C. ALLOCUTION DE M. JEAN-MARIE CARO (Bas-Rhin - UDF), ANCIEN DÉPUTÉ ET ANCIEN PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE DE L'UEO (1984-1987)

« Monsieur le Président, c'est un geste important pour moi de m'exprimer devant la famille de l'UEO, qui représente une des périodes les plus chaleureuses et des plus actives de ma vie politique. Vous nous demandez de faire le point sur les cinquante ans écoulés. La tâche est difficile. L'UEO s'en est remarquablement chargée avec son ouvrage. Les discours que nous avons entendus nous ont permis de nous souvenir de la longue période qui sépare sa fondation de son anniversaire.

« En tant que Français, au-delà de mon militantisme européen qui ne défaille pas, je vous ferai part de ma tristesse qui marque le message que je voudrais adresser à notre Assemblée et, par-delà, au peuple que nous représentons.

« Tristesse, qui a été évoquée, en rapprochant les dates du 30 août 1954 et du 29 mai 2005 où, en tant que Français, je vois des actes répétés de blocage, c'est le moins que je puisse dire, de l'avancée pour laquelle nous avons tous travaillé d'un même coeur. Ce sentiment vient non pas du fait de nous sentir - et de me sentir - incapables de progresser, car nous en avons les moyens, mais de penser à notre jeunesse à laquelle le Français a ôté le pouvoir d'espérer et de croire en son avenir.

« Nous vivons une période de désenchantement. On cherche les responsables. C'est un jeu courant auquel je ne me livrerai pas. Je forme le voeu que de notre jeunesse, qui est désemparée comme nous pouvons l'être également, se lève un chant d'espoir sous forme d'un nouveau projet, comme ceux qui ont enthousiasmé les Européens au début de cette période cinquantenaire et qui ont permis d'ajouter tant d'annexes au Traité constitutionnel.

« Tâchons de trouver avec notre jeunesse un nouveau projet. Ne recollons pas des morceaux mais faisons du neuf en pensant à l'avenir de nos pays. »

D. ALLOCUTION DE M. ARMAND DE DECKER, MINISTRE DE LA COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT DE BELGIQUE, S'EXPRIMANT EN QUALITÉ D'ANCIEN PRÉSIDENT DE L'ASSEMBLÉE

Enfin, M. Armand de Decker conclut ces interventions, s'exprimant, certes, en qualité d'ancien Président de l'Assemblée de l'UEO, mais non sans évoquer son expérience actuelle de Ministre.

« Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire Général, messieurs les Présidents et, surtout, chers amis, je tiens à exprimer mon très grand plaisir d'être parmi vous. Tant d'aventures, de combats communs, de souvenirs heureux, voire de moments d'hilarité, nous lient dans l'histoire que nous avons vécue ensemble dans l'UEO, ces vingt-cinq dernières années, que c'est avec une immense joie que je me retrouve ici, en présence de mes vieux camarades.

« J'ai le sentiment un peu embarrassant, que vous devez partager aussi, d'être à une réunion d'anciens combattants, alors que ce n'est nullement le cas. En effet, la vie politique qui est la nôtre est une grande aventure que nous vivons en fonction des événements en essayant de respecter des valeurs et des principes auxquels nous sommes attachés, et qui est très déterminée par les soubresauts de la nature humaine et de la vie sur notre planète.

« Monsieur le Président, je vous en veux un peu de m'avoir placé de ce côté-ci de l'hémicycle, en face de mes amis et camarades car, en vingt-cinq ans de vie politique, ayant passé vingt-quatre ans au parlement et à peine dix mois au gouvernement, je me sens évidemment beaucoup plus proche des parlementaires que des ministres. Toutefois en les regardant, je me dis que nous venons de vivre vingt-cinq années exceptionnelles d'histoire de l'Europe dans lesquelles l'Assemblée de l'UEO a joué constamment un rôle d'une très grande importance. Comme beaucoup l'ont souligné, cette importance est très largement sous-estimée par les observateurs politiques parce que, très souvent, ils s'intéressent davantage aux lieux balayés par les objectifs des caméras qu'aux lieux où la réflexion s'effectue, certes parfois difficilement, parfois péniblement, mais réellement. Or cela a toujours été le cas à l'Assemblée de l'UEO.

« Je me souviens d'avoir rejoins l'Assemblée en janvier 1982. A cette époque, qui n'est pas si lointaine, nous étions en pleine Guerre froide, en pleine guerre des euro-missiles. Les SS-20 étaient déployés contre nous. Helmut Schmitt et Valéry Giscard d'Estaing décidaient, lors d'un G4 ou d'un G5, qu'il fallait une réponse de l'Alliance. Nous avons alors décidé de déployer des Cruise et des Pershing. Cette époque a conduit à la revitalisation de l'UEO et de l'Assemblée de l'UEO.

« L'UEO dormait d'un sommeil profond: un petit Secrétariat Général à Londres, dans une petite maison, et l'Assemblée à Paris qui ronronnait, jusqu'au moment où M. Brejnev s'est trompé de stratégie et a déployé ses SS-20. Nous nous sommes alors doucement réveillés. Cette crise des euromissiles et ce manque de conscience des Européens face aux problèmes de défense ont permis de revitaliser l'UEO.

« C'est l'époque où Jean-Marie Caro était Président de notre Assemblée. C'est aussi l'époque, en 1982 ou 1983, où, comme le disait mon ami Blaauw, on se retrouvait aux réunions du Gymnich avec Gensher, lequel, au cours d'un repas, nous disait tout simplement qu'il avait la conviction que le rideau de fer allait tomber, que l'on allait se réconcilier et que l'Allemagne allait se réunifier. On se pinçait pour savoir si on avait bien entendu et bien compris ce qu'il voulait dire. Comme quoi certains avaient des informations qui n'étaient pas partagées par tous.

« Tout cela s'est doucement réalisé parce que, après les missiles et la revitalisation, un grand Président des États-Unis qui s'appelait Reagan a rencontré un grand Secrétaire Général du parti communiste, M. Gorbatchev. Les deux hommes se sont compris. Ils ont très vite commencé à démanteler les euromissiles pour lesquels on s'était tant battus. Peu après, ils ont décidé, avec le soutien du Pape -Jean-Marie Caro, tu nous as emmenés au Vatican pour en parler avec Jean-Paul II - qu'il ne fallait plus avoir peur. Ils l'ont crié haut et fort. Le mur de Berlin s'est d'abord craquelé, puis effondré.

« Avec Charles Goerens, nous avons commencé à recevoir des Soviétiques. Je me souviens d'un ministre du commerce extérieur soviétique avec lequel nous avions déjeuné à Paris, à la Maison du commerce extérieur. On regardait la Tour Eiffel. Il nous expliquait, qu'à un certain moment, ils allaient lier le prix de vente au coût de production. Cela était tout à fait surréaliste. Nous ne pouvions pas croire ce que nous entendions. Quelques jours après, nous partions à Moscou, en visite à la Douma, expliquer aux députés de la commission de la défense que, parce que l'Allemagne était en train de se réunifier, ils devaient accepter et comprendre que l'Allemagne de l'Est allait rentrer dans l'Alliance Atlantique, qu'ils ne pouvaient pas s'y opposer, que cela n'avait aucun sens. C'était pour eux particulièrement difficile à digérer. Nous avons vécu tout cela.

« Alors, nous avons commencé à croire à la naissance d'un ordre international nouveau, fondé sur le respect du droit. Nous allions peut-être enfin vivre dans un monde qui serait pacifié. Malheureusement, nous avons très vite été déçus: il y a eu la crise yougoslave, l'éclatement de la Yougoslavie, des violences extrêmes au coeur de l'Europe et, un peu plus tard, l'invasion du Koweït par Saddam Hussein.

« C'est sans doute alors que les Européens ont compris qu'ils ne pouvaient pas éternellement compter sur leurs alliés américains pour régler les problèmes. Nous devions être capables de nous doter nous-mêmes, Européens, de capacités militaires qui nous permettraient, à tout le moins, de régler nous-mêmes nos problèmes européens. Nous avions attendu au moins deux ans pendant la crise yougoslave avant que les Américains décident de nous venir en aide. Pendant ce temps, nos Casques bleus étaient humiliés dans différentes provinces yougoslaves.

« Nous nous sommes réveillés. Nous nous sommes dotés de quelques outils: un centre satellitaire, un état major, quelques outils minimum de prise de décision européenne dans le domaine militaire. C'est aussi l'époque où nous avons raté beaucoup d'occasions, Jan vient de parler de Dubrovnik.

« Je voudrais évoquer la crise albanaise où l'Europe avait sur un plateau l'occasion d'utiliser l'UEO pour régler sous le drapeau européen la question albanaise. Nos ministres de l'époque n'ont même pas imaginé une seconde que cela soit possible alors que nous, à l'Assemblée, nous en étions profondément convaincus. Si cela avait eu lieu, la construction de l'Europe de la défense aurait pris un tout autre rythme, un tout autre visage, aurait connu une tout autre efficacité.

« Les années passent. Maintenant nous arrivons dans un autre monde marqué par le 11 septembre 2001, suivi du 11 mars 2003 à Madrid. Nous vivons dans ce monde du terrorisme qui a fait sauter la barrière entre la sécurité extérieure et la sécurité intérieure de nos États. Là, de nouveau, les problèmes sont apparus et, surtout, de très grandes différences de perception sur la façon de répondre à ce genre de crise vue d'un côté par Washington et vue d'autre part par nous, même si chez nous, Européens, l'opposition n'était malheureusement pas unanime.

« Le résultat, on le connaît: c'est la décision d'envahir l'Irak, l'énorme instabilité qui en est suivie et qui a souligné, à mon sens, la très grande différence entre la perception de la sécurité par les Européens et la perception de la sécurité par les États-Unis d'Amérique. Bien sûr, vous le savez, nous sommes tous des atlantistes convaincus, nous sommes convaincus qu'une Alliance atlantique apporte un plus à la construction européenne et que nous partageons certainement des mêmes valeurs. Mais, souvent, nous n'avons plus les mêmes analyses.

« Ce qui fait la vraie différence entre la politique de sécurité vue par les États-Unis et celle vue par les Européens aujourd'hui: c'est que les États-Unis continuent à asseoir fondamentalement leur politique de sécurité d'abord sur le rapport de force, là où en fait nous, les Européens, nous mesurons peut-être davantage que la sécurité est aussi une question de conviction des peuples, de règlement des problèmes qui sont à la base de l'instabilité de la planète.

« Charles Goerens parlait des problèmes de coopération et de développement. Tu as eu la chance d'être ministre de la Défense et ministre de la Coopération et du développement en même temps, ce qui te permettait de comprendre particulièrement bien et de nous expliquer à l'époque cette très grande différence.

« Aujourd'hui, la principale insécurité dans le monde provient de l'extrême pauvreté de certaines parties du monde par rapport à nos États. Les rapports établis par Kofi Annan rappellent cela régulièrement. La prochaine Assemblée générale des Nations Unies du Millénaire + 5 va précisément souligner qu'aujourd'hui la première source d'instabilité dans le monde n'est plus le risque de conflit ou de guerre interétatique mais, d'abord, l'extrême pauvreté de continents entiers du Sud et de la tension que cela provoque entre le Nord et le Sud, la plus grande menace étant, à mon sens, la pression migratoire devant laquelle on risque de se trouver dans les années et les décennies à venir sans aucune mesure, aucun rapport avec la pression migratoire que nous connaissons aujourd'hui.

« Voilà donc de nouveaux challenges pour la sécurité européenne. Elle devra pour réussir avoir une vue beaucoup plus large que par le passé, qu'à l'époque de la Guerre froide par exemple. Il faudra des mesures économiques, des mesures de sécurité, des grandes politiques de développement; il faudra beaucoup de dialogue et de diplomatie, entre le Nord et le Sud notamment.

« Alors, pour cela l'Europe a beaucoup cru ces dernières années, et la Belgique sans doute en particulier, que la formule fédérale était la meilleure et devait en tout cas prévaloir. J'ai le sentiment que les referenda qui viennent de se produire nous démontrent que ce schéma fédéral idéal mais peut-être un peu utopique, il sera fort difficile de le réussir. L'Europe pourrait progresser peut-être un peu plus vite si elle admettait maintenant, parfois, de plus grandes doses d'intergouvernementalité. Pour faire avancer une matière, un projet, ce n'est pas la forme institutionnelle qui compte: c'est le résultat du projet, c'est atteindre l'objectif qu'on s'est fixé. Si l'on atteint l'objectif plus vite par de l'intergouvernementalité, pourquoi pas! Si on l'atteint par de l'interfédéralisme, et bien tant mieux! Mais, ce n'est pas nécessairement l'unique voie.

« Donc, dans ce contexte, ce qui va être devant nous comme situation et comme problème à régler, c'est précisément ce choix. Pendant les quelques mois de ma présidence éphémère, j'ai été confronté à cette question.

« Premier aspect: étant donné que le processus du Traité constitutionnel avait commencé, certains avaient pensé dénoncer le Traité de Bruxelles modifié avant même que le Traité constitutionnel ne soit ratifié par l'ensemble des parlements.

« Je suis extrêmement heureux et fier d'avoir contribué à empêcher certains États membres de l'UEO de continuer dans cette voie. Je l'ai fait avec mes prédécesseurs directs qui ont été confrontés au même problème, notamment Marcel Glesener et, bien sûr, Jan Dirk Blaauw. Je me réjouis, Jan Dirk, que l'on ait pu convaincre la diplomatie des Pays-Bas de ne pas aller au bout de ce schéma, ce qui aurait été suicidaire. J'ai eu le privilège d'en parler directement avec le ministre Bot et je crois que cela a contribué à mettre fin à ce très mauvais scénario.

« Aujourd'hui, nous pouvons ainsi peut-être fonder la poursuite de l'exercice d'une politique de défense européenne sur le Traité de Bruxelles modifié. Nous savons tous que le Traité de Nice ne le permettait pas. Il interdit, en effet, toute coopération politique renforcée dans le domaine de la défense. Si nous voulons progresser dans ce domaine, ce ne sera que par le Traité de Bruxelles modifié. Qu'on se le dise dans les chancelleries et les choses iront peut-être mieux et plus vite.

« Deuxième aspect, et beaucoup parmi vous l'ont évoqué beaucoup mieux que je ne pourrais le faire: la nécessité d'une assemblée interparlementaire composée de parlementaires nationaux pour gérer ces matières.

« Pendant des mois et des années, j'ai cherché avec vous, en dialogue avec le Parlement européen, une solution de compromis. Selon moi, la meilleure solution est de garder l'Assemblée de l'UEO, de la faire évoluer, de la faire fonctionner. Ce sera éminemment nécessaire pour les générations futures, et c'est pour elles que nous travaillons. L'Europe est aujourd'hui en crise, au plus mauvais moment possible, au moment où la Chine et l'Inde prennent leur vraie dimension sur les plans économique, politique et diplomatique. C'est le moment que, malheureusement, une grande partie des opinions publiques de notre pays ont cru utile de choisir pour mettre un obstacle sur le chemin de la construction européenne.

« Cependant je suis, comme Jean-Marie Caro, persuadé qu'il suffit de s'accrocher et de poursuivre le combat le plus utile que l'on puisse mener. C'est ce que je vous souhaite à tous pour les cinquante prochaines années! »

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