Rapport d'information n° 169 (2004-2005) de M. Gérard CÉSAR , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 2 février 2005

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VIN, CONSOMMATION, DISTRIBUTION : NOUVEAUX ENJEUX, NOUVELLES OPPORTUNITÉS ?

C O L L O Q U E

Sous le haut patronage de

Monsieur Christian PONCELET , sénateur des Vosges et président du Sénat

et la présidence de

Monsieur Gérard CÉSAR , sénateur de la Gironde et président du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire,

PALAIS DU LUXEMBOURG

Paris

Le jeudi 28 octobre 2004

Débats animés par Mme Marie-Laetitia Bonavita, journaliste au Figaro Economie

Le groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire, rattaché à la commission des Affaires économiques, a organisé le 28 octobre 2004 un colloque intitulé « Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités ».

Ce colloque visait à faire le point sur un certain nombre de questions abordées dans le rapport publié en juillet 2002 par le groupe de travail sur l'avenir de la viticulture française. Il a été organisé avec le soutien de l'Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS), que votre rapporteur tient ici à remercier. Il s'agissait notamment de débattre avec des professionnels du secteur, des particuliers, des entreprises et les représentants des pouvoirs publics de la stratégie à adopter face au défi de la demande et des marchés.

La première partie de la journée fut consacrée à l'enjeu que représentent les changements des modes de consommation et de distribution du vin, en France comme à l'échelle internationale. La deuxième partie avait pour objet les réformes en cours au sein de la filière vitivinicole.

Le présent rapport d'information présente les actes de ce colloque, chaque intervenant ayant donné son accord à la transcription des propos telle qu'elle figure dans le présent document. La commission des Affaires économiques en a approuvé la publication lors de sa réunion du 2 février 2005.

SOMMAIRE

Pages

INTRODUCTION 9

M. Gérard César , sénateur de la Gironde, président du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire

ALLOCUTION D'OUVERTURE 13

M. Christian Poncelet , sénateur des Vosges et président du Sénat

MISE EN PERSPECTIVE : LES ENJEUX DU VIN POUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR 15

M. François Loos , ministre délégué au Commerce extérieur

PREMIÈRE PARTIE - LES CONSOMMATEURS : NOUVELLES ATTENTES, NOUVELLES OPPORTUNITÉS 17

Table ronde n° 1 : Comment identifier les attentes des nouveaux consommateurs ? 17

M. Jean-Noël Bossé , directeur associé de la SOPEXA

M. Vincent Norguet , chef du service "Vins et spiritueux" d'UBIFRANCE

Table ronde n° 2 : Analyse des circuits de distribution 25

Mme Françoise Brugière , directrice des études de l'Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS)

M. Yves Fourcade , directeur des achats de Marks & Spencer

M. Jean-Louis Vallet , directeur de PRODIS, filiale des activités "vins" du groupe Carrefour

Table ronde n° 3 : Une opportunité à exploiter : le tourisme vitivinicole 39

M. Jean-Noël Bossé , directeur associé de la SOPEXA

Mme Anne Cointreau , viticultrice exploitante en Afrique du Sud

M. Pierre Mirc , président de la cave coopérative de Limoux

DEUXIÈME PARTIE - LA FILIÈRE : UNE MODERNISATION EN MARCHE ? 47

L'exemple de la rénovation du vignoble 47

M. Philippe de Guénin , directeur de l'ONIVINS

Table ronde n° 1 : Garantir les promesses des signes de qualité 49

M. René Renou , président du comité national des vins et eaux-de-vie de l'Institut national des
appellations d'origine (INAO)

M. Philippe Mauguin , directeur de l'INAO

M. Yves Bénard , coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne

M. Xavier Carreau , président de la Fédération des grands vins de Bordeaux

Table ronde n° 2 : Comment promouvoir un marketing de la demande ? 63

M. Denis Verdier , président de l'ONIVINS

M. François Boschi , directeur général de Cellier des Dauphins

M. Adolphe Tourscher , représentant Pierre Castel , directeur général du groupe Castel

Le point de vue d'un pays voisin : l'Espagne 71

M. Pau Roca , secrétaire général de la Fédération espagnole du vin

CONCLUSION 77

M. Gérard César , sénateur de la Gironde, président du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire

ALLOCUTION DE CLÔTURE 79

M. Hervé Gaymard , ministre de l'Agriculture, de la pêche, de l'alimentation et des affaires rurales

ANNEXES : DOCUMENTS PROJETES À L'APPUI DE CERTAINES INTERVENTIONS 85

Annexe I ( M. Vincent Norguet ) 85

Annexe II ( Mme Françoise Brugière ) 89

Annexe III ( M. Yves Fourcade ) 97

Annexe IV ( M. Jean-Louis Vallet ) 99

Annexe V ( M. Jean-Noël Bossé ) 105

Annexe VI ( Mme Anne Cointreau ) 109

Annexe VII ( M. Philippe de Guénin ) 115

Annexe VIII ( M. Philippe Mauguin ) 121

EXAMEN EN COMMISSION 127

INTRODUCTION

M. Gérard César, sénateur de la Gironde, président du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire

Mes chers collègues députés et sénateurs, Mesdames, Messieurs,

Je remercie d'abord Christian Poncelet, Président du Sénat, sans lequel ce colloque n'aurait pu avoir lieu. Je sais l'intérêt qu'il porte à la viticulture française. Je remercie également François Loos, ministre délégué au Commerce extérieur, qui a tenu à être présent à notre manifestation. Je sais son intérêt pour les vins français, car j'ai eu le privilège de participer avec lui à une réunion à Chicago en vue de les promouvoir.

Depuis plusieurs années, nous entendons régulièrement parler de « crise du vin ». Un quotidien titrait récemment : « Le vin français s'enfonce dans une crise majeure ». Plutôt que de crise, je préfère parler de défis à relever : intensification de la concurrence internationale, exigence de qualité, changement des habitudes des consommateurs, enjeu de la communication. Ces défis sont multiples et déroutants.

La viticulture française est contrainte de se remettre en question, comme nous l'avions constaté dans un rapport de la commission des Affaires économiques du Sénat publié en 2002 et intitulé : « L'avenir de la viticulture française, entre tradition et défis du Nouveau Monde ».

A l'échelle mondiale, la consommation de vin progresse grâce au dynamisme de la demande dans les pays d'Europe du Nord. Pourtant, les parts de marché des vins français s'érodent dans ces pays. Sur la seule année 2003, les ventes de vins d'appellation d'origine contrôlée (hors champagne) à l'étranger ont diminué de 8 % en volume. Sur le marché domestique, qui constitue le débouché de la moitié de la production française, la consommation ne cesse de reculer.

Dans le monde, notamment dans les pays anglo-saxons, les ventes sont dynamisées par de nouveaux consommateurs, jeunes et urbains. Ils imposent un nouveau modèle de consommation, plus occasionnelle, plus festive et davantage portée vers la découverte. Les habitudes de consommation traditionnelles présentes dans les pays latins ne disparaissent pas, mais elles tendent à être moins dominantes. Ainsi, en France, les consommateurs réguliers représentent aujourd'hui moins de 24 % des consommateurs, contre 47 % en 1980.

Le colloque portera sur deux grands thèmes. Le premier concerne les nouvelles attentes des consommateurs . Trois tables rondes permettront d'y apporter des réponses.

Comment identifier les attentes des nouveaux consommateurs ?

Il est difficile de définir un consommateur type, dont la seule valeur serait statistique. Il convient donc de réfléchir à son profil dominant. Comment les acheteurs sélectionnent-ils leurs vins ? Quelles sont leurs attentes ? Pourquoi les vins produits par les nouveaux produits viticoles de l'hémisphère sud rencontrent-ils un tel succès ? Vincent Norguet, chef du service « vins et spiritueux » de l'agence UBIFRANCE, présentera le cas du Danemark.

Analyse des circuits de distribution

Puis, Françoise Brugière, directrice des études de l'Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS), exposera les logiques d'approvisionnement des restaurateurs en France. Deux représentants de grands groupes de distribution apporteront leur point de vue : Yves Fourcade, directeur des achats de Marks & Spencer, et Jean-Louis Vallet, responsable des activités « vins » du groupe Carrefour.

Une opportunité à exploiter : le tourisme vitivinicole

Le tourisme vitivinicole est un moyen d'aller à la rencontre des consommateurs. Jean-Noël Bossé, directeur général adjoint de la Société pour l'expansion des ventes de produits agricoles et alimentaires (SOPEXA), en montrera les enjeux. Anne Cointreau, propriétaire du domaine de Morgenhof en Afrique du Sud, nous expliquera les raisons de sa réussite. Pierre Mirc, président de la cave coopérative de Limoux, précisera l'intérêt du tourisme vitivinicole en termes de communication.

Le second thème de la journée portera sur la modernisation de la filière . Face à la nouvelle donne du marché du vin en termes de consommation, la profession a pris son avenir en main depuis deux ans. Toutes les questions ne sont pas encore tranchées. La modernisation de la filière est-elle réellement en marche ? L'accent sera mis sur les deux stratégies menées de front par la viticulture française.

Garantir les promesses des signes de qualité

La première stratégie consiste à conforter la tradition d'authenticité, qui est le fondement de la renommée des vins français. Les appellations d'origine contrôlée (AOC) doivent tenir leurs promesses. René Renou, président du comité national des vins de l'Institut national des appellations d'origine (INAO), rappellera l'urgence de la situation et présentera la ligne de conduite adoptée par l'INAO pour réformer les AOC. Philippe Mauguin, directeur de l'INAO, répondra à deux questions : quelles initiatives ont été prises pour garantir la qualité à la parcelle ? Comment renforcer l'efficacité de l'agrément ? Enfin, Yves Bénard, coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne et directeur des activités « champagne et approvisionnement » du groupe LVMH, et Xavier Carreau, président de la Fédération des grands vins de Bordeaux, confronteront les expériences de la Champagne et du Bordelais.

Comment promouvoir un marketing de la demande ?

Promouvoir un marketing de la demande constitue la seconde stratégie pour dynamiser la vente de vins en France. Denis Verdier, président de l'ONIVINS, présentera les réformes et les innovations susceptibles d'être mises en oeuvre pour les vins français ne se positionnant pas sur le segment de l'authenticité et des signes de qualité (assouplissement de la réglementation, modification de l'étiquetage...). Il sera difficile d'éluder les questions sensibles, notamment celle des zones mixtes, qui doivent faire l'objet d'approfondissement dans chaque bassin de production, comme l'a souhaité Hervé Gaymard, ministre en charge de l'Agriculture. François Boschi, directeur général du Cellier des Dauphins, et Adolphe Tourscher, représentant de Pierre Castel, directeur général du groupe Castel, montreront que la notoriété et l'image du vin peuvent également s'appuyer sur un nom ou une marque.

Enfin, Pau Roca, secrétaire général de la Fédération espagnole du vin, témoignera du positionnement choisi par l'Espagne pour répondre à la concurrence et à la nécessité de trouver des débouchés.

Hervé Gaymard, ministre chargé de l'Agriculture, conclura la journée. Les débats seront animés par Marie-Laetitia Bonavita, journaliste au Figaro Economie, spécialiste des questions agricoles.

ALLOCUTION D'OUVERTURE

M. Christian Poncelet, sénateur des Vosges et président du Sénat

Monsieur le président, Monsieur le ministre, Chers collègues, Chers amis, Mesdames, Messieurs,

Je voudrais d'abord vous souhaiter la bienvenue au Sénat.

Ce colloque est organisé par Gérard César, président du groupe d'études sénatorial sur l'économie agricole et alimentaire. Je rends hommage au dynamisme et à la qualité des travaux de ce groupe à un moment où l'actualité tend à occulter les efforts engagés par l'ensemble de la profession viticole dans la recherche d'un équilibre entre les impératifs de santé publique et la consommation de vin.

Cette journée s'inscrit dans la continuité du colloque organisé en 2002 par la commission des Affaires économiques du Sénat sur le thème « Vin, santé et alimentation », préalable au Livre blanc sur la viticulture française, remis au Premier Ministre durant l'été 2004.

En France, le vin est chargé d'une forte dimension culturelle et patrimoniale. Il imprègne notre géographie. La vigne, plante pérenne, peuplante et structurante, façonne nos paysages et nos villages. La viticulture fait partie intégrante de notre identité et de notre culture.

La viticulture occupe 3 % de la surface agricole, représente 500.000 emplois, pèse 15 % de la valeur de la production agricole et 40 % du solde agroalimentaire. Elle génère 20 milliards d'euros d'activités. C'est le fleuron de l'économie nationale et des exportations. Elle est une référence enviée par de nombreux pays pour ses traditions, ses qualités et son authenticité. Cette place est aujourd'hui convoitée et contestée.

La filière viticole traverse une période de difficultés. La première difficulté est la concurrence croissante sur le marché international. L'Italie vient de devenir le premier producteur mondial de vin en volume. Les exportations reculent en faveur des pays dits « du Nouveau Monde ». En 2003, les exportations des vins français aux Etats-Unis ont diminué de 12 %. En dix ans, la France a perdu 6 % de parts de marché. Un nouvel ordre international où s'affrontent logiques industrielles et savoir-faire ancestraux, semble se dessiner. Une guerre économique mondiale est engagée. Toutes les armes sont bonnes : mouvements monétaires, absence de protection sociale, dumping.

La seconde difficulté réside dans la baisse tendancielle de la consommation sur le marché intérieur. En 40 ans, la consommation de vin a été divisée par deux. Ce phénomène n'est pas propre à la France. Il traduit une modification du comportement alimentaire et un changement du statut du vin. La consommation occasionnelle, festive et conviviale, se substitue à une consommation régulière d'un vin ayant le statut de boisson-aliment. Tous les scénarii concluent au recul de la consommation intérieure des « vins tranquilles ». En outre, l'écart est persistant entre la production et la consommation. En dix ans, la part des vins de pays exportés est passée de 32 % à 60 % en volume (36 % à 70 % en valeur).

Les difficultés se cumulent sur le double thème de la concurrence mondiale et de la surproduction. Les défis à relever sont particulièrement importants.

Les réflexions menées depuis plusieurs mois se sont traduites par des propositions d'organisations nouvelles de l'offre française, articulées autour de deux types de produits : d'une part, ceux qui répondent au marketing de l'offre et sont bâtis principalement autour des notions de terroir et de typicité, c'est-à-dire les AOC ; d'autre part, ceux qui répondent au marketing de la demande, c'est-à-dire les vins de pays.

François Loos et Hervé Gaymard ont déjà entrepris des actions ciblées en concertation avec la filière et avec les sénateurs afin d'améliorer le positionnement des vins français et la cohérence de l'offre.

Le groupe d'études a eu raison d'aborder ces questions sous l'angle de la demande et des marchés : quelles sont les nouvelles attentes des consommateurs ? Comment les circuits de distribution doivent-ils s'adapter ? Quel peut être l'intérêt du tourisme vitivinicole pour renouer le contact avec les consommateurs ?

Je souhaite le plus grand succès à vos travaux.

MISE EN PERSPECTIVE : LES ENJEUX DU VIN
POUR LE COMMERCE EXTÉRIEUR

M. François Loos, ministre délégué au Commerce extérieur

Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames, Messieurs,

Le vin est extrêmement important dans le commerce extérieur de la France. Il l'est non seulement sur le plan économique, mais également en raison de l'image qu'il véhicule.

Le monde viticole se trouve face à de nombreux défis. Les professionnels doivent faire apprécier à l'étranger le vin français, dans toutes ses richesses et en faisant ressortir les traditions et les terroirs. Les professionnels doivent s'organiser pour mieux répondre aux demandes des nouveaux consommateurs.

Ce premier message n'est pas spécifique à la viticulture : il concerne toutes les entreprises françaises. Si elles ne regardent pas ce qui ce passe dans le monde, elles disparaîtront. En outre, elles ne doivent pas fabriquer pour la France, mais pour le monde. On conçoit en France et on fabrique là où il le faut. Pour le vin, on fabrique en France, car nos compétences, nos terroirs et nos traditions le permettent.

On ne saurait réfléchir à l'avenir du vin en France sans imaginer une attitude conquérante sur les marchés mondiaux. L'accroissement de la demande de vin dans de nombreux pays et la multiplicité des goûts des consommateurs devraient nous apparaître comme une formidable opportunité.

La consommation connaît une augmentation dans de nombreux pays : Etats-Unis, Royaume-Uni, Japon, Grèce, Australie, Allemagne... Les potentiels de ces nouveaux marchés sont très élevés. La consommation est de 0,4 litre par an et par habitant en Chine, alors qu'elle est de 2,5 litres au Japon. La croissance de la consommation au Japon a été de 62 % en dix ans. Une progression similaire en Chine donne des résultats énormes, d'autant plus que les Chinois sont favorables à une évolution en ce sens. Dans le cadre des négociations pour l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), les Chinois ont accepté de baisser les droits de douane de 65 % à 34 % en 2002, puis à 24,2 % en 2004. Le développement des supermarchés chinois, souvent français, constitue un atout. Bien sûr, l'offre fractionnée des vins rend difficile la mise en place d'une structure de distribution locale. La Russie dispose également d'un potentiel de croissance important. Les Africains du Sud, les Américains et les Chiliens y sont déjà présents. Leur capacité marketing est remarquable.

Cependant, des freins au développement des exportations viticoles existent. La situation des Etats-Unis est révélatrice à cet égard. L'ensemble des difficultés se conjugue et explique la baisse des parts de marché françaises depuis dix ans. Cette baisse est ancienne et significative. Elle se poursuit encore. Les importateurs américains relèvent l'image vieillotte des vins français de milieu de gamme, le manque de visibilité et de moyens marketing pour les vins d'entrée et de moyenne gammes et, enfin, la complexité illisible pour les appellations. En outre, les vins d'entrée de gamme, d'un prix inférieur à 10 dollars, ne sont pas compétitifs.

Le deuxième message est le constat que la France n'est pas organisée pour répondre à la demande mondiale. Il faut corriger ces problèmes pour retrouver la part de marché naturelle de la France, c'est-à-dire la première. Il faut exporter non seulement les produits, mais également la culture du vin, et éduquer le consommateur. Il faut faire rêver et donner du vin une autre image que celle de sa composition chimique et de son étiquette, en insistant davantage sur l'idée d'un produit fait par amour, par une famille et dans le respect de traditions de qualité.

Les viticulteurs doivent reconquérir le marché américain en faisant mieux comprendre la production française et en essayant de satisfaire les goûts des nouveaux consommateurs.

Pour aider les exportateurs français à conforter leurs positions sur ces marchés et à en pénétrer de nouveaux, j'ai initié des plans d'action commerciale dans une vingtaine de pays (Etats-Unis, Russie, Chine, Thaïlande, Inde...). Hervé Gaymard a de son côté lancé en juillet 2004 un plan de soutien à la viticulture.

Au-delà de ces actions, la France s'engage dans les négociations multilatérales. La baisse des droits de douane en Chine en découle. Nous sommes en cours de négociation avec de nombreux pays. Nous demandons systématiquement la baisse des droits de douane sur le vin. Mes collègues indiens, en fins politiques, nous promettent de les baisser. Nous n'avons cependant encore rien vu venir.

Nous sommes également très actifs sur la question des indications géographiques et des usurpations. Sur ce point, le débat avec les Etats-Unis est permanent. Nous avons reconnu de façon provisoire les pratiques oenologiques au niveau communautaire mais, au total, les moyens de pression sont assez limités en dehors des accords multilatéraux négociés dans le cadre de l'OMC. Les négociations bilatérales entre l'Union européenne et le Chili ont conduit à de bons résultats. Elles devraient également être positives au niveau du Mercosur.

Il est fondamental de reconnaître notre savoir-faire, notre compétitivité et notre connaissance des marchés. C'est ce qui nous permettra de retrouver notre place de premier exportateur mondial. Il faut avoir une mentalité de conquérant.

Le troisième message concerne la complexité des vins de France, qui ne doit pas être perçue seulement comme un handicap, mais comme un atout. Une fois que les consommateurs ont compris qu'existaient des vins simples dans le monde, ils aspirent à entrer dans la compréhension du vin. Nous devons apprendre à vendre la complexité, la capacité à faire rêver et l'histoire existant derrière chaque bouteille. C'est ce qui permettra de reconquérir les marchés.

J'espère que ce colloque apportera des solutions pour répondre à ces défis.

PREMIÈRE PARTIE -

LES CONSOMMATEURS : NOUVELLES ATTENTES,
NOUVELLES OPPORTUNITÉS
Table ronde n° 1 :
Comment identifier les attentes des nouveaux consommateurs ?

Sont intervenus :

M. Jean-Noël BOSSÉ, directeur associé de la Société pour l'expansion des ventes de produits agricoles et alimentaires (SOPEXA)
M. Vincent NORGUET, chef du service « vins et spiritueux » d'UBIFRANCE

Marie-Laetitia BONAVITA

Jean-Noël Bossé va nous donner un avant-goût du film Mondovino, qui traite de la mondialisation du goût et de la globalisation des marchés du vin.

Jean-Noël BOSSÉ

La SOPEXA est présente dans le monde entier à travers 38 implantations. L'essentiel de nos activités consiste en des actions de communication et de promotion de l'agriculture française. Nous travaillons également dans le domaine de l'intelligence économique. Nous écoutons les personnes que nous voulons séduire : le consommateur, le distributeur et le leader d'opinion.

Deux films réalisés sous la forme d'un micro-trottoir présentent leurs points de vue. Le premier a été réalisé aux Pays-Bas en 2000. Le ministère chargé de l'Agriculture avait décidé de contre-attaquer sur ce marché, avec l'ONIVINS et l'interprofession. Les nouveaux pays producteurs y avaient en effet déployé d'importants moyens.

Un mini-film présente le point de vue des Hollandais sur le marché du vin en Hollande, sur le rapport qualité/prix des vins français et sur la perception de l'image « France ».

Je précise d'abord que l'appellation « vins du Nouveau Monde » ne correspond pas à la réalité, bien qu'elle soit acquise. Ces vins sont ceux des nouveaux pays producteurs. Le mot « nouveau » fait vendre et les nouveaux producteurs s'en sont emparés.

Le second film a été réalisé en Angleterre à la mi-octobre 2004. Le ministère chargé de l'Agriculture et l'interprofession ont décidé d'utiliser 1,5 million d'euros sur les 5 millions d'euros alloués en juillet 2004 pour une campagne en Angleterre, ciblée sur la grande distribution. Le micro-trottoir permet de comprendre la perception des Anglais sur les vins.

Un mini-film présente le point de vue de consommateurs et distributeurs anglais sur les mêmes questions.

Marie-Laetitia BONAVITA

On note toutefois les mots « snobisme » et « paresse ».

Vincent Norguet nous présente maintenant le cas du marché danois, où la part de marché française recule.

Vincent NORGUET 1 ( * )

Je suis actuellement chef du service « vins et spiritueux » à l'agence UBIFRANCE. Auparavant, j'occupais les fonctions de chargé de mission agricole responsable du secteur « vins et spiritueux » au Royaume-Uni.

UBIFRANCE a réalisé une étude de consommation sur le Danemark, en accord avec le ministère en charge de l'Agriculture et pour le compte de l'ONIVINS.

Le cas du Danemark est intéressant. Il est symptomatique des difficultés rencontrées par les vins français pour séduire les nouveaux consommateurs.

Le marché des vins au Danemark

Les exportations de vin au Danemark représentent 200 millions de litres. Elles semblent se stabiliser après une décennie de forte croissance. Avec près de 540.000 hectolitres de vins tranquilles exportés par la France en 2003, le Danemark est le neuvième marché en volume et le dixième en valeur. Même si la France reste le premier fournisseur de vin, sa position ne cesse de s'effriter. Sa part de marché est passée de 62 % en 1992 à 30 % en 2003, au bénéfice des vins du Nouveau Monde, qui représentent actuellement 31 % des volumes commercialisés.

La consommation de vin semble se stabiliser au niveau relativement élevé de 31 litres par an et par habitant. La part des vins du Chili, d'Argentine, d'Afrique du Sud et d'Italie croît aux dépens de la part des vins de France, d'Espagne et d'Allemagne. L'Italie profite de l'engouement des Danois pour la cuisine méditerranéenne. Le vin a une image positive : l'effet French paradox est bien présent.

La part des non-consommateurs est faible (11 % de la population). Le nombre de consommateurs occasionnels s'accroît, ce qui compense la baisse des consommateurs réguliers. Pour les vins français, deux classes d'âge sont surreprésentées : les plus de 50 ans et surtout les plus de 60 ans. Cette part a fortement progressé, alors que la consommation des vins français a diminué. Cette évolution est inquiétante pour l'avenir : les jeunes générations se tournent vers les vins italiens et surtout les vins des pays du Nouveau Monde.

La multiplicité des raisons du recul de la position dominante des vins français

L'étude de la consommation donne un éclairage sur le recul des vins français. Elle montre l'inadaptation de l'offre face aux attentes des nouveaux consommateurs.

Les nouveaux consommateurs sont des consommateurs occasionnels. Ils sont en grande majorité jeunes (moins de 39 ans). La population féminine y est surreprésentée. Ils achètent les bouteilles en petites quantités. Ils font preuve d'une grande curiosité. Ils ne recherchent pas spécialement un vin prestigieux et privilégient le goût. Ils préfèrent une étiquette reconnaissable et informative. Ils consomment le vin principalement au foyer, dans les bars et les restaurants.

Ils perçoivent positivement les vins des pays de l'hémisphère sud. Leur perception des vins français est floue : ils ne connaissent pas l'offre. Ils ont de ce fait de grandes difficultés à choisir un vin de France. Ils craignent de faire un choix risqué. Un Danois interviewé estime qu'il n'y a que 50 % de chance de choisir un bon vin.

Le consommateur doit donc être rassuré. La perception négative de l'offre des vins français, jugée confuse, inaccessible et compliquée, est un frein considérable. Il faut mettre en place des référents pour le rassurer sur l'acte d'achat : marques (commerciale, éponyme, de distributeur), vecteurs informatifs (étiquette, cépage) et éducation (dégustation, publicité). Ces référents doivent répondre aux deux questions posées par le nouveau consommateur devant le linéaire de supermarché ou la carte des vins au restaurant : vais-je apprécier ce vin ? Est-il adapté pour l'occasion ?

Les facteurs d'achat

Sur le marché danois, les deux facteurs influençant le nouveau consommateur dans le choix du vin sont le prix et la connaissance du vin ou sa familiarité.

Le facteur prix est essentiel. Le consommateur a développé une forte sensibilité aux promotions, qui le conforte dans son impression d'avoir fait une bonne affaire et d'avoir un vin présentant un bon rapport qualité/prix. Près de 70 % des volumes commercialisés dans la grande distribution ont fait l'objet d'une promotion. Comme son homologue britannique, le consommateur danois est devenu un sales addict , c'est-à-dire un drogué de promotions.

L'autre facteur déterminant est la reconnaissance d'un vin déjà dégusté ou dont la marque est connue. Ce facteur implique de rassurer le consommateur.

Plus globalement, les exportateurs doivent constamment avoir le souci de l'adaptation de l'offre à l'évolution de la demande. Une personnalité du monde viticole précisait récemment dans le magazine « Monde 2 » : « Un nouveau code de lecture d'inspiration anglo-américaine s'est progressivement substitué à la grille française. Pour ces consommateurs, le vin est un truc simple : une couleur, un cépage, un plaisir et un bon rapport qualité/prix. Et que l'on ne vienne pas les embêter avec nos histoires de crus classés, de traditions historiques et de réglementations compliquées. »

Caractéristiques de la consommation et réponses à apporter

Les nouveaux consommateurs apprécient les vins ronds, souples et fruités. Nous devons donc adapter nos vinifications pour proposer des vins correspondant à ce style. Un journaliste britannique de renom avait fait ce commentaire sarcastique à un producteur français : « Vous pourrez toujours produire le vin qu'il vous plaît de faire, mais vous ne pourrez jamais forcer le consommateur à le boire. »

Par ailleurs, le nouveau consommateur est néophyte. Il découvre l'univers du vin. Il faut donc simplifier l'offre et mettre en avant les cépages, seul identifiant reconnaissable pour le nouveau consommateur danois.

Ce dernier consomme davantage les vins hors des repas : il faut donc lui proposer des vins aromatiques au plaisir immédiat et ne nécessitant pas un accord avec un mets.

Il recherche l'assurance d'une qualité constante : il faut développer des marques qui la garantissent.

L'offre est de plus en plus large : il faut la simplifier et proposer des étiquettes lisibles et visibles.

Tous ces efforts d'adaptation aux goûts et aux attentes du nouveau consommateur doivent permettre à l'offre française d'entrer dans le cercle vertueux emprunté par les concurrents du Nouveau Monde. Les efforts d'adaptation de l'offre à la demande apportent une plus-value au produit, un accroissement de la demande et la possibilité d'un positionnement « prix » plus élevé, ou du moins un meilleur positionnement sur le coeur du marché où se font les volumes, ce qui permet d'accroître les marges et apporte des moyens pour investir dans la communication.

Le souci premier doit être de placer le consommateur au coeur de la stratégie commerciale de chaque société exportatrice. Connaître les consommateurs, savoir les distinguer, répondre à chacune de leurs attentes et leur permettre de vivre un moment agréable sont des impératifs pour commercialiser le vin. Une étude « consommateurs » doit être réalisée avant toute démarche export. Elle doit s'inscrire dans la compréhension globale du marché. Aucune segmentation de l'offre n'est viable sans l'identification des attentes des consommateurs de vin de chaque pays.

Marie-Laetitia BONAVITA

Un représentant d'une association de consommateurs devait participer à cette table ronde. Un problème l'en a empêché.

Jean-Michel CAZES, producteur de vins à Bordeaux

Je suis stupéfait d'entendre des recommandations connues depuis quinze ans. Elles ont été présentées en détail dans le rapport Booz Allen en 1992, dans le rapport Berthomeau puis dans le rapport de Gérard César en 2002. On redécouvre la lune.

Marie-Laetitia BONAVITA

C'est effectivement inquiétant.

Philippe WALBAUM, producteur dans la région Rhône-Alpes

Il n'est pas inutile de redécouvrir la lune, car les progrès dans les comportements des professionnels n'ont pas été marquants.

Le contraste est saisissant. D'un côté, nous sommes prétentieux. Nous demandons aux consommateurs de faire l'effort de nous apprécier. Nous leur demandons de nous remercier lorsque nous avons bien voulu leur vendre du vin. De l'autre côté, le Nouveau Monde a une démarche anglo-saxonne, plus pragmatique et plus compétente. Il sait mieux se vendre.

Face à un marché nouveau, nous devons avoir un comportement nouveau. Les négociants les plus importants doivent se battre sur ce plan.

Cependant, il ne faut pas oublier le vin « prétentieux » et perçu comme compliqué : c'est une référence historique, culturelle et traditionnelle. Même s'il ne représente que 5 à 20 % du marché, il est une réalité, certes réservée à une élite. Autrefois, le vin était acheté par des personnes cultivées et qui savaient l'apprécier. Aujourd'hui, le vin est devenu non seulement un produit de masse, mais également un produit mondialisé.

Ces vins « prétentieux » et de qualité doivent faire l'objet d'une démarche spécifique. Il faut également les commercialiser et faire de la communication.

Marie-Laetitia BONAVITA

Faut-il fabriquer des produits de masse ou des produits d'élite ? Pourquoi en est-on toujours là aujourd'hui, alors que le constat est ancien ?

Jean-Noël BOSSÉ

Il existe de grandes marques françaises qui ne visent pas le grand public mondial. Gevrey-Chambertin est toujours une marque mondiale auprès d'un certain public. Ses prix continuent d'augmenter. Le Château Grenouille et le chably sont vendus sur pied aux Anglais. La notion de marque doit donc être étudiée par rapport aux cibles visées. La cible peut être réduite. Dans le monde entier, le consommateur éduqué existe toujours. Il est même de plus en plus éduqué.

Existent par ailleurs des vins de masse, qui nécessitent d'autres mesures. La démarche doit être plus agressive pour tenir compte des modifications comportementales vis-à-vis des vins. La politique doit être plus proche des souhaits de la grande distribution.

Vincent NORGUET

Sur le marché britannique, la présence des vins haut de gamme français est importante, car elle donne une image de qualité.

Cependant, le marché a évolué, notamment en ce qui concerne la distribution. La grande distribution est concentrée. 80 % des volumes y sont commercialisés. Il faut des opérateurs capables de fournir de gros volumes pour répondre à cette demande. Mon intervention était ciblée sur cette consommation de masse.

Les vins commercialisés au-dessus de 4 euros ne représentent que 5 %. Les professionnels doivent décider s'ils se concentrent sur ces 5 % où s'ils s'attaquent également au marché de masse. De toute façon, les deux marchés sont importants pour l'image.

François PANDELFY

Nous confondons trop souvent les vins dans nos discours. Nous avons la chance de disposer d'une soixantaine de crus d'excellence qui font le renom des vins français et tirent l'image de marque. Pourtant, l'offre « inférieure » est extrêmement morcelée. L'une des raisons en est la réglementation. Par exemple, en Bourgogne, nous n'avons pas le droit de mélanger les années ou les cépages. De ce fait, nous vendons ce que Dame Nature veut, malgré les progrès que nous avons faits. D'autres raisons existent.

Le consommateur ne peut pas comprendre la proposition française. Par exemple, certaines étiquettes n'indiquent même pas que le vin est un bourgogne. Ce problème n'apparaît pas pour le bordeaux. Les notions d'AOC ou de vin de table ne sont pas présentes à l'esprit et ne peuvent pas servir de référence. Le consommateur étranger mélange tout et ne connaît pas l'existence des différentes strates. Le minimum consisterait à avoir une visibilité sur les étiquettes, notamment pour les AOC, strate qui a le plus de difficultés à s'adapter aux impératifs de la commercialisation actuelle.

Christian DELPEUCH, Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux

Après avoir fait des constats pendant quinze ans, il faudrait rapidement passer à l'action. Si aucune solution n'est trouvée dans les prochains mois, la crise sera grave.

Je pose deux questions. La viticulture veut-elle se donner les moyens d'adapter ses produits aux nouveaux consommateurs ? Les hommes politiques sont-ils prêts à nous accompagner dans cette révolution ? J'emploie le terme de « révolution », car il s'agit d'une véritable révolution culturelle. Nous avons besoin d'une modification rapide de la législation pour pouvoir adapter nos produits. Nous avons également besoin d'une aide financière forte pour l'exportation. Ce sera moins coûteux que de soutenir les propriétés viticoles qui disparaîtront.

Marie-Laetitia BONAVITA

Hervé Gaymard vient d'accorder une enveloppe de 5 millions d'euros. Est-elle suffisante pour mieux vendre l'image du vin français ?

Jean-Noël BOSSÉ

Le premier message est de faire comprendre que l'empire s'est réveillé. Les Anglo-Saxons sont désabusés par les promesses que nous leur avons faites. A la SOPEXA, nous avions donné deux rendez-vous à la presse anglo-saxonne. Nous ne les avons pas tenus. Ils doivent penser que nous sommes des « charlots ».

Par ailleurs, il faut cesser de penser que nous sommes les leaders partout. Notre attitude de leader exaspère : nous disons aux consommateurs d'acheter du vin français parce que nous sommes les plus gros et les meilleurs. Nous devons avoir une attitude de challenger pour reprendre les parts de marché que nous avons perdues.

La démarche consiste à donner du contenu à l'image « France ». Il ne suffit plus de dire « ce vin est français ». Il faut préciser l'intérêt d'acheter du vin français. En d'autres termes, il ne faut plus dire « made in France », mais « made by France ».

Laurent DULAU, Société de marketing VINIDEA

Ma société crée des outils de marketing. Dans ma carrière, j'ai beaucoup travaillé en Californie. Je ne crois pas que le facteur nouveauté soit la seule raison de la réussite des vins californiens ou australiens.

Il faut d'abord avancer tous ensemble, professionnels et politiques. C'est ce qu'ont fait les Australiens. Leur première marque a été l'Australie. Ils ont simplifié l'offre à l'extrême.

Les Anglo-Saxons utilisent notamment le matching funding . Ce système permet à une société privée de réaliser des opérations dont la moitié est financée par le gouvernement.

La filière avance donc de façon globalisée et dispose d'un support politique réel. Un système similaire semble possible en France. Une opération mondiale pourrait être menée non seulement pour la promotion, nécessaire en raison de la mauvaise image de la France, mais également pour l'éducation du consommateur. Aujourd'hui, nous disposons d'outils pour éduquer, mais nous n'avons pas les moyens de les utiliser, car la filière n'est pas globalisée.

Il est urgent de réagir. Beaucoup d'entre vous pensent que nous sommes très forts sur le haut de gamme. Ils devraient comparer la situation des vins d'excellence avec celle de l'industrie du luxe. Elle est de plus en plus concurrencée par les Anglo-Saxons, les Italiens, les Japonais, etc. Les fabricants de prêt-à-porter peuvent « monter » dans le luxe, mais le luxe ne peut pas « descendre » dans le prêt-à-porter. Pétrus ou Grenouille sont des marques mondialement reconnues. Ce sont des marques de luxe. La stratégie marketing des Australiens consiste à fidéliser les nouveaux consommateurs, qui se tourneront demain vers le luxe que les Australiens produiront.

La viticulture française a un atout, car elle sait déjà faire du luxe. Elle doit apprendre à faire du prêt-à-porter. C'est également un risque face à la stratégie de ceux qui attaquent le marché par le bas.

De la salle

L'approche mondiale du vin est indispensable. Cependant, une approche trop globale risque de conduire à des erreurs. Il est faux de dire que rien ne va en France et que tout va bien dans le Nouveau Monde.

Par exemple, l'Australie et le Chili ont des stocks importants. Mondavi supprime son haut de gamme, alors que d'autres licencient du personnel et suppriment leur force de vente en France.

Plutôt que de dire que les vins français sont « ringards », il est préférable de dire que tels points sont positifs et tels points le sont moins. Il faut être plus optimiste.

Marie-Laetitia BONAVITA

Les vins français ont non seulement un problème d'image, mais également un problème de prix.

Xavier CARREAU, président de la Fédération des syndicats des grands vins de Bordeaux

La viticulture est consciente qu'elle doit évoluer. Nous avons un besoin urgent de l'appui des politiques et des pouvoirs publics pour faire évoluer la réglementation. Cependant, nous avons également besoin de conserver la typicité de nos terroirs, que le monde nous envie.

Table ronde n° 2 :
Analyse des circuits de distribution

Sont intervenus :

Mme Françoise BRUGIÈRE , directrice des études de l'ONIVINS et Dominique de Vernejoul, consultant chez DVA Consultants

M. Yves FOURCADE , directeur des achats de Marks & Spencer

M. Jean-Louis VALLET , directeur de Prodis, activités « vins » du groupe Carrefour

Marie-Laetitia BONAVITA

Françoise Brugière, accompagnée de Dominique de Vernejoul, consultant chez DVA Consultants, va nous présenter une étude sur la perception du monde du vin par les restaurateurs.

Françoise BRUGIÈRE 2 ( * )

Notre exposé porte sur la France. La situation du marché intérieur est difficile. L'ONIVINS a choisi de travailler sur la restauration hors domicile, car nous pensons que tous les circuits sont importants et que nous connaissions déjà la grande distribution.

Les consommateurs sont de plus en plus des consommateurs occasionnels. L'apprentissage du vin se fait de moins en moins dans les familles. La primo-accession au vin se fait avec ses amis, dans un restaurant ou hors domicile. Ce moment est important pour la vision que le jeune aura du vin.

Les objectifs de l'étude consistaient à éclairer la consommation de vin hors foyer en termes quantitatif et qualitatif. Il s'agit de comprendre comment le vin passe du producteur à la table du consommateur en restauration et de comparer cette filière avec les autres pour améliorer les performances.

La consommation du vin hors domicile : résultats quantitatifs

Chaque année, 4,6 milliards de repas sont servis hors foyer dans 108.000 établissements de restauration commerciale traditionnelle (1,3 milliard repas servis), 1.300 cafétérias (230 millions repas servis), 14.800 restaurants d'entreprise et d'administration (950 millions repas), 41.700 restaurants scolaires et universitaires (1,3 milliard repas) et 8.100 restaurants hospitaliers (860 millions repas).

D'autres lieux correspondent au secteur hors foyer : les 43.500 débits de boisson, le catering (vente embarquée), les lieux spécifiques des ménages particuliers (ménages collectifs notamment : maisons de retraite, caserne...) et le reste (pique-nique, rue...).

Les distributeurs approvisionnant ces lieux de consommation sont divers : les grossistes (1.150 entrepôts, notamment les groupes brassicoles Stella Artois, Elidis et France Boissons), les producteurs, le cash & carry (notamment Métro et Promocash), les grandes et moyennes surfaces (GMS), les cavistes et le négoce viticole (par des filiales dédiées).

Le marché du vin représente 60,5 millions d'hectolitres. 25 % sont exportés. 18 % sont destinés à des usages non-vin. 3 % sont stockés. 3 % correspondent à des achats transfrontaliers. La moitié restante correspond à la consommation : 3 % de vins Effervescents au domicile, 31 % de vins Tranquilles au domicile (19 millions d'hectolitres) et 16 % de vins tranquilles ou effervescents consommés hors du domicile principal (9,7 millions d'hectolitres).

Les 9,7 millions d'hectolitres consommés hors domicile sont distribués comme suit : production en direct (2,75 millions d'hectolitres), grossistes (2,2 millions d'hectolitres), négoce (1,1 million d'hectolitres), cash & carry (850.000 hectolitres), grandes et moyennes surfaces (150.000 hectolitres), cavistes (50.000 hectolitres). Les 3,2 millions d'hectolitres consommés par les sans domicile fixe, les ménages collectifs et les consommations hors CHR et hors domicile ne sont pas pris en compte.

Le vin est consommé dans la restauration traditionnelle indépendante (5,55 millions d'hectolitres), la restauration chaînée (250.000 hectolitres), la restauration collective (600.000 hectolitres) et les cafétérias (100.000 hectolitres).

Les flux les plus importants vont donc d'un milieu atomisé, les vignerons, vers un autre milieu atomisé, la restauration traditionnelle indépendante.

La consommation du vin hors domicile : résultats qualitatifs

Dominique DE VERNEJOUL

Nous avons identifié trois questions à partir de ces résultats.

Comment peut-on améliorer et développer le service du vin au consommateur ?

Nous nous sommes intéressés uniquement aux établissements de moyenne gamme. Les établissements étoilés disposent d'un sommelier et n'ont pas de problème de service et de mise à disposition du vin. Le vin fait partie intégrante du repas et est systématiquement proposé.

Trois constats apparaissent. Premièrement, dans les restaurants et dans les brasseries, le vin n'est pas systématiquement proposé au consommateur. Les minéraliers sont pourtant parvenus à ce que ce soit le cas pour l'eau. Deuxièmement, le conditionnement principal (75 centilitres) est de plus en plus inadapté aux pratiques de modération de la consommation. Troisièmement, le prix est élevé en raison des coefficients. Le vin doit en effet participer à l'équilibre économique des établissements. Surtout, le rapport qualité/prix est mauvais. L'offre ne correspond ni à la clientèle, ni aux attentes de la clientèle. Le prix du vin n'est pas en adéquation avec le prix du repas.

Les réponses existent et sont efficaces : les restaurateurs faisant l'effort de mettre le vin approprié à la disposition des consommateurs réussissent. Toutefois, la majorité des établissements n'appliquent pas les réponses et les ventes baissent de 2 à 3 % par an.

Quatre remèdes peuvent être proposés.

Le prix du vin doit être adapté au prix du repas et justifié par une qualité de service : verrerie, température, conseil, positionnement adapté à la clientèle.

Le service du vin au verre doit être promu. Ce service existe seulement pour l'apéritif. Il permet pourtant de ne pas forcer tous les consommateurs d'une table à prendre le même vin. Des évolutions techniques permettent d'éviter les pertes, comme les « bags in box ».

Le vin doit à nouveau être considéré comme un élément à part entière du repas. Dans ces établissements, le vin est considéré comme un moyen annexe de faire du chiffre d'affaires. Il faut revenir à des formules qui disparaissent comme le « plat plus vin » ou les menus confiance (choix du vin par un sommelier).

Enfin, les restaurateurs et leurs équipes doivent être formés. C'est la question essentielle.

Qui peut assurer la formation des restaurateurs et de leurs équipes pour l'amélioration du service ?

La restauration collective et la restauration chaînée n'ont pas de problème sur ce point. Le groupe Accor et les frères Blanc, notamment, ont mis en place des services internes.

Dans la restauration indépendante, les grossistes doivent jouer un rôle important. Cependant, ce sont souvent des sociétés dépendant de groupes brassicoles. Pour eux, la vente du vin ne constitue qu'une compensation à la diminution de la consommation de la bière. Ils ont un déficit de légitimité lorsqu'ils évoquent le vin. Ils ont mis en place des modules de formation et disposent de services commerciaux. Néanmoins, ils restent réticents car le vin leur rapporte peu.

Les cash & carry et les cavistes disposent de spécialistes présents en magasins. Le problème est que les restaurateurs doivent se déplacer, ce qui est une limite importante.

Les négociants et les grossistes élaborent des fiches d'information sur les vins qu'ils vendent, mais cela reste trop technique et trop ponctuel pour avoir un impact significatif sur la commercialisation.

Le négoce est présent dans la formation, mais les équipes sont trop peu nombreuses.

Concernant l'amont, c'est-à-dire les lycées professionnels, la formation est trop tournée vers une connaissance encyclopédique du vin et non vers la vente.

Comment l'animation et la promotion des vins fonctionnent-elles dans les établissements ?

Le négoce et les grossistes mènent des actions trop tournées vers le restaurateur. L'objectif reste le référencement des produits. L'incitation à l'achat se fait par des cadeaux au restaurateur (verres, tire-bouchons...). En outre, le négoce et les grossistes se limitent à véhiculer les promotions mises en place par les interprofessions.

Les interprofessions réalisent également des actions, par exemple les vins de Saumur pour la Saint-Valentin. L'Association nationale interprofessionnelle des vins de table et des vins de pays (ANIVIT) est l'interprofession la plus impliquée dans la promotion des vins. D'autres opérations existent mais, au total, les animations et les promotions sont rares et elles sont trop peu tournées vers le consommateur. En outre, la coordination entre les maisons de négoce et les interprofessions est mauvaise, les opérations souvent montées au dernier moment et les entreprises prévenues trop tard.

Enfin, une promotion collective paraîtrait préférable, car les opérations régionales ne sont pas suffisamment fortes pour développer réellement la demande.

Françoise BRUGIÈRE

L'atomisation de la filière est un handicap qui rend encore plus nécessaires la coordination des efforts et la mise en commun des moyens, de la production à la mise sur le marché.

Les mesures précédemment évoquées ne sont pas suffisamment mises en oeuvre.

Il appartient à la filière de poursuivre la réflexion et de formaliser des actions concrètes. Les actions interprofessionnelles existent, par exemple avec des affiches ou des sets de table, mais elles n'élèvent pas le niveau général de la vente de vin hors foyer.

Il faut veiller à ménager la susceptibilité des restaurateurs. Lorsque nous leur avons présenté l'étude, ils nous ont expliqué que la filière vin n'avait rien à leur apprendre et qu'elle devait simplement leur fournir du bon vin. Le travail avec la filière restauration sera donc difficile.

L'ONIVINS poursuit ce travail par le biais d'une étude in situ : un module de formation sera mis en place et testé sur un panel de restaurateurs. Nous connaîtrons ainsi l'impact financier de la formation et nous pourrons la mettre en avant dans la communication auprès de la filière restauration. Ce type d'action mériterait d'être développé plus largement.

Marie-Laetitia BONAVITA

Yves Fourcade, directeur des achats de Marks & Spencer, va nous présenter la vision du consommateur sur le marché britannique à l'égard des vins français et des vins du Nouveau Monde.

Yves FOURCADE 3 ( * )

Je suis un Français installé en Grande-Bretagne. Chaque fois que les résultats des ventes de vins sont publiés, mes collègues anglais prédisent un avenir morose aux vins français.

Lorsque Jean-François Galhaud m'a demandé de vous présenter un exposé sur les attentes des acheteurs étrangers, je me suis demandé ce que je pourrais vous apprendre de nouveau. Les études de marché, la progression des différents pays, les styles de vin ou la montée de la grande distribution dans les ventes de vin sont des problèmes largement connus.

Ensuite, mes collègues se sont interrogés sur l'intérêt d'un tel colloque. Beaucoup d'entre eux sont frustrés par l'attitude française qui consiste à produire du vin et à demander au consommateur d'adapter son goût et de comprendre les subtilités.

Certains de mes collègues se sont toutefois réjouis qu'un tel colloque ait enfin lieu. Ils l'ont perçu comme une prise de conscience conforme à l'attitude française traditionnelle qui consiste à attendre d'être accablé par les ennuis pour réagir. Ils sont prêts à nous soutenir.

Deux remarques peuvent être faites : si la situation est grave, elle n'est pas perdue, car il existe une réelle volonté d'avancer. A l'inverse, si la situation est grave, elle peut encore empirer, comme le montre l'exemple allemand.

L'état des lieux du marché britannique

Les chiffres présentés portent sur l'ensemble des modes de distribution, qui représentent 80 % du marché anglais des vins tranquilles.

La croissance du marché britannique est ancienne et continue. En 2003, elle a été de 3 % en volume et de 6 % en valeur. Les principaux bénéficiaires de la croissance sont les Etats-Unis, le Chili et l'Australie. La part de la France régresse de 5 % en volume et de 1 % en valeur. La France a perdu la première position au profit de l'Australie. Elle ne possède plus que 19 % des parts de marché, contre 30 % en 1996.

La croissance des marques est la principale caractéristique du marché britannique. Les 15 premières marques représentent 25 % du marché et l'essentiel de sa croissance. Une seule de ces marques est française. Huit sont australiennes, quatre sont californiennes et deux sont sud-africaines.

L'Australie vend 41 % de ses vins entre 4 et 5 livres, c'est-à-dire sur le marché le plus rentable. La France vend seulement 19 % de ses vins sur ce créneau.

Pour autant, je ne pense pas que la solution soit simplement de créer des marques, même si des Français se sont engagés dans cette voie avec un certain succès.

Pour trouver des solutions, il convient d'abord de comprendre la raison pour laquelle les consommateurs britanniques accordent autant d'importance aux marques.

Le marché britannique est jeune. Les consommateurs préfèrent les vins fruités. Ils sont non seulement faciles à boire, mais également faciles à acheter.

Leur étiquette contient une ou deux indications informant le client du contenu de la bouteille. Ce point est fondamental dans un pays davantage habitué au coca-cola qu'au beaujolais, car il donne au consommateur une assurance sur ce qu'il achète, sans se soucier du millésime, du producteur, de l'éleveur, de l'embouteilleur et des autres indications encombrant les étiquettes françaises. La référence au cépage constitue une grande aide pour le client, même si la notion de « vin de pays » se développe. Cependant, le consommateur apprécie avant tout la constance dans la qualité du produit.

Les pistes pour les vins français

Les pistes que je présente concernent le consommateur moyen qui ne connaît pas le vin français et qui n'a pas envie de le connaître. Ce consommateur représente la large majorité des clients des vins de moins de 5 livres.

La qualité du vin

La première piste est la qualité du vin. Le consommateur cherche un vin d'abord facile, consommé le plus souvent dans un cadre festif et entre amis. C'est sur ce point qu'insistent les publicités : le vin est le gage d'une soirée réussie entre amis.

Améliorer la qualité du vin ne signifie pas copier les vins australiens. Deux raisons l'expliquent. D'une part, il faut produire des vins meilleurs que les vins australiens pour leur prendre des parts de marché. D'autre part, le marché n'a pas besoin d'une deuxième Australie. De toute façon, si c'est le cas, le Chili ou l'Afrique du Sud sont déjà présents.

A l'inverse, la spécificité des vins français doit être conservée. Lorsque la France aura repris sa place de leader, elle sera d'autant plus difficile à copier.

Certains journalistes pensent qu'il faudrait changer le goût du bordeaux et l'adapter à la demande. Ce n'est pas mon point de vue : le bordeaux a un caractère et doit le préserver. Néanmoins, des changements sont nécessaires. Les vins verts, acides, aux tanins secs et peu fruités ne doivent pas être vendus. L'assemblage de cabernet-sauvignon et de merlot produits en Gironde permet d'obtenir des tanins ronds et des fruits mûrs sans pour autant ressembler à des vins australiens.

Certains se plaignent de la réglementation et de l'impossibilité d'utiliser les mêmes méthodes que les producteurs du Nouveau Monde. Des évolutions sont en cours pour donner plus de souplesse. Cependant, de mon point de vue, aucune règle n'a jamais empêché de faire du bon vin. D'ailleurs, le savoir-faire français n'est pas en cause : la meilleure preuve en est les wine makers australiens ou chiliens envoyés chaque année en France pour se perfectionner.

Pour connaître les vins vers lesquels il faut tendre, il ne faut pas hésiter à demander conseil aux leaders d'opinion. Les journalistes spécialisés peuvent apporter une aide. Dans les années 80, les Australiens ont ainsi créé des liens avec la presse. Ils ont obtenu des informations intéressantes sur les consommateurs et sur le marché. Ils ont également pu faire connaître leurs vins plus rapidement. La presse est importante car, en Angleterre, les consommateurs ont besoin de références crédibles. Une recommandation dans un journal du week-end peut faire décupler les ventes. Un guide et un index des vins pourraient être publiés.

La constance dans la qualité

La deuxième piste est la constance dans la qualité des vins, surtout pour les AOC et les vins de pays. La notion de millésime ne doit pas exister à ce niveau de prix. C'est l'une des principales qualités des vins du Nouveau Monde : de gros volumes sont produits avec une qualité constante et correcte.

Les commissions d'agrément doivent jouer pleinement leur rôle sur ce point. Plutôt que de surveiller scrupuleusement la composition des vins, elles devraient être les garantes du goût et du style de l'appellation. C'est la principale faiblesse des vins français. Il est aberrant que des côtes-du-rhône 2002 de mauvaise qualité se soient vendus plus cher que le millésime 2001. Il est tout aussi aberrant de voir que ces vins reçoivent l'agrément. Le plus aberrant reste toutefois le fait que les viticulteurs n'hésitent pas à commercialiser ces vins, sapant ainsi non seulement leur propre travail, mais également celui de leurs collègues au sein de l'appellation.

Le cas des côtes-du-rhône est révélateur. Depuis plusieurs années, l'interprofession effectue une importante campagne en Angleterre afin d'améliorer son image de marque. Une semaine dégustation est organisée tous les deux ans pour les journalistes et les acheteurs. Une campagne de publicité remarquable a été réalisée. L'action de l'interprofession constitue un modèle. Pourtant, de nombreux viticulteurs ont osé commercialiser le millésime 2002. L'effort individuel et collectif a été gâché.

Il est temps que les commissions d'agrément travaillent sérieusement. Les copinages doivent disparaître.

La constance porte également sur les prix. Les aléas du millésime ou du taux de change n'entrent pas dans les critères d'achat du consommateur. L'Afrique du Sud et l'Australie ont dû faire face à d'importantes variations de leur monnaie par rapport à la livre sterling. Les prix en linéaire n'ont pas changé. Seul le niveau des promotions a été affecté. De même, il est inconcevable pour un Australien de demander une augmentation parce que les ventes sont soutenues.

La clarté des étiquettes

La clarté des étiquettes participe à la reconnaissance du vin par le client. Les 460 AOC et les innombrables vins de pays ne facilitent pas le choix. Le message doit être amélioré, car le vin doit être d'un abord facile. Le consommateur doit savoir rapidement et sans aide ce qu'il va trouver dans son verre et dans celui de ses invités. Il a besoin d'être rassuré sur son choix. L'indication d'une microzone géographique dont il n'a jamais entendu parler ne présente pas d'intérêt.

A ce niveau de prix, l'étiquette de la majorité des vins australiens porte le nom de la marque, le cépage et l'indication d'origine « Australie » ou, au mieux, « sud-est de l'Australie », zone plus vaste que la France. La France a une fâcheuse tendance à se découper en morceaux de plus en plus petits.

Le système de l'AOC et des vins de pays est d'une complexité inouïe, apte à décourager la plupart des clients. Rares sont ceux qui savent que chably est une AOC.

Le système n'a de sens que s'il est garant de la qualité et non du type de cépage, du rendement à l'hectare ou de la zone de production.

Le support à la vente

Enfin, il faut réfléchir autant à la manière de promouvoir les vins qu'au niveau des budgets consacrés à la promotion.

Il ne faut plus jouer à la guerre franco-française. Par exemple, j'ai obtenu de la part de la SOPEXA un budget pour promouvoir les vins de pays, mais je n'ai pas eu la possibilité de faire une tête de gondole globale sur ces vins avec des vins de pays d'Oc. J'ai également obtenu un budget pour les côtes-du-Rhône. L'opération dégustation a bien fonctionné, mais mon correspondant de la SOPEXA a observé qu'une hôtesse faisait goûter non seulement un côtes-du-Rhône villages, mais également un crozes-hermitage. Il m'explique que le budget ne s'appliquait pas à ce dernier. Il a fallu modifier le plan de dégustation. Pourtant, si un client apprécie le crozes-hermitage, toute la vallée en bénéficie.

On m'explique souvent que le budget est issu de cotisations basées sur les volumes et que les gros contributeurs souhaitent recevoir une aide en proportion. Les Australiens réagissent différemment. Il n'y a pas de rivalité entre gros et petits producteurs, car les premiers ont compris que les petits producteurs ne peuvent pas leur prendre de clients. En revanche, si le vin est bon, la notoriété rejaillira sur l'ensemble du pays. Dans le cas de la France, cela rejaillirait sur toute l'appellation.

Des raisons d'espérer

Tout n'est pas perdu.

Ainsi, un budget a été enfin dégagé pour promouvoir les produits de France en Angleterre.

La totalité des vins de pays correspond à un volume similaire à la marque la plus vendue, Blossom Hills.

Le mot « France » ou les mots à connotation française font toujours vendre. Deux marques françaises devraient ainsi bientôt faire partie des quinze premières marques sur le marché britannique.

Enfin, le consommateur anglais fait toujours confiance à la France pour les vins plus chers.

En conclusion, les efforts sont importants, mais ils sont nécessaires, car le vin français n'a plus le choix.

Il faut être optimiste. Les efforts peuvent aboutir, comme le montre l'exemple du muscadet. Ce vin était synonyme de vin blanc dans les années 80. Dans les années 90, les ventes ont baissé non seulement en raison de la concurrence, mais également en raison de la baisse de la qualité de plusieurs millésimes malheureusement mis sur le marché. Depuis 2000, les ventes redémarrent grâce aux efforts réalisés sur la qualité, sur l'arrachage des vignes et sur la promotion. Le client anglais peut donc être récupéré. Cependant, ce sera long et difficile.

Marie-Laetitia BONAVITA

Jean-Louis Vallet, responsable de la filière « vins » du groupe Carrefour, va expliquer comment il assure la gestion d'un assortiment permanent de 800 références.

Jean-Louis VALLET 4 ( * )

La problématique du marché français en GMS est presque identique à celle du marché anglais.

La grande distribution n'est pas trop pessimiste. En 2003, les ventes ont baissé de 2,6 % en volume et de 0,4 % en valeur. La distribution raisonne en valeur et non en volume. Cette baisse est raisonnable, car nous savons que la consommation ne peut que régresser.

La répartition par mode de distribution

La répartition des volumes entre les hypermarchés et les supermarchés a peu évolué depuis 2000 : 24 % pour les premiers, 26 % pour les seconds. Le « hard discount » a connu une poussée significative depuis 1997, passant de 9 % à 16 %. Le commerce de proximité est stable, avec 6 % du marché. La part des autres modes de distribution (magasins spécialisés, vente directe, vente par correspondance) a baissé de 33 % à 28 %.

La réussite du « hard discount » dans les vins est intéressante à analyser. La part de marché est de 12,7 % en valeur des produits de grande consommation (PGC), c'est-à-dire l'alimentaire et le bazar. Le « hard discount » ne se préoccupe pas du marché : la répartition des ventes entre vins de table, des vins de pays et des vins de qualité produits dans des régions déterminées (VQPRD) n'est pas cohérente avec le marché national car le « hard discount » fait une offre de prescription, organisée autour d'une quarantaine de références. Il choisit des vins présentant un bon rapport qualité/prix. Enfin, les achats en « hard discount » sont rapides. La réussite du « hard discount » est à observer car elle n'est pas sans impact sur l'évolution de la distribution et de la filière vin.

Le conditionnement

Les conditionnements apportent un éclairage sur les ventes. La brique n'a jamais eu de succès en France. Le cubitainer perd des parts de marché en volume, mais il est relayé par le « bag in box ». Ce conditionnement est récent, mais il nous rassure sur les possibilités d'innovation de ce marché. Il peut également être porteur de marque. Il permet de vendre du rêve et non plus seulement du terroir. Le verre consigné a presque disparu. C'était le principal vecteur du vin-aliment. La croissance des ventes en verre perdu, c'est-à-dire en bouteille de 75 centilitres, est terminée. Une rupture de tendance est apparue il y a cinq ans. Depuis, la part diminue de 2 à 4 points par an.

Les consommateurs

Les consommateurs peuvent être divisés en cinq catégories, selon les études commandées par l'ONIVINS. Deux catégories - les passionnés et les curieux - peuvent faire l'objet d'une communication « fun ». Ces consommateurs ont du temps et ils ont l'envie de chercher. Les trois autres catégories - les contraints (7 %), les quotidiens (21 %), les acquis (23 %) - font des achats rapides. Le distributeur doit être prescripteur pour leur faciliter le choix. Il doit également les rassurer. Cela impose une lisibilité de l'offre, facteur clé du succès.

La répartition des ventes en volume

La répartition des ventes en volume est importante, car elle constitue la base du merchandising. Nous analysons les parts de marché et nous essayons de les reproduire dans les rayons. Les rouges représentent 66 %, les blancs 15 % et les rosés 18 %. Les rosés connaissent une forte croissance. La répartition par qualité est la suivante : VQPRD : 53 % (74 % en valeur), vins de table : 23 %, vins de pays et vins de cépage : 21 %, vins étrangers : 1,7 %. Les vins de table sont trop souvent négligés, mais ils sont importants, car ils prennent la place des vins en verre consigné.

L'importance des vins étrangers est liée pour moitié à la consommation traditionnelle des personnes d'origine immigrée (Italie, Espagne, Pieds noirs) et aux nouveaux consommateurs (curieux et initiés). Le marché des nouveaux consommateurs va croître, mais il se portera probablement essentiellement sur les vins français, à moins d'une opération marketing des vins étrangers.

Les vins de cépage sont passés de 3,2 % à 7,1 % de part de marché, mais cette augmentation correspond à une baisse des vins de pays, dont ils constituent une sous catégorie. Toutefois, cette évolution est significative, car elle traduit un développement des vins de marque aux dépens des vins de terroir.

Enfin, les AOC progressaient de 2 % par an depuis trente ans. Une rupture de tendance a eu lieu en 2001. Depuis, ils baissent de 1 % à 2 % par an. Ce phénomène est inquiétant. Des actions doivent être menées.

La rotation des produits

Une étude a été réalisée sur un hypermarché de 24.000 mètres carrés. Il a commercialisé 1.400 références en trois mois : 900 références permanentes et 500 références liées aux promotions et aux foires aux vins. Le nombre de références est très important et complexe à gérer.

Dans un hypermarché de 7.000 mètres carrés, 55 % des références ont une rotation d'une bouteille par jour. Dans un autre de 24.000 mètres carrés, 45 % des références sont dans ce cas. 93,6 % des références ont une rotation inférieure à un carton par jour. La rentabilité du rayon n'est pas très élevée, contrairement à l'idée commune. De ce fait, la distribution doit gérer des stocks considérables. Les poids morts sont très importants. Comme tous les magasins Carrefour sont livrés en vin quotidiennement et en flux tendu, la logistique est particulièrement complexe.

L'inflation des références

Le nombre de références augmente de 4 à 6 % par an depuis 1997 dans les hypermarchés et de 2 à 3 % dans les supermarchés. Depuis quelques mois, la croissance a ralenti. Carrefour cherche à avoir la plus grande exhaustivité de l'offre, ce qui est difficile pour le vin du fait des 470 appellations et des innombrables vins de pays.

En conséquence, le volume par référence baisse de 6 % par an, d'autant plus que le marché n'est pas porteur. La taille des linéaires consacrés au vin est donc menacée. Pour mémoire, les plans d'occupation des sols (POS) sont gérés pour optimiser les surfaces car la réglementation limite la croissance des magasins. C'est donc le moment d'agir si nous voulons maintenir la taille des linéaires face à des produits rayons plus performants.

En outre, la consommation des vins est fortement marquée sur le plan régional. Par exemple, 32 % des ventes portent sur le bordeaux dans la région de Bordeaux, contre 46 % dans le Nord et 20 % dans le sud-est. L'assortiment doit donc s'adapter au marché local, ce qui est également complexe à gérer. En outre, cette régionalisation de la consommation s'accentue. En particulier, les ventes des produits de la région augmentent. C'est l'inverse de la mondialisation. Le « géomarketing » doit donc être très localisé.

L'élasticité des parts de marché par rapport au prix

Dans la distribution, les fluctuations des cours sont difficiles à gérer. Les volumes évoluent clairement à l'inverse des prix. La filière doit donc apprendre à gérer ses cours et à maîtriser son offre.

La saisonnalité pose également problème. Les ventes de rosé connaissent un pic en été. Les blancs se vendent particulièrement en fin d'année. Les rouges se vendent surtout lors des foires aux vins et en fin d'année. Le rayon doit donc s'adapter en fonction des saisons, ce qui est un autre facteur de complexité. Cependant, la saisonnalité est positive pour la distribution et il n'y a donc pas d'action particulière à mener.

Les marques

Les marques pour le vin sont un tabou en France. Pourtant, du point de vue de la distribution, les marques ne s'opposent pas aux terroirs, car ce sont deux marchés clairement différenciés. Des terroirs peuvent d'ailleurs être vendus comme marques : c'est un problème d'approche du consommateur. Le consommateur peut souhaiter acheter un bordeaux rouge à 3 euros, un « bag in box » ou un JP Chenet. Autrement dit, le consommateur peut avoir plusieurs démarches. La distribution cherche à répondre à chacune de ces clés d'entrée. Il ne faut donc pas opposer les marques aux terroirs.

Une mesure urgente consisterait à autoriser la mise en rayon de vins de pays dans l'univers VQPRD. Actuellement, la ségrégation réglementaire interdit de les faire cohabiter, ce qui réduit la visibilité des rayons. Lorsque le consommateur cherche un vin de pays de Carcassonne, il doit trouver dans le même rayon le corbières ou le minervois. Ce problème est mis en évidence depuis longtemps et la réglementation n'a pas évolué, malgré les difficultés de la filière.

La progression des marques

En prenant les huit premières marques de bordeaux, la croissance est faible en valeur, mais elle est d'un point en volume. Les marques progressent également dans les vins de table et dans les vins de pays. Ce mouvement doit être accompagné.

La communication

Le budget communication des vins tranquilles est de 35 millions d'euros, contre 110 millions pour les apéritifs et alcools et 74 millions pour les bières. En outre, hormis Castel, seules les interprofessions communiquent. Autrement dit, la communication ne porte pas sur le produit, mais sur l'image.

En conclusion, la filière doit aider la distribution à améliorer la lisibilité du rayon et à structurer l'offre. Le vin est le seul rayon qui ne s'articule pas autour des marques. Or les marques constituent le seul moyen d'éviter l'atomisation de l'offre néfaste à la promotion des ventes.

Emmanuel DRION, Interprofession des vins de la Vallée du Rhône

Je reviens sur l'importance de la qualité, de sa constance et de la typicité des vins. L'agrément, tel qu'il est actuellement conçu, n'y contribue pas. 97 % à 99 % des vins sont agréés : ce n'est pas un véritable agrément.

Deux moyens permettraient de redonner de la valeur à l'agrément. D'une part, l'externalisation de l'agrément paraît nécessaire, car il n'est pas possible d'être juge et partie. De nombreuses autres industries agricoles et non agricoles s'adressent à des organismes certificateurs qui sont réellement indépendants. D'autre part, l'agrément devrait être le plus proche possible de la certification.

Par ailleurs, je me demande quelle raison justifie l'interdiction de la mention du nom de cépage, alors qu'il s'agit d'un guide évident pour le consommateur étranger.

De la salle

La réglementation européenne permet à tout le monde d'indiquer le nom du cépage sur l'étiquette. Pourtant, les pouvoirs publics nous ont expliqué qu'ils l'interdiraient d'ici quelques mois. J'espère qu'ils reviendront sur leurs intentions, sinon ce serait une catastrophe pour la filière.

Jean FLEURY, président de la commission vin et spiritueux des Conseillers du Commerce extérieur de la France (CNCCEF)

Les conseillers du commerce extérieur (CCE) de la France représentent 3.600 hommes et femmes de terrain spécialistes de l'export. Nous collaborons avec François Loos pour comprendre le marché.

Le message des CCE s'établit autour de deux idées fortes. D'une part, si le marché mondial devient une priorité de la filière, il faut en accepter les règles. Si ce n'est pas le cas, il faut continuer d'écouler la surproduction en France.

D'autre part, les filières concurrentes n'apparaissent nulle part ailleurs aussi divisées qu'en France. Les ministères estiment que la filière viticole doit se prendre en main et conserver sa liberté, mais sa division est telle qu'aucune expression claire ne peut apparaître. L'Etat a donc un rôle essentiel à jouer pour aider la filière à s'unir.

Gérard CÉSAR

Le ministre chargé de l'Agriculture répondra sur ce point lors de la conclusion du colloque.

Concernant la politique des cépages, je suis favorable à ce que chaque bassin de production gère sa politique, comme le ministre l'a souhaité en juillet. Chaque bassin doit faire des propositions cohérentes entre viticulteurs et négociants.

Jean-Pierre ANDLAUER, Monoprix

J'appuie la démarche de Jean-Louis Vallet. La distribution souhaite pouvoir faire ce qu'elle veut dans ses linéaires. Les linéaires doivent correspondre aux clients - les clientes pour Monoprix -. Dans les linéaires, l'offre doit être simple.

Patrick ÉVIN, ONIVINS

Les marques de distributeur (MDD) n'ont pas été évoquées. Qu'en est-il ?

Jean-Louis VALLET

Les MDD ont un réel succès. Elles représentent 20 % de nos ventes et continuent de prendre des parts de marché. Leur existence est anachronique, car les MDD s'articulent autour de marques nationales et qu'il n'existe pas de marque nationale dans le vin. En fait, les MDD se substituent aux marques nationales.

Françoise BRUGIÈRE

Les MDD existent également en restauration. Les grossistes brassicoles ont essayé de les développer car, lorsqu'ils ont souhaité vendre du vin, ils se sont rendu compte de la confusion et de la complexité de l'offre. Cependant, il est difficile pour les petits établissements de proposer les mêmes vins que le supermarché ou le Monoprix situés juste à côté. Les MDD des brasseurs rencontrent donc peu de succès.

Table ronde n° 3 :
Une opportunité à exploiter : le tourisme vitivinicole

Sont intervenus :

M. Jean-Noël BOSSÉ , directeur associé de la SOPEXA

Mme Anne COINTREAU , propriétaire d'une exploitation vitivinicole en Afrique du Sud (domaine de Morgenhof)

M. Pierre MIRC , président de la cave coopérative de Limoux

Marie-Laetitia BONAVITA

Le tourisme vitivinicole est une opportunité. Il permet d'associer le patrimoine architectural et paysager avec les saveurs du vin.

Jean-Noël BOSSÉ 5 ( * )

Le contexte

La France est la première destination touristique du monde avec 75 millions de visiteurs par an. La consommation touristique représente 102 milliards d'euros, dont 56 % sont le fait d'étrangers. Les dépenses des touristes en hôtels, restaurants et cafés s'élèvent à 48,1 milliards d'euros. Un quart du chiffre d'affaires des hôtels, restaurants et cafés correspond au tourisme.

La surface du vignoble est de 850.000 hectares. 5.000 caves sont ouvertes, c'est-à-dire qu'elles reçoivent des visites. Une cave ouverte permet d'augmenter le chiffre d'affaires de 30 %.

Il existe une affinité certaine entre les touristes étrangers et les vins de France. D'ailleurs, les statistiques des exportations de vins et du tourisme correspondent : la Grande-Bretagne est le premier marché à l'export pour le vin et le premier marché du tourisme étranger en France. Il en est de même pour l'Allemagne (deuxième), les Pays-Bas (quatrième) ou le Japon (respectivement huitième et neuvième).

Les études de l'Agence française d'ingénierie touristique (AFIT) montrent que les touristes étrangers représentent 33 % des visiteurs des caves. 45 % des touristes étrangers citent la gastronomie et les vins comme un critère important de leur visite en France. 29 % disent même qu'ils ne viennent que pour la gastronomie et les vins.

Ces chiffres correspondent aux études réalisées par UBIFRANCE et SOPEXA en Grande-Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas. Ces études approfondies montrent que la qualité des vins français est toujours reconnue. Toutefois, il s'agit d'une attente exigeante. Dès qu'un dérapage apparaît, la presse anglo-saxonne se focalise dessus. L'impact des erreurs est donc élevé. Les études montrent également que tous les pays considèrent que la diversité est un avantage. Cependant, une trop grande diversité crée de la cacophonie et constitue une nuisance.

Les études plus fines d'image et de perception, réalisées en particulier par les agences de publicité, montrent que les étrangers reconnaissent aux Français le brio de l'intellect, la créativité, l'originalité et l'esthétisme. De ce fait, même si les étiquettes ne correspondent pas aux critères normaux d'esthétisme, elles correspondent à ce que les étrangers pensent des Français. Le talent de jouissance - le sens du plaisir, la sensualité et la convivialité - des Français est toujours reconnu. Ces mots ressortent toujours dans les interviews réalisées en micro-trottoir. Enfin, la culture alimentaire - le plaisir, le partage, le mariage des saveurs - est également toujours reconnue.

Les leaders d'opinion nous indiquent que la France reste la référence en vin. Cependant, ils sont las d'entendre des promesses non tenues. Ils critiquent également la complexité intransigeante prêtée au système des vins français. De mon point de vue, cette complexité est effectivement « prêtée » aux vins français. Le problème porte surtout sur l'expression rigide des différents critères. Le système est compris dès lors que la communication porte sur les « dix commandements de l'AOC ». Il n'est pas nécessaire de connaître la « bible des 450 AOC ».

Par ailleurs, la réussite des vins des nouveaux pays producteurs correspond pour une part importante au fait qu'il s'agit de vins des anciennes colonies. L'affinité historique, culturelle et linguistique est forte. Ainsi, les vins étrangers dominant en Hollande sont les vins d'Afrique du Sud. La presse est très favorable à ces vins, alors qu'elle est difficile à l'égard des vins français.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la première décision que j'ai prise en Angleterre, où je viens d'être nommé directeur général adjoint de SOPEXA, est de subventionner le repas de Noël des journalistes spécialisés dans la gastronomie et le vin. Ils nous le demandaient depuis dix ans.

Le tourisme vitivinicole

Le groupe de travail du tourisme vitivinicole a été créé en 2000 sur la base de conseils de la Maison de la France, du comité régional du tourisme de Bourgogne et de SOPEXA. L'ONIVINS nous a rejoints rapidement.

L'objectif est d'exploiter les affinités entre le vin et le tourisme, de massifier les moyens lorsque c'est opportun et d'aller du « made in France » au « made by France ». Ce troisième objectif consiste à nourrir l'image France d'un contenu allant au-delà de la gastronomie et du vin. L'image « France » doit contenir également un environnement et la beauté des paysages : 75 millions de touristes viennent en France parce que c'est un beau pays.

Le groupe essaie également de donner au consommateur l'envie de boire sur place. Les dégustations dans les hypermarchés et dans d'autres lieux sont productives, mais elles le seraient d'autant plus si le consommateur était un touriste en cave. Une personne est mieux convaincue lorsqu'elle se trouve in situ .

Le groupe de travail intervient en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Belgique, aux Etats-Unis et aux Pays-Bas.

Des outils transversaux autour du concept de tourisme vitivinicole sont également mis en oeuvre. Le premier outil est le portail web « vins-de-france.com ». Ce site est actuellement traduit en quatre langues et le sera prochainement dans d'autres langues, grâce à des crédits de l'ONIVINS. Le deuxième outil est la carte « bienvenue dans les vignobles de France ». Elle est utilisée dans toutes les animations. 400.000 exemplaires ont été distribués. Le troisième outil est le Guide de formation des vins de France. Il permet de connaître les régions viticoles et leurs atouts touristiques. Le groupe de travail s'attache à la formation des formateurs et des personnes recommandant les vins, comme les sommeliers. Le groupe a établi un fichier de 7.000 professionnels du vin au Japon et de 4.000 à New York.

Des actions spécifiques sont réalisées dans chaque pays. En Allemagne, six rendez-vous ont été organisés autour du « bistrot ambulant ». Il y a une synergie entre la présentation des vins de France et leur dégustation. Bien sûr, les exportateurs des vins français sont associés à ces opérations, même si c'est parfois de façon trop tardive. En Grande-Bretagne, le site internet est davantage utilisé. Par exemple, une action est réalisée autour de l'idée « wine week-end in France now ». Nous insistons sur le fait que tous les goûts sont dans la nature et que la diversité des vins français permet de répondre à tous ces goûts. En Belgique, un partenariat est mis en place avec UIT Magazine, revue destinée aux voyageurs. Des soirées dégustation sont organisées. Aux Etats-Unis, les vins français constituent un moyen d'expression politique. Il est difficile de se battre contre cette attitude. Le travail doit donc se faire en association avec les Américains.

La communication axée sur les contenus

La communication est également axée sur les contenus. La Maison de la France fait campagne sur l'art de vivre à la française pour expliquer pourquoi il faut visiter notre pays. La richesse patrimoniale et territoriale s'exprime non seulement dans les campagnes sur la France, mais également dans les campagnes régionales. L'action des régions constitue un bruit de fond et forme un halo positif pour notre pays. L'ONIVINS finance une importante communication sur les vins de France en Angleterre. Un budget de 1,5 million d'euros vient d'être voté et ajouté au budget initialement prévu.

Au total, les campagnes de communication des interprofessions ainsi que la proximité et le biculturalisme des équipes SOPEXA permettent une présence continuelle sur les marchés. Nous disposons d'un contact permanent avec les acteurs de chaque pays.

Enfin, SOPEXA a mis au point le concept de « l'apéritif à la française », afin d'expliquer que la culture alimentaire française n'est pas compliquée, mais festive et conviviale. Cette opération a été réalisée dans 12 pays en 2003. Elle a été un succès dans 11 pays. Elle sera élargie à 20 pays en 2005. Le but consiste à dire qu'on peut aimer la France et consommer français sans complexe.

Marie-Laetitia BONAVITA

Anne Cointreau va nous expliquer comment elle a associé le tourisme vitivinicole et le développement de son entreprise familiale.

Anne COINTREAU 6 ( * )

Le domaine de Morgenhof est situé dans la province de Stellenbosch, près du Cap, en Afrique du Sud.

Partir en 1992, avant l'ouverture officielle du pays et l'élection de Nelson Mandela, était certes un défi, mais c'était surtout la possibilité de relancer une propriété vieille de plus trois siècles et de la situer dans le développement du tourisme régional.

Le premier objectif consistait certes à transformer le vignoble et à produire du vin de qualité, mais il s'agissait surtout de capter les revenus des ventes sur place en attendant de créer un réseau de distribution spécifique.

Je me suis donc concentrée, d'une part, sur le développement d'un tourisme de découverte économique sur le domaine autour de la découverte d'un produit, d'un savoir-faire, d'un patrimoine historique régional et, d'autre part, sur la diversification des sources de revenus.

La situation

La région de Stellenbosch est la région des vins la plus visitée. S'y rendent en effet 53 % des touristes étrangers et 23 % des touristes sud-africains. Un tiers des étrangers et la moitié des Sud Africains sont reçus par des amis ou de la famille. Les habitants de la région sont donc le principal marché et le principal vecteur de communication.

Le touriste recherche un cadre environnemental, une promenade à travers l'histoire, une dégustation, la compréhension d'un savoir-faire et une initiation à l'association des mets et des vins. Il apprécie la convivialité autour d'un repas.

Deux solutions permettent de se faire connaître : la publicité dans les journaux et le bouche-à-oreille. J'ai choisi cette seconde solution.

La stratégie

Pour atteindre mes objectifs, j'ai créé un vin reconnu. Le vignoble a été transformé pour privilégier une qualité basée sur le terroir. J'ai construit un chai enterré pour le vieillissement des vins rouges.

J'ai réaménagé un chai pour les vins blancs. J'ai créé un environnement en rénovant les bâtiments historiques de style Dutch, en réalisant un jardin à la française et en ouvrant un restaurant. Cela me permet d'accueillir les réceptions, les séminaires et les mariages aussi bien en été qu'en hiver. J'ai également créé un nouveau centre de dégustation de style architectural français. Cela offre un sujet de conversation et, surtout, cela permet d'attirer des visiteurs.

Il fallait également créer une atmosphère autour de ce cadre. J'ai donc organisé des journées allant du petit-déjeuner au salon de thé, ainsi que des repas à thème, des concerts et des expositions d'artistes locaux.

En 1993, Morgenhof était déjà sur la carte touristique. Le domaine faisait partie de la route des vins de Stellenbosch. J'ai développé le domaine afin d'accueillir un plus grand nombre de visiteurs, ce qui permet de créer de la notoriété et une reconnaissance de la marque. Le domaine est désormais mondialement connu et l'image de marque bien développée.

Nous avons développé les exportations. Elles ont concerné 29 pays en 2004 contre cinq pays en 1994. Ce contact avec les différentes cultures et avec les standards internationaux nous a permis d'améliorer l'accueil à la propriété.

Pour renforcer la notoriété de la marque, la stratégie marketing a consisté à répondre à la demande de la clientèle. 70 % des visiteurs cherchent un environnement agréable. 21 % sont intéressés par la dimension historique. 95 % viennent déguster les vins. 38 % veulent rencontrer l'oenologue ou le maître de chais pour apprendre quelque chose de nouveau. 24 % des visiteurs désirent trouver un restaurant, lequel permet d'ailleurs de fidéliser les clients.

Les résultats

La combinaison de l'industrie du vin et de l'industrie du tourisme est profitable. Je n'imagine pas l'une sans l'autre. Les dégustations et les ventes à la propriété offrent des informations immédiates pour la production et le marketing.

Il fallait veiller cependant à certains éléments : l'accessibilité (les panneaux indicateurs doivent être clairs), la saisonnalité (il faut être innovant et créateur tout au long de l'année), l'intégration de la communauté locale.

Surtout, l'équipe doit être dévouée et motivée à l'association des deux industries. Elle doit recevoir une formation permanente pour offrir un service de qualité à l'accueil dans l'organisation des visites, dans la dégustation, dans la restauration et la sécurité. De mon point de vue, les personnes de l'équipe sont les premiers agents publicitaires.

L'ouverture d'un domaine au public constitue une perte partielle en termes de vie privée, d'autant plus que le domaine est ouvert sept jours sur sept et toute l'année. Elle représente également un investissement important.

Après douze années d'exploitation, le choix de concentrer nos activités sur le tourisme du vin s'est révélé très positif. La croissance est importante : 4.000 repas en 1994 et 40.000 repas en 2002, des réceptions occasionnelles en 1994 et au nombre de 250 en 2002, un nombre de visiteurs passant de 15.000 en 1994 à 130.000 en 2002. Les vins ont obtenu de nombreuses médailles. Les visites et dégustations peuvent se faire en plusieurs langues. Plusieurs concerts et une exposition d'art sont organisés chaque année. Il existe un club pour fidéliser la clientèle au moyen de produits dérivés. Un site Internet a été ouvert en 1997. Il permet aux étrangers de préparer leur visite. Dès 2000, le domaine est devenu l'une des cinq propriétés les plus visitées de la région du Cap. Cette croissance a permis de développer les ventes de vins sur la propriété. Elles représentent 25 % des ventes totales.

En conclusion, le développement du tourisme de découverte économique à Morgenhof avec le centre de visites a permis, outre le renforcement de l'image de marque, d'atteindre plusieurs objectifs : commercial (promotion des produits), éducatif (meilleure compréhension des méthodes de production et découverte d'un savoir-faire), social (emplois, intégration de la population locale), managérial (mobilisation des salariés autour d'un projet commun) et financier (diversification des sources de revenus).

Le centre de visites représente également un choix alternatif face à la pointe du Cap, à la montagne et à la mer. La visite de la propriété est une halte naturelle au cours de la visite de la région. Elle contribue à l'allongement de la durée des séjours touristiques. Le développement de la découverte économique est un facteur essentiel du développement durable du domaine de Morgenhof.

Pierre MIRC

Avant de présenter l'opération « Toques et clochers », je reviens sur un point. Il est vrai que les analyses actuelles sur la situation du vin ne sont pas nouvelles. La filière manque surtout d'actions concrètes.

La filière manque également d'un arbitrage. Nos politiques devraient avoir la volonté d'arbitrer les débats, notamment sur deux points. Premièrement, le ministre chargé de l'Agriculture devrait trancher la question du vin de France. Cette notion permettrait de nous unir. La filière a besoin d'un produit derrière lequel tous les acteurs se retrouvent.

Deuxièmement, le Gouvernement devrait avoir un discours clair. Chaque fois que le ministre chargé de la Santé s'exprime, c'est une catastrophe pour la filière. Or, son rôle est de s'occuper de la santé, et non du vin. Il devrait être possible de parler du vin sans faire systématiquement référence à la santé. Le Président de la République et le Premier Ministre devraient avoir le courage politique de mettre de l'ordre dans la maison France.

A propos de la santé, mon grand-père buvait quatre litres de vin par jour. Il est mort à 90 ans. Une consommation de quatre litres était normale à l'époque : un demi-litre au petit-déjeuner pour préparer le travail dans les champs, un demi-litre dans la matinée, un litre le midi, un litre l'après-midi et un litre le soir.

L'opération « Toques et clochers » est une opération de vignerons. Elle était assez « brute » au début. Une fois mise en place, il a suffi de dégager les moyens nécessaires en marketing et en communication pour que le projet réussisse. C'est devenu une marque.

Cette opération a été mise en place dans les années 90, à la suite d'une période de crise. Il fallait trouver quelque chose d'original pour faire connaître les produits. Nous avons compris que le vin ne pouvait pas gagner seul. Nous avons décidé d'y associer d'autres éléments forts de la France. Nous avons donc réfléchi à ce qu'elle représente aujourd'hui : la gastronomie et le patrimoine. Comme le patrimoine est moins important dans le Midi, nous avons décidé d'associer les églises et les villages. La dimension gastronomique est apportée par un chef « trois étoiles », qui préside l'opération.

Une vente aux enchères de vin est donc organisée pour récolter des fonds pour rénover les clochers des villages. L'appellation Limoux est une appellation qui s'étend sur 40 communes possédant 42 clochers. Nous en restaurons un chaque année et nous l'inaugurons l'année suivante. Nous avons déjà restauré 14 clochers.

La vente aux enchères se conclut par un repas de gala organisé pour les principaux clients, les sommeliers et les restaurateurs. 800 à 1.000 personnes dînent ainsi chaque année. Leur repas est l'équivalent de celui qu'elles dégusteraient dans un restaurant trois étoiles, ce qui implique une lourde organisation.

L'opération a atteint une certaine notoriété. 120 fûts sont vendus chaque année à 40.000 francs l'unité. Les fûts sont des vins uniques : nous avons choisi un ou deux vignerons par village pour représenter son clocher. Un cahier des charges a été établi, mais rien n'est imposé, car l'opération est basée sur le volontariat.

Le plus important est la marque. Elle a été créée il y a 15 ans sans moyens. Aujourd'hui, 500.000 bouteilles portent la marque « Toques et clochers ». 70 % sont destinées à l'exportation.

Plus de 1.000 visiteurs assistent à la vente aux enchères, dont 80 % d'étrangers. 20.000 personnes viennent à la fête populaire du samedi dans le village dont le clocher a été restauré.

C'est donc une opération simple qui prend de l'ampleur. En conséquence, je vous invite tous les ans lors des Rameaux à y participer.

Patrice BERSAC, vice-président des Vignerons franciliens réunis

Nous représentons 150 vignes en Ile-de-France, sur 10 hectares. Nous ne ferons donc pas concurrence aux autres vignobles. En revanche, les opérateurs de tourisme nous sollicitent de plus en plus pour montrer des vignes. Nous nous sommes lancés dans une ingénierie vitivinicole en réunissant des professionnels afin de présenter de belles vignes.

Le 20 novembre, nous tiendrons notre troisième colloque sur le thème « quel tourisme viticole pour l'Ile-de-France ? ». Il est réalisé, notamment, avec la Confédération française des vins de pays.

Le tourisme vitivinicole est important. Il a un caractère pédagogique et éducatif. Il vise à renouer le lien entre les Français, les touristes et le vin. Quels sont les encouragements dont nous pouvons disposer, notamment sur le plan financier, pour faire progresser le tourisme vitivinicole ?

Jean-Noël BOSSÉ

La SOPEXA est un organisme tourné vers l'étranger. Elle ne dispose d'aucun fonds pour la France.

Il faut faire connaître votre projet. Nous travaillons sur la route des vins de France. L'idée d'une route des vins parisienne est intéressante, car de nombreux touristes venant en France ne sortent pas de Paris.

Anne COINTREAU

En Afrique du Sud, nous nous sommes associés avec les restaurateurs et les musées locaux afin d'attirer les tour-opérateurs en leur fournissant un package.

Pierre MIRC

Si une région n'a pas de moyens suffisants, elle doit utiliser ses atouts naturels, qui ne sont pas assez mis en valeur. Les Italiens développent l'habitat chez le producteur. Pour le reste, je ne sais pas si la viticulture française supporterait le modèle sud-africain. La viticulture est plus concentrée et plus familiale.

Jean-Pierre COINTREAU, administrateur de l'Association nationale des sites remarquables du goût

Le tourisme de découverte économique, auquel peut se rattacher le tourisme vitivinicole, est une question d'ambition. Si on n'a pas les moyens seuls, on se réunit. Ce tourisme ne peut pas se faire avec de petits moyens. Georges Duboeuf a investi 10 millions d'euros à Romanèche-Thorins pour recevoir 70.000 visiteurs. Il a eu des subventions.

Pour ma part, j'ai ouvert le Cassissium en Bourgogne. J'ai eu des aides en nature avant et après avoir ouvert. Mon budget prévisionnel était de 10 millions de francs. Mon banquier m'a donné son accord pour un leasing sur 12 ans. Il estimait que j'étais pessimiste quant à la réussite de l'opération. Nous recevons aujourd'hui 33.000 visiteurs. L'exploitation est profitable. Il est important d'avoir une équipe dédiée, car le tourisme est un métier particulier.

DEUXIÈME PARTIE -

LA FILIÈRE : UNE MODERNISATION EN MARCHE ?
L'exemple de la rénovation du vignoble

M. Philippe de Guénin, directeur de l'Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS)7 ( * )

En contrepoint des précédentes remarques, je souhaiterais présenter un exemple de la modernisation de la viticulture et de l'adaptation aux nouvelles attentes. Les mesures d'intervention structurelle sur le vignoble sont anciennes en France et en Europe.

L'arrachage primé

Dès 1976, une politique d'arrachage définitive a été mise en oeuvre. L'objectif consistait à adapter structurellement une offre excédentaire, compte tenu de l'évolution de la consommation.

L'arrachage primé a permis de réduire la surface plantée en vigne (1.070.000 hectares) de 220.000 hectares, soit 20 % de la surface totale. L'outil a donc été efficace. Cette politique a particulièrement concerné le Languedoc-Roussillon, où 100.000 hectares ont été arrachés. L'amélioration de la qualité et la baisse des rendements ont également été utilisées, mais de façon secondaire, pour l'objectif de réduction globale de la production.

Le nombre d'exploitations cultivant des vignes est passé de 405.000 en 1979 à 144.000 en 2004. La superficie de ces exploitations est passée de 2,6 à 6,2 hectares.

La réglementation a donc permis la réduction de la production.

La restructuration des vignobles

Par ailleurs, une politique de restructuration du vignoble a été mise en place de façon complémentaire. Elle a été mise en oeuvre dès 1973 dans le sud de la France. Le financement a d'abord été français, avant d'être partiellement pris en charge par le FEOGA. Il est principalement communautaire depuis 1999.

L'organisation commune de marché a mis en place cette mesure à la suite du constat que le cycle de vie de la vigne ne correspondait plus à la variation rapide des modes de consommation. Il fallait donc accompagner l'évolution des vignes pour que le décalage diminue. Cette politique a permis d'adapter le vignoble à la baisse de la consommation des vins de table et à la montée parallèle des vins de pays puis des vins de cépage.

200.000 hectares de vignes ont été transformés dans ce cadre, dont la moitié en Languedoc-Roussillon.

Il ne faut donc pas croire que la viticulture ne s'adapte pas. C'est un processus lent, car le changement des cépages est long à mettre en oeuvre, mais néanmoins continu. Il permet de satisfaire les nouveaux désirs des consommateurs et de conquérir des marchés à l'export, au moins sur quelques créneaux.

Les résultats

Les vignobles produisant des vins de table ont évolué vers les vins de pays et les vins de cépage.

Les cépages choisis sont ceux qui ont actuellement du succès au niveau international, comme le merlot et le cabernet-sauvignon. Les cépages productifs destinés à l'assemblage des vins de table disparaissent (carignan, aramon). L'évolution est la même pour les vins blancs.

Cette évolution est visible dans la croissance des AOC et des vins de pays et dans la baisse des vins de table. Depuis 1997, les volumes de vins de cépage ont considérablement crû.

Les outils sont utilisés à parts égales dans les vins de pays et dans les AOC. Ils servent, par exemple, à faire évoluer les proportions de cépages ou à déplacer les vignes de la plaine vers les coteaux. L'objectif demeure le même : se recentrer sur la demande qualitative du consommateur.

La France a donc bien bénéficié des outils communautaires. Elle en a profité davantage que d'autres pays européens en raison du dynamisme existant dans leur mise en oeuvre. La restructuration représente un budget annuel de 100 millions d'euros en France. Les outils peuvent paraître coûteux mais, en fait, ils sont bon marché par rapport à la production. Ils représentent seulement 2 ou 3 % des coûts, ce qui est bien moins élevé que dans d'autres filières agricoles.

Table ronde n° 1 :
Garantir les promesses des signes de qualité

Sont intervenus :

M. René RENOU , président du comité national des vins et eaux-de-vie de l'Institut national des appellations d'origine (INAO)

M. Philippe MAUGUIN , directeur de l'INAO

M. Yves BÉNARD , coprésident du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) et directeur des activités « champagne et approvisionnement » du groupe LVMH

M. Xavier CARREAU , président de la Fédération des grands vins de Bordeaux

René RENOU

Pourquoi est-il urgent de se préoccuper de la crise viticole ?

L'évolution de la situation

Le contexte est connu : la France était auparavant en situation de monopole, l'offre était inférieure à la demande mondiale, le seul code de lecture était le code français repris au niveau européen, le vin était lié au terroir. On faisait ce qu'on voulait.

Aujourd'hui, la situation est différente : concurrence internationale, offre supérieure à la demande planétaire, code de lecture anglo-saxon. Le principe est simple : le consommateur recherche un plaisir immédiatement accessible. Cela correspond à un achat impulsif. C'est le cas de 85 % du marché. Les 15 % restant correspondent à la conception française traditionnelle. Cette part doit être préservée et magnifiée, mais il n'est pas possible de méconnaître l'autre approche du consommateur.

Deux points sont importants : la qualité et l'identité. De mon point de vue, le contrôle de la qualité au dernier niveau de l'agrément est trop tardif. La qualité doit être recherchée en amont. Le décret du 5 novembre 2002 précise que l'INAO doit s'assurer que les vignes qui revendiquent l'appellation respectent bien les critères. Bien sûr, les contrôles ne peuvent porter que sur les éléments précisés par la réglementation.

La réécriture des décrets

Le 29 avril 2004, j'ai exprimé des idées qui ont déclenché un débat. Nous pensons unanimement que la réécriture des décrets est indispensable et urgente pour répondre à la double préoccupation du consommateur : la garantie de qualité et l'identité du vin. Ces deux dimensions passent par un décret « charte de qualité ».

Après l'accord du 21 juillet dernier et la réunion de la mi-octobre du bureau de l'INAO, nous allons contacter les syndicats d'appellation pour leur proposer de réécrire leurs décrets, en accord avec la filière. Cet acte ne doit pas être compris comme un acte administratif inutile, mais comme une volonté de permettre la réappropriation de chaque appellation par les producteurs.

L'appellation ne doit plus être un privilège. Le protectionnisme consistant à protéger les mauvais vins ne doit plus être admis. Il ne peut fonctionner dans un univers de concurrence internationale et d'offre supérieure à la demande. Le positionnement de chaque appellation devra être réévalué. Nous devrons démontrer que nous sommes les meilleurs, car nous ne sommes plus seuls.

Il faudra réécrire les décrets, même si cela conduira sûrement à des tensions. Elles sont nécessaires et salutaires pour l'avenir du vignoble. Nous ne pouvons plus considérer que nous sommes protégés. La crise n'est plus conjoncturelle, mais structurelle. La seule manière d'amortir le choc est de repositionner les vins français dans une logique de bonne surprise et non de déception, même si la déception ne concernait que 5 % de l'offre.

La stratégie

La France ne peut plus se battre seule. Les Espagnols et les Italiens ne sont plus des adversaires, mais des alliés objectifs. Ils ont en effet la même démarche que les Français : le lien au terroir est le fondement de l'identité du vin. Si l'Europe entière fait sienne cette vision, nous aurons de véritables armes pour réussir.

L'urgence est grande, car nous sommes face à une nouvelle concurrence. Nos adversaires ne nous pardonneront rien. Ils ont tout à prouver. Ils ont su communiquer. Nous avons besoin de récréer un climat de confiance. Nous devons être capables de nous reprendre en main et de sortir de la logique confortable du monopole.

Il est urgent d'agir. Les concurrents préféreraient une mort rapide de la France à une mort lente. Nous devons retrouver une combativité et une agressivité sur le marché international. Si ce n'est pas le cas, nous ne survivrons pas. Cette affirmation n'est pas aussi absurde qu'elle paraît.

Il faut donc impliquer tous les présidents de syndicats d'appellation. Ils doivent engager le débat de fond sur la réécriture des décrets. Ils doivent également réfléchir à leur potentiel. Le texte ne doit pas aller au-delà de ce qu'on peut ou veut faire. Ce serait inutile et mensonger. Chaque syndicat devra s'attacher à définir les efforts qu'il est en mesure de réaliser.

Les réflexions des syndicats remonteront ensuite à l'INAO par l'intermédiaire des bassins de production. Nous aurons ainsi une vue claire de l'état du vignoble et de la volonté de la viticulture de se repositionner par rapport à un marché bouleversé.

Il faudra prouver que nous produisons toujours le vin de référence et que nous avons laissé dans les bouteilles une part de rêve. Le consommateur ne doit plus douter de la qualité de nos vins.

Philippe MAUGUIN 8 ( * )

Les enjeux de l'appellation sont ainsi clairement posés.

Je vous présente maintenant l'état des lieux des contrôles réalisés par l'INAO. Pour mémoire et pour ceux qui en doutent, AOC signifie « appellation d'origine contrôlée ». Le contrôle est donc une composante essentielle de l'appellation d'origine.

L'INAO

Pour l'INAO, l'objectif est de faire en sorte de ne pas décevoir dans le verre la promesse faite par l'AOC au consommateur. Aujourd'hui, la promesse correspond à une qualité spécifique produite sur un terroir. Elle est différente de la qualité notée par les guides ou par un critique américain.

L'INAO est un organisme public composé de 260 agents, dont 60 travaillent au siège. 25 centres sont établis dans les principaux bassins. Depuis 1990, l'INAO est également chargé des AOC laitières et agroalimentaires. Il est chargé, en outre, des indications géographiques protégées. Ces missions non viticoles représentent un quart de son activité.

Le rôle de l'INAO est de vérifier que la qualité spécifique est correctement établie. Il effectue deux types d'intervention tout au long de la filière : le contrôle des obligations de moyens - c'est-à-dire la vérification du respect des critères fixés par les textes - et le contrôle de l'obligation de résultat - c'est-à-dire l'agrément du produit fini -.

Les contrôles en amont (production)

Les agents effectuent des contrôles à tous les niveaux. La première intervention a lieu avant l'entrée en production, lors des demandes d'autorisation de plantation, conformément aux règlements communautaires. L'ONIVINS réalise le même contrôle pour les vins de pays. Avant d'accorder une autorisation de plantation, les agents vérifient que le vigneron respecte le décret sur son exploitation.

La deuxième intervention est la vérification de l'aptitude des parcelles par rapport au milieu naturel lorsqu'il n'existe pas d'aire de production délimitée à la parcelle.

La troisième intervention réside dans les contrôles documentaires effectués à différents moments (entrée en production, déclaration de récolte, déclaration de fabrication, demandes d'agrément). Il s'agit de vérifier si l'exploitation de la parcelle est conforme à l'appellation.

La quatrième intervention est constituée par les contrôles de terrain. L'INAO souhaite les renforcer, notamment dans les vignobles et dans les chais. Les agents surveillent les conditions de production (encépagement, taille, titre alcoométrique...), les modes de récolte pour certaines appellations (tris, vendanges tardives) et les centres de pressurage.

Les contrôles en aval (agrément du produit)

Les contrôles « produit » sont effectués en cours d'assemblage ou une fois que le vin est élevé. Ce point est sujet à discussion.

Ces contrôles se font en deux étapes. La première est l'examen analytique. Il s'agit de rechercher des tromperies (traçabilité des matières premières, aromatisation, substitution sur l'origine des vins). Le contrôle des caves est effectué lorsque l'organisme agréé - qui travaille par délégation de l'INAO - réalise les prélèvements.

La seconde étape correspond à l'examen organoleptique. Un jury d'agrément réalise cet examen au cours de séances de dégustation.

Au total, 110.000 échantillons ont été analysés en 2003.

La nouvelle stratégie : le renforcement et le suivi des conditions de production

Depuis novembre 2002, le comité national des vins a considéré qu'il était peu efficace de mettre l'accent sur le contrôle en aval, au niveau du produit. Au mieux, on constatait des défauts dans le vin et le vigneron perdait son agrément. Au pire, les défauts échappaient à notre vigilance et le vin recevait l'agrément, sans garantie de pouvoir tenir sa promesse. Le problème se pose également pour les vins se situant à la limite.

Le comité national a donc souhaité passer du contrôle correctif au contrôle préventif. Le déclassement une fois le vin produit doit rester exceptionnel.

L'ensemble du dispositif doit demeurer sous le contrôle de l'INAO. Ce contrôle par un établissement public est important, car il offre une garantie vis-à-vis de l'extérieur. L'établissement est plus impartial et peut prononcer des sanctions.

Cependant, le comité national a souhaité associer les professionnels. Cela explique la mise en place des commissions de producteurs, qui amplifient les moyens d'action de l'Institut et jouent un rôle pédagogique. Ce recours aux professionnels constitue un retour aux sources. A l'origine, les producteurs avaient demandé aux pouvoirs publics d'approuver les règles qu'ils s'étaient fixées et de les rendre obligatoires. Ils doivent donc s'impliquer à nouveau dans le suivi des règles.

Ces commissions ont démarré de façon expérimentale en 2003. Des parcelles choisies par sondage ont été visitées. L'INAO définit un parcours et une méthode de sondage (par communes, par secteur ou par tirage aléatoire), après consultation du syndicat de l'appellation. 10 à 30 % du vignoble est ainsi contrôlé. Les agents et la commission effectuent la visite ensemble ou séparément. Lorsque la commission constate un problème, elle le signale à l'INAO. Elle ne peut pas prononcer de sanction. La responsabilité des décisions reste assumée par l'INAO.

Des courriers, éventuellement préparés par le président de la commission, sont envoyés aux professionnels fautifs afin de leur expliquer les problèmes constatés et de les inciter à les corriger. Chaque fois qu'un avertissement est émis, un second contrôle a lieu avant la récolte. Si les problèmes (rendement, état sanitaire, manquements divers) n'ont pas été corrigés, nous l'informons que tout ou partie de sa parcelle sera soustrait de la déclaration de récolte et n'aura pas droit à l'appellation d'origine.

Les résultats

150 des 467 AOC se sont engagées dans la démarche. Le mouvement est donc bien enclenché, malgré les réticences initiales. Par exemple, pour les appellations Anjou et Saumur, les agents ont effectué 64 journées de visite. 3.700 hectares ont été contrôlés. 10 % ont fait l'objet d'un avertissement. 2 à 3 % des parcelles ont été déclassées après le second passage. L'appellation muscat de Rivesaltes a été très volontaire puisque la commission a voulu vérifier l'ensemble du vignoble. 4.000 parcelles ont été vérifiées. 900 avertissements ont été pris concernant 700 hectares. Au second passage, 130 hectares n'avaient pas suivi les recommandations et ont été soustraits de l'AOC.

Au total, 35.000 hectares de vigne ont été contrôlés, soit 8 % du vignoble AOC. Les autres vérifications de l'INAO représentent une surface de 1 %. En 2003, c'est 9 % du vignoble AOC qui a donc été contrôlé.

Ces résultats sont assez positifs.

On évoque souvent les contrôles par tierce partie dans les pays du Nouveau Monde. En pratique, ils sont très rares.

En viticulture, ces contrôles sont beaucoup plus nombreux que dans les autres secteurs agricoles. Ensemble, les agents de l'INAO, les syndicats et les organismes agréés ont réalisé 100.000 contrôles de terrain ou documentaire sur les exploitations ou dans les chais. Statistiquement, chaque vigneron a été contrôlé une fois.

Ce n'est pas suffisant : les interprofessions relèvent des problèmes dans les contrôles qu'elles mènent en aval. Des défauts passent entre les mailles du filet.

De ce fait, l'INAO poursuit ses efforts en remettant à plat le système de l'agrément « produit ». L'objectif est de se rapprocher davantage du stade de la commercialisation du produit fini. L'agrément « produit » se fait encore trop souvent sur des lots avant assemblage.

Concernant le contrôle des conditions de production, l'INAO cherche à amplifier le mouvement. L'Institut souhaite également augmenter la pression des contrôles, s'il obtient les moyens nécessaires. Enfin, le contrôle s'effectuant avec d'autres partenaires, notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et les douanes, l'INAO cherche à faire en sorte que l'ensemble des contrôles soit mieux coordonné.

Yves BÉNARD

Je préside la commission « champagne et vins effervescents » de l'INAO.

Je rappelle d'abord deux spécificités du champagne, qui empêchent de reproduire la politique menée en Champagne dans les autres vignobles. D'ailleurs, le champagne est rarement considéré comme un vin par le consommateur.

D'une part, en ce qui concerne la production, 90 % des vins sont le résultat d'un assemblage de crus et d'années. Les viticulteurs sont propriétaires de 90 % du vignoble, mais les maisons de champagne assurent les deux tiers des ventes. Il y a donc un transfert de propriété à la production. Ce transfert porte essentiellement sur des ventes de raisins et non sur des ventes de vins.

D'autre part, en ce qui concerne l'organisation interprofessionnelle, des relations contractuelles se sont établies depuis 50 ans entre les vendeurs de raisins et les acheteurs (les maisons de champagne). Ce sont des contrats pluriannuels (cinq ou six ans) prévoyant des engagements de vente (en pourcentage de la propriété du viticulteur), des engagements d'achat, des prix et des modalités de paiement.

L'agrément s'est adapté à ces spécificités. Les vignobles crémants et mousseux se sont ralliés à ce système. L'agrément est très proche de la commercialisation.

Depuis l'arrêté ministériel du 20 août 2004, l'agrément s'applique à toute la région. Il est divisé en deux phases. La première est la délivrance d'un certificat d'aptitude avant le transfert de propriété. Ce certificat est destiné à vérifier le respect de toutes les conditions de production. Il n'est pas délivré si des remarques ont été émises par les commissions pédagogiques des vignerons ou par l'INAO. La vente n'est pas possible en l'absence de certificat.

La seconde phase est la délivrance de l'agrément sur bouteille, après la seconde fermentation. Des bouteilles sont prélevées lors de l'embouteillage. L'agrément ne se fait donc pas sur des bouteilles choisies, mais sur des bouteilles sélectionnées au hasard lors de la mise en bouteilles.

Les mouvements des cours ne sont jamais liés à l'agrément ou à l'absence d'agrément. Actuellement, le champagne est en situation de pénurie structurelle. La situation a été inverse auparavant. L'agrément et le cours sont deux problèmes différents.

L'avantage d'un agrément aval est évident. L'élaborateur fait sa cuvée, assemble ses vins, réalise ses fermentations et présente un produit qu'il considère comme fini. L'agrément joue pleinement son rôle. Il permet de ne pas laisser passer un vin atypique ou de mauvaise qualité.

Enfin, pour éviter les problèmes « sociaux » lorsqu'un vin est refusé lors de deux passages successifs devant la commission, le viticulteur ou l'élaborateur a la possibilité de retirer son échantillon et de remettre en cuve les bouteilles refusées. Il peut ainsi les fermenter à nouveau et les présenter lors de la vendange suivante. Cette opération est possible, car le champagne n'est pas un vin millésimé. Cela évite le recours à la commission d'appel et le risque de la distillation. Surtout, cela permet d'avoir un agrément sérieux, qui n'a pas à prendre en compte le problème social, puisque les vins remis en cuves ne sont pas prévus pour la viticulture.

Ces différents éléments ne sont pas forcément reproductibles dans les autres vignobles du fait des spécificités du champagne.

Xavier CARREAU

Mon exposé est présenté en deux parties. En tant que président de la Fédération des grands vins de Bordeaux, j'analyserai les évolutions possibles de l'agrément dans la région bordelaise. En tant que président de « Vin et Société », je ferai part de mes inquiétudes quant à l'évolution de la loi Evin.

Les évolutions de l'agrément en région bordelaise

L'agrément 2000 a été adopté en décembre 2001. Un même décret a été pris pour l'ensemble des vignobles bordelais. En pratique, ce décret, dont j'ai la responsabilité avec René Renou, se révèle mal adapté et ne répond pas aux objectifs fixés. En effet, nous continuons à agréer 99 % des vins alors que le suivi qualité en aval montre que 15 % des vins sont inaptes à représenter leur appellation et que 15 % sont médiocres. L'agrément ne répond donc pas à l'attente.

C'est pourquoi nous avons engagé une réflexion pour améliorer la procédure d'agrément. Le consommateur est en droit d'attendre non seulement une garantie d'origine et d'authenticité, mais également une garantie de qualité.

Deux projets d'agrément sont en cours d'études : le projet Médoc et Haut Médoc et le projet Bordeaux. Le but est d'agréer les vins au plus près de la commercialisation et non entre deux et six mois après la récolte. La commercialisation a lieu, en effet, après deux ou trois ans. Un tel agrément est plus difficile à mettre en place, car plusieurs marchés doivent être pris en compte (producteurs, négociants). De notre point de vue, l'agrément doit se faire au niveau du producteur. La plus-value apportée par l'agrément doit rester du niveau de la viticulture.

Le projet Médoc-Haut Médoc

La procédure d'agrément se fait sur des lots assemblés au stade le plus proche de la commercialisation sur demande du viticulteur. Le prélèvement est aléatoire et concerne un contenant par lot. Le projet envisage également un prélèvement aléatoire ultérieur dans différents lots. En effet, les lots sont composés d'une multitude de cuves. Certaines sont parfaites. D'autres ne le sont pas. Le projet Médoc envisage donc un prélèvement sur des lots assemblés. Si le vin est refusé au premier examen, tous les contenants sont prélevés et dégustés. La dégustation aboutit à une notation à quatre niveaux. La note D est éliminatoire. La note C correspond à une qualité médiocre. La note B est attribuée si la qualité est conforme. La note A correspond à un lot excellent.

Les viticulteurs vendant en vrac - dont le vin est élevé par le négoce - ont deux options. La première consiste à demander un certificat d'agrément partiel pour des lots destinés à une libération rapide. Un prélèvement est effectué dans chaque contenant du lot, qui est ensuite scellé jusqu'à l'obtention du certificat et l'enlèvement du vin. Cela évite la substitution. La seconde option consiste à demander un certificat d'agrément en bouteille. Le prélèvement se fait sur pile ou lors de la mise en bouteille. Cette procédure permet l'obtention complémentaire d'un certificat d'agrément à la mise en bouteille.

Le syndicat Médoc-Haut Médoc a pour objectif d'amener tous les viticulteurs à privilégier cette dernière option afin de mieux valoriser la production. Il envisage la création d'un signe distinctif à cet effet.

Le projet Bordeaux

Le projet Bordeaux reprend la même philosophie, mais avec des moyens différents. Il est fondé sur l'aptitude des exploitations à produire de l'AOC. L'aptitude est appréciée par le biais d'une vérification préalable, ainsi que d'un audit au vignoble et aux chais. Il s'agit d'un contrôle de la production et de la vinification.

Ce projet se fonde sur la responsabilisation des viticulteurs. Les examens analytiques et organoleptiques ne sont pas systématiques. Ils sont effectués par sondage lors des mises en bouteille ou avant l'enlèvement des lots en vrac.

Les exploitations qui s'engagent dans la démarche et qui répondent au cahier des charges établi par le syndicat sont déclarées aptes pour cinq ans. Les vins sont soumis à des prélèvements de manière aléatoire. Il faudrait modifier le règlement communautaire, qui oblige à une dégustation systématique des produits. Les vins non prélevés reçoivent l'agrément de manière automatique.

Seules les exploitations non sanctionnées pour non-respect des conditions de production peuvent s'engager dans la démarche. Si le viticulteur ne respecte pas le cahier des charges, il perd son aptitude et se voit appliquer la procédure standard (dégustation contenant par contenant).

La finalité des projets

D'autres projets sont en cours de finalisation. Ils ressemblent à ces deux projets, mais avec des moyens légèrement différents.

Nous analyserons ces expérimentations et nous essaierons ensuite d'établir une procédure unique pour l'ensemble des appellations. La poursuite de cette expérimentation difficile est indispensable dans l'actuel contexte économique. Elle permettra de définir le meilleur schéma pour garantir la qualité tout en améliorant l'efficacité des procédures d'agrément.

Pour atteindre cet objectif de garantie de qualité, les modalités des contrôles organoleptiques exercés par les organismes agréés devront évoluer vers une professionnalisation des jurys de dégustation. Cette professionnalisation constitue la cheville ouvrière de la procédure d'agrément. Elle passe notamment par l'élargissement des jurys vers l'aval (sommeliers, acheteurs, consommateurs), par la définition systématique d'un échantillon limite basse et par la mise en place de procédures de formation et d'évaluation permanentes des jurés.

Cette évolution sera parallèle à l'extension des missions des organismes agréés ayant vocation à gérer l'agrément, au sens large du terme (respect des conditions de production et contrôle qualitatif du produit au plus près de la commercialisation).

L'évolution de la loi Evin

Gérard César et moi-même avons rencontré le Premier Ministre en février 2004 pour lui demander d'aménager la loi Evin, qui empêche les interprofessions de communiquer. L'accueil a été bienveillant. Le 3 mai dernier, nous avons réuni les professionnels et les parlementaires à la Maison de la Chimie, à Paris. Nous avons senti que la filière était « soudée » autour de cette demande et du Livre blanc sur le rôle et la place du vin dans la société, publié en juillet 2004.

Cette réunion a débouché sur l'adoption d'un amendement au Sénat au mois de mai dans le cadre du projet de loi sur le développement des territoires ruraux. Cet amendement permet d'élargir les possibilités de communication. Il n'est pas excessif car il respecte les impératifs de santé publique. Il permet à l'interprofession de communiquer et de s'exprimer sur la qualité des produits.

Quelques problèmes sont apparus et les parlementaires ont légèrement modifié le texte pour les corriger. La communication sur les caractéristiques des produits est désormais possible. Un message de modération a été ajouté. L'Assemblée nationale a approuvé ce texte par 102 voix contre 12.

Le Gouvernement a exprimé une certaine réticence, mais un consensus pouvait être trouvé.

Pourtant, ce matin, nous avons eu la désagréable surprise de découvrir dans la presse une dépêche AFP reprenant une interview du Premier Ministre à la radio. Celui-ci a déclaré qu'il s'opposerait à l'assouplissement de la loi Evin en précisant : « Il n'y a pas d'ambiguïté. L'alcool n'est pas un facteur de santé publique. Le Gouvernement prendra les décisions législatives nécessaires pour que la voix de la santé publique se fasse entendre. Nous choisirons la procédure le moment venu. Je vous dis que nous nous y opposerons. Quand on s'y oppose, on dit clairement les choses : je m'opposerai, parce que notre politique est celle de la santé publique. La crise de l'agriculture française n'est pas seulement liée au texte de la loi Evin. Elle est liée également au problème des exportations, au problème des prix liés au cours du dollar, etc. »

Je trouve ces propos inadmissibles, car nous avons reçu des assurances de la part des responsables politiques. La position gouvernementale varie selon les jours. Ce n'est pas supportable. Actuellement, nous pensons que l'amendement proposé n'outrepasse pas les principes de la santé publique. Nous ne pensons pas que la présence d'une cerise, d'une cigogne ou d'un vigneron sur une publicité est répréhensible. Nous respectons la loi Evin. Nous sommes responsables. Nous souhaitons simplement donner aux collectivités et aux interprofessions la possibilité de communiquer sur la qualité des produits.

Ce soir, le ministre en charge de l'Agriculture interviendra à ce colloque et nous tiendra des propos complaisants. Je ne veux plus les entendre, car nous sommes « balancés » entre les ministres. Je ne supporte plus que les politiques ne se mettent pas d'accord entre eux et qu'il n'y ait pas d'arbitre. Je ne supporte plus la langue de bois. Je ne supporte plus les ministres qui sont d'accord avec nous un jour et s'opposent à nous le lendemain. Je quitterai donc la salle avant son intervention.

Gérard CÉSAR

Cette dépêche est malencontreuse et tombe très mal. Je suis également très surpris. J'ai fait passer le message au Premier Ministre et au ministre chargé de l'Agriculture. Ils en discutent actuellement. Des éclaircissements seront apportés.

Je serais fâché si les viticulteurs partaient lors de la venue du ministre, devant les journalistes. Hervé Gaymard est actuellement le seul ministre qui défende la profession auprès du ministre en charge de la Santé, du Premier Ministre et du Président de la République.

Je me ferai l'écho des propos de Xavier Carreau lorsque le ministre viendra et je me montrerai sévère envers la déclaration qui a été faite.

J'observe que de nombreux « intégristes » interviennent dans ce débat. Hier, j'ai rencontré le professeur Claude Got à Public Sénat. Conformément au Livre blanc, je lui ai proposé la création d'un conseil de la modération comprenant des représentants du Parlement, de la filière et des ministères (santé, agriculture, jeunesse, prévention routière). Le professeur Got m'a répondu qu'il n'était pas question que le monde viticole y soit représenté.

Nous sommes face à un débat national. Je vous demande donc d'être présents ce soir. Vous êtes bien entendu libres de partir. Le monde viticole se grandira en restant présent et en exprimant son désarroi par rapport au communiqué de presse.

Michel RIGO, syndicat aubois de la Champagne vitivinicole

Les représentants de l'INAO ont évoqué le rôle de l'INAO. Yves Bénard a évoqué les spécificités du champagne.

Il faut rappeler que l'AOC champagne a été définie avant la création de l'INAO. La Champagne dispose d'une loi organique datant de 1927 qui est toujours en vigueur. Elle définit les conditions d'éligibilité.

Il est important de tenir les promesses des signes de qualité. A plusieurs reprises, nous avons alerté l'INAO sur des dispositions critiquables. Je souhaite savoir comment l'INAO envisage de tenir ces promesses à partir du moment où les contrôles effectués sur le terrain en matière de délimitation parcellaire ou de définition de l'aire d'appellation sont sujets à caution.

Philippe MAUGUIN

L'appellation champagne est particulièrement bien défendue par les professionnels. Des contestations existent effectivement sur les délimitations. Ce sujet est complexe et lourd. Le comité national a décidé de réouvrir la délimitation de l'appellation champagne. Cette décision ne résulte pas seulement des contestations, mais également de la complexité des textes sur la Champagne.

De nombreux textes (lois, décrets, arrêtés, jurisprudence) se sont en effet superposés à la loi de 1927. De ce fait, aucun professionnel ne peut être sûr d'avoir la bonne interprétation. L'INAO applique les textes tels qu'il les comprend. Les professionnels ne sont pas toujours d'accord avec cette application.

L'INAO souhaite profiter de la redéfinition du dossier de la délimitation pour en clarifier les principes généraux et les autres points-clés, c'est-à-dire les spécificités de l'appellation champagne par rapport à son terroir, son expression et son identité.

Le chantier est ouvert. La procédure est en cours. Les syndicats pourront faire des propositions. Une commission d'enquête sera établie. Une enquête publique sera réalisée. Les personnes qui s'opposent à l'INAO pourront donc faire entendre leur voix. L'INAO écoutera toutes les propositions. Celles qui paraîtront légitimes au comité national seront prises en compte. J'espère que nous réussirons ainsi à réunifier l'ensemble des forces vives champenoises pour la défense de l'appellation.

Yves BÉNARD

Cette méthode est la bonne et permettra d'aboutir à un bon résultat.

En tant que coprésident de l'appellation champenoise, je regrette de recevoir constamment des lettres de chantage. Je souhaite que le débat soit objectivé. Les problèmes ne doivent pas être mélangés.

François PANDELFY

En France, nous savons ce qu'est l'AOC. Cependant, le consommateur étranger lui ne le sait pas. Envisage-t-on d'initier les Anglais et les Européens à l'AOC si elle devient la règle ? Si le « pavillon France » est interdit, l'INAO devra établir un signe distinctif et réaliser une publicité pour se faire connaître. Nous pourrons toucher le coeur de cible, car nous serons lisibles pour le consommateur.

Philippe MAUGUIN

En France, dans les enquêtes de notoriété sur les signes distinctifs officiels, l'AOC arrive après le Label rouge. C'est normal : le Label rouge a communiqué pendant vingt ans. Les campagnes étaient cofinancées par les professionnels et les pouvoirs publics. La notoriété spontanée perdure.

Le choix a été différent pour l'AOC, notamment en raison de la situation de monopole des vins français. On considérait que l'AOC était une réglementation interne et qu'il était préférable de communiquer sur le champagne, le bordeaux ou le bourgogne.

La communication sur les vins reste la priorité. Il paraît difficile de communiquer sur l'AOC, car le consommateur ne s'y intéresse pas.

Pour autant, le débat récent a montré que le consommateur et les prescripteurs d'opinion (journalistes, guides, acheteurs de la grande distribution) veulent savoir ce que l'AOC signifie. La situation est la même pour tous les signes officiels de qualité.

Les appellations ne doivent pas avoir honte de dire qu'elles sont une appellation. Cela révélerait un problème.

Pour le reste, il est certain que le système est complexe et que des progrès doivent être réalisés. Il faut donc d'abord simplifier le système. Ensuite, il faudra l'expliquer de façon simple. Cela intéresse au moins une partie des consommateurs. Depuis la création de l'AOC, on n'a jamais expliqué ce que c'était. J'espère que le budget supplémentaire accordé par le ministre chargé de l'Agriculture à l'ONIVINS permettra de réaliser des campagnes en ce sens.

César COMPADRE, journaliste

Les responsables des grandes surfaces ont soulevé le problème de la séparation entre les vins d'appellation et les autres vins dans les linéaires. Les responsables des appellations sont-ils d'accord pour améliorer sur ce point la mise en rayon, ce qui pourrait permettre d'augmenter les ventes de vin ?

Xavier CARREAU

Pour le bordelais, la question ne se pose pas. Nous ne produisons que de l'AOC.

Christian DELPEUCH

Si la distribution le souhaite, je ne vois pas pourquoi nous le refuserions. Si chacun joue son rôle, aucune raison ne justifie la séparation. En outre, les consommateurs ne connaissent pas les différences. Le but est de faire consommer les vins. Si la modification des linéaires le permet, je ne vois pas pourquoi elle devrait être interdite. Il faudrait faire des tests rapidement.

Philippe MAUGUIN

Je ne suis pas responsable d'une appellation. Je ne peux pas m'exprimer en tant que directeur de l'INAO, car cette question ne fait pas partie des compétences de l'Institut.

En tant que consommateur, je pense qu'il faut surtout veiller à ce qu'il n'y ait pas de confusion dans les linéaires. Certains sont très bien organisés et présentent toute la richesse des vins français et des vins du monde. Dans d'autres, notamment dans les moyennes surfaces, la confusion est extrême.

Le débat consistant à accepter ou refuser la séparation est donc très « parisien », car la réglementation est loin d'être appliquée. Si les distributeurs ont la volonté de mettre de l'ordre dans les linéaires pour les rendre plus accessibles aux consommateurs, je pense que la filière sera prête à bouger.

Jean-Louis VALLET

Nous souhaitons pouvoir organiser les linéaires de façon simple. Hier, dans un restaurant renommé de Paris, la carte présentait le Bourgogne comme un vin de pays. Aujourd'hui, si le chef de rayon se trompe, il a une amende. Il n'a pourtant pas la compétence d'un sommelier dans un restaurant.

Par ailleurs, les tests ont déjà été réalisés par l'ONIVINS et par le Conseil national de la consommation (CNC). Les éléments chiffrés montrent que les ventes augmentent, y compris pour les vins de pays. Par exemple, le minervois est actuellement difficile à vendre. Lorsque des vins de pays l'entourent, il est valorisé. Le linéaire est plus clair et plus facile à ranger.

Je comprends qu'on puisse reprocher à la distribution de mal ranger ses linéaires. Cependant, il faut lui donner les moyens de comprendre ce qu'elle fait.

Jean-Louis VÉZIEN, directeur de l'interprofession des vins d'Alsace

La France assiste à une lente érosion de la consommation, quelles que soient les vicissitudes politiques. En conséquence, il est nécessaire de redéployer les ventes à l'export. Il faut donc avoir des produits reconnus et crédibles. Néanmoins, nous ne serons durablement crédibles à l'export que si nous sommes durablement reconnus à l'intérieur de notre pays.

De la salle

Il est important de communiquer sur les AOC. Toutefois, les AOC agiront comme des marques-ombrelles. Si certaines ne sont pas de bonne qualité, elles porteront préjudice à l'ensemble des AOC.

L'agrément est donc fondamental. Il faut donc d'abord disposer d'agréments permettant d'avoir une offre cohérente. Ensuite, nous pourrons communiquer sur la valeur des AOC, qui sont la chance de la France.

Dans ce cadre, je souhaite connaître si des dimensions marketing et marché seront introduites dans l'agrément pour positionner les vins par rapport à un segment défini. Quelles seront les analyses sensorielles ? Quels seront les panels et les procédures ? Quelle importance ces analyses auront-elles ? De telles analyses sont indispensables pour définir un produit en cohérence avec son marché.

Yves BÉNARD

Si les interprofessions ont inventé le suivi aval de la qualité, c'est parce qu'elles ont observé que l'agrément était une passoire. En Champagne, nous avons introduit non seulement des professionnels de la filière, mais également des sommeliers et des journalistes. Ces consommateurs proches du vin nous accompagneront dans les panels de dégustation. Nous pensons que l'agrément sera plus sévère. A terme, le suivi aval de la qualité ne sera peut-être plus nécessaire. Un agrément donné juste avant la commercialisation rend, en effet, inutile un tel suivi.

Raoul SALAMA, Revue des vins de France , vice-président de l'association de la presse du vin

Un grand malentendu existe entre la profession et le public. L'AOC garantit l'origine alors que le consommateur recherche une garantie de qualité. Les deux garanties sont difficiles à concilier. Des agréments spécifiques peuvent être mis en place par la profession. Le consommateur n'a pas confiance dans de tels agréments, car des vins de mauvaise qualité passent à travers la procédure. Xavier Carreau l'a dit : au moins 15 % des vins ne devraient pas être agréés.

La solution consiste à se tourner vers des personnes plus proches de la consommation que de la production.

Table ronde n° 2 :
Comment promouvoir un marketing de la demande ?

Sont intervenus :

M. Denis VERDIER , président de l'ONIVINS

M. François BOSCHI , directeur général de Cellier des Dauphins

M. Adolphe TOURSCHER , représentant Pierre CASTEL, directeur général du groupe Castel

Denis VERDIER

Dans une société moderne, il est impossible de produire, consommer et distribuer sans communication. Je soutiens donc la position de Xavier Carreau concernant la dépêche de ce matin. Il faudra le préciser clairement au ministre de l'Agriculture. Ce colloque doit être un moyen de faire passer des messages.

En fait, l'émotion des professionnels est profonde non seulement à cause du problème de communication, mais également à cause de la crise de la filière. Les études le montrent depuis longtemps. Les rapports se sont succédés : celui de Jacques Berthomeau, celui de l'ANIVIT, celui de l'INRA, le rapport du Comité national d'information sur les drogues (CNID), etc.

Nous sommes à la croisée des chemins. Je rappelle d'abord que la filière a défini clairement une stratégie sur une base simple : la simplification de l'offre française. Le ministre l'a précisé en juillet 2004. Les experts s'accordent sur l'idée selon laquelle les consommateurs, notamment les jeunes, sont perdus face à la complexité de l'offre.

Ce consensus en faveur d'une simplification n'est pas remis en cause. Le Président de la République l'a rappelé récemment dans son discours du Cantal. Les professionnels doivent donc la mettre en oeuvre.

Un marketing de l'offre existe à travers l'AOC. Sur ce point, la réécriture des décrets d'application est importante. L'agrément ne signifie rien, puisque 95 % des vins sont agréés et que 30 % des vins vendus ne correspondent pas à la qualité attendue.

Néanmoins, il ne faut pas abandonner le système de l'AOC, qui a été à l'origine de l'image des vins français dans le monde et de leur réussite. Les vins français sont cependant restés dans une démarche conservatrice. Celle-ci nous a servi jusqu'à présent, mais elle pourrait maintenant nous desservir. Les concurrents nous prennent des parts de marché. Ils ont choisi un marketing moderne autour du cépage et un produit de bonne qualité, mais standardisé. Ils ont mobilisé des moyens importants autour des marques. Cela séduit les femmes et les jeunes.

Le marketing de la demande doit porter sur un second type de produits, fondé sur le cépage. Ces produits doivent pouvoir être fabriqués grâce à des méthodes modernes de vinification. Le concept oenologique de nos concurrents est plus moderne que le nôtre et il faut l'accepter pour ce second type de produits.

C'est sur ce second type de production qu'il faut renverser la tendance, notamment en matière d'investissements commerciaux. C'était le coeur de la proposition présentée au ministre et qu'il faut maintenant mettre en oeuvre. Nous n'avons plus le temps d'écouter les experts. Nous ne pouvons plus tergiverser devant un ministre hésitant entre les rapports. La question a été tranchée.

Les bassins de production doivent donc se saisir des propositions pour construire. Ils doivent maîtriser la gestion du potentiel de production, évoquer la question de l'arrachage, y compris dans les vignobles prestigieux. Pour les plantations, nous sommes peut-être allés trop loin et trop fort.

Il faut également apprendre à gérer l'équilibre dynamique entre l'offre et de la demande, notamment par le biais de la neutralisation des stocks. Nous n'avons pas intérêt à conserver des fûts, car un vin AOC à 1,20 euro ne se vendra pas mieux que les vins concurrents. Au contraire, conserver les stocks générera de la misère au niveau tant de la production que du négoce.

Les bassins de production doivent pouvoir réaliser une promotion à leur niveau. Il faut soutenir les marques et les entreprises. Il faut passer d'une culture de promotion de marque collective, comme une AOC, à un soutien aux entreprises pour qu'elles conquièrent des parts de marché à l'export. Nous savons que la filière ne peut se maintenir et a fortiori se développer si elle ne vend pas à l'extérieur. Il faut donc soutenir les entreprises dynamiques.

Enfin, il faut avoir le courage de clarifier la question de la mixité. Je ne suis pas convaincu qu'il soit sain de garder des zones à 100 % AOC. Il faut en discuter. Un accord existe au niveau des responsables nationaux. Les syndicats et les interprofessions doivent se saisir de ce dossier pour avancer.

Pour conclure, il faut évoquer ce qui a déjà été réalisé à propos des marques. Le Cellier des Dauphins et le groupe Castel travaillent dans le bon sens. Leur réussite montre que si la situation est grave, il ne faut pas pour autant sombrer dans le catastrophisme. On peut encore vivre très bien de la vigne et du vin. Il suffit que les bases soient claires et que l'on avance.

François BOSCHI

Le Cellier des Dauphins est une petite entreprise. C'est néanmoins une marque. La marque représente 15 % de l'ensemble de l'appellation des côtes-du-Rhône. Cela montre qu'un espoir existe pour les marques de producteurs ou de négoce. Néanmoins, je crains que le témoignage de notre coopérative paraisse superficiel par rapport aux inquiétudes des professionnels.

Le choix du marketing

La segmentation entre l'offre et la demande est facile à comprendre dans le cadre de la réglementation. On peut imaginer des vins de terroir pour une clientèle élitiste. Ils sont vendus tels qu'ils sont produits, sans se préoccuper de la demande. Cela correspond au marketing de l'offre tel que le faisait André Citroën. Il vendait des tractions avant avec le choix de la couleur, pourvu que cette couleur soit le noir. Ce marketing est possible si le vin rencontre l'adhésion du consommateur.

A côté des vins « élitistes », on peut imaginer des vins plus courants et en gros volume, qui s'appuieraient sur un marketing de la demande. La réglementation peut être plus souple, car on doit produire ce que le consommateur demande.

Ce type d'approche me conduit à formuler deux remarques. Premièrement, je constate que les vins d'appellation régionale seraient exclus de cette segmentation, alors que leur volume est très important (7 millions d'hectolitres de bordeaux, 2 millions d'hectolitres de côtes-du-Rhône, etc.). Le Cellier des Dauphins est attentif à ce point.

Deuxièmement, on peut se demander si le coca-cola s'inscrit dans une segmentation de l'offre ou de la demande. Il est passé de la première à la seconde sans changer. Si une étude de marché avait été réalisée en France après la guerre, elle aurait été négative. Le produit n'était pas apprécié et la demande n'existait pas.

C'est pourquoi il n'existe au fond qu'une seule sorte de marketing : l'adéquation du produit au marché. La situation est simple. Il faut s'adapter à une demande capricieuse et parfois inexistante. Il faut soit anticiper la demande, comme Coca-Cola l'a fait, soit la créer, car nous sommes dans un monde qui n'a besoin de rien.

La stratégie du Cellier des Dauphins

Le Cellier des Dauphins a été créé il y a quarante ans, à la suite d'une crise. L'AOC côtes-du-Rhône se vendait au prix du vin de table. Le produit ne pouvant pas être modifié, le côtes-du-Rhône était considéré comme un vin de comptoir. Il était vendu au litre et non à la bouteille.

Pour sortir de la crise, la stratégie a consisté à créer ex nihilo une marque vendue plus cher que l'appellation. Ce positionnement devait néanmoins rester populaire, ce qui correspond, en jargon marketing, au popular premium .

La tactique appliquée sur le terrain était simple. Le premier choix stratégique a été d'utiliser un emballage attractif et distinctif. A l'époque, la principale bataille portait sur les notions de verre consigné et de verre perdu, le vin en verre consigné étant mis en bouteille sur le lieu de consommation, le vin en verre perdu étant mis en bouteille sur le lieu de production. Nous avions donc choisi une bouteille originale afin d'empêcher qu'elle soit échangée.

Le deuxième choix a porté sur la filière de distribution. A l'époque, nous ne pouvions vendre du vin aux marchands de vin. Ils étaient extrêmement nombreux. Nous devions donc nous adresser à la distribution alimentaire. Elle a connu un grand essor et est devenue la grande distribution. Nous avons accompagné cette croissance.

Le troisième choix a consisté à réaliser une action publicitaire en harmonie avec le positionnement du produit. Nous voulions un vin populaire et sympathique, à boire entre amis. Comme Yves Fourcade l'a expliqué, cela correspond à la perspective des nouveaux consommateurs.

La communication avant et après la loi Evin

La première publicité a été réalisée en 1970. Nous avions joué le « bluff » en choisissant Paris-Match et Lui. Nous montrions ainsi aux distributeurs notre volonté de faire de la publicité, même si elle était alors très limitée en pratique.

Par la suite, nous avons fait réellement de la publicité.

L'idée était de mettre le produit en situation, dans des circonstances favorables et compatibles avec les attentes du consommateur. Le problème de la loi Evin est qu'elle a supprimé la substance du message publicitaire. Par exemple, les publicités automobiles ne mettent pas en avant les caractéristiques techniques, mais une ambiance générale donnant envie d'acheter. Nous ne pouvons plus communiquer ainsi depuis la loi Evin.

Avant 1970, nous avions des slogans comme « bon vin, bons câlins », « bon vin, portez-vous bien » ou « bon vin, petit malin ». Ces slogans étaient destinés à toute la famille. Ils seraient interdits aujourd'hui en raison du contexte néo-prohibitionniste.

Après 1991, nous ne pouvions même plus présenter la bouteille avec un accessoire. Nous ne communiquons donc plus sur les médias traditionnels.

Nous nous sommes alors aperçus que la télévision était le média-roi. Si nous n'avons aucun accès légal à la télévision, nous pouvons exister par le biais de l'affichage sportif à l'étranger. Si cela améliore la notoriété de la marque, cela ne fait toutefois pas vendre directement. L'exemple de la bière Foster est intéressant. Elle était présente pendant de nombreuses années sur les grands prix de Formule 1. Dès qu'elle s'est introduite sur le marché français, elle a été reconnue.

L'avenir

Notre exemple montre que la réussite est possible même pour une petite coopérative.

Cette communication a fait de Cellier des Dauphins la première marque française en volume. Cependant, les Français ne peuvent pas concevoir qu'un produit de qualité soit vendu en gros volume, sauf pour le champagne. Ce n'est pas convenable et le produit paraît industriel. A contrario, les volumes de Cellier des Dauphins sont dérisoires par rapport à la concurrence internationale.

Nos attentes correspondent à celles précédemment évoquées. Le besoin doit être adapté à la demande internationale. L'adaptation est d'autant plus importante qu'une étude d'InterRhône a montré que les côtes-du-Rhône n'étaient plus adaptés au goût français.

L'adaptation du produit à la demande est techniquement facile. Les côtes-du-Rhône manquent de couleur. La profession peut modifier les cépages pour en donner. Les étrangers critiquent l'absence de sucrosité. On peut travailler et arrondir les vins. La désacidification ne peut se faire qu'à la propriété. Pour mieux répondre à la demande, il serait souhaitable de pouvoir le faire également avant l'embouteillage.

Ces mesures simples permettraient d'avoir des produits convenables dans le cadre d'une consommation de masse, c'est-à-dire des vins sur lesquels le consommateur ne fait pas de commentaire et se contente de boire avec plaisir.

Enfin, je rejoins les demandes réitérées du négoce français qui souhaite disposer d'un vin de France. Ce vin permettrait aux marques de s'exprimer.

Pour conclure, je souhaite faire une comparaison. Le gouvernement sud-africain s'est récemment rendu compte de l'intérêt économique majeur du vin pour son pays. Il a reconnu publiquement cet intérêt et il a pris les mesures appropriées. En France, nous réfléchissons à des mesurettes alors que le problème a une grande ampleur. Jean Fleury a évoqué l'enjeu de réaliser une campagne pour donner une image nationale aux vins. Il est tout à fait possible de concilier une communication sur une image nationale de nos vins, sur les appellations et sur les marques par une implication financière de chacun et de l'Etat.

Adolphe TOURSCHER

La réussite de Cellier des Dauphins est la preuve qu'une appellation peut être mise en avant avec succès.

Denis Verdier a expliqué qu'il fallait savoir évoluer. Cela concerne par exemple les copeaux et les méthodes de vinification. Il est urgent de disposer des mêmes armes que nos concurrents.

Castel est le premier opérateur de vin en France et en Europe et le troisième mondial derrière Hardys Constellation et Gallo. Le groupe vend 450 millions de bouteilles par an pour un chiffre d'affaires de 528 millions d'euros.

Les marques

Trois types de marques coexistent : les marques (Coca-Cola), les marques ombrelles (Danone) et les marques de firme (Renault). Dans le vin, la première marque de Castel est Vieux Papes (36 millions de bouteilles). Gîtes et Chenay est une marque ombrelle. Les vieilles maisons correspondent à des marques de firme, comme Cordier.

Une marque correspond à la fois à une notoriété et à une qualité. La qualité ne suffit cependant pas à faire une marque. Une marque représente un produit qui a obtenu un succès commercial.

Créer une marque dans le vin est plus complexe qu'à l'époque où le Cellier des Dauphins a été créé. Aujourd'hui, il faut effectuer une étude de marché sur le goût (plaisir et tradition) et réfléchir à la singularisation et au référencement.

Le goût

Le « vin plaisir » repose sur des recherches de partenariat avec l'amont. Le Cellier des Dauphins apporte ses propres produits. Les négociants doivent chercher dans les campagnes des vins destinés à des marques, mais qui sont produits par les viticulteurs. Les sélections sont parcellaires et imposent un suivi de la maturation, un choix du type de vinification, un assemblage et un élevage.

Le goût de la tradition impose d'intégrer d'autres éléments, comme le terroir ou le goût boisé du bordelais.

Entre parenthèses, il faut se rappeler qu'il y a une dizaine d'années, « bordeaux » était une référence de marque. Il en était de même pour les côtes-du-Rhône. C'est le cas pour le champagne aujourd'hui. Chez Castel, nous parlons toujours du bordelais comme une référence de marque.

La singularisation

Concernant la singularisation, il faut d'abord choisir la bouteille. Le Cellier des Dauphins l'a compris : il faut un élément pour donner de l'authenticité. Il faut donner une notion de terroir aux produits industriels. Ainsi, nous avons choisi une bouteille bordelaise pour le Roche Mazet afin de rappeler la tradition. Nous avons choisi une bouteille plus féminine pour la marque Virginie.

Il faut également choisir le verre. La couleur du verre peut être plus foncée ou plus verte. Il faut étudier ce qui plaira le plus. La bouteille brunâtre fait référence au passé.

L'étiquette est fondamentale. Elle doit plaire aux femmes, car ce sont elles qui achètent les produits dans les linéaires. Dans les restaurants, ce sont en revanche les hommes qui choisissent.

Il faut étudier le conditionnement et le surconditionnement. Le surconditionnement est très important pour la grande distribution. Le carton promotionnel de six bouteilles est plus courant (la sixième bouteille étant gratuite). Nous avons réalisé une opération en Angleterre sur un pack de quatre bouteilles. Elle a réussi grâce au surconditionnement. Aux Etats-Unis, Wal-Mart nous a demandé de réaliser un bipack : une bouteille achetée, une bouteille gratuite. Cette opération peut paraître coûteuse, mais il faut connaître la différence entre le prix de vente et le prix de revient aux Etats-Unis. Elle a permis de vendre 1,2 million de bouteilles. Ces opérations ont réussi grâce au surconditionnement.

Le référencement

Sur ce point, il n'y a rien d'original. Il faut avoir des équipes dynamiques sur le terrain, de l'épicerie à l'hypermarché. La mise en place d'une nouvelle marque impose une occupation du terrain, c'est-à-dire du magasin. Si ce n'est pas le cas, la marque est rejetée au niveau tant régional que national.

Il faut donc d'abord faire ses preuves. C'est difficile, puisque la distribution dispose déjà de produits pour répondre à chaque demande et que ses linéaires sont pleins.

Une marque exige des moyens. Il faut donc réaliser des opérations publi-promotionnelles (achats d'espaces et promotions en magasin). Ensuite, il faut monter au niveau régional, puis au niveau national. Il faut en particulier maintenir la constance des actions sur la durée.

Une fois positionnée, la marque doit éviter le zapping. La fidélisation se fait par un travail constant sur tous les éléments de la marque précédemment évoqués et par le déploiement d'une force de vente. Autrement dit, il faut travailler le linéaire afin que le consommateur voie le produit. Il faut également garantir une qualité indiscutable sur le produit. L'habillage doit être sans défaut (étiquette mal positionnée, déchirée ou tâchée). Enfin, la marque doit devenir un repère pour le consommateur.

Le métier du vin impose des contraintes spécifiques. C'est un métier de pauvre : les budgets disponibles sont réduits. Nous ne disposons pas de la puissance de Procter & Gamble. Nous avons donc besoin d'aides. En France, Castel dépense 35 millions de francs en actions publicitaires. L'argent est important, car il faut animer les produits, sans quoi ils deviennent inintéressants.

Le développement des « hard discounts » et des marques de distributeurs constitue une concurrence nouvelle pour les marques de vin.

Enfin, l'encadrement, voire la restriction, découlant de la loi Evin, est également une contrainte importante.

Marie-Laetitia BONAVITA

Pau Roca va maintenant présenter le cas de l'Espagne. Une nouvelle loi a récemment été votée dans ce pays. Elle permet à l'Etat de soutenir la communication sur le vin.

Le point de vue d'un pays voisin : l'Espagne

M. Pau Roca, secrétaire général de la Fédération espagnole du vin

La loi

En Espagne, une première loi sur le vin a été votée en 1932. Le fait qu'il s'agisse d'une loi nationale, adoptée par les Cortes, témoigne de l'importance du sujet. Elle a été remplacée par une autre loi en 1970 et finalement une nouvelle loi est votée en juillet 2003 pour tenir compte de la réglementation européenne.

Cette loi établit les définitions des termes et mentions traditionnels. Elle introduit la notion de « vin aliment ». Elle permet la promotion du vin par des fonds publics, ce qui était interdit jusqu'alors.

La loi définit également le système de qualité comme une pyramide d'exigences progressives. Elle propose la superposition des niveaux pour les vignobles : si un vignoble est qualifié pour un niveau, il peut produire des vins pour les niveaux inférieurs.

La loi établit un régime de régulation des appellations d'origine par des organes de gestion et assure la séparation des contrôles et de la gestion. Ce point a fait l'objet d'un débat important. Dans l'ancien système, on était juge et partie. La loi donne la possibilité d'un contrôle privé par le biais des organismes de certification internationaux. Ils sont généralement acceptés par les distributeurs. Ce système diffère de l'agrément qui débouche sur une licence ex ante : la certification vient après un audit. La certification représente un coût pour l'exploitation ou l'entreprise, mais c'est un moyen de développement, surtout pour répondre aux demandes de la grande distribution.

Enfin, la loi établit un système de sanctions applicable sur l'ensemble du territoire espagnol. Cela évite que chaque région autonome instaure un régime propre qui provoquerait une concurrence déloyale. Cette loi fait justement l'objet de recours de la part de deux régions autonomes.

En tout état de cause, la définition du vin comme produit alimentaire ne sera pas remise en cause, car cela fait partie du régime alimentaire méditerranéen. Le Sénat espagnol a travaillé pendant un an pour définir ce qu'est ce régime méditerranéen (la « diète méditerranéenne »).

Les modes de consommation du vin

L'Espagne connaît une extension des mauvaises habitudes en matière de consommation d'alcool. Ce n'est pas un problème de santé publique et d'alcoolisme. Il s'agit d'un problème de consommation concentrée sur certains moments, comme le week-end, dans les fêtes ou lors d'événements sportifs. De nombreux accidents de la route en découlent. En outre, la consommation d'alcool par des jeunes sur les places publiques est répandue en Espagne en raison du climat. Elle est alors associée à des comportements très inciviques.

L'administration responsable de la santé publique nous a indiqué que le vin n'était pas à l'origine des problèmes d'ordre public, même s'il contient de l'alcool et constitue en tant que tel une drogue.

Je vais faire une remarque qui paraîtra polémique, mais qu'un scientifique ne pourra pas rejeter. Le vin n'est-il pas la solution à ces problèmes ? En médecine, les vaccins correspondent à l'inoculation d'antigènes dans un organisme sain pour le rendre résistant. Nous pouvons réfléchir à la vaccination de nos enfants par l'éducation à la culture du vin. Les normes de conduite associées au vin peuvent être une garantie face aux dérives actuelles d'une société malade et peut-être excessivement permissive.

Je constate que ces phénomènes sociaux se greffent sur une chute alarmante de la consommation de vin. Le modèle de consommation méditerranéen est en crise. Le modèle qui s'impose actuellement est celui des pays nordiques. Dans ce cadre, je me demande pourquoi les remèdes devraient être ceux des pays nordiques, puisqu'ils n'y ont jamais fonctionné. L'alcool continue en effet d'être consommé comme une drogue dans ces pays. Partout, le prohibitionnisme a échoué.

L'objectif doit être l'éducation dans l'enceinte familiale, où le vin est présent aux repas. Le vin ne doit pas être diabolisé, mais seulement considéré comme facteur de risque s'il est mal consommé.

Ces moeurs de consommation sont difficiles à présenter. Nous ne retrouverons jamais le régime méditerranéen si nous continuons à traiter toutes les consommations alcooliques de la même façon. Le vin, le cidre, la bière, le cognac et le whisky écossais sont tous des boissons nobles. Les boissons ne doivent pas être confondues avec le mode de consommation, chaque boisson ayant son propre mode de consommation. Par contre, il faut essayer de « récupérer » les moeurs de consommation préventifs de chaque boisson alcoolique et surtout du vin. Dans notre société, le vin est la boisson la plus complexe et celle dont les normes de consommation sont ordonnées et correspondent à des rituels associés au repas, qui empêchent une consommation inadéquate.

Ces éléments d'éducation doivent permettre une politique de prévention plus efficace. L'importation de modèles de prévention nordiques, c'est-à-dire le prohibitionnisme, entraîne celle de modèles de comportements étrangers à notre culture et à notre société. Il s'agit d'une question d'identité culturelle. Les pouvoirs publics doivent assumer leur responsabilité dans cette logique. C'est ce que la précédente législature a essayé de faire. J'espère que le nouveau gouvernement continuera dans cette voie, approuvée par l'ensemble de la filière espagnole.

Le vin et l'Europe

Pour conclure, nous devons essayer de faire prévaloir nos cultures, nos traditions et nos droits dans la législation commune européenne. Nous devons avoir une politique vitivinicole cohérente avec notre passé et avec nos conditions de production. Nous devons veiller à ce que notre modèle, actuellement très fragilisé, ne disparaisse pas par un manque de dynamisme commercial et par une approche inflexible.

L'organisation commune de marché vitivinicole n'est pas seulement un règlement typique de la politique agricole commune (PAC), c'est-à-dire un instrument de gestion de marché et d'intervention. Elle est également un règlement encadrant un modèle de production et de commercialisation. Elle comporte des règles qui définissent les pratiques oenologiques autorisées, les normes de présentation et de désignation, les limitations à la production par un système de droits de plantations, les procédures de circulation et de contrôle des registres de mouvements.

En fait, la réglementation communautaire sur le vin a été le précurseur des nouvelles orientations de la PAC. Le secteur a intégré les normes de traçabilité bien avant la crise de la vache folle. Le vin avait un système détaillé des pratiques oenologiques bien avant les règles de sécurité alimentaire définies pour les autres denrées. La protection des appellations d'origine existait bien avant que les politiciens européens ne découvrent que ce système garantissait la valeur ajoutée des productions, sans besoin de dépenses publiques et avec des conséquences très favorables sur le territoire. Autrement dit, la notion diffuse de multifonctionnalité de la PAC existe déjà dans le vin. La spécificité législative du secteur du vin doit donc être préservée et éventuellement complétée dans l'Union européenne.

Nous devons être conscients du rôle du secteur du vin dans le monde. Nous devons réagir à notre perte progressive de compétitivité, afin d'éviter d'abandonner des parts de marché au profit des pays du Nouveau Monde. La France est le pays qui souffre le plus. L'Espagne exporte de plus en plus, mais cela ne nous tranquillise pas. Tous les pays européens ont les mêmes contraintes. Les enjeux sont communs. Nous devons donc faire en sorte que le secteur européen du vin exerce un leadership qui lui corresponde. Seule une vraie politique vitivinicole européenne peut nous redonner la place qui nous revient dans le marché mondial.

L'observatoire économique européen doit être mis ne place. Une politique commerciale agressive doit être engagée par des accords bilatéraux et multilatéraux. Un corps de référence intergouvernemental doit arbitrer les pratiques et l'oenologie, les définitions techniques et les règles d'étiquetage.

Nous avons créé l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) en 1927. C'est le moment de lui donner l'importance et l'impulsion politique dont elle a besoin. Idéalement, il faut utiliser les mêmes règles du jeu que celles qui s'appliquent partout dans le monde, tout en respectant notre acquis.

En conclusion, nous avons réussi à mettre en place une loi en ce sens en Espagne. Elle permet de préserver une spécificité pour le produit et de protéger le vin des attaques du « néo-prohibitionnisme ». Elle modernise certains modes de gestion. Elle permet la libre utilisation des marques. Elle ouvre, timidement peut-être, la possibilité de créer d'autres catégories de qualification. Elle favorise les investissements et la diversification des entreprises vitivinicoles.

Ce n'est pas suffisant. L'Union européenne doit réformer l'organisation commune de marché pour assurer une plus grande compétitivité de la production européenne. Il faut intégrer les éléments d'autres politiques européennes, comme la protection des droits des consommateurs, dans une approche globale du secteur. Cela doit permettre d'assurer une politique spécifique au secteur.

Enfin, le cadre législatif européen doit conduire à une concertation mondiale pour que les normes, les définitions et les règles du jeu soient respectées par tous les producteurs.

En Europe, le secteur vitivinicole est aux mains d'entreprises non multinationales. Des initiatives comme le colloque d'aujourd'hui permettront de conserver notre activité. J'espère que les responsables gouvernementaux arriveront à donner l'impulsion politique dont le vin a besoin. Une conférence ministérielle sur le vin pourrait être organisée et aboutir à un consensus mondial.

Michel DELPON, société de producteurs et négociants à actionnariat coopératif, président des négociants de Bergerac

La guerre du vin est ouverte. Nous reculons depuis trois ans. Les vins français doivent passer à la reconquête. Des solutions en amont vont être prises : plus de rigueur pour l'AOC de terroir, plus de liberté pour le vin de marketing.

En aval, les solutions manquent. Le marché français est saturé : il va perdre cinq millions d'hectolitres dans quelques années. Il faut en gagner cinq millions à l'export pour retrouver l'équilibre.

Notre ministre de tutelle nous a proposé 5 millions d'euros. C'est dérisoire par rapport aux 10 millions de l'ONIVINS. Le budget de l'interprofession de Bergerac est de 2 millions d'euros. Il est de 23 millions pour Bordeaux. Le budget de Frexinet, négociant espagnol, est de 60 millions d'euros. Que peut-on faire avec 5 millions d'euros ? Il faut un vrai budget pour regagner des parts de marché à l'exportation. L'amendement relatif à la loi Evin permettra peut-être d'adoucir la chute de la consommation des vins en France, mais il ne permettra pas de sortir de l'impasse à l'exportation.

De la salle

En France, de nombreuses associations de lutte contre les excès de l'alcoolisme sont financées par l'Etat. Leur budget est d'environ 100 millions d'euros. Qu'en est-il en Espagne ?

Pau ROCA

La situation est la même. Toutefois, en Espagne, l'alcoolisme est moins un problème de santé publique que d'ordre public. La presse s'intéresse surtout aux conséquences de l'alcool et à la conduite des jeunes.

Les morts sur la route n'ont rien à voir avec l'alcoolisme tel qu'on l'entend en Espagne. Les deux dimensions sont clairement séparées.

Jean-Guy JAILLIS, journaliste

Je m'intéresse à l'association entre le vin et les modes de vie dans le monde.

Je trouve la profession assez pessimiste. Elle devrait faire preuve d'un optimisme durable. Les pays musulmans et les Chinois redécouvrent la viticulture. Une transformation culturelle apparaît dans le monde musulman, au Maroc et dans le Maghreb. Des groupes français commencent même à y planter des vignes. Il faut réfléchir à cette évolution.

En outre, il faut noter que les intermédiaires vendant du vin au Japon, en Chine ou en Inde ne sont pas des professionnels du vin. Ils ne se préoccupent pas du vin. La filière doit donc se réapproprier la commercialisation.

Le gouvernement chinois vient de lancer un appel d'offres pour 1,8 million de bouteilles. Les angoisses des viticulteurs français vont donc disparaître.

Enfin, la notion de vin doit être attachée non seulement au terroir, mais également aux autres produits liés à la consommation et au mode de vie. En Chine, la croissance se fait sur le modèle européen : on veut vivre comme les Français, même dans les familles moyennes.

Alain DÉCHY, président des cavistes indépendants

Malgré son titre, l'essentiel du colloque a porté sur l'exportation. Le marché intérieur représente encore une part importante. Le commerce traditionnel est en rapport étroit avec la viticulture individuelle.

Nous venons d'organiser une fête des vins dans nos boutiques. Les vignerons venaient faire déguster leurs vins. La majorité des adhérents ont doublé leurs ventes pendant l'opération. La morosité du marché intérieur n'est pas aussi grande qu'il paraît.

Notre profession se développe. Les vignerons indépendants créant des caves sont de plus en plus nombreux. C'est un métier d'avenir.

Marie-Laetitia BONAVITA

Comment peut-on faire face à des opérateurs mondiaux avec des budgets réduits et une atomisation des exploitations et des négociants ?

Adolphe TOURSCHER

Nous n'avons pas les mêmes armes. Les Américains et les Australiens ont de l'argent. Pernod-Ricard investit également en Australie.

Nous n'avons pas encore compris l'importance des budgets qu'il faut dégager pour prendre des parts de marché dans le grand export. Nous sommes présents sur la vieille Europe, mais peu en Asie, malgré quelques partenariats. La Chine est un pays compliqué.

Nous construisons une unité en Russie pour pouvoir importer des vins sans être assujettis aux taxes de 20 %. Nous pourrons ainsi nous battre contre les vins moldaves. Ce marché est sensible au prix. Il faut ouvrir des bureaux et avoir du personnel. Il faut avoir des produits au coeur du marché. A Moscou, la distribution ressemble à la nôtre. Ainsi, Auchan est présent. De ce fait, comme en France, il faut payer cher pour entrer et il faut faire du volume. Il faut donc des moyens importants pour investir à l'étranger. L'export est un investissement sur le long terme.

Gérard CÉSAR

Qu'en est-il du marché indien ?

Adolphe TOURSCHER

De mon point de vue, c'est le marché qui sera le plus captif. J'y crois davantage que la Chine, en raison de son passé anglais. Nous réfléchissons à l'ouverture d'un bureau en Inde.

Sylvie SERRA, de l'INAO

Par quel cheminement l'Espagne est-elle parvenue à une loi aussi novatrice ? Découle-t-elle d'une démarche nationale ou d'une vision des atouts de l'Espagne à l'export ?

Pau ROCA

Plusieurs lois se sont succédées. La situation était confuse, ce qui créait une insécurité juridique. Cela nous a poussé à agir. Sur le fond, nous avons travaillé pendant huit ans dans une sous-commission parlementaire, sans proposition du gouvernement. A un moment, le gouvernement a dû faire une proposition en raison de la pression des députés et de la filière.

Marie-Laetitia BONAVITA

Avant que Monsieur le ministre de l'Agriculture n'intervienne, le président du colloque va résumer la journée.

CONCLUSION

M. Gérard César, sénateur de la Gironde, président du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire

Nous sommes ici dans la maison de la sagesse. Mon appel n'a pas été totalement entendu.

Je souhaite indiquer à Monsieur le ministre que la dépêche de l'AFP a été mal vécue par le monde viticole, comme Xavier Carreau l'a précisé.

Je rappelle, Monsieur le ministre, que vous avez vous-même participé en février 2004, aux travaux mis en place par le Premier Ministre. Nous avons nommé quatre députés et un sénateur pour rédiger un Livre blanc en vue de définir la place du vin dans la société. Ce rapport a été remis au Premier Ministre le 28 juillet dernier. Il présente des propositions qui feront, je l'espère, l'objet de textes d'application. Nous avons souligné l'intérêt d'un conseil de la modération. Le vin ne doit pas être confondu avec l'alcool. En outre, les viticulteurs ont proposé de participer financièrement à la campagne pour une consommation modérée du vin.

Nous avons été surpris par les propos du Premier Ministre, qui semble vouloir revenir sur l'amendement à la loi Evin introduit dans le projet de loi sur le développement des territoires ruraux, voté par le Sénat et par l'Assemblée nationale. Alors que des viticulteurs ont donc quitté la salle pour protester, je souhaite rappeler que vous étiez, Monsieur le ministre, d'accord avec le principe de cet amendement. Le Sénat s'efforcera de le défendre lors de la deuxième lecture.

Un deuxième problème est apparu. Dans un autre projet de loi, le Sénat a voté un amendement pour indiquer sur chaque bouteille d'alcool que l'abus d'alcool est dangereux pour les femmes enceintes. Le ministre en charge de la Santé a donné son aval à cet amendement.

J'ai expliqué que lorsqu'une femme est enceinte, elle doit être responsable de ses actes. Son médecin et son gynécologue ont le devoir de l'informer qu'elle ne doit pas consommer d'alcool, fumer ou se droguer. J'ai expliqué également qu'il ne fallait pas légiférer sur tout. La responsabilisation des femmes doit être faite par le corps médical. Une mention sur une bouteille de vin ne résoudra rien.

Durant ce colloque, les débats ont été de très grande qualité. Nous avions organisé, en 2002, un colloque sur le thème « vin, santé et alimentation ». Aujourd'hui, nous avons voulu évoquer les consommateurs, les marchés, les nouvelles attentes et les modernisations en cours.

Les exposés ont été de grande qualité. Je remercie les intervenants.

Chacun a souhaité que la filière puisse évoluer dans le sens que, Monsieur le ministre, vous soutenez : davantage de promotion, davantage de soutien à l'exportation et davantage de marchés repris à l'étranger.

Chaque bassin voulait faire des propositions pertinentes à la suite de la proposition de juillet 2004. Il appartient au ministre d'apporter des conclusions. L'urgence des décisions a été soulignée en raison de la crise de la viticulture. Elles doivent être prises en concertation étroite avec tous les responsables de la filière vitivinicole. La question des marques, celle des copeaux et celle des moyens financiers a été rappelée.

Enfin, notre collègue espagnol a présenté la loi sur le vin, votée récemment en Espagne, qui sépare ce produit et l'alcool. Nous voudrions savoir où nous en sommes en France et comment sera réformée l'organisation commune du marché au niveau européen.

ALLOCUTION DE CLÔTURE

M. Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture, de la pêche, de l'alimentation et des affaires rurales

Cher Gérard César, Monsieur le président Verdier, Chère Marie-Laetitia Bonavita, Mesdames et Messieurs les sénateurs, Mesdames, Messieurs,

En 2002, le colloque du Sénat portait sur le vin et la santé. Cette thématique ne quitte plus l'actualité. Cette année, la réflexion est centrée sur le consommateur. Il mérite lui aussi d'être l'objet de tous les efforts.

L'actualité

Je ne suis pas naïf, mais je fais rêve parfois que, dans notre pays, nous puissions sortir des guerres de tranchées idéologiques sur certains sujets. Il faudrait choisir le blanc ou le noir. Il n'y a pas de place pour un vrai débat. Des sujets comme les organismes génétiquement modifiés (OGM) suscitent des réactions passionnées et passionnelles. Il en est de même pour la loi Evin, où le débat est présenté comme la lutte du lobby viticole contre le lobby hygiéniste. Je refuse d'entrer dans ces débats binaires, car ils sont piégés et piégeants. Personne n'a intérêt à se laisser enfermer dans de fausses alternatives.

Personne ne doit oublier que la lutte pour la santé publique et la lutte contre l'alcoolisme sont une nécessité absolue. J'ai moi-même été secrétaire d'Etat à la Santé et j'en connais l'importance. C'est d'ailleurs pourquoi le Livre blanc propose la création d'un conseil de la modération. Tout le monde est d'accord, sans hypocrisie.

Des imperfections rédactionnelles existent dans la loi Evin. Une clarification juridique doit être effectuée pour donner la possibilité aux marques et aux territoires d'être à armes égales dans le cadre d'une communication réglementée.

Des amendements parlementaires ont veillé à rectifier cette imprécision juridique. Le Gouvernement s'y est opposé, car il lui a semblé qu'ils allaient plus loin que la simple clarification. Le Gouvernement fait preuve d'unanimité sur cette question. La deuxième lecture de la loi sur le développement des territoires ruraux aura lieu en janvier. Je souhaite que nous puissions aboutir à une clarification en dépassionnant le sujet et en respectant les impératifs de santé publique que nous partageons tous.

Plutôt que de procéder par anathèmes ou invectives, il suffit de regarder la situation de manière sereine et dépassionnée. En outre, les travaux de la journée ont montré que ce sujet n'était pas le point central des problèmes et des défis de la filière viticole française. Si, pour le grand public, la viticulture française, dans ce qu'elle incarne de notre civilisation, se résumait à la rectification d'une loi, tout le monde aurait perdu du temps.

Il ne convient pas de dramatiser, mais d'agir avec pragmatisme et dans un esprit de sincérité et de vérité.

Conclusions sur les travaux

Je vous remercie pour votre contribution importante de ce jour afin de tracer un avenir durable pour notre viticulture.

Oubliant la qualité, le plaisir, la culture ou le patrimoine, la sémantique ayant entouré le vin depuis plusieurs mois a tourné autour des mots risques, maladie, crise ou surproduction. Le consommateur n'entend plus le monde de la vigne qu'en ces termes négatifs. Nous devons donc lui réapprendre le vin. Il faut le raconter non seulement avec responsabilité, mais également avec la fierté et l'ambition que mérite ce produit extraordinaire.

Nous avons une aptitude particulière à nous flageller et à faire le lit de nos concurrents. Il ne faut pourtant pas oublier qu'ils nous ont d'abord observés, puis copiés. Ils profitent maintenant de nos points faibles chaque fois que nous leur en donnons l'occasion. Il faut savoir connaître, analyser et corriger nos points faibles en s'appuyant sur nos atouts.

Ce colloque a rappelé ce que nous avons fait et a montré le chemin que nous devons suivre pour nous adapter à la demande et aller à la rencontre des nouveaux consommateurs sans trahir la confiance des plus fidèles. Nous sommes à un moment charnière de la viticulture française, tant sur le plan conjoncturel que sur le plan structurel.

La situation conjoncturelle

Sur le plan conjoncturel, après deux petites vendanges, nous savons que la campagne 2004 sera compliquée. La vendange est abondante en France et dans le monde. L'écart entre la production et la consommation sera donc en nette augmentation. Cependant, le niveau des stocks de vins de table et des vins de pays est bas. En outre, la vendange est de bonne qualité, ce qui sera un atout essentiel dans les mois prochains.

La vendange abondante et de qualité est une chance pour réussir sur le marché. Les difficultés n'en sont pas moins réelles pour certaines appellations. J'ai pris des mesures en accord avec l'interprofession pour favoriser les reports sur le marché des non-vins (moût, raisins). Les professionnels ont également réfléchi aux rendements que l'INAO arrêtera la semaine prochaine. D'autres initiatives ont été prises dans un cadre interprofessionnel pour réguler l'offre et gérer les marchés. Tout cela contribuera à piloter la campagne. Nous devons suivre cette dernière avec vigilance et réactivité. Dans cet esprit, je réunirai la filière à la déclaration de récolte.

Les évolutions structurelles

Sur le plan structurel, nous sommes à un tournant pour l'avenir de la viticulture française. En me rendant à Chicago avec François Loos pour participer à Vinexpo America's et accompagner les entreprises exportatrices, j'ai pu constater les difficultés concrètes que rencontrent nos opérateurs dans le contexte de concurrence nouvelle que connaît le monde du vin. Les chiffres du premier semestre 2004 ne démentent pas les mauvais résultats sur les marchés extérieurs. Depuis plusieurs années, le marché montre des signes d'essoufflement. Notre présence s'effrite sur nos débouchés traditionnels et n'est pas rattrapée par de nouvelles conquêtes.

Les critiques sont connues depuis longtemps. Elles sont devenues moins confidentielles. Les diagnostics sont devenus de plus en plus convergents. Ils se résument à une recommandation simple et unanime : la structure et la lisibilité de l'offre française doivent être améliorées. Les professionnels y réfléchissent depuis des années. Un journaliste m'a indiqué avoir trouvé des articles vieux de plus de 25 ans sur cette question. Plusieurs rapports successifs ont essayé d'apporter des réponses. La solution n'est pas simple, sinon elle serait déjà appliquée. Le Sénat y a grandement contribué avec le rapport de Gérard César en 2002.

Rebondissant sur les propositions, la filière a relancé un travail commun entre l'INAO et l'ONIVINS. Ce travail a abouti à un projet collectif qui m'a été présenté en juillet 2004. Ce n'était pas simple : les équilibres étaient difficiles à trouver.

Ce projet se fonde sur la distinction entre un marketing de l'offre et un marketing de la demande. Cette voie me paraît pertinente pour trois raisons. Elle s'inscrit dans une démarche confortant la vocation de la France à être présente sur tous les marchés viticoles, aussi bien traditionnels que récents. Elle offre la possibilité à chaque région et à chaque exploitation de se positionner sur ces deux segments de marché. Elle répond à l'objectif de clarification et de simplification et améliore ainsi la lisibilité de l'offre française en pensant avant tout au consommateur.

La méthode de travail

Maintenant que l'architecture d'ensemble est choisie, nous devons en construire les piliers. L'urgence est grande, comme le Président de la République l'a réaffirmé à Murat. Le temps du constat et de la réflexion est passé. Le temps est venu d'avancer et d'agir pour améliorer le positionnement de l'offre sur les marchés et pour mieux la faire connaître en France et à l'export.

L'Etat a sa part de travail, notamment sur les aspects législatifs et réglementaires. Les deux amendements gouvernementaux au projet de loi sur le développement des territoires ruraux constituent déjà des avancées. Nous avons introduit la base juridique nécessaire à l'affectation parcellaire en AOC et en vin de pays.

Au-delà, l'évolution de l'offre française sera définie par les vignerons dans chaque bassin. Le rôle de l'Etat est de définir la boîte à outils dont la viticulture a besoin. Ensuite, ce sont aux viticulteurs d'agir. Les professionnels (vignerons, coopératives et négociants) connaissent leur marché mieux que les ministres. Ils choisiront entre les possibilités ouvertes par le nouveau schéma proposé par la filière.

Pour que ces propositions constituent une vraie base d'avenir, elles doivent s'inscrire dans un projet collectif plus global au niveau de chaque bassin de production. Sur le potentiel en particulier, nous disposerons d'une boîte à outils qui permettra à chaque bassin de prendre des décisions collectives et à chaque viticulteur d'arbitrer individuellement dans ce cadre commun. Je crois que nous ne devons interdire aucune possibilité dès lors qu'elle concourt à la réalisation d'un vrai projet collectif et qu'elle peut répondre à des décisions individuelles. Certaines régions ont déjà fait un choix en optant pour l'arrachage définitif. Elles travaillent pour que les modalités soient opérationnelles et les gages d'un équilibre préservés.

L'Europe

La boîte à outils mérite d'être étoffée. Cela passe par une réforme de l'organisation commune de marché européenne. La Commission européenne, après avoir annoncé plusieurs propositions de réforme, a choisi de ne pas bouger. Elle est préoccupée par d'autres réformes, notamment en ce qui concerne la PAC, et elle est certainement influencée par sa vision du déroulement des deux dernières campagnes.

Je répète que nous avons besoin d'une réforme ambitieuse tant sur le potentiel que sur la gestion des marchés. Je suis favorable à un renforcement des mesures en faveur de l'aval et de la valorisation des produits. Ce que nous avons dit sur le marché et sur le consommateur va d'ailleurs en ce sens.

Le mémorandum que nous avons élaboré et transmis en 2002 mérite d'être actualisé et complété, même si nos demandes restent d'actualité sur certains points comme l'arrachage temporaire. Nous devons travailler rapidement et ensemble. Je veux en discuter avec le nouveau commissaire dès sa nomination. Je considère que le dossier de l'organisation commune de marché vitivinicole, avec le dossier des fruits et légumes et celui de la gestion de crise, doit être un dossier prioritaire.

Le résultat des mesures prises en France

Au-delà des dispositions communautaires, nous devons améliorer notre attractivité en disposant d'une nouvelle base pour communiquer clairement, simplement et efficacement sur la France des vins ou plutôt sur la nouvelle France des vins que nous bâtissons ensemble.

D'ailleurs, je crois que nous devons faire une vraie campagne de communication sur le marché intérieur et ensuite à l'étranger, où nous sommes très attendus. Cette communication permettra d'expliquer l'évolution et de mieux faire connaître ce que sont les AOC et les vins de pays.

Ces réflexions devront s'articuler avec le travail engagé par l'INAO pour clarifier les textes régissant les vins d'appellation d'origine. Un objectif proposé dans le cadre de la nouvelle organisation de l'offre française consiste à contribuer à la consolidation des AOC, à la réaffirmation de leur valeur et de leur identité et à leur repositionnement sur le marché. Cela permettra de garantir les promesses des AOC, d'assurer leur crédibilité et, en conséquence, de fidéliser le consommateur.

Par ailleurs, je voudrais saluer l'effort entrepris par l'INAO et les syndicats de défense des AOC viticoles depuis la mise en place effective du décret sur le contrôle des conditions de production à la parcelle. Plus de 150 appellations se sont dotées de commissions professionnelles. En intervenant en appui des agents de l'INAO, ces commissions ont contribué à une meilleure diffusion de l'esprit et des exigences de l'AOC dans l'ensemble du vignoble.

Nous savons tous que la qualité du vin fini se joue pour une part importante dans la vigne. Il est donc important d'intervenir en amont, sur la conduite de la vigne et sur la maîtrise de la charge. Les résultats présentés aujourd'hui par l'INAO sont significatifs. Ils attestent de l'importance du contrôle, composante essentielle de l'AOC. Cela doit encourager l'ensemble des professionnels à poursuivre et amplifier les efforts de maîtrise de la qualité dans l'ensemble de la filière avec l'appui des pouvoirs publics. C'est le sens des engagements pris collectivement en juillet.

Le tourisme vitivinicole

Le tourisme vitivinicole est un vecteur privilégié pour faire découvrir le monde passionnant et charnel de la vigne et du vin. Il permet un premier contact avec le produit et une valorisation de l'environnement humain, paysager et patrimonial, c'est-à-dire de tout ce qui fait le vin. L'ONIVINS apporte son concours à la publication d'un guide d'accueil avec le ministère du Tourisme pour les caves souhaitant se lancer dans cette aventure. Elles ne doivent pas décevoir. Je considère cette démarche très positive pour le vin et les terroirs.

L'exportation

Enfin, la question de l'exportation est centrale. Mieux faire connaître et reconnaître nos vins à l'étranger est un enjeu d'autant plus vital que la consommation décroît depuis trente ans en France et dans tous les pays de tradition viticole. Le Président de la République et le Premier Ministre ont donc souligné la priorité que constitue l'exportation.

Avec François Loos, je me suis fortement mobilisé pour soutenir les exportateurs de vin, notamment aux Etats-Unis. Pour sa part, Nicolas Forissier s'engage également dans ce dossier, notamment à travers le partenariat national pour le développement de l'industrie agroalimentaire dont il a jeté les premières bases au Salon international de l'Alimentation (SIAL).

Tous les acteurs et tous les instruments de soutien à l'export ont été mobilisés, en particulier les missions économiques françaises aux Etats-Unis, le CFCE, UBIFRANCE et la SOPEXA. En étroite coordination avec les autres acteurs concernés, nous mettons en oeuvre des réponses opérationnelles aux difficultés concrètes rencontrées par les exportateurs français. Dans ce sens, nous avons donné une nouvelle impulsion au financement de volontaires internationaux en entreprise. Nous avons également renforcé le soutien à la présence française sur les salons les plus pertinents. Le partenariat pour le développement des industries agroalimentaires amplifiera ces actions.

En outre, les moyens consacrés à la promotion et à la communication, en particulier à l'export, ont déjà été augmentés de façon significative. En dépit d'un contexte budgétaire difficile, j'ai obtenu un crédit de cinq millions d'euros à cette fin. Notre effort portera prioritairement sur les campagnes collectives, qui contribuent à améliorer l'image des vins français et à faire connaître la diversité de l'offre française.

C'est une première étape : l'objectif que nous nous sommes fixé est d'aller plus loin. Le Président de la République nous l'a indiqué dans son discours de Murat. Nous nous y employons dès à présent.

Au total, la contribution de l'Etat et du Gouvernement est importante, car ce dossier est un enjeu majeur de l'avenir de la viticulture et de l'économie française, compte tenu de l'importance du vin dans le solde commercial de notre pays ainsi que de l'équilibre et de la beauté de nos terroirs et de notre civilisation.

Nous devons sortir d'une posture défensive. Nous devons savoir transfigurer les contraintes en objectifs pour écrire ensemble une nouvelle page de la viticulture. Au-delà des difficultés, je suis persuadé que nous avons collectivement les ressorts pour relever ces défis, parce que le vin est avant tout une affaire d'amour et de passion.

ANNEXES I A VIII.

ANNEXES CONSULTABLES AU FORMAT PDF

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours d'une séance tenue le mercredi 2 février 2005, la commission a examiné les actes du colloque « Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités ».

M. Gérard César, rapporteur, a tout d'abord indiqué que s'était tenu le 28 octobre dernier au Sénat, à l'initiative du groupe d'études sur l'économie agricole et alimentaire, un colloque sur le thème «Vin, consommation, distribution : nouveaux enjeux, nouvelles opportunités».

Ce colloque, a-t-il précisé, visait à faire le point avec les professionnels du secteur, les représentants des pouvoirs publics, mais aussi avec des entreprises et des particuliers, sur un certain nombre de questions abordées dans un rapport publié en 2002 par la commission des affaires économiques et, en particulier, sur la stratégie à adopter pour la viticulture française afin de répondre au défi de la demande et des marchés.

Il a rappelé que notre filière vitivinicole connaissait depuis quelques années des difficultés structurelles, puisque, si la France restait le premier producteur et le premier exportateur de vin à l'échelle mondiale, elle subissait à la fois la rude concurrence de nouveaux pays producteurs et une baisse continue de la consommation domestique.

Après avoir expliqué que la première partie du colloque était consacrée aux changements des modes de consommation et de distribution du vin, il a constaté que les intervenants avaient insisté sur le profil des nouveaux consommateurs. Jeunes, occasionnels, curieux, mais néophytes, ces consommateurs, a-t-il observé, recherchent des « vins faciles à acheter » et « faciles à boire » et aspirent aujourd'hui à une offre lisible, structurée notamment par des marques, à des produits d'une qualité constante et à un étiquetage donnant des informations simples.

Il a assuré que les vins français « d'excellence » ou « élitistes » gardaient leurs lettres de noblesse et leur marché, considérant, à cet égard, qu'il était nécessaire d'apporter aux consommateurs une réelle culture du vin, afin qu'ils puissent en apprécier toute la richesse et la complexité. Il a estimé que, dans tous les cas, il importait que ceux écoulant les vins sur le marché définissent leur « coeur de cible commercial », c'est-à-dire qu'ils déterminent les clients qu'ils souhaitent toucher et les attentes de ces derniers.

Puis il a rappelé qu'à l'occasion de la présentation d'une étude de l'Office national interprofessionnel des vins (ONIVINS) sur la restauration hors domicile, l'accent avait été mis sur la nécessité d'adapter les volumes servis aux nouvelles habitudes de consommation (vin au verre, bouteilles de petite taille), de modérer les prix pratiqués tout en garantissant une qualité correcte des vins proposés et, enfin, d'apporter une véritable formation sur le vin aux restaurateurs.

Il a noté que les représentants de la grande distribution, qui constitue aujourd'hui le principal circuit de vente du vin, avaient insisté sur l'aspiration des consommateurs à être aidés dans leurs choix, rappelant, par exemple, que l'interdiction de présenter ensemble, dans un même linéaire, des vins de pays et des vins à appellation d'origine contrôlée (AOC) produits dans une même région constituait un frein à la compréhension de l'offre. Il a ajouté que les distributeurs plaidaient également pour une meilleure entente au sein des différentes familles de vin en matière de communication et jugeaient notamment souhaitable, compte tenu du grand morcellement de la production, une concentration des opérations de promotion à l'échelle de grandes zones géographiques.

Enfin, abordant le tourisme vitivinicole, il a indiqué que, selon les propos d'un intervenant, un producteur pouvait espérer augmenter de 30 % son chiffre d'affaires en ouvrant sa cave aux visites. Il a indiqué que le colloque avait permis d'apprécier la réussite d'une Française installée en Afrique du Sud, qui avait choisi d'ouvrir son domaine aux touristes et de privilégier la vente sur place. Il a cependant souligné que promouvoir le tourisme vitivinicole, ce n'était pas seulement favoriser la « vente au caveau », mais également chercher à associer, dans les campagnes de communication, l'image d'un vin à celle d'une région ou au patrimoine local pour les mettre conjointement en valeur. Il a alors évoqué l'initiative originale de la cave coopérative de Limoux, qui organise, chaque année, une vente aux enchères pour financer la rénovation de clochers dans la région et faire connaître ses vins.

Puis M. Gérard César, rapporteur, a expliqué que la deuxième partie du colloque avait eu pour objet d'évaluer l'état d'avancement de la modernisation de la filière. Il a rappelé qu'après une introduction de l'ONIVINS portant sur la rénovation qualitative du vignoble, l'accent avait été mis sur les deux stratégies menées de front par la filière pour se moderniser.

La première stratégie, qui était au centre de la première table ronde de l'après-midi, consiste, a-t-il précisé, à renforcer la tradition d'authenticité des vins français, en faisant en sorte que les appellations d'origine contrôlée « tiennent leurs promesses ». Il a montré l'avancée des réformes dans ce domaine, à travers notamment la réécriture des décrets des appellations et le développement du contrôle des conditions de production. Il a considéré que des progrès devaient néanmoins encore être accomplis en ce qui concerne l'agrément, celui-ci ne devant plus seulement servir à garantir l'origine et l'authenticité, mais aussi la qualité des vins d'appellation. Il a noté, à cet égard, que l'agrément était délivré à un stade que d'aucuns considéraient comme trop éloigné de la commercialisation du produit fini. En outre, a-t-il poursuivi, les commissions de dégustation pourraient gagner à être élargies à d'autres acteurs, tels que des sommeliers ou des consommateurs. Enfin, il a souligné l'intérêt de développer une communication particulière sur la notion d'AOC, qui reste encore étrangère à de nombreux consommateurs, et a souhaité que la modification apportée à la loi Evin, à son initiative, dans le projet de loi sur le développement des territoires ruraux permette des progrès dans ce domaine.

Il a ensuite indiqué que les intervenants de la deuxième table ronde de l'après-midi s'étaient interrogés sur la mise en place d'un marketing de la demande, c'est-à-dire sur les réformes à conduire pour adapter aux attentes des consommateurs les vins français ne se positionnant pas sur le segment de l'authenticité. Cette deuxième stratégie pour la viticulture française, a-t-il fait valoir, doit s'inspirer des méthodes modernes utilisées par nos concurrents pour produire et commercialiser des vins courants de qualité régulière : assouplissement des règles relatives à l'utilisation de copeaux de bois, assemblage de différents millésimes, mise en avant du cépage. Il a considéré que ce segment du marché avait particulièrement vocation à être dynamisé par des marques, relevant toutefois que le développement de celles-ci impliquait une capacité à mobiliser des moyens financiers importants. Il a indiqué que la question de la création d'un « vin de France », réclamée depuis longtemps par le négoce, avait également été évoquée au cours de cette table ronde.

Il a, par ailleurs, rappelé que le secrétaire général de la Fédération espagnole du vin, M. Pau Roca, avait insisté sur le choix fait par l'Espagne de donner au vin -en tant qu'élément du régime alimentaire méditerranéen- un statut particulier le distinguant des autres boissons alcooliques et avait appelé les pays viticoles européens à s'unir afin de faire prévaloir une conception européenne du vin sur le marché mondial.

Enfin, après avoir relevé que M. Hervé Gaymard, alors ministre en charge de l'agriculture, avait notamment évoqué, dans son discours de clôture, la réorganisation de l'offre française de vin et les adaptations souhaitables pour l'organisation commune de marché vitivinicole, il a expliqué que son rapport retranscrivait fidèlement les propos tenus par les différents intervenants au cours du colloque, chacun d'eux ayant donné son accord à la rédaction retenue.

Après avoir félicité le rapporteur de son compte rendu, M. Jean Bizet a fait savoir que les conclusions des travaux qu'il a conduits dans le cadre d'une mission auprès du Premier ministre sur le thème de la protection des indications géographiques agroalimentaires à l'échelle mondiale seraient publiées prochainement. Il a affirmé partager le diagnostic de M. René Renou, président du comité national des vins et eaux-de-vie de l'Institut national des appellations d'origine (INAO) s'agissant du trop grand nombre d'appellations vitivinicoles en France et de l'insuffisante qualité de certains vins. Il s'est déclaré favorable au schéma de réforme proposé par ce dernier, qui combine un renforcement des exigences s'imposant aux vins sous appellation d'origine, notamment par la création d'une nouvelle catégorie « AOC d'excellence » et un assouplissement de la réglementation applicable aux vins de pays. Enfin, il a estimé qu'il ne fallait plus compter sur la consommation domestique pour absorber les excédents de vin français, mais miser davantage sur l'exportation.

Mettant en doute la garantie qualitative apportée par les AOC, M. René Beaumont a fait observer qu'une même appellation recouvrait bien souvent des vins de qualité très inégale, obligeant les producteurs à recourir à d'autres éléments distinctifs, comme les marques.

Ayant pris acte des avancées législatives récemment enregistrées dans ce domaine, M. Dominique Mortemousque a estimé que les viticulteurs devaient être autorisés à communiquer sur les caractéristiques de leurs produits. Il a également jugé souhaitable une meilleure mutualisation des moyens en matière de communication.

M. Jean Desessard s'est interrogé sur la notion de « vins faciles à boire ».

M. Jean-Marc Pastor s'est élevé contre une remise en cause excessive du régime des AOC, considérant que sans les efforts qualitatifs accomplis dans ce cadre, les vins français seraient aujourd'hui dans une situation encore plus difficile.

Mme Odette Herviaux a estimé que, compte tenu de l'évolution des exigences des consommateurs et des pratiques agricoles, une révision des cahiers des charges s'imposait non seulement pour les AOC, mais pour l'ensemble des signes de qualité.

Faisant valoir les efforts accomplis par les producteurs dans le cadre des AOC et le caractère déjà contraignant des normes en vigueur, M. Gérard Bailly a mis en garde contre un renforcement des exigences dans ce domaine. Il s'est déclaré attaché à la notion d'AOC, dans le domaine du vin mais aussi pour d'autres productions agricoles tel le fromage, sur laquelle, a-t-il insisté, de nombreux terroirs ou régions ont fondé leur notoriété.

Admettant que les dérives qualitatives ne concernaient qu'une minorité d'appellations, M. Jean Bizet a fait observer que le renforcement des exigences imposées aux AOC permettait d'éviter la banalisation des produits et, par conséquent, limitait les risques de concurrence à l'échelle internationale.

M. Gérard César, rapporteur, a rappelé que ce colloque faisait suite à un premier colloque sur le vin organisé au Sénat en novembre 2002 et qu'il était souhaitable de reconduire ce type de manifestation tous les deux ans. En réponse à ses collègues, il a tout d'abord rendu hommage au projet de réforme de l'INAO, soulignant que si celui-ci n'avait pas été entièrement soutenu par la filière, notamment s'agissant de la création « d'AOC d'excellence », il avait néanmoins contribué à une prise de conscience des efforts à accomplir. Il a insisté sur la nécessité de conforter les AOC et de mieux les protéger au niveau mondial. Il a, en outre, rappelé que la baisse de la consommation de vin en France, revenue de 110 litres par an et par habitant dans les années 1960 à 55 litres aujourd'hui, s'expliquait principalement par la progression de la consommation occasionnelle au détriment de la consommation régulière. Après avoir annoncé la mise en place prochaine d'un conseil de la modération, conformément aux propositions du Livre blanc sur la viticulture française remis au Premier ministre en juillet 2004, il a précisé qu'un vin « facile à boire » était un vin rond, fruité, au goût simple, à l'image des vins de cépage. Enfin, il s'est félicité que l'INAO ait choisi de célébrer au Sénat, à l'automne prochain, le soixante-dixième anniversaire de sa création.

Par ailleurs, M. Louis Gruillot a fait savoir au rapporteur qu'il considérait comme inévitables les différences entre les vins produits sous une même appellation d'origine, ces différences tenant aux nuances existant entre les parcelles d'un même terroir ou à des facteurs humains. Confortant les propos de son collègue, M. Henri Revol en a déduit qu'il était indispensable que les viticulteurs puissent communiquer sur les caractéristiques de leurs produits.

Après avoir remercié le rapporteur, M. Jean-Paul Emorine, président, a invité M. Jean Bizet à présenter à la commission les conclusions de ses travaux sur la protection des indications géographiques, une fois son rapport publié, et ce dernier a donné son accord.

Puis la commission a adopté le rapport de M. Gérard César à l'unanimité, et en a autorisé la publication.

* 1 Voir en annexe I les documents projetés lors de l'intervention de M. Vincent Norguet.

* 2 Voir en annexe II les documents projetés lors de l'intervention de Mme Françoise Brugière.

* 3 Voir en annexe III les documents projetés lors de l'intervention de M. Yves Fourcade.

* 4 Voir en annexe IV les documents projetés lors de l'intervention de M. Jean-Louis Vallet.

* 5 Voir en annexe V les documents projetés lors de l'intervention de M. Jean-Noël Bossé.

* 6 Voir en annexe VI les documents projetés lors de l'intervention de Mme Anne Cointreau.

* 7 Voir en annexe VII les documents projetés lors de l'intervention de M. Philippe de Guénin.

* 8 Voir en annexe VIII les documents projetés lors de l'intervention de M. Philippe Mauguin.

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