Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002

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II. ADAPTER LA FISCALITÉ À L'INVESTISSEMENT

L'analyse des rapports entre fiscalité et investissement conduit à se poser plusieurs questions : comment se situe la France, par rapport à ses partenaires étrangers en matière d'imposition des entreprises ? Les incitations fiscales sont-elles un bon instrument de régulation de l'investissement ?

A. LE POIDS DE LA FISCALITÉ PESANT SUR LES INVESTISSEMENTS

La comparaison des régimes fiscaux nationaux est toujours un exercice délicat, tant les règles applicables peuvent être complexes, et hétérogènes selon les entreprises. Une comparaison pertinente suppose de calculer un taux d'imposition moyen effectif, c'est-à-dire le taux d'imposition que supporte un investissement type, qui rapporterait, avant impôt, une rentabilité donnée.

La Commission s'est efforcée, en 2001, d'effectuer une telle évaluation pour les pays membres de l'Union européenne 39 ( * ) . Elle cherche à calculer l'imposition effective moyenne que supporterait un investissement dont la rentabilité serait de 20 %. Le taux moyen d'imposition effective intègre, dans le cas de la France, l'impôt sur les sociétés (IS), mais aussi la fiscalité locale (taxe professionnelle, impôts fonciers). Mais certaines caractéristiques de l'impôt sur les sociétés, comme le traitement des pertes ou le report des déficits, ne sont pas prises en compte, par souci de simplification. L'investissement-type retenu dans l'étude porte sur un actif composite (combinaison de machines, de biens intangibles, etc.), et son financement combine, dans des proportions définies, autofinancement, endettement et émission d'actions.

Les résultats des travaux de la Commission figurent dans le tableau suivant :

Tableau 3

Taux effectif moyen d'imposition en 1999

Taux effectif moyen d'imposition en 2001

Autriche

29,8

27,9

Allemagne

39,1

34,9

Belgique

34,5

34,5

Danemark

28,8

27,3

Espagne

31

31

Finlande

25,5

26,6

France

37,5

34,7

Grande-Bretagne

28,2

28,3

Grèce

29,6

28

Irlande

10,5

10,5

Italie

29,8

27,6

Luxembourg

32,2

32,2

Pays-Bas

31

31

Portugal

32,6

30,7

Suède

22,9

22,9

Lecture : le taux moyen effectif d'imposition pour un investissement type (bien et financement composite), qui rapporte avant impôt 20 %, est de 34,7 % en France et de 34,9 % en Allemagne en 2001.

Source : Rapport Commission européenne 2001.

Les charges fiscales auxquelles sont soumises les entreprises apparaissent relativement disparates. Trois groupes de pays peuvent être distingués : l'Irlande et les pays du Nord de l'Europe (Suède, Finlande) affichent les taux d'imposition les plus bas, inférieurs à 25 % ; un groupe intermédiaire (Italie, Grande-Bretagne, Autriche, etc.) connaît des taux d'imposition avoisinant les 30 % : enfin, la France et l'Allemagne se distinguent par des taux d'imposition plus élevés, proches de 35 %.

Le haut niveau d'imposition de la France s'explique, en grande partie, par l'incidence de la fiscalité locale, qui est d'autant plus pénalisante pour les entreprises qu'elle est indépendante de leurs résultats. L'impôt sur les sociétés, quant à lui, a vu son taux décroître dans les années 1990, pour passer de 50 % à 33,3 %, de sorte que l'impôt sur les sociétés pèse, en 2001, pour 2,8 points de PIB, contre 3,1 points de PIB, en moyenne, en Europe.

Les conclusions de la Commission sont, globalement, confirmées par une étude de Bretin et Guimbert, réalisée en 2002 40 ( * ) . Ces auteurs calculent, à nouveau, un taux effectif moyen d'imposition. A la différence de la Commission, ils considèrent un investissement-type dont le rendement attendu est de 30 % (contre 20 % de l'étude précédente). Cet investissement type donne droit à amortissement, ce qui réduit le bénéfice imposable. Le bénéfice peut aussi être réduit s'il sert à verser des intérêts, puisque ceux-ci sont déductibles du résultat fiscal. Par ailleurs, ces auteurs prennent en compte, dans leurs calculs, non seulement la fiscalité qui pèse sur les entreprises, mais aussi celle qui pèse sur les particuliers bénéficiaires de revenus du patrimoine (intérêts, dividendes, plus-values) afin d'évaluer la charge fiscale totale supportée par un investisseur. Leurs calculs portent sur les années 1991 et 1999.

Pour 1999, les résultats sont les suivants, pour les principaux pays européens :

Tableau 4

Taux moyen effectif d'imposition en 1999

Allemagne

46,1 %

France

50,0 %

Italie

27,3 %

Pays-Bas

50,4 %

Royaume-Uni

19 %

Source : S. Guimbert (2001)

On observe que la charge moyenne pesant sur le capital présente, à nouveau, d'importantes disparités entre Etats européens. Dans cette évaluation, la France fait encore partie des Etats où la fiscalité et la plus lourde.

Le niveau élevé de l'imposition des entreprises françaises a des conséquences aux niveaux national et européen. Au niveau national, un haut niveau d'imposition réduit la rentabilité, après impôt, des investissements : cet effet négatif sur la profitabilité freine l'investissement. Les bénéfices des entreprises sont, par ailleurs, réduits, ce qui augmente la contrainte de financement qui pèse sur leurs investissements. Pour ces deux raisons, un haut niveau d'imposition est défavorable à l'investissement productif. S. Guimbert, se fondant sur les travaux de Crépon et Gianella 41 ( * ) , et de Goodsbee 42 ( * ) , arrive à la conclusion que l'effet de la fiscalité sur l'investissement serait « très significatif » : ainsi, une hausse de 1 % du coût du capital résultant, par exemple, de changements fiscaux, réduirait de 1 % le stock de capital.

Au niveau européen, l'écart entre l'imposition en France et à l'étranger dégrade l'attractivité du territoire national, comme lieu d'implantation d'unités de production. Ceci est susceptible de décourager l'investissement direct étranger en France, voire de favoriser des délocalisations. Mme Françoise Gri, Président-directeur général d'IBM France, auditionnée par votre rapporteur, a souligné qu'un engagement clair en faveur de la baisse de la dépense publique serait un « signal apprécié par les investisseurs internationaux », dans la mesure où il rendrait crédible la perspective d'une baisse durable des prélèvements obligatoires.

* 39 Voir le rapport de la Commission, Company Taxation in the Internal Market, SEC 2001,n° 1681.

* 40 Bretin E., Guimbert S. (2002), « Tax competition : to cure or to care ? », Conférence « Corporate and Capital Income Taxation in the European Union : the EU Commission Report on Companies'Taxation and Beyond », Fucam, décembre 2001. Les conclusions de cette étude sont présentées dans l'article de S. Guibert, « Réformes de la fiscalité du capital en Europe », Revue française d'économie, n° 4, vol. XVI, p. 119 et 120.

* 41 Op. cit.

* 42 Goodsbee S., «The importance of measurement error in the cost of capital », National Tax Journal, 53 (2) juin 2000.

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