SÉANCE D'OUVERTURE

La journée est ouverte à 9 h 30 sous la présidence de M. Tadeusz Iwiñski, Président de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population et Vice-Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et de M. Bernard Schreiner, Député, Président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

A. ALLOCUTION DE BIENVENUE

M. Tadeusz IWIÑSKI, Président de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population et Vice-Président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , salue les invités, et en particulier, M. Sarkozy, Ministre de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales de la République française, et M. Donner, Ministre de la justice des Pays-Bas, ainsi que les parlementaires et les membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe qui ont manifesté de l'intérêt pour cet important sujet. Il salue également les ambassadeurs, les experts et les représentants des organisations gouvernementales et non gouvernementales.

Il rappelle que cette journée est organisée conjointement par la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, que préside M. Bernard Schreiner, et qu'une première journée s'était tenue à Lucerne, le 27 mai 2002, avec la délégation suisse.

Avant d'annoncer le premier thème de cette journée «Tendances démographiques et flux migratoires», il indique que les temps de parole sont limités à cinq minutes pour les intervenants, et qu'une visite de l'OFPRA est organisée mardi 20 janvier à l'invitation de son directeur, Pierre Viaux.

B. ALLOCUTION D'OUVERTURE

Le Président souligne à quel point la question des migrations, dans toutes ses dimensions, est un sujet important, sur lequel le Conseil de l'Europe s'est penché, notamment lors de réunions parlementaires, en octobre dernier avec des représentants de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui seront prolongées en 2004 avec des rencontres en Asie.

M. Bernard SCHREINER, Député, Président de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe , se dit honoré d'ouvrir les travaux de cette journée et salue chaleureusement M. le Ministre de l'Intérieur qui s'est engagé avec enthousiasme pour trouver dans ce domaine des solutions à la fois efficaces et respectueuses des droits de chacun. Il salue également M. le ministre de la Justice des Pays-Bas, et remercie le Sénat, et en particulier M. le sénateur Jean-Guy Granger, pour leur hospitalité.

M. Schreiner souligne à quel point l'immigration représente un défi pour les pays européens. La chute du communisme, les conflits régionaux dans le monde, la persistance du sous-développement sont autant de facteurs qui contribuent à accroître la pression migratoire. Face à cela, les pays ont mis en place des mesures de maîtrise de l'immigration, mais doivent trouver un équilibre entre deux positions toutes deux irréalistes: l'une consiste à refuser de reconnaître que les pays ont le droit de maîtriser les flux migratoires, et l'autre consiste à refuser toute immigration. Il n'est possible d'accueillir durablement un étranger que si on peut lui garantir un emploi, un logement, une éducation, les moyens de vivre dignement. En même temps, l'immigration zéro est une illusion: la France s'est construite par un afflux continue de populations depuis le XIXe siècle, et sa population a des origines très diverses. En outre, sur 100 000 étrangers qui arrivent chaque année en France, seuls 10 000 sont des immigrés du travail, les 90 000 restants arrivent comme réfugiés ou au titre du regroupement familial, sans parler des clandestins qui sont régularisés. Il importe donc d'accepter le fait de l'immigration, de traiter les étrangers avec humanité, même si ceux-ci doivent respecter les valeurs de la République. Les étrangers ont apporté et apportent beaucoup au rayonnement, à la richesse et à la vitalité de la France, mais cet apport positif n'a été possible que parce que la France a su rassembler autour de l'idéal républicain.

Une politique d'intégration ambitieuse doit savoir trouver une voie médiane, en reconnaissant la réalité et l'utilité de l'immigration, tout en se donnant les moyens de la maîtriser. Telle est en tout cas la politique qu'a définie le Président de la République dans son discours du 20 juin 2003, et qui repose sur trois principes, la lutte contre l'immigration clandestine, une meilleure intégration des étrangers en situation régulière, et le partenariat avec les pays tiers. Ces principes sont mis en oeuvre par le gouvernement, sous l'autorité du Premier ministre et du Ministre de l'Intérieur, pour que chacun, en France, quelles que soient sa religion et ses origines, puisse s'épanouir.

M. Schreiner donne la parole à M. Sarkozy, qui, dans cet esprit, a fait adopter récemment par le Parlement français deux lois importantes sur la maîtrise de l'immigration et le droit d'asile.

M. Nicolas SARKOZY , Ministre français de l'Intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales , observe que la question de l'immigration et de l'intégration constitue un des défis que l'Europe doit relever. Cette dernière va devenir de plus en plus un espace de prospérité qui va exercer un attrait immense sur les pays les moins favorisés. Cette attraction est d'autant plus sensible à l'heure des sociétés de communication, car le déséquilibre entre riches et pauvres est aujourd'hui rendu partout perceptible par les médias. Même la population la plus défavorisée dispose aujourd'hui d'une masse considérable d'informations sur l'état du monde. Or, l'Europe n'est pas seulement un espace de prospérité: elle attire aussi ceux qui veulent pouvoir bénéficier de la liberté d'expression, des possibilités d'initiative, des libertés politiques garanties. En fait, à la place des plus pauvres, nous ferions comme eux, nous émigrerions.

La responsabilité des gouvernements est dès lors immense. Les convictions humanistes et la défense des droits de l'Homme, comme la volonté d'instaurer un monde plus juste incitent à l'ouverture des frontières. Mais il faut bien mesurer les conséquences d'une pression migratoire non maîtrisée: les possibilités d'accueil d'un pays, même riche, ne sont pas illimitées: l'économiste Maurice Allais a ainsi calculé qu'un pays devait mobiliser une épargne équivalant à quatre fois le salaire annuel minimum pour offrir à un immigré ce dont il a besoin comme équipements, logement, école, hôpital. Or, si le taux de chômage est de 10 % en France pour la population active, il est de 20 % pour la population immigrée en situation régulière, et de 25 % pour les femmes.

L'absence de maîtrise véritable de l'immigration peut alors provoquer des réactions de xénophobie, tant l'enfer peut être pavé de bonnes intentions. La générosité qui veut spontanément faciliter l'accueil des étrangers peut conduire à son contraire, la xénophobie.

Que faire ? D'abord ne pas se taire. Ces dernières années, l'immigration n'a jamais fait l'objet d'un débat de fond en France. Une petite minorité a voulu imposer l'idée que simplement poser le problème de l'immigration était attentatoire aux droits de l'Homme, et les républicains de tous bords ont accepté qu'une chape de plomb interdise toute discussion. Pendant ce temps, les Français voyaient les conséquences d'une immigration non maîtrisée, avec la constitution de ghettos. Mais seuls les extrémistes se faisaient entendre, l'extrême droite accusait la population immigrée de tous les maux de la société. Le débat sur l'immigration se limitait à un affrontement idéologique dépourvu de tout pragmatisme.

Les choses ne peuvent changer sans une collaboration approfondie avec les pays d'émigration: les Français savent qu'à s'abriter derrière une ligne Maginot on court à la catastrophe. Pour lutter contre les filières clandestines, il ne suffit pas de se retrancher frileusement derrière ses frontières: l'efficacité appelle une collaboration égalitaire et confiante entre les deux pays. A Roissy, on a compté 11 000 clandestins en 2003, dont 4 000 Chinois. Pense-t-on pouvoir maîtriser ce flux sans discuter avec le gouvernement chinois ? C'est pourquoi M. Sarkozy a signé avec le gouvernement chinois un accord qui prévoit la présence de policiers français à Pékin, à Hongkong, à Shanghai et à Canton, mais aussi, au titre de la réciprocité, des officiers de police chinois à Roissy, pour veiller aux droits des sans-papiers chinois. De même, quand il se rend au Sénégal pour inciter les autorités sénégalaises à combattre l'immigration clandestine, il juge normal que vienne aussi sur le tapis la question des visas accordés aux étudiants, aux chefs d'entreprise, et, pourquoi pas, aux touristes. Il faut songer au fait qu'aujourd'hui en Chine 200 millions de personnes ont un niveau de vie qui leur permet d'envisager de voyager à l'étranger, et c'est une excellente nouvelle pour le tourisme en France. Dans ce domaine, il faut agir avec pragmatisme, et sans idéologie.

L'ouverture de la Communauté européenne à l'Espagne et au Portugal n'a pas entraîné un accroissement de l'immigration, régulière et irrégulière, en provenance de ces pays. L'adhésion a permis à ces pays de se stabiliser, l'Espagne est devenue un grand pays européen au plan économique et le Portugal n'a cessé de se développer. Aussi, au rebours de beaucoup, M. Sarkozy estime-t-il que l'ouverture de l'Union aux nouveaux pays de l'Est n'entraînera pas de flux migratoires, car ces nouveaux adhérents vont se développer. Il y a lieu de se féliciter de la collaboration avec la Roumanie et la Bulgarie. Des pays comme la Pologne, la République tchèque ou la Hongrie ne fournissent aucune immigration irrégulière car la population bénéficie désormais des droits et des libertés et se mobilise pour le développement économique. L'élargissement ne comporte pas, selon lui, de risques en ce qui concerne les flux migratoires.

Cependant, une politique de maîtrise de l'immigration suppose une politique d'expulsions. M. Sarkozy reconnaît que ce volet n'est pas le plus facile, mais le premier adversaire de l'immigration régulière est l'immigration clandestine. Une politique d'expulsion efficace est la contrepartie d'une politique d'immigration réussie. Si vous traitez de la même façon ceux qui ont des papiers et ceux qui n'en ont pas, pourquoi voulez-vous qu'un étranger sollicite des papiers ? M. le Ministre de l'Intérieur mène donc, avec ses partenaires européens, une politique de reconduites groupées, par exemple en coopération avec les autorités anglaises, en sus de la fermeture de Sangatte. Le gouvernement socialiste de M. Blair a accepté ainsi d'ouvrir un débat sur la carte d'identité, qui n'est pas obligatoire au Royaume-Uni, et la France travaille aussi avec le gouvernement allemand: le Ministre de l'Intérieur, M. Schily, organise des vols d'expulsion avec les autorités françaises. En 2003, le taux d'expulsion des clandestins a été de 16% (25% au dernier trimestre), et ce taux devrait être doublé en 2004, car il n'y a pas de maîtrise crédible de l'immigration si ceux qui n'ont pas de papiers ou ont de faux papiers ne sont pas expulsés. L'Allemagne de M. Schröder expulse ainsi 35 000 personnes par an. C'est la condition pour attirer, comme la France le souhaite, un plus grand nombre d'étudiants, qui seront l'élite à venir de ces pays, et de touristes.

Contrairement à ce que dit l'extrême droite, en France, on entre régulièrement et l'on s'y maintient de manière irrégulière. L'étranger arrive en France muni d'un visa de tourisme, puis il perd et ses papiers et la mémoire; il est impossible de savoir de quel pays il vient, et donc de le renvoyer chez lui. Désormais, les consulats vont prendre les empreintes digitales des demandeurs de visa, de sorte qu'il sera possible de rendre la mémoire à ceux qui l'auront perdue.

L'immigration est un phénomène naturel et positif pour la France, mais elle doit, pour cela, être maîtrisée et contrôlée, car un afflux non maîtrisé ne peut que conduire à l'échec de l'intégration et à la constitution de ghettos. Les meilleures intentions du monde, dans ce domaine, peuvent conduire à la catastrophe, à la xénophobie, à la paralysie de l'intégration. Le temps est venu de prendre ses responsabilités, de trouver un équilibre entre ce que nous acceptons et nous refusons. Il ne faut pas perdre de vue ce que représente l'immigration pour les pays d'origine, en termes de revenus: la diaspora sénégalaise en France contribue pour 5% au PIB du Sénégal. Comment, dans ces conditions, convaincre ce pays, ou le Mali, de la nécessité de coopérer avec nous. Il y a plus de médecins béninois en France qu'au Bénin! Nous avons donc des négociations délicates sur les visas pour les étudiants. Une condition de l'obtention d'un visa doit être que l'étudiant, une fois ses études achevées, retourne dans son pays. Mais tel n'est pas le cas, parce que l'étudiant n'a plus envie de quitter la France, en raison des relations qu'il a nouées, etc.., et qu'il ne peut trouver chez lui le poste qui correspondrait à ses qualifications. C'est ainsi qu'on pille les élites des pays en voie de développement.

Le sujet est complexe, mais il est temps, plus que temps d'agir: comme disait Romain Rolland, «en agissant, je me trompe parfois, mais en demeurant immobile, je me trompe toujours».

Le Président remercie M. Sarkozy pour sa brillante intervention, et rappelle que les autorités de son pays auront à travailler avec lui lorsque la Pologne fera partie de l'Union européenne à partir du 1 er mai 2004.

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