CHAPITRE I - UN CONTEXTE INCERTAIN

Toute projection économique à moyen terme est tributaire d'hypothèses concernant son contexte ainsi que de prévisions relatives à son point de départ.

Les modèles économétriques ne peuvent « capturer » l'ensemble des phénomènes économiques même si leur système d'exploitation, leur « logiciel », est très développé.

Il est, en particulier, le plus souvent nécessaire de nourrir le modèle de données relatives au contexte économique international - les modèles sont rarement mondiaux - et aux équilibres monétaires - les taux d'intérêt ne sont pas systématiquement modulés par les modèles.

Par ailleurs, un nombre plus ou moins grand d'événements économiques échappent à toute prédestination ou du moins sont dépendants des marges de manoeuvre des agents économiques. Tel est, en particulier, le cas des orientations imprimées à la politique budgétaire ou à la politique monétaire.

C'est d'ailleurs à l'exploration des effets de tel ou tel de ces choix qu'est assez largement consacré le présent rapport.

Enfin, il est toujours possible d'envisager des ruptures. Les modèles permettent de le faire de façon rigoureuse. Construits sur l'identification des relations existant entre des variables économiques interdépendantes à partir d'observations réalisées dans le passé sur longue période, ils n'empêchent pas, au contraire, de mesurer quelles pourraient être les incidences de changements de ces relations.

Réducteurs d'incertitudes pour l'esprit, les modèles n'ont pas l'ambition de restituer un monde sans aléas qui n'existe pas.

Au cours de ce rapport, plusieurs de ces aléas seront envisagés à mesure que l'exposé le rendra nécessaire.

Dans le présent chapitre introductif, il s'agit, en saisissant l'occasion de la présentation des équilibres économiques prévus pour 2007 et 2008, qui sont les années de base de la projection à l'horizon 2012, de faire état de quelques incertitudes importantes concernant l'environnement de cette projection.

L'actualité est riche d'inconnues qui pourraient affecter, plus ou moins, les résultats de l'économie française à moyen terme tels que les travaux de simulation conduisent à les envisager :


la croissance économique mondiale continuera-t-elle à être aussi dynamique que dans le passé récent ?


le prix du pétrole , à supposer qu'il se tende, peut-il remettre en cause les perspectives de croissance économique ?

Le scénario d'environnement international à moyen terme, qui sert de cadre à la projection de l'économie française a été élaboré à partir d'une hypothèse médiane suivant les estimations de croissance potentielle réalisée par l'OCDE -ou par le FMI pour les zones hors OCDE- pour les années 2009-2012 :


le taux de change euro-dollar monte jusqu'à mi 2008 ( 1,50 dollar pour 1 euro ) et se stabilise ensuite à 1,40 dollar pour 1 euro ;


de son côté, le cours du pétrole se stabiliserait à 67 dollars le baril en 2008 .

Ces hypothèses appellent chacune une discussion, compte tenu de leur poids sur les résultats de la projection de l'économie française que l'actualité vient rappeler avec une particulière acuité.

La croissance mondiale en 2006 a atteint un sommet à 5,2 % après plusieurs années d'accélération.

Cependant, celle-ci semble désormais stoppée et les perspectives de maintien d'une forte croissance économique mondiale paraissent dépendre, plus que jamais, de la capacité des économies tierces à prendre le relais de la croissance des Etats-Unis, et de l'absence d'accident monétaire international .

Comme le montre le graphique n°1 ci-dessous, le ralentissement aux Etats-Unis, engagé en 2006 n'a pas empêché l'accélération vers un rythme de croissance inégalé de l'activité mondiale.

Ces développements laissaient augurer une configuration plutôt inédite où, malgré une faiblesse de l'économie des Etats-Unis, le reste du monde continuerait à croître fortement.

Mais ces perspectives sont fragiles. Les risques de voir les Etats-Unis manquer leur atterrissage en douceur grandissent. Elles sont, par ailleurs, suspendues à la capacité des autres zones économiques à résister aux tensions qui pourraient accentuer un déclin relatif des Etats-Unis, au premier rang desquelles se situe le risque de change.

GRAPHIQUE N° 1

CROISSANCE PAR TÊTE AUX ÉTATS-UNIS ET DANS LE MONDE

L'exceptionnelle croissance économique mondiale de ces dernières années s'est déployée sur fond de déséquilibres croissants.

Déséquilibres internationaux avec le creusement des déficits extérieurs des uns et l'augmentation des excédents des autres.

Déséquilibres internes aussi. Dans une économie d'endettement et d'épargne abondante, les comportements des acteurs économiques ont souvent manqué de cohérence.

Pour les cinq ans à venir, les scénarios économiques, relativement optimistes, ici présentés sont suspendus à l'absence d'un des accidents que ces déséquilibres laissent entrevoir.

On l'a dit, l'essentiel des propos sera centré ici sur les Etats-Unis. On aurait pu aussi aborder les doutes sur la soutenabilité de la croissance économique des grands pays émergents, dont, au premier plan, la Chine. Le taux d'investissement 4 ( * ) y atteint des niveaux extraordinaires, qui témoignent d'une incapacité de la demande domestique chinoise à rentabiliser les projets qui voient le jour. Les larges excédents extérieurs chinois opèrent aujourd'hui le bouclage d'une situation qui, sans eux, engendrerait une crise de capacités, et probablement, la déconvenue des prêteurs. Ils permettent à la Chine de financer sa croissance et, en sus, de financer le Reste du Monde, et notamment les Etats-Unis.

Une question essentielle reste toutefois posée : la Chine pourra t-elle toujours compter à l'avenir sur son environnement extérieur pour se développer ? Le pays dispose de beaucoup de marges de manoeuvre pour réorienter sa croissance vers une préférence plus marquée pour ses résidents.

Mais, cette réorientation à son tour n'est-elle pas annonciatrice d'un défi pour ceux dont l'endettement extérieur dépend, pour son financement, des fonds asiatiques ? Défi aussi, peut-être, si la transition chinoise se traduisait par une croissance plus modérée pour ces économies qui n'auraient fait que le pari d'être entraînées par les autres.

I. QUELLE CROISSANCE ÉCONOMIQUE AUX ETATS-UNIS ?

Au cours de la phase d'expansion et, même dans la récente période de ralentissement, l'économie des Etats-Unis a reposé sur un fort dynamisme de la demande des ménages .

La consommation et l'investissement en logement des ménages ont été si dynamiques, confortés qu'ils étaient par des conditions monétaires favorables et des anticipations de croissance économique bien orientées, que le taux d'épargne des ménages tangente la valeur zéro aux Etats-Unis.

Ces fondements pourraient être ébranlés sous l'effet de deux processus :

- le premier est lié au retournement des conditions monétaires ;

- le second pourrait être plus sérieux encore : il s'agit des perspectives de croissance économique qui paraissent marquer le pas sous l'effet d'un ralentissement des progrès de productivité.

A. LES ETATS-UNIS : « DESPERATE HOUSEHOLDS5 ( * ) » OU « SUPERFED » ?

La crise dite « de subprime » est emblématique des effets problématiques du retournement des conditions monétaires aux Etats-Unis. Elle ne doit pas faire perdre de vue tout ce que l'efficacité de la politique monétaire aux Etats-Unis a apporté à ce pays en termes de croissance économique et de bien-être social. En outre, son extension à d'autres segments des emprunteurs est douteuse.

Il n'en reste pas moins qu'elle illustre les problèmes que pose un certain activisme de la politique monétaire quand il se conjugue avec une défaillance de la surveillance bancaire.

Retour sur la crise des « subprime » 6 ( * )

Depuis les années quatre-vingt-dix, les Américains les moins solvables peuvent bénéficier d'un crédit immobilier hypothécaire moyennant un taux majoré. La valeur de marché du bien emprunté vient en garantie de l'emprunt, dont une partie est libellée à taux variable.

Les banques prêteuses, afin de minimiser leur exposition au risque, ont revendu leurs créances à des fonds communs de placement (technique de « titrisation »), dont les parts ont été souscrites aussi bien par des organismes spécialisés dans les placements risqués à haut rendement que par des filiales de grandes banques commerciales ou des investisseurs institutionnels.

La hausse des taux d'intérêt depuis 2005 a entraîné une baisse des prix de l'immobilier résidentiel et, par un effet de ciseau -difficultés de remboursement croissantes assorties d'une diminution de la valeur des biens venant en garantie des prêts-, les incidents de paiements se sont multipliés à partir de 2006 7 ( * ) , si bien que certains établissements de crédit se sont trouvés en défaut au mois de juillet 2007 .

Si le volume des prêts « subprime », évalué à 1.300 milliards de dollars, ne représente qu'environ 13 % de l'encours total des prêts immobiliers américains, la titrisation 8 ( * ) des créances représentatives de ces prêts a entraîné une diffusion de la crise à un large éventail d'établissements financiers.

Une rupture de confiance sur les marchés financiers

Depuis juillet 2007, en Amérique et en Europe, les banques répugnent à se consentir des prêts , malgré l'étendue des liquidités dont elles disposent par ailleurs, tant qu'elles sont dans l'ignorance mutuelle de leurs degrés d'exposition au risque. La pratique des engagements « hors bilan » ne favorise pas l'émergence d'une information rapide et exhaustive sur l'exposition des établissements de crédit qui ont heureusement, par ailleurs, engrangé d'importants bénéfices dans la période récente 9 ( * ) .

Les taux monétaires ont augmenté et un mouvement de « fuite vers la qualité » a fait baisser le rendement des titres d'Etat. Au total, la crise affecte principalement le marché interbancaire et les marchés des actifs titrisés . La correction boursière d'août 2007, d'une amplitude du même ordre que celle d'avril 2006, a cependant dépassé 10 %.

Selon un diagnostic largement partagé, la crise financière est la conséquence d'une rupture de confiance sur les marchés, les  opérateurs ayant acheté des titres plus risqués qu'ils ne le pensaient. Les agences de notation ont largement contribué à la mauvaise appréciation du risque que comportaient ces actifs. Ce défaut d'information conduit le marché à traiter avec circonspection non seulement les actifs risqués, adossés de façon substantielle à des « subprimes », mais aussi des actifs non risqués, qui contiennent peu ou pas de « subprimes ».

Source : Synthèse des prévisions à court terme pour l'économie française. Octobre 2007. Service des Etudes économiques et de la Prospective du Sénat.

Le resserrement rapide des conditions de crédit après des années de politique monétaire, peut-être trop accommodante, semble être l'origine principale d'une crise qui touche les ménages les plus fragiles, les établissements bancaires et les épargnants, ainsi que les propriétaires immobiliers.

Dans ces conditions, il est à remarquer, pour s'en féliciter, que les autorités monétaires des Etats-Unis ont su faire machine arrière.

Il demeure que l'efficacité de ce retournement d'orientation est sujette à interrogations : un effet de richesse très négatif s'est produit ; les ménages sont aux Etats-Unis déjà fortement endettés ; les prix immobiliers se replient, réduisant la valeur des hypothèques sur lesquelles sont assis de nombreux emprunts bancaires.

Dans ces conditions, la transmission de la politique monétaire à l'économie réelle pourrait avoir perdu un peu de son efficacité. Cette crainte semble d'autant plus aiguë que l'économie réelle pourrait elle-même reposer sur des ressorts moins puissants que par le passé .

* 4 Part des investissements dans la valeur ajoutée.

* 5 Households signifie « ménages » en anglais.

* 6 Les « subprime » désignent les prêts consentis aux emprunteurs qui n'offrent pas les garanties suffisantes pour bénéficier du taux d'intérêt le plus avantageux ( prime rate ).

* 7 Au quatrième trimestre de l'année 2006, les retards de paiement de la part des ménages figurant dans catégorie « subprime » ont atteint le taux de 13,3 % ; en avril 2007, Fannie Mae et Freddie Mac, les deux plus grosses sociétés de prêts immobiliers aux Etats-Unis, ont proposé d'allonger de trente à quarante ans les remboursements des prêts, pour limiter le nombre de défaillances d'emprunteurs.

* 8 Les actifs (créances commerciales et flux futurs : loyers, redevances et, en particulier, remboursements de crédit) sont « titrisés » lorsqu'ils sont cédés à une structure ad hoc qui émet des titres de créance représentatifs de ces actifs ; il s'agit soit de titres à court terme, les ABCP (asset backed commercial paper), soit de titres à moyen ou long terme, les ABS (asset backed securities).

* 9 Il est cependant peu douteux que certaines restructurations auront lieu dans le secteur bancaire.

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