B. LE REGAIN DÉMOGRAPHIQUE A ACCÉLÉRÉ LA NAISSANCE D'UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ RURALE

1. De la société paysanne à la société rurale

Le phénomène séculaire d'ouverture du monde rural s'est accéléré depuis trente ans, d'abord sous l'effet d'une modernisation interne. Cette dernière a non seulement marqué la fin du monde paysan traditionnel mais aussi permis l'émergence d'une société nouvelle.

a) La fin d'un mode de vie autonome
(1) L'ouverture du monde paysan : une tendance séculaire

Traditionnellement , le monde rural était essentiellement replié sur lui-même, régi par un mode de vie particulier et autonome .

Cette société paysanne se caractérisait par un certain nombre de traits spécifiques 23 ( * ) tels que :

- le rôle reconnu au groupe familial comme fondement de l'ensemble de la vie sociale ;

- une certaine autarcie du système de production paysan, relativement peu en contact avec un marché plus large ;

- la place déterminante des « médiateurs » 24 ( * ) , titulaires d'un savoir acquis en ville et assurant ainsi le rôle d'intermédiaire entre les représentations de la collectivité rurale et le cadre officiel du reste de la société ;

- l'interdépendance entre les individus d'un groupe, accompagnée d'un contrôle social prégnant 25 ( * ) .

Or, dès le début du XX ème siècle , la République naissante, soucieuse d'unifier la société française à travers le service militaire, l'école et une administration centralisée, s'est engagée dans une action volontaire d' ouverture et de décloisonnement de ce monde paysan 26 ( * ) .

Puis, pendant les Trente Glorieuses , une nouvelle étape a été franchie par le passage de la figure du paysan à celle de l'agriculteur . Ce dernier est alors essentiellement distingué par son activité professionnelle, ce qui signifie, d'une part, que son mode de vie n'était plus aussi éloigné de celui des citadins et, d'autre part, que l'agriculture participait du mouvement de rationalisation de la société et d'adaptabilité des individus.

(2) Une accélération récente

Depuis les années 1970, l'évolution du monde rural s'est accélérée par une ouverture sur l'extérieur qui s'est opérée à trois niveaux 27 ( * ) :

- l' ouverture sur le voisinage . Les ruraux ont noué des liens avec le local proche et, en tout premier lieu, avec les villes voisines. Les mouvements pendulaires, l'implantation des grandes surfaces commerciales ainsi que l'installation de résidents secondaires ou de néo-ruraux ont contribué à faire reculer « l'esprit de clocher » et élargir l'espace du voisinage ;

- l' ouverture au reste de la société . Elle se traduit d'abord par une amélioration des liens physiques entre l'espace rural et les autres parties du territoire. En effet, 85 % des ménages ruraux sont désormais équipés au moins d'une voiture et nombreux sont ceux à en posséder deux. De plus, même si l'enclavement demeure un handicap relatif du monde rural, le réseau routier et autoroutier a connu une forte extension et s'est amélioré, au moment même où les liaisons ferroviaires devenaient plus rapides et garantissaient un maillage satisfaisant de l'ensemble du territoire national. Les vacances concernent désormais un nombre croissant de ruraux, même si leur durée et la distance parcourue entre le domicile et le lieu de villégiature varient considérablement entre les individus ;

- l' ouverture au monde . L'ensemble de la planète pénètre désormais la société rurale par le biais de la télévision et d'Internet. La quasi totalité des ménages est pourvue d'un téléviseur et forme un public particulièrement assidu, tandis que les résidents ruraux recourent de manière croissante aux services de la toile, même si, à équipement égal, ils y recourent moins que les citadins.

Au milieu des années 1980, le géographe B. Kayser pouvait dès lors écrire que : « les sociétés rurales  sortent d'une longue phase de décomposition, pour entrer dans une phase de recomposition, qui est la conséquence à la fois de la différenciation [par rapport aux] paysanneries et de l'émergence de nouveaux groupes sociaux » 28 ( * ) .

Cette évolution a principalement procédé d'une ouverture initiée par le monde rural lui-même et ne saurait donc être réduite rétrospectivement à la conséquence de l'arrivée de populations de l'extérieur. Toutefois, ces deux phénomènes se sont entretenus mutuellement, les citadins étant d'autant plus enclins à quitter les villes qu'ils percevaient progressivement l'émergence de cette nouvelle société rurale.

* 23 Collectivités rurales françaises, Marcel Jollivet et Henri Mendras, 1971.

* 24 Tels que les prêtres, les instituteurs et les autres fonctionnaires de l'Etat.

* 25 Dans Les Paysans , Balzac pouvait ainsi écrire, en 1844 : « En quelque endroit que vous soyez à la campagne, et quand vous vous croyez seul, vous êtes sur le point de mire de deux yeux couverts d'un bonnet de coton. Un ouvrier quitte sa houe, un vigneron relève son dos voûté, une petite gardeuse de chèvres, de vaches ou de moutons grimpe dans un saule vous espionner ».

* 26 La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, Eugen Weber, 1870-1914.

* 27 Politique régionale européenne pour 2007-2013 : les enjeux de la réforme pour les territoires, rapport d'information de M. Jean François-Poncet et Mme Jacqueline Gourault, fait au nom de la délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, n° 337 (2005-2006).

* 28 L'esprit des lieux - Localités et changement social en France, rapport du programme d'observatoire du changement social, éditions du CNRS, 1986.

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