c) L'effet sur le développement des territoires les plus enclavés

Concernant les territoires les plus enclavés, c'est-à-dire ceux qui sont les moins bien reliés aux réseaux structurants, les infrastructures constituent elles aussi des conditions du développement 24 ( * ) . Toutefois, ces conditions nécessaires ne sont pas toujours suffisantes. L'infrastructure doit, en effet, être en cohérence avec les territoires desservis.

Idéalement, celle-ci devrait même avoir été conçue à partir des besoins et de la stratégie de chaque territoire, comme en témoigne, à Castres, le cas de la mise à 2 x 2 voies de la RN 126 reliée à Toulouse. Il s'agit en l'espèce d'un véritable projet de territoire porté par l'ensemble des acteurs locaux correspond à une vision claire des relations entre le bassin de Castres-Mazamet et l'agglomération Toulouse, comme nos rapporteurs ont pu le constater au cours de leur déplacement dans le Tarn.

LE PROJET DE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE DE CASTRES-MAZAMET

Le bassin de Castres-Mazamet, qui compte plus de 130.000 habitants, est aujourd'hui le siège de production d'un grand groupe pharmaceutique international et qui reste, malgré la crise du textile qui l'a touché de plein fouet, le second bassin d'emplois industriels de la région Midi-Pyrénées. Une politique active y est aussi menée, tant en ce qui concerne l'enseignement supérieur, avec un IUT, avec l'installation de l'université Champollion, avec une école d'ingénieur, avec la création de l'hôpital de Castres-Mazamet, en cours de réalisation.

Le projet de ce territoire est aujourd'hui de renforcer encore son dynamisme en jouant pleinement sur la complémentarité avec l'agglomération toulousaine voisine. Une liaison 2 x 2 voies avec Toulouse s'inscrit donc aujourd'hui au coeur du projet de développement local.

Mais, même lorsque l'infrastructure est « subie », c'est-à-dire lorsqu'un but premier est de relier deux grandes agglomérations ou deux grands axes, et non de désenclaver le territoire qu'elle traverse, il est essentiel que des stratégies locales soient mises en place afin que l'équipement constitue une réelle chance pour le développement plutôt qu'un risque de « déménagement » du territoire.

Après avoir étudié un grand nombre d'exemples locaux, vos rapporteurs estiment que ces stratégies locales doivent prendre en compte deux enjeux importants.

Le premier enjeu à intégrer est la métropolisation des espaces , c'est-à-dire la tendance actuellement observée à la polarisation des activités économiques en des points de plus en plus concentrés. Une opération de désenclavement présente potentiellement le risque de voir cet effet de polarisation s'accélérer au profit d'un pôle d'attraction certain ou d'un territoire plus développé désormais rendu plus proche par la diminution du temps de trajet. L'aménagement du territoire peut alors tourner à un « déménagement » du territoire.

Les études réalisées à partir des données des autoroutes démontrent ainsi qu'un territoire en déclin économique structurel, et sans réel projet de reconversion, voit ces difficultés s'amplifier à l'arrivée d'une autoroute, alors qu'à l'inverse un territoire qui disposait d'un potentiel de développement bénéficie de cette infrastructure.

Cette différenciation n'a elle-même rien d'étonnant, dans la mesure où elle confirme que toute ouverture est porteuse d'une mise en concurrence susceptible de creuser les écarts entre les territoires selon qu'ils ont déjà plus ou moins « d'atouts ». Il est plus intéressant, en revanche, d'observer que ces évolutions s'expliquent bien par le phénomène de métropolisation, c'est-à-dire que les activités arrivent ou partent d'un territoire en fonction :

- 1° soit de son insertion dans le réseau des métropoles environnantes. De ce point de vue, le succès du pôle agro-alimentaire d'Agen doit beaucoup à une réflexion des acteurs locaux sur leur positionnement sur l'autoroute A 62 à égale distance de Toulouse et de Bordeaux ;

- 2° soit en devenant ou en redevenant lui-même des « points de concentration », c'est-à-dire des lieux d'attraction des activités, comme c'est le cas de Clermont-Ferrand qui a su profiter du croisement des autoroutes A 71 et A 89, à proximité de l'agglomération, pour développer une zone économique en pleine expansion.

De façon symétrique, le phénomène de métropolisation explique aussi les difficultés de Cholet à tirer profit de sa position à l'intersection de deux voies rapides. D'une part, contrairement à Clermont-Ferrand, Cholet est situé à proximité d'agglomérations beaucoup plus importantes qu'elle, à savoir Nantes et Angers 25 ( * ) . D'autre part, les responsables locaux ont espéré un temps que ce désenclavement routier serait un facteur de redémarrage pour l'économie locale. Mais, celle-ci est longtemps restée atone puisqu'elle demeurait basée sur des industries traditionnelles (notamment textiles) sans qu'une stratégie permette de profiter de la complémentarité/proximité 26 ( * ) avec les métropoles voisines.

Il convient toutefois de noter que l'identification des métropoles susceptibles d'être prises pour référence dans la définition de la stratégie locale n'est pas toujours aisée. Ainsi, après avoir insisté pour obtenir une gare sur la LGV Est, le département de la Meuse a décidé de construire une zone d'activités autour de cet équipement. Cependant, la vocation de cette zone, actuellement située en milieu rural 27 ( * ) , est particulièrement complexe à déterminer. Doit-elle assurer le développement et l'ouverture des activités déjà existantes dans le sud de la Meuse ou bien jouer sur une complémentarité avec Reims, Nancy, Strasbourg voire avec l'agglomération parisienne ? La difficulté de la question réside dans le fait que la LGV n'avait pas été conçue initialement pour assurer le développement économique de la Meuse mais pour rallier Paris à Strasbourg et, au-delà, à l'Allemagne.

Quoi qu'il en soit, il existe un risque de « déménagement du territoire » qui appelle une stratégie locale prenant pleinement en compte des divers effets de la métropolisation, qui ne concerne d'ailleurs pas seulement les activités de production mais aussi le secteur résidentiel 28 ( * ) .

Le second enjeu que doit nécessairement prendre en compte la stratégie locale est la bonne articulation de l'infrastructure nouvelle avec l'ensemble du système de transport existant .

Une infrastructure ne peut en effet pleinement jouer son rôle qu'une fois associée au reste du système de transport, tous modes confondus. Hors des agglomérations, une infrastructure isolée de son environnement peut être sous-utilisée, ce qui constitue une perte d'efficacité. Il est donc essentiel que les infrastructures de transport s'accompagnent d'un véritable projet et que leurs effets sur le développement des territoires soient maximisés .

Cette idée a été confirmée par un récent rapport du conseil d'analyse économique 29 ( * ) , selon laquelle il existe un lien vertueux entre infrastructures de transport et développement. Une étude économique publiée en 2003 sur les effets de la Route Centre Est Atlantique pour 140 entreprises du département de l'Allier 30 ( * ) confirme que l'arrivée de cette infrastructure constitue un facteur de développement et de renforcement de la spécialisation économique, en particulier pour certaines activités industrielles 31 ( * ) .

* 24 Vos rapporteurs s'intéressent effectivement davantage au développement des territoires (c'est-à-dire à leur aménagement et à l'exploitation de leur potentiel), mesuré par le PIB, plutôt qu'à leur seul enrichissement mesuré par le niveau des revenus. Cette distinction est importante car, on observe, comme le souligne M. Laurent Davezies dans son ouvrage La République et ses territoires (Seuil, Paris, 2008) que la croissance du milieu rural, liée par exemple à l'arrivée de retraités à revenus élevés n'est pas nécessairement synonyme de développement pour ces territoires.

* 25 Toutes deux situées dans un rayon de moins de 60 kilomètres.

* 26 Il convient toutefois de noter que cette complémentarité est dans certains cas encore minimale puisqu'il s'agit de jouer un rôle dans le système de production du pôle d'activité, mais simplement d'utiliser les noeuds de transports que constituent souvent les agglomérations. Ainsi, pour certaines zones d'activités, le lien avec l'agglomération proche consiste juste à utiliser sa rocade autoroutière ou sa gare de fret ferroviaire pour acheminer les productions au loin, ce qui est de plus en plus nécessaire à l'heure de la production à flux tendue dans le cadre d'un marché européen élargi.

* 27 A une trentaine de kilomètres de Bar-le-Duc.

* 28 Mme Le Maire de Bar-le-Duc indiquait ainsi aux rapporteurs que la vieille ville faisait l'objet d'une demande accrue d'achat de résidences notamment de la part d'habitants de la région parisienne ou de Reims depuis l'arrivée du TGV à l'été 2007.

* 29 Chapitre VII du rapport n° 69 du Conseil d'analyse économique intitulé Infrastructures de transport, mobilité et croissance publié le 30 août 2007 sous l'autorité de MM. Michel Didier et Rémy Prud'homme.

* 30 Les infrastructures de transport et le développement économique en espace rural. Quelles méthodes pour quels effets ? Kristian Colletis-Wahl - Corinne Meunier, Recherche financée avec le soutien du Predit - juin 2003.

* 31 L'étude fait apparaître que l'influence de la RCEA est décroissante en fonction de la complexité des logiques de développement de l'entreprise. La RCEA constitue ainsi un facteur de compétitivité pour les entreprises inscrites dans les logiques de développement et de spécialisation. En effet, plus l'entreprise dispose d'une organisation complexe, par exemple dans le domaine des services à forte valeur ajoutée, plus les facteurs importants émanent de la stratégie de l'entreprise, de la qualité de sa coordination interne et externe, c'est-à-dire notamment des liens avec ses clients et fournisseurs.

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