Rapport de l'OPECST n° 306 (2002-2003) de MM. Henri REVOL , sénateur et Claude BIRRAUX, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scient. tech., déposé le 21 mai 2003

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N° 869
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N° 306
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ASSEMBLÉE NATIONALE

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002

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Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 21 mai 2003

Annexe au procès-verbal de la séance
du 21 mai 2003

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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

SUR

LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT

(AUDITION PUBLIQUE)

__________________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale
par M. Claude BIRRAUX,
Président de l'Office

__________________

Déposé sur le Bureau du Sénat
par M. Henri REVOL,
Premier
Vice-Président de l'Office.

Environnement

SAISINE

EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU MARDI 21  JANVIER 2003 DE L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES SUR LE PROJET DE CHARTE SUR L'ENVIRONNEMENT

Saisine du Bureau de l'Assemblée nationale sur le projet de Charte de l'environnement

M. Claude Birraux, député, Président, a indiqué que, par lettre du 17 janvier 2003, Monsieur le Président de l'Assemblée nationale lui avait fait savoir que le Bureau de l'Assemblée nationale, dans sa réunion du jeudi 16 janvier 2003, avait décidé sur sa proposition, de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques du projet de Charte de l'environnement susceptible d'être adossée à la Constitution.

Se référant à cette lettre, il a souligné que « la contribution de l'Office pourrait prendre la forme d'auditions, notamment du Professeur Yves Coppens, Président de la Commission de préparation de la Charte, ce qui aurait le mérite d'instaurer un échange fructueux entre les parlementaires, les scientifiques et les experts, sans empiéter sur les compétences des commissions permanentes saisies du projet une fois celui-ci déposé ».

Compte tenu des termes mêmes de la saisine, M. Claude Birraux, député, Président, a constaté qu'il n'était pas demandé à l'Office de conduire une étude, mais d'organiser des auditions. Ces auditions publiques, dans la tradition de l'Office, pourraient être tenues début avril, sur une journée.

M. Jean-Louis Lorrain, sénateur, s'est demandé si la démarche consistant à multiplier les consultations tant nationales que locales, sur ce projet de Charte, ne risquait pas de conduire, en y intégrant l'Office, à porter atteinte à l'indépendance qui caractérise ses travaux.

M. Claude Birraux, député, Président, a considéré que ces auditions devraient permettre de confronter les avis des experts de la Commission, des scientifiques et des parlementaires, pour éclairer le débat des commissions permanentes saisies de ce texte.

M. Daniel Raoul, sénateur, partageant la crainte exprimée par M. Jean-Louis Lorrain, a estimé que cette démarche n'était pas sans rappeler celle qui a précédé la réforme de la décentralisation.

M. Claude Birraux, député, Président, a souligné que toutes les suggestions de ses collègues pour le choix des auditions seraient les bienvenues. Il a ajouté qu'il appartiendrait à l'Office, en cette occasion également, de veiller à ne perdre ni son indépendance, ni même son impertinence.


COMPTE RENDU DE L'AUDITION PUBLIQUE DU JEUDI 10 AVRIL 2003

La séance est ouverte à 9 h 25 sous la présidence de Monsieur Claude BIRRAUX, Député de Haute-Savoie, Président de l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques.

M. Claude BIRRAUX, député de Haute-Savoie, Président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques - Mesdames, Messieurs, Bonjour. Merci tout d'abord d'avoir répondu à l'invitation de l'Office Parlementaire pour cette audition.

Dans sa réunion du 16 janvier dernier, le Bureau de l'Assemblée nationale, sur proposition de son Président, décidait de saisir l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques du projet de Charte d'environnement susceptible d'être adossé à la Constitution.

La lettre de saisine indiquait que « la contribution de l'Office pourrait prendre la forme d'auditions, notamment du Professeur Yves Coppens, Président de la Commission de préparation de la Charte, ce qui aurait le mérite d'assurer un échange fructueux entre les parlementaires, les scientifiques et les experts, sans empiéter sur les compétences des commissions permanentes saisies du projet une fois celui-ci déposé ».

C'est dans ce cadre que l'Office a été conduit à organiser cette matinée d'auditions. Avant de vous exposer le déroulement de notre matinée, je voudrais revenir quelques instants sur le contexte particulier dans lequel se déroulent aujourd'hui nos travaux.

L'Office a été saisi à un moment où les travaux de la Commission de préparation de la Charte étaient largement engagés, et à quelques mois du dépôt du projet de loi constitutionnel, prévu début juin. Dans ces conditions et conformément d'ailleurs à la lettre de saisine, il n'a pas cru devoir engager une étude comme il le fait habituellement.

Aucun rapporteur n'a été désigné et l'Office, dans sa réunion du 21 janvier, a décidé de confier à son président et à son premier vice-président, mon collègue sénateur Henri REVOL, le soin d'organiser ces auditions.

Dans cette organisation, nous avons été tenus par une double contrainte :

La première a été de tenir compte des travaux déjà entrepris par ailleurs sur le sujet : la consultation nationale et les assises régionales de la Commission Coppens, qui vient de remettre sa copie, d'une part, et l'apport du Conseil économique et social à ce débat, d'autre part. L'assemblée du Palais d'Iéna vient, je le rappelle, d'adopter l'avis présenté par Monsieur Claude MARTINAND sur l'environnement et le développement durable.

Notre seconde contrainte était de ne pas venir en concurrence avec les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat qui vont être saisies du projet. Elles ne manqueront pas, dans l'une ou l'autre de nos assemblées de procéder, elles aussi, à des consultations.

Ces contraintes expliquent à la fois le choix du moment que nous avons retenu pour procéder à ces auditions - ni trop tôt, mais pas trop tard - et la difficulté qu'il y avait à établir une liste d'auditions. Beaucoup de personnalités, d'institutions et d'associations ont déjà été entendues, notamment le 13 mars dernier lors du colloque qui s'est tenu au ministère de l'écologie et du développement durable. Les mêmes ou d'autres le seront sans doute encore, demain, à l'occasion de l'examen du projet de loi constitutionnel par le Parlement.

Néanmoins, il nous est apparu que le choix des thèmes que nous allons aborder dans cette audition était particulièrement ciblé et important.

Cette audition du Parlement-Assemblée nationale et Sénat réunis au sein de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques - est en effet la seule qui permette, avant que les commissions permanentes compétentes ne soient saisies, une confrontation entre scientifiques, industriels et parlementaires sur les éventuelles conséquences des choix effectués pour cette charte de l'environnement.

Cela correspond bien aux missions de l'office et j'espère que nos débats contribueront à une meilleure approche des choix, de leur formulation et de leurs conséquences. Je remercie le Président et le Bureau de l'Assemblée nationale de nous avoir donné cette opportunité.

Je vais dans un instant donner la parole à Monsieur Yves Coppens. Il nous parlera des travaux de la Commission de préparation de la Charte de l'environnement qu'il a présidée. J'inviterai ensuite Monsieur Robert Klapisch, membre de cette Commission et président de son comité scientifique, à nous exposer les aspects scientifiques de cette charte.

Après ces deux exposés, nous ouvrirons une première série d'auditions au cours de laquelle trois groupes industriels se situeront vis-à-vis de cette Charte et des principes qui lui sont associés.

L'INRA et l'INSERM nous aideront ensuite à réfléchir à la place de l'homme face à ces questions.

Enfin, la dernière série d'auditions, au cours de laquelle nous entendrons un membre de l'Académie des technologies, un représentant du CNRS et deux représentants d'associations de journalistes nous permettra de porter le projecteur sur l'angle scientifique.

A l'issue de chaque série d'auditions, mes collègues parlementaires puis les personnes invitées à assister à ces auditions, et que je remercie de leur présence, pourront poser des questions.

Pour permettre de terminer nos travaux dans les temps et de laisser place au débat à l'issue de chaque série d'auditions, j'invite les intervenants à la précision et à la concision, en leur demandant de limiter leur exposé à dix minutes.

Je souhaite que cette matinée d'auditions, qui fera l'objet d'un compte rendu publié dans la collection des rapports de l'Office, contribue, même dans ce contexte particulier, à éclairer les choix du Parlement, répondant en cela à la mission qui nous a été confiée par la loi.

Professeur COPPENS, vous avez la parole.

EXPOSES INTRODUCTIFS

M. Yves COPPENS, Président de la commission de préparation de la Charte de l'environnement - Merci Monsieur le Président !

D'abord je remercie l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST, de nous recevoir aujourd'hui et je vous salue Monsieur le Président, Monsieur BIRRAUX.

Depuis deux ans déjà, le Président de la République a fait savoir son intérêt pour l'environnement, son inquiétude du développement de cet environnement et du manque de soin peut-être que l'humanité y accordait.

A la suite de cela il a souhaité que se mette en place une commission auprès de Madame BACHELOT, ministre de l'écologie et du développement durable, ayant pour mission la préparation de la Charte de l'Environnement.

J'ai été pressenti à ce moment-là.

Je me présente, je ne suis pas du tout expert en environnement. Je peux à la limite être considéré comme expert en paléo-environnement, en environnement lié au développement de l'homme. Et, en ce sens, j'ai quelque idée de l'évolution des milieux, de l'évolution des climats et de l'importance considérable de ces milieux et de ces climats sur le développement de l'homme et même sur son apparition.

Madame BACHELOT d'abord et Monsieur le Président de la République ensuite, m'ont demandé de prendre la présidence de cette commission.

Cette commission a été constituée après ma nomination à sa Présidence. J'ai souhaité qu'elle ne soit pas trop importante pour pouvoir y travailler.

Madame BACHELOT souhaitait à juste raison qu'elle soit équilibrée et qu'elle soit le reflet d'un certain nombre d'orientations, de courants de pensées de la société française.

Cette commission a donc été constituée, président compris, de dix-huit membres. Nous avons admis des suppléants. Au total environ vingt-cinq personnes ont travaillé depuis le mois de juin 2002, soit dix mois pleins.

Rien n'existait. Il fallait donc aussi établir l'ordre de fonctionnement de cette commission.

J'ai souhaité que les membres de cette commission ne se perdent pas de vue trop longtemps, donc qu'ils tiennent au moins une réunion mensuelle et que, vers la remise des travaux, à partir du mois de février, ces réunions se multiplient. Nous en avons eu deux en février, quatre en mars et une en avril.

Il était tout à fait clair qu'une réunion mensuelle ne suffisait pas. Imaginez dix-huit personnes, quelles que soient leurs compétences, dix-huit experts qui viendraient se rencontrer une fois par mois pour parler d'environnement, ce n'est pas ce qui permet de faire un véritable travail et de mettre sur pied un dossier sérieux.

La commission a proposé la création de comités lesquels ont été très vite constitués, en fait dès septembre 2002. Ces comités ont été essentiellement :

- un comité juridique présidé par le Professeur Yves JEGOUZO, ancien Président de l'Université de Paris I ;

- un comité scientifique présidé par Robert KLAPISCH, du CERN et de l'Association française pour l'avancement des sciences.

D'autres comités, plus éphémères, ont été constitués :

- un comité de réflexion un peu plus philosophique, un peu plus éthique ;

- un comité d'évaluation des problèmes environnementaux qui a surtout réfléchi sur les procédures et sur les instances susceptibles d'évaluer les problèmes une fois cette Charte instituée ;

- un comité de consultation assez particulier, c'est-à-dire de consultation de la société française qui dès le départ , à partir de petits groupes pris parmi la société, a essayé de comprendre quels étaient les courants de pensées, la maturité de la pensée citoyenne française sur l'environnement. Il y a eu des histoires très intéressantes d'ailleurs, des petits échantillons qui ont été finalement extrêmement révélateurs.

C'était le travail des experts. Puis ces comités ont travaillé entre les réunions de la commission et sont toujours revenus vers elle pour rendre compte des travaux réalisés. La commission a été véritablement centralisatrice et a reçu toute l'information de tous les travaux de tous ces comités.

Puisque cette Charte était d'abord nationale, il nous importait naturellement de consulter le plus grand nombre de Français possible. Cette consultation s'est faite de différentes manières.

Dès le mois d'octobre, nous avons préparé un questionnaire de quatre pages que nous avons adressé :

- à un certain nombre de personnalités ;

- à un certain nombre d'associations ;

- et à un certain nombre de Français qui en faisaient la demande.

Nous avons créé un site Internet avec un forum associé à ce site et nous avons surtout mis sur pied une consultation nationale qui a consisté en quatorze réunions, quatorze assises, dix en France métropolitaine et quatre dans les départements d'outre-mer.

Cette consultation nationale a reçu entre cinq cents et huit cents personnes représentant parfois un certain nombre d'associations lors de ces réunions.

La première assise a eu lieu à Nantes à la fin du mois de janvier, la dernière métropolitaine a eu lieu à Cergy-Pontoise le 25 février. La dernière en date, celle de la Guyane, s'est tenue la semaine dernière à Cayenne.

Evidemment, nous ne sommes pas parvenus à atteindre tout le monde, mais au fil de cette consultation nationale, de ce site Internet, de ce questionnaire, nous avons certainement joint plusieurs dizaines de milliers de personnes et, au travers des personnes rencontrées, sûrement plusieurs millions.

C'est une tentative démocratique qui n'est pas parfaite, mais qui a voulu en tout cas avoir le plus de retours possible, le plus d'opinions, le plus d'avis, le plus d'humeurs aussi possible à propos des trois points qui nous importent : l'environnement, le développement et la société.

Je suis bien placé pour savoir et comprendre que l'homme est dans une parfaite continuité avec l'histoire naturelle, avec l'histoire de la vie et donc que le développement de l'homme fait aussi partie de cette histoire de la vie. Il n'y a pas du tout de rupture, mais une belle continuité.

J'ai beaucoup apprécié - et c'est aussi une des raisons de mon acceptation de cette présidence - l'angle humaniste du Président de la République lorsqu'il a parlé d'un nouveau regard écologique, donc d'une écologie humaniste. C'est tout à fait l'angle que je me serais permis de prendre moi-même si j'en avais eu l'initiative.

Tout ceci a conduit à beaucoup d'informations, beaucoup de retours et cela s'est clos d'une certaine façon par un colloque dont vous parlera Robert KLAPISCH, colloque réunissant surtout les juristes et les scientifiques, mais réunissant aussi toute une panoplie de personnalités représentatives de différentes instances et de différentes associations, qui a aussi apporté ses contributions.

On m'a demandé de conduire une enquête, une réflexion. La réflexion s'est faite à dix-huit, a grandi à vingt-cinq et s'est nourrie du plus grand nombre d'informations possible venant du plus grand nombre de citoyens et d'instances possibles.

Le travail s'est donc conduit sur onze mois et a abouti à un rapport et à une proposition - ma commission ne fait que des propositions - de Charte constitutionnelle.

Comme je vous l'ai dit et comme vous l'a également dit le Président de cette séance, le Président de la République avait insisté sur le fait que cette Charte soit adossée à la Constitution.

Il l'a marqué à plusieurs reprises, à Johannesburg, durant la vie de ma commission, puis plus récemment à Nantes, lors de l'ouverture des premières assises régionales. Le discours de Monsieur RAFFARIN l'a confirmé lors des dernières assises territoriales métropolitaines.

Ces plus hautes personnalités ont marqué leur intérêt bien soutenu de constitutionnaliser au moins une partie de cette information sur l'environnement, donc de changer de normes dans la législation concernant l'environnement, encore une fois dans une perspective de développement durable et de rapports harmonieux avec la société.

C'est donc avec cette idée que nous avons travaillé.

Vers le mois de septembre, octobre j'ai tenu dans l'ordre des choses à parler d'abord du contenant, à voir comment nous pouvions envisager un contour de cette Charte. Nous avancions alors à petit pas, ne sachant pas trop comment procéder.

Ce contenant a notamment été proposé par le comité juridique qui a parlé de trois possibilités : une vraie Charte constitutionnelle, une loi organique et une simple explication des motifs.

En fait, nous avons travaillé sur les trois possibilités.

Nous avons rencontré le Président de la République au mois de janvier en espérant qu'il allait nous orienter sur l'une des trois options en nous facilitant le travail. Pas du tout, il nous a dit de travailler sur l'ensemble, ce que nous avons continué à faire, mais comme la volonté politique marquée était celle d'une Charte constitutionnelle, c'est surtout dans ce sens que nous avons travaillé.

Nous avons remis à Madame BACHELOT, ministre de l'écologie et du développement durable, mardi dernier, un épais rapport accompagné d'une proposition de Charte constitutionnelle avec l'explication de chacun des quatorze articles et d'une variante.

Sachez que sur quatorze articles, douze ont obtenu l'unanimité de la commission. Il n'y a donc pas du tout d'alternative - les derniers travaux datent de mardi dernier - pour douze des quatorze articles.

Il y a deux courants qui se sont manifestés et qui ne se sont pas entendus pour un seul avis. Il y a donc une alternative pour deux variantes pour deux des articles sur quatorze.

Je le dis parce que j'ai été le premier surpris des échos de la presse sur nos travaux.

Je vous ai dit que j'ai conduit - c'était mon travail, je n'étais que le chauffeur - cette commission régulièrement depuis juin dernier et je l'ai conduite chaque fois, chaque mois. Je n'ai cédé la présidence que pour une heure à Robert KLAPISCH, il y a quelques semaines, mais j'ai toujours été présent, je n'ai jamais quitté mon fauteuil de président.

J'ai donc été étonné de voir que la presse parlait de sang sur les murs et de grands conflits au sein de ma commission. Je n'ai jamais vu de conflit et j'ai d'ailleurs été très impressionné par la présence, la participation et le sérieux de tous les membres de cette commission.

Il est certain que l'environnement constitue aujourd'hui un problème important. La responsabilité dans l'entretien de cet environnement est perçue par chacun et cette réflexion me permet de rebondir sur la société française.

Je suis vraiment très frappé de voir qu'au fil de ces quatorze assises qui se sont merveilleusement passées - je m'attendais à quelques remous, pas du tout - il y a eu vraiment une maturité dans la perception de l'importance de ce problème et un sérieux qui a été pris par tous au point que cela a été véritablement positif.

Je ne vais pas en faire une jolie histoire toute rose, c'est certainement plus compliqué, mais en tout cas sachez que j'ai été le plus heureux des présidents et d'abord parce qu'on m'a laissé travailler. La presse nationale ne s'est pas du tout préoccupée de nos travaux pendant dix mois, merci ! Cela nous a permis de travailler tranquillement.

A chacune des assises, la presse régionale a donné des échos extrêmement positifs de nos réunions et maintenant nous arrivons au point de remise de cette Charte, face à vous Monsieur le Président, face aux grandes instances nationales.

Nous en sommes heureux et fiers. J'espère que notre travail sera apprécié et qu'il sera évidemment traité à votre manière parce qu'encore une fois, je n'avais pour mission que d'offrir des propositions ce qui est fait.

Merci beaucoup !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur le Président !

Si vous nous avez expliqué toute la méthodologie, vous ne nous avez pas parlé beaucoup du contenu de vos propositions. Or, si nous voulons débattre, il faudra bien que nous finissions par poser les questions de fond qui se sont présentées.

Parmi les membres de votre commission figuraient deux parlementaires dont notre collègue ici présente que je tiens à saluer et à remercier, Madame Geneviève PERRIN-GAILLARD. J'en profite également pour saluer Pierre COHEN qui est à côté d'elle.

Monsieur KLAPISCH, vous allez nous parler de ce qui a attiré l'attention des scientifiques ou de ce qui a provoqué des discussions entre les légistes et les scientifiques.

M. Robert KLAPISCH, membre de la commission de préparation de la Charte de l'environnement - En effet, merci Monsieur le Président !

Madame, Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je vais effectivement essayer de vous indiquer la manière dont a travaillé le comité scientifique.

D'abord qui était-il ?

La Commission Coppens comprenait dix-huit membres et, au mois de septembre, après m'avoir demandé de présider ce comité, elle a désigné cinq personnes en son sein et nous nous sommes aperçus assez vite que nous avions besoin de coopter des personnes en raison de leurs compétences.

Je voudrais dire aussi que par suite d'un accord entre les deux ministres, nous avons été aidés dans cette tâche par un membre du Cabinet de Madame HAIGNERE, Monsieur BACHELIER, que je voudrais remercier pour ses conseils.

Au total, en plus des membres de la Commission Coppens qui sont :

- Monsieur BRODHAG, sociologue ;

- Monsieur LEFEUVRE, professeur d'écologie. N'oublions pas qu'avant d'être un mouvement et presque une idéologie, l'écologie est d'abord une science dont Monsieur LEFEUVRE est un représentant particulièrement distingué ;

- Monsieur PILET, vétérinaire, ancien Président de l'Académie nationale de Médecine et membre de l'Académie des Sciences ;

- Monsieur Bernard ROUSSEAU, directeur de recherche au CNRS et qui intervenait en tant que Président de France Nature Environnement, la plus importante Fédération de mouvements écologistes en France.

Nous avons décidé d'élargir nos compétences en cooptant des membres complémentaires:

- Monsieur Jean-François GIRARD, Président de l'IRD ;

- Monsieur Olivier GODARD, économiste, directeur de recherche au CNRS et qui pratique à l'Ecole Polytechnique ;

- Monsieur Bernard HUBERT, agronome, directeur de recherche à l'INRA ;

- Monsieur LANDAIS, directeur scientifique de l'ANDRA, également géologue ;

- Monsieur Ghislain de MARCILLY, professeur à Paris VI et à l'Ecole des Mines, qui est hydrologue.

Comment avons-nous procédé ?

Comme vous l'a dit M. COPPENS, nous avons travaillé dans deux directions qui, finalement, étaient très complémentaires.

Nous avons voulu procéder - et j'y reviendrai - à une large consultation de la communauté scientifique et, en parallèle, nous avons entrepris un travail commun qui s'est avéré très fécond avec notre comité juridique.

Je vais d'abord faire un bref commentaire sur ce point pour vous expliquer au fond ce que nous avons découvert.

Les scientifiques d'une part et les juristes d'autre part sont des gens précis excepté que la précision ne porte pas forcément sur les mêmes termes et les mêmes approches.

Par exemple, vous lisez dans la loi Barnier qu'il y a le principe de précaution et qu'en l'absence de certitudes scientifiques, il faut prendre des mesures.

Les juristes nous ont demandé qui déterminait l'état des connaissances scientifiques.

Pour un scientifique cela paraît tout à fait évident, mais quand nous y réfléchissons bien, les approches des deux disciplines sont fondamentalement différentes.

En effet, en matière juridique, vous avez un jugement qui est rendu une fois et ensuite, un juge peut en prendre argument pour en tirer une jurisprudence.

En matière scientifique c'est le contraire. Vous avez une publication quelque part, cela ne signifie rien. Tant qu'elle n'a pas été corroborée par un jugement par les pairs pour publication, par des expertises contradictoires et autres, une opinion est une opinion.

Vous voyez qu'il y a une différence tout à fait fondamentale. Nous avons donc été amenés à éclaircir les conditions dans lesquelles, au sein de la communauté scientifique, se fait ou non un consensus qui est un processus dynamique et évolutif et les conséquences qu'il y a lieu éventuellement d'en tirer sur les procédures de consultation et d'établissement de ce qu'est l'état des connaissances scientifiques.

Je reviens maintenant à la question de la consultation.

Comme vous l'a dit Monsieur COPPENS, nous avons travaillé dans l'esprit de ne pas avoir au sein de cette commission uniquement des spécialistes de l'écologie et du développement durable, mais une sorte de coupe de toutes les composantes de la société française. En tout cas, nous l'espérons et je crois que cela a été réel.

De la même façon j'ai suggéré à mes collègues que nous procédions par étape, c'est-à-dire en commençant par déterminer au sein de notre commission les thèmes principaux sur lesquels nous devions consulter.

En parallèle avec le questionnaire qui a concerné tous les grands acteurs scientifiques et industriels nationaux, nous avons voulu interroger un certain nombre de personnalités et leur demander d'écrire une page ou deux sur un certain nombre de thèmes.

Ces retours ont été extrêmement satisfaisants. Ils ont montré à la fois l'intérêt et les limites de l'exercice. Il est certain que nous serons inévitablement critiqués pour avoir choisi un tel ou un tel. Parfois nous avons demandé à des personnes qui n'ont pas répondu. C'était donc nécessairement limité.

D'où l'idée qui est apparue dès le départ, d'organiser un colloque et qui, à l'origine, devait être un colloque scientifique. Il était proposé par deux associations : celle que je préside, c'est-à-dire l'Association française pour l'avancement des sciences et le Mouvement universel de responsabilité scientifique présidé maintenant par Gérard MÉGIE.

Cette idée a fait son chemin au sein de la commission et un colloque a eu lieu le 13 mars dernier. Nous avions lancé 2 500 invitations entre les ministères concernés et nos deux associations et 400 personnes ont effectivement assisté toute la journée à ce colloque.

Les actes du colloque seront publiés et accessibles sur Internet.

Nous avions trouvé quatre thèmes, quatre familles de préoccupations sur lesquels nous avions demandé à nos interlocuteurs de réfléchir.

D'abord tout ce qui concerne le risque et son appréciation, c'est-à-dire la distinction maintenant classique entre les risques avérés et les risques hypothétiques, la précaution et la prévention.

Ceci amène à discuter du rôle de l'expertise. Tout le monde dit qu'elle doit être indépendante, mais si vous voulez des gens compétents, ils appartiendront forcément à une structure, à un organisme de recherche ou à une société. D'où l'idée que pour concilier indépendance et compétence il faut la transparence et, là, il y a des précédents.

Et puis il y a le rôle de la recherche. Si nous disons qu'en cas d'incertitude, il faut prendre des précautions - comme je suis sûr que nous allons en discuter aujourd'hui - il faut avoir une recherche pour livrer ces incertitudes. Si vous interdisez la recherche, vous resterez toujours dans l'incertitude et vous imaginez les différents courants qu'il peut y avoir au-delà !

La loi Barnier parle de proportionnalité. Evaluer les risques veut dire avoir une certaine idée du risque d'agir et de celui de ne pas agir comme l'a dit Monsieur KOURILSKY dans le rapport qu'il a remis avec Madame VINEY.

Une contribution originale est venue d'un membre du comité scientifique, de Monsieur Olivier GODARD, qui a fait remarquer que pour éviter les risques, il fallait aussi ne pas se priver de certains instruments économiques, les incitations telles les incitations à caractère fiscal ou les permis d'émissions par exemple.

Ce sont des outils qui, dans l'Europe du Nord - en Scandinavie et dans les pays anglo-saxons -, sont utilisés avec succès et que nous ne pouvons pas utiliser en France pour des raisons constitutionnelles, à savoir l'égalité devant l'impôt, la non-vénalité et la non-transmissibilité des autorisations administratives. Un permis de négocier est une autorisation administrative.

C'est là que nous avons pensé que nous pouvions avoir une contribution réelle et concrète à l'occasion d'un changement constitutionnel, c'est-à-dire pouvoir avoir ces instruments.

C'était le premier thème.

Le deuxième thème c'est de savoir quel est le rôle de la recherche.

Finalement quand nous réfléchissons bien, même à travers les contributions des scientifiques, nous pouvons distinguer trois courants.

Le premier, qui est le plus prudent, celui des naturalistes, est qu'il faut observer la nature.

Le deuxième dit qu'il faut expliquer, faire appel à des théories.

Il y a une certaine opposition que j'appellerai bénigne ou corporatiste entre les naturalistes qui observent et qui se plaignent de ce que les gens qui déduisent, font de la physique, de l'analyse du génome ou encore ceux qui font des modèles, ont davantage de moyens, de crédits.

En fait il faut les deux. D'une part pour observer de nos jours, nous ne nous servons plus uniquement de nos yeux, de notre nez et de nos oreilles, mais également d'instruments extrêmement sophistiqués, que ce soit des spectromètres de masse ou des satellites d'observation. La science d'observation a besoin de la science instrumentale. Il faut cependant aller plus loin.

En effet un certain nombre de phénomènes qui nous préoccupent tels par exemple les phénomènes à l'échelle planétaire - la couche d'ozone, le changement climatique - ne sont pas accessibles dans le court terme à nos organes des sens. Le CO ² ne sent rien.

Le changement de température, lui, est tellement global qu'il faudra attendre trente ans et peut-être des catastrophes pour que nous nous en apercevions.

S'il n'y avait pas des gens qui ont une pensée théorique, une capacité de modéliser, il n'y aurait pas ce sujet qui nous préoccupe tous maintenant, à savoir le réchauffement global.

Vous avez donc le rôle de la science et de la théorie, les deux étant complémentaires car il est clair qu'il faut aussi des observations.

Le troisième courant que j'appelle la remédiation consistant à savoir si nous pouvons trouver des remèdes à l'action de l'homme, pose un problème.

Il y a un certain nombre de personnes, aussi bien au sein de notre comité qu'au sein de la communauté scientifique, qui disent qu'il faut faire attention, qu'il ne faut pas faire n'importe quoi. Tout le monde est bien d'accord à ce sujet. Ces personnes estiment qu'il ne faut pas faire ce que certains appellent l'ingénierie environnementale.

C'est contestable. Je pense qu'il y a une certaine méfiance dans certaines parties de notre pays envers la recherche, l'innovation technologique. Les gens pensent peut-être que les choses vont trop vite. Mais ceci pose cependant un véritable problème pour des technologies nouvelles. Nous pouvons bien sûr citer les OGM, l'influence des ondes électromagnétiques, les téléphones portables.

Le troisième thème porte sur les ressources naturelles : allons-nous vers une disparition des biens ? Aurons-nous assez d'eau, assez de minéraux ? Sans oublier un thème qui a fait beaucoup parler et qui tient beaucoup à coeur à certains - et j'ai beaucoup appris en ce domaine en écoutant -, celui de la biodiversité.

Nous sommes tous sensibles au fait que certains animaux disparaissent, mais la biodiversité est beaucoup plus que cela. Nous ne savons pas très bien s'il y a dix ou trente millions d'espèces, non pas uniquement les grands animaux que nous voyons, mais aussi les petites bêtes, les microbes, etc.

Les écologistes nous disent que tout est dans tout - et je crois que c'est probablement vrai - et que si nous voulons des sols productifs, il faut aussi avoir des micro-organismes à l'intérieur.

Vous voyez donc que cette biodiversité est apparue comme un thème fort pour lequel je pense que certaines affirmations ne sont pas prouvées, c'est-à-dire le rythme auquel nous détruisons, semble-t-il, les espèces. C'est, en tout cas, une préoccupation forte qui a trouvé un écho dans nos débats.

Le quatrième thème sur lequel nous avons débattu et qui a aussi trouvé son écho au colloque, est la nécessité de l'enseignement.

Je suis de ceux qui pensent que si les technologies peuvent faire beaucoup en changeant les modes de production, en les rendant plus économes et moins polluants, il est certain que vous devez aussi avoir un changement des comportements.

Prenons l'exemple de l'automobile. Je sais qu'il y a un représentant de l'automobile ici. Les ingénieurs ont fait d'énormes efforts pour construire des voitures qui consomment moins de carburant. Il est triste de dire que depuis quelques années, nous voyons dans notre pays, comme ailleurs, des gens décider à ce moment-là de prendre des voitures plus grosses tels des 4x4. Or si ces voitures ont tout à fait leur place en Afrique du Sud, nous nous demandons ce qu'elles font dans les rues de Paris.

Il y a donc une nécessité que les gens soient informés des conséquences de leurs choix.

Je rappelle ce qu'Yves COPPENS vous a dit. Cette Charte n'est pas seulement une Charte de droits, c'est aussi une Charte de devoirs, or pour pouvoir exercer ses devoirs, il faut être informé.

Nous avons eu ce colloque et j'ai voulu avoir des gens qui aient des points de vue extrêmement différents.

Par exemple Pierre-Gilles de GENNES que nous avons consulté, dit qu'il ne faut pas se contenter d'une éducation à la nature et à l'environnement, mais qu'il faut une éducation à la science. Il faut savoir ce que sont les ordres de grandeur, ce qu'est un risque.

Il a dénoncé, de façon très éloquente, un certain nombre d'erreurs. Il dit que nous pensons tous que le verre est quelque chose de sain, d'écologique, etc., mais en fait lorsque vous fabriquez du verre, si vous ne prenez pas de précautions, vous faites aussi beaucoup d'oxyde d'azote parce que vous chauffez de l'air. Il semble que justement dans ce cas, il y a une technologie qui est en train d'être mise au point avec une grande société française, que tout le monde connaît, qui permettra d'épurer l'air, de garder l'azote et d'enrichir en oxygène. Voilà un exemple où nous pouvons intervenir, remédier à certaines des conséquences néfastes des technologies, mais la question des choix humains reste.

La question de l'enseignement est importante. Certains ont défendu - et je cite encore Pierre-Gilles de GENNES - l'idée de la laïcité en matière environnementale, c'est-à-dire ne pas tomber dans le culte de la nature ; le respect et le culte ne sont pas tout à fait la même chose.

Monsieur LEFEUVRE a également beaucoup insisté sur cette approche systémique, certains disent holistiques ce qui revient au même. Il faut, aussi bien pour la recherche que pour l'enseignement, une approche pluridisciplinaire en matière d'écologie, ce avec quoi nous sommes tous d'accord.

Nous avions tenu à avoir quelqu'un qui représente les média qui sont une source d'informations et d'éducation qui est la seule à toucher tout le monde, le grand public.

Madame Dominique LEGLU, qui a été pendant longtemps responsable de la rubrique science d'un grand quotidien parisien, nous a expliqué quelles étaient les contraintes, le fait de cette contrainte du métier qui consiste à être dans l'actualité. Si vous sortez quelque chose d'intéressant, qui n'est pas dans l'actualité, ce n'est pas une question de compétence du journaliste, mais le fait que son rédacteur en chef décidera que ce n'est pas important.

Je pense que je ne peux aller plus loin puisque nous avons une nécessité de réserve avant le Conseil des Ministres du 15 avril, mais je crois vous avoir donné une idée de la très grande richesse de nos discussions et du fait qu'elles iront à mon avis plus loin que simplement un texte. Ce n'est en effet pas un texte qui va changer les choses, mais bien le comportement des gens et l'action politique du Gouvernement et du Parlement.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur KLAPISCH d'avoir donné un certain nombre d'orientations.

Nous sommes dans une situation un peu surréaliste dans la mesure où c'est comme l'Arlésienne, nous parlons beaucoup de cette Charte et de ses principes, mais nous ne les voyons pas, nous ne pouvons pas tout à fait les dévoiler.

Nous allons donner la parole aux intervenants de la première table ronde.

PREMIERE TABLE RONDE : LA RESPONSABILITE DES INDUSTRIELS

M. LE PRESIDENT - Monsieur Bernard de GOUTTES, directeur juridique d'Areva, levez un peu le voile sur ces principes et donnez-nous votre réaction !

M. Bernard de GOUTTES, Directeur juridique Areva - Merci Monsieur le Président !

Mesdames et Messieurs les Députés, Mesdames et Messieurs,

Je dois d'abord vous indiquer que le groupe Areva est très sensible à l'invitation que vous lui avez faite de venir apporter ici sa contribution à cette réflexion en matière d'environnement et de développement durable. D'ailleurs, en filigrane, ces concepts environnement et développement durable, ont pour le groupe Areva une double résonance.

Le développement durable, c'est la durée et notre groupe a une caractéristique ; son activité industrielle s'exerce dans la durée et elle a une projection de durée.

Par rapport à cette notion de développement durable, nous avons déjà une pratique d'un savoir-faire sur des choix qui emportent des décisions dans la durée.

Le deuxième aspect de l'environnement et du développement durable, qui a une résonance particulière peut-être pour ce groupe nucléaire civil qu'est Areva, - et c'est d'actualité aujourd'hui - c'est que l'énergie nucléaire est en dehors des querelles géopolitiques qui consistent à trouver des territoires pour assurer l'approvisionnement en énergie. Et par-là même nous contribuons à un débat qui est à l'extérieur de ces difficultés géopolitiques.

Le groupe Areva a bien entendu signé une obligation de ne traiter qu'avec les Etats, les entreprises qui ont souscrit au traité de non-prolifération nucléaire et aux contrôles intégraux.

Au-delà de ces résonances que suscite immédiatement cette notion d'environnement et de développement durable, nous considérons que le groupe Areva est immédiatement partie prenante à ce que l'on peut estimer comme étant des composantes essentielles du développement durable à savoir :  l'énergie, le changement climatique, l'eau potable, l'éducation et bien sûr le respect de l'environnement.

En ce qui concerne l'énergie, le groupe Areva - vous le savez - est le leader mondial des équipements et services en matière de nucléaire civil. Areva n'est cependant pas pour le tout nucléaire, nous sommes en faveur d'un mix énergétique. Car nous avons l'analyse au terme de laquelle, face à l'accroissement de la population, à la demande incessante d'énergie, nous devons pouvoir avoir des réponses qui coïncident avec la diversité des demandes.

Au fond, si nous faisons une projection un peu sommaire sur l'avenir, nous pensons que, demain, en matière d'énergie, deux données tout à fait différentes vont apparaître.

Nous pensons que nous aurons à faire face à la création de mégapoles très importantes qui, devant cette concentration urbaine, nécessitera des installations de production d'électricité très importantes et qu'à l'inverse, en ce qui concerne notamment les pays en voie de développement, nous devrons répondre à une demande d'énergie très locale de développement rural. Il y a ces deux aspects par rapport à ce sommet de demande accrue d'énergie. Il y aura une expression d'une demande d'énergie qualifiée importante pour les mégapoles et, par ailleurs, une demande d'énergie qui sera beaucoup plus multiple et moins importante au niveau de la production d'électricité qui sera exigée.

Nous pensons que, par rapport à ces enjeux de demande d'énergie pour l'avenir, pour la projection dans la durée, cette Charte, cette loi constitutionnelle doit porter haut et fort la culture française de l'environnement et du développement durable. Elle doit la porter haut et fort avec une dimension internationale qui permette de réguler sur le terrain international ces enjeux d'environnement et de développement durable qui ne sont pas l'apanage exclusif de la France hexagonale.

Pour un groupe comme le nôtre qui est un groupe international, qui a des assises en Europe, en Asie, en Amérique, il nous est important d'avoir une loi constitutionnelle qui puisse nous permettre de décliner dans les quatre horizons, les obligations et les devoirs de cette loi.

En ce qui concerne la deuxième composante du développement durable, le changement climatique, un mot que chacun connaît est que la production nucléaire n'a pas d'effet sur la production de CO². A ce sujet, nous sommes dans une situation qui, à cet égard, est tout à fait satisfaisante pour nous.

En ce qui concerne l'eau potable qui est une préoccupation forte, nous rejoignons les préoccupations exprimées notamment par le Professeur COPPENS. Nous considérons que la recherche en matière nucléaire, qui est au coeur de nos activités avec le CEA, doit permettre à l'horizon 2030 de trouver des nouvelles générations de réacteurs qui pourront combiner la production d'électricité et assurer en même temps le dessalement de l'eau de mer. La recherche en matière de centrales nucléaires se projette dans l'avenir pour pouvoir appréhender cette question de l'eau potable qui est au centre de nombreuses préoccupations.

Nous contribuons également chez Areva au thème de l'éducation. Avant même d'être interpellés à ce sujet par le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD), nous avons contribué, avec l'aide de notre Comité des Mécénats, à installer dans les pays les plus pauvres - et je pense notamment au Niger - des écoles ou des hôpitaux.

En ce qui concerne le dernier thème majeur, le respect de l'environnement, le groupe Areva va, dans une activité soutenue, permanente et progressive, travailler à développer les meilleures techniques en ce qui concerne le recyclage des combustibles usés de l'énergie nucléaire pour réduire de façon significative les déchets ultimes des électriciens que nous traitons à La Hague ainsi que les effluents de nos propres installations.

Nous faisons tout ceci dans un contexte culturel très partagé, presque inné qui existe dans le domaine du nucléaire, qui est fait de notion de sécurité, de sûreté et de qualité pour les installations nucléaires que nous livrons.

Aussi, il nous apparaît que face à ces cinq axes majeurs du développement durable et de l'environnement, ce projet de loi constitutionnelle devrait - nous ne le connaissons pas non plus - comporter trois principes : le principe d'anticipation, le principe de proportionnalité et le principe de transparence.

Pour nous, le principe d'anticipation :

- Est d'identifier les risques réels et les caractériser ;

- Est de conduire des recherches pour lever les incertitudes ;

- Impose - et cela nous paraît très important - le devoir de recherche pour trouver des nouvelles technologies permettant de progresser.

En ce qui concerne le principe de proportionnalité, nous pensons qu'il est absolument indispensable de poser une règle claire consistant à dimensionner au niveau technique et économique et à mettre en oeuvre des mesures qui correspondent à la nature, l'importance et la probabilité des risques pour lesquels une expertise scientifique a été faite. Nous devons éradiquer la confusion entre ce qui est ressorti du risque de ce qui est ressorti de l'incertitude.

Nous pensons que ces deux principes - celui de proportionnalité et celui d'anticipation - sont des principes qui peuvent être définis juridiquement dans des concepts sûrs et qui lèvent les obstacles des imprécisions du principe de précaution dont nous savons qu'il fait débat.

Enfin, le dernier principe que nous voudrions voir mettre dans ce projet de loi constitutionnelle, c'est le principe de transparence qui consiste à s'assurer d'une bonne communication et d'une bonne consultation. Nous estimons - et nous le faisons - qu'il est très important de pouvoir mesurer l'acceptabilité du nucléaire dans le public. Nous pensons que ce principe de transparence doit être conjugué avec le principe de la démocratie représentative. Nous sommes bien entendu tout à fait ouverts à ce que l'on recueille le plus d'avis possible - de la société civile, des experts -, mais nous pensons que tous ces avis doivent être régulés par l'autorité de la démocratie représentative. Autrement, il y a le risque de légitimité aléatoire, le risque d'auto-proclamation de certitudes, bref le risque de confusion ! Le dernier mot nous paraît devoir appartenir à la démocratie représentative.

Enfin, nous pensons que s'il y a une ardente obligation que nous devons avoir dans ce projet de loi constitutionnelle, c'est celle de Portalis qui tremblait en écrivant un article, c'est-à-dire avoir des dispositions juridiques très précises qui, par leurs précisions, évitent un boulevard pour des contentieux infinis. Et les contentieux infinis sont préjudiciables bien sûr aux entreprises, mais aussi à la société civile qui ne sait pas à quel Saint se vouer, et au développement des industries.

M. Emmanuel FOREST, Directeur général adjoint Bouygues Telecom - Merci d'avoir invité le groupe Bouygues, par l'intermédiaire de Bouygues Télécom, à participer à ces travaux.

Je voudrais préciser tout d'abord que, bien que je sois à côté de mon collègue d'Areva, une grande chose nous sépare : son entreprise opère dans le domaine des radiations ionisantes, alors que nous opérons dans le domaine des ondes électromagnétiques non ionisantes. Nous sommes donc très en dessous de l'infrarouge alors qu'il est très au-dessus de l'ultra-violet. C'est uniquement pour dire en introduction que Bouygues Télécom est surtout sur la scène par rapport à l'environnement en ce qui concerne les effets potentiels des ondes sur la santé. Mais c'est un peu l'arbre qui cache la forêt puisque nous avons aussi la capacité de beaucoup polluer l'environnement de manière beaucoup plus classique. C'est cela qui fera l'objet du premier point de mon propos, lequel sera structuré autour des principes du code de l'environnement.

En premier lieu, vous avez les principes de prévention et de pollueur payeur.

Avec ses 1 100 véhicules, ses 10 000 sites d'émission, ses 9 000 ordinateurs, Bouygues Télécom génère chaque année :

- 44 tonnes d'accumulateurs de secours des sites des antennes radio à recycler ;

- 40 tonnes d'équipements dont nous devons nous débarrasser ;

- 2,5 tonnes de batteries de mobiles que tout le monde a dans sa poche ;

- 10 000 tonnes de papiers et de cartons, liés à la publicité sur les lieux de vente et à tous les produits commerciaux utiles à la commercialisation de nos terminaux.

C'est effectivement la forêt cachée par l'arbre. Nous avons donc intégré ces problèmes déjà depuis plusieurs années au sein de l'entreprise, où nous avons créé une direction « Qualité, Sécurité, Environnement ».

Nous avons plusieurs actions qui n'ont rien de très original et qui sont liées à :

- des processus industriels extrêmement complexes de recyclage qui vont bien au-delà du tri sélectif ;

- la sensibilisation des collaborateurs ;

- l'intégration dans les appels d'offres vis-à-vis de nos contractants et de nos fournisseurs de toutes ces questions en privilégiant finalement les fournisseurs qui intègrent dans leurs prestations les modes de recyclage ainsi que ceux qui veillent à ce que la durée de vie des matériels soit la plus longue possible.

Nous devons aussi anticiper le remplacement de toutes nos antennes relais pour le passage à l'UMTS. Et à cet égard, l'OPECST avait produit un rapport excellent sur les effets des technologies sur les télécommunications, qui traitait notamment de l'UMTS. A titre personnel, connaissant la sensibilité des Allemands aux problèmes écologiques, je m'étais beaucoup étonné lorsque la République Fédérale d'Allemagne avait attribué six licences UMTS. Etant donné que les opérations d'un réseau UMTS requièrent au moins une fois et demi si ce n'est peut-être deux fois plus de sites que les opérations d'un opérateur GSM, je voyais mal comment les villes allemandes accueilleraient six fois un réseau UMTS.

Le message est que les pouvoirs publics ont beaucoup de matière pour prendre en compte, vraiment très en amont, les conséquences de décisions qui sont structurantes à tous les égards, d'où d'ailleurs le combat de Bouygues Télécom en faveur de l'itinérance, c'est-à-dire du partage le plus actif possible des infrastructures. Ainsi, à terme, ces services pourront être disponibles pour l'ensemble des populations au moindre coût, mais aussi avec l'impact le moins élevé sur l'environnement.

Je terminerai cette première partie sur les 10 000 tonnes de papier et de carton. Cela peut faire sourire, mais j'ai encore en mémoire une remarque d'un collaborateur de la FNAC qui se plaignait de l'arrivée du camion de Bouygues Télécom qui apportait tous ses matériaux de publicité sur les lieux de vente. Je voudrais dire une chose très simple : il y a compatibilité totale entre la rentabilité d'une entreprise et le respect de l'environnement. Je viens du BTP et on m'avait appris une règle assez simple : lorsqu'un chantier est propre, bien tenu et bien organisé, d'une part, le taux d'accident du travail est beaucoup plus faible que la moyenne et, d'autre part, sa rentabilité finale est bien meilleure. Je pense que mon affaire de papiers et de cartons illustre aussi ce principe : si une entreprise s'organise pour traiter de manière satisfaisante les problèmes d'environnement, elle dépensera très probablement moins, de manière inutile, et sera beaucoup plus rentable.

Je vais maintenant, en mettant dans un seul lot les principes de prévention, information et participation, faire allusion aux effets des ondes sur la santé par une brève description du travail que nous avons réalisé avec la Ville de Paris jusqu'à la signature de la Charte.

En premier lieu, nous avons traité ce problème chez Bouygues Télécom en désignant un collaborateur qui a la responsabilité pénale et civile personnelle de tous les impacts éventuels sur la santé de nos usagers du téléphone mobile - nos clients - ou encore des riverains des stations de base quelles qu'elles soient.

Il a une totale liberté, une totale délégation, y compris budgétaire, pour diligenter toutes les recherches, assister à toutes les conférences mondiales ou nous proposer le financement de manière totalement indépendante de toutes les recherches possibles de telle sorte qu'à aucun moment on ne puisse dire que l'entreprise ne s'est pas tenue au courant ou n'a pas pris les bonnes dispositions.

C'est lui par exemple, qui avait pris l'initiative de demander aux équipes commerciales d'introduire dans chaque paquet de téléphone vendu, un kit oreillettes. Sans être du tout pessimiste, il est vrai que pour le confort au moins de certaines personnes - même s'il est peut-être préférable de ne pas passer dix heures par jour avec le téléphone accroché à l'oreille - c'est mieux d'utiliser un kit piéton.

C'est une première démarche que nous avons effectuée.

Nous avons cependant vu que malgré tous les efforts de communication, cela ne suffisait pas. Traditionnellement que se passe-t-il dans ce genre de situation ? La science s'exprime, le Gouvernement réglemente, puis utilise sa police pour s'assurer que les entreprises respectent le règlement. De toute évidence, ce procédé ne suffit plus pour rassurer les gens pour diverses raisons - que nous pouvons évoquer ou analyser - de méfiance, de défiance à l'égard des entreprises, mais aussi à l'égard de l'Etat et de sa réglementation.

Avec la Ville de Paris, nous avons eu assez vite le sentiment qu'au-delà des polémiques de type écologiste, au sens mal compris du terme, il fallait faire un effort particulier pour rassurer les citoyens.

Il a tourné autour de trois sujets :

1. Une meilleure concertation par la création d'une commission qui est une nouveauté, qui comprendra des représentants de la ville, des services compétents de l'Etat et des opérateurs.

Ce que nous faisions déjà, sans faire de publicité, sera structuré avec procès-verbaux, avec administration de cette commission. Ce sera un travail lourd pour les opérateurs et la ville qui permettra de garantir aux citoyens que ce travail se fait et qu'il se fait en toute transparence.

2. Un principe d'information puisque nous communiquerons chaque année, avec une révision semestrielle, notre plan de déploiement.

Nous ferons six cents mesures annuelles sur les sites qui pourraient être les plus exposés pour bien documenter ce que nous disons depuis toujours, à savoir que les champs reçus par le public, là où il vit, sont extrêmement faibles par rapport au champ des antennes.

Nos antennes respectent parfaitement une réglementation, qui est elle-même extrêmement précautionneuse, qui respecte les principes de prévention et de précaution. Qui plus est, là où nous vivons, donc non pas sur les toits haussmanniens car là, cela ne concerne que les pigeons, mais là où les appartements sont situés, les champs constatés sont extrêmement faibles.

Nous allons les mesurer, mais par ailleurs, nous avons pris un engagement original de dire que nous allons établir la réalité de ce qui se passe là où les gens vivent sur vingt-quatre heures, c'est-à-dire au-delà du seuil réglementaire qui est destiné à s'assurer que, à la puissance maximale, l'antenne n'excède pas ce seuil.

Nous allons nous dire que sur vingt-quatre heures puisqu'une antenne n'émet quasiment jamais à sa puissance maximale, nous allons faire une moyenne et nous verrons que nous sommes bien en dessous des 50 V/m de la réglementation, que nous sommes finalement entre 1 et 2 V/m. Si nous trouvons un appartement ou un lieu qui excède un peu ces 2 V/m, nous sommes prêts, nous les opérateurs, à rassurer la personne, en modifiant l'ingénierie de l'antenne, parce qu'il n'y a pas de raison que de temps en temps un parisien ou une parisienne se trouve dans une situation qui pourrait l'inquiéter, puisqu'elle n'est pas identique à celle dont bénéficient les autres habitants de la ville.

Cette Charte a permis de déplacer un peu le problème, de ne pas remettre en cause la réglementation, de ne pas se livrer à une interprétation abusive du principe de précaution. D'ailleurs, la Mairie de Paris a reconnu que la démarche n'était pas une nouvelle application du principe de précaution, qui était déjà prévu par la réglementation, mais qu'il fallait prendre en compte que des personnes écrivaient aux élus en leur disant qu'elles voulaient qu'ils appliquent le principe de précaution. Nous allons trouver une démarche originale qui, comme l'évoquait mon voisin, répond à une sorte de principe de vigilance, de plus grande transparence, au sens très formel du terme, ou un principe d'attention aux préoccupations des personnes, fussent-elles irrationnelles.

Pour conclure, j'essayerai de réfléchir autour du principe d'éducation qui nous concerne peu en tant qu'industriel, simplement pour évoquer deux problèmes que nous rencontrons en tant qu'industriel des technologies d'information, donc des technologies nouvelles.

En ce qui concerne l'aspect scientifique des choses, nous sommes face à des effets infinitésimaux ce qui rend difficile la compréhension du principe de précaution.

Les scientifiques qui travaillent sur ces sujets et que nous écoutons régulièrement, notamment au sein de notre conseil scientifique, nous disent qu'en ce qui concerne les antennes relais, le problème n'est pas tant qu'on ne peut pas prouver qu'il n'y a pas d'effets, mais que ceux-ci sont tellement infinitésimaux qu'ils ne donnent pas prise à une expérience scientifique digne de ce nom. On peut mettre un rat dans une cage à 25 m d'une antenne pendant quinze ans, il n'y aura aucun effet, même si scientifiquement quelques électrons se déplacent parce qu'il y a quelques volts par mètre ou quelques dizaines de volts par mètre qui influent sur la configuration du rat.

En ce qui concerne le fait de rassurer les gens en disant que comme les effets sont infinitésimaux, il n'y a pas de problème, à un colloque que nous avions co-organisé au Collège de France sous le patronage de l'Académie de Médecine et de l'Académie des Sciences, le Professeur TUBIANA avait rappelé qu'Aristote avait démontré il y a déjà 2 500 ans qu'on ne pouvait pas faire la démonstration de l'inexistence d'un phénomène.

En termes plus simples, cela veut dire que nous ne pouvons pas démontrer que la vache blanche et bleue du chocolat Milka que nous voyons sur certaines publicités n'existe pas, nous pouvons simplement constater que nous ne l'avons jamais vue. Cela ne suffit cependant pas à rassurer les populations d'où la nécessité de rechercher de nouvelles voies.

Il y a peut-être un autre sujet, à savoir la contraction du temps.

J'ai coutume de dire qu'il a fallu un siècle pour passer du train à vapeur au TGV et qu'aujourd'hui, cela va beaucoup plus vite. Dans nos technologies nouvelles, il y a la fameuse loi de Moore - nous en sommes finalement les gestionnaires -, qui fait que le microprocesseur voit de manière exponentielle, sa capacité augmenter, doubler tous les dix-huit mois.

Je voudrais faire une petite allusion poétique en profitant de la présence d'Yves COPPENS, en faisant référence de manière non scientifique sans doute à un livre fondateur de la paléontologie Le geste et la parole d'André LEROY-GOURHAN.

J'étais tombé sur un graphique qui m'avait un peu ému, qui décrivait la capacité que les hominidés avaient eue à tirer de plus en plus de longueur de tranchant à partir d'un silex. Un graphique montrait la longueur de tranchant issue d'un kilo de silex au cours des âges - je crois que c'était plusieurs centaines de milliers d'années - or cette courbe avait une allure exponentielle.

Je me suis dit que finalement l'homme avait introduit la courbe exponentielle dans la nature. Nous sommes bien placés pour le savoir puisqu'il y a dix ans, nous démarrions le téléphone mobile et qu'aujourd'hui, depuis cette salle, je peux consulter Internet avec ce petit objet qui est à la fois un PDA et un téléphone mobile.

Nous sommes face finalement à un progrès de la science que nous avons nous-mêmes du mal à maîtriser et je crois que tout l'enjeu est finalement de communiquer avec une population qui sait que la terre tourne autour du soleil - et encore pas tout le monde je crois -, mais pour laquelle la mécanique quantique est encore un champ vraiment très inconnu.

Or toutes nos préoccupations et toutes les mesures que nous prenons pour protéger l'environnement, relèvent de ces sciences extrêmement sophistiquées.

Un dernier mot de conclusion pour dire que nous sommes convaincus que le développement durable est compatible avec la rentabilité durable de l'entreprise, c'est vrai aussi pour le domaine financier comme pour le droit du travail. Nous ne pouvons être rentables durablement et un groupe industriel ne peut pas être pérenne s'il ne respecte pas la totalité des composantes qui sont le souci primordial de l'être humain.

Merci Monsieur le Président !

M. LE PRESIDENT - Merci Monsieur FOREST et merci d'avoir souligné que principe de précaution n'équivalait pas à principe d'inaction. C'est un point extrêmement important que nous devons retenir.

Monsieur LEPEU, directeur des Relations extérieures de Renault, vous avez sûrement des choses à nous dire en ce qui concerne la prise en compte de ces principes.

M. Jean-Marc LEPEU, Directeur des relations extérieures Renault - Tout d'abord je voulais remercier l'Office Parlementaire de donner aux entreprises l'occasion de s'exprimer sur un sujet qui est devenu un sujet essentiel, mais qui peut avoir des conséquences tout à fait importantes pour nous.

Renault a d'ailleurs répondu avec beaucoup de sérieux au questionnaire envoyé par le Ministre sur le projet de Charte environnementale.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour féliciter les membres de la Commission Coppens de la qualité de leurs travaux. Je ne vais pas dire que je n'ai pas lu le projet de rapport, je l'ai lu et je pense, d'abord comme un citoyen. Je l'ai tout simplement trouvé remarquable dans sa vision, dans sa justesse et dans son équilibre.

Comme vous me l'avez demandé, je vais donc essayer d'être aussi concis et précis que possible non pas pour vous expliquer ce que Renault fait en matière de développement durable, mais pour vous exprimer les aspects positifs et nos préoccupations face à cette démarche.

La première remarque est qu'intégrer l'environnement dans la Constitution apparaît aujourd'hui tout à fait justifié et nécessaire. Cela consacrera l'environnement comme une valeur reconnue et indispensable au bien-être de l'homme et contribuera aussi à la reconnaissance et à la promotion du développement durable.

Cette consécration doit aussi confirmer l'implication de l'ensemble de tous les acteurs dans le respect de l'environnement et ce, pour les générations existantes et futures.

Nous pensons donc que la démarche générale est bonne.

La deuxième remarque est que Renault ne souhaite pas s'exprimer sur un plan juridique ou même constitutionnel parce qu'il y a en ce domaine de meilleurs experts que les entreprises. En revanche, il est essentiel pour les entreprises de pouvoir travailler dans un environnement stable, lisible et compréhensible, et si la Charte peut entraîner des responsabilités pour les acteurs économiques, elle ne doit pas engendrer incertitudes et risques pour ceux qui entreprennent.

La troisième remarque est qu'il est essentiel que l'approche qui sera retenue, ne freine ni la recherche, ni l'innovation, ni la mise sur le marché des produits des entreprises qui, rappelons-le parce que c'est essentiel, évoluent dans un contexte et une concurrence internationale.

La quatrième remarque est que l'environnement est une notion complexe. Le droit de l'environnement est un droit encore relativement jeune, en constante évolution et notamment dans ses principes et leur encadrement juridique.

Il faut donc éviter de créer une situation où la définition trop précise des principes de l'environnement dans la Constitution ouvrirait la voie à des recours de constitutionnalité des lois que nos parlementaires auraient à voter.

En conséquence ce qui, de notre point de vue, est acceptable et même souhaitable, c'est la reconnaissance du droit à un environnement sain et équilibré, car c'est une notion conceptuelle de même nature que les hommes et les femmes sont égaux par exemple.

Ce qui est acceptable et même souhaitable, c'est le droit à l'éducation et à l'information en matière environnementale pour le public en général et les consommateurs en particulier.

Tout à l'heure, vous avez cité le problème de la réduction de la consommation de nos véhicules et, parallèlement, l'utilisation de plus en plus grande de 4x4 qui sont de très gros consommateurs. Sachez que nous avons maintenant une obligation d'informer le consommateur sur la consommation de nos véhicules et leurs émissions en grammes de CO² au kilomètre. Nous, constructeurs, pensons que cette information et cette obligation sont tout à fait justifiées et normales.

En revanche ce qui, pour nous, est plus préoccupant car source d'incertitude, de manque de clarté et de sécurité juridique, c'est de reprendre les principes environnementaux dans la Charte et, notamment, les principes de précaution et de prévention.

Ce n'est pas pour échapper à des responsabilités supplémentaires, mais parce que, de notre point de vue, les quatre principes ne sont pas des principes constitutionnels, mais des notions qui ne se conçoivent que déclinées dans le cadre d'une gestion ou d'une pratique de l'environnement. Ce ne sont pas des concepts, mais des choses qui emmènent la pratique.

Les inclure dans la Charte présenterait un double risque, celui d'être trop rigide et en même temps trop flou.

Le risque d'être trop rigide parce qu'il ne faut pas figer certaines notions, en particulier les principes environnementaux qui, à ce jour, ne font l'objet d'un consensus, ni dans leur définition, ni dans leur application.

Le risque serait par ailleurs grand de les figer indépendamment des évolutions communautaires ou internationales et surtout des évolutions technologiques. Je prends un exemple. Je ne sais pas ce que signifie pour un constructeur automobile le principe de précaution en ce qui concerne la mise sur le marché de véhicules qui, bien que les émissions polluantes aient largement et massivement diminué, sont encore existantes. Cela voudrait-il dire qu'il ne faudrait pas mettre ces véhicules sur le marché ?

Le risque d'être trop flou parce que l'absence de consensus technico-juridique et de données factuelles sur le contenu des principes et objectifs présents dans la Charte, conférerait au juge constitutionnel un rôle arbitraire dans la constitutionnalité des lois et serait un facteur d'insécurité juridique, notamment pour les entreprises.

En résumé, l'introduction de l'environnement dans la Constitution est une bonne démarche et dans la proposition de Charte du rapport Coppens, bien que je ne l'aie pas lue, la variante numéro 1 semble parfaitement répondre aux objectifs recherchés en évitant les risques énoncés précédemment.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - C'est mieux que l'Arlésienne car si personne ne l'a vue, vous avez cependant pu lever un coin du voile de la bourka.

Puis-je demander à Geneviève PERRIN-GAILLARD qui est en quelque sorte un témoin privilégié puisqu'elle a également suivi ces travaux, si elle a un point de commentaire sur cette première table ronde ?

Mme PERRIN-GAILLARD - Merci Monsieur le Président !

Vous me prenez un peu de court. Je suis là en qualité de parlementaire et ce, bien que j'aie travaillé avec la Commission Coppens et beaucoup appris même si, comme l'ont dit les deux premiers intervenants, tout tournait beaucoup autour de débats juridiques et scientifiques qui étaient parfois largement au-dessus de mes capacités politiques à pouvoir tout comprendre. Ceci dit, il faut toujours être humble dans notre vie.

Premier point, je ferai une réflexion en qualité de parlementaire.

Aujourd'hui, nous sommes dans une situation un peu surréaliste. Je pensais que nous aurions - et je parle bien en qualité de parlementaire, représentante au moins de mon groupe dans cette réunion - les points de discussion et qu'à partir de là, les intervenants présents pourraient nous indiquer leurs sentiments. Ceci dit, ce n'est pas le cas, c'est dommage. Je crois que cette Charte telle qu'elle sera présentée au Président de la République, au Gouvernement, puis enfin au Parlement méritera et mérite déjà qu'il y ait un grand débat autour d'elle.

J'ai deux choses à dire par rapport aux intervenants qui ont parlé.

Tout le monde a eu à un moment donné dans sa bouche, le mot recherche - et je crois que c'est important - en revanche personne n'a parlé des budgets de la recherche.

Je pense qu'on peut avoir tous les discours possibles et imaginables sur des sujets de cette nature, mais si au niveau de l'Etat en particulier et de la recherche publique, on n'a pas un budget digne de ce nom, tout ce qu'on peut dire, y compris à travers une Charte, n'aura rien de significatif.

Je voudrais que les intervenants qui en ont parlé, me disent comment ils voient demain la recherche, la recherche publique.

On a parlé d'expertise et d'évaluation, comment fait-on pour avoir en matière d'environnement, une évaluation et une expertise indépendantes ?

Aujourd'hui je crois qu'il est important de parler de ces sujets.

J'ai aussi entendu Monsieur Bernard de GOUTTES très bien parler du nucléaire civil, mais je ne l'ai jamais entendu parler des déchets radioactifs et de la manière dont on intégrait dans une entreprise comme la sienne, le coût du traitement de ces déchets. Or ils méritent quand même d'être pris en compte dans la « rentabilité économique » d'une telle entreprise.

Je crois qu'il ne faut pas occulter les débats, mais il faut que les choses soient claires et transparentes.

Enfin, j'ai entendu que le représentant de Bouygues Télécom parlait de communication et de la façon dont une entreprise comme la sienne pouvait faire du développement durable à travers une Charte. Je suis certainement d'accord. Mais je voudrais qu'à partir de l'information, de la communication et de ces grands principes d'éducation, on me parle un peu de la façon dont les intervenants voient la participation des citoyens, parce que la communication et la participation c'est autre chose. La participation et l'éducation, ce n'est pas la même chose. L'accession à une culture scientifique, digne de ce nom, qui permet de pouvoir donner au citoyen la capacité d'analyser les choses et d'avoir un comportement convenable est encore une chose différente.

J'aimerais que nous puissions aborder ces problèmes non pas de façon superficielle, mais de façon plus profonde. C'est pourquoi il est dommage que nous n'ayons pas la Charte.

Ce sont les quelques remarques que je peux faire jusqu'à présent sur le sujet.

M. LE PRESIDENT - Merci, chère collègue.

Les questions qui viennent d'être posées rejoignent quelques-unes de celles que j'avais établies dans mes petites fiches et que j'ai notées également tout à l'heure en ce qui concerne Areva et le développement durable, à savoir la manière de situer la problématique des déchets.

J'ajoute qu'en ce qui concerne l'information, l'information, la communication et la publicité sont trois choses différentes.

M. COPPENS - Je ne peux pas ne pas répliquer à l'histoire des silex, mais ce sera bref.

L'histoire est la suivante, elle est superbe.

Il y a 2 millions d'années, avec un kilo de pierres taillées, les personnes arrivaient à fabriquer 10 centimètres de tranchant. Ce n'est pas une merveilleuse rentabilité, mais ce n'est déjà pas mal.

Il y a 500 000 ans, on taille mieux, on fait de jolis bifaces symétriques et on arrive à 40 cm de tranchant au kilo de pierres taillées.

Il y a 50 000 ans, on arrive à 200 cm au lieu de 40 ou 10, au kilo de pierres taillées.

Il y a 20 000 ans, on arrive à 2 000 cm ce qui est très impressionnant.

M. LE PRESIDENT - C'est le développement de l'ère industrielle !

M. COPPENS - Précisément, lors d'une conférence où j'avais raconté cette histoire, un auditeur qui n'a pas voulu intervenir sur le moment, m'a envoyé un mot en disant que c'était épouvantable. Il avait pesé un kilo de lames de rasoir et il n'était arrivé qu'à 13 000 cm. Il était très déçu par le fait que l'exponentielle se brisait un peu avec ces lames.

M. KLAPISCH - Cette histoire est très importante parce que souvenez-vous, en 1960, le Club de Rome, et aujourd'hui un certain nombre de personnes tout à fait de bonne foi pensent qu'à propos des ressources naturelles, de l'activité humaine, l'exponentielle est une courbe qui fait peur.

Je dois dire que depuis une trentaine d'années, il y a eu des chercheurs à Vienne, à l'institut d'analyse des systèmes, qui ont montré que dans un grand nombre de cas, l'allure des croissances dans le milieu aussi bien naturel que social, avait plutôt une courbe qu'on appelle logistique, c'est-à-dire la courbe en S, qui va vers une saturation.

Si nous voulons être un peu mathématiques, au début de cette courbe, l'exponentielle et la courbe en S se confondent, on peut le démontrer mathématiquement, il faut donc se rendre compte que finalement tous les phénomènes présentent une saturation. Les premiers qui l'ont trouvé, sont les biologistes qui étudient les épidémies. Cela vient du monde vivant, mais cela s'applique aux phénomènes sociaux et même à la durée des produits ; certains produits finissent par être mâtures.

Par conséquent je pense que l'exponentielle, oui, c'est important, mais cela a une limite et il ne faut surtout pas penser qu'on va bientôt peupler tout l'univers avec nos déchets.

M. LE PRESIDENT - Merci, j'ouvre le débat pour un quart d'heure si vous avez des questions sur les premières interventions.

M. COHEN - J'aurais aimé débattre davantage sur le contenu de la Charte, mais je voudrais intervenir sur les thèmes que vous avez évoqués et, en particulier, sur l'un d'eux, souligné par Geneviève PERRIN-GAILLARD, qui me semble extrêmement important et que nous devons élargir.

En quatrième thème, vous avez parlé de la nécessité de l'enseignement. Je crois qu'il est bien sûr nécessaire que l'enseignement soit partie prenante de l'éducation aux enjeux scientifiques et à la capacité de toute personne formée pour être un citoyen à part entière d'intervenir dans les débats et les choix scientifiques.

Je pense que nous avons un large retard et même s'il faut miser sur l'éducation, il faut travailler sur la culture scientifique et technique. C'est un élargissement du rôle que devrait avoir l'éducation, mais qui est quand même mis un peu de côté et qui, pour le moment, est relativement déficient par rapport à la façon dont nous apprenons les sciences. Pour moi, il est important de réfléchir sur la culture et le rôle de chacun.

Je voudrais rebondir sur une remarque du représentant de Bouygues, Monsieur FOREST. Il a dit que la notion d'éducation concernait moins les industriels. Il est évident que si on reprend le triptyque du Président - publicité, communication et information - vous êtes bien placé pour la publicité et vous commencez à approcher un peu la communication. Il est cependant évident qu'il y a une révolution culturelle à accomplir par les industriels dans le domaine de l'information.

Pour revenir aussi à une phrase de l'intervenant d'Areva, qu'il le souhaite ou non, il est évident que la démocratie participative sera incontournable. Nous le voyons et l'avons senti à propos des risques industriels. Quand on est député de Toulouse, je peux vous garantir que, dans un grand nombre de domaines que vous connaissez bien, il n'y a pas que la démocratie représentative : la démocratie participative amènera des gens à être des citoyens à part entière, et qui joueront un rôle dans le cadre du débat sur l'environnement.

Si nous parlons d'éducation, c'est bien pour la mettre comme pièce essentielle. Il ne s'agit pas simplement de la connaissance qui est couverte par la recherche, ni de la diffusion qu'est la notion d'école, mais aussi de la notion de culture scientifique et technique.

Je répondrai à une chose, lorsque vous avez parlé de laïcité, je l'appelle service public. Je comprends le parallèle à la laïcité, cela me semble être une bonne image, mais il me semble que nous avons quelque chose qui existe faisant que s'il y a une neutralité, une possibilité de débattre sur la connaissance par la contre-expertise, il doit y avoir une notion de service public permettant de définir les informations qui sont objectives.

M. LEPEU - Je ferai une petite remarque sur l'éducation. Je crois que les entreprises sont tout à fait conscientes de leurs responsabilités dans ce domaine. Chez Renault, nous avons mis en place il y a un an et demi, un programme, Sécurité pour tous, qui était diffusé dans tous les ministères de l'éducation nationale d'Europe. C'est un kit pour que les professeurs puissent enseigner aux enfants, les problèmes liés à la sécurité routière.

Je crois qu'il faudrait également une meilleure coopération entre le privé et le public sur ces questions là pour que ces initiatives soient considérées par les ministères d'une façon positive. Nous avons souvent des difficultés parce qu'on dit que l'entreprise veut vendre sa « camelote » alors que ce sont des programmes qui sont vraiment faits pour essayer de faire progresser les choses.

La coopération entre le privé et le public sur ces phénomènes doit être accrue et peut-être comporter moins de réticences et d'a priori dans un certain nombre de cas.

Mme PERRIN-GAILLARD - J'ai oublié de poser une question. J'ai entendu Monsieur LEPEU dire tout à l'heure qu'il ne souhaitait pas que les principes environnementaux soient repris dans la Charte. Je voudrais lui demander s'il sait que ces principes sont déjà définis dans le code de l'environnement et qu'ils sont donc présents dans notre loi. Cela voudrait-il dire qu'il souhaite qu'en fin de compte, on change le code de l'environnement ?

M. LEPEU - La réponse est difficile, mais bien sûr que non !

Aujourd'hui ces principes sont des principes essentiellement d'action publique et non pas d'action privée. Le risque qui peut résulter d'une inclusion de ces principes dans la Constitution fait que, petit à petit, nous pourrions voir ces principes élargis à l'ensemble de la responsabilité privée.

Je conçois que l'Etat soit responsable d'un principe de précaution et fixe donc des normes par exemple, pour les automobiles. En revanche si aujourd'hui un constructeur automobile est poursuivi parce que mettant sur le marché un véhicule qui n'a pas d'émissions zéro et qu'il n'aura pas respecté le principe de précaution, à ce moment-là j'estime que ce serait une erreur.

M. KLAPISCH - J'aimerais brièvement rebondir à ce sujet.

J'ai bien écouté tout ce qu'ont dit les différents intervenants et je dirai que vos soucis qui apparaissent, au niveau des procédures, apparaîtront effectivement dans le projet de loi constitutionnelle.

Il faut bien comprendre que nous avons travaillé sur plusieurs hypothèses. Prenons l'exemple du principe de précaution. Il existe dans les engagements internationaux, dans la loi Barnier, etc...

Il est évident que pour l'expliciter, pour éviter un certain nombre de dérives, il faut des développements assez substantiels en particulier précisant là où ce principe s'applique, là où il ne s'applique pas, au public, au privé, les procédures à suivre, etc...

Dans un texte constitutionnel, où vous avez des phrases comme « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit... » -, vous ne pouvez pas expliciter tout ceci. Par conséquent, il faut faire très attention au poids des mots.

Je ne suis pas devenu juriste, mais j'ai écouté ce qu'ont dit les juristes du comité. Au moment du colloque dont je vous ai parlé, nous avons eu Monsieur Louis FAVOREU qui est une autorité en matière constitutionnelle et nous avons eu une consultation avec Monsieur CARCASSONNE qui en est une autre.

Les juristes nous ont expliqué que si un principe dans la loi, était une chose, un principe dans la Constitution était tout à fait autre chose ; il pouvait s'opposer à d'autres principes comme le principe de liberté, le principe d'entreprendre, etc. Pour reprendre une expression que vous lirez dans les comptes rendus du colloque, il faut prendre avec précaution le principe de précaution. Je crois qu'il faut bien distinguer entre les procédures, ce que nous devons faire en matière de responsabilité, d'information et de démocratie participative. Tout ceci se trouvera dans la Charte, mais il y a les termes et c'est là qu'il y a eu ces deux versions.

Attache-t-on une vertu quasi magique au terme de principe ou veut-on insister sur l'efficacité en se prévenant d'un certain nombre de dérives qui sont dans les règles du jeu du droit constitutionnel et même du droit tout court ?

La question que vous avez soulevée, Monsieur, est effectivement importante et a fait l'objet de débats. Est-ce que ce sera une application universelle ou une application aux autorités publiques ? Il y a eu effectivement les deux tendances et nous en avons discuté. C'est là un point tout à fait important.

Je vous signale qu'il y a tout de même des dérives en matière par exemple de santé. Nous voyons de plus en plus aux Etats-Unis - et cela vient vers la France - une « judiciarisation » si l'on peut dire. Bientôt les médecins ne voudront plus accepter de vacciner. Quand j'étais gosse, on était vacciné, point ; maintenant on se pose la question.

Vous avez donc raison de dire que si nous poussions à l'extrême - mais il faut quand même faire confiance à la sagesse du juge constitutionnel - nous dirions que comme vous avez fait une voiture qui n'a pas zéro émission, cela ne marche pas.

Effectivement il faut des normes. C'est là que nous avons eu des débats et je pense que nous avons abouti à quelque chose de raisonnable. Le dilemme porte sur les mots. Y aura-t-il les mots principes ou les mots procédures ?

M. LE PRESIDENT - Avant de donner la parole à Yves COCHET, je note que nous sommes là au noeud du problème. Est-ce que le principe défini doit être extrêmement rigide sachant qu'il s'applique à un substrat en évolution ?

En effet, Les connaissances évoluent et à un moment donné, ce que nous faisions en fonction de ces connaissances était jugé à peu près acceptable et normal et ce que nous faisons peut-être dix ou vingt ans après, nous ne le ferions plus. C'est toute la difficulté de la jauge que nous allons mettre, mais cela doit s'appliquer dans la déclinaison que nous en faisons.

Comment faire pour que dans la Constitution ou la formulation qui sera retenue dans cette Charte, nous laissions cette ouverture pour l'évolution en fonction de l'évolution même des connaissances ?

Ne pourrions-nous pas l'assimiler à ce qu'on appelle le principe Alara, c'est-à-dire « aussi bas qu'il est techniquement, raisonnablement possible », et qui s'est même transformé en « aussi bas qu'il est techniquement possible de réaliser » ce qui n'amène pas au zéro, mais qui tient bien compte de l'état des connaissances et techniques à un moment donné.

Pouvons-nous aller jusqu'à mettre dans un texte : « cf. principe Alara ». C'est une autre question.

M. COCHET - Merci Monsieur le Président, c'est juste au sujet de cette dernière polémique concernant les principes qui devraient être dans la Charte de l'Environnement. Je crois qu'ils devraient l'être, bien sûr, un certain nombre d'entre eux, notamment ceux qui sont dans la loi Barnier de 1995.

J'ai entendu une chose qui m'a choqué et je voudrais également faire une ou deux remarques.

Je ne vois pas que la loi ou la Constitution puisse s'appliquer différemment au public et au privé. Je crois qu'il y a une sorte d'orthogonalité entre le fait que l'action publique serait dictée par certains principes légaux ou constitutionnels tandis que l'action privée y échapperait.

Il faut faire très attention et s'il y a une loi comme la loi Barnier ou s'il y a des principes constitutionnels, cela s'applique à toutes les situations, même si - et vous avez cité l'exemple de l'égalité - les principes de l'égalité et de la liberté sont opposés depuis la nuit des temps.

Le fait que même dans la Constitution, il puisse y avoir des principes contradictoires, n'est pas nouveau et ce n'est pas choquant. Une bonne partie de la vie des sociétés humaines se fait sur des principes comme l'égalité d'un côté et la liberté de l'autre qui sont contradictoires entre eux, voire même pour certains qui ne s'appliquent pas instantanément au moment où ils sont institués.

En ce qui concerne le principe d'égalité comme vous le disiez, les hommes - c'était une formulation sexiste à l'époque - naissent et demeurent libres et égaux en droit, l'abolition de l'esclavage a demandé au moins soixante ans en France après cette déclaration. Quant au vote des femmes, c'est plus d'un siècle et demi. Et nous ne sommes d'ailleurs pas encore à l'égalité.

Je crois que dire que si jamais nous mettons un principe tel que le principe de précaution, avec une formulation qu'il s'agirait de définir - tout est en effet dans la formulation et les mots - dans la Constitution, cela fera du contentieux et des recours partout, je ne le crois pas. Cela n'en fera pas plus que pour les principes Liberté, égalité, fraternité à la fois auto-contradictoires d'un point de vue historique et contradictoires mutuellement dans leurs tensions réciproques.

En outre le principe de précaution s'applique, non pas à toutes les petites pollutions quotidiennes, mais à ce qui est grave ou irréversible. Et je pense qu'il faut réserver l'application de ce principe à quelque chose qui peut remettre en cause une partie d'un écosystème, sinon une partie de la biosphère.

Dans ce cas, grave ou irréversible, sont des mots qui, eux-mêmes, sont graves. Nous ne pouvons donc pas l'appliquer ponctuellement ou localement à quelque chose qui serait peut-être ennuyeux pour les personnes qui le subissent, mais qui ne serait pas grave ou irréversible à l'échelon d'un écosystème assez vaste ou à celui de la biosphère.

Je crois donc que de la part de nous-mêmes et de nos concitoyens en général, il y a une minimisation de l'ampleur de la crise écologique mondiale.

J'ai pu voir les premières formulations de la Charte de l'Environnement, même si de manière stupéfiante nous n'avons pas encore de document aujourd'hui ; certains ont filtré. Avec Geneviève PERRIN-GAILLARD, nous avons participé à certaines réunions plutôt privées où nous avions ces documents, lesquels comportaient des crochets, plusieurs formulations. Je pense que le fait qu'il y ait ces principes est une bonne chose. J'y suis favorable à condition, encore une fois, que lorsque cela s'applique au niveau constitutionnel, ce soit pour des choses qui remettent en cause un aspect fondamental de notre vie biophysique.

En ce sens, la critique que je ferai au premier brouillon de la Charte de l'Environnement - nous ne l'avons pas aujourd'hui et je le regrette - n'est pas qu'il y ait les principes ou non, mais le fait qu'elle soit encore dictée par une vision utilitariste ou productiviste du monde.

Nous essayons de calculer, de mélanger des principes environnementaux - le principe de précaution, de responsabilité, etc. - avec des principes de calcul coûts-bénéfices. Or au niveau de la Constitution, c'est tout à fait choquant d'un point de vue moral et nous y reviendrons éventuellement.

M. KLAPISCH - Je voudrais d'abord revenir sur ce que disait Monsieur BIRRAUX. Nous avons une contradiction, dès le départ, entre une réalité qui évolue, pas seulement par les connaissances scientifiques, mais aussi par la perception sociale que nous avons de l'environnement, et une Constitution qui doit être pérenne.

Un exemple. A l'heure actuelle, la loi Barnier qui date de 1995, est obsolète dans certains aspects. Dans la loi Barnier, on ne parle pas des dommages globaux, c'est-à-dire du changement climatique, tout simplement parce que si certains, les scientifiques, en avaient conscience, ce n'était pas aussi universellement accepté qu'aujourd'hui.

Ensuite en ce qui concerne la question de la Constitution, j'ai déjà exprimé qu'il y avait des problèmes juridiques dans le fait de la concision nécessaire.

Au sujet de la proportionnalité, je vous ferai remarquer, Monsieur COCHET, que déjà dans les engagements internationaux de la France comme la loi Barnier, il y a l'idée d'un coût économiquement raisonnable. Cela a déjà été voté.

Si je me réfère maintenant à la question très importante, selon moi, de l'opposabilité aux autorités publiques ou au privé, vous avez une composante essentielle dans le rapport KOURILSKY - VINEY disant que le principe de précaution correctement interprété est un principe d'action et, qu'en conséquence, il faut faire des recherches.

Seule la puissance publique est en mesure de diligenter les recherches qui permettront de lever les incertitudes. Vous ne pourrez pas avoir une petite start-Up qui soit au courant et qui puisse donc être tenue pour responsable des conséquences de tel ou tel produit.

Vous ne pourrez pas avoir le maire de Saint-Cyr-l'Ecole, à qui ses électeurs demanderont au nom du principe de précaution de s'opposer à des antennes. Il ne peut pas, lui, diligenter les recherches et doit donc se fier à ce qui peut être uniquement le privilège de la puissance publique, soit de faire des recherches sur le plan national, soit comme l'Organisation Mondiale de la Santé est en train de le faire, d'attendre qu'il y ait vraiment une loi, une norme lui indiquant quel doit être son comportement.

Il faut faire très attention à ce que des impératifs respectables, mais je dirai moraux, ne se traduisent pas par des obligations qui soient difficiles à vivre sur le terrain, aussi bien pour les entreprises, pour les personnes privées que pour certains échelons de la puissance publique.

DEUXIEME TABLE RONDE : LA RESPONSABILITE DE L'HOMME

M. LE PRESIDENT - Je demande à Madame Marion GUILLOU, directrice générale de l'INRA, de nous présenter une communication.

Mme Marion GUILLOU, Directrice générale INRA - Merci Monsieur le Président. Je vais donc intervenir en tant que directrice d'un organisme de recherche publique qui a comme champ de travail l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, qui travaille donc beaucoup au service de l'homme et des milieux dans lesquels il vit et sur lesquels il intervient, donc à une échelle d'action de l'homme. Je pense que mon collègue du CNRS sera à une échelle plus globale.

Vous nous avez sollicités pour faire des commentaires sur les quatre principes associés à la Charte, que vous nous avez cités : prévention, précaution, participation information et pollueur-payeur.

En tant que représentante du monde de la recherche finalisée sur des thématiques intéressant directement l'homme et ce qu'on appelle les milieux anthropisés, dans lesquels l'homme intervient, je vais essayer de passer en revue ces différentes questions.

Vous savez qu'un organisme de recherche finalisé a plusieurs types de missions. Il produit d'abord des connaissances et il est chargé de leur diffusion et de leur valorisation.

Ensuite et surtout pour un organisme de recherche finalisé comme le nôtre, il doit participer à l'expertise et surtout à l'expertise publique.

Enfin il doit contribuer à la formation à et par la recherche, à l'innovation et au débat science-société, ce qu'à une époque, nous appelions la culture scientifique et technique et qui, maintenant, est un processus plus participatif entre le scientifique et le citoyen.

Vis-à-vis des quatre principes que vous avez proposés, il me semble que nous avons plusieurs positions et je vais essayer de prendre chacune d'elles.

En tant qu'institut de recherche, nous allons travailler notamment dans les sciences économiques, dans les sciences humaines et sociales sur la compréhension et la formalisation de ces principes et, pour notre part, dans ce qui concerne l'agriculture, l'alimentation et les territoires.

Deuxième posture, c'est une contribution à la mise en oeuvre de ces principes soit par la production de connaissances, de techniques ou de méthodes, soit par la contribution à l'expertise, soit encore par la contribution à l'innovation.

Troisième posture, c'est un organisme qui est acteur puisque lorsqu'on fait de la recherche aussi bien que lorsqu'on a une autre activité, on peut être concerné à la fois par le principe de prévention, par celui de précaution et par celui de participation à la décision ou de pollueur-payeur.

Dans le domaine de la prévention, nous sommes dans le domaine des risques avérés et donc, d'une certaine manière, ce que nous appelons l'analyse causale est un peu le fil directeur de l'action. Nous essayons de comprendre les enchaînements entre certaines causes et certaines conséquences.

Nous conduisons donc des recherches pour essayer de cerner mieux ce qui est connu et les dommages qui pourraient découler de certaines actions.

Beaucoup de ces recherches tournent autour du rapport entre ce que nous pourrions appeler un bien public, un bien collectif et des acteurs privés et nous devons faire en sorte que les modes de connaissance et ceux d'action publique, fassent converger ce qui a priori peut se présenter sous forme de tension ou de contradiction : la constitution d'un bien public et les décisions d'un acteur privé.

C'est particulièrement évident dans l'exemple de l'érosion des terres agricoles et des pratiques agricoles. La somme de décisions d'acteurs agricoles privés peut contribuer plus ou moins à l'érosion des terres agricoles et il faut voir de quelle manière, par la production de connaissances et l'animation des pratiques agricoles, nous pouvons contribuer à diminuer ce risque qu'est l'érosion des terres agricoles.

Deuxième mode de participation au principe de prévention, c'est mieux connaître pour maîtriser les pollutions d'origines agricoles de l'air, de l'eau ou des sols. Je vous donne l'exemple de programmes dans lesquels nous travaillons avec les acteurs, comme le programme « porcheries vertes », c'est-à-dire comment, au-delà du problème directement scientifique posé, construire une solution collective avec les acteurs.

Troisième type de mode d'intervention, c'est une expertise publique pour contribuer à la prévention d'accidents qui peuvent affecter la santé ou l'environnement.

Je vous donne l'exemple du changement climatique.

A la demande du ministère de l'écologie, nous venons d'effectuer une expertise collective qui portait sur la thématique : Comment les sols agricoles peuvent contribuer à la diminution de l'effet de serre ?

Cela peut être les forêts, là c'était les sols agricoles. Nous avons également des travaux sur la sylviculture et les effets de serre.

Nous contribuons là à la formation par une expertise collective pluridisciplinaire contradictoire - ce sont toujours les mêmes caractéristiques de l'expertise -, à un point sur la question.

Un autre mode d'intervention sur la prévention est, dans le cadre des procédures d'autorisation, des experts qui contribuent à l'évaluation du risque en routine ou à cette évaluation avant des procédures d'autorisation.

Donc, sur la prévention : production de connaissances, étude de mécanismes de prévention et de mobilisation des acteurs, puis production de connaissances brutes.

En ce qui concerne la précaution, nous rentrons dans le domaine de l'incertitude, des risques plausibles, graves, non scientifiquement établis et/ou irréversibles - la doctrine n'est pas totalement unanime autour de la table.

Sur le plan conceptuel, nous avons les mêmes types d'intervention, nous avons des recherches sur le concept de principe de précaution appliqué dans les domaines agricoles alimentaires ou environnementaux.

De la même manière, sur le plan opérationnel, nous avons des recherches qui essayent d'appréhender les incertitudes et d'évaluer les risques avant que le problème ne se pose. C'est comment faire en sorte que nous cadrions un peu mieux ces domaines dans lesquels les risques sont plausibles, mais non scientifiquement établis.

Une fois le problème posé, nous sommes mobilisés non plus en tant qu'institut, mais en tant que chercheur, puisqu'environ un tiers des experts, par exemple à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, sont des personnes de l'INRA.

Les agences d'expertise mobilisent les capacités de la recherche publique pour contribuer à une expertise collective indépendante. C'est en tant qu'elle est collective et organisée de manière contradictoire, que l'expertise peut être indépendante.

Enfin - et c'est ce que vous avez appelé l'obligation de recherche - l'INRA est chargé de conduire des travaux de recherche pour éclairer certains risques ou incertitudes dans des domaines qui peuvent paraître graves.

L'intéressant dans ce domaine de la précaution, c'est qu'il a porté - c'était un exercice entre scientifiques - la controverse scientifique sur la place publique. C'est sans doute ce qui a contribué à un étonnement vis-à-vis de la science qui paraissait un édifice construit. Non, la science se construit sur des controverses et chaque controverse permet d'aller un peu plus loin et de bâtir un peu plus de science. Effectivement la modalité de rapports entre la science et la société a sans doute pas mal changé à travers ce domaine de la précaution.

Après vous nous parlez de participation et d'information. Pour moi, la participation à l'élaboration des politiques et décisions publiques est claire. Nous pouvons fournir un appui méthodologique qui favorise la participation des acteurs aux débats et décisions publiques. Ce sont nos travaux sur les méthodes de conférences de consensus sur les OGM, sur les méthodes de concertation et de décision.

En temps qu'acteur, nous pouvons participer au débat public sur les sujets controversés et préalablement aux décisions et nous pouvons même parfois nous-mêmes susciter des opérations de délibérations avant décision.

Nous allons vous remettre un petit document sur une opération que nous venons de terminer dans sa phase 1. C'était une opération de participation pour nous aider à décider sur un sujet particulièrement controversé et difficile qui était un plan de vigne génétiquement modifié. Fallait-il ou non continuer les recherches et donc passer en plein air concernant une maladie pour laquelle nous n'avons pas actuellement de solution de traitement ? Dans ce cas, nous sommes demandeurs de nouvelles formes délibératives pour éclairer nos décisions.

Là encore, nous fournissons soit des connaissances, soit un appui dans un processus, soit nous sommes acteurs. Nous avons chaque fois plusieurs types de positionnement.

En ce qui concerne ce que vous appelez le principe d'information, j'avoue que, pour moi, c'est plus flou. La participation à un processus de décision, nous voyons ce que c'est, il y a un processus en marche. En revanche il me semble que nous aurions besoin de savoir à quoi s'applique le droit à l'information.

Tous vos autres sujets s'appliquent à quelque chose d'assez déterminé, soit un risque avéré, soit un risque plausible grave, soit à un processus de décision.

Nous avons l'impression qu'il faudrait aussi appliquer le droit à l'information à quelque chose qui permette ensuite aux lois et textes de savoir quand il se déclenche. Et ce, si je peux m'exprimer ainsi, bien que ce soit un principe constitutionnel et que comme l'a expliqué Monsieur KLAPISCH, ce n'est pas de même nature qu'une loi.

Le quatrième principe est pollueur-payeur. Nous sommes exactement dans les mêmes postures ; nous apportons un éclairage du concept à travers l'analyse du conflit entre bien public et acteur privé.

Je peux vous donner plusieurs exemples de publications sur la manière dont le principe pollueur-payeur pourrait être appliqué à l'activité agricole, quels en sont les limites, les instruments réglementaires, les instruments incitatifs.

Par ailleurs, nous mettons au point des outils et méthodes qui permettent d'évaluer les pollutions et d'en identifier les auteurs, notamment dans le cadre des pollutions d'origine agricole.

Il peut nous arriver de participer à l'expertise des dommages comme nous l'avons fait très largement dans l'expérience de l'Amoco Cadiz ou dans celle de l'Erika. Nous sommes appelés à participer à l'expertise.

En conclusion, je voudrais dire que la situation actuelle est une situation beaucoup plus globale et beaucoup plus impliquante pour la science. Ce contexte a certainement déplacé l'interface entre le champ de la connaissance, de la science et de la décision. Nous sommes en train de travailler sur les nouveaux modes d'organisation entre la science et le monde de la décision pour faire en sorte qu'on ne les mélange pas et que chacun contribue au travail de l'autre.

Si cela vous est utile - je ne sais pas comment vous travaillerez -, nous avons apporté quelques dossiers sur des productions d'articles scientifiques un peu plus conceptuels sur ce que ce sont ces différents principes et la manière dont ils s'appliquent aux milieux sur lesquels nous travaillons, qui sont les milieux agricoles, alimentaires ou territoriaux, donc l'environnement à l'échelle de l'homme.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci beaucoup Madame. Il me semble que vous avez déjà apporté des réponses aux questions posées tout à l'heure par Robert KLAPISCH sur la manière dont la puissance publique peut contribuer à cette mise en oeuvre et dont la recherche peut participer à la mise en oeuvre de ces différents principes.

Je donne maintenant la parole à Madame Sylvaine CORDIER pour l'INSERM.

Mme Sylvaine CORDIER, INSERM - Merci Monsieur le Président. En tant que chercheur épidémiologiste à l'INSERM, je vais illustrer certains des débats sur l'expertise scientifique qu'ont évoqués Monsieur KLAPISCH et Madame PERRIN-GAILLARD pour vous montrer à quel point le processus est difficile et aboutit à un certain nombre de recommandations que je voudrais transmettre.

Les chercheurs épidémiologistes de l'INSERM sont très fréquemment sollicités pour participer à des expertises sur les risques sanitaires concernant un certain nombre de produits et d'installations.

Vous voyez 1 quelques exemples de synthèses d'expertises auxquelles nous avons eu à participer :

- l'expertise du centre international de recherche sur le cancer sur la cancérogénicité des dioxines ;

- des expertises INSERM, en particulier, sur les effets sanitaires des expositions aux éthers de glycol ;

- plus récemment, en collaboration avec l'Institut de veille sanitaire et l'Association française de sécurité sanitaire des aliments dont a parlé Madame GUILLOU, sur l'impact des incinérateurs d'ordures ménagères ;

- l'évaluation des risques liés à la présence d'aluminium dans l'eau de boisson ;

- de façon plus générale, des recommandations émises au niveau européen sur les effets cancérigènes de substances comme le styrène, le nickel, etc...

Nous sommes amenés vraiment très régulièrement à travailler sur de tels sujets.

Je voudrais vous présenter un type d'exemple pour vous montrer la difficulté des décisions dans le domaine, celui des incinérateurs d'ordures ménagères.

L'incinération des déchets est amenée à se développer en France. De façon inévitable, de par le processus chimique, cette incinération génère en particulier des dioxines, des métaux lourds qui sont des produits réputés toxiques, cancérigènes.

Le tout est de savoir si les niveaux émis ou qui l'ont été, impliquent des risques sanitaires pour les populations aux alentours.

Deux types de réponses sont apportés :

- Les réponses davantage apportées par les agences sanitaires, comme l'Institut de veille sanitaire, sont des réponses en termes d'évaluation de risques.

On part de données existantes chez l'animal ou sur des populations professionnellement exposées et, par modélisation, on essaye de prédire le risque probable sur ces populations.

- Il y a les approches épidémiologiques, auxquelles je m'intéresse plus particulièrement, qui consistent à observer a posteriori l'état sanitaire de ces populations et à essayer d'associer éventuellement un excès de certaines pathologies avec les émissions, au cas présent, des incinérateurs.

Le tout est de pouvoir imputer aux incinérateurs ce qui leur est imputable, c'est-à-dire d'exclure les autres causes de ces excès ce qui n'est pas simple et de prendre en compte éventuellement les autres expositions environnementales qui peuvent contribuer.

En général ce qu'a dit Monsieur KLAPISCH précédemment, c'est que ce genre d'observation ne peut pas être unique. Malheureusement l'épidémiologie est donc limitée par son caractère multifactoriel et ne peut acquérir une certitude qu'avec une répétition de ce genre d'études sur d'autres populations.

L'important à retenir est que, compte tenu de la complexité des mécanismes biologiques en cause et de la diversité des expositions auxquelles sont soumises les populations humaines, les résultats seront nécessairement remis en termes de probabilités, donc d'un risque et d'une imprécision associée à ce risque. C'est incontournable.

Pour en revenir aux incinérateurs, actuellement nous savons que les rejets actuels qui sont probablement dus à des modifications dans les processus de traitement des fumées, sont probablement très réduits. Malheureusement des incinérateurs encore hors normes continuaient de fonctionner, par nécessité, et les sols ont été pollués et continuent à l'être par des substances qui, en la matière, sont des substances très peu biodégradables et qui sont bioaccumulables dans les tissus biologiques.

En revanche, l'incertitude subsiste sur le mode de contamination des populations et je pense, par exemple, que l'évaluation de la contribution alimentaire à la contamination par les dioxines est importante pour essayer de séparer ce qui provient d'une contamination locale et ce qui provient d'une façon générale des circuits de production beaucoup plus généraux.

Il y a des incertitudes aussi sur les effets sanitaires. Certaines études épidémiologiques ont suggéré des excès de cancers, d'autres des excès d'effets sur la reproduction ; elles doivent donc être reproduites.

En ce qui concerne les conclusions sur les incinérateurs, il est certain que le principe de précaution impose que les incinérateurs hors normes soient fermés ou en tout cas remis aux normes le plus rapidement possible.

Le problème subsiste quand même de savoir comment traiter les sols pollués. Il faut là encore que de nouvelles connaissances soient acquises sur le mode de contamination des populations qui vivent autour des incinérateurs.

Cet exemple médian sur les incertitudes scientifiques dans le domaine des risques sanitaires des expositions environnementales se situe entre les deux extrêmes que je vous cite maintenant.

Le premier extrême concerne des situations comme les expositions à l'amiante ou au plomb, domaines dans lesquels un grand nombre de connaissances a été acquis parfois depuis très longtemps. Dans le domaine de l'amiante, il est certain qu'en France, les connaissances scientifiques en l'occurrence ont largement précédé la mise en place de la prévention.

Il faut se prémunir de ce genre de choses d'où la nécessité d'une veille absolument active et vigilante.

A l'inverse - et c'est aussi à ce sujet du doute scientifique que les scientifiques doivent se prévenir - nous sommes fréquemment sollicités par des alertes sanitaires.

Par exemple la présence d'aluminium dans l'eau est-elle ou non une cause d'un excès de maladie d'Alzheimer ? Nous avons cité précédemment les téléphones portables. Il y a un certain nombre de situations dans lesquelles l'alerte sanitaire est présente, elle ne peut pas être mise de côté.

En revanche les experts doivent essayer de dissocier ce que sont les faux positifs, les alertes à tort, de ce qui est une vraie réalité scientifique, en particulier en pondérant la plausibilité biologique et les évidences épidémiologiques ou toxicologiques.

En conclusion, en tant que chercheur praticien de base épidémiologiste participant à l'expertise, je voudrais que soit bien compris par les responsables politiques et les populations concernées les messages suivants.

Le doute doit être admis car il permet de se garantir contre les nombreux faux positifs. Ces derniers ont également des conséquences désastreuses ; je pense aux populations qui vivant à côté d'une antenne de télécommunications, sont très stressées par ce fait.

En revanche le doute doit être associé à une procédure de réévaluation régulière en fonction de la production des connaissances.

Les experts doivent malgré tout s'engager. Ils doivent être amenés à formuler des conclusions provisoires et réévaluables régulièrement au-delà d'un doute raisonnable. J'imagine que si la limite ne peut pas être constitutionnalisée, elle doit être établie.

L'important au niveau de l'information est que les notions de risques et d'échelle de risques doivent être absolument transmises aux populations concernées, aux citoyens de façon qu'ils comprennent que les doutes des experts ne sont pas une manière de se cacher ou de cacher quelque chose de grave, mais qu'ils doivent être compris et respectés.

Il faut aussi que ces populations puissent résister à la panique générée parfois par des informateurs peu scrupuleux, ce qui ne manque pas.

En complément, je dois dire aussi que probablement la formation médicale a des carences en l'état actuel des choses sur l'existence de risques sanitaires liés à l'environnement. Peut-être qu'une formation médicale un peu plus complète permettrait aussi d'informer un peu mieux la population en général sur l'existence de ces risques.

Je vous remercie Monsieur le Président !

M. LE PRESIDENT - Merci Madame !

Le scientifique qui vit encore en moi s'est réjoui que vous ayez en quelque sorte réhabilité le doute. Si nos concitoyens ont besoin de certitudes et d'absolu, nous devons vivre avec le doute.

Mme PERRIN-GAILLARD - Je pourrais faire, Monsieur le Président, la même remarque que celle que vous venez de faire aux deux scientifiques qui viennent de s'exprimer.

A ce moment-là de notre réflexion, après avoir entendu les premiers intervenants, puis Madame GUILLOU et Madame CORDIER, je m'interroge et je voudrais demander à ces deux personnes si elles pensent que nous avons vraiment besoin d'une Charte constitutionnelle pour faire les travaux qu'elles ont faits.

En fin de compte, vos travaux sont déjà là, vous avez déjà des interrogations sur le principe de prévention, le principe de précaution, le principe pollueur-payeur et je pense qu'en matière de recherche, vous n'êtes pas les seules à pouvoir travailler et éclairer les autorités publiques sur ces points.

Je m'adresse également à Madame CORDIER qui a donné un exemple frappant, celui de l'amiante. Elle a dit que cela faisait des années que l'on connaissait les risques graves liés à l'amiante et la prévention a été mise en place bien après la connaissance de ces risques, ce qui est quand même extrêmement grave.

Je me demande si une Charte permettra ou non de pallier ce genre de déficience dans la mesure où dans le code de l'environnement, nous avons déjà un certain nombre de principes. Ne serait-ce pas plutôt l'application de ces principes qui permettrait justement de pallier ces pollutions environnementales ou la détérioration de l'environnement aujourd'hui ?

Si nous appliquions ne serait-ce que les lois qui ont déjà été votées par le Parlement, ne pensez-vous pas que cela suffirait ? Faut-il véritablement une reconnaissance juridique constitutionnelle à ces principes pour qu'ils soient véritablement effectifs ? C'est la question que je me pose parce que finalement les propos des uns et des autres m'amènent à cette interrogation.

N'avons-nous pas d'ores et déjà aujourd'hui un arsenal juridique suffisant, à condition bien sûr qu'il soit bien respecté, pour permettre une véritable protection de l'environnement ?

M. LE PRESIDENT - Nous pouvons effectivement associer l'asbestose, maladie provoquée par l'amiante, et peut-être aussi la silicose. En quoi et comment une approche constitutionnelle aurait-elle-pu changer les données ?

Mme GUILLOU - Votre question est vaste et difficile pour nous deux et nous allons essayer de nous répartir quelques réflexions en réponse à votre intervention qui est assez fondamentale.

Il y a d'abord une question de droit à laquelle je serais bien incapable de répondre, à savoir ce que va générer un principe constitutionnel par rapport à des obligations de la loi.

Il me semble que les quatre principes sur lesquels nous sommes intervenus l'une et l'autre de manière complémentaire, sont soit partiellement soit complètement déjà mentionnés soit dans les textes législatifs soit dans des textes de niveau communautaire.

Pour nous, scientifiques, j'ai donc du mal à vous dire si le fait que ce que soit au niveau constitutionnel versus le niveau législatif changera quelque chose.

Ce qui nous intéresse pour notre part, c'est le champ d'action, la production de connaissances, les réflexions sur les modes d'efficacité des principes.

En ce qui concerne par exemple les travaux que je vous citais - cela rejoint votre question à laquelle ma collègue répondra de manière plus compétente - c'est bien d'avoir un principe de prévention de la pollution des eaux des nappes phréatiques par les nitrates, encore faut-il savoir où nous en sommes, quels sont les objectifs, quels sont les transferts dans les sols. Surtout, il faut savoir par quels moyens vous pouvez convaincre les acteurs dispersés et privés de participer à quelque chose qui est un bien public collectif, soit par des obligations réglementaires - et nous avons montré que ce n'était pas toujours la panacée -,soit par des dispositifs de construction commune, soit encore par des dispositifs incitatifs.

Je me place au niveau 2. Une fois que nous avons énoncé un principe encore faut-il s'interroger sur les modes d'efficacité ou de mise en pratique donc les possibilités d'observation - vous parliez de différentes postures épistémologiques -, de modélisation, de compréhension et puis, il ne faut pas l'oublier - et je pense que c'est quelque chose de plus récent - comment faire participer l'acteur au processus.

C'est ce que nous appelons dans notre jargon l'impératif ou l'objectif biotechnique et les motivations des acteurs, c'est-à-dire comment mettre l'acteur en situation d'être motivé par un objectif collectif fixé.

Je me placerai plutôt sur ce niveau 2 en étant assez incapable de faire la distinction dont ont parlé les deux interlocuteurs sur la force du principe constitutionnel par rapport à des principes inscrits dans la loi.

Mme CORDIER - L'intérêt que je vois à élever l'environnement au rang de la Constitution est de l'établir en principe irréversible et d'engager une responsabilité.

C'est ce qui s'est passé dans des épisodes précédents par la création d'agences chargées de surveiller la sécurité sanitaire des aliments, de l'environnement.

Je pense que cela ne peut aller que dans ce sens et probablement aussi au niveau des responsabilités de l'Etat - vous le mentionniez tout à l'heure - de pouvoir faire suivre les budgets de recherche également en conséquence pour faire vivre ces principes.

Nous avons vu - et vous l'avez signalé - que le mot recherche a été cité à tous les niveaux puisque, par définition, la connaissance n'est que provisoire et ne peut que s'alimenter par des recherches nouvelles.

Il y aura peut-être à un moment, une incohérence entre développer un principe au rang de la Constitution, et ne pas faire suivre la prise de conscience non seulement théorique, mais aussi pratique, en incluant cela au niveau plus large des populations et de la prise de participation des populations dans la mise en application de ces principes.

M. KLAPISCH - Pour répondre à Madame GUILLOU, en ce qui concerne le droit à l'information, nous nous référons au Sommet européen d'Aarhus qui a édicté ceci.

Je ne sais pas si cela a déjà eu une conséquence législative sur le plan français, mais j'imagine que sous réserve des secrets industriels, etc. nous devons fournir tous les éléments - et vous en fournissez beaucoup par vos publications - aux populations, soit spontanément, soit sur demande. Cela existe déjà dans les engagements internationaux français.

En ce qui concerne le fait de savoir s'il faut mettre des choses dans la Constitution, je dois dire qu'ayant assisté à plusieurs de ces assises territoriales, j'ai constaté que les personnes demandaient si la spéculation immobilière dans le Midi ou si le bruit aux alentours de Lyon allait être réglé. Là je dois dire que, sur ce point, je rejoins les termes de Monsieur COCHET, une chose qui est inscrite dans la Constitution ne se transforme pas du jour au lendemain magiquement en quelque chose qui rentre dans le droit positif. Vous avez cité 1789, le droit de vote des femmes a attendu cent cinquante ans.

En revanche la première raison pour laquelle nous pensons que c'est important, c'est d'abord pour une raison presque pédagogique. Le fait qu'il y ait eu ce débat attirera certainement l'attention des personnes, au-delà d'une minorité agissante de personnes conscientes, sur la nécessité de préserver l'environnement, notre avenir et l'avenir des générations.

La deuxième raison est d'ordre politique. Il ne faut pas confondre quelque chose qui est dans la Constitution et l'action politique d'un gouvernement.

Un gouvernement qui prend l'initiative de faire cette consultation en vue de mettre les principes de l'environnement à la suite des principes historiques des Droits de l'Homme, des droits sociaux de 1946, nous voyons mal comment cette initiative ne trouverait pas sa traduction sur le plan politique, législatif.

Nous voyons mal aussi, en vertu de l'alternance normale dans un pays démocratique, comment le jour où elle sera au pouvoir, l'opposition actuelle reviendrait en arrière là-dessus.

Aussi je pense que, sans en faire quelque chose d'automatique et en évitant les effets pervers dont nous avons parlé, c'est une démarche positive.

Il ne faut cependant pas attendre et penser que du jour au lendemain, tout sera résolu. Et je suis bien d'accord avec vous, Madame, pour dire que l'application est quelque chose d'extrêmement important et que c'est ce qui manque en matière de pollution maritime par exemple.

Mme PERRIN-GAILLARD - J'ai bien entendu les réponses. Cependant il ne faut quand même pas oublier - et c'est peut-être à vous que je vais m'adresser aujourd'hui Monsieur le Président - que la constitutionnalisation de la Charte va conduire le juge constitutionnel à jouer un rôle important.

Je me demande alors - et c'est un point, en ma qualité de parlementaire, qui attire beaucoup mon attention - quel sera le rôle du Parlement. Si un juge constitutionnel a le pouvoir de décision, il est bien évident que le Parlement en aura beaucoup moins.

Par ailleurs, ce juge constitutionnel sera bien obligé d'aller rechercher et de faire des expertises. Le juge sera en effet obligé d'aller chercher l'information quelque part.

Devrons-nous à nouveau être obligés de créer des organismes d'expertise pour donner au juge constitutionnel l'information dont il aura besoin pour pouvoir prendre des décisions ?

Je crois que nous devrons envisager ce point dans nos travaux parlementaires parce qu'il me paraît très grave de dessaisir le Parlement d'un certain nombre de possibilités de choix.

Cette interrogation ne sera pas résolue aujourd'hui avec les industriels et les chercheurs, mais elle pourrait l'être, au travers de l'Office, en auditionnant d'autres personnes.

M. LE PRESIDENT - Effectivement un problème de la formation se pose non seulement pour le juge constitutionnel, mais pour tout juge.

Le jour où un juge aura à juger sur un recours qui se fondera sur ces principes, sur quelles connaissances pourra-t-il s'appuyer ? Par-delà l'aspect juridique, il y a également un aspect scientifique.

Je me pose une autre question. Je ne suis pas choqué par le fait que le juge constitutionnel décide que telle ou telle loi est conforme aux principes contenus dans la Charte. Ce qui m'inquiéterait plus, c'est qu'il soit amené à définir la norme, c'est-à-dire à entrer dans des détails.

Pour moi la définition des normes dépend du pouvoir exécutif. C'est au gouvernement de définir les normes en matière de santé publique, d'environnement, compte tenu de l'apport de la recherche, des conventions internationales et autres, mais c'est bien la responsabilité du politique.

Il y a, d'une part, les principes sur lesquels le juge doit intervenir et, d'autre part, ce qui, à mon sens, devrait être évité, qu'il intervienne sur les modalités et, en particulier, sur les normes.

M. KLAPISCH - Nous touchons à un point extrêmement important du débat et je vous remercie de l'avoir mis en évidence.

Même si vous n'avez pas le texte de la Charte, nous avons deux dangers extrêmes et il faut veiller à la fonction du législatif.

Vous avez, d'une part, la démocratie participative à laquelle tout le monde tient, et qui ne doit pas non plus empiéter sur le fait que nous avons une démocratie élective et, d'autre part, l'intervention du juge constitutionnel.

Première remarque, Monsieur le Président, à l'heure actuelle, dans cette situation de vide ou presque, excepté la loi Barnier, c'est le juge judiciaire qui peut intervenir. Il peut y avoir des recours privés se fondant sur la jurisprudence ou des conventions internationales auxquelles la France a adhéré. Par conséquent il y a une certaine nécessité d'agir.

D'un autre côté, nous avons une formulation constitutionnelle qui explicite les choses et qui n'entre pas trop dans le détail.

A la limite un des membres de la commission a fait remarquer que si nous étions sur la question de l'intégration de tous les aspects de la politique de l'environnement ou de la politique, cela pourrait vouloir dire que le budget de l'Etat serait soumis au Conseil constitutionnel. Ce serait, je crois, absurde et je ne crois pas que le Conseil constitutionnel aurait envie de regarder la loi de finances en détail.

Il y a donc de vrais dangers et c'est la raison pour laquelle je crois qu'il faut se méfier pour que les choses soient fortes, mais sans qu'elles n'apportent de contraintes injustifiées et inacceptables au pouvoir législatif et ce, dans les deux sens.

M. LE PRESIDENT - Je ne voudrais pas vous décevoir, mais le Conseil constitutionnel a été amené à rendre des décisions, y compris dans le domaine budgétaire. Je ne veux pas faire de peine à Yves COCHET, mais la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a été victime du Conseil constitutionnel.

M. TUBIANA - Je précise tout d'abord que le Professeur PETIT et moi-même, nous sommes ici en tant que représentants de l'Académie des Sciences et que je représente, en plus, l'Académie de Médecine.

Pour répondre à la question extrêmement importante que vous posiez Madame, à savoir comment suivre et mettre en oeuvre une loi, constitutionnelle ou non constitutionnelle, au sein des deux Académies, nous avons pensé à l'utilité que pourrait avoir un Conseil national consultatif de l'environnement, un peu sur le modèle de ce qui a été fait pour la bioéthique.

Il y a quelques années, tout le monde s'en souvient, il y avait de grandes discussions autour de la bioéthique, de la nécessité de lois de bioéthiques et de la façon de les mettre en oeuvre.

La solution trouvée à l'époque par le Gouvernement s'est avérée, à l'expérience, extrêmement fructueuse - à savoir créer un Comité national consultatif d'éthique n'ayant aucun pouvoir opérationnel, mais donnant des avis.

Ce comité a permis de dépassionner le débat - et c'était extrêmement important parce que nous en arrivions à un moment où des positions s'affrontaient extrêmement violemment les unes contre les autres -, nous avons essayé de le mettre sur un plan concret et ceci a bien marché. Nous allons maintenant vers une réforme des lois de bioéthique avec l'aide du Comité national consultatif d'éthique et je pense que la France aura donné un exemple de ce qu'il est possible de faire dans ce domaine.

Par analogie, nous pensons que pour l'environnement cela pourrait être la même chose.

Il est à l'évidence prématuré non seulement d'inscrire le principe de précaution dans la Constitution - cela a été dit et répété, cela pourrait avoir des effets catastrophiques - mais même de l'inscrire dans des lois non organiques ; il faut être prudent avec le principe de précaution. Nous parlerons peut-être tout à l'heure de ce que peuvent apporter le principe de précaution et le principe d'anticipation, mais je voudrais dire tout de suite que, dans ce domaine aussi, un organisme indépendant, fait de représentants de la société civile et des scientifiques, des personnes impliquées dans ces débats, pourrait progressivement réussir à dégager quelques idées fortes et voir la manière de les mettre en oeuvre.

TROISIEME TABLE RONDE : LA RESPONSABILITE DU SCIENTIFIQUE

M. LE PRESIDENT - Monsieur PANET, membre de l'Académie des Technologies, je vous donne la parole, en vous demandant de vous en tenir aux dix minutes qui vous sont imparties, car la matinée avance.

M. Marc PANET, Académie des Technologies - Merci Monsieur le Président, je vous remercie de nous avoir invités et j'essayerai de tenir ces dix minutes, peut-être d'autant plus facilement que de nombreuses choses que je voulais dire, ont déjà été exprimées par les intervenants précédents.

L'Académie des Technologies est une jeune académie qui n'a pas pu émettre un avis formel, mais les avis que je vais exprimer ici ont été discutés au sein de comités et sont, je crois, partagés par bon nombre de mes confrères.

Les membres de l'Académie de Technologie sont évidemment très favorables à la prise en compte de la sauvegarde de l'environnement et à leur inscription dans des textes constitutionnels.

Il y a cependant un certain nombre de préoccupations et d'interrogations dont bien entendu la commission présidée par le Professeur COPPENS a déjà discuté.

De ce projet émergent deux concepts nouveaux largement diffusés par les média : celui du développement durable et celui du principe de précaution.

Ces concepts novateurs méritent attention et un examen avec pondération et un sens de la mesure qui ne sont généralement pas l'apanage des intégrismes.

Je voudrais vous parler successivement du développement durable et du principe de précaution.

En ce qui concerne le développement durable, il est largement fondé sur l'existence d'un patrimoine naturel transmis de génération en génération et dont chaque génération est responsable vis-à-vis des générations qui lui succèdent.

Il faut éviter d'avoir tendance à attribuer à la nature un caractère de pérennité et d'immuabilité qui est contredit par toutes les données scientifiques, mais ce n'est pas au Professeur COPPENS, ni sans doute aux membres de votre comité, que j'apprendrai quelque chose.

Nous pouvons également remarquer qu'une interprétation trop stricte de ces notions, d'une transmission intégrale du patrimoine naturel, devrait interdire à toutes les générations présentes et futures, l'exploitation de toute ressource non renouvelable.

En ce qui concerne les atteintes portées à l'environnement actuel et futur par les actions anthropiques, elles peuvent évidemment - et tout le monde a en tête en particulier l'effet de serre - nécessiter des politiques vigoureuses pour les contrôler. Toutefois ces actions anthropiques doivent être évaluées avec soin et ne pas être surévaluées à travers le prisme déformant de l'anthropomorphisme.

Bien que la population mondiale ait connu une progression très forte au cours du dernier siècle, les activités humaines se concentrent dans des zones limitées de la planète et notamment dans les agglomérations urbaines où la sensibilité aux actions anthropiques est exacerbée.

Je parle ici sous le contrôle de l'Académie des Sciences ; si nous prenons l'exemple des émissions anthropiques de carbone, elles sont évaluées, je crois, à 6 GT/an dans un flux global naturel de 160 GT/an. Elles représentent donc moins de 4 % du flux naturel.

Une des questions fondamentales posée par le développement durable est celle de la prise en compte des conséquences positives ou négatives des actions actuelles.

La rationalité des choix économiques se fait au moyen d'une analyse des coûts et des bénéfices actualisés au moyen d'un taux d'intérêt. Cette rationalité purement économique est actuellement contestée, car elle ne prend pas suffisamment en compte le long terme et, en particulier, les dommages irréversibles à longue échéance.

Un bénéfice de 1 M€ attendu dans cent ans au taux de 3 % n'autorise une dépense actuelle que de 40 000 €. Et si ce bénéfice est attendu dans mille ans, il ne mérite même pas qu'on lui consacre 0,01 €.

L'émergence de cette notion du développement durable devrait conduire à définir d'autres méthodes objectives de choix permettant d'appréhender des échelles de temps plus longues.

Comment juger entre des bénéfices immédiats, des bénéfices futurs ou des bénéfices à très longue échéance ?

La manière dont sera traitée la question des déchets nucléaires à vie longue sera, à cet égard, pleine d'enseignements sur la capacité d'une société à exprimer des choix démocratiques, sur la base de connaissances objectives, et non sur des peurs irrationnelles entretenues subjectivement.

Vis-à-vis de dommages futurs incertains, deux attitudes sont possibles et elles comportent toutes les deux des risques.

La non-action peut, bien entendu, avoir pour conséquence que des risques anticipés se produisent effectivement. Mais l'action qui s'avère inutile peut avoir également des conséquences très néfastes qui n'ont pas été anticipées ou différer l'application de technologies qui auraient constitué des progrès certains.

Le principe de précaution doit effectivement se fonder sur une expertise qui fasse autorité. Mais si la prévention s'applique à des risques avérés, la précaution, elle, s'applique à des risques virtuels.

Or l'expertise elle-même pose problème. Un expert, dans son domaine de compétences, doit savoir établir les frontières entre le vrai, le faux et l'incertain. Mais vis-à-vis de l'incertain, il ne peut exprimer qu'une opinion personnelle, empreinte toujours de subjectivité et donc nécessairement controversée par d'autres experts.

Les opinions divergentes exprimées par les experts sur des sujets relevant de la précaution, créent nécessairement des doutes dans l'opinion publique sur la capacité du monde scientifique et engendrent des réflexes de méfiance.

Par ailleurs, la notoriété que donne la fréquentation des média par certains experts, peut conduire ceux-ci à outrepasser leurs domaines de compétences.

Aussi, les sociétés développées qui ont été à la base de progrès considérables au cours des siècles passés, rechignent maintenant devant les avancées scientifiques et technologiques et semblent de plus en plus privilégier des attitudes malthusiennes, dont le principe de précaution risquerait d'être le témoignage.

Enfin - et cela a déjà été évoqué -, parmi les conséquences que nous pouvons craindre du principe de précaution, nous ne pouvons pas écarter la multiplication des contentieux en matière de responsabilité civile et des poursuites pénales diligentées à l'encontre des décideurs publics et privés.

Cette tendance actuelle à la recherche de responsabilités peut conduire des décideurs à faire un usage abusif du principe de précaution. Il y aurait grand risque à ce que le principe de précaution devienne un principe juridique.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci, Monsieur PANET !

Monsieur Philippe GILLET, directeur du département des sciences de l'Univers du CNRS, je vous demande, comme à votre voisin, d'intervenir en dix minutes.

M. Philippe GILLET, Directeur du département Sciences de l'Univers CNRS - Merci, Monsieur le Président !

Beaucoup de choses ont déjà été dites ce matin, en particulier par Madame GUILLOU et Madame CORDIER ainsi que par mon prédécesseur sur le rôle important que doivent jouer les scientifiques dans ces problèmes d'environnement.

Je crois qu'ils l'ont toujours fait parce que si nous résumons le fonctionnement de la science en matière d'environnement, nous pourrions le ramener à trois mots :

- Alerte : ce sont souvent les scientifiques qui sont les moteurs de l'alerte des problèmes d'environnement.

- Réparation : ce sont souvent les scientifiques qui essayent, quand ils le peuvent, de mettre en place la réparation de l'environnement au travers des technologies nouvelles.

- Prédiction : c'est un métier nouveau qui apparaît ; on leur demande de prédire l'avenir ce qui n'était pas quelque chose de vraiment bien ancré dans la démarche scientifique. C'est une nouvelle dimension que l'on demande aux scientifiques, à savoir prévoir l'avenir et le prévoir avec un degré de fiabilité important parce que leur démarche devra être intégrée dans la décision publique.

Il y a donc une forte responsabilité. Nous pouvons donner deux exemples où nous pouvons voir qu'entre le mécanisme d'alerte, celui de prédiction et la décision publique, la décision politique, il y a des fossés parfois.

Dans certains cas le système fonctionne. Je peux vous citer le cas de la destruction de la couche d'ozone pour laquelle l'alerte a été donnée par les scientifiques et la décision publique s'est établie sur une échelle de temps de dix ans, ce qui est assez remarquable.

Nous pouvons également prendre le changement climatique. Si nous regardons les archives, nous voyons que les premières alertes datent du XIXe siècle quand Arrhenius avait été déjà signalé que le développement économique et, en particulier, le développement industriel par consommation des ressources fossiles en pétrole, allait forcément jouer un rôle sur l'évolution climatique de la planète. Plus d'un siècle après, la décision n'est toujours pas prise, la décision politique n'a pas suivi alors que l'alerte scientifique avait été donnée. Ce n'est pas que je veuille exonérer les scientifiques de tout, mais il y a quand même ce mode de fonctionnement qui est important.

S'impliquer dans la décision publique, c'est s'impliquer dans les principes que nous discutons dans cette Charte, qui sont les principes de précaution, de prévention. Je crois que le rôle des scientifiques va devoir rester le même, c'est le principe d'alerter, le principe d'aider à réparer et le principe de prédire.

Cela passe - et cela a été signalé tout à l'heure - par un investissement pour la recherche, c'est évident, et un investissement à long terme parce que les problèmes d'environnement ne sont pas des problèmes de technologie du quotidien - ce n'est pas améliorer les problèmes de communication - mais c'est très souvent du long terme.

Suivre l'évolution des milieux est un problème compliqué. C'est un problème qui se pose à différentes échelles d'espace. Madame GUILLOU évoquait tout à l'heure l'aspect national d'un territoire, l'influence de l'agriculture sur l'érosion des sols. Mais le problème se pose également à l'échelle planétaire.

Il y a aussi différentes échelles de temps qui sont liées au fonctionnement de notre planète. Notre planète est faite d'air, d'oxygène et de sol ; tout ceci ne bouge pas à la même vitesse, ne se transforme pas à la même vitesse. Donc les problèmes doivent être sériés.

Je crois donc qu'il y a un effort très important à faire pour mieux comprendre les milieux dans lesquels nous vivons et sur lesquels nous aurons une action.

Le rôle de la recherche, dans les années à venir, sera d'observer les milieux, de les comprendre beaucoup mieux que nous ne les comprenons à l'heure actuelle. Je peux en effet vous certifier, que dans quelques-uns de ces domaines, notre degré de connaissance est vraiment proche de zéro, tant ces milieux sont complexes.

En ce qui concerne l'aspect réparation, je suis un peu moins inquiet. La technologie a très souvent réussi à suivre, mais après. La technologie suit, mais n'anticipe pas forcément les changements de l'environnement.

Je crois que là aussi, les chercheurs doivent continuer leurs efforts sur les techniques de procédés, mais aussi sur les techniques de normes, de mesurabilité des choses. Vous évoquiez tout à l'heure, Monsieur le Président, par exemple, le degré zéro d'un polluant. Le degré zéro n'existe pas. De toute façon, plus les techniques de mesure évoluent, plus nous arriverons à détecter des éléments chimiques, des polluants. Il faudra que, là aussi, il y ait cette espèce de porte ouverte à ces normes et que les chercheurs s'impliquent de plus en plus à la détection vraiment poussée de tous ces éléments chimiques ou composés qui se retrouvent dans l'organisme terrestre.

Je voudrais également signaler que l'environnement n'appartient à personne, il n'y a pas de discipline scientifique dite de l'environnement. L'environnement n'est pas une science qui appartient à quelqu'un.

Il est important que la communauté scientifique prenne ce problème à sa réelle dimension, c'est-à-dire intègre l'ensemble des approches, qu'elles soient des sciences dures telle la physique, la chimie, le fait de comprendre les milieux, mais aussi des sciences humaines et sociales pour lesquelles il faut qu'il y ait vraiment - cela a été évoqué plusieurs fois - aussi une acceptation par les personnes des problèmes d'environnement. Je crois que c'est, là, un travail très important des sciences humaines et sociales dans leur grande diversité.

Le dernier point est que je suis fasciné par les problèmes d'éducation et d'éducation à la science.

J'ai vécu ceci quand je me suis un peu occupé des programmes des lycées. Faire intégrer ces problèmes d'environnement dans l'éducation est un réel challenge parce que l'environnement n'appartient pas à une discipline alors qu'en France, notre enseignement a la particularité d'être extrêmement disciplinaire. Quand l'élève sort du cours de mathématique, c'est fini, il est ailleurs. Et si jamais quelqu'un des sciences humaines et sociales utilise les mathématiques, il y a une confusion dans l'esprit de l'élève, paraît-il.

Il y a donc une vraie réforme à faire pour pouvoir enseigner l'environnement.

Vous ne pouvez pas le faire enseigner ainsi. Il faut qu'il y ait une compréhension de la physique, de la chimie, d'enjeux sociaux. Il faut donc trouver un mode nouveau pour faire passer le message au niveau de l'enseignement scolaire.

Il faut trouver un nouveau mode d'éducation pour faire passer ces grandes questions de société au niveau de l'enseignement et je pense que cela passe probablement par une désectorisation disciplinaire de notre enseignement, mais c'est un point de vue très personnel.

Je vous remercie.

M. LE PRESIDENT - Merci beaucoup Monsieur GILLET !

Madame BENOIT-BROWAEYS de l'Association des journalistes scientifiques et de la presse d'information, vous avez la parole.

Mme Dorothée BENOIT-BROWAEYS, Association des journalistes scientifiques de la presse d'information - Merci de nous donner la parole ! Bonjour à tous !

Merci à l'Office parlementaire d'avoir invité à ses auditions l'Association des journalistes scientifiques de la presse d'information, l'AJSPI, qui comprend 250 membres que je vais, ici, représenter.

D'emblée, je voudrais pourtant poser une question sur notre participation à ces auditions.

Pourquoi l'Office parlementaire considère comme important de solliciter des journalistes dans ses auditions consacrées à la Charte pour l'environnement ? Qu'est-ce que cela veut dire ? Quelle est l'approche particulière des journalistes qui intéresse l'Office ?

Peut-être est-ce notre positionnement à l'interface et j'ose espérer que c'est le cas puisque je voudrais développer un certain nombre de points centrés sur l'intégration des données.

Il me semble, depuis ce matin, que si un certain nombre de difficultés existent pour régler ces problèmes d'environnement, c'est que nous avons affaire à des données scientifiques, à des données économiques, à des données politiques. Pour les journalistes qui ont ces ingrédients là au quotidien, c'est une acrobatie permanente. Plus les chercheurs auront une attitude spécialisée, spécifique, n'intégrant pas une vision permettant d'avoir un sens à leur recherche, de donner une perspective d'interprétation, plus les journalistes se trouveront démunis et auront des difficultés à faire leur métier.

Je voulais également poser ce préambule parce que notre présence ici n'a pas du tout été évidente au sein de l'Association. Certains d'entre nous considéraient en effet que ces auditions étaient faussées.

Ces auditions peuvent être considérées comme telles dans la mesure où effectivement, nous ne voyons pas ici la présence de la société civile. Cela peut être interprété par une vision de l'Office parlementaire, une vision de l'expertise qui nous semble peut-être un peu dépassée ou peut-être à réfléchir ensemble.

En tout cas, l'expression des associations et de la société civile ne peut plus être une affaire qui intervient en aval des questions, elle ne peut plus être considérée comme une interrogation sur l'acceptabilité.

Dans l'expertise, nous sommes une société entière et nous ne pouvons plus indéfiniment considérer que les problèmes sont à analyser un par un jusqu'au bout.

Dans cette audition, nous voulons donc défendre l'idée d'une expertise qui intègre non pas une démocratie participative, mais peut-être une démocratie initiatrice de questions.

Encore une fois, de notre quotidien, nous constatons en permanence que les scientifiques répondent à des questions qui ne sont peut-être pas les plus pertinentes pour la société civile.

C'est un dialogue de sourds auquel nous assistons - l'exemple des OGM l'a montré - et le dernier exemple est celui de l'Académie des Sciences qui fait une expertise extrêmement ardue, tout à fait intéressante sur le plan scientifique, mais qui n'est peut-être pas pertinente au stade où nous en sommes concernant les OGM. C'est donc la question de la pertinence.

Pour ne pas trop prendre de temps, je voudrais aborder trois points qui nous semblent très importants, trois problématiques dans lesquelles expertise et participation s'articulent difficilement :

- Les capacités d'expertise et de vision intégrée dans les dossiers environnementaux ;

- Le cadre juridique qui permet ou empêche les alertes sanitaires de façon libre ; c'est le problème de la protection juridique des personnes qui peuvent alerter ;

- Le défi représenté par l'information, avec ses dimensions pédagogiques, explicatives, sur les enjeux et les intérêts sociaux et politiques en présence.

Nous entendons effectivement peu parler aujourd'hui des questions des intérêts. Ce qui pose un problème dans l'arbitrage et dans l'application dont vous parliez, Madame, tout à l'heure, ce sont bien les divergences d'intérêt. Elles font qu'il faut effectivement arbitrer et appliquer de façon stricte.

En ce qui concerne la capacité d'expertise et de vision intégrée pertinente, j'ai quelques questions à poser, notamment aux représentants des organismes de recherche ici présents, sur le déclin - et c'est un petit mot de parler de déclin - de l'expertise, en tout cas des compétences éco-toxicologiques en France.

C'est impressionnant, j'ai une liste sous les yeux des fermetures d'unités :

- L'INSERM a supprimé, il y a dix ans, sa seule unité de toxicologie des aliments et boissons dirigée par Roger DERACHE.

- L'équipe spécialisée dans les métaux lourds de Claude BOUDÈNE, Faculté de Pharmacie de Châtenay-Malabry est supprimée.

- Le CNRS a aussi fermé en 1995 :

. L'Unité de recherche sur la toxicologie des micotoxines de Charles FRAYSSINET,

. Son groupement de recherche GDR sur l'impact des hydrocarbures, ce GDR n'est pas renouvelé.

- L'INRA :

. A reconverti son équipe de sécurité sanitaire de Jouy-en-Josas vers la nutrition,

. A fermé, il y a deux ans, son unité de recherche sur les additifs de Dijon.

Les universités ont délaissé le secteur :

- Bordeaux I a fermé le laboratoire de toxicologie élémentaire de contaminants organiques de Jean-François NARBONNE qui était quand même quelqu'un d'assez reconnu.

- Le laboratoire spécialisé dans les additifs alimentaires de Georges de SAINT BLANQUAT à Agen a fermé.

- Le laboratoire de toxicologie du CNAM a été réorienté vers l'épidémiologie.

- L'ancienne Unité JAYLET à Toulouse est fermée.

- Le laboratoire de François RAMADE connu au niveau international à Orsay est fermé.

Triste bilan. En ce qui concerne les formations d'étudiants, Paul VASSEUR avec son DEA à Nancy a beaucoup de mal à le faire survivre. Aussi je pose une question. Comment se fait-il qu'à un moment où tout le monde appelle l'expertise de ses voeux, nous avons une telle situation ? J'aimerais un peu comprendre. Comment peut-on comprendre les pollutions chroniques, les problèmes extrêmement complexes de l'environnement dans une situation où toute cette capacité est en déliquescence largement démontrée par cette énumération ?

Au sujet des structures, vous avez vu l'année dernière mettre en place une Agence sanitaire environnementale, l'AFSE, qui a un budget tout à fait ridicule, de 5,6 M€, soit dix fois moins que celui de l'AFSA. Contrairement à ce qui avait été demandé par le Sénat, cette Agence n'est pas adossée à l'INERIS, alors que l'AFSA s'est appuyée, en son temps, sur le CNEVA.

Nous voyons mal la manière dont cette agence peut jouer un rôle fédérateur et surtout intégrateur de travaux dans ce contexte puisqu'encore une fois, il me semble que nous avons une difficulté importante dans l'intégration des données, la mise en perspective.

J'y viens aussi dans un troisième point, la perspective des sciences citoyennes.

Dans l'organisation de la recherche et l'orientation des programmes de recherche, écoute-t-on les priorités du public et les orientations qui semblent importantes pour le public ?

En ce qui concerne les questions de cancer et d'environnement - j'y reviendrai tout à l'heure -, nous pouvons nous étonner de l'absence de poursuite de travaux assez avancés dans ce domaine. Nous pouvons nous demander si c'est parce qu'il n'y a pas de produits à vendre. Il est en effet plus facile de faire de la génomique parce qu'on peut vendre des tests génétiques. Est-ce vraiment le besoin du citoyen ? Ce n'est pas aussi sûr, il faudrait donc quand même écouter les priorités des citoyens.

Mon deuxième volet concerne le cadre juridique.

J'essaye de simplement mettre l'accent sur les structures. Il y a de nombreux problèmes, mais si nous avons une telle difficulté à avancer et que nous multiplions les expertises, c'est bien parce que « nous pédalons dans la choucroute », nous n'avançons pas.

Il faut donc peut-être voir si les outils juridiques sont là.

Est-ce que les administrations travaillent à mettre en place une possibilité d'indépendance et une protection juridique des experts ?

En ce qui concerne cette indépendance des experts, j'ai cité tout à l'heure l'exemple de l'Académie des Sciences. C'est vrai qu'on peut toujours être étonné par la demande du public. Vous allez dire que j'insiste vraiment beaucoup sur cette question, mais que peut-on faire d'autre en tant que parlementaire que de représenter le public ? Je m'aligne sur la mission de l'Office parlementaire dans cette démarche.

Quand on a un problème important concernant les OGM, dont on sait que le coeur du problème se situe sur la juxtaposition des cultures différentes et les contaminations, qu'il est centré sur les questions de brevets, sur les séquences génétiques et de l'accès aux semences, comment peut-on considérer qu'un rapport - le vingtième ou le trentième - d'experts scientifiques sur les OGM peut véritablement avancer le dénouement, c'est-à-dire l'arbitrage politique ? C'est ma question.

Les experts eux-mêmes ont de plus en plus besoin d'argent privé. Il n'y a pas de mal à cela, c'est une situation qu'il faut considérer, qui demande une vigilance et une transparence accrue de la part de qui parle et avec quels intérêts engagés. Et ce, tout simplement pour savoir et non pas pour avoir une accusation. C'est simplement parce que dans un débat et une écoute réciproque, il est essentiel que l'on sache d'où parlent les uns et les autres, les différents acteurs.

Pour ce qui est des chercheurs qui repèrent des menaces importantes dont vous avez parlé, Madame, tout à l'heure, je voudrais demander s'il y a actuellement des travaux pour protéger juridiquement ces chercheurs en cas d'alerte sanitaire.

Par le passé, des risques liés aux éthers de glycol, à l'amiante, aux dioxines ont été minimisés et nous avons vu le temps qu'il a fallu pour qu'il y ait une mobilisation et une prise en compte des repérages et des questions.

Si nous voulons donner aux équipes spécialisées la capacité de mettre en garde vis-à-vis, par exemple, des substances oestrogéniques dont les effets sont actuellement difficiles à appréhender, mais qui sont une véritable question récurrente, si nous voulons permettre aux experts de travailler et de dire un certain nombre de choses, il faut organiser un cadre juridique protecteur, comme cela existe d'ailleurs chez nos voisins, aux Etats-Unis par exemple où vous connaissez le whistle blower's act qui permet ce type de choses.

Ensuite, sur le plan juridique toujours, je voudrais signaler au passage la question de la responsabilité environnementale.

Au plan européen, nous avons assisté l'année dernière à une réduction en peau de chagrin du projet de directive sur la responsabilité environnementale. Pourtant un certain nombre de choses avait été demandé dans le cadre du livre Blanc de février 2000 : un principe de pollueur-payeur avait été posé, la question de la charge de la preuve avait été mise en place. Tout ceci a été balayé et nous nous retrouvons avec quelque chose qui n'a plus beaucoup de portée.

C'est un peu classique de voir de telles choses se dégonfler et il est vrai que cela ne favorise pas la confiance du public dans l'arbitrage politique.

Il ne faudra bien sûr pas oublier les questions Nord-Sud sur le plan juridique. Et il est vrai que la question des brevets, avec les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, est tout à fait centrale en matière d'environnement.

Troisième volet. Evidemment, en tant que journaliste, je me dois peut-être de pointer les questions d'information en matière d'environnement.

Notre métier d'informateur est d'autant plus difficile que, comme je le disais tout à l'heure, l'intégration des données n'est pas travaillée en amont. Et j'aimerais bien que les scientifiques entendent ceci de façon extrêmement urgente.

Les analyses sont de plus en plus pointues et complexes à interpréter. Par exemple, les informations sur les seuils admissibles de polluants dans les fruits et légumes ou les contaminations d'OGM par des sites expérimentaux. Vous vous souvenez que c'était une affaire comportant un certain nombre de données qui avaient été remises par l'AFSA et qui étaient difficiles à interpréter. Ces résultats sont d'autant plus délicats à mettre en contexte que, comme je l'ai dit tout à l'heure, les scientifiques livrent des choses qu'ils ne savent pas eux-mêmes traduire en sens.

Il est vrai que, par définition, la démarche scientifique a besoin de réduire, de cadrer les choses, mais ce sont des situations qui ne sont pas réelles, qui sont celles travaillées par les scientifiques puisqu'on exclut des causalités qui peuvent être annexes. Or les citoyens ont besoin qu'on réponde à des questions réelles ! Je sais que c'est difficile, mais c'est bien l'ambiguïté de nos travaux.

C'est la portée d'un résultat qui intéresse le grand public ; il est possible effectivement de prouver qu'un OGM est bénéfique scientifiquement, mais si la question de sa gestion dans l'environnement n'est pas réglée, interdire sa culture semble parfaitement justifié ; ce n'est pas seulement l'expertise scientifique qui suffit.

On peut prouver que tel rejet d'usine est inférieur au seuil légal, mais lorsque trois usines rejettent au même endroit le même toxique, il y a un petit problème. Qui s'occupe alors de considérer la réalité du terrain ?

S'il est utile de faire un travail pédagogique dans nos supports de presse, il importe aussi de permettre une analyse des intérêts en présence et des éventuelles carences pour protéger l'environnement.

Moins cette mise en perspective est faite par les experts, plus le travail de raboutage des éléments du puzzle est ardu, avec des résultats variables et on attaque en général la presse en disant qu'elle fait des raccourcis.

Cela m'amène à conclure sur un point majeur - qui nous importe ici - à savoir la confiance réciproque, la confiance du public qui ne peut être respectée qu'à trois conditions :

- L'écoute des questions qui comptent dans notre société et non pas l'acceptabilité. C'est toute une autre façon de fonctionner. A ce sujet, je voudrais demander à l'Office de réfléchir à la possibilité d'avoir à ses côtés - comme il a déjà actuellement un Conseil scientifique constitué de vingt-quatre membres - un Conseil citoyen, un conseil en tout cas constitué de membres de la société civile. Ce conseil permettrait de poser, en France, une vision de l'expertise qui soit un questionnement en amont par la société civile de la recherche et de l'expertise.

J'ai signalé tout à l'heure au Président BIRRAUX l'exemple des Danois. Vous savez sans doute que la structure parlementaire - le Danish Board of Technology - qui a été créé par le Parlement Danois en 1995 - est rattachée au Teknologiradet qui produit un certain nombre de travaux, tout ceci en lien avec la population. Cela me semble être propice à un dialogue qui soit véritable.

- La deuxième condition, pour que cette confiance du public se développe, est bien la circulation des arguments dans les deux sens, c'est-à-dire une capacité de débattre sans masquage de controverses. A cet égard, il semble que le débat sur l'énergie est un peu escamoté. C'est vrai que cela n'améliore pas la confiance du public.

- Pour terminer, la procédure de décision doit être transparente pour qu'elle tienne compte des considérations non financières et d'un espace commun.

Je suis quand même un peu étonnée dans le débat que vous avez eu tout à l'heure entre industriels et vous, Madame PERRIN-GAILLARD, que l'on considère encore que c'est le monde public qui est garant du bien commun. Nous sommes dans une société, tous ensemble, et il semble important que les industriels se placent avec les mêmes obligations de transparence, de réparation des dommages. Ce n'est pas aux administrations de payer pour les dommages et c'est pourtant ce qui se profile dans la directive européenne. Ne chargeons pas trop la barque du public parce que la recherche publique n'a pas beaucoup de réserves et que ce n'est pas au public de faire le travail de remédiation. Je pense qu'il faut renvoyer chacun à ses responsabilités et intégrer les coûts environnementaux en amont pour les industriels, de façon que la confiance puisse être rétablie.

Nous voyons bien que le grand public a de plus en plus de mal à écouter les avis et ces propositions que je viens de faire me semblent peut-être intéressantes pour rétablir ces choses.

Merci !

M. LE PRESIDENT - Merci Madame. Nous ouvrirons le débat après l'intervention de Madame MAYO. A ce stade, je voudrais juste vous préciser deux ou trois points.

Le premier point est que nous devions discuter des principes d'information et d'éducation qui peuvent être liés aux principes qui seront introduits dans la Charte de l'Environnement. Et les journalistes sont encore les personnes les mieux placées pour l'information et pour être à l'écoute, à l'interface avec la société civile.

Pourquoi la société civile n'est pas représentée ? Il est difficile de définir la société civile, c'est comme inviter les générations futures à débattre. Nous sommes tous, à un titre ou à un autre, des éléments d'une société civile. C'est vrai que nous n'avons pas lancé un appel dans la presse et à la télévision en disant que la société civile était invitée à débattre à l'Assemblée Nationale aujourd'hui de la Charte de l'Environnement. Mais nous détenons tous une partie de ce qui est l'essence de cette société civile. Les journalistes, qui sont à cette interface entre les scientifiques et le public, nous ont paru être tout à fait intéressants à devoir s'exprimer.

Nous avons des méthodes de travail qui sont extrêmement ouvertes. Je ne sais pas si c'est de l'expertise indépendante, mais nous essayons d'avoir une pluralité de sources qui ont la certitude de pouvoir s'exprimer et qui nous permettent ensuite d'essayer d'avoir quelque jugement.

En ce qui concerne les Offices parlementaires, l'Office français est le seul avec l'office finlandais qui soit à 100 % parlementaire. Cela veut dire que ce sont les parlementaires qui sont en charge des études, qui les conduisent et qui signent les rapports et les conclusions des rapports. Ce n'est le cas d'aucun autre des Offices, y compris au Danemark. L'Office danois a un conseil d'administration avec des parlementaires et ensuite il va choisir, sur étagère ou par appel d'offres, des consultants qui organisent selon des méthodes appropriées - je connais la méthode danoise, elle est originale - les conférences dites de consensus. D'autres offices confient à des consultants privés le soin d'établir ces études.

Dernière remarque, après avoir lu le livre de Monsieur Paul van BUITENEN qui s'appelle Blowing the whistle, - je ne sais pas s'il a été traduit en français -, je dois vous dire comme on dit dans cette langue, que je suis devenu « reluctant » à tout livre produit par l'Union Européenne et ce, quelle qu'en soit la couleur.

Je le suis y compris aux livres produits par le STOA, Office parlementaire du Parlement européen, qui confie à des consultants le soin de faire des études. Permettez-moi d'être réticent quand on parle d'un certain nombre de livres qui peuvent sortir et ce, quelle qu'en soit la couleur, car j'ai toujours ce doute en ayant lu le livre de Monsieur Paul van BUITENEN. On l'a menacé, d'ailleurs, des pires foudres et on l'a même mis à pied en demi-traitement pour avoir voulu dénoncer la corruption à la Commission, qui a conduit à la chute de la Commission SANTER.

Avant d'arriver au débat, je vais donner la parole à Madame Carine MAYO !

Mme Carine MAYO, Association des journalistes pour la nature et l'environnement - Bonjour ! Je représente ici l'Association des journalistes écrivains pour la nature et l'écologie. En l'absence de notre Président, Claude-Marie VADROT, retenu en Irak, je vais vous lire un texte qu'il a produit.

« Après avoir d'abord été rayée de la liste des invités de cette journée pour « soupçon de militantisme », notre association de journalistes professionnels présents dans tous les médias français, après sa protestation, est finalement présente pour présenter son point de vue. Le point de vue de ceux qui informent, de ceux qui constituent le relais naturel entre les industriels, les organismes officiels et privés et les lecteurs de toutes sensibilités. Une activité de recherche de faits, de vérités multiples, une activité de recherche de transparence qui dans le domaine de l'environnement et de la protection de la nature est de moins en moins tolérée. Pour la plupart de nos interlocuteurs, il ne s'agit plus d'informer, mais de communiquer. Or, nous ne revendiquons qu'un militantisme, celui de l'information.

« L'auteur de cette déclaration, qui se trouve actuellement au Moyen Orient pour suivre la désastreuse guerre des hommes et des mots entre les forces anglo-américaines et le régime dictatorial et sanglant de Sadam Hussein sait à quel point la communication prend de plus en plus le pas sur l'honnêteté, sur la réalité, sur les faits, sur l'intérêt des citoyens et même sur leurs vies.

« Vous réunissez aujourd'hui, à propos de la prévention, du principe de précaution, de la participation, de l'information et du principe pollueur-payeur, un groupe d'entreprises et d'organismes, un groupe d'authentiques spécialistes puisqu'à de rares exceptions, organismes et industriels ont toujours cherché à nier tous ces principes, nous inondant depuis longtemps de dossiers expliquant que toutes les attentes d'une majorité des citoyens, telles que nous les trouvons dans le courrier de nos lecteurs, étaient contraires à la bonne marche de l'économie. Je pense notamment à Areva ou à Renault, l'Inra n'ayant découvert que bien récemment, sous la pression des journalistes et des citoyens, non pas les vertus, mais les obligations de la transparence, notamment dans une revue dont nous vous recommandons la lecture : « le courrier de l'Environnement » où des scientifiques savent faire la différence entre la propagande, les procès politico-économiques et la réalité de notre environnement naturel ou urbain.

« Aujourd'hui, nous constatons que toutes les associations de protection de la nature et de l'environnement, celles qui ont inventé les principes auxquels se réfèrent vos travaux et la Charte de l'Environnement, sont absentes de cette réunion.

« Or non seulement elles ont forgé ces notions, mais loi après loi, malgré les oppositions, elles ont essayé de les faire mettre en pratique, provoquant, à chaque fois, sur nos bureaux de journalistes, un déferlement, lui aussi préventif, de dossiers, de brochures, voire récemment de livres destinés à nous persuader que les protecteurs de la nature et de l'environnement ne sont que des utopistes, des rêveurs et évidemment des adversaires de la libre entreprise et des responsables du chômage.

« Pourtant, par exemple, la qualité et la fiabilité des informations que nous diffusons aujourd'hui sur les plantes transgéniques, ressemblent furieusement à celles que nous publiions à la fin des années soixante-dix sur le danger de la pollution par les nitrates. Les ricanements de cette époque se sont transformés en reconnaissance du problème. Et si vous relisez soigneusement les conclusions de la première conférence mondiale sur l'environnement organisée par les Nations Unies, en 1972, à Stockholm, vous y trouverez les premiers avertissements, tournés en dérision depuis vingt ans, sur le réchauffement de la planète.

« Non seulement, les associations de protection de la nature et de l'environnement ne sont pas présentes à votre audition et systématiquement écartées - nous en avons les preuves - des débats de préparation de la Charte de l'environnement, mais on n'y trouve pas non plus les scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle, ceux qui ont permis, depuis 1793, avec leurs qualités et leurs défauts, de comprendre comment nous maltraitons notre environnement et la nature. C'est, au mieux, de votre part, un défaut d'information et au pire, toujours possible, l'illustration que la Charte de l'environnement n'est qu'un leurre et que ceux qui la préparent ne sont là que pour amuser la galerie et les journalistes.

« Comme je l'ai dit au printemps dernier à Madame Roselyne Bachelot lors de notre première rencontre, des Chartes de l'Environnement, j'en conserve quatre dans ma cave et il en existe peut-être encore plus dans les archives du ministère. Rédigées sous des gouvernements de droite ou de gauche, elles sont toutes remarquables et offrent au moins un point commun : elles sont restées lettre morte ; que celle que vous préparez soit destinée à être « adossée », l'expression est aussi amusante que vague, ne change rien à l'affaire à partir du moment où le débat a été biaisé. Depuis que les travaux sont en cours, nous n'avons jamais été consultés et la plupart des associations ne l'ont été que par le biais d'un formulaire administratif.

« Pour justifier notre scepticisme sur le fonctionnement parlementaire par rapport aux citoyens, je vais vous donner un dernier exemple.

« Au mois de novembre dernier, l'Assemblée nationale a constitué, un mardi matin, devant 33 parlementaires, une commission d'enquête sur le loup et le pastoralisme. Comme beaucoup des journalistes de notre association ont mené des enquêtes sur le loup, à charge et à décharge, selon les cas, comme nous avons dû, pendant des années faire le tri entre les informations et les rumeurs, nous avons demandé à ce que le président de notre association soit entendu par cette Commission. Courrier expédié en novembre puis renouvelé en février. A ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de Monsieur Estrosi et des membres du bureau de la commission en question.

« Pourtant, jamais notre association n'a refusé le débat sur l'information : du Sénateur Lepeltier à Nicolas Hulot en passant par les responsables de Carrefour, de l'IPSN, de la Mission Effet de serre, de l'IFEN, des Ciments Calcia ou des Sociétés d'autoroute, pour ne parler que des plus récents, nous avons reçu tout le monde et écouté tous les points de vue, pour des échanges non biaisés.

« Alors, Mesdames et Messieurs, vous comprendrez que devant l'absence des associations qui sont les premières concernées, celles qui expriment une opinion et une demande des citoyens, devant l'absence de scientifiques du Muséum National d'Histoire Naturelle, nous ne pouvons que refuser de participer à votre débat, car cela reviendrait à cautionner une opération qui est déjà finalisée, une opération que vos invités d'aujourd'hui, nous le savons, ont simplement pour mission de rendre encore moins contraignante pour ceux que préoccupent l'avenir du territoire français et de la planète. »

M. COPPENS -  Je voudrais dire à Madame MAYO ou à la personne qui a écrit ce texte, que j'ai passé, moi, président de cette nouvelle Charte, parmi les nombreuses dont vous avez parlé, au Muséum d'Histoire Naturelle toutes les années entre 1969 et 1982. Dans ma commission se trouve Jean-Claude LEFEUVRE qui est professeur d'écologie au Muséum National d'Histoire Naturelle.

M. KLAPISCH - Monsieur Bernard CHEVASSUS-AU-LOUIS, qui est Président du Muséum, a dirigé une des tables rondes du colloque du 13 mars.

M. LE PRESIDENT - J'ajoute que l'association France Nature Environnement, membre de la commission, a bien entendu été invitée et si France Nature Environnement n'est pas là, ce n'est pas parce que je lui ai interdit l'entrée.

M. GILLET - Quand vous parlez, Madame, du Muséum d'Histoire Naturelle, la plupart des unités du Muséum sont conventionnées avec le CNRS. Comme ce sont des unités mixtes de recherche avec le CNRS, il n'est pas possible d'isoler le Muséum comme vous l'avez fait. Il fait partie du tissu de recherche française et il interagit avec les organismes de recherche, en particulier le CNRS.

Mme MAYO - Nous réagissions surtout par rapport à la liste des invités qui nous avait été communiquée, car il nous semblait qu'il manquait certaines personnes. C'est, peut-être, pour cette raison, aussi, que France Nature Environnement n'est pas venue aujourd'hui, parce qu'ils ont estimé que le débat était biaisé.

M. LE PRESIDENT - Avez-vous l'impression que le débat est biaisé ?

Si d'autres avaient voulu venir et si vous aviez voulu venir accompagnée de toute une délégation, vous seriez tous là. Il faut cependant avoir obligatoirement une certaine sélection dans les opinions. Vous représentez une opinion, vous vous êtes exprimée, cela ne signifie pas que, parce que tous ceux qui expriment la même opinion n'ont pas pu venir l'exprimer, nous nous sommes trompés. Il est difficile d'aller choisir tout le monde et nous n'avons pas lancé d'appel d'offres.

Vous avez apporté votre contribution et je vous dis merci pour votre contribution.

M. TUBIANA - Je voudrais tout d'abord discuter deux principes : celui de prévention et celui de précaution.

Je commencerai par la prévention simplement pour illustrer le fait que nous sommes très loin de la situation où tout ce qui serait souhaitable est fait.

Il y a cinq causes majeures de décès prématurés, qui, à elles seules, causent environ les deux tiers de l'ensemble des décès prématurés, c'est-à-dire des décès survenant avant 65 ans en France. Ce sont le tabac, l'alcool, l'obésité et les troubles de la nutrition, les accidents et les suicides.

Or, dans ces domaines, il n'est pas besoin d'approfondir les choses pour montrer que nous sommes très loin de faire tout ce qu'il faudrait faire.

Par exemple pour le tabac, nous avons voté une loi excellente, la loi Evin, or elle n'a jamais été mise en oeuvre faute de moyens pour le faire. Il suffit d'aller dans un restaurant pour constater qu'elle n'est pas observée.

Dans le domaine des suicides, c'est beaucoup plus grave puisque nous avons environ douze mille suicides par an en France. La prévention du suicide est possible, mais elle n'est pas faite au niveau où elle devrait.

Plusieurs rapports ont montré que si, après une première tentative de suicide, on prenait psychologiquement en charge la personne, on en éviterait énormément simplement parce que la première tentative réussit rarement. Nous avons préconisé cette prise en charge psychologique, mais faute de moyens, elle est très loin d'être réalisée.

Donc le fait évident est que tout ce qu'il serait utile de faire contre des risques avérés n'est pas fait.

Le deuxième point est que le coût est extrêmement variable selon le risque.

Dans le domaine du risque médical, le coût moyen de la vie épargnée est de 19 000 € par an, avec des différences énormes. Par exemple le coût de la vie épargnée pour éviter un cancer du col de l'utérus par les frottis, est d'environ 3 000 € par an, donc une somme relativement faible. Au contraire à l'autre extrême, le traitement d'une leucémie par greffe de moelle - je n'en dirai pas de mal puisque j'ai été un des promoteurs de cette technique - coûte environ 200 000 € par an. Ceci montre qu'il y a une extrême variabilité des coûts.

Si on passe de la prévention des risques médicaux, par exemple, à la prévention des risques dus aux accidents, nous passons d'un chiffre de 19 000 € par an à un chiffre de 350 000 € par an.

Si nous passons à un risque dit environnemental, c'est-à-dire lié à la présence dans l'environnement de certains toxiques, nous sommes à 2,8 M€.

Nous passons de 3 000 € par an pour la prévention du cancer à 2,8 M€ en moyenne pour la prévention des risques environnementaux, et encore ce chiffre de 2,8 M€ recouvre une très grande variabilité, puisque dans certains cas, comme la prévention de certains risques chimiques, nous arrivons à plusieurs milliards d'euros par an.

Si j'insiste sur ces données, c'est simplement pour montrer que dans un choix, une politique de prévention, nous sommes obligés de prendre deux facteurs, deux critères en compte ; le premier, le rapport coût/efficacité, et le second, l'acceptabilité par le public.

Il est évident que nous ne pouvons pas nous contenter du rapport coût/efficacité. Il faut introduire une autre notion, à savoir si la mort est acceptable ou ne le paraît pas.

Je prendrai un seul exemple, celui des maladies nosocomiales. Quand on entre dans un hôpital pour se faire opérer d'une maladie très bénigne et qu'on y décède de septicémie, c'est un risque qui, moralement, est extrêmement peu acceptable. De ce point de vue, la lutte contre les maladies nosocomiales dans les hôpitaux est évidemment une priorité. Et nous pourrions en citer beaucoup d'autres.

Si je passe maintenant de la prévention à la précaution, nous retrouvons exactement les mêmes notions.

Le but de la précaution est de lutter contre les risques incertains. Tout le principe et la politique de précaution sont basés sur l'idée qu'avec la précaution nous allons raccourcir le délai entre la première alerte et la mise en oeuvre de mesures efficaces.

Si nous analysons - ceci a été fait dans plusieurs circonstances et notamment il y a quelques mois dans une réunion entre l'OMS et la Commission Européenne -, nous ne trouvons aucun exemple probant où le principe de précaution a réellement raccourci ce délai.

Qu'il s'agisse de la maladie de la vache folle, du sang contaminé ou encore de tous les autres problèmes qui se sont posés sur le plan sanitaire au cours de ces dernières années, les mesures efficaces n'ont pu être prises que lorsque les connaissances scientifiques ont permis la prise de mesures efficaces.

Malheureusement - je dis malheureusement car le contraire aurait été extrêmement heureux - le principe de précaution n'a raccourci le délai dans aucun de ces cas. Cela veut-il dire qu'il faut abandonner le principe de précaution ? Non, bien entendu !

Le principe de précaution a des côtés excellents, celui d'exiger une expertise scientifique devant tout risque, même incertain, même peu plausible. Je crois qu'il est excellent que nous nous posions la question et que nous posions la question à des experts scientifiques compétents.

De la même façon, la transparence des rapports scientifiques est fondamentale. La prise en compte dans les rapports de ces commissions d'experts des opinions minoritaires est aussi quelque chose de fondamental.

Enfin, dans le processus de prise de décision, qui est complètement indépendant du processus d'expertise, et il faut que les deux soient indépendants - il est absolument fondamental qu'il y ait un exposé des motifs expliquant clairement pourquoi nous avons pris telle ou telle décision et pourquoi nous n'avons pas pris telle ou telle décision.

De ce point de vue, je crois que nous parlions tout à l'heure de la nécessité d'une protection juridique de l'expert. Je dirai d'abord qu'il est tout à fait évident qu'il faut protéger l'expert ce qui n'est pas toujours le cas. Je prendrai un seul exemple qui, personnellement, m'a beaucoup choqué, celui de la façon dont le Professeur DOUCE, qui a rédigé le rapport sur les OGM, a été mis en cause personnellement. Il l'a été d'une façon que je juge totalement idiote. Et ce, au point qu'il a été obligé de protéger ses enfants contre les menaces dont ils faisaient l'objet. Il a été accusé de toutes sortes de choses. On a tout simplement dit que l'Académie des Sciences et l'Académie de Médecine étaient des « vendus » et qu'elles avaient pris cette position simplement parce qu'elles avaient des intérêts financiers avec l'industrie, ce que personne bien entendu n'avait jamais mis oeuvre. Il faut vraiment qu'on soit bien pauvre en arguments scientifiques pour recourir à ce type d'arguments.

Ceci montre en tout cas qu' il est nécessaire de protéger les experts et d'éviter de telles exploitations personnelles contre un expert quand il ne dit pas ce que certains attendent.

Et je crois que c'est un phénomène absolument fondamental et de la même façon, il faut protéger celui qui prend les décisions.

Quand je vois la façon dont sont attaqués certains ministres ou certains responsables administratifs à la suite d'une prise de décision, où on les met personnellement en cause parce qu'ils n'ont pas pris la décision que certains auraient voulu qu'ils prennent, je pense - et ce sera dit dans le rapport de l'OMS - que la première chose et la plus fondamentale est de protéger les décideurs contre certaines accusations totalement infondées.

Ceci dit, j'en reviendrai au principe de précaution. Je pense que l'anticipation est fondamentale. Non seulement il faut une expertise scientifique, mais il faut qu'elle débouche sur la recherche.

Je prendrai un seul exemple, celui de la maladie de la vache folle.

Il y a quelques années, nous redoutions 150 000 décès en Angleterre et plusieurs milliers en France. A ce moment là, pour la science, la barre d'erreur - c'est-à-dire l'écart entre la valeur moyenne et les risques minimaux ou maximaux - était entre zéro et 150 000. Grâce aux travaux qui ont été faits et en particulier en France, actuellement la barre d'erreur est entre zéro et 1 000 décès pour l'Angleterre et entre zéro et 25 ou 30 décès pour la France.

Nous avons donc fait des progrès. Nous sommes toujours dans l'incertitude, je suis tout à fait de votre avis, l'incertitude est liée à la science et elle ne disparaîtra jamais, mais nous la réduisons.

Le propre de la science est d'être capable de réduire progressivement cette incertitude. Reconnaître l'incertitude et chercher les façons dont on peut la limiter, est ce qui fait la grandeur de la science.

J'en reviens aussi au fait - et je répondrai à mon confrère de l'Académie des Technologies - que l'incertitude n'empêche en aucune façon l'évaluation du coût et de l'efficacité. Il y a simplement une certaine marge de variation dans l'évaluation du coût et de l'efficacité.

Lors de cette réunion qui a duré plusieurs jours - une discussion utile doit malheureusement s'étaler sur plusieurs jours -, nous avons mis en évidence le fait qu'il fallait prendre plusieurs types de critères dans le principe de précaution :

- La plausibilité du risque ;

- La grandeur éventuelle de ce risque avec les limites de ce risque;

- Le coût/efficacité de toutes les mesures envisagées.

La mise en oeuvre d'un principe, qu'on l'appelle d'anticipation ou de précaution, doit être fondée sur quelques règles et quelques critères extrêmement simples. Mais de toute façon, elle doit déboucher sur ce qui est fondamental, ce qui est la seule façon de progresser, c'est-à-dire sur la recherche. Tant qu'il n'y a pas de connaissances, il ne peut pas y avoir d'action efficace. C'est ce que nous a démontré l'analyse de tous les risques qui ont été étudiés au cours de ces dernières années.

Je reconnais donc - et il faut le reconnaître - qu'il y a des débats et dans un pays démocratique, il est excellent qu'il y ait des débats. Il faut que ces débats soient organisés et qu'ils le soient autour de quelques critères simples.

C'est la raison pour laquelle, à l'Académie des Sciences et à l'Académie de Médecine, nous avons pensé qu'il fallait un lieu de débat qui soit un endroit où on organise des débats et où on leur consacre tout le temps nécessaire pour qu'on finisse par se comprendre. Ceci peut prendre quelques heures, quelques jours ou quelques mois, mais on peut toujours y arriver si on est patient. Il faut qu'il y ait un lieu qui organise ce type de débat.

Avant de laisser à mon confrère et ami PETIT le soin de vous lire les conclusions auxquelles nous sommes arrivés à l'Académie des Sciences et à l'Académie de Médecine, je veux dire qu'il y aurait beaucoup de risques à introduire le principe de précaution dans des lois organiques ou a fortiori dans la Constitution parce que cela faciliterait toutes les tentatives de blocages. En effet, en vertu de la Constitution ou de la loi organique, n'importe qui pourrait attaquer les mesures prises, voire même mettre en accusation ceux qui auraient pris ce type de mesures.

Merci !

M. LE PRESIDENT - Merci Professeur TUBIANA !

Avant de donner la parole aux autres intervenants qui sont inscrits, le Professeur COPPENS qui doit nous quitter aimerait nous faire une communication.

M. COPPENS - Merci, Monsieur le Président !

D'abord, je voudrais vous prier de m'excuser - mais je ne pouvais pas faire autrement -, de vous avoir laissé, de nous avoir laissé débattre sur la Charte sans la Charte, c'est très désagréable, mais la situation m'échappait.

Je suis également désolé de faire des conclusions avant la fin.

Je voudrais dire que la notion d'anticipation ne nous avait pas échappé, Monsieur de GOUTTES en a parlé et Monsieur TUBIANA également à l'instant.

Je voudrais dire aussi que la transparence, la concertation, l'information dont ont parlé Madame BENOIT-BROWAEYS, Monsieur de GOUTTES, Monsieur FOREST, Monsieur TUBIANA, bien sûr ont fait partie de nos soucis, cela va de soi. Elles ont aussi besoin de se développer.

La dimension internationale, dont a parlé Monsieur de GOUTTES, nous souhaiterions l'atteindre mais nous avions une mission qui avait pour cadre le Gouvernement de la France et donc elle ne concernait, en première approche, que la dimension nationale. Il est évident que l'herbe ne s'arrête pas aux frontières et les petits oiseaux et papillons non plus. Nous aimerions donc beaucoup pouvoir atteindre cette dimension internationale, mais nous n'avons cependant pas osé faire tout de suite une Charte de l'Environnement pour la terre tout entière, cela aurait sans doute été un peu prétentieux.

L'alerte, la vigilance, oui aussi bien sûr ! Nous avons pensé à une veille, à des institutions de veille. Monsieur FOREST, Madame CORDIER, Monsieur GILLET en ont parlé et Monsieur TUBIANA également. Nous avons même pensé - cela doit apparaître dans notre rapport - à une instance d'évaluation. Il est, en effet, très important d'avoir des experts et avant que le législateur ne s'exprime de savoir de quoi il s'agit ou, en tout cas, d'avoir au moins une instance d'évaluation consultative.

J'ai bien retenu le souci de Monsieur LEPEU, de Monsieur BIRRAUX, de Monsieur PANET de faire attention à ne rien figer, bien entendu. Nous savons bien que le développement n'est pas aussi durable que cela. Et comme je le disais - ce n'était pas une plaisanterie - l'autre jour à Monsieur COCHET, j'avais proposé à Madame la Ministre de l'Ecologie d'appeler son ministère - le Ministère de l'Ecologie et du développement d'une certaine durée. Elle m'a répondu que politiquement, ce n'était quand même pas très rassurant. Nous gardons donc durable et après tout, même si la traduction des termes « sustainable » par durable n'est pas satisfaisante, il apparaît dans de nombreux textes internationaux.

Monsieur TUBIANA a parlé d'exposé des motifs, oui. Notre rapport comporte cinquante pages d'exposé de motifs, nous y avons pensé ! Et ce n'est pas pour autant malheureusement que nous avons fait le tour du sujet, mais nous avons vraiment fait ce que nous avons pu.

Monsieur TUBIANA disait aussi que quelques jours étaient nécessaires à une discussion. Nous avons travaillé quelques mois, nous en avons eu dix. Nous n'avons pas fait des merveilles, mais nous avons essayé de réfléchir honnêtement. Nous avons beaucoup travaillé et même si, comme disait Madame MAYO, il y a de très nombreuses chartes dans les cavernes, et que notre charte viendra s'ajouter aux autres, comme je fréquente les cavernes, je saurai la mettre sur le haut de la pile.

Des propos de Madame GUILLOU, j'ai relevé quelque chose de très intéressant : toutes ces réflexions déplacent les limites entre le champ des sciences et celui de la décision. Nous ne mesurons pas encore la limite de ce déplacement, mais c'est très intéressant et important. Il y a incontestablement un rapprochement de la science et de la société.

A cet égard, je reprendrai ce que disait Madame BENOIT-BROWAEYS, il y a souvent disharmonie entre science et société. Je pars à l'instant pour un colloque dont le titre est Science et société. Vous voyez que cela me préoccupe et c'est sans doute une meilleure information, une meilleure concertation qui rapprocheront ces points de vue.

Il est cependant vrai que les scientifiques travaillent de leur côté - j'en suis un -, la société vit du sien et, parfois, les rapprochements sont compliqués parce que chacun a ses objectifs qui ne sont pas forcément les mêmes. En l'occurrence, dans cette réflexion d'aujourd'hui, dans cette réflexion de ces dix mois, c'est une progression vers ce rapprochement auquel nous avons essayé de parvenir.

Je reprendrai aussi ce que disait Monsieur COCHET à propos des paradoxes. Oui, c'est vrai, même dans la définition de l'homme, en paléontologie, nous disons en effet qu'il est un mammifère libre et responsable. Il est libre, c'est merveilleux, mais en même temps la responsabilité vient très vite limiter cette liberté. C'est très intéressant, d'ailleurs, de voir que c'est le seul mammifère qui a ce privilège.

Enfin la question sur la constitutionnalisation m'échappe, je ne suis pas compétent. J'ai entendu dire partout que si la loi Barnier était intéressante - peut-être pas parfaite, mais quelle loi l'est ? -, elle n'était malheureusement pas suffisamment appliquée, pas suffisamment efficace dans son application. Si j'ai bien compris, le but de nos rencontres, pendant ces dix mois, a été d'essayer de changer de normes pour une meilleure efficacité de ses principes et de quelques autres - je dis bien, Monsieur COCHET, de ses principes et aussi de quelques autres - que nous avons essayé d'apporter en complément à ceux que la loi Barnier avait déjà proposés.

Voilà Monsieur le Président, je pars à cette réunion Science et société !

M. LE PRESIDENT - Merci beaucoup Monsieur le Président COPPENS d'avoir accepté de répondre à notre invitation et éclairé, pour les débats futurs, notre lanterne.

J'en viens maintenant à la suite des intervenants.

Mme PERRIN-GAILLARD - Je vais essayer d'aller très vite, malgré le nombre d'interrogations que j'ai.

Nous avons eu - je vais parler ici en qualité de membre de la commission de préparation de la Charte - des débats de même nature pendant les dix mois et nous pourrions encore les continuer très longtemps, mais nous n'avons cependant jamais - et même pas aujourd'hui - répondu à cette question : le fait d'avoir une Charte constitutionnelle va-t-il changer quelque chose en matière de protection de l'environnement et de la biodiversité ?

De plus, à partir du moment où nous constatons que ceux qui veulent la faire ont aussi râpé les budgets de la recherche, les budgets de l'éducation, quelle sera, là, la portée de la Charte par rapport à ce qu'attendent nos concitoyens ?

Je n'ai pas de réponse aujourd'hui.

Faut-il laisser au Conseil constitutionnel le soin de regarder ce que fait le Parlement ou ce qu'est le budget de l'Etat ? Nous pourrions effectivement l'imaginer.

Le Parlement a-t-il ou non les moyens de pouvoir faire appliquer les textes qu'il vote ? Cette Charte va-t-elle nous aider ? Je suis encore très interrogative sur le sujet.

Il y a aussi une autre question qui n'a pas été abordée, à laquelle j'ai pensé au cours de cette matinée. Nos concitoyens pourront-ils saisir ou non le Conseil constitutionnel ? C'est toujours la même chose. Si à un moment donné, nous voulons que la Charte constitutionnelle serve à quelque chose, encore faut-il que nos concitoyens, comme d'autres, puissent faire un certain nombre de démarches pour pouvoir faire avancer les choses. C'est une question que nous n'avons pas abordée aujourd'hui et que je trouve importante.

Enfin, sans revenir sur les interventions des uns et des autres bien qu'il y ait beaucoup de choses à dire sur ces interventions, j'ai été très intéressée par l'intervention de Madame BENOIT-BROWAEYS. Elle a dit que l'expertise serait bien, si elle intégrait une démocratie initiatrice de questions. C'est une notion intéressante qui permet d'aboutir à l'éducation, à la culture scientifique de nos concitoyens et c'est bien aussi ce qu'ils recherchent. Il en est de même des parlementaires, nous sommes à la recherche, nous avons de questions, nous voulons les poser et avoir des réponses transparentes. D'où la nécessité d'avoir un dialogue permanent.

Il ne faut pas faire de ce dialogue permanent ce qui a été fait des conférences citoyennes concernant les OGM. Notre Charte de l'Environnement va-t-elle permettre de faire autre chose que ce qui a été fait ?

Je vous rappelle que les conférences citoyennes ont dit non aux OGM.

M. TUBIANA - Elles ont dit oui aux OGM !

Excusez-moi de vous interrompre, mais la conférence citoyenne sur les OGM a dit tout à fait oui aux OGM !

Mme PERRIN-GAILLARD - Pas sur le terrain, Monsieur ! Les conférences citoyennes organisées en région...

M. TUBIANA - Les conférences citoyennes organisées en région n'étaient pas des conférences citoyennes. On a utilisé le mot de conférences citoyennes en dehors de sa signification. Par principe, la conférence citoyenne requiert une information objective du sujet. Il ne faut pas tout mélanger !

Mme PERRIN-GAILLARD - Bien entendu, Monsieur TUBIANA vous détenez la science ! Mais nous, nous sommes les représentants de populations. Comment voulez-vous que ces populations comprennent quelque chose si on leur donne en information des choses qu'elles ne peuvent pas comprendre ? Et c'est là que nous avons aussi besoin de clarifier un certain nombre de choses. Je suis d'accord avec vous, la conférence citoyenne a dit oui aux OGM, excepté que sur le terrain nous avons eu des conférences...

M. TUBIANA - Ce ne sont pas des conférences citoyennes...

Mme PERRIN-GAILLARD - Mais qu'avons-nous eu ? Nous allons dire, alors, des conférences populaires, comme vous voulez ! Excepté que là, nous avions vraiment des citoyens qui cherchaient à être informés, à avoir des données pour pouvoir se faire une idée.

Ces concitoyens ne sont pas plus bêtes que la moitié des gens. Et ils ont dit, que pour l'instant, ils n'avaient pas suffisamment d'informations. Cela veut bien dire que la recherche est nécessaire, que le dialogue est indispensable.

Je voudrais savoir si cette Charte résoudra aussi ce type de problème.

M. LE PRESIDENT - Non, je ne vous donne pas la parole maintenant Professeur TUBIANA, c'est Monsieur COCHET qui l'a.

M. COCHET - J'ai écouté de manière intéressée l'ensemble des orateurs de cette troisième table ronde, mais, l'heure tourne et je ne vais pas donner à la sauvette une évaluation.

Il est cependant évident que la démarche d'information citoyenne, d'ouverture et de transparence est très bonne.

A titre politique, associatif ou encore de citoyen, c'est ce que j'ai essayé de faire aussi depuis trente-cinq ans en me heurtant à ce que certains des orateurs ont appelé les peurs irrationnelles ou les intégrismes. Je me suis reconnu là-dedans. Bien sûr, cela a été dit avec une formulation un peu diplomatique, mais il a été dit qu'il y a d'un côté la science qui, certes, peut avoir quelques polémiques internes, quelques débats, quelques incertitudes - ces incertitudes sont parfois même le fondement de la science, c'est pour cette raison qu'il faut continuer la recherche, moi qui suis également d'origine scientifique, je suis parfaitement d'accord avec tout ceci - et, d'un autre côté, le savoir profane qui, lui, est soumis aux peurs irrationnelles et aux intégrismes.

Il faut faire très attention à ces mots parce que ce sont des gros mots. Les mots irrationnel et intégrisme ont des sens extrêmement forts.

Je regarde, notamment, le Professeur TUBIANA qui, je crois qu'il ne le reniera pas, est un défenseur du nucléaire depuis de très nombreuses années, et je pourrais très facilement dire que les défenseurs du nucléaire sont des intégristes du nucléaire. J'évite de le dire et pourtant Dieu sait si quelques éléments de réflexion peut-être citoyenne ou peut-être scientifique, montrent que le nucléaire n'est pas du tout ce qu'il faut faire ni pour la France ni pour le monde. Mais voyez, je ne vous traite pas d'intégriste ! Il faut donc faire très attention.

Je reprends précisément une partie de votre exposé sur le principe de précaution que vous avez essayé de minimiser d'une certaine manière en disant qu'il n'avait démontré son efficacité, ni politique, ni scientifique, ni contre les catastrophes.

C'est un principe paradoxal, c'est le principe des personnes qui crient au loup ! Evidemment si à la fin, le loup arrive vraiment, on se dit qu'on aurait dû les écouter. Et si le loup n'arrive pas, parce que leur précaution dans l'incertitude était mal fondée, on dit que c'est assez, on ne les croit plus parce qu'elles annoncent des choses qui n'arrivent pas.

Le problème est que ce sera toujours comme ça !

Il y a un côté qui ne sera jamais dépassé par la science. Il ne s'agit pas de remettre en cause la science ni la rationalité scientifique, encore une fois, j'aime beaucoup cela, mais précisément lorsque nous évitons une catastrophe, jamais nos descendants ne pourront dire que nous avons été vraiment stupides de vouloir l'éviter puisqu'elle n'est pas arrivée.

C'est cela le paradoxe de la catastrophe. Au moment où elle arrive, on dit que c'est trop tard.

Or je fonde mon action politique sur une stratégie que l'on peut appeler la stratégie du « sans regret ». Je ne veux pas que mes descendants puissent dire qu'à un moment donné, dans la période d'incertitude entre quelque chose qui n'était pas connu scientifiquement mais où des risques semblaient potentiels, on n'a pas pris de mesures, dites de précaution, pour éviter une catastrophe. Je parle de catastrophe et non de petits incidents ou de petites pollutions. A mon avis, ce n'est pas là que le principe de précaution s'applique.

C'est pourquoi le calcul, que vous avez d'ailleurs vous-même évoqué, du coût/efficacité ou du coût/bénéfice ne s'applique pas aux catastrophes. Cela peut s'appliquer aux risques industriels.

Comment font les industriels et les politiques ?

Ils disent qu'il peut y avoir un risque qu'ils vont définir comme epsilon et un bénéfice qui est très bon. Ou il y a un bénéfice qu'ils vont évaluer qui, semble-t-il, est bon pour la société et les conséquences de ce risque qui coûteraient certes vraiment très cher, mais quand on multiplie par la probabilité du risque lui-même, comme on ne sait pas combien cela fait, et donc on agit.

Autrement dit, la plupart du temps ce qui est techniquement possible est fait.

Je ne vois pas que pour un principe de précaution, il y a eu l'arrêt d'une découverte scientifique, puis technique. Et je crois que pour le nucléaire, si nous prenons cet exemple, cela n'a aucun sens. Comment pouvez-vous savoir, sauf à regarder ce qu'évaluent eux-mêmes les assureurs, quelle serait la catastrophe ou le coût d'une catastrophe en matière nucléaire, c'est-à-dire une fusion du coeur dans de nombreuses centrales ?

C'est très difficile. A la centrale de Tchernobyl, cela a été évalué pour trois pays - l'Ukraine, la Biélorussie, la Russie -, certains ont dit que pour ces trois pays, cela représentait 360 Md$.

Et aux Etats-Unis, par exemple, certains instituts de recherche ont dit qu'ils allaient regarder combien coûterait la fusion nucléaire d'Indiana Wells. Cela coûterait 600, 800 Md$, c'est très difficile. Du coup, les Etats ont interdit aux exploitants privés - aux Etats-Unis parce qu'en France c'est public - de pouvoir s'assurer. Et d'ailleurs les assureurs eux-mêmes ne veulent pas assurer un tel risque, de la même manière que les assureurs ne veulent pas assurer les OGM. Ils disent que s'il y avait un accident, ce serait tellement considérable, qu'ils ne veulent pas l'assurer.

Je préfère écouter Monsieur BEBEAR ou Monsieur KESSLER qui, d'une certaine manière, ont le coût de la vie. Ils savent que cela coûte du point de vue de l'assurance. Ce ne sont pas des philanthropes et, à mon avis, ce ne sont pas non plus des écologistes patentés, tels que nous les avons vus précédemment en tout cas. Comme il y a une incertitude ou un risque qui est très fort, ils n'assurent pas.

Dans ce cas, à quoi bon car on sait faire autrement. Le problème est qu'en ce qui concerne les OGM pour l'agriculture, on sait faire autrement, les OGM n'ont pas démontré leur utilité ni la moindre utilité pour elle. Je ne parle pas pour l'insuline, mais pour l'agriculture, on sait faire autrement.

Il en est de même pour l'énergie, on sait faire autrement, il y a donc un vrai problème.

De la même manière, pour la dérive de l'effet de serre, maintenant ce n'est plus une incertitude, ce qui est incertain, c'est l'écart ou le fait que l'accroissement de gaz à effet de serre va produire telle augmentation moyenne de la température annuelle sur l'ensemble de la planète.

Ce qui n'est pas incertain d'après le troisième rapport d'évaluation du GIEC, il y a un an et demi, c'est d'une part la concentration des gaz à effet de serre et, d'autre part, la rapidité incroyable au point de vue des temps géologiques du réchauffement climatique. Ce n'est pas incertain, ce qui l'est, c'est son amplitude et ses conséquences.

Devant ceci, quand je lis tous ces rapports, je dis que jusqu'à présent, les politiques ont toujours sous-estimé les dangers liés soit à la dérive de l'effet de serre, soit à la dissémination des OGM, soit au danger nucléaire, et je vais terminer là-dessus Monsieur le Président.

Je ne veux pas être trop long, mais tout le monde l'a été, au moins pour ceux qui écoutent et je vois Monsieur TUBIANA qui rêve évidemment de me répondre.

Pensez-vous Monsieur TUBIANA, mais également vous tous ici, que quand nous regardons l'histoire du XXe siècle, notamment en Europe, et même celle des siècles passés dans d'autres continents, qu'il soit raisonnable de développer à grande échelle - je ne dis pas la recherche nucléaire pour faire les traceurs ici, faire de la recherche voire même des tentatives de thérapie contre le cancer - pour fabriquer de l'électricité - encore que l'électricité puisse être un alibi pour fabriquer du plutonium de qualité militaire -, mais à grande échelle lorsqu'on connaît l'histoire du XXe siècle en Europe ?

Actuellement, il y a quatre cent trente réacteurs dans le monde, qui existent depuis une cinquantaine d'années. Et penser qu'il y aura encore du nucléaire en 2100, il y en aura encore plus - il y aura peut-être huit cents, mille réacteurs - quand on connaît l'âme humaine, c'est non seulement un pari fou, mais, pour moi, ce n'est même pas un pari, mais une folie absolue.

Croire que la démocratie qui est sur notre sol depuis cinquante ans, va durer encore un siècle ! Regardons l'histoire de l'Europe, qui peut le croire ? Voyez l'URSS et son état très instable actuellement.

Pour avoir une société nucléaire, il faut qu'elle soit très technologique, très stable et très sécurisée.

Comment pouvez-vous parier que nos sociétés - et même les sociétés du monde parce que nous voulons en vendre à la Chine - vont être encore pendant tout le XXIe siècle très technologiques, très stables et très sécurisées quand nous connaissons l'histoire du monde depuis Démosthène et Alexandre le Grand ?

Quelle folie !

Vous êtes partisan du nucléaire, je suis foncièrement antinucléaire, pas tellement pour des raisons techniques, mais pour...

M. LE PRESIDENT - Monsieur COCHET, pouvons-nous revenir à un débat sans qu'il n'y ait de discussion particulière entre vous-même et Monsieur TUBIANA, à qui je ne donne pas la parole tout de suite, je procède par ordre.

Vous avez parlé de sociétés très organisées, mon cher Collègue, donc j'essaye d'avoir un débat organisé et dans cette organisation, je donne la parole à Madame BENOIT-BROWAEYS.

Mme BENOIT-BROWAEYS - Je voudrais juste très succinctement resituer la question de l'expertise de l'Académie des Sciences. Bien sûr qu'il est déplorable que Monsieur DOUCE ait été sujet à de telles menaces !

Mais regardons le processus, ne s'agit-il pas de rapports de force avec les pouvoirs où il y a certaines irresponsabilités à mettre en oeuvre un rapport de ce type dans un contexte aussi tendu ? Je pense qu'il faut prendre au sérieux, aujourd'hui, la demande du public, et un certain nombre de ses questions. De toute façon nous savons bien que les OGM n'ont pas une utilité sociale prouvée en Europe ou même ailleurs.

C'est un geste politique qui est quand même assez mal venu et effectivement il y a une personne qui en a fait les frais. Je le déplore comme vous, mais je pense que cela nous amène à redire que la responsabilité des politiques, en la matière, doit être de prendre au sérieux les questions et moins nous entendrons les questions du grand public, plus le dialogue de sourds sera important.

Il est vrai que dans le domaine des OGM, cela s'est beaucoup passé ainsi.

On oppose toujours une science sage à un grand public qui est stupide, obscurantiste, totalement inculte. On ne peut pas continuer ainsi. Il est important de prendre au sérieux nos sociétés, de regarder leurs analyses qui ne sont pas strictement de l'ordre de la science.

La science n'a pas à être tyrannique ! Il y a bien d'autres approches de nos sociétés et des problèmes. Je pense que nous manquons terriblement d'approches sociologiques, anthropologiques, philosophiques et qu'il faut réfléchir à des choix de société par rapport à une vision, à ce que l'on veut donner. Veut-on que tout se réduise à des échanges financiers ? Veut-on que ce soit l'argent qui fasse l'arbitrage de tout ?

M. LE PRESIDENT - Un mot Professeur TUBIANA !

M. TUBIANA - D'abord, je répondrai à Madame.

Je crois justement que c'est respecter le public et ouvrir un débat que de donner des faits scientifiques. Je pense que la contribution que les scientifiques peuvent apporter à un débat, est de rappeler quels sont les faits.

Dans le cas des OGM, c'est rappeler qu'il y a un milliard de personnes qui utilisent chaque jour des OGM dans leur nourriture et que si on veut prétendre que les OGM sont dangereux, regardons ce qui se passe chez ce milliard de personnes qui en mangent tous les jours !

Mme BENOIT-BROWAEYS - Dire regardons ce qui se passe, n'est pas un argument extrêmement scientifique !

M. TUBIANA - J'ajouterai simplement une chose, dans les deux académies, celle des sciences et celle de médecine, nous avons souhaité ouvrir un débat.

Dans le rapport de l'Académie de Médecine, il est explicitement dit que l'Académie de Médecine envisagerait avec plaisir un débat avec tous ceux qui ne sont pas en accord avec les données scientifiques exposées dans le rapport. La seule chose que nous avons reçue, sont des injures ! Aucune ébauche de discussion scientifique et ce, pour la bonne raison qu'elle n'était pas discutable.

C'est triste d'arriver à ce manque de discussion, à ce manque de débat et quand on ouvre un débat scientifique, d'avoir pour seule réponse des injures.

Mme BENOIT-BROWAEYS - Vous avez raison tout à fait, mais si ce n'est pas discutable au plan scientifique, ça l'est sur d'autres plans.

M. LE PRESIDENT - Professeur TUBIANA, je vous invite à conclure.

M. TUBIANA - Monsieur COCHET me disait que la précaution ne peut jamais être nuisible, je vais vous donner un exemple de précaution nuisible.

Quand on a arrêté la vaccination de l'hépatite B, au nom du risque possible de sclérose en plaques, on a tué délibérément plusieurs centaines de personnes, puisqu'on a diminué énormément le nombre de vaccinations et que, malheureusement, parmi ces personnes qui ne sont pas vaccinées, un certain nombre feront des hépatites B et en mourront.

Au nom de la précaution et au nom de ce principe, on a délibérément privé un certain nombre de gens de vaccination.

Cet exemple très simple montre que la précaution peut avoir des effets nuisibles si elle est utilisée à tort et à travers.

En ce qui concerne les OGM, nous savons très bien...

M. LE PRESIDENT - Vous avez déjà répondu à ce sujet.

M. TUBIANA -... Je rentre du congrès de la biovision de Lyon et nous avons bien vu que dans certaines parties du monde, sans les OGM, ils n'arriveraient pas à boucler leur équilibre nutritionnel.

M. LE PRESIDENT - Monsieur PETIT avez-vous un commentaire sur le communiqué de l'Académie de Médecine ou voulez-vous nous le lire. Si vous le lisez, je vais vous proposer que nous l'annexions au compte rendu de ces auditions.

M. PETIT - Cette proposition me convient parfaitement. Je voulais simplement peut-être ajouter un mot 2 .

J'ai le sentiment qu'à l'Académie des Sciences, pour ne parler que de celle que je connais bien, il y a un consensus très large sur le fait que les scientifiques n'ont pas à décider pour tout le monde.

Prenons l'exemple du réchauffement climatique qui a été évoqué un certain nombre de fois. Il est certain qu'entre le mal consistant à se priver des énergies des combustibles fossibles et le mal constituant le réchauffement climatique, il n'y a aucune raison que les scientifiques aient une voix prépondérante. Ils doivent avoir une voix comme tout citoyen.

En revanche les citoyens ne peuvent s'exprimer sans prendre connaissance de l'état actuel de ce qu'on sait à l'échelle internationale ; dans ce domaine, l'état des connaissances est obtenu par une procédure d'expertise collective soumise à une double revue par l'ensemble des experts du monde. Nous arrivons à quelque chose qui est approuvé en plus politiquement par tous les Etats y compris l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis et nous avons effectivement une vérité scientifique objective sur laquelle chacun peut s'appuyer.

C'est simplement ceci que nous demandons, qu'il y ait effectivement cette expérience scientifique collective et qu'on n'amène pas les citoyens à se prononcer sans les avoir préalablement informés de l'état actuel des connaissances scientifiques.

M. LE PRESIDENT - Merci !

Est-ce que parmi les personnes qui ne sont pas autour de la table ronde, il y a d'autres questions ou interventions ? Je ne voudrais pas que vous ressortiez en disant que nous vous avons invités, mais empêchés de vous exprimer.

Mme Chantal PHILIPPET - J'ai une question très générale sur ce que font les pays voisins en ce qui concerne le domaine sur lequel nous sommes en train de légiférer. Avons-nous l'exemple de pays européens voisins où des principes environnementaux ont été introduits dans des lois fondamentales ou des Constitutions ou la France est-elle pionnière dans ce domaine ?

M. KLAPISCH - Comme vous pouvez le penser, avec l'aide de la mission du Ministère de l'Ecologie, nous avons recensé tous les textes internationaux. De nombreux pays - en particulier le Brésil, la Suisse, pour ne citer que les plus récents - ont inclus dans leur Constitution, des dispositions visant à protéger l'environnement. C'était cependant un travail relativement limité. Par exemple, dans le cas d'un pays fédéral comme la Suisse, cela vise à régler les compétences relatives des cantons et de l'Etat fédéral.

A notre connaissance - je ne sais pas si nous devons en être fiers, cela dépendra de l'acceptation du Parlement et, éventuellement, des citoyens - nous proposons quelque chose qui est une loi constitutionnelle allant des principes à certaines procédures. Je crois que c'est véritablement unique et, encore une fois, si cette oeuvre est acceptée, elle sera innovante.

M. CHARLOT - Je m'appelle Jean-Claude CHARLOT du Conseil national des ingénieurs et scientifiques de France.

Dans tous les débats, on a beaucoup parlé des scientifiques, mais non des ingénieurs. Or les ingénieurs, que nous représentons, sont huit cent mille en France. Ils sont, en général, en première ligne dans tous ces problèmes et nous partageons tout à fait les inquiétudes qu'il peut y avoir de blocage de l'innovation.

M. KLAPISCH - J'ajouterai qu'un certain nombre d'entre nous, dont moi-même, ont une formation d'ingénieur et je vais vous donner un scoop. Les mots recherche scientifique et innovation figureront dans le projet de loi constitutionnelle. Je ne sais pas si cela se traduira automatiquement par des augmentations de budget - cela relève du politique -, mais je crois que c'est la première fois que la recherche scientifique et l'innovation sont mentionnées au niveau constitutionnel.

M. LANDRIEU - Je m'appelle Guy LANDRIEU de l'INERIS.

A la suite d'une remarque qui vient d'être faite, je voudrais simplement insister sur le fait que l'évaluation scientifique ne peut pas se résoudre à l'état des connaissances. En particulier, lorsqu'il s'agit de prévoir les risques futurs d'un produit en développement, souvent ce produit n'est encore que très peu diffusé au moment où on se pose des questions. Les études épidémiologiques ne peuvent par conséquent rien donner, rien montrer.

L'état des connaissances dépend essentiellement de ce qui est publié, donc de là où on a mis des crédits de recherche. Il y a tout un ensemble de phénomènes qui, d'une certaine façon, « biaisent » ou du moins limitent l'état des connaissances.

Il faut donc se poser des problèmes dans l'autre sens, c'est-à-dire partir de ce qu'il faudrait connaître, là où il y a des trous, etc. Ceci exige une démarche assez différente - celle de l'évaluation des risques - de celle de l'état des connaissances scientifiques.

M. KLAPISCH - C'est ce qu'on appelle la démarche d'anticipation.

M. LE PRESIDENT - Y a-t-il d'autres personnes qui souhaitent prendre la parole ? Si ce n'est pas le cas, je vais me hasarder à quelques mots de conclusion.

En fait, je crois que nous avons, que vous avez posé beaucoup de questions et que ces questions serviront à éclairer les débats ultérieurs où nous devrons - nous, Parlement et les commissions compétentes de l'Assemblée et du Sénat - rechercher un point d'équilibre. Nous devrons rechercher un point d'équilibre entre les craintes exprimées par certains qui disent que c'est trop rigide et dangereux pour la recherche, pour l'industrie et celles exprimées par d'autres qui trouvent que c'est inutile parce que ce n'est pas assez contraignant, pas assez rigide et pas assez fort.

Je crois que nous sommes au début d'un processus et d'une réflexion. De nombreux doutes et interrogations demeurent et si aujourd'hui nous avons suscité des questions, nous aurons fait oeuvre utile.

Je retiens encore - j'avais fait quelques fiches pour préparer cette séance - quelques citations de Madame HAIGNERE qui, dans un discours du 13 mars dernier, a dit que « la précaution n'était pas l'abstention, mais bien l'action et que la recherche font partie des dix commandements de la précaution ».

Nous aurions peut-être dû avoir davantage de temps pour débattre des neuf autres commandements !

Monsieur Dominique BOURG, lui, disait que ce principe « ne concernait que les risques potentiels graves assortis d'incertitudes scientifiques. Il suppose, face à un risque mal connu, de développer des recherches pour appréhender ce risque et prendre des mesures provisoires et proportionnées ».

Sur une autre question débattue, celle de l'expertise, Madame HAIGNERE, toujours dans ce colloque du 13 mars, disait « qu'il est fondamental que la distinction entre l'expertise et la décision soit renforcée : le scientifique expertise et le politique décide ».

L'idée d'une instance indépendante d'évaluation a été également évoquée.

A ce sujet, je rappelle, tout de même, que l'Office parlementaire qui est commun aux Assemblées, est, par ailleurs, doté d'un Conseil scientifique. On peut réfléchir au rôle que l'Office parlementaire peut jouer à l'avenir pour l'expertise pour le Parlement puisque c'est bien le but qui lui a été assigné par le texte de la loi même. Les soixante-quinze rapports qu'il a publiés apportent finalement un éclairage aux décisions du Parlement. Je ne vais pas rappeler ici - on peut cependant le faire quand vous voulez - le nombre de lois ou de règlements que les rapports de l'Office parlementaire ont inspirés et ce, quelles que soient les majorités et quels que soient les gouvernements, et j'ajoute, quels que soient les rapporteurs. Finalement ces soixante-quinze rapports répondaient aux interrogations du Parlement, mais aussi - permettez-moi d'espérer - aux attentes et aux questions de la société civile.

En fait, il me semble que le problème principal est celui de savoir de quelle manière inscrire un principe dans un texte constitutionnel qui, lui, par nature est un cadre stable. Encore que, depuis quelques années, on se rend assez fréquemment à Versailles pour modifier la Constitution, mais à la marge, pour changer un mot. On a, par exemple, ajouté que la France était une République décentralisée. On a dit que le mandat du Président de la République était de cinq ans et on a remplacé « sept » par « cinq ». Nous avons bien quelques petits ajustements, mais globalement et malgré tout la Constitution est un cadre stable alors que ces principes environnementaux s'inscrivent dans une dynamique scientifique avec des incertitudes alors que nos concitoyens attendent trop souvent des réponses binaires. C'est oui ou non, c'est dangereux ou non, on peut le faire ou non.

Finalement j'emprunterai la conclusion à une citation du Dalaï Lama : « Douter... - cela me paraît être important pour l'ensemble des intervenants et je dis bien pour l'ensemble des intervenants - ...car le doute incite à la recherche et la recherche est la voie qui conduit à la connaissance ».

Mesdames et Messieurs, merci d'avoir participé à cette audition ! Merci à Monsieur COPPENS et à Monsieur KLAPISCH de l'avoir animée brillamment !

La séance est levée à 13 h 40

ANNEXES

ANNEXE 1

Quelques exemples de synthèses des

connaissances en vue d'une classification ou d'un avis

IARC Monograph on the Carcinogenic risk to humans of Polychlorinated Dibenzo-para-Dioxins (IARC, 1997)

Ethers de glycol quels risques pour la santé ? Expertise collective INSERM, Ed INSERM, 1999

Impact sanitaire des Usines d'Incinération des Ordures Ménagères. Groupe de travail inter-agences InVS, AFSSA, 2003

Evaluation des risques sanitaires liés à l'exposition de la population française à l'aluminium. Groupe de travail AFSSA, AFSSAPS, InVS, 2003

Propositions de classification européenne pour le styrène, le 2-butoxyéthanol, le nickel...Groupe des Experts Nationaux de l'INRS 2001-2003

L'Exemple des Incinérateurs d'Ordures ménagères

Problème : l'incinération des déchets génère (ou a généré) des émissions de produits toxiques bioaccumulables (dioxines, métaux lourds...) dans l'atmosphère.

Question : les populations vivant alentour sont-elles soumises à un risque sanitaire particulier résultant de ces expositions ?

RÉPONSES POSSIBLES

A- Réponse a priori => Evaluation des risques (modélisation)

B- Etudes épidémiologiques d'observation a posteriori des populations

• Doivent exclure les autres causes de morbidité

• Nécessitent d'être confirmées dans d'autres populations

Due à la complexité et la variabilité des mécanismes biologiques et à la diversité des expositions des populations humaines, la réponse est nécessairement une probabilité, assortie d'une imprécision (intervalle de confiance) dans les deux types d'approche.

ÉTAT DES CONNAISSANCES DISPONIBLES

• Rejets actuels très réduits (ce n'était pas le cas dans le passé)

• Incertitude sur les modes de contamination des populations

• Incertitude sur les effets sanitaires

CONCLUSIONS

• les incinérateurs hors-norme continuent de générer des

quantités importantes de polluants (fermeture

programmée - mais que faire des sols pollués ?)

• les connaissances restent insuffisantes en ce qui concerne

les incinérateurs récents

• de nouvelles informations sont nécessaires sur les niveaux

d'exposition et les impacts sanitaires

DEUX EXEMPLES EXTREMES

• l'Amiante

des connaissances scientifiques incontestables ont été accumulées bien avant la mise en place de la prévention

• à l'inverse, de nombreuses alertes sont régulièrement générées (ex : Al dans l'eau et Maladie d'Alzheimer)

- observation de plusieurs cas de maladies (aggrégats)

- peu de plausibilité biologique

• parmi toutes celles-ci, un grand nombre sont des « faux positifs ».

EN CONCLUSION, quelques messages :

_ Le doute doit pouvoir être admis car il permet de se garantir contre les nombreux faux signaux positifs aux conséquences aussi désastreuses; il nécessite d'être réévalué régulièrement lors de l'acquisition de nouvelles connaissances

_ des conclusions provisoires et réévaluables peuvent néanmoins être prises « au delà d'un doute raisonnable » => principe de précaution

_ les notions de risque et d'échelle de risque doivent être transmises aux populations concernées :

- pour que les doutes des experts puissent être compris et respectés

- pour que ces populations puissent résister à la panique générée par des informateurs peu scrupuleux.

ANNEXE 2

ACADEMIE DES SCIENCES

18 mars 2003

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Souci de l'environnement et développement durable

La société contemporaine a une conscience de plus en plus vive de l'importance de l'environnement, dont elle se perçoit à la fois dépendante et responsable. La géographie de la Terre a subi des transformations radicales au cours des temps géologiques. Depuis l'apparition de la vie sur notre planète, des espèces vivantes sont apparues puis ont disparu pour laisser la place à d'autres. Cette évolution continue montre qu'il est impensable de conférer à la nature, par des règles juridiques, un droit à l'immuabilité qu'elle n'a jamais connu, alors que la notion même de vie implique une adaptation à des conditions qui ont constamment changé. Le problème nouveau qui se pose aujourd'hui est que les possibilités ouvertes par la science et la technique ont atteint un niveau tel que l'homme est capable d'altérer gravement son cadre de vie et d'emprunter des voies de développement qui perturberont encore plus gravement celui des générations futures.

La recherche du nécessaire compromis entre développement et préservation de l'environnement de nos descendants, est ce que recouvre le concept de développement durable. Ce devoir de solidarité entre les générations impose que les inévitables modifications de l'environnement restent dans des limites acceptables. Il faut concilier, à terme, la protection de l'environnement, de la santé et des ressources naturelles avec le développement économique et social qui seul peut permettre la réduction des tensions que créent les inégalités géographiques et sociales et l'évolution démographique.

Le rôle de la recherche et du partage de la connaissance

Les progrès de la science et des techniques ont assuré les avancées observées depuis deux siècles dans la moindre pénibilité du travail et de la vie quotidienne, dans la qualité de vie, dans la santé et la longévité, dans l'éducation et dans les possibilités d'échanges entre les hommes et entre les cultures. Alors qu'il y a quelques décennies on pouvait craindre que la croissance démographique n'entraînât un déficit de la production agricole globale, cette dernière est aujourd'hui excédentaire, même si le problème de la faim dans le monde est loin d'être résolu. La gestion concrète des conséquences des actions humaines sur l'environnement ne peut se faire, dans une perspective humaniste, que grâce à une évaluation des conséquences négatives et positives des décisions à prendre. L'évaluation de ces conséquences est d'autant plus facile que les phénomènes sont mieux compris, et la recherche est indispensable pour progresser dans ce sens ; elle peut également apporter certaines solutions techniques. C'est la responsabilité des scientifiques de poursuivre ces efforts, en se pénétrant des obligations du développement durable. Mais ils doivent aussi contribuer à l'information des responsables politiques et des citoyens sur l'état des connaissances, et des incertitudes qui restent à lever. Ainsi seront posées les bases d'une prise de conscience sociale des enjeux, des risques et des arbitrages. Les citoyens aborderont d'autant plus facilement les problèmes d'environnement qu'ils auront une culture de base solide. Il convient donc que l'enseignement obligatoire comprenne une initiation aux phénomènes physiques, mathématiques, chimiques, géologiques et biologiques qui interviennent dans l'interaction entre l'homme et son environnement. Les notions de risque et de gestion des risques devraient également être inculquées dès le plus jeune âge, ainsi que les véritables dimensions des différents problèmes d'environnement et de santé, sans oublier leur coût.

Le principe de précaution

Une large part de l'opinion publique se déclare favorable au principe de précaution, qui semble répondre aux craintes que suscitent d'éventuels effets néfastes des nouvelles techniques. Cependant ce consensus sur un mot n'est qu'apparent et cache en fait des positions diverses, car sa définition est très controversée. Son application, du fait de ses difficultés d'interprétations et des dérives existantes, peut être un frein au progrès et s'opposer à l'intérêt général. Certaines décisions de justice ont été fondées sur le principe de précaution compris comme l'interdiction d'agir si la moindre possibilité d'une conséquence négative de l'action peut être crainte. Une acception aussi extrême d'un principe considéré comme fondamental pourrait conduire à des décisions aussi absurdes que de renoncer à toute mesure pouvant avoir un effet négatif. Il est en fait impératif de peser les risques d'une technique par rapport à ses avantages.

Le souci de protéger le cadre de vie de l'homme peut légitimement conduire à veiller à ce que celui qui propose une décision ait fait au préalable une analyse approfondie de toutes les implications, avantages et inconvénients de celle-ci, en faisant appel à toutes les connaissances scientifiques et techniques du moment. Une telle règle peut être comprise comme le principe de précaution. Malheureusement, ce vocable peut également être compris tout autrement.

L'Académie des sciences recommande que le principe de précaution ne soit pas inscrit dans des textes à valeur constitutionnelle ou dans une loi organique car il pourrait induire des effets pervers, susceptibles d'avoir des conséquences désastreuses sur les progrès futurs de notre bien-être, de notre santé et de notre environnement.

Il convient en revanche de chercher, dès maintenant, à anticiper le plus largement possible les risques, ceux qui sont bien identifiés comme ceux qui ne le sont qu'imparfaitement. Parallèlement, doivent être mis sur pied des dispositifs de vigilance et de veille permettant le recueil, l'analyse et la prise en compte de signaux d'alerte.

L'intérêt d'un Comité consultatif national de l'environnement

La diversité, la complexité et la gravité des problèmes soulevés, la nécessité aussi d'un large débat plaident pour la mise en place d'une structure capable de les envisager dans toutes leurs dimensions éthique, scientifique, économique et juridique. Un « Comité consultatif national de l'environnement» devrait comprendre des représentants des milieux scientifiques, économiques et juridiques, ainsi que des milieux associatifs, de la société civile, des grandes familles politiques et des grands courants de pensée.

Ses missions devraient notamment comporter : la définition des conditions de l'expertise scientifique ; l'évaluation des objectifs, des moyens et des résultats des recherches dans ce domaine; l'élaboration des méthodes décisionnelles et le contrôle de l'efficacité, de l'absence de nocivité et du coût des mesures envisagées ; l'analyse des dispositions à soumettre au corps législatif; la concertation avec les milieux européens et internationaux et la mise à disposition des données scientifiques objectives permettant d'éclairer le débat public. En somme, cette structure devrait avoir la place et le rôle qui sont aujourd'hui reconnus au Comité consultatif national d'éthique, dans le domaine de la bioéthique.

N° 869 - La charte de l'environnement : audition publique

1 Voir annexe 1, copie des documents projetés à l'appui de cette intervention

2 Voir annexe 2

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