II. LES HYPOTHÈQUES INTERNATIONALES : QUELLE RÉSORPTION DES ÉQUILIBRES MONÉTAIRES INTERNA-TIONAUX ET QUELS RISQUES D'INFLATION ?

L'hypothèque sur la croissance 2006 que représente la hausse du prix du pétrole illustre l'une des conditions fortes des scénarios de croissance à moyen terme exposés dans le présent rapport : le retour à un environnement international apaisé.

La validité de toute projection à moyen terme est suspendue à la vérification des hypothèses qu'elle comporte. Il est d'usage d'écarter de celles-ci la survenance de risques qui, pourtant, comme le montre la multiplication des chocs économiques survenus ces dernières années, ont une forte probabilité d'advenir.

Les déséquilibres économiques ne manquent pas dans le monde contemporain, qu'il s'agisse, par exemple, du déficit courant des États-Unis ou des tensions sur les prix des matières premières.

Les projections réalisées pour le présent rapport sont donc conditionnées à la non survenance d'une série d'aléas dont certains, toujours pendants, ont été exposés dans le rapport consacré l'an dernier par votre Délégation aux perspectives économiques à moyen terme.

DES SCÉNARIOS ILLUSTRATIFS DES RISQUES SUR LA CROISSANCE FRANÇAISE

2005

2006

Scénario central

1,7 %

2,0 %

Appréciation de l'euro (1 € = 1,4 $)

1,7 %

1,6 %

Prix du pétrole à 70$ le baril

1,7 %

1,8 %

Chute de 15 % du prix de l'immobilier

1,7 %

1,8 %

Apparition d'un effet de « second tour » inflationniste

. uniquement en France

1,6 %

1,4 %

. dans l'ensemble des pays sans réaction de la BCE

1,6 %

1,6 %

. dans l'ensemble des pays avec réaction de la BCE

1,6 %

1,4 %

Retour à un prix du pétrole à 45$ le baril

1,7 %

2,3 %

Source : Calculs OFCE


LE DÉROULEMENT D'UN SCÉNARIO NOIR POUR L'ÉCONOMIE MONDIALE
______

L'année dernière, votre Délégation avait voulu tester l'impact sur la croissance de la réunion d'un certain nombre d'événements défavorables, jugés comme des aléas négatifs dans le contexte de prévision économique qui prévalait alors où :

- la croissance aux États-Unis ralentissait de 0,5 point de PIB en 2006 et 2007 à la suite d'une réorientation des politiques économiques ;

- le niveau du prix du pétrole se situait durablement à 40 dollars ;

- le cours du dollar se dépréciait de 20 % pour se situer en moyenne à 1,5 dollar pour un euro selon un profil temporel où, après une forte dépréciation, la devise américaine rejoignait en fin de période son cours initial.

Si aujourd'hui, le retour du pétrole à un prix de 40 dollars par baril serait un facteur favorable par rapport aux hypothèses des projections présentées dans le rapport, les deux autres événements, qui demeurent réalistes moyennant un horizon un peu différent, produiraient des effets négatifs sur la croissance.

PRINCIPAUX RÉSULTATS D'UN CUMUL D'ALÉAS EXTÉRIEURS

(en %)

2005

2006

2007

2008

2009

Moyenne
2009/2006

Croissance du PIB

2,5

1,3

1,4

1,8

3,5

1,8

Inflation

1,7

1

0,7

1,3

1,9

1,2

Chômage
(au sens du BIT)

9,4

9,5

10,4

10,6

9,9

10

Besoin de financement
des administrations publiques
(en points de PIB)

- 2,9

- 2,5

- 3

- 3,6

- 2,9

- 3

Contribution à la croissance
du commerce extérieur
(en points de PIB)

0

- 0,4

- 0,8

0

+ 0,6

- 0,1

Consommation des ménages

2,4

2,5

1,8

1,6

2

2

Investissement des entreprises

4,8

2,7

1,4

3,7

8,7

4,1


Le cumul des aléas explorés l'an dernier se traduisait par une croissance ralentie à 1,8 % contre 2,5 % dans le scénario central.

Si les conditions de la projection réalisée l'an dernier, du fait des hypothèses posées sur le prix du pétrole et sur le taux de change euro-dollar 26 ( * ) , différaient de celles qui sont retenues cette année, il est possible de se référer aux résultats de la variante en substituant aux valeurs absolues des chocs alors testés leur ordre de grandeur relatif.

DÉCOMPOSITION DES EFFETS SUR LA CROISSANCE DES ALÉAS

(en points de PIB)

2006

2007

2008

2009

2010

Moyenne
2010/2007

Ralentissement aux États-Unis

0

- 0,2

- 0,2

0

0

- 0,1

Pétrole à 40 $

0

- 0,1

0

0

0

0

Dépréciation du cours du dollar
($ contre €)

1,24

1,5

1,7

1,6

1,25

1,5

Effet sur la croissance

0

- 0,8

- 2,3

- 1

1,7

- 0,6

Total

0

- 1,1

- 2,5

- 1

+ 1,7

- 0,7

VARIANTE 10 % DOLLAR (EFFET PIB FRANCE)

Année

1

2

3

4

5

6

7

Année/année

- 0,5

- 0,9

0

0,2

0,3

0,3

0

Cumul

- 0,4

- 1,2

- 1,2

- 1

- 0,7

- 0,4

0

Étant rappelé que l'éventualité d'un pétrole à 40$ représentait alors un choc d'augmentation de 10 % du prix du pétrole, le tableau ci-dessus présente la décomposition des effets économiques des différents aléas envisagés l'an dernier :.

les effets du ralentissement transitoire de l'économie américaine sont relativement modérés avec une perte de PIB de 0,2 point les deux premières années consécutive à une croissance inférieure de 0,5 point de PIB aux États-Unis ;

l' appréciation du pétrole exerce un effet, modéré lui aussi, de 0,1 point de PIB en raison de la nette dépréciation du dollar contre euro qui vient le compenser et sous certaines conditions exposées ci-après ;

la chute du dollar suivie, en fin de période, d'un contrechoc, entraîne une perte de croissance élevée : elle atteint 0,7 point de PIB en moyenne sur la période.

Cette année, l'actualité du débat économique invite à se pencher sur l' éventualité d'une résurgence inflation niste, même si le risque de surv enance d' un tel processus apparaît faible après analyse .

Des tensions sur les prix des matières premières, des produits énergétiques en particulier, ont haussé le rythme d'augmentation des prix.

Cependant, jusqu'à présent, les « effets de second tour » qui ont pu se déclencher dans le passé à l'occasion des précédents chocs pétroliers ne se sont pas produits. Les salaires ne se sont pas ajustés à l'augmentation des prix.

Si un tel enchaînement devait intervenir, une résurgence de l'inflation ne manquerait pas de survenir. La boucle « prix-salaires » serait à l'oeuvre.

Il vaut donc d'explorer les conséquences d'une élévation du niveau de l'inflation, même si sa probabilité apparaît faible.

A. UNE RÉSURGENCE INFLATIONNISTE SERAIT DÉFAVORABLE

Depuis 2000, l'indice des prix à la consommation dans la zone euro a toujours excédé le haut de la cible d'inflation que la Banque centrale européenne (BCE) s'est fixée.

COÛTS SALARIAUX ET INFLATION

(Variation en pourcentage par rapport à la période précédente)

2000

2001

2002

2003

2004

Prévisions

2005

2006

Déflateur du PIB

1,4

2,4

2,5

2,0

1,9

1,5

1,7

Indice des prix à la consom-mation harmonisé (IPCH)

2,2

2,4

2,3

2,1

2,1

1,8

1,3

Rémunération par salarié 1

2,3

2,6

2,4

2,2

1,7

1,7

1,9

Productivité du travail 1

1,4

0,1

0,5

0,5

1,1

0,6

1,1

Coûts unitaires de main-d'oeuvre 1

0,9

2,4

1,9

1,7

0,6

1,1

0,8

IPCH hors énergie, alimentation, alcool et tabac

1,1

1,9

2,4

1,8

1,8

1,5

1,3

1 dans le secteur des entreprises

Source : OCDE, base de données des Perspectives économiques de l'OCDE, n° 77
(Zone Euro - ISBN 92-64-01171-4)

En outre, le rythme de l'inflation s'est notablement accéléré au cours de l'année 2005 et les perspectives, en ce domaine, sont incertaines, du moins pour certains analystes, en raison à la fois du flou qui entoure les prévisions des prix des matières premières et des incertitudes sur leurs effets sur le niveau général de l'inflation.

A supposer qu'elle se produise, la résurgence de l'inflation exercerait des effets plus ou moins négatifs selon ses conditions d'apparition, mais, dans tous les cas, elle pèserait sur l'activité.

Limitée à un seul pays - la France, en l'occurrence - une reprise de l'inflation représente un choc très défavorable à la croissance ; une élévation plus générale du rythme d'augmentation des prix, sans être souhaitable, n'a pas d'effets aussi négatifs.

Cependant, si les Banques centrales devaient resserrer leurs politiques monétaires pour répondre à un choc de cette nature, les effets récessifs de l'inflation seraient nettement amplifiés.

1. Le retour à l'inflation limité à la France exercerait des effets durablement défavorables

Une hausse du rythme d'inflation qui n'interviendrait qu'en France aurait un impact récessif marqué et durable selon une variante réalisée pour le présent rapport.

Même si un tel choc produit ses effets maximaux les premières années après sa survenance, le retour à l'équilibre semble devoir emprunter un long cheminement.

Dans cette variante, le choc initial, de 0,5 point d'inflation, se propage à travers la boucle « prix-salaires » de sorte qu'au bout de cinq ans le niveau des prix est supérieur de 1,4 point à ce qu'il est dans le compte central (sans supplément d'inflation).

IMPACT D'UNE HAUSSE DE L'INFLATION DE + 0,5 POINT LIMITÉE À LA FRANCE

(en écart au compte central, par année et en point)

2006

2007

2008

2009

2010

PIB (en volume)

-0,5

-0,9

-1,3

-1,5

-1,6

Contributions à la croissance :

- Demande intérieure

-0,3

-0,6

-1,0

-1,2

-1,3

- Solde extérieur

0,2

-0,3

-0,3

-0,3

-0,3

Variation de l'emploi total

-0,3

-0,6

-1,0

-1,2

-1,3

Capacité de financement :

- Entreprises non financières

0,1

0,3

0,4

0,5

0,7

- Ménages

0,1

0,0

0,1

0,1

0,1

- Administrations publiques

-0,2

-0,5

-0,8

-1,0

-1,2

Une hausse du niveau de l'inflation de 0,5 point qui ne concernerait que la France aurait un impact fortement négatif sur le rythme de croissance .

Celui-ci serait inférieur de 0,5 point la première année, et les effets du choc inflationniste seraient durables. Ce n'est qu'à partir de la quatrième année qu'un rééquilibrage commencerait à se produire . Malgré celui-ci, en 2010, qui est le terme de la projection, le « déficit » de PIB resterait significatif avec un niveau de 1 point de PIB (en volume) en dessous du compte central.

Ces résultats s'expliquent par le cumul des effets d'une hausse de l'inflation sur toutes les composantes de la demande .

L'impact sur la demande intérieure est à la fois le plus important, dans une première phase, et le moins persistant.

Sous l'effet de l'accélération de l'inflation, le pouvoir d'achat des ménages se trouve amputé : le salaire horaire est affecté même si le phénomène de non-indexation n'est pas complet ; les pertes d'emplois sont prononcées avec environ 0,3 % d'emplois par an en moyenne.

L'investissement des entreprises pâtit du ralentissement de la demande des ménages et des exportations.

Le ralentissement de la demande intérieure est maximal au bout de trois ans. Le choc inflationniste se dissipe rapidement même si le niveau des prix est durablement plus élevé. Après avoir reconstitué leur épargne dans un premier temps, les ménages réduisent leur taux d'épargne lorsque les perspectives économiques s'améliorent, en particulier quand les risques d'une perte de valeur de leurs actifs se résorbent.

Ce dernier phénomène explique la persistance de la dégradation du solde extérieur qui pèse sur toute la période de projection sur la croissance .

Les exportations sont affectées par une perte de compétitivité. La hausse du niveau des prix peut être assimilée à une appréciation du taux de change réel ; le choc étant limité à la France écorne sa compétitivité par rapport aux autres pays de l'U.E.M. ; en outre, la probabilité d'un ajustement compensatoire de l'euro par rapport aux autres monnaies étant des plus minimes, la perte de compétitivité concerne aussi le reste du Monde.

De leur côté, les importations rétrogradent sous l'effet du ralentissement de l'activité, mais moins que les exportations en raison des pertes de compétitivité subies par les produits nationaux. En outre, la reprise qui se dessine lorsque le choc inflationniste s'estompe entraîne rapidement un retour des importations alors que les exportations restent handicapées par un niveau de prix relativement défavorable.

Face au choc inflationniste, la situation financière des agents est différemment affectée .

La capacité de financement des entreprises est plus importante en raison des réductions d'emplois salariés qui dessinent un cycle de productivité classique 27 ( * ) .

L'impact du choc sur la capacité de financement des ménages est modeste du fait de la réduction à due proportion de leur consommation.

Ce n'est pas le cas de la capacité du financement des administrations publiques . Le solde des administrations publiques se creuse sous le double effet des pertes de recettes liées à la dégradation de la conjoncture et d'un niveau de dépenses publiques exprimées en points de PIB plus élevé. Ce dernier phénomène est cohérent avec la norme de gestion des dépenses publiques qui en lie l'évolution à celle des prix. Comme ceux-ci s'accélèrent alors que le PIB est moindre que dans le scénario central, il est logique, d'un point de vue comptable, que le poids des dépenses publiques dans le PIB s'accroisse.

Votre rapporteur veut souligner la conclusion qu'il faut tirer de cette variante . Il convient d'être attentif à ce que la formation des salaires reste compatible avec les données structurelles qui en conditionnent l'équilibre et qui sont les gains de productivité des entreprises. Il convient donc d'éviter d'indexer les salaires sur les hausses de prix, accidentelles et transitoires. Toute solution contraire ne manquerait pas de créer des tensions inflationnistes, qui seraient alors durables et exerceraient les effets négatifs qu'on vient d'exposer.

* 26 L'an dernier, le prix du pétrole retenu en projection s'élevait à 37 dollars par baril et le cours euro-dollar à 1,25 dollar par euro contre 60 dollars et 1,20 dollar par euro cette année.

* 27 Face à une variation de l'activité, dans un sens ou dans l'autre, les entreprises n'ajustent pas immédiatement leurs effectifs proportionnellement.

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