III. LA QUÊTE D'UNE GOUVERNANCE ADAPTÉE AU MAINTIEN À LA FRONTIÈRE TECHNOLOGIQUE

A. EXISTE-T-IL UN MODÈLE ANGLO-SAXON DE GOUVERNANCE DE LA RECHERCHE ?

Partout dans le monde, la recherche, alors qu'elle devient un enjeu de plus en plus important (pour l'économie, l'environnement et la société), des actions concertées mobilisatrices type « grand programme » ont leur mérite et ont fait leurs preuves, dans plus d'un cas par le passé (JESSI, Ariane, Airbus,...). Elles sont efficaces dans le cadre de processus traditionnels d'innovation dits « linéaires ».

Mais un nouveau modèle « interactif » est apparu avec l'émergence des nouvelles technologies de l'information, puis des biotechnologies 88 ( * ) .

L'innovation résulte alors d'une interaction permanente, dans un environnement concurrentiel, entre les technologies du marché et les moyens des différents acteurs économiques .

La mise en place des pôles de compétitivité (qui s'inspirent des « clusters » américains et de divers autres instruments (RTRA, Institut Carnot, ...) témoignent d'une volonté récente des pouvoirs publics en France de promouvoir des modes d'innovation modernes, plus décentralisés et coopératifs (qu'il s'agisse du développement des connaissances ou de leur valorisation), donc d'efficacité des dépenses.

L'intensification des activités considérées et l'augmentation du nombre et de l'étendue des champs d'investigation scientifiques explorés tendent, en même temps, à accroître la complexité des structures qui en sont chargées 89 ( * ) .

Tous les pays sont confrontés à cette double contrainte, ce qui devrait conduire à rapprocher leur système de recherche respectif. Ces derniers restent pourtant assez différents.

Il demeure toujours aussi difficile , dans ces conditions, d'en établir une typologie .

FutuRIS s'y est cependant récemment efforcé, en proposant de les distinguer suivant la façon dont sont réparties, dans chaque pays, les responsabilités concernant l' orientation , la programmation et l' exécution des travaux de recherche et d'innovation.

Selon les systèmes, ces trois fonctions sont séparées ou intégrées, mais jamais totalement. Ainsi, ce critère ne suffit-il pas à caractériser un éventuel modèle anglo-saxon de gouvernance de la recherche. Les grandes agences thématiques américaines et certains des research councils (RC) britanniques ont, en effet, leurs propres laboratoires et interviennent, en ce qui les concerne, à la fois dans la définition des orientations de la recherche et dans la programmation des moyens financiers correspondants.

Un tel modèle ne saurait non plus se définir par opposition aux singularités du système français (existence du CNRS, chercheurs en majorité fonctionnaires).

Les différences entre les systèmes américains et britanniques de recherche et d'innovation et entre leurs modes de gouvernance ne facilitent pas non plus la spécification d'un hypothétique archétype anglo-saxon.

- Aux États-Unis , les orientations générales et les priorités budgétaires de la recherche sont fixées par la Maison Blanche avec les concours respectifs de l'OSTP (Office of Science and Technology Policy) et de l'OMB (Office of Management and Budget).

Le Président bénéficie des conseils du NTSC (National Science and Technology Council), qui est aussi une instance de coordination de la politique scientifique et technologique fédérale, et du PCAST (President's Council of Advisors on Science and Technology), chargé de recueillir les avis du secteur privé et de la communauté universitaire 90 ( * ) .

La procédure budgétaire nationale, longue et complexe, confère au Congrès des pouvoirs importants de contrôle et de modification des propositions présidentielles.

Les autorités américaines ont reconnu, à l'occasion d'une enquête précitée de l'OCDE, une certaine dispersion de leur système de recherche dont l'établissement des priorités, selon elles, n'est pas assez coordonné, notamment en ce qui concerne l'articulation entre les dépenses fédérales et celles des Etats.

- En comparaison, l'organisation du Royaume-Uni , où les institutions de recherche ont été profondément restructurées depuis vingt ans, paraît plus rationnelle et homogène.

Les priorités nationales sont définies en concertation avec les Research Councils 91 ( * ) après consultation du CST (Council for Science and Technology) et discussion au sein du GSIF (Global Science and Innovation Forum).

Leur exécution fait l'objet d'une programmation budgétaire décennale.

Le DIUS (Department for Innovation Universities and Skills) 92 ( * ) supervise, au sein du ministère de la recherche et de l'industrie, l'allocation aux Research Councils des crédits qui leur sont destinés (répartition thématique) ainsi que le pilotage par objectifs des organismes de recherche (répartition par projets).

Enfin, le GOS (Government Office for Science) est chargé de la prospective, de la coopération internationale, et de la prise en compte des éventuelles implications scientifiques des décisions gouvernementales.

Ces différences de structures et de modes de fonctionnement sont en partie inhérentes à une hétérogénéité institutionnelle et à une inégalité de moyens entre les deux pays :

- les États-Unis sont un Etat fédéral et un régime présidentiel caractérisé par une séparation forte des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif.

- le Royaume-Uni s'efforce de compenser un niveau de dépenses relativement modeste (1,78 % du PIB) par un effort d'efficience particulièrement prononcé.

Mais, les deux systèmes ont indéniablement des points communs importants qui concernent :

- leur caractère décentralisé,

- l'importance du rôle qu'y jouent les universités,

- les critères de répartition des crédits budgétaires.

1. Un système de recherche décentralisé

Dans le cadre des dernières enquêtes, précitées, effectuées par l'OCDE sur les institutions de recherche des principaux pays membres de l'organisation 93 ( * ) , les autorités responsables des États-Unis et du Royaume-Uni ont mis en avant le caractère décentralisé de leur système en ce qui concerne la détermination des priorités et la mise en oeuvre des politiques publiques en cause.

Les États-Unis ont fait valoir qu'il n'y avait pas dans leur pays de ministère unique en charge de la recherche 94 ( * ) et ont insisté sur l'importance dans le financement public de ces activités du rôle joué par des organismes intermédiaires (agences et départements) positionnés entre l'administration centrale et les unités de base.

Les agences de moyens et les départements fédéraux spécialisés américains sont assez proches, de ce point de vue, des research councils britanniques.

Les universités et les entreprises privées sont consultées pour la détermination des orientations de la recherche.

Les agences et les départements participent à la programmation et, parfois on l'a vu, à l' exécution des dépenses.

Cette décentralisation appelle une coordination de la gouvernance de la recherche.

Celle-ci s'effectue essentiellement (voir plus loin) par le choix, très sélectif, des projets aidés financièrement par l'Etat et par les agences, qui permet un pilotage des laboratoires, notamment universitaires, selon leurs performances et leurs objectifs (recherche fondamentale ou appliquée), suivant les priorités stratégiques gouvernementales.

2. Le rôle majeur des universités

L'importance du rôle des universités est le deuxième trait distinctif des systèmes de recherche américains et britanniques.

La part des dépenses publiques de recherche et développement exécutées par les établissements d'enseignement supérieur qui est de 17,6 % pour l'ensemble des pays de l'OCDE, et de 18,1 % dans le cas de la France, atteint 25,6 % au Royaume-Uni.

Ce pourcentage, aux États-Unis, n'est cependant que de 14,3 % mais s'applique à un total beaucoup plus important (2,6 % du PIB), augmentant en outre au rythme, comparativement élevé, de la croissance de l'économie américaine 95 ( * ) . De plus, les universités bénéficient, outre-Atlantique, du produit de droits d'inscription très onéreux et d'importantes ressources privées (charity,...). On peut estimer à deux tiers la proportion de chercheurs en secteur public employés dans les universités aux États-Unis.

En fait, sur 3.000 établissements d'enseignement supérieur américains, 260 seulement délivrent des diplômes de niveau PhD et ont, de ce fait, une activité de recherche vraiment significative.

Néanmoins, les universités américaines réalisent plus de la moitié (56 %) des dépenses de recherche fondamentale américaines .

Leurs activités de recherche appliquée, ou même de développement, ne sont pas pour autant négligeables.

RÉPARTITION DES DÉPENSES UNIVERSITAIRES DE RECHERCHE AUX ÉTATS-UNIS

Recherche fondamentale

:

69 %

Recherche appliquée

:

24 %

Développement

:

7 %

Le gouvernement fédéral finance, au total, 63 % des dépenses de recherche et de développement des universités américaines.

Au Royaume-Uni, les Research Councils et les HEFC (Higher Education Funding Councils) représentent 59 % des ressources de la recherche universitaire qui bénéficie, par ailleurs, d'autres financements publics et de contributions privées (industrie, Wellcome Trust) ou en provenance de l'étranger.

3. La sélectivité des aides

Enfin, une très grande sélectivité dans l'attribution des aides à la recherche, dont résulte une concentration de moyens en faveur des priorités nationales, représente la troisième principale caractéristique des systèmes anglo-saxons.

Ainsi, aux États-Unis :

- sur le total des crédits fédéraux de recherche et développement :

97 % sont attribués à 8 départements ministériels et agences fédérales ;

80 % sont redistribués par trois entre eux, le NIH (National Institute of Health), la NSF (National Science Foundation) et le DOD (Department of Defence) ;

- sur les 200 établissements d'enseignement supérieur offrant à leurs étudiants une formation de niveau doctoral la moitié exécute 80 % des dépenses de R&D universitaire.

Cette relative sélectivité s'accompagne de priorités thématiques très affirmées, comme en témoigne la progression des dépenses en faveur des recherches sur la santé : le budget du NIH, qui a doublé en 5 ans 96 ( * ) , représente 60 % des fonds consacrés à la recherche académique par l'Etat fédéral (dont 45 % sont destinés à des écoles de médecine).

Les nouveaux programmes proposés par les agences doivent s'accompagner de suggestions de suppression ou de réduction de dépenses concernant les programmes moins performants .

Les projets qui font l'objet de demandes d'aides présentées par les chercheurs pour des travaux effectués, en dehors des agences et départements sont examinés selon leur mérite.

Le processus est plus draconien encore au Royaume-Uni.

Le RAE (Research Assessment Exercise) est un exercice d'évaluation de l'ensemble de la recherche britannique, institué en 1986 pour répartir les dotations de recherche des établissements supérieurs sur la base de la qualité de la recherche. De cette évaluation dépend le financement attribué à chaque université par les HEFC (high education founding councils).

L'excellence est également le principal critère suivi par les Research Councils pour la répartition des fonds qu'ils distribuent.

En Angleterre, les 10 premières dans le classement des 120 universités britanniques reçoivent ainsi 50 % des financements attribués par les HEFC en fonction de la qualité des recherches et 45 % des allocations des research councils alors qu'elles n'accueillent que 10 % des étudiants.

Les crédits sont accordés à une équipe et pour un projet, pour une période de 2 à 5 ans, et sont très libres d'utilisation. Contrairement au financement institutionnel auquel il tend à se substituer de façon croissante, le financement par projet ne couvre que 46 % des dépenses de personnel concernées, sans participation aux frais d'infrastructure ni aux autres charges fixes des laboratoires.

* 88 Cf. encadré et rapport « innovation et croissance » du Conseil d'analyse économique de septembre 1998 (Robert Boyer et Michel Didier).

* 89 Cette complexité croissante du paysage institutionnel de la recherche liée à la diversification de ses objectifs (libres ou orientés) n'est donc pas propre à la France. C'est un phénomène constaté également aux États-Unis et reconnu par les autorités américaines de recherche à l'occasion d'une enquête effectuée par l'OCDE en 2002.

Dans les pays anglo-saxons comme en France, coexistent :

- des agences de moyens (comme la NSF américaine), qui mènent souvent, en même temps, des activités de recherche dans des domaines déterminés,

- des organismes publics qui dépendent de l'Etat, avec leurs laboratoires,

- et les universités.

* 90 Il existe une autre instance consultative composée d'universitaires et d'industriels, le NSB (National Science Board), mais qui, lui, est indépendant du Président et du Congrès, et conseille également la NSF.

* 91 Les Research Councils sont des agences de moyens thématiques (il en existe sept) finançant sur projets la recherche universitaire. Deux d'entre elles disposent de leurs propres laboratoires (biologie et médecine) et l'une a une vocation interdisciplinaire (Council for the Central laboratory of the Research Councils).

* 92 Le DIUS résulte de la fusion, en 2007, de services des ministères de l'industrie et du commerce et de l'éducation et de la formation professionnelle.

* 93 Steering and Funding of research institutions - country report.

* 94 La situation, à cet égard, a changé au Royaume-Uni avec la création récente, d'une part, d'un Ministère d'Etat pour la science et l'innovation (qui relevaient auparavant du ministère de l'industrie et du commerce) et, d'autre part, du DIUS.

* 95 Les dépenses de recherche et de développement des États-Unis représentent 43 % de celles de l'OCDE.

* 96 Il est passé de 13,6 milliards de dollars en 1998 à 27,3 milliards de dollars en 2003.

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