D. UNE ALERTE SANS PANIQUE

Quelle que soit la qualité de la réglementation et des organismes destinés à donner l'alerte sur des substances chimiques ou des produits utilisés normalement, il semblerait qu'aucune investigation systématique ne soit prévue en cas d'utilisation anormale.

Au premier abord cela ne choque pas mais cette utilisation ne manque jamais d'intervenir, par exemple en cas d'accident comme un incendie, une inondation ou encore de surdosage, d' erreur de manipulation. En l'état actuel des investigations de votre rapporteur, il semble que, mise à part la Commission de la sécurité des consommateurs à l'occasion de saisines ponctuelles, aucun organisme ne soit systématiquement en charge de cela.

Pourtant, il est prévisible que, lors d'un incendie, la mousse de polyuréthane de fauteuils émettra de l'acide cyanhydrique... C'est pourquoi les pompiers ne cessent de réclamer l'édiction de normes pour ce type d'ameublement.

Au-delà des produits eux-mêmes un point essentiel doit être évoqué, le rôle du lanceur d'alerte et la nécessité de donner un statut protecteur au lanceur d'alerte en droit français.

En effet, il est arrivé de nombreuses fois qu'une personne soit à l'origine d'une alerte réelle sur une substance ou un produit alors que le danger de ceux-ci n'était encore pas du tout démontré ou pas complètement ou encore que cette démonstration n'ait pas été jugée suffisamment convaincante pour que des conclusions pratiques en soient tirées.

Malheureusement, en matière de santé publique, entre la première alerte et une action efficace en réponse, ce sont des années voire des dizaines d'années qui s'écoulent.

Dans ce genre de situation, il peut advenir au donneur d'alerte, situé à l'intérieur d'un organisme ayant une perception différente de la pertinence immédiate de ladite alerte, de se trouver d'abord isolé, puis harcelé, voire licencié.

En conséquence, il apparaît très souhaitable que soit établi un cadre pour que soit considéré comme recevable un type d'alerte. Il est essentiel que soit défini un statut du lanceur d'alerte car autant il est dérangeant pour un organisme de recherche ou une institution, voire pour la société, d'être directement ou indirectement mis en cause par un lanceur d'alerte, autant il est hautement anormal de voir des lanceurs d'alertes pertinentes subir des représailles pour avoir eu raison trop tôt ou, simplement, d'avoir dérangé si peu que ce soit un ordre établi.

Or, en particulier dans les organismes de recherche, l'imagination conduisant à formuler des hypothèses doit être non seulement accueillie mais encore recherchée et cultivée dans l'intérêt même de la vitalité dudit organisme .

Encore une fois, des exemples étrangers seraient-ils de nature à inspirer une nouvelle législation française ?

Aux États-Unis d'Amérique , il existe le Lincoln Act ou False Claims Act de 1863, permettant à tout citoyen d'agir au non des États-Unis en cas de fraude ou de détournement de biens publics, et le Whistle blower protection Act, réservé aux employés du secteur public pour divulguer toute violation de la loi. Ce dernier texte des dispositions tendant à mettre le lanceur d'alerte à l'abri de toutes représailles grâce à l'action de deux agences gouvernementales. Lorsque la santé publique est en jeu, les affaires sont traitées par priorité. Plus d'une trentaine d'agences sont habilitées à recueillir les divulgations.

Le Whistle blower protection Act protège les salariés contre les éventuelles mesures de rétorsion de leur employeur lorsque ceux-ci ont pris l'initiative de dénoncer un comportement de nature à porter atteinte à la santé - la leur ou celle d'une partie de la population - ou à l'environnement.

Au Royaume-Uni , le Public Interest Disclosure Act de 1999 permet à tous les employés, du public comme du privé, de dénoncer, par exemple, un danger pour la santé, la sécurité, l'environnement . Il incombe au divulgateur d'apporter la charge de la preuve.

Cette loi a inspiré l'Australie , la Nouvelle-Zélande et l'Afrique du Sud .

En France , pour l'instant, une telle protection ne résulte que de la jurisprudence , notamment de l'arrêt de la Cour de cassation du 11 octobre 2000 dans l'affaire CICOLELLA , spécialiste des effets sur la santé des éthers de glycol, qui a reconnu à un chercheur salarié le droit au « respect de l'indépendance due aux professionnels de la santé au travail » et en déduit qu'il doit exister un lien de subordination propre aux métiers de santé - que ce soit dans l'expression ou dans le comportement . Ce lien doit permettre l'existence d'un processus particulier de règlement des différends car ceux-ci peuvent être liés à l'incertitude scientifique qui impose, par nature, des débats contradictoires ; cela devant même aller jusqu'à entraîner des conséquences sur le droit de licenciement dont la rigueur en est atténuée.

Par la suite, un jugement du Tribunal de grande instance de Troyes du 10 mars 2004 a reconnu à un tout citoyen le droit de dénoncer un produit potentiellement dangereux et de divulguer des informations à ce sujet . Il s'agissait, en l'occurrence, de l'insecticide Gaucho.

Bien plus, le 31 mars 2004, le Conseil d'État , dans une instance opposant l'Union nationale de l'apiculture française au ministère de l'agriculture, a jugé que c'était à l'État et non au lanceur d'alerte d'apporter la preuve que les études sur l'absence de risque de l'insecticide Gaucho avaient été correctement effectuées.

Au vu de ces progrès, mais aussi de leur lenteur et de leur caractère un peu hasardeux, il apparaît d'intérêt général qu'une loi sur les lanceurs d'alerte et leur protection puisse voir le jour en France .

Une telle loi doit traiter de la protection à la fois de l'alerte et de l'expertise, car les deux aspects sont intimement liés. Un expert ne peut , en effet, émettre un jugement en toute indépendance s'il n'est pas assuré que ses prises de position dans le cadre d'une expertise ne puissent lui occasionner des conséquences négatives dans son travail, qui peuvent aller, on l'a vu, du licenciement jusqu'à la mise au placard et l'impossibilité de travailler.

L'analyse des expertises menées dans le cadre des éthers de glycol a montré des dysfonctionnements à la fois dans la composition des comités d'experts (non respect du principe de l'expertise contradictoire) et dans les règles à suivre pour analyser les données scientifiques (l'évaluation des risques en plus de l'évaluation des dangers) .

Il serait donc souhaitable de confier à une Haute autorité de l'alerte et de l'expertise la fonction de définir la déontologie de l'alerte et de l'expertise , et de la faire respecter dans les organismes publics et privés . Des comités de déontologie de l'alerte et de l'expertise seraient créés dans chaque organisme sous son égide. Cette Haute autorité aurait aussi la charge de définir la déontologie de la relation des organises d'expertise avec les citoyens et de la faire respecter. Cette proposition se situe dans la continuité de la proposition de loi sur le sujet du sénateur Claude SAUNIER, membre de l'OPECST.

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