II. INTERVENTION DES GRANDS TÉMOINS

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Nous avons réuni cinq grands témoins. Trois représentent le monde de l'entreprise et deux le monde syndical. J'invite Éric Bertier à prendre la parole en premier. Vous êtes à la fois associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines et président du groupe de travail « Promesse des Entreprises » du MEDEF. À ce double titre, comment analysez-vous les attentes des jeunes ?

Éric BERTIER, associé de Pricewaterhouse Coopers en charge des ressources humaines et président du groupe de travail « Promesse des Entreprises » du MEDEF

Avec 22 % de jeunes chômeurs, la France compte parmi les mauvais élèves européens, ce qui traduit un malaise réel. Néanmoins, les jeunes gens de cette génération ne sont pas déprimés : la dernière enquête IFOP-Medef montre que 83 % d'entre eux pensent que la réussite dans la vie passe par le travail et 73 % sont impatients de travailler.

Mon expérience au sein de Pricewaterhouse Coopers m'a permis de mieux comprendre leurs attentes. Notre groupe est un cabinet de conseil de 3.800 personnes et nous recrutons chaque année en moyenne 500 jeunes diplômés, 200 profils expérimentés et 350 stagiaires. Pour pourvoir ces postes, nous recevons chaque année 16.000 candidatures, principalement d'étudiants de niveau Bac+5 issus de grandes écoles ou de grandes universités. Pour autant, il n'est pas facile d'attirer ces candidats car nous devons faire face à la concurrence d'autres cabinets et de grandes entreprises. Pour cela, nous organisons chaque année un tour de France des grandes écoles. Cette année, nous avons visité 20 campus en faisant intervenir 400 personnes. Cela n'est pas toujours suffisant car, dans nos métiers, les jeunes postulants sont en position de choisir leur premier employeur.

Une étude publiée par la Conférence des grandes écoles fait état de plusieurs évolutions récentes concernant l'insertion des jeunes diplômés. En premier lieu, le taux d'emploi net des jeunes issus des écoles d'ingénieurs avoisine 79 % cette année, contre 72 % l'année dernière. Certes, les élèves issus des grandes écoles connaissent généralement une insertion professionnelle plus facile que ceux issus de l'université, mais je crois que tous les étudiants ont des attentes similaires.

A ce titre, je souhaiterais souligner les conclusions des récents travaux de la commission dont je fais partie. En premier lieu, ces études font apparaître que les jeunes sont en quête de sincérité et d'honnêteté dans le monde du travail. Ils ne veulent pas accepter docilement les oukases d'un patron. Au contraire, ils réclament des explications sur la conduite et les objectifs de l'entreprise. Je ressens également ces attentes au cours des entretiens que je fais passer chez Pricewaterhouse Coopers. Ce besoin apparaît également en amont, au moment de l'orientation. Il faut que les jeunes sachent exactement les débouchés qui s'offrent à la sortie d'une filière.

Leur deuxième attente principale concerne l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée. La dernière enquête montre que les jeunes préfèrent entrer à 51 % dans le monde de l'entreprise contre 34 % dans celui de la fonction publique et 15 % dans le monde associatif. Cependant, ils ne veulent pas pour autant sacrifier leur vie privée, et ce, quel que soit le secteur concerné. Les jeunes ont envie de s'épanouir en dehors du travail et nous devons intégrer cet élément dans nos politiques de recrutement.

Enfin, dans les dernières enquêtes, les jeunes ont exprimé leur refus de la précarité, ce qui rejoint ce que nous avions pu constater lors des manifestations contre le CPE. Là aussi, nous devons trouver des solutions pour répondre à ces attentes. Chaque année, Price Waterhouse Coopers parvient à transformer environ 50 % des conventions de stages en CDI. Certes, cela n'est pas possible pour tout le secteur privé, mais nous devons pouvoir concilier flexibilité et sécurité. Il faut rapprocher les nécessités de l'entreprise avec les aspirations légitimes des jeunes. Malgré ces difficultés, je suis assez optimiste pour les jeunes dans la mesure où le contexte économique marque une certaine reprise, en lien avec le départ à la retraite de la génération du « papy-boom ». De plus, les évènements récents ont démontré la capacité des jeunes à se faire entendre. À nous de savoir les écouter et de trouver des solutions. Nous avons en effet besoin de ces jeunes pour nous développer et ils ont besoin de nous pour trouver un emploi.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci. Je laisse maintenant la parole à Jean-François Martins, représentant du syndicat étudiant FAGE, qui souhaiterait intervenir sur les débouchés des filières universitaires.

Jean-François MARTINS, président de la FAGE

Je voudrais remettre en cause quelques fantasmes et stéréotypes sur l'université. J'entends souvent dire que les universitaires ne sont pas adaptés au marché du travail et qu'il faut pallier cette déficience en revenant sur les fondements mêmes du modèle universitaire en instaurant une sélection à l'entrée de l'université. Je souhaite rappeler quelques éléments à propos des filières (essentiellement les sciences humaines) réputées sans débouchés et dire pourquoi elles constituent au contraire de vraies richesses pour les entreprises et pour notre modèle économique et social.

En premier lieu, sélectionner à l'entrée de l'université contredirait nombre d'engagements qu'a pris la France au cours des dernières années. En effet, une telle réforme remettrait en cause notre modèle universitaire fondé sur le libre accès et irait à l'encontre du processus de Lisbonne, qui vise à faire de l'Europe une société du savoir et de la connaissance. Or nous n'atteindrons pas cet objectif en réduisant le nombre de diplômés. De plus, cette mesure contredirait l'objectif de 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur qui figure dans la loi Fillon. En outre, je ne crois pas que le taux d'échec, universitaire et professionnel, important dans ces filières soit dû au contenu de la formation dispensée, qui s'avère être de grande qualité. En réalité, il me paraît imputable à des problèmes d'orientation en amont desdites études. En effet, l'université est une formation d'excellence dans un grand nombre de disciplines et la seule possible dans certains domaines comme la médecine ou le droit. Nous devons donc améliorer notre capacité à orienter et réorienter les étudiants en échec mais aussi proposer des voies professionnelles rapides à ceux qui souhaitent quitter le système éducatif.

Troisièmement, je considère qu'il serait dangereux pour la France de sacrifier son niveau culturel et social et de renoncer en partie à sa culture humaniste. Enfin, je pense que de nombreux diplômes sont sous-évalués et trop peu considérés par l'ensemble de la société. Contrairement à d'autres pays européens, nous avons trop tendance à retenir pour critère la discipline du diplôme plutôt que son niveau. Dans les pays anglo-saxons, la capacité d'analyse et de traitement d'un problème est certifiée par un diplôme de niveau bac+5 plutôt que par la discipline de la filière.

Deux exemples permettent d'illustrer ce problème. Je suis sûr que le public présent dans cette salle ne serait pas choqué à l'idée de confier à un titulaire d'un Master d'Histoire de l'Art la direction d'un chantier archéologique. Or, si celui-ci est en mesure d'effectuer cette mission, il serait aussi certainement capable de conduire un chantier de BTP, car ces deux activités font appel aux mêmes aptitudes (capacité d'analyse, gestion d'une équipe). Cependant, passer de l'une à l'autre activité est trop souvent difficile, en raison d'une culture disciplinaire encore trop forte dans un grand nombre de professions.

En outre, il y a quelques semaines, les étudiants en STAPS étaient mobilisés pour l'augmentation du nombre de postes ouverts aux concours d'enseignement. À cette occasion, j'ai pu remarquer à de nombreuses reprises qu'ils étaient uniquement considérés comme de futurs professeurs d'EPS. Or les études de STAPS offrent des débouchés vers plus de 25 métiers possibles, non seulement dans l'enseignement du sport mais aussi le tourisme ou l'animation socio-culturelle. De plus, cette filière a un des meilleurs taux d'insertion professionnelle : plus de 80 % des jeunes trouvent un emploi dans les six mois suivant l'obtention de leur diplôme.

Enfin, pour finir sur une pointe d'humour, si l'université avait mis en place un système de sélection à l'entrée, en particulier pour les sciences humaines, Laurence Parisot n'aurait peut-être jamais pu faire des études de sociologie et mener la carrière qu'elle a connue.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Merci pour ce témoignage. Il y a en effet de nombreux problèmes à régler dans les domaines de l'orientation et de la sélection. Le prochain intervenant est de nouveau un représentant du monde de l'entreprise. Il s'agit de Stéphane Roussel, directeur général des ressources humaines de SFR. Sensible au thème de l'insertion professionnelle des jeunes diplômés, vous avez imaginé et créé une formule de tutorat au sein de votre entreprise.

Stéphane ROUSSEL, directeur général des ressources humaines de SFR

Je voudrais d'abord réagir aux propos que j'ai entendus, en essayant de tempérer quelque peu leur optimisme. Je partage l'idée selon laquelle une réforme globale du système de formation est nécessaire, car les mondes de l'éducation et du travail sont hermétiquement séparés dans notre pays. Cette caractéristique n'est d'ailleurs pas propre aux pays latins, mais uniquement spécifique à la France. Les formations (qu'elles soient dispensées en université ou dans les grandes écoles) y sont élaborées à la demande des professeurs et des élèves et non par rapport aux besoins du marché du travail. C'est pour pallier ce manque que les entreprises sont obligées de fortement investir dans la formation. Certes, nous devons préserver notre modèle consistant à donner à chacun une culture générale de haut niveau. Pour autant, nous devons aussi être capables de préparer les étudiants à exercer un emploi. Dès le collège, la formation dispensée insiste sur le savoir, évoque quelque peu le savoir-faire mais très peu le savoir-être. Ainsi, le développement personnel n'est pas considéré comme une matière indispensable pour réussir, de sorte qu'il existe un décalage important entre le monde de l'éducation et le monde du travail. A cet égard, la seule exception dans notre système éducatif est la maternelle, qui est la seule étape où l'on dispense un enseignement global.

Quelles sont les solutions envisageables pour résoudre ces inadéquations ? Selon moi, le problème ne provient pas des étudiants : ceux-ci ont généralement un bon niveau et sont capables d'entrer rapidement dans la vie professionnelle. Nous devons simplement leur enseigner les codes et les règles propres au monde de l'entreprise.

Au sein de SFR, nous avons voulu créer un système de tutorat permettant aux jeunes d'acquérir ces aptitudes. Nous sélectionnons des jeunes issus de zones urbaines sensibles et qui possèdent un niveau Bac+2 et nous les aidons à acquérir un diplôme d'ingénieur en leur trouvant un tuteur parmi les collaborateurs de l'entreprise. Ces parrains insistent surtout sur les codes, les valeurs et les règles propres au monde du travail, qui permettront aux jeunes de trouver un emploi et de s'y maintenir.

Ce système s'est avéré être une réussite. D'une part, de nombreux étudiants ont demandé à être parrainés, car ils sont à la recherche d'un autre enseignement que celui qui est prodigué par l'école. D'autre part, de nombreux employés de notre groupe se sont portés candidats pour être tuteurs, de sorte que nous avons dû augmenter nos capacités d'accueil. Nous pensons que ce modèle peut être étendu à d'autres entreprises. C'est pourquoi nous l'avons présenté au ministre de l'éducation la semaine dernière, qui a exprimé son souhait d'étendre cette mesure.

L'aspect innovant de ce système est que les parrains ne sont pas des étudiants qui ne connaissent pas le monde du travail, mais bien des professionnels de l'entreprise qui peuvent communiquer leur expérience. En outre, c'est un outil simple, peu onéreux à mettre en place, et qui ne nécessite pas de changement de législation. Enfin, je crois que l'entreprise n'est pas la seule à être consciente du problème des jeunes diplômés et à prendre des initiatives : le système éducatif et l'Etat créent également des passerelles entre le monde universitaire et le secteur privé. C'est pourquoi je pense que nous sommes dans la bonne direction pour mettre un terme au problème de l'intégration professionnelle des jeunes.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Combien d'étudiants avez-vous déjà formés par ce dispositif ?

Stéphane ROUSSEL

Cette année, 145 étudiants ont été parrainés par des employés de SFR, et ces partenariats seront reconduits l'année prochaine. Nous estimions à 20 le nombre de collaborateurs qui se porteraient candidats pour être tuteurs, mais, dans les faits, nous avons reçu cinq fois plus d'offres, ce qui nous a permis de parvenir au chiffre de 145 parrainages. En effet, un tuteur peut parfois prendre en charge plusieurs élèves. Malgré tout, il nous est difficile d'étendre ce système au sein de SFR car toutes les offres sont déjà pourvues. C'est pourquoi nous avons présenté ce système à des directeurs des ressources humaines d'autres groupes français, et nous pouvons ainsi nous réjouir que des expériences similaires soient organisées dans d'autres entreprises. En outre, le ministère de l'éducation veut également étendre ce modèle à grande échelle et de façon très pragmatique, sans recourir à une loi.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Bernard Van Craeynest, le président de la CFE-CGC, souhaite intervenir sur les thèmes de l'orientation et de la formation.

Bernard VAN CRAEYNEST, président de la CFE-CGC

Nous oublions trop souvent que le système éducatif n'est qu'un moyen pour amener les jeunes à être des citoyens instruits susceptibles de s'épanouir dans la société et de s'insérer dans le monde de l'entreprise. Pour accomplir ce parcours difficile, les jeunes doivent commencer le plus tôt possible leur apprentissage du monde de l'entreprise, et donc pouvoir être orientés à toutes les étapes de l'adolescence. J'ai moi-même une fille titulaire d'une licence professionnelle. Lorsque s'est posée la question de son parcours universitaire alors qu'elle était en terminale L, nous avons eu des frictions lorsqu'elle a déclaré vouloir s'inscrire en philosophie. Je lui ai demandé de préparer d'abord un diplôme professionnalisant avant de faire ce qu'elle voulait. Elle a donc commencé par un BTS avant de présenter une licence professionnelle.

Cette expérience m'a fait prendre conscience que les aspirations et les utopies des parents ne correspondent pas toujours à ce dont les jeunes aspirent pour leur avenir. C'est pourquoi, au sein de la CFE-CGC, nous voulons mettre en place un « passeport orientation-formation ». Ce système vise à instaurer une rencontre annuelle entre les quatre acteurs de la formation de l'étudiant : le jeune lui-même, pour qu'il exprime ses propres aspirations ; ses enseignants, pour qu'ils fassent part de leurs appréciations sur les aptitudes et les résultats de l'élève ; les parents, pour qu'ils prennent conscience des possibilités qui s'offrent à leur enfant et les professionnels de l'orientation, pour qu'ils donnent leur avis sur les filières envisageables.

Bien évidemment, nous sommes conscients que les besoins des entreprises sont variables et évolutifs. Cependant, j'ai beaucoup apprécié l'exemple de mon voisin sur le diplômé en Histoire de l'Art qui serait capable de passer de la conduite d'un site archéologique à la gestion d'un chantier de BTP. Moyennant un complément de formation technique, ce type de passerelles peut s'envisager pour de nombreux métiers. Il est nécessaire pour cela de développer la formation tout au long de la vie afin que nous puissions nous adapter aux changements des besoins des entreprises. Ce processus doit commencer dès le cursus initial. Par exemple, l'apprentissage des langues et des cultures est important pour tout citoyen salarié, qui sera de plus en plus amené à intervenir à l'étranger dans le cadre de son travail. Connaître les cultures que l'on rencontre permet ainsi d'éviter des déconvenues. Nous devons donc développer des processus de formation dès le collège et tout au long de la vie. `

De plus, je souhaiterais réagir sur les stéréotypes que les Français ont développés vis-à-vis de certains métiers. La France compte de nombreuses professions non délocalisables dans des spécialités qui ne jouissent pas toujours d'une très bonne image de marque. Nous devons nous efforcer d'améliorer cette réputation. À la fin des années 1970, le Secrétaire d'État Lionel Stoléru avait été chargé de revaloriser le travail manuel. Force est de constater que l'image de ces métiers n'a pas beaucoup évolué 25 ans plus tard. Enfin, je remarque que les échanges que nous avons eus montrent que nous avons tous des idées à partager pour que les mondes de l'entreprise et de l'université se rejoignent. Nous ne devons pas en oublier la finalité : faire en sorte que le plus grand nombre d'entre nous puisse trouver un emploi tout au long de sa vie active.

Jean-Claude LEWANDOWSKI

Dernier de nos grands témoins, Geoffroy Roux de Bezieux est président de « The Phone House » et de CroissancePlus, qui réunit les entreprises à fort potentiel de développement. Vous souhaitez intervenir sur l'exception française que constitue « le culte du diplôme ».

Geoffroy ROUX DE BEZIEUX, président de The PhoneHouse, président de CroissancePlus

Mon propos sera quelque peu différent de ce que j'ai entendu jusqu'à présent. Je suis chef d'entreprise et j'embauche entre 800 et 900 jeunes par an. Cependant, à la différence de Price Waterhouse Coopers, ce sont des étudiants de niveau bac, bac pro ou quelquefois bac+2. Nous avons beaucoup de difficulté à recruter car nos métiers sont difficiles. Si nous proposons un salaire modéré (généralement SMIC + 20 %), nous offrons en contrepartie d'importantes perspectives de carrière : nos collaborateurs peuvent gravir rapidement les échelons de l'organisation. Ainsi, notre comité de direction comprend aujourd'hui deux jeunes trentenaires : l'un a commencé comme magasinier à 18 ans, l'autre comme vendeur à 19 ans. Nous jouons donc le rôle d'ascenseur social en contrepartie de notre manque de réputation. Nous ne jugeons ni la formation, ni la qualité du diplôme, ni même la filière, mais les qualités humaines du candidat.

Je crois qu'il existe une méfiance réciproque entre les jeunes et les entreprises et ces dernières en sont en grande partie responsables. Dans les années 1970, la majorité des patrons des groupes du CAC 40 n'étaient pas ou peu diplômés. Ainsi, le directeur de la filiale de l'Oréal pour laquelle je travaillais, avait commencé par être représentant commercial après la guerre. Néanmoins, la crise économique a conduit les directions des ressources humaines des grands groupes à prendre moins de risques. Le diplôme est donc devenu une forme de réassurance, ce qui est positif pour ceux qui sortent de grandes écoles (seulement 5 % des étudiants), mais qui peut aussi conduire à une sclérose des classes dirigeantes. Aujourd'hui, tous les grands responsables de L'Oréal ont fait leurs études à HEC, Centrale, l'Essec ou Polytechnique. Cette homogénéité de l'origine universitaire des dirigeants d'entreprise n'a pas son équivalent dans le monde. Nous sommes le seul pays où l'on se présente encore comme polytechnicien à 55 ans. Aux Etats-Unis, il importe peu de savoir dans quelle université une personne a étudié il y a 20 ou 30 ans. Au contraire, il s'agit de savoir ce qu'elle a accompli au cours de son parcours professionnel. De même, dans les pays anglo-saxons, on juge un candidat sur sa capacité à raisonner et non sur la matière qu'il a étudiée.

Cependant, les étudiants sont aussi responsables de cette inadéquation avec le monde de l'entreprise. J'ai par exemple été très frappé des propos d'un étudiant à l'issue d'un débat télévisé sur le CPE : « Je n'ai pas fait quatre ou cinq ans d'études pour finir avec un CDD dans un centre d'appel ». Cette remarque sous-entend qu'une longue formation donne obligatoirement droit à un poste de cadre supérieur. Dans la pratique, cela n'est pas vrai car les entreprises jugent les qualités humaines et non la formation.

Je ne crois pas à une formation au métier qui permette d'adapter en permanence les compétences des employés, mais plutôt à une formation générale qui puisse servir tout au long de la vie. En contrepartie, les jeunes doivent accepter de faire leurs preuves pendant les premières années de leur vie en entreprise. En échange, l'entreprise doit leur offrir des perspectives de carrière satisfaisantes. Tel est mon point de vue sur la question de l'inadéquation entre le monde universitaire et le monde de l'entreprise, mais je souligne qu'il est partagé par nombre de mes collègues d'entreprise en croissance, qui sont confrontés aux mêmes difficultés de recrutement.

Enfin, je voudrais intervenir sur le concept de déclassement d'un métier ou d'une activité. Je ne crois pas que travailler dans un centre d'appel ou un magasin revient à être déclassé : cela dépend de la perspective de carrière qu'offre l'entreprise. Si le chef d'entreprise sait donner de vraies chances à ceux qu'il recrute, alors il existe une véritable équité entre l'employé et l'employeur. Si ce dernier les maintient à un poste subalterne au motif qu'ils n'ont pas fait de grande école, alors il y a là un vrai déclassement.

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