II. LES GRANDS DÉBATS DE LA SESSION

Comme l'a rappelé l'introduction de ce rapport, la conjonction de la pression politique extérieure et des discussions sur le sujet de l'immigration et de l'asile a fait encore plus ressortir la prépondérance de deux thèmes politiques : l'Europe et la guerre en Irak et la situation en Tchétchénie.

A. L'EUROPE ET LA GUERRE EN IRAK

Le débat sur l'Europe et la guerre en Irak, décidé selon la procédure d'urgence, a occupé la plus large partie des deux séances du jeudi 3 avril 2003. Les membres de la délégation française, conformément au voeu de son Bureau, y ont pris part en nombre, permettant ainsi de manifester les nuances de l'expression d'une position de fond commune. 5 ( * )

1. Les interventions des parlementaires français dans le débat général

Premier intervenant français dans le débat général, M. François Rochebloine s'est principalement préoccupé, dans la continuité des propos qu'il avait tenus lors de la précédente partie de session, des réactions futures de la population irakienne qui a payé sa « libération » au prix du sang et des destructions :

Certains ont prétendu que l'entrée en guerre des armées dites coalisées serait pour le peuple irakien l'aube d'une libération. Chacune des bombes qui, sous les yeux du monde, anéantit aujourd'hui une famille de Bagdad montre la tragique absurdité de ce postulat. La guerre ciblée n'a d'autre effet que de rendre encore plus scandaleuses les pertes en vies civiles chaque jour plus lourdes. Comment peut-on à la fois se présenter comme les champions du monde de la démocratie et faire aussi peu de cas de la valeur inestimable de la vie humaine ?

« Pas de liberté pour les ennemis de la liberté » : nous savons à quels excès a conduit chez nous ce fier brocard. Il est regrettable que la leçon n'ait pas porté outre-Atlantique.

Les forces de la coalition ne nient pas la réalité des pertes civiles, elles feignent seulement d'ignorer que ces pertes compromettent dès aujourd'hui leur efficacité pour la mise en oeuvre d'une reconstitution politique de l'Irak. Or, quels que soient les sentiments éprouvés par les Irakiens à l'égard de Saddam Hussein, ils ne rechercheront pas les voies d'une vie collective pacifique et d'un renforcement de la démocratie auprès de ceux qui les écrasent aujourd'hui sous les bombes. Certes les Américains se récrient contre les ruses de guerre employées par les troupes irakiennes mais ils ne prennent pas en compte le fait qu'ils sont les envahisseurs. On a l'impression que les fauteurs de guerre sont prisonniers d'une logique politique qui se referme sur eux comme un piège.

On a aussi l'impression qu'ils se refusent à comprendre la vague de contagion qui risque de se développer dans le monde musulman autour de la critique de régimes parfois férus de liberté publique et trop ouvertement compromis avec les intérêts américains.

Il y a dans la manière dont l'Irak est traité en tant que nation une formidable et pernicieuse puissance d'humiliation. Il faut d'urgence redonner la parole à l'Organisation des Nations Unies, seule instance qui puisse légitimement prétendre intervenir au-dessus des parties en présence et offrir le cadre d'un véritable règlement durable du conflit. Il faut que l'Europe se prépare à contribuer, solidairement aux actions humanitaires, sociales et économiques qui permettront la reconstruction de la société irakienne. Il faut vraiment que la paix vienne sur cette terre.

Mme Josette Durrieu s'est interrogée sur « la portée historique de la première guerre préventive des Etats-Unis » et ses répercussions sur l'ONU et l'Europe :

Quel avenir pour l'Onu ? Périr ou se réformer : tel est le dilemme. Et pourtant, elle a su codifier le droit d'ingérence. Le Kosovo, c'était illégal, mais légitime. L'Irak sans l'Onu, c'est à la fois illégal et illégitime, d'autant qu'on pourrait ne pas trouver le stock d'armes annoncé. Nous le saurons bientôt.

L'ONU a su créer les tribunaux pénaux internationaux ; les USA s'y sont toujours opposés, y compris le Président Clinton. L'Onu a su donner sa caution à la guerre du Golfe, l'Onu sait aujourd'hui maintenir la paix dans plus de vingt-six pays, l'Onu a su donner un sens c'est important à l'expression « communauté internationale », l'Onu doit être au centre du processus de paix après la guerre.

Quel avenir pour les relations internationales entre les alliés d'après quarante-cinq l'Europe et les Etats-Unis ? Aujourd'hui, un champ de ruine : est-ce réparable ? Existe-t-il une autre stratégie américaine visant à créer un G8 de la sécurité ponctuellement avec les pays prêts à suivre des alliés sûrs, notamment en Europe comme cela s'est passé aux Açores ? Est-ce un cas d'école que cette crise avec l'Irak ? Préfigure-t-elle la gestion des autres crises par les Américains au XXI ème siècle ?

Et l'Europe ? Cette crise est une épreuve et surtout une opération vérité. Les explications étaient nécessaires, l'Europe des vingt-cinq ne sait pas qui elle est. Nous devons nous poser deux questions : que voulons-nous faire ensemble ? Quelle est notre ambition ? Voulons-nous une Europe non européenne qui resterait soumise à la stratégie des Américains ainsi que c'est le cas depuis un demi-siècle ? Pourquoi cette Europe, pourquoi vouloir l'Otan systématiquement ? On a peur, c'est souvent légitime, il faudra que nous apprenions à dépasser ces peurs. Ou bien, dans un sursaut d'orgueil, de réalisme politique, peut-être de survie, construirons-nous cette nouvelle Europe ? Pour moi, peu importe si le centre de gravité est à l'Est, à condition qu'il s'agisse d'une Europe unie, fédérale, une Europe avec une constitution, un Président, un ministre unique des Affaires étrangères et surtout un budget de la défense commun important et un siège commun à l'Onu. Est-ce trop tôt ? Non. C'est urgent, nécessaire.

Qui a parlé de destruction créatrice ? Les opinions se sont mises en mouvement partout, en Europe et dans le monde. L'Europe sera ce contrepoint nécessaire aux Etats-Unis aujourd'hui, à la Chine demain, à d'autres peut-être.

De cette guerre qui commence, nous pouvons tirer une première leçon : ce n'est pas par la guerre que l'on évitera le choc des civilisations ; il n'y aura de paix et de paix globale qu'à la condition que nous introduisions un peu de solidarité et beaucoup de générosité.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a salué le développement, dans l'opinion mondiale, d'un vaste mouvement contre la guerre :

Il est symbolique, vu de Strasbourg, que l'Allemagne et la France se soient unies pour tout faire afin d'éviter la guerre. Cela prouve que ceux qui se sont combattus peuvent se retrouver. Ce qui est pire que la guerre, c'est la servitude, mais tous les efforts doivent être faits pour éviter la guerre.

Derrière la France et l'Allemagne, on trouve l'ensemble de l'Europe. Ceux qui prétendent qu'elle est divisée, devraient constater que les manifestations populaires à travers l'Europe et dans le monde entier démontrent une bien plus grande unité qu'on ne le dit. Tout le monde manifeste contre la guerre. On en oublierait la lutte contre le terrorisme. C'est un reproche que l'on peut faire à l'Administration Bush.

Certains disent que l'on ne peut arrêter la guerre et puisqu'elle est commencée, il faut aller jusqu'au bout. Mais de toute façon, c'est la victoire de Saddam Hussein, cet homme cruel qui a tué tant de gens. Tout le monde peut constater aujourd'hui qu'il est renforcé. Si ce n'est lui, ce sera un autre. Si ce n'est lui, ce sera sa philosophie. C'est sans doute le plus grand reproche qui peut être fait à cette guerre illicite.

Les conditions sont différentes de la guerre de 1991. Le Koweït avait été envahi par un acte de guerre de Saddam Hussein. Pourquoi le père Bush s'est-il arrêté à l'époque ? On n'en sait rien. Quels efforts ont-ils été accomplis ensuite pour renforcer la démocratie au Koweït et en Arabie Saoudite? Absolument aucun ! L'autre différence aujourd'hui est que l'on voit cette guerre. En 1991, on en parlait sans arrêt à la télévision mais on ne voyait rien. Tout le monde croyait que c'était une guerre propre. Aujourd'hui on voit bien qu'il n'existe pas de guerre propre.

Il faut éviter de généraliser. Il ne faut pas dire «les Américains ceci, les Américains cela» ou « les Arabes ceci, les Arabes cela ». Il y a partout des forces contraires, des bons et des mauvais. Dans chaque homme, il y a du bon et du mauvais. Les Américains mettraient les Français au ban de la société ? C'est évidemment ridicule ! Personne n'oublie ce que l'Europe doit aux « boys » venus mourir sur les plages de France. Personne n'oublie non plus ce que le peuple russe a fait et a subi pour que nous soyons libérés. Personne n'oublie non plus qu'en 1914 et 1940, il existait aux Etats-Unis des forces contraires. C'est pourquoi les Américains ne sont venus qu'en 1917 et en 1942, avec quelques années de retard, force est de le constater.

Si les Américains combattent souvent pour la liberté, il leur arrive aussi de combattre contre la liberté comme au Chili. Il faut tout nuancer et éviter de parler « des Américains ». Il s'agit de l'administration américaine actuelle et non pas du peuple américain. Il ne faut pas les assimiler. Bin Laden, Saddam Hussein, ont été des amis de beaucoup de nos gouvernements dont celui des Etats-Unis. Ne l'oublions pas non plus.

Les Etats-Unis ont un statut d'observateur au Conseil de l'Europe. Je ne sais pas à quoi il leur sert. A nous, il ne sert pas beaucoup car on ne les voit pas souvent. Je regrette qu'ils ne soient pas là aujourd'hui pour nous entendre et pour que nous puissions les écouter.

Il faudra sûrement modifier le statut de l'Onu. Il conviendra aussi que l'on s'intéresse davantage à la fabrication et à la vente des armes. Si elles parlent partout dans le monde, en Afrique en particulier, c'est parce que des gens fabriquent et vendent des armes. Chacun de nos pays le fait. Il faudrait s'y intéresser de plus près.

Enfin, au lieu d'invoquer « Dieu » partout, dans tous les conflits, on ferait mieux de penser plus à l'Homme !

M. Jean-Pierre Masseret a tiré de premières leçons politiques de l'évolution du conflit en insistant sur le flou entourant les véritables intentions de M. George W. Bush.

J'approuve pour l'essentiel le projet de résolution qu'a présenté M. Gross dont je veux souligner le courage et l'honnêteté politique. Nous n'arrêterons évidemment pas la guerre en Irak à partir de cet hémicycle ! Saddam Hussein doit cesser d'être malfaisant pour son peuple.

Quelles leçons tirer ?

Le malaise ressenti par beaucoup d'entre nous tient au fait que personne ne peut encore honnêtement dire quels sont les vrais motifs de l'intervention militaire en Irak de Bush et de ses conseillers. Ce que l'on mesure, en revanche, c'est la régression du droit international que représente le concept de « guerre préventive ». En effet, c'est la raison brute du plus fort, du plus barbare, du plus menteur, du plus truqueur.

Aux Açores, Bush a dit : « qu'il fallait abattre ses cartes ». Faut-il lui rappeler que la politique internationale n'est pas une partie de poker ? Combattre le terrorisme, c'est certes s'attaquer aux racines du mal, mais le mal, c'est aussi le pillage des ressources, l'exploitation des misères sociales et culturelles, les inégalités, le mépris du droit, l'injuste partage des richesses. Pour combattre le terrorisme, il convient donc également d'éduquer, de former, de nourrir et de faire vivre les principes démocratiques.

Le mépris manifesté par Bush et son équipe à l'encontre des avis majoritaires de la communauté internationale, leur ignorance des autres cultures, des autres histoires, des autres réalités que les leurs, conforteront malheureusement les actions terroristes qui dorénavant, sont les seules réponses possibles face à la force dominante de la technologie militaire et au recul du droit international. Croire que l'on développera la démocratie dans le Moyen-Orient en parachutant des responsables politiques encadrés par des citoyens d'horizons divers est enfantin et malheureusement voué à l'échec.

Pour nous, Européens, le constat est dur : division des dirigeants de l'Europe pour le grand bonheur de ceux des Etats-Unis et de ceux qui préfèrent un grand marché à un projet politique. Ce qui est en cause aujourd'hui, pour nous Européens, c'est un choix : voulons-nous opter pour la vassalisation avec toutes les conséquences qui en découleraient : dans les domaines de la sécurité, du progrès économique, du progrès social, du progrès culturel ?

Il convient de s'interroger sur l'Otan. S'agit-il d'un instrument militaire ? Sûrement pas. Ce n'est qu'un instrument d'influence politique. Il faut donc refuser la vassalisation de l'Europe pour faire le choix d'une Europe, puissance véritable, non pas pour conquérir ou pour imposer, mais afin que l'Europe et ses valeurs comptent dans le concert des nations. C'est l'enjeu qui nous est fixé à nous Européens.

Nous avons des initiatives à prendre. Il faut un partenariat renforcé avec la Fédération de Russie. Ensemble, Européens et Russes, nous devons regarder nous aussi vers l'Asie.

J'ajoute qu'il est indispensable que l'Organisation des Nations Unies soit au coeur de ce qui va advenir après la fin des combats. Si l'Onu n'intervenait pas ce serait assurément l'aventure qui guetterait l'ensemble de cette région et probablement le monde tout entier. Ce sera donc au moins l'honneur de notre Assemblée parlementaire que d'avoir rappelé ce matin le rôle essentiel que devra jouer l'Onu dans toute la partie politique qui suivra la fin des combats.

M. Jean-Claude Mignon a rappelé la position constante de la France en faveur du développement de l'action de l'ONU en Irak et souligné l'urgence du rétablissement de la vie collective en Irak.

La France a jusqu'au bout tout fait pour préserver la paix en Irak en insistant sur l'impérieuse nécessité de poursuivre et d'intensifier les inspections en vue d'un désarmement pacifique et en faisant des propositions concrètes qui auraient pu permettre de renoncer à cette guerre sans perdre la face. Elle exprimait ainsi le sentiment, largement majoritaire, de la communauté internationale. Ce sentiment n'a pas été pris en compte par les partisans de l'entrée en guerre et nous le regrettons. Mon collègue M. Dreyfus-Schmidt, a précisé qu'il fallait éviter de faire l'amalgame. Lorsque l'on parle des Américains, des Anglais, des Espagnols, il faut savoir, cela a été rappelé dans les interventions des différents orateurs, que ce ne sont pas les peuples des pays que je viens de citer qui étaient partisans de l'entrée en guerre.

On constate aujourd'hui les conséquences humaines de l'entrée en guerre. Contrairement à ce qu'avaient apparemment prévu les initiateurs de l'intervention, l'effondrement militaire de l'armée irakienne ne s'est pas produit aux premiers jours du conflit.

La population civile souffre chaque jour davantage. La France est prête à contribuer à toute action humanitaire qui permettrait de soulager, d'alléger ses souffrances. Elle appuiera les efforts que souhaitera consentir en ce sens l'Union européenne, elle soutiendra les actions du Comité international de la Croix-Rouge. Il est clair que l'action militaire contrarie bien plus qu'elle ne permet l'élaboration d'une solution politique à long terme pour l'Irak. Nous l'avons toujours dit : nous souhaitons que les Etats de la région s'abstiennent de toute initiative de nature à compromettre la recherche de cette solution. Nous affirmons notre soutien au principe du rétablissement le plus rapide possible de la souveraineté irakienne. C'est l'application d'un principe traditionnel de la diplomatie française : le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Pour le développement de l'action humanitaire, pour le rétablissement d'une vie collective aussi normale que possible dans un pays aujourd'hui ravagé par la guerre, pour la définition des conditions d'une paix durable, il est impératif que l'organisation des Nations Unies soit rétablie au plus tôt dans la plénitude de ses compétences. Elle est, en effet, en Irak comme dans le reste du monde, le seul garant légitime de la paix mondiale. Nous soutiendrons le rapport présenté par notre collègue Andreas Gross.

M. Daniel Goulet a fait porter sa réflexion sur le rôle possible du Conseil de l'Europe dans un conflit qui ne doit en aucun cas le laisser indifférent.

Essayons donc de réfléchir et d'agir, non pas en tant que membres de telle ou telle délégation, mais en tant que membres d'une organisation internationale porteuse d'un projet d'une Grande Europe, sans clivage et qui, bien que n'ayant aucun moyen pour agir sur les conflits armés dans les pays membres, ne doit pas rester indifférente aux conflits qui éclatent à nos portes, comme c'est le cas en Irak, voisin immédiat de la Turquie, membre à part entière de notre Assemblée.

Interrogeons-nous alors sur notre rôle et donc sur notre propre avenir. Interrogeons-nous sur les messages que nous devons porter en Tchétchénie ou au Moyen-Orient, dans le Caucase ou dans les Balkans. C'est la crédibilité de l'Europe qui est en cause. Alors ne sacrifions pas au découragement ou à la désillusion.

Plus simplement, je pense que nous devons, chacun dans nos pays, réfléchir pour prévenir et aplanir les conflits internes qui ne manqueront pas de surgir à l'intérieur même de nos frontières. Quid de la minorité turque en Allemagne ? Quid de la minorité maghrébine en France et dans les autres pays européens ? Dans les pays les plus vulnérables, il faut absolument, et dès aujourd'hui, tenter de maintenir la cohésion sociale intercommunautaire et sanctionner très fermement tous les actes à connotation raciste ou antisémite.

Par ailleurs, nous devons être très attentifs à la situation de la Jordanie et de l'Egypte notamment. Ces deux pays qui ont signé la paix avec Israël sous l'impulsion du Président Sadate et de Hussein de Jordanie, ne doivent pas nous laisser insensibles.

Ce conflit, nous le savons, risque d'embraser toute la région. Je veux à ce sujet exprimer ma désapprobation la plus ferme, le mot est bien faible, concernant le comportement de cette superpuissance qui s'arroge tous les droits et parvient finalement à acheter l'accord de pays souverains.

Parler de guerre propre, de reconstruction alors que Bagdad est sous les bombes, négocier des contrats pour cette reconstruction et se partager, tel des charognards - excusez le mot -, la dépouille d'un pays dont les habitants se battent encore, vivant désormais dans le sang et la précarité d'une existence qui les laissent en sursis, ne peut pas être accepté.

Certes, l'issue du conflit ne fait de doute pour personne, mais l'empressement, l'acharnement auquel nous assistons est lamentable, indécent, insupportable. Morale et politique, droits de l'Homme, convention internationale, droit de la guerre sont des notions dépassées et périmées. Le conflit en Irak vient sonner le glas de l'espoir. Avec gravité, je vous le dis, cette barbarie à visage humain laissera des traces indélébiles dans nos générations futures.

Il faut donc impérativement que le message qui partira de cette enceinte à l'issue de ce débat ne soit pas une succession de monologues. Il doit être porteur d'un cri d'alarme fort, à l'adresse de nos gouvernants qui siègent aux Nations Unies, chargé d'un appel à l'autorité, à la solidarité. C'est ce qu'attendent tous les peuples du monde partagés entre angoisse et espoir. Sauf peut-être les marchands d'armes qui eux, quoi qu'il arrive, continueront toujours à avoir de beaux enfants.

M. Jacques Legendre a qualifié les bombardements en cours sur Bagdad de « défaite pour notre assemblée, pour l'esprit de l'Europe, et l'esprit humain tout simplement ». Il a mis en cause la responsabilité de ceux qui ont, malheureusement, décidé d'interrompre l'action des inspecteurs du désarmement en Irak.

En ce qui me concerne, je reste fidèle à l'opinion très majoritaire sur ces bancs exprimée lors de notre dernière réunion. La nécessité, en effet, de mettre hors d'état de nuire la dictature irakienne, cependant, dans toute la mesure du possible, sans recourir à la guerre. Je persiste à penser que cela était possible. Les inspecteurs de l'Onu ne nous ont jamais dit que le temps était venu pour eux de cesser leur mission parce qu'ils ne pouvaient plus l'accomplir.

J'avoue qu'il est difficile de ne pas parler avec un peu de passion et de colère de ceux qui ont pris la lourde responsabilité d'interrompre le processus qui devait conduire au désarmement nécessaire de l'Irak par l'observation des inspecteurs. En obligeant ainsi Saddam Hussein à la transparence, on engageait la destruction de son régime, car une dictature contrainte à la transparence a rarement un grand avenir. Nous avions cette possibilité. Certains dont nous sommes proches, dont nous partageons souvent les valeurs, ont commis l'erreur énorme de vouloir recourir à la violence.

Nous sommes maintenant dans la situation où un peuple que nous voulons libérer, est bombardé. Je vous pose une question mes chers collègues : comment reconnaître dans ceux qui vous bombardent des libérateurs ? Ne court-on pas au contraire le risque de pousser ce peuple par désespoir, vers les extrémistes, les tenants de la doctrine de M. Bin Laden, vers ceux, quels qu'ils soient, qui vont tirer bénéfice de cette horrible idée : il y aurait dans notre monde du XXIe siècle le choc des civilisations, des cultures, des religions et, à travers cela, la justification du terrorisme.

Nous sommes nombreux à penser qu'une lourde erreur a été commise. Maintenant, il faut se demander comment en sortir ? Comment est-il positivement possible de répondre ?

Il existe deux exigences rappelées par la France à différentes reprises.

La première c'est que l'Europe trouve elle-même la capacité de poursuivre sa construction. Cela a toujours été compliqué car ce n'est pas l'Europe de quelques pays mais de tous les pays européens. Nous en sommes bien persuadés. Il ne faut pas se le cacher, des fractures sont apparues entre nos gouvernements plus qu'entre nos opinions publiques et même peut-être nos parlements; notre assemblée peut en témoigner. Pourtant l'Europe doit avoir la volonté de poursuivre sa construction et d'exister au niveau international.

La seconde c'est que les Nations Unies, seul organe pour légitimer le recours à la force, ne doivent pas être détruites par tout cela. Cette guerre est illégale et illégitime. Il faut que nous fassions le maximum pour que nos Etats reconstruisent le système des Nations Unies. Alors nous aurons sauvegardé l'essentiel.

Comme cela était prévisible, le débat de l'Assemblée parlementaire a reproduit dans une large mesure les clivages apparus entre les Etats membres au cours des discussions menées par le Conseil de sécurité et à travers les déclarations des gouvernements. A la mise en balance du caractère unilatéral de l'intervention américaine et de l'interruption de la dictature de Saddam Hussein (position des délégués des pays d'Europe du Nord), à l'exaltation du rôle régulateur des Etats Unis dans la politique internationale, illustré par la mise hors d'état de nuire du dictateur irakien (position polonaise), à la dénonciation du terrorisme d'Etat (position espagnole), a répondu l'inquiétude exprimée par de multiples orateurs quant aux conséquences humanitaires d'une guerre juridiquement illicite et à l'atteinte portée à l'ONU. On relèvera que les membres de la délégation britannique qui se sont exprimés ont pris position contre l'ouverture unilatérale des hostilités.

2. La résolution adoptée par l'Assemblée parlementaire

L'équilibre des forces politiques au sein de l'Assemblée parlementaire s'est traduit, après un long débat d'amendements, par le vote de la résolution ci-après, qui déplore l'engagement des opérations militaires et appelle à la restauration rapide du rôle des Nations Unies. 6 ( * )

1. L'Assemblée parlementaire est d'accord avec l'objectif de désarmer l'Irak, comme indiqué dans la résolution 1441 du Conseil de sécurité des Nations Unies, mais regrette que la guerre ait commencé, exprime sa vive inquiétude pour la population civile, dont les vies sont exposées aux dangers de la guerre, et déplore la perte de vies, aussi bien civiles que militaires.

2. L'Assemblée regrette que la situation ayant conduit à la guerre ait déclenché une série de crises et révélé des divisions entre l'Europe et les Etats-Unis, entre les pays européens, ainsi qu'entre certains gouvernements et la majorité de leurs peuples respectifs. Il nous incombe aussi de combler ces fossés, d'en analyser les causes et d'empêcher que d'autres se creusent à l'avenir.

3. L'Assemblée rappelle que, depuis septembre 2002, elle a pris fermement position contre l'usage unilatéral de la force en dehors du cadre légal international et sans décision explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies.

4. L'Assemblée souligne que le dirigeant du régime irakien est un dictateur cruel, qui porte la responsabilité des pires violations des droits de l'Homme. Elle condamne l'utilisation de civils, y compris des femmes et des enfants, comme boucliers humains par le régime de Bagdad, et appelle les parties belligérantes à respecter les règles du droit international humanitaire. Elle exprime également sa solidarité avec les Irakiens qui luttent contre cette dictature et pour l'établissement de la démocratie.

5. L'Assemblée déplore l'interruption des efforts de la communauté internationale visant à désarmer l'Irak par des moyens pacifiques, qui avaient commencé à produire des résultats positifs. La responsabilité de l'échec de l'approche politique et diplomatique adoptée par la communauté internationale, pour l'essentiel dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies, incombe aussi au régime de Bagdad qui a eu à sa disposition douze ans et dix-sept résolutions du Conseil de sécurité pour procéder au désarmement.

6. L'Assemblée note que la grande majorité de la communauté internationale s'était opposée à une intervention militaire à ce stade, qui n'était soutenue que par quatre des quinze membres du Conseil de sécurité des Nations Unies.

7. La pression internationale sur l'Irak, y compris le déploiement militaire, avait porté ses fruits, et il avait été possible de détruire, par le biais des procédures d'inspection, plus d'armes de destruction massive que pendant la guerre du Golfe.

8. L'Assemblée reste convaincue que l'emploi de la force à ce stade pour désarmer l'Irak n'était pas justifié et qu'il n'y a à ce jour aucune preuve que ce pays représentait une menace pour les Etats qui l'ont attaqué. Elle estime que cette attaque est, en l'absence d'une décision explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies, illégale et contraire aux principes du droit international, qui interdit le recours à la force et à la menace de recourir à la force, à l'exception des cas prévus par la Charte des Nations Unies.

9. L'Assemblée estime que l'intervention militaire en Irak ne peut être justifiée par les décisions précédentes des Nations Unies. Elle la condamne fermement et demande aux gouvernements des Etats concernés d'y mettre fin.

10. Le Conseil de sécurité des Nations Unies doit mettre fin à la guerre et rétablir la paix et la sécurité internationales. S'il ne peut le faire, une session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies devra être convoquée d'urgence.

L'Assemblée invite instamment l'Union européenne à jouer un rôle actif dans ce processus pour restaurer la paix et l'ordre juridique mondial.

11. Le problème que pose au monde le régime irakien doit être replacé d'urgence dans le cadre légal des Nations Unies, en l'état actuel des choses, dans le respect de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de l'Irak et des autres Etats de la région.

12. L'Assemblée reconnaît que les pays voisins pourraient être confrontés à une situation difficile du fait de la guerre et auront besoin d'urgence du soutien international.

13. Les Nations Unies doivent jouer un rôle clé dans la période d'après guerre, afin de conférer une base légale à la reconstruction du pays. Dans ce contexte, l'Assemblée se déclare indignée par le spectacle cynique des appels d'offres et des contrats de construction qui se poursuivent, alors que les hostilités continuent et que des vies humaines sont en jeu.

14. L'Assemblée se félicite de la décision du Conseil de sécurité des Nations Unies autorisant la reprise du programme humanitaire «Pétrole contre nourriture», qui apportera un secours nécessaire - quoique insuffisant - pour atténuer les souffrances de la population irakienne.

15. L'Assemblée regrette que les Etats membres du Conseil de l'Europe n'aient pas manifesté une volonté commune ferme en faveur du respect du droit international, qui aurait pu empêcher la guerre. L'Europe ne sera une réalité politique que si elle est prête à affirmer une unité fondée sur ses principes et ses valeurs. Elle doit être capable de prévoir l'évolution de la situation internationale, pour élaborer les approches et les positions communes bien avant l'aggravation d'une crise.

16. L'Assemblée est persuadée que l'alliance stratégique entre l'Europe et les Etats-Unis, renforcée après les attaques terroristes du 11 septembre 2001, devra rester la pierre angulaire du progrès, de la sécurité et de la démocratie dans le monde de demain. Il ne faut cependant ni exploiter directement ou indirectement cette alliance pour placer les Européens en face de choix inacceptables, ni les diviser, ni - pire encore - les inciter à abandonner les principes fondamentaux de la démocratie européenne ou à transgresser le droit international. L'Assemblée souligne l'importance des relations transatlantiques, ainsi que de l'unité européenne, pour la promotion de la stabilité, de la démocratie et de la paix dans le monde. Des consultations sur une base démocratique entre tous les pays intéressés sont nécessaires, pour garantir que ces objectifs seront atteints.

17. L'Assemblée craint fort que la guerre en Irak, injuste aux yeux de la majorité de l'opinion mondiale, porte atteinte à la cohésion internationale contre le terrorisme, renforce les positions des éléments terroristes et fondamentalistes, et fragilise davantage la région du Proche-Orient. Dans ce contexte régional, l'Assemblée est fermement convaincue de la nécessité de présenter et de mettre en oeuvre la «feuille de route» du Quartette pour un règlement, qui résoudra le conflit israélo-palestinien.

18. L'Assemblée craint vivement que l'intervention en Irak, conduite au nom de la guerre préventive, compromette tous les résultats positifs obtenus dans la sauvegarde de la paix, de la sécurité collective et de la stabilité internationale au cours des cinquante dernières années, et constitue un dangereux précédent risquant d'être exploité par d'autres pays.

19. L'Assemblée estime que les médias qui couvrent la guerre devraient s'abstenir de diffuser des messages tendancieux et provocateurs, qui pourraient alimenter des sentiments anti-américains, anti-européens, anti-arabes, anti-musulmans, anti-israéliens, antisémites ou anti-chrétiens.

20. L'Assemblée est consciente de la dimension médiatique sans précédent que revêt la guerre en Irak, du fait de l'engagement sur le terrain de journalistes et de la diffusion d'informations en direct, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, par un ensemble de chaînes de télévision occidentales et arabes. Elle regrette que cette «course aux informations» conduise à la diffusion de suppositions non vérifiées. Elle met en garde contre le danger de faire des médias une arme de guerre, qui influence l'opinion publique et la prise de décisions politiques et militaires. Elle condamne aussi le harcèlement de journalistes «unilatéraux» et le fait de considérer les journalistes et les installations des médias comme des cibles militaires.

21. L'Assemblée observe avec satisfaction la mobilisation impressionnante de nombreuses personnes dans le monde en faveur de la paix, qu'il faut éviter d'interpréter ou d'exploiter comme une manifestation d'anti-américanisme. Elle constate qu'une opposition à la guerre se manifeste même aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

22. L'Assemblée est convaincue que, pour parvenir à une solution durable, il faudra que les femmes aient un rôle actif dans la prévention des conflits et le maintien de la paix.

23. L'Assemblée estime que l'Europe doit agir vite et avec détermination, d'abord pour soulager les souffrances de la population, ensuite pour contribuer dans toute la mesure de ses moyens à organiser l'après-guerre et à stabiliser la région.

24. L'Assemblée est choquée par les tirs délibérés du 1 er avril 2003 sur un véhicule transportant des civils irakiens qui ont été tués et est préoccupée par le risque que de telles bavures se reproduisent dans les jours à venir si des mesures appropriées ne sont pas prises.

25. L'Assemblée est convaincue que l'Europe doit accomplir un grand effort pour établir sa cohésion et son unité, et que l'Union européenne a besoin d'une politique étrangère et de sécurité commune afin de pouvoir affirmer ses valeurs et les convertir en une politique efficace.

26. L'Assemblée exprime son regret que des représentants du Congrès des Etats-Unis n'aient pas estimé nécessaire d'accepter l'invitation à participer au débat sur la guerre en Irak.

27. L'Assemblée est convaincue de la nécessité de respecter les frontières internationales de l'Irak à la fin du conflit.

28. L'Assemblée appelle :

i. les belligérants :

a. à mettre fin aux hostilités dans les plus brefs délais et à reprendre les efforts visant à régler le conflit dans le cadre et à travers les mécanismes des Nations Unies ;

b. à respecter le droit de la guerre, à protéger les prisonniers de guerre et les personnes «hors de combat», à respecter les Conventions de Genève, à permettre immédiatement à tous ces prisonniers l'accès au Comité international de la Croix-Rouge, et à protéger les civils ainsi qu'à respecter strictement le droit humanitaire, les Conventions de Genève, la liberté d'action des ONG humanitaires, la libre circulation de l'information et l'indépendance des médias. Elle rappelle aux belligérants qu'ils peuvent être tenus de répondre de tout crime contre l'humanité ou de tout crime de guerre commis ;

c. à traiter l'ensemble des prisonniers dans le strict respect des exigences des Conventions de Genève ;

ii. les Etats voisins de l'Irak :

a. à s'abstenir de tout acte militaire, sauf dans les cas de légitime défense ou de besoins générés par des exigences humanitaires, qui serait de nature à compliquer la situation existante ;

b. à ne pas fermer leurs frontières aux réfugiés et à leur assurer une protection suffisante, conformément aux Conventions de Genève ;

iii. les Etats membres du Conseil de l'Europe :

a. à intensifier leurs efforts pour trouver d'urgence une solution pacifique visant à mettre fin aux hostilités en Irak et replacer le règlement du conflit irakien dans le cadre des Nations Unies ;

b. à restaurer l'unité de la communauté internationale, fondée sur le respect mutuel et le droit international;

c. à contribuer aux efforts visant à prévenir la catastrophe humanitaire en Irak, à venir en aide aux réfugiés et aux victimes de la guerre, à répondre plus volontiers à l'appel spécial du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et à apporter à la population irakienne l'aide alimentaire et médicale nécessaire ;

d. à apporter un soutien économique et humanitaire à la Turquie, qui est le seul Etat membre du Conseil de l'Europe ayant une frontière avec l'Irak, et qui souffrira des conséquences directes de la guerre, y compris des drames humanitaires qui pourraient être causés par des flux de réfugiés ;

e. à s'attacher à ce que la réhabilitation démocratique et la reconstruction de l'Irak soient placées sous les auspices directs des Nations Unie ;

f. à mettre en oeuvre des mécanismes efficaces permettant, bien avant le déclenchement d'une crise internationale, le rapprochement des positions nationales et l'élaboration d'une approche européenne commune, basée sur les principes, les valeurs et les intérêts européens ;

g. à réaffirmer leur attachement aux principes fondamentaux du droit international, ainsi qu'à contribuer à restaurer l'autorité et renforcer le rôle des Nations Unies ;

h. à redoubler d'efforts pour promouvoir les relations avec les pays arabes et musulmans ainsi que le dialogue interreligieux et interculturel ;

i. à intensifier la recherche d'une solution juste et durable au conflit au Proche-Orient ;

j. à garantir la protection effective des réfugiés et des demandeurs d'asile, y compris en leur accordant une protection durable et l'accès aux territoires des Etats membres.

* 5 Pour apprécier les déclarations alors faites, ainsi que la résolution finalement votée, il convient de rappeler que, le 3 avril 2003, la suite du déroulement des opérations, et notamment leur terme, demeuraient incertains.

* 6 Une brève recommandation demandant au Comité des ministres d'inscrire la question irakienne à l'ordre du jour de sa prochaine réunion a été également adoptée.

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