de 80  % des Français ?

M. Jean DRUCKER

Je suis un ardent partisan d'une offre abondante. Nous avons d'ailleurs, à côté de la chaîne M6 développé d'autres chaînes dont certaines sont déficitaires. Je dis simplement que ça n'est pas qu'une question de pluralisme, mais il faut financer ces chaînes : ou elles le sont par la publicité, ou bien elles sont suffisamment attractives pour que les gens veuillent s'y abonner. Je ne dis pas autre chose et je rappelle aussi que trois heures vingt-neuf de consommation de télévision par jour, c'est déjà énorme.

Mme Corinne DUCREY , présidente d'ETV MEDIA

Nous travaillons sur un projet avec une approche uniquement "public".

Nos études nous ont fait découvrir que les seniors et les plus de 50 ans, dont on n'a pas du tout parlé ce matin, ne sont pas satisfaits, à plus de 80 %, de l'offre actuelle de télévision. Ils sont pourtant aujourd'hui plus de 18 millions de personnes, et ce nombre ne fera qu'augmenter. Mais c'est une simple observation qui n'appelle pas de réponse. La question que je me pose, en revanche, c'est s'il y aura vraiment des nouveaux entrants sur la télévision numérique terrestre.

M. Claude BERDA , président-directeur général de AB Groupe

Je voudrais dire simplement que nous ne corroborons pas votre observation. Ce que nous observons, nous, c'est que nos clients de plus de 50 ans s'estiment bien servis par le choix qui leur est offert.

Et je ferai une autre observation. Qui sont « les enfants de la télé » ? C'est notre génération, les plus de 50 ans, et ils sont assez satisfaits du paysage audiovisuel actuel. Et je dirais qu'il faut davantage se préoccuper de la génération montante, qui n'a pas les mêmes repères, qui prend sur le Net des habitudes de consommation différentes, et que nous négligeons parce que nous ne regardons que notre génération, celle des « enfants de la télé ». Les adultes de la télé sont devant nous.

Fin des débats de la matinée

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TROISIÈME TABLE RONDE : QUEL MODÈLE ÉCONOMIQUE ?

M. Jean-Claude LARRIVOIRE

Nous avons déjà parlé ce matin d'économie, mais nous allons, au cours de cette troisième table ronde, nous interroger sur le modèle économique des nouvelles télévisions et de la TNT. Et je voudrais, en donnant la parole au sénateur Henri Weber, l'interroger sur la viabilité économique de la TNT et son intérêt.

M. Henri WEBER, sénateur

Intérêt et viabilité, je crois que c'est bien ainsi qu'il faut poser la question, car la politique est l'art de rendre possible ce qui est souhaitable.

Il est souhaitable de faire bénéficier nos concitoyens de la supériorité de la diffusion numérique exposée largement par les orateurs précédents. Il est également souhaitable d'en finir avec cette spécificité française peu glorieuse qu'est la pénurie de chaînes. Il est souhaitable enfin de favoriser l'arrivée de nouveaux entrants, pour "desserrer" cet oligopole qu'est le marché de l'audiovisuel français : les fournisseurs des hypermarchés de la grande distribution sont dans un meilleur rapport de force que celui des producteurs audiovisuels face aux 4 ou 5 diffuseurs qui constituent leurs débouchés. Une des préoccupations de la loi d'août 2000 est d'ailleurs d'élargir le marché pour essayer de conforter l'industrie française des programmes.

Comment rendre possibles ces trois objectifs essentiels ?

Manifestement, le recours au satellite et au câble pour passer à la diffusion numérique ne suffit pas. En effet, si elle a ainsi atteint huit millions de foyers, 75 % des Français refusent aujourd'hui de payer les 37 euros mensuels nécessaires.

La TNT permet, dans un premier temps, d'instituer 33 chaînes, dont la moitié gratuite.

Mais à quelles conditions économiques cela peut-il fonctionner ?

Je vois trois conditions : le succès de la TNT tient à un coût modique, une offre attractive et une organisation maîtrisée de ce marché.

Il s'agit en effet tout d'abord d'une question de coût. Quelque 75 % des foyers refusent de payer les 37 euros mensuels nécessaires pour s'abonner à un bouquet supplémentaire. Il faut donc que la rémunération qu'exige la TNT soit inférieure à cela. Si la question du coût de l'équipement technologique, entre 1 070 et 1 083 euros, a pendant longtemps constitué un frein, il n'en est plus de même aujourd'hui : des équipements accessibles existent, qui ne nécessitent qu'un investissement raisonnable consenti une fois pour toutes.

Une autre condition est celle de l'attrait qui pourrait être remplie si, sur les 33 chaînes, une bonne moitié était gratuite. Tel est l'état d'esprit du législateur dans la loi d'août 2000 qui s'efforce de favoriser le développement de l'offre de service public (dans l'immédiat, au moins huit chaînes) et d'une offre gratuite. On observe d'ailleurs que les éditeurs de chaînes se pressent au portillon en manifestant même une certaine impatience.

La loi prévoit aussi que soit mis fin à une autre spécificité française peu glorieuse : la grande pénurie de chaînes locales, régionales et de proximité. Nous savons pourtant que la demande est forte, et en particulier pour les programmes de proximité.

Ensuite, la question du financement de ces chaînes se pose. Une discussion devra donc porter sur l'élargissement du secteur de la publicité et sur la création de fonds de soutien, comme cela avait été fait pour les radios libres. Les entrepreneurs estiment que le marché français de la publicité est retardataire par rapport à ceux des pays européens comparables, qu'il peut certainement encore doubler et donc financer des chaînes gratuites.

La dernière condition est la prudence et la sagesse pour organiser ce marché.

Le spectre de certaines catastrophes passées dans ce domaine a été évoqué, mais il y a ici des différences. Ce projet est basé sur une technologie parfaitement maîtrisée et sur un produit parfaitement normalisé en France et au niveau européen, sur des investissements relativement faibles, comparativement à ceux du câble ou de l'UMTS par exemple, puisque avec 2 milliards de francs, on couvre 85 % du territoire par TDF, la montée en charge étant progressive.

Nous pouvons de plus prendre des mesures en tenant compte des expériences précoces. La France étant la dernière à légiférer, profitons au moins des avantages de cet inconvénient, en tirant les enseignements de la situation de nos voisins scandinaves, espagnols et britanniques. L'expérience de ces derniers nous apprend notamment qu'il nous faut maîtriser les données de la concurrence. Si la TNT a été un succès en Grande-Bretagne avec un million d'abonnements en trois ans, les conditions de dumping pratiquées par l'auteur de cette performance commerciale l'ont mené au bord du dépôt de bilan. La question du distributeur commun unique, étudiée dans le rapport Gallot, est ainsi primordiale.

L'expérience scandinave nous enseigne également que si l'offre n'est pas attractive, nous allons vers l'échec. En France, nous avons 6 multiplex, ce qui devrait nous inciter à veiller à ce qu'ils soient bien remplis : c'est le rôle du CSA.

Dernier point, il faut faire en sorte que TNT, câble et satellite soient non pas dans des logiques de concurrence, mais bien de complémentarité. Ce qui est sans doute plus facile à dire qu'à faire. Une négociation entre les différents acteurs sous l'égide de l'Etat pourra permettre d'y parvenir.

Je suis finalement confiant dans la réussite de ce projet et nous allons rendre possible ce qui est éminemment souhaitable.

Me Laurent COHEN-TANUGI, avocat associé du cabinet Cleary, Gottlieb, Steen & Hamilton, administrateur de la chaîne Public Sénat

La TNT s'inscrit dans une longue série de mutations de la télévision dont elle n'est à mon sens pas le développement le plus révolutionnaire, sur le plan tant économique que technologique.

Elle est cependant un enjeu politique, social et culturel majeur, susceptible de modifier à nouveau le paysage audiovisuel. Elle signifie en effet la généralisation et la démocratisation du numérique, l'accès du grand public à la qualité du son et de l'image, à l'interactivité, l'accès des chaînes à une audience de chaînes généralistes et enfin de nouveaux débouchés pour la production.

Mais la TNT représente une équation économique complexe car elle arrive après le câble et le satellite et participe à la fois de la télévision gratuite et de la télévision payante.

Parmi les aléas économiques de la TNT, nous trouvons tout d'abord l'incertitude sur la demande, liée au coût pour le téléspectateur. L'existence du câble et du satellite affecte également cette demande, de même que, convergence oblige, l'arrivée du haut débit.

La TNT représente également un pari économique sur le moyen terme. Pour les éditeurs de chaînes, les coûts de diffusion seront élevés par rapport aux recettes escomptées. Pour les chaînes gratuites, la publicité n'arrivera en effet que lentement, compte tenu de la lenteur de l'initialisation de l'audience. Les chaînes payantes seront, quant à elles, soumises au phénomène de la tendance baissière de la redevance moyenne par abonné que l'on constate déjà sur le câble et le satellite.

Pour les distributeurs commerciaux, la TNT signifie de lourds investissements en terminaux et en promotion commerciale, et un certain nombre d'inconnues. Quelle sera l'attractivité commerciale des chaînes payantes choisies par le CSA ? Quelles seront les conditions de distribution : y aura-t-il un ou plusieurs distributeurs ? Quelles seront les contraintes imposées sur leur capital, leurs biens et leurs autres activités ? Quel sera le positionnement de la TNT par rapport aux plates-formes concurrentes ?

Les dispositions législatives et réglementaires ont un impact important sur un certain nombre de ces questions.

En ce qui concerne les éditeurs, un certain nombre de pas ont été faits pour favoriser le décollage de la TNT, notamment la montée en charge progressive des obligations de production et de diffusion, l'assouplissement de la règle des 49 %, mais la libéralisation de la publicité télévisuelle demeure un enjeu important pour la viabilité des chaînes en clair.

Pour les distributeurs, les choses sont plus ouvertes. La loi reste elliptique sur la distribution commerciale. Dans l'attente du rapport Gallot, la question-clé est de savoir si leurs négociations avec les éditeurs choisis par le CSA seront placées sous le signe de la liberté contractuelle ou dominées par la réglementation.

Pour conclure, deux éléments paraissent déterminants pour le succès de la TNT :

- d'une part, la nécessité d'une approche souple et pragmatique de la réglementation de cette économie émergente, afin d'en favoriser le démarrage sur le moyen terme. Au-delà d'un certain nombre de choix politiques, la sagesse est, dans un premier temps, de laisser faire le marché, quitte à corriger ensuite les dérives constatées.

- d'autre part, la nécessité d'une complémentarité entre l'offre payante de la TNT et les offres existantes du satellite et du câble, afin d'éviter les déboires connus par la TNT à l'étranger et de ne pas déstabiliser les équilibres existants.

M. Jérôme SEYDOUX, président du Conseil de surveillance de Pathé, président de l'Association pour la télévision numérique

La TNT présente la caractéristique d'être une espèce de cocktail. On y retrouvera tous les opérateurs actuels de la télévision, avec en plus des nouveaux. Or ils n'ont jamais travaillé tous ensemble, et il faut ici que tout le monde le fasse, chacun tirant néanmoins sa carte.

Il y a donc forcément plusieurs modèles économiques, puisque chacun a le sien, différent de celui des autres. Quoi qu'il en soit, pour que chacun réussisse, il faut que l'ensemble fonctionne.

Observons donc les problèmes communs.

Si l'on n'a pas une couverture hertzienne suffisante, le système ne fonctionnera pas.

Il faut par ailleurs que cette couverture soit homogène : pour qu'un bouquet puisse être reçu, il faut que toutes les chaînes du bouquet puissent être reçues dans des conditions comparables.

Il faut aussi l'équipement adéquat. Celui-ci pourrait ne pas être trop cher, mais il faut aussi que, commercialement, il soit facile à trouver. Celui qui veut le trouver ne doit pas avoir à faire le parcours du combattant, comme cela peut être le cas pour obtenir le câble chez soi, selon l'endroit où l'on demeure.

Aucune condition particulière ne fera que nous allons mieux fonctionner que d'autres. C'est l'ensemble des paramètres qui doit être résolu, un à un, pour que le système fonctionne de manière globale et que chacun trouve la possibilité de réussir économiquement.

Comme l'a toujours été la télévision, la TNT est un pari, et ce n'est pas le plus difficile.

M. Marc André FEFFER, vice-président du directoire du groupe Canal Plus

Je voudrais tout d'abord démentir les propos que le Figaro nous a prêtés ce matin concernant le changement de standard. Ces questions sont trop sérieuses pour faire l'objet de batailles de communiqués. Nous en discutons avec le CSA et le ministère de l'Industrie, mais nous n'avons, à ce jour, pas changé de position. Nous mesurons ces standards à leur capacité de fonctionner, à leur disponibilité et bien entendu à leur coût.

S'agissant du développement de la télévision numérique terrestre, je résumerai la problématique économique en deux temps.

Nos voisins n'ont pas trouvé, loin s'en faut, un équilibre ou un modèle économique. La question est de savoir si nous sommes tellement meilleurs... C'est le souhait que je forme, mais l'examen du paysage environnant laisse un peu perplexe.

En Grande-Bretagne, ITV Digital est un vrai succès commercial, mais les actionnaires vivent une catastrophe : ils ont déjà dépensé plus de 1,5 milliard d'euros et l'ardoise doit encore s'allonger. C'est un grand sujet d'inquiétude pour les entreprises et le gouvernement britanniques, qui essaient maintenant de trouver un modèle de développement différent.

En Espagne, sans être négligeable, le succès est moindre. Mais là aussi, sur le plan économique c'est une véritable ruine pour la société Quiero TV. Un certain nombre de repreneurs sont évoqués et d'autres solutions sont envisagées.

Comment ont-ils pu en arriver là ?

Dans les deux cas, les gouvernements ont désiré radicalement exclure les opérateurs de télévisions à péage existants. Pour des raison de droit de la concurrence, on a interdit de faire à ceux qui savaient, et l'on a demandé à ceux qui avaient envie de faire de se lancer, alors qu'ils ne savaient pas faire. En caricaturant un peu, c'est ainsi que les choses se sont passées. Il en est résulté un climat de concurrence féroce où tout le monde s'est ruiné.

On peut aussi considérer, au moins en Espagne, une certaine faiblesse de l'offre proposée aux abonnés.

Comment pouvons-nous tirer des leçons de ces échecs, dans les différents domaines et par rapports aux différentes économies auxquelles Jérôme Seydoux faisait allusion ?

Posons quelques questions.

En ce qui concerne les éditeurs, posons la question de l'économie et des recettes des nouveaux entrants qui vont se mettre sur le marché du clair, donc sur le marché publicitaire, alors qu'aucun foyer n'est encore aujourd'hui initialisé. Cette économie du clair en numérique terrestre sera particulièrement tendue.

Au chapitre des dépenses, nous devons examiner le coût de la diffusion. Un coût de diffusion supplémentaire peut être absorbé dans l'économie d'une grande chaîne. Mais il en est tout autrement pour des petites chaînes thématiques existantes ou, a fortiori , pour des nouveaux entrants. Par rapport au satellite, le coût de diffusion est en effet fortement multiplié. Les tarifs proposés aujourd'hui par les opérateurs existants sont préoccupants par rapport à l'économie de ces chaînes. Il sera donc nécessaire de baisser les tarifs ou d'introduire plus de concurrence sur le marché.

On peut aussi se demander si la couverture proposée est bien adaptée. On parle de 110 émetteurs pour couvrir 85 % de la population or, selon nos calculs, 60 émetteurs suffiraient pour couvrir 82 % de la population, tout en réduisant de moitié les coûts de diffusion. Cela mérite débat.

Venons-en à l'économie de la distribution.

Il faut un ou deux distributeurs pour mettre à disposition des terminaux, pour faire le marketing de l'offre, pour résoudre les problèmes commerciaux et techniques, qui sont très nombreux.

Ces distributeurs doivent faire un investissement de base relativement important. Les prix annoncés des décodeurs signifient un investissement et un risque d'entreprise minimum de 200 à 300 millions d'euros.

Que faut-il donc pour se lancer avec un minimum de confort ?

Un bouquet attractif : le CSA ne devra pas se tromper dans ses choix commerciaux.

Un schéma de complémentarité avec le câble et le satellite : une concurrence frontale nous mènerait tous à la ruine.

Il faut, enfin, donner au(x) distributeur(s) une certaine souplesse par rapport à une application trop rigide des règles de concurrence.

M. Philippe LABRO, consultant de Bolloré Média

Tout ce qui a été dit ici jusqu'à présent concernant cette aventure est partagé par notre groupe.

Pourquoi vouloir faire partie des nouveaux entrants ?

Bolloré est un groupe français, à forte croissance, un groupe entrepreneurial avec un contrôle familial majoritaire et des activités plurielles, dont la conduite l'a mené à s'intéresser à l'audiovisuel.

La TNT est un facteur de pluralisme : plus de chaînes pour plus de français signifie plus d'opérateurs, plus d'expression, plus de tendances, si possible diverses, nouvelles et inédites, d'où notre candidature dans un domaine dont nous savons tous qu'il a dominé la deuxième moitié du 20 ème siècle et qu'il sera un des grands acteurs du 21 ème .

Ce groupe sait de plus viser le long terme, ce qu'offre la TNT. La rentabilité à court terme n'est pas ce que l'on doit rechercher.

Pour entamer cette démarche, nous avons bien entendu fait les constats qui ont été depuis le début de nos échanges énumérés : le marché de la télévision gratuite est un marché concentré, voire verrouillé ; la télévision payante ne constitue pas la seule solution aux demandes des Français ; le pari du câble et du satellite est incomplet.

La TNT nous a semblé le mode de diffusion le plus facile d'accès et le plus disponible auprès de la population, des spectateurs, pour qui la télévision est finalement faite. Ils attendent la TNT sans le savoir.

Il faudra donc utiliser le faire-savoir : plus nous informerons de l'intérêt de cette offre, plus nous pourrons envisager cette aventure comme un succès.

Nous connaissons l'économie pour les chaînes gratuites : le marché publicitaire est tendanciellement en croissance et la France sous-investit encore en publicité. La TNT contribuera à la croissance de ce marché. Certains annonceurs qui n'ont pas aujourd'hui les moyens d'acheter des campagnes sur des grandes chaînes généralistes verront s'ouvrir peut-être d'autres possibilités.

Il est vrai cependant que c'est un pari, que l'initialisation sera lente, que le retour sur investissement sera long. Un nouvel entrant doit accepter cela, et donc posséder et justifier une surface financière solide, stable et durable.

Les incertitudes justifient aussi que les entraves à la réussite du projet puissent être levées. Ainsi sont nécessaires l'accès à des secteurs interdits à la publicité pour la TNT et éventuellement le câble et le satellite, la convergence des intervenants pour assurer le développement et la diffusion des décodeurs, et enfin des coûts de diffusion raisonnables.

M. René SAAL, directeur général de Carat-Expert

Dans le débat sur la télévision numérique terrestre, la question de la capacité du marché publicitaire à financer sur la durée les chaînes gratuites est centrale.

Bien sûr, si on se réfère à 2001, les conditions de réussite sont loin d'être établies.

Néanmoins, le ralentissement du marché publicitaire en 2001 est passager et ne peut être considéré comme base de travail pour se projeter dans le futur.

La publicité à la télévision en France est en effet largement sous-investie comparativement aux autres pays européens.

Par ailleurs, l'augmentation de l'offre audiovisuelle a toujours eu pour conséquence d'augmenter la consommation globale de télévision. Il y a, de plus, une forte corrélation entre la consommation de télévision et l'âge, or la population française vieillit : tendanciellement, l'audience de la télévision va donc être plutôt favorisée dans les années qui viennent.

A cela s'ajoute le fait qu'il y a toujours eu, dans le passé, corrélation entre augmentation de l'offre publicitaire, notamment sur la télévision, et augmentation des investissements publicitaires sur l'ensemble des médias.

Le sous-investissement publicitaire en France vient pour beaucoup du fait que la télévision y est un média très centralisé. Les campagnes de publicité y sont en général nationales et les annonceurs ne procèdent pas à des sur-investissements régionaux ou locaux, comme cela peut se faire dans d'autres média -presse quotidienne, radio, affichage- ou dans d'autres pays européens. On se moque en général de savoir s'il existe en télévision des disparités de consommation de la télévision du Nord au Sud ou de l'Est à l'Ouest.

L'existence de chaînes régionales ou locales pourrait ouvrir un nouveau marché publicitaire comme il en existe dans la plupart des pays européens, constitué à la fois d'annonceurs nationaux qui corrigeraient leurs plans médias pour tenir compte des disparités géographiques et d'annonceurs plus petits pour lesquels le coût d'accès à la télévision est aujourd'hui prohibitif parce que national.

Le problème est de savoir comment faire des chaînes régionales qui aient un niveau d'audience suffisant pour amorcer la pompe, au sein d'une offre audiovisuelle de plus en plus riche.

Pour revenir à la question de départ, la viabilité des chaînes gratuites de la TNT va dépendre évidemment de la nature de l'offre qui va être retenue par le CSA. Les 4 à 6 places qui restent à attribuer doivent être constituées de chaînes complémentaires. Il faut en effet que le téléspectateur ait une perception de la synergie entre les différentes chaînes qui vont constituer cette offre.

Par ailleurs il est évident que des efforts marketing devront être faits pour convaincre les téléspectateurs de l'intérêt de louer ou d'acheter un décodeur. En ce domaine, les coûts marketing vont être extrêmement importants et seront la condition sine qua non du succès.

Bien sûr, le fait d'avoir déjà une « marque » fera gagner énormément de temps, et donc d'argent.

En conclusion, les places qui restent à attribuer sur la TNT gratuite sont peu nombreuses, les inconnues encore nombreuses, le challenge risqué. Néanmoins en cas de succès, les candidats retenus deviendront les principaux acteurs de la télévision de demain.

M. Philippe POELS, directeur général de Sony France, vice-président du SIMAVELEC

Nous sommes sur un marché qui se renouvelle naturellement et de façon permanente. Les nouvelles technologies ne sont pour nous qu'un accélérateur de ce phénomène.

Nous nous contentons de fabriquer ce que demandent les consommateurs et les opérateurs : pour la TNT le fonctionnement sera le même, donc fonction de ce que les uns et les autres voudront ou ne voudront pas payer.

Nous avons une certitude : la TNT arrive à un moment où elle répond totalement et fondamentalement à la demande du marché. Il s'agit d'une demande de qualité de la part du spectateur qui veut qualité de programmes, bien entendu, mais aussi d'image. Le succès du 16/9, malgré son prix, en est une preuve. La demande de qualité se porte également sur le son : c'est un axe exponentiel du développement de notre marché, avec le « home cinéma ».

La croissance du marché du lecteur de DVD nous montre également l'importance de cette demande. Une des raisons de ce succès est que nous sommes arrivés sur le marché avec une offre extrêmement claire. Par ailleurs, le bénéfice pour le spectateur était évident. De plus le prix n'a pas été un obstacle, puisque rapidement nous avons assisté à une décroissance forte de celui-ci. Enfin le spectateur sait aujourd'hui qu'il aura accès à une très large "DVDthèque".

Le message de base est donc que la TNT doit s'imposer, ne serait-ce que parce que l'on ne peut envisager l'avenir en dehors du numérique, dont la qualité est déjà plébiscitée et attendue par le consommateur.

Au-delà de cette certitude nous pouvons poser quelques questions.

La première est celle du prix auquel le décodeur numérique ou le téléviseur à décodeur intégré seront disponibles. Il est difficile d'établir un prix pour un produit dont on ne connaît pas toutes les spécifications. Néanmoins, nous pouvons dire que cela ne sera pas un obstacle : nous savons que lorsque l'on atteint des capacités de production suffisantes, la décroissance du prix est rapidement importante.

Il faudra avoir une approche très concrète, développer des expérimentations, faire des essais d'émission et de réception, s'attaquer rapidement au problème des antennes. Il serait dommage de prendre du retard sur des problèmes aussi concrets que ceux-là.

Le rythme du développement est un autre point important. Il ne doit pas être un élément bloquant de nos décisions, et l'expérience nous montre qu'il sera forcément lent, même si le départ est fort. Un produit comme le CD a mis 10 ans pour s'établir sur le marché.

Il s'agira donc d'être pragmatique : de cette manière, nous serons certains que le consommateur trouvera son intérêt dans cette nouvelle technologie.

M. Gérald de ROQUEMAUREL, président-directeur général d'Hachette Filipacchi Médias

Le modèle économique de la presse écrite peut-il servir aux nouvelles télévisions ?

Nous constatons, dans la presse écrite, que le revenu vient de la force de vente, dont le développement permet d'asseoir la puissance du magazine. Cette pénétration auprès du public assoit à son tour la publicité. Celle-ci conduit finalement à segmenter les magazines selon différentes cibles et pôles d'intérêt.

Dans quelle mesure la publicité contribue-t-elle aux revenus de la presse écrite ?

Sur les 770 millions d'euros de chiffre d'affaires brut des publications d'Hachette Filipacchi Médias en France, 470 proviennent de la diffusion et de la vente des journaux, 300 millions de la publicité. Mais sur un pôle comme celui des magazines féminins, le rapport est pratiquement inversé.

Dans le marché très évolué des Etats-Unis, nous retrouvons un poids de plus en plus grand de la publicité. Sur 613 millions de dollars de notre filiale Hachette Filipacchi, 435 millions proviennent de la publicité.

D'où une première règle : plus un marché est arrivé à maturité, plus les acteurs se spécialisent pour se distinguer les uns des autres. Les recettes de diffusion ont tendance à baisser en proportion et l'équilibre économique provient de l'addition des niches rentables publicitairement. Un marché mûr est un marché segmenté.

Les télévisions suivent un cheminement assez semblable. Les chaînes généralistes ont commencé par se vendre, c'est-à-dire par se préoccuper de leur audience en nombre. Depuis que le marché est à maturité, 97 % des foyers étant couverts, le modèle économique est devenu le même que pour le magazine : il faut spécialiser les chaînes pour couvrir de nouvelles niches publicitaires.

Les investissements publicitaires sur les six chaînes nationales représentent désormais près de 80 % de leurs ressources, d'où l'extrême attention portée aux émissions qui peuvent drainer auditeurs et publicité.

Malgré une progression de la durée moyenne d'écoute en France en 2001, les investissements publicitaires ont reculé de 1,6 %. Cette baisse, qui n'a été sensible que sur ces six chaînes nationales, alors que les autres ont vu leur publicité augmenter, est une preuve indiscutable de la maturité du média.

La maturité conduit à la segmentation, les cibles se diversifient, et la marque devient de plus en plus importante. Les chaînes thématiques se sont donc installées et l'arrivée de la TNT en permettra la multiplication.

La meilleure gestion des chaînes en fonction des fluctuations publicitaires aboutira à une meilleure gestion des coûts, ce qui doit conduire à une internationalisation des chaînes. Pour les magazines, cette globalisation nous a permis de mieux étaler nos coûts, d'offrir une réponse mondiale aux demandes de nos grands annonceurs et d'occuper une position privilégiée en matière d'acquisition de droits : rien qui ne soit étranger au monde des chaînes thématiques, les deux modèles économiques convergent.

Bien entendu ce modèle doit tenir compte des recettes d'abonnement, essentielles tant pour les bouquets satellitaires que pour les câblo-opérateurs. Toutefois, la lourdeur des investissements ne change pas complètement la donne : ainsi pour TF1, qui a investi 195 millions d'euros dans TPS, l'équilibre n'est pas espéré avant 2004 et 1,5 million d'abonnés.

Cet élargissement du périmètre financier qui repose sur l'audience payante diminue dans un premier temps la proportion des recettes publicitaires qui seront ensuite essentielles, les chaînes diffusées étant inéluctablement amenées à contribuer au coût.

Il n'y a pas encore, sur le plan du profit, de convergence entre le modèle économique du magazine et celui de la télévision thématique. Le modèle du magazine est très rentable, pour les chaînes thématiques la rentabilisation est à venir.

Elle ne sera acquise qu'en fonction de deux démarches différentes : la gestion serrée des coûts ou les niches internationales.

En somme, on peut donner ce conseil aux chaînes thématiques : pour devenir rentables, soyez modestes ou sortez de France.

La publicité sera donc toujours essentielle, mais centrée sur des cibles segmentées. Elle devra croître en fonction de l'effet d'entraînement du marché international et de choix judicieux proposés au consommateur, choix qui devront, comme pour les magazines, suivre ou même précéder l'évolution socio-économique mondiale.

Ce modèle conduira à renforcer la viabilité des groupes médias en amont et en aval, et à organiser en leur sein la complémentarité nécessaire des magazines, de la télévision et de l'Internet.

Débat avec la salle

M. Joël WIRSZTEL :

Canal Plus dit à peu près ceci : soit nous sommes l'opérateur commercial de la TNT, soit cela ne marchera pas. M. Feffer, avez-vous déjà pris contact avec des candidats potentiels ou "obligatoires" à la TNT, pour essayer d'organiser le marché, la distribution ? Comment voyez-vous la distribution commerciale si vous êtes retenu comme distributeur ?

M. Marc-André FEFFER :

Je me demande si nous participons au même colloque... Je n'ai jamais dit que Canal Plus revendiquait le rôle de distributeur unique ou menacerait sinon de ne rien faire, ni bien entendu que nous voulions "organiser" le marché !

Nous n'avons pas de contacts particuliers avec les chaînes publiques. Il est vrai qu'un certain nombre d'éditeurs potentiels en numérique terrestre sont venus nous voir pour savoir si l'on pouvait faire un bout de chemin ensemble, eux éditeurs et nous distributeur. Ces conversations se poursuivent, mais nous attendons tous le rapport qui a été demandé par le ministre de l'Economie et des Finances à M. Gallot. Ce rapport jouera un rôle important dans l'appréciation que pourront faire les uns et les autres des modèles économiques qui sont examinés.

Intervention de la salle :

Je constate que le thème du colloque était « Les nouvelles télévisions » mais qu'on parle surtout de la TNT.

Pourquoi miser tant d'énergie sur le numérique terrestre qui, finalement, comme nous l'avons vu, pose beaucoup de problèmes sans avoir la capacité de répondre pleinement aux attentes des spectateurs ?

Pourquoi ne pas miser cette énergie sur une des forces de la France : son réseau téléphonique fort et moderne ?

M. LAUME, délégué général de la FICAM :

Les programmes qui vont nourrir les différentes chaînes ont été totalement absents du débat. Or, ils sont actuellement sous-financés, et les industries techniques en pâtissent. Où va-t-on trouver l'argent pour financer les programmes à leur juste valeur ?

M. Jérôme SEYDOUX :

L'argent des programmes viendra des chaînes elles-mêmes. Avoir plus de chaînes, plus de diversité signifie bien un budget plus important, donc plus de dépenses, notamment pour les programmes.

Mais sans connaître les programmes de chacune des nouvelles chaînes, on ne peut entrer plus dans le détail.

M. Serge HIREL :

Les secteurs interdits de la publicité ont plusieurs fois été évoqués pour le financement des télévisions numériques terrestres. M. de Roquemaurel pourrait-il se prononcer sur ce sujet ?

M. Gérald de ROQUEMAUREL :

J'espère que ces secteurs interdits ne le seront plus pour longtemps.

La presse quotidienne régionale est très attentive à cela, dans la mesure où, si la télévision était ouverte à la distribution, des recettes importantes risqueraient de lui échapper. Si l'ouverture de la publicité à la télévision pour la presse et pour le livre est facilitée, la distribution va suivre et les éditeurs de la PQR risquent d'être gravement handicapés.

En fait, il apparaît que Bruxelles un jour ou l'autre libéralisera la distribution à la télévision. Le débat est donc déjà vain et il nous faut supprimer les secteurs interdits et ouvrir la publicité à la télévision pour le livre, la presse et la distribution.

Il est d'ailleurs anormal que l'on ne puisse pas promouvoir l'écrit, notamment auprès des jeunes qui, au début, ne regardent que la télévision. Il ne faut pas pleurer sur le recul de l'écrit tout en disant qu'on ne peut pas promouvoir l'écrit à la télévision.

Intervention de la salle :

Est-ce que des chaînes pourront être diffusées uniquement en TNT, à part peut-être les chaînes locales ?

M. Marc-André FEFFER :

Je ne crois pas et ce n'est d'ailleurs pas, me semble-t-il, l'intérêt des éditeurs et des distributeurs. L'idée est que ces chaînes se retrouvent sur les différents vecteurs.

M. Amaury de ROCHEGONDE, Stratégies :

Maintenant que l'on a assoupli la règle des 49 %, des partages de coûts, ou des alliances, sont-ils envisagés ?

M. Marc-André FEFFER :

La primeur des projets nouveaux est réservée au CSA, y compris dans leur actionnariat.

Canal Plus a un certain nombre de partenariats dans l'édition et la distribution, mais je ne peux apporter une réponse précise à cette question. Il y aura sans doute autant de cas de figure que de candidatures.

M. Jérôme SEYDOUX :

Je crois que la réponse à la question, c'est qu'avant, nous étions obligés d'avoir des partenaires ; aujourd'hui, on ne l'est plus, mais on en aura quand même. Il y aura sûrement des chaînes candidates en partenariat, à côté d'autres présentées par un seul opérateur : le choix est ouvert.

Intervention de la salle :

L'avènement de la télévision numérique permettra-t-elle d'encourager la création audiovisuelle et de faire appel à des productions innovantes et pas seulement à des programmes existants ou à des rediffusions ?

M. Philippe LABRO :

Il me semble évident qu'une chaîne qui ne ferait que de la rediffusion ne présenterait que très peu d'intérêt. Il est évident qu'un des objectifs des anciens présents ou nouveaux entrants, c'est de proposer aux téléspectateurs des nouveautés et de s'appuyer sur la création. Mais cela va être long, et cher : une grille, telles qu'elles sont toutes conçues, ne peut pas se passer d'un certain volume de rediffusions. Simplement l'habileté et la compétence d'un programmateur est de mettre les rediffusions à certaines heures. Je n'imagine pas qu'un projet qui soit simplement « de la conserve en boîte » puisse être viable et même acceptable !

M. Pierre PLEVEN, Symah Vision :

On n'a pas beaucoup parlé de l'interopérabilité. N'est-il pas nécessaire d'établir un standard européen pour le succès du terminal technique ?

M. Philippe POELS :

Nous souhaitons bien sûr un standard unique. Je crois d'ailleurs que nous sommes sur la bonne voie avec le DVB MHP et MEX 5. A défaut de standard clair, les constructeurs prennent du retard dans le développement des produits. C'est un des écueils que rencontre la TNT actuellement.

Je voudrais, par ailleurs, revenir sur la portabilité, sujet que je n'ai pu approfondir lors de mon introduction et qui me paraît essentiel. C'est une interrogation pour le numérique terrestre. La portabilité, ce n'est pas la capacité de recevoir la télévision en mouvement dans une voiture ou un train. C'est la possibilité de pouvoir déplacer votre appareil chez vous sans modifier le réglage. Cela existe pour l'analogique au Japon : on peut détacher l'écran de sa base et le promener partout dans l'appartement. C'est un produit qui marche bien, donc il peut y avoir une demande en numérique. Mais on ne sait pas quel prix le consommateur accepterait de payer pour ce service.

M. Patrick FELIOT, ETV Média, Projet Télégénération :

Nous allons présenter un projet de chaîne pour les seniors et j'aimerais avoir une réponse précise. Combien de canaux reste-t-il à attribuer ? Quatre, cinq, six, sept ? Combien exactement ?

M. Yvon LE BARS :

Comme je l'ai dit ce matin, il y a 22 canaux qui sont ouverts à l'appel à candidatures. C'est le chiffre que nous avons annoncé et qui figure dans le texte d'appel à candidatures. La question que vous posez se rapporte plutôt au nombre de chaînes gratuites et au nombre de chaînes payantes. Cette répartition n'est pas faite de façon définitive, car elle sera fonction de la qualité des dossiers. Les études économiques que nous avons menées conduisent, cependant, à penser que l'optimum serait autour d'un équilibre entre le gratuit et le payant. Si donc on raisonne sur une trentaine de chaînes, indépendamment des chaînes locales, nous aurions une quinzaine de chaînes gratuites et une quinzaine de chaînes payantes. Sur les chaînes gratuites, 10 sont identifiées : il y a les 8 du secteur public, plus la diffusion en simulcast de TF1 et de M6. Il resterait donc, dans ce schéma, environ 5 chaînes gratuites à attribuer. Mais, encore une fois, c'est une indication. Les acteurs nous ont demandé la meilleure visibilité possible, nous avons fait tourner des modèles économiques et nous avons abouti à cette notion d'équilibre, mais, bien entendu, le résultat final dépendra de la qualité des dossiers.

M. Philippe FAU, de STATIC 2358 France :

Bonjour, on a évoqué un certain nombre de modèles économiques pour la télévision classique ou numérique. Je trouve que l'on n'y a pas suffisamment intégré l'interactivité, on n'a pas parlé des revenus qu'elle peut générer, ni des moyens qu'elle nécessite et qui ne sont pas pris en compte au niveau de la TNT.

Me Laurent COHEN-TANUGI :

Le problème de l'interactivité nous ramène au positionnement de la TNT par rapport au câble et au satellite. C'est-à-dire que si on souhaite une complémentarité et que la TNT offre un bouquet réduit avec un prix plus modeste et un décodeur rustique, cela limite évidemment les potentialités d'interactivité. En d'autres termes, fait-on véritablement concurrence aux chaînes du câble et du satellite en misant sur l'interactivité, ou considère-t-on que l'interactivité est accessoire et ne sera pas le coeur de la TNT ?

ALLOCUTION DE MADAME CATHERINE TASCA, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION

M. Jacques VALADE, président de la commission des affaires culturelles

Madame le ministre, je voudrais vous remercier d'avoir accepté notre invitation.

Vous avez avec la commission des affaires culturelles des rendez-vous réguliers. Nous vous avons entendue, depuis le début de cette session, à l'occasion de la préparation du budget, et nous avons aussi examiné plusieurs textes importants relevant de votre compétence, qu'il s'agisse du projet de loi sur les musées ou de la proposition de loi sénatoriale sur les établissements publics de coopération culturelle -deux textes, je le note au passage, sur lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord. Je n'oublie pas le texte sur l'assurance chômage des intermittents du spectacle -qui concerne beaucoup de ceux qui sont présents ici- que nous examinerons bientôt à nouveau en séance publique mais sur lequel nous ne sommes pas arrivés hier à trouver un accord en CMP.

Mais vous avez accepté aujourd'hui d'intervenir dans un cadre différent, celui de cette journée thématique sur les nouvelles télévisions, un sujet que beaucoup d'intervenants ont recentré sur la télévision numérique terrestre qui, nous le savons, mobilise actuellement tous les acteurs du secteur audiovisuel.

Je vous remercie une fois encore de nous avoir rejoints en dépit des contraintes de votre emploi du temps et je vous donne la parole.

Mme Catherine TASCA, ministre de la culture et de la communication

Merci, Monsieur le Président, de ces mots d'accueil. C'est vrai que nous avons déjà une longue tradition de travail en commun sur des sujets qui, je crois, nous passionnent et qui n'ont pas encore trouvé leur réponse définitive.

C'est donc avec plaisir que j'ai répondu à votre invitation à participer à cette journée thématique sur les nouvelles télévisions dont les débats ont exprimé, comme vous l'avez dit, l'actualité des préoccupations des parlementaires et des professionnels du secteur de l'audiovisuel.

Je vous demande par avance de me pardonner si mes propos n'enchaînent pas à la perfection sur les échanges que vous avez déjà eus. Vous allez, je crois, aborder la question du rôle du politique, après avoir examiné celle des attentes du public, qui à mon sens précède toutes les autres, et les conditions techniques et économiques dans lesquelles il peut être répondu à ces attentes.

Une approche strictement libérale du fonctionnement de nos sociétés tend à donner au marché un rôle quasi exclusif. Pourtant, la télévision, en France comme partout en Europe, est née de l'initiative de l'Etat, l'ouverture au privé reste relativement récente.

Mais cette vision d'un primat du marché est contredite par les faits. Il faut assurément que se constitue un marché viable ; il faut que, du côté offre comme du côté demande, des acteurs économiques se retrouvent pour que se développe avec succès une innovation : l'arrivée des nouvelles télévisions. On sait que des résistances savent freiner voire empêcher l'avènement de changements importants. Il faut donc un catalyseur et un garant pour veiller à la préservation de certains principes : c'est là que se situe le double rôle du politique.

Sur la base d'analyses sérieuses et en s'appuyant sur une volonté définie, le politique doit intervenir. Il ne peut certes pas créer de toutes pièces un changement qui ne répondrait à aucune attente, ni s'opposer à une évolution technique avérée, mais il peut et doit faire en sorte que technique, public, marché et ambition sur les contenus se combinent au profit du plus grand nombre possible.

Lorsque l'on parle de nouvelles télévisions, on pense bien sûr à la télévision numérique, puisque celle-ci est pour tout de suite, mais on pense aussi à la convergence des technologies numériques et aux liens qui se développent entre télévision, Internet et télécommunications ; tout cela est également en chemin.

Sur ces deux plans, le gouvernement de Lionel Jospin est intervenu dans le respect des principes que je viens d'énoncer.

Nous ne savons pas aujourd'hui ce que sera le paysage audiovisuel en France dans les années qui viennent, mais nous pouvons rappeler les acquis de notre action en termes d'objectifs et en termes de méthode.

Les objectifs sont bien connus : liberté, diversité, priorité aux contenus.

En ce qui concerne la télévision numérique de terre, certains ont estimé que nous allions trop vite, d'autres que ce train est déjà dépassé sur le plan technologique. Je crois au contraire que nous sommes en phase avec la réalité. Nous nous situons en effet aujourd'hui encore dans un cadre de consommation classique de la télévision. La télévision sur l'Internet est une perspective qu'il faut envisager, mais elle n'a trouvé pour l'heure ni son économie, ni son public.

S'agissant de la télévision telle qu'elle est appelée à se dessiner dans un proche avenir, la loi du 1er août 2000 a fixé quelques principes fondamentaux que j'évoque fréquemment parce qu'ils fixent pour tous un horizon déterminant.

Quels sont ces principes ?

L'abondance et le renouvellement des acteurs tout d'abord, gage de pluralisme et de diversité.

Le renouvellement des formats ensuite, en favorisant notamment le développement des télévisions locales et des télévisions associatives : il y a encore beaucoup à faire dans ce domaine.

L'accès du plus grand nombre à ces télévisions : c'est ce principe qui fonde l'utilisation de la technologie numérique sur le réseau hertzien.

L'action fondamentale en faveur de la création, sur la base des règles, aménagées si nécessaire, qui ont fait leurs preuves pour soutenir la production audiovisuelle originale.

Nous poursuivrons encore sur la voie des aménagements et des adaptations, avec le développement de l'Internet notamment, et ces mêmes principes nous guideront dans notre réflexion et dans notre action.

J'illustrerai ceci pour l'Internet à travers deux thèmes particulièrement essentiels : les contenus et la régulation.

La formation d'un espace public culturel numérique dense et accessible à chacun est au coeur de notre démarche. C'est le pendant et le prolongement de notre politique audiovisuelle : nous défendons la présence d'un service public audiovisuel fort et la priorité au contenu. Nous avons ainsi choisi d'offrir aux citoyens l'accès à un domaine public numérique garant d'un partage de la connaissance et de la culture. C'est l'enjeu du volet culturel du programme d'action gouvernemental pour la société de l'information.

A un moment où s'estompe le mythe de la gratuité totale et où les efforts menés contre le piratage des oeuvres commencent à connaître des résultats, la constitution d'un domaine public grâce au formidable gisement du patrimoine culturel national est déterminante pour l'avenir. Le travail a été engagé avec par exemple les sites du Louvre, de la Bibliothèque nationale de France, la base de données des musées nationaux, ou encore le plan de numérisation de l'Institut national de l'audiovisuel. Il faut poursuivre dans cette action à long terme qui est un investissement pour l'ensemble de la collectivité : créer un véritable espace public numérique accessible à tous.

Il ne s'agit pas là encore de nouvelles télévisions mais, avant qu'une économie et des usages ne se développent autour de la technologie de l'Internet, l'objectif est de préserver, dans ce domaine nouveau, les principes que défend notre gouvernement : l'accès du public, le refus du tout-marchand et la place à faire à la création.

De même, il faut dès maintenant et pour l'avenir préserver les principes de régulation développés dans le secteur audiovisuel en les adaptant aux nouveaux contenus et aux nouveaux vecteurs.

Certains ont cru et croient peut-être encore que ces nouveaux contenus soulevaient des problèmes entièrement nouveaux et des difficultés à ce point insurmontables que toute régulation devenait un mythe, ou qu'il fallait en inventer une autre d'une nature radicalement nouvelle. Mais avec le développement de l'Internet haut débit, avec des standards nouveaux qui concernent les contenus vidéos et audios, les frontières entre les contenus de l'Internet et de l'audiovisuel classique s'estompent et continueront de s'estomper. Or, quel que soit leur mode de transmission et d'accès, et malgré leur profusion, les problématiques restent les mêmes. La distribution d'offre de contenus est organisée, l'accès des producteurs indépendants à ces offres est difficile, la maîtrise des plates-formes de distribution, comme pour la musique en ligne par exemple, se concentre, le référencement des éditeurs pose problème : on retrouve les mêmes interrogations, les mêmes risques, les mêmes défis et les mêmes besoins de régulation.

C'est pourquoi j'ai souhaité que le projet de loi sur la société de l'information fasse place à la coopération entre le CSA et le Conseil de la concurrence, pour que le pluralisme et la diversité soient assurés en convergence par le travail de ces instances.

Le gouvernement, pour sa part, reste ferme sur ses objectifs tout en adaptant de façon pragmatique les instruments, parce que bien sûr les techniques évoluent, tout comme l'organisation concrète du marché.

"Pragmatisme" est le mot d'ordre de la démarche que nous avons suivie avec constance pour la mise en oeuvre de la loi du 1 er août 2000. En elle-même, celle-ci a été un fantastique chantier de concertation et d'adaptation de nos règles, de nos façons de voir, de nos instruments d'action. Nous avons pris en compte les arguments développés par les opérateurs et adapté les textes en conséquence. Toutes les décisions qui ont été prises depuis cette loi en témoignent.

Ce colloque intervient d'ailleurs à un moment-clé, puisque le cadre réglementaire relatif à la télévision numérique terrestre est complet, ou en tout cas c'est cette semaine que sera publié le décret sur les obligations de transports, le fameux "must carry". Ce cadre réglementaire ainsi complété adapte les règles relatives à la production en tenant compte des spécificités des grands types de formats de chaînes, en favorisant la dynamique du second marché, ce qui était attendu par tous les opérateurs. Le dispositif prévoit aussi un mécanisme de montée en charge des obligations, afin de tenir compte de cette économie émergente que constituera la télévision numérique de terre, et il prend également en compte des contraintes techniques des opérateurs du câble.

La gestation de ces textes a été pour tous l'occasion de mettre en commun ses expériences, chacun de là où il se trouve, de manière à se projeter dans l'avenir en s'efforçant de donner le maximum de chance de réussite à ce que nous considérons tous comme une véritable ouverture et une véritable chance de transformation de notre paysage de la communication.

Ainsi une étape décisive est franchie. Au cours des prochains mois, d'autres étapes nous attendent : distribution, aménagement des fréquences, mise à niveau des antennes. Jusqu'au lancement effectif de la télévision numérique de terre, il faudra conjuguer la volonté d'acteurs très nombreux, très variés et aux intérêts divers. Le gouvernement contribuera au rapprochement des points de vue des uns et des autres et à la conciliation des intérêts. Le gouvernement le fera d'ailleurs pour toutes les formes de nouvelles télévisions. Nous sommes face au développement de secteurs économiques et culturels jeunes où se croisent de nombreux univers. Il y a là un tissu économique et créatif particulièrement novateur et dynamique, qui a connu des déceptions mais qui cherche à stabiliser ses modèles économiques et juridiques : nous devons l'aider.

C'est pour cette raison que sur la question cruciale de l'adaptation du droit de la propriété littéraire et artistique, j'ai créé le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Ouvert à toutes les catégories professionnelles, ce Conseil s'est très vite mis au travail. Il a répondu au besoin de concertation, de confrontation et de rapprochement de ces intérêts divers entre auteurs, artistes-interprètes, producteurs, éditeurs, diffuseurs, industriels du logiciel, etc. Ce Conseil nous aide à préparer les adaptations qui nous permettront de structurer les nouveaux secteurs de production, tout comme le CSA et le CNC mènent une concertation avec les professionnels sur une autre question cruciale : la définition de l'oeuvre.

C'est notamment avec le secteur audiovisuel que les grands groupes ont fait leur entrée avec une forte visibilité dans le monde de la culture. Si les activités culturelles ont toujours dû conjuguer création et économie, la nature artisanale de ce secteur l'avait tenu à l'écart d'une approche véritablement industrielle. Mais lorsque la réflexion sur les nouvelles télévisions nous amène sur le terrain très large et pluridisciplinaire de la technologie numérique, c'est bien la question des "industries culturelles" qui se pose. Notre action ne peut se permettre d'oublier l'un des deux termes de ce label : "industrie culturelle".

Nos choix passent donc par une politique résolue qui défende les principes en adaptant les instruments. Ces principes ne sont pas faits pour durer à côté de l'évolution des techniques et de l'économie, mais pour épauler ces dernières et permettre que se fortifie dans notre pays un secteur qui a fait la preuve de sa vitalité, de sa capacité de présence au-delà de nos frontières par l'initiative des opérateurs, et notamment des opérateurs privés qui ont pris un certain nombre d'options et de risques.

Je forme le souhait que législation, réglementation et régulation soient pensées et portées du même pas par tous ceux qui font vivre ce secteur et que nous puissions avoir l'encadrement qui assurera le meilleur avenir à l'ensemble de notre télévision du futur.

Pour savoir comment y parvenir, sachez que je serai très attentive aux résultats de votre colloque.

*

* *

QUATRIÈME TABLE RONDE : VOLONTÉ POLITIQUE ET CHOIX STRATÉGIQUES

M. Louis de BROISSIA, rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles sur le budget de la communication audiovisuelle

Certains pourraient dire ou penser que la volonté politique s'inscrit ici dans un domaine où les marchés nationaux, européens et internationaux priment.

Mais je suis là pour dire, au nom de la commission des Affaires culturelles, la manière dont nous envisageons l'expression de cette volonté politique, allant vers une démocratie télévisuelle.

Nous, parlementaires, avons à tenir compte des besoins des Français, qui s'expriment de façon diffuse et parfois contradictoire. Ils montrent cependant clairement un appétit pour une télévision plus diverse, plus riche en programmes locaux, d'un accès plus autonome et responsable, ceci au moment même où la TNT devrait répondre en partie à ces attentes, de même que l'ADSL ouvre d'intéressantes perspectives.

Il est significatif que 83 % des Français souhaitent voir la télévision rattraper la radio en matière de communication locale. Mais nous voyons sortir la télévision d'une économie marquée par l'oligopole et apparaître les possibilités d'un choix plus libre. Le téléspectateur attend de pouvoir devenir son propre programmateur. L'expérience britannique, malgré les difficultés rencontrées, a montré l'importance de l'interactivité dans l'économie de la télévision nouvelle. Par ailleurs, le développement de l'offre de programmes devrait fournir en commandes l'industrie des programmes et nous verrons, je pense, se confirmer la formation d'un second marché.

Mais d'autres signaux peuvent être considérés comme alarmants.

En effet, dans la mesure où 69 % des Français sont a priori décidés à ne rien payer, je pense qu'il est indispensable de fixer une date butoir pour le basculement vers le numérique terrestre, comme cela a été fait aux Etats-Unis, afin de marquer une volonté politique forte et de faire prendre conscience du caractère inéluctable de ce basculement.

Or, je constate que le gouvernement a adopté un système complexe et un peu dirigé : il y aura forcément implication de la puissance publique.

La fixation d'une date d'abandon de l'analogique permettrait de lancer à nos concitoyens un message clair et favoriserait le lancement de la production en grande série d'équipements de réception, ce qui permettrait de comprimer les coûts et de lever les objections d'une partie de nos compatriotes.

TNT ou ADSL, quel que soit le mode choisi, il doit correspondre à l'aspiration des Français d'avoir un choix plus large et plus libre, à la condition que la couverture du territoire soit satisfaisante. II serait insensé de maintenir les zones d'ombre lors du passage au numérique. Il ne faut de fracture ni numérique, ni générationnelle, ni territoriale.

Le lancement de la TNT est une excellente perspective pour la télévision publique. Il était nécessaire que celle-ci s'adapte aux nouvelles conditions de diffusion et de consommation télévisuelle, afin de remplir sa mission spécifique. La volonté politique d'étendre le principe de la démocratie doit demeurer.

Le secteur privé sait ou saisira vite que le numérique lui offre des chances nouvelles.

La volonté politique en audiovisuel a quatre données essentielles à assumer :

- assimiler des politiques parfois alternées ;

- s'exercer dans l'exercice de la démocratie, donc dans la recherche permanente du débat ;

- demeurer équitable, c'est-à-dire ne pas affaiblir la concurrence et éviter les fractures nouvelles ;

- anticiper les besoins d'une nation qui s'oriente davantage vers l'interactivité et le temps disponible et qui connaît une européanisation de la pensée et des modes de vie.

M. Yves GASSOT, directeur de l'IDATE

On m'a demandé de mettre en perspective l'introduction de la TNT en soulignant l'hétérogénéité des marchés audiovisuels en Europe. Cette hétérogénéité est considérable et doit en effet être rappelé quand on cherche à tirer des enseignements des expériences de lancement de la TNT dans d'autres pays européens comme cela a été fait tout le long de cette journée.

Nous considérerons donc successivement le montant du financement public, les recettes publicitaires, et la place des différents supports de distribution.

L'implication publique en termes de financement, ce que l'on appelle en France la redevance, représente très schématiquement en Allemagne 3 fois ce que cela représente en France, 2 fois au Royaume-Uni, 5 fois le montant en Italie, 10 fois ce que cela représente aux Pays-Bas. Cette disparité est en valeur absolue, mais se retrouve également au niveau des foyers.

Cet élément joue évidemment un rôle dans la réflexion stratégique et de politique publique.

Concernant les recettes publicitaires, le Royaume-Uni est le marché le plus avancé, représentant en 2001 deux fois le volume des recettes en France, ce dernier correspondant aux 2/3 du marché allemand mais à quelque 10 fois le marché suédois.

Tout cela serait bien sûr à considérer en fonction de la dynamique de progression de ces marchés et en prenant en compte les législations propres à chacun d'entre eux. Il est ainsi bien connu que la viabilité en France des chaînes de télévision locale -même en mode de diffusion numérique- dépend pour une large part des modifications des contraintes qui pèsent sur la publicité du secteur de la grande distribution.

On est enfin frappé par l'hétérogénéité des supports de diffusion. Dans certains pays, plus de 50 % des ménages ont accès à la télévision par le câble, dans d'autres, aucun. On constate la même chose en ce qui concerne le satellite.

Le câble est un vrai problème en Europe : d'abord dans plusieurs pays largement câblés tels la Belgique ou l'Allemagne, il est encore dominé par un modèle économique de type « utility ». Et les pays -comme le Royaume-Uni, la France- qui ont cherché à assoir les investissements dans ce secteur sur la base du modèle « triple play » font surtout ressortir l'importance des investissements complémentaires à mettre en oeuvre pour proposer des services d'accès à Internet et des services téléphoniques, tandis que l'offre audiovisuelle supporte difficilement la concurrence avec les bouquets satellites.

Cette hétérogénéité, qui ne signifie pas que l'on ne retrouve pas des caractéristiques communes à l'organisation des marchés, fait contraste avec l'autre grand secteur d'expertise de l'IDATE que constitue les télécommunications.

On est ainsi frappé par l'absence de coordination à l'échelle européenne. La directive "Télévision sans frontière", qui fait l'objet présentement d'une évaluation de son application, n'a qu'une valeur d'incitation vis à vis des législations nationales. Et surtout, elle nécessiterait pour en mesurer l'impact un système de suivi des productions et des diffusions qui, exception faite de la France, n'existe pas. Et de fait on notera que la structuration à l'échelle du marché européen de l'industrie audiovisuelle, matérialisée par la lente progression de RTL Group dans le domaine de la télévision commerciale et par la coûteuse stratégie de Canal Plus dans le domaine de la télévision payante, reste à l'état d'esquisse. Par ailleurs la TNT n'a fait l'objet d'aucune approche coordonnée à l'échelle de l'Union.

Toutefois, des dernières directives approuvées en décembre dernier dans le domaine de la communication électronique, deux principes qui vont devoir s'appliquer aux législations nationales du secteur audiovisuel européen sont à signaler : la neutralité exigée dans un contexte de convergence des régulations quels que soient les supports de diffusion et de communication électronique, d'une part, la volonté et les moyens mis en oeuvre pour renforcer l'harmonisation européenne dans l'approche de l'usage des ressources limitées du spectre, d'autre part. Même discutée essentiellement sous l'effet de l'énorme ratage du lancement de l'UMTS -les mobiles de troisième génération- cette exigence aura certainement un impact dans le secteur de la télévision.

Pour finir, je ne dirai que quelques mots des travaux de modélisation des équilibres économiques de la TNT en France que l'IDATE a conduit pour le CSA, laissant le soin au président de cette autorité de les commenter. Nos travaux illustrent la fragilité du secteur et les difficultés à prévoir les conditions précises de succès de l'introduction de la TNT. Mais, rejoignant en cela beaucoup de considérations présentées au cours de cette journée, ils nous permettent d'écarter les options les plus tranchées qui apparaissent aussi les moins favorables. Ainsi sans télévision payante, on est condamné à une progression lente et difficile. Mais sans télévision gratuite, et de fait associant les télévisions publiques et commerciales, on ne dispose pas de la « profondeur » de marché indispensable à l'économie de la TNT et plus précisément des terminaux d'accès.

M. Pierre LESCURE, directeur général de Vivendi-Universal, président de Canal Plus

Beaucoup des aspects de la TNT ont déjà été abordés, mais certaines questions m'ont un peu inquiété.

D'une part, il ne faut pas passer trop vite sur les leçons à tirer des échecs que connaissent l'Espagne, la Grande-Bretagne et la Suède.

Soulignons, d'autre part, l'aspect essentiel des décisions que va devoir prendre le CSA, devenu programmateur, dans un avenir proche. La différence d'offre va en effet se faire sur un nombre limité de chaînes. Ce choix sera donc clé dans la première perception ou séduction proposée.

Quoi qu'il en soit, il en est du numérique pour la télévision comme il en a été de la FM en radio. Dans quelques années plus personne ne regardera la télévision en analogique.

La fixation d'une date de passage me semble en effet une bonne idée : cela oblige à arbitrer vite, à s'engager vite et donne à l'ensemble de la population le sentiment qu'il s'agit d'un mouvement économique, technologique et commercial inéluctable. De plus, essayer le numérique, c'est l'adopter.

Le plus frappant dans les nouvelles télévisions, et ceci doit habiter la volonté politique et les choix stratégiques des acteurs privés, c'est l'incroyable transformation de l'environnement qui marque la télévision et la communication du son et de l'image en général. Le numérique change tout dans le rapport entre l'émetteur et le consommateur, et plus les choses avanceront, plus le consommateur sera roi.

L'appétit pour l'image et le son est énorme, l'offre et les services sont multiples, mais on n'a encore rien vu !

Chacun devra garder à l'esprit que le consommateur en voudra pour son argent. Il y a une volonté absolue d'accéder au contenu ici et maintenant, et de communiquer vite, partout, avec tous et à tout moment.

Toutes ces nouvelles demandes se croisent et se recoupent : ainsi le SMS, qui connaît un énorme succès, auprès des jeunes en particulier, représente la jonction du désir de mobilité et d'instantanéité.

Nous tentons de satisfaire toutes les attentes de notre public, et cela devient de plus en plus complexe. Il existe de nombreux types de consommateurs. Certains attendent une simplicité d'usage, des émissions de rassemblement, de la variété, d'autres demandent de la mobilité, de la surprise, de l'exclusivité, de la proximité.

Un des éléments nouveaux majeurs intervenus ces dernières années est, pour la première fois, une compétition entre groupes privés de poids identiques ou presque : TF1 et M6. Cela va certainement changer beaucoup de choses dans les politiques que vont développer aussi bien les grands acteurs du privé que l'acteur public.

Par ailleurs, la télévision fait de plus en plus de télévision, ce qui nous donne, à Canal, aussi bien en France qu'au-delà des frontières, espoir et coeur à l'ouvrage pour nous axer sur le cinéma et le sport, tout en investissant sur la fiction originale et les documentaires.

Nous pensons qu'il faut à la fois investir dans la production, l'édition et la distribution. Ainsi, nous pouvons assurer la diffusion et la circulation de programmes divers et de qualité. Je sais que la question de l'intégration verticale est quasi tabou, mais peut-être faudrait-il y réfléchir autrement pour garantir le pluralisme de la production, encourager les diffuseurs à investir dans la création et assurer la circulation des oeuvres, gage, elle aussi, de diversité culturelle.

J'ajouterai qu'il me paraît évident aujourd'hui que notre dimension européenne, même si elle a été lourde sur le plan des résultats financiers, est plus que jamais l'axe de notre stratégie.

M. Arnaud LAGARDERE, président-directeur général de Lagardère Média

Les choix stratégiques d'une entreprise dépendent essentiellement de sa culture, de son identité et de ses valeurs.

La première de ces valeurs est l'indépendance. Nous sommes indépendants parce que nous avons un statut qui nous permet d'être indépendants. Ceci veut dire que nous ne sommes pas continuellement malmenés par les marchés financiers, et donc que personne d'autre que nous ne définit notre stratégie. Cela nous permet par exemple d'investir des sommes non négligeables dans la création de contenus, ce qui nous semble important dans notre stratégie à moyen comme à long terme. C'est la raison pour laquelle nous avons d'autres types d'activités : littérature générale (Grasset, Fayard, Calmann Lévy), et radios (Europe 1, Europe 2, RFM).

La seconde valeur est la constance. Il est plus difficile de réussir dans la durée, or notre stratégie est de réussir dans le temps. Nous l'avons démontré dans d'autres secteurs du groupe avec le Renault Espace et EADS-Airbus.

La troisième et dernière de ces valeurs est la qualité de nos contenus. Nous investissons énormément dans la production, par exemple, à travers Jean-Pierre Guérin et d'autres, et nous avons connu de beaux succès, comme Fabio Montale qui a réuni quelque 12 millions de téléspectateurs.

La TNT est un investissement dans la durée, et nous intéresse donc. Lors de l'arrivée de la FM, nous estimions en tant que propriétaire d'Europe 1 qu'elle était dangereuse. Mais le résultat, c'est qu'il y a eu plus d'offre et l'auditeur en bénéficie au même titre que les acteurs.

Nous voulons donc appliquer nos valeurs dans la TNT, avec l'espoir qu'en présentant 4 ou 5 dossiers de candidature, dont l'une des propositions au moins serait gratuite, nous allons, au bout de 10 ou 15 ans, être un des acteurs majeurs du secteur.

M. Marc TESSIER, président-directeur général de France Télévisions

Les choix stratégiques de France Télévisions sont en accord avec la volonté politique de l'Etat. Cette concordance s'est exprimée récemment dans la signature avec l'Etat d'un contrat d'objectifs et de moyens à 5 ans, signé par plusieurs ministres.

Je voudrais préciser quelques points à propos de ce contrat.

Le premier élément fondamental est que l'Etat a fait le choix de ne pas augmenter la redevance dans les années futures au-delà de l'inflation.

Deuxièmement, le groupe France Télévisions doit auto-financer les trois quarts de ses investissements, sur une période pendant laquelle ces investissements doubleront. Ceci signifie que la télévision publique doit procéder à un redéploiement interne, condition nécessaire de la réalisation du projet.

Le contrat d'objectifs et de moyens comporte une autre exigence : France Télévisions doit consacrer chaque année une part plus importante de ses dépenses opérationnelles et de ses investissements en matière de programmes.

Les choix stratégiques de France Télévisions s'inscrivent donc dans une volonté politique claire.

Je voudrais ensuite évoquer un certain nombre de points qui touchent à la télévision numérique terrestre.

On oublie trop souvent que, dans la plupart des pays, le secteur des médias est traité en exception : il existe partout des règles spécifiques, des instances de contrôle, des codes et des usages extrêmement forts, etc.

La stratégie proposée par France Télévisions s'inscrit dans un traitement européen lui aussi en exception, puisque la Commission européenne a accepté de traiter le programme de développement de la télévision publique française et des autres télévisions publiques dans un cadre de lignes de conduite spécifiques.

Quels sont les objectifs de cette exception politique ?

- L'accès de tous à un service minimum de qualité ;

- Le pluralisme ;

- L'indépendance des acteurs par rapport à des intérêts économiques ou politiques ;

- Le développement économique du secteur, et notamment des deux parties vitales que sont l'information et la création ;

- Le choix technologique d'avancer rapidement en France et en Europe dans l'accès de la télévision aux nouveaux secteurs.

A propos de l'accès à la télévision publique, le choix politique est d'élargir le service antenne d'accès libre à tous. La question qui se pose est de savoir comment ce service sera traité sur le câble et le satellite. Je ne souhaite pas que les chaînes d'information du service public soient renvoyées dans des ensembles avec des chaînes financées par abonnement. Il est fondamental, pour le téléspectateur, de savoir qu'existe un service antenne.

Je parlerai d'un seul aspect du pluralisme : la présence d'un groupe public. La stratégie proposée est fondée sur l'idée que, si le groupe France Télévisions restait à structure d'offre constante -France 2, France 3 et France 5- il deviendrait obsolète d'ici trois ou cinq ans. Si la télévision publique doit demeurer un gage de pluralisme, alors elle doit faire partie du mouvement d'évolution du paysage audiovisuel.

Le gouvernement a clairement fait le choix que l'équilibre privé-public ne soit pas modifié substantiellement sur le numérique terrestre gratuit. Il a ajouté à ce choix qu'il nous autorisait à participer aux projets de la télévision payante, mais de manière modérée et minoritaire, sans revendiquer de contrôle.

L'indépendance, déjà garantie par les lois antérieures pour le groupe public, est renforcée par l'existence du contrat d'objectifs et de moyens : le groupe public fonctionne désormais dans un cadre à cinq ans.

Le secteur connaîtra un développement économique car les nouvelles télévisions passeront des commandes. Pour leur part, les télévisions du service public auront l'engagement de passer des commandes sur la totalité de son chiffre d'affaires. Il faut s'organiser pour faire en sorte que le second marché existe : il faut, pour cela, que toutes les parties acceptent d'assouplir leurs exigences.

En ce qui concerne enfin la technologie, j'adhère à l'idée d'une date butoir pour la fin de la diffusion en analogique, mais il est difficile de la fixer dans un délai trop court. Il faut d'abord lancer la télévision numérique terrestre, voir ensuite comment celle-ci fonctionne et se rendre compte des obstacles.

M. Dominique BAUDIS, président du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA)

Seuls 13 % des Français ont entendu parler de la télévision numérique terrestre et savent ce dont il s'agit. Ce constat, tiré du sondage CSA sur « les Français et les nouvelles télévisions », nous donne une idée du chemin qui reste à parcourir.

Le projet de la télévision numérique terrestre représente pourtant un grand projet d'intérêt général et national.

Au-delà du progrès technologique qu'elle représente, la mise en oeuvre de la télévision numérique de terre est portée par une volonté politique qui propose à nos concitoyens qui ne reçoivent aujourd'hui que les chaînes de télévision hertzienne, une offre renouvelée, soit 3 fois plus de programmes. La TNT constitue donc un véritable enjeu de société, à la fois politique, économique, culturel, mais aussi de création.

Le CSA a reçu du législateur mission de mettre en oeuvre la TNT, dans le cadre de la loi du 1 er août 2000. A partir de là, nous devions donc opérer un certain nombre de choix stratégiques afin de mener à bien cet ambitieux projet.

Au cours des derniers mois le travail a déjà été largement entamé. Sur ce dossier, deux obstacles majeurs susceptibles d'entraver la TNT ont été mis à jour. Le premier concernait les opérateurs privés, avec le plafond des 49 % du capital d'une chaîne détenus par un seul actionnaire, le deuxième concernait le financement de la télévision publique et la nécessité d'une dotation financière pour qu'elle puisse se déployer sur la télévision numérique terrestre. Au printemps, ces obstacles, dont certains disaient que plusieurs années seraient nécessaires pour qu'ils soient levés, étaient écartés.

Au cours du premier semestre, nous avons surtout travaillé à la planification des fréquences. Cette première étape nous a permis de publier notre appel à candidatures le 24 juillet dernier. Le Conseil tenait à ce que ce premier appel aux candidatures puisse être discuté par des opérateurs actuels ou potentiels. C'est pourquoi nous avons jugé bon de le rendre accessible en installant un prototype sur Internet.

Nous avons par ailleurs été consultés à plusieurs reprises par le pouvoir réglementaire pour l'élaboration des décrets.

Ce premier appel aux candidatures lancé, nous avons pu établir un calendrier qui va se dérouler de la manière suivante : en supposant que le dernier décret du Gouvernement, relatif à l'obligation de reprise par les distributeurs de services câblés des chaînes en clair de télévision numérique terrestre, soit publié cette semaine, comme l'a annoncé Madame la ministre, la clôture de l'appel à candidatures interviendrait vraisemblablement le 23 mars 2002.

Les quatre mois suivants seront ensuite consacrés à l'ouverture des dossiers, à la vérification de leur recevabilité, à l'audition des candidats dans le cadre d'une procédure d'audition publique, selon la volonté du législateur.

Le choix des opérateurs devrait donc intervenir dans la deuxième quinzaine de juillet, selon les critères que je rappelle ici :

- la capacité de répondre aux attentes d'un large public ;

- la nécessité d'assurer une véritable concurrence et la diversité des opérateurs ;

- la sauvegarde du pluralisme ;

- l'expérience acquise par les candidats ;

- les engagements en matière de production et de diffusion d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques ;

- les engagements relatifs à la couverture du territoire ;

- la cohérence des propositions en matière de regroupement et de choix des distributeurs ;

- le financement et les perspectives d'exploitation du service.

Nous avons déjà procédé à un certain nombre de choix stratégiques dans la mise en oeuvre de cette volonté politique. Il s'agit principalement de deux choix d'équilibre : un équilibre gratuit-payant, 15 chaînes en clair, 15 chaînes payantes -sans que ces chiffres soient pour autant définitifs- et par ailleurs un équilibre public-privé sur le clair : sur une quinzaine de chaînes en clair on pourra dénombrer 8 chaînes à caractère public et 7 ou 8 chaînes privées.

Par ailleurs nous avons procédé à un choix technique qui a aussi des conséquences stratégiques : nous avons opté pour la création de 33 services de télévision, ce qui signifie qu'il y aura 3 multiplex à 5 services et 3 multiplex à 6 services. En effet, nous nous sommes placés délibérément en dessous des capacités techniques de la télévision numérique terrestre après avoir tiré les leçons de l'exemple britannique où certains multiplex ont été saturés.

Nous avons également procédé au choix stratégique du local. Notre pays souffre d'un manque de télévisions locales. La possibilité d'éditer de nouveaux services va permettre de soigner cette infirmité. Nous avons donc réservé 3 services de télévision au local et à l'associatif par zone couverte. C'est là une des clés du succès de la TNT, notamment grâce à l'émergence de nouveaux projets originaux et innovants qui prendront place à côté des projets déjà existants. Le développement de ce nouveau paysage audiovisuel exigera bien sûr un important travail de réflexion et de décision concernant le financement de la télévision locale et notamment la possibilité, pour ces télévisions particulières, d'avoir au moins accès au secteur interdit de la distribution.

J'aimerais d'ailleurs à ce sujet attirer votre attention sur la brièveté des délais qui nous sont impartis : d'ici la fin de l'année qui vient de commencer, nous aurons lancé l'appel à candidatures pour le local. Je ne crois pas que les forces vives locales en aient pleinement conscience. Il faut attirer leur attention sur la nécessité de ne pas laisser passer cette échéance.

La télévision numérique terrestre n'est pas seulement une révolution technologique, c'est avant tout l'expression d'une volonté politique au coeur de laquelle le citoyen a une place centrale. L'activité de régulation, qui incombe au CSA, consiste à faire respecter un ensemble de règles en tant qu'elles sont l'expression d'un consensus social sur le cadre dans lequel notre pays et nos concitoyens souhaitent voir se déployer l'activité audiovisuelle.

Depuis quelques années, nous avions le sentiment que la télévision était en train d'échapper au régulateur. Avec la télévision numérique terrestre, dans le cadre de laquelle un éditeur de service ne pourra émettre qu'avec l'autorisation du CSA, la société, et donc nos concitoyens retrouvent prise sur l'audiovisuel. Avec le projet de la télévision numérique de terre, nous réintroduisons la règle, garantie de la liberté.

Débat avec la salle

M. Michel LAMARQUE :

J'ai l'avantage ou l'inconscience de faire de la télévision locale, à Biarritz.

Le local est voulu par 83 % des téléspectateurs et il est la principale possibilité de croissance des marchés publicitaires. Le local semble donc une clé du succès de la nouvelle télévision.

Par ailleurs, on dit que la France a 10 ans de retard, elle a en encore pris 5 ans avec un fameux arrêt du Conseil d'Etat de juillet 1998, nous risquons de prendre encore 5 ans avec la durée d'initialisation du numérique terrestre. Ce nouveau retard, ce n'est peut-être pas grave pour les grands opérateurs nationaux, mais la capacité d'expression des non-parisiens sera pour longtemps amenuisée.

D'où trois questions :

La télévision locale n'est-elle pas le seul véritable argument de vente du numérique terrestre ?

Le numérique terrestre ne risque-t-il pas paradoxalement de condamner l'apparition même de ces télévisions locales ?

Pour le cas où cela ne fonctionnerait pas, y a-t-il des alternatives technologiques, que l'expression locale ne soit pas suspendue au succès d'une technologie qui n'a encore fonctionné nulle part ailleurs ?

M. Dominique BAUDIS :

Le local est un atout du numérique terrestre, nous sommes d'accord, car cela donne une profondeur nouvelle au paysage audiovisuel.

Par ailleurs, nous allons en fait assister à une montée en puissance comme on n'en a jamais vue dans l'histoire de la télévision ! Une multiplication par 6 du nombre des chaînes va intervenir d'un seul coup. Cette montée en puissance sera de plus rapide, puisque la première année nous visons 50 % de couverture, et 80, voire 85 % dans un délai de 2 ans ensuite. En ce qui concerne les 15 % restants, le problème concerne plus l'aménagement du territoire que la communication.

Enfin, je refuse de raisonner dans la perspective que cela ne marche pas.

Intervention de la salle :

Quelles fréquences seront disponibles pour le local, qui n'est pas le régional ? Trois fréquences ne suffisent pas pour assurer la couverture par des chaînes locales. Et si l'on en reste au régional, ce sera France 3 au rabais.

M. Dominique BAUDIS :

France 3 couvre avec beaucoup de compétences la dimension régionale. Le président de France Télévisions présentait tout à l'heure les projets de télévisions à venir parmi lesquelles il y aura une sorte de fédération de chaînes régionales, qui auront bien leurs têtes dans 8 espaces régionaux qui vont se dessiner.

Pour « l'infra-régional », le local, la proximité, la télévision d'agglomération ou de pays, nous aurons donc partout trois fréquences locales. Il en faudrait davantage, dites-vous. Non, parce que là où elles existent -- il y en a environ 10 actuellement qui fonctionnent en hertzien analogique -- elles sont en déficit structurel. Avant d'en créer plus de trois, il faut d'abord se demander comment assurer l'équilibre économique des trois, ceci partout en France.

J'ajouterai un mot sur le problème des opérateurs commerciaux. La loi n'a pas confié au CSA le soin de choisir les opérateurs commerciaux. Le législateur a voulu que ce soit les éditeurs de services, eux-mêmes choisis par le CSA, qui choisissent leur opérateur commercial, ce qui est d'ailleurs logique. Bien entendu nous serons consultés, et nous voulons donner le maximum de précisions et d'éclairage à ceux qui préparent des dossiers. La Direction de la concurrence mène une étude, et le CSA a confié à un cabinet spécialisé le soin de travailler sur cette question. Avant la clôture de l'appel à candidatures, nous aurons analysé les résultats de ces travaux et nos conclusions seront disponibles sur Internet.

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CONCLUSION DES DÉBATS

M. Jacques VALADE, président de la commission des Affaires culturelles

Mesdames, messieurs, je crois qu'au terme de la longue et dense journée que nous avons passée ensemble, un discours de clôture serait mal venu. Je me contenterai donc, en guise de conclusion, de présenter quelques observations.

Tout d'abord, je suis heureux de la réussite de la démarche entreprise par la commission des affaires culturelles du Sénat, qui avait souhaité rassembler tous les acteurs de l'audiovisuel : c'est une expérience que nous serons tentés de renouveler compte tenu du succès qu'elle a rencontré aujourd'hui.

Je voudrais noter ensuite que le sujet retenu -les nouvelles télévisions- est au centre des préoccupations de tous, comme l'ont démontré les interventions. Peut-être nos débats ont-ils fait une place un peu trop prépondérante à la TNT -actualité oblige- mais ce n'était sans doute pas inutile étant donné, comme l'a fait apparaître Roland Cayrol en commentant le sondage que nous avions fait réaliser, que le public n'a encore qu'une connaissance très relative de la télévision numérique de terre.

Enfin, je constate aussi avec plaisir l'adhésion à notre démarche de tous les acteurs de la décision. Nous sommes heureux, honorés et satisfaits que tous les représentants du secteur audiovisuel public ou privé ainsi que les responsables politiques, aient accepté notre invitation. Nous pourrons retenir de tout ce qui a été dit aujourd'hui beaucoup d'éléments qui éclaireront nos choix futurs.

Je voudrais donc remercier tous les intervenants et les très nombreux participants de leur présence et de leurs contributions. Je sais gré, en particulier, aux intervenants de s'être exprimés très librement et très directement, suivant d'ailleurs en cela l'exemple des sénateurs qui ont pris part au débat et qui ont montré -certains avec passion- tout l'intérêt qu'ils portaient à l'avenir de l'audiovisuel.

Merci à tous de votre présence aujourd'hui.

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