(2) Le nouveau visage du monde agricole

Si ces évolutions peuvent inquiéter à première vue, elles masquent en filigrane une adaptation du secteur primaire aux contraintes économiques d'un marché de plus en plus concurrentiel . L'agriculture s'est en effet modernisée et est devenue plus performante.

Ce, tout d'abord, en agrandissant la taille moyenne des exploitations afin d'atteindre une masse critique et de réaliser des économies d'échelle : alors qu'un tiers d'entre elles avaient moins de 5 hectares il y a un demi siècle, 16 % ont plus de 100 hectares en 2005. Signe de cette concentration, la prédominance des exploitations professionnelles 86 ( * ) qui, avec 347.000 unités en 2005, représentent 64 % de l'ensemble des exploitations agricoles et totalisent 92 % de la superficie agricole utilisée (SAU) 87 ( * ) . Parallèlement, le statut des exploitations a mué : celles en forme sociétaire ont connu un essor spectaculaire, les groupements agricoles d'exploitation en commun (Gaec) constituant désormais un tiers des sociétés et les exploitations agricoles à responsabilité limitée (Earl) ne cessant de progresser.

L'organisation du travail au sein des exploitations et le profil des agriculteurs ont également considérablement évolué. L' approche multifonctionnelle de l'agriculture s'est progressivement imposée comme un moyen de valoriser les externalités positives de l'agriculture. En plus de sa fonction originelle de fourniture d'aliments et de matières premières, l'activité agricole contribue en effet à l'entretien des paysages, au maintien de la biodiversité et à la viabilisation socioéconomique de nombreuses zones rurales. En ce sens, l'article premier de la loi d'orientation agricole du 9 juillet 1999 reconnaissait déjà ce concept de multifonctionnalité en soulignant que « la politique agricole prend en compte les fonctions économique, environnementale et sociale de l'agriculture et participe à l'aménagement du territoire, en vue d'un développement durable ». Le contrat d'agriculture durable (CAD), qui a pris en 2003 le relais du contrat territorial d'exploitation (CTE) et perdurera jusqu'en 2011, est un exemple probant de la place faite à la multifonctionnalité dans les pratiques agricoles : associant agriculteurs, Etat et collectivités, il comporte un double volet socioéconomique et agro-environnemental visant à promouvoir et rémunérer la contribution de l'agriculture à la valorisation de l'espace rural.

Dans une logique proche de celle de la multifonctionnalité, les exploitations agricoles se sont ouvertes à des activités non strictement agricoles . Parmi les agriculteurs professionnels, la proportion de foyers disposant de revenus d'activité ne relevant pas du secteur primaire n'a cessé de s'accroître depuis 1997 pour dépasser aujourd'hui la moitié d'un Smic net dans un foyer sur trois. Cette place accrue des activités non agricoles, qui provient de l'emploi du conjoint à l'extérieur de l'exploitation, permet d'augmenter très nettement le revenu global de ces foyers et de réduire les disparités de revenus. Dans de nombreux ménages agricoles, l'exploitant est exclusivement agriculteur tandis que son conjoint, qui participe de moins en moins aux travaux sur l'exploitation, occupe à l'extérieur un emploi salarié d'ouvrier, d'employé ou de cadre intermédiaire. En créant un fonds agricole cessible et en reconnaissant la place de l'entreprise agricole en tant que telle, la loi d'orientation agricole du 22 décembre 2005 favorise cette évolution.

Dans cette logique et ainsi que le font de plus en plus d'entreprises, tous secteurs confondus, le recours à des prestataires de services par l'exploitant agricole s'est largement développé . Cette tendance vaut non seulement pour la gestion des exploitations -recours à des courtiers, comptables, juristes...-, mais aussi pour les activités agricoles elles-mêmes -préparation des terres, traitements phytosanitaires, collecte du lait...-, ce qui permet aux agriculteurs de rationaliser leurs dépenses pour réduire leurs coûts et optimiser leurs dépenses. Cette évolution a été rendue possible grâce à une bonne implantation des activités de soutien au secteur primaire dans les territoires ruraux, qu'il s'agisse des services de gestion -lesquels sont en revanche moins présents dans les autres secteurs d'activité- ou de ceux de travaux -à travers les entreprises de travaux agricoles, forestiers et ruraux (Etarf), qui regroupent une cinquantaine de milliers de salariés-.

Contraints d'atteindre des rendements élevés pour survivre, le monde agricole a délibérément joué la carte de la modernisation et de l'innovation . Il a su utiliser d'importants moyens de production issus de l'industrie -machines-outils et robots, engrais, produits phytosanitaires, aliments d'élevage...- et s'appuyer sur une sélection de variétés et de races à haut rendement. Aujourd'hui, le monde agricole est entré de plain-pied dans les nouvelles technologies de l'information et des communications, de nombreuses tâches étant aujourd'hui automatisées et gérées par ordinateurs. Depuis le milieu des années 90, la technologie GPS permet le guidage des tracteurs par satellite et peut même décharger les agriculteurs de leur conduite, tandis que l'ensilage ou le binage peuvent être optimisés en recourant à une modélisation numérique des parcelles. L'Internet est désormais couramment répandu dans les foyers agricoles, où il est présent à plus de 60 % début 2007 -soit un taux comparable à celui de la moyenne française-, permettant par exemple qu'un tiers des déclarations de demandes d'aides PAC soit aujourd'hui réalisé en ligne.

Cette technicisation des activités primaires a porté ses fruits puisque le secteur a connu des gains de productivité records depuis la fin des années 60 et qu'il constitue sans doute la branche d'activité la plus remarquable de ce point de vue. En effet, la très forte baisse de l'emploi agricole va de pair avec une augmentation de la valeur ajoutée en volume. Un agriculteur français nourrit désormais 60 personnes à lui seul, contre 15 il y a quarante ans.

* 86 Alors que l'exploitation professionnelle satisfait à deux conditions supplémentaires par rapport à l'exploitation agricole : elle possède au moins 12 hectares d'équivalent blé et occupe au moins une personne à trois-quarts de temps.

* 87 La SAU comprend les terres arables -c'est-à-dire les terres labourables ou cultivables-, la superficie toujours en herbe et les cultures permanentes.

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