Rapport d'information n° 385 (2003-2004) de M. René TRÉGOUËT , fait au nom de la commission des finances, déposé le 29 juin 2004

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N° 385

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2003-2004

Annexe au procès-verbal de la séance du 29 juin 2004

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le rapport de la Cour des comptes relatif à la gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST),

Par M. René TRÉGOUËT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Arthuis, président ; MM. Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; M. Philippe Marini, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Paul Girod, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Roger Karoutchi, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, René Trégouët.

Etablissements publics.

INTRODUCTION

A la fin de 2003, la Cour des comptes a communiqué à votre commission des finances les conclusions d'une enquête sur la gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST), effectué sur le fondement de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Les résultats de ces travaux se sont révélés particulièrement intéressants à analyser, dans le contexte de la crise qu'a connue la recherche publique à partir de janvier 2004.

Aussi, une audition conjointe de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche et des magistrats de la Cour des comptes auteurs de la communication précitée a-t-elle été organisée le 29 juin 2004 par votre commission des finances.

Les rapporteurs pour avis du budget de la recherche au nom des commissions des affaires culturelles et économiques, nos collègues Pierre Laffitte et Henri Revol, ont été invités, exceptionnellement, à y participer compte tenu de l'objet même de cette enquête et de leur implication en ces matières.

La communication de la Cour des comptes à la commission des finances constitue un rapport de synthèse sur la gestion, de 1996 à 2003, des personnels des neuf EPST français dont la liste (par ordre alphabétique), figure ci-après :

 

Dénomination

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts

INED

Institut national d'études démographiques

INRA

Institut national de la recherche agronomique

INRETS

Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité

INRIA

Institut national de recherche en informatique et automatique

INSERM

Institut national de la santé et de la recherche médicale

IRD (EX ORSTOM)

Institut de recherche pour le développement

LCPC

Laboratoire central des ponts et chaussées

Les subventions versées à trois d'entre eux représentent environ la moitié du budget du ministère de la recherche. Il s'agit du CNRS (33,9 %), de l'INRA (8,8 %) et de l'INSERM (7 %).

La Cour des comptes déplore la persistance de rigidités et de déficiences handicapantes qui affectent la gestion des ressources humaines de la recherche française. En effet, l'amélioration des performances de cette dernière, à laquelle doivent tendre les politiques scientifiques, continuent de dépendre de façon déterminante, de la qualité des personnes qui s'y consacrent, malgré l'importance grandissante du rôle des équipements techniques.

Or, s'agissant des EPST, la politique de l'emploi scientifique aussi bien que la gestion ou l'évaluation des personnels se révèlent défaillantes.

La Cour des comptes a bien identifié, dans sa communication à la commission des finances, le principal défi que doit relever la politique des ressources humaines des EPST : renouveler la population de ses chercheurs en la réorientant vers les domaines prioritaires .

Elle souligne, en même temps, les conditions essentielles pour y parvenir : équilibrer les différentes formes d'emploi scientifique (statutaires et contractuels) et augmenter les effectifs des post-doctorants 1 ( * ) dans le cadre d'une politique globale de gestion prévisionnelle de l'ensemble des ressources humaines considérées.

Dans les observations de son rapport public de 2000, la Cour des comptes avait déjà adressé aux pouvoirs publics, à propos des activités menées dans le domaine bio-médical, des critiques qui pouvaient être étendues à l'ensemble de la recherche française (morcellement et complexité des structures, insuffisante coordination).

Dans la communication adressée à votre commission à la fin de 2003, les questions de fond ne sont pas davantage éludées.

« La formule statutaire - note la Cour des comptes - inscrit les chercheurs dans une perspective de carrière d'une quarantaine d'années alors que l'activité de recherche évolue sensiblement avec les âges de la vie... s'il est souhaitable - poursuit-elle - qu'un grand nombre de chercheurs puisse tirer profit de l'investissement consenti par la nation pour les former à et par la recherche dans les EPST et les universités, il n'est pas établi qu'il soit de bonne gestion (on admirera la litote !) de prévoir que tous doivent ensuite exercer leur travail de recherche dans les EPST ».

En clair, les structures de la recherche comme le statut des chercheurs méritent d'être profondément réformés.

Afin de dynamiser la recherche française, il importe aussi comme le souligne la Cour des comptes, de revoir le régime indemnitaire et le déroulement des carrières des chercheurs en y renforçant l'incidence de l'évaluation et de mieux gérer les ressources humaines et les crédits concernés.

Enfin, plus accessoirement, sans renier, son souhait, exprimé dans le rapport public de 1999, de voir respecter l'autonomie de gestion des EPST, la Cour des comptes, en 2003, n'en appelle pas moins de ses voeux, en ce qui concerne les ressources humaines de ces établissements, une meilleure coordination des interventions des différentes tutelles et de certaines pratiques de gestion (informatique, rémunération des dirigeants).

TRAVAUX DE LA COMMISSION :

AUDITION CONJOINTE DE M. LE MINISTRE DÉLÉGUÉ À LA RECHERCHE ET DE LA COUR DES COMPTES
DU 29 JUIN 2004

Présidence de M. Jean Arthuis, président

Séance du 29 juin 2004

Ordre du jour

Audition de M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche, et de M. Jean-François COLLINET , président de la 3 ème chambre de la Cour des comptes, sur le rapport de la Cour des comptes relatif aux personnels de recherche.

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La séance est ouverte à 17 h 15.

M. Jean ARTHUIS, président - Mes chers collègues, je voudrais rendre un hommage particulier à M. François Logerot, premier président de la Cour des comptes, qui s'apprête à prendre congé de celle-ci dans deux semaines, et voudrais lui témoigner notre reconnaissance.

En effet, nous allons suivre une audition du ministre délégué à la recherche sur la base de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 sur les lois de finances. Or, c'est le président Logerot qui a rendu possible la mise en oeuvre de l'article 58-2 et même du 58-1, puisque notre collègue Yann Gaillard prend appui sur l'assistance d'un haut magistrat pour réaliser ses investigations auprès de l'Institut national d'archéologique préventive.

Le président Logerot a été pour nous un interlocuteur très disponible. Je tiens à dire combien le président et les membres de la commission des finances, ainsi que le rapporteur général, ont été heureux de la collaboration entre la commission des finances et la Cour des comptes.

J'accueille à présent François d'Aubert et je le remercie de sa présence.

L'audition conjointe à laquelle nous allons procéder aujourd'hui est la huitième de ce genre résultant de l'application de l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, qui prévoit la réalisation par la Cour des comptes « de toute enquête demandée par les commissions de l'Assemblée Nationale et du Sénat chargées des finances sur la gestion des services ou organismes qu'elles contrôlent ».

A ce titre, la Cour des comptes a transmis à notre commission, en novembre 2003, une « communication » relative à la gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technologique, portant sur les exercices 1996 à 2003. Cette communication a également été adressée par voie de référé, au ministre délégué à la recherche.

Il m'a semblé, conformément à la procédure déjà suivie, qu'il serait particulièrement intéressant, dans le contexte actuel de crise de la recherche, d'auditionner M. Jean-François Collinet, président de la troisième chambre, dont émane le rapport qui nous a été communiqué, en présence du ministre délégué à la recherche M. François d'Aubert.

M. Collinet est accompagné de M. Jacques Sallois, président de section, de M. Jacques Ténier, conseiller maître, et de M. Jacques Choisnard, rapporteur, qui ont participé à l'élaboration de ce document.

Nous avons convié, ce qui est une première, à cette audition, des membres des commissions des affaires culturelles et économiques qui participent à un groupe de réflexion informel sur l'avenir de la recherche, créé à l'initiative du Président Jacques Valade.

La recherche contribue au progrès des connaissances et, d'une façon de plus en plus importante, à la croissance économique, à travers l'innovation, ainsi qu'à la satisfaction de besoins essentiels de la société, notamment en matière de santé et d'environnement.

Les activités de recherche requièrent des moyens matériels de plus en plus coûteux, qu'il s'agisse de locaux ou surtout d'équipements, particulièrement en ce qui concerne l'information, pour les calculs et les réseaux d'échanges de données.

Pourtant, comme l'a très justement souligné la Cour des comptes dans la communication qu'elle nous a adressée, comme dans ses précédents travaux, les ressources humaines sont déterminantes dans ce domaine. C'est leur qualité qu'il faut absolument préserver, sinon améliorer, et utiliser au mieux. « Il n'est de richesse que d'hommes », disait Jean Bodin. Il nous faut, non seulement, former d'excellents chercheurs, mais savoir les retenir dans notre pays et attirer en France certains de leurs meilleurs collègues étrangers.

Cela suppose, comme l'a montré la Cour des comptes, de mieux exploiter et renouveler notre potentiel de matière grise.

Dans ses rapports publics de 1999 à 2001, la Cour avait dénoncé de nombreuses insuffisances à cet égard concernant le vieillissement des équipes, la faible mobilité et les déficiences de l'évaluation des chercheurs ou l'insuffisante attention apportée au recrutement de jeunes scientifiques.

Elle évoque, dans sa communication de 2003, les lacunes de la gestion des ressources humaines des établissements publics scientifiques et techniques dans leur ensemble et se pose, notamment, le problème crucial du statut des chercheurs et du rôle dans la recherche des post doctorants et des contractuels.

M. Jean-François Collinet, président de la troisième chambre, présentera dans un premier temps le contenu du rapport communiqué à notre commission sur la gestion des personnels des EPST, puis le ministre délégué à la recherche pourra, s'il le souhaite, intervenir à ce sujet. Nous savons qu'il n'était pas en fonction pendant la période considérée et qu'il est engagé, actuellement, dans de délicates négociations avec la communauté des chercheurs pour préparer la future loi d'orientation et de programmation. Enfin, je vous inviterai, mes chers collègues, à intervenir si vous le souhaitez.

Conformément à l'article 58-2 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, il nous appartiendra à la fin de cette audition de statuer sur la publication du rapport transmis et qui, sur le plan juridique, est une « communication » de la Cour des comptes.

M. le président Collinet, vous avez la parole.

M. Jean-François Collinet, président de la 3ème chambre de la Cour des comptes - Merci. Mon propos liminaire sera bref. Je laisserai à Jacques Sallois le soin de présenter les observations de la Cour.

La stratégie de contrôle de la Cour est passée depuis deux ans d'une stratégie qui reposait sur un contrôle des institutions et des acteurs à une stratégie qui repose sur un examen des programmes et des résultats.

Sur les trois dernières années, nous avons publié trois communications sur les problèmes de la recherche, l'une consacrée à gestion des EPST et aux liens avec leur tutelle, l'autre à la gestion du CNRS et la dernière au pilotage de la recherche dans notre pays.

Pour l'avenir, nous avons décidé d'examiner le secteur de la recherche par grandes thématiques.

Nous sommes engagés dans une première série de contrôle qui a porté sur la recherche en matière d'agronomie et de développement, et donnera lieu à communication qui vous sera adressée, Monsieur le Ministre, et qui sera également adressée aux assemblées parlementaires.

Durant l'année 2004, une seconde enquête thématique a été lancée sur le thème de la recherche en matière de sciences et techniques de l'information et de la communication (STIC).

Enfin, nous allons engager début 2005 une enquête sur la recherche en ce qui concerne les sciences de la vie.

Parallèlement, nous avons engagé depuis début 2003 une enquête lourde sur universités et recherche qui devrait aboutir à un document de synthèse au printemps 2005 et, à la demande du Parlement, nous sommes en train de conduire une étude sur le financement des investissements de la recherche dans le secteur des universités, document qui sera vraisemblablement à la disposition du Sénat vers la mi novembre.

Dans une récente émission télévisée à laquelle participaient MM. Barre et Delors, M. Barre a indiqué qu'à son avis, avant d'introduire de nouvelles ressources budgétaires dans le secteur de la recherche, il était absolument indispensable de revoir l'ensemble de l'organisation de la recherche dans notre pays.

Les conclusions auxquelles parvient la Cour ne sont pas si éloignées de ce point de vue.

Je ferai cinq constats.

Le premier est que le secteur de la recherche est géré par des structures institutionnelles vieillies et complexes, qui sont depuis trois ou quatre ans entrées dans des processus de réforme interne, menés dans des conditions difficiles, de façon dispersée et sans véritable recherche de synergie.

Nous l'avons constaté dans les travaux que nous venons d'achever sur la recherche en matière d'agronomie et de développement.

Le second constat que nous sommes amenés à faire consiste à relever que la multiplicité des acteurs qui interviennent dans le secteur de la recherche ont des rôles insuffisamment définis, ce qui aboutit à une grande dispersion des efforts de recherche et permet rarement la formation de pôles d'excellence de valeur internationale.

Le troisième constat portera sur la faible capacité de pilotage du monde de la recherche, et ceci pour trois raisons. Tout d'abord -Monsieur le Ministre me pardonnera ce constat- son ministère n'est pas doté de moyens très considérables et subit une relativement grande instabilité structurelle depuis une dizaine d'années.

Il y a une tradition d'indépendance très forte du côté des chercheurs et toutes les conséquences ne sont pas tirées des procédures d'évaluation, aussi bien au niveau des laboratoires que des chercheurs, de sorte que les situations ont tendance à se pérenniser et que les renouvellements en matière de recherche ne se font qu'à la marge.

Quatrième constat : les financements, particulièrement ceux concernant les EPST, sont fortement inspirés d'une logique budgétaire et très peu d'une logique de performance.

L'insuffisante attention portée par les EPST à la valorisation et le manque d'ouverture à l'international expliquent la très faible part de l'autofinancement dans le fonctionnement. Même le CIRAD, établissement industriel et commercial, fonctionne essentiellement à partir des ressources budgétaires de l'Etat, et les autres, bien au-delà de 90 %.

Enfin, la gestion des chercheurs souffre de lourdeurs et de contraintes qui la rendent particulièrement rigide.

S'agissant de ce thème particulier, si la LOLF est destinée, au-delà d'une nouvelle présentation budgétaire, à orienter très fortement la réforme de l'Etat, elle n'y parvient pas si, simultanément, n'est pas menée en profondeur une réforme profonde de la gestion des personnels de l'Etat.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Avant de donner la parole au président Sallois, je voudrais faire une observation.

Nous avions, dans la phase de concertation -et chacun sait que la maquette des missions et des programmes est une coproduction du Gouvernement, des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat et de la Cour- estimé souhaitable de scinder les crédits consacrés à l'enseignement universitaire et ceux dévolus à la recherche universitaire.

Les arbitrages ne nous ont pas été favorables ; néanmoins, tout ce qui pourra être fait pour discerner à l'intérieur de ce programme l'enseignement universitaire et la recherche devra être encouragé et appuyé avec beaucoup d'obstination de notre part, et de la vôtre sans doute.

M. le Ministre, MM. les Sénateurs, le président Collinet vient de vous présenter la stratégie de contrôle conduite par la Cour en matière de recherche.

La parole est au président Sallois.

M. Jacques SALLOIS, président de section - Je m'en tiendrai pour ma part strictement au sujet de la communication qui vous a été adressée en novembre dernier, pour vous parler de l'emploi scientifique.

Comme vous l'avez souligné, Monsieur le Président, parler de l'emploi scientifique, c'est parler du coeur de l'application de la recherche.

Avant d'en venir à ce coeur, je voudrais formuler trois remarques liminaires.

Premièrement, la synthèse de 32 pages qui vous a été communiquée mi novembre était l'aboutissement d'une longue enquête conduite en 2002, qui avait donné lieu à un rapport de 180 pages, contracté au cours de l'année 2003 non sans difficultés ce qui explique que l'envoi de cette communication ait tardé jusqu'en novembre.

M. Jean ARTHUIS, président - Sans altérer son contenu ?

M. Jacques SALLOIS - Sans altérer son contenu, bien évidemment.

Seconde remarque : les choses ont évidemment pas mal évolué depuis sept mois. La Cour s'est tenue informée des débats qu'elle appelait de ses voeux et qui se sont développés au-delà de ce qu'elle imaginait.

Bien évidemment, dans le cours de ce débat, certaines de nos propositions ont eu tendance à se banaliser tant elles étaient reprises ; d'autres ont gagné en sensibilité.

Troisième observation : la Cour a continué de travailler. Le président Collinet le disait, nous avons travaillé sur le secteur des établissements de l'agro développement, qui constitue quasiment un programme de notre mission interministérielle.

Je dois vous dire que les observations que nous y faisons en matière de gestion de personnels infléchissent peu les conclusions qui figurent dans notre communication de novembre. Elles ont plutôt tendance à les conforter et à les renforcer.

Troisième observation : notre communication de novembre dernier ne traite que du personnel des EPST. Elle laisse donc à l'écart un vaste champ de l'emploi scientifique, comme l'emploi scientifique des universitaires et des enseignants chercheurs, difficile à évaluer car chacun sait que la part de ce qui va à l'enseignement et la part de ce qui va à la recherche est objet de débats et conditionne même l'arbitrage que vous évoquiez, Monsieur le Président, sur la mission elle même et sa répartition.

C'est uniquement des EPST que nous traitons aujourd'hui et je voudrais le faire autour de trois thèmes, le premier traitant du pilotage de la politique de l'emploi scientifique, en liaison avec ce que la Cour vient de dire sur le pilotage de la politique de la recherche plus généralement.

Je voudrais ensuite traiter brièvement de la gestion de l'emploi scientifique par les EPST et enfin terminer sur un sujet essentiel, celui de l'évaluation des chercheurs et des sanctions de cette évaluation mais, dans les deux cas, nous voudrions relier ces deux thèmes aux constatations que nous faisons dans la communication que nous allons adresser au cours des prochaines semaines à M. le ministre sur le secteur de l'agronomie et du développement.

S'agissant du pilotage de l'emploi scientifique, je dois dire que les constatations de la Cour se situent dans la perspective des constatations qu'elle a formulées dans son dernier rapport public annuel sur le pilotage de la recherche. Le président vient de les citer à l'instant : faiblesse des moyens et instabilité structurelle. Nous en voyons le résultat dans le domaine du pilotage de la recherche scientifique.

La Cour rappelle qu'entre 1997 et 2000, personne ne se souciait de l'emploi scientifique au sein de la direction de la recherche.

Il a fallu attendre 2002 pour qu'un embryon de cellule administrative s'y constitue, et 2003 pour qu'un bureau de l'emploi scientifique y soit créé.

Deuxième observation qui rejoint les observations générales de la Cour : le nombre des directions qui interviennent dans ce domaine directions de la recherche, de la technologie, des PMA, des PES, etc. Ce nombre est excessif, le ministre le reconnaît dans sa réponse.

Le ministre des finances insiste sur la faiblesse et l'incohérence de la structure du ministère de la recherche et appelle à sa clarification dans le cadre de la perspective de la LOLF. La Cour partage bien évidemment ce diagnostic et cette préconisation.

Mais au-delà du pilotage, l'essentiel sur lequel la Cour a fait porter son effort, c'est l'analyse de la politique mise en oeuvre. Je passe sur l'insuffisance du ministère dans son appel à la coordination des politiques des EPST, notamment en matière de systèmes d'information en général et de système d'information sur les personnels en particulier, confirmés par notre dernière enquête, sur l'insuffisance des indicateurs de pilotage en matière de personnel -la LOLF devrait y mettre bon ordre- pour insister sur l'essentiel qui est le caractère tardif et hésitant de la gestion prévisionnelle de l'emploi dans ce domaine.

Le diagnostic est établi depuis longtemps. En matière démographique, il est facile de l'établir. La Cour y a contribué avec ces dernières publications et chacun pouvait prévoir que nous nous orienterons vers un état de la recherche où nous avons la moyenne d'âge la plus élevée du monde, qui se situe aujourd'hui à 47 ans.

La nécessité d'une gestion prévisionnelle avait été établie dès le comité interministériel d'octobre 1998, réaffirmée par le comité interministériel de la réforme de l'Etat de 2000 et il a fallu attendre octobre 2001 pour que le plan décennal soit mis en oeuvre.

Il a fallu attendre, mais c'est le premier plan décennal ministériel. La Cour souligne au passage que ce plan ne tient aucun compte de la réduction du temps de travail mis en oeuvre simultanément dans ce domaine.

Nous savons que ce plan décennal a été abandonné par les LFI de 2003 et de 2004 qui mettaient l'accent sur le recrutement de jeunes chercheurs contractuels et post docs ; la Cour prenant acte de ces orientations de manière plutôt positive appelait à ce qu'elles soient situées dans une politique d'ensemble de l'emploi scientifique permettant d'assurer un meilleur équilibre des différents statuts, notamment au cours de la carrière.

Nous savons le débat qui est ouvert aujourd'hui et, à l'occasion d'échanges récents avec la Cour, le ministre nous a répondu que les problèmes de personnels devraient trouver leur solution dans le cadre de la révision de la loi d'orientation et de programmation de la recherche.

Nous ne nous satisfaisons pas complètement de cette réponse, Monsieur le Ministre, mais ce n'est pas à votre charge, car les contrôles que nous avons menés au cours de la dernière période nous montrent que, selon les établissements, les politiques menées dans ce domaine sont très différenciées, qu'elles vont au-delà des différences statutaires et d'organisation et qu'elles reposent donc assez largement sur l'imagination, la résolution et le courage politique des gestionnaires de ces établissements.

C'est en ce sens que j'aborderai le second point de notre propos.

La gestion des personnels scientifiques par les établissements a été abordée depuis six ans par toutes les publications de la Cour. Les conclusions générales sont de deux ordres : la fonction des ressources humaines est très décentralisée dans les établissements dans le cadre des statuts généraux et particuliers, mais force est de constater que cette politique est souvent défaillante. Les plans stratégiques en dressent le diagnostic mais vont rarement au-delà.

La Cour note également que les systèmes de pilotage sont défaillants : pas de contrôle de gestion en général, pas plus en matière de personnels, pas de tableau de bord en général, pas plus dans le domaine du personnel.

Au-delà, je vous propose d'aborder successivement les trois catégories de personnels au coeur de la politique menée : les chercheurs pour l'essentiel, les ingénieurs et techniciens et, brièvement, les dirigeants des établissements.

Je traiterai des chercheurs autour des cinq thèmes développés par la Cour : les statuts, le recrutement, les post docs, les personnels sous contrat et enfin la mobilité.

S'agissant du statut, la Cour s'interroge sur les conséquences pour les chercheurs du statut de fonctionnaire qui leur a été conféré en 1983 et formule à cet égard deux conclusions.

En premier lieu, il n'est pas établi que les chercheurs recrutés pour 40 ans doivent tous exercer la même fonction jusqu'à la retraite.

On peut en convenir, d'autant que la Cour constate dans toutes ses investigations la diversification croissante des fonctions au-delà de la seule recherche valorisation, gestion, information qui, la plupart du temps, sont très mal assumées.

Elle considère ensuite que le fort renouvellement du potentiel scientifique doit permettre d'envisager une plus grande diversité des formes d'emploi -statutaires, contractuels, post docs- et estimait souhaitable, en novembre dernier, que le Parlement et la communauté scientifique débattent d'une gestion équilibrée des différentes formes d'emploi qui rendraient l'appareil public de recherche capable notamment d'accueillir un plus grand nombre de jeunes chercheurs. Le débat est ouvert au-delà de ces espérances.

Second point : les concours de recrutement sont théoriquement ouverts -et beaucoup plus que dans le reste de la fonction publique- aux candidats internes et externes ainsi que, depuis 1983, aux étrangers. En réalité, les jurys de concours restent souvent très étroits et n'excluent pas les risques de cooptations et les modes de prise en compte des expériences, notamment privées, ne permettent pas d'appeler suffisamment aux expériences des non fonctionnaires.

Je rappelle que les expériences privées sont prises en compte pour la moitié du temps et que ceci est tout à fait dommageable, notamment dans les secteurs de la recherche finalisée.

Troisième observation centrale pour la Cour : les post docs. Ils ont déjà fait l'objet de très nombreuses constatations dans nos rapports précédents, notamment dès 2001, dans celui que nous consacrions à la recherche dans le domaine biomédical.

La Cour constate que leur nombre est dérisoire ; elle constate aussi, avec le président Laffitte, que 28 % d'entre eux traversent l'Atlantique.

Leur nombre officiel est extrêmement réduit- quelques dizaines au CNRS- mais beaucoup sont rémunérés sur des bourses et des allocations externes qui restent cependant insuffisantes.

Le problème a été sous estimé depuis longtemps par le ministère de la recherche, qui a préféré les bourses de thèses, de crainte de voir se constituer un stock de chercheurs hors statut.

Le changement annoncé en 2003 visait à prendre en compte le problème.

Quatrième observation : le nombre de personnels sur contrats de recherche. Il reste extrêmement faible -moins de 2.000- et extrêmement différent selon les établissements. De surcroît, le cadre réglementaire en limite fortement l'attractivité. On sait que 18 mois maximum s'imposent, que le cadre est calqué sur celui des ingénieurs et techniciens et que la limitation est imposée à un seul contrat, même si la Cour constate quelquefois que ces limites sont un peu oubliées.

Dernière observation, enfin, sur les mobilités. Il faut distinguer les mobilités statutaires, institutionnelles d'établissement à établissement, du public au privé, les mobilités entre universités et EPST, et les mobilités géographiques.

Cette mobilité a augmenté au cours des dernières années. Elle se situe à peu près à la moyenne européenne. Nos dernières constatations nous invitent à la prudence dans l'optimisme car, quand nous regardons ce qui se passe dans les établissements que nous venons de contrôler, nous nous apercevons que le bilan n'est pas satisfaisant à l'INRA, sept détachements sur 1.800 chercheurs.

Quand elle regarde le CIRAD, la Cour s'inquiète de la baisse du taux des cadres affectés hors métropole, ce qui est pourtant leur vocation, passé de 38 % en 1990 à 20 % en 2002.

Même chose pour l'IRD, dont c'est la vocation de travailler outremer et où l'on a un taux d'expatriation qui ne cesse de régresser, de 42 % en 1993 à 33 % en 2002. C'est dire que l'effort reste nécessaire.

Deuxième catégorie sur laquelle je voudrais rappeler les conclusions de la Cour : les ingénieurs et techniciens, qui suscitent essentiellement deux observations.

La première, c'est la faiblesse du rapport entre ingénieurs, techniciens et chercheurs. Chacun le déplore. Il est actuellement de 1,5. La LFI 2003 reconnaissait son insuffisance et gageait les créations de postes sur les emplois de chercheurs. L'effort devra être poursuivi.

Deuxième observation : les concours de recrutement. L'évolution va dans le sens de la disparition des corps administratifs. A certains égards, ceci est positif et simplifie la gestion du secteur mais conduit en même temps à recruter au niveau du doctorat les responsables administratifs des EPST, ce qui, a priori, ne garantit absolument pas l'adéquation qualitative aux besoins, alors même que la Cour, rapport après rapport, déplore les carences de gestion administrative de ces établissements.

Le problème est d'ailleurs accru par la nature des épreuves, essentiellement scientifiques, et les modalités du concours une audition d'une demi heure.

La Cour souligne que bien peu d'établissement se résoudrait à une telle formule pour recruter les gestionnaires de leurs affaires.

J'ajoute un regret : dans notre rapport, nous n'avons probablement pas suffisamment souligné la nécessité d'une action de formation plus résolue, les personnels en cause étant recrutés.

Troisième catégorie : les dirigeants. Nous savons qu'un décret est en préparation depuis longtemps ; la Cour ne pousse pas à l'élaboration d'un statut contraignant, compte tenu de l'extrême diversité des établissements, de leur importance et de leur rôle.

En revanche, elle estimerait souhaitable que quelques grands principes généraux permettant des modes de rémunération conformes aux responsabilités, sans violation des règles dont elle est la gardienne, soient néanmoins tracés, ce qui lui éviterait, comme elle va devoir le faire, de redresser quelques situations.

Troisième point sur lequel nous souhaitons insister : l'évaluation et ses sanctions.

Les modalités d'évaluation de la recherche sont en général défaillantes. Je n'insiste pas, la cause est largement entendue. Celles des chercheurs, même si elles sont plus anciennes et plus systématiques que dans le reste de la fonction publique, présentent également des carences manifestes.

Elles sont souvent formelles. Certains établissements, lorsqu'ils nous répondent, parlent du rituel du rapport rendu tous les deux ans. Elles sont cogérées avec les personnels dans des proportions variables, mais toujours importantes, qui varient de deux tiers au CNRS à un tiers pour le petit CEMAGREF, mais qui s'établissent en règle générale à la moitié, sans ouverture suffisante des instances d'évaluation et ne prennent pas en compte, ce que souligne également la Cour, la diversité des tâches qui incombent aujourd'hui aux chercheurs.

Surtout, les effets de cette évaluation sont limités. Ils le sont sur le déroulement de la carrière, et ne pèsent pas sur le franchissement de grade ; l'avancement d'échelon se fait à l'ancienneté sans que l'évaluation soit prise en compte. Ils le sont aussi sur la rémunération, sur les primes et indemnités.

La prime de recherche, au demeurant dérisoire, n'est en pratique jamais modulée dans les établissements que nous avons contrôlés. Nous avons même vu des établissements ou la modulation est inverse et vise à compenser les écarts de rémunération principaux.

Je veux insister sur un exemple qui montre que le statut n'est pas la réponse à tout. Nous venons de contrôler le CIRAD, qui est un EPIC. Son visiting committee, il y a maintenant quatre ans, avait recommandé la mise en place d'un dispositif d'évaluation. Son conseil d'administration, unanime, avait fait la même recommandation. Or, nous constatons, quatre ans plus tard, que les négociations engagées en 2001 n'ont toujours pas abouti, ce qui veut dire que le statut n'est pas la panacée et que l'engagement et le courage des responsables d'établissement sont essentiels.

Voilà brièvement schématisées les quelques conclusions et recommandations de la Cour.

Pour tenter de tirer toutes les conséquences possibles de nos travaux, nous nous sommes efforcés de recenser un peu plus systématiquement les observations les plus critiques ainsi que les recommandations qui prennent aujourd'hui un relief quelquefois plus sensible qu'elles ne l'étaient en novembre, et nous vous transmettons une liste de 14 points de critiques et de recommandations, que nous aurions dû incontestablement, comme c'est l'usage à la Cour, annexer à notre rapport.

Nous serons évidemment attentifs aux suites qui seront données à ces recommandations et à ces critiques ; nous le serons peut être au début de l'année prochaine, dans notre prochain rapport public. Nous le serons sans doute au début de 2006, dès lors que le recul aura été suffisant.

Nous aurons l'occasion de poursuivre le dialogue de manière générale sur la recherche, et de manière particulière sur l'emploi scientifique, dans le cadre de la communication que nous allons adresser à M. le ministre dans quelques semaines sur le secteur de l'agronomie et du développement, où une part importante est consacrée à la gestion des personnels, et bien évidemment dans le cadre de l'enquête sur la recherche universitaire, dont nous souhaitons qu'elle soit publiée suffisamment tôt pour prendre pied dans le débat actuel.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Vous êtes allé d'emblée à l'essentiel. J'ai compris que ce rapport avait fait l'objet d'une compression entre sa première version et la communication définitive telle qu'elle nous a été adressée en octobre 2003.

A cet égard, je remercie la Cour pour les efforts qu'elle accomplit pour synthétiser ces communications.

Pour l'efficacité de nos relations, nous sommes attachés à des rapports aussi factuels et synthétiques que possible. N'hésitez pas à exprimer vos observations avec la rugosité qu'elles doivent avoir.

C'est un rapport que l'on pourrait qualifier d'accablant : pas de pilote, absence d'évaluations autres que rituelles où, finalement, le corporatisme interne digère tout. Ce rapport pourrait être accablant pour un ministre qui serait là depuis un certain temps, mais comme François d'Aubert a pris en charge ce dossier depuis trois mois, vous décrivez au contraire des marges de progression extraordinaire. C'est une chance pour un nouveau ministre délégué à la recherche !

Monsieur le Ministre, voulez-vous vous exprimer ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - J'ai écouté avec attention les conclusions et les propositions du rapport de la Cour et je voudrais vous féliciter pour cette initiative qui n'est pas nouvelle, mais qui montre le travail excellent fait de concert entre la Cour et le Parlement, et particulièrement avec le Sénat.

Il est vrai qu'il y a eu des rapports fort intéressants de la Cour des comptes ; le rapport annuel, depuis trois ou quatre ans, comprend des passages importants sur notre système de recherche, sur le CNRS, sur le pilotage, etc., dont j'ai pris connaissance avec beaucoup d'intérêt.

Comme vous l'avez dit, les diagnostics sont connus, les remèdes quelquefois esquissés. Je ne parle pas de ce que dit la Cour, mais il est vrai qu'il y a un diagnostic plutôt négatif quand on regarde l'administration de la recherche, alors que des propositions variées sont faites.

On est dans une période où une loi d'orientation et de programmation devrait être prête à la fin de l'année, à l'issue des états généraux et des travaux du CIP. De grands changements sont donc mis en oeuvre.

Une première chose en introduction : il est essentiel que nous ayons un système de recherche et d'innovation compétitif.

Aujourd'hui, dans notre économie mondialisée, nos systèmes de recherche et d'innovation sont « benmarkées », comparés et mis en concurrence. Or, notre système a pris du retard, non parce qu'il n'a pas évolué mais parce que les autres ont évolué plus vite, qu'il s'agisse des systèmes anglo saxons ou extrême orientaux.

La Chine, par exemple, a un système de recherche très compétitif, à la fois fondé sur le poids des universités, d'établissements publics nouveaux, avec un nombre de chercheurs de très grande qualité actuellement à peu près équivalent à celui que nous avons en France, avec des systèmes de joint venture entre l'Etat chinois ou des villes ou des communautés publiques et des centres de recherche et des entreprises privées.

Il existe 400 joint-ventures de recherche développement en Chine. Ce sont des centres mixtes entre des communautés publiques et les grands groupes internationaux. Pour prendre une comparaison imagée, on peut dire que l'on assiste à une sorte de mouvement tectonique où on a une plaque européenne qui est en train de descendre lentement, une plaque américaine qui commence à être mise en cause par les chercheurs américains eux-mêmes, qui estiment qu'elle n'est pas assez compétitive, et une sorte de plaque extrême orientale en pleine montée qui tendrait, à moyen terme, à écraser les autres.

C'est peut être un raccourci, mais on peut dire aujourd'hui que la Chine est l'atelier du monde. Il n'est pas impossible que, dans dix ans, elle soit devenue, avec l'Inde, le laboratoire du monde, ce qui voudrait dire que la localisation de la valeur ajoutée, la création de richesses, la technologie, la recherche s'éloigneraient de plus en plus d'Europe. On peut dès lors se poser la question de savoir ce que deviendront l'Europe et la France.

Vous abordez la question essentielle qui est celle de l'emploi scientifique, c'est-à-dire en même temps celle de la compétitivité de nos laboratoires et de notre système de recherche et d'innovation. Celle-ci est fondamentale et je dois reconnaître que je souscris pour partie aux conclusions de la Cour des Comptes.

M. Jean ARTHUIS, président - Votre ministère est-il vraiment un ministère qui ne pilote rien, qui donne l'apparence d'une conduite gouvernementale, mais sans contenu réel ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je poserai autrement la question : globalement, la recherche est bien conduite, scientifiquement parlant. Mais sait-on vraiment distinguer entre la fonction scientifique et la culture managériale dans la recherche ?

Très franchement, on n'a pas cette impression. Que l'on soit dans les EPST objets de l'étude, dans les EPIC ou à l'université, il n'y a pas de séparation entre le domaine de la gestion et le domaine scientifique proprement dit, alors que des sommes importantes sont mises en oeuvre.

M. Jean ARTHUIS, président - En fait, il n'y a pas de gestion du tout !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Il ne faut pas en conclure qu'il n'y a ni gestion ni science, mais la gestion des ressources humaines est certainement ce qui il y a de plus défaillant. Il y a aussi de nombreuses défaillances dans la gestion de la ressource financière et budgétaire. Regardez où nous en sommes sur les retards de CP par rapport aux AP et le nombre d'épisodes budgétaires d'annulations de crédits dont le système de recherche publique est le théâtre depuis des décennies !

Nous sommes vraiment dans un système sous-administré, que ce soit dans sa branche publique ou dans sa branche universitaire.

Une remarque de méthode : les EPST représente un gros tiers de notre recherche en termes de moyens et de personnel, mais ce n'est pas un tiers séparé du reste puisque de nombreux laboratoires sont des unités mixtes de recherche. On arrive à des situations intéressantes sur le plan scientifique. Pour avoir un laboratoire qui fonctionne dans des conditions normales, il n'est pas inhabituel d'avoir un ou deux chercheurs du CNRS, un ou deux du CEA, un universitaire, un directeur de recherche, etc., le tout dans le même laboratoire, rattaché on ne sait trop pourquoi qui au CNRS, qui à l'université, qui au CEA, avec des personnels qui restent gérés par leur maison mère, avec des systèmes statutaires et des progressions qui ne sont pas les mêmes alors que ce sont des personnes qui travaillent dans le même laboratoire, souvent sur un même sujet et dans la même optique.

L'entrecroisement entre les sous secteurs de la recherche n'arrange rien non plus pour avoir une appréciation claire de la situation.

En matière d'emploi scientifique, notre pays a un triple défi à relever. Le premier est celui la compétition internationale.

On assiste dans le monde à une sorte de mercato permanent pour les meilleurs chercheurs. La Corée vient d'embaucher dans un de ses laboratoires un Prix Nobel américain avec une prime à la signature d'un million de dollars. De jeunes chercheurs de grandes écoles parisiennes, du CNRS ou de L'INSERM, se voient proposer par les laboratoires américains de grandes universités des salaires qui sont souvent le triple de ce qui leur est proposé ici, tout en ayant des moyens considérables et avec une visibilité sur 3 ou 5 ans, ce qui peut apparaître comme un paradis par rapport à la lisibilité budgétaire proposée dans les organismes de recherche français.

On leur propose également des possibilités d'être très rapidement en contrats à durée indéterminée, qui sont en fait des sortes de contrats à vie. Ce sont sans doute des contrats de statut privé, mais cela ne change pas grand-chose par rapport à un professeur d'université ou par rapport à un directeur de recherche du CNRS.

Le premier défi est donc d'avoir les meilleurs, qu'ils soient de chez nous ou qu'ils viennent de l'extérieur, mais il faut faire en sorte que ceux qui partent ce qui n'est pas illégitime dans le monde de la recherche pour aller faire une recherche dans une université américaine ou ailleurs aient envie de revenir -ce qui est de moins en moins le cas- et que ceux qui sont revenus n'aient pas envie de repartir immédiatement. C'est également un cas de figure qui existe, sans compter qu'il n'est pas illégitime que nous puissions accueillir nous mêmes des chercheurs chinois ou indiens, ce qui se pratique couramment dans d'autres pays.

Le second défi à relever, c'est celui du renouvellement des générations. La Cour note que la moyenne d'âge des chercheurs en France est très élevée. En cinq ans, la moyenne a dû augmenter d'un an et demi à deux ans en fonction des organismes.

Il faut donc renouveler les générations qui partent à la retraite. Les départs totaux des chercheurs des EPST estimés d'ici 2012 s'élèvent à 7.400 personnes pour 17.000, soit environ 43 %. Le chiffre est de 23.000 enseignants chercheurs à peu près pour une population de près de 50.000 personnes, soit 46 %.

Il y a donc un mouvement de fond de départ en retraite qui correspond à des pyramides des âges qui sont quelquefois un peu différentes d'une université à l'autre par rapport aux EPST, mais qui ont quand même le même aspect.

On peut s'interroger sur l'ampleur de ce mouvement qui est à la fois un risque et une chance.

C'est un risque, car les compétences en matière de recherche doivent être préservées et transmises aux générations nouvelles. S'il n'y a pas de renouvellement, il existe un risque d'appauvrissement de nos recherches en termes de compétences, que cela touche la recherche appliquée ou la recherche fondamentale. Il ne faut pas prendre le risque de rompre certaines continuités.

C'est une chance aussi, car ceci offre une possibilité assez inédite de redéploiement des effectifs du dispositif de recherche français vers les besoins de l'avenir. La reproduction à l'identique -c'est une remarque de simple sagesse- doit être écartée.

Ce qui est vrai pour les EPST l'est aussi pour les universités. Or, aujourd'hui, c'est une des caractéristiques de notre système universitaire : les recrutements d'enseignants chercheurs restent déterminés par les populations d'étudiants.

Par exemple, vous n'êtes pas sans méconnaître l'attrait des étudiants pour les STAPS.

Personne n'a rien contre les STAPS, à ceci près qu'un tel afflux d'étudiants oblige à recruter statutairement des enseignants chercheurs au sujet desquels certains s'interrogent sur la volonté de faire la recherche.

On ne fait donc qu'accentuer un phénomène qui est bien réel, qui est le fait que tous les enseignants chercheurs ne font pas de la recherche.

La cartographie des compétences détermine le potentiel scientifique. Définir les priorités scientifiques sans les traduire dans la politique de recrutement réduit à la marge la portée de l'action publique.

C'est pourquoi nous sommes favorables à une gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique sur les dix ans qui viennent. Je souhaite qu'elle s'accompagne d'objectifs de redéploiements clairs en fonction des priorités définies d'ici au vote de la loi d'orientation et de programmation.

Je souhaite également qu'elle prévoie un accroissement significatif de l'emploi scientifique, privé et public, en intégrant -cela va dans le sens des propositions de la Cour- toutes les catégories d'emplois, statutaires mais aussi contractuels, en s'interrogeant sur la destination de ces emplois.

Cette gestion prévisionnelle devra également réaliser l'équilibre entre chercheurs et ingénieurs techniciens pour ne pas réitérer certaines erreurs du passé.

Comme le souligne la Cour, dans tous les EPST, la priorité de 1996 à 2001 a été donnée à l'emploi strictement scientifique, privilégiant les créations de postes budgétaires de chercheurs au détriment des postes d'ingénieurs, de techniciens ou de personnels administratifs.

A ce propos, je voudrais faire deux remarques. La première concerne les personnels administratifs. Nous sommes dans un système sous-administré, mais en même temps très bureaucratisé. Il y a une lourdeur des procédures qui est ressentie jusque dans les laboratoires, où chaque appel à projet, chaque modification prend des semaines.

Rien qu'à L'INSERM, il y a, au centre de Tolbiac, 600 personnes qui ne font que de l'administratif. Je crois qu'il faut s'interroger -et nous le faisons très sérieusement- sur l'organisation administrative à proprement parler des EPST et, en particulier, à l'INSERM comme au CNRS, sur le poids des administrations centrales. Ce n'est pas un problème propre à la recherche ; on le retrouve dans beaucoup d'autres domaines de l'organisation de l'Etat, mais c'est un point important.

Quand on parle d'ITA -ingénieurs, techniciens, administratifs- il faut sans doute traiter le « A » de façon différente du « I » et du « T ». Je ne suis pas convaincu que le besoin en administratifs soit le même que le besoin en ingénieurs ou en techniciens.

Au CNRS, pendant la période 1996 2000, les effectifs budgétaires de chercheurs ont crû de 3,4 % tandis que le nombre d'ITA a diminué de 1,2 %. Il est probable que le balancier est allé trop loin dans ce domaine.

En 2001, le rapport ITA chercheurs était en moyenne de 1,5 dans les EPST. Ce taux paraît donc trop faible pour permettre une dotation suffisante en personnels techniques ou d'ingénieurs dans de nombreux laboratoires au regard des effectifs de chercheurs.

Je voudrais également dire quelques mots des contrats.

M. Jean ARTHUIS, président - J'ai compris que la Cour mettait aussi en cause la qualification de « A ». On recrute des administratifs qui n'ont pas la capacité pour administrer ni pour gérer.

M. Jacques SALLOIS - On ne recrute effectivement pas des administratifs, mais des ingénieurs et des techniciens sur des dossiers scientifiques, donc sans que la compétence administrative soit prise en compte a priori. C'est la raison pour laquelle je disais que l'on avait un regret, celui de n'avoir pas insisté sur la nécessité d'une formation de ces personnels une fois recrutés.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Il y a un peu d'hybride dans l'administration de la recherche. C'est pourquoi il faut faire attention quand on parle de mobilité des chercheurs vers l'administration de la recherche : un mauvais scientifique ne devient pas forcément un bon administratif. Là aussi, il y a de véritables reconversions à organiser. Cela fait aussi partie de nos projets.

Une remarque sur les contrats : l'année dernière a été proposée la création d'un certain nombre de contrats à la place d'emplois statutaires. Le principal problème a été le profil de ces contrats.

Proposer d'entrer dans le système de la recherche à environ 1.500 euros nets par mois est tout sauf séduisant. Quand il n'y a en outre aucune visibilité en termes de moyens ou de recrutement pour constituer une équipe, comme cela se passe couramment aux Etats-Unis, il ne faut pas s'étonner que ces contrats n'aient pas été très bien accueillis.

Il faut des contrats d'accueil, qui permettent une véritable souplesse -il y en en déjà 7 % au CNRS et l'un des objectifs de la direction est d'augmenter assez fortement leur nombre- mais si l'on veut qu'ils servent à quelque chose, il faut qu'ils correspondent à un « package », ce qui n'est pas du tout le cas actuellement.

J'en reviens à un autre point, le troisième défi que nous avons à relever, qui est la promotion des carrières scientifiques auprès des jeunes. Cela fait aussi partie du « package ».

Si nous sommes favorables à une gestion prévisionnelle de l'emploi scientifique, c'est aussi pour envoyer un signal fort aux jeunes en formation.

L'Académie des Sciences estime que l'incertitude du recrutement est une des raisons majeures de la désaffection et propose même de revenir à des prérecrutements.

La gestion prévisionnelle doit aussi être mise à profit pour envoyer un signal fort aux jeunes diplômés qui partent. Ce signal passe par une revalorisation du métier de chercheur, notamment en début de carrière.

Dès lors que l'on s'interroge sur l'attractivité de notre appareil de recherche pour les jeunes, de nombreuses questions viennent à l'esprit. L'âge d'entrée dans la carrière est-il trop tardif ? Le niveau de rémunération initial est-il adapté ? Je souhaiterais débattre avec vous des orientations qui nous paraissent nécessaires, discutées notamment à l'occasion de la préparation de la loi.

Le rajeunissement de notre potentiel de recherche, l'amélioration des conditions matérielles d'entrée dans l'appareil public de recherche sont des questions très importantes.

Un mot sur le déroulement de carrière. Votre rapport le souligne très bien : il y a encore des progrès à faire, d'abord parce que le statut de chercheur à vie est source de lourdeur et de rigidité, ce que reconnaissent beaucoup de chercheurs eux mêmes.

Dès lors, si l'on admet que la recherche n'est pas une activité à vie -en tout cas pas pour tous- de nouvelles perspectives de carrière doivent être ouvertes aux chercheurs durant leur vie active.

Il est quasiment impossible, et je n'y suis pas favorable, de changer du tout au tout le statut de 1983, qui bénéficie d'un attachement très fort. Même dans les pays les plus libéraux, comme les Etats-Unis où les pays anglo-saxons, il existe quasiment partout un système où les chercheurs sont des quasi fonctionnaires, voire des fonctionnaires.

D'ailleurs, avant 1983, des articles de presse expliquaient que le chercheur était déjà un peu fonctionnarisé parce que, tout privé qu'il était, le statut de l'époque était un statut qui sécurisait la carrière du chercheur -ce qui d'ailleurs peut être parfaitement justifié dès lors que le chercheur a besoin d'une certaine quiétude, d'une certaine sérénité, d'une certaine sécurité intellectuelle pour mener à bien ses travaux.

M. Jean ARTHUIS, président - Pouvez-vous vous en tenir aux observations faites par la Cour ? Nous reviendrons plus tard sur la loi d'orientation.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - La Cour a fait observer que, dans une carrière de chercheur, il fallait avoir des moments et des possibilités d'aiguillage vers d'autres carrières pour favoriser la mobilité. Je mets de côté la grande question de la mobilité entre universités et EPST, qui est difficile à résoudre, et sur laquelle un certain nombre de solutions techniques commencent à se dessiner.

Je mets également de côté la question de la mobilité vers d'autres secteurs, en particulier vers les entreprises. C'est une vraie question. On pourrait, c'est vrai, assouplir les conditions mises par les établissements publics et placer les chercheurs dans les entreprises. Je crois que c'est également indispensable.

Une évolution est possible vers l'enseignement, l'administration de la recherche, vers la valorisation. La valorisation fonctionne aujourd'hui mieux qu'il y a quelques années. Je crois que la loi sur l'innovation a été une bonne chose. On l'avait préparée avant.

Il y a eu un déclic culturel dans le monde des chercheurs et la valorisation est maintenant considérée comme faisant partie de l'activité des chercheurs, même s'ils sont très loin de faire tous de la valorisation, de déposer des brevets ou de créer des entreprises. En ce moment, nous avons à peu près 500 chercheurs qui créent chaque année une entreprise.

Il y a donc un besoin de mobilité et d'aiguillage. Cela veut dire qu'en même temps, on ait un système d'évaluation qui fonctionne bien. Il faut qu'à un certain moment, l'évaluation puisse exprimer l'idée que le chercheur sort de la voie toute tracée de la recherche à vie.

L'évaluation est, il est vrai, la question clef. La Cour l'aborde. Elle doit être améliorée par l'ouverture à des personnalités extérieures, notamment à des experts scientifiques étrangers et il faut pour tous de véritables instances d'évaluation. C'est un des points faibles.

Elle doit aussi être modernisée en enrichissant les critères sur lesquels les personnels sont évalués. Aujourd'hui, un chercheur qui fait de la valorisation n'est pas spécialement favorisé dans sa carrière de chercheur -c'est parfois même l'inverse.

D'autre part -et c'est un sujet difficile à aborder- nous aurons un système d'évaluation véritablement crédible lorsque la recherche universitaire entrera également dans le champ d'une évaluation complète et quelque peu normée. Il y a une évaluation à l'université, mais elle n'est pas tout à fait la même que dans les EPST.

Restera à résoudre la question de la sanction d'une mauvaise évaluation, qui est une des choses sur lesquelles nous attendons des propositions -mais je pense qu'il y en aura dans la prochaine loi d'orientation et dans les réformes.

Voilà quelques pistes qui me semblent intéressantes pour aller dans le sens des propositions de la Cour, qui sont très intéressantes et qui permettent de regarder le système de la recherche d'un autre oeil. Il est vrai que quand on demande une évaluation par les scientifiques de leur propre système, même si en ce moment il y a une très forte volonté de réforme, l'acuité n'est pas la même.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci. Avez-vous eu connaissance des 14 propositions de la Cour ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Non, mais on les devine un peu.

M. Jean ARTHUIS, président - Il faudrait nous faire connaître votre position par rapport à chacune d'entre elles. Il faut que ces rapports de la Cour soient suivis d'effets. Sinon, on sait à quoi s'en tenir.

La parole est au rapporteur spécial, René Trégouët.

M. René TREGOUET, rapporteur spécial - La Cour a estimé que les effectifs de jeunes dans le domaine de la recherche sont trop peu fournis et que la moyenne d'âge, en 2002, était déjà fort élevée. Il faut reconnaître qu'à 48-ans, on n'a pas la même capacité d'innovation et de recherche qu'à 30 ou 35 ans.

Vous dites très clairement que les post docs constituent le vivier de la recherche et font fonctionner les laboratoires, mais que le manque de débouchés qui leur sont offerts fait qu'ils sont très souvent attirés par d'autres cieux. Notre groupe de travail étudie des propositions pour inverser les choses. Qu'est-ce qui pourrait faire que ces post docs restent en France, Monsieur le Ministre ?

Le Premier ministre a par ailleurs évoqué ce matin la création d'une Agence nationale de la recherche. Aurait-elle des moyens dans le domaine de la gestion de l'emploi ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Le but est de rassembler dans cette agence des moyens extra budgétaires pour financer des projets et des programmes de recherche. C'est un signal pour bien exprimer la volonté du Gouvernement d'accentuer l'effort en faveur de la recherche. Cette agence multisources pourrait accueillir des financements venant par exemple des privatisations.

Il a également été question des ventes d'or et des intérêts sur le produit des ventes d'or.

L'idée est d'avoir des moyens extra budgétaires permettant, non un pilotage par projet, mais de financer plus facilement des projets ou des programmes et leur donner une visibilité qu'ils n'ont pas aujourd'hui lorsqu'ils apparaissent au travers du Fond national de la recherche.

M. Jean ARTHUIS, président - C'est une agence destinée à collecter des ressources extra budgétaires ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - En effet. Elle pourrait également, en liaison avec un comité d'orientation de la recherche, éventuellement placé auprès du Premier ministre ou du Président de République, donner des coups de pouce dans certaines directions, mais ne serait pas chargée de la gestion des personnels.

M. Jean ARTHUIS, président - Un petit coup d'aide de la Caisse des dépôts et consignations par exemple ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Eventuellement.

M. Jean ARTHUIS, président - On a trouvé d'ailleurs récemment des débudgétisations qui nous paraissaient suspectes -contraires à l'esprit de la LOLF en tout cas.

Peut-être parlera-t-on ultérieurement de cette agence.

La parole est au président Sallois.

M. Jacques SALLOIS - Je me garderai de répondre sur le dernier point que vous avez évoqué. Je ne crois pas qu'il faille empêcher les post docs d'aller à l'étranger ; le problème est de les amener à revenir.

Dans un récent échange, le ministre nous a répondu sur ce point et je crois qu'il a pris un certain nombre de décisions dans la foulée du séminaire gouvernemental de décembre dernier sur l'attractivité de la France puisque, dans certains cas, des primes d'installation ont été prévues et des modulations de contrats ont été également envisagées.

S'agissant de la nécessité de recruter des jeunes, je mettrai d'abord un bémol car, selon les disciplines scientifiques, chacun sait que le profil de carrière peut être très différent. Il paraît que l'on arrive au maximum de sa créativité à 30 ans pour les mathématiciens mais qu'en revanche, dans d'autres disciplines, on peut poursuivre jusqu'à des âges fort avancés. L'exigence du recrutement de jeunes peut donc être modulée.

Deuxièmement, nous avons effectivement dit qu'il y a peu de post docs parce que, depuis plusieurs années, le Gouvernement a préféré mettre l'accent sur les bourses de thèse. Il semble qu'un mouvement se soit déjà amorcé. En effet, la plupart des post docs actuellement en place n'est pas rémunérée sur des bourses officielles, mais sur des bourses externes.

Ce que nous souhaiterions, c'est que l'on fasse l'analyse de cette situation et que, dans la mesure du possible, on soutienne soit ce développement de bourses externes, soit qu'on le relaie par des contributions publiques.

M. Jean ARTHUIS, président - La parole est à M. Henri Revol, membre de la commission des affaires économiques.

M. Henri REVOL, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques - Je voudrais vous remercier de m'avoir invité.

Le ministre a balayé largement tout le champ de la recherche et la Cour a examiné particulièrement le domaine des EPST et de l'emploi à l'intérieur de ceux ci.

Je vous livrerai quelques constats que j'ai faits récemment, m'étant astreint à une immersion de deux journées dans des unités mixtes de recherche. En discutant avec ces équipes, la plupart des constats recoupent tout ce qui nous a été révélé jusqu'à présent.

J'en retiens particulièrement la situation matérielle très précaire des gens qui, à BAC + 10 ou BAC + 12, entrent dans une équipe de recherche et perçoivent un peu moins de 2.000 € par mois. Imaginons l'attrait que peuvent avoir à l'heure actuelle pour des jeunes gens ces postes de recherche dans notre pays !

Tous les gens avec qui j'ai été en contact ont mis en avant le fait qu'ils consacrent une partie très importante de leur temps à des tâches de gestion administrative et financière pour lesquelles ils ne sont pas préparés.

Ils ont par exemple des problèmes de respect de la loi sur les marchés publics lorsqu'ils veulent acheter un instrument. C'est très complexe pour eux. Quand ils reçoivent des crédits de l'Etat, ils doivent acquitter la TVA en cas d'achat de matériel. Cela représente 20 % en moins et on leur donne en général un contingent qui ne varie pas depuis un très grand nombre d'années. Ils ne sont pas à niveau constant, puisqu'ils payent la TVA depuis 2 ou 3 ans !

Quant à l'évaluation, elle existe, mais la sanction n'existe pas, sauf dans certains organismes comme l'INSERM, qui a commencé à mettre en place des systèmes de primes.

Enfin, le système de l'annualité budgétaire de l'Etat ne confère aucune visibilité aux laboratoires pour conduire leurs travaux, et ceux-ci s'en plaignent -à moyen terme au moins.

M. Jean ARTHUIS, président - Pourquoi n'arrivent-ils pas à se rassembler pour avoir de vrais gestionnaires qui s'occupent des marchés publics ? Comment se fait-il que l'on reste dans cette atomisation complète où chacun essaye de faire des choses qui ne sont pas dans leur vocation ?

M. Henri REVOL - Il leur manque effectivement des spécialistes.

M. Jean ARTHUIS, président - Avez-vous évoqué avec eux cette possibilité ?

M. Henri REVOL - C'est complexe parce qu'ils ont différents statuts.

M. Jean ARTHUIS, président - Ce n'est pas possible ! Vous ferez le même rapport dans cinq ans !

M. Henri REVOL - C'est un peu du bricolage.

M. Jean ARTHUIS, président - Certains affirment qu'on ne prend pas de brevets en France parce que cela coûte cher et qu'on préfère recruter du personnel ! C'est une situation aberrante !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Le problème est le coût de l'extension et de protection des brevets. Pour que ce soit intéressant dans tous ces domaines, il faut une sorte de dépôt mondial, qui coûte beaucoup plus cher. Il faut probablement développer des systèmes d'aide aux dépôts de brevets.

En ce qui concerne la gestion des laboratoires, deux ou trois choses pourraient être mises en place. Il y a un contrôle financier a priori très lourd dans les laboratoires.

M. Jean ARTHUIS, président - La LOLF va changer cela. Le contrôle a priori va disparaître -du moins je l'espère !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - En ce qui concerne le problème des marchés publics, le laboratoire n'est pas l'unité de fonctionnement dans la recherche : c'est l'équipe. Or, les équipes ne sont pas toutes forcément dans le même lieu. Ce qui est important, c'est d'avoir un mandataire administratif et budgétaire unique et, d'autre part, d'avoir, au CNRS, une gestion concomitante des AP et des CP.

M. Jean ARTHUIS, président - La parole est aux commissaires.

M. Aymeri de MONTESQUIOU, membre de la commission des finances - Je voudrais remercier le président Sallois de ce réquisitoire feutré. Je crois qu'il ne tient qu'à nous d'en faire ressortir les aspérités pour lui donner plus de rugosité.

Je suis atterré par ce que j'ai entendu ! Ne pourrait-on confier les établissements à des organismes extérieurs pour avoir un diagnostic à partir duquel on pourrait bâtir quelque chose ? On a l'impression qu'il y a une stratégie et que l'on ne peut pas parler de recherche française.

La LOLF doit être une façon de remédier au terme abominable de « rituel de l'évaluation ». C'est le meilleur antidote contre cette attitude et un des rares moyens pour obtenir des résultats. La recherche sans résultat est une recherche totalement stérile.

Même les sénateurs, en France, ne sont plus sénateurs à vie ! Il n'y a pas de raison que les chercheurs deviennent des fonctionnaires à vie !

Le ministre dit que la recherche est sous administrée ; j'ai la certitude qu'elle est sous gérée !

Un axe majeur à privilégier, c'est une coopération étroite entre les universités et les entreprises. Peut-être cela apporterait il un début de solution aux chercheurs. On comprend qu'ils veuillent être rassurés sur leur avenir, mais après ? A partir du moment où ils ont démontré leur efficacité et leur savoir faire, ils seront repérés par les entreprises qui feront partie du conseil de surveillance ou du conseil d'administration.

De même pour les brevets : s'il y a des entreprises dans le conseil d'administration de l'université, celles-ci pourront trouver tout à fait profitable de breveter une recherche et de l'exploiter.

N'y a-t-il pas là un début de solution ?

M. Yves FREVILLE, membre de la commission des finances - Le constat est accablant d'autant qu'il est exactement le même que celui que l'on pouvait formuler il y a 25 ans A l'époque, j'étais directeur de laboratoire et je siégeais au conseil d'administration du CNRS. La situation s'est plutôt aggravée.

Le problème n'est pas que des Français aillent à l'étranger mais que nous soyons incapables d'attirer des étrangers.

On a un statut qui donne des traitements moyens qui ne permettent pas de conserver du personnel d'excellence. Peut-on le faire dans le cadre du statut de la fonction publique ? Je ne le pense pas et les propositions faites en son temps par le président de l'INSERM me paraissent aller dans le bon sens.

La deuxième remarque concerne l'existence même d'un statut de chercheur. Le problème n'est pas d'avoir des chercheurs à vie mais à plein temps. A l'étranger, tout se règle entre 30 et 40 ans. A 30 ans, on a sa thèse ; en France on considère qu'à partir de là on peut recruter un chercheur. C'est faux : il n'a pas encore fait de recherche. A 40 ans, dans tous les pays étrangers, on est quasiment assuré à vie de sa situation.

Tout le problème est entre 30 et 40 ans, dans la période post doc, qui n'existe pas en France, puisque nous avons pris le parti de recruter à 30 ans des chercheurs à plein temps. Or, cela ne se passe pas du tout comme cela à l'étranger.

Nous n'avons pas voulu de post docs. Pourquoi ? Quand on a eu, dans les années 75, beaucoup de recrutements de post docs, on a créé des hors statuts qui ont été payés pendant 3 mois sur l'enveloppe de la recherche. C'est pourquoi il y a maintenant un départ énorme.

Tant que l'on ne réglera pas la question du statut entre 30 et 40 ans, on n'arrivera à rien.

Troisième remarque : on ne peut avoir un statut intermédiaire entre 30 et 40 ans que s'il y a des pistes de sortie. Or, les pistes de sortie, en France, n'existent pas dans le secteur privé parce que nous avons une autre culture, de grandes écoles, des recrutements d'ingénieurs. Aux Etats-Unis, cela fonctionne bien. Ce débouché n'existe pas en France. Nous avons donc un problème d'organisation de ce débouché.

Deuxième problème : nous sommes dans la situation de l'académie des sciences de l'URSS. Le CNRS existant avant que les universités n'aient été créées, nous n'avons pas su organiser un statut d'enseignants chercheurs qui puissent faire de la recherche. En effet, si vous faites votre nombre d'heures statutaires de professeur d'université, vous ne pouvez faire de la recherche.

Les universités comme Orsay ont pu se créer parce que les professeurs, n'ayant pas un nombre suffisant d'étudiants, ne pouvaient faire qu'un tiers de leur service d'enseignement et pouvaient donc faire de la recherche.

C'est le problème du statut du professeur d'université qui est en cause.

Je termine en disant qu'en matière d'évaluation, tous nos systèmes sont du bricolage. J'ai été président du Comité national des universités pour les sciences économiques avec 30 de mes collègues qui se réunissaient 3 jours par an pour évaluer 2.000 personnes ! Un énorme problème d'évaluation se pose et on ne pourra le résoudre dans le cadre du CNRS !

M. Maurice BLIN, membre de la commission des finances - Pourquoi la France souffre-t-elle davantage que ses voisins de ces graves défauts que vous venez de décrire avec autant de pertinence ?

Peut-être la grande tradition française veut-elle que la recherche soit une matière noble, qu'elle n'ait pas de comptes à rendre à d'autres qu'à elle même, qu'elle soit étrangère au profit et quelle ne poursuive pas de but intéressé, dans la grande tradition que nous connaissions bien, qui veut que l'intérêt général ne fraye pas avec l'intérêt particulier.

Cela me semble être une des explications de cette résistance, de cette réserve, de cet éloignement que la recherche prend à l'égard du monde profane.

Ma deuxième observation porte sur la relation entre la recherche appliquée et la recherche fondamentale. J'ai lu nombre d'articles depuis six mois disant qu'on allait assassiner l'intelligence et condamner à jamais la recherche fondamentale.

L'Amérique domine à peu près tous les secteurs de la recherche appliquée, mais aussi de la recherche fondamentale. C'est également une société organisée autour du profit et du résultat.

Pour me consoler de ce divorce auquel je n'arrive pas à me résigner, je pense à Pasteur, franc-comtois obstiné qui a découvert le microbe, mais qui a commencé par soigner la maladie du vin ou de la bière. En bon fils de tanneur, lié au sol, à la terre et aux vignes, il a commencé par répondre à des questions très concrètes que lui posaient ses collègues d'Arbois.

C'est en cherchant les solutions à des problèmes extraordinairement modestes qu'il a débouché tardivement sur la découverte du microbe.

Je me pose donc une question : vous avez parlé des chercheurs ; vous avez parlé de leur âge. Vous avez raison, mais la recherche c'est d'abord une vocation, une passion. Cela ne peut être un métier ! Or, tout ce que j'ai entendu m'a conduit à penser que « chercheur à vie » devient un vrai métier. S'il est un métier, il n'est plus rien ! Il faut qu'il soit davantage que cela.

Je donnerai un dernier exemple : en 1945, 1950, 1955, 1960, c'était l'Etat qui avait pris, sous l'égide du général de Gaulle, la recherche en mains -mais elle répondait vraiment à une sorte d'impératif physique et politique puissant. Il fallait que la France accède à un niveau de compétences internationales qui rejoignent celles des Etats-Unis. Il fallait ensuite, quand on s'est lancé dans la recherche nucléaire, que nous échappions à la dépendance vis-à-vis du pétrole.

Il y avait dans ces recherches sous la tutelle d'Etat un impératif puissant qui passionnait et l'opinion et la recherche. La biologie sera demain, aux Etats-Unis, une source formidable de profits qui leur permettra de tenir les marchés et de dominer la planète. Si cet impératif n'est pas ressenti par l'élite et par le peuple, il n'y n'aura qu'une recherche moribonde, de façade, qui remplira les articles des journaux, qui donnera beaucoup de soucis à M. le ministre et qui vaudra à la Cour des comptes de remarquables travaux, mais je ne vois de réveil que dans un changement de culture.

Actuellement, en dehors de quelques recherches menées en Aquitaine sur les problèmes posés par les reproductions en laboratoire des essais nucléaires autrefois à l'air libre, de recherches très lointaines mais vertigineuses concernant la fusion de l'atome avec ITER, pourquoi chercher et que chercher, surtout si on est indifférent au profit ?

Il est évident qu'une société privée ne fera de profits qu'avec des résultats vendables. Or, apparemment, elles ne se précipitent pas et les esprits n'y sont pas préparés parce qu'ils servent un autre ciel qui est celui de la recherche fondamentale. Y a-t-il une recherche fondamentale qui ne commence par être appliquée ?

M. Pierre LAFFITTE, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles - Je voudrais donner une note moins pessimiste sur les possibilités et l'état de la recherche française. Je suis d'accord avec les réformes et les évaluations indispensables et complexes, notamment sur la difficulté d'un statut de fonctionnaires chercheurs.

Je prendrai l'exemple de l'EPIC que constitue le CEA. C'est quand même grâce au CEA que la France est devenue numéro un mondial dans un domaine énergétique considérable et moderne nécessitant des quantités de recherches fondamentales !

Indépendamment de ce domaine d'excellence français émanant du CEA dans le secteur énergétique, je veux citer un autre domaine d'excellence qui est celui des NTIC.

Le LETI a réussi, dans la région de Grenoble, à monter un système qui fait que nous sommes dans le peloton de pointe, y compris pour les recherches pointues dans le domaine non seulement des microtechnologies, mais aussi des nanotechnologies. Par conséquent, les choses ne sont pas impossibles avec l'arsenal que nous avons.

Indépendamment des EPIC, on a d'autres possibilités. La Cour connaît l'association ARMINE, que j'ai créée il y a 40 ans, qui rémunère des personnels sous statut privé et recourt à des contrats de recherche avec des industriels. Dans cette association, nous pouvons faire venir les meilleurs américains lorsqu'on nous en avons besoin, mais nous les rémunérons au niveau qu'il convient.

Ce système qui combine structures publiques et privées est de plus en plus à la mode et, grâce notamment aux fondations, permettrait de résoudre certains problèmes graves. Quand on veut rattraper un retard, je ne connais pas d'autres méthodes que de faire venir quelques Américains, quelques Chinois ou quelques Japonais à la pointe de la recherche mondiale. La France est suffisamment attrayante par ailleurs pour que nous n'ayons pas l'obligation de leur donner des salaires américains, qui sont parfois de 400.000 dollars pour un grand scientifique.

A Sophia Antipolis, un certain nombre de nos meilleurs chercheurs viennent du MIT, puis sont ensuite passés chez Microsoft ou ailleurs, mais il y a aussi des possibilités de retour puisque nous avons plusieurs milliers de savants étrangers qui viennent travailler à Sophia Antipolis.

Ceci est impensable dans les structures universitaires ou de type EPST actuelles.

N'est-il pas possible d'obtenir un certain nombre de contractuels fléchés pour les gens de haut niveau ? Ce n'est pas dans les moeurs, mais cela pourrait y entrer dans la mesure où on arrive à développer une culture de l'excellence pour un certain nombre de pôles. Sans cette volonté, on est dépassé face à des développements rapides comme ceux de la Chine et c'est d'autant plus grave que c'est par l'innovation que l'on peut arriver à relancer l'économie !

M. Jean ARTHUIS, président - Monsieur le Ministre, une ou deux questions avant de conclure.

Depuis que vous êtes dans ce ministère qu'avez-vous fait pour donner de la consistance au pilotage des ressources humaines, pour suivre la mobilité par exemple, pour faire bouger les instruments d'évaluation ?

Quel est votre projet ministériel pour donner de la consistance à une véritable gestion des ressources humaines, en veillant à ce que ces différents établissements publics scientifiques et technologiques se dotent des instruments indispensables ?

Deuxième question : ne craignez-vous pas, si l'on reste sur des considérations assez générales, qu'à un moment donné puissent se coaguler des revendications dont on ne sort qu'en annonçant l'ouverture de crédits supplémentaires et des créations de postes ?

La seule façon de déjouer cette coagulation n'est-elle pas de développer des moyens de gestion dans chacune de ces unités pour qu'elles aient les moyens d'y voir clair et qu'elles rendent des comptes, autrement dit d'appliquer les principes généraux de la LOLF ?

Lorsqu'on évoque globalement ces questions, à chaque fois, la médiatisation aidant, on termine dans le mur. Rien ne change et le corporatisme marque quelques points supplémentaires au détriment de l'intérêt général.

La seule façon d'en sortir est vraiment de demander des comptes à chacune de ces unités ; or, l'impression que l'on a de l'extérieur est que chacun bricole dans son coin, totalement isolé.

Quelle est votre stratégie pour sortir de cette logique de revendication globale qui, finalement, isole un peu plus la recherche et l'enferme dans ses archaïsmes ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je crois qu'il est indispensable qu'il y ait dans la recherche une culture de résultats. Cela ne veut pas dire forcément une culture de résultats financiers et économiques, car il y a des domaines de la recherche qui ne se prêtent pas vraiment à une évaluation économique.

Dans le secteur des sciences humaines, par exemple, il est très difficile d'avoir des obligations de résultats. Il n'empêche qu'il peut y avoir en même temps des évaluations et il n'y a aucune raison que les sciences humaines ne connaissent pas également la possibilité d'être évaluées !

Cette culture de résultats existe intrinsèquement. Chaque chercheur a envie de trouver. C'est la passion qui l'anime et le but est d'obtenir un résultat, on ne peut le nier.

Le problème est que cette culture de résultats est insuffisante au niveau du laboratoire, de l'établissement ou des directions en ce qui concerne le CNRS.

Résultat veut dire en même temps performance. Dans la recherche, elle se mesure traditionnellement par les publications et par la bibliométrie. Il faut sans doute aller plus loin et avoir des critères supplémentaires qui viennent s'y ajouter. La LOLF est pour cela une excellente chose puisqu'on va mettre en place des objectifs et des indicateurs dans chaque établissement, qui vont être conçus pour donner un contenu à cette culture de résultats si nécessaire.

En ce qui concerne la gestion humaine, il faut donner davantage de responsabilités aux établissements car, même si nous avons un bureau qui s'occupe des emplois, celui ci ne voit pas énormément de choses quant à la politique du personnel menée par chaque établissement. Les EPST, par exemple, représentent à peu près 40.000 personnes, dont deux ou trois très grosses unités, comme le CNRS.

Nous essayons cependant de faire une analyse établissement par établissement, domaine scientifique par domaine scientifique, en tentant de trouver des solutions différenciées. En effet, l'uniformité n'est pas adaptée à la gestion de la recherche et c'est sans doute parce qu'il y a eu trop de règles uniformes en matière de gestion qu'il y a eu des détournements de procédures.

Le fait qu'existent des solutions intelligentes et astucieuses comme ARMINE montre que le système global est très opprimant, ne permet pas vraiment de liberté et que le seul moyen est de le contourner avec de telles opérations ou des associations qui, par ailleurs, pèchent par manque de statut, comme la Cour l'a souvent noté -peut être avec une peu de sévérité. Certes, quelques libertés sont prises par rapport à la comptabilité publique, mais ce sont des systèmes efficaces. Je pense qu'il faudra donc donner également un statut à toutes ces excroissances.

L'analyse précise, établissement par établissement, doit se faire au besoin par des audits menés sur les politiques de personnels, avec l'appui de la Cour. Tout cela se double d'approches particulières, établissement par établissement.

Nous voudrions un système plus souple qu'aujourd'hui. La souplesse est difficile à imposer. Il faut un consensus sur quelques points particuliers. Nous pensons qu'une meilleure gestion viendrait d'une gestion par site d'un certain nombre de questions. Il y a en France des sites d'excellence, mais qui n'ont pas de concrétisation juridique, budgétaire, évaluative, ni de valorisation.

Sophia-Antipolis, Grenoble, le plateau de Saclay sont des sites d'excellence. Il est miraculeux que cela marche, mais il est probable que cela pourrait mieux marcher et devenir un lieu de référence et d'excellence avec une gestion de site qui implique des modifications profondes dans les relations entre l'établissement central et les laboratoires. Avec une véritable décentralisation et une gestion autonome du site, je pense que nous aurions de bien meilleurs résultats, avec plus de rigueur et une plus grande efficacité.

Maurice Blin a demandé quels étaient les buts d'une politique recherche. Ils évoluent avec les années. Le premier, c'est la connaissance, qui justifie la nécessité de la recherche fondamentale. Celle ci ne débouche pas forcément sur de la recherche appliquée ou sur des applications. Elle a sa valeur intrinsèque.

Le deuxième objectif est un objectif de souveraineté, qui a correspondu à la mise en place de pans entiers de notre politique scientifique, où nous sommes excellents. Domaine nucléaire, aéronautique, espace : le niveau de la recherche française est excellent.

Aujourd'hui, cela correspond moins qu'avant à de grands programmes, mais il reste l'idée d'avoir des technologies de souveraineté dont nous avons besoin si nous voulons, même en tant qu'Européens, avoir aussi la maîtrise de certains secteurs dans l'économie.

On voit bien que technologie et puissance industrielle ou de services vont de pair. Dans l'informatique, en ce moment, le retard européen est terrible par rapport aux Etats-Unis, que ce soit dans le software ou dans le hardware, très largement parce que nous n'avons pas d'entreprises supports qui permettent une recherche.

Il y a de la recherche fondamentale sur le hardware CNA, INRIA mais il y a un problème de débouchés industriels qui pourraient utiliser cette recherche.

C'est un problème crucial pour notre avenir industriel, technologique et la localisation en Europe d'un certain nombre d'activités.

Le troisième objectif d'une politique de recherche est la valorisation de la recherche, sa diffusion et les retombées économiques. Un des grands changements est la demande sociale de recherche. Il y a relativement peu de demande sociale dans le domaine du nucléaire -encore que l'on a arrive à déboucher sur l'énergie propre- mais la demande sociale dans la santé est énorme et justifie une politique de recherche active avec, comme point de départ, une politique de recherche fondamentale, dont il est difficile d'imaginer qu'elle ne soit pas financée sur fonds publics.

Cela peut en choquer certains mais, à peu près dans tous les pays du monde, y compris aux Etats-Unis, l'essentiel de la recherche fondamentale se fait sur fonds publics. On le voit bien dans la pharmacie : vous n'aurez jamais de recherche fondamentale portant sur les maladies orphelines financée en direct par l'industrie pharmaceutique.

Cette valorisation sociale et économique de la recherche est en même temps un but pour une politique de la recherche.

Le quatrième élément est celui du rayonnement de la France. La France est un grand pays de recherche. Or, il y a comme un système d'attribut pour un grand pays de recherche et notamment celui de couvrir l'ensemble du spectre de la recherche, en particulier les sciences sociales, humaines, mais aussi les domaines plus proches du militaire et des domaines encore plus actuels que sont les sciences du vivant.

Ces quatre objectifs dessinent les objectifs généraux d'une politique de recherche.

Evidemment, la France a des faiblesses, mais nous avons aussi des résultats.

Le niveau de la recherche française est très bon dans certains domaines, mais il en est d'autres où on a pris du retard. Un bon indice, ce sont les projets financés par les PCRD européens, où les taux de retour dans le domaine du spatial ou de l'aéraulique sont autour de 40 %.

Inversement, dans les sciences de la vie, on a des taux de retour à 7 ou 8 %. Dans le cancer, on a à peu près ce niveau-là, ce qui montre bien une certaine infériorité.

Je ne suis pas sûr que ce soit celui du niveau de notre recherche, mais c'est en tout cas celui de l'organisation même de notre système.

Quant au lien avec les entreprises, toute la recherche ne peut être tournée vers l'entreprise, mais il est vrai que les entreprises qui obtiennent de meilleurs résultats sont aussi celles qui font le plus de recherche. Il y a un lien, entre croissance, dépenses de recherche et dépenses de recherche développement.

C'est pourquoi le chiffre annoncé de 3 % du PIB européen en matière de recherche est une nécessité. C'est sans doute un objectif à 2010 et on verra ce qui se passera, mais il n'est pas mauvais d'avoir une perspective. Augmenter le niveau de la recherche développement dans un pays a fatalement des retombées technologiques et des retombées en termes de localisation des entreprises.

Si on veut garder des entreprises à haut niveau de technologie en France, il faut que les centres de recherche aient les moyens et qu'ils aient une certaine attractivité. Le niveau de la recherche est en soi un atout, mais il faut y ajouter des atouts financiers.

La Cour renvoie très justement aux 35 heures dans la recherche. C'est une affaire assez peu connue. Elles touchent sans doute peu les chercheurs, qui sont des gens qui ne comptent pas leurs heures, mais pour tout le personnel qui est autour, en particulier les ingénieurs, cela a de vraies conséquences. Les 35 heures sont vraiment appliquées au CEA, au CNRS ou dans d'autres établissements, et ce n'est pas sans conséquences sur l'efficacité de notre recherche.

Concernant les liens avec l'entreprise, beaucoup de choses sont possibles : certaines existent déjà, comme ces 25 laboratoires mixtes ce qui est terriblement faible pour notre pays, il est vrai. Il y a aussi la question, qui rejoint celle des post docs, de la place des docteurs dans la hiérarchie universitaire. Dans le système des diplômes français, le docteur n'est pas reconnu comme il l'est dans à peu près tous les pays.

Est-ce une affaire de reconnaissance dans les conventions collectives comme le disent certains ? Je ne suis pas sûr que ce soit uniquement celà. Il y a aussi une question d'habitude à travailler dans l'entreprise.

Mais, pour qu'il y ait recherche, il faut aussi que les entreprises fassent un effort et aient envie de le faire. Il faut donc qu'elles acceptent de prendre un risque avec un taux de retour sur investissement qui n'est pas forcément immédiat.

Or, en France, on est dans une incompréhension par rapport à ce problème qui est terrible. On le voit sur les start-up en matière d'amorçage. Dans le tour de table sur les start-up, nous sommes en retrait par rapport aux Etats Unis. En France, on demande à une start-up en biotechnologie 15 % de taux de retour au bout de 2 à 3 ans ; aux Etats Unis, le numéro 3 de la biotechnologie est une entreprise qui a fait, en 2003, un chiffre d'affaires de 800 millions de dollars et qui a, par ailleurs, dépensé en recherche développement 1,5 milliard de dollars !

Elle a trouvé des financeurs qui n'étaient pas issus de la bourse ; ils ont accepté de porter le projet de cette entreprise et l'acceptent depuis plusieurs années. En France, on n'en est pas là. C'est donc aussi une question de culture d'entreprise et de culture du risque.

Il y a, d'autre part, des secteurs qui ont malheureusement régressé et sur lesquels il faut que l'on reprenne la main. En 1996, par exemple, les dépenses de recherche de France Télécom représentaient 4 % de son chiffre d'affaires ; aujourd'hui, elles représentent moins de 2 %.

On sait la place du secteur des télécommunications dans la recherche privée, alors que par ailleurs les nouvelles entreprises de télécommunication, comme les opérateurs de mobiles n'investissent presque rien en matière de recherche ! Pourtant, ils profitent d'une recherche qui a été faite il y a quelques années !

C'est d'autant plus grave que la nouvelle génération va arriver et qu'il y a de la recherche à faire sur les utilisations. Si elle n'est pas faite chez nous, elle sera faite au Japon ou par Nokia, en Chine. Dès lors, on sera de nouveau dans un état d'infériorité par rapport à des opérateurs essentiels dans un domaine qui est promis à une expansion fantastique.

M. Jean ARTHUIS, président - France Télécom le fera peut-être même en Chine !

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Hélas ! De même, Alcatel a quasiment complètement transféré sa technologie du téléphone en Chine. On assiste actuellement à des délocalisations de pans entiers de la recherche au niveau européen. Les multinationales le font couramment parce que l'achat sur étagère est en vogue. Il y a aussi l'externalisation. On regarde où c'est moins cher !

Il existe par exemple, dans le domaine de l'informatique, une délocalisation courante en Inde.

Tous les domaines sont atteints et à des niveaux très élevés de technologie, en particulier pour les sciences du vivant, domaine dans lequel, en Chine, les progrès sont remarquables, y compris en recherche fondamentale. Il faut donc que l'on se réveille. L'action publique est nécessaire, parce que le marché n'incitera pas les grands secteurs mondialisés à investir chez nous dans la recherche s'il n'y a pas de réaction française et européenne.

M. Jean ARTHUIS, président - Merci, Monsieur le Ministre.

Je suis tenté de vous poser une ultime question : qu'est-ce qui différencie un chercheur et un ingénieur dans un laboratoire ?

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - L'ingénieur est une sorte d'adjoint technique, bien que quelques-uns soient sortis des grandes écoles. Ce sont deux statuts différents.

M. Jean ARTHUIS, président - Le souhait de la commission est de veiller à ce que ces rapports aient une valeur ajoutée et que l'on n'empile pas les rapports les uns après les autres.

J'ai été frappé par les propos d'Yves Fréville, qui disait qu'il avait lu à peu près le même rapport il y a 25 ans. Cette espèce de fatalité dans la non gestion, l'absence de visibilité réservent peut être du suspense dans les laboratoires où on ne sait pas ce qu'on va trouver, mais les moyens publics nous sont comptés dans les arbitrages.

D'accord pour 3 % du PIB, à condition qu'il y ait un pilotage par le ministre délégué à la recherche ou alors, c'est le ministère qui est en cause ! Y a-t-il besoin d'un ministère de la recherche ? Quel est le rôle du ministère et quelle est sa valeur ajoutée ? Nous faisons confiance à François d'Aubert pour en faire la démonstration.

Merci aux magistrats de la Cour.

Après ce que l'on vient d'entendre, je crois que vous serez unanimes à souhaiter que cette communication soit publiée. Elle sera complétée par les 14 recommandations arrivées tardivement.

Peut-on dire que le ministre en aura pris connaissance et qu'il nous indiquera les suites qu'il y réserve ? Ce serait plus intéressant pour la publication.

M. François d'AUBERT, ministre délégué à la recherche - Je suis à votre disposition.

M. Jean ARTHUIS, président - Sous huitaine, donc !

La séance est levée à 19 h 20.

ANNEXES

ANNEXE 1

COMMUNICATION A LA COMMISSION DES FINANCES DU SENAT

Rapport de synthèse

sur la gestion des personnels des EPST

(période 1996-2003)

 

Octobre 2003

SOMMAIRE

INTRODUCTION 44

I. LA POLITIQUE DE L'EMPLOI SCIENTIFIQUE 47

A. LES STRUCTURES ET LES MOYENS DU PILOTAGE AU MINISTÈRE CHARGÉ DE LA RECHERCHE 47

1. L'organisation du ministère de la recherche 47

2. La coordination entre les directions du ministère de l'éducation nationale 47

3. La coordination et le conseil aux EPST en matière de gestion des ressources humaines 48

4. Les remontées d'informations vers le ministère de la recherche 49

B. LES ACTIONS MISES EN oeUVRE PAR LE MINISTÈRE DE LA RECHERCHE 49

1. L'âge moyen des chercheurs 49

2. La gestion prévisionnelle et le problème du renouvellement des personnels des EPST dans les années 2000-2010 50

3. L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) 54

C. LA FONCTION RESSOURCES HUMAINES DANS LES EPST 56

II. LA GESTION DES PERSONNELS DES EPST 57

A. LES CHERCHEURS 57

1. Le statut 57

2. Les concours de recrutement 57

3. Les post-doctorants 59

4. Les personnels rémunérés sur convention de recherche 60

5. La mobilité 60

B. LES ITA 61

1. Le rapport ITA/chercheurs 61

2. Les concours de recrutement 61

C. LA GESTION DES CRÉDITS ET LES RÉMUNÉRATIONS 63

1. Les retards de recrutement et les virements des crédits de personnel non utilisés 63

2. La rémunération des personnels dirigeants (président, directeur général, secrétaire général, directeurs...) 63

3. Les rémunérations complémentaires fonctionnelles : l'indemnité pour fonction d'intérêt collectif 64

4. Les primes de recherche 64

III. L'ÉVALUATION DES PERSONNELS 67

A. LA DÉMARCHE D'ÉVALUATION DES ACTIVITÉS DE RECHERCHE 67

B. L'ÉVALUATION DES CHERCHEURS 68

1. Caractéristiques générales 68

2. La composition des instances 68

3. La procédure 70

4. Les conséquences 70

INTRODUCTION

La Cour a, depuis quelques années, renforcé ses investigations dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Cette orientation l'a notamment amenée à publier en 1999 et en 2001 deux rapports consacrés à la fonction publique de l'Etat et, à inclure dans ses autres publications, chaque fois que cela semblait opportun, comme par exemple, dans le récent rapport d'avril 2003 relatif à la gestion du système éducatif, des analyses relatives aux ressources humaines.

En ce qui concerne la recherche scientifique publique, la Cour a déjà formulé des observations relatives à la gestion des ressources humaines dans ses rapports publics de 1999, 2000 et 2001.

Ainsi, dans le chapitre du rapport public de 1999 consacré à la gestion des établissements publics de recherche et à leurs relations avec les autorités de tutelle, la Cour faisait le constat de l'insuffisante autonomie de gestion des EPST, de la forte augmentation des dépenses de personnel, du vieillissement des équipes, et de la faible mobilité interne et externe des chercheurs.

En 2000, à l'occasion de l'examen du rôle du ministère de la recherche et des organismes de recherche dans le domaine biomédical, la Cour incitait le ministère de la recherche à consacrer une attention particulière au recrutement de jeunes chercheurs et à l'amélioration des procédures d'évaluation.

En 2001, à l'issue du contrôle du CNRS, elle relevait la faible mobilité des chercheurs, l'absence d'effet pratique de l'évaluation des travaux et l'aspect décisif pour l'avenir du renouvellement du potentiel de recherche.

Compte tenu des enjeux associés à la recherche scientifique, il a paru important d'approfondir et d'actualiser ces constats. Les politiques de ressources humaines sont en effet un élément majeur des politiques scientifiques. Les performances de la recherche scientifique sont étroitement liées à la qualité des ressources humaines auxquelles elle fait appel et en premier lieu à celle de ses chercheurs (même si certains domaines de la science sont de plus en plus dépendants d'équipements techniques).

La Cour a étudié plus spécifiquement la gestion des ressources humaines, pendant la période 1996-2002, dans les neuf établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST), en complément du dernier cycle de contrôle de ces organismes (intervenu entre 1996 et 2000), ainsi que l'organisation et le fonctionnement de la tutelle exercée par le ministère chargé de la recherche. Le présent document fait la synthèse de ces différentes enquêtes et des réponses apportées par le ministère aux observations de la Cour.

Tableau n° 1 :   Liste des EPST

 

Dénomination

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts

INED

Institut national d'études démographiques

INRA

Institut national de la recherche agronomique

INRETS

Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité

INRIA

Institut national de recherche en informatique et automatique

INSERM

Institut national de la santé et de la recherche médicale

IRD (ex ORSTOM)

Institut de recherche pour le développement

LCPC

Laboratoire central des ponts et chaussées

La Cour poursuivra ses travaux en examinant les mesures prises par les établissements au vu de ses premières séries d'observations, lors du nouveau cycle de contrôle ouvert en 2003, qui se poursuivra en 2004 et 2005 et sera étendu à deux établissements publics à caractère industriel et commercial qui ont pour mission d'effectuer des recherches scientifiques : le CIRAD 2 ( * ) et l'IFREMER 3 ( * ) . Elle vient également d'engager une enquête sur la recherche universitaire qui devrait s'achever au printemps 2005 et qui l'amènera à examiner plus particulièrement, sous cet angle, la gestion des enseignants chercheurs.

Les EPST représentent une large part de l'effort de recherche et développement public. En 2000, ils ont réalisé environ 37 % des dépenses totales et employaient 34 % des effectifs (soit 45 891 personnes 4 ( * ) ) affectés à la recherche publique civile 5 ( * ) .

Ils sont régis par des dispositions communes édictées, en particulier, par la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France. Ils constituent, néanmoins, un ensemble hétérogène regroupant des entités de taille, de finalités et d'organisation très différentes. Chacun d'entre eux dispose d'un statut particulier, qui bien que respectant les principes généraux édictés par la loi du 15 juillet 1982, comporte des dispositions propres, notamment quant au rôle et la répartition des compétences entre les différentes instances. L'organisation mise en place par chaque établissement pour son fonctionnement et sa gestion est également spécifique, compte tenu notamment de la taille, du nombre et de la dispersion géographique des différentes unités de recherche et des liens plus ou moins étroits entretenus avec d'autres institutions (ministère de tutelle, universités....).

Les statuts des personnels de ces établissements sont établis sur le même modèle à partir des principes et règles édictés par la loi de 1982 et le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des EPST.

Les EPST ont recruté massivement comme toute la recherche publique dans les années 60 et 70. Les rythmes de recrutement ont été, en revanche, très ralentis dans les années 80 et 90. Cette irrégularité dans les flux de recrutement produit différentes conséquences. Les chercheurs publics français de l'enseignement supérieur et des EPST sont aujourd'hui parmi les plus âgés du monde (leur âge moyen, en 2000, était de 47 ans 6 ( * ) ). Les EPST connaîtront à partir de 2005 des flux de départs importants. Sur la période 2005-2012 c'est environ 50 % des chercheurs actuellement en poste qui quitteront leurs fonctions.

Une telle perspective, très favorable à un redéploiement des moyens en fonction de nouvelles orientations stratégiques, pose le problème du renouvellement du potentiel de recherche qui s'inscrit dans un contexte d'incertitude sur l'efficacité de la recherche publique française, de structuration de la recherche scientifique au niveau européen et dans le cadre d'une compétition internationale grandissante. Dans le même temps, la désaffection pour les études scientifiques réduit les ressources humaines disponibles. Les recrutements qui vont intervenir dans la recherche scientifique au cours de la prochaine décennie constituent donc à la fois un défi par leur ampleur, en même temps qu'une opportunité de réorientation en faveur des champs disciplinaires considérés comme prioritaires et d'adaptation aux nouvelles conditions de la production scientifique.

Ces considérations justifient une réflexion sur les conditions de la gestion des ressources humaines dans les EPST et sur la manière dont sont abordés et éventuellement anticipés les recrutements et changements à venir.

Les observations de la Cour portent sur la politique de l'emploi scientifique, la gestion des ressources humaines, et l'évaluation des personnels.

I. LA POLITIQUE DE L'EMPLOI SCIENTIFIQUE

Au regard des enjeux qui viennent d'être évoqués, les structures responsables tant de la définition des politiques de ressources humaines que de leur mise en oeuvre paraissent insuffisantes, à la fois du point de vue de leur organisation, comme en ce qui concerne les instrument de pilotage. Il faut probablement y voir une cause de la faiblesse des initiatives prises en matière de politique de l'emploi scientifique pendant la période étudiée. L'action essentielle a consisté dans la préparation d'un plan décennal de l'emploi scientifique à caractère quantitatif et qualitatif, adopté à la fin de 2001 et abandonné en 2003 après seulement un an de mise en oeuvre.

Les compétences relatives aux ressources humaines des EPST sont partagées entre le ministère chargé de la recherche et les établissements. Le ministre chargé de la recherche a un rôle général de définition des politiques et des cadres juridiques et statutaires, ainsi que de tutelle à l'égard des établissements. En revanche, son rôle est marginal dans la gestion administrative de ces personnels 7 ( * ) . Cette dernière est largement de la compétence des établissements eux-mêmes 8 ( * ) , qui au travers notamment des recrutements, de l'évaluation ou des pratiques indemnitaires disposent d'espaces de liberté qui permettent d'orienter les politiques de ressources humaines.

A. LES STRUCTURES ET LES MOYENS DU PILOTAGE AU MINISTÈRE CHARGÉ DE LA RECHERCHE

1. L'organisation du ministère de la recherche

Entre 1997 et le début de l'année 2000, aucune structure administrative n'était chargée des questions de ressources humaines et aucune expertise n'était présente au sein de l'administration centrale du ministère de la recherche.

Au milieu de l'année 2000, un directeur de projet a été nommé afin de préparer le plan décennal pour l'emploi scientifique. Mais ce n'est qu'en avril 2002, que l'embryon d'une structure administrative destinée à suivre d'une manière plus générale les questions de ressources humaines dans la recherche publique a été créé avec la nomination d'un chargé de mission auprès du sous-directeur chargé des organismes de recherche et de la coordination de la politique de recherche. Cette évolution a été confirmée, en 2003, par la création d'un bureau de l'emploi scientifique.

2. La coordination entre les directions du ministère de l'éducation nationale

Les questions statutaires relatives aux personnels des EPST font intervenir plusieurs directions du ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche : direction des personnels enseignants pour les chercheurs, direction des personnels, de la modernisation et de l'administration pour les ingénieurs et techniciens, direction des affaires financières et direction des affaires juridiques. L'organisation mise en place répond à une logique de spécialisation technique : instruction par la direction gestionnaire du corps, validation par la direction des affaires juridiques et coordination statutaire avec les autres ministères assurée par la direction des affaires financières.

En pratique, cet ordonnancement complexe fonctionne mal 9 ( * ) . Les questions relatives aux personnels des EPST sont relativement marginales par rapport aux compétences des directions concernées relatives aux personnels de l'éducation nationale.

L'éclatement des responsabilités entre directions du ministère de l'éducation nationale et du ministère de la recherche suppose, au minimum, qu'une structure spécifique dispose d'une vision et d'une compétence d'ensemble sur les personnels de recherche afin d'assurer une coordination indispensable entre les différents intervenants. Il paraît logique que cette responsabilité soit assurée par l'administration du ministère chargé de la recherche. Mais en l'absence d'une telle compétence, au sein des directions de la recherche ou de la technologie, cette fonction de coordination n'était plus réellement assumée jusqu'en avril 2002, sauf ponctuellement lorsque le directeur de la recherche, son adjoint ou éventuellement le cabinet du ministre se saisissait d'un dossier.

Le ministère de la recherche reconnaît d'ailleurs à ce sujet que « ce fonctionnement devient très difficile lorsque les directions de la recherche et de la technologie ne disposent pas d'interlocuteur unique et qu'elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer la maîtrise d'ouvrage des dossiers. C'est particulièrement le cas dans le domaine de l'emploi scientifique et de la gestion des personnels statutaires de la recherche(...) Le regroupement dans une structure unique et identifiable des compétences en matière de maîtrise d'oeuvre aujourd'hui dispersées dans trois directions s'agissant des corps de chercheurs et d'ITA aurait rendu le traitement des dossiers plus facile ».

3. La coordination et le conseil aux EPST en matière de gestion des ressources humaines

Le rôle de coordination générale du ministère de la recherche à l'égard des EPST s'étend naturellement aux questions de ressources humaines. Cette fonction est assurée par des réunions régulières des différents responsables (directeurs généraux et secrétaires généraux) autour du directeur de la recherche ou du sous-directeur chargé de la sous direction des organismes de recherche et de la coordination des politiques de recherche. Cependant, entre 1997 et mars 2002, pour les raisons précédemment évoquées le ministère de la recherche ne pouvait pas s'appuyer sur les compétences nécessaires pour assumer cette fonction.

Ainsi, en matière d'automatisation de la gestion des ressources humaines, chaque EPST a développé ou acheté ses propres logiciels de manière insuffisamment concertée. Par conséquent les produits et solutions retenues sont spécifiques à chaque établissement alors que la plupart des problèmes de gestion des ressources humaines sont identiques dans tous les EPST et que le recours à des solutions informatiques communes aurait vraisemblablement permis une économie de moyens.

Dans le cadre de sa fonction de coordination, le ministère de la recherche n'a que fort peu incité les EPST à collaborer entre eux.

4. Les remontées d'informations vers le ministère de la recherche

Les EPST produisent mensuellement à l'intention du contrôle financier des tableaux d'évolution des effectifs et de l'occupation des emplois budgétaires. En dehors de ces documents, les remontées régulières d'informations relatives aux ressources humaines en direction du ministère de la recherche sont très limitées. Une question importante comme la mobilité des chercheurs ne fait l'objet d'aucun suivi précis faute d'informations quantitatives et qualitatives fiables et actualisées.

Dans le cadre de la mise en oeuvre des contrats pluriannuels, les EPST devraient désormais transmettre annuellement des indicateurs de suivi notamment dans le domaine des ressources humaines. Mais en réalité, à l'exception de l'INRIA 10 ( * ) , ces indicateurs n'ont pas été définis précisément, voire sont absents des contrats d'établissement et le ministère ne s'est pas préoccupé, jusqu'à présent, d'obtenir l'élaboration d'indicateurs homogènes et comparables entre les établissements.

B. LES ACTIONS MISES EN oeUVRE PAR LE MINISTÈRE DE LA RECHERCHE

Les faiblesses de l'organisation en matière d'emploi scientifique contribuent probablement à expliquer la modestie des initiatives prises et notamment le retard avec lequel le ministère de la recherche s'est saisi de la question cruciale du renouvellement du potentiel scientifique.

1. L'âge moyen des chercheurs

L'âge moyen des chercheurs des EPST s'établit à 47 ans en 2000. Cette situation considérée comme particulièrement insatisfaisante a fait l'objet à diverses reprises de déclarations et de mesures visant à rajeunir la recherche publique. C'était notamment l'un des objectifs affichés dans les conclusions de la réunion du CIRST du 15 juillet 1998, qui précisait d'ailleurs que les mécanismes destinés à favoriser le rajeunissement des personnels de recherche devaient figurer dans les contrats pluriannuels passés avec les établissements de recherche. Plus récemment dans le cadre du plan décennal 2001-2010 pour l'emploi scientifique, le ministère de la recherche s'assignait l'objectif de recruter les chercheurs à un âge plus précoce et de les intégrer plus rapidement à l'appareil de recherche publique.

Ces orientations ont été démenties, jusqu'à présent, par l'évolution des statistiques relatives à l'âge moyen des chercheurs des EPST qui passe de 45,8 ans en 1996 à 47 ans en 2000 (source OST) 11 ( * ) . On peut également constater que l'âge moyen de recrutement reste stable pour les directeurs de recherche (46 ans au CNRS) et augmente pour les chargés de recherche de deuxième classe (29,9 ans en 1996 au CNRS et 30,4 ans en 2000).

La mise en place, en 2003, d'un dispositif permettant le recrutement sur contrats à durée déterminée de jeunes chercheurs post-doctorants par les établissements publics de recherche est présentée par le ministère de la recherche comme susceptible de contribuer à la réduction de l'âge moyen des chercheurs. Le nombre de créations intervenues en 2003 (361 pour les EPST, soit 2 % de l'effectif des chercheurs de ces établissements) limitait l'impact de ce type de mesure. Les perspectives annoncées dans le cadre de la loi de finances pour 2004  (750 contrats nouveaux destinés à de jeunes chercheurs), si elles sont confirmées pour le futur, sont de nature à réduire de manière plus significative cette moyenne d'âge.

2. La gestion prévisionnelle et le problème du renouvellement des personnels des EPST dans les années 2000-2010

Le souci de l'amélioration de l'efficacité de l'administration, associé à l'évolution démographique, a amené l'Etat à se préoccuper de gestion prévisionnelle des effectifs, des emplois et des compétences. Le comité interministériel pour la réforme de l'Etat (CIRE) du 12 octobre 2000 avait souligné l'importance « d'une adaptation programmée de l'administration à l'évolution de ses missions », dans un contexte ou la moitié des agents publics actuellement en poste partiront à la retraite dans les quinze années à venir. Le CIRE a décidé que chaque ministère devra être doté d'un plan de gestion prévisionnelle.

En ce qui concerne la recherche publique, cette décision avait été anticipée par le comité interministériel de la recherche et technique (CIRST), en juillet 1998, qui avait décidé que « la situation actuelle de vieillissement des population de chercheurs et d'enseignants chercheurs et les renouvellements importants qui vont s'opérer à partir des années 2000 imposent l'élaboration d'une stratégie pluriannuelle de recrutement... ».

L'action du ministère de la recherche s'est inscrite dans le prolongement de ces orientations. Les études et réflexions menées avec l'aide de l'OST ont abouti, en octobre 2001, à l'adoption d'un plan décennal de l'emploi scientifique qui a connu un début d'application en 2001 et 2002, mais a été abandonné dès 2003 au profit de nouvelles orientations.

a) Le problème du renouvellement des personnels des EPST
(a) L'augmentation progressive des départs à la retraite dans les années à venir

Comme l'ensemble de la fonction publique française, la recherche scientifique va connaître une progression sensible des départs à la retraite correspondant aux forts contingents recrutés dans les années 60. Cet effet a commencé à se faire sentir en 2000 et s'amplifie depuis 2001.

Ainsi, le taux annuel de départ en retraite qui était de 2,1 % en 2000 pour l'emploi scientifique (EPST et enseignement supérieur), doit augmenter progressivement pour atteindre 3 % en 2005 et 3,5 % en 2009. Les seuls départs à la retraite vont conduire à un renouvellement du potentiel humain de la recherche scientifique de 13,1 % pour 2001-2005 et de 29,6 % pour la période 2001-2010 (données OST).

Pour les EPST seuls les taux sont un peu moins élevés :

- le taux de départ en retraite doit passer de 1,8 % en 2000, à 2,7 % en 2005 et à 3,2 % en 2009,

- sur l'ensemble de la période 2001-2005, le taux de départ en retraite des chercheurs des EPST sera de 12,1 % et de 26,9 % sur la période 2001-2010.

(b) Les spécificités par établissement

En raison des différences de rythmes et de conditions de recrutement constatées dans le passé, les taux comme les rythmes de départ varient sensiblement en fonction des organismes, comme d'ailleurs entre les disciplines. Ils sont plus importants au CNRS qu'à l'INRA et à l'INSERM. Certains comme l'INSERM et l'INRA connaissent un maximum de départs vers 2010, d'autres connaissent deux pics de départ sur la période 2001-2010 comme le CNRS (3,2 % en 2004 et 3,6 % en 2009) et l'IRD (3,2 % en 2004 et 3,4 % en 2008). Enfin l'INRIA, organisme plus jeune, conserve des taux de départ faibles jusqu'en 2010.

Tableau n° 2 :   Prévisions de départ à la retraite dans les EPST

 

2001-2005

2001-2010

CNRS

13,3%

28,7%

INRA

10,6%

23,5%

INSERM

8,9%

23,2%

IRD

13,2%

27,4%

Autres EPST

7,8%

18%

Tous EPST

12,2%

26,9%

En ajoutant aux départs en retraite prévus, les départs provoqués par d'autres causes (démissions, décès...) on arrive à un taux de départ total de près de 40 % des effectifs actuels pour la période 2001-2010 et de l'ordre de 50 % pour la période 2001-2012.

Tableau n° 3 :   Prévisions des départs totaux dans les EPST

 

2001-2005

2001-2010

CNRS

20,3%

42,5%

INRA

15,5%

33,2%

INSERM

11,8%

28,8%

IRD

22,2%

45,9%

Autres EPST

18,1%

37,5%

Tous EPST

18,7%

39,7%

(c) La diminution du nombre de docteurs

Cette progression des départs en retraite se produit au moment où plusieurs facteurs se conjuguent pour réduire le vivier susceptible de permettre le renouvellement des chercheurs. La stagnation du nombre d'étudiants pour des raisons démographiques, au cours des prochaines années, est accentuée par la désaffection à l'égard des disciplines scientifiques et par le mouvement de réduction du nombre des thésards au profit d'études plus courtes ouvrant sur des débouchés professionnels plus directs.

(d) La nécessité de renforcer certains champs disciplinaires

Certains champs disciplinaires considérés comme prioritaires à la suite du CIRST du 1 er juin 1999 doivent obtenir des moyens accrus à la fois par affectation de postes nouvellement créés et par redéploiement d'emplois en provenance d'autres disciplines. Il s'agit notamment :

- des sciences et technologies de l'information et de la communication,

- et des sciences de la vie,

auxquelles le ministre de la recherche a ajouté, en 2000, l'environnement, l'énergie et le développement durable.

La prise en compte de ces priorités dans la gestion prévisionnelle des emplois scientifiques paraît à ce jour mal assurée.

b) Le plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique

Lors du Conseil des ministres du 24 octobre 2001, le ministre de la recherche a présenté un plan décennal de gestion prévisionnelle et pluriannuelle de l'emploi scientifique. Ce plan fondé sur les travaux de l'OST (observatoire des sciences et techniques) a été préparé dans une perpective globale prenant en compte l'évolution de l'ensemble de l'appareil de recherche public au-delà des seuls EPST. Les complémentarités entre ces derniers et les universités, compte tenu des contraintes de créations de postes résultant des prévisions spécifiques aux activités d'enseignement supérieur, ont en particulier été prises en considération.

Le plan prévoyait ainsi :

- 1 000 créations d'emplois (500 chercheurs et 500 ITA) dans les EPST de 2001 à 2004, à la fois pour anticiper les départs en retraite et renforcer durablement l'appareil de recherche publique ; deux cents postes devaient être rendus après 2005, pendant les années de fort taux de départ des chercheurs ; le nombre de créations nettes pour l'ensemble du plan était donc de 800 emplois ; cinq cents créations de postes ont été effectivement inscrites aux budgets de 2001 et de 2002, les cinq cents autres créations devaient intervenir en 2003 et 2004 ;

- des redéploiements d'emplois égaux à 20 % des départs en retraite, en fonction des priorités scientifiques, soit 200 postes de chercheurs de 2001 à 2004.

Les créations d'emplois et les redéploiements auraient dû permettre le renforcement des champs scientifiques prioritaires : les sciences du vivant (400 postes), les sciences et technologies de l'information (275 postes) et les recherches sur l'environnement, l'énergie et le développement durable (100 postes).

c) Les insuffisances de la démarche prévisionnelle du ministère de la recherche

Le plan décennal 2001-2010 constitue certes une tentative de mise en oeuvre d'une démarche prévisionnelle en matière de ressources humaines et de réponse aux évolutions démographiques et scientifiques attendues au cours de la prochaine décennie. Toutefois, et bien qu'il s'agisse du premier document de ce type établi par un ministère, le caractère très tardif de l'exercice doit être souligné 12 ( * ) . Les problèmes de déséquilibre démographique de la recherche publique pouvaient être prévus de longue date et auraient dû être traités très antérieurement.

En second lieu, l'absence de réelle prise en compte des effets de la mise en oeuvre de l'ARTT, qui ne sont évoqués à aucun moment dans le texte final du plan 13 ( * ) , constitue une lacune importante dans l'appréciation de l'évolution du potentiel humain des EPST.

Enfin, le programme de créations d'emploi du plan décennal a été abandonné de fait en 2003.

d) L'abandon du plan décennal et les nouvelles orientations du ministère de la recherche

Les lois de finances votées pour 2003 et en projet pour 2004 confirment l'abandon du plan décennal. La loi de finances pour 2003, loin de procéder aux créations prévues dans ce dernier, a décidé la suppression de 51 emplois budgétaires dans les EPST, tandis que le projet de loi de finances pour 2004 est établi à partir d'une hypothèse de maintien global de l'emploi scientifique.

En revanche, de nouvelles orientations destinées à favoriser la flexibilité dans le recrutement, notamment le recrutement de jeunes chercheurs contractuels, sont annoncées. Il s'agit essentiellement de la mise en place de contrats (400 en 2003 et 200 en 2004) destinés à accueillir spécifiquement de jeunes chercheurs ayant terminé leur thèse (post-doctorants), de l'utilisation d'emplois budgétaires de chercheurs titulaires libérés pour gager le recrutement de jeunes chercheurs contractuels sur CDD de 3 à 5 ans (550 recrutements sont prévus à ce titre) et de la possibilité donnée aux EPST de recruter des chercheurs contractuels sur ressources propres.

Cette politique ne devrait pas, cependant, se limiter à des créations d'emploi de contractuels. Elle devrait être associée à une réflexion sur la gestion des contrats et de leurs bénéficiaires afin que les recrutements soient intégrés dans une politique d'ensemble de l'emploi scientifique permettant d'assurer l'évolution de la carrière des chercheurs et éventuellement leur départ pour ceux d'entre eux qui n'ont pas vocation à demeurer dans la recherche publique.

3. L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT)

L'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) ont été mis en oeuvre à partir du 1 er janvier 2002 14 ( * ) dans les EPST. Comme dans le reste de la fonction publique cette réforme se traduit par une diminution d'environ 10 % du temps de travail statutaire qui passe à 1 600 heures annuelles. Les textes réglementaires offrent diverses possibilités de répartition de cet horaire au cours de l'année en fonction des conditions de fonctionnement des établissements et unités de recherche.

Cette mise en oeuvre a été effectuée à nombre d'emplois constant, les arbitrages intervenus ayant conduit à considérer que le nouveau régime de travail n'avait aucune incidence réelle sur l'activité des chercheurs et qu'il devait être compensé par un accroissement de la productivité pour les ITA. Par ailleurs, le versement d'indemnités pour travail supplémentaire n'est pas prévu en ce qui concerne les chercheurs et n'est possible que dans des limites extrêmement modestes pour les ITA, compte tenu des pratiques suivies par les EPST 15 ( * ) .

En fait, aucune étude précise n'a été menée par le ministère de la recherche pour mesurer l'incidence réelle de l'ARTT. Au-delà des déclarations de principe, les responsables ne semblent pas en mesure d'expliquer en quoi consiste une augmentation de la productivité dans la recherche scientifique 16 ( * ) . La question de la mise en oeuvre de l'ARTT et de ses effets sur les ressources humaines et les capacités productives de la recherche publique (dans les EPST) a été négligée et certaines options retenues par le ministère de la recherche sont contestables.

Il n'est probablement pas irréaliste, en ce qui concerne les chercheurs, de considérer que l'incidence réelle de la mise en oeuvre de l'ARTT est, à court terme, faible. En effet, si les dispositions réglementaires s'appliquent indifféremment aux chercheurs et aux ITA, l'exercice du métier de chercheur ne répond pas forcément à une logique d'horaires réguliers et cadrés et l'on peut postuler un maintien spontané du temps consacré à leurs travaux pour une large partie d'entre eux. Cette attitude risque néanmoins de ne pas être générale et l'on peut s'interroger sur l'éventualité d'un alignement des pratiques d'une partie des chercheurs sur celles de leur environnement, en particulier lorsque la mise en oeuvre de l'ARTT se traduit par des jours de congés supplémentaires, éventuellement liés à une fermeture de l'établissement.

L'incidence sur les personnels ITA est en revanche immédiate et significative. Dans les EPST (CEMAGREF, INRETS, LCPC) où les trente neuf heures hebdomadaires étaient effectivement pratiquées avant le début de 2002, l'ARTT se traduit par une diminution de 10 % du nombre d'heures hebdomadaire. Sur une année, la réduction peut être un peu inférieure compte tenu d'éventuelles prises en compte de jours de congés du régime antérieur dans les jours dits RTT. Une étude menée au CEMAGREF conclut ainsi que la mise en place de l'ARTT se traduit par un passage d'un temps de travail annuel de 1 747 heures à 1 600 heures, soit une réduction de 8,4 %.

Dans d'autres établissements, en particulier le CNRS et l'INSERM, la pratique était plus complexe. Les trente neuf heures hebdomadaires étaient en règle générale respectées dans les services du siège, et certaines délégations ou administrations régionales. En revanche, la situation réelle variait en fonction des unités de recherche. Dans la plus grande partie d'entre elles, notamment celles installées dans des établissements universitaires (cas de plus de 80 % des unités du CNRS), ce sont les usages de ces dernières qui prévalaient. C'est à dire que dans nombre d'unités les horaires annuels étaient déjà de l'ordre de 1 600 heures annuelles (et parfois même inférieurs).

Dans ces conditions, la mise en oeuvre de l'ARTT aurait pu conduire à la régularisation d'une situation de fait et ne pas entraîner une réduction du volume de travail. Mais les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle réglementation, au début de l'année 2002 dans les universités, conduisent à des conclusions différentes.

Le régime de travail relatif aux établissements relevant du ministère de l'éducation nationale a fait l'objet d'un arrêté du 15 janvier 2002 et d'une circulaire ministérielle du 21 janvier 2002. Or, certaines dispositions de la circulaire (notamment la comptabilisation de jours fériés comme jours de travail effectifs) permettent de faire descendre les horaires annuels nettement au-dessous des 1 600 heures réglementaires annuelles (environ 1 480 heures en cumulant les options les plus généreuses).

La pratique autorisée par le ministre de l'éducation nationale risque de se généraliser rapidement dans certaines unités de recherche des EPST installées dans les universités, entraînant une réduction significative du temps de travail réel des ingénieurs et techniciens.

Dans ces conditions on peut craindre que la mise en oeuvre de l'ARTT aboutisse à une diminution significative du potentiel humain des EPST au moins en ce qui concerne les ITA. Si cette réduction est certainement inférieure à la réduction théorique de l'ordre de 10 % de la durée du travail (soit l'équivalent de 2 700 emplois pour les personnels ITA), elle est cependant susceptible d'avoir une ampleur supérieure aux créations d'emplois intervenues depuis une dizaine d'années et à celles qui étaient prévues dans le cadre du plan décennal 2001-2010 de l'emploi scientifique (400 créations d'emplois nettes, qui ne correspondent qu'à 1,5 % des effectifs actuels d'ITA dans les EPST).

C. LA FONCTION RESSOURCES HUMAINES DANS LES EPST

Si elle s'exerce dans des cadres réglementaires précis et souvent trop rigides, la gestion des ressources humaines (recrutements, évaluation et indemnités) dépend néanmoins des établissements. Les recrutements et les évaluations présentent la particularité pour les chercheurs de faire intervenir de manière importante et parfois décisive des représentants (en partie élus) de la communauté scientifique.

Le système assure globalement de manière satisfaisante les tâches d'administration des personnels, mais les modes d'organisation et de gestion révèlent des lacunes dont se font notamment l'écho les plans stratégiques des établissements.

Les derniers documents stratégiques quadriennaux, dont presque tous les établissements se sont désormais dotés en préalable ou en accompagnement des contrats d'objectifs signés avec les autorités de tutelle, intègrent des préoccupations relatives aux ressources humaines. Ces documents font le diagnostic des insuffisances de la gestion des personnels des EPST : adaptation et renouvellement des compétences, gestion prévisionnelle, gestion des carrières, évaluation, mobilité, formation, communication et dialogue interne. Il est positif que les établissements prennent conscience aux travers de leurs travaux d'analyse stratégique de l'importance d'une gestion des ressources humaines qui vienne étayer la démarche de prospective purement scientifique, mais l'analyse des documents stratégiques permet également de mesurer l'ampleur des améliorations à apporter.

Les lacunes principales concernent les délais de recrutement et de remplacement interne des agents, le suivi de carrière des agents, les instruments de gestion et les systèmes d'information et de contrôle, ainsi que des pratiques d'évaluation des personnels, de politique indemnitaire et d'organisation de certains concours qui vident en partie de leur contenu, dans plusieurs établissements, les dispositifs mis en place par les textes. De fait la gestion prévisionnelle des ressources humaines est, en général, à l'état embryonnaire.

En ce qui concerne les instruments de pilotage, les systèmes de contrôle de gestion sont assez peu développés dans les EPST. Aucun d'entre eux ne produit, au-delà des bilans sociaux annuels, de tableau de bord de pilotage spécifique pour la fonction ressources humaines. En revanche, dans plusieurs établissements, des indicateurs de personnel sont régulièrement suivis et des tableaux de bords plus généraux (destinés à la direction générale de l'établissement), intègrent des indicateurs relatifs aux ressources humaines. Néanmoins certaines données qu'il serait nécessaire de suivre afin de disposer d'informations fiables pour conduire une politique des personnels sont absentes ou parcellaires. Il en est ainsi notamment des informations concernant la mobilité, ou les personnels non rémunérés par les établissements dans les laboratoires. Les données relatives à l'évaluation ne sont pas suffisamment exploitées par les services des ressources humaines et ne donnent pas lieu à l'élaboration d'indicateurs synthétiques exploitables par une direction générale.

II. LA GESTION DES PERSONNELS DES EPST

A. LES CHERCHEURS

1. Le statut

Les statuts de fonctionnaires dont bénéficient les personnels des EPST contribuent à donner une sécurité et une liberté d'esprit et de créativité aux chercheurs, tout en permettant, dans l'ensemble, des recrutements de qualité, du moins tant que l'université produit suffisamment de docteurs. Mais ces statuts, largement identiques en ce qui concerne leurs caractéristiques essentielles, pour l'ensemble des disciplines scientifiques (même si les textes spécifiques à chaque établissement ont permis d'introduire ponctuellement des aménagements mineurs) comportent des systèmes de recrutement, de promotion, et de rémunération affectés de lourdeurs et rigidités (parfois renforcées par les pratiques des établissements). De cette uniformité de régime, résulte notamment une insuffisance de prise en compte des responsabilités et des performances individuelles ainsi que des éventuelles spécificités propres à certaines disciplines.

Par ailleurs, la formule statutaire inscrit les chercheurs dans une perspective de carrière d'une quarantaine d'années alors que l'activité de recherche évolue sensiblement avec les âges de la vie : temps de formation, temps de création, temps d'animation et de gestion d'équipes. S'il est souhaitable qu'un grand nombre de chercheurs puisse tirer profit de l'investissement consenti par la nation pour les former « à et par la recherche » dans les EPST et les universités, il n'est pas établi qu'il soit de bonne gestion de prévoir que tous doivent ensuite exercer leur travail de recherche dans les EPST. Au moment où la perspective de renouvellement du potentiel scientifique permet d'envisager une plus grande diversité des formes d'emploi (statutaire, contractuel, post-doctorants), la Cour estime souhaitable que le Parlement et la communauté scientifique débattent d'une gestion équilibrée des différentes formes d'emploi qui rendrait l'appareil public de recherche capable notamment d'accueillir un plus grand nombre de jeunes chercheurs.

2. Les concours de recrutement

Le recrutement des chercheurs est un acte essentiel dans la conduite et la gestion de la recherche scientifique. Les orientations et les performances de la recherche future dépendent directement de la pertinence et de la qualité des recrutements opérés.

L'importance des choix en matière de recrutement est accentuée par la rigidité des statuts régissant la carrière des personnels. C'est le cas dans les EPST où les chercheurs recrutés par concours vont travailler dans la recherche publique pendant une durée moyenne de plus de trente ans.

La spécificité du système français (notamment en Europe) est de recruter des chercheurs fonctionnaires relativement jeunes et de leur offrir d'emblée des garanties de carrière de longue durée. Cette situation, qui existe dans l'ensemble de la fonction publique, suscite un débat plus âpre dans le domaine de la recherche en raison des enjeux attachés à cette activité, notamment en termes d'impact sur le développement économique et social.

Les textes relatifs aux chercheurs des EPST permettent d'organiser les concours de recrutement en adoptant des dispositions spécifiques par rapport aux règles habituelles de la fonction publique.

C'est ainsi que la loi n° 82-772 du 25 juillet 1982, précitée, autorise le recrutement de personnes n'ayant pas la nationalité française et que le décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983, fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des EPST, permet notamment, contrairement à ce qui existe habituellement pour les autres corps de fonctionnaires, d'ouvrir les concours de recrutement de chercheurs simultanément à l'ensemble des candidats (internes et externes).

Malgré les aménagements apportés aux concours de recrutement des chercheurs dans les EPST par rapport aux règles généralement en vigueur dans la fonction publique, différentes difficultés demeurent et certaines dispositions particulières introduisent des contraintes spécifiques.

a) La composition des jurys de concours

Aux termes des articles 21 (pour les chargés de recherche) et 43 (pour les directeurs de recherche) du décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983, la constitution des jurys d'admissibilité est très contrainte, puisqu'ils sont normalement constitués des seules personnes qui appartiennent à l'instance d'évaluation de l'établissement compétente pour la discipline dans laquelle les emplois sont mis au concours, et ont un rang au moins égal à celui des emplois à pourvoir 17 ( * ) .

Cette contrainte a été atténuée dans différents EPST par les textes qui complètent le décret du 30 décembre 1983. Au CNRS, à l'INSERM, l'IRD, et à l'INRIA, le jury peut également comprendre des membres de l'instance d'évaluation ayant le même rang que celui des candidats (et non plus seulement ceux ayant au moins le rang des postes à pourvoir). Au CEMAGREF, à l'IRD, l'INRA, et l'INRIA les jurys d'admissibilité peuvent être complétés (dans des proportions et selon des modalités variables selon les EPST) par des personnalités ou experts extérieurs à l'instance d'évaluation sur décision du directeur général (après avis du conseil scientifique de l'établissement, ou du président de l'instance d'évaluation pour l'IRD).

Ces aménagements ne sont cependant pas totalement satisfaisants. En premier lieu, aucun assouplissement n'a été apporté aux statuts des personnels de l'INED, du LCPC et de l'INRETS. En second lieu, l'élargissement de la composition des instances d'évaluation aux personnes ayant un niveau égal à celui des candidats, outre le fait qu'il s'agit d'une ouverture limitée, signifie qu'un membre de jury peut avoir à porter un jugement sur un concurrent passé ou futur.

Le nombre limité d'experts qui sont amenés ainsi à intervenir fait peser un risque de cooptation sur les concours organisés dans différents EPST.

b) La prise en compte des expériences antérieures au recrutement

Pour tenir compte des parcours antérieurs éventuels des lauréats, le décret du 30 décembre 1983 fixe des règles précises de reclassement. Celles ci ne permettent pas réellement de valoriser une expérience dans le secteur privé puisque les services accomplis dans ce cas ne sont retenus que pour la moitié du temps passé. De plus, ces règles ne prennent en compte que des durées indépendamment de la qualité de l'expérience ou des performances.

Ces dispositions constituent un handicap pour procéder à des recrutements dans des secteurs notamment de recherche finalisée où l'apport de personnes disposant d'une expérience dans le secteur privé où à l'étranger pourrait être précieux.

3. Les post-doctorants

Le rôle des post-doctorants est particulièrement important dans le fonctionnement des laboratoires. A l'étranger une partie significative de la recherche est effectuée par ces jeunes chercheurs au statut souvent précaire 18 ( * ) . Les difficultés que rencontrent les EPST pour accueillir ces personnels amènent les unités à se priver d'un potentiel intellectuel qui pourrait être utile pour la production scientifique. Elles contribuent aussi à rendre plus incertaine la situation des post-doctorants accueillis.

Les données émanant des EPST, notamment celles figurant dans les bilans sociaux, font apparaître la faiblesse des effectifs de ces personnels dans les laboratoires français (80, en 2000, au CNRS, pour 11 409 chercheurs titulaires). En réalité, l'essentiel des post-doctorants accueillis dans les unités de recherche des différents EPST 19 ( * ) ne figurent pas dans les statistiques car ils sont le plus souvent rémunérés par des bourses ou des allocations provenant de financements externes (associations et notamment des associations caritatives...) qui ne transitent pas par les établissements et ne sont que partiellement recensés. Mais même en tenant compte des estimations relatives à ces derniers, les effectifs de jeunes chercheurs post-doctorants sont très insuffisants.

Cette situation résulte du fait que, jusqu'à une date récente, le problème des post-doctorants n'a pas été traité avec suffisamment d'attention dans la recherche publique française. Le ministère de la recherche a privilégié, jusqu'en 2002, l'octroi de bourses de thèse aux dépens du soutien aux stages de post-doctorants, par crainte de créer un stock de chercheurs hors-statut dans la recherche publique.

Un changement de politique, annoncé en 2003 par le ministère de la recherche, a été confirmé dans le cadre de la préparation du budget 2004, qui autorise les EPST à recruter, en 2003, 361 jeunes docteurs français ou étrangers en CDD pour une durée de 18 mois. Pour 2004, 200 contrats supplémentaires sont annoncés et un dispositif de transformation de postes budgétaires de chercheurs titulaires en emplois de contractuels devrait permettre le recrutement de 550 jeunes chercheurs en CDD pour une durée de 3 à 5 ans.

4. Les personnels rémunérés sur convention de recherche

Pendant la période examinée, le développement des conventions de recherche a entraîné une croissance des recrutements d'agents hors support d'emploi budgétaire (1 206 fin 1997 et 1 492 fin 1999 pour l'ensemble des EPST). Ces évolutions attestent de la vitalité des programmes de recherche (INRA, INSERM, CEMAGREF) mais révèlent aussi des besoins récurrents en personnels, ITA essentiellement, qui n'ont pu pendant cette période être satisfaits, faute de créations ou de départs importants permettant des redéploiements.

Le cadre réglementaire de ces recrutements en limite l'attractivité pour des chercheurs expérimentés. D'une part, la durée d'engagement est courte (18 mois en moyenne) et, d'autre part, comme seules les grilles de rémunération des ITA peuvent être utilisées en l'absence de possibilité de rémunération sur les grilles de chercheurs, il est difficile de fixer des niveaux de rémunération attractifs pour des chercheurs expérimentés, même avec reconstitution de carrière et récupération d'ancienneté.

Enfin, la Cour rappelle que le principe de ces recrutements avait été admis par la tutelle uniquement pour les activités de soutien à la recherche stricto sensu ou de formation (pré doctorale ou post doctorale) et sous réserve que chaque contrat ne soit lié qu'à une seule convention. Au cours des contrôles effectués dans les EPST, la Cour a relevé des cas où la durée des contrats n'était pas respectée (renouvellement plus de deux fois, avenants aux contrats...).

5. La mobilité

La mobilité des chercheurs des établissements publics de recherche, et tout particulièrement la mobilité externe, est depuis longtemps considérée comme insuffisante. Or la mobilité, notamment dans des laboratoires étrangers, est considérée, à juste titre, comme un facteur d'acquisition et de diffusion des connaissances, d'enrichissement et de dynamisation de la recherche. Ce peut être également un moyen de favoriser l'évolution des chercheurs vers d'autres fonctions dans une perspective de gestion des carrières.

Le CIRST de juin 1998 comme les documents d'orientation stratégique des EPST traduisent cette préoccupation. Différentes mesures ont été mises en oeuvre depuis quelques années, tant au plan national que dans plusieurs EPST, afin de favoriser la mobilité (bonifications d'ancienneté en cas de mobilité externe d'au moins deux ans, postes d'accueil spécifiques dans l'enseignement supérieur, mesures en faveur de la mobilité dans les entreprises 20 ( * ) , passage d'au moins une année dans un laboratoire étranger pour la promotion à un emploi de directeur de recherche...).

La mobilité des chercheurs des EPST a progressé au cours des dernières années et se situerait maintenant au niveau de la moyenne européenne 21 ( * ) . Ainsi, au CNRS, en 2000, 5,5 % des chercheurs sont en situation de mobilité statutaire, ce taux atteint 6,3 % à l'INRIA. Ce mouvement est d'autant plus net que les statistiques ne portent que sur les chercheurs sur postes budgétaires et ne recensent que la mobilité dite statutaire (celle qui correspond aux situations de détachements et de mise à disposition). Les autres cas de mobilités telles que les missions dites de longue durée ne sont pas prises en compte. A l'INRA le décompte de ces dernières amène à majorer de 50 % le taux de mobilité des chercheurs qui passe ainsi de 5 % à 7,5 %. Les jugements portés sur la mobilité des chercheurs reflètent donc en partie l'insuffisance des indicateurs de personnels élaborés par les EPST.

En dépit de cette progression, il demeure néanmoins important de continuer à favoriser le développement de la mobilité des chercheurs et en particulier la mobilité internationale.

B. LES ITA

1. Le rapport ITA/chercheurs

Dans tous les EPST, la priorité a été donnée à l'emploi strictement scientifique privilégiant les créations de postes budgétaires de chercheurs aux dépens des postes d'ingénieurs, de techniciens ou de personnels administratifs. Ainsi, au CNRS pendant la période 1996-2001, les effectifs budgétaires de chercheurs croissent de 3,4 % tandis que le nombre de postes d'ITA diminue de 1,2 %. En 2001, le rapport ITA/chercheurs était en moyenne de 1,5 dans les EPST. Ce taux paraît trop faible pour permettre une dotation suffisante en personnel technique ou administratif dans de nombreux laboratoires, au regard des effectifs de chercheurs.

La Cour souligne la nécessité de trouver dans chaque EPST un équilibre dans la répartition personnel technique et ingénieurs et personnel chercheur.

La loi de finances pour 2003 traduit une préoccupation de ce type puisqu'elle a procédé à des suppressions d'emplois de chercheurs (150) au profit de créations d'emplois d'ingénieurs et de techniciens (100) dans le souci de mieux adapter la structure des emplois inscrits au budget des EPST.

2. Les concours de recrutement

La disparition des corps administratifs présente l'avantage de réduire le nombre de corps de fonctionnaires présents dans les EPST. Mais cette simplification a pour contrepartie la généralisation de l'utilisation de l'appellation « ingénieur ou technicien » pour désigner l'ensemble des personnels non chercheurs, quelle que soit la réalité de leurs fonctions. Elle introduit donc une certaine confusion.

Cette réforme a également pour conséquence de faire du niveau « ingénieur de recherche » le corps supérieur de l'administration des EPST recruté au niveau du doctorat. Cette exigence réduit considérablement le nombre des candidats potentiels sans que la possession d'un diplôme trop spécialisé, orienté vers la recherche, soit une garantie de qualité ni ne corresponde nécessairement à une formation utilisable dans des fonctions de gestion. Ceci est d'autant plus regrettable que la complexité croissante (prospection de ressources extérieures, gestion de contrats de recherche...) de l'administration de la recherche requiert des gestionnaires de haut niveau.

La nature des épreuves pour les concours d'ingénieurs

Les fonctionnaires des corps d'ingénieurs et de techniciens des EPST sont recrutés par concours externes et internes. La nature des épreuves 22 ( * ) comme la composition des jurys de ces concours appellent des réserves en ce qui concerne les ingénieurs.

Les concours externes, sur titres et travaux pour les ingénieurs de recherche et les ingénieurs d'études, sont proches du modèle utilisé pour les chercheurs. La phase d'admissibilité consiste dans l'étude par le jury du dossier du candidat (comprenant un relevé des diplômes, titres et travaux). Les candidats déclarés admissibles sont auditionnés par le jury pendant une durée de trente minutes.

Cette procédure est sans doute adaptée au recrutement des chercheurs ayant déjà travaillé dans des centres de recherche et pouvant faire état d'une liste de publications scientifiques, elle paraît inadéquate pour recruter des cadres administratifs. En l'absence de travaux et publications, cas usuel pour un candidat au concours externe d'ingénieur de recherche pour la branche d'activité professionnelle gestion de la recherche 23 ( * ) , le choix entre les candidats s'effectuera à partir d'un seul entretien général d'une demi-heure avec le jury. Beaucoup d'organisations publiques et privées hésiteraient à utiliser un tel mode de sélection pour de futurs cadres supérieurs auxquels le statut de fonctionnaire va, de surcroît, être accordé dès leur prise de fonction.

Il est vrai que, dans de nombreux cas, le poste offert au concours est déjà occupé par un agent (contractuel, vacataire...) qui, s'il a donné satisfaction, a de fortes chances d'être l'heureux lauréat du concours. Dans cette hypothèse, la véritable procédure de recrutement a été antérieure au concours et ce dernier ne constitue plus alors qu'un habillage plus ou moins habile.

La prime au candidat déjà en place est facilitée par la composition des jurys habituellement peu ouverts et qui comportent obligatoirement le directeur du laboratoire ou service au profit duquel est effectué le recrutement.

Ces pratiques ont été favorisées au CNRS par la multiplication des concours au cas par cas sous prétexte de recruter au plus près des laboratoires. L'analyse des recrutements dans cet établissement montre ainsi que, en ce qui concerne les concours externes, le nombre moyen de postes pour un concours qui était de deux en 1990 a ensuite diminué pour se situer autour de 1,3 de 95 à 98. De plus les concours étaient en général trop ciblés pour que l'on puisse faire appel à des listes complémentaires entre deux concours.

Les modes de recrutement des personnels chargés de l'encadrement en matière de gestion dans les EPST ne garantissent donc pas suffisamment la qualité des candidats retenus.

C. LA GESTION DES CRÉDITS ET LES RÉMUNÉRATIONS

1. Les retards de recrutement et les virements des crédits de personnel non utilisés

On constate, pendant la période 1996-2001, d'importantes disponibilités de crédits en 1 ère section (personnel) du budget des EPST, en particulier dans les trois plus grands d'entre eux : CNRS, INRA, INSERM. Cette sous-consommation des crédits de personnel résulte principalement de l'organisation tardive des concours de recrutement des personnels ITA qui entraîne des vacances d'emploi (1100 au CNRS, 400 à l'INRA à fin 2000) ou des recrutements en fin d'année alors que les emplois sont financés en année pleine.

Ce retard dans les recrutements de personnels se traduit, également, par une baisse des effectifs réels des EPST (hors LCPC), en équivalent temps plein (ETP), de plus de 3 % sur la période, le taux d'occupation des postes passant de près de 98 % en 1996 à 95 % à fin 2000. Cette évolution est d'ailleurs inverse de celle des effectifs budgétaires qui ont crû de 1,1 % sur cinq ans (hors LCPC), ce taux recouvrant une période de diminution et de gels d'emplois puis, à partir de 1998, une reprise des créations d'emplois.

En revanche, la Cour a constaté que le taux de consommation des crédits de personnel affiché en fin d'exercice dans les comptes financiers était élevé, puisqu'il se situe en moyenne entre 96 % et 99 % (sauf au LCPC). En réalité, ces taux de consommation seraient inférieurs si, en fin d'année, des virements de crédits n'avaient été autorisés par décision budgétaire modificative de la 1 ère section à la 3 ème section du budget. En effet, les reports de crédits non consommés de première section n'étant pas autorisés, des virements sont opérés, avec l'accord des autorités de tutelle, de la 1 ère à la 3 ème section.

Cette pratique revient, en fait, à reporter des crédits de personnel au profit d'autres dépenses (en général, des dépenses d'informatique ou immobilières) 24 ( * ) .

Cette situation a commencé à se résorber en 2001 à la suite des efforts accomplis en fin d'année pour améliorer les recrutements. Par ailleurs la direction du budget déclare porter désormais une plus grande attention à l'évaluation des crédits de personnel dans les EPST.

2. La rémunération des personnels dirigeants (président, directeur général, secrétaire général, directeurs...)

Il n'existe pas actuellement de statut pour les personnels dirigeants des EPST : présidents d'établissements ou de conseils d'administration, directeurs généraux et secrétaires généraux. Un décret serait en préparation depuis plusieurs années, mais n'a toujours pas abouti.

En l'absence de statut, chaque nouvelle nomination d'un président, d'un directeur général ou d'un secrétaire général donne lieu, avec la direction du budget, à des négociations qui aboutissent fréquemment au versement d'indemnités spécifiques à titre personnel. Les conditions accordées à chaque responsable nommé s'efforcent de tenir compte de l'importance de ses responsabilités liées à la fois à la taille de l'établissement et aux particularités de répartition des pouvoirs prévues par les statuts (parfois amendées par la pratique), mais également des conditions de rémunération et du parcours antérieurs des intéressés.

L'incertitude et les écarts de rémunération ou d'indemnisation sont particulièrement importants pour les présidents 25 ( * ) . Ces différences de traitement résultent de rôles statutaires différents, mais aussi de pratiques acceptées par la direction du budget.

Ainsi l'absence de statut des personnels de direction des EPST amène à traiter au cas par cas les nominations et à adopter des solutions caractérisées par une grande diversité dépourvue de fondements juridiques explicites.

S'il apparaît difficile et même peu souhaitable, compte tenu de la diversité de la taille, des statuts et des responsabilités des différents responsables des EPST, de prévoir un régime indemnitaire unique, il serait néanmoins souhaitable de prévoir quelques principes généraux encadrant les décisions individuelles.

3. Les rémunérations complémentaires fonctionnelles : l'indemnité pour fonction d'intérêt collectif

Les EPST ont la possibilité de verser une indemnité pour fonction d'intérêt collectif aux personnels exerçant des responsabilités particulières de direction, de coordination ou d'animation dans le domaine de la recherche.

Cette indemnité est instituée dans chaque établissement par un décret spécifique. Chaque décret renvoie à un arrêté conjoint des ministres de tutelle, du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique, la détermination de la liste des fonctions ouvrant droit à l'indemnité et les taux maxima d'attribution de cette indemnité. Les décisions individuelles d'attribution de même que les montants individuels sont arrêtés par les directeurs généraux des établissements.

Mais le nombre d'indemnités autorisées est toujours nettement inférieur au nombre de fonctions de responsabilité. Il en résulte qu'il est fréquemment impossible dans les EPST de donner une contrepartie financière à l'exercice de responsabilités. C'est notamment le cas d'une grande partie des scientifiques qui assurent la fonction essentielle de direction d'une unité de recherche.

4. Les primes de recherche

Les principales primes dont peuvent bénéficier les personnels des ESPST sont la prime de recherche pour les chercheurs et la prime de participation à la recherche scientifique pour les ingénieurs et techniciens. Ces catégories de personnels qui, depuis la mise en extinction des corps d'administration de la recherche, constituent la presque totalité du personnel titulaire des EPST, ne peuvent pas bénéficier d'indemnités pour travaux supplémentaires.

a) La prime de recherche

La prime de recherche a été créée par le décret n° 57-759 du 6 juillet 1957, instituant un fonds de participation à la recherche scientifique, « en vue d'encourager et de récompenser les travaux de recherche scientifique qui encourent à l'avancement de la science » .

Le taux de la prime de recherche, versée aux chercheurs des EPST, est fixé par arrêté du ministre chargé du budget et du ministre chargé de la fonction publique. Il est indexé sur la valeur du point indiciaire de la fonction publique. L'arrêté du 30 novembre 1990 avait fixé le taux annuel de cette prime à 4 915 F. Il a été revalorisé à 912,65 € en 2003.

Bien que le décret du 6 juillet 1957 soit muet sur ce point, la prime de recherche n'est en pratique jamais modulée entre les chercheurs d'un même grade qui reçoivent donc tous le même montant. En revanche, si certains établissements comme le CEMAGREF versent le même montant aux chercheurs des différents corps et grades, d'autres comme le CNRS modulent la prime entre les catégories selon des modalités variables. Ainsi certains établissements (INRA) modulent de manière inverse par rapport au grade (les chargés de recherche touchent des montants supérieurs à ceux des directeurs de recherche).

b) Prime de participation à la recherche scientifique

La prime de participation à la recherche scientifique peut être attribuée, par décision du directeur général de chaque établissement, aux fonctionnaires des corps d'ingénieurs et de personnels techniques des EPST qui participent à des travaux de recherche, à la conception ou à la mise au point de techniques scientifiques nouvelles ou à des activités de soutien de la recherche (cf. décret n° 2002-69 du 15 janvier 2002 fixant le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans certains établissements à caractère scientifique et technologique).

Le taux moyen de la prime est fixé par arrêté interministériel (recherche, fonction publique, budget) en pourcentage d'un indice de référence : 16 % pour les ingénieurs de recherche, 12 % pour les ingénieurs d'études et 8 % pour les assistants ingénieurs, les techniciens de la recherche et les autres catégories de personnel technique. Les attributions individuelles ne peuvent excéder le double du taux moyen et le triple exceptionnellement pour 20 % au maximum de l'effectif.

Les différents textes précisent que la PPRS est, par nature, variable et personnelle et est fixée, annuellement, par le directeur général de chaque établissement en fonction de la contribution apportée par chaque agent. En réalité ces principes ne sont le plus souvent pas respectés. La PPRS est dans la plupart des établissements versée à l'ensemble des agents des corps concernés dans des conditions de modulations individuelles réduites, voire très réduites, 26 ( * ) .

La Cour relève le caractère largement automatique, indépendamment d'une prise en compte des contributions et performance des personnels, des attributions des primes de recherche et de participation à la recherche scientifique.

Elle considère que l'ensemble du dispositif indemnitaire des personnels des EPST mérite d'être réexaminé à la fois du point de vue réglementaire comme des pratiques mises en oeuvre par les établissements.

III. L'ÉVALUATION DES PERSONNELS

A. LA DÉMARCHE D'ÉVALUATION DES ACTIVITÉS DE RECHERCHE

Les EPST comme l'ensemble de la recherche publique sont soumis à une obligation d'évaluation. Cette démarche est fondamentale dans une activité qui mobilise des crédits importants et dont les résultats sont souvent difficiles à apprécier, compte tenu du temps long dans lequel s'inscrit la recherche scientifique et de la complexité de processus aux imbrications multiples. Le souci du bon emploi des fonds publics et de l'amélioration de la gestion publique en renforcent cependant l'exigence. L'évaluation doit notamment contribuer à rendre compte de l'utilisation des moyens consentis à la recherche et à améliorer les performances de ce secteur.

L'évaluation est aussi un facteur majeur de la dynamique et de la qualité de la recherche. Il s'agit d'une démarche générale intéressant aussi bien les personnels que les formations de recherche, comme l'envisage déjà, sous le vocable appréciation, l'article 6 de la loi de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France : « L'appréciation de la qualité de la recherche repose sur des procédures d'appréciation périodique portant à la fois sur les personnels, les équipes, les programmes et les résultats ».

Dans les faits, ces dispositions ont été mises en oeuvre à des rythmes divers selon les établissements et selon les domaines. Si dès 1945 le CNRS se dotait d'un comité national de la recherche scientifique dont la mission était d'évaluer l'activité des laboratoires et des chercheurs, ce n'est que depuis que quelques années que l'évaluation des chercheurs titulaires est devenue la règle dans l'ensemble des EPST (mais elle n'est pas encore générale en ce qui concerne les structures de recherche). L'INRETS a ainsi attendu 1999 pour faire fonctionner une commission d'évaluation des chercheurs.

Dans les établissements les plus avancés, l'évaluation est de plus en plus envisagée par les EPST comme un processus global. La procédure d'évaluation individuelle est associée et en interrelation avec la procédure d'évaluation des structures et en premier lieu des unités de recherche. Dans certains établissements les résultats des évaluations sont également utilisés comme indicateurs de la mise en oeuvre des objectifs de la planification stratégique. Certains EPST (l'INRA notamment) ont d'ailleurs créé une structure rattachée à leur direction générale et chargée de suivre l'ensemble des évaluations.

En ce qui concerne les personnels, l'évaluation a d'abord été conçue à l'intention des chercheurs. Bien que dans quelques établissements elle ait également été appliquée à certaines catégories d'ingénieurs, les personnels ITA étaient en règle générale soumis aux procédures d'appréciation prévues par le statut général des fonctionnaires. La réforme des statuts spécifiques des personnels des EPST intervenue en février 2002 a modifié cette situation en prévoyant une généralisation de l'évaluation à l'ensemble des personnels.

B. L'ÉVALUATION DES CHERCHEURS

La notion d'évaluation des chercheurs reçoit, parfois dans certains établissements, notamment au CNRS, une interprétation extensive. Elle inclut alors la sélection des chercheurs au moment de leur recrutement. La définition retenue ici se limite à la conception légale de l'évaluation (aux termes de la loi du 15 juillet 1982 et des textes pris pour son application), c'est à dire au jugement porté périodiquement par les instances compétentes sur les chercheurs en fonction après leur recrutement

1. Caractéristiques générales

Outre l'affirmation générale du principe d'évaluation de la recherche rappelé plus haut, la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 précitée autorise, dans son article 26, pour certaines catégories des personnels de recherche, les statuts particuliers à déroger aux procédures de notation et d'avancement prévues par le statut général des fonctionnaires, « afin de permettre l'évaluation des aptitudes par des instances scientifiques ou techniques... » .

L'article 10 du décret n° 83-1260 précité prévoit que « les chercheurs sont tenus de présenter tous les deux ans un rapport conformément à des normes définies par le directeur de l'établissement. Ce rapport contient notamment toutes les informations concernant les conditions dans lesquelles le chercheur a accompli les missions définies à l'article 24 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 (loi d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France ». Les chargés de recherche (article 29 du décret) et les directeurs de recherche (article 49) « font tous les deux ans l'objet d'une appréciation écrite formulée par les instances d'évaluation de l'établissement au vu du rapport d'activité qu'ils doivent établir » conformément à l'article 10.

Les statuts particuliers des personnels de chaque EPST modifient ou complètent éventuellement les modalités de l'évaluation.

Les EPST font eux-mêmes le constat de diverses insuffisances dans certains de leurs documents internes. Ainsi, à l'INED le document d'orientation stratégique 2002-2005 souligne que : « L'évaluation à deux ans n'était jusqu'à présent qu'un geste rituel, l'ensemble des chercheurs recevaient un avis favorable et ne pouvait tirer aucun profit de la procédure ». Au CNRS le contrat d'action 2002-2005 indique à propos de l'évaluation qu'« elle n'est pas exempte de faiblesse : ainsi son mode d'organisation peut se révéler source de contraintes, voire de conservatismes, en particulier au moment où l'on souhaite promouvoir l'interdisciplinarité ». Dans son document d'orientation stratégique 2001-2004 l'INRA souhaite se doter d'un dispositif d'évaluation plus cohérent et plus efficace.

2. La composition des instances

Chaque EPST (à l'exception du LCPC 27 ( * ) ) dispose désormais d'instances compétentes pour l'évaluation des personnels et des unités de recherche. Ces instances jouent un rôle important dans le recrutement et les avancements de grade des chercheurs 28 ( * ) . Les jurys d'admissibilité des concours de recrutement en émanent et elles sont obligatoirement saisies, pour avis, en ce qui concerne les avancements de grade ainsi que pour l'avancement au deuxième échelon de la classe exceptionnelle de directeur de recherche. Dans le cadre de la procédure d'évaluation proprement dite, elles proposent les chercheurs à promouvoir (en grade).

La dénomination et la composition des instances sont différentes selon les établissements. En ce qui concerne la composition, l'article 16 de la loi du 15 juillet 1982 précitée se contente de préciser que les instances d'évaluation « comprennent notamment des représentants élus du personnel ».

L'examen des différents statuts des EPST montre de fortes variations dans la part dévolue aux représentants du personnel, les deux extrêmes étant le CNRS, où deux tiers des membres du comité national sont élus par le personnel, et le CEMAGREF, où ils ne représentent qu'un peu plus du tiers de la commission spécialisée. En dehors de l'INSERM, dont la situation se rapproche du CNRS, les autres EPST disposent d'instances d'évaluation composées à parité de représentants élus du personnel et de personnalités désignées.

Certains statuts fixent des règles d'ouverture sur l'extérieur pour la composition des instances d'évaluation alors que d'autres n'ont aucune exigence à cet égard. Parmi les statuts ouverts figurent ceux de l'IRD et du CEMAGREF où la moitié des membres de la commission d'évaluation doivent être des experts extérieurs à l'établissement. A l'inverse, les statuts du CNRS, où le problème de l'ouverture est moins crucial compte tenu de la dimension de la communauté scientifique dans lequel il évolue, ne comportent aucune règle à cet égard. La nomination de personnalités extérieures ne peut s'y faire qu'au travers des choix effectués par le ministre de la recherche dans le cadre de son pouvoir de nomination d'un tiers des membres du Comité national.

Le pouvoir de nomination des personnalités ou experts extérieurs confié, soit aux ministres de tutelle, soit au directeur général de l'établissement, est parfois encadré par des avis ou propositions préalables alors qu'il s'exerce en totale liberté dans d'autres cas. Ainsi, à titre d'exemple, au CNRS la nomination des personnalités extérieures dans les sections du Comité national de la recherche scientifique par le ministre de la recherche intervient après avis du directeur général, alors qu'à l'INSERM aucun avis ou proposition préalable d'une instance de l'établissement n'est prévu. De même, alors qu'à l'INED ou au CEMAGREF la nomination des personnalités extérieures par le directeur général s'opère après avis du conseil scientifique (pour la moitié seulement des membres nommés à l'INED) et technique et accord du conseil d'administration de l'établissement, à l'IRD, à l'INRETS et à l'INRIA (pour le quart de la commission d'évaluation) les pouvoirs de nomination du directeur général s'exercent librement.

Ces nombreuses différences de dispositions réglementaires ne paraissent pas répondre, le plus souvent, à des nécessités liées à des différences objectives de situation des établissements de recherche. La Cour considère que les règles relatives à la composition des instances d'évaluation des EPST méritent réexamen afin d'améliorer leur cohérence et leur logique ainsi que de favoriser l'ouverture à des personnalités extérieures, notamment à des experts scientifiques étrangers.

Compte tenu du rôle des organes chargés de l'évaluation, il parait également souhaitable que les nominations soient effectuées, dans tous les cas, après avis d'instances garantissant la qualité des personnalités retenues.

3. La procédure

Si tous les établissements ont désormais mis en oeuvre une procédure d'évaluation qui respecte, dans son principe, les dispositions réglementaires, plusieurs d'entre eux n'ont pas encore adopté un rythme biennal et se contentent d'une évaluation tous les quatre ans.

Les modalités précises varient selon les établissements compte tenu des statuts particuliers de leurs personnels et des modes d'organisation dont ils se sont dotés. L'évaluation consiste classiquement dans l'examen, tous les deux ans, du dossier de chaque chercheur par un ou plusieurs rapporteurs de l'instance d'évaluation à laquelle il est rattaché. Les critères d'évaluation à partir desquels les commissions travaillent et procèdent à l'évaluation sont spécifiques à chaque établissement et éventuellement à chaque commission. Ils peuvent différer selon l'étape de la carrière et selon les enjeux liés à l'évaluation (titularisation, changement de corps, avancement de grade...).

Les éléments essentiels du dossier sont le rapport d'activité biennal et la liste des publications du chercheur. La notoriété et l'audience des revues dans lesquelles ont été effectuées les publications fournissent, notamment, des éléments d'appréciation de la qualité de sa production scientifique.

La Cour observe que les critères actuels d'évaluation des chercheurs mettent presque exclusivement l'accent sur leurs activités de recherche en tant que telle. Si cette pratique correspond bien à la nécessité de garantir la qualité de la recherche cognitive effectuée dans le cadre des EPST, elle ne répond pas directement aux autres missions de la recherche publique et des chercheurs telles qu'elles ressortent des articles 14 et 24 de la loi du 16 juillet 1982 : valorisation des résultats, diffusion des connaissances scientifiques, formation à la recherche et par la recherche, formation initiale et continue et administration de la recherche. De même les systèmes d'évaluation ne prennent pas ou peu en compte d'autres tâches assurées par les chercheurs comme l'animation d'équipes de recherche et l'expertise (par exemple la participation à des instances de sélection des projets européens). Les établissements devraient donc expliciter les dispositifs ou modalités d'évaluation susceptibles de concourir à ces autres missions et ces autres activités.

4. Les conséquences

L'évaluation remplit une fonction importante de conseil et d'orientation au travers, notamment, des messages personnalisés que les instances d'évaluation adressent habituellement dans la plupart des établissements aux chercheurs. Les textes prévoient, en effet, que l'appréciation écrite est portée à la connaissance des chercheurs.

En revanche l'évaluation n'a que peu d'impact sur le déroulement de la carrière et la rémunération.

Ceci résulte des dispositions statutaires qui régissent les chercheurs. D'une part l'avancement d'échelon se fait exclusivement à l'ancienneté (sauf pour les directeurs de recherche de classe exceptionnelle). D'autre part la seule prime, d'un montant d'ailleurs très faible, dont bénéficient les chercheurs (la prime de recherche) est, comme il a été mentionné plus haut, d'un montant fixe pour l'ensemble des chercheurs d'un même grade et ne prend donc aucunement en compte la qualité des travaux ou des autres contributions.

L'évaluation ne joue un rôle déterminant que pour les promotions de grade 29 ( * ) (c'est à dire pour l'accession à la première classe de chargé de recherche et à la première classe et à la classe exceptionnelle de directeur de recherche). Les textes prévoient, en effet, que ces avancements ont lieu uniquement au choix et que la décision du directeur général de l'établissement intervient après avis des instances d'évaluation. Mais l'intérêt réel de l'évaluation pour les chercheurs susceptibles de bénéficier d'une promotion de grade dépend du nombre de postes effectivement disponibles. Or la faiblesse relative des possibilités d'avancement de grade pour les directeurs de recherche entraîne un blocage des promotions. Ainsi au CNRS, en 2000, 81 % des directeurs de recherche de deuxième classe étaient promouvables à la première classe, soit 2 723 personnes sur un effectif total de 3 358, 906 d'entre eux se sont portés candidats et seuls 77 ont été promus.

Ces constats contribuent à expliquer le peu d'intérêt porté aux évaluations ou leur caractère largement formel dans certains établissements (à l'exemple de ce que l'INED reconnaît) lorsqu'il n'y a pas pour les chercheurs l'enjeu d'une promotion de grade.

La Cour considère qu'il est nécessaire de renforcer de manière significative l'incidence de l'évaluation sur la carrière et la rémunération des chercheurs des EPST. Ceci suppose, à l'évidence, une réforme d'ensemble des statuts qui les régissent.

*

***

Les rigidités et déficiences relevées dans l'organisation et les modes de gestion des ressources humaines des EPST constituent des handicaps pour la recherche publique française. Ces handicaps sont plus particulièrement sensibles dans les domaines les plus ouverts à la compétition internationale qui sont aussi les plus stratégiques pour le développement national.

Parmi les mesures qu'il est souhaitable de mettre en oeuvre, afin de faire évoluer la gestion des ressources humaines des EPST, celles qui favorisent le rajeunissement de la recherche publique, notamment le recrutement de jeunes chercheurs français et étrangers, ainsi que celles qui permettent d'assurer une meilleure prise en compte des fonctions de responsabilité et de la contribution individuelle et collective aux performances, devraient faire l'objet d'une attention prioritaire.

Tableau n° 4 :   Liste des EPST

 

Dénomination

Année de création

Transfor-mation en EPST

Ministère(s) de tutelle

CNRS

Centre national de la recherche scientifique

1939

1982

Recherche

CEMAGREF

Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts

1981

1985

Agriculture,

Recherche

INED

Institut national d'études démographiques

1945

1986

Emploi, solidarité

Education, recherche

INRA

Institut national de la recherche agronomique

1946

1984

Agriculture

Recherche

INRETS

Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité

1985

1985

Transports

Recherche

INRIA

Institut national de recherche en informatique et automatique

1967

1985

Recherche

Industrie

INSERM

Institut national de la santé et de la recherche médicale

1964

1983

Santé

Recherche

IRD (ex ORSTOM)

Institut de recherche pour le développement

1943

1984

Coopération

Recherche

LCPC

Laboratoire central des ponts et chaussées

1949

1998

Equipement, Transports

Recherche

Tableau n° 5 :   EPST principales données (2002)

 

Nombre d'unités ou laboratoires

Budget

En M€

(2002)

Nombre d'emplois budgétaires

2002

Dont chercheurs

% chercheurs

CNRS

1 236

2 532

26 550

11 789

44,4 %

CEMAGREF

33

64,6

616

80

13 %

INED

12

14,4

168

59

35,1 %

INRA

320

573

8 633

1 862

21,6 %

INRETS

17

45

423

156

36,9 %

INRIA

5

113,5

992

456

46 %

INSERM

300

445

5 162

2 252

43,6 %

IRD (ex ORSTOM)

90

183,2

1 654

833

50,4 %

LCPC

13

43,3

574

133

23,2 %

Total

2 026

4 014

44 772

17 620

39,4 %

Sources : PLF 2002 et 2003 et établissements

Tableau n° 6 :   Effectifs des EPST par catégories d'emplois budgétaires en 2000

Effectifs en 2000

CEMAGREF

CNRS

INED

INRA

INRETS

INRIA

INSERM

IRD

LCPC

 

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

B

R

directeurs de recherche

24

 

4 559

4 488

20

20

695

669

54

51

140

133

801

772

305

275

52

48

chargés de recherche

52

 

7 175

6 921

37

33

1 058

1 052

100

96

208

193

1 401

1 220

527

495

81

75

attachés scientifiques contractuels

 
 
 
 
 
 

62

49

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

chercheurs contractuels

 
 
 
 
 
 

6

5

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Total chercheurs

76

 

11 734

11 409

57

53

1 821

1 774

154

147

348

326

2 202

1 992

832

770

133

123

Ingénieurs

283

 

8 279

7 939

41

41

2 145

2 065

119

119

238

218

1 244

1 139

355

343

80

72

Techniciens

217

 

5 400

5 183

57

40

4 206

3 928

95

77

140

127

1 295

1 054

350

306

218

126

Administratifs

34

 

510

472

0

15

360

477

24

44

37

49

263

383

98

105

143

83

Total ITA

534

 

14 189

13 594

98

96

6 711

6 469

238

240

415

393

2 802

2 575

803

754

441

282

Autres

2

 

422

 

8

11

1

1

22

22

3

3

4

3

 
 

0

134

Effectif total

612

586

26 345

25 003

163

160

8 533

8 245

414

409

766

722

5 008

4 570

1 635

1 524

574

538

B : emplois budgétaires

R : effectifs en équivalent temps plein (la ventilation des effectifs n'a pas été fournie par le CEMAGREF)

ANNEXE 2

RÉCAPITULATION DES CRITIQUES ET RECOMMANDATIONS FORMULÉES PAR LA COUR DES COMPTES À L'OCCASION DU RAPPORT SUR LES PERSONNELS DES EPST COMMUNIQUÉ À LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT EN NOVEMBRE 2003

1. En matière de pilotage de la politique de l'emploi scientifique, le ministère de la recherche reconnaît dans sa réponse à la Cour, que « ce fonctionnement devient très difficile lorsque les directions de la recherche et de la technologie ne disposent pas d'interlocuteur unique et qu'elles ne disposent pas de ressources suffisantes pour assurer la maîtrise d'ouvrage des dossiers. C'est particulièrement le cas dans le domaine de l'emploi scientifique et de la gestion des personnels statutaires de la recherche (...) Le regroupement dans une structure unique et identifiable, des compétences en matière de maîtrise d'oeuvre aujourd'hui dispersées dans trois directions s'agissant des corps de chercheurs et d'ITA aurait rendu le traitement des dossiers plus facile » (page 7). La Cour insiste pour que les structures administratives soient mieux organisées notamment dans la perspective du pilotage de la mission interministérielle « formations supérieures et recherche universitaire ».

2. La prise en compte de la nécessité d'élargir le vivier de recrutement et de renforcer certains champs disciplinaires paraît à ce jour mal assurée dans la gestion prévisionnelle des emplois scientifiques (page 11). La Cour insiste sur la nécessité de mettre à profit les prochains renouvellements massifs d'effectifs pour procéder à ces redéploiements.

3. La politique annoncée de création d'emploi de contractuels devrait être intégrée dans une politique d'ensemble de l'emploi scientifique permettant d'assurer l'évolution de la carrière des chercheurs et éventuellement leur départ pour ceux d'entre eux qui n'ont pas vocation à demeurer dans la recherche publique (page13).

4. Certaines données qu'il serait nécessaire de suivre afin de disposer d'informations fiables pour conduire une politique des personnels sont absentes ou parcellaires. Il en est ainsi notamment des informations concernant la mobilité, ou les personnels non rémunérés par les établissements dans les laboratoires. Les données relatives à l'évaluation ne sont pas suffisamment exploitées par les services des ressources humaines et ne donnent pas lieu à l'élaboration d'indicateurs synthétiques exploitables par une direction générale (page 16). La Cour sera attentive à ce que ces indicateurs soient mis au point dans le cadre de la LOLF .

5. S'il est souhaitable qu'un grand nombre de chercheurs puisse tirer profit de l'investissement consenti par la nation pour les former « à et par la recherche » dans les EPST et les universités, il n'est pas établi qu'il soit de bonne gestion de prévoir que tous doivent ensuite exercer leur travail de recherche dans les EPST. Au moment où la perspective de renouvellement du potentiel scientifique permet d'envisager une plus grande diversité des formes d'emploi (statutaire, contractuel, post-doctorants), la Cour estime souhaitable que le Parlement et la communauté scientifique débattent d'une gestion équilibrée des différentes formes d'emploi qui rendrait l'appareil public de recherche capable notamment d'accueillir un plus grand nombre de jeunes chercheurs (page 17). Elle souhaite que ces différentes formes d'emploi soient mieux reconnues et organisées tout au long de la carrière.

6. Les dispositions du décret du 30 décembre 1983 qui ne permettent pas de valoriser une expérience acquise dans le secteur privé (les services ne sont alors retenus que pour la moitié du temps passé), constituent un handicap pour procéder à des recrutements dans des secteurs notamment de recherche finalisée où l'apport de personnes disposant d'une expérience dans le secteur privé où à l'étranger pourrait être précieux (page 19). La Cour souligne l'intérêt qui s'attacherait à une meilleure reconnaissance des expériences privées .

7. La mobilité des chercheurs demeure souvent très faible. La Cour estime nécessaire de favoriser le développement de cette mobilité et en particulier la mobilité internationale (page 19).

8. La Cour souligne la nécessité de trouver dans chaque EPST un équilibre adapté dans la répartition entre personnel technique et ingénieurs et personnel chercheur (page 19).

9. Les modes de recrutement des personnels chargés de l'encadrement en matière de gestion dans les EPST ne garantissent pas suffisamment la qualité des candidats retenus et leur adaptation aux missions de gestion administrative qui restent souvent dramatiquement défaillantes (page 23). La Cour souligne la nécessité d'en réviser les modalités.

10. Il paraît difficile et même peu souhaitable, compte tenu de la diversité de la taille, des statuts et des responsabilités des différents responsables des EPST, de prévoir un régime indemnitaire unique, pour les dirigeants. La Cour estime néanmoins souhaitable de prévoir quelques principes généraux encadrant les décisions individuelles (page 24).

11. La Cour relève le caractère largement automatique, indépendamment d'une prise en compte des contributions et performances des personnels, des attributions des primes de recherche et de participation à la recherche scientifique. Elle considère que l'ensemble du dispositif indemnitaire des personnels des EPST mérite d'être réexaminé à la fois du point de vue réglementaire comme des pratiques mises en oeuvre par les établissements (page 26).

12. La Cour considère que les règles relatives à la composition des instances d'évaluation des EPST doivent être révisées afin d'améliorer leur cohérence et leur logique ainsi que de favoriser l'ouverture à des personnalités extérieures, notamment à des experts scientifiques étrangers. Compte tenu du rôle des organes chargés de l'évaluation, il parait également souhaitable que les nominations soient effectuées, dans tous les cas, après avis d'instances garantissant la qualité des personnalités retenues (page 30).

13. La Cour observe que les critères actuels d'évaluation des chercheurs mettent presque exclusivement l'accent sur leurs activités de recherche en tant que telle. Si cette pratique correspond bien à la nécessité de garantir la qualité de la recherche cognitive effectuée dans le cadre des EPST, elle ne répond pas directement aux autres missions de la recherche publique et des chercheurs telles qu'elles ressortent des articles 14 et 24 de la loi du 16 juillet 1982 : valorisation des résultats, diffusion des connaissances scientifiques, formation à la recherche et par la recherche, formation initiale et continue et administration de la recherche. De même les systèmes d'évaluation ne prennent pas ou peu en compte d'autres tâches assurées par les chercheurs comme l'animation d'équipes de recherche et l'expertise (par exemple la participation à des instances de sélection des projets européens). Les établissements devraient donc expliciter les dispositifs ou modalités d'évaluation susceptibles de concourir à ces autres missions et ces autres activités (page 30).

14. La Cour considère qu'il est nécessaire de renforcer de manière significative l'incidence de l'évaluation sur la carrière et la rémunération des chercheurs des EPST. Ceci suppose, à l'évidence, une réforme d'ensemble des statuts qui les régissent (page 31).

LES DÉFICIENCES DE LA GESTION
DES PERSONNELS DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS
À CARACTÈRE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE

La gestion des personnels des établissements publics à caractère scientifique et technique (EPST) avait fait l'objet d'une demande d'enquête formulée par la commission des finances du Sénat, conformément aux dispositions de l'article 58-2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), et avait donc été inscrite au programme de la Cour des comptes au titre de l'année 2003.

Les investigations de la Cour des comptes ont porté sur les exercices 1996 à 2003.

Celle-ci juge tout d'abord défaillante la politique de l'emploi scientifique concernant ces établissements menée durant la période considérée, en l'absence, jusqu'en 2001, de structure administrative ad hoc et par manque d'anticipation de certaines évolutions pourtant essentielles (renouvellement des effectifs, incidence de la réduction du temps de travail).

Le régime juridique auquel sont soumis les personnels considérés encourt, lui aussi, de nombreuses critiques : systèmes de recrutement, de promoti

on et de rémunération affectés de lourdeurs et de rigidités, insuffisante prise en compte des responsabilités et des performances individuelles...

S'agissant, enfin, de l'évaluation des personnels dont l'importance est soulignée et les progrès reconnus, la Cour des comptes constate que son impact sur les rémunérations et le déroulement des carrières demeure réduit et juge nécessaire un réexamen de la composition des instances compétentes (afin notamment d'accroître leur ouverture à des personnalités extérieures).

* 1 Seul l'emploi d'un nombre suffisant de « post-docs », de préférence à des statutaires, permet de s'adapter avec la rapidité et la souplesse nécessaires à l'émergence de nouvelles disciplines ou de nouveaux champs d'investigations interdisciplinaires.

* 2 Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement.

* 3 Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer.

* 4 Il s'agit des effectifs en ETP (équivalent temps plein) travaillant dans ces établissements quelle que soit l'origine de la rémunération. En 2000, les effectifs budgétaires des EPST étaient de 44 050 emplois qui avaient permis de rémunérer 41 732 personnes (ETP).

* 5 En 2000, les dépenses intérieures de recherche et développement des administrations publiques civiles se sont élevées à 10,4 milliards d'euros, pour des effectifs de 134 987 personnes employées (en ETP et quelle que soit l'origine de la rémunération). L'enseignement supérieur représentait 37,5 % de ces dépenses et 45,4 % des effectifs et les EPIC de recherche environ 23 % des dépenses et 15,7 % des effectifs (sources : Etats de la recherche et du développement technologique, annexés aux projets de loi de finances pour 2002 et 2003).

* 6 source OST

* 7 Le ministre chargé de la recherche n'est appelé à intervenir que dans des cas très limités tels que la nomination des personnels dirigeants (présidents, directeurs généraux, secrétaires généraux)

* 8 Le LCPC constitue un cas particulier

* 9 Comme le relève un rapport de janvier 2000 de l'IGAENR sur « l'évaluation du système d'élaboration des textes statutaires par l'administration centrale ».

* 10 Ainsi l'on trouve dans le contrat de l'INRIA des indicateurs relatifs aux effectifs de personnels de différentes catégories, aux conditions de recrutement des chercheurs (exemple : la proportion des directeurs de recherche ne provenant pas du corps des chargés de recherche de l'INRIA), à la mobilité des chercheurs et ingénieurs, tel que le taux de mobilité annuel des chercheurs titulaires, le nombre de séjours à l'étranger de plus de trois mois ou les départs de chercheurs ou ingénieurs vers les entreprises....

* 11 Cf. rapport de l'OST sur la recherche scientifique française, d'avril 2002, par Rémi Barré, Michèle Crance et Anne Sigogneau.

* 12 La première étude de l'OST sur le personnel de la recherche publique a été publiée en avril 1979.

* 13 Alors que les services du ministère de la recherche avaient intégré cette dimension dans leurs études.

* 14 Le régime de l'aménagement et de la réduction du temps de travail dans la fonction publique a été fixé par le décret n° 2000-815 du 25 août 2000. Il a été complété par un arrêté du 31 août 2001 en ce qui concerne les établissements publics à caractère scientifique et technologique.

* 15 Un décret n° 2002-69 du 15 janvier 2002 réforme le régime de la prime de participation à la recherche scientifique dans les EPST, mais cette prime qui n'est pas destinée à proprement parler à rémunérer des travaux supplémentaires ne peut être normalement majorée (dans la limite de 25 %) que pour la compensation des sujétions, astreintes et interventions au cours des astreintes et contraintes particulières de travail visées aux articles 1 er , 5 et 9 du décret du 25 août 2002.

* 16 Un établissement comme le CEMAGREF a mené une étude sur les effets de l'ARTT. Un document interne indique, que même si des efforts de simplification et de rationalisation du fonctionnement interne de l'établissement seront tentés en parallèle avec la mise en oeuvre de l'ARTT, les gains potentiels seront infimes.

* 17 Les contraintes sont moindres pour les jurys d'admission qui sont nommés par le directeur de l'établissement et présidés par lui ou son représentant.

* 18 Les post-doctorants représentent couramment la moitié des effectifs de chercheurs des laboratoires à l'étranger.

* 19 Le rapport de la Cour sur le rôle du ministère de la recherche et des organismes de recherche dans le domaine biomédical indique qu'environ la moitié des post-doctorants français présents dans les unités de l'INSERM et plus du tiers au CNRS sont financés par des associations.

* 20 Notamment dans le cadre du dispositif de valorisation et de création d'entreprise organisé par la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.

* 21 Le taux de mobilité des chercheurs en Europe serait d'environ 5 % de la population active (cf. document de la Commission des communautés européennes du 18 janvier 2000 : vers un espace européen de la recherche). Ce taux bien que nettement supérieur à celui des autres catégories professionnelles (2 %) n'est toutefois pas considéré comme suffisant.

* 22 Cf. article 236-1 du décret n° 83-1260 du 30 décembre 1983 fixant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des EPST et arrêté du 2 octobre 1987 relatif aux modalités d'organisation des concours de recrutement d'ingénieurs, de personnels techniques et d'administration à l'INRETS (à titre d'exemple).

* 23 Publications qui d'ailleurs, même si elles sont de qualité, ne permettent pas de préjuger de la capacité des intéressés à quitter le domaine de la théorie.

* 24 Par exemple en 1998 : le transfert, en cours d'exercice, de 92 MF constaté au CNRS, résulte d'économies réalisées sur la masse salariale des personnels affectés aux grands équipements du fait de l'arrêt du programme SATURNE et du gel de celui de SOLEIL. l'IRD a été autorisé à reporter 321 KF de crédits de 1 ère section en 3 ème section pour l'exécution d'un programme scientifique.

* 25 Elles varient, en 2000, d'une absence totale d'indemnités spécifiques dans plusieurs EPST à un traitement de 101 379 € dans le cas de l'IRD et de 110 188 € à l'INRIA (où le président est également directeur général).

* 26 A l'INRA, sauf sujétion spéciale, tous les agents d'un même grade et d'un même échelon perçoivent le même montant de PPRS. Les responsables d'unités ou de services ne sont donc pas invités à proposer des modulations individuelles.

* 27 L'instance d'évaluation des directeurs et chargés de recherche du LCPC (comité d'évaluation) est placée auprès du ministre chargé de l'équipement.

* 28 A l'INRA les commissions scientifiques spécialisées (CSS) ne traitent que de l'évaluation, de la titularisation et du seul avancement des chargé de recherche de deuxième classe à la première classe. Le recrutement et les autres avancements font l'objet de jurys et de commissions distincts des CSS.

* 29 Ainsi que pour l'avancement du premier au second échelon du grade de directeur de recherche de classe exceptionnelle

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