EXAMEN EN COMMISSION

La commission a, au cours, de sa réunion du 30 janvier 2008, procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Paul Emorine, président, relatif au déplacement d'une délégation de sénateurs au Brésil.

Après avoir rappelé que neuf membres de la commission, MM. Jean-Paul Emorine, Gérard Cornu, François Fortassin, Bernard Dussaut, René Beaumont, Mme Yolande Boyer, M. Philippe Darniche, Mme Evelyne Didier et M. Yannick Texier, avaient effectué une mission au Brésil du 11 au 17 septembre 2007 pour étudier le décollage économique du pays, notamment sous ses aspects agricoles et industriels, M. Jean-Paul Emorine, président, a précisé que la délégation s'était successivement rendue à São Paulo, Brasilia et Rio de Janeiro pour mener des entretiens sur l'agriculture brésilienne, l'industrie automobile et les biocarburants.

Soulignant que le Brésil était le cinquième pays du monde par la taille de sa population, 186 millions d'habitants en 2006, et par sa superficie, 8,5 millions de kilomètres, il a relevé qu'avec un produit intérieur brut (PIB) de 1.067 milliards de dollars en 2006, soit 730 milliards d'euros selon le cours actuel du change, le pays s'était hissé au rang de dixième puissance économique mondiale, alors qu'il ne se situait qu'à la quinzième place en 2005. L'économie brésilienne se caractérise par une agriculture résolument tournée vers les exportations, le pays disposant de ressources foncières immenses, avec 60 millions d'hectares de terres cultivées et 230 millions d'hectares de pâturages. Au surplus, il dispose encore, hors forêt amazonienne, de 90 millions d'hectares de terres disponibles et des pâturages pourraient être libérés pour être transformés en cultures si l'élevage était rendu un peu plus intensif.

Les exportations agricoles brésiliennes ont ainsi crû régulièrement depuis une vingtaine d'années, avec une véritable explosion depuis 2001, les exportations agroalimentaires ayant progressé de 16,3 % par an en moyenne entre 2001 et 2005. En 2006, sur un excédent commercial de 46,1 milliards de dollars, le solde des échanges agro-industriels s'est élevé à 42,7 milliards, soit 93 % du total. Le secteur agro-alimentaire est de ce fait devenu l'un des plus dynamiques du pays, représentant 30 % du PIB, 37 % des emplois et jusqu'à 40 % des exportations. Le Brésil est le premier exportateur mondial de soja, de sucre/éthanol, de boeuf, de café, de poulet, de tabac ou de jus d'orange. Ses principaux marchés sont l'Union européenne, mais aussi, pour une part croissante, l'Amérique latine, les Etats-Unis et l'Asie, notamment sous l'influence de la Chine.

Après avoir fait constater que la viande brésilienne représentait 30 % du marché mondial, M. Jean-Paul Emorine, président, a souligné que le Brésil avait des ambitions très élevées en la matière et souhaitait s'appuyer sur les négociations commerciales menées dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) pour pénétrer plus fortement sur le marché européen. Actuellement, les autorités brésiliennes reprochent à l'Union européenne de se prévaloir de l'insuffisance des contrôles sanitaires sur le cheptel à la frontière du Paraguay et de l'Argentine pour protéger son marché intérieur.

Puis il a noté que 11,6 millions d'hectares étaient consacrés à la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM), du soja pour l'essentiel, ce qui représente 60 % des terres cultivées en France, que le Brésil s'était doté très tôt d'une législation pour encadrer leur développement et avait assoupli les règles d'autorisation des cultures OGM en 2007.

Il a ensuite expliqué que l'économie brésilienne disposait également d'une solide base industrielle, la plupart des activités étant principalement regroupées dans les Etats de São Paulo et de Rio de Janeiro, le premier représentant plus du tiers du PIB brésilien, plus du tiers de la consommation nationale et concentrant plus de la moitié des sièges des 500 plus grandes entreprises. La délégation de la commission a eu des entretiens avec le président de la Fédération des industries de Saõ Paulo (FIESP), celle-ci rassemblant plus de 140.000 entreprises représentant, selon ses évaluations, 45 % du PIB national et 60 % des exportations de biens manufacturés. Dans l'Etat de Rio de Janeiro, l'extraction pétrolière occupe une place importante, avec plus de 84 % de la production nationale. Enfin, le Brésil est doté de deux pôles d'excellence dans les secteurs automobile et aéronautique, l'avionneur brésilien Embraer étant le numéro un mondial des avions régionaux.

M. Jean-Paul Emorine, président, a nuancé la présentation de ces atouts économiques en expliquant que le Brésil était marqué par certaines faiblesses socio-économiques. Tout en relevant que le pays avait récemment réussi sa stabilisation macroéconomique, à travers la diminution de l'inflation, le dégagement d'excédents budgétaires primaires depuis plusieurs années ou le remboursement anticipé de sa dette internationale, il a mis en avant : l'appréciation du real qui pèse sur le niveau des exportations, le niveau très élevé des taux d'intérêt, qui ne facilite pas les investissements, l'insuffisance des infrastructures de transport, les partenariats public/privé en la matière faisant défaut, comme le montre l'exemple de la mégapole de São Paulo, considérablement sous-dotée en matière de transports publics, les très grandes inégalités au sein de la société brésilienne, s'agissant de la répartition des revenus et des richesses, et, enfin, les importants déséquilibres régionaux, notamment entre les régions du sud-est et le reste du pays.

Soulignant ensuite que le thème des biocarburants avait constitué le véritable « fil rouge » des entretiens de la délégation, M. Jean-Paul Emorine, président, a rappelé que le développement des biocarburants au Brésil remontait aux années 1970, avec le plan Proalcool mis en place par le gouvernement de la dictature militaire, pour réduire la dépendance de l'économie nationale au pétrole à la suite du premier choc pétrolier. Mais l'essor réel des biocarburants est plus récent et lié à la diffusion des véhicules flex-fuel, la délégation ayant, à ce titre, visité une des chaînes de montage de l'usine PSA à Porto Real, usine d'une capacité de production de 100.000 véhicules par an, prochainement portée à 150.000. Les voitures flex-fuel représentent désormais entre 80 et 90 % des ventes de véhicules neufs, contre seulement 3 % en 2003 et les membres de la délégation ont été frappés par l'excellence de l'industrie automobile brésilienne et les risques en résultant pour l'industrie automobile européenne.

Par ailleurs, le Brésil est devenu le deuxième producteur mondial d'éthanol, avec 17 milliards de litres en 2007, derrière les Etats-Unis, 20 % de la production nationale étant exportés. Le succès du pays dans ce domaine repose d'abord sur la culture de la canne à sucre, le Brésil en ayant produit 470 millions de tonnes en 2006-2007. Il dispose, à cet effet, de réels points forts : des conditions agro-climatologiques favorables, des surfaces agricoles importantes et faciles à travailler, l'obligation de ne replanter la canne que tous les six ans et l'utilisation de la bagasse de la canne à sucre comme source d'énergie dans les usines de biocarburants. Surtout, le rendement d'un hectare de canne à sucre est très élevé, puisqu'il permet la production de 7.000 litres d'alcool, contre 3.000 litres pour un hectare de maïs aux Etats-Unis. Enfin, la surface agricole utilisée pour la canne à sucre est estimée à 6,2 millions d'hectares, ce qui laisse des marges de progression considérables.

Néanmoins, au regard des objectifs ambitieux de développement du gouvernement (doublement de la production d'éthanol d'ici à 2015), la question de l'augmentation de la surface dédiée à la culture de la canne se pose pleinement. Soulignant qu'un simple raisonnement arithmétique pourrait laisser penser que l'utilisation d'une partie des 90 millions d'hectares disponibles permettrait d'atteindre ces objectifs, il a considéré que cette estimation était sujette à caution, la plupart de ces terres se situant dans le « cerrado » (savane), dont les conditions climatiques et hydrologiques ne conviennent pas à ce type de culture.

Il a ensuite souligné que le Brésil était souvent l'objet d'attaques sur les effets supposés du développement de la culture de la canne sur l'Amazonie. Sur ce point, il a relevé que la plupart des interlocuteurs rencontrés par la délégation avait insisté sur le fait que le climat et le sol de la région amazonienne n'étaient pas adaptés au développement de la canne à sucre et que, dès lors, la déforestation ne pouvait être imputée au développement des biocarburants. Ces mêmes interlocuteurs ont également fait valoir le fait que la situation de la forêt amazonienne était souvent présentée de manière caricaturale à l'étranger. Tout en reconnaissant que ces affirmations apparaissaient de bon sens, M. Jean-Paul Emorine, président, a cependant estimé que le développement de la culture de la canne à sucre créait, de fait, une pression sur les autres usages de la terre.

Il a ensuite évoqué le plan, lancé par le gouvernement brésilien, en faveur du biodiesel imposant l'incorporation de 2 % de biodiesel dans le diesel, depuis le 1 er janvier 2008, puis de 5 % en 2013. Les objectifs de ce plan sont multiples : réduction de la dépendance du Brésil aux importations de diesel, réduction des émissions de gaz à effet de serre et lutte contre la pauvreté parmi les petits agriculteurs vivant de la culture de plantes oléagineuses, ce programme ayant déjà permis de donner du travail à 250.000 personnes. Il a, au surplus, rappelé que l'utilisation du diesel pour les véhicules particuliers était interdite depuis la fin des années 1970 et qu'en conséquence le diesel était uniquement utilisé par les poids lourds et les machines agricoles, ce qui, comme l'avait relevé M. Gérard Cornu lors de la mission, serait inconcevable en France.

S'agissant des aspects industriels des biocarburants, après avoir expliqué qu'aux 369 usines de sucre/éthanol actuellement en service devraient s'ajouter 40 usines en cours de construction et 60 en cours d'approbation, il a noté que l'outil industriel de fabrication de l'éthanol au Brésil était performant.

Développée au départ par des subventions publiques, la filière de l'éthanol est désormais déréglementée. Du fait du caractère mixte sucre/alcool des usines, cet outil de production a créé des corrélations de prix entre les cours du pétrole et du sucre. Les véhicules flex-fuel pouvant indifféremment utiliser de l'essence, de l'éthanol ou un mélange des deux, les consommateurs effectuent leur choix en fonction des prix respectifs des deux produits. Si le prix de l'essence augmente, la demande d'éthanol augmentera et l'outil de production sera davantage sollicité pour en produire. Dans le même temps, la production de sucre diminuera, ce qui aura pour conséquence d'en réduire l'offre, et donc de faire monter son prix dans un contexte de hausse continue de la consommation de sucre au niveau mondial.

L'éthanol brésilien est par ailleurs très compétitif, notamment par rapport aux productions américaines ou européennes. Selon un expert en biocarburants rencontré par la délégation, les biocarburants européens ne supporteraient pas la concurrence avec les biocarburants brésiliens sans protections douanières. Toutefois, il apparaît difficile pour le Brésil d'atteindre ses objectifs très ambitieux d'augmentation de la production d'éthanol, en raison tant de la difficulté de mobiliser des terres supplémentaires pour la culture de la canne à sucre que de celle de développer l'outil de fabrication à un rythme suffisamment soutenu.

M. Jean-Paul Emorine, président, a conclu en évoquant la recherche brésilienne, très active sur les biocarburants de deuxième génération, produits à partir de la biomasse de la canne à sucre ou du bois, le développement de cette nouvelle génération devant permettre d'augmenter substantiellement le potentiel de production d'éthanol.

Tout en saluant le caractère précis et détaillé du rapport, Mme Evelyne Didier a regretté n'avoir eu qu'une vision partielle du Brésil, la délégation ne s'étant rendue que dans deux Etats du pays et n'ayant pas rencontré de représentants de la population, de syndicats ou d'associations. Puis elle a évoqué la très grande volonté des entrepreneurs et des élus brésiliens de favoriser l'insertion de leur économie dans le marché international, tout en ayant -semble-t-il- une vision claire des forces et des faiblesses de celle-ci. Sur l'Amazonie, elle s'est déclarée frappée par le discours offensif des interlocuteurs rencontrés par la délégation, par leur besoin d'affirmer leur responsabilité sur ce territoire et par leur refus de « recevoir des leçons » de la part d'interlocuteurs étrangers. Enfin, elle a également noté la volonté affirmée des Brésiliens de pénétrer plus fortement sur le marché européen grâce à une réduction des barrières tarifaires et non tarifaires.

Après avoir précisé que M. Gérard Cornu, dont il a excusé l'absence, s'associait à ses réflexions, M. Yannick Texier a souligné qu'au fil des entretiens la délégation avait mesuré les difficultés que le Brésil éprouverait pour atteindre ses objectifs en matière de production d'éthanol. Tout en reconnaissant que les surfaces encore disponibles étaient importantes et que le rendement de la canne à sucre pour la production de biocarburants était supérieur à celui du maïs ou de la betterave, il a relevé que l'éthanol, bien que d'un prix inférieur à celui de l'essence, présentait un rendement énergétique de 30 % inférieur à l'essence. En outre, le « cerrado » brésilien n'est pas nécessairement approprié à la culture de la canne à sucre.

M. René Beaumont a fait valoir que les interlocuteurs brésiliens rencontrés par la délégation se considéraient capables d'assurer le contrôle sanitaire des élevages, mais sans en apporter la preuve. Or, il a estimé que cette capacité à assurer la traçabilité et le contrôle sanitaire du cheptel pouvait être mise en doute compte tenu du caractère extensif de l'élevage brésilien. Enfin, il a tenu à réaffirmer qu'au regard du caractère compétitif de la production brésilienne de sucre, cette production ne serait plus rentable en France et que le Brésil était également le leader mondial du jus d'orange, des entreprises françaises exerçant d'ailleurs des activités dans ce secteur.

M. Michel Bécot s'est interrogé sur la réalité du défrichage de la forêt amazonienne et s'est demandé si les volailles brésiliennes étaient nourries avec des produits OGM.

M. Gérard Bailly a considéré, dans un contexte de redéfinition de la politique agricole commune (PAC), qu'il était indispensable d'analyser les grandes tendances de l'économie agricole internationale, à laquelle le Brésil participe activement. Il a ensuite demandé des précisions sur l'ampleur de la production laitière brésilienne, la nature des produits agricoles sur lesquels l'économie brésilienne est particulièrement compétitive, l'importance de l'agriculture biologique et la présence ou non de fièvre catarrhale.

M. François Fortassin a indiqué que le défrichage de la forêt amazonienne était lié à l'importance de la culture sur brûlis et relevé l'attachement des autorités brésiliennes à démontrer leur attitude responsable sur cette zone géographique. D'autres espaces naturels sont également menacés au Brésil, a-t-il ajouté, notamment la sierra brésilienne (sertão). Enfin, il a souligné que la perception de la population brésilienne sur la question des OGM était totalement différente de celle des Européens.

A l'instar de Mme Evelyne Didier, Mme Yolande Boyer a regretté n'avoir pu, au cours de la mission, rencontrer des représentants de la population ou de syndicats. Puis, elle a indiqué que ce déplacement lui avait permis de prendre conscience de l'avance considérable du Brésil dans le domaine des biocarburants, développés dès les années 1970, et de se rendre compte des capacités gigantesques de production nationale dans le domaine des produits agricoles. De plus, le Brésil compte énormément sur le résultat des négociations commerciales menées dans l'enceinte de l'OMC pour développer ses exportations. Néanmoins elle a noté que le pays éprouvait encore de grandes difficultés à assurer un revenu décent à une grande partie de la population. Enfin, elle a souligné que le pays présentait de multiples facettes, notamment entre São Paulo et Brasilia, évoquant dans le second cas, l'originalité de l'architecture de la ville.

M. Roland Courteau s'est interrogé sur l'origine des sources de production d'électricité au Brésil et s'est demandé si le pays avait ratifié le protocole de Kyoto.

M. Yannick Texier a enfin apporté des précisions sur la production laitière brésilienne, relevant que celle-ci n'était pas très importante au regard de l'ampleur du cheptel, constat confirmé par M. François Fortassin.

En réponse à ces différentes interventions, M. Jean-Paul Emorine, président, a apporté les précisions suivantes :

- les délais impartis pour une mission à l'étranger obligent à sélectionner le nombre et la nature des entretiens, ainsi que les thèmes de travail ;

- le Brésil a une approche américaine de la mondialisation et souhaite exporter le plus massivement possible ses produits au regard de leur qualité ;

- le discours local est a priori optimiste sur le contrôle de la fièvre aphteuse, notamment de la part du président de l'Association brésilienne des industries exportatrices de viande ;

- la France pourra devenir un acteur important du biodiesel, à condition que les biocarburants de deuxième génération soient élaborés ;

- l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) pourrait exercer un rôle positif au Brésil sur les questions de contrôle sanitaire du cheptel ;

- le cheptel brésilien est nécessairement nourri, pour une part, avec des OGM ;

- le défrichage de la forêt amazonienne, bien que s'atténuant, reste une réalité ;

- la délégation n'a pas été alertée sur l'existence de poches de fièvre catarrhale au Brésil et l'agriculture biologique n'est pas très développée, le pays ayant d'autres préoccupations immédiates pour nourrir convenablement sa population ;

- le Brésil est compétitif pour les exportations de produits agricoles grâce à la faiblesse de sa monnaie et de ses coûts de production et en raison des conditions climatiques favorables ;

- la production laitière ne constitue pas un point fort du Brésil, contrairement à l'élevage ;

- la poursuite des activités de recherche dans le domaine des OGM en France est fondamentale, notamment pour apporter une solution au problème de l'alimentation des élevages français de viande blanche ;

- les autorités brésiliennes ont ratifié le protocole de Kyoto, mais n'ont souscrit à aucun engagement de réduction des émissions de gaz à effet de serre ;

- l'électricité brésilienne est majoritairement produite à partir de l'hydraulique, de combustibles fossiles et, pour une part marginale, du nucléaire.

Puis la commission a adopté à l'unanimité le rapport de la mission d'information.

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