2. Une incapacité à planifier le développement de l'agglomération faute d'outils adaptés

Si le chef de l'État a jugé nécessaire de remettre en cause le processus d'établissement du SDRIF, ce n'est pas parce que le travail considérable réalisé par le conseil régional aurait abouti à un échec. Au contraire, le processus de consultation préparatoire a donné lieu à un débat intense qui a permis de forger progressivement un discours régional d'aménagement du territoire et d'identifier des priorités comme la nécessité de construire 60 000 logements par an et de privilégier une politique de densification du tissu urbain. Par ailleurs, la réflexion en termes de faisceaux a permis d'enrichir utilement la compréhension des liens qui unissent de plus en plus la métropole avec les espaces interrégionaux qui courent le long des grands axes que représentent la Seine et les autoroutes.

Le problème tient en fait davantage à l'exercice même de la planification régionale qui non seulement ne constitue pas un outil véritablement opérationnel d'accompagnement et de transformation du territoire mais aussi ne tient pas compte des besoins spécifiques de la métropole comme l'a montré le refus de la région de prendre en compte plusieurs infrastructures routières (bouclage de la Francilienne, prolongement de l'A12) ou ferroviaires (CDG Express, Métrophérique) et le plan de renouveau de La Défense (augmentation de 300 000 m 2 ).

Comme le remarque le professeur François Ascher, « le projet de schéma directeur de la région Île-de-France ne propose pas véritablement un schéma directeur. C'est une sorte de plan-catalogue, qui met en évidence beaucoup de besoins, qui propose de multiples solutions, mais qui ne hiérarchise pas les urgences, qui n'arbitre pas véritablement entre les diverses options, et qui ne propose pas de réelles stratégies » 40 ( * ) . Comme il le remarque, la faute n'en incombe pas aux autorités chargées de l'élaborer car non seulement le pouvoir régional est limité dans ses compétences et divisé politiquement mais il doit composer avec une multitude de pouvoirs locaux dont 1 280 communes, 8 départements et 94 intercommunalités.

A vouloir contenter tout le monde, la région a réussi à aboutir à un document qui ne permet pas de définir l'avenir de l'agglomération car, comme le remarque le professeur François Ascher, « peut-on ainsi de fait fermer la zone centrale à la façon londonienne (même si c'est sans péage), développer une centralité périphérique sur le modèle de Tokyo (tout le long du périphérique), conforter les logiques départementales en pétales sur le modèle de Madrid Sur, renforcer les grands pôles à vocation internationale existants tout en rééquilibrant la région à l'Est, conforter de fait les lignes de structuration héritées de la politique des villes nouvelles tout en rangeant tout cela dans des « faisceaux », « assemblages de choses semblables, de forme allongée, liées ensemble » (selon le Robert) dont on peine à trouver une trace dans l'espace et dont on voit mal sur quelles logiques et sur quels acteurs ils pourraient s'appuyer ? Peut-on à la fois, comme l'ambitionne le schéma, « articuler compacité, densité, cohérence, mixité et proximité », dans une région dilatée et hétérogène, dans laquelle les modes de vie et les attentes des habitants sont diversifiées ? Peut-on « rendre le coeur d'agglomération plus accessible », « densifier » tout en « renforçant la place de la nature dans la ville » ? » .

En réalité, le niveau régional apparaît inadéquat pour déterminer une stratégie territoriale effective compte tenu, en particulier, de l'absence de capacité d'action directe sur le foncier à travers le permis de construire qui demeure de la responsabilité de la commune. Seul l'État peut aujourd'hui s'affranchir de ces contraintes à travers les opérations d'intérêt national (OIN) qui ont pour conséquence de transférer à l'État la responsabilité du permis de construire. L'État devient alors le maître d'oeuvre chargé de mobiliser les moyens financiers correspondants qui seront mis à disposition d'un établissement public d'aménagement comme ceux qui gèrent encore les villes nouvelles de Sénart et Marne-la-Vallée et le quartier d'affaires de La Défense.

La mise en oeuvre d'un véritable plan de développement de l'agglomération nécessiterait la définition d'un Plan du Grand Paris ayant en particulier pour objectif de déterminer de véritables « opérations d'intérêt métropolitain » (OIM) qui pourraient avoir des effets comparables aux OIN .

On peut rappeler, à cet égard, que la notion d'opération d'intérêt national est née en 1983, lors de la décentralisation en matière d'urbanisme, de la nécessité de ménager un régime d'exception au transfert de compétence afin de préserver des champs de prérogatives spécifiques de l'État pour la réalisation d'opérations d'envergure et/ou stratégiques. Il n'existe pas de définition de l'opération d'intérêt national. Le législateur en a reconnu le principe, déterminé les effets et a habilité le gouvernement à les désigner (art. L. 121-9 du code de l'urbanisme). Le décret du 30 décembre 1983 a dressé une liste des opérations d'intérêt national. Toute nouvelle opération est créée par un décret en Conseil d'État qui l'inscrit sur cette liste, figurant à l'article R. 490-5 du code de l'urbanisme. Ce même décret en fixe le périmètre. Les textes ne subordonnent pas la création de l'opération à une consultation préalable particulière.

La qualification d'opération d'intérêt national a pour effet juridique de retirer aux communes ou EPCI compétents et d'attribuer à l'État :

- la compétence en matière d'autorisations d'occuper ou d'utiliser le sol telles que permis de construire, autorisation de lotir (art. L. 421-2-1 du code de l'urbanisme) ;

- la compétence relative à la création des ZAC (art. L. 311-1 du code de l'urbanisme, 3 ème alinéa) ;

- la compétence pour prendre en considération les opérations d'aménagement à l'intérieur du périmètre de l'opération d'intérêt national, qui permet de surseoir à statuer (art. L. 111-10 du code de l'urbanisme).

La création de l'opération d'intérêt national est en revanche sans effet sur la compétence des communes ou EPCI en matière d'élaboration des documents d'urbanisme. L'État n'est pas maître de la définition du projet d'aménagement et de développement des territoires concernés, mais il peut influer sur son contenu et veiller à ce que les règles adoptées dans les documents de planification permettent la réalisation des opérations nécessaires à la mise en oeuvre des orientations qu'il a retenues pour le secteur considéré (art. L. 121-2 du code de l'urbanisme). En tant que de besoin, l'État peut, dans le cas où la réalisation d'une opération nécessite la modification ou la révision du plan local d'urbanisme, la qualifier de projet d'intérêt général (PIG), notifier celui-ci à la commune ou à l'EPCI compétent en lui demandant de procéder à la modification ou à la révision. A défaut, l'État peut se substituer et procéder lui-même à la modification ou à la révision.

La disposition de l'article L. 5311-3 du code général des collectivités territoriales qui prévoit, s'agissant des villes nouvelles, que « le périmètre d'urbanisation est considéré comme périmètre d'opération d'intérêt national (...) ; les opérations situées à l'intérieur de ce périmètre constituent des projets d'intérêt général (...) » , n'est pas applicable aux autres opérations d'intérêt national. Son extension à l'ensemble des opérations d'intérêt national relèverait d'une disposition législative.

C'est pourquoi la quasi-totalité des opérations d'intérêt national s'appuie pour leur réalisation sur un établissement public dont le périmètre d'intervention est au minimum celui de l'opération d'intérêt national (le périmètre de compétence de l'établissement public est identique à celui de l'opération d'intérêt national s'agissant de La Défense et Seine-Arche à Nanterre, mais il est plus large en ville nouvelle).

A l'inverse, les grandes opérations d'urbanisme sur lesquelles l'État a créé un établissement public d'aménagement n'ont pas systématiquement été accompagnées de la création d'une opération d'intérêt national (Plaine-de-France, Mantois Seine-Aval). La formule de l'établissement public n'est pas la seule possible même si elle a fait ses preuves dans le domaine de l'aménagement.

La création d'opérations d'intérêt métropolitain (OIM) sur le modèle des opérations d'intérêt national apparaît à votre rapporteur comme la seule solution permettant tout à la fois de préserver les compétences de droit commun des communes en matière d'urbanisme et de doter le Grand Paris d'outils juridiques lui permettant de mener lui-même des opérations importantes en matière de construction de logements et de grands équipements. A quoi pourraient servir concrètement ces nouvelles OIM ? En observant les dernières réalisations dans l'agglomération, on peut estimer que la réhabilitation des terrains des anciennes usines Renault, le développement de la ZAC Paris Tolbiac ou encore l'aménagement de la ZAC Clichy-Batignolles constituent de bons exemples de chantiers à dimension métropolitaine qui auraient pu avoir vocation à être conduits directement par le Grand Paris.

« Londres n'aurait pas obtenu l'organisation des JO de 2012

sans la création du Grand Londres »

Mme Elizabeth Meek,

directrice du Government Office for London.

Rencontre avec la délégation sénatoriale,

31 janvier 2008.

* 40 « Les non-choix du SDRIF en font un catalogue, mais pas un projet stratégique », François Ascher in Pouvoirs locaux, n° 73 II/2007, p. 57.

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