Rapport d'information n° 13 (2007-2008) de M. Louis de BROISSIA , fait au nom de la commission des affaires culturelles, déposé le 4 octobre 2007

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N° 13

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 octobre 2007

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires culturelles (1) sur la crise de la presse ,

Par M. Louis de BROISSIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Ambroise Dupont, Jacques Legendre, Serge Lagauche, Jean-Léonce Dupont, Ivan Renar, Michel Thiollière, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Pierre Martin, David Assouline, Jean-Marc Todeschini, secrétaires ; M. Jean Besson, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Yannick Bodin, Pierre Bordier, Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Pierre Chauveau, Gérard Collomb, Yves Dauge, Christian Demuynck, Mme Béatrice Descamps, MM. Denis Detcheverry, Louis Duvernois, Jean-Paul Émin, Mme Françoise Férat, M. Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Philippe Goujon, Jean-François Humbert, Mme Christiane Hummel, MM. Soibahaddine Ibrahim, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Pierre Laffitte, Alain Le Vern, Simon Loueckhote, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Jean-Luc Mélenchon, Mme Colette Mélot, M. Jean-Luc Miraux, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jean-François Picheral, Jack Ralite, Philippe Richert, Jacques Siffre, René-Pierre Signé, Robert Tropéano, André Vallet, Jean-François Voguet.

« La lecture des journaux

est la prière du matin

de l'homme moderne. »

Hegel

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Reflet d'une Nation, d'une région, d'une société, expression d'une culture, d'une vie démocratique, la presse quotidienne demeure un produit magique qu'il faut chaque jour réinventer. Cette presse d'information qui rentrait dans tous les foyers, entraînait un sentiment d'appartenance et favorisait l'échange conserve certes ses inconditionnels ! Votre rapporteur en fait partie...

Mais l'époque où la non parution trois semaines durant du quotidien Sud Ouest perturbait à ce point la belle province d'Aquitaine que les sociologues s'y penchèrent des années durant est bel et bien révolue. Ces « quarante pages blanches, qui, chaque matin, vont se remplir de publicité, de petites annonces, de titres, de textes et de photo » selon l'heureuse formule de Jean Miot 1 ( * ) sont en effet ostensiblement délaissées par un public séduit par des médias concurrents proposant une information continue, accessible ... et souvent gratuite.

Créé par la commission des affaires culturelles du Sénat le 23 janvier 2007, le groupe de travail sur la crise de la presse quotidienne d'information politique et générale a ouvert ses portes à tous les acteurs du secteur afin d'identifier les causes de ce déclin et de faire des propositions concrètes visant à inverser cette tendance.

Au terme de ses travaux, il a proposé à la commission cinq pistes de réflexion tendant à favoriser la reconquête du lectorat, faciliter la prise en main du « produit presse » par les jeunes générations, accélérer l'entrée des entreprises de presse dans l'univers numérique et conforter le statut des journalistes. Ces pistes prennent des formes variées adaptées à la diversité des enjeux : décisions internes aux entreprises de presse, modifications législatives et évaluation des politiques d'aides publiques.

La mise en oeuvre rapide de ces préconisations permettrait de sortir d'une situation regrettable tant pour le pluralisme de l'information que pour le bon fonctionnement de notre démocratie. Elle contribuerait surtout à écarter le risque d'avoir à s'écrier, le jour venu, à la manière de Bossuet : « La presse quotidienne se meurt, la presse quotidienne est morte » !

« Déclin : Etat de ce qui diminue, commence à régresser.

Crise : Aggravation brusque d'un état chronique. »

Le Petit Robert

I. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DÉPASSÉ ?

La presse quotidienne est en crise ! L'information paraît tellement banale qu'elle ne provoque plus que regards fatigués et sourires entendus. Inlassablement répété par une partie des représentants du secteur pour attirer à bon compte l'attention des pouvoirs publics sur le déclin d'un média nécessaire au bon fonctionnement de notre régime démocratique, le message semble avoir perdu sa force mobilisatrice.

Ce message reflétait jusqu'alors une situation qui, sans être catastrophique, n'en demeurait pas moins préoccupante. Il traduisait d'abord les craintes d'une profession toute entière face à l'émergence de nouveaux concurrents susceptibles de détourner l'attention des lecteurs et les investissements des annonceurs. Il relayait également les inquiétudes d'un secteur conscient de sa vulnérabilité : M. Philippe Boegner, directeur de Paris Match , soulignait déjà en 1969 que « les trois handicaps de la presse française s'appellent : manque de capitaux, manque de publicité, manque d'esprit d'entreprise ». De manière plus pragmatique, il permettait de justifier, année après année, le maintien du fameux « régime économique de la presse » et l'augmentation progressive des crédits budgétaires qui le composent.

Ce message est pourtant plus que jamais d'actualité. A l'image de Libération , qui vient d'obtenir une nouvelle prorogation de la procédure de sauvegarde 2 ( * ) sous laquelle son éditeur est placé depuis le 4 octobre 2006, tous les titres de la presse quotidienne d'information politique et générale française doivent résoudre une équation économique délicate caractérisée par une baisse continue des recettes et le maintien de coûts de production élevés.

A. UN EFFET DE CISEAU QUI S'AMPLIFIE

Il suffit de parcourir les titres d' Info-Médias , analyse annuelle du secteur de la presse écrite établie par la Direction du développement des médias, pour prendre la mesure des difficultés du secteur : La presse écrite en 2006 : la crise perdure ; La presse écrite en 2005 : encore une année difficile ; La presse écrite en 2004 : une reprise plus apparente que réelle ...

Tout particulièrement, la presse quotidienne payante d'information politique et générale est victime d'un effet de ciseau provoqué par la contraction de ses recettes et le maintien de coûts fixes élevés. Ce phénomène ayant déjà été décrit et analysé avec brio dans de nombreux rapports récents 3 ( * ) , votre rapporteur se contentera d'en rappeler simplement, mais clairement, les données principales.

1. Une réduction drastique des recettes de la presse quotidienne

Les Français ont pour la presse quotidienne un bien maigre appétit. Cela peut paraître paradoxal pour un pays qui a joué un rôle de première importance dans l'histoire de ce secteur et, plus généralement, dans le combat pour la liberté d'expression et de l'information.

Qu'il semble loin le temps où, à l'aube de la première guerre mondiale, les Français pouvaient se vanter d'être les plus gros consommateurs de quotidiens au monde !

Mais c'est ainsi : lecteurs et annonceurs, séduits par d'autres médias, désertent progressivement une presse quotidienne dont les « grandes heures » semblent définitivement appartenir au passé.

a) Des lecteurs de plus en plus rares

La patrie d'Emile Girardin, qui introduisit la « réclame » dans la presse, et de Polydore Millaud, créateur du journal populaire à un sou, voit la diffusion de sa presse quotidienne se réduire telle une peau de chagrin.

Trente et unième à l'échelle mondiale, notre pays se situe seulement, comme le montre le tableau ci-après, au douzième rang européen pour la diffusion des quotidiens. Avec moins de 160 exemplaires diffusés pour 1 000 habitants, il se classe derrière la Belgique mais - maigre consolation - devant l'ensemble des pays du sud du continent.

QUOTIDIENS

NOMBRE D'EXEMPLAIRES DIFFUSÉS POUR 1000 HABITANTS

Source : WAN (World association of Newspaper)

Notre pays ne compte ainsi plus aucun quotidien payant atteignant ou dépassant le million d'exemplaires diffusés, alors que le Royaume-Uni, de population équivalente, en compte cinq. A l'échelle mondiale, le tableau ci-dessous permet de constater que le premier quotidien hexagonal, le grand titre régional Ouest France , ne se classe qu'à la 76 e place du classement, à des « années lumière » des principaux quotidiens japonais.

LES 10 QUOTIDIENS PAYANTS LES PLUS DIFFUSÉS AU MONDE

POSITION DU QUOTIDIEN FRANÇAIS EN 2005

En milliers d'exemplaires par jour

Source : WAN (World association of Newspaper)

En tendance, les chiffres de la diffusion de la presse en France sont encore moins flatteurs : tous les indicateurs sont dans le rouge. Comme le souligne non sans euphémisme le dernier exemplaire d' Info-Médias , « la crise semble s'installer durablement » .

Une analyse des dix dernières années permet de constater une diminution régulière mais prononcée de la diffusion des 12 quotidiens nationaux depuis l'an 2000. Comme le montre le graphique ci-dessous, la diffusion payée France de cette catégorie de presse est passée selon l'OJD de l'indice 103 à l'indice 92 entre 2000 et 2006.

ÉVOLUTION DE LA DIFFUSION FRANCE PAYÉE DE LA PQN

Source : OJD

La tendance observée en matière de presse quotidienne nationale (PQN) est encore accentuée en matière de presse quotidienne régionale (PQR) et départementale. Depuis la base 100 située en 1996, cette catégorie de presse a connu une érosion régulière et prononcée de sa diffusion : celle-ci atteint seulement 87 en 2006.

ÉVOLUTION DE LA DIFFUSION FRANCE PAYÉE DE LA PQR

Source : OJD

Flagrante sur une longue période, l'ampleur de la désaffection du lectorat vis-à-vis de la presse quotidienne se constate aussi à l'aune d'éléments plus ponctuels. Compte tenu de l'actualité politique du premier semestre de l'année 2007, les derniers chiffres de l'OJD relatifs à la période juillet 2006-juin 2007 sont ainsi particulièrement parlants quant aux rapports qu'entretiennent les Français avec ce média.

En dépit de la ferveur populaire entourant l'élection présidentielle et du regain d'intérêt de la population pour le débat d'idées à l'occasion de cette échéance politique majeure, force est de constater que la diffusion des principaux quotidiens nationaux a relativement peu augmenté sur la période concernée .

Si la diffusion payée d' Aujourd'hui en France a bondi de 9 %, la courbe de progression des ventes des autres quotidiens payants généralistes est plus nuancée : la diffusion du Monde a ainsi progressé de 2,1 % (soit 6 600 exemplaires supplémentaires par jour seulement sur la période), celle du Figaro de 3,2 % (soit 10 400 exemplaires supplémentaires), celle de La Croix de 2,3 % alors que celle de Libération a reculé de 2,2 % et celle de l'Humanité de plus de 1,5 %.

Dans ces conditions, comme le souligne M. Daniel Junqua 4 ( * ) , « on comprend aisément que les éditeurs préfèrent ne pas trop s'appesantir sur les ventes et mettent plutôt l'accent sur l'audience qui rassemble l'ensemble des lecteurs, acheteurs ou non. » Selon la dernière étude EPIQ 5 ( * ) réalisée par sondage auprès d'un échantillon représentatif de la population, 47,4 % des Français âgés de quinze ans ou plus affirment lire chaque jour au moins un quotidien, ce qui représente plus de vingt-trois millions de personnes.

Ce chiffre, plus flatteur que celui du nombre d'exemplaires diffusés en moyenne par jour (7,6 millions selon l'OJD) et que celui du tirage total par jour (un peu moins de 9,8 millions selon la Direction du développement des Médias) est en effet plus à même de motiver publicitaires et annonceurs.

Il n'en demeure pas moins que plus d'un Français sur deux ne lit plus de quotidiens, alors que la quasi-totalité des foyers est aujourd'hui équipée de plusieurs postes de radio, d'au moins un téléviseur et pourra, dans un proche avenir, bénéficier d'une connexion internet à haut débit.

b) Des recettes publicitaires qui fuient vers d'autres médias

Frappée par une lente mais inexorable décrue de sa diffusion payée, la presse quotidienne française connaît également une diminution régulière de ses ressources publicitaires. Il convient en ce domaine de distinguer l'évolution des annonces commerciales et des petites annonces.

(1) La presse quotidienne payante : un média délaissé par les annonceurs ?

Concernant les annonces commerciales, la presse quotidienne, comme les autres médias, est dépendante d'un marché étroit qui, depuis 2000, peine à retrouver le chemin de la croissance. Deux remarques principales peuvent être tirées de l'analyse des données chiffrées collectées par l'Institut de recherches et d'études publicitaires (IREP).

D'une part, comme le montre le tableau ci-après, la presse en général et la presse quotidienne nationale en particulier restent à l'écart de la reprise publicitaire constatée en 2006 . Contrairement à la progression enregistrée par la télévision, le cinéma, la presse gratuite ou encore internet, les recettes publicitaires de la PQN ont diminué de 3,5 % au cours de l'année passée dans un contexte pourtant favorable aux médias dans leur ensemble (+ 3,9 % en moyenne).

INVESTISSEMENTS NETS GRANDS MÉDIAS 2006

Montant en M€

Parts de marché

Évolution 2006/2005

Total presse

4 507

13,9 %

+ 1,7 %

quotidiens nationaux

290

0,9 %

- 3,5 %

quotidiens régionaux

791

2,4 %

+ 1,0 %

magazines

1 558

4,9 %

- 1,5 %

presse gratuite

1 080

3,3 %

+ 7,9 %

Radio

1 001

3,1 %

+ 1,5 %

Télévision

4 209

12,9 %

+ 4,5 %

Internet 6 ( * )

542

1,7 %

+ 42,0 %

Total médias

11 799

36,3 %

+ 3,9 %

Total hors-médias

20 722

63,7 %

+ 1,1 %

Total marché

32 521

100,0 %

+ 2,1 %

Source : France Pub- Irep

D'autre part, la lecture des données internationales permet de mettre en évidence le faible intérêt des annonceurs pour la presse quotidienne française . Si ce média représente dans la plupart des pays industrialisés plus de 13 % de la totalité des investissements publicitaires nets, la France est loin d'atteindre de tels niveaux puisque les investissements nets dans la presse quotidienne hexagonale ne dépassent pas les 9 % de l'ensemble.

LES INVESTISSEMENTS MÉDIAS DES ANNONCEURS EN EUROPE
ET DANS LE MONDE EN 2006

Allemagne

Espagne

France

Italie

Royaume-
Uni

Etats-Unis

Japon

Investissements médias/PIB

0,72 %

0,75 %

0,65 %

0,66 %

0,91 %

1,09 %

0,86 %

Presse

51,7 %

30,6 %

35,2 %

28,7 %

35,3 %

28,7 %

28,3 %

presse quotidienne

16,7 %

18,5 %

9,0 %

13,3 %

13,9 %

17,6 %

19,8 %

presse gratuite

12,8 %

0,0 %

9,3 %

0,0 %

4,2 %

nd

nd

presse magazine grand public

15,2 %

7,4 %

12,8 %

13,5 %

11,1 %

8,4 %

8,5 %

Radio

4,9 %

8,9 %

8,2 %

5,9 %

4,6 %

12,1 %

3,8 %

Télévision

31,9 %

49,7 %

37,6 %

54,8 %

37,8 %

43,0 %

45,7 %

Publicité extérieur

5,9 %

7,4 %

11,6 %

7,4 %

9,2 %

3,8 %

11,7 %

Internet

4,7 %

2,8 %

6,3 %

2,5 %

11,6 %

12,4 %

10,5 %

Source : Ad Barometer - nd : non disponible

Autant dire qu'en matière de publicité commerciale, la presse quotidienne française cumule trois handicaps majeurs :

- elle évolue sur un marché publicitaire de taille réduite : comme l'indique le tableau ci-dessus, les dépenses nettes des annonceurs dans les médias français ne représentent que 0,65 % du produit intérieur brut ;

- elle doit partager cette ressource limitée avec des concurrents nombreux et dynamiques : la presse gratuite et, dans une moindre mesure, internet ont ainsi réussi en très peu de temps à prendre des positions très fortes auprès des annonceurs ;

- en comparaison de ses principaux homologues européens, elle ne capte plus qu'une faible part des investissements publicitaires nets , phénomène qui réduit mécaniquement ses marges de manoeuvre en cas de retournement du marché publicitaire ou de poursuite du transfert constaté vers les autres médias.

(2) Vers la disparition des petites annonces des colonnes de la PQN ?

L'évolution des recettes de petites annonces est plus contrastée entre les différentes catégories de presse quotidienne d'information politique et générale.

S'agissant de la presse quotidienne nationale, les résultats de l'enquête statistique annuelle sur la presse écrite menée par la Direction du développement des médias révèlent que les recettes de petites annonces se sont contractées de 4,6 % en 2006. Si celles-ci comptaient pour 320 millions d'euros dans les recettes de la presse nationale d'information en 1990, elles ne représentent plus aujourd'hui que 70 millions d'euros soit à peine 5 % du chiffre d'affaires total de cette catégorie de presse.

A contrario, les résultats obtenus par la presse locale incitent à l'optimisme. Celle-ci a su en effet maintenir et même renforcer la part des petites annonces dans ses recettes commerciales. Ces annonces ont progressé de 42 % depuis 1990 et représentent désormais près de 17 % de ses recettes.

On peut en conclure que le support des journaux locaux est mieux adapté aux petites annonces que les quotidiens nationaux généralistes. Les petites annonces publiées autrefois dans ces derniers ont massivement migré vers les journaux gratuits et internet, ce qui conduit à s'interroger sur l'avenir de cette catégorie d'annonces et de recettes dans les pages et les bilans de la presse quotidienne nationale payante.

2. Des coûts qui demeurent élevés

Si les recettes de la presse quotidienne diminuent du fait de la réduction progressive du nombre de lecteurs et du développement de la concurrence sur le marché publicitaire, les coûts du papier, de fabrication et de distribution peinent à suivre la même voie.

a) La progression du prix du papier

Parmi les postes de dépenses des entreprises de presse, le prix du papier est celui qui connaît l'évolution la plus inquiétante.

Comme l'indique le tableau ci-dessous, l'évolution récente des cours du papier est orientée à la hausse de façon constante depuis 2002. Les prix retrouvent progressivement les valeurs observées au début de la décennie sans cependant se stabiliser sur le point haut constaté d'un cycle quinquennal, observable depuis 1990 où le prix moyen s'établissait déjà à 800 dollars par tonne, soit largement au-dessus du prix moyen actuel.

PRIX INTERNATIONAL DE LA PÂTE À PAPIER

En $ par tonne

2002

2003

2004

2005

2006

Juin 2006

Prix

462.9

523.6

615.9

610.8

627.6

671.8

Source: Bulletin mensuel de statistiques, INSEE.

Au niveau national, après plusieurs années de croissance à un rythme soutenu, d'un peu plus de 3 % l'an, la consommation de papier met un terme au mouvement de baisse entamé en 2001, régression due aux effets de la dégradation de la conjoncture du marché publicitaire sur la pagination. La tendance récente de la demande en matière de papier de presse est tributaire de l'apparition de la presse gratuite d'information générale et politique dans l'économie de la presse.

Il convient toutefois de rappeler que c'est finalement la demande internationale qui dictera l'évolution future des prix et de la consommation de papier de presse , en particulier celle de la Chine dont les quotidiens ont d'ores et déjà ravi la première place au Japon dans le classement des pays publiant le plus grand nombre de titres sur les 100 plus importants tirages de la planète.

b) Des coûts de fabrication et de diffusion parmi les plus élevés d'Europe ?

La plupart des études publiées sur la presse au cours des dernières années ont souligné, pour le regretter, le niveau élevé des coûts fixes d'impression et de distribution imposés à la presse quotidienne. Ils représentent en effet près de la moitié du prix de vente d'un titre français.

En matière d' impression , la France se caractérise toujours par des coûts de production plus élevés que la moyenne européenne. Cette situation résulte moins du niveau des salaires individuels que des sureffectifs négociés par le syndicat de Livre au cours des différents conflits sociaux ayant accompagné la modernisation du secteur.

Interrogé sur le sujet, M. Marc Norguez, secrétaire général du syndicat général du livre et de la communication écrite, s'est néanmoins montré rassurant tant sur le niveau des salaires que sur celui des effectifs : « Les salaires des conducteurs de rotatives allemands, belges ou espagnols sont identiques à ceux des Français. Les différences qui existaient portaient sur les effectifs autour des machines, qui, à une époque, étaient confortables. C'était lié à un processus de travail qui nécessitait à certains moments beaucoup de monde. » A croire que cette époque est désormais révolue ...

Lors de son audition par le groupe de travail, Mme Valérie Decamp, directrice générale de Metro France , à l'image de la totalité des éditeurs, a quant à elle proposé un éclairage plus nuancé sur la situation actuelle dans les imprimeries du Livre : « Toute la presse est victime [de ces coûts élevés]. »

Elle a surtout souligné les conséquences économiques de cette situation : « Sans cela, Metro aurait pu être rentable deux ans plus tôt. Pour la presse payante, les répercussions se font sur le prix de vente, ce qui a des conséquences sur l'achat de la presse par les jeunes générations qui sont habituées à la culture du gratuit et qui disposent d'un budget limité. »

En matière de distribution , la situation doit être nuancée. Elle est en effet plus favorable que certains éditeurs veulent bien le laisser entendre. En effet, le coût d'intervention des messageries a considérablement diminué sous l'effet des plans successifs de restructuration des NMPP et se situe aujourd'hui dans la moyenne des autres pays européens.

B. LES QUOTIDIENS LES MOINS RENTABLES D'EUROPE

La baisse des ventes, la stagnation des recettes publicitaires et le niveau relativement élevé des coûts fixes contribuent à faire des quotidiens français des titres peu rentables.

La rentabilité opérationnelle 7 ( * ) des quotidiens français s'est élevée à 3,4 % en moyenne entre 1996 et 2005, ce qui paraît extrêmement faible pour payer les intérêts des emprunts, mener de nouveaux investissements et rémunérer les capitaux investis. De fait, depuis 2002, le secteur de l'édition de journaux enregistre des pertes comprises entre 56 et 175 millions d'euros par an.

ÉVOLUTION DU RÉSULTAT NET ET DE LA RENTABILITÉ OPÉRATIONNELLE
DU SECTEUR DE L'ÉDITION DE JOURNAUX

Le tableau ci-dessous, présenté dans le rapport de M. Marc Tessier 8 ( * ) , permet même de constater que le secteur de la presse quotidienne française dispose de l'une des plus faibles rentabilités constatées dans l'Union européenne. Les standards hexagonaux en ce domaine paraissent extrêmement dégradés en comparaison de ceux caractérisant leurs homologues européens.

COMPARAISON INTERNATIONALE DES MARGES OPÉRATIONNELLES
DES SECTEURS DES MAGAZINES ET DES JOURNAUX

Source : Commission européenne

Ces résultats financiers inquiétants ont une double conséquence pour la presse quotidienne française.

Ils obèrent, d'une part, la capacité des quotidiens français à réaliser les investissements nécessaires à la modernisation de leur outil de production. C'est ce que M. Jérôme Seydoux, alors patron du groupe Chargeurs, exprimait en déclarant : « si la presse quotidienne française est constamment en crise, c'est en raison de sa pauvreté. Une affaire ne peut pas se moderniser dans la pauvreté. »

Ils ne sont pas de nature, d'autre part, à inciter des investisseurs à apporter des capitaux propres supplémentaires pourtant indispensables au financement des projets de développement des sociétés de presse, notamment dans le numérique.

II. DES RESPONSABILITÉS PARTAGÉES

Comment en est-on arrivé là ? Comment une presse quotidienne qui fut longtemps la première du monde a-t-elle pu se couper progressivement de ses lecteurs ? Comment un secteur, autrefois si florissant, peut-il aujourd'hui se retrouver dépendant des subsides publics ?

Le nouvel Economiste 9 ( * ) , dans un numéro spécial consacré au sujet, avançait une explication : « Soixante années d'interventionnisme, d'archaïsmes et de corporatismes ont eu raison d'une ambition fondamentale : une presse quotidienne puissante et pluraliste, à même de jouer son rôle de relais d'opinion auprès du plus grand nombre. »

Les auditions menées par le groupe de travail ont effectivement permis à ses membres de prendre conscience de l'enchevêtrement des causes permettant d'appréhender la situation actuelle. Ce travail a surtout validé l'idée d'une responsabilité collective des différents acteurs du secteur que les figures récurrentes du rotativiste du Livre, de l'éditeur de gratuit, ou, plus récemment du bloggeur - ont trop souvent permis de dissimuler.

A. LES NOUVEAUX CONCURRENTS

Il est difficile d'analyser la situation actuelle de la presse quotidienne payante sans prendre en compte son environnement immédiat. Or celui-ci est fortement concurrentiel : si la presse écrite est longtemps restée le principal vecteur de diffusion de l'information, il n'en est plus de même aujourd'hui.

La multiplication des médias et leur spécialisation tend même à provoquer une saturation du marché de l'information, celle-ci étant disponible n'importe où et n'importe quand. Lors de son audition par le groupe de travail, M. Rémy Pfimlin, directeur général des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP), illustrait ce phénomène en posant la question de la manière suivante : « avez-vous dernièrement appris une information inédite par voie de presse ? »

1. Les gratuits ou le retour en grâce du papier journal

Fortement chahutés lors de leur apparition sur le marché français, les quotidiens gratuits d'information constituent une véritable révolution en matière de presse. Perturbant le rapport traditionnel entre le lecteur et l'annonceur 10 ( * ) , ces titres ont néanmoins prouvé qu'un concept imprimé audacieux et innovant pouvait rencontrer l'adhésion d'un public dénigrant majoritairement la presse payante.

L'idée même de financer exclusivement par la publicité une publication n'est en elle-même pas nouvelle. Nombre de groupes de presse comme la Comareg ou France Antilles disposaient ainsi depuis fort longtemps de journaux d'annonces spécialisées. Mais aucun d'entre eux n'avait osé étendre ce modèle économique à la presse d'information, au risque de devoir aujourd'hui rattraper le temps perdu.

a) Un concept novateur

Le succès fulgurant de ce jeune produit - 20 minutes lancé en mars 2002 est devenu depuis le 10 septembre 2007 le quotidien le plus lu de France avec plus de 2,4 millions de fidèles 11 ( * ) - repose sur deux principes simples tirés d'une observation attentive des comportements des lecteurs.

(1) Une neutralité éditoriale totale

Contrairement à la presse quotidienne française dite d'opinion, les gratuits ont, dès leur lancement, opté pour la mise à disposition d'informations brutes et l'absence totale de mise en perspective afin de toucher le lectorat le plus large possible.

Les propos tenus par M. Jean-Pierre Bozo, président de 20 minutes France, lors de son audition par le groupe de travail, illustrent cette stratégie radicalement nouvelle dans le paysage de la presse hexagonale : « Nous faisons du « hard news » c'est-à-dire des faits sans commentaires, avec une information brute, des chiffres, des faits et un visuel. Nous ne prenons pas position politiquement, nous laissons le lecteur se forger son opinion à partir des faits. »

Cette ligne éditoriale a été confirmée par Mme Valérie Decamp, directrice générale de Metro : « On demande aux journalistes qui viennent travailler chez nous de faire totalement abstraction de leurs prises de position afin d'être le plus neutres possible dans la relation de l'information. La plupart d'entre eux ont compris qu'il y avait deux fondamentaux à respecter : la concision et la neutralité. »

(2) Un mode de distribution parfaitement adapté au « public cible »

Le public visé par les « gratuits » est jeune, urbain et actif. Selon Mme Valérie Decamp : « Nous avons défini un concept éditorial s'adressant à un public bien défini, les métropolitains trentenaires, actifs, et grâce à cela, nous attirons les annonceurs intéressés par cette cible très recherchée. Nous sommes avant tout un produit éditorial « marketé », ce qui est assumé et assure notre succès. »

C'est cette « cible » qui détermine les horaires et les lieux de distribution des journaux, avec une préférence pour les transports en commun et les campus universitaires.

Metro est ainsi distribué aux abords des transports en commun alors que 20 minutes est disponible dans les gares, les écoles, les universités et certaines entreprises, via colporteurs ou présentoirs. Les quotidiens du réseau Villes plus sont quant à eux distribués par des colporteurs, notamment en centre ville et auprès des bus, métros ou tramways, ainsi que sur les campus universitaires.

A Paris, compte tenu de la concession exclusive de la RATP dont bénéficie A nous Paris , Metro et 20 Minutes sont amenés à privilégier la diffusion par colportage. En région parisienne, grâce à un accord d'exclusivité passé avec la société France Rail Publicité, 20 Minutes est présent dans les gares SNCF et les lignes C et D du RER. L'utilisation de ce second moyen de distribution (sous forme de racks) concerne près de la moitié de son tirage total.

b) Des résultats spectaculaires

Contrairement à la presse quotidienne payante dont les résultats sont négatifs tant en termes de diffusion qu'en termes financiers, la presse quotidienne gratuite ne connaît pas la crise.

Selon la Direction du développement des médias, la progression du chiffre d'affaires de la presse quotidienne gratuite d'information politique et générale s'est établie à 25 % en 2006, en dépit des incertitudes relatives au nombre de nouveaux titres lancés au cours de l'année de l'enquête. De nombreux poids lourds sont en effet apparus sur le marché à Paris ( Direct Soir , Matin Plus ...) et en province.

Comme en 2005, la presse quotidienne gratuite a ainsi capté la quasi-totalité de l'augmentation des recettes publicitaires : selon l'enquête statistique annuelle sur la presse écrite menée par la Direction du développement des médias, la presse gratuite aurait encaissé 70 des 90 millions d'euros de surplus publicitaires, n'en laissant que 20 à la presse payante.

Cette progression des recettes publicitaires s'est traduite par la réalisation de bénéfices pour les deux principaux éditeurs hexagonaux de quotidiens gratuits d'information politique et générale.

Selon Mme Valérie Decamp, « Metro a trouvé une viabilité économique depuis 2005, date de l'équilibre. Celle-ci s'est confirmée en 2006 avec un résultat positif à 2,4 millions d'euros. Pour 2007, malgré une conjoncture publicitaire extrêmement difficile et des investissements importants, nous devrions encore être rentables. »

Pour la première fois de sa courte histoire, 20 minutes a lui aussi dégagé un bénéfice opérationnel au deuxième trimestre 2007. Mais le titre n'a pas encore été dans le vert sur une année entière.

c) Des titres plébiscités par les lecteurs

En proposant une information simple, claire et de qualité, et en allant au devant du lecteur, les quotidiens gratuits ont su gagner la fidélité du public.

(1) Des tirages records

Les chiffres publiés par l'OJD concernant le tirage des deux principaux quotidiens gratuits d'information confirment ce phénomène. Ils sont en effet désormais sans commune mesure avec ceux des principaux quotidiens payants. Bien qu'ils ne disposent pas du caractère objectif des chiffres mesurant la diffusion payée des quotidiens, ils permettent néanmoins de cerner la notoriété acquise par les gratuits auprès des lecteurs français.

Selon les chiffres OJD, le tirage des différents quotidiens gratuits s'élève ainsi à 749 000 exemplaires pour 20 minutes (couplage des 8 éditions locales) et à 732 000 exemplaires pour Metro (couplage des 9 éditions locales) soit près du double du tirage du Monde (462 000 exemplaires), du Figaro (430 000) et du quadruple de celui de Libération (180 000 exemplaires). Seul le couplage Le Parisien-Aujourd'hui en France ou encore Ouest France et son tirage de 866 000 exemplaires atteignent des tirages comparables.

(2) Les journaux les plus lus de France

L'enquête EPIQ juillet 2007-juin 2006 12 ( * ) met elle aussi en évidence le succès populaire de la presse gratuite d'information puisque deux de ses principaux représentants se classent parmi les trois quotidiens les plus prisés du pays.

Avec 2,4 millions de lecteurs au numéro moyen, 20 Minutes est ainsi devenu pour la première fois de son histoire le quotidien le plus lu en France devant :

- L'Equipe : 2,3 millions de lecteurs ;

- Metro : 2,03 millions de lecteurs ;

- La Parisien/Aujourd'hui en France : 2,01 millions de lecteurs ;

- Le Monde : 1,89 million de lecteurs ;

- Le Figaro : 1,19 million de lecteurs ;

- Libération : 806 000 lecteurs.

d) Quel impact sur l'économie de la presse payante ?

Compte tenu des données précédemment exposées, quel est le véritable impact des quotidiens gratuits sur l'économie de la presse quotidienne payante ?

Cette question doit faire l'objet de remarques nuancées. D'une part, l'expérience prouve qu'un nouveau média ne réduit pas forcément l'audience de ses concurrents. Ainsi, parmi les pays dont le nombre de journaux lus par habitant est le plus élevé (Japon...), nombreux sont ceux qui ont connu un développement spectaculaire de l'offre audiovisuelle. D'autre part, au sein même du secteur, la farouche hostilité des débuts vis-à-vis des gratuits s'est transformée en regard intrigué à l'endroit d'un concept étranger qui a su, en un temps record, atteindre et séduire tant le lectorat que les annonceurs.

(1) Un effet d'éviction publicitaire

Sur le marché publicitaire, les gratuits provoquent un effet d'éviction lié à l'essence même de leur modèle économique reposant exclusivement sur la manne publicitaire. Les données statistiques citées précédemment montrent d'ailleurs clairement que ceux-ci ont capté une part non négligeable des budgets destinés par les annonceurs au média « presse », ceux-ci ne distinguant pas le lecteur qui achète son journal de celui qui ne le paie pas.

Cette situation a d'ailleurs conduit certains éditeurs de presse quotidienne payante à éditer leur propre quotidien gratuit afin de capter une partie des recettes perdues. C'est notamment le cas du groupe Le Monde qui, associé au groupe Bolloré, a lancé le 6 février 2007 un titre intitulé Matin Plus .

(2) Un effet neutre sur la diffusion des payants ?

S'agissant du lectorat en revanche, la question reste ouverte. Toutes les personnalités auditionnées par le groupe de travail et interrogées sur ce point précis sont d'ailleurs restées prudentes.

Différentes enquêtes de terrain montrant la complémentarité des deux supports semblent avoir eu raison des saillies vengeresses de 2002, lorsque Libération titrait en Une de son édition du 17 février : « Méfiez-vous des contrefaçons » et fustigeait « des quotidiens sans rédaction et dans la déréglementation de tous les marchés » et que La Croix soulignait le « risque mortel » encouru pour le pluralisme de la presse.

Mme Valérie Decamp a ainsi rappelé que « la moitié du lectorat des gratuits ne lisait aucune presse quotidienne avant notre apparition sur le marché selon les études Sofres. En ce qui concerne la duplication, les lecteurs de gratuits lisent beaucoup les autres gratuits. A Paris, ils lisent Le Parisien (pour environ 5 %), tandis qu'en province, aucune duplication ne se fait vers la presse quotidienne régionale. Viennent ensuite Le Figaro , Libération et Le Monde , mais cela reste très marginal. Nous n'empiétons donc pas sur le territoire de la presse payante ».

De la même manière, M. Rémy Pfimlin a souligné que « Le Figaro et Le Parisien ont fait des études intéressantes. Ils ont en effet regardé l'évolution des ventes dans les villes où il y a des gratuits et dans les villes où il n'y en a pas. La conclusion est la suivante : en termes de ventes, il n'y a aucune différence pour les journaux payants ».

Il a complété cette information par une analyse pertinente de la situation préoccupante de la presse payante en France : « Cela veut dire deux choses. D'abord que les gens qui prennent le gratuit n'achèteraient pas de journaux et n'en n'ont jamais acheté. Peut-être en achèteront-ils un jour ! [...]. Ensuite cela veut dire que la France a un niveau de consommation de la presse tellement faible que cela impacte peu les ventes des titres payants. En tout cas, ce n'est pas l'explication de la crise de la presse dans notre pays. »

Loin de constituer la « menace mortelle » évoquée sans doute sous le coup de l'émotion par un confrère payant, la presse gratuite peut même jouer un rôle d'aiguillon salvateur pour le reste du secteur. En montrant qu'une nouvelle approche éditoriale pouvait séduire un lectorat en voie de disparition, en réhabilitant des formes de distribution sous-exploitées, en utilisant des techniques de marketing performantes au service d'une cible clairement identifiée, elle a donné quelques raisons d'espérer à ceux qui pensaient que le papier journal était un support définitivement dépassé.

2. Internet : un révélateur des faiblesses de la presse quotidienne française

La presse doit également faire face à la concurrence d'internet. Média global, gratuit, interactif, il a bouleversé le rapport des citoyens à l'information et révélé les faiblesses de la presse quotidienne française. Il peut également représenter une formidable opportunité de développement et de réinvention pour un secteur en proie au doute.

a) Un impact économique certain sur la situation de la presse

En termes économiques, les conséquences du développement d'internet sur la presse quotidienne payante mettent en jeux les mêmes mécanismes que ceux précédemment évoqués pour les quotidiens gratuits.

S'agissant de la diffusion , le numérique a deux impacts principaux sur le secteur de la presse quotidienne. Le premier impact porte sur l'arbitrage des consommateurs en termes de temps : l'arrivée d'un nouveau média réduit l'attention et le temps consacrés aux autres. Le second concerne l'arbitrage des consommateurs en termes de dépenses : là encore, les consommateurs auront tendance à privilégier les médias qui leur en donnent le plus pour leur argent, ce qui, dans le contexte du numérique, ne peut que jouer en défaveur de la presse.

S'agissant des ressources publicitaires des titres français, on constate là encore un effet d'éviction marqué. L'évolution en sens contraire des recettes publicitaires de la presse écrite et d'internet confirme l'existence d'un tel effet lié à la baisse de diffusion de la presse écrite et, concomitamment, à la très forte augmentation de l'audience d'internet. Les annonceurs souhaitant avoir l'audience la plus importante, il est normal qu'ils redistribuent leurs dépenses pour les investir dans le média qui leur permettra de toucher le public le plus large possible.

Cet effet d'éviction devrait s'amplifier dans les années à venir dans la mesure où la part d'internet dans le total des dépenses de publicité reste relativement limitée dans notre pays. Cette part s'élève à 4,8 % en 2006 contre 8,1 % au Japon, 8,9 % au Royaume-Uni et plus de 10 % aux Etats-Unis. La régie Interdéco prévoit d'ailleurs qu'internet captera en 2007 environ deux tiers de la progression des dépenses publicitaires en France.

b) Un révélateur des limites du support papier

Mais la spécificité d'internet réside aussi dans les nouveaux usages proposés aux consommateurs, notamment en matière de traitement de l'information. De part ses caractéristiques intrinsèques, ce nouveau média a en effet aboli les principales contraintes attachées à la presse papier.

(1) L'absence de limites physiques

Internet permet en premier lieu de fournir, sans contrainte de pagination, de fréquence de parution, de délai de bouclage et de distribution une information quasiment instantanée et actualisée en continu.

La Toile propose également une information plus complète. L'absence de contraintes en termes de présentation et de stockage permet à internet de proposer une offre extrêmement large et diversifiée, là où un quotidien ne peut développer qu'un nombre restreint de sujets pour chacune de ces rubriques.

(2) Un rapport original à l'information

Internet facilite par ailleurs les possibilités d'échanges et d'expression personnelle. Cette situation tranche par rapport aux médias traditionnels qui fonctionnent principalement dans une logique verticale et descendante et ne permettent que marginalement la réaction et la participation de leurs consommateurs.

Il convient ici d'évoquer le phénomène des « blogs », si caractéristiques de la culture du web, qui mélangent sans complexe information et opinion, faits vérifiés et rumeurs, analyses documentées et impressions fantaisistes. Cet engouement montre que beaucoup de lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées des bloggeurs à la fausse objectivité et à l'impartialité hypocrite d'une certaine presse.

Internet enlève par conséquent à la presse et aux rédactions un des éléments fondamentaux de leur rôle : la capacité à organiser et à hiérarchiser l'information transmise aux lecteurs. Dans certains cas, il permet même à ceux-ci de produire l'information. Créé en 2000, le site coréen Ohmynews fait ainsi figure de référence mondiale en matière de « journalisme participatif ».

L'originalité de ce site réside dans son concept : offrir aux internautes inscrits sur le site la possibilité de proposer des articles dont les meilleurs sont publiés en ligne après vérification, validation et éventuellement réécriture par une équipe de 65 journalistes professionnels. Actuellement, le site compterait plus de 50 000 contributeurs occasionnels.

B. LES RESPONSABILITÉS SYNDICALES

Dans une note de synthèse réalisée pour l'IREP 13 ( * ) intitulée « Les horizons possibles de la presse écrite à l'heure de la profusion médiatique », M. Jean-Marie Charon évoque à demi-mot le rôle joué par l'action syndicale dans le fonctionnement de la presse quotidienne française. Selon lui, « Il faut [...] rappeler la pesanteur des questions liées aux relations sociales, mettant en scène des effectifs nombreux, aux statuts, compétences et traditions d'organisation très diversifiés et parfois très particuliers (ouvriers « du Livre » par exemple). »

Le « Livre », ainsi que l'on nomme le syndicat du Livre, fait en effet partie intégrante de l'économie du secteur ! Ses succès, ses excès aussi, régulièrement validés par des éditeurs 14 ( * ) et des pouvoirs publics soucieux d'éviter des mouvements sociaux dévastateurs pour l'ensemble de la filière, ont profondément marqué l'organisation de la presse quotidienne française et constituent un héritage lourd à gérer tant pour la filière que pour la collectivité nationale.

1. Le monopole du « Livre » : un bref historique

La Fédération des travailleurs des industries du livre, du papier et de la communication (FILPAC-CGT) demeure un interlocuteur syndical majeur dans les activités du papier, de l'édition, de la presse et de la distribution des journaux.

En dépit des évolutions technologiques, des dissensions internes et de la chute du nombre de ses adhérents, il dispose encore d'un quasi-monopole vis-à-vis des quotidiens nationaux en matière d'embauche des personnels d'impression.

a) Une pratique contractuelle

Il convient en premier lieu de rappeler que le label syndical était à l'origine un gage de qualité recherché par les éditeurs eux-mêmes.

Créé au début du XX e siècle par la Confédération générale du Travail (CGT), à l'instar des syndicats anglais et américains, ce label était apposé au-dessous du nom de l'imprimeur sur chaque exemplaire du journal, à condition que l'entreprise s'engageât à n'embaucher que des ouvriers syndiqués.

Ce label demeura jusqu'à la seconde guerre mondiale une forme parfaitement régulière de contrat d'usage de la marque syndicale, librement souscrit par les éditeurs et imprimeurs. Il garantissait l'exécution d'un travail dans les règles de l'art par un personnel hautement qualifié. Cette pratique avait d'ailleurs été légalisée par la loi du 25 février 1927 complétant le code du travail.

b) Une pratique abusive mais acceptée

Dans la mesure où cette pratique conduisait à supprimer la liberté d'embauche de l'employeur, le syndicat choisissant à sa place les ouvriers nécessaires à l'entreprise, elle fut condamnée par la loi du 27 avril 1956, dite loi Moisan, interdisant à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale dans les décisions relatives au personnel - notamment l'embauche. Les dispositions de ce texte prononçaient en outre la nullité de tout accord ou disposition tendant à obliger l'employeur à n'embaucher ou à ne conserver à son service que les adhérents du syndicat propriétaire de la marque ou label.

Dans les faits, cette loi ne fut jamais appliquée au secteur de la presse quotidienne nationale. La CGT obtint en effet en août 1944 du secrétaire général à l'information, M. Francisque Gay, le monopole du recrutement de toutes les catégories de personnels nécessaires à l'impression de la presse. Par ailleurs, la plupart des éditeurs consentirent à se lier les mains afin de disposer d'une organisation du travail permettant de faire face aux fréquentes et importantes variations de paginations liées à l'actualité.

A compter de cette date, le label perdit son caractère de consentement mutuel pour devenir le symbole du poids de la CGT au sein de la presse parisienne. La responsabilité et l'indépendance d'embauche des entreprises disparaissent au profit de l'organisation syndicale qui désormais gère la structure chargée de désigner les ouvriers et de les remplacer, fixe les tarifs syndicaux et les conditions de travail, supervise la formation professionnelle, égalise les salaires par rotation du personnel sur tous les postes de travail et à toutes les heures.

2. Les surcoûts liés au Livre : un véritable handicap pour la presse quotidienne nationale

Cette organisation particulière issue de la Libération, inédite à l'échelle européenne, a entraîné des surcoûts considérables bien que difficilement quantifiables pour les titres de la presse quotidienne nationale.

Ceux-ci sont de deux natures : des surcoûts directs imputés aux éditeurs par l'intermédiaire de coûts d'impression et de distribution plus élevés et des surcoûts induits par la réorganisation progressive de la filière.

a) Les surcoûts directs

Dans son rapport pour le Conseil économique et social, M. Jean Miot rappelait que « fabriquer un quotidien coûte, en 1992, deux à trois fois plus cher en France qu'en Grande-Bretagne. » Compte tenu de la réorganisation progressive de la filière, la situation n'est certes plus aussi catastrophique qu'à l'époque.

Elle reste toutefois suffisamment originale pour être évoquée d'autant que, si la situation matérielle des ouvriers du « Livre » a longtemps constitué un véritable tabou, les différents travaux réalisés sur la presse quotidienne ont en effet permis d'y voir clair sur les pratiques caractérisant ce qu'il fut longtemps convenu d'appeler « l'aristocratie du Monde ouvrier ».

(1) Des salaires confortables

La spécificité des ouvriers du Livre tient d'abord à la rémunération confortable de ses membres compte tenu de la durée et de la pénibilité des tâches effectuées. Il ne s'agit pas ici de dénoncer pour le plaisir des avantages autrefois justifiés par des conditions de travail contraignantes et des compétences recherchées, mais de mettre en lumière la situation d'une catégorie de personnel dont les spécificités ont progressivement disparu.

Dans son édition du 12 septembre 2007, Télérama rappelle ainsi que « un ouvrier rotativiste oeuvrant sur les quotidiens gagne bien davantage (actuellement, 4 000 euros sur quatorze mois) que son collègue qui imprime les magazines. » En 2002, M. Yves Sabouret, directeur général des NMPP, autre bastion historique du Livre, évoquait quant à lui « un personnel ouvrier [qui] gagne 15 à 18 000 francs nets par mois pour moins de trente heures de travail effectif par semaine [...] » .

Cette situation apparaît aujourd'hui :

- d'autant plus choquante que la presse parisienne s'enfonce dans la crise et que l'écart avec les autres métiers de la presse, notamment les journalistes, n'a jamais été aussi important ;

- d'autant plus visible que les imprimeries de labeur ont considérablement réduit leurs coûts du fait de la concurrence. Selon Le nouvel Économiste 15 ( * ) , « il existe un écart de un à deux pour la rémunération d'un manutentionnaire dans l'imprimerie de presse comparé au labeur. ».

(2) Des effectifs pléthoriques

Cette spécificité caractérise également les effectifs des imprimeries : les effectifs « confortables » évoqués par M. Marc Norguez, lors de son audition par le groupe de travail, restent en effet d'actualité. Ainsi, lorsque l'on prévoit 1,3 salarié pour un poste de travail dans la fabrication d'un magazine, il en faut deux pour un poste dans la production d'un quotidien.

Le plan social relatif à la réorganisation de l'imprimerie du Monde illustre cette situation de sureffectif : il prévoit en effet le départ de 90 salariés sur un total de 400, soit près de 25 % de personnel en moins, sans réorganisation de la production !

b) Des surcoûts indirects

A ces coûts directs s'ajoutent des coûts indirects relativement conséquents financés par les éditeurs et ... le contribuable national. La liste des plans sociaux destinés à accompagner la réorganisation du processus d'impression et à réduire l'emprise du Livre dans ce secteur est en effet impressionnante :

- accord du 7 juillet 1976 : diminution de 35 % des effectifs de la filière au terme de mesures d'âge et de reclassement ;

- accord-cadre du 19 mai 1989 : il prévoit lui aussi un volet consacré à la formation professionnelle et un autre aux préretraites. Au terme de la mise en place de ce plan, 583 ouvriers ont ainsi quitté la profession dont 227 photocompositeurs et 158 rotativistes dès 55 ans dans le cadre de conventions d'allocations spéciales du FNE ;

- accord-cadre du 25 juin 1992 : départ en AS/FNE de 422 ouvriers et reclassement en dehors de la profession d'un nombre équivalent ;

- convention-cadre du 30 septembre 2005 : l'État s'engage à participer au financement d'au maximum 586 départs (497 ouvriers et 89 cadres techniques) à hauteur de 46,4 % sur toute la durée du plan, le reste devant être assumé par les entreprises de presse bénéficiaires.

Les efforts financiers engagés de part et d'autre pour retrouver des coûts de production raisonnables sont difficiles à évaluer. Ils s'élèvent certainement à plusieurs centaines de millions d'euros sur les trente dernières années sans que l'on puisse affirmer avec certitude qu'ils aient réellement permis de rejoindre la moyenne européenne en ce domaine.

On peut toutefois remarquer que, si tel était le cas, les quotidiens gratuits n'auraient certainement pas la tentation d'aller se faire imprimer sur les presses belges ou luxembourgeoises.

3. Des conséquences fortement préjudiciables pour la presse parisienne

Coûts de fabrication trop élevés, organisation du travail improductive, coûts induits exorbitants, l'héritage du « Livre » demeure extrêmement lourd à assumer pour la presse quotidienne nationale.

En dépit des plans de modernisation successifs, elle continue d'en payer le prix dans son fonctionnement quotidien ainsi qu'à l'occasion d'actions ponctuelles difficilement justifiables.

a) L'augmentation du prix de vente

Compte tenu des surcoûts induits par l'organisation de la filière d'impression et de distribution, les éditeurs de presse quotidienne nationale ont été contraints de s'adapter, et, dans un contexte de dépression du marché publicitaire, d'augmenter leurs prix de vente pour équilibrer leurs comptes.

La situation de la presse parisienne a ainsi provoqué cette remarque chez M. Michel Comboul, président du syndicat de la presse quotidienne régionale, lors de son audition par les membres du groupe de travail : « Nous ne sommes pas confrontés aux mêmes problèmes que la presse parisienne, nous avons une gestion plus sévère, les imprimeries intégrées permettent de mieux négocier les conditions de travail. Ouest-France est à 70 centimes, il n'y a pas un journal à 1 euro. On essaie de tenir les prix. »

Bien qu'il ne faille pas exagérer l'impact du prix de vente sur l'acte d'achat, celui-ci n'est plus tout à fait neutre sur l'acte d'achat. Cette intuition est confirmée par M. Eric Herteloup, directeur général adjoint d'Amaury, qui confiait au Nouvel Observateur 16 ( * ) : « Notre meilleure publicité, c'est d'abord le prix. Celui de l'Équipe n'a pas bougé depuis douze ans. Ceux du Parisien et d'Aujourd'hui doivent rester au niveau de la presse régionale. On ne peut pas vendre un produit qui est hors de prix, comme les autres titres de la presse nationale. »

Alors que la presse quotidienne fait désormais l'objet d'un achat impulsif, il y a fort à parier que le prix soit désormais pris en compte par les acheteurs potentiels. La hausse continue du prix des quotidiens français écarte en tous cas à coup sûr de leur lecture les populations les plus sensibles à ce facteur tels que les jeunes, sensibles à la gratuité, et les classes populaires, traditionnellement grandes consommatrices de journaux.

b) Des économies sur les autres postes de coûts

L'impression et la distribution étant des postes de coûts incompressibles pour les quotidiens, il est probable qu'un ajustement se soit réalisé sur les autres postes de dépenses des éditeurs.

Si les surcoûts liés à la fabrication ne doivent pas porter seuls la responsabilité de la crise éditoriale que traverse la presse quotidienne, ils y participent certainement en réduisant les marges de manoeuvre financières des éditeurs. Le développement du recours aux pigistes et la réduction des effectifs des rédactions trouvent certainement dans cette situation une partie de leur explication.

c) Des actions ponctuelles difficilement justifiables

En dépit de la diminution de son influence dans les imprimeries et au sein des NMPP, en dépit de la modernisation du secteur, le « Livre » préserve sa capacité de nuisance. Il sait encore se faire entendre en ordonnant le blocage de la parution des titres à l'image du mot d'ordre du 13 juin dernier, privant ainsi les lecteurs de l'ensemble des quotidiens nationaux.

Cette « politique de la terre brûlée », difficilement compréhensible compte tenu de la santé financière des quotidiens, indispose parfois les membres mêmes de l'organisation : la FILPAC-CGT estime ainsi que, « dans un contexte de remise en cause des postes et effectifs dans la presse, les actions actuelles dans la distribution nuisent davantage aux organisations de la CGT qu'aux directions patronales qui, elles seules, tirent les bénéfices de la division en cours ».

En décourageant les lecteurs et en les conduisant à recourir à des médias de substitution, elle risque en tous cas de porter rapidement un coup fatal -un de plus- à l'économie de la presse parisienne.

C. LA RESPONSABILITÉ DES ÉDITEURS

Selon l'expression de M. Francis Balle, la presse quotidienne française s'est elle-même installée dans le cercle vicieux du déclin à la suite d'une « succession de petites lâchetés » . Au total : deux fois moins de quotidiens par habitants qu'aux États-Unis et quatre fois moins que dans les pays scandinaves et au Japon ... qui nous ont tous ravi le record que nous détenions avant la première guerre mondiale.

Les éditeurs, victimes de coûts de production élevés et d'un manque évident de moyens, portent par conséquent une part de responsabilité non négligeable dans le déclin qui les frappe : manque de discernement en matière de diffusion, manque de courage en matière éditoriale, individualisme exacerbé et obsession du court terme ont précipité les titres de la presse quotidienne dans les difficultés.

1. Diffusion et distribution : un système généreux devenu pervers par manque de discernement

Pour des raisons historiques, géographiques et démographiques, la France s'est dotée d'un système de distribution caractérisé par un faible niveau de distribution adressée. Bien qu'il assure la fidélité du lecteur et garantisse la trésorerie des titres 17 ( * ) , l'abonnement n'a en effet jamais réussi à supplanter la vente au numéro.

Dans ces conditions, le réseau de distribution et de diffusion joue un rôle stratégique pour les éditeurs français : assurant le lien entre l'imprimerie et le lecteur, il lui appartient d'acheminer et d'exposer dans les meilleures conditions un produit éminemment périssable. Malheureusement, l'histoire et la profession en ont voulu autrement : les pratiques ont provoqué la déliquescence d'un réseau encombré qui peine à conserver son indispensable efficacité.

a) La Loi Bichet : un texte aux principes généreux...

La France est le seul pays à avoir inscrit la liberté de distribution dans un texte devenu célèbre : la loi du 2 avril 1947 autrement appelé « Loi Bichet ». Celle-ci édicte quatre principes cardinaux qui constituent, de nos jours encore, le socle du système de distribution français.

(1) La liberté de diffusion

Aux termes de l'article 1 er de la loi du 2 avril 1947, « la diffusion de la presse imprimée est libre. » Tout éditeur peut par conséquent organiser la distribution de ses publications par les moyens qu'il estime les plus appropriés : vente au numéro, abonnement postal, portage.

Il lui est également possible d'adhérer à une société de messageries ou de distribuer ses journaux et périodiques par ses propres moyens. La proximité du lectorat rendant le groupage superflu, la presse quotidienne régionale optera pour une distribution autonome.

(2) L'obligation de coopération

L'article 2 encadre toutefois cette liberté. Il précise en effet que les entreprises qui souhaitent regrouper leur distribution doivent adhérer à des sociétés coopératives dont la constitution et le fonctionnement sont précisés par le titre premier de la loi.

(3) L'égalité entre les éditeurs

Aux termes de la loi, l'égalité des éditeurs face au service de distribution est double.

Elle se manifeste tout d'abord par la possibilité pour chaque société éditrice d'accéder à la société coopérative de son choix. Ce principe coopératif dit de la « porte ouverte » s'applique sous réserve que l'éditeur postulant remplisse les conditions fixées par la loi et les statuts de la coopérative et qu'il accepte les barèmes votés en assemblée générale.

Elle se manifeste également par l'égalité entre les éditeurs au sein de la société, le statut coopératif attribuant à chacun d'entre eux une seule voix lors des assemblées générales. Quelle que soit sa taille, chaque éditeur bénéficie donc du même traitement.

(4) L'impartialité des coopératives

L'article 6 du texte garantit quant à lui l'impartialité de la distribution en interdisant à toute coopérative de refuser l'adhésion d'un éditeur, quel que soit le contenu de ses publications, à l'exception des titres ayant fait l'objet d'une condamnation pénale ou de deux interdictions au regard de la loi relative aux publications destinées à la jeunesse.

b) ... dévoyé par la pratique.

Ce texte fondateur, prétexte d'un large débat sur le sort réservé au groupe Hachette lors de sa discussion en séance publique à l'Assemblée nationale, est parvenu jusqu'à nous quasiment inchangé. Ses conséquences sur l'organisation de notre système de distribution de la presse n'ont malheureusement pas toutes été anticipées.

Certaines conséquences, liées à la lettre du texte, étaient prévisibles. En inscrivant la liberté de distribution dans la loi là où les autres pays font confiance au contrat commercial, le législateur a favorisé l'implantation massive des groupes de presse étrangers sur notre territoire. C'est le cas en particulier pour la presse magazine.

D'autres conséquences, plus problématiques, sont le fruit d'une interprétation laxiste du texte par les coopératives et donc par les éditeurs de presse. Elles sont au nombre de trois.

(1) L'encombrement des linéaires

La première conséquence des pratiques actuelles est l'encombrement des linéaires des diffuseurs de presse lié à l'absence de véritable régulation des flux. En interprétant de manière extensive les dispositions d'une loi destinée, à l'origine, à garantir le pluralisme de la presse d'opinion, les éditeurs ont ainsi contribué à favoriser les abus de toutes sortes et à « noyer » le produit presse.

M. Gérard Proust, président de l'Union nationale des diffuseurs de presse, rappelait ainsi aux membres du groupe de travail que les coopératives de presse injectaient dans le réseau près de 4 500 références de presse soit 60 000 parutions à l'année. Il observait : « Si on ajoute les produits annexes qui profitent de l'exceptionnelle performance du système de distribution, ce sont 8 000 références qui sont distribuées par les diffuseurs pour un total de 100 000 parutions à l'année. »

Rappelons que les éditeurs étant propriétaires de leurs titres jusqu'à l'acte de vente, aucun diffuseur de presse n'a les moyens de refuser la présentation d'une référence livrée par l'une des deux sociétés de messagerie de presse. M. Jean-Pierre Niochau, président du premier dépôt de presse indépendant, a ainsi indiqué : « Chaque éditeur se croit unique. Propriétaire du papier jusqu'à l'acte final de vente, il peut inonder le réseau pour exister. Petit à petit, dépositaires et diffuseurs de presse deviennent de simples manutentionnaires de papier dont les rayons s'engorgent pour devenir totalement illisibles. Cela conduit à la mévente des titres. »

(2) La multiplication des invendus

La multiplication des invendus est un autre signe évident du dysfonctionnement du système actuel. Loin de garantir le pluralisme, les pratiques actuelles favorisent plutôt les comportements opportunistes et les « coups » ponctuels en ouvrant le réseau de distribution au « tout venant ».

Ce phénomène concerne bien entendu les titres anciens. Distinguant entre magasines et quotidiens, M. Jean-Pierre Niochau expliquait ainsi ce phénomène : « L'objectif de l'éditeur de magazine consiste à éviter à tout prix de rater une vente. Il préfère donc distribuer trois exemplaires même s'il n'en vend qu'un. La problématique des quotidiens n'est pas la même dans la mesure où les invendus leur coûtent excessivement cher. Les quotidiens viennent par conséquent lisser ce taux de vente très faible. »

Mais la problématique des invendus concerne aussi et surtout les nouveautés. Dans son rapport moral du 4 juillet 2006, le président du Conseil supérieur des messageries de Presse soulignait ainsi qu' « un nombre très significatif de titres nouveaux cessent leur parution avant même le numéro 4 (les MLP le constatent à 64 % en 2005 et aux NMPP, seules 45 % des nouveautés 2004 sont toujours actives fin 2005) ».

(3) La disparition des points de vente

Les pratiques actuelles participent enfin à la disparition des points de vente.

Associée aux problèmes de rémunération des diffuseurs et à la flambée du prix des baux commerciaux, la pénibilité engendrée par l'afflux quotidien de centaines de titres a sans doute accéléré le mouvement de fermeture des points de vente. S'agissant des conditions de travail, M. Gérard Proust déclarait d'ailleurs : « Les commerçants qui sont intéressés par cette activité découvrent rapidement un métier de manutentionnaire, de logisticien, de stockeur. Personne n'a envie de faire un métier pareil ! ».

Il est inutile de rappeler l'ampleur de la réduction du réseau de distribution de la presse. Au moment où la presse gratuite cherche à se rapprocher du lecteur, la presse payante s'en éloigne progressivement en laissant le maillage du territoire se dégrader progressivement. Notre pays ne compte plus que 28 000 points de vente en 2007, alors qu'il y en avait 33 000 en 1995 et 36 000 en 1985. Même si on ajoute à ce chiffre les 20 000 points de vente exclusifs de la presse quotidienne régionale, nous sommes loin des 120 000 points de vente recensés en Allemagne.

2. Un contenu inadapté aux attentes du public

«On dit toujours que c'est la faute aux imprimeries, à la disparition des kiosques... Mais quand le produit est bon, il se vend toujours». Cette réflexion prononcée devant les membres du groupe de travail pose à l'analyste une redoutable question : et si la crise de la presse se résumait à une crise du contenu de l'offre ?

Le succès des quotidiens gratuits et leurs formules « marketées » le laisse penser. Ce phénomène est par ailleurs amplifié par une méconnaissance du lectorat et une organisation du travail archaïque.

a) Une offre éditoriale inadaptée ?

En introduction de son audition par le groupe de travail, M. Pierre-Jean Bozo a révélé les résultats d'une enquête menée par 20 minutes relative à la désaffection du lectorat pour les titres de presse quotidienne nationale payante. Sur les sept raisons principalement citées par les personnes interrogées 18 ( * ) , il est intéressant de noter que six concernent le contenu ou le format des titres. L'argument du prix ne vient quant à lui qu'en dernière position.

La presse quotidienne française n'aurait donc pas su s'adapter aux attentes du public ? Ce jugement peut paraître hâtif dans la mesure où les principaux titres ont réalisé des efforts pour séduire le lectorat.

La création de suppléments thématiques ou l'ajout de produits dérivés (DVD, livres) ont, à ce titre, permis d'accroître la valeur ajoutée du journal favorisant, à terme, un lien privilégié avec le lecteur. En 2005, les 5 millions de ces « plus-produits » vendus en kiosques par Le Figaro lui ont ainsi permis de dégager un chiffre d'affaires de 34,8 millions d'euros.

Surtout, le 3 octobre 2005, Le Figaro lançait une nouvelle formule à grand renfort de publicité. Le 7 novembre, Le Monde faisait lui aussi sa mue. Un peu moins de deux ans plus tard et en attendant la nouvelle formule de Libération , le bilan de ces opérations reste mitigé : si elles ont enrayé la chute des ventes, elles n'ont pas réussi à faire repartir les courbes de diffusion à la hausse.

Deux conclusions provisoires peuvent être tirées de ces demi-succès.

D'une part, la volonté de rester généraliste dans un monde où l'information est disponible gratuitement et par une multiplicité de moyens constitue un véritable défi que seul un nombre limité de titres pourront relever. Ce constat explique sans doute la difficulté de lancer de nouveaux quotidiens payants sur le marché français et la disparition progressive des quotidiens généralistes qui n'ont su ni fidéliser leur public ni le renouveler.

D'autre part, la recherche du consensus, qui conduit au conformisme et à la pasteurisation de l'information mène tout droit à l'échec. A cet égard, il est parfois regrettable de constater que les « unes » des principaux quotidiens français traitent du même sujet sous le même angle au même moment. Le Parisien , qui peut se vanter d'offrir parfois en « une » un traitement décalé de l'actualité et La Croix qui joue la carte de la contre-programmation et fait valoir sa sensibilité catholique sont les deux seules exceptions à la règle.

De manière plus générale, on peut regretter le caractère timoré des nouvelles formules proposées au public par les principaux titres français. Lors du lancement de la nouvelle formule du Figaro , M. Francis Morel soulignait d'ailleurs qu'il ne s'agissait pas d'une révolution mais d'une évolution. Cette attitude n'est pas sans rappeler l'analyse de Balzac qui, dans sa Monographie de la presse parisienne, déclarait : « Les propriétaires, rédacteurs en chef, directeurs, gérants de journaux sont routiniers. [...] Ils ont peur des innovations et périssent souvent pour ne pas savoir faire des dépenses nécessaires en harmonie avec le progrès des lumières. »

Il convient toutefois de rappeler que cette prudence est moins liée au manque d'ambition des éditeurs de presse qu'à leur manque de moyens. La situation financière des entreprises de presse est ainsi telle que celles-ci ne peuvent légitimement pas prendre le risque de « lâcher la proie pour l'ombre » et de perdre une partie de leurs lecteurs les plus fidèles, au risque de retarder des réformes pourtant nécessaires...

b) Une organisation lacunaire

Par delà l'inadéquation du contenu aux attentes d'une partie du public, les auditions menées par le groupe de travail ont permis de relever trois faiblesses importantes dans l'organisation des entreprises de presse quotidienne françaises.

La première touche à la relative méconnaissance du public des quotidiens. Contrairement aux chaînes de télévision et aux stations de radio qui disposent d'outils performants capables de mesurer instantanément l'audience des programmes diffusés, les quotidiens français demeurent pénalisés par l'absence d'outils de pilotage susceptibles de guider les choix éditoriaux. La création récente par Le Figaro de « focus groups », chargés d'analyser les comportements et de coller aux attentes des lecteurs paraît toutefois aller dans le bon sens.

La deuxième concerne la faiblesse voire l'inexistence des investissements consacrés par la presse quotidienne à la recherche et au développement . La presse n'est certes pas une industrie comme les autres mais comme les autres industries, elle devrait se projeter plus souvent dans l'avenir afin d'anticiper l'évolution de ses méthodes de production, de son modèle économique et des habitudes de consommation de ses lecteurs. Nul doute que ce type d'investissements aurait permis de gérer le passage au numérique de manière plus sereine.

La troisième a trait à une répartition des pouvoirs et des tâches confuse au sein de l'entreprise qui pénalise parfois son fonctionnement. A cet égard, la stricte distinction entre le « publisher », chargé d'assurer le fonctionnement quotidien de l'entreprise (« everything but the words » ) et « l'éditeur », qui prend en charge la partie rédactionnelle du quotidien ainsi que le budget, paraît à même d'accroître l'efficacité de l'entreprise et de faciliter son fonctionnement.

Dans le même ordre d'idées, l'appropriation par la presse magazine des innovations technologiques afin de mettre au point une forme d'organisation et d'économie conduisant à externaliser l'essentiel des activités de réalisation et de production (journalistes pigistes, ateliers de traitement du visuel, impression, etc.) pour se concentrer sur la mise au point de concepts éditoriaux et la définition de leur commercialisation pourrait également être explorée.

D. LA RESPONSABILITÉ DES POUVOIRS PUBLICS

En dépit d'une rationalisation bienvenue, d'une augmentation conséquente du montant des aides octroyées et d'une extension du champ des activités concernées, le « régime économique de la presse » peine à faire la preuve de son efficacité. Certains le comparent même à un véritable « tonneau des danaïdes » ...

Soupçonné d'accompagner la presse quotidienne dans la crise au lieu de l'en sortir, accusé de ralentir la modernisation de la presse au lieu de l'accélérer, ce régime illustre les difficultés des pouvoirs publics à définir une stratégie cohérente et efficace destinée à préserver un média indispensable à l'information des citoyens et à la diffusion des courants de pensées et d'opinions.

a) Un système de soutien rationalisé

Comme bon nombre de dispositifs d'aides publiques, le « régime économique de la presse » s'est développé par sédimentation au mépris du bon sens et en fonction des urgences. A l'aide postale datant de la période révolutionnaire se sont ainsi progressivement ajoutées diverses lignes budgétaires aux objectifs hétérogènes et à l'efficacité limitée.

Cette époque est fort heureusement révolue. Au cours des cinq dernières années, la Direction du développement des médias s'est en effet attelée à rationaliser le dispositif des aides directes à la presse en modifiant les modalités d'attribution de 7 d'entre elles et en créant 2 aides pour un montant total de 35 millions d'euros.

Au total, le dispositif proposé est désormais plus lisible. La budgétisation du fonds de modernisation notamment, proposée par notre collègue Paul Loridant 19 ( * ) a permis d'en simplifier et d'en unifier considérablement l'architecture.

Il est sans aucun doute plus cohérent. En identifiant clairement un coeur de cible, à savoir les titres de la presse quotidienne d'information politique et générale, ce programme évite le saupoudrage que l'on pouvait reprocher, à juste titre, aux aides précédentes.

Ce dispositif est enfin plus efficace. En privilégiant l'attribution des aides en fonction de projets définis conformément à la démarche de performance envisagée par la loi organique relative aux lois de finances, les mesures proposées par le Gouvernement et votées par le Parlement ont permis l'instauration d'un dispositif d'intervention et de soutien réactif et adapté aux demandes des éditeurs mais dont la portée reste toutefois limitée.

b) Un système perfectible

En dépit de sa récente rationalisation, le régime économique de la presse n'est pas pour autant exempt de tout reproche.

D'une part, son impact sur la situation des quotidiens reste limité. La relative modicité des sommes destinées aux aides directes et la multiplicité des objectifs affichés (développement de la diffusion, défense du pluralisme et modernisation des entreprises de presse) contribuent simplement à maintenir à flot les titres les plus mal en point ( L'Humanité , France Soir et Libération ) et à alléger les charges courantes des autres bénéficiaires.

D'autre part, certains objectifs demeurent contradictoires entre eux, rendant illusoire la mesure de leur efficacité. C'est notamment le cas en matière de diffusion des titres puisque chaque mode de diffusion (portage, voie postale et vente au numéro par l'intermédiaire de l'aide à la distribution) continue de bénéficier de subventions plus ou moins élevées.

Enfin, trop de crédits publics demeurent attribués sans la moindre contrepartie. L'aide à la distribution allouée aux Nouvelles messageries de la presse parisienne illustre parfaitement ce propos : alors que l'État est en passe de s'engager à financer un troisième plan de modernisation consécutif de l'entreprise, aucun bilan précis du degré de réalisation des deux précédents n'a été engagé. A cet égard, il serait temps de contractualiser ce type d'engagement afin de pouvoir contrôler l'utilisation des crédits.

En tout état de cause, l'État semble, en matière de presse quotidienne, s'être substitué au marché au nom de la défense du pluralisme et de la liberté d'information. Il subventionne « à l'aveugle » un secteur d'activité tout entier au risque de le maintenir dans un état de dépendance et de dissuader toute volonté de réforme.

E. LA RESPONSABILITÉ DES JOURNALISTES

On peut enfin se demander si la crise de la presse ne correspond pas, dans une certaine mesure, à une véritable crise du journalisme et des journalistes. C'est en tous cas ce que laissait entendre M. Jean-Luc Martin-Lagardette, journaliste indépendant, devant les membres du groupe de travail : « Depuis que j'enseigne, je constate que beaucoup de mes confrères sont désabusés et quittent la profession en disant qu'ils ne sont plus en état de la mener comme ils le souhaiteraient. »

Le poids des « affaires », celui des pressions, une certaine perte de crédibilité et des conditions de travail dégradées contribuent au désarroi d'une profession censée s'astreindre à une éthique rigoureuse, distinguer entre les faits et leur interprétation et respecter des procédures d'enquêtes précises.

a) Les inquiétudes légitimes d'une profession

Les inquiétudes exprimées par les 220 journalistes des Echos à l'occasion du rachat du titre par M. Bernard Arnault illustrent le désarroi d'une profession précarisée qui lutte pour conserver une indépendance mise à mal par des pressions de plus en plus nombreuses.

(1) Une profession victime de la situation financière des groupes de presse

Il convient de reconnaître que les journalistes français font certainement partie des principales victimes de la crise de la presse hexagonale. Compte tenu des difficultés financières rencontrées par de nombreux quotidiens, ils ont en effet servi de variable d'ajustement, entraînant mécaniquement l'affaiblissement de la qualité éditoriale des titres et la fuite des lecteurs.

Privés de terrain par le manque de moyens, contraints de se limiter au « desk » qui favorise les préjugés, ils sont loin de bénéficier des conditions de travail de leurs collègues anglo-saxons, espagnols ou italiens. Combien de titres français peuvent ainsi se vanter, à l'instar du Wall Street Journal , de disposer d'une équipe de trois journalistes pour chaque spécialité : le premier parcourt les colloques et conférences pour connaître l'état de l'art, le deuxième enquête sur le terrain quand le troisième rédige l'article grâce aux éléments fournis par les deux premiers ?

Cette précarisation de la profession se traduit également par l'augmentation du recours aux pigistes. Extérieurs à l'entreprise, ils sont plus facilement corvéables et n'ont pas leur mot à dire sur le contenu, le choix et l'angle des papiers qui leur sont commandés. Sur les 37 000 journalistes en activité dans notre pays, leur proportion est passée en trente ans d'un dixième à un cinquième de l'effectif global.

(2) Des conditions d'exercice dégradées

Mais parallèlement à la dégradation de leurs conditions matérielles de travail, nombre de journalistes dénoncent la multiplication des atteintes portées à leur indépendance.

Ces atteintes ne sont pas nouvelles et sont consubstantielles au statut particulier d'une profession prise entre deux loyautés : celle que le journaliste doit à son entreprise dès l'instant qu'en connaissance de cause il y est entré et celle qu'il doit à sa mission professionnelle d'information, c'est-à-dire à son engagement au service de la vérité.

Ces atteintes sont néanmoins devenues de plus en plus fréquentes et ont provoqué l'indignation de l'ensemble de la profession. On peut notamment citer à ce titre la censure, dont a été victime, le 12 mai dernier, la rédaction du Journal du dimanche à la demande même du président-directeur général du groupe ou la démission demandée et obtenue d'Alain Genestar, « débarqué » de la direction de la rédaction de Paris Match .

Il est à noter que l'introduction en bourse des titres de presse, un temps envisagée par Le Monde , pourrait elle aussi avoir des conséquences fâcheuses en termes déontologiques. M. Walter Wells, directeur de l'International Herald Tribune, a ainsi évoqué les conséquences potentielles d'une telle décision : « Souvent, ceux qui doivent prendre une décision journalistique se demandent si celle-ci fera baisser ou monter de quelques centimes la valeur boursière de l'action de l'entreprise éditrice. Ce genre de considérations est devenu capital, les directeurs des journaux reçoivent constamment des directives dans ce sens de la part des propriétaires financiers du journal. C'est un fait nouveau dans le journalisme contemporain, ce n'était pas ainsi avant. ».

b) Une perte de crédibilité

Victimes de la crise de la presse, les journalistes en sont aussi la cause.

En France comme à l'étranger, des désastres médiatiques tels que le traitement des affaires Patrice Alègre, du bagagiste d'Orly, des « pédophiles » d'Outreau ont porté un sérieux coup à la crédibilité d'un média papier censé éviter les errements des médias plus « chauds » que sont la télévision ou la radio. M. Jean-Luc Martin Lagardette a confirmé cette impression devant les membres du groupe de travail : « Globalement, les résultats de cette crise du journalisme sont une information trop rapide, trop superficielle, souvent partielle, partiale même, assez conformiste et qui laisse les citoyens sur leur faim. »

Au journalisme d'investigation qui vérifie, recoupe, confronte, aurait ainsi succédé un journalisme de validation, qui entérine, ratifie, homologue au risque de dénoncer ce qu'il affirmait la veille. Selon M. Ignacio Ramonet 20 ( * ) : « au lieu de constituer le dernier rempart contre cette dérive due aussi à la rapidité et à l'immédiateté, de nombreux quotidiens de presse écrite ont failli à leur mission et contribué parfois, au nom d'une conception paresseuse ou policière du journalisme d'investigation, à discréditer ce qu'on appelait jadis le « quatrième pouvoir » ». Avec ou sans la complicité des journalistes, la frontière entre information et communication se brouille insidieusement, favorisant le développement du relativisme et la défiance à l'égard d'un média qui faisait jusqu'alors figure de référence.

Cette faillite des journalistes conduit à s'interroger sur leur formation. En effet, comme celui de psychanalyste, le métier de journaliste ne requiert aucun diplôme particulier. Seul un journaliste en activité sur cinq sort d'ailleurs d'une école labellisée par la Commission nationale paritaire de l'emploi des journalistes ! Certes, on peut reprocher à ces écoles de fournir des professionnels formatés qui auront du mal à rendre compte d'une société en perpétuel mouvement. Mais dans un secteur ou, quelle que soit la gravité de l'erreur ou de l'approximation, le soupçon de l'incompétence alimente la crise de confiance, le passage par ces établissements reconnus constitue la meilleure garantie d'un niveau de connaissances homogène et minimum.

III. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION

Expliquant les raisons de la cession de ses quotidiens régionaux au groupe Le Monde , M. Arnaud Lagardère a affirmé dans les colonnes du Journal du Dimanche : « La presse quotidienne a dix ans devant elle. Les coûts de production deviendront intenables. On va vers une dématérialisation du support traditionnel.» Ces déclarations ont fait le tour de la planète et ont surpris par leur violence.

A la réflexion, elles ne sont pourtant pas insensées et dessinent peut-être ce que sera la presse quotidienne de demain : un média polymorphe dont l'édition papier ne constituera plus forcément le vecteur de diffusion privilégié. Son coût mais aussi et surtout les usages des lecteurs risquent en effet d'accélérer son déclin.

Cette perspective de moyen terme ne doit pas pour autant faire oublier la situation actuelle : la presse quotidienne est en danger et quelques propositions immédiatement applicables peuvent l'aider à stopper l'hémorragie des lecteurs et des annonceurs.

A. RENCONTRER ET FIDÉLISER LE LECTEUR

La gravité de la situation actuelle impose de prendre des mesures d'urgence pour tenter de stopper l'hémorragie et redonner aux titres de presse quotidienne les moyens de rencontrer leur lecteur. Cela passe par deux voies essentielles.

Il convient, d'une part, de trouver les voies et moyens permettant de restaurer l'efficacité d'un réseau de diffusion littéralement sacrifié au cours des dix dernières années. En ce domaine, les mentalités semblent progressivement évoluer au sein de la profession. La fermeture continue des points de vente et le succès des méthodes de distribution agressives utilisées par les gratuits ont enfin conduit les éditeurs à réagir et à accepter la réalisation d'un certain nombre de tests destinés à redynamiser ce maillon essentiel de l'économie de la presse. Ces tests suscitent néanmoins des inquiétudes chez des éditeurs soucieux de garder un accès total au réseau de distribution. Dans la mesure où l'intérêt de tous peut une nouvelle fois se heurter aux intérêts de chacun, le groupe de travail a choisi d'envisager deux modalités de réforme : la voie négociée au sein du système coopératif et la voie législative.

Il convient, d'autre part, de faire un audit sur l'aide au portage afin de redynamiser ce mode de distribution susceptible de fidéliser le lecteur et d'augmenter la trésorerie des éditeurs.

1. Des solutions négociées dans le cadre du système coopératif

Le dogme « tous les titres dans tous les points de vente » aboutit à la situation actuelle : absence de visibilité des titres, encombrement des linéaires et découragement des diffuseurs.

Dans la mesure où les éditeurs sont à la fois responsables et victimes de cette situation, la voie négociée dans le cadre du système coopératif reste la plus appropriée pour assainir le réseau et remédier aux dysfonctionnements du système de distribution.

a) La nécessaire redéfinition du produit presse

Dans la mesure où ni l'autodiscipline ni les sanctions financières prévues dans les barèmes des messageries n'ont jusqu'à maintenant empêché certains éditeurs d'inonder le réseau de publications et de « produits » bénéficiant de conditions commerciales avantageuses, votre commission propose, en premier lieu, de redéfinir de manière plus restrictive le produit presse.

Il paraît notamment nécessaire d'ajouter aux éléments caractéristiques du produit presse énumérés dans la définition élaborée en 2004 par la Commission paritaire des Publications et Agences de Presse une référence à un « apport éditorial substantiel ».

Cette mention permettrait notamment de réserver le régime issu de la loi du 2 avril 1947 à un ensemble de produits plus en harmonie avec l'objet visé par le législateur.

b) La mise en place d'une période probatoire

Afin de lutter contre les « coups » et les comportements opportunistes qui perturbent le fonctionnement du réseau, elle suggère également de mettre en place une période probatoire destinée à réguler le flux sans cesse croissant de nouvelles publications à la durée de vie limitée.

Cette période probatoire serait en adéquation avec la définition actuelle du produit de presse qui prévoit explicitement une succession des parutions, une fin non envisagée et un minimum de quatre parutions par an.

Au plan pratique, comme l'a suggéré le groupe de travail relatif à la définition du produit presse mis en place par le Conseil supérieur des messageries de presse, « cette période probatoire durerait jusqu'à la mise en distribution de la quatrième parution et pourrait se traduire par des dispositions insérées dans les barèmes des coopératives, l'idée étant de neutraliser ces dispositions tarifaires dès lors que le titre aurait fait la démonstration de sa qualification presse ».

c) La définition d'une stratégie globale en matière de diffusion

Le réseau de vente demeure aujourd'hui le maillon faible du système de distribution de la presse française et il est intéressant de remarquer qu'une fois de plus, l'État a dû se substituer aux éditeurs pour amorcer la modernisation des lieux censés mettre les titres de presse en valeur.

La recomposition et la modernisation du niveau 3 devrait pourtant constituer la priorité d'une filière presse toujours dépendante des résultats de la vente au numéro. Votre commission propose plusieurs pistes de réflexion.

Elle suggère, tout d'abord, de reconquérir le territoire national par la mise en place d'un réseau de vente différencié , afin de suivre les évolutions de consommation et de multiplier les points de contacts avec le lecteur. Cela passe par :

-  le renforcement du réseau existant et l'ouverture de points de vente en centre-ville proposant aux lecteurs l'ensemble de l'offre de presse ;

- le développement de points de vente spécialisés afin que les titres spécialisés puissent se rapprocher de leur lectorat dans les magasins idoines ;

- la mise en place de points de ventes complémentaires ne proposant que les quotidiens et les titres à grande diffusion.

Ces idées ne sont pas originales mais sont frappées au coin du bon sens. Elles devraient être mises en oeuvre dans les meilleurs délais afin de développer la capillarité du réseau et de promouvoir, enfin, une vision stratégique de la diffusion de la presse.

La commission propose, ensuite, de moduler la rémunération des diffuseurs en fonction des contraintes impliquées par leur degré de spécialisation. Un point de vente recevant toute l'offre de presse doit ainsi être mieux rémunéré que celui qui n'en propose qu'une partie.

En matière de rémunération des diffuseurs et en dépit de la signature au mois de mai 2007 de protocoles d'accord définitifs entre l'Union Nationale des Diffuseurs de Presse (UNDP), le Syndicat National des Diffuseurs de Presse (SNDP), les NMPP, Transport Presse (TP) et les Messageries Lyonnaises de Presse (MLP), il convient de regretter le retard pris dans la mise en place des plans successifs et l'écart de rémunération constaté avec les autres pays européens. Alors que le taux de rémunération des diffuseurs français se situe entre 15 % et 18 % du prix de vente facial des titres, celui-ci atteint plus de 25 % en moyenne en Grande-Bretagne, entre 20 et 25 % en Italie et plus de 20 % en Allemagne.

Votre commission souhaite, enfin, l'association des diffuseurs à la gestion de l'offre de titres. De simple manutentionnaire, le diffuseur doit rapidement redevenir commerçant et décider lui-même du nombre de titres exposés, en fonction de sa clientèle et de son espace de vente.

2. Modifier le cas échéant certaines dispositions de la loi Bichet

En matière de distribution, les tentatives collectives de recherche d'un équilibre entre l'offre éditoriale et la capacité d'absorption du réseau se sont trop souvent heurtées aux intérêts individuels des éditeurs.

Dans ces conditions, le groupe de travail a souhaité explorer les différentes solutions législatives permettant de surmonter un blocage nuisible aux intérêts de l'ensemble du secteur.

a) Aménager le principe « une entreprise, une voix »

La première piste explorée est de nature institutionnelle et vise à faciliter la prise de décision au sein des coopératives de presse.

Aux termes de l'article 10 de la loi Bichet : « L'administration et la disposition des biens des sociétés coopératives de messageries de presse appartiennent à l'assemblée générale, à laquelle tous les sociétaires ont le droit de participer. Quel que soit le nombre des parts sociales dont il est titulaire, chaque sociétaire ne pourra disposer, à titre personnel, dans les assemblées générales, que d'une seule voix ».

Dans la mesure où le principe « une entreprise, une voix », édicté dans un contexte politique et une composition de marché historiquement datés, se révèle bloquant face aux enjeux de la modernisation du système dans son ensemble, votre commission propose son aménagement selon des modalités qui restent à définir.

Le syndicat de la presse magasine et d'information suggère à cet égard un plafonnement du nombre de voix attribuées aux éditeurs les plus importants, afin de conserver l'esprit de la coopération.

b) Restreindre le champ de la loi Bichet aux seuls titres d'information politique et générale

La seconde piste explorée par le groupe de travail est beaucoup plus radicale, mais permettrait de restaurer l'esprit de la loi Bichet et sa volonté de garantir principalement la distribution des titres de presse d'opinion sur l'ensemble du territoire.

Face aux difficultés d'assainir radicalement le système et aux oppositions que risquent fatalement d'entraîner les propositions les plus audacieuses en ce domaine, le groupe de travail n'écarte pas la possibilité de restreindre le champ du texte aux seuls titres d'information politique et générale.

Cette solution serait cohérente avec le recentrage des aides publiques sur cette catégorie de presse. Mais elle comporte un risque de taille : l'explosion du système coopératif et la fin du principe de péréquation des coûts de distribution.

3. Auditer les modalités d'octroi de l'aide au portage

Si la vente au numéro et l'abonnement postal constituent les deux formes de diffusion les plus couramment utilisées sur notre territoire, le portage est indéniablement un aspect important de la modernisation du secteur de la presse écrite, notamment pour les quotidiens.

Très utilisé en Europe du nord et au Japon où il demeure le premier mode de diffusion 21 ( * ) , ce mode de distribution reste comparativement peu développé en France : en 2004 , toutes familles de presse confondues, seulement 42,4 % des exemplaires diffusés sont parvenus à leurs lecteurs par ce moyen qui connaît une nouvelle progression grâce au développement des « gratuits ».

Dans ces conditions, la commission estime nécessaire de réformer l'aide publique au portage afin de donner un second souffle à un dispositif qui semble péricliter. Elle appelle au préalable de ses voeux l'évaluation de l'efficacité et de la pertinence actuelle de cette aide afin d'envisager d'éventuelles voies de réformes.

B. SÉDUIRE LE LECTEUR

La crise de la presse quotidienne serait-elle avant tout une crise du contenu ? Bon nombre des personnalités auditionnées l'ont laissé entendre et le phénoménal succès rencontré par les gratuits permet de le penser.

Dans ces conditions, il convient de susciter chez les éditeurs de presse quotidienne une véritable réflexion en matière éditoriale afin que leurs titres éveillent à nouveau chez le lecteur potentiel l'envie d'acheter.

1. Créer un « Médiamétrie » de la presse

Pour séduire le lecteur, encore faut-il pouvoir connaître avec précision ses habitudes de lecture. Ce domaine a pour le moment été quelque peu délaissé par des quotidiens français forts mal dotés en matière d'études et de recherches relatives aux comportements des Français.

Votre commission suggère la création d'un « Médiamétrie » de la presse, société indépendante destinée à assurer la mesure scientifique d'audience des différents titres et la mise au point d'instruments d'étude performants.

L'indépendance de cette société serait garantie par la présence, dans toutes ses instances de décisions et dans son capital, de l'ensemble des professionnels (éditeurs, annonceurs, agences) sans qu'aucun d'entre eux ne détienne une majorité lui permettant de décider seul.

Cette société pourrait proposer des produits originaux destinés à des utilisateurs spécifiques et lancer sur le marché international des offres rendues indispensables par l'évolution des comportements du public en matière de presse.

2. Renouveler l'offre éditoriale

Afin de séduire de nouveaux lecteurs et de conserver les anciens, les quotidiens français ne semblent pas avoir d'autre alternative que de renouveler substantiellement leur offre éditoriale. Reste à savoir dans quel sens modifier cette offre !

Les personnalités entendues par le groupe de travail ont sur ce point permis de cerner les principaux reproches faits à une presse quotidienne hexagonale qui confond trop souvent qualité avec élitisme, catastrophisme, partialité voire impersonnalité.

D'une part, qualité ne signifie pas élitisme. Elle va même souvent de pair avec la pédagogie, afin de rendre l'information commentée accessible au plus grand nombre.

D'autre part, qualité ne signifie pas catastrophisme. Or le titre Aujourd'hui / Le Parisien semble depuis trop longtemps disposer du monopole des bonnes nouvelles. Placer une bonne nouvelle en « une » ne signifie pas pour autant transiger avec l'exigence journalistique.

De même, qualité ne signifie pas partialité. Dans un contexte de dépolitisation de la société, le modèle des journaux d'opinion devrait peut-être laisser place aux journaux d'investigation et d'explication. On peut en effet penser que le public attend de la presse non plus qu'elle lui dicte ses opinions, mais qu'elle lui donne au contraire les moyens de se faire sa propre opinion.

Enfin, qualité ne signifie pas impersonnalité et l'on ne peut que regretter les « signatures » auxquelles certains journaux étaient autrefois totalement identifiés comme celle de Pierre Lazareff pour France Soir , Philippe Tesson pour le Quotidien de Paris ou Serge July pour Libération .

Qualité ne signifie ni consensus, ni conformisme, ni connivence avec les pouvoirs politiques et économiques mais plutôt réactivité, proximité du journal et de ses lecteurs, interactivité, rétroaction.

C. SENSIBILISER LES JEUNES GÉNÉRATIONS

En introduction de son rapport intitulé : Les jeunes et la lecture de la presse quotidienne d'information politique et générale 22 ( * ) , M. Bernard Spitz observait que « si nos concitoyens sont déjà de faibles lecteurs de presse quotidienne, les jeunes Français en sont de moins fidèles encore. » Selon Euro PQN, le nombre de lecteurs de la presse écrite âgés de 15 à 24 ans aurait ainsi chuté de 17,5 % par rapport à 1994 et celle des 25-34 ans de 18 %.

Ces résultats sont inquiétants à double titre. Ils reflètent d'abord le rapport distant des jeunes avec l'engagement et la participation au débat public. Ils constituent ensuite une menace pour la presse quotidienne qui voit amputé son lectorat actuel et surtout son lectorat potentiel de demain.

Cette situation est peut-être liée à la faiblesse des opérations menées par les éditeurs et les pouvoirs publics pour sensibiliser les jeunes et les professeurs aux ressources de la presse quotidienne. Seule la semaine de la presse à l'école organisée chaque année par le Centre de liaison de l'Enseignement et des Médias d'Information (CLEMI) et l'enveloppe de 3 millions d'euros spécifiquement destinée aux projets d'aide au lectorat des jeunes 23 ( * ) font exception à la règle.

C'est pourquoi, votre commission appelle de ses voeux une politique volontariste de la part des éditeurs et des pouvoirs publics afin de rapprocher la presse quotidienne de ses futurs lecteurs.

Pour ce faire, elle propose trois actions destinées à favoriser la prise en main par les jeunes de 11 à 18 ans d'une catégorie de presse qui, paradoxalement, n'hésite pas à financer des opérations du même type à destination des clients des compagnies aériennes ou des hôtels.

1. Garantir le libre accès des quotidiens aux classes de collège

Dans le droit fil des propositions du rapport Spitz, la commission suggère aux éditeurs de garantir le libre accès de leurs quotidiens aux classes de collège à des fins pédagogiques. Ce libre accès, pour un montant annuel limité, pourrait se matérialiser sous la forme d'exemplaires papier adressés.

L'État prendrait en charge les frais de transport des quotidiens mis à disposition gracieusement par les éditeurs. Après évaluation, le montant forfaitaire attribué à chaque classe pourrait être revu à la hausse, notamment pour les lycées, via un financement complémentaire du ministère de l'éducation nationale et/ou des régions.

2. Financer un abonnement individuel pour chaque élève entrant en seconde

Votre commission propose de réactiver la piste de l'abonnement individuel à un titre de presse quotidienne de son choix pour tout élève entrant en seconde générale ou technologique .

Cette piste avait un temps était explorée par le ministre M. Jean-Jacques Aillagon avant d'être brutalement enterrée sans que l'on puisse en connaître les raisons précises. L'Etat prendrait en charge une partie des frais postaux, les exemplaires concernés étant inclus dans la catégorie « France payés » de l'OJD.

3. Installer des points de vente dans les lycées

Votre commission propose également de renforcer la « capillarité » du système de distribution en permettant aux jeunes d'acheter des quotidiens à l'intérieur des établissements, à un tarif éventuellement réduit par les éditeurs pouvant aller jusqu'à la moitié du prix facial, dans des conditions dûment validées auprès des distributeurs de presse.

L'introduction de cette mesure pourrait être progressive et faire l'objet, dans un premier temps, d'une expérimentation dans un nombre limité d'établissements volontaires.

D. FAVORISER L'ENTRÉE DES QUOTIDIENS DANS L'UNIVERS NUMÉRIQUE

Le défi majeur qui s'impose désormais aux différents éditeurs de presse quotidienne consiste à définir un nouveau modèle économique permettant de garantir leur pérennité. Au terme des travaux du groupe de travail, ses membres ont acquis deux certitudes en ce domaine :

- ce modèle reposera sur l'existence de groupes plurimédias ;

- ce modèle reposera sur l'exploitation des informations sur plusieurs supports de diffusion.

1. Favoriser la constitution de groupes plurimédias en ajustant les règles anti-concentration

« La presse française manque à l'évidence de concentration » selon l'Institut Montaigne. Extrêmement contestable en matière de presse quotidienne régionale et locale, ce constat est tout à fait pertinent en matière de presse quotidienne nationale. Un regard hors de nos frontières permet en effet de constater qu'en matière de presse quotidienne comme dans les autres activités industrielles, la taille a son importance.

Les entreprises françaises souffrent ainsi de ne pas pouvoir faire partie de groupes médiatiques suffisamment puissants pour leur donner les moyens de mener à bien un projet industriel cohérent. La responsabilité en incombe notamment au dispositif de concentration plurimédia défini par les articles 41-1 et 41-1-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication s'opposant à ce qu'une même personne physique ou morale se trouve dans plus de deux des trois situations suivantes :

- éditer un ou plusieurs services de télévision hertzienne desservant au moins 4 millions d'habitants ;

- éditer une ou plusieurs stations de radio desservant au moins 30 millions d'habitants ;

- éditer ou contrôler des quotidiens d'information politique et générale représentant plus de 20 % de la diffusion totale nationale.

Compte tenu de la faible rentabilité des entreprises de presse quotidienne, ce dispositif tend à dissuader toute constitution de groupes plurimédias puissants autour de l'une d'entre elles. Il est en effet aisé de constater que, contrairement au Japon où cette pratique a été encouragée pour permettre le développement d'économies d'échelle et la synergie des rédactions, aucun groupe médiatique français d'envergure ne compte dans ses actifs une chaîne de télévision hertzienne et un quotidien national ou une station de radio nationale et un quotidien national.

A propos de ce dispositif qui a nui au pluralisme de la presse en empêchant les titres de se développer, le rapport Lancelot 24 ( * ) soulignait « Sans doute convient-il à l'évidence de ne pas limiter trop radicalement les opérations de concentration impliquant plusieurs types de médias, leur réalisation pouvant constituer une condition de viabilité ou de développement économiques du fait des synergies rédactionnelles ou publicitaires. »

C'est pourquoi votre commission prône l'assouplissement du régime anticoncentration plurimédia en autorisant les groupes français et européens à détenir un quotidien et ce, quels que soient leurs actifs.

2. Lever l'insécurité juridique relative à la problématique des droits d'auteur des journalistes

Si ce nouveau modèle économique passe par la remise à plat du régime anticoncentration indispensable à la constitution de sociétés plurimédias, il doit aussi reposer sur la possibilité pour les entreprises de presse d'exploiter le travail de leurs journalistes sur l'ensemble des supports de diffusion.

Il convient par conséquent de lever au plus vite l'insécurité juridique relative aux accords collectifs déjà signés, en trouvant une solution consensuelle permettant de rassurer les éditeurs sans remettre en cause les droits des journalistes au titre de la rémunération de leur oeuvre.

Pour ce faire, la commission fait sienne la proposition de M. Marc Tessier 25 ( * ) consistant à laisser à l'éditeur, pendant un laps de temps limité, toute liberté pour organiser l'exploitation multi support d'un même article.

E. CONFORTER LE STATUT DES JOURNALISTES

Le renouveau de la presse passe également par des mesures précises à l'égard des journalistes. Dans ce contexte de doute quant aux garanties entourant leur fonction, votre commission souhaite proposer trois mesures permettant de conforter leur position.

La première repose sur l'intégration des chartes d'éthique et de déontologie des journalistes 26 ( * ) au sein des textes régissant la profession et notamment de la convention collective nationale de travail des journalistes . Il paraît en effet urgent de rendre opposables ces chartes afin de garantir le libre exercice de la profession de journaliste et la qualité de l'information.

Les deux autres mesures sont relatives à l'inscription de la protection des sources dans le droit positif français.

Il convient ainsi de préciser qu'il ne pourra être porté atteinte au droit des journalistes à la protection de leurs sources d'information qu'à titre exceptionnel et lorsque la nature de l'infraction, sa particulière gravité, le justifient. Il paraît également nécessaire d'étendre au domicile des journalistes les règles spécifiques applicables aux perquisitions effectuées dans une entreprise de presse, protégeant ainsi le travail des nombreux journalistes indépendants et free-lance.

Ces deux mesures, annoncées par le précédent Garde des Sceaux, n'ont toujours pas été inscrites à l'ordre du jour parlementaire. Elles constitueraient pourtant un signe fort à l'endroit d'une profession en plein doute ainsi qu'une occasion de conformer notre législation aux exigences de l'article 10 de Convention européenne des droits de l'homme.

* *

*

Réunie le mercredi 3 octobre 2007, sous la présidence de M. Jacques Valade, la commission a approuvé les conclusions du groupe de travail et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL

23 janvier 2006

M. Rémy PFLIMLIN , directeur général des Nouvelles messageries de la presse parisienne (NMPP)

M. Michel COMBOUL , président du Syndicat de la presse quotidienne régionale (SPQR)

30 janvier 2007

M. Francis MOREL , président du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN)

M. Gérard PROUST , président de l'Union nationale des diffuseurs de presse (UNDP)

20 février 2007

M. Jean-Pierre NIOCHAU , président de Niochau Maréchal (dépôt de presse privé) et Ynos Services (entreprise de portage de journaux à domicile).

M. Gilles BRUNO , ancien chef de projet de l'informatique éditoriale du journal Libération, fondateur de l'Observatoire des médias.

27 février 2007

Mme France RENUCCI , directrice du Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLEMI)

9 mai 2007

M. Patrick EVENO , maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris I - Institut d'histoire économique et sociale

M. Jacques SAINT-CRICQ , président du conseil de surveillance du quotidien « La Nouvelle République du Centre-Ouest », et M. Patrick KAMENKA , membre du bureau national du Syndicat national des journalistes (SNJ-CGT)

M. Michel MULLER , secrétaire général de la Fédération des travailleurs des industries du papier et de la communication (FILPAC-CGT)

M. Vincent MOULLÉ , directeur des activités presse de La Poste

M. Pierre-Jean BOZO , président de 20 Minutes France SAS

MM. Maxime BAFFERT et Marc TESSIER , co-auteurs du rapport « La presse au défi du numérique »

16 mai 2007

M. Jean-Baptiste GIRAUD , journaliste et président-fondateur de l'hebdomadaire économique gratuit « Économie Matin »

M. Jean-Marie CHARON , ingénieur de recherche au Centre d'études des mouvements sociaux du CNRS

M. Francis JALUZOT , président de l'Association pour le développement de la presse gratuite d'information

19 juin 2007

Mme Valérie DECAMP , directrice générale de Metro

M. Marc NORGUEZ , secrétaire général du syndicat général du livre et de la communication écrite

M. Jean-Pierre CAFFIN , directeur général, et M. Franck BARLEMONT , directeur des systèmes d'information de Prisma Presse

M. Jean-Luc MARTIN-LAGARDETTE , journaliste indépendant, auteur de « L'information responsable ».

* 1 Les effets des nouvelles technologies sur l'industrie de la presse, Conseil économique et social, 1999.

* 2 La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 sur la sauvegarde des entreprises a entendu remédier aux principaux défauts de la réglementation précédente des entreprises en difficultés. Entrée en vigueur le 1 er janvier 2006, elle est « destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif » et s'inscrit dans le processus d'européanisation du droit de la faillite dont la première pierre est constituée par la procédure d'insolvabilité (insolvency proceedings) instituée par le droit communautaire, applicable depuis le 31 mai 2002.

* 3 Voir notamment : Les effets des nouvelles technologies sur l'industrie de la presse, Conseil Économique et Social, Mai 1999, Garantir le pluralisme et l'indépendance de la presse quotidienne pour assurer son avenir, Conseil Économique et social, Juillet 2005 et, plus récemment, Comment sauver la presse quotidienne d'information, Institut Montaigne, Août 2006 et La presse au défi du numérique, rapport de M. Marc Tessier au ministre de la culture et de la communication, février 2007.

* 4 Daniel Junqua, La presse, le citoyen et l'argent, Editions Gallimard.

* 5 Etude de la presse d'information politique et quotidienne, Audience 2006.

* 6 Achat d'espace et liens sponsorisés.

* 7 Excédent brut d'exploitation (EBE) / chiffre d'affaires (CA).

* 8 La presse au défi du numérique, rapport de M. Marc Tessier au ministre de la culture et de la communication, février 2007.

* 9 Le nouvel Économiste : La presse, miroir du creux démocratique, jeudi 9 mars 2006.

* 10 Dans un article paru dans le numéro 138 de la revue Le Débat, M. Régis Soubrouillard se demande ainsi si la publicité sert à financer l'information ou si à l'inverse, l'information n'est pas qu'une manière d'introduire la publicité.

* 11 Etude Epiq, cumul de juillet 2006 à juin 2007, TNS Sofrès.

* 12 Ibidem.

* 13 Institut de recherches et d'études publicitaires.

* 14 A quelques exceptions près, notamment celle du groupe Amaury qui prit l'initiative de construire sa propre imprimerie pour lutter contre la mainmise du Livre, provoquant ainsi un conflit social de 30 mois.

* 15 Ibidem.

* 16 Le Nouvel Observateur, Presse quotidienne : cherche lecteurs désespérément, n° 2186, semaine du 28 septembre 2006.

* 17 Ces avantages faisaient dire à Honoré de Balzac, dans sa Monographie de la presse parisienne que « Tout journal qui n'augmente pas sa masse d'abonnés, quelle qu'elle soit, est en décroissance. »

* 18 Par ordre d'importance, ces sept raisons sont :

- l'absence de pertinence, les lecteurs ne se reconnaissent pas dans leur journal, et ne se sentent pas concernés par les sujets abordés ;

- l'élitisme de la presse écrite pour et par une caste ;

- l'accès difficile du registre de langue, l'absence de vulgarisation ;

- l'obsession du prisme politicien et la « peopolisation » de la politique ;

- le caractère sinistre dans le contenu et dans la forme ;

- la remise en cause de la valeur d'usage et d'utilité, les lecteurs n'ont pas le temps de lire l'intégralité d'un journal payant et leur format rend leur lecture peu pratique ;

- le prix trop élevé.

* 19 Jusqu'où aider la presse ? Rapport d'information n° 406 (2003-2004) de M. Paul Loridant au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 7 juillet 2004.

* 20 Le Monde Diplomatique, Médias en crise, janvier 2005.

* 21 60 % au Danemark, 67 % en Allemagne, plus de 90 % aux Pays-Bas, en Irlande, en Suisse ou au Japon.

* 22 Les jeunes et la lecture de la presse quotidienne d'information politique et générale, rapport de mission de M. Bernard Spitz au ministre de la culture et de la communication, octobre 2004.

* 23 Cette enveloppe est prélevée sur le fonds d'aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d'information politique et générale.

* 24 Les problèmes de concentration dans le domaine des médias , rapport de la commission présidée par M. Lancelot, décembre 2005.

* 25 Ibidem.

* 26 Il s'agit de la Charte des devoirs professionnels des journalistes français adoptée en 1918 puis révisée et complétée en janvier 1938 et de la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptée à Munich en 1971.

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