2. Le débat sur le Grand Paris

La question des frontières de Paris ne s'éteint pas avec l'annexion de 1860 ni avec les nouvelles annexions autorisées par le décret du 27 juillet 1930 concernant les territoires « zoniers » de Levallois-Perret, Clichy, Saint-Ouen, Saint-Denis, Aubervilliers, Pantin, le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Bagnolet et Montreuil. De nombreux élus ont pris conscience du caractère contingent de ces modifications de périmètre et ont proposé de réfléchir à la taille optimale de l'agglomération dans une perspective de planification régionale.

L'idée de créer un Grand Paris ne date pas de la période de l'Occupation, comme on le lit parfois. Elle remonte au moins au début du XX e siècle lorsque se développe la banlieue avec son cortège de problèmes urbains et prend forme sous la plume de responsables de gauche qui dénoncent l'égoïsme des arrondissements parisiens. C'est en particulier le cas d'Henri Sellier qui rédige en 1914 un rapport intitulé « Les banlieues urbaines et la réorganisation administrative du département de la Seine » dans lequel il dénonce l'imprévoyance administrative et l'anarchie qui ont favorisé les maux que connaît la banlieue (surpeuplement, insalubrité, insuffisance des transports...). En 1920, Albert Thomas, ancien ministre de l'Armement et surtout maire de Champigny de 1912 à 1919, rédige une préface au rapport d'Henri Sellier dans laquelle il se prononce pour l'institution d'un conseil général qui place l'intérêt commun au coeur de son action.

Extraits de la préface d'Albert Thomas au rapport d'Henri Sellier de 1915
publié dans la collection « Les documents du socialisme »

(...) Dans une immense agglomération comme celle de la Seine, il faut que toutes les compétences soient utilisées chacune à leur place. Il faut une grande administration centrale pour tout le département. Il faut, dans chaque coin, l'utilisation intelligente des bonnes volontés et des dévouements.

Henri Sellier a décrit dans ses grandes lignes l'organisation nouvelle qui doit être instituée : un conseil général élu par un mode de scrutin qui place les problèmes généraux au premier plan des préoccupations de l'Assemblée, qui abolisse l'esprit de canton ou d'arrondissement, qui gère à la fois les services communaux de la ville de Paris et des communes suburbaines, qui englobe en un mot le conseil municipal, le conseil général et, dans une certaine mesure, les conseils municipaux des Communes.

A côté, soit dans ces Communes de banlieue, soit dans les arrondissements de Paris, des conseils et des commissions élus auront des attributions strictement limitées aux questions locales.

Le système est simple. Il est dicté par les nécessités économiques et sociales. Il ne s'agit plus de réclamer, selon une formule surannée, l'autonomie municipale de Paris ou le régime de droit commun pour Paris et sa banlieue. Une situation exceptionnelle exige une organisation exceptionnelle. Mais sa conception ne peut être inspirée par ces scrupules politiques, par cette peur de la grande cité révolutionnaire qui faisait créer naguère pour Paris un régime d'exception. Elle doit être inspirée seulement par la nécessité d'une bonne organisation administrative. (...)

Une attention toute particulière mérite d'être accordée aux travaux d'André Morizet qui fut maire SFIO de Boulogne de 1919 à sa mort en 1942, conseiller général puis sénateur de la Seine. Il réhabilite Haussmann à gauche en le décrivant, dans une biographie qu'il lui consacre, comme l'homme du changement d'échelle. Il remet au Président du Conseil Léon Blum le 10 juillet 1936 un rapport signé avec Henri Sellier sur la réforme administrative du Grand Paris, qui serait constitué des quatre-vingts communes de la Seine et des vingt arrondissements, et qui disposerait dès lors des prérogatives de droit commun. Ces propositions n'aboutiront pas même si André Morizet sera nommé Président du CSOARP.

La question des grandes agglomérations vue par Henri Sellier,
Président SFIO du Conseil de la Seine 6 ( * )

« En général, le problème se pose de la façon suivante :

A l'origine il y a identité entre l'agglomération urbaine et l'unité administrative. Cette unité, ville ou commune, contient, dans les limites de son territoire, l'ensemble de la population agglomérée ou éparse, procédant de la même vie économique et sociale urbaine, et ayant une solidarité complète d'intérêts.

Le phénomène de la concentration urbaine intervenant, l'agglomération initiale reçoit progressivement un afflux de population tel que celle-ci est appelée à s'établir en dehors des limites administratives de la ville ou commune.

Une partie de la population doit, en continuant à participer d'une activité économique et d'une vie urbaine uniques, être répartie sur le territoire d'unités administratives différentes, n'ayant entre elles aucun lien étroit.

Ce phénomène est encore accentué au fur et à mesure que le développement et le perfectionnement des transports urbains facilitent l'exode vers la périphérie.

L'agglomération parisienne, pour prendre cet exemple, comporte un noyau central : Commune de Paris, avec 3 millions d'habitants et, pour ne prendre que la partie de cette agglomération qui est comprise dans les limites du district (département de la Seine), 1 million ½ d'habitants qui sont répartis entre 79 communes indépendantes à la fois de la ville de Paris et les unes des autres.

Or il est, au point de vue sociologique et économique, impossible de différencier les habitants de telle ou telle partie de l'agglomération. Les limites communales résultant de vieilles traditions historiques ont topographiquement complètement disparu, les communes s'interpénètrent les unes les autres, les populations ont les mêmes besoins administratifs et les mêmes préoccupations économiques et sociales, et cependant chaque commune étant administrativement indépendante, le problème se pose de savoir comment vont être organisés les services communs, comment les communes peuvent être appelées à collaborer en quartier commercial ou industriel, en centre de résidence bourgeois, en agrégat de populations ouvrières ou miséreuses.

Les ressources produites par l'activité économique de l'agglomération, et qui servent de base aux impositions locales, se trouvent parfois concentrées dans certaines communes, alors que les charges qu'entraîne, tant du point de vue des services d'hygiène que de ceux d'assistance et d'enseignement, l'afflux sur un territoire déterminé de « Lumpen Prolétariat » ou même de populations ouvrières de conditions modestes, sont supportées par les communes qui n'ont pas la possibilité de trouver dans leurs limites administratives les ressources nécessaires pour les compenser. (...) »

Dès lors, ce sont plutôt les opinions hostiles au développement et à l'organisation de l'agglomération parisienne qui auront droit de citer dans la lignée des thèses régionalistes de Jean-François Gravier qui publie en 1947 « Paris et le désert français ». Les effets de cette « idéologie anti-parisienne » sont considérables puisqu'elle justifie une planification malthusienne et une volonté d'affaiblissement de la capitale qui dominera pendant un demi-siècle.

Les méfaits de cette politique sont en particulier dénoncés par Alain Griotteray en 1962 dans un ouvrage intitulé « L'État contre Paris » dans lequel il explique l'erreur d'analyse du « gravièrisme », dénonce les retards de développement de la capitale et souhaite notamment qu'elle retrouve un maire. Il faut attendre 1961 et la mise en place du « District de Paris » pour voir se développer une vision stratégique de l'avenir de la région parisienne et une réflexion sur le pouvoir d'agglomération. Des politiques ambitieuses sont alors mises en place notamment en matière de transports (RER, autoroutes) et de création des villes nouvelles de Cergy-Pontoise, de Marne-la-Vallée, de Saint-Quentin

* 6 Extraits d'une communication d'Henri Sellier dans « Les sciences administratives, revue de l'Union internationale des villes », n° 3-4, 1925.

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