TABLE RONDE N° 2
:
PROMOUVOIR UNE COMMANDE RENOUVELÉE

M. Yves DAUGE

Nous allons aborder notre deuxième table ronde. Je signale, avant de commencer, que des représentants du « Moniteur des travaux publics et du bâtiment » sont avec nous, et je leur adresse mes remerciements parce qu'ils ont reproduit notre rapport dans un cahier spécial tiré à près de 75 000 exemplaires.

Nous revenons donc sur la commande : comment développer la commande ? Comment l'améliorer ?

Je passe d'abord la parole à Mme Ann-José Arlot.

Mme Ann-José ARLOT, directrice, adjointe au directeur de l'architecture et du patrimoine, chargée de l'architecture au ministère de la culture et de la communication

L'Etat à travers la commande publique, comme les collectivités, se doit d'être exemplaire. Même si la part de la commande publique est tout à fait infime par rapport à la commande privée, l'Etat ne saurait se soustraire à ce devoir d'exemplarité de la commande publique.

Je crois qu'il est important de le rappeler.

Nous pouvons donner, nous l'État, au travers des missions conjointes que nous conduisons, des directives, des exemples, des volontés, des messages forts de respect de ce tandem maître d'ouvrage/maître d'oeuvre. Mais la commande privée dispose d'une grande autonomie et si elle veut les ignorer, il n'y aura rien à faire.

Yves Dauge écrivait dans son rapport que, dans les années 1970, les logements sociaux avaient incarné cette exemplarité de la commande et de la qualité de l'architecture en France, ce qui est exact.

Je dirais que les nouveaux mécènes sont l'État et les collectivités territoriales, avec la même volonté de qualité, mais une zone d'influence nécessairement limitée.

Je voudrais rappeler l'intérêt des marchés de définition, chers aujourd'hui aux collectivités territoriales, qui permettent ou permettaient aux maîtres d'ouvrage éclairés d'entendre les architectes avec lesquels ils se proposent de travailler.

C'était peut-être effectivement une mauvaise-bonne solution, parce que ces études et ces travaux n'étaient pas bien payés et n'étaient pas forcément bien reconnus. L'objectif de l'État et des collectivités était d'entendre de nouveau les maîtres d'oeuvre.

Je crois qu'il faut le rappeler. C'est important puisque ce sont ces maîtres d'ouvrage exceptionnels qui sont salués aujourd'hui, et qui ont, avec le ministre de l'équipement et celui de la culture conjointement, porté cette volonté de rendre la parole aux architectes.

Afin de promouvoir une commande renouvelée, le fondement est bien de rendre cette parole aux architectes, ce que nous venons d'obtenir en défendant vis-à-vis de l'Europe la spécificité française à l'oeuvre dans l'organisation des concours d'architecture. C'est ainsi que nous pourrons de nouveau entendre les architectes lors de ces concours.

Voilà ce que je voulais dire en préambule.

M. Yves DAUGE

Je donne la parole à M. Jean-Marie Galibourg, secrétaire général adjoint de la Mission interministérielle, parce que là, nous sommes dans le coeur du sujet.

M. Jean-Marie GALIBOURG, secrétaire général adjoint de la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques

Le Président Valade a fait très plaisir à la MIQCP tout à l'heure lorsqu'il a évoqué en termes très justes la culture de la commande, car celle-ci nous semble être très importante.

On observe à la MICQP beaucoup de choses. On est en contact quotidiennement avec les services de maîtrise d'ouvrage et on s'aperçoit que, de ce côté-là, la situation a plutôt tendance à se dégrader.

Il y a autour du vrai décideur de plus en plus de services, de conseillers de tous genres qui n'arrêtent pas d'insister sur la complexité de la commande. Je pense qu'on ne réalise pas qu'on est en train de perdre ici le sens de la commande, le savoir être en face de la commande architecturale.

Il me semble aussi que dans les collectivités la commande est sur-administrée, notamment sur le plan administratif et juridique. Beaucoup de personnes jouent à faire peur, à « terroriser » même -le terme a été employé- les maîtres d'ouvrage.

Ce qui fait que tout le monde est un peu paralysé, et je crois qu'on a envie que la commande se libère et retrouve le sens de la qualité.

J'insisterais également sur l'importance du travail intellectuel (Sylvie Weil y a déjà fait allusion) et sur l'intérêt de payer le juste prix dans toutes les études en amont, que ce soit de programmation, ou de maîtrise d'oeuvre. Nous croyons, et nous en sommes toujours persuadés, que c'est le meilleur investissement qu'on puisse faire.

Mme Sylvie Weil tout à l'heure a fait un rapprochement entre l'investissement en études et l'investissement du bâtiment. Lorsqu'on a réalisé ces études qui représentent 15 % du coût global, on a en fait déterminé 90 % de l'investissement global.

Je crois donc qu'il faut reprendre une action très vigoureuse sur la commande et sur la fonction du maître d'ouvrage que l'on peut illustrer par des politiques de sensibilisation des maîtres d'ouvrage public et de formation, etc.

Nous le faisons avec les petits maîtres d'ouvrage et avec les CAUE en particulier, mais cette action devrait être démultipliée.

Je crois qu'il faut rendre un hommage particulier aussi à l'association architectes et maîtres d'ouvrage (AMO) qui développe des actions visant à faire se rencontrer des maîtres d'ouvrage et des maîtres d'oeuvre.

Je crois qu'il faut aussi développer les architectes conseils dans les collectivités, pour leur permettre d'être en contact direct avec les vrais décideurs. On a un peu l'impression que les assistants font écran entre les concepteurs et les maîtres d'ouvrage.

Il faut aussi qu'il y ait des architectes dans la maîtrise d'ouvrage publique, ou des personnels ayant reçu une formation initiale en architecture.

A une condition bien sûr : qu'ils abandonnent leur casquette de concepteur pour se mettre au service de la maîtrise d'ouvrage, ce qui exige des savoirs nouveaux.

Il faut enfin qu'il y ait des formations ciblées, à la fois avec des centres de formation des personnels des collectivités territoriales, mais aussi avec un cycle supérieur de formation pour les décideurs, les élus, surtout les hauts fonctionnaires, les secrétaires généraux, etc.

Je voudrais également insister sur le problème des coûts. Il faudrait se souvenir que la qualité a un coût.

Première chose, on observe très souvent que les ambitions du programme dépassent les enveloppes qui sont consacrées aux opérations.

On confond très souvent l'enveloppe d'opérations avec l'enveloppe des travaux. Donc le chiffre qui est lancé est un chiffre politique sur lequel on ne peut pas revenir et toute l'opération dérape à partir de ce moment-là.

A la fin, on a beau jeu de dire : « Mais regardez, les architectes se font plaisir, regardez comme ils dérapent, ils ne tiennent pas compte des objectifs du maître d'ouvrage. » Et cela retombe sur les épaules des concepteurs et sur l'image qu'on a d'eux.

Bien sûr -cela a été dit également-, si on veut que les gens travaillent bien il faut les payer !

J'ai un petit exemple à vous citer ; nous faisons des actions de sensibilisation avec les CAUE sur la Haute qualité environnementale -la HQE- et ça ne manque jamais. Lorsqu'on donne la parole à la salle, tout le monde est bien convaincu de son intérêt et il y a toujours un élu local pour prendre la parole et dire : « Moi je veux bien faire, ça m'intéresse, mais il ne faut pas que ça me coûte plus cher. » Eh bien, non !

Non, si on veut faire de la qualité environnementale, ça coûtera plus cher à l'investissement. On en récupérera une bonne partie, bien sûr, pendant la durée de vie de l'ouvrage, mais il faut mettre un peu plus d'argent à l'origine.

Voilà ce que je voulais dire dans un premier temps.

M. Yves DAUGE :

C'est très bien. M. Bernard Roth ?

M. Bernard ROTH, président de l'Association architecture et maîtres d'ouvrage (AMO)

Je voudrais d'abord rebondir sur ce que vient de dire M. Jean-Marie Galibourd.

J'approuve d'autant plus l'idée que la qualité a un coût, que la non-qualité en a un aussi. Les ouvrages mal faits, difficiles à entretenir, dont la maintenance est plus lourde que prévue, voire qui ne satisfont pas les usagers, ni les acquéreurs, ni les utilisateurs, etc., tout cela a un coût indirect qu'on n'a pas fini de mesurer, puisqu'il s'étend au fil des années.

J'ai ici l'honneur et le plaisir de représenter l'Association architecture et maîtres d'ouvrage. Ma très modeste contribution est de vous apporter le témoignage de vingt et un ans d'expérience d'une association, fondée sur l'idée que la qualité architecturale repose d'abord et avant tout sur la qualité de la relation entre le maître d'ouvrage et l'architecte. C'est une idée qui ne vous surprendra pas, je l'ai entendue à plusieurs reprises ce matin. Mais je voudrais simplement vous dire que nous nous efforçons, depuis ces années, de la vérifier pratiquement.

Comment procédons-nous ?

Nous mettons tout simplement ensemble ces deux catégories que sont les maîtres d'ouvrage et les architectes dans un laboratoire, sous forme de maison offrant des visites, des conférences, des voyages, des colloques, des publications et, avec un peu d'ethnologie, nous regardons comment ça marche et comment ça se passe.

Je peux peut-être aujourd'hui vous apporter les résultats de ces vingt et un ans d'expérience et les quelques petites conclusions très simples, ou en tout cas les quelques convictions qu'on peut en tirer.

Premièrement, on découvre que le maître d'ouvrage et l'architecte ne parlent pas tout à fait la même langue. Mais on se demande comment cela pourrait être autrement.

Les formations des maîtres d'ouvrage et des architectes, qui sont diverses, n'ont absolument rien de commun si ce n'est d'être à peu près exprimées en français toutes les deux. Je ne vais pas les développer mais, quelle que soit l'origine des maîtres d'ouvrage, universitaire ou en école, qu'ils soient ingénieurs, économistes, juristes, managers, etc., combien d'heures ont été consacrées à la sensibilisation à l'architecture pendant leurs études ? Zéro.

Combien d'heures dans la formation d'un architecte sont consacrées au management, au droit, par exemple au contentieux administratif qui n'est pas un sujet mineur dans sa future vie professionnelle ? À peu près zéro également.

Chacun a une formation d'assez grande qualité, mais totalement fermée sur elle-même et qui ne le prédispose en aucune façon, par aucun moyen, à établir un dialogue avec son futur partenaire.

La deuxième observation est au contraire assez optimiste, puisque, quand on met les différentes professions ensemble, ça fonctionne finalement très bien. Il passe, dans cette vitre blindée que je viens de décrire, un peu d'air dans un sens et dans l'autre.

L'architecte s'aperçoit que le maître d'ouvrage public ou privé, n'est pas qu'un être assoiffé de résultats, de culture de résultats uniquement exprimée en termes de coûts, de délais, de qualité d'exécution, mais qu'il est capable aussi de curiosité et de sensibilité pour peu qu'il en prenne le temps, et qu'il peut ressentir et devenir sensible aux espaces, aux lumières, aux matières. J'emploie trois mots qui ne figurent pas dans la culture apprise par le maître d'ouvrage dans les écoles ou à l'Université.

Le maître d'ouvrage, quant à lui, découvre que l'architecte n'est pas une espèce de saltimbanque qu'il faut canaliser absolument par tous les moyens, etc.

Il découvre aussi que l'architecture contemporaine, qui représente une très large partie de nos visites et de nos voyages, n'est pas si en rupture que cela avec l'architecture traditionnelle et que, derrière quelques signes de différence, d'opposition, voire de provocation dans certains cas, il y a peut-être plus de continuité et de choses communes à retenir et à découvrir... que de rupture.

Il découvre aussi au fur et à mesure des voyages et des commentaires que le style fait peut-être l'homme, mais qu'il ne fait pas l'architecture. L'ensemble des signes et de l'écriture architecturale ne doit pas occulter ce qu'est réellement l'architecture.

On l'a dit ici, et donc je n'insiste pas, mais il découvre concrètement, visite après visite, que l'architecture est une réponse. Je peux écrire des poèmes si l'envie m'en prend, mais je ne peux pas faire d'architecture si je n'ai pas une commande et si je n'ai pas quelqu'un qui me fixe un programme.

A propos de ce que j'ai entendu ce matin, je voudrais dire qu'au moins deux ou trois idées rejoignent les convictions que j'évoquais tout à l'heure.

J'ai notamment entendu parler de se faire confiance. J'ajouterai de se respecter, mais pour cela je crois qu'il faut parler la même langue sinon c'est très difficile. Mais parler la même langue signifie finalement avoir la même lecture.

Et ceci me conduit au deuxième point : pour apprendre à lire, on n'a pas besoin de connaître l'intégralité de la littérature universelle de tous les pays. Je dirais même que c'est plutôt l'inverse : lorsqu'on a appris à lire, alors on a une petite chance d'entrer dans la littérature.

Je crois qu'il en est de même pour un non-architecte par rapport à l'architecture : il faut d'abord apprendre à lire l'architecture.

Apprendre à lire l'architecture revient à cesser de penser que l'architecture est une façade. On croit avoir parlé d'architecture en disant : « J'aime ou je n'aime pas cette façade. » Mais on a seulement parlé de soi-même. L'intérêt est donc assez limité et l'énorme inconvénient en est d'empêcher d'entrer dans le sujet et d'essayer de le comprendre.

C'est aussi cesser de regarder l'architecture à travers des plans, et peut-être à travers des coûts, parce que si on veut bien prendre conscience un instant que l'homme ne vit pas en deux dimensions mais en trois, et que ce qui nous réunit ici n'est pas un plan, car le lieu dans lequel nous nous trouvons en ce moment est plutôt un espace, alors on a un autre regard et on commence à réfléchir à la qualité de cet espace.

Donc, lorsqu'on a fait cet apprentissage de la lecture, c'est-à-dire appris à décortiquer à partir de quelques grilles très simples la compréhension de l'objet- et quand on a la compréhension de l'objet à l'intérieur, il n'est pas difficile de l'avoir de l'extérieur, c'est-à-dire passer à l'urbanisme et voir comment cet objet se situe lui-même et est l'un des objets de l'ensemble de la ville -, je crois qu'on a véritablement brisé la glace dont je parlais tout à l'heure, et on peut commencer à se comprendre.

Le dernier point que je voudrais évoquer, parce que nous le vivons, c'est que la découverte et la compréhension de l'architecture, quand on n'est pas architecte, sont choses passionnantes. Il ne s'agit pas que de chiffres, de calculs, de réglementations, c'est aussi de la passion, de l'émotion. C'est peut-être sur ce point que je voudrais conclure.

Parallèlement au remarquable ensemble de propositions et d'observations qui ont été faites ce matin, il ne faut pas oublier ce qui est peut-être essentiel et évidemment beaucoup plus difficile à formuler en termes législatifs : pour réussir ce que nous souhaitons, il faut faire aimer l'architecture.

M. Yves DAUGE

On va faire comme tout à l'heure, il y a encore des intervenants...

Mais on va se tourner vers vous ; si des personnes dans la salle veulent intervenir...

C'est le cas, tant mieux, qu'on leur donne des micros.

Un architecte dans la salle

Je suis dans l'architecture depuis un demi-siècle si je compte mes années d'études, et je suis proche de ma retraite puisque l'architecture est une maladie dont on guérit difficilement.

C'est donc avec un grand plaisir que je participe à cette table ronde.

Ce qui à mon sens menace la profession d'architecte et plus généralement celle de la maîtrise d'oeuvre, c'est effectivement un manque de compréhension et de culture chez le citoyen français ; disons-le carrément : le Français ne sait pas ce que c'est que l'architecture. Il n'en voit pas la nécessité et il est très clair qu'il ne s'intéresse pas à son cadre de vie.

Je pense donc que si on veut sauver cette profession il faut créer les moyens de donner une culture aux générations qui arrivent et que, tout comme on enseigne la musique, les arts graphiques, la gymnastique dans les lycées, on devrait enseigner ce que sont l'architecture et l'organisation de l'espace.

Je parle d'organisation de l'espace car personnellement je ne vois pas de grandes différences entre un architecte d'intérieur, un architecte tout court et un architecte urbaniste. Ce n'est qu'une question d'échelle.

La formation et la tournure d'esprit sont les mêmes. Il s'agit de discuter avec l'utilisateur de ses besoins et de les satisfaire au mieux.

M. Yves DAUGE

C'est une question qui nous renvoie à des politiques difficiles.

On parle beaucoup des fondamentaux, et je pense que cette culture de base sur l'architecture mériterait d'y figurer.

D'autres interventions ?

Un représentant de la Société française des urbanistes

Je représente ici la Société française des urbanistes qui, avec la Société française d'architecture, sont les plus vieilles organisations professionnelles en France (1907 et 1911). Je suis chargé de la communication au sein du bureau.

Je vous lis une citation :

« Pour réussir la décentralisation, il importe que tout le réseau des professionnels compétents puisse être mobilisé au service des élus locaux, qu'il s'agisse d'éclairer les choix ou de mettre en oeuvre les politiques. »

Comme le sénateur Yves Dauge avait été à l'initiative, en octobre 1986, de ce document qui s'appelle « Élus et urbanisme », signé à l'époque par le ministre M. Pierre Méhaignerie et par le Président de l'Association des maires de France, il serait intéressant que le débat d'aujourd'hui s'inscrive dans cette lignée.

En ce qui concerne la confiance, les métiers d'urbanisme sont aussi concernés, tout comme ceux du paysage et d'autres aussi... Je pense que derrière leurs organisations et leurs confédérations, tous les urbanistes français, dont une très grande part sont des diplômés en architecture - donc il n'y a absolument pas de dichotomie et de lutte entre architectes et urbanistes sur ce point -, sont prêts à vous apporter une contribution.

Il y a un point que je voudrais souligner : c'est encore Yves Dauge, dans sa grande modestie, qui a contribué à créer un organisme, l'IFMO (Institut français de la maîtrise d'ouvrage), et j'ai eu la chance d'être l'un des premiers stagiaires ; l'IFMO se voulait « l'ENA de la maîtrise d'ouvrage ».

J'ai eu la chance de pouvoir faire cette formation qui a duré deux ans, à raison d'une semaine par mois, et nous étions issus de tous les milieux. Pour ma part, j'étais le directeur de Pacte de base ; il y avait des gens du ministère, des architectes libéraux, des directeurs adjoints d'organismes de logements sociaux, des représentants de collectivités...

Nous nous retrouvions pour des stages sur le terrain, avec des professeurs illustres venant de prestigieuses écoles comme les Ponts et Chaussées, ou étant des professionnels. Nous faisions des stages dans les collectivités. Il y a eu deux vagues d'une vingtaine de stages et puis tout s'est arrêté.

Je pense que ce serait intéressant de les relancer sous cette forme-là ou sous une autre. Aujourd'hui par exemple, les architectes d'Île-de-France parlent de pôles de compétences et un certain nombre de réflexions au niveau des professionnels sont en cours. Il faudrait analyser ce qu'a été à cette époque l'IFMO et relancer quelque chose dans ce sens-là avec une dimension nouvelle, à l'échelle européenne. Tout le monde a entendu parler de la circulaire sur les services qui fait couler beaucoup d'encre aujourd'hui ; je crois que c'est dans cette voie-là que nous devons quand même nous situer.

M. Yves DAUGE

Bien, j'en profite pour dire que vous représentez ici le mouvement PACT-ARIM (Protection - Amélioration - Construction - Transformation - Association de restauration immobilière) en tant que membre ; on a ici des promoteurs constructeurs, on a l'Union des HLM. Ce n'est pas rien, ce mouvement des PACT-ARIM qui travaille avec une dimension très sociale et très urbaine, avec les centres-villes, les quartiers. C'est un acteur très important qui fait travailler les architectes, les urbanistes. Il y a un potentiel énorme là aussi et vous redites ce que tout le monde dit : « Relançons les formations croisées, les échanges et ces types de formation. » C'est vrai qu'il faut aller sur le terrain, il faut voir, discuter... Passer deux ou trois jours avec des gens d'origines diverses dans un pays étranger ou dans une ville en France, ou une demi-journée, même ici, éclaire énormément l'esprit et fait du bien. En plus on se fait des amis dans ces contextes-là. J'avais créé « Architecture et Construction » à une époque. Il faut que l'effort se poursuive pour que cette connaissance réciproque des métiers et des réalisations, nous fasse progresser. On peut relancer cela dans un grand mouvement, les uns et les autres, ce qui fait peut-être un peu partie de ce que le Président Valade a dit : « Si on veut se concerter entre nous pour passer aux actes, faire des choses, on peut vous aider, nous, au Sénat, pour ces actions-là. »

Il a évoqué un point qui rejoint le thème suivant : comment développer la commande ?

C'est vrai qu'une relance de la planification est nécessaire ; il faut que cela soit financé au bon niveau.

Il faut vraiment faire un investissement intellectuel dans ce pays en ce moment ; il faut que l'État maintienne son apport. Je sais que les contraintes financières sont dures, mais il faut que les régions prennent aussi le relais. Il est du ressort des régions d'avoir une compétence en matière d'aménagement du territoire. Quand on fait des schémas de cohérence territoriale, on fait de l'aménagement du territoire.

Il faut que chacun mette du sien pour le développement et, dans cette action de planification, nous avons besoin des urbanistes, des paysagistes, des architectes et des ingénieurs. Il y a une économie globale du développement durable.

C'est par des actes plus porteurs pour développer l'intelligence - et tout le monde le sent bien -, c'est autour d'un axe comme celui-là qu'on rassemblera des moyens financiers pour qu'il y ait davantage de matière grise...

Il y avait une autre question ? Non ?

Je salue la présence de notre collègue sénateur Jean-Pierre Sueur qui est l'auteur d'un excellent rapport sur le problème des villes.

Je donne la parole au président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs que je remercie vivement d'être avec nous.

M. Marc PIGEON, président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs

Je ne comprends pas tout ce j'écoute : j'ai l'impression que je ne vis pas dans le même monde. Avec mes architectes on s'entend bien, cela se passe bien, il n'y a pas d'échec ; on peut toujours s'améliorer, se perfectionner, mais ce n'est pas aussi terrible que tout ce que j'entends là.

Je ne le perçois pas comme ça. Je ne perçois pas non plus la caricature que vous avez exprimée tout à l'heure sur le maître d'ouvrage qui serait un ingénieur ou un financier et à qui il manquerait de légères sensibilisations. Moi, je suis sensibilisé toutes les heures, comme vous l'avez dit, toutes les minutes.

Des actions de sensibilisation, j'en ai au quotidien. Et croyez bien que -j'en ai bien conscience aussi, parce qu'on a des enfants et qu'on ne veut pas faire du béton seulement pour faire de l'argent et des honoraires- ça ne se passe pas comme ça chez Mac Donald ! Il faut quand même être un peu sérieux.

Je vous parlerai en revanche des problèmes qui n'ont pas été évoqués, auxquels vous ne vous intéressez pas et pourtant, à mon sens, vous le devriez.

Je vais vous dire ma vision de la maîtrise d'ouvrage, mais seulement pour la commande privée car je ne peux pas parler de la commande publique.

Je vais réagir seulement sur quelques éléments.

Tout à l'heure, vous parliez d'ignorance mutuelle ; moi, je n'ignore pas mon partenaire architecte parce que dans un programme à deux, on réussit ou on échoue à deux ; quand je dis à deux, je parle de tous les partenaires, les techniciens, etc., même si le président de votre syndicat avait considéré tout à l'heure qu'il n'était pas technicien.

À titre personnel, quand je lance mes programmes, je suis avec un paysagiste au départ, et je m'aperçois d'ailleurs pour les grandes opérations que c'est plutôt lui qui va faire le plan de masse, qui va voir la manière de le mettre dans l'espace, etc., et que nous sommes toute une équipe. Ces choses, ces clans, je ne les vis pas au quotidien, pourtant j'ai une entreprise, je ne suis pas Président de la Fédération comme ça...

Je n'ignore pas mes partenaires architectes et tous mes partenaires concernés, premier point.

Deuxième point, pour la commande, la juste commande, la vraie commande.

J'aimerais d'abord vous rappeler que, concernant la commande, on est deux : le maître d'ouvrage, d'une part, et ses partenaires, d'autre part.

Parfois, c'est le maître d'ouvrage qui propose et qui précise le contexte de la commande.

Parfois même -et je vous le dis pour mon entreprise-, en termes de prix, il demande : « Combien veux-tu ? Qu'est-ce que tu souhaites ? »

Et c'est lui qui détermine le prorata. Mais ce n'est pas toujours le couteau sous la gorge, je ne l'expérimente pas ainsi tous les jours...

Vous avez cité des exemples, moi aussi je vais vous en citer...

Ce n'est pas normal qu'à la commande on ne perçoive pas déjà quelques honoraires...

Mais moi, je ne prendrais pas un crayon à votre place, tant que je n'aurais pas l'assurance d'être payé.

Au lieu de dire que c'est la faute du maître d'ouvrage, vous devriez régler le problème en interne ; faites donc le ménage chez vous avant de le réclamer chez les autres.

Il peut, il est vrai, être quelquefois très utile d'avoir des gens qui font l'investissement ; je vais vous raconter deux histoires, pour illustrer mon propos.

Comment un jeune va-t-il démarrer ?

Moi, quand j'ai démarré ma boîte, je n'avais pas un sou, zéro.

J'ai demandé à un architecte qu'il veuille bien faire une étude ; il l'a faite gratuitement ; mais nous n'avons pas obtenu le permis de construire, du fait des exigences de la Loi littoral.

Depuis, il fait 60 % de mes projets sur la commune ; c'est vrai qu'il n'a rien touché pour cette première affaire. Mais ainsi j'ai pu démarrer et, lui, il travaille pour moi depuis quinze ans.

Cela mérite réflexion.

Maintenant, les objectifs.

De temps en temps, on nous dit : « Il me faut des objectifs précis parce que je veux une maîtrise d'ouvrage forte. » Cela n'est pas notre métier parce que nous, nous ne savons pas travailler dans le vague ; on le fait une fois, deux, trois, quatre, cinq fois et puis ça ne va pas, ça ne se fait jamais. On veut une vraie maîtrise de l'ouvrage.

Tout à l'heure, j'entendais que les cahiers des charges sont trop serrés.

Ce n'est pas facile à faire entre les deux : c'est vrai que les cahiers des charges sont peut-être parfois un peu compliqués. Mais je vous signale que les cahiers des charges compliqués sont rarement donnés par la maîtrise d'ouvrage privée. En tout cas j'invite tous les promoteurs, dans des démarches de certification de processus, etc., à donner justement à leurs architectes des objectifs quantitatifs : qu'est-ce que je veux ? Quel type de produit ? Quelle qualité, qui ait un objectif de coût (après on réussit ou on ne réussit pas, puis on fait le point ensemble) ? Mais je crois que dans le contrat, l'objectif doit être donné par le maître d'ouvrage.

J'entendais aussi une autre réaction relative à la satisfaction.

La plupart des promoteurs (pas tous) font des questionnaires de satisfaction, c'est-à-dire qu'à la fin, six, neuf ou douze mois après, ils se renseignent sur la manière dont les choses sont perçues, etc.

Je n'ai pour ma part jamais vu un architecte avec lequel je travaille me dire : « Donnez-moi la liste de vos clients, j'aimerais bien savoir s'ils sont satisfaits. » Cela ne m'est jamais arrivé.

Et pourtant, il apprendrait des choses intéressantes, parce que c'est à moi qu'on fait les reproches : « Ah, ceci a été mal conçu, on aurait dû... ».

Certaines parties me concernent et je peux vous assurer qu'il serait intéressant que vous, maîtres d'oeuvre, vous demandiez à vos maîtres d'ouvrage de faire un petit paragraphe d'architecture pour un projet d'aménagement, d'urbanisme... Jamais je n'ai vu un architecte me demander cela.

Je peux vous assurer que ce serait très intéressant parce que l'on fait souvent ce reproche au maître d'ouvrage privé : « Ah, il est toujours à freiner », etc. Non, ce n'est pas ça ; de temps en temps, on se met à la place du client, c'est-à-dire qu'on est là théoriquement pour vous dire ce qu'il attend.

J'ai été obligé d'envoyer un fax, il y a environ un mois et demi, à un architecte et pas des moindres puisqu'il a reçu une équerre d'argent il y a peu.

J'ai été obligé de lui dire (mais vous n'allez pas le croire) : « Au rez-de-chaussée, vous faites des commerces, et les commerçants voudront les surmonter de leur enseigne, mais au-dessus, il va y avoir des logements destinés à l'habitation ».

On est obligé de temps en temps de dire : « Attention, il y a des problèmes de moyens financiers ! » Tout à l'heure, vous parliez du coût environnemental ; oui, on est d'accord pour faire de l'environnemental, mais les énergies renouvelables coûtent plus cher pour le moment.

Et pour le moment c'est difficile de dire « vous ferez des économies dans dix ans » à quelqu'un qui ne peut pas acheter aujourd'hui parce qu'il lui manque l'apport personnel de 5 000 ou 10 000 €.

Je vais arrêter là, parce que je vais en prendre pour mon grade...

M. Yves DAUGE

Non, mais de toute façon, la salle va réagir.

M. Marc PIGEON

J'ai juste quelque chose à ajouter, s'il vous plaît : vous devriez vous occuper d'un élément très important concernant les jeunes architectes.

Pourquoi ? Parce que, quand on fait des concours pour des appels d'offres, nous autres, maîtres d'ouvrage privés, n'avons pas beaucoup de chance si, parmi les gens qui sont sélectionnés, figure un jeune architecte dans les listes - je préfère vous le dire - et que nous nous retrouvons toujours avec les mêmes architectes car vous achetez des noms, souvent d'ailleurs avec des CDD à l'intérieur, et la personne qui fait les plans du rez-de-chaussée (je m'excuse encore de dire des vérités) n'est pas celle qui fait les plans du 3 e étage, encore moins celle qui fera les plans d'exécution.

Vous avez donc une vraie préoccupation pour ces jeunes architectes.

M. Yves DAUGE

C'est bien. Qui veut réagir ? Monsieur. Vous avez la parole.

Un architecte membre du syndicat de l'architecture

Je ne veux pas polémiquer, mais il faudrait quand même préciser une chose. Vous parliez de choix, on a beaucoup parlé de commande publique.

Le choix d'un architecte par un promoteur n'a rien à voir avec la course d'obstacles qu'endure le maître d'ouvrage public pour choisir son architecte.

Dans le cadre de la commande publique, l'architecte est plus souvent choisi sur la qualité de son projet - heureusement d'ailleurs pour la qualité de la commande publique - que sur sa capacité à être docile - le mot est péjoratif -, ou en tout cas à bien écouter son maître d'ouvrage privé.

Il y a quand même une question de clientélisme et de fidélisation.

Vous ne pouvez donc pas comparer la manière dont vous sélectionnez vos architectes et celle dont vous travaillez avec eux ; le fait que vous leur donniez une avance sur honoraires entre dans un système de fidélisation.

Quant à la mission dont vous parlez, je crois franchement qu'il faut arrêter de faire des caricatures aussi grotesques, surtout si vous parlez d'un architecte qui a reçu une équerre d'argent.

En revanche, j'ai entendu dans cette phrase quelque chose : vous avez parlé de « plan d'exécution ». Je pense effectivement que, quand on parle de qualité et de suivi, la première chose est d'abord d'associer les architectes, par contrat, au suivi et à la vie de leur ouvrage et pour cela, je ne connais aucun maître d'ouvrage privé qui le fasse - ni public d'ailleurs, parce que le public ne peut pas le faire. Je ne parle pas de contrat de partenariat, ça viendra peut-être à travers cela, mais en tout cas les maîtres d'ouvrage privés, qui associent leurs architectes à la vie de l'opération, utilisent ainsi un moyen constructif de leur faire un retour sur leurs éventuelles erreurs.

Mais, pour construire d'autant plus correctement les bâtiments, confiez-vous effectivement ces missions d'exécution que vous avez glissées comme ça dans une phrase ? Parce que c'est aussi une partie du suivi de la vie de l'opération que de savoir construire et savoir faire un retour sur l'investissement intellectuel de son travail.

M. Marc PIGEON

Vous dîtes que vous ne connaissez aucun maître d'ouvrage privé, alors, à partir de maintenant vous ne pourrez plus le dire, parce que vous en connaîtrez au moins un : il n'est pas un seul projet où, quand l'architecte ne veut pas la mission complète, je ne lui confie pas une mission de suivi architectural.

S'il est en mission complète, il a même le droit de s'occuper du service après vente.

Mme Ann-José ARLOT

Je respecte tous les modes d'évaluation de la commande, privée ou publique. Je m'interroge en revanche dès lors qu'un maître d'ouvrage quel qu'il soit se permet immédiatement, dans un débat exceptionnel - et là, M. le Président ; je salue à nouveau votre initiative -, de caricaturer dans les cinq premières secondes de son intervention la profession qu'il est venu valoriser, défendre ou mettre en avant.

M. Yves DAUGE

Je crois que quelqu'un veut poser une question...

Un architecte membre de l'UNSFA 92

En fait, je rejoins ce que viennent de dire Mmes Olivia Arène et Ann-José Arlot... Le maître d'ouvrage public ou privé choisit son architecte mais l'architecte choisit aussi son maître d'ouvrage, ça fonctionne dans les deux sens. J'ai personnellement un critère de choix pour travailler avec un maître d'ouvrage privé.

Tout d'abord, la mission complète jusqu'à la réalisation :

Aujourd'hui, nombre de promoteurs ne confient pas la mission d'exécution à l'architecte ; il suffit de faire le tour de Paris, de la banlieue et autre, et de regarder les panneaux de chantier, vous verrez qu'ils distinguent le maître d'oeuvre de conception et le maître d'oeuvre d'exécution.

Donc, ça commence par là, la discussion sur le fait que l'architecte maintienne son projet dans la qualité jusqu'au bout, jusqu'à la réalisation, jusqu'au rendu de l'ouvrage à son maître d'ouvrage.

Combien de réalisations, combien de promoteurs ou de maîtres d'ouvrage privés confient finalement un tableau à l'architecte ? On lui dit : « Vous allez me faire une façade et vous signez au bas de la page. » ; C'est un critère de qualité et c'est l'entretien et la confiance mutuelle qui passent par ce stade-là ; quelques années auparavant, on n'aurait pas vu cela de la part d'un maître d'ouvrage public ; maintenant, des maîtres d'ouvrage publics détachent la partie de conception de la partie de réalisation, ce qui constitue un détournement de la loi de 1985.

M. Yves DAUGE

C'est très important effectivement parce que si on veut moraliser la commande, la développer et l'améliorer, il faut donner le plus possible de missions complètes sinon on risque de se limiter à acheter un permis...

Encore un mot, M. Marc Pigeon ? Et ensuite, je donne la parole à un autre maître d'ouvrage : l'Union nationale des HLM.

M. Marc PIGEON

Ce que vous dites, monsieur, n'est pas inexact puisque effectivement, il y a des maîtres d'ouvrage qui ont pris la décision d'assurer la maîtrise d'oeuvre d'exécution.

Quand on leur pose la question, ils disent qu'ils n'ont pas eu de satisfaction pour l'exécution. C'est leur réponse, je vous donne la mienne maintenant : je pense que ça dépend si l'architecte est équipé ou pas, ou a les compétences pour ce faire. Je vous donne mon sentiment : certains architectes ne souhaitent pas, il faut le reconnaître, avoir la maîtrise d'oeuvre d'exécution et suivre le chantier.

Et puis, certains architectes, à mon sens, n'ont pas les capacités de le faire alors que d'autres le peuvent : plusieurs possibilités existent.

M. François PÉLEGRIN, président de l'Union nationale des syndicats français d'architecture (UNSFA)

C'est l'éternelle dialectique de la poule et de l'oeuf : si on a une mission correctement rémunérée, on va se passionner pour le chantier, on va faire un excellent travail et le maître d'ouvrage ne voudra plus se passer de vous par la suite...

M. Yves DAUGE

Oui, ça c'est certain. Madame Laurence Croslard.

Mme Laurence CROSLARD, vice-présidente du Conseil national de l'Ordre des architectes

Je voudrais dire, au-delà de la poule et l'oeuf, que si on est face à cette situation d'avoir des architectes qui ne sont plus en mesure de suivre des chantiers ou de réaliser une mission complète, c'est justement parce qu'on les a acculés à cette position-là. C'est-à-dire que d'un côté on nous dit de nous préparer à l'international, et d'un autre côté, que nous n'avons qu'à nous contenter de faire des permis de construire, cela nous suffisant comme mission.

Je pense que si on veut avoir une profession qui se crédibilise aux yeux de ses clients, il faut avoir une formation initiale de base qui prenne en compte l'ensemble du travail de l'architecte, de la conception initiale jusqu'à la réalisation. À ce moment-là, on sera en mesure aussi d'avoir la capacité de constituer des structures capables d'assurer l'ensemble des missions. Il ne me semble pas que soit le fait des architectes de refuser de suivre un chantier ; c'est plutôt que, compte tenu de ce qu'on leur donne comme mission, ils sont incapables de constituer des structures suffisantes. Dans une agence d'architecture -j'ai chez moi des conducteurs de chantiers, une paysagiste, des architectes-, quand on commence à constituer une équipe, on répond de façon correcte à l'ensemble de la mission d'un architecte. On n'a pas besoin d'être 25 d'ailleurs, on est une équipe de 8, et c'est déjà pas mal.

Mais il faut donner aux architectes des missions complètes pour qu'ils puissent se structurer et répondre à la demande des maîtres d'ouvrage.

M. Yves DAUGE

Il va falloir qu'on travaille tous ensemble, avec la MIQCP, pour y inciter les maîtres d'ouvrage.

Je me souviens d'un cas de figure caractéristique, dans ma ville, avec un office d'HLM. L'office a travaillé avec un architecte qui devait venir de Paris, ce qui n'est pas simple. Ce dernier a fait un beau projet. Une fois payé, pour tout remerciement, on lui a dit que l'on n'avait plus besoin de lui pour la suite ! C'est vraiment honteux.

Comment peut-on se conduire comme cela avec des architectes ?

Je crois qu'il faut dénoncer ce type de pratiques, comme inadmissibles ! Le travail sur le chantier est un travail énorme : il faut le payer, il coûte cher, il faut donner des honoraires normaux, il faut que ces professionnels soient payés, comme le sont les avocats dès que vous leur demandez le moindre conseil.

Un des participants a très bien dit : « Eh bien, il faut maintenant que nous, les architectes, solidairement, disions que nous ne prenons plus le crayon si on ne nous paye pas ! »

M. Marc PIGEON

C'était moi !

M. Yves DAUGE

Vous avez bien fait !

Mme Laurence CROSLARD

Je poursuis mon propos : je pense que la formation des architectes se prolonge évidemment tout au long de la carrière et en particulier sur les chantiers. On apprend son métier autant sur un chantier qu'à la table à dessin.

À mon avis, si vous voulez avoir des gens performants en face de vous, il faut qu'ils fassent du chantier, et cela fait partie complètement du métier. La conception et la réalisation sont un tout qu'on ne doit pas isoler l'une de l'autre.

M. Yves DAUGE

Vous avez raison !

Je donne la parole à l'Union des HLM.

M. Jean-Michel DORÉ, délégué général adjoint de l'Union sociale pour l'habitat

J'espère que l'exemple cité par Yves Dauge n'est qu'une exception dans le milieu HLM, mais je pense que, comme partout, tout le monde n'est pas parfait et certains organismes ne se comportent pas forcément comme il le faudrait.

Entre l'architecte et l'Union HLM, il y a une longue tradition de travail en commun. La plupart des grands architectes ont travaillé pour des sociétés HLM dans les années 1970-1980 ; et effectivement, depuis cette période, les liens se sont un peu distendus, dans la mesure où les programmes que nous lançons sont globalement moins nombreux, et la taille des programmes s'est également réduite. Ce sont maintenant de petits programmes où le geste architectural est moins important.

Sur l'exercice architectural peut-être faut-il dire aussi que parfois nous avons, avec le recul, quelques états d'âme, dans la mesure où le maître d'ouvrage et l'architecte se sont fait plaisir. Mais cela a pu contribuer aussi à stigmatiser un peu plus les HLM.

Nous sommes donc très attentifs, là aussi, au geste architectural sur des programmes d'importance.

Depuis quelque temps, notre activité s'est considérablement réduite, mais je crois que nous repartons sur une activité qui devrait, dans les cinq prochaines années au moins, devenir extrêmement importante. Car nous avons l'objectif, avec les pouvoirs publics, de construire 100 000 logements sociaux par an, et nous avons un programme ambitieux de rénovation urbaine et d'amélioration.

Nous sommes impliqués dans cet ensemble avec, de plus, une préoccupation qui était déjà la nôtre il y a quelques années : l'amélioration de la qualité du service rendu aux habitants.

Je crois que maintenant pour nous, en ce qui nous concerne, notre problème est l'habitant qui vient au centre-ville.

Auparavant on construisait, on faisait du bâti de bonne qualité -pas toujours sous l'angle de la qualité environnementale, je le reconnais- mais au moins en matière de logements et de qualité du bâti ; aujourd'hui, ce qui nous préoccupe surtout, c'est la qualité, le confort, la santé, enfin tout ce qui est sensible pour l'habitant. C'est lui qui est au centre de nos préoccupations. Nous sommes très attentifs à ce que les architectes, dans leur approche, partagent également cette préoccupation.

Je crois que nous avons besoin maintenant de resserrer nos relations, qui se sont distendues, d'abord au niveau de la liaison des fédérations nationales, ensuite sur le terrain, mais surtout entre nous. Nous avons très peu de dialogue depuis quelques années, mais il faut le reprendre pour tenter ensemble de définir ce qu'est la commande publique, la commande HLM de cette période, qui n'est plus la même qu'il y a vingt ans.

Une nouvelle commande, plus complexe, qui intègre des éléments nouveaux de confort, de santé, de bien-être, de service rendu aux habitants. Mais nous avons aussi à travailler absolument en commun sur -j'en ai entendu parler ce matin- une espèce de surenchère de normes techniques et de réglementations techniques qui est aussi préjudiciable au maître d'ouvrage qu'à l'architecte, car elle oblige celui-ci à s'entourer de toutes sortes de techniciens, que ce soit en thermique, en énergie, en sécurité ascenseur. Nous militons pour une révision et une simplification de cette réglementation technique.

Je pense que cette commande, à redéfinir ensemble, doit s'accompagner d'un retour d'un travail en commun avec les architectes. Nous avons parfois accueilli dans les congrès des solutions apportées par des architectes et je crois qu'il faut aller plus loin maintenant ; et je crois qu'il serait important que les jeunes architectes ou les architectes en cours d'études puissent venir dans les organismes HLM, qui, pour beaucoup, sont prêts à les accueillir, afin d'apprendre ce qu'est le métier de maître d'ouvrage.

Que le maître d'ouvrage prenne en considération l'architecte, c'est tout à fait normal mais il faut que l'architecte puisse voir quelles sont les contraintes de gestion d'un maître d'ouvrage, pas seulement en matière de construction, mais aussi au niveau de la vie dans l'ensemble. Je proposerais donc aux représentants des architectes que nous y réfléchissions ensemble, pour voir comment on pourrait monter des stages de formation dans les organisations HLM, à l'intention des architectes qui le souhaiteraient, de façon à ce que les relations s'établissent sur des bases nouvelles...

M. Yves DAUGE

Très bien, vous êtes donc prêts à relancer un travail avec les architectes sur la commande, dans une perspective de croissance de conception de logements sociaux, comme ça s'est fait à une époque...

C'est vrai, j'ai ressenti un peu une baisse de volonté et d'ambition dans ce domaine. J'ai dit cela gentiment, mais il faudrait qu'on sente que ça redémarre.

M. Marc PIGEON

Je voudrais dire une chose à ce sujet. J'ai lancé depuis l'année dernière le concours des Pyramides , à l'image des oscars pour le cinéma. On a fait cela sur le thème du développement durable de l'architecture, pour inciter justement à améliorer les choses, à travers un concours national.

M. Yves DAUGE

Merci. M. Philippe Grand qui n'a pas encore parlé va intervenir, ensuite la salle, puis le Président conclura.

M. Philippe GRAND, chef du service de la stratégie et de la législation à la direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction

Oui, merci de me donner la parole. Je voulais essayer de donner quelques éléments sur l'une des questions qui a été posée. Quel est rôle de l'État dans tout ça ?

Sachant, comme cela a été bien dit, que l'État n'est plus qu'un maître d'ouvrage minoritaire et de peu d'importance, on a déjà évoqué beaucoup de sujets : on a parlé de son rôle au niveau européen, on a parlé de la formation, on a parlé de la sensibilisation, on a évoqué son intervention pour faire connaître les bons exemples et les encourager en respectant les spécificités de chacun sans plaquer de modèle tout établi ; je trouve aussi respectables les Pyramides citées par le Président de la FNPC que telle consultation faite par une association régionale HLM, que la prestigieuse Équerre d'argent du Moniteur, ce n'est pas dans la même cour mais c'est bien que tout le monde coure.

Il est donc essentiel de soutenir et d'encourager ces initiatives.

Au-delà de cela, je crois que le rôle de l'État est de fixer les règles du jeu quand même, fondamentalement ! Je voudrais souligner deux points qui ont été un peu évoqués par l'intervenant de l'Union des HLM.

D'abord, je rappelle que dans le développement durable on commence par vouloir satisfaire les besoins du présent qui sont de construire et je pense que l'État a un rôle fondamental en mettant en place les outils qui permettent de construire ; qu'il s'agisse de faire du Robien par exemple, qui a été à la base de la relance de la construction en 2004, il faut le dire, ou qu'il s'agisse du plan de cohésion sociale, avec les 500 000 HLM à réaliser en cinq ans qui ont été évoqués.

Ensuite je voudrais insister aussi sur un point, un domaine dans lequel l'État intervient très fortement : le domaine de la politique de la ville et du renouvellement urbain pour lequel beaucoup d'argent est mis sur la table, avec un effort très important de l'État et une nouvelle approche du traitement de quartiers, pour lesquels on n'a pas beaucoup d'expérience et surtout d'expériences réussies.

Et cette nouvelle approche demande beaucoup de matière grise : c'est un enjeu capital pour les professions du cadre de vie, les architectes, mais aussi les urbanistes et les paysagistes. Ils doivent apporter un savoir-faire spécifique, un savoir-construire, un savoir-conduire ces opérations de renouvellement urbain qui sont pratiquement sans précédent, à l'échelle où on les conduit ; et ce n'est pas évident de trouver suffisamment de maîtres d'oeuvre, de conducteurs de projets sur l'ensemble du territoire national eu égard à la masse des enjeux du ressort des collectivités locales et par rapport à l'importance des populations qui sont concernées par ces enjeux.

Je crois qu'il y a un premier enjeu très fort pour les professions du cadre de vie, qui est de se mobiliser, de se former sur ces thèmes-là.

La deuxième responsabilité de l'État derrière cet aspect de mise en place financière, c'est que l'État est chargé de la réglementation ; ça n'amuse pas tout le monde mais c'est quand même ça.

Alors, du point de vue que j'ai depuis l'Arche de la Défense, la situation est tout à fait contrastée.

Dans le domaine de l'urbanisme, cela a été évoqué, je trouve qu'on est sur une tendance plutôt positive :

On a eu la loi Urbanisme et Habitat, on a aujourd'hui une ordonnance qui nous permet de simplifier le permis de construire, non pas sur le fondement, mais de simplifier la manière dont on l'instruit en supprimant un certain nombre de pièces ; et puis dans quelques semaines, on aura le rapport de M. Pelletier commandé par le garde des Sceaux et le ministre de l'équipement, sur le thème : « Comment limiter le contentieux dans le domaine de l'urbanisme ».

Je parle de cela, ça a l'air d'être très loin de notre sujet, mais je voulais le rappeler parce que cela été évoqué ce matin ; si on simplifie le permis de construire et si on limite le contentieux, ça permettra aux maîtres d'ouvrage de ne plus mettre en priorité numéro 1 la sécurité juridique des actes, mais de replacer le projet et la qualité au centre de leurs préoccupations ; je crois que c'est un élément important pour la qualité et pour la manière dont travailleront ensemble aussi les maîtres d'ouvrage et les maîtres d'oeuvre.

Là-dessus, j'aborde le deuxième enjeu pour les professions :

C'est la profession qui fait le règlement qu'elle appliquera ; je lance donc un appel très fort pour qu'on fasse des PLU avec des règlements simples.

La qualité d'un document d'urbanisme ne se mesure pas au nombre de lignes de son règlement, je crois que les élus éclairés en sont persuadés. Certains bureaux d'études où les architectes se croient obligés de faire des règlements lourds pour justifier leurs honoraires ; et ce n'est pas justifié. Un règlement léger est meilleur qu'un règlement lourd, je crois que nous en sommes tous persuadés. Et ça je pense que c'est un deuxième enjeu très fort pour la profession.

Le troisième point que je voudrais souligner, quand je parlais de réglementation, c'est la réglementation de la construction déjà évoquée ; et là, je trouve que le bilan est assez mitigé pour le moins. Pourquoi ? Parce qu'on a quand même actuellement une accumulation réglementaire un peu inquiétante.

Alors, on a beaucoup de lois qui sont toutes pertinentes, toutes extraordinairement pertinentes et dont personne n'a l'idée de remettre en cause les fondements, par exemple, des lois sur la sécurité et sur les risques (c'est évident qu'il faut prendre en compte les risques et la sécurité dans le bâtiment) ; une loi sur les économies d'énergie (c'est évident que c'est un enjeu fort du développement durable, de la lutte contre l'effet de serre) ; une loi sur l'accessibilité des handicapés (c'est une priorité absolue de permettre l'accès aux handicapés).

Or, cette législation appelle la rédaction de textes d'application réglementaires, qui demandent énormément de travail si l'on veut qu'ils ne soient pas contradictoires dans la mesure où les lois ont été votées séparément. Ces textes conduisent à un empilement qui commence à être un peu inquiétant.

Et là, je crois qu'il y a un nouvel enjeu pour que les professions arrivent à maîtriser cet empilement parce qu'il n'y aurait rien de pire que de transformer la création architecturale en une espèce de check-list réglementaire de 150 points à avoir remplis pour avoir le droit de construire ; j'appelle donc la profession à une approche extrêmement vigilante là-dessus : j'espère une pause législative, mais c'est un voeu qui n'est peut-être pas partagé par tous. Néanmoins c'est un troisième aspect extrêmement important pour l'avenir des professions de la construction et du cadre de vie.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup.

En aparté avec Mme Ann-José Arlot, nous nous disions que si les DDE ne conçoivent plus de POS à coup de photocopies c'est parce qu'il n'y a plus de photocopieuses dans les DDE ; il n'y a plus de papier et, bientôt, il n'y aura plus de DDE ! Bon, je plaisante, mais je regrette un peu et même beaucoup l'effondrement de certains services de l'État ; j'ai fait moi aussi des propositions sur ce sujet, notamment autour des services départementaux d'architecture et d'urbanisme... C'est un sujet important. Mme Croslard...

Mme Laurence CROSLARD

Les DDE n'ont peut-être plus les moyens de faire des photocopies, mais elles conservent le contrôle de légalité et elles encadrent bien, d'une façon ou d'une autre, notre travail au point que dans notre région en tout cas, les PLU commencent à ressembler à des photocopies. Ce que je voulais dire aussi c'est que les enjeux sur le logement social sont importants, mais on parle beaucoup de quantité et on va revenir à notre préoccupation première qui est celle de la qualité et donc de l'urbanisme ; se pose la question du lieu où on va les construire, ces logements.

Au-delà même de la recherche qu'on peut faire sur le logement proprement dit, je pense qu'après l'expérience du début des grands ensembles, il faut maintenant se poser, en priorité, la question du lieu où on va les faire : pas tous ensemble au même endroit, et de la même façon ! Donc ne pas faire des modèles, ne pas faire des ZUP. Ça suppose d'avoir une politique de la ville vraie, très volontaire pour faire de la mixité partout sur le territoire, aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain.

M. Yves DAUGE

Vous avez mille fois raison, et je souhaite ajouter un mot, sur ce point. La loi SRU modifiée a mis en avant, dans les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d'urbanisme, cette idée de plan d'aménagement et de développement durable et c'est une vraie réflexion politique qu'il faut conduire. J'appelle donc les régions, les départements, les collectivités locales à financer avec les agglomérations, les territoires ; il y a là une commande potentielle énorme.

Monsieur Marc Pigeon, vous me faites signe que êtes obligé de partir, mais donnez-nous, rapidement, votre sentiment, en guise de conclusion. Etes-vous plus satisfait que tout à l'heure de ce que vous avez entendu ?

M. Marc PIGEON

Moi, je suis très content parce que j'aime bien mon travail, que je conçois en partenariat avec les architectes, voilà ! Même s'il y a des petites difficultés sur les extrêmes, en général ça se passe plutôt bien. Pourvu que ça dure !

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup, Monsieur. On prolonge un petit peu car normalement on devrait arrêter, mais on prend M. François Pélegrin, Mme Laurence Croslard.

M. François PÉLEGRIN

Sur la réglementation, je trouve que M. Philippe Grand est un peu rapide quand il nous dit : Messieurs les architectes, apprenez à bien respecter toutes les réglementations qui sont, je vous cite : « parfois un peu contradictoires les unes entre les autres ».

Moi je retourne le compliment à l'État : commençons à parler ensemble et nous pourrons vous indiquer lesquelles sont difficilement empilables et même contradictoires. Comme nous sommes effectivement sur les chantiers et à la concession, à l'articulation de toutes ces réglementations, nous savons exactement où les difficultés surgissent !

Je me souviens d'un temps, il y a 15 ou 20 ans, à chaque fois qu'on se réunissait, il y avait toujours un représentant de l'administration pour dire : « ah oui, c'est une bonne idée effectivement ; mais, ce n'est pas possible parce qu'elle contrevient à telle ou telle disposition. »

La réglementation, c'est vous qui la faites mais c'est nous qui la subissons ; on a donc effectivement des choses à vous dire là-dessus, ne serait-ce que pour vous en indiquer les dysfonctionnements.

En matière de logement -je ne parle pas d'aménagement, je parle de logement et d'architecture- je souhaite que le PUCA (plan urbanisme, construction, architecture) reprenne le rôle et la place qu'il a eus dans les années passées, parce que c'est lui qui a permis à de nombreux jeunes talents de se révéler ; c'est lui qui a permis à des maîtres d'ouvrage, à des concepteurs de se retrouver, sur des sujets choisis, dans des équipes concertées et animées des mêmes ambitions. Mais depuis six ans ou huit ans, le PUCA s'est réfugié dans la sociologie, dans les études réalisées au CNRS et ailleurs, ce n'est plus l'expérimentation et là on se prive d'un très, très beau levier pour faire bouger les idées.

Un architecte dans la salle

Je suis architecte et je voulais donner un petit éclairage, puisque j'ai eu la chance de devenir architecte urbaniste et de faire une formation à l'IPAA -l'Institut de programmation en architecture et aménagement- et je trouve ce que disait mon confrère sur le rapport des architectes avec les « programmistes » intéressant sur le plan de la qualité.

Je crois que ce qu'il y avait d'intéressant dans cette intervention, c'était la dimension intuitive de l'architecte présenté comme quelqu'un qui a la capacité de projeter des environnements qui n'existent pas encore ; et là on comprend bien qu'une programmation que je qualifierais d'ancienne formule, qui construit les cahiers des charges, en parlant de choses qui existent déjà, se trouve en complète contradiction avec cette dimension de l'architecte qui est très importante ; et je pense qu'il y a un autre type de programmation que j'ai rencontré à l'IPAA et qui a constitué pour moi une grande découverte.

C'est une programmation qui est aussi faite d'intuition et cette dimension intuitive de la programmation, elle se manifeste et se traduit par des cahiers des charges complètement différents et beaucoup plus légers et qui donnent beaucoup de liberté à l'architecte pour imaginer, justement, des pratiques sociales différentes. Je pense que le dialogue entre l'architecte et cette programmation « intelligente » est très important pour permettre à l'architecte d'inventer des projets qui sont à même de répondre aux nouvelles demandes et il est nécessaire de développer ce dialogue entre programmation et architectes.

M. Yves DAUGE

Merci beaucoup. Madame Cristina Conrad...

Mme Cristina CONRAD, Vice-Présidente du Conseil régional de l'Ordre des Architectes d'Ile-de-France

Je voudrais répondre enfin, ou interpeller M. Philippe Grand, sur le rôle de l'État et en particulier puisqu'il nous a parlé des projets Robien de défiscalisation, sur ce que j'ai pu en voir à travers mon expérience d'architecte conseil DDE. Ce sont des opérations la plupart du temps hors-sol, c'est-à-dire qui nient le texte ; et c'est tout à fait le retour de la politique des modèles, ce qui invite à se poser beaucoup de questions sur la qualité de ces opérations qui sont la plupart du temps complètement repliées sur elles-mêmes.

Deuxièmement, le rôle de la Foncière : la Foncière a été mise en place pour réaliser un tiers des logements qui vont remplacer les logements démolis ; donc ça représente environ 70 000 logements.

Là aussi, je suis très inquiète dans la mesure où, d'une part, la Foncière a évoqué le fait de mettre en place des concours conception-réalisation et, d'autre part, elle intervient sur des sites en proposant de la maison toujours moins dense, avec des parcelles toujours plus grandes sur tous les sites. Je travaille sur plusieurs sites en rue, et à chaque fois que la Foncière est passée sur le terrain, elle a demandé à ce que ce soit du logement classique allant même jusqu'à remettre en cause ces projets PUCA expérimentaux d'habitat individuels denses.

Je pense donc que l'État devrait proposer à la Foncière d'avoir un secteur expérimental, ou en tout cas, d'expérimenter des opérations avec une certaine densité même si c'est de la maison individuelle.

Troisièmement, par rapport au logement social, nous avons mis en place au sein du Conseil régional Île-de-France, un forum de maîtrise d'ouvrage/maîtrise d'oeuvre, où un débat s'est instauré entre organismes HLM et architectes et on est arrivés au constat qu'il est impossible d'agir dans le cadre des réglementations et des financements actuels.

On prépare actuellement différentes formes d'actions pour interpeller M. le secrétaire d'État au logement, dans la mesure où on se rend compte que les architectes ne veulent plus faire du logement social puisqu'ils ne peuvent plus arriver à faire de la qualité dans les contraintes actuelles.

On peut se poser alors la question de la pertinence de la démolition des grands ensembles dans la mesure où on n'est pas capable de faire du logement de meilleure qualité aujourd'hui.

Un architecte dans la salle

En tant qu'architecte, je reviens un peu sur le thème de la rémunération des architectes. Pour qu'il y ait de l'architecture, il faut bien sûr qu'il y ait des architectes, je pense que là-dessus tout le monde est d'accord. Il y a également un système assez génial, c'est le système du concours, c'est la multiplication des architectes et de leur façon de faire et des propositions qui peuvent être faites aux populations.

Dans le public, il y a au moins un système qui est très intéressant qui est l'indemnité faite à hauteur de 80 % des tâches demandées et ça c'est très important. Il n'en est pas ainsi dans le privé, qui représente actuellement la plus grande part de l'architecture en France. Souvent l'architecte travaille en soi-disant partenaire avec le privé, donc il s'agit de concours privé ; ce n'est pas tout à fait équitable parce qu'en fait l'architecte investit à peu près 20 % de sa mission complète uniquement en concours, quelquefois pour zéro euro ; alors qu'en fait le promoteur en question, c'est dommage qu'il soit parti, encaisse effectivement la totalité à la sortie ; donc ça serait bien qu'il y ait une réglementation dans ce sens qui protège les architectes.

M. Yves DAUGE

Merci. Monsieur Bernard Roth a un mot à ajouter...

M. Bernard ROTH, président de l'Association architecture et maîtres d'ouvrage

Je voudrais reparler une seconde des enfants, parce que si on ne forme pas les enfants, et si on ne les sensibilise pas, eh bien, nous aurons après nous, une nouvelle génération d'élus qui ne sauront pas lire l'architecture, de maîtres d'ouvrage qui ne sauront pas lire l'architecture nonobstant ce que nous disait Marc Pigeon tout à l'heure, qui était évidemment très rassurant. Je lui ai dit qu'il faudrait quand même qu'on vérifie tous les deux si on parle bien de la même chose, parce qu'étant moi-même maître d'ouvrage privé, je ne suis pas tout à fait convaincu ; et je pense que ça mérite une analyse un tout petit peu plus précise.

C'est certainement difficile de compléter la formation des enfants par une formation architecturale, mais c'est une question vitale, car tout passe par là.

Bien évidemment, il ne s'agit pas de leur apprendre l'histoire de l'architecture, il s'agit par exemple de réfléchir à ce qu'a fait, je crois, le rectorat de Montpellier : une expérience pilote sous forme de concours de cabanes. Quelle façon formidablement intelligente, extrêmement douce et légère de faire entrer dans le monde de l'architecture !

M. Jacques VALADE

Je voudrais remercier non seulement Yves Dauge qui a inspiré la tenue de cette table ronde, mais également vous tous, mesdames et messieurs, pour votre participation.

Comme je le disais dans l'intervalle entre les deux tables rondes, tous les propos qui ont été tenus ce matin, et les discussions auxquelles ils ont donné lieu, feront l'objet d'un compte rendu que nous vous ferons parvenir. Par ailleurs, je souhaite que nos débats de cette matinée puissent initier une concertation approfondie entre les pouvoirs publics et les différents acteurs de la maîtrise d'oeuvre pour nous permettre de dépasser le sentiment qui prévalait au début de nos échanges de ce matin de partenaires séparés, tentés de se reprocher mutuellement les carences du dispositif général.

C'est ce qu'a souhaité faire la commission des affaires culturelles, à l'initiative d'Yves Dauge, dans le cadre de nos travaux d'information et je vous remercie d'y avoir contribué.

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