3. Audition de M. Yves Cassayre, délégué national aux actions de restauration des terrains en montagne (RTM) (3 avril 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Nous recevons à présent M. le délégué national aux actions de Restauration des terrains de montagne, M. Yves Cassayre. Nous vous remercions vivement d'avoir répondu à l'invitation que vous a adressée le Président Jacques Blanc, que je suis chargé ici d'excuser.

Je voulais simplement vous dire en préliminaire que vous êtes devant un certain nombre de sénateurs, à ma gauche, monsieur Jean-Paul Émin qui est sénateur de l'Ain et monsieur Pierre Jarlier, qui est sénateur du Cantal et également le secrétaire général de l'Association nationale des élus de montagne. Cette mission d'information sur la montagne s'est donnée pour but de dresser un bilan de la politique montagne depuis la loi de 1985, d'approcher cette réalité et ce bilan à travers trois grands thèmes : l'aménagement du territoire, l'économie, et l'environnement. Nous avons pour objectif de présenter les conclusions de cette mission au début de l'automne. Ce travail est réparti entre des auditions, dont les premières se déroulent aujourd'hui, et des visites de terrain sur les principaux massifs métropolitains. Voilà donc le cadre général. Je vais donc sans plus tarder vous inviter à nous présenter l'exposé que vous jugez bon, sur la base du questionnaire.

M. Yves Cassayre - Mon exposé suivra le déroulement du questionnaire. Je n'ai pas réussi à produire un document écrit mais je vous remettrai différents écrits qui répondent pour toute ou partie aux différentes questions, qui n'ont peut-être pas toutes la même importance. Certaines demeurent, de toute façon, sans réponse, en tout cas de ma part.

Les services de Restauration des terrains de montagne (RTM) sont une institution qui existe depuis 1860. Au milieu du siècle dernier, il n'y avait jamais eu autant de population en montagne dans l'histoire. Cette population était essentiellement constituée d'agriculteurs-éleveurs qui avaient entrepris pour leur subsistance d'importants défrichements, ayant pour conséquences du sur-pâturage et une accélération de l'érosion en montagne. Des rapports d'ingénieurs l'avaient déjà relevé dans les années 1840-1850.

La reprise de l'érosion en montagne a vraiment été constatée dans la décennie 1850-1860. Cette décennie a en effet été marquée par d'importantes crues de la Garonne, du Rhône et de la Loire, tous ces fleuves prenant leur source dans les départements de montagne. Les dégâts occasionnés par ces inondations étaient intervenus non pas uniquement dans les régions de montagne, mais aussi vers l'aval des fleuves. Le phénomène physique était le suivant : la montagne étant déboisée, les sols étaient mis à nu, entraînant d'une part des crues plus fortes puisque les sols épongeaient moins, et d'autre part un entraînement beaucoup plus important de matériaux solides. Ces phénomènes d'inondations au cours de cette décennie ont occasionné un grand nombre de victimes et de dégâts.

L'intervention des pouvoirs publics date de 1860 et du vote de la première loi, une loi sévère de l'Etat centralisateur qui avait fait le raisonnement suivant : « les populations de montagnes ont mal géré leur terrain, on les exproprie, et l'Etat reboise ». Il est certain que cette mesure a engendré des résistances dans bien des campagnes, puisque cette loi privait certains agriculteurs de pâturages. Cette loi a ensuite été modifiée en 1864, 1880 et 1882, amendée à plusieurs reprises, passant d'un reboisement unique à un reboisement associé à un ré-engazonnement (à vocation de pâturage).

Ce reboisement a commencé à porter ses fruits, mais vers 1890, les praticiens se sont aperçus qu'il fallait également effectuer des travaux de génie civil. Ces missions de reboisement ont naturellement été confiées à l'administration des Eaux et forêts de l'époque. Cette politique volontariste de l'Etat fut assortie de crédits réguliers et abondants. Les expropriations se sont faites de plus en plus à l'amiable. La réussite des grands reboisements a été patente, surtout dans les Alpes du Nord et les Pyrénées. La politique de l'Etat d'acquisitions et de grands travaux s'est ensuite ralentie à partir des années 1930, pour se modifier à nouveau en 1950, date à laquelle l'État a décidé de responsabiliser les communes en les subventionnant.

L'application de cette politique a été confiée au service RTM, qui a toujours été un service spécialisé de l'administration des Eaux et forêts, et elle s'est poursuivie de la même manière jusqu'en 1970. La technicité des agents des services RTM a été employée non seulement dans les forêts de l'Etat mais aussi comme maître d'oeuvre ou comme assistant technique auprès des collectivités. Ce savoir-faire RTM acquis dans les forêts de l'Etat a ainsi été utilisé au titre de l'ingénierie publique, et plus largement de l'assistance aux collectivités.

L'année 1970 marque un tournant. En effet, cette année a été marquée par deux catastrophes en montagne : le plateau d `Assy en Haute-Savoie, occasionnant 72 morts, et l'avalanche de Val d'Isère en Savoie (36 morts), à trois semaines d'intervalle. Cette époque voyait le « boom » du développement touristique de la montagne, avec des milliers de lits en plus tous les ans. Ces catastrophes ont entraîné une prise de conscience au niveau national qu'on ne pouvait pas accroître l'accueil en montagne sans prendre en compte la sécurité des personnes et des biens. Ceci a fait l'objet du rapport du Préfet Saunier, suite à la catastrophe de Val d'Isère.

Pour les services RTM, le complément d'activités a consisté à concourir au zonage des risques naturels, zonage qui n'avait jamais été effectué de manière rigoureuse et systématique auparavant. Ce zonage a permis d'établir une cartographie d'avalanches, confiée au CEMAGREF (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts). Cette cartographie s'est traduite également par les cartes de zones d'exposition au risque du mouvement de sol et du sous-sol (cartes ZERMOS). Ensuite, par l'ancêtre des plans de prévention des risques (PPR) d'aujourd'hui : les plans des zones exposées aux avalanches (PZEA) et les plans des zones exposées aux risques naturels (PZERN). C'est ainsi que les services RTM, aidés du CEMAGREF ont fait leurs premières armes en matière de zonage des risques naturels.

La loi de 1982 sur les catastrophes naturelles a repris ces dispositions à travers deux volets : d'une part la cartographie, avec les plans d'exposition aux risques naturels prévisibles (PER) et d'autre part l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles. En 1995, la loi montagne du 2 février 1995 a substitué aux PER les PPR, qui, en pratique ne sont guère différents, selon moi. Depuis 1995, le véritable changement a surtout concerné les moyens mis en oeuvre, beaucoup plus importants. Peu à peu, la technique des zonages s'est affinée. Il faut ainsi relever que les PPR se sont d'abord construits en zone de montagne (PZEA, PZERN), avec la technicité des services RTM. Nous sommes passés du système des PER, orienté sur la protection des biens, à la protection des personnes à travers les PPR.

Pour des raisons de continuité, les services RTM ont été maintenus dans le giron de l'administrative forestière, l'Office national des forêts (ONF), qui est un établissement public. Le ministère de l'Agriculture subventionne chaque année l'ONF à hauteur de 6,1 millions d'euros hors taxe, pour la mise en place des services RTM dans onze départements de France métropolitaine. Les effectifs s'élèvent à une centaine de personnes, auxquels viennent s'ajouter vingt-cinq personnes dont la présence est justifiée par les financements provenant du ministère de l'Environnement.

Pour ce qui concerne le coût direct ou indirect des phénomènes naturels, je ne dispose pas d'informations précises me permettant de répondre. Je dispose néanmoins de quelques éléments, issus du rapport d'activités de l'année 2000, que je laisserai à votre disposition. Cependant, il est certain que cette politique nécessite des investissements de grande ampleur, comme en témoignent les sommes gigantesques consacrées par les conseils généraux à la protection des routes départementales.

Quant aux enjeux menacés, il est assez difficile de répondre de manière définitive, tant les phénomènes naturels demeurent en grande partie imprévisibles. Ainsi, je me suis rendu la semaine dernière à Chamonix, sur le site de l'avalanche du Brévent. Si nous savons à peu près jusqu'où cette avalanche est descendue, on ne peut pas estimer précisément jusqu'où elle pourrait continuer. Il n'y a pas aujourd'hui, à ma connaissance, de méthodologie permettant d'apprécier sérieusement les enjeux menacés en termes économiques.

Je me permets cependant de vous donner un chiffre, pour relativiser la question : celui du nombre de morts par avalanche chaque année. M. Sivardière développera certainement cette question cet après-midi. Sur les dix dernières années, ce chiffre s'élève à trente personnes par an. Ces victimes se répartissent en deux catégories : d'une part, ceux qui pratiquent des activités de haute-montagne ou qui sortent des pistes de ski balisées (27 morts) et d'autre part, les trois victimes se trouvant dans des zones où le citoyen peut s'estimer en sécurité, c'est-à-dire les bâtiments, les routes ouvertes à la circulation, les pistes de ski ouvertes, les remontées mécaniques. Ce chiffre des trois victimes qui ne s'étaient pas mises en danger volontairement est donc relativement faible, notamment si on le compare à d'autres catastrophes naturelles.

Néanmoins, nous pouvons constater que chaque catastrophe est perçue socialement comme inadmissible. Il nous faut donc essayer de renforcer toujours plus la sécurité. En matière d'avalanches, nous tentons constamment de nous améliorer, notamment depuis 1999, mais il demeure toujours plus difficile de faire mieux quand on atteint des nombres aussi faibles.

Les facteurs de risques sont essentiellement ceux que l'on appelle les risques gravitaires rapides :

- les avalanches ;

- les mouvements de terrain lents ou rapides, comme des chutes de blocs, les éboulements de falaise et les glissements ;

- les risques torrentiels.

Ce sont ces derniers qui occasionnent l'essentiel des dégâts causés aux biens, mais affectent assez peu les personnes. La dernière catastrophe due à des dégâts torrentiels est celle du Grand-Bornand en 1987.

Dans le domaine de la responsabilité du risque je bénéficie d'une assez grande expérience. En effet, avant d'être nommé délégué national aux actions de RTM, j'ai été chef du service départemental de Haute-Savoie pendant sept ans où j'ai signé plusieurs milliers d'avis concernant les risques naturels. Il s'agissait aussi bien d'avis sur les procédures unités touristiques nouvelles (UTN) que d'avis sur des permis de construire, des plans d'occupation des sols (POS). Malgré cette longue expérience, je ne sais toujours pas quel est réellement le rôle de l'Etat, celui du maire et encore moins leur partage de responsabilité en matière de risques naturels.

Je prends comme exemples deux extrêmes : est-ce que la mission de l'Etat ou du maire consiste simplement à faire connaître ce qu'il a dans ses tiroirs, ses archives ? Ou cela doit-il aller jusqu'à l'avis technique, qui implique des visites de terrain par un expert et des préconisations graduées ? Je ne le sais toujours pas. Je ne le sais pas ni pour un permis de construire ni pour une information sur des POS, ni comment le Préfet doit exercer son contrôle de légalité.

Il existe une exception concernant la logique des plans de prévention des risques, qui est selon moi, une excellente procédure du point de vue du contenu mais aussi du point de vue de la sécurité juridique des élus et des services de l'Etat. Au lieu de donner des avis au coup par coup, la commune est étudiée dans son ensemble, ce qui permet de publier un document doté d'une vraie valeur juridique et qui a pu faire l'objet d'une vraie discussion. Cependant, je me pose parfois la question de savoir s'il est raisonnable, par rapport à l'esprit des lois de décentralisation, d'avoir cette logique de PPR où tout s'est re-centralisé sur la responsabilité de l'Etat.

En revanche, le document technique et la manière dont il est élaboré, et les échanges qu'il nécessite avec les collectivités, me semblent être une très bonne chose. J'insiste sur ce point car lorsque l'on lit les textes, que cela soit la loi de 1995 ou son décret d'application, on ne trouve rien concernant la procédure d'échange. Or s'il n'y a pas un réel échange avec la collectivité locale, le PPR ne fonctionne pas, comme nous avons pu le constater dans un certain nombre d'endroits. Il est nécessaire qu'il y ait à la fois une responsabilisation de la collectivité pour qu'elle formule des propositions constructives, et au niveau des services de l'Etat, des cellules spécialisées pour mener cette action tant sur le plan technique que sur le plan de la concertation. Si ces deux conditions sont remplies, je suis persuadé que nous tenons là une très bonne politique en matière d'affichage des risques. Je laisse également à votre disposition un document émanant du ministère de l'Environnement sur l'état d'avancement des PPR.

Pour ce qui concerne la pratique de l'expropriation préventive, je suis plus circonspect au sujet de la mise en oeuvre de la politique d'expropriation : je pense que nous n'avons pas aujourd'hui suffisamment de recul, ni suffisamment de cas traités pour établir un jugement pertinent. En revanche, il est certain que l'expropriation concerne essentiellement la montagne. On doit déplorer que la mise en oeuvre de cette politique manque de précision et de transparence. En conséquence, il est difficile de bien comprendre dans quelle logique les dossiers doivent être présentés. Si le principe de l'expropriation préventive me semble bon, il génère cependant des effets pervers, notamment concernant les travaux de protection. En effet, le coût de ces derniers doit être supérieur à la valeur des biens pour que l'expropriation intervienne. Je prends un exemple : pour une maison valant 152.500 €, si les travaux de protection coûtent 167.700 €, l'expropriation est décidée, le propriétaire de la maison étant dédommagé à hauteur de 152.500 €. En revanche, si les travaux coûtent 137.200 €, l'expropriation n'intervient pas et le financement des travaux est difficile à assurer. Cet effet de seuil n'est pas toujours facile à faire comprendre aux maires ou aux intéressés. Ceci dit, les procédures d'expropriation sont bien moins conflictuelles qu'auparavant.

Pour ce qui est du fonctionnement du fonds de prévention des risques, je ne préfère pas répondre à cette question puisque je ne l'ai abordée qu'à travers les reconnaissances de catastrophes naturelles et par les expropriations. Je pense qu'un spécialiste du ministère de l'Environnement ou du ministère de l'Intérieur serait plus à même de vous éclairer sur cette question. Je peux cependant suggérer une meilleure transparence en ce qui concerne ce qui est éligible aux reconnaissances de catastrophes naturelles.

En ce qui concerne la prise en compte des risques d'avalanches dans les documents d'urbanisme, il y a deux systèmes : soit la procédure PPR, déjà évoquée, soit une gestion au coup par coup, en fonction des cartographies qui peuvent préexister. Il me paraît souhaitable d'accélérer la procédure PPR en montagne, ce qui nécessite sans doute l'attribution de moyens complémentaires et qui permettrait également de réviser quelques anciens PER.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une demande croissante de sécurisation, de la part des maires, de l'Etat, de la justice, de la presse et des particuliers. Les quelques PPR que nous sommes amenés à réviser doit faire l'objet d'un toilettage presque intégral. De plus, les discussions avec les communes, sans qu'elles deviennent plus conflictuelles, sont de plus en plus longues et de plus en plus pointues : les communes sont désormais de plus en plus en exigeantes, ayant déjà l'expérience de plusieurs années de PPR.. Je pense qu'il reste énormément à faire dans ce domaine.

Les acteurs de la gestion du risque sont au nombre de trois, à mon sens :

- l'Etat ;

- le maire ;

- le particulier.

Comme je l'ai évoqué précédemment, le partage des compétences entre ces trois acteurs est difficile à cerner. Il y a en la matière un manque de clarté juridique.

Vous m'avez demandé si selon moi, le risque zéro était accessible, et si oui, à quel coût. Je ne peux répondre à cette question autrement qu'en disant que ce risque est certes atteignable, mais à un coût infini. A mon avis, le courage d'afficher le risque accepté manque : quelle que soit l'efficacité du zonage effectué, la qualité des travaux de protection, il existera toujours un risque résiduel. Il faut avoir le courage de dire aux citoyens qu'un tel risque existera, ce qui signifie que, concrètement, un ouvrage paravalanche ne peut être totalement étanche en cas de très fortes précipitations, par exemple.

Cela signifie également qu'une zone a priori sûre peut être exposée à un danger extrême, bien que statistiquement improbable. Les montagnards, comme les marins, sont conscients qu'on ne peut prévoir l'imprévisible, qui, parfois, survient malgré tout. Or, ceci n'est pas assez dit, selon moi. Les fonctionnaires et les élus se retrouvent ainsi confrontés à une exigence sociale, relayée par les médias et la justice, de sécurité absolue, qu'ils ne peuvent jamais garantir intégralement. Les catastrophes deviennent à la fois de plus en plus rares, et corollairement, de plus en plus inacceptables.

Le déclenchement préventif des avalanches en montagne demeure orphelin d'une solution juridique depuis 1980, date de la dernière circulaire en la matière. Or, celle-ci ne concerne que les déclenchements par explosifs, tandis que, suite aux nombreuses évolutions techniques ayant vu le jour depuis cette époque, les déclenchements sans explosifs se multiplient. Il y a dans ce cas un vide juridique important, alors même qu'il s'agit d'un domaine où les dangers sont nombreux, et qui engage une forte responsabilité des maires et des intervenants (cette circulaire date d'avant les lois de décentralisation). Nous avons eu la chance jusqu'à présent que de gros accidents ne se soient pas produits, les victimes à déplorer se limitant aux rangs des artificiers sans atteindre le grand public.

Mon exposé touche à sa fin. J'ai essayé de traiter les différents sujets que l'on m'avait demandé d'évoquer et suis désormais prêt à répondre à d'éventuelles questions. Pour finir, je tiens à dire qu'après relecture de la loi montagne de 1985, il me semble que son contenu en matière de risques naturels reste très anodin et n'apporte pas de précisions particulières par rapport aux textes antérieurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, monsieur le délégué national. Sur le dernier point évoqué, nous avons effectué le même constat : depuis 1985, la demande de sécurisation de la société, comme vous l'avez justement souligné, est un des phénomènes qui nous ont amenés à nous pencher sur toutes ces questions. Avant de laisser la parole à mes collègues, je souhaite vous poser deux séries de questions.

Tout d'abord, je voudrais savoir si, au-delà des onze départements dont vous vous occupez -et pouvez-vous nous les rappeler-, il y a peut-être des départements de montagne où les risques, bien que moindres, existent. Y a-t-il de la part du ministère de tutelle une volonté d'extension de vos services à ces départements ? Faut-il le proposer ? Avez-vous un regard sur ces départements, quand bien même ils ne sont pas ceux parmi les plus exposés à des « risques montagne » spécifiques ?

Ma seconde question est issue de mon expérience de terrain : je souhaiterais savoir comment s'évalue le risque, dans la mesure où, il semble bien que vous ne soyez pas le seul service consulté. En effet, ce qui me semble curieux dans notre droit français, c'est que la police des eaux, des rivières et des torrents relève soit de la compétence de la Direction départementale de l'équipement (DDE), soit de la Direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF). Or ces services, comparativement aux vôtres, sont moins habitués aux procédures de concertation. Comme vous l'avez évoqué, l'élaboration d'un PPR nécessite de votre part un débat préalable, une évaluation des risques, une cartographie. Les autres services apparaissent bien plus rigides. Par conséquent, comment se fait-il qu'il y ait ainsi plusieurs services d'Etat, et non pas une seule voix autorisée ?

M. Yves Cassayre - Concernant votre première question, les onze départements couverts par les services RTM se répartissent ainsi :

- trois départements des Alpes du nord : Savoie, Haute-Savoie, Isère ;

- trois départements des Alpes du sud : Hautes-Alpes, Alpes-de-Haute-Provence et Alpes-Maritimes ;

- cinq départements du massif pyrénéen : Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège et Pyrénées-Orientales.

Autrefois, jusqu'à 26 départements étaient couverts par les services RTM, à l'époque où l'Etat avait acquis un grand nombre de terrains pour les reboiser. Une fois reboisés, ces terrains relèvent désormais de la forêt domaniale, gérée classiquement par les services de l'ONF.

La question qui mériterait d'être posée est la suivante : serait-il utile de disposer de services tels que les nôtres dans ces départements dans les domaines de l'urbanisme et de l'expertise au sens large ? Ceci ne semble pas être à l'ordre du jour : actuellement, le financement des services RTM est tenu à bout de bras par le ministère de l'Agriculture. Chaque année, les discussions sont âpres pour que le financement ne soit pas revu à la baisse.

Ainsi, je regrette fondamentalement que, depuis trente ans qu'existe le ministère de l'Environnement -et alors même qu'il a logiquement été doté d'un nombre croissant de compétences, notamment en matière de risques naturels-, ce ministère n'ait pas pris en charge, au moins partiellement, les services RTM qui travaillent sur ce créneau.

Votre deuxième question avait trait à la répartition des compétences entre différents services de l'Etat. Je ne l'ai pas abordée tout à l'heure, et ce de manière volontaire. Je pense en effet qu'avant de se poser cette question-là -qui mérite cependant d'être posée-, il faut déjà savoir quelle est la mission de l'Etat, comme je l'ai évoqué précédemment. Il est bien évident que certaines domaines font l'objet de compétences partagées, voire diluées, qui nuisent en définitive au bon accomplissement de l'action administrative. Je prends pour exemple la politique de l'eau, répartie entre de nombreux intervenants : la DDASS, la DRIR, la DDA, la DDE, les services RTM. A mon avis, il manque un service unique traitant de la gestion de l'eau sous tous ses aspects, qui permettrait d'accroître l'efficacité de cette politique.

M. Jean-Paul Émin - Vous nous avez parlé des grandes crues intervenues au milieu du XIXème siècle. Pensez-vous que les risques de grandes crues de plaine sont désormais très faibles ?

Ensuite, comme Jean-Paul Amoudry l'a signalé au début de votre audition, un des angles retenus par la mission pour l'évaluation de la politique montagne concerne l'économie. Quelle corrélation peut-il y avoir entre la pérennité de l'activité rurale en montagne et la gestion des risques naturels ? Dans quelle mesure cette activité est-elle réductrice des risques ?

M. Yves Cassayre - L'objectif initial de protection des zones aval a été parfaitement rempli : les investissements consentis par l'Etat ont porté leurs fruits. Il ne faut pas oublier que l'Etat assure également l'entretien de ces ouvrages (ligne budgétaire 35-92 du ministère de l'Agriculture) et que les moyens financiers dégagés à cette fin sont globalement suffisants. Aujourd'hui, la protection est assurée essentiellement à l'intention des populations de montagne, ce qui n'était pas le cas initialement.

Concernant la pérennité des activités rurales, je ne peux véritablement l'affirmer. En effet, si cette activité cesse, un reboisement naturel interviendra, qui n'augmentera pas les risques. Il reste néanmoins deux cas de figure où l'activité du monde rural est nécessaire pour la prévention des risques naturels :

- certains pâturages permettent de prévenir des départs d'avalanches. Un sol brouté, tondu, constitue un terrain moins propice à ces déclenchements qu'une herbe séchée, qui se couche et qui se lisse. Mais ces cas demeurent relativement anecdotiques.

- les zones en mouvements de terrain, où le monde rural entretenait, et entretient encore mais de moins en moins bien, les réseaux d'assainissement et les fossés qui permettent d'évacuer l'eau des terrains.

Néanmoins, je ne pense pas que globalement, on puisse affirmer que la présence d'agriculteurs soit un gros plus en matière de prévention des risques naturels.

M. Pierre Jarlier - Je pense que l'exploitation de certaines terres en milieu humide peut justement susciter des risques de crues en aval. On a beaucoup de difficultés à résoudre ce problème avec des documents d'urbanisme, puisqu'on ne se situe pas sur le même territoire. Il y a donc une indépendance totale entre le choix politique effectué en amont, et celui effectué en aval concernant la gestion du risque.

M. Yves Cassayre - Je suis entièrement d'accord avec vous. Cependant, en zones de montagne, je n'ai pas connaissance de problèmes de grande ampleur. En revanche, j'ai eu parfois l'occasion d'observer des travaux agricoles réalisés en dépit du bon sens.

M. Pierre Jarlier - Comme le drainage par exemple ?

M. Yves Cassayre - Effectivement, un drainage extrêmement performant, qui ne soucie pas de l'évacuation de l'eau en aval, est potentiellement très dangereux. Cependant, en termes quantitatifs, je ne suis pas sûr que cela représente quelque chose de réellement significatif. Autant je disais à l'instant que le monde agricole n'avait pas un gros impact pour la prévention des risques naturels, autant je ne dirais pas non plus qu'il soit particulièrement dangereux.

M. Pierre Jarlier - Rassurez-vous, je n'accusais pas les agriculteurs. Elu du Cantal, j'ai été confronté au phénomène des planèzes basaltiques, sur lesquelles il y a des milieux humides qui sont un régulateur très important. Comment justement peut-ont pérenniser ces zones humides en les liant à l'activité agricole ?

M. Yves Cassayre - Je ne suis pas sûr que les PPR soient l'outil le mieux adapté dans le cas présent, ils n'ont pas cette vocation de préservation. Selon moi, il serait plus efficace de préserver ces zones à l'aide de dispositions environnementales.

M. Pierre Jarlier - Tout à fait. C'est d'ailleurs ce qui est envisagé.

M. Yves Cassayre - Cependant, si ces zones humides sont utiles à la faune et à la flore, il ne faut pas perdre de vue qu'elles peuvent également exercer un effet d'éponge sur les sols, ce qui peut représenter un avantage ou un danger selon les circonstances locales.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie à nouveau, Monsieur le délégué national, pour votre contribution et pour les précisions que vous avez bien voulu nous fournir.

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