INTÉGRATION OU COMMUNAUTARISME ?

M. Jorge Salvador Hernandez Mollar, Président de la Commission des libertés et des droits des citoyens du Parlement européen, remplace M. Agramunt à la présidence de séance.

Le Président note que l'Union européenne est un pôle d'attraction pour l'immigration, que celle-ci provienne d'Afrique, d'Amérique du Sud ou, plus récemment, des pays d'Europe de l'est - certains vont prochainement y adhérer. Les évolutions démographiques et économiques, les facteurs sociaux et environnementaux, l'attrait des valeurs défendues par l'Union expliquent l'importance des flux migratoires. La fuite des migrants devant le sous-développement, la misère, l'instabilité politique, la corruption, l'absence de perspectives est un phénomène universel. L'entrée sur le territoire peut se faire légalement; ou illégalement, avec son cortège de trafics criminels et de tragédies insupportables.

Si l'on peut considérer que l'immigration illégale est à l'origine du racisme et de la xénophobie, qu'elle entraîne marginalisation et exploitation des clandestins, l'intégration reste la vraie, la grande question. Elle implique que la société d'accueil puisse offrir aux migrants emploi, logement, éducation, loisirs - ainsi qu'une participation politique aux élections locales. Mais sur ce dernier point les débats sont animés, comme on l'a vu il y a quelques jours à Strasbourg, et les situations différentes selon les États: aux Pays-bas et en Suède, les immigrés ont le droit de vote s'ils sont légaux; en Espagne, ils l'ont si le pays d'origine admet la réciprocité... La participation aux élections européennes est un autre problème.

L'intégration suppose aussi que les immigrés acceptent les valeurs du pays d'accueil, ses normes éducatives, sociales et politiques. Cela fait écho au débat en cours en France, mais aussi en Allemagne et en Belgique, sur les signes religieux dans les écoles publiques. L'expérience espagnole sur cette question n'est pas à négliger.

Mme Michèle TRIBALAT, Directeur d'études à l'INED, ancien membre du Haut Conseil à l'Intégration note qu'on fait souvent le constat d'un échec de l'intégration des populations d'origine maghrébine en France; qu'on parle de repli sur une identification ethnico religieuse approximativement appelé communautarisme, repli d'ailleurs favorisé par la concentration ségrégative de ces populations dans des zones marquées par la déqualification sociale. La question des discriminations apparaît ainsi régulièrement dans le débat public, sans grand résultat concret, d'autant qu'il se focalise sur les mots, comme souvent en France ; M. Sarkozy évoque la discrimination positive, M. Raffarin préfère parler d'action positive, soit l'exacte traduction de «l'affirmative action» américaine. Mais dans ce domaine, comme dans d'autres, l'expérience des États-Unis sert de répulsif et empêche tout examen sérieux de la situation française. M Raffarin n'estime-t-il pas qu'appliquer des quotas pour les jeunes d'origine maghrébine serait reconnaître l'échec de leur intégration ? Il ne suffit certes pas d'énoncer des droits et de sanctionner les comportements illégaux; mais comment aller au-delà du symbole ou de l'exhortation ?

Personne, malheureusement, ne se préoccupe de méthode. Qui se soucie de diagnostic, de suivi, d'évaluation ? On veut agir sur une réalité que l'on répugne à mesurer et à connaître. La France a ratifié la Convention des Nations Unies pour l'élimination de la discrimination raciale, mais elle ne semble guère disposée à «inclure dans [ses] rapports les renseignements pertinents sur la composition démographique de la population» et les données susceptibles de fonder les discriminations, ce que recommande le comité ad hoc de l'ONU depuis déjà 1973. Le diagnostic, qui repose sur des données parcellaires, semble pourtant acquis. Il mériterait d'être affiné. Les informations statistiques sur la situation économique des populations d'origine maghrébine sont anciennes et incomplètes; on continue de se référer, pour décrire le chômage actuel des ces populations, à une enquête de ... 1992 qui ne portait que sur les jeunes d'origine algérienne. Or, des estimations faites en 1999 montrent que si le taux de chômage chez eux est très élevé, il reste anormalement haut, par rapport à la population d'origine française, à des âges où il est habituellement faible. Le problème de l'exclusion du marché du travail n'est donc pas passager mais structurel et touche dans son ensemble ce que les Américains appelleraient la minorité algérienne. La situation des autres fils de Maghrébins n'est guère enviable, mais elle n'est pas aussi catastrophique.

On ne sait pas plus décrire les bassins d'emploi, alors qu'aux États-Unis la question statistique, à cette échelle comme aux autres, a toujours été jugée déterminante pour fonder le diagnostic et fixer des objectifs quantitatifs à atteindre. De l'autre coté de l'Atlantique, les catégories ethniques du recensement qui servent à l'application de la loi sont négociées au plus haut niveau; elles doivent figurer ou pouvoir être reconstituées dans les enquêtes nationales. Les institutions et entreprises contractant avec l'Etat doivent faire progressivement en sorte que la composition de leur personnel reflète l'offre locale d'emplois, ce qui est plus subtil qu'une politique de quotas. La France est bien incapable de se fixer des objectifs de cette sorte. Tant mieux, dira-t-on, puisque les données à même de les fonder manquent; mais il ne faut pas, dès lors, compter mener des politiques efficaces.

En matière éducative, il faut rappeler l'arrêt Blakke de la Cour suprême des États-Unis, qui a jugé illégal de réserver un quota de places dans les universités aux minorités. Il a admis qu'il était possible, à formation et niveaux égaux, de choisir le candidat appartenant à une minorité protégée par la loi, afin de compenser des années de traitement défavorable, mais non la fixation de quotas indépendamment des qualifications. C'est ce que Sciences-Po fait aujourd'hui, c'est ce que l'Etat a fait pour les fils de harkis en 1994...

Le Président Chirac a incité l'administration à promouvoir et recruter des fonctionnaires «issus de l'immigration». Mais en l'absence d'état des lieux on peut douter de l'équité des procédures ! Les promotions précipitées récentes s'appuient sur les réseaux habituels des décideurs, avec le risque de saturer les places disponibles selon d'autres principes que le mérite, au détriment d'autres candidats d'origine maghrébine méritants. L'incitation Présidentielle laisse supposer que la fonction publique n'est pas à l'image du pays; mais il semble que les fils d'Algériens y soient surreprésentés, alors que les fils de Portugais le sont plutôt dans le secteur privé : si ces données sont exactes, mieux vaudrait inciter à l'embauche des enfants d'Algériens dans le privé ! Et on n'en conclura pas que les enfants de Portugais font l'objet d'une discrimination dans la fonction publique... Quelques indicateurs partiels ne suffisent donc pas pour décrire les attitudes véritablement discriminatoires. Les Américains l'ont bien compris, qui ont fondé la lutte contre les discriminations sur deux piliers: la recherche, pour connaître le phénomène et son ampleur, et l'application de la loi; ils pratiquent le testing depuis longtemps, exemple que certains pays européens ont suivi mais pas la France. Une entreprise défaillante peut ainsi être condamnée à des contrôles récurrents, pendant des années et à ses frais, et à organiser des formations. De plus en plus d'entreprises prennent d'ailleurs les devants et contrôlent leurs pratiques internes.

Lancer aujourd'hui en France une politique de rattrapage efficace est impossible, faute des moyens d'un diagnostic qui permettrait de fonder mesures appropriées et objectifs.

Le Président regrette que des statistiques ne soient pas non plus disponibles au niveau européen...

M. Yves-Marie LAULAN, Vice-Président de l'Institut de géopolitique des populations (IGP), Ancien Conseiller à la Direction Générale de l'AFD, après avoir rappelé l'organisation par l'IGP, le 10 octobre 2003, d'un colloque sur le thème des «migrants qui changent la face de l'Europe», dit que le choix, plutôt qu'entre intégration et communautarisme, est à ses yeux entre intégration et chaos. Dans les prochaines années en effet, il est vraisemblable que les communautés immigrées en Europe vont croître sous la pression de leur évolution démographique propre et des pressions migratoires externes. Sans intégration, nos sociétés, comme cela s'est déjà vu dans l'Histoire, risquent d'exploser. Et l'intégration, c'est ce qui permet aux immigrés et à leurs descendants de vivre paisiblement et en harmonie dans la société d'accueil, d'y travailler, d'y payer leurs impôts, d'y prendre leur retraite; c'est aussi simple et aussi compliqué que cela.

L'orateur centre son propos sur les populations immigrées provenant de Turquie, d'Afrique noire et du Maghreb, qu'il dénomme les TAM; ces populations sont dotées de cultures, de religions et de traditions parfaitement respectables, mais particulièrement éloignées de celles de l'Europe occidentale, plus que celles des Russes, des Néo-Zélandais, des Libanais ou des Israéliens, pour ne prendre que ces exemples. L'intégration de ces populations est difficile; elle n'en est que plus indispensable. Il a fallu toute la naïveté, tout l'angélisme idéologique de ces trente dernières années pour nier l'évidence - et on en voit aujourd'hui le résultat.

Des projections ont été faites aux horizons 2030 et 2040, sachant que la fécondité moyenne des TAM est le double de la moyenne européenne, soit trois enfants par femme, et qu'elle s'est stabilisée depuis une dizaine d'années. Les résultats du recensement de 1999 ont par ailleurs été corrigés, pour tenir compte des mauvaises conditions dans lesquelles celui-ci a été réalisé et de l'absence d'enquête de contrôle; il a ainsi été estimé que les TAM représentaient au minimum environ 4,3 millions de personnes. Il ressort des projections qu'en 2030 les naissances provenant des TAM pourraient représenter jusqu'à 30% des naissances françaises, et 39% en 2040. On ne peut imaginer qu'un basculement d'une telle ampleur, sans précédent dans notre histoire, n'ait pas d'effets majeurs sur les plans économique, sociologique et politique, en France comme en Europe.

C'est pour cela qu'il faut intégrer, et vite, pour des raisons d'identité et de solidarité nationales. L'intégration d'une petite communauté ne fait guère problème; l'intégration d'une grande, si; et l'intégration d'une majorité est impossible. Si l'Islam, ou une forme d'Islam, devient un jour la première religion de France, il est clair que le principe de laïcité sera mis à mal. Si une majorité d'élus insuffisamment acquis aux idéaux démocratiques ou au respect des droits de l'Homme accède au pouvoir, le fonctionnement des institutions et l'exercice des libertés publiques et privées peuvent en être gravement affectés.

Il faut aussi intégrer pour des raisons économiques. Dès lors qu'une part importante de la population active est insuffisamment formée parce qu'insuffisamment intégrée, la productivité moyenne du pays, donc sa croissance, donc le financement des retraites et celui des infrastructures, risque d'en souffrir. La France ne saurait sans dommage s'engager sur la voie d'une forme de sous-développement riche de tensions et de frustrations sociales.

Intégrer, donc, mais comment ? La recette magique est celle de toujours : l'armée, l'école, le travail - et certainement pas par les tags, le tir à l'arc ou le hip hop. L'orateur déplore ainsi la fin du service militaire et plaide pour un service civil, apprentissage de la discipline sociale. De même, il appelle de ses voeux une école qui enseignerait techniques et métiers au lieu de former psychologues, politologues, et autres sociologues; qui ferait aussi la part plus belle à une véritable instruction civique, dotée d'un coefficient convenable aux concours et examens, et enseignée par des professeurs spécialisés qui ne soient pas nécessairement marxistes, gauchistes ou tiers-mondistes. De même l'orateur, repoussant les pseudo emplois du type «emplois-jeunes», de triste mémoire, et une discrimination positive à ses yeux suspecte, évoque des emplois marchands accompagnés de mesures de formation à destination des plus défavorisés.

S'agissant des flux migratoires à venir, l'orateur veut en finir avec une immigration non choisie, subie par négligence, laxisme, humanitarisme mal digéré ou tiers-mondisme passé de mode. Il faut une immigration en phase parfaite avec les intérêts économiques du pays, contrôlée, ciblée en fonction de critères et de quotas professionnels. Nul besoin d'ajouter des chômeurs aux chômeurs.

Ne faut-il pas cependant se demander, quitte à paraître sacrilège, si l'immigration est nécessaire ? Est-elle une fatalité, comme le soutiennent de pseudo experts ? L'orateur en tient pour le contraire, surtout, dit-il, dans un pays qui compte près de cinq millions de vrais et faux chômeurs dont beaucoup pourraient être remis sur le marché du travail. Les réserves sont là, il suffit de les requalifier, d'allonger la durée du travail, de faire revenir les seniors. On peut se passer de l'immigration, si la volonté politique est au rendez-vous; elle l'a été en matière d'accidents de la route, et on en a vu les résultats. Pourquoi en irait-il autrement pour les accidents de la vie sociale ?

Mme Fatima EL HASSOUNI, membre de Young Women from Minorities (WFM), initiatrice de l'Espace rencontre jeunes filles (ERJF) à Strasbourg , dit représenter le terrain associatif. L'association WFM a vu le jour au niveau européen lors de la campagne "Tous différents, tous égaux" du Conseil de l'Europe. Ses objectifs sont d'informer et de former ses membres sur les questions relatives aux femmes minoritaires; de se faire l'écho des aspirations de ces jeunes femmes afin de promouvoir leur intégration, lutter contre les discriminations et l'exclusion sociale et sensibiliser les institutions concernées; de représenter les jeunes femmes minoritaires dans les instances européennes pertinentes et d'établir des liens avec d'autres associations ayant le même objet; de mener des actions de formation et de recherche pour favoriser la participation des jeunes femmes minoritaires à la vie publique; enfin de promouvoir les projets initiés par ces jeunes femmes. Celles-ci sont victimes d'une double discrimination, en tant que femmes, et en tant que membres d'une minorité.

Le Comité de liaison d'associations pour la promotion des immigrés en Alsace (CLAPEST) fournit formation, conseil et information; il est une plate-forme de débat sur les questions touchant la place des immigrés dans la ville et la société; il élabore des projets interculturels; il appuie le développement de la vie associative dans la région; il est un pôle d'accueil pour les nouveaux arrivants, une structure de soutien scolaire et un lieu de promotion sociale comme de lutte contre les discriminations.

Mme El Hassouni présente ensuite l'Espace rencontre jeunes filles (ERJF) de Strasbourg. Créé en 1996, c'est un lieu d'accueil, de rencontre, de détente, d'information et de formation réservé aux jeunes filles de la ville, et singulièrement à celles issues de l'immigration. Son objectif est d'encourager leur autonomie, ce qui n'est pas évident compte tenu de leur contexte familial et culturel; de leur permettre aussi de se retrouver dans un espace convivial et de pratiquer des activités de loisir à l'instar des garçons. Son approche est avant tout citoyenne et s'appuie sur la pratique qu'ont ses animateurs du public concerné et de sa culture.

Le travail du centre est fondé sur le développement de la connaissance de la culture d'origine et des actions de participation à la vie publique, tant il est vrai que tout être humain a besoin de savoir d'où il vient pour mieux vivre là où il est. L'ERJF informe les jeunes filles de leurs devoirs et surtout de leurs droits. Elles ont en effet beaucoup de mal à se représenter comme des citoyennes françaises; pire, elles ne se sentent citoyennes d'aucun pays, ni de celui où elles sont nées et où elles ont grandi, ni de celui de leurs parents, dont elles parlent souvent la langue et qui a déterminé leur mode de vie et leurs traditions. Elles se tournent souvent vers leurs groupes dits d'origine qui, eux, les acceptent; on assiste ainsi, ces dernières années, à une augmentation des filles portant le voile, à un accroissement du nombre de bacheliers s'inscrivant dans des écoles privées, parfois plutôt secrètes, enseignant des langues arabes et de l'Islam.

Le combat des travailleurs sociaux de l'ERJF est d'abord intégrateur. Nombreux sont les jeunes qui investissent les lieux de parole et de participation à la vie publique, comme les conseils des jeunes, encouragées en cela par la municipalité; ils veulent avoir leur mot à dire sur des questions telles que l'emploi, les discriminations, l'Europe, l'accès au sport et à la culture. Les moins de 25 ans représentent 40 % de la population de Strasbourg. Cependant, malgré les bonnes volontés, les moyens financiers et humains ne sont pas à la hauteur.

L'ERJF, au-delà des actions qu'il mène, a permis une prise de conscience de la réalité sociologique et économique locale et conforté la capacité de chacun à prendre sa place dans la société civile comme citoyen, quelles que soient sa nationalité, son origine ou son appartenance religieuse.

Pour réussir une politique d'intégration, il faut agir auprès des groupes minoritaires mais aussi auprès des Français de souche. De plus, l'intégration vise aujourd'hui les troisième et quatrième génération; jusqu'à quand continuera-t-on à utiliser ce vocabulaire ? Mme El Hassouni préfère ainsi le mot «minoritaire» à l'expression «issu de l'immigration».

Le Président relève qu'en effet le vocabulaire n'est pas anodin.

M. Wilkinson trouve les débats très stimulants. Il estime qu'il faut se concentrer sur l'intégration des personnes venant de cultures éloignées et le faire rapidement, sauf à accepter le développement de l'extrémisme.

Il relève que la Convention de Dublin est mal appliquée et que nombre de demandeurs d'asile se moquent des textes en vigueur, ce qui fait à bon droit réagir les populations. De quels instruments de répression dispose-t-on ? Il note également que les mariages arrangés sont une source importante d'immigration et que personne ne semble vouloir se préoccuper du problème.

M. Laulan note qu'une majorité de mariages mixtes en France sont suspectés d'être blancs... C'est en effet une façon de tourner la législation sur le droit d'asile.

Mme Tribalat s'insurge contre cette affirmation et estime que l'orateur interprète des chiffres dont il ne dispose pas. Personne ne connaît le nombre de mariages blancs en France, ne serait-ce que parce que l'état-civil ne fournit pas de renseignements pertinents. Il se peut, par exemple, que les époux, un étranger et une française, soient de même origine ! Quant aux mariages arrangés, traditionnels dans certaines cultures, ils ne sont pas tous blancs! On ne dispose d'aucune statistique sur cette question !

Mme Pratt précise que la Convention de Dublin est fondée sur une convention intergouvernementale qui n'a elle-même pas donné de résultats satisfaisants. La Commission est consciente de son insuffisance, mais note que le texte vient seulement d'entrer en vigueur après de longues négociations. La réglementation communautaire est l'objet d'un suivi et d'une évaluation réguliers, qui pourront déboucher sur des modifications.

M. Klaus KRAINZ, Président du Comité ad hoc d'experts sur les aspects juridiques de l'asile territorial et des réfugiés (CAHAR), Autriche, relève que le travail du Conseil de l'Europe sur le droit d'asile a commencé avec la Convention européenne des droits de l'Homme et s'est poursuivi au travers d'autres documents pertinents, telle la déclaration sur l'asile territorial de 1997. Depuis 1977, le Comité des Ministres s'appuie sur les travaux d'un comité ad hoc d'experts, le CAHAR, où sont représentés les pays membres du Conseil de l'Europe, les observateurs, la Commission européenne, l'UNHCR et le groupe de Budapest. Ses objectifs sont les suivants: suivre et évaluer la situation dans le domaine de l'asile; promouvoir l'harmonisation des règles européennes en la matière; présenter des propositions pour régler les problèmes juridiques; mettre au point les instruments juridiques pertinents.

Le CAHAR fait profiter de son expertise les nouvelles démocraties européennes, y compris dans le cadre de la préparation de celles-ci à l'adhésion à l'Union européenne. Il est depuis vingt-cinq ans un forum de discussion où s'élaborent les recommandations faites au Comité des Ministres - sur l'harmonisation des procédures, le droit de recours, la formation des accueillants, le regroupement familial, la protection temporaire, la situation des personnes qui nécessitent une protection internationale mais ne répondent pas aux critères de la Convention de Genève ... Le CAHAR s'intéresse actuellement aux procédures d'expulsion, qui ont fait notamment l'objet de la recommandation 1547 du Conseil de l'Europe en 2002, et à la situation des personnes déplacées; il a mis en place à cette fin des groupes de travail spécialisés.

M. Ali GüLÇIÇEK (Turquie), membre de la Commission des migrations, des réfugiés et de la population dit qu'il travaille depuis trente-cinq ans à Cologne, que sa famille y vit, qu'il y est membre de nombreuses associations, que sa fille y enseigne le français, l'anglais et le turc. De nombreux Turcs participent à la vie sociale en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas ; certains y exercent des mandats politiques. Autant dire qu'il faut aujourd'hui trouver une autre définition de l'intégration, qui ne saurait être à sens unique : l'heure est à l'égalité de traitement, à l'égalité de droits, à la participation des immigrés aux élections locales.

M. Cileviès affirme à son tour que l'intégration est un processus à double sens, qui implique aussi les populations de souche. Celles-ci, au-delà d'une attitude tolérante, doivent tenir compte de la diversité culturelle, notion chère au Conseil de l'Europe, sauf à provoquer résistances et phénomènes ségrégatifs.

L'orateur s'interroge sur les conséquences de l'interdiction à venir, en France, des signes religieux à l'école; celles et ceux qui estimeront ne pas pouvoir renoncer à leur identité culturelle iront-ils dans des écoles privées ? Ne risquent-ils pas de tomber sous la coupe des radicaux ? La loi sera-t-telle facteur d'intégration ou de ségrégation ?

M. Laulan note que le port du voile est moins une affaire religieuse que sociale; dans bien des cas, il affirme l'infériorité de la femme. Acceptera-t-on qu'en France on arrange le mariage des très jeunes filles ? L'excision ? La polygamie ? Où s'arrêtera-t-on ? Cette voie est éminemment dangereuse, qui mène à la négation même des droits de l'Homme!

Mme Tribalat juge la réaction de M. Laulan typique: il n'est pas question d'interdire le port du voile dans la rue, mais les signes religieux dans les établissements scolaires. Les cas sont peu nombreux, mais posent deux questions: le destin des jeunes femmes et le trouble causé à la communauté éducative. La plus grande liberté n'est-elle pas de pouvoir déroger aux interdits du groupe ? Des pressions s'exercent dans les écoles, on a vu des élèves menacés parce qu'ils se cachaient pour manger pendant le ramadan. L'objectif de la loi est de rétablir la paix sociale, de donner un choix réel aux élèves; qu'au moins l'école soit un espace de liberté !

Mme El Hassouni estime que le port du voile est avant tout un signe de repli identitaire et que la domination masculine joue peu. Les mères et les grand-mères de ces jeunes filles n'ont jamais porté le voile ! Mais il est vrai qu'on assiste à une montée de l'extrémisme religieux dans les cités; les difficultés économiques et sociales sont là, le sentiment de n'appartenir à aucun groupe aussi, enfin la qualité de l'accueil et de l'écoute dans les centres islamiques.

M. Villan précise qu'en Belgique l'intégration repose sur le respect par tous de la loi et des valeurs fondamentales de la société, sur la valorisation de l'identité culturelle, source de richesse qui doit être promue aussi longtemps qu'elle ne met pas en péril lesdites valeurs, enfin sur la participation politique des immigrés.

Le Conseil de l'Europe donne une excellente définition de la cohésion sociale: l'ensemble des éléments et processus qui tendent à renforcer la capacité d'une société à assurer de façon durable le bien-être de tous ses membres, cela incluant un accès équitable aux ressources disponibles, le respect de la dignité de chacun dans la diversité, une autonomie personnelle et collective et une participation responsable. L'affaire du voile, évaluée à l'aune de cette définition, prend toutes ses dimensions...

S'agissant des statistiques, l'orateur juge qu'il faut comparer des choses comparables ; ainsi, lorsque l'on évoque le chômage des migrants, il faut prendre en compte le fait que ceux-ci n'ont accès ni à la fonction publique, ni à la plupart des professions libérales. À situation socio-économique comparable, les écarts ne sont pas si grands... Quant aux perspectives démographiques, l'horizon pertinent ne peut être qu'à vingt-cinq ou trente ans; et en Belgique, le comportement des migrants s'est beaucoup rapproché de celui des autochtones. Reste que les données, pour l'essentiel, font défaut: un travail de réflexion sur les indicateurs, une mise en débat s'imposent, afin de définir à destination des politiques des instruments efficaces. Les tâtonnements actuels ne peuvent perdurer.

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