III. LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES ALIMENTS ET L'EUROPE

3.1. Deux mots d'histoire récente

La crise de la « vache folle » (ESB) a bouleversé l'approche des questions de sécurité sanitaire des aliments en Europe au cours des années quatre-vingt-dix, il y a maintenant plus de dix ans. Outre l'ampleur de la crise qui a pris naissance en Grande-Bretagne, l'extension au niveau européen n'a été ni envisagée ni gérée à la mesure du problème et des risques par les instances communautaires compétentes. Les effets particulièrement dommageables et durables pour l'ensemble de ces instances a heureusement, mais tardivement, provoqué un réaménagement substantiel du dispositif sanitaire. Les notions de libre circulation des marchandises et de marché unique, sans être remises en cause, ont dû laisser un espace aux considérations de santé des consommateurs. C'est ainsi qu'a été créée en 1997 au sein des services de la Commission européenne la Direction générale Santé et protection des consommateurs.

Préalablement en 1992, une directive a prévu, pour la première fois un échange obligatoire de données entre Etats-membres sur les agents responsables des toxi-infections alimentaires. Mais la disparité des données recueillies a été à l'origine de grandes difficultés pour atteindre un niveau opérationnel.

En 1993, la directive 93/43 relative à l'hygiène des services alimentaires a constitué un pas supplémentaire imposant un corpus de règles visant les différentes étapes de la production. Néanmoins, la nécessité d'une meilleure lisibilité et d'une homogénéisation des procédures et des dispositions subsistait. C'est dans ce contexte que le livre blanc de la Commission a appréhendé en 2000 l'ensemble du problème.

Les priorités de la Commission sont alors les suivantes (28 ( * )) :

- Contribuer à la meilleure protection possible des consommateurs européens en mettant en oeuvre une politique qui intègre l'ensemble des préoccupations des filières alimentaires, de la ferme à la fourchette ;

- Regagner la confiance des consommateurs dans la capacité des industries alimentaires et des pouvoirs publics à garantir la sécurité des aliments ;

- Définir les bases juridiques et techniques permettant de garantir cette sécurité en prenant notamment en compte les problèmes sanitaires liés à l'alimentation;

- Se doter d'un nouveau dispositif législatif et d'une agence européenne de sécurité alimentaire.

C'est donc à l'issue de ce long et difficile processus qu'a été mise en place l'Autorité Européenne de Sécurité des aliments à l'automne 2002.

Les nouvelles législation et réglementation en préparation depuis longtemps ont été acquises récemment le 26 avril 2004 avec l'adoption de ce que l'on appelle le « paquet hygiène » sur la base du règlement 178/2002 du Parlement Européen et du Conseil en date du 28 janvier 2002. Celui-ci établit « les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires ». L'entrée en vigueur de ces textes, qui ont été adoptés à l'issue d'une procédure de co-décision avec le Parlement Européen, est fixée au 1 er janvier 2006.

Après une très rapide indication de ce qu'est le « paquet hygiène », on abordera la mise en place de l'Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, puis on caractérisera la nouvelle situation d'ensemble avec la clarification qu'elle appelle. On traitera plus particulièrement un élément essentiel dans la nouvelle architecture communautaire : le réseau des instances compétentes en matière de sécurité des aliments.

3.2. Le « paquet hygiène »

Les quatre volets de ce nouvel ensemble de règles qui se substituent à tout ce qui préexistait dans ce domaine comprend :

-- les règles générales d'hygiène applicables à toutes les denrées alimentaires ;

-- les règles spécifiques d'hygiène applicables aux denrées alimentaires d'origine animale :

-- les règles spécifiques d'organisation des contrôles officiels applicables à ces dernières denrées (viandes, produits de la pêche, coquillages, lait et produits laitiers). Ces règles viennent en complément de celles relatives aux aliments pour animaux : en avril 2003, la Commission avait adopté un règlement fixant de nouvelles exigences dans ce domaine (additifs par exemple), mais certains aspects n'étaient pas réglementés ainsi la production, le transport, le stockage et la manipulation des aliments pour animaux.

Sans s'attarder sur un sujet qui reste extérieur au présent rapport, mais qui éclaire un peu l'environnement institutionnel, signalons que certains interlocuteurs ont fait part d'interrogations, voire d'inquiétudes, sur la mise en application de cet ensemble de nouvelles dispositions communautaires, indiquant notamment que l'acception de ces textes variait beaucoup d'un acteur à un autre.

Pour ce qui nous concerne, nous nous contenterons de relever les perspectives d'évolution des fonctions de contrôle, notamment telles qu'elles sont indiquées dans le document communautaire NEMO/04/95 du 26 avril 2004 sous forme de questions réponses 29 ( * ) :

« Règles relatives aux inspections et aux contrôles

Qui est responsable de l'inspection des viandes ?

L'inspection des animaux vivants et des animaux morts s'effectue sous la responsabilité du vétérinaire officiel qui peut être assisté par des auxiliaires officiels et, dans des circonstances déterminées et uniquement pour la viande de volaille et de lapin, par le personnel de l'abattoir. Une formation complète et détaillée est requise pour les vétérinaires, les auxiliaires et le personnel des abattoirs qui participent à l'inspection des viandes. Au moins un vétérinaire officiel doit être présent dans l'abattoir tout au long des inspections des animaux vivants et des animaux morts (les inspections dites ante mortem et post mortem). Il en va de même lors de l'inspection post mortem dans les établissements de traitement du gibier.

L'inspection des animaux vivants est-elle possible dans l'exploitation ?

L'inspection dans l'exploitation par un vétérinaire agréé est possible. Pour les porcins par exemple, les animaux doivent être accompagnés d'un certificat sanitaire et doivent être abattus dans les trois jours qui suivent l'inspection.

En quoi les nouvelles règles modifieront-elles l'inspection des viandes ?

Les nouvelles règles autorisent une approche plus moderne fondée sur l'évaluation des risques, ce qui signifie que, dans certaines conditions, il est possible de limiter l'inspection post mortem à un examen visuel sauf, bien entendu, lorsque des anomalies sont détectées. Une telle procédure d'inspection pourrait, par exemple, s'appliquer à des porcs d'engraissement maintenus dans des conditions de logement contrôlées dans des systèmes de production intégrés.

A l'avenir, les tâches traditionnelles d'inspection des viandes du vétérinaire officiel seront progressivement remplacées par des tâches d'audit. Ainsi, le vétérinaire officiel devra vérifier la mise en oeuvre du système HACCP, ce qui comportera une évaluation des points de contrôle critiques, le contrôle des registres journaliers, la vérification de la bonne application des procédures d'hygiène, etc. L'inspection des viandes ne sera toutefois pas privatisée. Le vétérinaire officiel est responsable en dernier ressort de l'inspection des viandes, même s'il peut être assisté par des auxiliaires dûment formés à cet effet. Dans les établissements qui abattent de la volaille et des lagomorphes (des lapins par exemple), le vétérinaire peut aussi, dans certaines conditions, être assisté par les personnels de l'abattoir. Ces derniers n'ont toutefois pas exactement les mêmes fonctions que les auxiliaires et ne peuvent pas, par exemple, accomplir des tâches d'audit.

(...)

Quel est l'impact des règles d'hygiène sur les importations de denrées alimentaires d'origine animale ?

Les produits d'origine animale importés doivent respecter les normes strictes de l'UE en matière de sécurité des aliments, y compris les règles d'hygiène. L'importation de ces produits est dès lors uniquement autorisée à partir de pays et d'établissements qui figurent sur une liste communautaire gérée par la Commission européenne pour le compte des Etats membres».

L'évolution de l'activité des services vétérinaires vers des tâches d'audit est une orientation qui a été prise pour tenir compte de l'évolution observée dans plusieurs Etats-membres où certaines tâches de contrôle sont déjà délégués, d'après les commentaires autorisés faits sur ces textes.

Ces perspectives, fondées apparemment sur l'objectif d'aligner les règles sur la pratique doivent pour le moins être explicitées et sérieusement encadrées afin d'éviter qu'elles ne soulèvent l'inquiétude. Cet éclairage est pertinent : à une question sur le volume global des activités de l'Office alimentaire et vétérinaire (OAV) de la Commission, il a été précisé que celui-ci « ne diminuera pas ; néanmoins, le nouveau système d'audits généraux permettra une approche plus intégrée des inspections et une meilleure utilisation des ressources disponibles ».

On aurait pu s'attendre, compte tenu de l'extension du domaine de compétences et des fonctions, à ce que ce volume soit appelé à croître sensiblement en raison de l'entrée de dix nouveaux Etats-membres. Dans ce contexte, les moyens de l'Office communautaire à Dublin paraissent pour le moins avoir besoin d'une substantielle mise à niveau et ses conditions de fonctionnement doivent être nettement améliorées.

Enfin, constituant cette fois-ci un élément important dans le renforcement de la sécurité qui mérite d'être signalé, le règlement européen 178/2002 (chapitre 18) est entré en vigueur le 1 er janvier 2005. Il impose la traçabilité des produits alimentaires à toutes les étapes de la production et de la distribution afin que le rappel des produits puisse s'effectuer en toute circonstance. Ce progrès, qui comporte certes des coûts non négligeables pour l'ensemble des filières agro-alimentaires, répond à une nécessité que les crises ont mis en lumière.

3.3. La mise en place de l'AESA (Autorité européenne de sécurité des aliments)

L'AESA qui constituait une proposition essentielle du livre blanc a été instituée en janvier 2002 par le règlement n° 178/2002 du Parlement Européen et du Conseil, mais sa mise en place a, logiquement, exigé un délai nécessité, notamment par les nominations des différents responsables et instances :

-- le conseil d'administration en septembre 2002,

-- le directeur exécutif, M. Geoffrey Podger, britannique issu de la Food Standards Agency, en octobre 2002 qui a pris ses fonctions au début de l'année 2003.

C'est en mai 2003 que l'Autorité a pu démarrer ses activités. La fixation de la composition du conseil d'administration (14 membres) ne s'est pas faite sans difficulté et qu'elle a pris presque un an. Tous les Etats-membres d'alors y sont représentés à l'exception du Luxembourg. Le Britannique qui y siège est le (seul) représentant des associations de consommateurs. La Commission, quant à elle, dispose d'un siège qui s'ajoute aux 14 qui se recrutent « de manière à assurer le niveau de compétence le plus élevé, une expertise diversifiée ainsi que la plus large représentation géographique ».

Les tâches de l'Autorité ont ainsi été précisées par l'art. 23 du Règlement 178/2002 :

« a) fournir aux institutions de la Communauté et aux Etats-membres les meilleurs avis scientifiques possibles dans tous les cas prévus par la législation communautaire ainsi que sur toute question qui relève de sa mission ;

b) promouvoir et coordonner la mise au point de méthodes uniformes d'évaluation des risques dans les domaines relevant de sa mission ;

c) fournir une assistance scientifique et technique à la Commission dans les domaines relevant de sa mission et, lorsqu'elle en fait la demande, pour l'interprétation et l'examen des avis sur l'évaluation des risques ;

d) commander les études scientifiques nécessaires à l'accomplissement de sa mission ;

e) rechercher, recueillir, rassembler, analyser et résumer les données scientifiques et techniques dans les domaines qui relèvent de sa mission ;

f) mener une action d'identification et de caractérisation des risques émergents, dans les domaines qui relèvent de sa mission ;

g) établir un système de réseaux des organismes opérant dans les domaines qui relèvent de sa mission et en assurer le fonctionnement ;

h) fournir une assistance scientifique et technique, lorsque la demande lui en est faite par la Commission, dans le cadre des procédures de gestion des risques mises en oeuvre par la Commission en matière de sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ;

i) apporter, lorsque la demande lui en est faite par la Commission, un soutien scientifique et technique en vue d'améliorer la coopération entre la Communauté, les pays ayant introduit une demande d'adhésion, les organisations internationales et les pays tiers, dans les domaines qui relèvent de sa mission ;

j) veiller à ce que le public et les parties intéressées reçoivent rapidement une information fiable, objective et compréhensible dans les domaines qui relèvent de sa mission ;

k) exprimer de manière autonome ses propres conclusions et orientations sur les questions qui relèvent de sa mission ;

l) effectuer toute tâche qui lui est assignée par la Commission dans le domaine qui relève de sa mission ».

Il apparaît que les compétences de l'AESA sont déterminées de façon tout à fait comparable à celles de l'AFSSA, compte tenu des différences structurelles et fonctionnelles de principe entre une agence nationale et une agence communautaire. L'AESA a la compétence complète en matière d'évaluation du risque (y compris sur les OGM où pour les raisons historiques que l'on a signalées, l'AFSSA n'a qu'une compétence partielle) et la gestion du risque est du ressort de la Commission européenne. La préexistence de l'AFSSA n'y est sans doute pas étrangère et les législateurs français de 1998 souhaitaient d'ailleurs que cette antériorité puisse servir de référence à l'instance européenne à créer.

Cette similitude de situations doit d'autant plus être remarquée que cette configuration des compétences est nettement minoritaire parmi les Etats-membres qui ne disposent pas tous d'une agence autonome dans le domaine de la sécurité des aliments. Le directeur exécutif de l'AESA a fait part d'une perception quelque peu différente des situations, estimant qu'il y avait une partie de la gestion du risque qui en France relevait de l'AFSSA.

Le décalage dans l'appréciation des réalités a peut être pour origine « l'évaluation de la gestion du risque », notamment par la transmission des plans de contrôles et des réalisations qui incombe à la DGAL ET la DGCCRF principalement. Par ailleurs, l'AESA ne dispose pas du tout de laboratoire et en outre, elle n'a pas de compétence dans le domaine du médicament vétérinaire qui est du ressort de l'Agence européenne du médicament de Londres.

L'AESA, et c'est aussi une différence qui peut expliquer ce décalage, n'a pas davantage de compétence en matière de recherche, contrairement à l'AFSSA. A travers la Direction générale recherche, la Commission dispose, elle, d'importants moyens, notamment d'orientation. Parmi les 13 directions que compte les D.G., l'existence de la direction « Sécurité des systèmes de production alimentaire » a montré l'intérêt apporté à ces questions ainsi que les moyens mobilisés avec 685 millions d'euros pour le domaine thématique prioritaire « qualité et sécurité alimentaire » au titre du 6° PCRD (2002-2005). Parmi les 12 programmes que comporte ce domaine, l'AFSSA a été retenue comme coordinateur du programme Medvetnet (réseau médecine vétérinaire) sur les zoonoses. C'est là une illustration de la valeur de l'activité de l'AFSSA dans le domaine de la recherche.

Si la mise en place institutionnelle de l'AESA est maintenant acquise, depuis qu'elle a commencé à rendre des avis il y a un peu moins d'un an, son installation matérielle et fonctionnelle est loin d'être achevée. Matériellement, l'AESA compte un peu moins d'une centaine d'agents ; elle devrait atteindre un effectif de 250 à 300 une fois complètement déployée dans deux à trois ans. Mais ce déploiement passe d'abord par l'installation, donc le déménagement depuis Bruxelles jusqu'à Parme en Italie. De préférence à Helsinki, et plus lointainement Lille et Barcelone, Parme a en effet été choisie en décembre 2003 comme siège définitif, en même temps qu'étaient effectués les choix des sièges d'une douzaine d'agences européennes.

La mise en place fonctionnelle sera plus avancée lorsque, le mouvement se prouvant en marchant, les mécanismes d'évaluation auront suffisamment fonctionné avec des résultats tangibles dans un domaine où les autres acteurs étant nombreux et attentifs, l'évaluation du risque sera courante et réalisée si possible dans un paysage européen coordonnée où les rôles de chacun seront utilement articulés. C'est là la plus grande question qui se pose à la fois pour l'AESA et pour l'AFSSA elle-même.

3.4. Une clarification nécessaire

Les compétences de l'AESA sont déterminées en termes clairs. Elles cadrent son fonctionnement et la positionnent face aux autres acteurs du domaine. On pense, en particulier, à la Commission qui est, notamment, gestionnaire du risque et coordonne la recherche. Des difficultés limitées et ponctuelles peuvent d'ailleurs apparaître dans les relations entre l'AESA et la Commission ; l'avenir dira si elles sont liées à la phase transitoire d'installation, à des questions relationnelles entre responsables ou plus durablement à d'autres facteurs.

Le positionnement de l'AESA avec les agences ou instances nationales des Etats-membres constitue un problème d'évidence plus important et exigeant beaucoup de soin de part et d'autre si l'on veut que l'ensemble du mécanisme de la sécurité sanitaire des aliments en Europe fonctionne sans difficulté majeure.

Au début de son fonctionnement, l'Autorité ne peut traiter à elle seule tous les dossiers dont la Commission, les Etats-membres, le Parlement européen pourraient la saisir, sans oublier son pouvoir d'auto-saisine. Mais il est possible qu'à terme elle envisage de jouer dans tous les domaines un rôle central, laissant aux agences nationales un rôle de sous-agences, d'auxiliaire compétent principalement pour des questions locales et la communication adaptée à chaque Etat-membre. Cette perspective apparaît pour l'instant peu probable car les dispositions du Règlement cadrent nettement le mécanisme sur la mutualisation des activités et le fonctionnement en réseau, sans parler du principe de subsidiarité.

C'est donc dans le sens d'une coopération entre l'AESA et les agences nationales sur la base de ces principes que l'on peut espérer s'orienter. Cela veut dire notamment des mécanismes d'échanges d'informations, un partage des tâches coordonné pour une part importante des travaux d'évaluation et une information opérationnelle des agences nationales avant la publication des avis ; par « information opérationnelle », on entend permettant une réaction dans un délai suffisant.

La nécessité d'une bonne articulation entre l'Autorité européenne et les agences nationales a été bien identifiée dans le règlement de 2002 et fait l'objet de nombreuses dispositions à cette fin.

Le Forum consultatif (art. 27) est un élément essentiel dans cet ensemble : on développera ce point avant la conclusion du présent développement. Il en sera de même du « réseau d'organismes opérant dans les domaines qui relèvent de la mission de l'Autorité », tel qu'il est prévu à l'art. 36.

Dans ce qui est le « coeur de métier » de l'AESA, c'est-à-dire la production d'avis scientifiques sur l'évaluation des risques régi par l'art. 29, il est prévu spécifiquement à l'art. 30 la situation et les procédures en cas « d'avis scientifiques divergents ».

Des divergences de ce type ont été enregistrées dans deux dossiers récents : celui des OGM et celui du semicarbazide. Dans ce dernier cas (il s'agit d'un « matériau-contact » utilisé notamment dans les pots d'aliments pour bébés), il y eu des divergences d'appréciation du risque entre l'AESA d'une part et l'AFSSA, de même que la « Food Standards Agency » britannique ; en outre, la Commission européenne a eu tendance à considérer que l'AESA débordait, par ses recommandations, sur le rôle de gestionnaire du risque qui est le sien.

S'agissant d'un OGM, le maïs doux « Bt11 » destiné à l'alimentation humaine, l'avis favorable au niveau européen était celui du comité scientifique sur l'alimentation humaine rendu en avril 2002, antérieurement à la mise en place de l'AESA, mais il a été renouvelé le 19 avril 2004 ; l'AFSSA de son côté a émis successivement deux avis exigeant de nouvelles études pour autoriser la consommation de maïs Bt11, dont le dernier le 15 avril 2004, avis dont la conclusion est la suivante :

« L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments maintient son avis du 26 novembre 2003 qui concluait qu'en toute rigueur, pour évaluer l'impact d'une consommation régulière de maïs doux portant l'événement de transformation Bt11, il conviendrait de disposer d'une étude de toxicité/tolérance chez le rat ou d'une étude de tolérance/alimentarité chez un animal d'élevage (par exemple, le poulet de croissance) réalisée avec du maïs doux portant cet événement de transformation.

« L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments est consciente qu'une telle étude n'est pas exigible dans le cadre de la réglementation actuelle, mais qu'elle pourrait être souhaitable du fait que le métabolisme et la physiologie du maïs doux diffèrent sensiblement de ceux du maïs « champ » et que le maïs doux est le seul destiné à être consommé en l'état par l'homme ».

Il est à noter que c'est ce maïs dont la vente (maïs importé) a été autorisée le 19 mai 2004 par la Commission européenne (faute d'accord au niveau du Conseil européen le 26 avril 2004). Cette décision était conditionnée à l'entrée en vigueur (le 18 avril 2004) des dispositions relatives à la traçabilité.

Sur des saisines de l'AESA, l'AFSSA a rendu des avis ou des rapports de manière partielle. L'Agence Française, interrogée par votre rapporteur, en a indiqué pour le dernier trimestre 2003 sept à titre d'exemples : l'une des saisines (évaluation des risques des acides gras trans dans les aliments) coïncide exactement pour les deux agences ; il a dans cette perspective été précisé par l'AFSSA : « un groupe de travail est d'ores et déjà activé à l'AFSSA sur ce sujet avec la perspective d'un rapport dans six mois. Il conviendra donc sur ce sujet d'optimiser les échanges avec l'AESA afin d'éviter une duplication du travail d'évaluation ».

Sur les sujets d'études en cours dans les deux agences, la réponse de l'AFSSA est la suivante :

« Le programme de travail de l'AESA récemment communiqué fait apparaître peu de sujets d'étude commun sur des thématiques générales.

Il peut être noté parmi les sujets d'étude de l'AESA :

-- nitrates/nitrites dans les viandes sous l'angle microbiologique (tout récemment achevé) ; L'AFSSA est saisie sur des aspects plus vastes de la problématique des nitrates (incluant l'eau) ;

-- approche de l'allergénicité des OGM ; l'AFSSA envisage une réflexion également sur ce thème au sein de son CES compte tenu des diverses activités développées dans ce domaine ;

-- mercure dans les aliments ; l'AFSSA poursuit sa réflexion sur le méthyl mercure dans les poissons (un avis déjà publié) ;

-- contaminants PCB non dioxines like ; l'AFSSA poursuit sa réflexion sur le sujet (plusieurs avis déjà publiés) ;

-- Ochratoxine A ; l'AFSSA initie une réflexion générale sur les mycotoxines dans la chaîne alimentaire de l'homme et de l'animal ;

-- Semicarbazide et acrylamide ; ces sujets se poursuivent à la fois au niveau communautaire et à l'AFSSA (projets de recherche, acquisition de données de contamination).

Sur l'ensemble de ces sujets difficiles, une information réciproque doit être mise en place dans le cadre du réseau européen ».

« Sur les ESST, de nombreux sujets d'étude sont envisagés au niveau européen et par l'AFSSA. D'ores et déjà, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) a transmis à l'AFSSA deux saisines dont elle a fait l'objet de la part de la Commission européenne.

Ces thématiques font ou ont fait l'objet d'une évaluation de l'AFSSA, qui pourra apporter certaines de ses conclusions ou de ses éléments de réflexion à l'Autorité européenne ».

Des évaluations récentes laissent donc à penser que la coopération est souvent réelle, même pour les ESST où pourtant il y a un passé difficile.

Au-delà des difficultés évidentes que pourraient soulever la survenance d'avis scientifiques divergents, mais dont on voit qu'il ne faut pas exagérer la probabilité, c'est l'ensemble de la cohérence du mécanisme qui doit être recherché car le besoin est avéré et certaines évolutions pourraient lui conférer une réelle importance.

-- Les groupes scientifiques spécialisés constituent l'élément essentiel du dispositif d'évaluation du risque. Ils préexistaient à l'AESA et ceux qui existaient lors de la mise en place de celle-ci avaient été formés en 1997. Cinq d'entre eux ont été transférés à l'AESA qui, avec les nouvelles créations, en compte désormais huit outre le comité scientifique (multi sectoriel). Les groupes qui ont donc une ancienneté nettement supérieure à l'AESA elle-même ne semblent pas poser de problème particulier dans leur fonctionnement. En revanche, leur positionnement par rapport à ceux des agences nationales pourrait susciter des problèmes dès lors que des doublons apparaîtraient sur les sujets de saisine ou thème d'études. En cas de double appartenance, la charge de travail et les contraintes pour les experts concernés pourraient être source de difficultés.

Le recrutement des experts lui-même, opération lourde et délicate, exige une certaine coordination entre les instances compétentes européennes et nationales. Si il n'est pas pensable que l'AESA doive passer par les agences nationales pour recruter des experts même pour des sujets spécifiques en vue d'une étude ponctuelle, il n'est pas davantage concevable qu'il n'y ait pas coordination et que, d'une manière générale il n'y ait pas une recherche coutumière d'harmonisation des procédures et des calendriers, sans parler des consultations informelles.

L'insuffisante considération reconnue aux experts dans les milieux universitaires, et pas seulement en France, peut être notamment contrebattue par une harmonisation par le haut des conditions de l'expertise en Europe. L'AESA aura sans doute les moyens de participer à une telle évolution nécessaire. Il ne serait pas souhaitable, en revanche, qu'une concurrence mal coordonnée entraîne un moindre intérêt pour l'expertise au niveau national. L'inverse n'est pas à exclure si le recrutement des experts au niveau européen prenait davantage en compte des critères de représentativité géographique que l'excellence professionnelle. On remarque ainsi que la coordination et la mutualisation prévue dans le Règlement de janvier 2002, notamment son article 36 correspond à une vraie nécessité.

Une concrétisation des mécanismes de coopération

-- « Le forum consultatif (art. 27 du règlement) se compose des représentants des Etats-membres qui accomplissent des tâches analogues à celles de l'AESA à raison d'un par Etat-membre ». Le forum conseille le directeur exécutif, notamment en vue de l'élaboration d'une proposition relative au programme de travail de l'Autorité. Le directeur exécutif peut également demander l'avis du forum sur la hiérarchisation des demandes d'avis scientifiques.

Cet article précise notamment :

« Le forum consultatif constitue un mécanisme pour l'échange d'informations sur les risques potentiels et la mise en commun des connaissances. Il veille au maintien d'une étroite coopération entre l'Autorité et les instances compétentes des Etats-membres, en particulier :

Pour éviter tout double emploi des études scientifiques de l'Autorité avec les programmes des Etats-membres, conformément à l'article 32 ;

Dans les cas visés à l'article 30, paragraphe 4, lorsque l'Autorité et un organisme national sont tenus de collaborer ;

Pour promouvoir le fonctionnement en réseaux européen des organismes opérant dans les domaines qui relèvent de la mission de l'Autorité, conformément à l'article 36, paragraphe 1 ;

Lorsque l'Autorité ou un Etat-membre identifie un risque émergent.

Le forum consultatif est présidé par le directeur exécutif. Il se réunit régulièrement à l'invitation du président ou à la demande d'au moins un tiers de ses membres, au moins quatre fois par an ».

Le forum se réunit effectivement quatre fois par an actuellement et semble fonctionner dans des conditions qui s'inscrivent dans la perspective d'une philosophie de la coopération entre instances nationales, ce qui n'empêche pas celles-ci de se réunir éventuellement entre elles sur des sujets généraux, d'ordre nutritionnel par exemple.

Le fonctionnement en réseau est prévu d'une manière très claire par l'article 36 du Règlement :

« Article 36 : Réseau d'organismes opérant dans les domaines qui relèvent de la mission de l'Autorité.

L'Autorité favorise le fonctionnement en réseaux européens des organismes opérant dans les domaines qui relèvent de sa mission. Ce fonctionnement en réseaux a pour objectif, en particulier, de promouvoir un cadre de coopération scientifique en facilitant la coordination de l'action, l'échange d'informations, l'établissement et l'exécution de projets communs,l'échange de connaissances spécialisées et de meilleures pratiques dans les domaines qui relèvent de a mission de l'Autorité.

Le Conseil d'administration, sur proposition du directeur exécutif, établit une liste rendue publique des organismes compétents désignés par les Etats-membres qui, soit individuellement, soit dans le cadre d'un réseau, peuvent aider l'Autorité dans sa mission. L'Autorité peut confier à ces organismes certaines tâches, en particulier des travaux préparatoires aux avis scientifiques, des tâches d'assistance scientifique et technique, la collecte de données et l'identification des risques émergents. Certaines de ces tâches peuvent bénéficier d'un soutien financier (...) ».

L'articulation de la coopération bien décrite ici tarderait à se concrétiser. A ce titre, des impulsions en provenance des Etats-membres eux-mêmes seraient de nature à développer les mécanismes de coopération en faisant concrètement avancer le partage des tâches pour une réelle efficacité évitant ainsi les risques de dérives ultérieures. A titre d'exemple, en ce qui concerne les « risques émergents » des procédures adaptées impliquant à l'avance tous les acteurs permettraient un réel progrès.

Les progrès réalisés par la mise en place de ces mécanismes devaient être constatés dans un inventaire dans les termes suivants (art. 36, alinéa 4).

« Dans un délai d'un an à compter de l'entrée en vigueur du présent règlement, la Commission publie un inventaire des systèmes communautaires existant dans les domaines qui relèvent de la mission de l'Autorité et prévoyant que les Etats-membres effectuent certaines tâches d'évaluation scientifique, notamment dans le cadre de l'examen des dossiers d'autorisation. Ce rapport, accompagné le cas échéant de propositions, indique notamment pour chaque système existant, les modifications ou améliorations qui sont éventuellement nécessaires pour permettre à l'Autorité d'accomplir sa mission, en coopération avec les Etats-membres ».

Il serait heureux que, plus d'un an après la mise en place effective de l'AESA, on ait prochainement le moyen de mesurer ainsi le fonctionnement en réseau de celle-ci.

*****

**

Pour conclure, on ne peut que souligner les résultats très positifs du travail et de l'action de l'AESA, de l'AFSSA, de la Food Standards Agency et des autres acteurs lors du trouble connu par la filière saumon l'hiver dernier (janvier 2004). Un article de revue dont le caractère scientifique douteux a pu être rapidement et avec certitude mis en cause a illustré l'absence de fondement des inquiétudes soulevées. Certes, les ventes de saumon ont connu une baisse sensible pendant quelques semaines, mais en d'autres temps, on aurait sans doute vu se développer une peur que l'on aurait très abusivement qualifiée de « crise sanitaire ». C'est là un signe de progrès que l'on relève avec intérêt.

RESUME DE LA DEUXIEME PARTIE

Agence entièrement nouvelle créée en 1998, l'AFSSA a répondu aux attentes et a atteint les objectifs qui lui étaient assignés ; des ajustements restent à réaliser et surtout certains rapports doivent être mieux définis avec les autres acteurs de la sécurité des aliments, notamment au niveau européen.

Une évaluation globalement positive

Chargée de l'évaluation du risque pour l'ensemble du domaine de la sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA a su rapidement monter en puissance alors que le climat de crise perdurait avec les rebondissements relatifs à l'ESB (embargo sur la viande britannique, matériaux à risque, abattage sélectif) : la construction ex-nihilo du coeur de l'appareil d'évaluation qu'est la DERNS (Direction de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires) en est l'illustration la plus concrète.

L'intégration réussie des laboratoires du CNEVA (Centre national d'études vétérinaires et alimentaires) est également à souligner. Elle a permis à l'AFSSA d'atteindre la masse critique pour l'expertise, pour l'appui scientifique et technique ainsi que la recherche.

La crédibilité de l'Agence dans son ensemble s'est rapidement établie, notamment en tant qu'autorité indépendante d'évaluation des risques ; cette constatation est le fait tant des connaisseurs les plus expérimentées du domaine que de ceux, extérieurs aux circuits administratifs, qui ont à en connaître par leurs fonctions professionnelles ou associatives, ainsi que des observateurs étrangers.

Dans le cadre des compétences fort larges qui sont les siennes, les avis de l'AFSSA sont attendus, appréciés et rendus dans des conditions satisfaisantes même si certaines réserves peuvent être formulées sur les modalités de la communication de l'Agence.

Le positionnement nutritionnel de l'AFSSA, que la loi lui a reconnu, est essentiel et elle fait face ici aussi à des responsabilités qui sont devenues particulièrement lourdes avec le problème considérable, et en aggravation accélérée, que constitue l'obésité.

Au-delà de la réussite, quelques ajustements

-- Le principe de séparation entre l'évaluation et la gestion du risque est largement validé par l'expérience. Les quelques remises en cause qui ont pu se faire jour ne justifient pas la réouverture d'un quelconque débat.

En revanche, des progrès restent à faire pour que ce principe soit pleinement appliqué ; il faut en somme que dans ce concert de la sécurité sanitaire des aliments où interviennent plusieurs acteurs majeurs, chacun joue le jeu loyalement et donc efficacement. Concrètement, cela implique que l'Agence ait un mode de communication de ses avis qui laisse une marge au gestionnaire du risque (décideur ministériel). Cela exige aussi que les tutelles des trois directions générales sachent précisément exercer cette fonction de tutelle en respectant les principes de la nouvelle architecture administrative définie en 1998. Cela veut dire enfin que dans les tâches pour lesquelles il existe des interfaces, le partenaire administratif chargé de la gestion du risque n'ignore pas ses obligations (plans de contrôle avec la DGAL par exemple).

-- Les saisines de l'Agence constituent un mécanisme perfectible. En effet, malgré un fonctionnement actuellement satisfaisant, l'analyse montre des dérives de divers ordres. Le volume de l'ensemble des saisines apparaît à la limite supérieure, la justification de certaines n'est pas avérée, en particulier les saisines automatiques sur tous les projets de textes administratifs. L'instauration d'un mécanisme de sélection s'impose et la formation restreinte du conseil scientifique pourrait notamment être utilisée à cette fin. L'exercice de l'auto-saisine paraît devoir de son côté être mieux cadré. Enfin, le droit de saisine par les industriels, actuellement inexistant, pourrait être reconnu, mais dans un encadrement strict lui aussi.

-- L'expertise tout en étant satisfaisante, peut soulever des questions, qui ne sont pas spécifiques au domaine alimentaire (nombre, statut, rémunération des experts).

-- La lacune identifiée avec certitude est celle du non respect de la loi de 1998 sur les produits phytosanitaires : clairement inclus dans le périmètre de l'AFSSA, ils restent exclus au niveau de l'application. La situation doit être redressée, les péripéties survenues avec le « Gaucho » et le « Régent » illustrent encore davantage cette nécessité. Le partage excessif des procédures d'expertises relatives aux OGM doit lui aussi être corrigé.

-- Quelques aspects des activités de l'AFSSA font l'objet de débats récurrents : place de la recherche, structuration des laboratoires ; les orientations prises depuis 1998 sont positives et l'ancrage de l'Agence nationale du médicament vétérinaire au sein de l'AFSSA doit être confirmé.

La sécurité sanitaire des aliments et l'Europe

-- Après les redressements indispensables que la crise de l'ESB exigeait, le niveau de sécurité atteint en Europe est élevé, mais incertain. L'insuffisance des contrôles aux frontières de l'Union, les effets non maîtrisés de l'adhésion de dix nouveaux membres sont des facteurs d'inquiétude qui sont d'ailleurs reconnus. Certains principes d'organisation contenus dans le « paquet hygiène » adopté l'an dernier posent des interrogations, même si par ailleurs la traçabilité fait de réels progrès avec le règlement entré en vigueur au 1 er janvier 2005.

-- Enfin, le positionnement de l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) dans l'ensemble du réseau des agences nationales fait problème. Le respect de l'esprit et des textes qui président à cette organisation s'impose, ce qui ne semble pas encore acquis dans toutes les dimensions de l'activité de l'Agence.

* 28 Cité par P. FEILLET in « Le bon vivant » - INRA Editions février 2002

* 29 Le rapporteur des quatre projets de textes, M. Horst Schnellhardt avait d'ailleurs argumenté au sujet de la participation alors envisagée des personnels des abattoirs pour les porcs et les veaux d'engraissement que cette participation aux contrôles officiels serait contre-productive car « cela ne contribuera pas à l'amélioration de la sécurité alimentaire, ni ne répondra aux exigences d'un contrôle indépendant ».

Page mise à jour le

Partager cette page