2. L'augmentation de la productivité du travail

Dans le scénario central, le RESF 2008 évoque « un coup d'arrêt à la tendance baissière observée depuis le début des années 80 sur le nombre d'heures travaillées par tête , en lien avec le nouveau régime d'exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires et complémentaires entrant en vigueur le 1 er octobre » , qui préserverait la croissance potentielle. A l'appui du scénario « haut », le même document invoque « une dynamique d'accumulation du capital plus rapide [qui] viendrait aussi soutenir la croissance potentielle ».

Dans le « document pour l'Eurogroupe » précité, il est précisé que « le second scénario intègre un effet rapide des réformes structurelles menées par le Gouvernement. Dans ce scénario, la croissance annuelle atteint 3 % dès 2009, avec une croissance potentielle sous-jacente progressivement renforcée en raison d'un dynamisme accru de l'emploi, de l'investissement et de la productivité globale des facteurs , et qui atteint 3 % à l'horizon de la période de projection ».

Les trois facteurs susceptibles de concourir à l'augmentation de la productivité du travail sont identifiés : durée du travail, intensité capitalistique et productivité globale des facteurs (PGF). L'intensité capitalistique et la PGF déterminent la productivité horaire du travail qui, combinée à la durée du travail, détermine la productivité du travail.

LES DÉTERMINANTS DE LA PRODUCTIVITÉ HORAIRE DU TRAVAIL

Dans une approche dite de « comptabilité de croissance », l'évolution de la productivité horaire résulte de deux déterminants comptables :

l' intensité capitalistique , ou rapport capital/travail ; elle explique la part de l'évolution de la productivité résultant de l'augmentation de la quantité ou de la qualité des machines mises à la disposition des travailleurs ;

la productivité globale des facteurs (PGF), c'est-à-dire l'augmentation de la production qui ne peut pas s'expliquer par l'augmentation des deux facteurs de production (capital et travail) ; on considère que la PGF mesure le « progrès technique » au sens large, dont les déterminants sont essentiellement l'innovation et les progrès organisationnels. La PGF est aussi qualifiée de « résidu inexpliqué » (ou « résidu de Solow »).

Il convient à ce stade d'évaluer l'impact des trois facteurs susceptibles de favoriser les gains de productivité et donc d'augmenter la croissance potentielle :

a) Le nombre d'heures travaillées

Le nombre d'heures travaillées a un impact direct 48 ( * ) sur la productivité du travail, puisque celle-ci (la productivité par tête) résulte du produit de la productivité horaire et de la durée du travail.

Le RESF 2007 invoquait déjà, à l'appui de la croissance potentielle, « un relèvement du nombre d'heures travaillées par tête ». Il était alors légitime de s'interroger sur les conditions dans lesquelles pourrait intervenir un relèvement de la durée du travail.

Aujourd'hui, le gouvernement semble compter sur le nouveau régime d'exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires pour mettre un terme à la tendance baissière observée ces dernières années concernant le nombre d'heures travaillées par tête (cf. citation supra ).

Or, à court terme , la recherche d'une augmentation de la durée du travail se traduit instantanément par une accélération de la productivité par tête et donc par une croissance moins riche en emplois. Une évolution de cette nature paraît peu souhaitable dans un contexte de sous-emploi. Elle ne semble d'ailleurs pas réellement anticipée puisqu'aussi bien la mesure ici commentée est désormais présentée comme une « mesure du pouvoir d'achat ».

Sans doute, peut-on observer que les allègements de cotisations sociales votés se traduiraient par une plus grande « modération salariale ». Le taux de marge des entreprises s'améliorant et les coûts salariaux unitaires diminuant, ce qui renforce la compétitivité-prix, un supplément de croissance pourrait être attendu de la contribution du commerce extérieur. Cet enchaînement correspondrait à une politique de désinflation compétitive .

A moyen terme , en outre, si toutefois le taux de chômage diminue suffisamment, ainsi que le laissent envisager les projections présentées dans ce rapport, une augmentation de la durée du travail permet d'augmenter la productivité par tête et la croissance potentielle .

b) L'intensité capitalistique

« Une dynamique d'accumulation plus rapide du capital » aboutirait à augmenter l'intensité capitalistique. Le Gouvernement 49 ( * ) part du principe que « les décisions d'investissement dépendent pour une grande part du coût auquel les entreprises peuvent se financer » et conclut que « la réduction du coût de financement est (...) un levier puissant pour favoriser l'accumulation du capital nécessaire à la croissance ».

Dans cette perspective, des mesures seraient prises en faveur de la réduction du coût de financement des entreprises. D'une façon générale, le gouvernement s'est donné pour objectif « de ramener la fiscalité des entreprises dans la moyenne européenne » 50 ( * ) .

Il reste que la crédibilité d'une croissance forte et durable demeure un facteur primordial pour entraîner une dynamique d'accumulation plus rapide du capital, ce qui pose la question de la capacité de la zone euro à appliquer une stratégie de croissance autonome (cf. chapitre III) . Enfin, l'orientation sectorielle de la main d'oeuvre qui se dessine en faveur des services à la personne pourrait peser sur la composante capitalistique de la productivité.

c) La productivité générale des facteurs (PGF)

La PGF résulte d'une utilisation plus efficace de la combinaison capital-travail via, notamment, une réorganisation du travail ou l'introduction d'innovations.

L'augmentation de la PGF résulte en particulier de l'arrivée d'entreprises nouvelles, plus innovantes que les entreprises existantes. Elle est caractéristique d'une économie où domine le processus d'innovation, et non celui d'imitation , c'est-à-dire d'une économie qui évolue à la « frontière technologique », autrement dit au stade le plus avancé - par rapport aux autres pays - du développement technologique.

Le Gouvernement entend oeuvrer en faveur de l'innovation : réforme et renforcement du crédit d'impôt recherche (CIR), rapprochement d'OSEO 51 ( * ) et de l'Agence de l'innovation industrielle (AII), incitation à la protection des innovations, réorientation de la recherche publique vers les secteurs les plus porteurs de débouchés industriels, nouveaux pôles de compétitivité, statut de « jeune entreprise universitaire »...

Partant du constat que la capacité d'innovation et de croissance des PME est « une des clefs des économies mondialisées », la Banque de France observe 52 ( * ) , pour sa part, qu'« un accompagnement spécifique des PME » durant les phases de ralentissement de l'activité pourrait être pertinent pour préserver leur effort d'innovation...

Enfin, l'accroissement de la qualification de la main d'oeuvre et une meilleure attractivité du territoire pour les personnes très qualifiées, seraient recherchés par le Gouvernement.

Pour utiles qu'elles soient, ces mesures ne paraissent pas susceptibles de participer à une élévation sensible de la PGF avant plusieurs années. Dans le cadre d'un rapport d'information sur l'impact macroéconomique de l'augmentation des dépenses de recherche 53 ( * ) , votre Délégation avait été conduite à distinguer deux périodes successives : le temps pour semer, le temps pour récolter . Au cours de la première période (4 à 5 ans), l'investissement en recherche et développement (R&D) pèse sur les déficits public et extérieur sans contrepartie immédiate en termes d'amélioration de l'offre. Au cours de la période suivante, l'investissement en R&D donne des résultats importants en termes de gains de productivité et de croissance, grâce à des innovations de processus (qui permettent de baisser les prix) et des innovations de produits (qui permettent d'améliorer la qualité). Pour obtenir les bénéfices de la deuxième période, il faut maîtriser les déséquilibres et les tensions inhérents à la première période 54 ( * ) .

Par ailleurs, votre délégation indique qu'elle entend porter une appréciation sur le rapport du ministère de l'économie des finances et de l'industrie intitulé « Technologies clés 2010 », étude prospective présentée en 2006 55 ( * ) dont l'objectif est d'identifier quelles seront les technologies les plus importantes pour l'industrie française à moyen terme. MM. Joseph Kergueris et Claude Saunier, membres de votre délégation, seront ainsi les auteurs d'un rapport d'information sur l'évaluation de la stratégie dite « Technologies clés 2010 », à paraître au premier semestre 2008.

Au total, le Gouvernement estime, dans le « document pour l'Eurogroupe » précité, que « les études disponibles montrent que les réformes engagées en France sont à la hauteur de l'objectif d'augmenter la croissance potentielle de 1 % à terme ». Sur la période 2008-2012, les « réformes structurelles sur le marché du travail » contribueraient à un rehaussement du PIB de 0,5 % par an et les « politiques pro-concurrentielles dans les services marchands », à un rehaussement du PIB de 0,3 % par an.

Il apparaît qu'un tel processus conditionne la crédibilité de la programmation financière pour les cinq ans à venir . Or, avec la perspective d'une croissance potentielle globalement inchangée dans la simulation de l'OFCE (fléchissant même de 2 % à 1,9 % en raison d'une moindre augmentation de la population active), le support pour une croissance effective de 2,5 % se trouve significativement affaibli.

* 48 Néanmoins, ainsi que montrent des estimations convergentes (notamment : « Les évolutions de la productivité structurelle du travail dans les principaux pays industrialisés », par Renaud BOURLÈS et Gilbert CETTE, dans le Bulletin de la Banque de France n° 150, juin 2006), une augmentation de 1 % de la durée du travail n'entraîne pas une augmentation équivalente de la productivité du travail. Elle se traduit, en effet, par une baisse de 0,4 % de la productivité horaire. Le gain de productivité du travail imputable à l'augmentation de la durée du travail n'est donc in fine que de 0,6 %.

* 49 « Document pour l'Eurogroupe » du 14 septembre 2007.

* 50 En particulier, le Président de la République a annoncé une réflexion générale sur une réforme de la taxe professionnelle. Par ailleurs, une « revue générale des prélèvements obligatoires » (RGPO) devrait fournir prochainement les bases d'une réforme du système fiscal français propre à le rendre « plus efficace et plus favorable à l'emploi ».

* 51 OSEO a pour mission de financer et d'accompagner les PME, en partenariat avec les banques et les organismes de capital-investissement, dans les phases les plus décisives du cycle de vie des entreprises.

* 52 Bulletin de la Banque de France, septembre 2007.

* 53 Rapport d'information Sénat n° 391, 2003-2004, de M. Joël BOURDIN, au nom de la Délégation du Sénat pour la Planification.

* 54 Une partie de l'échec de la stratégie de Lisbonne, à l'échelle européenne, et notamment pour l'objectif d'augmentation des dépenses de recherche jusqu'à 3 % du PIB, peut ainsi s'expliquer par l'incapacité des autorités européennes - politique et monétaire - à créer l'environnement macroéconomique favorable qui permettra de surmonter les tensions transitoires provoquées par une stratégie d'investissement massif dans la recherche.

* 55 Cette étude est périodique ; instaurée en 1995, elle est menée tous les 5 ans.

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